Printemps arabe: fin des chrétiens en Orient?
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Printemps arabe: fin des chrétiens en Orient?
Tribune 29/03/2011 à 16h45
Et si le Printemps arabe sonnait la fin des chrétiens en Orient ?
Walid Salem | Rue89 Bordeaux
Après la Tunisie et l’Egypte, d’autres gouvernements arabes sont ébranlés par des soulèvements. S’il a été clair parfois que le peuple est à l’origine de ses soulèvements, il est moins facile de l’affirmer dans d’autres pays. L’insurrection en Libye est un exemple sur lequel le journal Le Monde s’est tout récemment penché pour définir la nature des insurgés et mettre en évidence la présence de groupes islamistes, parmi d’autres.
En Syrie, l’opacité du régime et la difficulté d’accéder à une information vérifiée poussent la presse à se contenter de quelques témoignages récoltés via internet, des témoignages sincères décrivant un réel désir de changement. Il est évident que les désirs obscurs ne cherchent pas échos dans ce type de communication.
Un mouvement islamiste qui participe à faire basculer le régime de Assad ne reconnaîtra dans aucun de ses témoignages, tant il est possible d’en obtenir un, qu’il souhaiterait tout bonnement voir le régime basculer et proposer à la place une république islamiste ou un régime fondé sur les valeurs de l’Islam tel qu’ils sont instaurés dans les pays du Golfe.
Et pourtant, cette hypothèse n’est pas à écarter. L’histoire montre des ambitions dans ce sens. En 1982, il eut le soulèvement des fondamentalistes sunnites, les Frères musulmans, dans la ville de Hama suite à l’arrestation d’imams fondamentalistes. Bien qu’ils furent réprimés à coups de massacres meurtriers, les Frères musulmans ont réussi à maintenir une activité sous les encouragements de leurs idéologues égyptiens.
Les Frères musulmans
L’idéologie des Frères musulmans est clairement affichée par la volonté d’instauration de républiques islamiques. Elle s’oppose aux courants laïques et préconisent un retour à de véritables Etats musulmans reconnaissant l’autorité de Dieu et la loi du Coran comme unique règle sociale.
Le mouvement des Frères musulmans, qui entretient avec les institutions du wahhabisme saoudien des relations de coopération, a pour raison d’être la lutte contre l’influence occidentale. Sayyid Qutb, son penseur le plus influent, prêche l’idée, depuis 1950, que l’islam a rétabli la vérité de la révélation divine. Les chrétiens sont les représentants d’une religion monothéiste, certes, mais d’un monothéisme « dévoyé ».
Là où les idées de Sayyid Qutb ont pris racines, les chrétiens ont servi de boucs émissaires et ont subi tracasseries et dénis de droits, comme le rapporte Dalal El-Bizri dans le journal libanais Al-Mustaqbal et repris ensuite par Le Courrier international.
« [En Égypte] n’importe quel prétexte est bon pour tirer sur une assemblée de coptes. En Syrie, l’islamisation [...] n’est pas très différente de celle instaurée sur les bords du Nil. En Palestine et en Irak, pas besoin de vexations, de harcèlement ou de campagnes télévisées de prédicateurs de la haine et de la mort : il suffit de laisser planer la menace, d’instaurer le doute sur ce qui pourrait arriver si... Le Hamas palestinien, le mouvement irakien de Moqtada Al-Sadr et d’autres mouvements fondamentalistes harcèlent les chrétiens pratiquants et incendient leurs lieux de culte. Au Liban [...], les “conseils” récemment prodigués par le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, aux chrétiens du Liban ont été interprétés comme un retour aux temps où ils devaient se placer sous la protection des musulmans. »
Les chrétiens du Liban
Aussi bien après l’attentat du 31 octobre 2010 dans une église catholique de Bagdad, que celui perpétré contre les coptes d’Alexandrie le 1er janvier 2011, les chrétiens du Liban se sentent menacés.
Même si aucune menace ne prend forme violente, leurs intérêts politiques sont en perte de vitesse à l’échelle du pays au profit des deux principales communautés musulmanes, les sunnites et les chiites. La présidence du pays qui leur a été confiée à l’indépendance, en 1947, dans le but de définir les partages de pouvoir entre les différentes communautés, a vu ses pouvoirs s’amoindrir après les accords de Taëf et la guerre de 1975-1900.
D’un autre côté, la réalité quotidienne dans le pays exacerbe le sentiment d’insécurité au point qu’un ministre a présenté un projet de loi visant à interdire toute vente immobilière entre chrétiens et musulmans pendant quinze ans. Cette réalité se traduit par une nouvelle vague d’investissements immobiliers réalisés par des Arabes du Golfe dans la montagne libanaise historiquement chrétienne parsemée de couvents et d’églises datant du XIXe siècle.
Ces investissements, déjà courant à Beyrouth, accompagnent la politique d’expansion territoriale de la communauté chiite, emmenée par le Hezbollah, grâce à des achats massifs dans des zones stratégiques.
Les chrétiens du Liban font figure d’exception dans une région où l’Islam est majoritaire. Bien qu’ils ne soient pas les plus nombreux, leur pourcentage dans la population totale de leur pays est de loin le plus élevé. Elle est estimée à 34% aujourd’hui, contre moins de 10% en Égypte ou en Syrie. Cependant, contrairement à une idée largement répandue, les chrétiens sont plus nombreux en Syrie qu’au Liban.
Les chrétiens en Syrie
Pour donner quelques ordres de grandeur, les communautés religieuses qui composent la société syrienne sont réparties de la façon suivante :
87,5 % de musulmans [dont 74 % de sunnites, 10 % d’alaouites (la religion de la famille Assad), 3,5 % de chiites],
10 % de chrétiens,
1,5 % de druze
1 % d’autres religions.
La Syrie met en valeur ce patrimoine historique et culturel et son État ne revendique aucune religion officielle, même si la Constitution impose au président d’être musulman et reconnaît la doctrine islamique comme « une source principale de la législation ».
Dans la pratique, l’État a banni les discriminations religieuses. Il s’est efforcé de contenir l’islamisme politique en interdisant les mouvements qui y font référence et en instaurant une loi en 1980 qui condamne à mort tout membre des Frères musulmans.
D’un autre côté, il a laissé une grande liberté d’organisation aux communautés chrétiennes en leur permettant, pour les questions de droit civil, d’appliquer globalement leurs propres règles et de ne pas relever de la Charia.
Bien qu’en 1967, les écoles confessionnelles sont devenues des écoles d’État, depuis les années 2000, l’enseignement privé, et en particulier celui des communautés chrétiennes, s’est à nouveau plus librement développé.
Malgré ces bons signes, auxquels s’ajoute l’attribution exemplaire par l’État de terrains pour la construction de lieux de culte, les chrétiens et leurs autorités font part de leur inquiétude face aux menaces extérieures, notamment irakiennes, et face à l’islamisation croissante de certains groupes sociaux. Ils notent, en particulier, une volonté croissante des jeunes chrétiens de quitter le pays pour trouver une meilleure situation.
La politique syrienne revue et bien vue par l’Occident
Conduit par la minorité alaouite depuis 1963, le régime syrien a lutté contre la domination de la communauté sunnite. Il a certes puni ses extrêmes idéologiques, mais il a su laisser à la plus grande religion syrienne sa place dans l’économie du pays tout en permettant aux autres minorités d’être représentées dans l’élite intellectuelle et économique. Le gouvernement syrien a toujours donné des gages au sunnisme de façon à accroître son assise politique.
Devant la montée de l’islamisation, ce même gouvernement continue ses manœuvres évidemment sournoises mais surtout habiles. En février 2006, il a ainsi laissé des groupes manifester contre la publication des caricatures de Mahomet, fermant les yeux sur les attaques perpétrées contre les lieux de cultes chrétiens et les ambassades danoise, suédoise, chilienne et norvégienne.
Il lâche du leste sur la laïcité en laissant des journaux créer des rubriques religieuses et la radio syrienne diffuser davantage de prières. Une faculté de droit islamique a même été créée au sein de l’université d’Alep et deux banques islamiques privées ont eu l’autorisation de s’installer dans le pays.
Cette habilité lui vaut même les louanges de la France ; le Sénat reconnaît sur son site que :
« il va de soi que le modèle syrien en matière de coexistence des communautés religieuses est d’un grand intérêt pour le monde arabe et pour l’islam lui-même. L’Occident doit en prendre conscience et se garder, par des prises de position hasardeuses dans un contexte régional évidemment très tendu, de le remettre en cause. »
Les répercussions cachées d’un « Printemps arabe » syrien
S’il est permis d’imaginer le meilleur, il est aussi permis d’imaginer le pire.
S’il est permis de se réjouir de la chute éventuelle du régime de Bachar El-Assad, il est aussi permis de craindre une nouvelle république en Syrie qui permettra à l’islamisme d’avoir une grande tribune au Proche-Orient. La première communauté qui en subira les conséquences sera de toute évidence la communauté chrétienne.
Au lendemain de la chute de Saddam Hussein dans l’Irak post-Bush, une chute accueillie en fanfare dans le monde entier, les chrétiens d’Irak ont connu assassinat, prise d’otages et massacres. De 800 000, ils sont passés à moins de la moitié.
Ceux qui sont restés ont obligations de se plier aux conditions islamiques, les femmes sont contraintes de porter le voile islamique. Dispersés entre les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Suède et la France, les chrétiens d’Irak vivent mal leur exil. Dans un article publié dans Libération, ces chrétiens sont qualifiés d’ « otages ici, otages là-bas ».
Après trois semaines de manifestations place Tahrir, où chrétiens et musulmans étaient rassemblés, Hosni Moubarak annonce son départ et l’Occident salue unanimement la révolution égyptienne. Quelques jours après, le 8 mars, une église copte est incendiée au Caire. Parmi cette population, ceux qui en ont les moyens ont débarqué à Beyrouth dans la crainte d’une série d’agressions similaires. Ils se comptent par centaines, mais ce minuscule exode mérite d’être signalé pour sa portée politique.
Le changement de régime espéré en Syrie et soutenu par l’opinion occidentale n’apporte, et ne pourra apporter, aucune garantie quand à la sécurité des chrétiens syriens. Et comme de coutume, des événements politiques en Syrie ont forcément des répercussions au Liban ; les chrétiens libanais partagent la même inquiétude. Les autres chrétiens réfugiés venant d’autres pays arabes ne peuvent qu’en faire autant.
Pendant qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy louent les « racines chrétiennes » de l’Europe, l’Union européenne, soutenue par le Vatican, en appelle à la liberté religieuse dans les pays musulmans et veille à laisser ses frontières fermées.
Entre le refus d’accueil et les lendemains d’un Printemps arabe aux facettes multiples, huit millions de personnes pourraient se retrouver à la merci d’un Islam conquérant dans une région appelée par l’église catholique : « le berceau originel du christianisme ». Ce sont les chrétiens d’Orient.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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