L’ANNÉE MARIALE

Destinez ce mois, auquel commence l’année ecclésiastique, à honorer le premier et incomparable privilège de la Vierge, choisie et préparée dès l’éternité pour être, dans le temps, la très digne Mère de Dieu.

Nous n’avons point remarqué, en toutes nos premières Mères, une dévotion plus tendre, plus active ni plus intime que celle du saint temps de l’Avent. Elles le nommaient le printemps de la vie spirituelle, et nous disaient que c’était le vrai temps de sortir aux champs avec la sainte Épouse du Cantique, pour préparer les jardins intérieurs desquels nous avions déjà commencé à tourner et travailler la terre par nos solitudes, afin qu’ils fussent mieux disposés à recevoir la rosée d’en haut, la sainte semence de la parole divine, et afin de voir naître la Fleur des champs et le Lis des vallées.

Notre vénérable Mère et Fondatrice Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, le premier jour de l’Avent de l’année 1610, supplia par lettre notre saint Fondateur de lui donner, et à sa petite troupe commençant notre Institut, quelques pratiques spirituelles pour passer saintement ce temps consacré par l’Église. Voici la réponse qu’elle reçut et que nous avons copiée sur la propre écriture du Saint :

« Vous voulez, ma très chère fille, quelques bonnes pensées qui aident à nos Sœurs à passer l’Avent avec autant de dévotion qu’elles en ont le désir. Que vous dirai-je, ma fille, sinon que la sainte Église romaine, notre Mère, conduit aujourd’hui ses enfants à Sainte-Marie-Majeure pour y faire les stations et y commencer les Avents. Faisons-en de même, ma très chère fille ; entrons en esprit dans l’intention de la sainte Église, et, dans cette même unité, retirons-nous auprès de la Sainte Vierge, notre Mère et Maîtresse. Nous verrons dans ce mois trois objets, non seulement capables d’occuper nos âmes, mais qui doivent ravir nos cœurs en la très sainte dilection. Le premier, c’est Marie conçue sans péché ; le second, saint Jean, l’enfant de la grâce, criant au désert pour faire aplanir les chemins à l’Époux qui doit arriver ; le troisième, ce même Époux et Sauveur arrivant par sa sainte naissance qui nous fait chanter joyeusement à Noël l’Emmanuel, ou Dieu avec nous. Voilà assez de quoi méditer, ma fille, jusqu’à ce que je vous voie avec la chère petite troupe, que Dieu veuille bénir. »

Considérez aujourd’hui que, malgré les sept paroles, les gémissements et soupirs amoureux que notre Sauveur voulut bien faire entendre sur la Croix, l’extrémité « de ses douleurs ne pouvait être connue que de lui, qui les souffrait, et de sa sainte Mère, à laquelle il les communiquait et laquelle les ruminait en soi-même. Et, sans doute que la plus grande douleur que souffrit alors le Cœur Sacré de Notre-Seigneur et le Cœur compatissant de sa Mère fut à cause de l’ingratitude des chrétiens, voyant que plusieurs mépriseraient sa mort et ne se serviraient pas de sa Passion, qui lui est si pénible et douloureuse, et lesquels, quoiqu’ils eussent cette Rédemption si efficace, ne laisseraient pas de se perdre pour ne s’en vouloir prévaloir. » (Sermon de saint François de Sales)

Honorez aujourd’hui plus particulièrement le silence de soumission et d’abnégation de la sacrée Vierge sur le mont de Calvaire. « La sujétion et souplesse du Cœur de cette sainte Vierge au bon vouloir divin étant arrivée jusque-là que de voir mourir son Fils et son Dieu sur le bois de la Croix, elle adhéra parfaitement à la Volonté du Père éternel, non par force, mais de son plein gré, baisant cent fois, par un humble acquiescement, cette Croix sur laquelle il mourait, comme approuvant et agréant sa mort. »

Sur quoi, ne vous lassez pas de vous rappeler ce que notre bienheureux Père saint François de Sales ne se lasse pas de nous dire : « Que la religion est un mont de Calvaire où, à l’exemple de notre glorieuse Maîtresse Notre-Dame, il se faut continuellement crucifier avec Notre-Seigneur en cette vie, pour régner éternellement avec lui en l’autre. »

Destinons ce mois à compatir à toutes les douleurs de Marie au pied de la Croix de son adorable Fils, et imitons la force, la magnanimité, le calme, la paix de son admirable résignation durant la sanglante Passion de son Dieu et du nôtre.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge dans la constance qu’Elle fit paraître au pied de la Croix, y demeurant debout avec une fermeté et magnanimité non pareilles, car Elle était crucifiée intérieurement en son âme avec les mêmes clous dont Notre-Seigneur l’était en son corps. Faites résolution de lui tenir une fidèle compagnie, puisque c’est une considération de si grande utilité et profit que celle de la Croix, ainsi que nous en assure notre saint Fondateur, en disant : « Serait-il bien possible, je vous prie, de regarder en la Croix l’humilité de Notre-Seigneur sans devenir humble et sans avoir de l’affection aux humiliations ? Peut-on voir son obéissance sans être obéissant ? Non, certes, personne n’a jamais regardé comme il faut Notre-Seigneur crucifié, qu’il n’ait été préservé de la mort du péché et guéri de ses maladies. Et tous ceux qui sont morts, ç’a été pour ne l’avoir pas voulu contempler. »

Honorez aujourd’hui les sentiments intérieurs de la sacrée Vierge au pied de la Croix, lorsqu’elle ouït la voix de son adorable Fils qui s'écria hautement et lamentablement : Mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? Oh ! Vierge Sainte, quels furent les abîmes d'angoisses et de douleurs où votre Cœur maternel se vit plongé lorsque vous entendîtes ces paroles affligeantes ! Au moins, si vous consoliez ce cher Souffrant ! Mais non, il faut que sa vie et sa mort soient sans autre soutien que le bon plaisir de la Volonté du Père éternel. Il ne vous parlait pas, que nous sachions, dans les douceurs de son enfance ; vous ne lui parliez pas aussi, que nous sachions, dans les douleurs de son amère Passion ! – Ah ! que ce silence amoureux et réciproque dit de grandes choses à notre âme des mystères ineffables de votre saint Amour et acquiescement à la Volonté de votre Père !

Honorez aujourd’hui les sentiments intérieurs de la sacrée Vierge, lorsqu’elle voyait les deux larrons aux côtés de son adorable Fils en Croix, l’un le blasphémant, et l’autre soutenant son innocence. Jésus était dans l’acte suprême de sa miséricorde : c’est pourquoi il ne dit pas un mot au blasphémateur ; mais au milieu de sa plus grande servitude, misère et délaissement, ayant lui-même les fers aux pieds et aux mains, il prononça l’arrêt favorable au [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], disant : « Aujourd’hui, tu seras avec moi en Paradis. »

Ô Vierge Sainte ! voici déjà un fruit et un effet de la Rédemption de votre divin Fils ! Obtenez-nous la grâce d’une véritable foi, humilité, contrition, et la pénitence finale. Ô sainte Mère de Dieu ! vous avez vu votre doux Jésus entre deux animaux dans le bois de la Crèche ; vous le voyez entre deux larrons sur le bois de la Croix, et vous l’adorez et aimez également en l’une et l’autre manière.

Honorez aujourd’hui les mouvements intérieurs du Cœur-Immaculé de Marie, lorsque son Fils disait ces paroles : « J’ai soif ! » Vierge Sainte, que deviez-vous penser en voyant cet Homme-Dieu, que vous aviez allaité et abreuvé de votre lait virginal, tout desséché de soif ? Voilà ses ennemis qui, par moquerie, lui présentent du fiel, du vinaigre et de l’absinthe. Selon l’histoire sacrée des Évangélistes, on lui offrit plusieurs fois cette amère boisson, avant même qu’il eût dit : « J’ai soif ! » Oh ! que d’amertumes différentes on présente aux prédestinés ! Vivant et mourant, il faut boire le calice de la sainte Passion et se laisser attacher à la Croix avec Jésus et Marie.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge comme la terre bénie, le fleuve d’eau vive, la fontaine scellée qui a désaltéré le doux Jésus dans son enfance, avec le lait virginal de sa divine pureté. Mais l’amour de ce divin Sauveur le pressa d’une ardeur si grande et si forte, que sa flamme le dessécha et l’altéra pour notre salut jusque dans la dernière période de sa vie, où il s’écria : « J’AI SOIF ! » Hélas ! mon doux Jésus ! Madeleine et les autres âmes pénitentes vous désaltérèrent, en votre soif de notre salut, avec les eaux et les larmes de leur contrition ; mais les pécheurs endurcis, méprisant votre mort, ne vous présentent que le fiel et le vinaigre de leurs iniquités. Donnez-moi, Mère de mon Dieu, le lait d’innocence et l’eau de pénitence, afin que je corresponde aux ardeurs du divin Amour. Mon âme a soif de vous et mon cœur vous désire, ô Dieu vivant ! ne permettez pas qu’elle soit abreuvée des eaux bourbeuses des plaisirs de cette vie.

Puisque ce jour est destiné à honorer la parole que Jésus prononça en confiant sa sainte Mère à saint Jean, il faut disposer nos cœurs à recevoir un legs si avantageux. C’est le présent précieux et l’héritage inestimable que Jésus donne à ceux qui habitent le Calvaire et se tiennent proche de la Croix. Quiconque veut avoir Marie pour Mère doit être disciple bien-aimé de Jésus : le Sauveur ne donne sa Mère qu’aux disciples de sa dilection qui ne fuient point sa Croix. Ô Jésus ! faites-nous cette amoureuse et infinie miséricorde de nous rendre les filles du Cœur de votre sainte Mère, et qu’Elle soit pour jamais la Mère de notre cœur ! Ô très-glorieux Évangéliste ! faites-nous part des sentiments de votre humilité intérieure et de votre amour, afin que nous recevions aujourd’hui la sacrée Vierge pour Mère, pendant toute notre vie, à l’heure de notre mort et pour toute l’éternité. Nous pouvons dire ici : le Père Éternel a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son propre Fils, et ce Fils Éternel a tant aimé son Église et ses élus, qu’Il leur a donné sa propre Mère.

Considérez aujourd’hui que Jésus-Christ parla plus sur l’arbre de la Croix qu’il n’avait fait dans tous les autres endroits de sa Passion. Il dit, pour sa sixième parole, ce mot : « Tout est consommé ! » Saluez la sacrée Vierge comme l’unique de toutes les créatures, et particulièrement de toute la compagnie, qui était au Calvaire, qui eut la connaissance et l’intelligence de cette parole ineffable de Jésus : « Tout est consommé ! » Ah ! Vierge sacrée ! vous êtes un témoin fidèle de cette sainte consommation. Une partie s’était accomplie dans votre sein, entre vos bras et devant vos yeux. Quelle adoration faisait votre Cœur à cette divine Victime, à cet Holocauste sacré, tout consommé d’amour, pour nous consommer !... Ah ! mon âme, quand serez-vous toute consommée en l’amour et pour l’amour de Jésus ! À qui tient-il ?

Honorez aujourd’hui la consommation de toutes les douleurs en l’âme de Marie, au moment où, étant debout au pied de la Croix, elle entendit son adorable Fils dire ces dernières paroles : « Mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. » Alors cette divine Mère, qui n’avait point d’autre esprit, d’autre Cœur, d’autre âme ni d’autre vie que celle de son cher Jésus, fit la même remise que Lui entre les mains du Père Éternel ; puis Jésus inclina son chef du côté de son Cœur et expira avec lui, respirant par lui pour tous les enfants de son Église, afin que sa mort leur acquit la vie éternelle.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge recevant et adorant les premières et les dernières larmes de son doux Jésus !

Hélas ! Vierge Sainte ! dit notre saint Fondateur, les larmes de votre divin Enfant dans la crèche n’étaient que de douces rosées, mais celles de sa sainte Passion sont des torrents et des mers d’amertume. Votre Cœur douloureux et amoureux offrait les unes et les autres au Père éternel, sachant bien que c’étaient les larmes d’un Dieu qui devaient produire les joies éternelles des enfants de salut. Soupirons incessamment pour les plaisirs qui nous ont été acquis par des larmes si précieuses.

Honorons aujourd’hui la force avec laquelle la sacrée Vierge se soutint sur le Calvaire, en lisant le titre que Pilate fit mettre sur la Croix de son Fils : Jésus de Nazareth, Roi des Juifs. Admirons dans cette Mère d’Amour une nouvelle douceur dans une nouvelle douleur. Elle savait que, du côté de la Providence, ce titre était écrit par vérité et par mystère, et, de la part des hommes, par moquerie et par mépris de la royauté de Jésus, devant lequel ses yeux avaient vu les rois d’Orient se prosterner à genoux et abaisser leurs couronnes. Hé ! consolez-vous, pouvait-elle dire aux disciples affligés : la dérision et la moquerie que l’on fait aujourd’hui ne durera pas ; tenez pour assuré que le règne de ce Roi méprisé sera si durable qu’il n’aura point de fin. Consolons-nous donc dans nos tribulations ; si nous sommes en ce monde les fidèles disciples de Jésus affligé et mourant, nous devons espérer de nous réjouir dans son règne éternel. Ainsi le saint Apôtre veut que nous regardions nos tribulations comme des moments passagers qui produiront le poids d’une gloire éternelle.

Entrons respectueusement en ce jour dans les pensées tout amoureuses et tout affligeantes de la sacrée Vierge, lorsqu’elle se représentait l’uniformité de la naissance et de la mort de Jésus-Christ son Fils. Comme elle l’avait vu naître dans une Crèche au milieu de deux animaux, elle le voyait mourir sur une Croix au milieu de deux larrons ; comme elle l’avait vu poursuivre par le roi Hérode, elle le voyait condamné à la Croix par le président Pilate ; comme elle avait vu toute la ville de Jérusalem dans le trouble et l’inquiétude, elle voyait le soleil s’éclipser, la terre trembler, les rochers se briser, enfin toute la nature dans l’émotion ; et comme elle l’avait vu pauvre, humble, obéissant et souffrant en sa naissance, elle le voyait de même en sa mort. Ô mon âme ! honorons la soumission parfaite de la sacrée Vierge aux ordres du Père éternel, et, à son imitation, apprenons à ne nous point troubler, si nous voyons les âmes les plus saintes sous le pressoir des plus horribles souffrances, et si nous souffrons nous-mêmes en l’extérieur et en l’intérieur. – Admirons aussi la naissance, la vie et la mort de notre Dieu, et apprenons qu’il n’a vécu et qu’il n’est mort dans une si grande pauvreté, nudité, obéissance, humilité et souffrance, que pour nous convaincre et persuader de la nécessité que nous avons de faire de même. C’est ainsi que l’on doit entrer au Ciel. Ô pauvreté ! Ô souffrance ! Ô humilité ! Ô obéissance de mon Sauveur ! nous vous adorons et nous vous aimons ! – Oui, nous renonçons dès à présent à tout ce qu’il peut y avoir de plus charmant au monde pour vous suivre et ne nous séparer jamais de vous.

Honorons aujourd’hui la sacrée Vierge, toujours constante et stable au pied de la Croix, malgré les horreurs et les ténèbres du Calvaire, l’éclipse du soleil et l’obscurité qui cachaient à ses yeux l’unique objet de son Cœur. Ô Vierge Sainte ! que de scènes différentes en l’histoire de votre vie ! et que vous avez admirablement bien expérimenté ce que dit Salomon, qu’il y a temps de pleurer et temps de se réjouir ! Quels sacrés transports dans votre âme, quand vous avez comparé les clartés de l’Épiphanie, où des astres nouveaux manifestaient votre Fils, avec les ténèbres et les obscurités qui vous le cachent, dans la triste, bien qu’amoureuse, tragédie de sa sainte Passion !

Hélas ! dit saint François de Sales, toutes ces choses sont faites pour nous apprendre que la vive lumière de votre foi ne fut jamais éteinte parmi les ténèbres ! Oh ! que nous serions heureux si nous avions un peu de foi, parmi nos sécheresses, nos abattements et nos langueurs !

Considérons aujourd’hui le silence de la sacrée Vierge, durant tout le temps que son adorable Fils demeura sur la Croix, mourant et mort.

Ô Mère de vie ! dit notre Père saint François de Sales, que faisiez-vous en ce triste Calvaire, qui était un lieu d’agonie et de mort ? L’amour sévère du Père éternel s’appliquait à votre âme, afin que, par la douleur mortelle que votre Cœur endurait, vous fussiez la première martyre de l’Église naissante et la Reine souveraine de tous les martyrs.

La Père éternel a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son propre Fils ; ce Fils s’est livré Lui-même à la mort, et nous pouvons dire que Marie, Mère de ce Dieu mourant, a tellement aimé le salut du monde qu’Elle a volontairement offert son Fils à la mort et Elle-même en son Fils. Le Fils, dit ce même Saint, est mort par la force de sa Passion amoureuse pour les âmes, et Marie par sa dilection compatissante !

Ah ! que nous devons aimer cette ancienne pratique de plusieurs provinces, où l’on met à l’une des faces de la Croix l’image de Jésus-Christ, et à l’autre celle de la Sainte Vierge, debout et les mains jointes, pour donner avis aux chrétiens que Jésus nous a sauvés par sa Passion, et que Marie nous a appris à compatir à Jésus par sa Compassion.

Mettez-vous aujourd’hui aux pieds de la sacrée Vierge et de la Croix de votre Sauveur, pour y cueillir, sous les yeux maternels, et y odorer les fleurs bénies des vertus qui y croissent. Ego sum flos campi : Je suis la Fleur des champs, dit de Lui-même ce Bien-Aimé en son cantique, et Nazareth veut dire : ville fleurie et fleurissante, pour nous montrer qu’Il n’est pas seulement une fleur, mais un bouquet composé de l’assemblage des plus belles et odoriférantes fleurs que l’on puisse rencontrer. Il a voulu garder ce nom de fleurissant sur l’arbre de la Croix, mais n’eût-on pas plutôt dit qu’Il était une fleur flétrie que non pas fleurie, la face meurtrie de coups, pâle et décolorée à force de tourments ? Et cependant, ce fut véritablement alors qu’Il se montra non-seulement fleur, mais fleurissant en toutes sortes de vertus, que sa mort et Passion firent éclater et épanouir au jardin de ce Jésus de Nazareth, Roi de nos cœurs. Mais parfumez votre âme particulièrement de quatre de ces vertus, qui sont les plus nécessaires pour la vie spirituelle et l’avancement en la perfection, à savoir : l’humilité, la patience, la persévérance et la très-sainte indifférence. (Sermon de saint François de Sales)

Contemplez aujourd’hui la sacrée Vierge, considérant son Fils mort sur la Croix. Elle était pâmée sans pâmer, dit notre saint Fondateur ; car, si l’extrémité de la douleur l’affaiblissait, la force de l’amour la soutenait, et, ne voyant les horreurs de la mort de son Fils que dans les beautés de son amour, son âme sainte eut d’égaux mouvements d’amour et de douleur. Les uns et les autres étaient insoutenables à la nature, et Marie fut également morte d’amour et de douleur au pied de la Croix de son Fils mort, si la grâce de ce même Fils ne l’eût soutenue.

Honorons la patience merveilleuse de la sacrée Vierge au temps de la Passion de son Fils. Elle est tellement crucifiée elle-même, qu’elle semble n’avoir ni voix ni mouvement. Elle est dans une si grande cessation d’opération, qu’elle ne se présente pas seulement pour donner aucun soulagement à ce Sauveur accablé de souffrances. Les filles de Jérusalem le pleurent, la femme de Pilate plaide pour son innocence, la Véronique lui tend un linge pour essuyer ses plaies et ses sueurs, et la sacrée Vierge demeure immobile ! – Oh ! l’admirable leçon de patience ! Eh ! sacrée Vierge, apprenez bien à mon âme qu’il y a des maux de pure souffrance, où il ne faut appliquer autre remède que la soumission intérieure de l’âme à Dieu.

Contemplez aujourd’hui le dénûment de la sacrée Vierge voyant expirer son adorable Fils, exposé sur la Croix. Elle n’alla point demander son corps à Pilate, laissant ce soin à la piété de Joseph d’Arimathie et de Nicodème. Elle savait bien que ces bourreaux inhumains ne pouvaient rien sur la toute-puissance de cette Victime sacrée, et, bien que sa douleur fût très-grande, elle n’y voulut chercher aucun soulagement extérieur, laissant cette sainte humanité à la merci des hommes et son Cœur entre les mains de Dieu. Ah ! la sainte pratique pour les âmes religieuses et pour les chrétiens affligés et sujets à quelque puissance secrète et tyrannique !

Admirons aujourd’hui la douceur et la modestie de la Sainte Vierge sur le Calvaire ; ayant vu jouer et mettre au prix d’un coup de dé la robe sans couture qu’elle avait faite de ses propres mains à son divin Fils, elle ne s’en fâche point, elle ne s’avance point pour la racheter des mains de ces déicides. Hélas ! sacrée-Vierge ! vous voyez perdre les deux robes que vous avez données au Verbe fait chair de votre chair : vous voyez la peau de cet Agneau sans tache toute déchirée et baignée de sang, non par feinte comme celle de Joseph, mais véritablement et réellement ; vous voyez l’autre robe jouée à la discrétion des impies. Certainement, nous pouvons bien dire que les grands maux n’ont pas de voix pour se plaindre, et que les grands cœurs, à l’imitation de Marie, savent tout souffrir avec silence, patience et amour.

Honorons aujourd’hui le Cœur douloureux de la sacrée Vierge, voyant percer d’une lance le Côté de son Fils. Voilà bien à présent, ô divine Marie ! le glaive de douleur que saint Siméon vous prophétisa. Mais vous aviez vu ce glaive tranchant faire, en la Circoncision, ses rigoureuses opérations sur la très-sainte humanité de votre Fils. Il ne vous était pas nouveau de voir donner des larmes et du Sang à notre Rédempteur pour notre salut ! Ah ! dit notre saint Fondateur, la même lance qui ouvrit le Côté de Jésus mort transperça l’âme de sa Mère, mourante de douleur et vivante d’amour ! Supplions-la qu’Elle nous obtienne une place dans ce Sacré-Cœur ouvert, qui est la retraite des âmes amantes de Jésus crucifié.

Consolez aujourd’hui la sacrée Vierge en formant un acte de foi vive sur la divinité de son cher Fils, immolé pour notre salut, et, frappant votre poitrine comme les gardes, mais d’un bien autre sentiment et avec plus d’amour que de frayeur, dites : « Ô Jésus ! Fils de Marie, ô Jésus, nourrisson de Joseph, vous êtes en vérité le Fils de Dieu. » Le temps est venu, mon âme, où, voyant tant de merveilles, un Sauveur pâtissant et mourant, nous devons former des affections et résolutions pour la vie cachée où Dieu a coutume d’opérer ses merveilles. Eh ! pourquoi, dans la nuit des tribulations et quand le soleil des consolations se retire, n’apporté-je pas tous mes maux aux pieds de mon Sauveur ? Mais, aujourd’hui, je veux examiner mes maladies, et dorénavant aimer tous les remèdes qui me devront être appliqués pour ma guérison.

C’est l’opinion commune, et qui a grande probabilité, que les dévots et secrets disciples de Jésus supplièrent la sacrée Vierge de se trouver à la descente de la Croix et à la sépulture de son adorable Fils. Les anciennes peintures de cette Vierge affligée, tenant son Fils mort sur ses genoux après la descente de la Croix, semblent nous en faire foi. Oh ! Vierge sainte ! vous fûtes Mère de douceur en donnant des langes, des draps et des bandelettes à Jésus naissant ; vous voici à présent Mère de douleur, mais également Mère d’amour et de paix, en donnant et voyant mettre, ou mettant vous-même, ce sacré dépôt de votre amour dans des suaires et des draps de mort. Vous nous apprenez que, tristes ou joyeuses, vivantes ou mourantes, il faut servir Jésus comme il veut être servi en tout temps et en toute occasion.

Honorez aujourd’hui la sacrée Vierge descendant de la montagne du Calvaire, où son adorable Fils vient d’être immolé pour votre salut, et dites-lui : « Ô Mère de grâce ! permettez-moi de m’approcher de vous pour vous faire particulièrement ma cour en ce jour de votre deuil, et de vous saluer comme Mère et mer de douleur et d’amertume. Souffrez que je vous suive en votre descente du Calvaire, d’où vous emportez dans votre Cœur la Croix, les clous, les épines, la lance et la mort de votre cher Enfant ; car vous avez été la première, la plus digne et la plus tendre martyre de son amour. »

Aujourd’hui, suivons en esprit, avec la sacrée Vierge, l’âme sainte de Jésus dans sa descente aux Limbes, où Il alla tout aussitôt qu’Il eut expiré sur la Croix, pour changer ce lieu de ténèbres en un paradis de joie et de lumière, faisant goûter à ces saintes âmes souffrantes les premiers fruits de sa Rédemption, qu’elles attendaient depuis si longtemps. Ce fut là que l’âme du bon Larron fut bienheureuse, comme son Sauveur le lui avait promis. Cette descente aux enfers donna un merveilleux éclat à la Majesté de cet adorable Triomphateur, et fit voir au démon, à la mort et au péché qu’il n’y a aucun lieu qui ne doive révérer son empire, sa domination, son pouvoir et les effets de son amoureuse Rédemption.

Ayant suivi l’âme bienheureuse de Jésus dans les limbes, ne quittons pas néanmoins sa sainte humanité, puisque c’est une vérité de foi que la personne du Verbe n’abandonna jamais notre Rédempteur, non pas même dans le tombeau où il fut mis par les fidèles après qu’ils l’eurent descendu de la Croix, et où, très-assurément, sa sainte Mère s’empressa de le venir visiter sans attendre même l’aurore du jour de sa Résurrection. On pouvait donc bien dire que cet Homme-Dieu, Fils bien-aimé de la sacrée Vierge, était mort et vivant dans le tombeau : il y était mort, à raison de la rupture de la liaison naturelle, qui unit l’âme et le corps, mais il était vivant, à raison de l’union de l’âme et du corps avec la divinité. Ainsi, je puis aujourd’hui fortifier ma foi et laisser agir mon amour, adorant l’Homme-Dieu mort et vivant.

Adorant Jésus au saint Sépulcre et aux Limbes, honorons Marie en retraite et en oraison, et révérons son Cœur, son esprit et son application intérieure, qui se partageaient dans l’unité de la très-sainte Trinité et qui n’abandonnaient point l’âme ni le corps de son adorable Fils, quoique l’un fût au tombeau et dans le suaire, sans action, et l’autre dans les Limbes, triomphant en faveur de ses élus ! Ô Vierge Sainte ! notre douce Mère ! nous pouvons dire aujourd’hui que là où est votre Cœur, votre trésor y est. Votre Fils Jésus, votre unique trésor est dans une séparation, sans division, au sépulcre et aux enfers ; et, puisque notre cœur est toujours là où est notre trésor, nous pouvons sans crainte honorer votre Cœur, ô Sainte Vierge, avec Jésus dans l’obscurité du sépulcre et dans celle même des enfers, et apprendre de vous aujourd’hui à suivre notre doux Jésus partout où il lui plaira de nous mener.

Honorons aujourd’hui la sacrée Vierge dans son oratoire, tandis que la Magdelaine va chercher des onguents et des parfums précieux pour embaumer le corps de son Maître. La Sainte Vierge savait bien que son divin Fils ressusciterait promptement, comme il l’avait annoncé lui-même ; c’est pourquoi, si elle avait préparé du baume et des onguents, elle aurait pris cette peine inutilement, ce qu’elle n’était pas capable de faire. Sa modestie même fut si grande qu’elle ne détourna point les âmes dévotes d’aller au sépulcre, parce qu’elle n’avait point reçu d’ordre de son Fils d’annoncer sa Résurrection. Elle se tenait dans le silence et laissait agir l’innocence et l’amour de ces bonnes dames ; ce qui nous enseigne de ne nous hâter point trop de parler sur les affaires et entreprises du prochain, et à nous taire quand nous n’avons pas ordre de parler.

Nous devons en ce jour appliquer nos cœurs à Marie dans tous ses états de douleurs et de souffrances. Tous les dévots ont destinés le vendredi à la mémoire et à la commémoration particulière de la mort et Passion du Sauveur, et le samedi à la Passion et au deuil de Marie. La sainte Église ne se dispense point, en aucun temps de l’année, de faire observer l’abstinence chrétienne en ces deux jours, pour nous apprendre qu’en tous les temps de notre vie nous devons honorer et adorer la Passion de notre Rédempteur le vendredi, et la Passion et le deuil de Marie le samedi. Promettons-lui grande fidélité à cette dévote attention que notre Père saint François de Sales nous recommande tant : « Consacrez, dit-il, vos dévotions du samedi à la Mère de Dieu ; méditez quelques points de sa vie et de ses vertus. »

Entrez, pour votre méditation d’aujourd’hui, dans cette pieuse pensée que la Sainte Vierge, en quittant le Calvaire, avait emporté la Croix de son cher Fils gravée au plus profond de son Cœur, et que ce divin objet était encore dans sa retraite celui de ses sublimes contemplations et affections. Permettez-moi, ô Vierge Sainte, d’y unir les miennes, toutes faibles et imparfaites qu’elles sont. Je baiserai, plusieurs fois le jour, le sacré Nom de Jésus, me réjouissant de ce que je suis obligée, par ma vocation, de porter cet aimable nom sur ma poitrine, gravé sur une lame d’argent en forme de croix, comme un signe sacré et un témoignage public que j’appartiens à Jésus et à sa sainte Mère.