L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
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L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES (extraits) – Voyage en Espagne avec les traditions catholiques de ce pays
Source : M. L'ABBÉ LÉON GODARD – 19 eme siècle - - avec photos et musique espagnole
En crayonnant cette esquisse de l'Espagne, j'ai cependant rattaché les grandes périodes de son histoire à quelques villes où elles se reflètent avec plus d'éclat. En présence de ses plus beaux monuments et de ses meilleures collections artistiques j'ai réuni de même les idées générales qui me semblent les plus exactes sur le caractère et le développement de l'art dans son sein. J'ai voulu être vrai dans les tableaux de moeurs et les paysages; mais surtout j'ai pris à tâche en toute occasion de dissiper, autant qu'il m'était possible, les erreurs et les préjugés divers qui trop souvent dénaturent l'histoire et voilent aux yeux de l'étranger la noble physionomie de la catholique Espagne.
España Mía · Manitas De Plata
Alegrias - Joie de Vivre - par Carlos Montoya
De la vallée de la Bidassoa, nous arrivons à celle de l'Oyarzun; la diligence côtoie l'immense bassin du Passage, qu'envahit la marée montante; sur ses eaux vertes , les hommes et les femmes de San Juan et de San-Pedro, bourgs qui s'élèvent au fond de la rade, manient l'aviron avec une égale habileté. Le château de Sainte - Isabelle, dont les canons défendent le port, disparaît derrière nous; et bientôt Saint-Sébastien (San Sebastian) étale, au pied du mont Orgullo, ses fortifications à la Vauban et ses rues en damier
Région Basque en Espagne
Vallée de la Bidassoa en Navarre
Saint-Sébastien ( San Sebastian) dans le pays basque espagnol
Nous saluons Villafranca, postée en vedette sur une hauteur, qui a vu naître Urdaneta, ce moine trop oublié, ce marin vêtu du froc, auquel l'Espagne doit les Philippines. Nous arrivâmes ainsi au port d'Arlaban, point culminant de la chaîne des Pyrénées cantabriques, entre les deux provinces du Guipuzcoa et de l'Alava, qui forment, avec la Biscaye, le pays des Basques, Vascongados.
Village de Villafranca
Andrés de Urdaneta, né au Pays Basque était un frère augustinien basque espagnol, capitaine de navire et explorateur des Philippines.
La Sierra de Ona et les gorges sauvages de Pancorbo, toutes retentissantes du bruit des torrents, abrégèrent les heures qui nous séparaient de Burgos, la capitale de la Vieille-Castille. Nous découvrons de loin les flèches de la gigantesque métropole, qui devait être l'objet de notre première visite. Comme les églises du premier ordre, et qui sont la gloire de l'art chrétien, la cathédrale de Burgos est un vaste poème qu'il faudrait étudier dans tous ses détails. Pris dans son ensemble , il fait éclater du moins la puissance du siècle de foi qui l'a vu naître, et il reflète la grandeur de l'Espagne aux deux plus belles époques de son histoire. C'est au commencement du 13 ème siècle que furent jetés les fondements de ce portail, qui élève ses deux clochers gothiques à cent mètres au-dessus du sol. Toutes ces flèches, tous ces cônes dentelés dont se hérisse le vaisseau colossal, sont comme un symbole de la vie sociale qui rayonna dans la Péninsule. Ces clochers, ces tourelles, ces gerbes de grêles colonnettes, ces dentelles de la façade, cette rosace et ces deux fenêtres d'un style si pur, qui s'ouvrent au-dessus d'elle, ces statues et ces ornements sculptés, n'est-ce pas le réveil d'un grand peuple, l'ardente action de grâces qu'il offre au Ciel.
La ville de Burgos
La cathédrale de Burgos
La cathédrale de Burgos
La cathédrale de Burgos
La porte de la Pellejeria
Source : M. L'ABBÉ LÉON GODARD – 19 eme siècle - - avec photos et musique espagnole
En crayonnant cette esquisse de l'Espagne, j'ai cependant rattaché les grandes périodes de son histoire à quelques villes où elles se reflètent avec plus d'éclat. En présence de ses plus beaux monuments et de ses meilleures collections artistiques j'ai réuni de même les idées générales qui me semblent les plus exactes sur le caractère et le développement de l'art dans son sein. J'ai voulu être vrai dans les tableaux de moeurs et les paysages; mais surtout j'ai pris à tâche en toute occasion de dissiper, autant qu'il m'était possible, les erreurs et les préjugés divers qui trop souvent dénaturent l'histoire et voilent aux yeux de l'étranger la noble physionomie de la catholique Espagne.
España Mía · Manitas De Plata
Alegrias - Joie de Vivre - par Carlos Montoya
De la vallée de la Bidassoa, nous arrivons à celle de l'Oyarzun; la diligence côtoie l'immense bassin du Passage, qu'envahit la marée montante; sur ses eaux vertes , les hommes et les femmes de San Juan et de San-Pedro, bourgs qui s'élèvent au fond de la rade, manient l'aviron avec une égale habileté. Le château de Sainte - Isabelle, dont les canons défendent le port, disparaît derrière nous; et bientôt Saint-Sébastien (San Sebastian) étale, au pied du mont Orgullo, ses fortifications à la Vauban et ses rues en damier
Région Basque en Espagne
Vallée de la Bidassoa en Navarre
Saint-Sébastien ( San Sebastian) dans le pays basque espagnol
Nous saluons Villafranca, postée en vedette sur une hauteur, qui a vu naître Urdaneta, ce moine trop oublié, ce marin vêtu du froc, auquel l'Espagne doit les Philippines. Nous arrivâmes ainsi au port d'Arlaban, point culminant de la chaîne des Pyrénées cantabriques, entre les deux provinces du Guipuzcoa et de l'Alava, qui forment, avec la Biscaye, le pays des Basques, Vascongados.
Village de Villafranca
Andrés de Urdaneta, né au Pays Basque était un frère augustinien basque espagnol, capitaine de navire et explorateur des Philippines.
La Sierra de Ona et les gorges sauvages de Pancorbo, toutes retentissantes du bruit des torrents, abrégèrent les heures qui nous séparaient de Burgos, la capitale de la Vieille-Castille. Nous découvrons de loin les flèches de la gigantesque métropole, qui devait être l'objet de notre première visite. Comme les églises du premier ordre, et qui sont la gloire de l'art chrétien, la cathédrale de Burgos est un vaste poème qu'il faudrait étudier dans tous ses détails. Pris dans son ensemble , il fait éclater du moins la puissance du siècle de foi qui l'a vu naître, et il reflète la grandeur de l'Espagne aux deux plus belles époques de son histoire. C'est au commencement du 13 ème siècle que furent jetés les fondements de ce portail, qui élève ses deux clochers gothiques à cent mètres au-dessus du sol. Toutes ces flèches, tous ces cônes dentelés dont se hérisse le vaisseau colossal, sont comme un symbole de la vie sociale qui rayonna dans la Péninsule. Ces clochers, ces tourelles, ces gerbes de grêles colonnettes, ces dentelles de la façade, cette rosace et ces deux fenêtres d'un style si pur, qui s'ouvrent au-dessus d'elle, ces statues et ces ornements sculptés, n'est-ce pas le réveil d'un grand peuple, l'ardente action de grâces qu'il offre au Ciel.
La ville de Burgos
La cathédrale de Burgos
La cathédrale de Burgos
La cathédrale de Burgos
La porte de la Pellejeria
Dernière édition par MichelT le Mar 16 Jan 2024 - 16:28, édité 16 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
Mais, entre tous les noms célèbres qui rappellent la ville de Burgos et sa cathédrale, il n'en est pas de plus populaire que celui du Cid Campeador. Nous sortions de la salle capitulaire, tout émus encore de la vue du fameux christ connu sous le nom de Christ de Burgos, un chef-d'oeuvre du Greco; on nous arrêta dans le vestibule, en face d'un vieux coffre vermoulu et tout brisé : « Voilà, dit avec respect notre guide, voilà le coffre du Cid, celui qui renfermait son trésor à la guerre. » Peu après, nous visitions le Solar del Cid, ou la maison du grand capitaine, son tombeau à l'hôtel de ville, et d'autres lieux remplis de sa mémoire. J'avouerai pourtant que nulle part cette grave figure ne m'a plus imposé qu'au milieu des statues dont la belle porte Santa-Maria est admirablement décorée; porte digne de la cité qui fut, jusqu'à Charles-Quint (1516), le séjour des rois d'Espagne et qui dispute à Tolède le titre de première ville de Castille. Une teinte dorée par le temps, la plus belle que j'aie jamais vue sur aucun monument, forme comme un fond de mosaïque byzantine aux statues des hauts personnages qui semblent s'être avancés jusque-là pour recevoir le voyageur étranger.
Porte Santa-Maria de Burgos
Le Cid Campeador
Le Cid Campeador
Don Quichotte est une satire du peuple espagnol; il en est la charge, la caricature; il représente cet esprit chevaleresque, exagéré, boursouflé par la haute opinion de soi-même, qui respire encore dans le patriotisme espagnol; mais la légende du Cid est le type historique de la nation, vue du côté le plus favorable, le type de l'honneur, de la fidélité et du dévouement, du courage et de l'attachement à la foi. Rodrigue ou Ruy Diaz de Bivar, né à Burgos vers l'an 1040, fut armé chevalier à vingt ans par Ferdinand I, roi de Léon et de Castille. Pendant quarante ans il guerroya contre les Maures, et contribua puissamment à la formation des royaumes chrétiens d'Espagne. Par ses services, sa bravoure, sa loyauté, ses souffrances, ses victoires, il est devenu le modèle des chevaliers chrétiens dans l'imagination du peuple espagnol, qui chargea peu à peu son histoire d'ornements romanesques.
Sans cesse en campagne, il reçut le surnom de Campeador; et celui de Cid lui vient du mot arabe sidi, monseigneur, parce que les prisonniers faits sur les Maures et les députés de cette nation lui donnaient ce titre d'honneur. Il conquit, pour Ferdinand I, le royaume de Saragosse sur l'émir El-Moktader; et sa redoutable épée continua de flamboyer dans les batailles, sous le règne de Sanche, fils de Ferdinand. Sanche fut assassiné au siège de Zamora, et l'on soupçonna son frère, Alphonse VI, d'avoir trempé
dans ce crime. Les ricos-hombres ou riches-hommes, c'est ainsi qu'on appelait les anciens seigneurs castillans, n'osaient lui demander de s'en laver par un serment, comme il le fallait pour l'honneur de la couronne; mais le Cid l'exigea du prince, avant de lui rendre hommage. « Je le veux bien; demain je jurerai, dit Alphonse; mais aujourd'hui je désire savoir qui a pensé à m'imposer un tel serment?»
–Moi, répond le Cid.
-Vous, don Rodrigue! ne songez-vous donc pas que demain vous devez être mon sujet?
–Je ne le suis pas encore aujourd'hui, et j'y songerai quand vous serez roi. »
Le serment fut prononcé dans l'église Santa Agueda, que nous avions visitée le matin. Dans Sainte-Gadée de Burgos, dit le Romancero, où les gentilshommes prêtent hommage lige, là Rodrigue exige le serment du nouveau roi de Castille. Serment si terrible, qu'il imprimait la terreur à tous. Il se prêtait sur un épieu de fer et une arbalète de bois. Un Serment si terrible que nous ne l`écrirons pas ici. » O poésie populaire, interrompis-je, comme tu révèles un peuple ! L'action du Cid, c'est le sentiment de l'honneur espagnol si exalté; mais la formule du serment trahit bien aussi l'amour exagéré de la noblesse, du luxe et du faste, le mépris de l'agriculture, et cet orgueil provincial qui porte le Castillan à jeter le dédain à l'homme de peine, au paysan et à l'ouvrier d'Asturie.
Alphonse, dissimula le ressentiment qu'il gardait contre le Cid, et il dut à la vaillance de ce fier mais fidèle sujet de nouvelles conquêtes et la prise de Tolède. Croyant n'avoir plus besoin de ses services, il l'exila; mais le Cid, suivi de sa famille et de ses vassaux, continua de faire la guerre aux Maures, et il leur imposa le tribut au nom du roi de Castille, dont il n'eut pas même la pensée de se venger. Il accourut même auprès d'Alphonse, qui avait vu pâlir son étoile à la bataille de Zalaca; et le monarque, touché d'une pareille grandeur d'âme, lui donna à titre héréditaire tout le territoire qu'il pourrait conquérir. A la tête de neuf mille vassaux et guerriers castillans, le Cid fait des prodiges; mais deux fois encore il est victime de l'ingratitude d'Alphonse, et deux fois sa fidélité inébranlable à son souverain ne répond à ces noirceurs que par un accroissement de bravoure et de dévouement. Il a conquis et possède enfin Valence, dont Alphonse lui fait présent.
Le Cid, épuisé par des travaux surhumains , doit bientôt mourir; il voit apparaître près de sa couche une lumière éblouissante. Il aperçoit près de lui un homme au front serein, au noirs cheveux bouclés; il était assis, et avait le front ceint d'une auréole céleste. « Dors-tu, ami Rodrigue? Allons, console-toi! « Qui es-tu, répond le capitaine, toi qui me parles ainsi dans mes veilles? « Je suis l'apôtre Pierre, celui dont le temple t'est cher. Envoyé d'en haut pour calmer tes soucis, je viens t'annoncer que, sous trente jours, Dieu t'appellera dans l'autre monde : ce monde où t'attendent tous tes amis, tous les saints. Ne reste pas en crainte pour Ximena ton épouse, ni pour tous ceux que tu laisses ici-bas. Mon cousin saint Jacques aura soin de leur victoire; apprête-toi donc au voyage, et mets ordre à ta maison. » Le Cid expira!. « Bannières antiques et affligées, qui souvent avez accompagné le Cid dans les batailles et en êtes revenues victorieuses avec lui, vous frémissez tristement dans l'air; car vous n'avez pas de voix pour gémir, vous n'avez pas de larmes. Ses yeux se ferment, et il vous regarde pour la dernière fois. Adieu, riantes montagnes de Teruel et d'Albarazin, immortels témoins de sa gloire, de ses travaux et de son courage ! Adieu, collines attrayantes, et toi, vaste mer répandue au-dessous d'elles ! Hélas! la mort nous enlève tout; la mort nous dépouille comme l'épervier. C'en est fait, ses yeux s'éteignent; ils voient pour la dernière fois. Qu'a dit le vaillant Cid? Il gît étendu sur son lit. Qu'est devenue sa voix de fer? A peine peut-on entendre qu'il demande encore son cheval fidèle, Bibieca.»
Montagnes d'Albarazin témoins des travaux du Cid Campeador au 11 eme siècle
CHAPITRE II
VALLADOLID. - LA STATUAIRE ESPAGNOLE. - DISPOSITION DES ÉGLISES EN ESPAGNE. - UN PÈLERIN DE SAINT-JACQUES.- LA GALICE.
Après l'excursion obligée de Burgos à la cartuja ou chartreuse de Miraflores, où l'on voit les tombeaux d'albâtre de Juan II et de sa femme Isabelle, si finement sculptés en gothique fleuri par le ciseau de Juan de Colonia (1488), nous poussâmes notre pèlerinage jusqu'à l'antique monastère bénédictin de San-Pedro de Cardena, un des sanctuaires où se conserva, depuis le 7 eme siècle, à travers les âges troublés par les guerres contre les Sarrasins, la flamme sacrée de la science et de la foi, flamme allumée au flambeau des saint Léandre et des saint Isidore de Séville. Parmi les sépultures royales d'Aragon et de Navarre se trouvent des tombeaux de la famille du Cid et celui même du héros; mais ses restes mortels n'y sont plus.
Monastère bénédictin de San-Pedro de Cardena fondé en l`an 902 Ap J.C.
Chartreuse de Miraflores
Le lendemain, nous étions sur la route de Burgos à Valladolid. Le paysage s'en allait du reste sans nous laisser de regrets. Une fois l'été venu, la plaine riche naguère et verdoyante revêt une teinte grise ou jaune d'une monotonie désespérante; les villages sans verdure et sans jardins s'endorment sous les feux du soleil et sous une couche de poussière.
Valladolid
L'aspect de Valladolid ramena des pensées plus sérieuses. Voici encore une ville de prédilection des anciens rois de Castille, jusqu'au commencement du 17 eme siècle où la cour fixa sa résidence à Madrid. Le caractère flottant des capitales castillanes eut du moins cet heureux résultat, d'enrichir plusieurs villes des monuments et des institutions qui naissent comme naturellement à l'ombre des trônes. Lorsque, à l'approche d'une ville, tant de silhouettes d'édifices se découpent sur l'horizon, vous pouvez dire : Il y a ici de l'histoire, de la science, des arts, de la vie. Et Valladolid, en effet, compte encore une multitude d'étudiants dans ses écoles; elle a des académies, des palais, un musée, un théâtre, de belles promenades, de belles places, comme la plaza Mayor, entourée de galeries soutenues par quatre cents colonnes de granit, et le Campo grande, où se déployait autrefois la pompe des tournois et des fêtes royales. Les villes du nord de l'Espagne, comme les vieilles villes du nord de l'Italie, présentent un certain nombre de places et de rues à galeries, dont le système a été inspiré par les exigences du climat. Il est bon que l'on y puisse circuler sans s'exposer aux ardeurs du soleil.
Plaza Mayor - Valladolid
Dans les villes du midi de l'Espagne, les Maures ont recherché le même avantage par l'étroitesse des rues, qui ne sont plus que des ruelles, où le soleil ne pénètre guère et dans lesquelles règne habituellement un peu de fraîcheur. Enfin, là où rien ne préserve de la chaleur torride, on cède à son influence par l'inaction et la sieste. On comprend de même pourquoi l'Espagne a de si belles promenades, prados, espolones, alamedas ou allées plantées d'arbres; c'est que nulle part on ne s'enivre plus agréablement de la fraîcheur du soir; elle est plus délicieuse après les chaudes journées de cette latitude, surtout sur les plateaux nus de Castille, où le vent sec et brûlant ne rencontre ni forêt ni feuillage. En rentrant du prado de la Magdalena, nous vîmes que si la population des quartiers moins aisés ne va pas à la promenade, elle est tout entière dans la rue et assise au seuil des habitations. L'on dansait au violon, au clair de la lune, et les castagnettes retentissaient dans les carrefours.
Notre conversation nous conduisit jusqu'au collegio mayor de Santa-Cruz, fondé, en 1494, par le cardinal Mendoza. Il avait une dévotion particulière à la sainte Croix, et il dédia en son honneur le magnifique établissement dont il voulut doter Valladolid, tandis qu'il était archevêque de Tolède. On le voit, au portail, agenouillé devant l'image de la Vierge. Le musée renfermé dans l'édifice contient la plus remarquable collection de sculptures qui soit en Espagne, et c'est ici qu'il convient d'étudier la statuaire castillane, si peu connue et si digne de l'être.
Le collegio mayor de Santa-Cruz de Valladolid ( Collège de la Sainte Croix) fondé en 1494 par le cardinal Mendoza
L'Espagne s'est développée en tout ce qui touche à la civilisation par un mouvement propre et assez indépendant de l'influence des nations étrangères. Sans doute cette indépendance n'est pas absolue ; il était moralement impossible que la Péninsule restât dans un isolement complet, quand même le sceptre de Castille ne se fût pas étendu en dehors de ses limites actuelles; car les barrières dans lesquelles est circonscrite l'unité politique n'arrêtent pas la communication des idées et du génie entre les peuples. Mais ce sceptre a gouverné simultanément l'Espagne et l'empire d'Allemagne sous Charles-Quint, la Sicile, la Sardaigne, le royaume de Naples, la Franche-Comté, les Pays-Bas, le Milanais. Les artistes espagnols ne pouvaient donc manquer de subir à un certain degré l'influence des écoles étrangères, soit parce que ces agglomérations transitoires de divers États et nationalités les mettaient facilement en contact avec la plus grande partie de l'Europe, soit parce que les chefs d'oeuvre et les modèles achetés ou acquis par les rois d'Espagne ou les artistes étrangers attirés par eux affluaient dans la Péninsule et proposaient des types infiniment variés à l'imitation des artistes indigènes. Enfin la plus vaste unité politique de l'Espagne coïncide précisément avec le grand mouvement de la renaissance, qui tendait à affaiblir dans l'Europe entière les traits caractéristiques de l'art chez les diverses nations, et à introduire partout le goût et l'imitation de l'antiquité grecque et des maîtres italiens.
SANTA MARIA MADRE DE DIOS RUEGA POR NOSOTROS - Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous - musique espagnole
LA STATUAIRE ESPAGNOLE ET SON RÉALISME
L'Espagne donc ne pouvait pas se soustraire à cette influence; mais ce que je veux dire, c'est qu'elle l'a subie sans perdre une certaine indépendance qui marque en général les oeuvres de ses artistes d'un cachet particulier. Pour ne parler ici que de la sculpture, et en réservant pour d'autres circonstances nos observations sur la peinture, je signalerai dans statuaire espagnole un réalisme propre à l'Espagne, et dont il est difficile de se faire une idée sans avoir vu les églises et les musées où elle se produit. Le réalisme dans l'art c'est la nature, le fait matériel adéquatement représenté; c'est la vérité crue, dépourvue de l'idéal qui voile ce qu'elle a de choquant pour les nerfs ou pour la susceptibilité morale. C'est la nature vraie, non pas le type adouci ou relevé par la convention. En Espagne, les scènes du Calvaire, de la Flagellation, du Martyre, de l'Extase dans la souffrance sont sculptées littéralement; le sang, la boue mêlée de sang, les plaies profondes et tuméfiées, les lambeaux de peau qui pendent à demi arrachés, les meurtrissures violacées, tout est représenté au naturel; la douleur se révèle dans les contorsions de la face , et les statues des morts sont des cadavres.
Coronacion de Espinas - Le Christ avec la couronne d`épine
La Passion du Christ
Mise en place de la couronne d`épine par les bourreaux romains
La Flagellation
La Crucifixion
Les souffrances de la Sainte Vierge Marie lors de la Passion du Christ
Passion du Christ
Notre-Dame des Souffrances
L`Apôtre St-Jacques (Santiago) Évangélisateur de l`Espagne
Je comprends le culte ardent des Espagnols pour les saintes images; il est en harmonie avec l'énergie même de leur caractère; de plus, il était autrefois une réaction nationale contre la religion des musulmans, dominateurs iconoclastes de la Péninsule, et il est encore par sa vivacité même une réaction contre le protestantisme, repoussé de l'Espagne avec une aversion aussi profonde. Pourquoi les Espagnols ont-ils tant d'inclination pour les sujets douloureux, pour les scènes de souffrance physique et de mort, de pénitence et de morgue, pour les écorchés, pour l'ascétisme qui creuse les joues et les orbites des yeux? Je ne sais; tout est violent dans ce peuple, et je sens comme de mystérieux rapports entre l'art tel qu'il l'a compris et sa belliqueuse histoire.
Mais ici prenons garde à une erreur qui serait une criante injustice. L'art espagnol est réaliste, il n'est pas matérialiste; il a quelque chose de brutal quand il représente la sensation, ce qui frappe les sens ; mais il ne laisse pas s'échapper l'âme; il la retient et la fait reluire à travers cet appareil physique destiné, ce semble, à la mettre elle-même en relief par le contraste. L'âme est réfugiée dans l'oeil; elle brille dans le regard; le divin Crucifié n'est point un Adonis ; le ciseau du sculpteur en a fait ce qu'en fait l'art oratoire sur les lèvres de tous les prédicateurs ; il a été plus loin que l'Évangile, qui ne peint pas les détails et les laisse seulement imaginer. En Espagne, on ne comprend pas bien la statue qui n'est pas peinte, la statuaire séparée de la peinture. L'image sculptée de pierre, de marbre, de bois, ne parle pas assez; l'illusion n'est pas complète par la plastique et le dessin ; à la ligne il faut ajouter la couleur, et alors c'est la nature, la réalité palpitante. Au-dessus des admirables bas-reliefs de bois et de bronze qui foisonnent dans les églises, le génie espagnol place donc la statuaire polychrôme, les têtes, le nu de haut-relief et de ronde bosse peints d'après nature. Il est loin de l'antique et de la renaissance, qui ont si bien séparé les deux arts.
La Sainte Vierge Marie en Espagne
Virgen de la Soterraña
Santa Maria del Rosario - Notre-Dame du Rosaire
Saint Joachim et Sainte Anne avec la St-Vierge Marie enfant
Magdalena penitente, - Sainte Marie Madeleine en pénitente par Pedro de Mena, année 1664
Le réalisme espagnol n'est point arrivé à sa plus haute expression en donnant des perruques aux images. Il supprime le corps de la statue, dont il ne conserve que la tête et les extrémités, et il met à la place un mannequin habillé. En Espagne les statues de ce genre sont les plus nombreuses. Il ne s'agit pas ordinairement de ces vêtements d'étoffes précieuses, orientales, rehaussées d'or et de broderies, comme il s'en conserve encore partout; de ces anciennes madones, les plus vénérées qui soient en Europe, dont les robes tissues d'or et d'argent forment un cône solide et d'une richesse éblouissante, surmonté d'une tête plus ou moins artistement sculptée : non; la plupart des statues espagnoles habillées portent les vêtements vulgaires que le saint ou la sainte ont portés, et qui sont encore usités dans la classe de la société ou dans la congrégation religieuse à laquelle ils ont appartenu. Le saint, s'il était simple prêtre, apparaît dans la niche ou au retable au-dessus de l'autel, habillé de la soutane et du surplis; la barrette à quatre pointes aiguës est dans ses mains ou sur sa tête garnie de filasse ou d'une chevelure postiche. S'agit-il d'une sainte, de Notre-Dame elle-même? elle se conformera quelquefois aux modes actuelles; elle aura les cheveux frisés, les robes renflées et à la main le mouchoir brodé. Notons encore les gracieuses images du Nino Jesus, de l'enfant Jésus, de Jesus perdido, ou Jésus perdu par ses parents sans doute, un sujet qui nous a semblé de prédilection pour les Espagnols comme le Gesù Bambino pour les Italiens. Il nous a paru assez fréquemment exécuté en cire et avec la taille d'un enfant de huit ans. Il n'est pas nécessaire de chercher ces exemples au fond des provinces et des vallées inconnues, dans les églises obscures; ils se présentent dans les temples des villes, au milieu d'une architecture somptueuse. On comprend maintenant que les Espagnols, dans leurs fêtes religieuses, aient conservé quelque chose des représentations dramatiques du moyen âge, et que les poses vivantes fassent partie du programme des grandes solennités liturgiques.
Dimanche des Rameaux et Notre-Dame
Divino Nino Jesus - Le Divin Enfant Jésus avec l`inscription - Yo Reinare - Je régnerai
Nino Jesus
Jesus perdido - L`enfant Jésus seul au temple de Jérusalem a douze ans. (Luc 2,41)
Jesus perdido - L`enfant Jésus perdu et retrouvé par ses parents au temple de Jérusalem (Luc 2,41)
Il y a lieu de s'étonner de la fécondité prodigieuse dont ce pays a fait preuve durant un siècle et demi que l'art y a été florissant. Aucun peuple n'a surpassé ni peut-être égalé les Espagnols quant à l'habileté à sculpter le bois et à tailler le bronze pour l'ornementation. C'est dans les sacristies, mais surtout aux immenses retables du sanctuaire, aux stalles et aux clôtures du choeur, qui prennent un développement inconnu ailleurs, qu'il faut vérifier notre assertion; c'est aux grilles qui ferment le sanctuaire, le choeur, les chapelles, qu'il faut voir le fer et le bronze se tordre avec la mollesse de la cire et la précision des ouvrages d'orfèvrerie pour reproduire les plus nobles et les plus harmonieux dessins : telle est celle de Cristoval de Andino, surmontée de l'image de saint Jacques, à la chapelle del Condestable de la cathédrale de Burgos.
Ouvrages d'orfèvrerie par Cristoval de Andino
Aux 14 eme et 15 eme siècles, la sculpture espagnole naissait sous la seule influence du génie national. Les sculpteurs ne possédaient pas de modèles antiques; le temps et les révolutions de la Péninsule n'avaient point épargné les ouvrages du ciseau romain; les Arabes iconoclastes et auxquels le Coran interdit la représentation de la figure humaine, n'avaient pas légué à leurs vainqueurs de types à copier, qui eussent d'ailleurs été dédaignés, comme le fut leur architecture.
En 1376, Jayme Castayls de Barcelone sculptait les apôtres et les prophètes du portail gothique de la cathédrale de Tarragone, où Pedro Juan et Guillen de la Mota élevèrent, au siècle suivant, le magnifique retable d'albâtre ou de marbre de Catalogne qui représente des mystères de la vie de Notre-Seigneur et le martyre de sainte Thècle, patronne de la ville. A la fin du 14 eme siècle, Anrique travaillait au tombeau de Henri II, qu'on voit dans la chapelle de los Reyes Nuevos, fondée par ce monarque à la cathédrale de Tolède, et Fernan Gonzalez à celui de don Pedro Tenorio, dans le même édifice. Cette basilique, d'une richesse inouïe, fut le théâtre où s'exercèrent, dans la première moitié du 15 eme siècle, les sculpteurs Miguel Ruiz, Alvar Martinez et Alvar Gomez; vers 1477, l'architecte Juan Guas, à la tête de douze cent vingt-six maîtres tailleurs de pierres et imagiers, improvisait, pour ainsi dire, à Tolède encore, la célèbre église de San-Juan de los Reyes, dont le chevet et le transsept sont couverts d'une décoration aussi originale que merveilleusement sculptée, de statuettes, de guirlandes, d'écussons, de têtes d'anges et d'arabesques.
Église de San-Juan de los Reyes de Tolède
Alonzo Berruguete, dont le touriste en Espagne rencontre les oeuvres à chaque pas, était, comme Gaspar Becerra et les principaux représentants de la renaissance espagnole, peintre, sculpteur et architecte. Ces deux élèves de Michel-Ange reflétaient le talent multiple de leur maître; et ce talent rencontrait en Espagne un théâtre qui en demandait l'application complète. En effet, les églises de la Péninsule, la plupart des églises collégiales et conventuelles présentent une disposition intérieure toute particulière; elles renferment, pour ainsi dire, sous leur voûte, un second édifice divisé en deux parties : le sanctuaire et le choeur.
Porte Santa-Maria de Burgos
Le Cid Campeador
Le Cid Campeador
Don Quichotte est une satire du peuple espagnol; il en est la charge, la caricature; il représente cet esprit chevaleresque, exagéré, boursouflé par la haute opinion de soi-même, qui respire encore dans le patriotisme espagnol; mais la légende du Cid est le type historique de la nation, vue du côté le plus favorable, le type de l'honneur, de la fidélité et du dévouement, du courage et de l'attachement à la foi. Rodrigue ou Ruy Diaz de Bivar, né à Burgos vers l'an 1040, fut armé chevalier à vingt ans par Ferdinand I, roi de Léon et de Castille. Pendant quarante ans il guerroya contre les Maures, et contribua puissamment à la formation des royaumes chrétiens d'Espagne. Par ses services, sa bravoure, sa loyauté, ses souffrances, ses victoires, il est devenu le modèle des chevaliers chrétiens dans l'imagination du peuple espagnol, qui chargea peu à peu son histoire d'ornements romanesques.
Sans cesse en campagne, il reçut le surnom de Campeador; et celui de Cid lui vient du mot arabe sidi, monseigneur, parce que les prisonniers faits sur les Maures et les députés de cette nation lui donnaient ce titre d'honneur. Il conquit, pour Ferdinand I, le royaume de Saragosse sur l'émir El-Moktader; et sa redoutable épée continua de flamboyer dans les batailles, sous le règne de Sanche, fils de Ferdinand. Sanche fut assassiné au siège de Zamora, et l'on soupçonna son frère, Alphonse VI, d'avoir trempé
dans ce crime. Les ricos-hombres ou riches-hommes, c'est ainsi qu'on appelait les anciens seigneurs castillans, n'osaient lui demander de s'en laver par un serment, comme il le fallait pour l'honneur de la couronne; mais le Cid l'exigea du prince, avant de lui rendre hommage. « Je le veux bien; demain je jurerai, dit Alphonse; mais aujourd'hui je désire savoir qui a pensé à m'imposer un tel serment?»
–Moi, répond le Cid.
-Vous, don Rodrigue! ne songez-vous donc pas que demain vous devez être mon sujet?
–Je ne le suis pas encore aujourd'hui, et j'y songerai quand vous serez roi. »
Le serment fut prononcé dans l'église Santa Agueda, que nous avions visitée le matin. Dans Sainte-Gadée de Burgos, dit le Romancero, où les gentilshommes prêtent hommage lige, là Rodrigue exige le serment du nouveau roi de Castille. Serment si terrible, qu'il imprimait la terreur à tous. Il se prêtait sur un épieu de fer et une arbalète de bois. Un Serment si terrible que nous ne l`écrirons pas ici. » O poésie populaire, interrompis-je, comme tu révèles un peuple ! L'action du Cid, c'est le sentiment de l'honneur espagnol si exalté; mais la formule du serment trahit bien aussi l'amour exagéré de la noblesse, du luxe et du faste, le mépris de l'agriculture, et cet orgueil provincial qui porte le Castillan à jeter le dédain à l'homme de peine, au paysan et à l'ouvrier d'Asturie.
Alphonse, dissimula le ressentiment qu'il gardait contre le Cid, et il dut à la vaillance de ce fier mais fidèle sujet de nouvelles conquêtes et la prise de Tolède. Croyant n'avoir plus besoin de ses services, il l'exila; mais le Cid, suivi de sa famille et de ses vassaux, continua de faire la guerre aux Maures, et il leur imposa le tribut au nom du roi de Castille, dont il n'eut pas même la pensée de se venger. Il accourut même auprès d'Alphonse, qui avait vu pâlir son étoile à la bataille de Zalaca; et le monarque, touché d'une pareille grandeur d'âme, lui donna à titre héréditaire tout le territoire qu'il pourrait conquérir. A la tête de neuf mille vassaux et guerriers castillans, le Cid fait des prodiges; mais deux fois encore il est victime de l'ingratitude d'Alphonse, et deux fois sa fidélité inébranlable à son souverain ne répond à ces noirceurs que par un accroissement de bravoure et de dévouement. Il a conquis et possède enfin Valence, dont Alphonse lui fait présent.
Le Cid, épuisé par des travaux surhumains , doit bientôt mourir; il voit apparaître près de sa couche une lumière éblouissante. Il aperçoit près de lui un homme au front serein, au noirs cheveux bouclés; il était assis, et avait le front ceint d'une auréole céleste. « Dors-tu, ami Rodrigue? Allons, console-toi! « Qui es-tu, répond le capitaine, toi qui me parles ainsi dans mes veilles? « Je suis l'apôtre Pierre, celui dont le temple t'est cher. Envoyé d'en haut pour calmer tes soucis, je viens t'annoncer que, sous trente jours, Dieu t'appellera dans l'autre monde : ce monde où t'attendent tous tes amis, tous les saints. Ne reste pas en crainte pour Ximena ton épouse, ni pour tous ceux que tu laisses ici-bas. Mon cousin saint Jacques aura soin de leur victoire; apprête-toi donc au voyage, et mets ordre à ta maison. » Le Cid expira!. « Bannières antiques et affligées, qui souvent avez accompagné le Cid dans les batailles et en êtes revenues victorieuses avec lui, vous frémissez tristement dans l'air; car vous n'avez pas de voix pour gémir, vous n'avez pas de larmes. Ses yeux se ferment, et il vous regarde pour la dernière fois. Adieu, riantes montagnes de Teruel et d'Albarazin, immortels témoins de sa gloire, de ses travaux et de son courage ! Adieu, collines attrayantes, et toi, vaste mer répandue au-dessous d'elles ! Hélas! la mort nous enlève tout; la mort nous dépouille comme l'épervier. C'en est fait, ses yeux s'éteignent; ils voient pour la dernière fois. Qu'a dit le vaillant Cid? Il gît étendu sur son lit. Qu'est devenue sa voix de fer? A peine peut-on entendre qu'il demande encore son cheval fidèle, Bibieca.»
Montagnes d'Albarazin témoins des travaux du Cid Campeador au 11 eme siècle
CHAPITRE II
VALLADOLID. - LA STATUAIRE ESPAGNOLE. - DISPOSITION DES ÉGLISES EN ESPAGNE. - UN PÈLERIN DE SAINT-JACQUES.- LA GALICE.
Après l'excursion obligée de Burgos à la cartuja ou chartreuse de Miraflores, où l'on voit les tombeaux d'albâtre de Juan II et de sa femme Isabelle, si finement sculptés en gothique fleuri par le ciseau de Juan de Colonia (1488), nous poussâmes notre pèlerinage jusqu'à l'antique monastère bénédictin de San-Pedro de Cardena, un des sanctuaires où se conserva, depuis le 7 eme siècle, à travers les âges troublés par les guerres contre les Sarrasins, la flamme sacrée de la science et de la foi, flamme allumée au flambeau des saint Léandre et des saint Isidore de Séville. Parmi les sépultures royales d'Aragon et de Navarre se trouvent des tombeaux de la famille du Cid et celui même du héros; mais ses restes mortels n'y sont plus.
Monastère bénédictin de San-Pedro de Cardena fondé en l`an 902 Ap J.C.
Chartreuse de Miraflores
Le lendemain, nous étions sur la route de Burgos à Valladolid. Le paysage s'en allait du reste sans nous laisser de regrets. Une fois l'été venu, la plaine riche naguère et verdoyante revêt une teinte grise ou jaune d'une monotonie désespérante; les villages sans verdure et sans jardins s'endorment sous les feux du soleil et sous une couche de poussière.
Valladolid
L'aspect de Valladolid ramena des pensées plus sérieuses. Voici encore une ville de prédilection des anciens rois de Castille, jusqu'au commencement du 17 eme siècle où la cour fixa sa résidence à Madrid. Le caractère flottant des capitales castillanes eut du moins cet heureux résultat, d'enrichir plusieurs villes des monuments et des institutions qui naissent comme naturellement à l'ombre des trônes. Lorsque, à l'approche d'une ville, tant de silhouettes d'édifices se découpent sur l'horizon, vous pouvez dire : Il y a ici de l'histoire, de la science, des arts, de la vie. Et Valladolid, en effet, compte encore une multitude d'étudiants dans ses écoles; elle a des académies, des palais, un musée, un théâtre, de belles promenades, de belles places, comme la plaza Mayor, entourée de galeries soutenues par quatre cents colonnes de granit, et le Campo grande, où se déployait autrefois la pompe des tournois et des fêtes royales. Les villes du nord de l'Espagne, comme les vieilles villes du nord de l'Italie, présentent un certain nombre de places et de rues à galeries, dont le système a été inspiré par les exigences du climat. Il est bon que l'on y puisse circuler sans s'exposer aux ardeurs du soleil.
Plaza Mayor - Valladolid
Dans les villes du midi de l'Espagne, les Maures ont recherché le même avantage par l'étroitesse des rues, qui ne sont plus que des ruelles, où le soleil ne pénètre guère et dans lesquelles règne habituellement un peu de fraîcheur. Enfin, là où rien ne préserve de la chaleur torride, on cède à son influence par l'inaction et la sieste. On comprend de même pourquoi l'Espagne a de si belles promenades, prados, espolones, alamedas ou allées plantées d'arbres; c'est que nulle part on ne s'enivre plus agréablement de la fraîcheur du soir; elle est plus délicieuse après les chaudes journées de cette latitude, surtout sur les plateaux nus de Castille, où le vent sec et brûlant ne rencontre ni forêt ni feuillage. En rentrant du prado de la Magdalena, nous vîmes que si la population des quartiers moins aisés ne va pas à la promenade, elle est tout entière dans la rue et assise au seuil des habitations. L'on dansait au violon, au clair de la lune, et les castagnettes retentissaient dans les carrefours.
Notre conversation nous conduisit jusqu'au collegio mayor de Santa-Cruz, fondé, en 1494, par le cardinal Mendoza. Il avait une dévotion particulière à la sainte Croix, et il dédia en son honneur le magnifique établissement dont il voulut doter Valladolid, tandis qu'il était archevêque de Tolède. On le voit, au portail, agenouillé devant l'image de la Vierge. Le musée renfermé dans l'édifice contient la plus remarquable collection de sculptures qui soit en Espagne, et c'est ici qu'il convient d'étudier la statuaire castillane, si peu connue et si digne de l'être.
Le collegio mayor de Santa-Cruz de Valladolid ( Collège de la Sainte Croix) fondé en 1494 par le cardinal Mendoza
L'Espagne s'est développée en tout ce qui touche à la civilisation par un mouvement propre et assez indépendant de l'influence des nations étrangères. Sans doute cette indépendance n'est pas absolue ; il était moralement impossible que la Péninsule restât dans un isolement complet, quand même le sceptre de Castille ne se fût pas étendu en dehors de ses limites actuelles; car les barrières dans lesquelles est circonscrite l'unité politique n'arrêtent pas la communication des idées et du génie entre les peuples. Mais ce sceptre a gouverné simultanément l'Espagne et l'empire d'Allemagne sous Charles-Quint, la Sicile, la Sardaigne, le royaume de Naples, la Franche-Comté, les Pays-Bas, le Milanais. Les artistes espagnols ne pouvaient donc manquer de subir à un certain degré l'influence des écoles étrangères, soit parce que ces agglomérations transitoires de divers États et nationalités les mettaient facilement en contact avec la plus grande partie de l'Europe, soit parce que les chefs d'oeuvre et les modèles achetés ou acquis par les rois d'Espagne ou les artistes étrangers attirés par eux affluaient dans la Péninsule et proposaient des types infiniment variés à l'imitation des artistes indigènes. Enfin la plus vaste unité politique de l'Espagne coïncide précisément avec le grand mouvement de la renaissance, qui tendait à affaiblir dans l'Europe entière les traits caractéristiques de l'art chez les diverses nations, et à introduire partout le goût et l'imitation de l'antiquité grecque et des maîtres italiens.
SANTA MARIA MADRE DE DIOS RUEGA POR NOSOTROS - Sainte Marie mère de Dieu priez pour nous - musique espagnole
LA STATUAIRE ESPAGNOLE ET SON RÉALISME
L'Espagne donc ne pouvait pas se soustraire à cette influence; mais ce que je veux dire, c'est qu'elle l'a subie sans perdre une certaine indépendance qui marque en général les oeuvres de ses artistes d'un cachet particulier. Pour ne parler ici que de la sculpture, et en réservant pour d'autres circonstances nos observations sur la peinture, je signalerai dans statuaire espagnole un réalisme propre à l'Espagne, et dont il est difficile de se faire une idée sans avoir vu les églises et les musées où elle se produit. Le réalisme dans l'art c'est la nature, le fait matériel adéquatement représenté; c'est la vérité crue, dépourvue de l'idéal qui voile ce qu'elle a de choquant pour les nerfs ou pour la susceptibilité morale. C'est la nature vraie, non pas le type adouci ou relevé par la convention. En Espagne, les scènes du Calvaire, de la Flagellation, du Martyre, de l'Extase dans la souffrance sont sculptées littéralement; le sang, la boue mêlée de sang, les plaies profondes et tuméfiées, les lambeaux de peau qui pendent à demi arrachés, les meurtrissures violacées, tout est représenté au naturel; la douleur se révèle dans les contorsions de la face , et les statues des morts sont des cadavres.
Coronacion de Espinas - Le Christ avec la couronne d`épine
La Passion du Christ
Mise en place de la couronne d`épine par les bourreaux romains
La Flagellation
La Crucifixion
Les souffrances de la Sainte Vierge Marie lors de la Passion du Christ
Passion du Christ
Notre-Dame des Souffrances
L`Apôtre St-Jacques (Santiago) Évangélisateur de l`Espagne
Je comprends le culte ardent des Espagnols pour les saintes images; il est en harmonie avec l'énergie même de leur caractère; de plus, il était autrefois une réaction nationale contre la religion des musulmans, dominateurs iconoclastes de la Péninsule, et il est encore par sa vivacité même une réaction contre le protestantisme, repoussé de l'Espagne avec une aversion aussi profonde. Pourquoi les Espagnols ont-ils tant d'inclination pour les sujets douloureux, pour les scènes de souffrance physique et de mort, de pénitence et de morgue, pour les écorchés, pour l'ascétisme qui creuse les joues et les orbites des yeux? Je ne sais; tout est violent dans ce peuple, et je sens comme de mystérieux rapports entre l'art tel qu'il l'a compris et sa belliqueuse histoire.
Mais ici prenons garde à une erreur qui serait une criante injustice. L'art espagnol est réaliste, il n'est pas matérialiste; il a quelque chose de brutal quand il représente la sensation, ce qui frappe les sens ; mais il ne laisse pas s'échapper l'âme; il la retient et la fait reluire à travers cet appareil physique destiné, ce semble, à la mettre elle-même en relief par le contraste. L'âme est réfugiée dans l'oeil; elle brille dans le regard; le divin Crucifié n'est point un Adonis ; le ciseau du sculpteur en a fait ce qu'en fait l'art oratoire sur les lèvres de tous les prédicateurs ; il a été plus loin que l'Évangile, qui ne peint pas les détails et les laisse seulement imaginer. En Espagne, on ne comprend pas bien la statue qui n'est pas peinte, la statuaire séparée de la peinture. L'image sculptée de pierre, de marbre, de bois, ne parle pas assez; l'illusion n'est pas complète par la plastique et le dessin ; à la ligne il faut ajouter la couleur, et alors c'est la nature, la réalité palpitante. Au-dessus des admirables bas-reliefs de bois et de bronze qui foisonnent dans les églises, le génie espagnol place donc la statuaire polychrôme, les têtes, le nu de haut-relief et de ronde bosse peints d'après nature. Il est loin de l'antique et de la renaissance, qui ont si bien séparé les deux arts.
La Sainte Vierge Marie en Espagne
Virgen de la Soterraña
Santa Maria del Rosario - Notre-Dame du Rosaire
Saint Joachim et Sainte Anne avec la St-Vierge Marie enfant
Magdalena penitente, - Sainte Marie Madeleine en pénitente par Pedro de Mena, année 1664
Le réalisme espagnol n'est point arrivé à sa plus haute expression en donnant des perruques aux images. Il supprime le corps de la statue, dont il ne conserve que la tête et les extrémités, et il met à la place un mannequin habillé. En Espagne les statues de ce genre sont les plus nombreuses. Il ne s'agit pas ordinairement de ces vêtements d'étoffes précieuses, orientales, rehaussées d'or et de broderies, comme il s'en conserve encore partout; de ces anciennes madones, les plus vénérées qui soient en Europe, dont les robes tissues d'or et d'argent forment un cône solide et d'une richesse éblouissante, surmonté d'une tête plus ou moins artistement sculptée : non; la plupart des statues espagnoles habillées portent les vêtements vulgaires que le saint ou la sainte ont portés, et qui sont encore usités dans la classe de la société ou dans la congrégation religieuse à laquelle ils ont appartenu. Le saint, s'il était simple prêtre, apparaît dans la niche ou au retable au-dessus de l'autel, habillé de la soutane et du surplis; la barrette à quatre pointes aiguës est dans ses mains ou sur sa tête garnie de filasse ou d'une chevelure postiche. S'agit-il d'une sainte, de Notre-Dame elle-même? elle se conformera quelquefois aux modes actuelles; elle aura les cheveux frisés, les robes renflées et à la main le mouchoir brodé. Notons encore les gracieuses images du Nino Jesus, de l'enfant Jésus, de Jesus perdido, ou Jésus perdu par ses parents sans doute, un sujet qui nous a semblé de prédilection pour les Espagnols comme le Gesù Bambino pour les Italiens. Il nous a paru assez fréquemment exécuté en cire et avec la taille d'un enfant de huit ans. Il n'est pas nécessaire de chercher ces exemples au fond des provinces et des vallées inconnues, dans les églises obscures; ils se présentent dans les temples des villes, au milieu d'une architecture somptueuse. On comprend maintenant que les Espagnols, dans leurs fêtes religieuses, aient conservé quelque chose des représentations dramatiques du moyen âge, et que les poses vivantes fassent partie du programme des grandes solennités liturgiques.
Dimanche des Rameaux et Notre-Dame
Divino Nino Jesus - Le Divin Enfant Jésus avec l`inscription - Yo Reinare - Je régnerai
Nino Jesus
Jesus perdido - L`enfant Jésus seul au temple de Jérusalem a douze ans. (Luc 2,41)
Jesus perdido - L`enfant Jésus perdu et retrouvé par ses parents au temple de Jérusalem (Luc 2,41)
Il y a lieu de s'étonner de la fécondité prodigieuse dont ce pays a fait preuve durant un siècle et demi que l'art y a été florissant. Aucun peuple n'a surpassé ni peut-être égalé les Espagnols quant à l'habileté à sculpter le bois et à tailler le bronze pour l'ornementation. C'est dans les sacristies, mais surtout aux immenses retables du sanctuaire, aux stalles et aux clôtures du choeur, qui prennent un développement inconnu ailleurs, qu'il faut vérifier notre assertion; c'est aux grilles qui ferment le sanctuaire, le choeur, les chapelles, qu'il faut voir le fer et le bronze se tordre avec la mollesse de la cire et la précision des ouvrages d'orfèvrerie pour reproduire les plus nobles et les plus harmonieux dessins : telle est celle de Cristoval de Andino, surmontée de l'image de saint Jacques, à la chapelle del Condestable de la cathédrale de Burgos.
Ouvrages d'orfèvrerie par Cristoval de Andino
Aux 14 eme et 15 eme siècles, la sculpture espagnole naissait sous la seule influence du génie national. Les sculpteurs ne possédaient pas de modèles antiques; le temps et les révolutions de la Péninsule n'avaient point épargné les ouvrages du ciseau romain; les Arabes iconoclastes et auxquels le Coran interdit la représentation de la figure humaine, n'avaient pas légué à leurs vainqueurs de types à copier, qui eussent d'ailleurs été dédaignés, comme le fut leur architecture.
En 1376, Jayme Castayls de Barcelone sculptait les apôtres et les prophètes du portail gothique de la cathédrale de Tarragone, où Pedro Juan et Guillen de la Mota élevèrent, au siècle suivant, le magnifique retable d'albâtre ou de marbre de Catalogne qui représente des mystères de la vie de Notre-Seigneur et le martyre de sainte Thècle, patronne de la ville. A la fin du 14 eme siècle, Anrique travaillait au tombeau de Henri II, qu'on voit dans la chapelle de los Reyes Nuevos, fondée par ce monarque à la cathédrale de Tolède, et Fernan Gonzalez à celui de don Pedro Tenorio, dans le même édifice. Cette basilique, d'une richesse inouïe, fut le théâtre où s'exercèrent, dans la première moitié du 15 eme siècle, les sculpteurs Miguel Ruiz, Alvar Martinez et Alvar Gomez; vers 1477, l'architecte Juan Guas, à la tête de douze cent vingt-six maîtres tailleurs de pierres et imagiers, improvisait, pour ainsi dire, à Tolède encore, la célèbre église de San-Juan de los Reyes, dont le chevet et le transsept sont couverts d'une décoration aussi originale que merveilleusement sculptée, de statuettes, de guirlandes, d'écussons, de têtes d'anges et d'arabesques.
Église de San-Juan de los Reyes de Tolède
Alonzo Berruguete, dont le touriste en Espagne rencontre les oeuvres à chaque pas, était, comme Gaspar Becerra et les principaux représentants de la renaissance espagnole, peintre, sculpteur et architecte. Ces deux élèves de Michel-Ange reflétaient le talent multiple de leur maître; et ce talent rencontrait en Espagne un théâtre qui en demandait l'application complète. En effet, les églises de la Péninsule, la plupart des églises collégiales et conventuelles présentent une disposition intérieure toute particulière; elles renferment, pour ainsi dire, sous leur voûte, un second édifice divisé en deux parties : le sanctuaire et le choeur.
Dernière édition par MichelT le Lun 12 Juil 2021 - 12:43, édité 12 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
DISPOSITION DES ÉGLISES EN ESPAGNE.
Lors donc que vous entrez dans la grande nef, au lieu de voir, comme en France ou en Italie, le vaisseau largement ouvert devant vous jusqu'au chevet ou du moins jusqu'au transsept, votre regard est arrêté, au delà d'une ou deux travées, par la haute muraille du choeur, coro, dont l'enceinte comprend les travées jusqu'au transsept. Cette muraille qui regarde l'entrée de l'église se nomme le trascoro ou arrière-choeur, et souvent elle est décorée d'autels, de statues et de peintures. A l'intérieur du choeur se déploie la silleria ou série de stalles, simple ou sur deux rangs; elles sont fréquemment surmontées de dais isolés ou contigus et réunis par une corniche. Les bas-reliefs et les ornements de toute espèce sont ici prodigués autant et plus qu'en aucun pays du monde catholique. Au dessus du baldaquin des stalles, à droite ou à gauche, et souvent des deux côtés, s'étale la montre brillante des jeux d'orgue, dont plusieurs tuyaux, placés d'ordinaire horizontalement, rappellent la trompette des anges du jugement. On y monte par des escaliers ménagés derrière la silleria, entre les arcades latérales comprises dans l'enceinte du coro. Le lutrin gigantesque, et parfois richement ouvragé, s'élève au centre du choeur et porte d'énormes in-folio de vélin ou de parchemin, manuscrits à miniatures et à initiales enluminées.
Le choeur n'est pas uni au sanctuaire; il se termine au transsept, dont il est séparé par une grille où il n'est pas rare que la serrurerie s'élève à la hauteur de l'art. Une allée dessinée par une balustrade, qui se ferme à l'heure de l'office et qui alors ne permet pas de passer d'un croisillon de l'église à l'autre, conduit du chœur au sanctuaire. Le sanctuaire s'ouvre lui-même sur le transsept par une grille dans le même goût que celle du choeur qui s'élève en face. Il comprend une ou deux travées, et forme une clôture qui monte jus qu'aux voûtes. Le maître-autel est dressé au fond; il est souvent porté sur des voûtes au-dessous desquelles règne une crypte, une chapelle obscure et souterraine. Il se relie à un retable qui tapisse tout le sanctuaire, et qui va lui-même se perdre dans les hauteurs du chevet. Derrière le retable, sur l'autre face du mur circulaire qui clôt le sanctuaire et regarde la chapelle absidale, la sculpture répand encore ses richesses, du moins en quelques églises. Ainsi le sanctuaire et le coro sont séparés par le transsept, où les fidèles se réunissent et se trouvent ainsi placés entre les chantres et l'officiant à l'autel. Il en résulte que le vaisseau des églises espagnoles est encombré, et qu'on ne peut d'aucun point de vue en saisir l'ensemble et les proportions.
Gaspar Becerra de Baeza, en Andalousie, continua la mission de Berruguete, qui avait introduit le goût et les études de la renaissance en Espagne; comme lui, il alla se former en Italie, la terre classique des beaux-arts, à l'école de Michel-Ange et de ses élèves. Revenu en Espagne en 1556, il fut nommé sculpteur et peintre de Philippe II. Il se signala par ses travaux à l'Alcazar de Madrid, vieux palais qu'un incendie a détruit en 1735. Son chef-d'oeuvre, enfin, est la statue de Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude, qu'il fit à la demande de la reine dona Isabel de la Paz, épouse de Philippe II.
Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude
Becerra avait échoué deux fois en offrant à la reine des statues qui ne lui convinrent pas. Mais, si l'on en croit le moine Fray Antonio de Arcos, la Vierge, touchée de l'anxiété et des efforts du sculpteur, lui apparut une nuit et lui dit de retirer la bûche qui brûlait au foyer de sa cheminée et d'en faire la statue. Il obéit, et fit le chef-d'oeuvre de tendresse, de douleur et de résignation qui vint orner la chapelle du couvent des Minimes à Madrid.
Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude - Semaine Sainte en Espagne
UN PÈLERIN DE SAINT-JACQUES.
Après notre visite nocturne au musée de sculpture de Valladolid, nous retournâmes au logis. A l'entrée de la fonda se tenait un pauvre vieux pèlerin, portant le costume traditionnel que je n'avais jamais vu qu'en image, dans les représentations de saint Jacques ou de saint Roch. Ce brave homme avait une barbe blanche; sur les épaules une pèlerine brune, comme le manteau des Castillans, et ornée de deux coquillages; un long bâton à noeuds faits au tour; un large sombrero avec l'enseigne ou médaille de plomb du pèlerinage; la gourde, enfin, suspendue à la ceinture de cuir. Nous lui donnâmes quelques cuartos (ce sont les sous espagnols), et il nous tendit un petit livret qui renfermait la vie de saint Jacques le Majeur, Santiago, patron et apôtre de l'Espagne, et la liste des reliques qu'on vénère dans la cathédrale de Santiago ou Compostelle. Voici la teneur de la légende bien connue des Espagnols, qui y attachent une foi entière. Elle nous fera connaître les origines du christianisme dans leur pays.
Église Notre-Dame du Pilier de Saragosse – Catedral-Basílica de Nuestra Señora del Pilar - Le lieu ou St-Jacques apôtre éleva une petite chapelle – la première en Espagne romaine vers 40 Ap J.C. soit 7 ans après la Passion du Christ
Note: Selon la tradition, l'apôtre St-Jacques serait venu évangéliser la péninsule Ibérique vers 40 Ap J.C.. Il se serait d'abord découragé face aux difficultés de la tâche ; c'est là qu'au bord de l'Èbre lui serait apparue la Vierge Marie sur une colonne de marbre pour l'encourager à prêcher, en lui promettant que jamais la foi ne ferait défaut en Espagne. Jacques aurait alors élevé une chapelle destinée à abriter l'image miraculeuse de la Vierge à l'endroit même de l'apparition, créant ainsi ce qui fut le premier sanctuaire marial de la chrétienté. (Source : Wikipedia)
Après la mort de saint Étienne, saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean, prêcha quelque temps aux Juifs en Palestine, puis il s'embarqua pour venir en Espagne. Au départ, il alla demander la bénédiction de la bienheureuse Vierge Marie. Et la Vierge lui dit : « Va, mon fils; accomplis l'ordre de ton Maître, et souviens-toi que dans celle des villes d'Espagne où tu convertiras le plus grand nombre d'hommes à la foi, tu élèveras une église en mon nom. » Il prêcha en diverses provinces de l'Espagne, et ce fut à Saragosse qu'il bâtit une église en l'honneur de la sainte Vierge. Revenu à Jérusalem, il y souffrit le martyre. Ses disciples prirent son corps pendant la nuit, de crainte que les Juifs ne vinssent à le maltraiter, et ils l'apportèrent à Joppé, maintenant Jaffa. Là ils le déposèrent à bord d'un navire, priant le Seigneur de les diriger vers le lieu où il lui plairait que le corps de son serviteur fût enterré.
D'autres disent que l'apôtre leur avait demandé lui-même de lui donner la sépulture en Espagne. Quoi qu'il en soit, le navire fut poussé vers les côtes qui unissent la Catalogne à la France ; mais aucun signe n'annonça qu'il dût s'y arrêter, non plus que le long des rivages jusqu'au détroit de Gibraltar, au-delà duquel il fut conduit. L'ange du Seigneur qui apparaissait en avant du vaisseau ne s'arrêta qu'à Iria, maintenant El Padron, en Galice, où l'apôtre avait auparavant séjourné plus longtemps que sur tout autre point de l'Espagne. On voit à El Padron les lieux qu'il habita, marqués par des croix et des oratoires; et les genoux des pèlerins ont usé les marches des escaliers qui y conduisent.
El Padron près de du sanctuaire de Compostelle
El Padron a côté de Compostelle en Galice dans le nord du pays
L`apôtre St-Jacques en pèlerin
L`Apôtre St-Jacques représenté en chevalier chrétien patron de l`Espagne
L`apôtre St-Jacques en pèlerin
Mais le corps fut transporté un peu à l'intérieur du pays, sans doute pour n'être pas autant exposé à être enlevé qu'au bord de la mer. On l'enterra dans l'endroit où est la ville qui porte à présent le nom de l'apôtre. L'arche ou coffre de marbre qui le renferme se creusa instantanément et de lui-même, au moment où le corps était posé sur le bloc massif. Durant les persécutions romaines, le précieux dépôt fut caché par des chrétiens. Plus tard on ne put le retrouver, et il était oublié quand, par un miracle, la Providence le révéla. C'était en l`an 835 Ap J.C.. Un bois épais avait crû sur l'endroit où les restes sacrés de l'apôtre étaient ensevelis, et qui est maintenant la chapelle souterraine sous la capilla mayor ou sanctuaire de la cathédrale de Compostelle.
Au 9 eme siècle donc, il y avait là, sur la colline, un bois inhabité. Il arriva que pendant la nuit plusieurs personnes de marque y aperçurent un météore, une étoile extraordinaire; et quand elles voulurent s'approcher, pour se rendre compte du phénomène, elles furent frappées par la vue d'apparitions célestes. Alors elles avertirent l'évêque d'Iria, le saint homme Théodomir, qui prescrivit des fouilles au lieu précis où brillait l'étoile, et qui à cause de cela fut nommé campus stella ou Compostelle. Ces fouilles amenèrent promptement la découverte de la crypte qui contenait le cercueil de marbre avec le corps de l'apôtre. Théodomir le fit annonce au roi don Alphonse le Chaste ( Roi d`Asturie et de Galice 759 a 842 Ap J.C.), qui ordonna d'élever sans retard une chapelle au-dessus du sépulcre. Cette révélation des reliques de saint Jacques fit grand bruit dans la chrétienté; les fidèles accoururent de toutes parts en pèlerinage; les habitations se multiplièrent autour du tombeau, et le pape Léon III autorisa l'évêque d'Iria à y transférer son siège épiscopal.
Cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle
Quand, en 997, le calife El Mansour, ou le Victorieux, s'empara de Compostelle, nommée aussi Santiago ou Saint-Jacques, et la pilla, il rasa la cathédrale, mais fit respecter le tombeau sur lequel il avait trouvé, après la fuite de tous les habitants, un vieux moine tranquillement assis. Bientôt le roi Bermude rentra dans la ville et en répara les ruines. La cathédrale actuelle a été commencée, en 1082, par l'évêque Diego Pelaez.
Le roi Bermude III de Leon (1017 a 1037 Ap J.C.) - Il fait reconstruire St-Jacques de Compostelle après sa destruction par le calife musulman El Mansour et ses troupes.
Si les Espagnols se sont montrés dévots à saint Jacques, il a répondu à leurs sentiments par une protection des plus éclatantes. Ils disent qu'on entendait à son tombeau un cliquetis d'armes, lorsque l'Espagne était menacée de quelque grand malheur. Souvent il apparut aux princes et aux rois chrétiens de la Péninsule, dans les circonstances les plus difficiles, pour les secourir, et il ne s'est guère livré de grandes et décisives batailles contre les Maures sans que l'armée catholique ait aperçu l'apôtre monté sur un cheval blanc et frappant les ennemis de terreur. Ce fut ainsi, en 1040, quand Ferdinand I, dit le Grand, s'empara de Coïmbre; et en mémoire du miracle il institua l'ordre militaire des chevaliers de Saint-Jacques-de-l'Épée, qui, avec ceux de Calatrava (1158) et d'Alcantara (1214), contribua puissamment à chasser les musulmans de la Péninsule et à les rejeter en Afrique.
L'ordre militaire des chevaliers de Saint-Jacques-de-l'Épée avait aussi la mission spéciale d'assurer la sécurité des chemins qui conduisent les pèlerins à Santiago. La voie de France fut entretenue avec un soin particulier. Elle était très-fréquentée. Les Français avaient à la cathédrale de Compostelle une chapelle entretenue par nos rois; Louis le Jeune et des rois de Navarre et d'Aragon sont venus par piété s'y confondre avec les plus obscurs pèlerins. La légende de saint Jacques n'empêche pas qu'on ne regarde aussi saint Paul comme un des apôtres de l'Espagne; car il a sans doute exécuté le voyage dont il parle dans son Épître aux Romains. Il dit : « Cum in Hispaniam proficisci capero, quand je serai en route pour l'Espagne ; per vos proficiscar in Hispaniam : je passerai par Rome en allant en Espagne. »
Mais c'est à saint Jacques et à ses disciples , au nombre de neuf, que les Espagnols se regardent principalement comme redevables de l'Évangile : Pierre fut évêque d'Évora, en Portugal ; Cecilius, d'Elvire, qui s'élevait non loin de Grenade; Euphrasius, d'Avila; Indalecius, d'Urci, aujourd'hui Verga, aux confins de la Navarre; Torquatus, à Cadix; Hesichius, à Carthesa, non loin d'Astorga ; Athanase et Théodore restèrent à la garde du tombeau de saint Jacques, et ils ont maintenant leur sépulture auprès de la sienne, dans la même crypte. Plusieurs donnent encore à l'apôtre pour disciple Thésiphon, évêque de Bergita, qui était voisine d'Almeria.
Nous disions tout à l'heure que l'apôtre saint Jacques avait bâti à Saragosse une église en l'honneur de la sainte Vierge. Voici sur ce point l'antique tradition si chère aux Espagnols. Les disciples que saint Jacques avait amenés à Jésus-Christ sortaient de la ville chaque nuit, et venaient au bord de l'Èbre. Là, après un court sommeil, ils priaient et méditaient. Ils avaient passé quelques nuits de cette manière, et l'apôtre se trouvait avec eux, lorsqu'à minuit ils entendirent tous des voix d'anges qui chantaient : Ave, Maria. La sainte Vierge apparut, et ils se prosternèrent. Elle était sur un pilier de jaspe ou de marbre blanc, environnée d'une multitude d'anges. La glorieuse Vierge appela l'apôtre, et lui dit : «C'est ici, mon fils, la place même où il faut bâtir une église en mon honneur. Prends ce pilier que mon Fils, ton Maître, a envoyé, afin qu'il reste ici jusqu'à la fin du monde, et qu'en ce lieu de merveilleuses choses soient accomplies par la vertu de mon Fils.»
Les anges avaient préparé une image de la Vierge, et ils la placèrent sur le pilier où elle demeure depuis ce temps. L'apôtre éleva une chapelle qui abrita la statue et son piédestal. Le sanctuaire a été plusieurs fois reconstruit, avant l'érection de l'immense basilique qui le remplace aujourd'hui et qui a été commencée en 1681. Mais l'image de Nuestra Senora del Pilar et le pilier lui-même ont été pieusement conservés, et ils sont le but d'un pèlerinage que les Espagnols placent en cinquième ligne, c'est-à-dire après ceux de Jérusalem, de Rome, de Saint-Jacques et de Lorette.
Siete Varones Apostolicos - les Sept Hommes Apostoliques qui ont évangélisés l`Espagne - saint Torquat de Guadix - saint Idalèce d`Almeria - saint-Ctésiphon de Berja - saint Second d`Alba - saint Euphrase d`Andujar - st-Hiésychios de Cazorla - saint Cécile de Grenade - tous originaire de Bétique, province romaine du sud de Espagne, ils auraient évangélisé l`Espagne a la demande de St-Pierre, de St-Paul et de St-Jacques
Rosa Das Rosas - Rose parmi les roses - Cantigas de Santa María - Cantique du roi Alphonse X le Sage pour la St-Vierge Marie - 13 eme siècle
par le groupe Malandança
NAVIDAD EN ESPAÑA - NOEL EN ESPAGNE
Lors donc que vous entrez dans la grande nef, au lieu de voir, comme en France ou en Italie, le vaisseau largement ouvert devant vous jusqu'au chevet ou du moins jusqu'au transsept, votre regard est arrêté, au delà d'une ou deux travées, par la haute muraille du choeur, coro, dont l'enceinte comprend les travées jusqu'au transsept. Cette muraille qui regarde l'entrée de l'église se nomme le trascoro ou arrière-choeur, et souvent elle est décorée d'autels, de statues et de peintures. A l'intérieur du choeur se déploie la silleria ou série de stalles, simple ou sur deux rangs; elles sont fréquemment surmontées de dais isolés ou contigus et réunis par une corniche. Les bas-reliefs et les ornements de toute espèce sont ici prodigués autant et plus qu'en aucun pays du monde catholique. Au dessus du baldaquin des stalles, à droite ou à gauche, et souvent des deux côtés, s'étale la montre brillante des jeux d'orgue, dont plusieurs tuyaux, placés d'ordinaire horizontalement, rappellent la trompette des anges du jugement. On y monte par des escaliers ménagés derrière la silleria, entre les arcades latérales comprises dans l'enceinte du coro. Le lutrin gigantesque, et parfois richement ouvragé, s'élève au centre du choeur et porte d'énormes in-folio de vélin ou de parchemin, manuscrits à miniatures et à initiales enluminées.
Le choeur n'est pas uni au sanctuaire; il se termine au transsept, dont il est séparé par une grille où il n'est pas rare que la serrurerie s'élève à la hauteur de l'art. Une allée dessinée par une balustrade, qui se ferme à l'heure de l'office et qui alors ne permet pas de passer d'un croisillon de l'église à l'autre, conduit du chœur au sanctuaire. Le sanctuaire s'ouvre lui-même sur le transsept par une grille dans le même goût que celle du choeur qui s'élève en face. Il comprend une ou deux travées, et forme une clôture qui monte jus qu'aux voûtes. Le maître-autel est dressé au fond; il est souvent porté sur des voûtes au-dessous desquelles règne une crypte, une chapelle obscure et souterraine. Il se relie à un retable qui tapisse tout le sanctuaire, et qui va lui-même se perdre dans les hauteurs du chevet. Derrière le retable, sur l'autre face du mur circulaire qui clôt le sanctuaire et regarde la chapelle absidale, la sculpture répand encore ses richesses, du moins en quelques églises. Ainsi le sanctuaire et le coro sont séparés par le transsept, où les fidèles se réunissent et se trouvent ainsi placés entre les chantres et l'officiant à l'autel. Il en résulte que le vaisseau des églises espagnoles est encombré, et qu'on ne peut d'aucun point de vue en saisir l'ensemble et les proportions.
Gaspar Becerra de Baeza, en Andalousie, continua la mission de Berruguete, qui avait introduit le goût et les études de la renaissance en Espagne; comme lui, il alla se former en Italie, la terre classique des beaux-arts, à l'école de Michel-Ange et de ses élèves. Revenu en Espagne en 1556, il fut nommé sculpteur et peintre de Philippe II. Il se signala par ses travaux à l'Alcazar de Madrid, vieux palais qu'un incendie a détruit en 1735. Son chef-d'oeuvre, enfin, est la statue de Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude, qu'il fit à la demande de la reine dona Isabel de la Paz, épouse de Philippe II.
Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude
Becerra avait échoué deux fois en offrant à la reine des statues qui ne lui convinrent pas. Mais, si l'on en croit le moine Fray Antonio de Arcos, la Vierge, touchée de l'anxiété et des efforts du sculpteur, lui apparut une nuit et lui dit de retirer la bûche qui brûlait au foyer de sa cheminée et d'en faire la statue. Il obéit, et fit le chef-d'oeuvre de tendresse, de douleur et de résignation qui vint orner la chapelle du couvent des Minimes à Madrid.
Nuestra Senora de la Soledad ou Notre-Dame de la Solitude - Semaine Sainte en Espagne
UN PÈLERIN DE SAINT-JACQUES.
Après notre visite nocturne au musée de sculpture de Valladolid, nous retournâmes au logis. A l'entrée de la fonda se tenait un pauvre vieux pèlerin, portant le costume traditionnel que je n'avais jamais vu qu'en image, dans les représentations de saint Jacques ou de saint Roch. Ce brave homme avait une barbe blanche; sur les épaules une pèlerine brune, comme le manteau des Castillans, et ornée de deux coquillages; un long bâton à noeuds faits au tour; un large sombrero avec l'enseigne ou médaille de plomb du pèlerinage; la gourde, enfin, suspendue à la ceinture de cuir. Nous lui donnâmes quelques cuartos (ce sont les sous espagnols), et il nous tendit un petit livret qui renfermait la vie de saint Jacques le Majeur, Santiago, patron et apôtre de l'Espagne, et la liste des reliques qu'on vénère dans la cathédrale de Santiago ou Compostelle. Voici la teneur de la légende bien connue des Espagnols, qui y attachent une foi entière. Elle nous fera connaître les origines du christianisme dans leur pays.
Église Notre-Dame du Pilier de Saragosse – Catedral-Basílica de Nuestra Señora del Pilar - Le lieu ou St-Jacques apôtre éleva une petite chapelle – la première en Espagne romaine vers 40 Ap J.C. soit 7 ans après la Passion du Christ
Note: Selon la tradition, l'apôtre St-Jacques serait venu évangéliser la péninsule Ibérique vers 40 Ap J.C.. Il se serait d'abord découragé face aux difficultés de la tâche ; c'est là qu'au bord de l'Èbre lui serait apparue la Vierge Marie sur une colonne de marbre pour l'encourager à prêcher, en lui promettant que jamais la foi ne ferait défaut en Espagne. Jacques aurait alors élevé une chapelle destinée à abriter l'image miraculeuse de la Vierge à l'endroit même de l'apparition, créant ainsi ce qui fut le premier sanctuaire marial de la chrétienté. (Source : Wikipedia)
Après la mort de saint Étienne, saint Jacques le Majeur, frère de saint Jean, prêcha quelque temps aux Juifs en Palestine, puis il s'embarqua pour venir en Espagne. Au départ, il alla demander la bénédiction de la bienheureuse Vierge Marie. Et la Vierge lui dit : « Va, mon fils; accomplis l'ordre de ton Maître, et souviens-toi que dans celle des villes d'Espagne où tu convertiras le plus grand nombre d'hommes à la foi, tu élèveras une église en mon nom. » Il prêcha en diverses provinces de l'Espagne, et ce fut à Saragosse qu'il bâtit une église en l'honneur de la sainte Vierge. Revenu à Jérusalem, il y souffrit le martyre. Ses disciples prirent son corps pendant la nuit, de crainte que les Juifs ne vinssent à le maltraiter, et ils l'apportèrent à Joppé, maintenant Jaffa. Là ils le déposèrent à bord d'un navire, priant le Seigneur de les diriger vers le lieu où il lui plairait que le corps de son serviteur fût enterré.
D'autres disent que l'apôtre leur avait demandé lui-même de lui donner la sépulture en Espagne. Quoi qu'il en soit, le navire fut poussé vers les côtes qui unissent la Catalogne à la France ; mais aucun signe n'annonça qu'il dût s'y arrêter, non plus que le long des rivages jusqu'au détroit de Gibraltar, au-delà duquel il fut conduit. L'ange du Seigneur qui apparaissait en avant du vaisseau ne s'arrêta qu'à Iria, maintenant El Padron, en Galice, où l'apôtre avait auparavant séjourné plus longtemps que sur tout autre point de l'Espagne. On voit à El Padron les lieux qu'il habita, marqués par des croix et des oratoires; et les genoux des pèlerins ont usé les marches des escaliers qui y conduisent.
El Padron près de du sanctuaire de Compostelle
El Padron a côté de Compostelle en Galice dans le nord du pays
L`apôtre St-Jacques en pèlerin
L`Apôtre St-Jacques représenté en chevalier chrétien patron de l`Espagne
L`apôtre St-Jacques en pèlerin
Mais le corps fut transporté un peu à l'intérieur du pays, sans doute pour n'être pas autant exposé à être enlevé qu'au bord de la mer. On l'enterra dans l'endroit où est la ville qui porte à présent le nom de l'apôtre. L'arche ou coffre de marbre qui le renferme se creusa instantanément et de lui-même, au moment où le corps était posé sur le bloc massif. Durant les persécutions romaines, le précieux dépôt fut caché par des chrétiens. Plus tard on ne put le retrouver, et il était oublié quand, par un miracle, la Providence le révéla. C'était en l`an 835 Ap J.C.. Un bois épais avait crû sur l'endroit où les restes sacrés de l'apôtre étaient ensevelis, et qui est maintenant la chapelle souterraine sous la capilla mayor ou sanctuaire de la cathédrale de Compostelle.
Au 9 eme siècle donc, il y avait là, sur la colline, un bois inhabité. Il arriva que pendant la nuit plusieurs personnes de marque y aperçurent un météore, une étoile extraordinaire; et quand elles voulurent s'approcher, pour se rendre compte du phénomène, elles furent frappées par la vue d'apparitions célestes. Alors elles avertirent l'évêque d'Iria, le saint homme Théodomir, qui prescrivit des fouilles au lieu précis où brillait l'étoile, et qui à cause de cela fut nommé campus stella ou Compostelle. Ces fouilles amenèrent promptement la découverte de la crypte qui contenait le cercueil de marbre avec le corps de l'apôtre. Théodomir le fit annonce au roi don Alphonse le Chaste ( Roi d`Asturie et de Galice 759 a 842 Ap J.C.), qui ordonna d'élever sans retard une chapelle au-dessus du sépulcre. Cette révélation des reliques de saint Jacques fit grand bruit dans la chrétienté; les fidèles accoururent de toutes parts en pèlerinage; les habitations se multiplièrent autour du tombeau, et le pape Léon III autorisa l'évêque d'Iria à y transférer son siège épiscopal.
Cathédrale de Saint-Jacques de Compostelle
Quand, en 997, le calife El Mansour, ou le Victorieux, s'empara de Compostelle, nommée aussi Santiago ou Saint-Jacques, et la pilla, il rasa la cathédrale, mais fit respecter le tombeau sur lequel il avait trouvé, après la fuite de tous les habitants, un vieux moine tranquillement assis. Bientôt le roi Bermude rentra dans la ville et en répara les ruines. La cathédrale actuelle a été commencée, en 1082, par l'évêque Diego Pelaez.
Le roi Bermude III de Leon (1017 a 1037 Ap J.C.) - Il fait reconstruire St-Jacques de Compostelle après sa destruction par le calife musulman El Mansour et ses troupes.
Si les Espagnols se sont montrés dévots à saint Jacques, il a répondu à leurs sentiments par une protection des plus éclatantes. Ils disent qu'on entendait à son tombeau un cliquetis d'armes, lorsque l'Espagne était menacée de quelque grand malheur. Souvent il apparut aux princes et aux rois chrétiens de la Péninsule, dans les circonstances les plus difficiles, pour les secourir, et il ne s'est guère livré de grandes et décisives batailles contre les Maures sans que l'armée catholique ait aperçu l'apôtre monté sur un cheval blanc et frappant les ennemis de terreur. Ce fut ainsi, en 1040, quand Ferdinand I, dit le Grand, s'empara de Coïmbre; et en mémoire du miracle il institua l'ordre militaire des chevaliers de Saint-Jacques-de-l'Épée, qui, avec ceux de Calatrava (1158) et d'Alcantara (1214), contribua puissamment à chasser les musulmans de la Péninsule et à les rejeter en Afrique.
L'ordre militaire des chevaliers de Saint-Jacques-de-l'Épée avait aussi la mission spéciale d'assurer la sécurité des chemins qui conduisent les pèlerins à Santiago. La voie de France fut entretenue avec un soin particulier. Elle était très-fréquentée. Les Français avaient à la cathédrale de Compostelle une chapelle entretenue par nos rois; Louis le Jeune et des rois de Navarre et d'Aragon sont venus par piété s'y confondre avec les plus obscurs pèlerins. La légende de saint Jacques n'empêche pas qu'on ne regarde aussi saint Paul comme un des apôtres de l'Espagne; car il a sans doute exécuté le voyage dont il parle dans son Épître aux Romains. Il dit : « Cum in Hispaniam proficisci capero, quand je serai en route pour l'Espagne ; per vos proficiscar in Hispaniam : je passerai par Rome en allant en Espagne. »
Mais c'est à saint Jacques et à ses disciples , au nombre de neuf, que les Espagnols se regardent principalement comme redevables de l'Évangile : Pierre fut évêque d'Évora, en Portugal ; Cecilius, d'Elvire, qui s'élevait non loin de Grenade; Euphrasius, d'Avila; Indalecius, d'Urci, aujourd'hui Verga, aux confins de la Navarre; Torquatus, à Cadix; Hesichius, à Carthesa, non loin d'Astorga ; Athanase et Théodore restèrent à la garde du tombeau de saint Jacques, et ils ont maintenant leur sépulture auprès de la sienne, dans la même crypte. Plusieurs donnent encore à l'apôtre pour disciple Thésiphon, évêque de Bergita, qui était voisine d'Almeria.
Nous disions tout à l'heure que l'apôtre saint Jacques avait bâti à Saragosse une église en l'honneur de la sainte Vierge. Voici sur ce point l'antique tradition si chère aux Espagnols. Les disciples que saint Jacques avait amenés à Jésus-Christ sortaient de la ville chaque nuit, et venaient au bord de l'Èbre. Là, après un court sommeil, ils priaient et méditaient. Ils avaient passé quelques nuits de cette manière, et l'apôtre se trouvait avec eux, lorsqu'à minuit ils entendirent tous des voix d'anges qui chantaient : Ave, Maria. La sainte Vierge apparut, et ils se prosternèrent. Elle était sur un pilier de jaspe ou de marbre blanc, environnée d'une multitude d'anges. La glorieuse Vierge appela l'apôtre, et lui dit : «C'est ici, mon fils, la place même où il faut bâtir une église en mon honneur. Prends ce pilier que mon Fils, ton Maître, a envoyé, afin qu'il reste ici jusqu'à la fin du monde, et qu'en ce lieu de merveilleuses choses soient accomplies par la vertu de mon Fils.»
Les anges avaient préparé une image de la Vierge, et ils la placèrent sur le pilier où elle demeure depuis ce temps. L'apôtre éleva une chapelle qui abrita la statue et son piédestal. Le sanctuaire a été plusieurs fois reconstruit, avant l'érection de l'immense basilique qui le remplace aujourd'hui et qui a été commencée en 1681. Mais l'image de Nuestra Senora del Pilar et le pilier lui-même ont été pieusement conservés, et ils sont le but d'un pèlerinage que les Espagnols placent en cinquième ligne, c'est-à-dire après ceux de Jérusalem, de Rome, de Saint-Jacques et de Lorette.
Siete Varones Apostolicos - les Sept Hommes Apostoliques qui ont évangélisés l`Espagne - saint Torquat de Guadix - saint Idalèce d`Almeria - saint-Ctésiphon de Berja - saint Second d`Alba - saint Euphrase d`Andujar - st-Hiésychios de Cazorla - saint Cécile de Grenade - tous originaire de Bétique, province romaine du sud de Espagne, ils auraient évangélisé l`Espagne a la demande de St-Pierre, de St-Paul et de St-Jacques
Rosa Das Rosas - Rose parmi les roses - Cantigas de Santa María - Cantique du roi Alphonse X le Sage pour la St-Vierge Marie - 13 eme siècle
par le groupe Malandança
NAVIDAD EN ESPAÑA - NOEL EN ESPAGNE
Dernière édition par MichelT le Mar 16 Jan 2024 - 19:19, édité 6 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
CHAPITRE III
LE PLATEAU DE CASTILLE. - TOLÈDE.-
La route de Valladolid à Madrid, par Guadalajara, ne nous offrit d'abord qu'un faible intérêt. Nous retrouvâmes les grandes plaines nues, grises et jaunes, les tourbillons de poussière. Dépouillée de ses moissons, la campagne laissait voir les sillons disposés en chevrons ou en feuilles de fougère; et les villages bâtis en pisé, en petits blocs de terre séchée au soleil, paraissaient presque sans relief au-dessus du sol. Pour bien comprendre le caractère et l'aspect des plateaux de la Vieille et de la Nouvelle-Castille, considérez que ces plateaux forment le centre de la Péninsule et sont fort élevés au-dessus du niveau de la mer. Parmi ceux qui occupent en Europe une grande étendue, il n'en est pas de plus hauts, en Suisse même, ni en Écosse. La hauteur moyenne est de six cents mètres. Madrid est plus élevé que Langres.
Région de Guadalajara
Bientôt nous descendîmes les pentes rapides qui mènent au village de Guadarrama; à droite, nous laissions l'Escurial, dont les toitures grises luisaient sur le flanc dénudé de la sierra. Mais des affaires urgentes m'appelaient à Tolède, et je ne pouvais d'abord que traverser Madrid pour aller prendre le chemin de fer qui conduit de la nouvelle capitale de l'Espagne à celle des rois wisigoths. Rien en cela, disait William , ne contrariait l'itinéraire d'un touriste intelligent. Se rendre à Tolède pour revenir à Madrid, c'est suivre l'ordre chronologique de l'histoire.
Palais et Monastère Royal de l`Escurial construit sous le roi Philippe II au 16 eme siècle et situé à 45 Km de Madrid.
Nous franchissons le pont du Manzanarès ou la Rivière aux Pommiers, entre les statues de Ferdinand et d'Isabelle; car, en Espagne, les ponts de quelques importances ont fréquemment ornés des images des saints ou des grands hommes qui ont honoré le pays : excellente décoration, trop négligée en France aujourd'hui; le pont le plus monumental reste froid, sans poésie, sans aucune signification. Nous galopons entre les arbres qui bordent la route, entre la rivière et les jardins royaux; voici le Champ du Maure et les terrasses au-dessus desquelles le Real Palacio, le plus beau monument de Madrid, déploie sa moderne mais imposante façade.
Pont du Manzanarès – une entrée dans Madrid
Real Palacio, Madrid
On pénètre à Madrid par une montée difficile et des abords qui ne préviennent point en faveur de la capitale. Enfin nous traversons la Plaza-Mayor. Après deux heures d'un repos bien nécessaire et une confortable réfection, l'express de Madrid à Valence nous emportait vers Aranjuez et la station de Castillejo, d'où se détache un embranchement sur Tolède.
Tolède
La ville de Tolède est située dans le centre de l'Espagne, à 70 km au sud-ouest de Madrid. Elle est arrosée par le Tage.
Tolède se découvre, et son premier aspect ne dément pas ce que nous attendions de cette antique et noble cité. La voilà, fièrement campée sur un monticule de facile défense au moyen âge. Elle a conservé ses remparts crénelés, ses portes monumentales et flanquées de tours du temps des Maures. Le Tage vient tourner à ses pieds; il l'embrasse de trois côtés, en rugissant au fond d'une crevasse profonde et sombre, hérissée de rochers granitiques. A Tolède commencent les fortes empreintes de la domination musulmane, le trait d'union qui se poursuit jusqu'au détroit de Gibraltar. Reconquise par Alphonse VI en 1085, Tolède est encore toute remplie de la mémoire des califes de Cordoue et du règne de ses propres émirs. Le plein cintre et l'entablement de la renaissance s'y mêlent à l'ogive chrétienne et à l'arc mauresque en fer à cheval. Les inscriptions de ses monuments, tour à tour castillanes, latines, arabes, hébraïques, proclament, comme l'a dit un écrivain patriote, que c'est ici une vaste archive de souvenirs, un panthéon des gloires et des célébrités de l'Espagne.
Ce fut une bonne fortune pour nous de rencontrer dans M. le marquis de *, auquel nous étions adressés, un vieillard épris de sa ville natale, dont il connaissait à fond les ruines, les monuments et l'histoire. Il fut notre bienveillant et docte cicerone à la cathédrale, à l'Alcazar, à Santa-Maria-Blanca, à l'hôpital de Santa-Cruz, à San-Juan-de-los-Reyes, monuments qui offrent tous un intérêt du premier ordre; enfin, par un beau soir, il nous convia dans sa villa située sur une colline voisine de la cité, sur la rive gauche du Tage, en face de la Vega et de l'emplacement où s'élevait la basilique wisigothe de Sainte Léocadie, dans laquelle furent tenus les fameux conciles de Tolède, premières cortès ou états généraux du royaume. Mais un mot d'abord des monuments.
Cathédrale de Tolède
Cathédrale de Tolède
La cathédrale, un des plus remarquables monuments de l'Europe, est encore une création du 13 eme siècle, cette grande époque de la civilisation chrétienne, des grandes églises gothiques, de saint Thomas d`Aquin et de saint Louis. Durant cinquante ans, l'architecte Pedro Perez en dirigea la construction. Ses huit portes sont peuplées de statues et de statuettes, traduction en pierre des deux Testaments; et deux tours, dont l'une haute de cent huit mètres, s'élancent de la façade principale. Nous y montâmes pour jouir du panorama de la ville et du paysage. De là nous pûmes suivre les replis du Tage et admirer l'exubérante fertilité de la Vega, qui contraste avec l'aspect noir et désolé des Monts de Tolède. A cause des dispositions du coro et du sanctuaire ou capilla mayor, qui, nous l'avons vu, obstruent l'intérieur des grandes églises d'Espagne, c'est en y pénétrant par les portes latérales du transsept qu'on peut le mieux juger de leur ensemble. Ainsi se développèrent, suffisamment pour nous causer le religieux saisissement de l'âme, effet propre de l'architecture gothique, les cinq nefs de la cathédrale, longue de cent treize mètres cinquante centimètres, haute de cinquante sous les clefs des voûtes centrales, et éclairée par des verrières de couleur, qui représentent le Nouveau Testament.
Que dirai-je de la sacristie, qui, à Tolède comme dans les grandes églises d'Espagne et d'Italie, le dispute pour la richesse artistique au temple lui-même ? « La voûte, peinte par Luca Giordano, représente la Descente de la Vierge apportant à saint Ildefonse une chasuble en toile du ciel.» C'est une des oeuvres les plus remarquables de cet éminent artiste.
Saint Ildefonse de Tolède (606 à 657 Ap J.C.)
Cantique 2 - Muito devemos varões - Eduardo Paniagua, Música Antigua - Cantigas De Toledo - Cantique du roi Alphonse X le Sage pour la St-Vierge Marie - 13 eme siècle par le groupe Malandança C'est ainsi que la sainte Vierge Marie est apparue à Saint Ildefonso (il était archevêque de Tolède 657-667) et lui a donné un vêtement apporté du paradis qu'il devrait porter pour dire la messe. Bons hommes, nous devrions grandement louer la Sainte Vierge Marie, car elle accorde Sa grâce et Ses dons à celui qui a confiance en Elle. En signe de sa bonne faveur, elle donna à un prélat d'Espagne appelé Ildefonso, un vêtement exactement coupé à sa mesure du paradis, car il avait consacré toute sa sagesse à la louer nuit et jour. Il a bien employé ses sermons, comme nous le trouvons vrai, et aussi ses excellents écrits sur la virginité de cette sainte Dame, qui a rendu ses louanges en Espagne malgré tout ce que les non-chrétiens et les hérétiques avaient dit contre elle.
Saint Ildefonse, disciple de saint Isidore de Séville, devint archevêque de Tolède, au milieu du 7 eme siècle, et il écrivit un livre intitulé : De laudibus Virginis Mariæ, ou Des louanges de la Vierge Marie : ce livre respire la tendre piété dont l'auteur était animé en vers elle et qui lui a mérité le surnom de Chapelain de la Vierge. Saint Ildefonse en fut récompensé par une insigne faveur. Vers la fête de l'Assomption, s'étant disposé par trois jours de jeûne à cette solennité, il s'en alla de grand matin à l'église, selon sa coutume, assisté seulement d'un diacre et d'un sous diacre; et, dès l'entrée, il aperçut la très-sainte Mère de Dieu, assise sur le trône épiscopal, entourée d'une troupe de vierges qui chantaient d'une voix ravissante. Alors la divine Marie, l'envisageant d'un regard souverainement aimable, lui dit ces paroles : « Approchez, serviteur de Dieu très-fidèle; recevez ce présent de ma main : je vous l'ai apporté du trésor de mon Fils. » C'était une très-riche chasuble dont elle le revêtit, lui ordonnant de s'en servir seulement aux jours de fête qui seraient célébrés en son honneur. Tel est le miracle cent fois reproduit, par les peintres et les sculpteurs, dans la ville et spécialement à la cathédrale de Tolède.
On y rend aussi un grand honneur à sainte Léocadie, qui reçut la couronne du martyre sous Dioclétien. Un jour, saint Ildefonse était en prière près de son tombeau avec le roi Recesuinte, dans la basilique élevée en son nom au bord du Tage, où est maintenant le cimetière des chanoines. La sainte sortit du sépulcre, dont le couvercle se leva de lui-même : il était pourtant si lourd que plusieurs hommes à peine auraient pu le remuer. Prenant par la main l'archevêque, devant toute l'assistance, elle dit : « O Ildefonse, par vous la vie de Notre-Dame a été maintenue;» ce qui signifiait qu'il avait victorieusement défendu l'immaculée virginité de Marie contre les hérétiques.
Après quoi Léocadie se retira en son tombeau; mais le saint saisit l'épée du roi, et coupa un morceau du voile qui couvrait la tête de la vierge martyre. Ce voile, objet de la vénération des habitants de Tolède, a inspiré les artistes , comme la chasuble de saint Ildefonse. Le voyageur ne doit pas quitter la cathédrale de Tolède sans assister à l'office mozarabe qui se célèbre dans une chapelle spécialement consacrée à cette intéressante liturgie. L'office y est chanté en même temps que celui des chanoines de la métropole; mais, grâce à la disposition intérieure que nous avons signalée dans les églises d'Espagne et à l'immensité du monument, ces chants simultanés ne se troublent pas les uns les autres. C'est à peine si les frémissements de l'orgue du coro viennent s'éteindre sourdement sous la voûte de la chapelle mozarabe.
Pacem meam - El Canto Visigotico Mozarabe - Cantique wisigoths et mozarabe espagnol - Eduardo Paniagua
La cardinal Ximenès est le fondateur de la chapelle mozarabe et de son chapitre. Il a fait imprimer, avec la magnificence qu'il apportait dans les oeuvres de ce genre, les monuments de cette liturgie vénérable, dont on attribue à saint Isidore de Séville (560 a 630 Ap J.C.) la dernière rédaction. Toutefois les liturgistes y découvrent bien des choses ajoutées depuis. Elle doit son nom aux mostarabes ou mozarabes, c'est-à-dire aux chrétiens mêlés aux Arabes, qui l'ont conservée et suivie pendant le temps de la domination des Maures en Espagne.
On l'appelle aussi gothique à cause de son origine, au temps des Wisigoths. La liturgie romaine lui a été substituée au 11 eme siècle par les soins de saint Grégoire VII et d'Urbain II, du moins dans les royaumes de Castille et d'Aragon, et il ne paraît pas qu'on la suivît nulle part après l'expulsion des Arabes d'Espagne. Le Saint-Siège avait les plus graves raisons de vouloir l'unité liturgique; mais il attachait assez d'importance à la conservation des traditions renfermées dans les liturgies particulières, pour autoriser plus tard le cardinal Ximenès à faire imprimer le missel et le bréviaire mozarabes afin d'en rétablir l'usage dans une chapelle de la métropole.
Le signe de la croix, tel qu'il se fait en Espagne, est assez compliqué. Il est au moins quadruple, car on le trace 1° sur le front, en disant : por la senal de la cruz, par le signe de la croix; 2° sur la bouche, en disant : de nuestros enemigos, de nos ennemis; 3°sur le menton, la poitrine et les épaules, en disant : Libra nos, senor Dios nuestro : Délivrez-nous, Seigneur notre Dieu; 4° sur le front, l'estomac et les épaules, comme nous le faisons en France, et en ajoutant : In nomine Patris, etc.; 5° on met le pouce en croix sur l'index, et l'on baise la croix ainsi figurée. Ces signes réunis indiquent qu'on doit être disciple de Jésus-Christ : corde, ore et opere, de coeur, de parole et d'action. –
Le signe de croix en Espagne - por la senal de la cruz
Nous faisions la plupart de ces remarques dans la cathédrale de Tolède. Après avoir mesuré de l'oeil, au croisillon du midi, une peinture de saint Christophe qui a plus de treize mètres cinquante centimètres de hauteur, nous sortîmes de l'édifice par la porte des Lions, dont nous admirâmes les statuettes, les dais et les ventaux de bronze. Ces gigantesques images de saint Christophe, portant l'enfant Jésus sur ses épaules et traversant un torrent, ont presque disparu en France; mais elles sont très-communes en Allemagne et en Espagne, où elles atteignent des proportions inouïes.
Ce géant qui, voulant servir le plus puissant roi de la terre, quitta le roi de Chanaan pour s'engager au service du diable, et le diable pour passer au service du Christ, dont la croix avait mis le diable en fuite. Sur l'avis d'un solitaire, il se consacra, par charité, à passer les voyageurs du bord d'un torrent à l'autre. Un jour, un enfant se présenta qui pesa sur les épaules du géant d'un poids étrange et lourd comme le monde. « Ne t'en étonne pas, Christophe, dit l'enfant; tu portes non - seulement le monde, mais le créateur du monde; car je suis le Christ. » De là ce géant des églises d'Espagne, traversant le torrent, un arbre pour bâton à la main, et portant l'enfant qui tient le globe terrestre. On applique cette légende à l'histoire de l'humanité, qui passe du paganisme au christianisme, et de cette vie laborieuse aux rives éternelles. CHRISTOPHORUM VIDEAS, POSTEA TUTUS EAS. Regarde saint Christophe, et ensuite marche sans crainte.
Saint Christophe avec l`Enfant Jésus sur l`épaule
Puis nous allâmes à Santa-Maria-Blanca : selon les historiens et antiquaires de Tolède, c'était une synagogue du temps de Jésus-Christ. Nuestra-Senora-del-Transito est également une ancienne synagogue, mais dont les murs offrent moins d'intérêt que ses charpentes en cèdres du Liban. ( Devenue un musée de la culture juive en Espagne)
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Nuestra-Senora-del-Transito - ancienne synagogue devenue musée de la culture juive en Espagne
Revenus au Zocodover, principale place et marché de la ville, dont le nom rappellerait suffisamment le règne des Arabes (souk en arabe signifie marché), quand même un grand arc mauresque ne s'y ouvrirait pas sous l'horloge municipale, nous descendîmes à l'hôpital de Santa-Cruz, (Sainte-Croix) où l'architecte Henri de Egas a fait preuve d'un goût exquis en unissant à l'art gothique les premières et originales inspirations de la renaissance. Quelle élégance et quelle richesse dans ce portail décoré de dais et de statuettes moyen âge, de colonnes en balustre et d'ornements en bas-reliefs qui ont presque la pureté de dessin de la belle renaissance italienne ! Mais aussi comme le soleil d'Espagne a doré ces sculptures! Où la pierre revêt elle une teinte plus heureuse? La chapelle et le grand escalier du cloître répondent à cette noble façade, et l'ensemble du monument est bien digne de son fondateur, le cardinal Mendoza, humblement agenouillé sur le tympan du portail.
Hôpital de la Santa Cruz - Sainte Croix de Tolède
Hôpital de la Santa Cruz construit vers l`an 1500 - Sainte Croix de Tolède
Hôpital de la Santa Cruz - Sainte Croix de Tolède
L'Alcazar, en arabe el casr, le château, élevait au-dessus de nous sa masse imposante. Nous gravîmes, pour y arriver, une rue des plus roides. Mais nous oubliâmes toute fatigue sur cette esplanade embaumée par les arbustes et les fleurs, d'où nous découvrions des horizons splendides par-delà la Vega et les monts de Tolède. C'était d'un côté la nature qui attirait et fixait nos regards dans une contemplation prolongée; de l'autre, c'était l'art, dans un des édifices les plus beaux de ce 16 eme siècle, qui n'a de rival que le 13 eme. Malgré son nom arabe, l'Alcazar actuel a été construit par Charles-Quint, sur l'emplacement d'un château plus ancien, et son achèvement date de 1551. Les architectes Alphonse Covarrubias et Juan Herrera s'y sont immortalisés.
L`Alcazar de Tolède en haut de la ville
LE PLATEAU DE CASTILLE. - TOLÈDE.-
La route de Valladolid à Madrid, par Guadalajara, ne nous offrit d'abord qu'un faible intérêt. Nous retrouvâmes les grandes plaines nues, grises et jaunes, les tourbillons de poussière. Dépouillée de ses moissons, la campagne laissait voir les sillons disposés en chevrons ou en feuilles de fougère; et les villages bâtis en pisé, en petits blocs de terre séchée au soleil, paraissaient presque sans relief au-dessus du sol. Pour bien comprendre le caractère et l'aspect des plateaux de la Vieille et de la Nouvelle-Castille, considérez que ces plateaux forment le centre de la Péninsule et sont fort élevés au-dessus du niveau de la mer. Parmi ceux qui occupent en Europe une grande étendue, il n'en est pas de plus hauts, en Suisse même, ni en Écosse. La hauteur moyenne est de six cents mètres. Madrid est plus élevé que Langres.
Région de Guadalajara
Bientôt nous descendîmes les pentes rapides qui mènent au village de Guadarrama; à droite, nous laissions l'Escurial, dont les toitures grises luisaient sur le flanc dénudé de la sierra. Mais des affaires urgentes m'appelaient à Tolède, et je ne pouvais d'abord que traverser Madrid pour aller prendre le chemin de fer qui conduit de la nouvelle capitale de l'Espagne à celle des rois wisigoths. Rien en cela, disait William , ne contrariait l'itinéraire d'un touriste intelligent. Se rendre à Tolède pour revenir à Madrid, c'est suivre l'ordre chronologique de l'histoire.
Palais et Monastère Royal de l`Escurial construit sous le roi Philippe II au 16 eme siècle et situé à 45 Km de Madrid.
Nous franchissons le pont du Manzanarès ou la Rivière aux Pommiers, entre les statues de Ferdinand et d'Isabelle; car, en Espagne, les ponts de quelques importances ont fréquemment ornés des images des saints ou des grands hommes qui ont honoré le pays : excellente décoration, trop négligée en France aujourd'hui; le pont le plus monumental reste froid, sans poésie, sans aucune signification. Nous galopons entre les arbres qui bordent la route, entre la rivière et les jardins royaux; voici le Champ du Maure et les terrasses au-dessus desquelles le Real Palacio, le plus beau monument de Madrid, déploie sa moderne mais imposante façade.
Pont du Manzanarès – une entrée dans Madrid
Real Palacio, Madrid
On pénètre à Madrid par une montée difficile et des abords qui ne préviennent point en faveur de la capitale. Enfin nous traversons la Plaza-Mayor. Après deux heures d'un repos bien nécessaire et une confortable réfection, l'express de Madrid à Valence nous emportait vers Aranjuez et la station de Castillejo, d'où se détache un embranchement sur Tolède.
Tolède
La ville de Tolède est située dans le centre de l'Espagne, à 70 km au sud-ouest de Madrid. Elle est arrosée par le Tage.
Tolède se découvre, et son premier aspect ne dément pas ce que nous attendions de cette antique et noble cité. La voilà, fièrement campée sur un monticule de facile défense au moyen âge. Elle a conservé ses remparts crénelés, ses portes monumentales et flanquées de tours du temps des Maures. Le Tage vient tourner à ses pieds; il l'embrasse de trois côtés, en rugissant au fond d'une crevasse profonde et sombre, hérissée de rochers granitiques. A Tolède commencent les fortes empreintes de la domination musulmane, le trait d'union qui se poursuit jusqu'au détroit de Gibraltar. Reconquise par Alphonse VI en 1085, Tolède est encore toute remplie de la mémoire des califes de Cordoue et du règne de ses propres émirs. Le plein cintre et l'entablement de la renaissance s'y mêlent à l'ogive chrétienne et à l'arc mauresque en fer à cheval. Les inscriptions de ses monuments, tour à tour castillanes, latines, arabes, hébraïques, proclament, comme l'a dit un écrivain patriote, que c'est ici une vaste archive de souvenirs, un panthéon des gloires et des célébrités de l'Espagne.
Ce fut une bonne fortune pour nous de rencontrer dans M. le marquis de *, auquel nous étions adressés, un vieillard épris de sa ville natale, dont il connaissait à fond les ruines, les monuments et l'histoire. Il fut notre bienveillant et docte cicerone à la cathédrale, à l'Alcazar, à Santa-Maria-Blanca, à l'hôpital de Santa-Cruz, à San-Juan-de-los-Reyes, monuments qui offrent tous un intérêt du premier ordre; enfin, par un beau soir, il nous convia dans sa villa située sur une colline voisine de la cité, sur la rive gauche du Tage, en face de la Vega et de l'emplacement où s'élevait la basilique wisigothe de Sainte Léocadie, dans laquelle furent tenus les fameux conciles de Tolède, premières cortès ou états généraux du royaume. Mais un mot d'abord des monuments.
Cathédrale de Tolède
Cathédrale de Tolède
La cathédrale, un des plus remarquables monuments de l'Europe, est encore une création du 13 eme siècle, cette grande époque de la civilisation chrétienne, des grandes églises gothiques, de saint Thomas d`Aquin et de saint Louis. Durant cinquante ans, l'architecte Pedro Perez en dirigea la construction. Ses huit portes sont peuplées de statues et de statuettes, traduction en pierre des deux Testaments; et deux tours, dont l'une haute de cent huit mètres, s'élancent de la façade principale. Nous y montâmes pour jouir du panorama de la ville et du paysage. De là nous pûmes suivre les replis du Tage et admirer l'exubérante fertilité de la Vega, qui contraste avec l'aspect noir et désolé des Monts de Tolède. A cause des dispositions du coro et du sanctuaire ou capilla mayor, qui, nous l'avons vu, obstruent l'intérieur des grandes églises d'Espagne, c'est en y pénétrant par les portes latérales du transsept qu'on peut le mieux juger de leur ensemble. Ainsi se développèrent, suffisamment pour nous causer le religieux saisissement de l'âme, effet propre de l'architecture gothique, les cinq nefs de la cathédrale, longue de cent treize mètres cinquante centimètres, haute de cinquante sous les clefs des voûtes centrales, et éclairée par des verrières de couleur, qui représentent le Nouveau Testament.
Que dirai-je de la sacristie, qui, à Tolède comme dans les grandes églises d'Espagne et d'Italie, le dispute pour la richesse artistique au temple lui-même ? « La voûte, peinte par Luca Giordano, représente la Descente de la Vierge apportant à saint Ildefonse une chasuble en toile du ciel.» C'est une des oeuvres les plus remarquables de cet éminent artiste.
Saint Ildefonse de Tolède (606 à 657 Ap J.C.)
Cantique 2 - Muito devemos varões - Eduardo Paniagua, Música Antigua - Cantigas De Toledo - Cantique du roi Alphonse X le Sage pour la St-Vierge Marie - 13 eme siècle par le groupe Malandança C'est ainsi que la sainte Vierge Marie est apparue à Saint Ildefonso (il était archevêque de Tolède 657-667) et lui a donné un vêtement apporté du paradis qu'il devrait porter pour dire la messe. Bons hommes, nous devrions grandement louer la Sainte Vierge Marie, car elle accorde Sa grâce et Ses dons à celui qui a confiance en Elle. En signe de sa bonne faveur, elle donna à un prélat d'Espagne appelé Ildefonso, un vêtement exactement coupé à sa mesure du paradis, car il avait consacré toute sa sagesse à la louer nuit et jour. Il a bien employé ses sermons, comme nous le trouvons vrai, et aussi ses excellents écrits sur la virginité de cette sainte Dame, qui a rendu ses louanges en Espagne malgré tout ce que les non-chrétiens et les hérétiques avaient dit contre elle.
Saint Ildefonse, disciple de saint Isidore de Séville, devint archevêque de Tolède, au milieu du 7 eme siècle, et il écrivit un livre intitulé : De laudibus Virginis Mariæ, ou Des louanges de la Vierge Marie : ce livre respire la tendre piété dont l'auteur était animé en vers elle et qui lui a mérité le surnom de Chapelain de la Vierge. Saint Ildefonse en fut récompensé par une insigne faveur. Vers la fête de l'Assomption, s'étant disposé par trois jours de jeûne à cette solennité, il s'en alla de grand matin à l'église, selon sa coutume, assisté seulement d'un diacre et d'un sous diacre; et, dès l'entrée, il aperçut la très-sainte Mère de Dieu, assise sur le trône épiscopal, entourée d'une troupe de vierges qui chantaient d'une voix ravissante. Alors la divine Marie, l'envisageant d'un regard souverainement aimable, lui dit ces paroles : « Approchez, serviteur de Dieu très-fidèle; recevez ce présent de ma main : je vous l'ai apporté du trésor de mon Fils. » C'était une très-riche chasuble dont elle le revêtit, lui ordonnant de s'en servir seulement aux jours de fête qui seraient célébrés en son honneur. Tel est le miracle cent fois reproduit, par les peintres et les sculpteurs, dans la ville et spécialement à la cathédrale de Tolède.
On y rend aussi un grand honneur à sainte Léocadie, qui reçut la couronne du martyre sous Dioclétien. Un jour, saint Ildefonse était en prière près de son tombeau avec le roi Recesuinte, dans la basilique élevée en son nom au bord du Tage, où est maintenant le cimetière des chanoines. La sainte sortit du sépulcre, dont le couvercle se leva de lui-même : il était pourtant si lourd que plusieurs hommes à peine auraient pu le remuer. Prenant par la main l'archevêque, devant toute l'assistance, elle dit : « O Ildefonse, par vous la vie de Notre-Dame a été maintenue;» ce qui signifiait qu'il avait victorieusement défendu l'immaculée virginité de Marie contre les hérétiques.
Après quoi Léocadie se retira en son tombeau; mais le saint saisit l'épée du roi, et coupa un morceau du voile qui couvrait la tête de la vierge martyre. Ce voile, objet de la vénération des habitants de Tolède, a inspiré les artistes , comme la chasuble de saint Ildefonse. Le voyageur ne doit pas quitter la cathédrale de Tolède sans assister à l'office mozarabe qui se célèbre dans une chapelle spécialement consacrée à cette intéressante liturgie. L'office y est chanté en même temps que celui des chanoines de la métropole; mais, grâce à la disposition intérieure que nous avons signalée dans les églises d'Espagne et à l'immensité du monument, ces chants simultanés ne se troublent pas les uns les autres. C'est à peine si les frémissements de l'orgue du coro viennent s'éteindre sourdement sous la voûte de la chapelle mozarabe.
Pacem meam - El Canto Visigotico Mozarabe - Cantique wisigoths et mozarabe espagnol - Eduardo Paniagua
La cardinal Ximenès est le fondateur de la chapelle mozarabe et de son chapitre. Il a fait imprimer, avec la magnificence qu'il apportait dans les oeuvres de ce genre, les monuments de cette liturgie vénérable, dont on attribue à saint Isidore de Séville (560 a 630 Ap J.C.) la dernière rédaction. Toutefois les liturgistes y découvrent bien des choses ajoutées depuis. Elle doit son nom aux mostarabes ou mozarabes, c'est-à-dire aux chrétiens mêlés aux Arabes, qui l'ont conservée et suivie pendant le temps de la domination des Maures en Espagne.
On l'appelle aussi gothique à cause de son origine, au temps des Wisigoths. La liturgie romaine lui a été substituée au 11 eme siècle par les soins de saint Grégoire VII et d'Urbain II, du moins dans les royaumes de Castille et d'Aragon, et il ne paraît pas qu'on la suivît nulle part après l'expulsion des Arabes d'Espagne. Le Saint-Siège avait les plus graves raisons de vouloir l'unité liturgique; mais il attachait assez d'importance à la conservation des traditions renfermées dans les liturgies particulières, pour autoriser plus tard le cardinal Ximenès à faire imprimer le missel et le bréviaire mozarabes afin d'en rétablir l'usage dans une chapelle de la métropole.
Le signe de la croix, tel qu'il se fait en Espagne, est assez compliqué. Il est au moins quadruple, car on le trace 1° sur le front, en disant : por la senal de la cruz, par le signe de la croix; 2° sur la bouche, en disant : de nuestros enemigos, de nos ennemis; 3°sur le menton, la poitrine et les épaules, en disant : Libra nos, senor Dios nuestro : Délivrez-nous, Seigneur notre Dieu; 4° sur le front, l'estomac et les épaules, comme nous le faisons en France, et en ajoutant : In nomine Patris, etc.; 5° on met le pouce en croix sur l'index, et l'on baise la croix ainsi figurée. Ces signes réunis indiquent qu'on doit être disciple de Jésus-Christ : corde, ore et opere, de coeur, de parole et d'action. –
Le signe de croix en Espagne - por la senal de la cruz
Nous faisions la plupart de ces remarques dans la cathédrale de Tolède. Après avoir mesuré de l'oeil, au croisillon du midi, une peinture de saint Christophe qui a plus de treize mètres cinquante centimètres de hauteur, nous sortîmes de l'édifice par la porte des Lions, dont nous admirâmes les statuettes, les dais et les ventaux de bronze. Ces gigantesques images de saint Christophe, portant l'enfant Jésus sur ses épaules et traversant un torrent, ont presque disparu en France; mais elles sont très-communes en Allemagne et en Espagne, où elles atteignent des proportions inouïes.
Ce géant qui, voulant servir le plus puissant roi de la terre, quitta le roi de Chanaan pour s'engager au service du diable, et le diable pour passer au service du Christ, dont la croix avait mis le diable en fuite. Sur l'avis d'un solitaire, il se consacra, par charité, à passer les voyageurs du bord d'un torrent à l'autre. Un jour, un enfant se présenta qui pesa sur les épaules du géant d'un poids étrange et lourd comme le monde. « Ne t'en étonne pas, Christophe, dit l'enfant; tu portes non - seulement le monde, mais le créateur du monde; car je suis le Christ. » De là ce géant des églises d'Espagne, traversant le torrent, un arbre pour bâton à la main, et portant l'enfant qui tient le globe terrestre. On applique cette légende à l'histoire de l'humanité, qui passe du paganisme au christianisme, et de cette vie laborieuse aux rives éternelles. CHRISTOPHORUM VIDEAS, POSTEA TUTUS EAS. Regarde saint Christophe, et ensuite marche sans crainte.
Saint Christophe avec l`Enfant Jésus sur l`épaule
Puis nous allâmes à Santa-Maria-Blanca : selon les historiens et antiquaires de Tolède, c'était une synagogue du temps de Jésus-Christ. Nuestra-Senora-del-Transito est également une ancienne synagogue, mais dont les murs offrent moins d'intérêt que ses charpentes en cèdres du Liban. ( Devenue un musée de la culture juive en Espagne)
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Santa-Maria-Blanca de Tolède
Nuestra-Senora-del-Transito - ancienne synagogue devenue musée de la culture juive en Espagne
Revenus au Zocodover, principale place et marché de la ville, dont le nom rappellerait suffisamment le règne des Arabes (souk en arabe signifie marché), quand même un grand arc mauresque ne s'y ouvrirait pas sous l'horloge municipale, nous descendîmes à l'hôpital de Santa-Cruz, (Sainte-Croix) où l'architecte Henri de Egas a fait preuve d'un goût exquis en unissant à l'art gothique les premières et originales inspirations de la renaissance. Quelle élégance et quelle richesse dans ce portail décoré de dais et de statuettes moyen âge, de colonnes en balustre et d'ornements en bas-reliefs qui ont presque la pureté de dessin de la belle renaissance italienne ! Mais aussi comme le soleil d'Espagne a doré ces sculptures! Où la pierre revêt elle une teinte plus heureuse? La chapelle et le grand escalier du cloître répondent à cette noble façade, et l'ensemble du monument est bien digne de son fondateur, le cardinal Mendoza, humblement agenouillé sur le tympan du portail.
Hôpital de la Santa Cruz - Sainte Croix de Tolède
Hôpital de la Santa Cruz construit vers l`an 1500 - Sainte Croix de Tolède
Hôpital de la Santa Cruz - Sainte Croix de Tolède
L'Alcazar, en arabe el casr, le château, élevait au-dessus de nous sa masse imposante. Nous gravîmes, pour y arriver, une rue des plus roides. Mais nous oubliâmes toute fatigue sur cette esplanade embaumée par les arbustes et les fleurs, d'où nous découvrions des horizons splendides par-delà la Vega et les monts de Tolède. C'était d'un côté la nature qui attirait et fixait nos regards dans une contemplation prolongée; de l'autre, c'était l'art, dans un des édifices les plus beaux de ce 16 eme siècle, qui n'a de rival que le 13 eme. Malgré son nom arabe, l'Alcazar actuel a été construit par Charles-Quint, sur l'emplacement d'un château plus ancien, et son achèvement date de 1551. Les architectes Alphonse Covarrubias et Juan Herrera s'y sont immortalisés.
L`Alcazar de Tolède en haut de la ville
Dernière édition par MichelT le Ven 14 Fév 2020 - 1:53, édité 2 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
CHAPITRE IV
TOLÈDE.- L'ESPAGNE SOUS LES ROMAINS.- LES WISIGOTHS.
Tranquillement assis au pied des orangers de la casa de campo, où notre hôte nous avait offert une confortable réfection, nous devisions au clair de lune sur les destinées de l'Espagne. La nuit augmentait le parfum des fleurs que nous apportait une brise molle et encore tiède. Comment notre pensée n'aurait-elle pas erré d'elle-même sur les âges de l'histoire? A travers les ombres transparentes de ces nuits d'Espagne, lumineuses comme les jours du pôle, nous distinguions à nos pieds le cours du Tage, la plazuela de las Barcas, dont le nom rappelle que, sous le règne de Philippe II, les barques allaient encore jusqu'à Lisbonne; devant nous, la Vega, des couvents en ruine, des cimetières, l'emplacement de la basilique wisigothique de Sainte-Léocadie, les ondulations de terrain qui marquent l'ancien amphithéâtre des Romains ; à droite, les vieilles et très hautes murailles de la ville, et sa brune silhouette sur laquelle semblaient planer les génies des peuples qui l'ont possédée tour à tour.
« Plus je vois l'Espagne, dit mon ami William en s'adressant spécialement à notre hôte, plus je l'estime et plus je l'aime. Il y a chez elle tant de patriotisme et de foi! Dieu l'a tant favorisée ! Je ne sais quelle pénétrante poésie souffle encore ici de toutes parts ; je la sens jusque dans les noms propres de son histoire et de sa géographie.»
La péninsule hispanique, peuplée d'Ibères, de Celtes et de Celtibères, reçut longtemps avant Jésus Christ des colonies de Phéniciens, de Grecs et de Carthaginois, attirés par ses richesses de toute nature. Ils y échangeaient les produits de l'Orient, spécialement contre les métaux, l'or, l'argent, le fer. Aristote, par une exagération qui prouve du moins l'abondance des mines du pays, raconte que les Phéniciens à Tartessus (Tarifa selon quelques-uns) acquirent une si grande quantité d'argent, que leurs vaisseaux ne purent l'emporter tout entière et que leurs ancres étaient du même métal. Ils s'installèrent à Cadix, à Malaga, à Cordoue même, à Carteja, dont les ruines sont voisines de Gibraltar et que plusieurs prennent pour l'ancienne Tharsis de la sainte Écriture. Les Grecs et les Phocéens fréquentèrent les côtes de Catalogne, de Valence, et y firent quelques installations.
Les colonies phéniciennes ( Liban actuel) en Espagne et autour de la Méditerranée vers l`an 600 Av Jésus-Christ
Les colonies grecques en Espagne, en Italie, en Afrique et en Asie vers 500 Av J.C..
Marseille ( Massalia) en France – une colonie grecque au commencement.
Les Carthaginois aspirèrent à se rendre maîtres de toute la contrée. Ils assirent fortement leur domination en Bétique, l'Andalousie moderne, et le progrès de leurs armes s'étendit peu à peu. Toutefois ce n'est guère que deux cent vingt-cinq ans avant Jésus Christ, sous les gouverneurs Hamilcar, père d'Annibal, et Asdrubal, fondateur de Carthagène, que la colonisation prit le caractère d'une conquête générale de la Péninsule. Les peuplades indépendantes de l'intérieur et les colonies grecques implorèrent le secours de Rome, dont la rivalité avec Carthage avait éclaté déjà dans la première guerre punique. Elles obtinrent l'alliance qu'elles désiraient.
Expédition des armées de Carthage en Espagne et en Italie vers 219 Av J.C. Carthage est une ancienne colonie phénicienne en Afrique devenue très puissante.
Mais Annibal, à la tête de cent cinquante mille hommes, marcha contre Sagonte, dont la chute ouvrit à Annibal, en 219 avant Jésus-Christ, le chemin des Pyrénées. Les Romains vinrent, mais trop tard, combattre les Carthaginois en Espagne. En quelques années de guerre (210-206), presque aussi glorieuses pour Scipion l'Africain que ses hauts faits en Afrique, ils chassèrent leurs rivaux de la Péninsule ; mais les indigènes, au lieu de libérateurs, avaient trouvé de nouveaux maîtres. Les peuplades celtibères, lusitaniennes et d'autres de la famille celtique, s'insurgèrent perpétuellement pour rendre au pays son indépendance. L'Espagne était romaine pour cinq siècles encore, malgré l'indépendance gardée par des peuplades indomptables de montagnards.
La Péninsule devint ensuite le théâtre de la lutte entre César et le fils aîné de Pompée, qui succomba enfin devant le courage et le prodigieux génie militaire de son rival; Sextus Pompée, battu dans les plaines de Munda. Sous les empereurs romains, l'Espagne suit la fortune de l'empire; car, depuis Octave, malgré les révoltes partielles des Astures et des Cantabres et l'énergique résistance de certaines régions de la Navarre, inaccessibles aux aigles romaines, le sceptre impérial s'étendit sur tous ces peuples jusque-là indépendants ou simplement alliés de Rome.
Bataille de Munda en Espagne remporté par les légions de Jules César lors de la guerre civile romaine entre Jules César et Pompée en 45 Av J.C.
Alors commence, trente-huit ans avant Jésus-Christ, l'ère espagnole. La civilisation s'est épanouie en Espagne depuis les premiers temps de l'empire; la lumière et les institutions du christianisme l'ont purifiée des erreurs et des vices de l'idolâtrie; les barbares du Nord, qui franchirent les Pyrénées, ont éprouvé l'heureuse influence de cette civilisation qu'ils ont troublée, mais qu'ils n'ont pas détruite; et c'est encore à elle que les Maures, ces autres barbares du Sud venus par le détroit, sont redevables de presque toute leur gloire.
Sous César Auguste, au temps de Notre-Seigneur, voyez : les routes ouvrent des communications à travers tout le pays, des ponts nombreux sont jetés sur les rivières, de nouvelles colonies romaines sont fondées, centres populeux et doués d'une force prodigieuse d'attraction et d'assimilation pour les indigènes. Si quelques chefs de bande comme Caracota, favorisés par les accidents de notre territoire si propre aux insurrections, lèvent l'étendard contre les aigles étrangères, les séductions de l'or et des dignités romaines en font des sujets dociles et des instruments de l'empire. C'est l'Espagne elle-même qui lui donne, qui donne au monde Trajan, Adrien, Marc-Aurèle, les meilleurs maîtres qu'ait eus l'empire avant Constantin. Ils ne pouvaient négliger leur pays ; aussi l'on y voit fleurir les arts de la paix. Les routes et les monuments publics se multiplient.
L`Espagne, province romaine au temps de la naissance de Jésus-Christ ( Hispania)
La province de Tarragone contenait douze colonies; la Bétique, neuf; la Lusitanie, répondant à peu près au Portugal actuel, cinq, sans parler des municipes, des villes libres et des autres centres de population classés selon leurs privilèges et d'après l'organisation administrative de l'empire, jusqu'à l'époque où Antonin déclara citoyens de Rome tous les citoyens soumis à son sceptre. Les indigènes entrèrent largement en participation des honneurs et des charges publiques, et la fusion s'établit assez entre eux et les Romains pour que trois légions romaines, c'est-à dire environ dix-huit mille hommes, maintinssent l'obéissance et la sécurité dans ces vastes provinces.
Mieux peut-être que les monuments et la puissante organisation administrative du pays, les noms des grands hommes fournis par l'Espagne de cette époque à la science et aux lettres prouvent qu'elle était bien dégagée des ténèbres de la barbarie. Sénèque le Tragique, Quintilien le rhéteur, les poètes Lucain et Martial, le docte Columelle, sont Espagnols. Pline le Naturaliste, dont le témoignage est considérable, nous apprend que l'agriculture n'y était pas moins avancée que l'architecture et les autres arts. Il vante la richesse du sol et la magnificence des récoltes en blé, en huiles, en fruits; les fines toisons des innombrables troupeaux de Bétique, la beauté des vignes et le mérite des vins d'Espagne, qui ne le cédaient point aux meilleurs d'Italie. De nombreuses mines étaient en exploitation, et leurs produits, comme ceux des manufactures, allaient augmenter dans les ports une activité commerciale que Carthage n'avait pas surpassée.
Columelle, l'auteur du livre célèbre De re rustica, qui traite de toutes les parties de l'agriculture et de l'économie rurale, était de Cadix. Grand propriétaire, il dirigeait lui-même la culture de ses fermes, et il nous parle d'un de ses oncles, riche agriculteur également, qui fit venir de Mauritanie des béliers à laine fine pour améliorer les troupeaux d'Espagne; et de là peut-être les mérinos, cette précieuse race de moutons que vous ne connaissez en France que depuis Louis XIII, mais qui, depuis des siècles, est une des principales richesses de mon pays.
Aqueduc construit par les romains en Espagne
Les Wisigoths, envahisseurs de l'Espagne au 5 eme siècle, conservèrent infiniment mieux qu'on ne le suppose l'héritage des Romains. Mais ce qu'ils y trouvèrent de plus précieux, ce fut la religion catholique, qui s'y était implantée depuis le temps des apôtres avec une vigueur dont vous pouvez juger encore aujourd'hui par la sève de l'arbre. Évangélisée, comme vous le savez, par plusieurs des apôtres eux-mêmes, l'Espagne eut aussitôt de grands évêques et des martyrs sans nombre, signe de l'alliance consommée entre l'Évangile et tout ce qu'il y a de pur dans l'antique civilisation.
A la chute de l`empire romain l`Espagne est envahie par les tribus barbares des Wisigoths qui établissent leur Royaume vers l`an 467 Ap J.C.
Roderic, roi des Wisigoths en Espagne (688 a 711 Ap J.C.)
Et voyez comme l'Espagne entière y est comprise, comme chacune de ses principales cités vous offre son héros chrétien, son docteur, son martyr : c'est Tarragone et l'évêque
Fructuose, jeté dans les flammes avec Eulogius et Augurius; c'est Evora, nommée alors Ebura, et Colombe la vierge; c'est Tolède et saint Eugène, son premier évêque, et sainte Léocadie, ce lis éclatant de blancheur au milieu des ronces de l'immonde gentilité; c'est Complutum ou Alcala de Hénarès, et les saints Just et Pastor; c'est Abula, maintenant Avila, et saint Vincent avec les frère et soeur Christèle et Sabine; c'est Oretum, aujourd'hui Calatrava, et les soldats martyrs Euretrius et Caledonius; c'est Burgos, alors Bravum Burgi, et ses vierges Hélène et Centola ; c'est Léon ou Legio Septimagemina, et Mancellus, immolé avec sa femme et ses filles; c'est Astorga, Asturica Augusta, et sa vierge Martha, qui unit les roses du martyre aux lis de la pureté : c'est Orense, Aquae Origines, et les saintes Marina et Euphemia ; c'est Braga, Bracara Augusta, empourprée du sang de sainte Susanne et des saints Victor et Silvestre ; c'est Lisbonne, Olisippo ou Felicitas Julia des Romains, avec les saints Verissimus, Manimus, sainte Julie et toute une pléiade d'autres martyrs; c'est Mérida, Emerita Augusta, avec une phalange non moins éclatante, qui compte les héroïques femmes Eulalie et Julia; c'est Cordoue, Corduba, noyée dans le sang de ses fils chrétiens; comme Cadix, Malaga (Malaca), Gironne (Gerunda), Barcelone (Barcino) et Lérida (Herda); c'est encore Séville, Hispalis ou Julia Romula, et les soeurs Juste et Rufine, les pieuses marchandes de gargoulettes en terre cuite; c'est enfin et surtout Caesarea Augusta, dont le nom est devenu par corruption Saragosse, cette ville que le poète espagnol Prudence appelle la patrie des martyrs : patria sanctorum martyrum.
Saint Fructueux de Tarragone, en latin Fructuosus, vers l`an 259 Ap J.C, a été évêque de Tarragone et un des martyrs les plus anciens documentés de la péninsule Ibérique. Euloge et Augure étaient les deux diacres de l’évêque qui ont été martyrisés avec lui dans les persécutions des empereurs romains contre l`Église.
Sainte Léocadie de Tolède - vierge et martyre, célèbre par sa confession du Christ vers l`an 304 Ap J.C dans les persécutions des empereurs romains contre l`Église.
Entre tous, le monde chrétien a distingué de bonne heure le diacre Vincent, cet apologiste de la foi auquel des tourments inouïs ne purent arracher une plainte; du temps de saint Augustin, toutes les Églises célébraient sa mémoire. L'Église d'Espagne ne versait pas seulement le sang de ses veines, elle répandait à flots la lumière : le concile d'Elvire ou d'Illyberis, près de Grenade, réuni en 303, démentait l'inscription fameuse tracée sur un monument d'Espagne par les persécuteurs Dioclétien et Maximien : « Les invincibles Césars, en actions de grâces pour la suppression et l'anéantissement de la superstition chrétienne obtenus par leur pieuse sollicitude. »
Mais les vingt évêques, d'autres disent quarante, rassemblés à ce concile prouvèrent de plus, par les quatre-vingts canons de discipline dressés en cette circonstance, que l'Église d'Espagne travaillait avec énergie à détruire les superstitions et à maintenir les moeurs chrétiennes. L'un d'eux, Osius, évêque de Cordoue, aura la gloire de présider, au nom du pape, en 325, le concile de Nicée, le premier des conciles universels.
Dans le cours du même siècle, le poète Juvencus composait ses Histoires évangéliques; Prudence, son traité Des Péchés et des Vertus et ses Hymnes, où l'Église a choisi des chants liturgiques. Paul Orose de Tarragone écrivait l'histoire du monde sous l'inspiration de son maître saint Augustin; et son parent Lucius Dexter, fils de saint Pacien de Barcelone, composait ses Chroniques; Idacius Clarus, évêque de Mérida, et un autre du même nom, évêque de Chaves ou Aquæ Flaviæ en Portugal, publiaient de savants traités pour la défense de la foi. Au v° siècle, Dracontius honorait le sacerdoce, et chantait sur la lyre chrétienne la création du monde; le moine Bacchiarius composait des opuscules où l'on entrevoit une érudition peu commune. Gardez-vous de croire, chers amis, que le grand édifice de la civilisation élevé en Espagne par les Romains et par les pontifes chrétiens ait croulé de fond en comble sous les coups des barbares qui passèrent les Pyrénées au v° siècle, de telle sorte que les Maures auraient eu à le relever de ses ruines au VIII°. Il n'en fut point ainsi.
Les Wisigoths ou Goths de l'ouest, venus des bords de la Vistule, fondent, de 410 à 450, un royaume qui s'étend entre la Loire et l'Èbre, avec Toulouse pour capitale; Clovis, vers 507, les refoule au pied des Pyrénées, et ils s'étendent en Espagne, où ils choisissent Tolède pour capitale. Ils n'étaient point aussi barbares que les autres tribus germaniques encore idolâtres; car ils avaient embrassé l'arianisme dès le IV° siècle et reçu le baptême; leur évêque Ulphilas avait traduit la Bible en gothique, idiome dont l'Espagne ne conserve, du reste, aucun monument. Or telle est la loi providentielle et la force morale de l'Évangile, qu'un lambeau de christianisme suffit pour élever un peuple, sous le rapport moral, bien au dessus du niveau de la barbarie païenne.
Aussi, les Goths eurent-ils les premiers d'entre les barbares des lois écrites au lieu de simples coutumes; et leurs premiers rois encore ariens (une hérésie chrétienne), Euric, Alaric II, adoptèrent les lois romaines, comme le montre le code ou Bréviaire d'Alaric, emprunté presque tout entier au Code théodosien. Quand le roi Chindasuind, vers 652, abrogea la loi romaine pour y substituer son code, appelé Fuero Juzgo (Forum Judicum), que son fils Recessuind compléta, il y laissa prédominer les édits impériaux et des principes chrétiens qu'on ne retrouve pas en général dans les codes barbares du moyen âge. D'ailleurs la monarchie wisigothe était devenue catholique depuis Récarède 1, converti vers 589 par saint Léandre de Séville, et sous cette influence la législation ne pouvait se dégrader. L'Église n'avait pas été victime des conquérants ariens; elle s'était maintenue partout, et, une fois unie à la monarchie par la conversion des princes, elle les fit marcher rapidement dans la voie de tous les progrès.
Bréviaire ou Code d`Alaric - Espagne - 506 Ap J.C. - Basé sur les lois romaines chrétiennes du Code théodésien
Il n'est plus étonnant qu'au texte même de la loi le Fuero Juzgo ajoute des exhortations morales, des dispositions sur le droit, sur la société; ce ne sont plus les coutumes barbares, où un crime est plus ou moins grave selon la race à laquelle appartient le coupable, ou selon la race de la victime; la loi wisigothe s'applique au territoire, et elle est égale pour tous les peuples qui l'habitent, conquérants ou conquis ; la preuve devant les tribunaux est donnée par témoins, au lieu que les barbares s'en référaient au duel entre les parties opposées; on pouvait en appeler à l'évêque de la sentence du juge, et ils révisaient ensemble le procès, ou bien l'évêque le revoyait seul, au refus du juge; la défense des pauvres et des esclaves en justice était assurée contre les puissants; et, bien loin d'avoir droit de vie et de mort sur son esclave, comme dans la loi de Rome païenne, le maître était puni de peines très-sévères s'il lui ôtait la vie sans qu'un jugement public eût constaté un crime et porté la sentence capitale. La vie et l'honneur de l'esclavage sont protégés au point que l'esclavage se transforme en simple servage. Les barbares considéraient moins, dans le crime, le mal moral que le dommage qu'il avait causé; voilà pourquoi on rachetait l'homicide et d'autres crimes pour une somme d'argent; mais la loi wisigothe considère plutôt le mal moral en lui-même, et n'admet point ces rachats. Les personnes emprisonnées et reconnues ensuite innocentes étaient indemnisées pour la peine préventive qu'elles avaient soufferte. Les lois sur l'indissolubilité et la sainteté du mariage, sur l'héritage partagé entre les enfants, filles et garçons; sur l'autorité maternelle égale à celle du père, sur cent autres points qu'il serait trop long d'énumérer, attestent, je le répète, une sagesse toute chrétienne, et qui fait à juste titre l'admiration des esprits éclairés.
Si les Maures ont fait progresser quelque chose en Espagne, ce n'est pas la législation ! Serait-ce par hasard l'agriculture? Mais elle tomba d'autant moins en décadence que les enfants, partageant également l'héritage paternel, étaient intéressés, par ce morcellement du sol, à en cultiver toutes les parcelles. Cassiodore, qui écrivait vers 550, nous apprend que l'Espagne exportait ses denrées en Italie et en Afrique; et le gouvernement eut à se plaindre, comme on le voit dans le recueil des lois wisigothes, de ce que les propriétaires attachaient à l'agriculture un intérêt qui privait la patrie des défenseurs armés dont elle avait besoin.
Ouvrez ce recueil, et vous y trouverez que les propriétés sont circonscrites et préservées par des bornes et des rangées d'arbres; que les troupeaux sont parqués dans des enceintes fermées de fossés ou de haies vives; que le pacage est interdit à certaines époques pour laisser croître les prés. On cultivait la vigne, l'olivier, les arbres fruitiers, et, remarquez-le bien, on plantait des forêts. Les Wisigoths comprirent si bien le prix des arbres, tant détruits par les Maures et qui font si malheureusement défaut à une grande étendue du territoire espagnol, qu'ils défendirent aux voyageurs d'en abattre aucun sans la permission du propriétaire, et que les peines suivantes, d'après lesquelles on peut juger de l'estime accordée aux diverses essences, furent édictées contre les destructeurs d'arbres : pour un arbre fruitier, l'amende est de trois sous; pour un olivier, de cinq; pour un grand chêne, deux sous; pour un petit, un sou; pour les autres espèces, deux sous. Le solidus ou le sou représentait une valeur assez élevée.
Celui qui endommageait un cep de vigne était tenu d'en replanter deux. Des lois réglaient aussi l'éducation des bestiaux. Les abeilles, fort appréciées de tout temps en Espagne, où l'on consomme pour le culte une énorme quantité de cire, étaient si estimées par les Wisigoths, que le voleur d'abeilles payait neuf fois la valeur de l'objet, et recevait en outre cinquante coups de fouet. Les canaux artificiels étaient multipliés, ainsi que les écluses et les moulins, et la loi veillait à l'équitable répartition des eaux. Une haute prudence avait dressé des règlements pour la chasse de la bête fauve, pour l'usage de l'arc et du filet, pour les pièges tendus dans les lieux déserts. Le commerce n'était pas moins protégé; et l'exportation des esclaves était sagement interdite.
Je ne veux pas insister sur cet ensemble de lois et de règlements; mais il faut qu'on sache que les Wisigoths l'emportèrent sur les peuples barbares convertis au christianisme, sans excepter les Francs, fils aînés de l'Église, par le nombre et l'importance de leurs écoles, par le soin apporté à la formation des bibliothèques. Cette civilisation, cette supériorité que je constatée chez les Wisigoths, est due principalement à l'action des évêques, qui sont les guides de la nation dans les conciles de Tolède, assemblées nationales à la fois politiques et religieuses, premières cortès ou états généraux du royaume. On y traitait d'abord des affaires ecclésiastiques, et les laïques n'étaient là que comme témoins; mais ils délibéraient avec les évêques sur les affaires temporelles. Les actes de ces conciles, dont le dix-huitième fut tenu sept ans avant l'invasion des Arabes, forment une des sources les plus sûres et les plus importantes de notre histoire. Eh bien, le second concile , en 527, établit une école ecclésiastique dans chaque évêché; le quatrième, en 633, disait : « L'ignorance, mère de toutes les erreurs, doit être évitée surtout par les prêtres du Seigneur.»
Chaque monastère avait une école et une collection de manuscrits. Et si saint Isidore de Séville détourna les moines de s'occuper de la littérature païenne, ce n'était pas qu'il en condamnât l'étude; mais il voulait que le religieux fût absorbé par celle de la science sacrée. Ses propres écrits, ce qu'il dit de l'organisation des bibliothèques, montrent avec quelle avidité on rassemblait en Espagne tous les trésors de l'esprit humain. Il y avait une bibliothèque royale, et les rois Sisebuth, Recessuind, s'occupaient des belles-lettres. Celui-ci fit revoir par Braulion, évêque de Saragosse, le poëme de Dracontius sur l'Hexameron ou l'œuvre des six jours de la création. Sisebuth écrivit lui-même la Vie de saint Desiderius ; et saint Isidore lui dédia, comme à un juge compétent, son ouvrage sur la Nature des choses. Il envoya Tajo, évêque de Saragosse, tout exprès à Rome pour avoir un exemplaire des Morales du pape saint Grégoire le Grand.
Longtemps avant lui, on avait vu saint Donat rapporter d'Afrique une cargaison de manuscrits. Aussi l'Espagne wisigothe nous présente une liste fort honorable de Pères et d'écrivains ecclésiastiques. Jean, évêque de Gerundum, fondateur du couvent de Biclare, continue la Chronique de l'Africain Victor de Tune; la persécution du roi arien Léovigilde l'avait retenu dix-sept ans à Constantinople; mais, wisigoth de naissance, il avait profité de son exil pour apprendre le grec et le latin. Maxime, évêque de Saragosse, écrivit l'histoire de l'Espagne sous les Wisigoths, ouvrage malheureusement perdu; l'évêque de Tolède, Julien, nous a laissé le récit d'une expédition militaire du roi Wamba. Saint Léandre (540-596), évêque de Séville, romain d'origine, fut aussi exilé par Léovigilde pour avoir converti plusieurs princes wisigoths; il revint d'Orient, et donna les instructions de la foi catholique à Récarède, l'héritier du trône.
Ses écrits sur la vie religieuse des femmes et le bien de l'Église, ses travaux liturgiques, montrent qu'il unissait la science à la sainteté. Il fut, ce n'est pas la moindre de ses gloires, le maître de son frère saint Isidore, qui lui succéda sur le siège de Séville (601-636). Phare lumineux allumé par la Providence pour éclairer l'Occident durant cette période encore troublée de la chute du monde romain, saint Isidore, docteur de l'Église, est un génie encyclopédique qui résume dans ses ouvrages la science tant sacrée que profane de l'époque où il a vécu. Ses vingt livres des Étymologies, où, en expliquant les mots, il entre fort avant dans la connaissance des choses; ses commentaires de l'Écriture, son traité des Écrivains ecclésiastiques, sa Chronique depuis Adam jusqu'en 626, comme ses autres ouvrages, témoignent d'une érudition égale à sa piété.
Citons encore le wisigoth saint Ildefonse, archevêque de Tolède, son disciple, son continuateur et son biographe; saint Julien, meurt sur le siège de Tolède en 690; saint Braulion, évêque de Saragosse, dont saint Isidore a dit : « Il releva l'Espagne tombée en décadence; il rétablit les monuments anciens, et nous préserva de la rusticité et de la barbarie;» Tajon, son successeur, qui forma une Chaîne d'or de passages empruntés aux ouvrages des saints Pères; Paul, diacre de Mérida ; saint Martin de Dume, et tant d'autres dont le nom et les œuvres ont péri sous le flot sanglant de l'invasion musulmane. S'agit-il des beaux-arts? Les monuments de sculpture et de peinture font défaut pour juger de la civilisation des Wisigoths sous ce rapport; mais leur monarchie n'a subsisté au sein du catholicisme que l'espace d'un siècle et demi; et ce n'est pas dans ce court espace de temps que des arts si difficiles et si lents à se développer peuvent beaucoup progresser chez un peuple encore jeune. Quant à l'architecture, quelques églises des Asturies et, dans mon opinion personnelle, Sainte-Léocadie de Tolède; les constructions militaires que nous avons ici sous les yeux, comme en France les puissantes murailles de Carcassonne et d'autres villes où les Wisigoths ont laissé trace de leur passage; les exclamations poussées par les Arabes émerveillés à la vue des palais et des églises, ornements des villes dont ils s'emparaient ; tout, en un mot, concourt à nous donner une idée assez favorable du mérite des monuments publics de l'Espagne aux 6 eme et 7 eme siècles.
Concluons donc, mes amis, que l'Espagne wisigothe était un pays sorti de la barbarie, et déjà riche des trésors de la civilisation en tout genre, lorsque les hordes musulmanes commencèrent à l'envahir, par Algésiras et Gibraltar, en 711 et les années suivantes.
« Mais, demanda William, comment se fait-il que ces hordes aient renversé la monarchie wisigothe? Et comment expliquer ensuite l'incontestable grandeur du règne des Maures en Espagne du 8 eme au 15 eme siècle? Débarqués en 711 pour la première fois, ils possédèrent en souveraineté une étendue plus ou moins considérable du territoire espagnol jusqu'à la prise de Grenade par Ferdinand et Isabelle, en 1492. »
Voici la réponse à ces deux questions. Les Wisigoths ont succombé à l'invasion de conquérants parce que la monarchie wisigothe n'était pas héréditaire, mais élective, et qu'elle devenait ainsi pour la nation une cause d'affaiblissement et de ruine, au lieu d'en constituer et d'en accroître la force. La couronne se trouvait offerte à l'ambition et aux intrigues des grands; de là les rivalités, les divisions, les haines, qui ont préparé des traîtres disposés à vendre la patrie à l'étranger pour satisfaire leurs passions personnelles. C'est la trahison d'un gouverneur de Septa ou Ceuta, à la côte d'Afrique, qui procura aux Arabes le passage du détroit et l'entrée de la Péninsule. Ils la trouvèrent pleine de troubles et de partis : les uns tenant pour les fils de Witiza, les autres pour le roi Rodrigue. Ajoutez à cela la différence des races anciennes non encore fondues avec la race gothique, et vous aurez une idée des circonstances qui affaiblirent les moyens de résistance chez les Wisigoths, et favorisèrent le succès chez les envahisseurs. Il faut noter enfin les perfides intrigues des juifs d'Espagne pour livrer le royaume aux Africains, intrigues rappelées en ces termes par le dix-septième concile de Tolède , en 694 : « Par d'autres crimes, non-seulement ils ont cherché à bouleverser l'Église, mais ils se sont efforcés, avec une audace inouïe, de causer la ruine de la patrie et du peuple entier.»
Enfin les traîtres s'imaginèrent d'abord que les Arabes, selon de fallacieuses promesses, se contenteraient d'une part du butin pour prix de leurs services; mais Tarek, et après lui Moussa, maîtres de l'Andalousie et de Tolède, s'installèrent en conquérants. Par une habile politique, ils firent avec les vaincus une convention qui, en assurant à ceux-ci une certaine liberté dans l'exercice de la religion et dans la vie privée, les disposait à renoncer plus facilement à l'indépendance politique, au gouvernement faible et toujours agité des rois électifs. Toutefois une partie des Goths, refoulée dans les Asturies, s'y organisa en royaume sous la conduite de Pélage, prince de sang royal, et sous la protection de la Vierge et des saints dont ils avaient pieusement emporté les reliques.
Pélage (mort en l`an 737 Ap J.C.) - Le prince Wisigoths qui réorganise les Chrétiens dans les Asturies après la conquête islamique.
Avant de prendre congé de notre hôte et de la vieille capitale des Goths et des anciens rois de Castille, nous allâmes visiter la fabrique située à quelque distance, au bord du Tage.
TOLÈDE.- L'ESPAGNE SOUS LES ROMAINS.- LES WISIGOTHS.
Tranquillement assis au pied des orangers de la casa de campo, où notre hôte nous avait offert une confortable réfection, nous devisions au clair de lune sur les destinées de l'Espagne. La nuit augmentait le parfum des fleurs que nous apportait une brise molle et encore tiède. Comment notre pensée n'aurait-elle pas erré d'elle-même sur les âges de l'histoire? A travers les ombres transparentes de ces nuits d'Espagne, lumineuses comme les jours du pôle, nous distinguions à nos pieds le cours du Tage, la plazuela de las Barcas, dont le nom rappelle que, sous le règne de Philippe II, les barques allaient encore jusqu'à Lisbonne; devant nous, la Vega, des couvents en ruine, des cimetières, l'emplacement de la basilique wisigothique de Sainte-Léocadie, les ondulations de terrain qui marquent l'ancien amphithéâtre des Romains ; à droite, les vieilles et très hautes murailles de la ville, et sa brune silhouette sur laquelle semblaient planer les génies des peuples qui l'ont possédée tour à tour.
« Plus je vois l'Espagne, dit mon ami William en s'adressant spécialement à notre hôte, plus je l'estime et plus je l'aime. Il y a chez elle tant de patriotisme et de foi! Dieu l'a tant favorisée ! Je ne sais quelle pénétrante poésie souffle encore ici de toutes parts ; je la sens jusque dans les noms propres de son histoire et de sa géographie.»
La péninsule hispanique, peuplée d'Ibères, de Celtes et de Celtibères, reçut longtemps avant Jésus Christ des colonies de Phéniciens, de Grecs et de Carthaginois, attirés par ses richesses de toute nature. Ils y échangeaient les produits de l'Orient, spécialement contre les métaux, l'or, l'argent, le fer. Aristote, par une exagération qui prouve du moins l'abondance des mines du pays, raconte que les Phéniciens à Tartessus (Tarifa selon quelques-uns) acquirent une si grande quantité d'argent, que leurs vaisseaux ne purent l'emporter tout entière et que leurs ancres étaient du même métal. Ils s'installèrent à Cadix, à Malaga, à Cordoue même, à Carteja, dont les ruines sont voisines de Gibraltar et que plusieurs prennent pour l'ancienne Tharsis de la sainte Écriture. Les Grecs et les Phocéens fréquentèrent les côtes de Catalogne, de Valence, et y firent quelques installations.
Les colonies phéniciennes ( Liban actuel) en Espagne et autour de la Méditerranée vers l`an 600 Av Jésus-Christ
Les colonies grecques en Espagne, en Italie, en Afrique et en Asie vers 500 Av J.C..
Marseille ( Massalia) en France – une colonie grecque au commencement.
Les Carthaginois aspirèrent à se rendre maîtres de toute la contrée. Ils assirent fortement leur domination en Bétique, l'Andalousie moderne, et le progrès de leurs armes s'étendit peu à peu. Toutefois ce n'est guère que deux cent vingt-cinq ans avant Jésus Christ, sous les gouverneurs Hamilcar, père d'Annibal, et Asdrubal, fondateur de Carthagène, que la colonisation prit le caractère d'une conquête générale de la Péninsule. Les peuplades indépendantes de l'intérieur et les colonies grecques implorèrent le secours de Rome, dont la rivalité avec Carthage avait éclaté déjà dans la première guerre punique. Elles obtinrent l'alliance qu'elles désiraient.
Expédition des armées de Carthage en Espagne et en Italie vers 219 Av J.C. Carthage est une ancienne colonie phénicienne en Afrique devenue très puissante.
Mais Annibal, à la tête de cent cinquante mille hommes, marcha contre Sagonte, dont la chute ouvrit à Annibal, en 219 avant Jésus-Christ, le chemin des Pyrénées. Les Romains vinrent, mais trop tard, combattre les Carthaginois en Espagne. En quelques années de guerre (210-206), presque aussi glorieuses pour Scipion l'Africain que ses hauts faits en Afrique, ils chassèrent leurs rivaux de la Péninsule ; mais les indigènes, au lieu de libérateurs, avaient trouvé de nouveaux maîtres. Les peuplades celtibères, lusitaniennes et d'autres de la famille celtique, s'insurgèrent perpétuellement pour rendre au pays son indépendance. L'Espagne était romaine pour cinq siècles encore, malgré l'indépendance gardée par des peuplades indomptables de montagnards.
La Péninsule devint ensuite le théâtre de la lutte entre César et le fils aîné de Pompée, qui succomba enfin devant le courage et le prodigieux génie militaire de son rival; Sextus Pompée, battu dans les plaines de Munda. Sous les empereurs romains, l'Espagne suit la fortune de l'empire; car, depuis Octave, malgré les révoltes partielles des Astures et des Cantabres et l'énergique résistance de certaines régions de la Navarre, inaccessibles aux aigles romaines, le sceptre impérial s'étendit sur tous ces peuples jusque-là indépendants ou simplement alliés de Rome.
Bataille de Munda en Espagne remporté par les légions de Jules César lors de la guerre civile romaine entre Jules César et Pompée en 45 Av J.C.
Alors commence, trente-huit ans avant Jésus-Christ, l'ère espagnole. La civilisation s'est épanouie en Espagne depuis les premiers temps de l'empire; la lumière et les institutions du christianisme l'ont purifiée des erreurs et des vices de l'idolâtrie; les barbares du Nord, qui franchirent les Pyrénées, ont éprouvé l'heureuse influence de cette civilisation qu'ils ont troublée, mais qu'ils n'ont pas détruite; et c'est encore à elle que les Maures, ces autres barbares du Sud venus par le détroit, sont redevables de presque toute leur gloire.
Sous César Auguste, au temps de Notre-Seigneur, voyez : les routes ouvrent des communications à travers tout le pays, des ponts nombreux sont jetés sur les rivières, de nouvelles colonies romaines sont fondées, centres populeux et doués d'une force prodigieuse d'attraction et d'assimilation pour les indigènes. Si quelques chefs de bande comme Caracota, favorisés par les accidents de notre territoire si propre aux insurrections, lèvent l'étendard contre les aigles étrangères, les séductions de l'or et des dignités romaines en font des sujets dociles et des instruments de l'empire. C'est l'Espagne elle-même qui lui donne, qui donne au monde Trajan, Adrien, Marc-Aurèle, les meilleurs maîtres qu'ait eus l'empire avant Constantin. Ils ne pouvaient négliger leur pays ; aussi l'on y voit fleurir les arts de la paix. Les routes et les monuments publics se multiplient.
L`Espagne, province romaine au temps de la naissance de Jésus-Christ ( Hispania)
La province de Tarragone contenait douze colonies; la Bétique, neuf; la Lusitanie, répondant à peu près au Portugal actuel, cinq, sans parler des municipes, des villes libres et des autres centres de population classés selon leurs privilèges et d'après l'organisation administrative de l'empire, jusqu'à l'époque où Antonin déclara citoyens de Rome tous les citoyens soumis à son sceptre. Les indigènes entrèrent largement en participation des honneurs et des charges publiques, et la fusion s'établit assez entre eux et les Romains pour que trois légions romaines, c'est-à dire environ dix-huit mille hommes, maintinssent l'obéissance et la sécurité dans ces vastes provinces.
Mieux peut-être que les monuments et la puissante organisation administrative du pays, les noms des grands hommes fournis par l'Espagne de cette époque à la science et aux lettres prouvent qu'elle était bien dégagée des ténèbres de la barbarie. Sénèque le Tragique, Quintilien le rhéteur, les poètes Lucain et Martial, le docte Columelle, sont Espagnols. Pline le Naturaliste, dont le témoignage est considérable, nous apprend que l'agriculture n'y était pas moins avancée que l'architecture et les autres arts. Il vante la richesse du sol et la magnificence des récoltes en blé, en huiles, en fruits; les fines toisons des innombrables troupeaux de Bétique, la beauté des vignes et le mérite des vins d'Espagne, qui ne le cédaient point aux meilleurs d'Italie. De nombreuses mines étaient en exploitation, et leurs produits, comme ceux des manufactures, allaient augmenter dans les ports une activité commerciale que Carthage n'avait pas surpassée.
Columelle, l'auteur du livre célèbre De re rustica, qui traite de toutes les parties de l'agriculture et de l'économie rurale, était de Cadix. Grand propriétaire, il dirigeait lui-même la culture de ses fermes, et il nous parle d'un de ses oncles, riche agriculteur également, qui fit venir de Mauritanie des béliers à laine fine pour améliorer les troupeaux d'Espagne; et de là peut-être les mérinos, cette précieuse race de moutons que vous ne connaissez en France que depuis Louis XIII, mais qui, depuis des siècles, est une des principales richesses de mon pays.
Aqueduc construit par les romains en Espagne
Les Wisigoths, envahisseurs de l'Espagne au 5 eme siècle, conservèrent infiniment mieux qu'on ne le suppose l'héritage des Romains. Mais ce qu'ils y trouvèrent de plus précieux, ce fut la religion catholique, qui s'y était implantée depuis le temps des apôtres avec une vigueur dont vous pouvez juger encore aujourd'hui par la sève de l'arbre. Évangélisée, comme vous le savez, par plusieurs des apôtres eux-mêmes, l'Espagne eut aussitôt de grands évêques et des martyrs sans nombre, signe de l'alliance consommée entre l'Évangile et tout ce qu'il y a de pur dans l'antique civilisation.
A la chute de l`empire romain l`Espagne est envahie par les tribus barbares des Wisigoths qui établissent leur Royaume vers l`an 467 Ap J.C.
Roderic, roi des Wisigoths en Espagne (688 a 711 Ap J.C.)
Et voyez comme l'Espagne entière y est comprise, comme chacune de ses principales cités vous offre son héros chrétien, son docteur, son martyr : c'est Tarragone et l'évêque
Fructuose, jeté dans les flammes avec Eulogius et Augurius; c'est Evora, nommée alors Ebura, et Colombe la vierge; c'est Tolède et saint Eugène, son premier évêque, et sainte Léocadie, ce lis éclatant de blancheur au milieu des ronces de l'immonde gentilité; c'est Complutum ou Alcala de Hénarès, et les saints Just et Pastor; c'est Abula, maintenant Avila, et saint Vincent avec les frère et soeur Christèle et Sabine; c'est Oretum, aujourd'hui Calatrava, et les soldats martyrs Euretrius et Caledonius; c'est Burgos, alors Bravum Burgi, et ses vierges Hélène et Centola ; c'est Léon ou Legio Septimagemina, et Mancellus, immolé avec sa femme et ses filles; c'est Astorga, Asturica Augusta, et sa vierge Martha, qui unit les roses du martyre aux lis de la pureté : c'est Orense, Aquae Origines, et les saintes Marina et Euphemia ; c'est Braga, Bracara Augusta, empourprée du sang de sainte Susanne et des saints Victor et Silvestre ; c'est Lisbonne, Olisippo ou Felicitas Julia des Romains, avec les saints Verissimus, Manimus, sainte Julie et toute une pléiade d'autres martyrs; c'est Mérida, Emerita Augusta, avec une phalange non moins éclatante, qui compte les héroïques femmes Eulalie et Julia; c'est Cordoue, Corduba, noyée dans le sang de ses fils chrétiens; comme Cadix, Malaga (Malaca), Gironne (Gerunda), Barcelone (Barcino) et Lérida (Herda); c'est encore Séville, Hispalis ou Julia Romula, et les soeurs Juste et Rufine, les pieuses marchandes de gargoulettes en terre cuite; c'est enfin et surtout Caesarea Augusta, dont le nom est devenu par corruption Saragosse, cette ville que le poète espagnol Prudence appelle la patrie des martyrs : patria sanctorum martyrum.
Saint Fructueux de Tarragone, en latin Fructuosus, vers l`an 259 Ap J.C, a été évêque de Tarragone et un des martyrs les plus anciens documentés de la péninsule Ibérique. Euloge et Augure étaient les deux diacres de l’évêque qui ont été martyrisés avec lui dans les persécutions des empereurs romains contre l`Église.
Sainte Léocadie de Tolède - vierge et martyre, célèbre par sa confession du Christ vers l`an 304 Ap J.C dans les persécutions des empereurs romains contre l`Église.
Entre tous, le monde chrétien a distingué de bonne heure le diacre Vincent, cet apologiste de la foi auquel des tourments inouïs ne purent arracher une plainte; du temps de saint Augustin, toutes les Églises célébraient sa mémoire. L'Église d'Espagne ne versait pas seulement le sang de ses veines, elle répandait à flots la lumière : le concile d'Elvire ou d'Illyberis, près de Grenade, réuni en 303, démentait l'inscription fameuse tracée sur un monument d'Espagne par les persécuteurs Dioclétien et Maximien : « Les invincibles Césars, en actions de grâces pour la suppression et l'anéantissement de la superstition chrétienne obtenus par leur pieuse sollicitude. »
Mais les vingt évêques, d'autres disent quarante, rassemblés à ce concile prouvèrent de plus, par les quatre-vingts canons de discipline dressés en cette circonstance, que l'Église d'Espagne travaillait avec énergie à détruire les superstitions et à maintenir les moeurs chrétiennes. L'un d'eux, Osius, évêque de Cordoue, aura la gloire de présider, au nom du pape, en 325, le concile de Nicée, le premier des conciles universels.
Dans le cours du même siècle, le poète Juvencus composait ses Histoires évangéliques; Prudence, son traité Des Péchés et des Vertus et ses Hymnes, où l'Église a choisi des chants liturgiques. Paul Orose de Tarragone écrivait l'histoire du monde sous l'inspiration de son maître saint Augustin; et son parent Lucius Dexter, fils de saint Pacien de Barcelone, composait ses Chroniques; Idacius Clarus, évêque de Mérida, et un autre du même nom, évêque de Chaves ou Aquæ Flaviæ en Portugal, publiaient de savants traités pour la défense de la foi. Au v° siècle, Dracontius honorait le sacerdoce, et chantait sur la lyre chrétienne la création du monde; le moine Bacchiarius composait des opuscules où l'on entrevoit une érudition peu commune. Gardez-vous de croire, chers amis, que le grand édifice de la civilisation élevé en Espagne par les Romains et par les pontifes chrétiens ait croulé de fond en comble sous les coups des barbares qui passèrent les Pyrénées au v° siècle, de telle sorte que les Maures auraient eu à le relever de ses ruines au VIII°. Il n'en fut point ainsi.
Les Wisigoths ou Goths de l'ouest, venus des bords de la Vistule, fondent, de 410 à 450, un royaume qui s'étend entre la Loire et l'Èbre, avec Toulouse pour capitale; Clovis, vers 507, les refoule au pied des Pyrénées, et ils s'étendent en Espagne, où ils choisissent Tolède pour capitale. Ils n'étaient point aussi barbares que les autres tribus germaniques encore idolâtres; car ils avaient embrassé l'arianisme dès le IV° siècle et reçu le baptême; leur évêque Ulphilas avait traduit la Bible en gothique, idiome dont l'Espagne ne conserve, du reste, aucun monument. Or telle est la loi providentielle et la force morale de l'Évangile, qu'un lambeau de christianisme suffit pour élever un peuple, sous le rapport moral, bien au dessus du niveau de la barbarie païenne.
Aussi, les Goths eurent-ils les premiers d'entre les barbares des lois écrites au lieu de simples coutumes; et leurs premiers rois encore ariens (une hérésie chrétienne), Euric, Alaric II, adoptèrent les lois romaines, comme le montre le code ou Bréviaire d'Alaric, emprunté presque tout entier au Code théodosien. Quand le roi Chindasuind, vers 652, abrogea la loi romaine pour y substituer son code, appelé Fuero Juzgo (Forum Judicum), que son fils Recessuind compléta, il y laissa prédominer les édits impériaux et des principes chrétiens qu'on ne retrouve pas en général dans les codes barbares du moyen âge. D'ailleurs la monarchie wisigothe était devenue catholique depuis Récarède 1, converti vers 589 par saint Léandre de Séville, et sous cette influence la législation ne pouvait se dégrader. L'Église n'avait pas été victime des conquérants ariens; elle s'était maintenue partout, et, une fois unie à la monarchie par la conversion des princes, elle les fit marcher rapidement dans la voie de tous les progrès.
Bréviaire ou Code d`Alaric - Espagne - 506 Ap J.C. - Basé sur les lois romaines chrétiennes du Code théodésien
Il n'est plus étonnant qu'au texte même de la loi le Fuero Juzgo ajoute des exhortations morales, des dispositions sur le droit, sur la société; ce ne sont plus les coutumes barbares, où un crime est plus ou moins grave selon la race à laquelle appartient le coupable, ou selon la race de la victime; la loi wisigothe s'applique au territoire, et elle est égale pour tous les peuples qui l'habitent, conquérants ou conquis ; la preuve devant les tribunaux est donnée par témoins, au lieu que les barbares s'en référaient au duel entre les parties opposées; on pouvait en appeler à l'évêque de la sentence du juge, et ils révisaient ensemble le procès, ou bien l'évêque le revoyait seul, au refus du juge; la défense des pauvres et des esclaves en justice était assurée contre les puissants; et, bien loin d'avoir droit de vie et de mort sur son esclave, comme dans la loi de Rome païenne, le maître était puni de peines très-sévères s'il lui ôtait la vie sans qu'un jugement public eût constaté un crime et porté la sentence capitale. La vie et l'honneur de l'esclavage sont protégés au point que l'esclavage se transforme en simple servage. Les barbares considéraient moins, dans le crime, le mal moral que le dommage qu'il avait causé; voilà pourquoi on rachetait l'homicide et d'autres crimes pour une somme d'argent; mais la loi wisigothe considère plutôt le mal moral en lui-même, et n'admet point ces rachats. Les personnes emprisonnées et reconnues ensuite innocentes étaient indemnisées pour la peine préventive qu'elles avaient soufferte. Les lois sur l'indissolubilité et la sainteté du mariage, sur l'héritage partagé entre les enfants, filles et garçons; sur l'autorité maternelle égale à celle du père, sur cent autres points qu'il serait trop long d'énumérer, attestent, je le répète, une sagesse toute chrétienne, et qui fait à juste titre l'admiration des esprits éclairés.
Si les Maures ont fait progresser quelque chose en Espagne, ce n'est pas la législation ! Serait-ce par hasard l'agriculture? Mais elle tomba d'autant moins en décadence que les enfants, partageant également l'héritage paternel, étaient intéressés, par ce morcellement du sol, à en cultiver toutes les parcelles. Cassiodore, qui écrivait vers 550, nous apprend que l'Espagne exportait ses denrées en Italie et en Afrique; et le gouvernement eut à se plaindre, comme on le voit dans le recueil des lois wisigothes, de ce que les propriétaires attachaient à l'agriculture un intérêt qui privait la patrie des défenseurs armés dont elle avait besoin.
Ouvrez ce recueil, et vous y trouverez que les propriétés sont circonscrites et préservées par des bornes et des rangées d'arbres; que les troupeaux sont parqués dans des enceintes fermées de fossés ou de haies vives; que le pacage est interdit à certaines époques pour laisser croître les prés. On cultivait la vigne, l'olivier, les arbres fruitiers, et, remarquez-le bien, on plantait des forêts. Les Wisigoths comprirent si bien le prix des arbres, tant détruits par les Maures et qui font si malheureusement défaut à une grande étendue du territoire espagnol, qu'ils défendirent aux voyageurs d'en abattre aucun sans la permission du propriétaire, et que les peines suivantes, d'après lesquelles on peut juger de l'estime accordée aux diverses essences, furent édictées contre les destructeurs d'arbres : pour un arbre fruitier, l'amende est de trois sous; pour un olivier, de cinq; pour un grand chêne, deux sous; pour un petit, un sou; pour les autres espèces, deux sous. Le solidus ou le sou représentait une valeur assez élevée.
Celui qui endommageait un cep de vigne était tenu d'en replanter deux. Des lois réglaient aussi l'éducation des bestiaux. Les abeilles, fort appréciées de tout temps en Espagne, où l'on consomme pour le culte une énorme quantité de cire, étaient si estimées par les Wisigoths, que le voleur d'abeilles payait neuf fois la valeur de l'objet, et recevait en outre cinquante coups de fouet. Les canaux artificiels étaient multipliés, ainsi que les écluses et les moulins, et la loi veillait à l'équitable répartition des eaux. Une haute prudence avait dressé des règlements pour la chasse de la bête fauve, pour l'usage de l'arc et du filet, pour les pièges tendus dans les lieux déserts. Le commerce n'était pas moins protégé; et l'exportation des esclaves était sagement interdite.
Je ne veux pas insister sur cet ensemble de lois et de règlements; mais il faut qu'on sache que les Wisigoths l'emportèrent sur les peuples barbares convertis au christianisme, sans excepter les Francs, fils aînés de l'Église, par le nombre et l'importance de leurs écoles, par le soin apporté à la formation des bibliothèques. Cette civilisation, cette supériorité que je constatée chez les Wisigoths, est due principalement à l'action des évêques, qui sont les guides de la nation dans les conciles de Tolède, assemblées nationales à la fois politiques et religieuses, premières cortès ou états généraux du royaume. On y traitait d'abord des affaires ecclésiastiques, et les laïques n'étaient là que comme témoins; mais ils délibéraient avec les évêques sur les affaires temporelles. Les actes de ces conciles, dont le dix-huitième fut tenu sept ans avant l'invasion des Arabes, forment une des sources les plus sûres et les plus importantes de notre histoire. Eh bien, le second concile , en 527, établit une école ecclésiastique dans chaque évêché; le quatrième, en 633, disait : « L'ignorance, mère de toutes les erreurs, doit être évitée surtout par les prêtres du Seigneur.»
Chaque monastère avait une école et une collection de manuscrits. Et si saint Isidore de Séville détourna les moines de s'occuper de la littérature païenne, ce n'était pas qu'il en condamnât l'étude; mais il voulait que le religieux fût absorbé par celle de la science sacrée. Ses propres écrits, ce qu'il dit de l'organisation des bibliothèques, montrent avec quelle avidité on rassemblait en Espagne tous les trésors de l'esprit humain. Il y avait une bibliothèque royale, et les rois Sisebuth, Recessuind, s'occupaient des belles-lettres. Celui-ci fit revoir par Braulion, évêque de Saragosse, le poëme de Dracontius sur l'Hexameron ou l'œuvre des six jours de la création. Sisebuth écrivit lui-même la Vie de saint Desiderius ; et saint Isidore lui dédia, comme à un juge compétent, son ouvrage sur la Nature des choses. Il envoya Tajo, évêque de Saragosse, tout exprès à Rome pour avoir un exemplaire des Morales du pape saint Grégoire le Grand.
Longtemps avant lui, on avait vu saint Donat rapporter d'Afrique une cargaison de manuscrits. Aussi l'Espagne wisigothe nous présente une liste fort honorable de Pères et d'écrivains ecclésiastiques. Jean, évêque de Gerundum, fondateur du couvent de Biclare, continue la Chronique de l'Africain Victor de Tune; la persécution du roi arien Léovigilde l'avait retenu dix-sept ans à Constantinople; mais, wisigoth de naissance, il avait profité de son exil pour apprendre le grec et le latin. Maxime, évêque de Saragosse, écrivit l'histoire de l'Espagne sous les Wisigoths, ouvrage malheureusement perdu; l'évêque de Tolède, Julien, nous a laissé le récit d'une expédition militaire du roi Wamba. Saint Léandre (540-596), évêque de Séville, romain d'origine, fut aussi exilé par Léovigilde pour avoir converti plusieurs princes wisigoths; il revint d'Orient, et donna les instructions de la foi catholique à Récarède, l'héritier du trône.
Ses écrits sur la vie religieuse des femmes et le bien de l'Église, ses travaux liturgiques, montrent qu'il unissait la science à la sainteté. Il fut, ce n'est pas la moindre de ses gloires, le maître de son frère saint Isidore, qui lui succéda sur le siège de Séville (601-636). Phare lumineux allumé par la Providence pour éclairer l'Occident durant cette période encore troublée de la chute du monde romain, saint Isidore, docteur de l'Église, est un génie encyclopédique qui résume dans ses ouvrages la science tant sacrée que profane de l'époque où il a vécu. Ses vingt livres des Étymologies, où, en expliquant les mots, il entre fort avant dans la connaissance des choses; ses commentaires de l'Écriture, son traité des Écrivains ecclésiastiques, sa Chronique depuis Adam jusqu'en 626, comme ses autres ouvrages, témoignent d'une érudition égale à sa piété.
Citons encore le wisigoth saint Ildefonse, archevêque de Tolède, son disciple, son continuateur et son biographe; saint Julien, meurt sur le siège de Tolède en 690; saint Braulion, évêque de Saragosse, dont saint Isidore a dit : « Il releva l'Espagne tombée en décadence; il rétablit les monuments anciens, et nous préserva de la rusticité et de la barbarie;» Tajon, son successeur, qui forma une Chaîne d'or de passages empruntés aux ouvrages des saints Pères; Paul, diacre de Mérida ; saint Martin de Dume, et tant d'autres dont le nom et les œuvres ont péri sous le flot sanglant de l'invasion musulmane. S'agit-il des beaux-arts? Les monuments de sculpture et de peinture font défaut pour juger de la civilisation des Wisigoths sous ce rapport; mais leur monarchie n'a subsisté au sein du catholicisme que l'espace d'un siècle et demi; et ce n'est pas dans ce court espace de temps que des arts si difficiles et si lents à se développer peuvent beaucoup progresser chez un peuple encore jeune. Quant à l'architecture, quelques églises des Asturies et, dans mon opinion personnelle, Sainte-Léocadie de Tolède; les constructions militaires que nous avons ici sous les yeux, comme en France les puissantes murailles de Carcassonne et d'autres villes où les Wisigoths ont laissé trace de leur passage; les exclamations poussées par les Arabes émerveillés à la vue des palais et des églises, ornements des villes dont ils s'emparaient ; tout, en un mot, concourt à nous donner une idée assez favorable du mérite des monuments publics de l'Espagne aux 6 eme et 7 eme siècles.
Concluons donc, mes amis, que l'Espagne wisigothe était un pays sorti de la barbarie, et déjà riche des trésors de la civilisation en tout genre, lorsque les hordes musulmanes commencèrent à l'envahir, par Algésiras et Gibraltar, en 711 et les années suivantes.
« Mais, demanda William, comment se fait-il que ces hordes aient renversé la monarchie wisigothe? Et comment expliquer ensuite l'incontestable grandeur du règne des Maures en Espagne du 8 eme au 15 eme siècle? Débarqués en 711 pour la première fois, ils possédèrent en souveraineté une étendue plus ou moins considérable du territoire espagnol jusqu'à la prise de Grenade par Ferdinand et Isabelle, en 1492. »
Voici la réponse à ces deux questions. Les Wisigoths ont succombé à l'invasion de conquérants parce que la monarchie wisigothe n'était pas héréditaire, mais élective, et qu'elle devenait ainsi pour la nation une cause d'affaiblissement et de ruine, au lieu d'en constituer et d'en accroître la force. La couronne se trouvait offerte à l'ambition et aux intrigues des grands; de là les rivalités, les divisions, les haines, qui ont préparé des traîtres disposés à vendre la patrie à l'étranger pour satisfaire leurs passions personnelles. C'est la trahison d'un gouverneur de Septa ou Ceuta, à la côte d'Afrique, qui procura aux Arabes le passage du détroit et l'entrée de la Péninsule. Ils la trouvèrent pleine de troubles et de partis : les uns tenant pour les fils de Witiza, les autres pour le roi Rodrigue. Ajoutez à cela la différence des races anciennes non encore fondues avec la race gothique, et vous aurez une idée des circonstances qui affaiblirent les moyens de résistance chez les Wisigoths, et favorisèrent le succès chez les envahisseurs. Il faut noter enfin les perfides intrigues des juifs d'Espagne pour livrer le royaume aux Africains, intrigues rappelées en ces termes par le dix-septième concile de Tolède , en 694 : « Par d'autres crimes, non-seulement ils ont cherché à bouleverser l'Église, mais ils se sont efforcés, avec une audace inouïe, de causer la ruine de la patrie et du peuple entier.»
Enfin les traîtres s'imaginèrent d'abord que les Arabes, selon de fallacieuses promesses, se contenteraient d'une part du butin pour prix de leurs services; mais Tarek, et après lui Moussa, maîtres de l'Andalousie et de Tolède, s'installèrent en conquérants. Par une habile politique, ils firent avec les vaincus une convention qui, en assurant à ceux-ci une certaine liberté dans l'exercice de la religion et dans la vie privée, les disposait à renoncer plus facilement à l'indépendance politique, au gouvernement faible et toujours agité des rois électifs. Toutefois une partie des Goths, refoulée dans les Asturies, s'y organisa en royaume sous la conduite de Pélage, prince de sang royal, et sous la protection de la Vierge et des saints dont ils avaient pieusement emporté les reliques.
Pélage (mort en l`an 737 Ap J.C.) - Le prince Wisigoths qui réorganise les Chrétiens dans les Asturies après la conquête islamique.
Avant de prendre congé de notre hôte et de la vieille capitale des Goths et des anciens rois de Castille, nous allâmes visiter la fabrique située à quelque distance, au bord du Tage.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
CHAPITRE V
MADRID, - LE CULTE DE LA VIERGE EN ESPAGNE.
J'aime l'Espagne, mais peu Madrid. Pourquoi ? C'est que Madrid n'a pas d'histoire, et possède par conséquent peu de monuments. Qui dit monument dit souvenir, selon l'étymologie du mot monumentum, dérivé de monere, avertir. Mais quels souvenirs peut garder Madrid? Dans les grandes luttes contre les Maures, c'est une obscure forteresse pour la défense du Mançanarès; puis un simple manoir pour les rois de Castille; et Philippe II ne l'adopta comme siège de la cour qu'en 1563. C'est donc une ville moderne. Il est vrai qu'elle s'est efforcée de suppléer à la noblesse, à l'hildalguia des antiques cités espagnoles, par sa fidélité aux souverains qui ont su le mieux s'identifier avec la nation; ses rois ont également senti qu'il fallait la relever en face des capitales qu'elle détrônait; Charles-Quint l'a proclamée imperial y coronada; et Ferdinand VII ajouta muy heroica, très-héroïque, parce qu'elle siffla Murat en 1808, ferma ses portes à Napoléon, et regarda constamment d'un oeil oblique son frère le roi Joseph.
Mais encore les titres sonores ne suffisent pas. Les souverains ont donc élevé des édifices à Madrid. Philippe V, petit-fils de Louis XIV et chef de la maison des Bourbons d'Espagne, l'a dotée, en 1737, du Palacio real, qui a coûté près de quatre-vingts millions.
Je puis dire un mot des journaux espagnols. ( au 19 eme siècle) En général, ils valent mieux que les nôtres au point de vue de la logique et du raisonnement. Grâce à l'influence puissante et universelle de la foi catholique, les premiers principes, qui sont la base du bon sens, de la droite raison, n'ont pas encore fléchi en Espagne dans un aussi grand nombre d'esprits que parmi nous. Le sophisme, l'absurde, le paradoxe, le mensonge déhonté, qui défraient si souvent les colonnes des journaux impies et révolutionnaires de France, ont ici moins de chances de succès que nulle part ailleurs en Europe. Puisse durer cet heureux état de choses, et l'esprit public du pays qui a produit les sainte Thérèse, les Suarez, et tant de fermes théologiens, repousser avec mépris certaines feuilles d'où s'échappe une odeur nauséabonde, qui rappelle la presse des cabarets de France !
Comment se fait-il pourtant que les Espagnols, si fiers d'être eux-mêmes, eux, dont la littérature dramatique a été l'une des sources du théâtre français, eux les initiateurs de Corneille, ou plutôt de l'Europe; comment se fait-il qu'ils s'abaissent à traduire, pour leur théâtre et leurs feuilletons, tant de misérables productions de la France contemporaine ? Qu'ont-ils à faire de cette malsaine littérature? Autrefois Thomas Corneille leur emprunta toutes ses tragédies; Pierre Corneille prit le Cid de Guillaume de Castro, Héraclius de Calderon, le Menteur de Jean Alarcon, qui a composé la Verdad sospechosa (la Vérité suspecte); Molière doit à l'Espagne le Festin de Pierre; sa
Princesse d'Élide est calquée sur une pièce d'Augustin Moreno; et la Marianne de Voltaire est parente du Tetrarca de Jérusalem de Calderon, Les rôles sont bien changés; et l'on ne peut trop souhaiter qu'une réaction salutaire empêche la littérature espagnole de s'abâtardir et de s'embourber dans les piètres écrits de nos dramaturges et romanciers. Un trait caractéristique des journaux espagnols, c'est le Diario de las familias ou le Journal des familles, qui se trouve à la fin de chaque feuille. On y annonce le saint de chaque jour, les Quarante-Heures dans les églises, les offices particuliers des paroisses, et l'on y indique les prédicateurs qui doivent se faire entendre; mais tout cela pêle-mêle avec les pièces de théâtre et le nom des acteurs qui doivent jouer le soir.
Nous allons à Notre-Dame d'Atocha. Nous entrâmes dans l'église; qui est un monument de la piété de Charles-Quint, un sanctuaire comblé des offrandes de la maison royale d'Espagne. C'est à peine s'ils me laissèrent le temps d'achever une prière devant la célèbre image de la Vierge, qui brillait du feu des diamants au milieu des cierges, comme une splendide constellation parmi les étoiles d'un moins vif éclat.
Basilique de Nuestra Senora de Atocha a Madrid
En dehors de la chapelle et à la porte du cloître qui la précède, ils s'arrêtèrent plus volontiers à considérer la foule, et je copiai alors l'inscription en vers exposée pour la circonstance sur la façade de l'édifice, entre les feux de couleur, les tapisseries et les tableaux. Ces quelques strophes résument la légende de Notre-Dame d'Atocha, (basilica de nuestra señora de Atocha) et traduisent les sentiments enthousiastes de l'Espagne pour sa puissante patronne.
Gloria á la Virgen, para que en el cielo,
Donde moras feliz eternamente,
Alcanzas del Senor omnipotente
Para el pueblo espanol siempre consuelo !
« O Vierge, gloire à vous ! Du ciel où vous résidez, heureuse à jamais, obtenez du Dieu tout-puissant qu'il protège toujours le peuple espagnol. »
Les Espagnols, qui ont conservé jusqu'ici toute la fierté du caractère chrétien et leur entière liberté, ne font pas des calculs peu honorables, et ils se laissent aller à l'expansion naïve de la foi, de la confiance et de l'amour. J'aime à entendre, dans le silence des nuits, la voix des serenos, qui ajoutent une invocation à Marie au chant de l'heure et à l'annonce de l'état du ciel.
J'aime ces doux noms, ces noms harmonieux qui s'enchaînent comme des perles au registre de baptême des filles espagnoles : Maria, Encarnacion, Assuncion, Carmen, Concepcion, Dolores (je dis noms harmonieux, à la condition de faire sonner toutes les lettres selon la prononciation castillane); elles s'appellent encore du nom des images miraculeuses les plus vénérées dans leur patrie : Pilar, Africa, Soledad : Notre-Dame de la Solitude à Madrid, Notre-Dame du Pilier à Saragosse, Notre-Dame d'Afrique à Ceuta.
Pour l'Espagne, il semble que la Vierge soit multipliée par ses images; on l'invoque sous mille noms divers, et qui souvent à eux seuls font naître déjà dans les âmes une joie, une consolation, une espérance : c'est Nuestra-Senora de la Luz, Notre Dame de la Lumière, comme à Tarifa; Nuestra-Senora de los Desamparados, Notre-Dame des Abandonnés, comme à Valence; Nuestra-Senora de los Remedios, Notre-Dame du Remède, à Antequerra; Nuestra-Senora de Consolacion, à Utrera en Andalousie ; Notre-Dame de Grâce, à Alicante ; Notre Dame de Puybueno ou de la Bonne-Montagne, à Astorga.
Nuestra-Senora de los Remedios - Notre-Dame du Remède
Cantique 8 - A Virgen Santa Maria - Eduardo Paniagua, Música Antigua - Cantigas de Francia - Cantiques de Alphonse le Sage (1221-1264) roi de Castille - C'est ainsi que, dans Rocamadour, Sainte Marie fit descendre une bougie au violon d'un ménestrel qui chantait devant elle. Nous qui espérons les bénédictions de Sainte Marie, nous devrions tous la louer avec des chants et de la joie. A ce propos, je vous raconterai un miracle accompli par la Sainte Vierge Marie, Mère de Notre Seigneur, à Rocamadour, qui vous plaira quand vous l'entendrez. Écoutez maintenant l'histoire et nous vous le raconterons. Il y avait un ménestrel qui s'appelait Pedro de Siegrar et qui pouvait très bien chanter et jouer du violon encore mieux. Dans toutes les églises de la Vierge Pure, il chantait toujours une de ses chansons, selon ce que j'ai appris. La chanson qu'il chantait devant Sa statue, les larmes aux yeux, concernait la Mère de Dieu. Puis il a dit: "Oh, Dame Glorieuse, si vous êtes contente de mes chansons, donnez-nous une bougie pour que nous puissions dîner. ect
Citons encore Notre-Dame de Guadalupe, une des plus célèbres du monde; elle est noire, et fut adressée à saint Léandre de Séville par son ami saint Grégoire le Grand; cachée dans le creux d'un rocher pendant les six siècles de la domination des Maures, elle apparut ensuite à un berger dans un buisson ardent, et Alphonse XI lui fit bâtir le magnifique sanctuaire orné de peintures de Luca Giordano et de Zurbaran, où affluent les pèlerins de l'Estramadure et de toute l'Espagne; Notre-Dame de l'Assomption
d'Elche, qui fut miraculeusement portée sur les eaux, et qui est l'objet de la piété populaire chez les Espagnols d'Algérie comme dans le pays de Murcie et de Valence; Notre-Dame du Mont-Serrat, près de Barcelone, non moins célèbre que Notre-Dame de Guadalupe, et au pied de laquelle saint Ignace, avant de quitter la carrière militaire pour la vie religieuse, fit une veillée d'armes en vrai chevalier chrétien; Sainte Marie del Puche, près Valence, cachée du temps des Maures et révélée par les astéroïdes qui descendaient du ciel à l'endroit où elle reposait; terrible aux musulmans, elle assura au roi Jacques d'Aragon, en 1238, la conquête de Valence.
Notre-Dame de Guadalupe en Espagne
L'ESCURIAL - ALCALA DE HÉNARÈS
L`Escurial - Monastère - Palais et nécropole royale
Nous voici en face de l'Escurial. Ce célèbre monument, à la fois palais et monastère, est un couvent d'Hiéronymites ou moines de Saint-Jérôme, et c'est aussi, comme la Granja et Aranjuez, une résidence royale. Il fut bâti par Philippe II, en mémoire de la bataille de Saint-Quentin, où Emmanuel-Philibert, général de Philippe, défit le connétable de Montmorency, le 10 août 1557, jour de la fête de Saint-Laurent.
Le diacre Saint-Laurent – martyr dans les persécutions des empereurs romains
L'architecte L.-B. Manegro, et après lui son élève Jean de Herrera, ont donné, en mémoire du saint, la forme d'un gril à l'édifice ( a cause de son martyr sous les empereurs romains). Les bâtiments en sont alignés comme les barres de cet instrument, et ils présentent dix-sept cloîtres. Une coupole, ornée à sa base de boules de granit et posée au centre de huit tours, surmonte cet ensemble imposant. Des caveaux grandioses, renferment les tombeaux de rois et de reines d'Espagne.
L`Escurial est aussi une nécropole royale
Il faut s'entendre. L'Escurial est avant tout un monastère et une nécropole, une retraite de religieux ermites, voués à l'étude, au silence, à la prière, et une galerie de tombeaux. Dès lors la nudité de l'architecture, la sévérité des lignes, la pesanteur et le froid du granit, les tons bleuâtres et jaunâtres de la pierre, l'étroitesse des fenêtres, l'austérité du paysage faiblement combattue par les touffes des grands arbres qui s'élèvent sur les terrasses , au versant de la colline, à l'ombre du couvent, les longues et monotones galeries intérieures, tout est en harmonie avec le caractère moral de l'édifice, et c'est vouloir un contre-sens que de réclamer ici ce que vous trouvez à Aranjuez et à la Granja.
D'ailleurs, si les rois, si la cour y viennent quelquefois respirer un air moins enivrant; s'ils y ressentent, par l'influence même de l'architecture, les impressions salutaires de la pénitence et de l'inévitable mort, n'est-ce pas un bien, et faut-il en faire un reproche à l'architecte? L'église, bâtie en croix grecque et surmontée d'une vaste coupole, est sobre de décorations; mais ses peintures et ses statues de bronze sont des chefs d'oeuvre. Il faut avouer aussi que ses savantes proportions rappellent, par le sentiment de l'infini qu'elles provoquent dans celui qui les contemple, les puissants calculs de Michel-Ange en architecture. La nudité de cette église va bien avec la sévérité générale de l'édifice entier.
Église de l`Escurial
L'austère et froid édifice que nous avions visité nous laissait sous une impression profonde, et des pensées sérieuses nous dominaient. Au sortir des cloîtres, la lumière vive qui frappa nos regards, la chaleur du soleil qui succéda dans nos membres à la fraîcheur glaciale maintenue toujours au même degré sous les voûtes épaisses, derrière les murs de granit; les bruits et l'agitation de la feria qui se tenait au dehors, comme à toutes les fêtes religieuses espagnoles, les apparences du monde réel et vulgaire nous arrachèrent subitement à la méditation et à la rêverie qui nous avaient gagnés.
Alcala de Hénares
De retour à Madrid, nous ne voulûmes pas dire à cette capitale et à la Castille un dernier adieu sans faire une excursion à Alcala de Hénarès, en latin Complutum. C'est la patrie de Cervantès (auteur de Don Quichotte); mais nous désirions par-dessus tout y voir le tombeau du cardinal Ximenès, les vestiges de cette université qu'il y fonda en 1499, et qui était la première de l'Espagne après celle de Salamanque. En une heure, le ferro carril nous transporta au pied des murailles d'Alcala ; cette enceinte et ces tours imposantes, revêtues de tons briquetés, ces clochers, ces coupoles qui dominent la vaste plaine du Manzanarès.
Alcala de Hénares – la ville de Cervantès – auteur de Don Quichotte
L’université d'Alcalá de Henares, quelquefois désignée comme La Complutense, était une université située à Alcalá de Henares, fondée en 1499 par le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros.
Nous cherchâmes le tombeau du saint et grand cardinal, et nous le trouvâmes enfin , récemment transféré de Saint-Ildefonse à l'église magistrale. Agenouillés devant ce tombeau de marbre, nous fûmes absorbés beaucoup moins par les sculptures du Dominico de Florence que par la méditation du passé et de l'avenir de l'Espagne. Nous priâmes le Ciel de lui donner, dans sa miséricorde, des hommes d'État inspirés du même esprit que celui dont nous voyions l'image couchée devant nous. Le soir, nous quittions Madrid pour nous rendre à Cordoue.
CHAPITRE V
CORDOUE.- LA VILLE.- LA CATHÉDRALE.
Des ruines de châteaux mauresques se montrent de temps à autre; la vieille tour d'Almodovar se dresse à droite sur un rocher qu'on dirait créé tout exprès pour elle; nous traversons les vingt arches du pont de marbre noir d'Alcoléa; les berges se hérissent d'aloès, aux feuilles menaçantes et à la tige en candélabre; les mûriers, les orangers se déploient en files interminables; quelques palmiers inclinent élégamment leur panache au-dessus de nos têtes; nous entrons à Cordoue.
Cordoue et son pont romain
Cordoue
Cordoue, au doux climat. Ses jours sont radieux et ses nuits sereines. Les Maures l'ont quittée d'hier. Voilà bien ces rues étroites, mais pavées et propres ; ces maisons blanches aux grillages verts, et, au centre des maisons bâties en carré, ces patios, entourés quelquefois de galeries à arcades. C'est là le salon, le parterre, le paradis terrestre, que ne valent point les appartements les plus somptueux des palais du Nord. Les bananiers aux feuilles immenses, les orangers, les citronniers, les jasmins le remplissent de leurs suaves émanations, le décorent de leurs fleurs et de leurs fruits; ils y répandent une délicieuse fraîcheur, augmentée souvent par une fontaine à l'intarissable murmure. Un poète le remarque : Dieu n'a point placé nos premiers parents au fond d'un palais, et tous les peuples, comme la Genèse, ont mis le bonheur dans un jardin.
Au milieu des ardeurs de l'été, quand le touriste chemine péniblement à la recherche des vestiges romains et des ruines mauresques, son front brûlant reçoit au passage, vers le seuil de ces demeures enchanteresses, les effluves odorantes et froides des patios mystérieux. Cordoue est un vaste musée où les Romains et les Goths, les Arabes et les Espagnols ont déposé tour à tour leurs tributs divers. Auguste l'avait appelée Colonia patricia. Quelques statues, des épitaphes, des inscriptions en l'honneur des empereurs et des consuls rappellent de nos jours ces âges lointains. Ces fortes murailles flanquées de tours rondes, carrées, octogones plus robustes encore, sont l'oeuvre des Goths et des Sarrasins. Ce pont si pittoresque du Guadalquivir, défendu par la Carrahola, forteresse aux murs crénelés, remonte au temps des Romains, bien que le calife Abd-er-Rhaman III l'ait fait restaurer. Contre ses piles munies de puissants étriers, le Guadalquivir a beau rouler ses flots tumultueux, le vieux pont les regarde passer comme les siècles, sous ses quinze arches immobiles.
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción), est une ancienne mosquée qui révèle une grande puissance de construction. Ses murs n'ont que douze mètres de hauteur; épais à la base de cinq à six mètres, ils diminuent à mesure qu'ils s'élèvent, et une quarantaine de piliers les aident à supporter le poids énorme de la toiture; les dix-neuf nefs sont fort étroites; leur plafond et leurs chétives coupoles, ou demi-oranges, comme disent les Espagnols, medias-naranjas, sont à peine à dix mètres du sol.
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
Lorsque le roi saint Ferdinand reprit Cordoue aux musulmans, le 29 juillet 1336, il trouva dans la mosquée les cloches de Santiago en Galice, que le conquérant arabe Almanzor (El-Mansour, le Victorieux) avait fait apporter sur les épaules des prisonniers chrétiens; il les fit reporter à Santiago par des captifs musulmans. Purifiée et consacrée sous le vocable de l'Assomption, la mosquée dut subir quelques changements.
MADRID, - LE CULTE DE LA VIERGE EN ESPAGNE.
J'aime l'Espagne, mais peu Madrid. Pourquoi ? C'est que Madrid n'a pas d'histoire, et possède par conséquent peu de monuments. Qui dit monument dit souvenir, selon l'étymologie du mot monumentum, dérivé de monere, avertir. Mais quels souvenirs peut garder Madrid? Dans les grandes luttes contre les Maures, c'est une obscure forteresse pour la défense du Mançanarès; puis un simple manoir pour les rois de Castille; et Philippe II ne l'adopta comme siège de la cour qu'en 1563. C'est donc une ville moderne. Il est vrai qu'elle s'est efforcée de suppléer à la noblesse, à l'hildalguia des antiques cités espagnoles, par sa fidélité aux souverains qui ont su le mieux s'identifier avec la nation; ses rois ont également senti qu'il fallait la relever en face des capitales qu'elle détrônait; Charles-Quint l'a proclamée imperial y coronada; et Ferdinand VII ajouta muy heroica, très-héroïque, parce qu'elle siffla Murat en 1808, ferma ses portes à Napoléon, et regarda constamment d'un oeil oblique son frère le roi Joseph.
Mais encore les titres sonores ne suffisent pas. Les souverains ont donc élevé des édifices à Madrid. Philippe V, petit-fils de Louis XIV et chef de la maison des Bourbons d'Espagne, l'a dotée, en 1737, du Palacio real, qui a coûté près de quatre-vingts millions.
Je puis dire un mot des journaux espagnols. ( au 19 eme siècle) En général, ils valent mieux que les nôtres au point de vue de la logique et du raisonnement. Grâce à l'influence puissante et universelle de la foi catholique, les premiers principes, qui sont la base du bon sens, de la droite raison, n'ont pas encore fléchi en Espagne dans un aussi grand nombre d'esprits que parmi nous. Le sophisme, l'absurde, le paradoxe, le mensonge déhonté, qui défraient si souvent les colonnes des journaux impies et révolutionnaires de France, ont ici moins de chances de succès que nulle part ailleurs en Europe. Puisse durer cet heureux état de choses, et l'esprit public du pays qui a produit les sainte Thérèse, les Suarez, et tant de fermes théologiens, repousser avec mépris certaines feuilles d'où s'échappe une odeur nauséabonde, qui rappelle la presse des cabarets de France !
Comment se fait-il pourtant que les Espagnols, si fiers d'être eux-mêmes, eux, dont la littérature dramatique a été l'une des sources du théâtre français, eux les initiateurs de Corneille, ou plutôt de l'Europe; comment se fait-il qu'ils s'abaissent à traduire, pour leur théâtre et leurs feuilletons, tant de misérables productions de la France contemporaine ? Qu'ont-ils à faire de cette malsaine littérature? Autrefois Thomas Corneille leur emprunta toutes ses tragédies; Pierre Corneille prit le Cid de Guillaume de Castro, Héraclius de Calderon, le Menteur de Jean Alarcon, qui a composé la Verdad sospechosa (la Vérité suspecte); Molière doit à l'Espagne le Festin de Pierre; sa
Princesse d'Élide est calquée sur une pièce d'Augustin Moreno; et la Marianne de Voltaire est parente du Tetrarca de Jérusalem de Calderon, Les rôles sont bien changés; et l'on ne peut trop souhaiter qu'une réaction salutaire empêche la littérature espagnole de s'abâtardir et de s'embourber dans les piètres écrits de nos dramaturges et romanciers. Un trait caractéristique des journaux espagnols, c'est le Diario de las familias ou le Journal des familles, qui se trouve à la fin de chaque feuille. On y annonce le saint de chaque jour, les Quarante-Heures dans les églises, les offices particuliers des paroisses, et l'on y indique les prédicateurs qui doivent se faire entendre; mais tout cela pêle-mêle avec les pièces de théâtre et le nom des acteurs qui doivent jouer le soir.
Nous allons à Notre-Dame d'Atocha. Nous entrâmes dans l'église; qui est un monument de la piété de Charles-Quint, un sanctuaire comblé des offrandes de la maison royale d'Espagne. C'est à peine s'ils me laissèrent le temps d'achever une prière devant la célèbre image de la Vierge, qui brillait du feu des diamants au milieu des cierges, comme une splendide constellation parmi les étoiles d'un moins vif éclat.
Basilique de Nuestra Senora de Atocha a Madrid
En dehors de la chapelle et à la porte du cloître qui la précède, ils s'arrêtèrent plus volontiers à considérer la foule, et je copiai alors l'inscription en vers exposée pour la circonstance sur la façade de l'édifice, entre les feux de couleur, les tapisseries et les tableaux. Ces quelques strophes résument la légende de Notre-Dame d'Atocha, (basilica de nuestra señora de Atocha) et traduisent les sentiments enthousiastes de l'Espagne pour sa puissante patronne.
Gloria á la Virgen, para que en el cielo,
Donde moras feliz eternamente,
Alcanzas del Senor omnipotente
Para el pueblo espanol siempre consuelo !
« O Vierge, gloire à vous ! Du ciel où vous résidez, heureuse à jamais, obtenez du Dieu tout-puissant qu'il protège toujours le peuple espagnol. »
Les Espagnols, qui ont conservé jusqu'ici toute la fierté du caractère chrétien et leur entière liberté, ne font pas des calculs peu honorables, et ils se laissent aller à l'expansion naïve de la foi, de la confiance et de l'amour. J'aime à entendre, dans le silence des nuits, la voix des serenos, qui ajoutent une invocation à Marie au chant de l'heure et à l'annonce de l'état du ciel.
J'aime ces doux noms, ces noms harmonieux qui s'enchaînent comme des perles au registre de baptême des filles espagnoles : Maria, Encarnacion, Assuncion, Carmen, Concepcion, Dolores (je dis noms harmonieux, à la condition de faire sonner toutes les lettres selon la prononciation castillane); elles s'appellent encore du nom des images miraculeuses les plus vénérées dans leur patrie : Pilar, Africa, Soledad : Notre-Dame de la Solitude à Madrid, Notre-Dame du Pilier à Saragosse, Notre-Dame d'Afrique à Ceuta.
Pour l'Espagne, il semble que la Vierge soit multipliée par ses images; on l'invoque sous mille noms divers, et qui souvent à eux seuls font naître déjà dans les âmes une joie, une consolation, une espérance : c'est Nuestra-Senora de la Luz, Notre Dame de la Lumière, comme à Tarifa; Nuestra-Senora de los Desamparados, Notre-Dame des Abandonnés, comme à Valence; Nuestra-Senora de los Remedios, Notre-Dame du Remède, à Antequerra; Nuestra-Senora de Consolacion, à Utrera en Andalousie ; Notre-Dame de Grâce, à Alicante ; Notre Dame de Puybueno ou de la Bonne-Montagne, à Astorga.
Nuestra-Senora de los Remedios - Notre-Dame du Remède
Cantique 8 - A Virgen Santa Maria - Eduardo Paniagua, Música Antigua - Cantigas de Francia - Cantiques de Alphonse le Sage (1221-1264) roi de Castille - C'est ainsi que, dans Rocamadour, Sainte Marie fit descendre une bougie au violon d'un ménestrel qui chantait devant elle. Nous qui espérons les bénédictions de Sainte Marie, nous devrions tous la louer avec des chants et de la joie. A ce propos, je vous raconterai un miracle accompli par la Sainte Vierge Marie, Mère de Notre Seigneur, à Rocamadour, qui vous plaira quand vous l'entendrez. Écoutez maintenant l'histoire et nous vous le raconterons. Il y avait un ménestrel qui s'appelait Pedro de Siegrar et qui pouvait très bien chanter et jouer du violon encore mieux. Dans toutes les églises de la Vierge Pure, il chantait toujours une de ses chansons, selon ce que j'ai appris. La chanson qu'il chantait devant Sa statue, les larmes aux yeux, concernait la Mère de Dieu. Puis il a dit: "Oh, Dame Glorieuse, si vous êtes contente de mes chansons, donnez-nous une bougie pour que nous puissions dîner. ect
Citons encore Notre-Dame de Guadalupe, une des plus célèbres du monde; elle est noire, et fut adressée à saint Léandre de Séville par son ami saint Grégoire le Grand; cachée dans le creux d'un rocher pendant les six siècles de la domination des Maures, elle apparut ensuite à un berger dans un buisson ardent, et Alphonse XI lui fit bâtir le magnifique sanctuaire orné de peintures de Luca Giordano et de Zurbaran, où affluent les pèlerins de l'Estramadure et de toute l'Espagne; Notre-Dame de l'Assomption
d'Elche, qui fut miraculeusement portée sur les eaux, et qui est l'objet de la piété populaire chez les Espagnols d'Algérie comme dans le pays de Murcie et de Valence; Notre-Dame du Mont-Serrat, près de Barcelone, non moins célèbre que Notre-Dame de Guadalupe, et au pied de laquelle saint Ignace, avant de quitter la carrière militaire pour la vie religieuse, fit une veillée d'armes en vrai chevalier chrétien; Sainte Marie del Puche, près Valence, cachée du temps des Maures et révélée par les astéroïdes qui descendaient du ciel à l'endroit où elle reposait; terrible aux musulmans, elle assura au roi Jacques d'Aragon, en 1238, la conquête de Valence.
Notre-Dame de Guadalupe en Espagne
L'ESCURIAL - ALCALA DE HÉNARÈS
L`Escurial - Monastère - Palais et nécropole royale
Nous voici en face de l'Escurial. Ce célèbre monument, à la fois palais et monastère, est un couvent d'Hiéronymites ou moines de Saint-Jérôme, et c'est aussi, comme la Granja et Aranjuez, une résidence royale. Il fut bâti par Philippe II, en mémoire de la bataille de Saint-Quentin, où Emmanuel-Philibert, général de Philippe, défit le connétable de Montmorency, le 10 août 1557, jour de la fête de Saint-Laurent.
Le diacre Saint-Laurent – martyr dans les persécutions des empereurs romains
L'architecte L.-B. Manegro, et après lui son élève Jean de Herrera, ont donné, en mémoire du saint, la forme d'un gril à l'édifice ( a cause de son martyr sous les empereurs romains). Les bâtiments en sont alignés comme les barres de cet instrument, et ils présentent dix-sept cloîtres. Une coupole, ornée à sa base de boules de granit et posée au centre de huit tours, surmonte cet ensemble imposant. Des caveaux grandioses, renferment les tombeaux de rois et de reines d'Espagne.
L`Escurial est aussi une nécropole royale
Il faut s'entendre. L'Escurial est avant tout un monastère et une nécropole, une retraite de religieux ermites, voués à l'étude, au silence, à la prière, et une galerie de tombeaux. Dès lors la nudité de l'architecture, la sévérité des lignes, la pesanteur et le froid du granit, les tons bleuâtres et jaunâtres de la pierre, l'étroitesse des fenêtres, l'austérité du paysage faiblement combattue par les touffes des grands arbres qui s'élèvent sur les terrasses , au versant de la colline, à l'ombre du couvent, les longues et monotones galeries intérieures, tout est en harmonie avec le caractère moral de l'édifice, et c'est vouloir un contre-sens que de réclamer ici ce que vous trouvez à Aranjuez et à la Granja.
D'ailleurs, si les rois, si la cour y viennent quelquefois respirer un air moins enivrant; s'ils y ressentent, par l'influence même de l'architecture, les impressions salutaires de la pénitence et de l'inévitable mort, n'est-ce pas un bien, et faut-il en faire un reproche à l'architecte? L'église, bâtie en croix grecque et surmontée d'une vaste coupole, est sobre de décorations; mais ses peintures et ses statues de bronze sont des chefs d'oeuvre. Il faut avouer aussi que ses savantes proportions rappellent, par le sentiment de l'infini qu'elles provoquent dans celui qui les contemple, les puissants calculs de Michel-Ange en architecture. La nudité de cette église va bien avec la sévérité générale de l'édifice entier.
Église de l`Escurial
L'austère et froid édifice que nous avions visité nous laissait sous une impression profonde, et des pensées sérieuses nous dominaient. Au sortir des cloîtres, la lumière vive qui frappa nos regards, la chaleur du soleil qui succéda dans nos membres à la fraîcheur glaciale maintenue toujours au même degré sous les voûtes épaisses, derrière les murs de granit; les bruits et l'agitation de la feria qui se tenait au dehors, comme à toutes les fêtes religieuses espagnoles, les apparences du monde réel et vulgaire nous arrachèrent subitement à la méditation et à la rêverie qui nous avaient gagnés.
Alcala de Hénares
De retour à Madrid, nous ne voulûmes pas dire à cette capitale et à la Castille un dernier adieu sans faire une excursion à Alcala de Hénarès, en latin Complutum. C'est la patrie de Cervantès (auteur de Don Quichotte); mais nous désirions par-dessus tout y voir le tombeau du cardinal Ximenès, les vestiges de cette université qu'il y fonda en 1499, et qui était la première de l'Espagne après celle de Salamanque. En une heure, le ferro carril nous transporta au pied des murailles d'Alcala ; cette enceinte et ces tours imposantes, revêtues de tons briquetés, ces clochers, ces coupoles qui dominent la vaste plaine du Manzanarès.
Alcala de Hénares – la ville de Cervantès – auteur de Don Quichotte
L’université d'Alcalá de Henares, quelquefois désignée comme La Complutense, était une université située à Alcalá de Henares, fondée en 1499 par le cardinal Francisco Jiménez de Cisneros.
Nous cherchâmes le tombeau du saint et grand cardinal, et nous le trouvâmes enfin , récemment transféré de Saint-Ildefonse à l'église magistrale. Agenouillés devant ce tombeau de marbre, nous fûmes absorbés beaucoup moins par les sculptures du Dominico de Florence que par la méditation du passé et de l'avenir de l'Espagne. Nous priâmes le Ciel de lui donner, dans sa miséricorde, des hommes d'État inspirés du même esprit que celui dont nous voyions l'image couchée devant nous. Le soir, nous quittions Madrid pour nous rendre à Cordoue.
CHAPITRE V
CORDOUE.- LA VILLE.- LA CATHÉDRALE.
Des ruines de châteaux mauresques se montrent de temps à autre; la vieille tour d'Almodovar se dresse à droite sur un rocher qu'on dirait créé tout exprès pour elle; nous traversons les vingt arches du pont de marbre noir d'Alcoléa; les berges se hérissent d'aloès, aux feuilles menaçantes et à la tige en candélabre; les mûriers, les orangers se déploient en files interminables; quelques palmiers inclinent élégamment leur panache au-dessus de nos têtes; nous entrons à Cordoue.
Cordoue et son pont romain
Cordoue
Cordoue, au doux climat. Ses jours sont radieux et ses nuits sereines. Les Maures l'ont quittée d'hier. Voilà bien ces rues étroites, mais pavées et propres ; ces maisons blanches aux grillages verts, et, au centre des maisons bâties en carré, ces patios, entourés quelquefois de galeries à arcades. C'est là le salon, le parterre, le paradis terrestre, que ne valent point les appartements les plus somptueux des palais du Nord. Les bananiers aux feuilles immenses, les orangers, les citronniers, les jasmins le remplissent de leurs suaves émanations, le décorent de leurs fleurs et de leurs fruits; ils y répandent une délicieuse fraîcheur, augmentée souvent par une fontaine à l'intarissable murmure. Un poète le remarque : Dieu n'a point placé nos premiers parents au fond d'un palais, et tous les peuples, comme la Genèse, ont mis le bonheur dans un jardin.
Au milieu des ardeurs de l'été, quand le touriste chemine péniblement à la recherche des vestiges romains et des ruines mauresques, son front brûlant reçoit au passage, vers le seuil de ces demeures enchanteresses, les effluves odorantes et froides des patios mystérieux. Cordoue est un vaste musée où les Romains et les Goths, les Arabes et les Espagnols ont déposé tour à tour leurs tributs divers. Auguste l'avait appelée Colonia patricia. Quelques statues, des épitaphes, des inscriptions en l'honneur des empereurs et des consuls rappellent de nos jours ces âges lointains. Ces fortes murailles flanquées de tours rondes, carrées, octogones plus robustes encore, sont l'oeuvre des Goths et des Sarrasins. Ce pont si pittoresque du Guadalquivir, défendu par la Carrahola, forteresse aux murs crénelés, remonte au temps des Romains, bien que le calife Abd-er-Rhaman III l'ait fait restaurer. Contre ses piles munies de puissants étriers, le Guadalquivir a beau rouler ses flots tumultueux, le vieux pont les regarde passer comme les siècles, sous ses quinze arches immobiles.
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción), est une ancienne mosquée qui révèle une grande puissance de construction. Ses murs n'ont que douze mètres de hauteur; épais à la base de cinq à six mètres, ils diminuent à mesure qu'ils s'élèvent, et une quarantaine de piliers les aident à supporter le poids énorme de la toiture; les dix-neuf nefs sont fort étroites; leur plafond et leurs chétives coupoles, ou demi-oranges, comme disent les Espagnols, medias-naranjas, sont à peine à dix mètres du sol.
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
La cathédrale Notre-Dame de l'Assomption (Catedral de Nuestra Señora de la Asunción) de Cordoue
Lorsque le roi saint Ferdinand reprit Cordoue aux musulmans, le 29 juillet 1336, il trouva dans la mosquée les cloches de Santiago en Galice, que le conquérant arabe Almanzor (El-Mansour, le Victorieux) avait fait apporter sur les épaules des prisonniers chrétiens; il les fit reporter à Santiago par des captifs musulmans. Purifiée et consacrée sous le vocable de l'Assomption, la mosquée dut subir quelques changements.
Dernière édition par MichelT le Ven 29 Mai 2020 - 0:49, édité 4 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: L`ESPAGNE – MOEURS ET PAYSAGES - avec les traditions catholiques de ce pays
SÉVILLE. - CADIX
Séville
Qui n'a pas vu Séville, n'a rien vu de merveilleux. C'est, en effet, une ville enchanteresse et remplie d'agréments pour l'étranger. Quels abords souriants! Sous un ciel toujours pur, la campagne fleurit et répand ses parfums qui se mêlent, dans les rues de Séville, à ceux des orangers et des jasmins des frais patios. Car nous retrouvons ici la disposition mauresque ou plutôt grecque et romaine des maisons bâties en carré avec une cour au centre, cour à galeries pavée de marbre, ornée de fleurs et d'une fontaine, salon incomparable, le soir surtout, lorsque les lanternes vénitiennes jettent des lueurs magiques sur les colonnettes torses, à travers les feuillages des plantes tropicales, et sous les arcs variés en fer à cheval. Au dehors, sur les murs blancs, se détache en saillie la reja, cage de fer peinte en vert, et dont les barreaux, élégamment enlacés ou habilement contournés, font à l'ouvrier le plus grand honneur. A travers ce réseau l'on voit sans être vu, et l'on respire le courant d'air qui circule dans la rue étroite, fermée aux rayons du soleil.
Cathédrale de Séville construite entre 1402 et 1600
Cathédrale de Séville - Catedral de Santa María de la Sede
La Semaine Sainte en Espagne
Séville est belle au bord du Guadalquivir, la cathédrale apparaît de loin, semblable à un immense vaisseau de haut bord; elle vient la troisième de l'Europe, pour la grandeur des proportions, après le dôme de Milan et Saint-Pierre de Rome. Les cinq nefs intérieures sont d'une majesté écrasante, tant l'homme y sent sa petitesse devant Dieu. La puissance de cet effet tient, selon moi, aussi bien qu'à Milan et en d'autres églises d'Espagne, à la hauteur des nefs latérales, qui s'élèvent presque aussi haut que celle du centre, au lieu d'être basses et resserrées comme dans la plupart de nos cathédrales gothiques.
Pourtant ces dernières l'emportent par l'harmonie des proportions et l'effet qui résulte de l'importance des vides, de la grandeur des fenêtres et des roses ; cette grandeur est rationnelle dans les régions tempérées et à ciel gris ou brumeux; elle eût donné en Andalousie trop de lumière et de chaleur. Ici donc les voûtes ne sont pas assez profondes, et les lignes trop courtes des arceaux ne composent pas pour l'oeil cette musique visible, que d'ailleurs le 15 eme siècle, époque où s'éleva la cathédrale de Séville, ne comprenait plus, même en France, la vraie patrie de l'architecture ogivale.
Il faut voir cette cathédrale à diverses heures du jour, comme une reine en divers costumes; le matin, par exemple, le retable gothique du maître-autel, finement sculpté en bois de mélèze et le plus grand que l'on connaisse, ne présente qu'un ensemble sombre et confus. Mais qui dira toutes les beautés, tous les trésors contenus dans le colossal édifice? Le tenter, dit un voyageur artiste, ce serait une insigne folie; on est écrasé de magnificences, entouré de chefs-d’œuvre; le désir et l'impossibilité de tout voir causent des espèces de vertiges fébriles.
Cathédrale de Séville
Nous voyons le tombeau d'Alphonse le Sage et la châsse où l'on vénère le corps de saint Ferdinand. Toutefois nous ne quittâmes pas cette église sans donner un coup d'oeil à l'orgue gigantesque dont un buffet compte 5,300 tuyaux, les uns semblables à des coulevrines, les autres joliment parés de torsades et de rubans, comme des colonnettes de l'époque romane. La porte del Lagarto (du Crocodile) nous conduisit à l'ancienne cour mauresque, où jaillit encore la fontaine. Alphonse le Sage reçut du sultan d'Égypte l'énorme crocodile suspendu à cette porte, comme on en voit à la façade des principales maisons du Caire et de la vallée du Nil. De là, enfin, nous pénétrâmes dans la tour de brique de la Giralda et terminée par le beffroi et par la girouette statue qui représente la Foi, le labarum à la main.
Ce morceau de bronze, sculpté par Barthélemy Morel, pèse quatorze cents kilogrammes et pivote au moindre vent : de là le nom de Giralda (girar, tourner) donné à cette tour fameuse. Elle est sous le patronage des saintes de Séville, Justa et Rufina, marchandes de poteries, martyrisées parce qu'elles refusèrent d'en vendre pour le culte des idoles. On vit ces saintes, dans l'ouragan de 1504, soutenir la statue; et, en 1843, lors du bombardement par Espartero, elles détournèrent les projectiles de la tour.
La tour de la Giralda
Sainte Justa et Sainte Rufina – deux sœurs d`une famille chrétienne de Séville martyres dans des persécutions antichrétiennes des empereurs romains avec la tour de la cathédrale de Séville.
Aussi les représente-t-on d'ordinaire de chaque côté de la Giralda aussi bien qu'avec des alcarazas ou vases de terre pour attribut. La Colombine est contiguë à la cathédrale.
Au nouveau musée de Séville, une grande salle est remplie des seules toiles de Murillo; nous y passâmes plusieurs heures dans les douces et pures jouissances que procure la contemplation des chefs-d'oeuvre de la peinture. Nous ne pouvions nous éloigner surtout de Saint Thomas de Villeneuve donnant l'aumône aux pauvres, et du Christ se détachant de la croix pour donner à saint François un mystique baiser. Murillo s'y est surpassé lui-même.
La Sainte-Vierge Marie par Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682)
Quant à l'Alcazar, il défie toute description. Les arabesques, les feuillages, les ciselures, les fines colonnettes, les arcs élégants, les formes mauresques les plus pures de ce palais charmant, l'éclat de ses faïences vernissées, les vives couleurs de ses plafonds à poutrelles et de ses coupoles, les stalactites rocailleuses de leurs pendentifs, cette promenade qui vous fait passer de surprise en surprise.
Alcazar de Séville
LA VILLE DE CADIX
Nous laissons derrière nous Puerto Santa-Maria, dont les eaux limpides vont abreuver Cadix, et qui doit son nom à l'image de la Vierge trouvée après le départ des musulmans dans les fouilles ordonnées par Alphonse le Sage (en 1264) pour la fondation de la ville nouvelle; le Trocadero, canal bordé de chantiers de construction, et que le duc d'Angoulême, comme nous l'avons dit, enleva en 1823; Puerto-Real, que le Trocadero met en communication avec le fond de la baie de Cadix; la Carraca, grand arsenal maritime; et nous entrons dans l'île de Léon, à l'extrémité de laquelle s'élève Cadix, une des reines de la mer. La situation de ce port, entre l'Océan et la Méditerranée, entre l'Orient et l'Amérique, entre l'Europe et l'Afrique, est des plus avantageuses; et si l'histoire du commerce signale ces parages comme privilégiés dès la haute antiquité, l'avenir ne leur promet qu'un accroissement de fortune et d'activité. Cadix est très andalouse, c'est-à-dire riche, belle, propre, religieuse, poétique, et morale.
Cadix
Como Somos Per Consello - Cantique 119 de Alphonse le Sage (1221-1264) roi de Castille en l`honneur de la St-Vierge Marie - par l`Ensemble Obsidienne
Un de nos meilleurs et plus poétiques souvenirs d'Espagne est celui d'une promenade du soir à l'alameda de Apodaca, bordée d'un côté par de riches habitations à balcons vitrés, de l'autre par la mer, qui va expirer au pied des collines de Rota et de Port Sainte-Marie. Des jardins fleuris, des bancs de marbre blanc, où s'asseyaient les Gaditanes à la mantille noire, quelques palmiers au panache oriental, une douce brise de la mer glauque, un ciel si profond et si bleu, qu'il eût paru sombre sans l'éclat de ses étoiles d'or; c'était à ravir, lorsque des chants religieux et les accords de l'orgue, sortant d'une gracieuse église, ouverte sur l'alameda, s'élevèrent au ciel dans le silence de la nuit, comme une hymne de la nature et de l'homme reconnaissant envers le Créateur.
Femmes espagnoles avec la mantille noire
Alameda de Apodaca
Alameda de Apodaca
Alameda de Apodaca
MALAGA.- GRENADE.
Malaga
Le navire cinglait depuis longtemps vers le nord-est, et le rocher géant montrait encore sa tête au-dessus d'une blanche collerette de nuages. A Malaga, l'on comprend très-bien que notre activité moderne s'arrange assez mal du genre de construction des anciennes villes mauresques.
La ville de Malaga en Andalousie
Sa cathédrale, oeuvre de Diégo de Siloé, possède une très-riche silleria ou stallerie; elle est imposante, surtout à l'extérieur et vue à distance, par exemple du bord des navires en rade. C'est alors un colosse qui semble couvrir de son ombre la cité. William Rose, amateur des grands panoramas autant que des ruines, m'entraîna à l'alcazaba et au castillo de Gibral faro; du haut de leurs vieilles tours de briques et de leurs remparts crénelés, le regard embrasse la mer, la vega et les monts fertiles où mûrit le raisin.
Cathédrale de Malaga - Santa Iglesia de la Encarnación
De la mer, on croirait que les montagnes voisines sont nues et stériles; mais nous les traversâmes en nous rendant à Grenade, et nous vîmes alors avec quel labeur et quels soins elles sont cultivées. Les ceps courts et isolés ressemblent de loin à des touffes d'herbe, et rien ne fait soupçonner la présence des trésors que leur feuillage abrite. Voici des chiffres éloquents. Malaga exporte par an un million de litres de vins, dix millions de kilogrammes de raisins secs muscats, environ moitié de raisins longs, pasas largas. Elle y ajoute autant de figues et cerises sèches, dix millions de litres d'huile, quinze cent mille citrons; sans parler des olives, des grenades, des oranges, et de cent autres produits qu'elle tire, il est vrai, d'une bonne partie de l'Andalousie.
Grenade
La nature est si belle à Grenade, que l'Alhambra, le Généralife, ces monuments mauresques dont le nom seul excite les plus doux rêves, lui doivent autant qu'à l'art leurs charmes et leur célébrité. Vous retrouverez à Grenade, mais très-accusée, la physionomie mauresque des principales villes de l'Andalousie. Toutefois l'animation générale, la gaieté, les promenades, qui supposent des moeurs douces et un caractère sociable, les peintures d'ornements en grisaille sur fond rose ou vert-pomme à la façade des maisons révèlent hautement l'influence chrétienne.
L'Alhambra de Grenade
La cathédrale de l'Incarnation de Grenade
La cathédrale de l'Incarnation de Grenade
La cathédrale, construite par Diego de Siloé (1529-1560), est vaste et a cinq nefs, comme la plupart des grandes églises d'Espagne. Nous y remarquâmes surtout le sanctuaire ou capilla mayor, avec ses colonnes corinthiennes qui portent les statues colossales des douze apôtres, ses verrières historiées et ses belles peintures d'Alonzo Cano et de ses élèves. Parmi de somptueuses chapelles, on distingue la capilla real; là sont les tombeaux de Ferdinand et d'Isabelle, là aussi reposent le roi Philippe I et sa femme Jeanne la Folle, mère de Charles-Quint. Le Zacatin est une vieille rue arabe qui suffirait à elle seule pour captiver l'antiquaire, si l'Alhambra ne l'appelait à étudier le chef-d'oeuvre, le dernier mot de l'architecture mauresque. Le nom de l'Alhambra vient du mot arabe El-Ahhmer, féminin El-Hhamra, rouge, à cause du ton des murs de briques de la forteresse, ou bien du nom même des Alhamarides qui ont régné à Grenade, et bâti le somptueux palais que renferme cette citadelle.
Le Generalife de Grenade
En face d'elle, sur la colline opposée, s'élève le Généralife, où l'on arrive par un ravin, à travers les cactus et les lauriers-roses. Les eaux, les arbustes, les ombrages, les fleurs font encore de cette maison de campagne un séjour de délices, bien que les constructions et les fines sculptures qui les décorent aient beaucoup souffert du temps et des badigeonneurs. L'alcazar nous attirait malgré tout par un charme irrésistible. Nous aimions ses remparts en ruine , l'ombrage épais de ses beaux arbres; nous allions de l'Alhambra à l'opulente demeure, aux magnifiques jardins des Calderon, d'où l'on découvre si bien la ville aux toits gris, la verte vega et les champs de maïs, les cimes roses et blanches de la sierra Nevada, tout cet horizon de montagnes qui se parent de teintes nouvelles à chaque heure du jour.
FIN
Peintures de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol. Il est considéré comme l'un des principaux représentants de la peinture espagnole.
L`Immaculée-Conception - Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Saint-Jean exilé sur l`île de Patmos - Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Zurbaran - peintre baroque espagnol
Peinture de Zurbaran - peintre baroque espagnol - La Charité
Séville
Qui n'a pas vu Séville, n'a rien vu de merveilleux. C'est, en effet, une ville enchanteresse et remplie d'agréments pour l'étranger. Quels abords souriants! Sous un ciel toujours pur, la campagne fleurit et répand ses parfums qui se mêlent, dans les rues de Séville, à ceux des orangers et des jasmins des frais patios. Car nous retrouvons ici la disposition mauresque ou plutôt grecque et romaine des maisons bâties en carré avec une cour au centre, cour à galeries pavée de marbre, ornée de fleurs et d'une fontaine, salon incomparable, le soir surtout, lorsque les lanternes vénitiennes jettent des lueurs magiques sur les colonnettes torses, à travers les feuillages des plantes tropicales, et sous les arcs variés en fer à cheval. Au dehors, sur les murs blancs, se détache en saillie la reja, cage de fer peinte en vert, et dont les barreaux, élégamment enlacés ou habilement contournés, font à l'ouvrier le plus grand honneur. A travers ce réseau l'on voit sans être vu, et l'on respire le courant d'air qui circule dans la rue étroite, fermée aux rayons du soleil.
Cathédrale de Séville construite entre 1402 et 1600
Cathédrale de Séville - Catedral de Santa María de la Sede
La Semaine Sainte en Espagne
Séville est belle au bord du Guadalquivir, la cathédrale apparaît de loin, semblable à un immense vaisseau de haut bord; elle vient la troisième de l'Europe, pour la grandeur des proportions, après le dôme de Milan et Saint-Pierre de Rome. Les cinq nefs intérieures sont d'une majesté écrasante, tant l'homme y sent sa petitesse devant Dieu. La puissance de cet effet tient, selon moi, aussi bien qu'à Milan et en d'autres églises d'Espagne, à la hauteur des nefs latérales, qui s'élèvent presque aussi haut que celle du centre, au lieu d'être basses et resserrées comme dans la plupart de nos cathédrales gothiques.
Pourtant ces dernières l'emportent par l'harmonie des proportions et l'effet qui résulte de l'importance des vides, de la grandeur des fenêtres et des roses ; cette grandeur est rationnelle dans les régions tempérées et à ciel gris ou brumeux; elle eût donné en Andalousie trop de lumière et de chaleur. Ici donc les voûtes ne sont pas assez profondes, et les lignes trop courtes des arceaux ne composent pas pour l'oeil cette musique visible, que d'ailleurs le 15 eme siècle, époque où s'éleva la cathédrale de Séville, ne comprenait plus, même en France, la vraie patrie de l'architecture ogivale.
Il faut voir cette cathédrale à diverses heures du jour, comme une reine en divers costumes; le matin, par exemple, le retable gothique du maître-autel, finement sculpté en bois de mélèze et le plus grand que l'on connaisse, ne présente qu'un ensemble sombre et confus. Mais qui dira toutes les beautés, tous les trésors contenus dans le colossal édifice? Le tenter, dit un voyageur artiste, ce serait une insigne folie; on est écrasé de magnificences, entouré de chefs-d’œuvre; le désir et l'impossibilité de tout voir causent des espèces de vertiges fébriles.
Cathédrale de Séville
Nous voyons le tombeau d'Alphonse le Sage et la châsse où l'on vénère le corps de saint Ferdinand. Toutefois nous ne quittâmes pas cette église sans donner un coup d'oeil à l'orgue gigantesque dont un buffet compte 5,300 tuyaux, les uns semblables à des coulevrines, les autres joliment parés de torsades et de rubans, comme des colonnettes de l'époque romane. La porte del Lagarto (du Crocodile) nous conduisit à l'ancienne cour mauresque, où jaillit encore la fontaine. Alphonse le Sage reçut du sultan d'Égypte l'énorme crocodile suspendu à cette porte, comme on en voit à la façade des principales maisons du Caire et de la vallée du Nil. De là, enfin, nous pénétrâmes dans la tour de brique de la Giralda et terminée par le beffroi et par la girouette statue qui représente la Foi, le labarum à la main.
Ce morceau de bronze, sculpté par Barthélemy Morel, pèse quatorze cents kilogrammes et pivote au moindre vent : de là le nom de Giralda (girar, tourner) donné à cette tour fameuse. Elle est sous le patronage des saintes de Séville, Justa et Rufina, marchandes de poteries, martyrisées parce qu'elles refusèrent d'en vendre pour le culte des idoles. On vit ces saintes, dans l'ouragan de 1504, soutenir la statue; et, en 1843, lors du bombardement par Espartero, elles détournèrent les projectiles de la tour.
La tour de la Giralda
Sainte Justa et Sainte Rufina – deux sœurs d`une famille chrétienne de Séville martyres dans des persécutions antichrétiennes des empereurs romains avec la tour de la cathédrale de Séville.
Aussi les représente-t-on d'ordinaire de chaque côté de la Giralda aussi bien qu'avec des alcarazas ou vases de terre pour attribut. La Colombine est contiguë à la cathédrale.
Au nouveau musée de Séville, une grande salle est remplie des seules toiles de Murillo; nous y passâmes plusieurs heures dans les douces et pures jouissances que procure la contemplation des chefs-d'oeuvre de la peinture. Nous ne pouvions nous éloigner surtout de Saint Thomas de Villeneuve donnant l'aumône aux pauvres, et du Christ se détachant de la croix pour donner à saint François un mystique baiser. Murillo s'y est surpassé lui-même.
La Sainte-Vierge Marie par Bartolomé Esteban Murillo (1617-1682)
Quant à l'Alcazar, il défie toute description. Les arabesques, les feuillages, les ciselures, les fines colonnettes, les arcs élégants, les formes mauresques les plus pures de ce palais charmant, l'éclat de ses faïences vernissées, les vives couleurs de ses plafonds à poutrelles et de ses coupoles, les stalactites rocailleuses de leurs pendentifs, cette promenade qui vous fait passer de surprise en surprise.
Alcazar de Séville
LA VILLE DE CADIX
Nous laissons derrière nous Puerto Santa-Maria, dont les eaux limpides vont abreuver Cadix, et qui doit son nom à l'image de la Vierge trouvée après le départ des musulmans dans les fouilles ordonnées par Alphonse le Sage (en 1264) pour la fondation de la ville nouvelle; le Trocadero, canal bordé de chantiers de construction, et que le duc d'Angoulême, comme nous l'avons dit, enleva en 1823; Puerto-Real, que le Trocadero met en communication avec le fond de la baie de Cadix; la Carraca, grand arsenal maritime; et nous entrons dans l'île de Léon, à l'extrémité de laquelle s'élève Cadix, une des reines de la mer. La situation de ce port, entre l'Océan et la Méditerranée, entre l'Orient et l'Amérique, entre l'Europe et l'Afrique, est des plus avantageuses; et si l'histoire du commerce signale ces parages comme privilégiés dès la haute antiquité, l'avenir ne leur promet qu'un accroissement de fortune et d'activité. Cadix est très andalouse, c'est-à-dire riche, belle, propre, religieuse, poétique, et morale.
Cadix
Como Somos Per Consello - Cantique 119 de Alphonse le Sage (1221-1264) roi de Castille en l`honneur de la St-Vierge Marie - par l`Ensemble Obsidienne
Un de nos meilleurs et plus poétiques souvenirs d'Espagne est celui d'une promenade du soir à l'alameda de Apodaca, bordée d'un côté par de riches habitations à balcons vitrés, de l'autre par la mer, qui va expirer au pied des collines de Rota et de Port Sainte-Marie. Des jardins fleuris, des bancs de marbre blanc, où s'asseyaient les Gaditanes à la mantille noire, quelques palmiers au panache oriental, une douce brise de la mer glauque, un ciel si profond et si bleu, qu'il eût paru sombre sans l'éclat de ses étoiles d'or; c'était à ravir, lorsque des chants religieux et les accords de l'orgue, sortant d'une gracieuse église, ouverte sur l'alameda, s'élevèrent au ciel dans le silence de la nuit, comme une hymne de la nature et de l'homme reconnaissant envers le Créateur.
Femmes espagnoles avec la mantille noire
Alameda de Apodaca
Alameda de Apodaca
Alameda de Apodaca
MALAGA.- GRENADE.
Malaga
Le navire cinglait depuis longtemps vers le nord-est, et le rocher géant montrait encore sa tête au-dessus d'une blanche collerette de nuages. A Malaga, l'on comprend très-bien que notre activité moderne s'arrange assez mal du genre de construction des anciennes villes mauresques.
La ville de Malaga en Andalousie
Sa cathédrale, oeuvre de Diégo de Siloé, possède une très-riche silleria ou stallerie; elle est imposante, surtout à l'extérieur et vue à distance, par exemple du bord des navires en rade. C'est alors un colosse qui semble couvrir de son ombre la cité. William Rose, amateur des grands panoramas autant que des ruines, m'entraîna à l'alcazaba et au castillo de Gibral faro; du haut de leurs vieilles tours de briques et de leurs remparts crénelés, le regard embrasse la mer, la vega et les monts fertiles où mûrit le raisin.
Cathédrale de Malaga - Santa Iglesia de la Encarnación
De la mer, on croirait que les montagnes voisines sont nues et stériles; mais nous les traversâmes en nous rendant à Grenade, et nous vîmes alors avec quel labeur et quels soins elles sont cultivées. Les ceps courts et isolés ressemblent de loin à des touffes d'herbe, et rien ne fait soupçonner la présence des trésors que leur feuillage abrite. Voici des chiffres éloquents. Malaga exporte par an un million de litres de vins, dix millions de kilogrammes de raisins secs muscats, environ moitié de raisins longs, pasas largas. Elle y ajoute autant de figues et cerises sèches, dix millions de litres d'huile, quinze cent mille citrons; sans parler des olives, des grenades, des oranges, et de cent autres produits qu'elle tire, il est vrai, d'une bonne partie de l'Andalousie.
Grenade
La nature est si belle à Grenade, que l'Alhambra, le Généralife, ces monuments mauresques dont le nom seul excite les plus doux rêves, lui doivent autant qu'à l'art leurs charmes et leur célébrité. Vous retrouverez à Grenade, mais très-accusée, la physionomie mauresque des principales villes de l'Andalousie. Toutefois l'animation générale, la gaieté, les promenades, qui supposent des moeurs douces et un caractère sociable, les peintures d'ornements en grisaille sur fond rose ou vert-pomme à la façade des maisons révèlent hautement l'influence chrétienne.
L'Alhambra de Grenade
La cathédrale de l'Incarnation de Grenade
La cathédrale de l'Incarnation de Grenade
La cathédrale, construite par Diego de Siloé (1529-1560), est vaste et a cinq nefs, comme la plupart des grandes églises d'Espagne. Nous y remarquâmes surtout le sanctuaire ou capilla mayor, avec ses colonnes corinthiennes qui portent les statues colossales des douze apôtres, ses verrières historiées et ses belles peintures d'Alonzo Cano et de ses élèves. Parmi de somptueuses chapelles, on distingue la capilla real; là sont les tombeaux de Ferdinand et d'Isabelle, là aussi reposent le roi Philippe I et sa femme Jeanne la Folle, mère de Charles-Quint. Le Zacatin est une vieille rue arabe qui suffirait à elle seule pour captiver l'antiquaire, si l'Alhambra ne l'appelait à étudier le chef-d'oeuvre, le dernier mot de l'architecture mauresque. Le nom de l'Alhambra vient du mot arabe El-Ahhmer, féminin El-Hhamra, rouge, à cause du ton des murs de briques de la forteresse, ou bien du nom même des Alhamarides qui ont régné à Grenade, et bâti le somptueux palais que renferme cette citadelle.
Le Generalife de Grenade
En face d'elle, sur la colline opposée, s'élève le Généralife, où l'on arrive par un ravin, à travers les cactus et les lauriers-roses. Les eaux, les arbustes, les ombrages, les fleurs font encore de cette maison de campagne un séjour de délices, bien que les constructions et les fines sculptures qui les décorent aient beaucoup souffert du temps et des badigeonneurs. L'alcazar nous attirait malgré tout par un charme irrésistible. Nous aimions ses remparts en ruine , l'ombrage épais de ses beaux arbres; nous allions de l'Alhambra à l'opulente demeure, aux magnifiques jardins des Calderon, d'où l'on découvre si bien la ville aux toits gris, la verte vega et les champs de maïs, les cimes roses et blanches de la sierra Nevada, tout cet horizon de montagnes qui se parent de teintes nouvelles à chaque heure du jour.
FIN
Peintures de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol. Il est considéré comme l'un des principaux représentants de la peinture espagnole.
L`Immaculée-Conception - Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Saint-Jean exilé sur l`île de Patmos - Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Diego Velázquez, ( 1599- 1660) - peintre baroque espagnol.
Peinture de Zurbaran - peintre baroque espagnol
Peinture de Zurbaran - peintre baroque espagnol - La Charité
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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