L’ANNÉE MARIALE

Destinez ce mois, auquel commence l’année ecclésiastique, à honorer le premier et incomparable privilège de la Vierge, choisie et préparée dès l’éternité pour être, dans le temps, la très digne Mère de Dieu.

Nous n’avons point remarqué, en toutes nos premières Mères, une dévotion plus tendre, plus active ni plus intime que celle du saint temps de l’Avent. Elles le nommaient le printemps de la vie spirituelle, et nous disaient que c’était le vrai temps de sortir aux champs avec la sainte Épouse du Cantique, pour préparer les jardins intérieurs desquels nous avions déjà commencé à tourner et travailler la terre par nos solitudes, afin qu’ils fussent mieux disposés à recevoir la rosée d’en haut, la sainte semence de la parole divine, et afin de voir naître la Fleur des champs et le Lis des vallées.

Notre vénérable Mère et Fondatrice Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, le premier jour de l’Avent de l’année 1610, supplia par lettre notre saint Fondateur de lui donner, et à sa petite troupe commençant notre Institut, quelques pratiques spirituelles pour passer saintement ce temps consacré par l’Église. Voici la réponse qu’elle reçut et que nous avons copiée sur la propre écriture du Saint :

« Vous voulez, ma très chère fille, quelques bonnes pensées qui aident à nos Sœurs à passer l’Avent avec autant de dévotion qu’elles en ont le désir. Que vous dirai-je, ma fille, sinon que la sainte Église romaine, notre Mère, conduit aujourd’hui ses enfants à Sainte-Marie-Majeure pour y faire les stations et y commencer les Avents. Faisons-en de même, ma très chère fille ; entrons en esprit dans l’intention de la sainte Église, et, dans cette même unité, retirons-nous auprès de la Sainte Vierge, notre Mère et Maîtresse. Nous verrons dans ce mois trois objets, non seulement capables d’occuper nos âmes, mais qui doivent ravir nos cœurs en la très sainte dilection. Le premier, c’est Marie conçue sans péché ; le second, saint Jean, l’enfant de la grâce, criant au désert pour faire aplanir les chemins à l’Époux qui doit arriver ; le troisième, ce même Époux et Sauveur arrivant par sa sainte naissance qui nous fait chanter joyeusement à Noël l’Emmanuel, ou Dieu avec nous. Voilà assez de quoi méditer, ma fille, jusqu’à ce que je vous voie avec la chère petite troupe, que Dieu veuille bénir. »

Honorons aujourd’hui la sacrée Vierge et saint Joseph comme de véritables Israélites qui, ayant sincèrement le zèle de la loi, aimèrent mieux vivre pauvrement, austèrement et petitement de pain et de légumes que de manger les viandes d’abomination et d’idolâtrie de l’Égypte.

Employons ce mois selon l’esprit de l’Église, qui entre dans le temps de la pénitence, et honorons la sacrée Vierge, qui commence à suivre son divin Fils dans sa vie douloureuse, où elle souffre en Lui, avec Lui, comme Lui, pour le salut des pécheurs.

Que si la sainte quarantaine n’est pas encore ouverte en ce premier jour de mars, nous pouvons bien, néanmoins, commencer la série de nos méditations douloureuses et nous préparer à suivre Notre-Seigneur Jésus-Christ au désert, pour y combattre le démon et triompher des tentations de cet ancien ennemi. Mais considérons, en même temps, cette première tristesse du Cœur de la sacrée Mère, quand son divin Fils la quitta, après une cohabitation de trente années, pour commencer sa vie publique. Certes, l’amour que le très-saint Cœur de la Vierge avait pour Notre-Seigneur, non-seulement en tant qu’il était son Dieu, mais encore en tant qu’il était son Fils, ne se peut concevoir de nos petits esprits. Or, si l’amour qu’elle lui portait était si grand, combien fut grande la douleur qu’elle ressentit de le quitter et d’être frustrée de sa présence corporelle. – Ô sacrée Vierge ! faites-moi cette grâce que, lors même que mon Sauveur semble me quitter pour un temps et se cacher au désert, ou bien m’y laisser moi-même, mon cœur lui demeure toujours amoureusement uni, et que les pièges du tentateur ne soient jamais capables d’interrompre cette union.

Exécutons aujourd’hui notre résolution et disposition d’hier, et suivons tout de bon NOTRE-SEIGNEUR au DÉSERT pour nous y établir dans un plus grand recueillement et pour y combattre le bon combat. Entrant dans la pieuse pensée et l’imagination de notre saint Fondateur, figurons-nous que nous rencontrons la très-sainte Mère du divin solitaire Jésus, et « qu’elle nous donne le choix du lieu où nous désirons faire notre demeure. Sans doute nous lui dirons : – Madame, où est votre Fils ? et elle nous répondra : – Mon Fils est au désert, où il doit demeurer quarante jours, jeûnant, veillant et priant continuellement. – Ô Madame ! lui dirons-nous, je ne veux donc point d’autre lieu, s’il vous plaît, pour ma demeure, que le désert où est Notre-Seigneur, car là où il est tout bien y abonde et la consolation n’y manque point !

« Gardez-vous bien pourtant, ajoute notre bienheureux Père, de croire que la tentation n’y peut avoir d’entrée. Oh ! ma chère âme, ne savez-vous pas que Notre-Seigneur, ayant été tenté durant les quarante jours qu’il fut au désert, ç’a été pour nous apprendre que nous le serions tout le temps que nous demeurerions au désert de cette vie mortelle, qui est le lieu de notre pénitence ; car la vie du parfait chrétien, mais spécialement des âmes religieuses, doit être une continuelle pénitence. Consolez-vous donc et prenez courage, le temps du repos n’est pas maintenant. » (Saint François de Sales, Sermon pour le premier dimanche de carême)

Considérez aujourd’hui l’HUMILITÉ et le RENONCEMENT de la sacrée Vierge, se joignant aux autres pieuses femmes qui suivaient et assistaient Notre-Seigneur pendant ses prédications. Elle ne se nomme point et ne se montre point au peuple comme la Mère de Celui qui faisait tant de miracles et les émerveillait par la beauté de sa doctrine ; mais elle demeure cachée dans la foule, « n’y voyant que son Bien-Aimé, sans s’arrêter à aucune pensée d’honneur, de prééminence, de dignités et semblables bagatelles.

« Considérez-vous dans cet excellent miroir de la vie religieuse et dans ses exemples que la sacrée Vierge vous a donnés de la parfaite abnégation du monde, de la chair et de soi-même, qui se doit pratiquer en la religion ; car il ne suffit pas, pour être Religieuse, d’en porter l’habit, si l’on ne retire ses affections du monde par une parfaite abnégation de toutes ses vanités. » (Sermons de saint François de Sales)

Honorez aujourd’hui le SILENCE d’adoration de la sacrée Vierge durant les prédications de son divin Fils, joint au soin incomparable qu’elle eut toujours de le bien servir, tandis qu’il fut en cette vie mortelle. « Certes, dit notre Père saint François de Sales, cette glorieuse Vierge fit admirablement bien l’exercice de l’une et l’autre sœurs Marthe et Marie. » Mais, parmi tous ses soins pour le service de Notre-Seigneur, lesquels étaient sans trouble et sans empressement, « il semblait que notre digne Maîtresse n’eût qu’un seul soin, qui était de se tenir en la présence de son Bien-Aimé et d’écouter ses divines paroles, se tenant en une parfaite indifférence de tout le reste. Arrive tout ce qu’il voudra, qu’il me console ou qu’il m’afflige (disait cette sainte Vierge), pourvu que je sois toujours auprès de lui et que je le possède, je suis contente, puisque je ne veux ni ne cherche que lui seul. »

Ô sacrée Vierge ! faites-moi la grâce de pouvoir répéter après vous ces paroles de salut et de sanctification !

Considérez aujourd’hui, selon la pensée profonde de notre bienheureux Père, que la sacrée Vierge ne fut PAS PRÉSENTE sur le Thabor à la glorieuse TRANSFIGURATION de son divin Fils, non plus que dans les autres lieux et circonstances de sa vie mortelle, où il pouvait y avoir quelque sorte de gloire et d’honneur à partager avec lui ; mais vous la trouvez toujours fidèle à son poste, partout où il faut souffrir et compatir à ses douleurs et humiliations.

Ah ! Vierge Sainte ! faites-moi la grâce de vous imiter en cela, ce qui ne m’empêchera pas d’aimer tendrement les caresses tant aimables de Jésus. Oui, mon cher Sauveur, je sais bien que dans toutes vos transfigurations vous demeurez toujours également immuable ; mais je sais aussi que vous êtes tout en toutes choses ; qu’il n’est rien de si fort ni de si faible, de si doux ni de si amer, de si lumineux ni de si obscur, où je ne puisse trouver mon Dieu.

Considérez aujourd’hui que dans les vues de l’adorable Providence, la sacrée Vierge fut également ABSENTE du [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], aux acclamations du peuple, qui lui vint au-devant avec des branches de palmes, de fleurs et d’olives, en signe d’honneur et de victoire. « Oh ! dit notre bienheureux Père, que ce serait bien faire la mémoire de ce glorieux triomphe que de triompher de nous-mêmes, du monde et de notre chair ; mais rappelez-vous que pour pouvoir en porter les trophées dans la Jérusalem céleste, aux pieds de l’Agneau qui y règne, il nous faut livrer une guerre continuelle à nos ennemis, et que, dans cette guerre, quatre conditions sont nécessaires, à savoir : un grand courage à combattre notre appétit sensuel et nos affections, une grande défiance de soi-même, une grande confiance en Notre-Seigneur, une grande diligence à nous servir des moyens qu’il nous a mis en main, et, pour obtenir ses grâces, employons la faveur de notre glorieuse Dame, la sacrée Vierge, sans le secours de laquelle ne saurait être remportée aucune victoire. »

Prenant encore aujourd’hui pour sujet de votre méditation la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], si féconde en leçons pour nos âmes, priez la sacrée Vierge qu’elle soit encore votre sainte institutrice pour vous apprendre à en savoir tirer profit, qu’elle fortifie votre foi, en vous assurant que ce Jésus que nous allons voir, dès la lecture de la Passion de ce jour, moqué, lié, condamné, crucifié et mort, est un Amant duquel l’amour triomphe, et que c’est ce même amour qui le conduit volontairement à la mort, comme une Victime couronnée de palmes et de lauriers pour nous donner la vie, la paix et le salut éternel.

Faites donc, ô Vierge Sainte, que nos cœurs comprennent que les branches de palmes signifient la victoire que Jésus a remportée sur la mort, et les branches d’olivier, la douceur de son esprit de Rédempteur ; faites-nous enfin la grâce d’apprendre que nous ne devrions nous présenter devant notre Dieu qu’avec quelque palme en nos mains, pour marque des victoires que nous avons remportées sur le péché, et sans les branches d’olive de la sainte douceur envers le prochain et de l’onction de la piété.

Aujourd’hui approchez de nouveau Jésus, en compagnie de la sacrée Vierge sa Mère, pour entendre l’APPEL du DIEU d’AMOUR et HOMME de DOULEURS aux âmes ses amantes. Celui-là même qui criait à haute voix : Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et un fleuve de vie coulera dans son sein et de son sein, nous appelle aujourd’hui aux souffrances, aux opprobres, à la mort. Ah ! dit-il, si quelqu’un veut venir après moi, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. Ô Vierge Sainte ! vous connaissez mon âme, vous savez que cette mendiante a soif de mon Sauveur et que mon cœur le désire. Je me tiendrai donc proche de vous ; j’observerai vos démarches et les siennes, et j’entrerai à sa suite dans le Cénacle où il conduit ses disciples pour instituer le très-saint Sacrement de l’autel. C’est là où vous ouvrez, ô mon Sauveur, les fontaines des eaux vives par lesquelles vous vous donnez vous-même à vos enfants, et les assurez de votre amour éternel.

Ô mon cœur, tenons-nous bien cachés dans ce Cénacle et apprenons-y la révérence et l’amour avec lesquels nous devons entrer dans les églises et nous tenir devant le très-saint Sacrement.

Encore aujourd’hui, tenez-vous retirée intérieurement dans un coin du Cénacle pour y assister en esprit et en union avec la sacrée Vierge à la première Messe qui se soit dite, à cette Messe où notre adorable Jésus voulut être lui-même l’Autel, le Prêtre et la Victime immaculée.

Que pouviez-vous faire davantage pour l’homme, ô Créateur et Sauveur des hommes ? Il semble que vous donnant tout à nous, dans votre Sacrement, vous avez épuisé toute votre puissance et votre amour. Vous serez donc avec nous jusqu’à la consommation des siècles ; alors vous transporterez l’Église militante dans la triomphante, où nous n’aurons plus besoin de Sacrements, nous vous aimerons cœur à cœur et nous vous verrons face à face.

Entrez aujourd’hui dans la considération des douleurs qu’endura la sacrée Vierge par CONDOLÉANCE et COMPASSION à celles de son divin Fils. « Considérez comme l’amour tira toutes les peines, les tourments, les blessures et les passions de notre Rédempteur dans le Cœur de sa très-sainte Mère. Hélas ! les mêmes clous qui crucifièrent le corps de ce divin Enfant crucifièrent aussi le Cœur de la Mère ; les épines qui percèrent son chef outrepercèrent l’âme de cette Mère toute douce, si qu’elle put véritablement dire : Mon Bien-Aimé m’est un bouquet de myrrhe qui demeure en ma poitrine et au milieu de mon Cœur. » (Retraite de notre sainte Mère)

Continuez aujourd’hui vos considérations générales sur la COMPASSION de la SACRÉE VIERGE aux souffrances de son divin Fils, et dites-lui, ainsi que vous l’enseignent nos bienheureux Père et Mère : « Comme vous étiez, ô très-sainte Vierge ! le vaisseau le plus grand, le plus capable, le plus digne du monde, vous fûtes plus que nul autre remplie de l’amertume et du breuvage d’angoisse que votre Bien-Aimé avala durant le cours de sa douloureuse Passion. Ah ! que m’apprend cela, sinon à recevoir les tribulations comme une chose partagée avec l’Époux ? Ô Mère très-pure ! vous nous appelez disant : Hé ! venez, mes filles ; que vos cœurs soient des vaisseaux tout vides, et mon Fils y versera la rosée dont son chef est couvert, et les gouttes de la nuit de sa Passion dont sa perruque est emperlée se convertiront en perles de consolation. Ma très-douce Mère, hé ! faites-moi donc la grâce que désormais je reçoive toutes les petites occasions d’humiliation, de souffrance et d’abjection comme de petites gouttelettes distillées de cette perruque précieuse. » (Retraite de notre sainte Mère)

Votre considération d’aujourd’hui est d’autant plus facile, que le récit évangélique vous fait assez connaître que la sacrée Vierge ne fut présente non plus que vous à [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], sinon par le Cœur et la pensée, lesquels étaient du tout inséparables de son Enfant bien-aimé. Suivez-le donc en esprit avec sa très-sainte Mère dans ce lieu de son amère douleur : « Voyez-le devenir tout blême, quand elle le saisit, et s’écrier : – Mon âme est triste jusqu’à la mort ! Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ; mais non point ma volonté, ains la vôtre soit faite. Ô Jésus ! affligé jusqu’à la mort, Ève a goûté au jardin la douceur du fruit, et vous, mon Rédempteur, l’amour vous y a fait goûter l’amertume de la peine due à son vain plaisir. »

Oh ! sacrée Vierge, vous que l’Église a nommée la nouvelle Ève et qui nous avez donné le Fruit de Vie, obtenez-moi cette grâce « que je prenne à mon tour la coupe des tourments que le doux Jésus reçut avec tant d’amour et qu’il résolut de boire jusqu’à la dernière goutte. Ô créatures ! ne m’empêchez donc pas de boire le calice des afflictions que mon Père céleste m’envoie, car je veux me rendre conforme à mon Jésus souffrant ! » (Méditation de notre sainte Mère)

Compatissez aujourd’hui à la douleur qu’enfonça comme un glaive dans le Cœur de la sacrée Vierge le baiser imprimé par le perfide Judas sur la Face adorable de Notre-Seigneur : « Hé ! que n’avait fait et ne faisait encore le Cœur Sacré de ce Sauveur à l’endroit de celui de Judas ? Combien de bons mouvements et d’inspirations secrètes ne donna-t-il pas au cœur de ce malheureux, tant à la Cène qu’au Jardin des Olives, lorsqu’il l’embrassa et baisa, comme aussi le long du chemin, depuis sa prise jusqu’à la maison de Caïphe ? Mais il ne voulut point, le misérable qu’il était, demander pardon de sa faute, ni espérer de le recevoir. »

Oh ! très-doux refuge des pécheurs, préservez-moi de l’endurcissement et du désespoir ; ains, conduisez vous-même mon pauvre cœur à « Celui qui offre le pardon même aux obstinés et les attend à pénitence. Que ne fera-t-il pas à celui qui le lui demande, et avec quel Cœur miséricordieux ne recevra-t-il pas le cœur contrit et pénitent ? » (Sermon de saint François de Sales pour le Vendredi Saint)

Considérant aujourd’hui votre doux Sauveur, soumis volontairement à la puissance des ténèbres qui a été donnée à ses ennemis, lié et garrotté par la troupe des satellites de son perfide apôtre, et baisant ses chaînes avec confusion et amour, écriez-vous : Ô sacrée Vierge, vous avez été la première exécutrice des arrêts du divin Amour contre votre adorable Fils, puisqu’après le moment de sa sainte naissance vous le liâtes de petites bandelettes et le reposâtes dans la crèche entre deux animaux. Quelle différence de liens à liens ! et que deviez-vous dire, sainte Mère de Dieu, voyant votre Jésus les mains liées derrière le dos, la corde au cou, les chaînes aux pieds, traîné par ces méchants comme un pauvre captif, comme un criminel, comme un scélérat !

Ô éternelle Liberté ! en quel état êtes-vous réduite par amour pour moi ! Faites-moi la grâce que, pour votre gloire, ma volonté soit esclave de la vôtre, toujours attachée au devoir de ma sainte vocation.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans l’affliction que lui fit éprouver la FUITE des APÔTRES et le triste abandon où ils laissèrent Notre-Seigneur.

Considérez avec cette Mère des douleurs que le doux Jésus, Père de nos âmes, a bien voulu souffrir de ses disciples tout ce qu’un bon père peut jamais endurer de ses enfants ingrats et perfides. Adorez la patience et la douleur amoureuse du Fils et de la Mère, causée par la perfidie de ces enfants prodigues.

Ô Vierge fidèle, Mère très-aimante de mon cher Sauveur ! apprenez-moi, aujourd’hui, que le seul éloignement de sa divine Présence me peut perdre ; et, si ce malheur m’arrivait jamais, dites-lui qu’Il me rappelle bien vite, ou, comme l’enfant prodigue, par ma propre misère, ou, comme saint Pierre, par un de ses regards qui soit l’effet de son amour et la cause de ma fidélité à ses saintes inspirations.

Ressentez aujourd’hui dans votre cœur le contre-coup que fit en celui de la sainte et sacrée Vierge la déplorable chute et la RENIEMENT de PIERRE, et tremblez à cette pensée : « Que celui qui s’estime être debout craigne de tomber, et que personne ne se glorifie pour se voir appelé de Dieu, puisque cet Apôtre, qui avait reçu tant de grâces de Notre-Seigneur, et qui lui avait promis de l’accompagner en prison et jusqu’à la mort, le renie au moindre sifflement d’une chambrière. Mais impétrez surtout de la sacrée Vierge la grâce d’imiter la grande pénitence de cet heureux pécheur, qui, par l’abondance et la sincérité de ses larmes, retrouva la vie et toutes sortes de bénédictions là où il avait mérité la mort éternelle ; et que, pour cela, cette sainte Mère de Dieu tourne vers vous ses regards bénins et miséricordieux, comme il est certain que ce furent les regards sacrés de notre Sauveur qui pénétrèrent le cœur de saint Pierre et lui ouvrirent les yeux pour lui faire reconnaître son péché. » (Sermon de saint François de Sales pour le Vendredi Saint)

Mettez-vous aujourd’hui sur les pas de la Mère de douleurs suivant le doux Jésus, mené de parquet en parquet devant ses juges iniques ; tous l’accusent, personne n’a la courage de parler pour sa défense. L’un le charge d’un crime d’État, l’autre d’un crime de religion, et tous, d’une voix, l’accusent, le jugent, le condamnent, sans forme, sans droit et sans sujet, sans foi, sans loi et sans raison. Ô mon âme ! mon âme ! lorsque nous serons accusée justement ou injustement, tenons-nous donc en silence et en confiance aux pieds de Jésus. C’est ce que nous a appris saint François de Sales, notre bon Père, nous assurant que Dieu prend le parti de l’âme qui sait se taire et se reposer en Dieu dans ses afflictions.

Bien que le Père putatif de Notre-Seigneur Jésus-Christ ne fût pas présent à sa Passion, vous ne pouvez laisser passer ce jour sans célébrer avec l’Église la fête du saint et glorieux Joseph, qui ne fut pas seulement Patriarche, mais le coryphée des Patriarches, et en qui sont encloses les dignités des évêques, la générosité des martyrs et les vertus de tous les autres Saints. C’est donc à juste raison qu’il est comparé au palmier, lequel est le roi des arbres. Et si bien, le glorieux saint Joseph « ne contribua rien du sien à la naissance sur la terre du Verbe éternel, il eut néanmoins une grande part en ce Fruit très-saint de son Épouse sacrée, car elle lui appartenait et était plantée tout auprès de lui, comme une glorieuse palme auprès de son bien-aimé palmier. Oh ! quelle divine union entre Notre-Dame et saint Joseph ! union qui faisait que ce Bien des biens éternels, qui est Notre-Seigneur, fut et appartint à saint Joseph, ainsi qu’il appartenait à Notre-Dame, non selon la nature, ains selon la grâce, laquelle le rendait participant de tous les biens de sa chère Épouse, et laquelle faisait qu’il allait souverainement croissant en sainteté, par la communication continuelle qu’il avait avec Notre-Dame, en sorte que les vertus et perfections d’icelle, comme d’un très-pur miroir exposé aux rayons du Soleil de Justice, faisaient une telle réverbération en saint Joseph, qu’il semblait presque qu’il fût aussi parfait ou qu’il eût les vertus en un si haut degré comme les avait la glorieuse Vierge notre Maîtresse. » (Entretien de saint François de Sales : Des vertus de saint Joseph)

Après avoir, dès hier, honoré et médité les excellentes vertus de saint Joseph, « que nous reste-t-il de plus à dire aujourd’hui, sinon, que nous ne devons nullement douter que ce glorieux Saint n’ait beaucoup de crédit dans le ciel après de Celui qui l’a tant favorisé que de l’y élever en corps et en âme ; ce qui est d’autant plus probable, que nous n’en avons nulle relique ici-bas en terre. Car, comment lui eût pu refuser cette grâce Celui qui lui avait été obéissant tout le temps de sa vie ? Celui que ce glorieux Saint avait eu l’honneur et la grâce de porter si souvent entre ses bénits bras, bras auxquels Notre-Seigneur se plaisait tant ? Oh ! combien de baisers lui donnait-il fort tendrement de sa bénite bouche pour récompenser en quelque façon son travail ! Saint Joseph donc est au ciel en corps et en âme ; c’est sans doute ! Oh ! combien serons-nous heureux si nous pouvons mériter d’avoir part en ses saintes intercessions ! Car rien ne lui sera refusé ni de Notre-Dame ni de son Fils glorieux : il nous obtiendra, si nous avons confiance en lui, un saint accroissement en toutes sortes de vertus. » (Entretien XIX : Des vertus de saint Joseph)

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans l’admiration et union de son Cœur maternel au SILENCE de son adorable Fils. « Elle se rappelle le silence de la crèche, où le Verbe parut muet ; le silence adorable de la vie cachée du Sauveur durant trente années, dans sa petite maison de Nazareth, et, aujourd’hui, elle adore le silence de cet Homme-Dieu dans cette occasion, où il semble que les intérêts de la gloire de son Père le devraient faire parler bien haut ; mais il n’ouvre non plus la bouche qu’un doux agneau qu’on mène à la boucherie.

Ô sainte Mère de mon doux Jésus ! fermez ma bouche, si elle ne parle à votre honneur et à celui de votre adorable Fils ou du Père céleste, ou bien ouvrez mes lèvres afin que ma bouche annonce ses louanges. Oui, faites-moi cette grâce d’entrer dans l’imitation du silence de Jésus accusé et souffrant, et faites que l’on puisse dire de moi, comme de vous, dans les plus dures rencontres : Cette Épouse du Sauveur garde le silence, à l’imitation de son Bien-Aimé. »

Faites aujourd’hui résolution aux pieds de la sacrée Vierge, présente à la cruelle flagellation de son Fils bien-aimé, d’entreprendre l’observance exacte de votre Règle pour expier, par votre amoureuse fidélité, l’injustice des Juifs, qui, contrairement à la loi défendant de donner plus de quarante coups aux plus grands malfaiteurs, en déchargèrent une multitude sur Jésus-Christ.

« Ô sainte Mère de douleurs ! je vous confesse que les doux et bénins regards que le bon Sauveur jette de temps à autre sur ceux qui le flagellent, touchent vivement mon pauvre cœur ; mais rendez vous-même ce regard efficace. Je désire que mon âme soit amoureusement blessée par quelques-uns des coups que reçoit mon Sauveur ; et pour cela, quand je me sentirai frappée de quelque coup de mortification, je m’attacherai, avec les cordes du saint Amour, au devoir de ma vocation, et recevrai paisiblement ces mortifiantes blessures comme de petits restes de sa sainte flagellation. »

Priez aujourd’hui la sacrée Vierge de présenter elle-même, aux yeux de votre âme, son divin Fils couronné d’épines et dans l’état pitoyable où Ponce-Pilate le présenta aux Juifs en leur disant : Ecce Homo.

Considérez, mon âme, que voici l’Homme, l’Homme de pauvreté, l’Homme de mépris et l’Homme de douleurs ; et voici le Dieu de richesse, de gloire et de félicité éternelle.

Ô Vierge Sainte ! c’est à vous de rappeler cent et cent fois le jour cet objet d’amour et de pitié devant les yeux de mon âme, et de lui dire : Voici l’Homme innocent qui va s’exposer à la mort par amour pour toi ; et lors je prendrai la hardiesse de lui dire : Voici, ô mon Jésus ! la fille criminelle qui se présente à vous pour cueillir les fruits de votre Rédemption.

N’abandonnez pas la dolente Mère durant la scène la plus lamentable de cette nuit sanglante ! Assistez avec elle à la cruelle tragédie où l’Homme-Dieu fut fait par dérision Roi de farce, de mépris et de moquerie. Voyez comme il se laisse mettre le manteau de pourpre sur les épaules, la couronne d’épines sur la tête et le roseau à la main, comme à un roi de jeu et de comédie ! Il ne refuse pas même de monter sur le théâtre de la Croix ni de souffrir au-dessus de sa tête l’écriteau de sa royauté. Ah ! suivons-le donc, avec la sacrée Vierge, sa Mère, jusqu’à son trône sacré ; adorons-le dans cet état royal ; faisons-lui le serment de notre fidélité ; promettons-lui qu’avec sa grâce nous quitterions toutes les couronnes de la terre pour suivre sa mortification et l’étendard de sa Croix.

Après avoir adoré Jésus-Christ comme votre Seigneur et votre Roi, ajoutez-y aujourd’hui le titre plus doux d’Époux, comme pour donner un peu de relâche à votre cœur et au sien, au milieu des douleurs qu’il endure en sa sainte Passion ; et, pour vous préparer à célébrer la belle fête de demain, enhardissez-vous à prononcer ces paroles du cantique : Que mon Époux me baise d’un baiser de sa bouche, selon la pensée de saint François de Sales, qui dit que la divine union du Verbe éternel avec notre nature, représentée par ce baiser, se fit dans les entrailles très-pures de la glorieuse Vierge Notre-Dame, au jour de l’Incarnation. Remerciez cette sacrée Vierge du consentement qu’elle donna à l’Ange, en lui disant : « Qu’il me soit fait selon ta parole. » Oh ! consentement digne de grande réjouissance pour les hommes, d’autant que c’est le commencement de leur bonheur éternel. – (Sermon de saint François de Sales pour la fête de l’Annonciation)

Continuez aujourd’hui de vous réjouir avec la sainte Église dans la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], qui vient comme un rayon d’allégresse interrompre la série de vos méditations douloureuses. Mais voyez que la sacrée Vierge, après avoir contracté cette alliance inouïe de la Divinité avec notre humanité et cette grâce inconcevable qui furent les effets que le divin baiser opéra en Elle pour notre salut, se donna réciproquement à Dieu et lui consacra tout son amour, prononçant ces divines paroles : « Voici la servante du Seigneur. » – Or, bien que nous sachions que nul ne peut parvenir à un si haut degré d’amour ni se dévouer aussi parfaitement à Dieu comme le fit Notre-Dame, nous ne devons pas laisser de nous dédier et consacrer à son divin amour avec le plus de perfection qu’il nous sera possible selon notre petite capacité. Nous devons, avec cette très-sainte Vierge, dire au Bien-Aimé : Tirez-moi, et nous courrons à l’odeur de vos parfums. « La très-sainte Vierge fut tirée seule et la première par le céleste Époux, à ce moment de l’Incarnation ; mais soudain qu’Elle fut tirée, Elle tira après Elle quantité d’âmes qui lui ont fait offre d’elles-mêmes, pour marcher sous ses auspices sacrés. Oh ! quel honneur pour nous de pouvoir batailler sous cette vaillante capitainesse ! » (Sermon de saint François de Sales pour la fête de l’Annonciation)

Considérez aujourd’hui quelle fut la douleur de la sacrée Vierge, « oyant les détestables blasphèmes que les ennemis de Jésus vomissaient contre lui et son Père céleste ; sans doute que cela outreperçait le Cœur de cette tendre Mère plus sensiblement que les clous ne percèrent les mains et les pieds très-bénis de son divin Enfant. Mais, réciproquement, quel devait être l’attendrissement que causait à Celui-ci la douleur de sa très-bénie Mère, qu’il aimait si chèrement ! Le Cœur du Fils et celui de la Mère s’entre-regardaient avec une compassion non pareille, mais aussi avec une générosité et une constance admirables, car ils ne se plaignaient point ni ne détournaient point leur vue l’un de dessus l’autre pour rendre leur douleur moins sensible ; ains ils se regardaient fixement. »

Ah ! sacrée Vierge ! je veux vous regarder de même dans toutes mes souffrances et mes épreuves, quelles qu’elles soient, et moins pour me consoler que pour vous imiter ! – (Deuxième Sermon de saint François de Sales pour le Vendredi Saint)

Suivez aujourd’hui la sacrée Vierge sur la voie sanglante du Calvaire. Voyez comme ce débonnaire Sauveur voulut être pleuré, allant à la mort, par sa sainte Mère et par Madeleine ; mais il refusa les larmes des filles de Jérusalem, parce qu’il connaissait qu’elles ne provenaient que d’une simple compassion naturelle, et non pas d’une source d’amour et de contrition, comme celle de Marie, sa Mère, et de Madeleine, son amante.

Ô Vierge Sainte ! Mère des douleurs, avec votre secours et la grâce de votre divin Fils, j’affermirai aujourd’hui mon cœur contre les vaines tendresses et délicatesses du vieil homme. Ah ! ne permettez jamais que j’aie d’autres larmes que celles qui procèderont de Jésus et seront versées pour Jésus, mon principe et ma fin.

Arrivée avec Notre-Dame, à la suite de l’adorable Victime, sur la montagne du Sacrifice, considérez ce pauvre Jésus, qui, n’ayant qu’une robe faite des mains sacrées de sa sainte Mère, s’en voit insolemment dépouillé par les soldats qui la jouent au sort.  

Mon âme, c’est aujourd’hui qu’il faut apprendre de cet adorable Maître à aimer la pauvreté, le mépris et la souffrance. Vierge Sainte ! à vous encore de me répéter cette divine et salutaire leçon ; et moi, derechef, je prendrai la hardiesse de dire à mon Sauveur : « Votre fille criminelle se présente à vous, ô mon Jésus ! pour cueillir les fruits de votre Rédemption ; car vous êtes l’Homme-Dieu, abîme de charité et de mérite, qui payez de votre pauvreté toutes nos dettes, couvrez l’horreur de notre nudité par votre robe, et guérissez nos langueurs par vos plaies. »

Honorez aujourd’hui et remerciez la sacrée Vierge unissant son sacrifice et sa prière intérieure à cette « incomparable flamme d’amour qui brûlait dans le Cœur de notre doux Sauveur, tandis que ses bourreaux le crucifiaient, laquelle, au plus fort de ses douleurs et au temps que la véhémence de ses tourments lui ôtait le pouvoir de prier pour lui, le fit s’oublier se soi et prier pour ses ennemis, s’écriant d’une voix forte et intelligible : Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent ce qu’ils font ! Ce qu’il fit pour montrer quel doit être votre cœur à l’endroit du prochain.

« Ô sainte Épouse ! ce n’est pas sans raison que vous avez vu les lèvres de votre Bien-Aimé, blanches comme le lys, distillant la myrrhe première. Ah ! Vierge sacrée ! quelle ardente charité était celle-ci, qu’aucune sorte d’ingratitude ne pouvait diminuer, et quelle efficace avait une telle prière ! » – (Deuxième Sermon de saint François de Sales pour le Vendredi Saint)