CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
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CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES
EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857 (Extraits)
Comme gage d'une aussi grande faveur, recevez la bénédiction apostolique que Nous vous accordons de grand cœur, à vous même,
cher fils, et à toute votre famille. Donné à Rome , à Saint- Pierre, le 14 jour du mois de juin de l'année 1854 , l'an huitième de notre Pontificat. PIE IX , PAPE.
1 - A TOUT SEIGNEUR TOUT HONNEUR
Oh ! le beau proverbe, mes bons amis , et que j'ai grand plaisir à le rencontrer au début de nos petites causeries !
L'honneur dû aux supérieurs, quels qu'ils soient, parents, maîtres, magistrats, souverains, c'est le lien des familles , des cités, des États ; c'est le premier devoir de tous ceux qui ont des supérieurs. Et où est celui, je vous prie , si haut placé que vous le supposiez , qui, même sur la terre, n 'ait des supérieurs ? Le Pape lui- même, la plus haute autorité qui existe ici-bas, obéit à son confesseur, dans la conduite de sa conscience ; - s'il est malade , il obéit à son médecin . Et remarquez que c'est peu de parler d 'obéissance, l'honneur dit bien plus.
Honorer c'est non -seulement obéir matériellement à celui qui est en droit de nous commander , c 'est encore avoir pour lui le respect et l'amour. – Oh ! oui, une société où notre proverbe servirait de règle à chacun serait une société parfaite . Et s'il s'en faut de tant que nos sociétés aient atteint cette perfection , c'est surtout parce que nous avons perdu l'habitude d'obéir à nos supérieurs, de les respecter, de les aimer. – Que penser donc, mes chers amis, de ceux qui disent, par leurs actions, sinon par leurs paroles : A tout Seigneur tout honneur, excepté au Seigneur des Seigneurs, au Roi des Rois? – (Dieu)
Ou plutôt que dire de nous-mêmes, si nous sommes bons fils , bons serviteurs, bons citoyens, et que nous soyons mauvais chrétiens? Nous savons bien que Dieu est notre créateur et notre souverain Seigneur. Nous sommes nés dans un pays catholique ; notre enfance a été nourrie du pain de la vérité ; peut- être avons-nous été bercés sur les genoux d 'une mère pieuse, qui se plaisait a former nos jeunes coeurs à l'amour de Dieu. Aussi avons-nous conservé de ces premières impressions un vivant souvenir. La raison d`ailleurs suffit a nous démontrer combien il serait absurde que Dieu seul soit excepté de la règle générale exprimée par notre proverbe. Et cependant, chers amis, quelle place Dieu occupe t - il dans notre vie ? quel honneur lui rendons- nous ?
Dieu existe ; il vous a comblés de ses biens; vous avez donc des hommages à lui rendre. - Et cependant combien de fois par jour, que dis - je ? par semaine, ou par mois, élevez-vous vers lui un coeur reconnaissant ? Encore une fois, quel rang Dieu tient-il dans vos pensées, dans vos affections, dans vos entretiens ? – Reconnaissez- le ; vous vivez absolument comme si Dieu n ' existait pas.
Que faire donc ? Rougir de cette conduite ; et, puisque Dieu a établi sur la terre des ministres de sa loi , qui sont comme ses représentants auprès de nous, il vous faut, mes bons amis , aller trouver un de ces hommes, et lui dire : « Mon père , je sens que j'ai jusqu 'ici manqué à un grand devoir. Je me pique d 'être a un homme juste et de rendre à chacun ce qui lui est dû ; et cependant je commets l' énorme injustice de vivre éloigné de Celui à qui sont dus, avant tous les autres, l'honneur, la louange et l'amour. Il fut un temps où j'étais plus heureux , parce que j'étais plus juste ; je me rappelle avoir aimé le Bon Dieu dans ma petite enfance . Rapprenez-moi, mon père , cette science . Je ne craindrai pas de reprendre, au premier chapitre , le catéchisme de mes jeunes années . Dieu nous a créés, disait ce catéchisme, pour le connaître , l'aimer et le servir , et par ce moyen obtenir la vie a éternelle .
Faites cela , chers amis. Vous n 'aurez pas de peine à trouver un bon prêtre qui pleurera de joie en voyant votre bonne volonté . Combien vous serez plus heureux alors ! combien l'obéissance vous sera moins pénible, lorsque vous aurez rappris que toute autorité vient de Dieu ! Combien aussi le commandement, si vous êtes, appelés à l'exercer, vous deviendra plus facile ! En vous voyant obéir à Dieu, vos enfants, vos ouvriers, vos domestiques auront moins de peine à vous obéir . Car ils sauront, eux aussi, par votre exemple et par vos leçons, qu'en vous obéissant ils obéissent au souverain Maître ; et ils seront fiers de cette obéissance dont on a dit qu'elle était une véritable royauté : Servir Dieu , c'est régner.
2 - CONTENTEMENT PASSE RICHESSES
Gardez -vous de croire, mes chers amis, que je veuille dire ici du mal des riches en général. Il y a de très- bons riches; j'en connais, et vous en connaissez ; il en est que ni vous ni moi ne connaissons, mais dont les mérites sont connus de l'oeil de Dieu ; et ce sont, à cause de cette obscurité même, les plus heureux . Non, je ne veux pas dire du mal des riches en général, pas plus que je ne veux, en général, dire du bien des pauvres, par cela seul qu'ils sont pauvres. Il y a de très-mauvais pauvres, qui blasphèment la Providence , au lieu de la bénir et de la prier , qui ont le coeur rongé de haine et d 'envie, et qui sont ainsi à la fois bien coupables et bien malheureux . Non ; ce que je veux dire, parce que c'est une vérité de raison et de foi, c'est que les richesses ne font pas le bonheur à elles seules ; c'est qu 'elles entraînent avec elles beaucoup de soucis ; c' est que, si nous nous y attachons trop , ce qui arrive bien souvent, elles nous ôtent la paix de notre cœur, et deviennent alors un fléau plutôt qu 'une bénédiction .
Ce que je veux dire, c' est que les richesses ne sont rien , comparées au contentement. Et notez que, par ce mot, je n 'entends pas le plaisir : non ; mais cette délicieuse paix de l'âme, ce vrai contentement du coeur , qui a sa source en Dieu , ce sentiment qui assaisonne et élève toute la vie , qui est d 'autant plus vif et plus complet, qu 'en aimant Dieu davantage, nous sommes plus satisfaits des autres et de nous- mêmes. Ce contentement, les saints l' ont trouvé jusque dans une extrême pauvreté, ce qui vous prouve combien il est indépendant de la fortune. Si donc la Providence vous a donné une toute petite aisance, un pain que chaque jour vous gagnez en travaillant, le pouvoir de mettre, chaque jour aussi, de côté quelque chose , pour la maladie, la survenance d 'enfants, les vieux jours, et si surtout, avec cela , vous aimez le Bon Dieu ; oh ! gardez- vous, mes chers amis , de porter envie à de plus riches. Le lot le plus heureux vous est échu ; vous avez cette vie dorée que les sages même de l'antiquité ont tant exaltée, sans la connaître vraiment, puisqu 'ils étaient étrangers a ce profond sentiment d ' amour de Dieu , qui en fait le plus grand charme.
C ' est dans ce sens que je dis : Contentement passe richesses ; et je suis sûr que, la main sur votre cœur, vous pensez et dites comme moi. Que si vous êtes aux prises avec la misère , et que le découragement, peut-être le désespoir , soit tout près de votre âme, que souhaiterai-je de préférence pour vous? Les richesses ? ou le contentement ? Le contentement, sans hésiter . Ce qui ne veut pas, dire que je ne prierai pas le Bon Dieu d'adoucir les rudes épreuves qu' il vous a envoyées, ni que vous deviez vous-mêmes craindre de faire de semblables prières. Je ne dis pas que la misère vaille mieux que l'aisance. Je dis que, dans l'aisance comme dans la misère, et dans la misère comme dans l'aisance , c'est le coeur qui est la source de toute vraie joie ; que par conséquent le contentement vaudra toujours mieux que les richesses.
Veuillez le remarquer en effet, mes bons amis ; le bonheur ne consiste pas dans les circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons, mais dans l'état de notre âme. Au milieu de toutes les jouissances du luxe, le possesseur de richesses injustement acquises est malheureux ; car l'aiguillon du remords lui inflige des douleurs qui atteignent son âme, et la rendent incapable de goûter purement la moindre joie . — Il n 'y a pas de paix pour l'impie , a dit Dieu lui-même; or il n 'y a point de bonheur sans paix . Que font à cela les richesses ? Ce que je vous souhaite par-dessus tout, c'est le contentement, mais le contentement chrétien , qui n 'est autre que la paix et la joie de la conscience. Voulez-vous que je vous en donne quelques exemples ? Je les prendrai dans votre propre histoire. Je pourrais vous dire que la paix de l'âme, ce contentement chrétien que je vous recommande, se trouve en général dans l'accomplissement de tous vos devoirs. – Mais je vais plus loin , et je veux vous signaler, dans cette paix continuelle d 'une conscience toujours honnête , quelques joies plus vives, quelques tressaillements pour ainsi dire de votre coeur, alors qu'il s'est approché de plus près de la divine perfection vers laquelle il doit tendre sans cesse.
Lorsque vous avez soulagé votre prochain en vous sacrifiant vous-même; lorsque vous avez remporté sur un vice qui vous éloignait de Dieu quelque notable victoire ; lorsque, dans la divine Eucharistie , vous avez reçu , avec le corps du Sauveur, une abondance de grâces que la parole humaine ne saurait dire , et que dans ce contact immédiat avec le Dieu d 'amour, vous avez senti tout ce qu'il y a de bon en vous se développer et s 'échauffer , tandis que, comme repoussées par ce foyer divin , vos mauvaises passions perdaient du terrain ; - dites si vous n 'avez pas goûté un bonheur, une joie, un contentement dont toutes les richesses ne sauraient approcher !
3 - PIERRE QUI ROULE N'AMASSE PAS DE MOUSSE.
Vous avez sans doute rencontré quelquefois, sur le bord d 'un ruisseau , dans un recoin écarté , au fond des bois, une pierre à moitié enfoncée dans le sol, et recouverte d 'une mousse verte et touffue ; le voyageur fatigué se réjouit en l'apercevant, soit qu'il veuille s'y asseoir et respirer le frais, soit qu 'il y pose ses deux genoux, comme sur un moelleux coussin , tandis que, le corps penché, il hume l' eau limpide du ruisseau . Fidèle aux lieux où , depuis des siècles peut-être, la Providence l'a déposée, elle a vu chaque année s'épaissir son tapis verdoyant. Elle-même, protégée contre les ardeurs du soleil, elle devient aussi précieuse aux rares passants qui l'approchent, qu'un caillou d 'ordinaire est inutile et méprisé . Tournez maintenant vos regards vers cette autre pierre , placée peut-être d'abord dans la même obscurité , mais que je ne sais quel triste hasard a jetée sur les routes de la montagne. Là , tantôt le pied du promeneur, tantôt celui du mulet, la rencontre et la pousse, comme un obstacle maudit. Ainsi roulant toujours, elle n 'amasse pas de mousse , comme dit notre Proverbe. Les années succèdent aux années, et elle est toujours la même, jusqu 'à ce que, descendue sur les grands chemins de la plaine, elle y trouve l'impitoyable marteau du cantonnier qui la broie et disperse ses débris, pour être à jamais foulés aux pieds de tous.
Quel enseignement, mes bons amis ! Si vous êtes vous-mêmes à l'abri des passions brûlantes, et de la misère, et du mépris, et de la ruine, qu 'elles traînent à leur suite , si vous pouvez rendre à vos frères ces bons offices qui partent du coeur bien plus encore que de la bourse ; bénissez Dieu , qui a caché votre vie sous l'abri tutélaire du toit paternel, qui entoure votre faiblesse d ' influences bienfaisantes, et vous rend ainsi l'existence plus douce et la vertu plus facile. Souvenez vous que de grandes bénédictions sont attachées à la fidélité avec laquelle vous conservez la position que le Ciel vous a faite. A moins d 'absolue nécessité, évitez donc de changer de profession , ou de ville, ou de quartier ; gardez l'état de votre père, où le souvenir de sa probité lui survit et vous protège ; demeurez dans la ville où votre mère a fait sa première communion , et où sa mémoire bénie vous soutient contre les mauvaises tentations ; soyez fidèles au quartier où chacun vous connaît, et où , pour réussir , si votre ambition est modeste, vous n 'avez qu 'à suivre le sillon tout tracé devant vous.
N 'oubliez pas que trois déménagements équivalent à un incendie , non point seulement à cause de tout ce qui s 'oublie , se brise , se perd ou se vole dans ces changements perpétuels, mais surtout parce que, chaque fois que vous quittez une ville ou un quartier, vous laissez derrière vous un trésor que rien ne peut remplacer, le plus précieux de tous les héritages : cet en semble de souvenirs, d 'affections, de bonne réputation , si long et si difficile à former. Votre père et votre grand-père y avaient travaillé avant vous : vous en recueilliez les fruits . Quelle perte immense n 'avez- vous pas faite , la première fois que vous avez sacrifié à votre humeur inconstante ce précieux patrimoine ! Que si, après vous être acclimaté dans une autre localité, vous l'avez encore quittée , lorsque vous commenciez à reconstituer votre trésor, vous avez été bien imprudent. Et certes , au troisième changement, il n 'est pas d 'incendie qui ait pu produire des pertes plus grandes, ni plus irréparables. Craignez donc, si vous roulez toujours ainsi, de ne point amasser de mousse : ni instruction pour votre esprit , ni expérience pour votre vie, ni économies pour vos vieux jours, ni héritage pour vos enfants. Ayez toujours devant les yeux l'histoire de nos deux pierres; et dites- vous qu 'il dépend de vous de choisir entre le sort enviable de la première, et la misérable destinée de la seconde.
4 - IL NE FAUT PAS S'EMBARQUER SANS BISCUIT
Si vous avez habité le bord de la mer , mes bons amis, vous devez savoir ce que c'est que le biscuit. Je ne parle pas de certain gâteau que nous aimions fort, vous et moi, quand nous étions écoliers ; mais bien d 'un pain très- dur, appelé ainsi parce qu 'il a subi une double cuisson : - biscuit veut dire deux fois cuit ; - et qui est la nourriture principale des matelots. Une fois lancés sur l'immensité des mers, ces pauvres matelots seront longtemps sans voir la terre, bien des jours , bien des mois, plusieurs années peut- être. Aussi l'imprudent équipage qui négligerait de s'approvisionner abondamment de ce précieux biscuit courrait grand risque de mourir de faim avant d 'arriver à destination . Me demanderez -vous, chers amis , où j' en veux venir , et ce qu 'il y a de commun entre vous, habitants des grandes villes, et ce marin qui parcourt l'Océan dans sa maison flottante ? Non , vous ne me le demanderez pas, et vous vous rappelez déjà avoir entendu comparer la vie à la haute mer, chacun de nous à un matelot , la position que Dieu nous a faite à une barque, Dieu lui-même au pilote qui nous dirige, et l' éternité au port où nous devons aborder, après une traversée dont le Ciel seul connaît et les vicissitudes et la durée.
Quel est donc, dans ce voyage mystérieux , le pain que nous devons avoir soin de placer dans notre barque ? I. De même que le biscuit de mer contient, sous un étroit volume, une quantité considérable de substance nutritive , de même que cet aliment se conserve incorruptible sous les climats les plus divers, et pendant de longues années, ainsi ne devons-nous charger notre barque que d 'un pain substantiel et qui soit à l'abri de la corruption . Pour soutenir la vie de notre corps, Dieu ne demande donc pas que nous emportions avec nous des richesses , ni de l' esprit, ni du pouvoir, toutes choses qu 'il ne dépend pas de nous de posséder. — Non , le biscuit de notre vie temporelle , c'est le travail, c'est un métier ; c 'est la possibilité de se suffire a soi-même, et de défier les révolutions, qui bouleversent les fortunes, mais laissent toujours, en fin de compte, du pain à l'ouvrier laborieux . C' est à vous que je parle , parents, vous que Dieu lui-même a chargés d 'introduire vos enfants sur la barque de la vie, et de les approvisionner de votre mieux.
Donnez un état à vos enfants ; veillez à ce qu'ils contractent l'habitude du travail, veillez - y dès leur plus tendre enfance ; vous ne sauriez trop tôt leur donner cette ressource précieuse . Celui qui entre dans la vie sans état est comme un matelot qui s'embarque sans biscuit, il aura tôt ou tard à lutter contre le besoin. Et, de même que, dans des naufrages fameux, on a vu des hommes, rendus féroces par la faim , se dévorer entre eux , de même, si vos enfants n 'ont point de pain assuré pendant la traversée de cette vie , craignez que la faim ne les mène au crime, et le crime à l'échafaud (prison ou pire). Ce ne serait pas la première fois que l'imprévoyance ou la faiblesse des parents auraient fait le malheur et la honte des enfants !
Mais l'homme ne vit pas seulement de pain , dit Notre-Seigneur; il vit encore de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Avec le travail qui assure la vie du corps, il est encore, pour votre barque, un autre approvisionnement, faute duquel vous arriverez aussi à la mort, à une mort invisible et qui n ' en est que plus redoutable . La parole de Dieu , c'est-à-dire la Religion , ce lien de l'homme avec Dieu ; cet ensemble de faits historiques, de dogmes, de préceptes qui constituent la vie de notre âme : voilà le pain spirituel que nous devons avoir soin d 'emporter avec nous.
Soit que, dans l'histoire du peuple de Dieu , dans les psaumes de David que l’Église chante chaque dimanche, dans la lecture du Saint Évangile, nous savourions les paroles sorties de la bouche de Dieu même; soit que nous apprenions, à l'aide de notre catéchisme, la science qui nous intéresse par-dessus tout : celle de Dieu et de nous-mêmes, de notre origine, de notre destinée ; soit que, par ces deux admirables conduits de la prière et des sacrements , nous élevions notre âme jusqu 'à Dieu , ou nous sentions, comme une rosée bienfaisante , la grâce divine descendre sur nous; toujours, par ces divers exercices, la partie la plus noble de nous-mêmes vit et respire, pour ainsi parler . Et si jamais nous avons eu le malheur d 'abandonner la foi, ou seulement la pratique, nous avons senti la vie diminuer par degrés au dedans de nous, et faire place à une léthargie bien voisine de la mort.
Oui, la Religion , voilà par excellence le pain sans lequel nous ne devons point nous embarquer. A peine éveillés à la vie de l'âme, que la Religion soit notre nourriture de chaque jour, le principe de toutes nos actions, et comme l'air que nous respirons. — De même que, dans un naufrage où chacun s'efforçait de sauver quelques effets précieux , un philosophe s'en allait, les mains vides , disant, dans son orgueil, et faisant allusion à la sagesse dont il se croyait nanti : J' emporte tout avec moi; - nous aussi, et bien mieux que lui, pourvu que l'amour de Dieu nous pénètre , qu'aurons-nous a redouter des périls de la traversée ? Avec ce divin bagage, nous sommes sûrs d 'arriver au port; nous sommes sûrs que, pendant les tempêtes et les orages de la vie , nous aurons au dedans de nous un refuge , un aliment, une consolation , à quoi rien d 'humain ne saurait être comparé.
Pourrions - nous, mes chers amis, parler de provision de voyage, de pain de l'âme, sans rappeler à votre vénération , à votre attendrissement, ce pain miraculeux où notre bon Sauveur a voulu se cacher tout entier ? — Lorsque, au moment de partir pour le grand voyage , un mourant reçoit la sainte communion , on dit qu 'il communie en viatique, c'est- à -dire qu 'il reçoit une nourriture destinée à le fortifier pour les luttes du dernier passage . N 'oubliez pas ce mot, mes bons amis ; n 'oubliez pas que nous sommes des voyageurs; qu'incertains de l'heure de notre mort, nous devons par conséquent nous considérer comme toujours à la veille de terminer notre course . Que la sainte communion , ce pain substantiel, soit donc une provision sacrée que nous emportions toujours avec nous! Mettons-nous en état de recevoir souvent cette divine nourriture, au moins à toutes les grandes fêtes. Recevons-la avec le recueillement, le respect , l'amour d 'un chrétien qui va paraître devant Dieu . Ainsi toutes nos communions, vraiment faites en viatique, auront pour résultat de nous adoucir les peines du voyage et de faciliter notre entrée au port bienheureux de l' éternité ! Le Travail , la Religion , l’Eucharistie : pensez à ces trois choses, lorsque vous entendrez notre proverbe : Il ne faut pas s'embarquer sans biscuit. — Que ce triple pain vous nourrisse : et vous serez heureux, ici -bas et là -haut !
5 - MAUVAISE TÊTE ET BON COEUR
Vous en parlez bien à votre aise, comme si ce n 'était rien d'avoir une mauvaise tête ou un mauvais caractère, ce qui est à peu près la même chose. Un mauvais caractère ! Mais il y a peu de défauts avec lesquels on rende plus de monde malheureux autour de soi. Avoir un mauvais caractère, c'est être impatient, soupçonneux, susceptible, entêté; toutes choses très graves, et que l'on rapporte à la tête , lorsque souvent elles tiennent au coeur de plus près que l'on ne pense .
Je pourrais vous faire remarquer d 'abord que rien n 'est plus contraire à l'esprit du Christianisme qu 'un mauvais caractère. Qu'a dit Notre -Seigneur, en effet, lorsqu 'il nous a montré en lui-même le modèle que nous devons suivre : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez, en m 'imitant, la paix de vos âmes ! Celui qui s'abandonne à son mauvais caractère est tout l'opposé de ce divin modèle. Ces révoltes continuelles contre la moindre observation , cette extrême délicatesse qui se croit toujours blessée et interprète tout en mal, cet attachement obstiné à son propre sens, est- ce autre chose que de la dureté, que de l'orgueil ?
Et lorsqu 'on juge ainsi toujours en mal ce qui est susceptible de mille interprétations favorables ou indifférentes; lorsqu'on est toujours irrité contre son prochain , qu'on ne lui passe rien , voulant que lui, au contraire, nous passe tout; lorsque, pour rien au monde, on ne céderait un pouce de son opinion ou de ses idées, on ose bien dire que l'on a un bon cœur, un cœur chrétien ! — Mais comment agissent donc les mauvais cœurs, si les bons cœurs se montrent de la sorte ? Et pourrions-nous oublier la parole du Sauveur : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ? Comment voulez - vous que nous jugions favorablement d 'un arbre dont les fruits sont si aigres et si amers ? Je vois bien votre mauvaise tête : mais votre bon cœur où est- il donc ?
Vous me direz que vous êtes très -honnête , très dévoué; que, dans les grandes occasions, on vous retrouve, et que, si vous péchez dans les détails, vous êtes, au fond , et dans ce qu' il y a de vraiment essentiel, irréprochable . Hélas! mon pauvre ami, que vous vous abusez étrangement ! Que ne venez-vous vous vanter de n 'a voir tué ni volé personne ? Remarquez que vous n 'avez aucun mérite à ne pas vous livrer aux vices pour lesquels vous n 'avez aucune inclination , ni a pratiquer des vertus , ou du moins à nourrir des sentiments que rien ne combat en vous. Si Dieu vous a donné un cœur tendre pour vos parents , une âme que les grands dévouements attirent, ce n 'est pas là un mérite de votre part; c'est une faveur, dont vous devez à Dieu compte et reconnaissance. Et puis les sentiments ne sont rien qu 'autant qu 'ils se manifestent par des actes.
Or l'effort consiste justement pour vous à lutter contre cette mauvaise tête dans laquelle vous vous complaisez presque, à vous attacher aux petites choses qui se représentent chaque jour, au lieu d 'amuser votre imagination avec de grands événements qui ne se réaliseront sans doute jamais, ou de calmer votre conscience par la contemplation de vertus qui ne vous coûtent rien . Vous me répondrez peut-être : « C 'est facile à a dire , d 'avoir un bon caractère ; mais c'est bien difficile à faire. D 'abord , moi je suis vif , et il m ' est impossible de me contenir . » Vous êtes vif, mon cher ami! - Qu ' est -ce à dire ? Si je vous disais : « Vous voulez que je sois tempérant, chaste, honnête : c'est facile à dire; mais à faire ? D 'abord , moi j'aime le vin , les plaisirs, j'aime « l'argent de mon prochain ! » vous me trouveriez absurde, et vous auriez raison . Je ne dirais pourtant que ce que vous dites.
Vous êtes vif . Eh bien , travaillez a modérer cette vivacité, ou à lui donner un bon cours, Réprimez vos premiers mouvements , quand ils sont mauvais ; pensez- y tous les jours; tous les jours cherchez à gagner sur vous-même. La vie ne vous a pas été donnée pour autre chose . Mais n 'entreprenez pas seul cette besogne difficile ; appelez Dieu à votre secours; cherchez-le là où il se trouve : dans la prière et dans les sacrements. Surtout allez vous confesser ; allez- y souvent. Vous avez remarqué que, lorsque vous reveniez du tribunal de la pénitence, vous étiez meilleur; que le baume du sacrement avait adouci l'amertume de votre humeur. Puisque vous connaissez le remède, employez - le. Vous retomberez souvent : - sans doute ; on ne triomphe pas, en un jour, d 'un ennemi dont si longtemps on a porté le joug . Mais Dieu lui-même a promis la victoire à la persévérance .
Persévérez donc, et vous vaincrez. Pour cela cependant une première disposition est nécessaire; c 'est que vous mettiez tout à fait de côté le proverbe menteur que nous combattons; c'est que vous soyez persuadé que vous n 'aurez jamais un vraiment bon coeur, un bon coeur selon Dieu et selon vos frères, que lorsqu 'il se traduira par un bon caractère. Il faut surtout que vous considériez résolument ce mauvais caractère comme votre grand ennemi, comme votre passion dominante, comme celle qui, si vous vous y abandonnez , vous mènera en enfer . Ayez le courage de penser à cela , et vous n 'hésiterez plus à employer les moyens qui vous transformeront, à la grande surprise de vos amis, qui commencent à vous croire incurable , à la grande édification de tous. Car remarquez en passant que le caractère aigre et difficile de certaines personnes chrétiennes est, pour ceux qui n 'ont pas le bonheur de croire, un grand scandale . Qui sait si telle âme, sur le point de se convertir, n 'a pas été arrêtée par le spectacle de vos impatiences et de vos rancunes ?
6 - IL FAUT BIEN QUE JEUNESSE SE PASSE - COURTE ET BONNE.
Certainement il faut que jeunesse se passe .Mais la question est de savoir comment il faut qu 'elle se passe . Je dis, moi, qu'il faut qu'elle se passe bien . Votre proverbe a l'air de dire, c'est du moins dans ce sens qu'on l'entend d 'ordinaire , que dans la jeunesse il faut s'amuser; — Dieu sait ce que cela signifie ! - que d'ailleurs, voulut-on faire autrement, on ne le pourrait point, entraîné que l'on est par la force des passions, que l'on a bien le temps d ' être sage quand on arrive à un âge avancé , etc., etc., etc . Dites -moi, mes bons amis, que penseriez- vous d 'un apprenti qui dirait : « Il faut bien que jeunesse se passe. J'aurai le temps de travailler lorsque je serai ouvrier . Maintenant que je suis dans le printemps de ma vie , je veux en cueillir les roses, m 'amuser et ne rien faire ? » Vous diriez : Mais cet apprenti est un apprenti de Charenton . Car s'il ne travaille pas à apprendre son état , comment pourra -t -il l'exercer un jour ? Les années de l'apprentissage sont les plus importantes de la vie ; c 'est d ' elles que dépend souvent toute la suite de la carrière.
C 'est alors que l'on sème ce que l' on commencera de moissonner plus tard. Ce sont les bonnes habitudes contractées pendant ce noviciat qui, fructifiant dans les années suivantes, font l'honnête et solide ouvrier. Eh bien, mes chers amis, un jeune homme, qu'est ce autre chose qu 'un apprenti-homme ? - Et vous voulez qu ' en passant dans le plaisir , c'est- à -dire, pour parler clair , dans l'oubli de tous ses devoirs, dans la débauche, dans l'impiété, vous voulez qu'en passant ainsi les belles années de sa jeunesse, cet apprenti devienne un homme, c 'est - à -dire un bon époux, un citoyen utile , un père de famille ! N ' est-ce pas de la folie ? Vous savez bien que notre vie est un combat perpétuel, une lutte de chaque jour contre nos mauvais instincts. Vous savez que les véritables hommes, ceux qui remplissent leur mission ici-bas, qui font du bien à leurs semblables, qui vivent honorés et meurent pleurés de tous, ce sont les hommes de coeur, chez qui les instincts de la chair et du sang sont dominés par une âme forte , ces hommes qui savent s'immoler a leur devoir, se sacrifier au bonheur de leurs semblables, mourir pour leur patrie, se consacrer à une multitude de dévouements et de sacrifices d 'autant plus méritoires qu 'ils sont plus cachés et connus de Dieu seul. Vous savez tout cela , et, pour faire des hommes semblables, vous voulez que vos enfants commencent par être les esclaves volontaires de ces passions qu'il s'agira pour eux de dompter plus tard ! Étrange manière de former des soldats victorieux, que de les inviter à se laisser défaire sans combat, et à rendre d 'abord les armes à l' ennemi! Ne me dites pas que ces jeunes gens, qui se sont amusés, deviennent d'excellents pères de famille. — Il est évident qu 'ils seraient bien meilleurs s'ils s 'étaient de bonne heure formés aux mâles vertus qui ne sont pas moins utiles au bien-être de la société qu 'au salut du chrétien .
Il est évident que bien des choses leur manquent; et qu 'à supposer qu' ils soient vraiment revenus à de bons sentiments, ce doit être pour eux un éternel sujet de remords d 'avoir ainsi profané leurs jeunes années. Oh ! mes amis, je suis bien loin de dire que les années de la jeunesse ne soient pas difficiles à passer ! Dieu me garde surtout de jeter la pierre aux pauvres jeunes gens qui succombent dans cette route si laborieuse ! Mais, au nom du ciel, ne cherchez pas, vous leurs parents , à justifier ces écarts ; ne fournissez pas à ces jeunes imprudents une doctrine qui les endorme dans le mal. Que nous n 'ayons pas à déplorer ce scandale de voir des mères chrétiennes encourager le désordre de leurs fils , et les aider à faire taire la voix de leur conscience ! C 'est bien assez de faire le mal, sans chercher encore à se persuader qu 'on a le droit de le faire . Oui, mes chers amis, il faut que la jeunesse se passe. C 'est une époque orageuse; priez Dieu que vos enfants : la traversent sans chavirer; ou , si le vaisseau qui les porte doit faire un triste naufrage, que du moins la foi . leur reste , et avec elle une planche assurée de salut et de retour.
Dirons-nous quelque chose de ce triste axiome et l'usage des libertins : Courte et bonne? Hélas ! il renferme dans son premier mot une bien cruelle vérité; c' est que, trouvant leur punition dès cette vie , les passions honteuses, l'intempérance, la débauche, le jeu , abrègent bien souvent l'existence de ceux qui s'y adonnent. Nous le savons tous : la vie de l'impie , la vie du libertin peut être courte ; - mais certes elle n 'est pas bonne. Et, de même qu'il est dit : « Cherchez d 'abord le royaume de Dieu , et tout le reste vous sera donné par surcroît; » de même on peut dire : Cherchez le royaume du démon ( de l`ange déchu); c'est-à -dire marchez, par une vie criminelle , vers l'éternelle damnation ; et le reste, c'est-à -dire la damnation temporelle , le désespoir de la conscience, vous sera imposé par surcroît.
EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857 (Extraits)
Comme gage d'une aussi grande faveur, recevez la bénédiction apostolique que Nous vous accordons de grand cœur, à vous même,
cher fils, et à toute votre famille. Donné à Rome , à Saint- Pierre, le 14 jour du mois de juin de l'année 1854 , l'an huitième de notre Pontificat. PIE IX , PAPE.
1 - A TOUT SEIGNEUR TOUT HONNEUR
Oh ! le beau proverbe, mes bons amis , et que j'ai grand plaisir à le rencontrer au début de nos petites causeries !
L'honneur dû aux supérieurs, quels qu'ils soient, parents, maîtres, magistrats, souverains, c'est le lien des familles , des cités, des États ; c'est le premier devoir de tous ceux qui ont des supérieurs. Et où est celui, je vous prie , si haut placé que vous le supposiez , qui, même sur la terre, n 'ait des supérieurs ? Le Pape lui- même, la plus haute autorité qui existe ici-bas, obéit à son confesseur, dans la conduite de sa conscience ; - s'il est malade , il obéit à son médecin . Et remarquez que c'est peu de parler d 'obéissance, l'honneur dit bien plus.
Honorer c'est non -seulement obéir matériellement à celui qui est en droit de nous commander , c 'est encore avoir pour lui le respect et l'amour. – Oh ! oui, une société où notre proverbe servirait de règle à chacun serait une société parfaite . Et s'il s'en faut de tant que nos sociétés aient atteint cette perfection , c'est surtout parce que nous avons perdu l'habitude d'obéir à nos supérieurs, de les respecter, de les aimer. – Que penser donc, mes chers amis, de ceux qui disent, par leurs actions, sinon par leurs paroles : A tout Seigneur tout honneur, excepté au Seigneur des Seigneurs, au Roi des Rois? – (Dieu)
Ou plutôt que dire de nous-mêmes, si nous sommes bons fils , bons serviteurs, bons citoyens, et que nous soyons mauvais chrétiens? Nous savons bien que Dieu est notre créateur et notre souverain Seigneur. Nous sommes nés dans un pays catholique ; notre enfance a été nourrie du pain de la vérité ; peut- être avons-nous été bercés sur les genoux d 'une mère pieuse, qui se plaisait a former nos jeunes coeurs à l'amour de Dieu. Aussi avons-nous conservé de ces premières impressions un vivant souvenir. La raison d`ailleurs suffit a nous démontrer combien il serait absurde que Dieu seul soit excepté de la règle générale exprimée par notre proverbe. Et cependant, chers amis, quelle place Dieu occupe t - il dans notre vie ? quel honneur lui rendons- nous ?
Dieu existe ; il vous a comblés de ses biens; vous avez donc des hommages à lui rendre. - Et cependant combien de fois par jour, que dis - je ? par semaine, ou par mois, élevez-vous vers lui un coeur reconnaissant ? Encore une fois, quel rang Dieu tient-il dans vos pensées, dans vos affections, dans vos entretiens ? – Reconnaissez- le ; vous vivez absolument comme si Dieu n ' existait pas.
Que faire donc ? Rougir de cette conduite ; et, puisque Dieu a établi sur la terre des ministres de sa loi , qui sont comme ses représentants auprès de nous, il vous faut, mes bons amis , aller trouver un de ces hommes, et lui dire : « Mon père , je sens que j'ai jusqu 'ici manqué à un grand devoir. Je me pique d 'être a un homme juste et de rendre à chacun ce qui lui est dû ; et cependant je commets l' énorme injustice de vivre éloigné de Celui à qui sont dus, avant tous les autres, l'honneur, la louange et l'amour. Il fut un temps où j'étais plus heureux , parce que j'étais plus juste ; je me rappelle avoir aimé le Bon Dieu dans ma petite enfance . Rapprenez-moi, mon père , cette science . Je ne craindrai pas de reprendre, au premier chapitre , le catéchisme de mes jeunes années . Dieu nous a créés, disait ce catéchisme, pour le connaître , l'aimer et le servir , et par ce moyen obtenir la vie a éternelle .
Faites cela , chers amis. Vous n 'aurez pas de peine à trouver un bon prêtre qui pleurera de joie en voyant votre bonne volonté . Combien vous serez plus heureux alors ! combien l'obéissance vous sera moins pénible, lorsque vous aurez rappris que toute autorité vient de Dieu ! Combien aussi le commandement, si vous êtes, appelés à l'exercer, vous deviendra plus facile ! En vous voyant obéir à Dieu, vos enfants, vos ouvriers, vos domestiques auront moins de peine à vous obéir . Car ils sauront, eux aussi, par votre exemple et par vos leçons, qu'en vous obéissant ils obéissent au souverain Maître ; et ils seront fiers de cette obéissance dont on a dit qu'elle était une véritable royauté : Servir Dieu , c'est régner.
2 - CONTENTEMENT PASSE RICHESSES
Gardez -vous de croire, mes chers amis, que je veuille dire ici du mal des riches en général. Il y a de très- bons riches; j'en connais, et vous en connaissez ; il en est que ni vous ni moi ne connaissons, mais dont les mérites sont connus de l'oeil de Dieu ; et ce sont, à cause de cette obscurité même, les plus heureux . Non, je ne veux pas dire du mal des riches en général, pas plus que je ne veux, en général, dire du bien des pauvres, par cela seul qu'ils sont pauvres. Il y a de très-mauvais pauvres, qui blasphèment la Providence , au lieu de la bénir et de la prier , qui ont le coeur rongé de haine et d 'envie, et qui sont ainsi à la fois bien coupables et bien malheureux . Non ; ce que je veux dire, parce que c'est une vérité de raison et de foi, c'est que les richesses ne font pas le bonheur à elles seules ; c'est qu 'elles entraînent avec elles beaucoup de soucis ; c' est que, si nous nous y attachons trop , ce qui arrive bien souvent, elles nous ôtent la paix de notre cœur, et deviennent alors un fléau plutôt qu 'une bénédiction .
Ce que je veux dire, c' est que les richesses ne sont rien , comparées au contentement. Et notez que, par ce mot, je n 'entends pas le plaisir : non ; mais cette délicieuse paix de l'âme, ce vrai contentement du coeur , qui a sa source en Dieu , ce sentiment qui assaisonne et élève toute la vie , qui est d 'autant plus vif et plus complet, qu 'en aimant Dieu davantage, nous sommes plus satisfaits des autres et de nous- mêmes. Ce contentement, les saints l' ont trouvé jusque dans une extrême pauvreté, ce qui vous prouve combien il est indépendant de la fortune. Si donc la Providence vous a donné une toute petite aisance, un pain que chaque jour vous gagnez en travaillant, le pouvoir de mettre, chaque jour aussi, de côté quelque chose , pour la maladie, la survenance d 'enfants, les vieux jours, et si surtout, avec cela , vous aimez le Bon Dieu ; oh ! gardez- vous, mes chers amis , de porter envie à de plus riches. Le lot le plus heureux vous est échu ; vous avez cette vie dorée que les sages même de l'antiquité ont tant exaltée, sans la connaître vraiment, puisqu 'ils étaient étrangers a ce profond sentiment d ' amour de Dieu , qui en fait le plus grand charme.
C ' est dans ce sens que je dis : Contentement passe richesses ; et je suis sûr que, la main sur votre cœur, vous pensez et dites comme moi. Que si vous êtes aux prises avec la misère , et que le découragement, peut-être le désespoir , soit tout près de votre âme, que souhaiterai-je de préférence pour vous? Les richesses ? ou le contentement ? Le contentement, sans hésiter . Ce qui ne veut pas, dire que je ne prierai pas le Bon Dieu d'adoucir les rudes épreuves qu' il vous a envoyées, ni que vous deviez vous-mêmes craindre de faire de semblables prières. Je ne dis pas que la misère vaille mieux que l'aisance. Je dis que, dans l'aisance comme dans la misère, et dans la misère comme dans l'aisance , c'est le coeur qui est la source de toute vraie joie ; que par conséquent le contentement vaudra toujours mieux que les richesses.
Veuillez le remarquer en effet, mes bons amis ; le bonheur ne consiste pas dans les circonstances au milieu desquelles nous nous trouvons, mais dans l'état de notre âme. Au milieu de toutes les jouissances du luxe, le possesseur de richesses injustement acquises est malheureux ; car l'aiguillon du remords lui inflige des douleurs qui atteignent son âme, et la rendent incapable de goûter purement la moindre joie . — Il n 'y a pas de paix pour l'impie , a dit Dieu lui-même; or il n 'y a point de bonheur sans paix . Que font à cela les richesses ? Ce que je vous souhaite par-dessus tout, c'est le contentement, mais le contentement chrétien , qui n 'est autre que la paix et la joie de la conscience. Voulez-vous que je vous en donne quelques exemples ? Je les prendrai dans votre propre histoire. Je pourrais vous dire que la paix de l'âme, ce contentement chrétien que je vous recommande, se trouve en général dans l'accomplissement de tous vos devoirs. – Mais je vais plus loin , et je veux vous signaler, dans cette paix continuelle d 'une conscience toujours honnête , quelques joies plus vives, quelques tressaillements pour ainsi dire de votre coeur, alors qu'il s'est approché de plus près de la divine perfection vers laquelle il doit tendre sans cesse.
Lorsque vous avez soulagé votre prochain en vous sacrifiant vous-même; lorsque vous avez remporté sur un vice qui vous éloignait de Dieu quelque notable victoire ; lorsque, dans la divine Eucharistie , vous avez reçu , avec le corps du Sauveur, une abondance de grâces que la parole humaine ne saurait dire , et que dans ce contact immédiat avec le Dieu d 'amour, vous avez senti tout ce qu'il y a de bon en vous se développer et s 'échauffer , tandis que, comme repoussées par ce foyer divin , vos mauvaises passions perdaient du terrain ; - dites si vous n 'avez pas goûté un bonheur, une joie, un contentement dont toutes les richesses ne sauraient approcher !
3 - PIERRE QUI ROULE N'AMASSE PAS DE MOUSSE.
Vous avez sans doute rencontré quelquefois, sur le bord d 'un ruisseau , dans un recoin écarté , au fond des bois, une pierre à moitié enfoncée dans le sol, et recouverte d 'une mousse verte et touffue ; le voyageur fatigué se réjouit en l'apercevant, soit qu'il veuille s'y asseoir et respirer le frais, soit qu 'il y pose ses deux genoux, comme sur un moelleux coussin , tandis que, le corps penché, il hume l' eau limpide du ruisseau . Fidèle aux lieux où , depuis des siècles peut-être, la Providence l'a déposée, elle a vu chaque année s'épaissir son tapis verdoyant. Elle-même, protégée contre les ardeurs du soleil, elle devient aussi précieuse aux rares passants qui l'approchent, qu'un caillou d 'ordinaire est inutile et méprisé . Tournez maintenant vos regards vers cette autre pierre , placée peut-être d'abord dans la même obscurité , mais que je ne sais quel triste hasard a jetée sur les routes de la montagne. Là , tantôt le pied du promeneur, tantôt celui du mulet, la rencontre et la pousse, comme un obstacle maudit. Ainsi roulant toujours, elle n 'amasse pas de mousse , comme dit notre Proverbe. Les années succèdent aux années, et elle est toujours la même, jusqu 'à ce que, descendue sur les grands chemins de la plaine, elle y trouve l'impitoyable marteau du cantonnier qui la broie et disperse ses débris, pour être à jamais foulés aux pieds de tous.
Quel enseignement, mes bons amis ! Si vous êtes vous-mêmes à l'abri des passions brûlantes, et de la misère, et du mépris, et de la ruine, qu 'elles traînent à leur suite , si vous pouvez rendre à vos frères ces bons offices qui partent du coeur bien plus encore que de la bourse ; bénissez Dieu , qui a caché votre vie sous l'abri tutélaire du toit paternel, qui entoure votre faiblesse d ' influences bienfaisantes, et vous rend ainsi l'existence plus douce et la vertu plus facile. Souvenez vous que de grandes bénédictions sont attachées à la fidélité avec laquelle vous conservez la position que le Ciel vous a faite. A moins d 'absolue nécessité, évitez donc de changer de profession , ou de ville, ou de quartier ; gardez l'état de votre père, où le souvenir de sa probité lui survit et vous protège ; demeurez dans la ville où votre mère a fait sa première communion , et où sa mémoire bénie vous soutient contre les mauvaises tentations ; soyez fidèles au quartier où chacun vous connaît, et où , pour réussir , si votre ambition est modeste, vous n 'avez qu 'à suivre le sillon tout tracé devant vous.
N 'oubliez pas que trois déménagements équivalent à un incendie , non point seulement à cause de tout ce qui s 'oublie , se brise , se perd ou se vole dans ces changements perpétuels, mais surtout parce que, chaque fois que vous quittez une ville ou un quartier, vous laissez derrière vous un trésor que rien ne peut remplacer, le plus précieux de tous les héritages : cet en semble de souvenirs, d 'affections, de bonne réputation , si long et si difficile à former. Votre père et votre grand-père y avaient travaillé avant vous : vous en recueilliez les fruits . Quelle perte immense n 'avez- vous pas faite , la première fois que vous avez sacrifié à votre humeur inconstante ce précieux patrimoine ! Que si, après vous être acclimaté dans une autre localité, vous l'avez encore quittée , lorsque vous commenciez à reconstituer votre trésor, vous avez été bien imprudent. Et certes , au troisième changement, il n 'est pas d 'incendie qui ait pu produire des pertes plus grandes, ni plus irréparables. Craignez donc, si vous roulez toujours ainsi, de ne point amasser de mousse : ni instruction pour votre esprit , ni expérience pour votre vie, ni économies pour vos vieux jours, ni héritage pour vos enfants. Ayez toujours devant les yeux l'histoire de nos deux pierres; et dites- vous qu 'il dépend de vous de choisir entre le sort enviable de la première, et la misérable destinée de la seconde.
4 - IL NE FAUT PAS S'EMBARQUER SANS BISCUIT
Si vous avez habité le bord de la mer , mes bons amis, vous devez savoir ce que c'est que le biscuit. Je ne parle pas de certain gâteau que nous aimions fort, vous et moi, quand nous étions écoliers ; mais bien d 'un pain très- dur, appelé ainsi parce qu 'il a subi une double cuisson : - biscuit veut dire deux fois cuit ; - et qui est la nourriture principale des matelots. Une fois lancés sur l'immensité des mers, ces pauvres matelots seront longtemps sans voir la terre, bien des jours , bien des mois, plusieurs années peut- être. Aussi l'imprudent équipage qui négligerait de s'approvisionner abondamment de ce précieux biscuit courrait grand risque de mourir de faim avant d 'arriver à destination . Me demanderez -vous, chers amis , où j' en veux venir , et ce qu 'il y a de commun entre vous, habitants des grandes villes, et ce marin qui parcourt l'Océan dans sa maison flottante ? Non , vous ne me le demanderez pas, et vous vous rappelez déjà avoir entendu comparer la vie à la haute mer, chacun de nous à un matelot , la position que Dieu nous a faite à une barque, Dieu lui-même au pilote qui nous dirige, et l' éternité au port où nous devons aborder, après une traversée dont le Ciel seul connaît et les vicissitudes et la durée.
Quel est donc, dans ce voyage mystérieux , le pain que nous devons avoir soin de placer dans notre barque ? I. De même que le biscuit de mer contient, sous un étroit volume, une quantité considérable de substance nutritive , de même que cet aliment se conserve incorruptible sous les climats les plus divers, et pendant de longues années, ainsi ne devons-nous charger notre barque que d 'un pain substantiel et qui soit à l'abri de la corruption . Pour soutenir la vie de notre corps, Dieu ne demande donc pas que nous emportions avec nous des richesses , ni de l' esprit, ni du pouvoir, toutes choses qu 'il ne dépend pas de nous de posséder. — Non , le biscuit de notre vie temporelle , c'est le travail, c'est un métier ; c 'est la possibilité de se suffire a soi-même, et de défier les révolutions, qui bouleversent les fortunes, mais laissent toujours, en fin de compte, du pain à l'ouvrier laborieux . C' est à vous que je parle , parents, vous que Dieu lui-même a chargés d 'introduire vos enfants sur la barque de la vie, et de les approvisionner de votre mieux.
Donnez un état à vos enfants ; veillez à ce qu'ils contractent l'habitude du travail, veillez - y dès leur plus tendre enfance ; vous ne sauriez trop tôt leur donner cette ressource précieuse . Celui qui entre dans la vie sans état est comme un matelot qui s'embarque sans biscuit, il aura tôt ou tard à lutter contre le besoin. Et, de même que, dans des naufrages fameux, on a vu des hommes, rendus féroces par la faim , se dévorer entre eux , de même, si vos enfants n 'ont point de pain assuré pendant la traversée de cette vie , craignez que la faim ne les mène au crime, et le crime à l'échafaud (prison ou pire). Ce ne serait pas la première fois que l'imprévoyance ou la faiblesse des parents auraient fait le malheur et la honte des enfants !
Mais l'homme ne vit pas seulement de pain , dit Notre-Seigneur; il vit encore de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Avec le travail qui assure la vie du corps, il est encore, pour votre barque, un autre approvisionnement, faute duquel vous arriverez aussi à la mort, à une mort invisible et qui n ' en est que plus redoutable . La parole de Dieu , c'est-à-dire la Religion , ce lien de l'homme avec Dieu ; cet ensemble de faits historiques, de dogmes, de préceptes qui constituent la vie de notre âme : voilà le pain spirituel que nous devons avoir soin d 'emporter avec nous.
Soit que, dans l'histoire du peuple de Dieu , dans les psaumes de David que l’Église chante chaque dimanche, dans la lecture du Saint Évangile, nous savourions les paroles sorties de la bouche de Dieu même; soit que nous apprenions, à l'aide de notre catéchisme, la science qui nous intéresse par-dessus tout : celle de Dieu et de nous-mêmes, de notre origine, de notre destinée ; soit que, par ces deux admirables conduits de la prière et des sacrements , nous élevions notre âme jusqu 'à Dieu , ou nous sentions, comme une rosée bienfaisante , la grâce divine descendre sur nous; toujours, par ces divers exercices, la partie la plus noble de nous-mêmes vit et respire, pour ainsi parler . Et si jamais nous avons eu le malheur d 'abandonner la foi, ou seulement la pratique, nous avons senti la vie diminuer par degrés au dedans de nous, et faire place à une léthargie bien voisine de la mort.
Oui, la Religion , voilà par excellence le pain sans lequel nous ne devons point nous embarquer. A peine éveillés à la vie de l'âme, que la Religion soit notre nourriture de chaque jour, le principe de toutes nos actions, et comme l'air que nous respirons. — De même que, dans un naufrage où chacun s'efforçait de sauver quelques effets précieux , un philosophe s'en allait, les mains vides , disant, dans son orgueil, et faisant allusion à la sagesse dont il se croyait nanti : J' emporte tout avec moi; - nous aussi, et bien mieux que lui, pourvu que l'amour de Dieu nous pénètre , qu'aurons-nous a redouter des périls de la traversée ? Avec ce divin bagage, nous sommes sûrs d 'arriver au port; nous sommes sûrs que, pendant les tempêtes et les orages de la vie , nous aurons au dedans de nous un refuge , un aliment, une consolation , à quoi rien d 'humain ne saurait être comparé.
Pourrions - nous, mes chers amis, parler de provision de voyage, de pain de l'âme, sans rappeler à votre vénération , à votre attendrissement, ce pain miraculeux où notre bon Sauveur a voulu se cacher tout entier ? — Lorsque, au moment de partir pour le grand voyage , un mourant reçoit la sainte communion , on dit qu 'il communie en viatique, c'est- à -dire qu 'il reçoit une nourriture destinée à le fortifier pour les luttes du dernier passage . N 'oubliez pas ce mot, mes bons amis ; n 'oubliez pas que nous sommes des voyageurs; qu'incertains de l'heure de notre mort, nous devons par conséquent nous considérer comme toujours à la veille de terminer notre course . Que la sainte communion , ce pain substantiel, soit donc une provision sacrée que nous emportions toujours avec nous! Mettons-nous en état de recevoir souvent cette divine nourriture, au moins à toutes les grandes fêtes. Recevons-la avec le recueillement, le respect , l'amour d 'un chrétien qui va paraître devant Dieu . Ainsi toutes nos communions, vraiment faites en viatique, auront pour résultat de nous adoucir les peines du voyage et de faciliter notre entrée au port bienheureux de l' éternité ! Le Travail , la Religion , l’Eucharistie : pensez à ces trois choses, lorsque vous entendrez notre proverbe : Il ne faut pas s'embarquer sans biscuit. — Que ce triple pain vous nourrisse : et vous serez heureux, ici -bas et là -haut !
5 - MAUVAISE TÊTE ET BON COEUR
Vous en parlez bien à votre aise, comme si ce n 'était rien d'avoir une mauvaise tête ou un mauvais caractère, ce qui est à peu près la même chose. Un mauvais caractère ! Mais il y a peu de défauts avec lesquels on rende plus de monde malheureux autour de soi. Avoir un mauvais caractère, c'est être impatient, soupçonneux, susceptible, entêté; toutes choses très graves, et que l'on rapporte à la tête , lorsque souvent elles tiennent au coeur de plus près que l'on ne pense .
Je pourrais vous faire remarquer d 'abord que rien n 'est plus contraire à l'esprit du Christianisme qu 'un mauvais caractère. Qu'a dit Notre -Seigneur, en effet, lorsqu 'il nous a montré en lui-même le modèle que nous devons suivre : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez, en m 'imitant, la paix de vos âmes ! Celui qui s'abandonne à son mauvais caractère est tout l'opposé de ce divin modèle. Ces révoltes continuelles contre la moindre observation , cette extrême délicatesse qui se croit toujours blessée et interprète tout en mal, cet attachement obstiné à son propre sens, est- ce autre chose que de la dureté, que de l'orgueil ?
Et lorsqu 'on juge ainsi toujours en mal ce qui est susceptible de mille interprétations favorables ou indifférentes; lorsqu'on est toujours irrité contre son prochain , qu'on ne lui passe rien , voulant que lui, au contraire, nous passe tout; lorsque, pour rien au monde, on ne céderait un pouce de son opinion ou de ses idées, on ose bien dire que l'on a un bon cœur, un cœur chrétien ! — Mais comment agissent donc les mauvais cœurs, si les bons cœurs se montrent de la sorte ? Et pourrions-nous oublier la parole du Sauveur : Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ? Comment voulez - vous que nous jugions favorablement d 'un arbre dont les fruits sont si aigres et si amers ? Je vois bien votre mauvaise tête : mais votre bon cœur où est- il donc ?
Vous me direz que vous êtes très -honnête , très dévoué; que, dans les grandes occasions, on vous retrouve, et que, si vous péchez dans les détails, vous êtes, au fond , et dans ce qu' il y a de vraiment essentiel, irréprochable . Hélas! mon pauvre ami, que vous vous abusez étrangement ! Que ne venez-vous vous vanter de n 'a voir tué ni volé personne ? Remarquez que vous n 'avez aucun mérite à ne pas vous livrer aux vices pour lesquels vous n 'avez aucune inclination , ni a pratiquer des vertus , ou du moins à nourrir des sentiments que rien ne combat en vous. Si Dieu vous a donné un cœur tendre pour vos parents , une âme que les grands dévouements attirent, ce n 'est pas là un mérite de votre part; c'est une faveur, dont vous devez à Dieu compte et reconnaissance. Et puis les sentiments ne sont rien qu 'autant qu 'ils se manifestent par des actes.
Or l'effort consiste justement pour vous à lutter contre cette mauvaise tête dans laquelle vous vous complaisez presque, à vous attacher aux petites choses qui se représentent chaque jour, au lieu d 'amuser votre imagination avec de grands événements qui ne se réaliseront sans doute jamais, ou de calmer votre conscience par la contemplation de vertus qui ne vous coûtent rien . Vous me répondrez peut-être : « C 'est facile à a dire , d 'avoir un bon caractère ; mais c'est bien difficile à faire. D 'abord , moi je suis vif , et il m ' est impossible de me contenir . » Vous êtes vif, mon cher ami! - Qu ' est -ce à dire ? Si je vous disais : « Vous voulez que je sois tempérant, chaste, honnête : c'est facile à dire; mais à faire ? D 'abord , moi j'aime le vin , les plaisirs, j'aime « l'argent de mon prochain ! » vous me trouveriez absurde, et vous auriez raison . Je ne dirais pourtant que ce que vous dites.
Vous êtes vif . Eh bien , travaillez a modérer cette vivacité, ou à lui donner un bon cours, Réprimez vos premiers mouvements , quand ils sont mauvais ; pensez- y tous les jours; tous les jours cherchez à gagner sur vous-même. La vie ne vous a pas été donnée pour autre chose . Mais n 'entreprenez pas seul cette besogne difficile ; appelez Dieu à votre secours; cherchez-le là où il se trouve : dans la prière et dans les sacrements. Surtout allez vous confesser ; allez- y souvent. Vous avez remarqué que, lorsque vous reveniez du tribunal de la pénitence, vous étiez meilleur; que le baume du sacrement avait adouci l'amertume de votre humeur. Puisque vous connaissez le remède, employez - le. Vous retomberez souvent : - sans doute ; on ne triomphe pas, en un jour, d 'un ennemi dont si longtemps on a porté le joug . Mais Dieu lui-même a promis la victoire à la persévérance .
Persévérez donc, et vous vaincrez. Pour cela cependant une première disposition est nécessaire; c 'est que vous mettiez tout à fait de côté le proverbe menteur que nous combattons; c'est que vous soyez persuadé que vous n 'aurez jamais un vraiment bon coeur, un bon coeur selon Dieu et selon vos frères, que lorsqu 'il se traduira par un bon caractère. Il faut surtout que vous considériez résolument ce mauvais caractère comme votre grand ennemi, comme votre passion dominante, comme celle qui, si vous vous y abandonnez , vous mènera en enfer . Ayez le courage de penser à cela , et vous n 'hésiterez plus à employer les moyens qui vous transformeront, à la grande surprise de vos amis, qui commencent à vous croire incurable , à la grande édification de tous. Car remarquez en passant que le caractère aigre et difficile de certaines personnes chrétiennes est, pour ceux qui n 'ont pas le bonheur de croire, un grand scandale . Qui sait si telle âme, sur le point de se convertir, n 'a pas été arrêtée par le spectacle de vos impatiences et de vos rancunes ?
6 - IL FAUT BIEN QUE JEUNESSE SE PASSE - COURTE ET BONNE.
Certainement il faut que jeunesse se passe .Mais la question est de savoir comment il faut qu 'elle se passe . Je dis, moi, qu'il faut qu'elle se passe bien . Votre proverbe a l'air de dire, c'est du moins dans ce sens qu'on l'entend d 'ordinaire , que dans la jeunesse il faut s'amuser; — Dieu sait ce que cela signifie ! - que d'ailleurs, voulut-on faire autrement, on ne le pourrait point, entraîné que l'on est par la force des passions, que l'on a bien le temps d ' être sage quand on arrive à un âge avancé , etc., etc., etc . Dites -moi, mes bons amis, que penseriez- vous d 'un apprenti qui dirait : « Il faut bien que jeunesse se passe. J'aurai le temps de travailler lorsque je serai ouvrier . Maintenant que je suis dans le printemps de ma vie , je veux en cueillir les roses, m 'amuser et ne rien faire ? » Vous diriez : Mais cet apprenti est un apprenti de Charenton . Car s'il ne travaille pas à apprendre son état , comment pourra -t -il l'exercer un jour ? Les années de l'apprentissage sont les plus importantes de la vie ; c 'est d ' elles que dépend souvent toute la suite de la carrière.
C 'est alors que l'on sème ce que l' on commencera de moissonner plus tard. Ce sont les bonnes habitudes contractées pendant ce noviciat qui, fructifiant dans les années suivantes, font l'honnête et solide ouvrier. Eh bien, mes chers amis, un jeune homme, qu'est ce autre chose qu 'un apprenti-homme ? - Et vous voulez qu ' en passant dans le plaisir , c'est- à -dire, pour parler clair , dans l'oubli de tous ses devoirs, dans la débauche, dans l'impiété, vous voulez qu'en passant ainsi les belles années de sa jeunesse, cet apprenti devienne un homme, c 'est - à -dire un bon époux, un citoyen utile , un père de famille ! N ' est-ce pas de la folie ? Vous savez bien que notre vie est un combat perpétuel, une lutte de chaque jour contre nos mauvais instincts. Vous savez que les véritables hommes, ceux qui remplissent leur mission ici-bas, qui font du bien à leurs semblables, qui vivent honorés et meurent pleurés de tous, ce sont les hommes de coeur, chez qui les instincts de la chair et du sang sont dominés par une âme forte , ces hommes qui savent s'immoler a leur devoir, se sacrifier au bonheur de leurs semblables, mourir pour leur patrie, se consacrer à une multitude de dévouements et de sacrifices d 'autant plus méritoires qu 'ils sont plus cachés et connus de Dieu seul. Vous savez tout cela , et, pour faire des hommes semblables, vous voulez que vos enfants commencent par être les esclaves volontaires de ces passions qu'il s'agira pour eux de dompter plus tard ! Étrange manière de former des soldats victorieux, que de les inviter à se laisser défaire sans combat, et à rendre d 'abord les armes à l' ennemi! Ne me dites pas que ces jeunes gens, qui se sont amusés, deviennent d'excellents pères de famille. — Il est évident qu 'ils seraient bien meilleurs s'ils s 'étaient de bonne heure formés aux mâles vertus qui ne sont pas moins utiles au bien-être de la société qu 'au salut du chrétien .
Il est évident que bien des choses leur manquent; et qu 'à supposer qu' ils soient vraiment revenus à de bons sentiments, ce doit être pour eux un éternel sujet de remords d 'avoir ainsi profané leurs jeunes années. Oh ! mes amis, je suis bien loin de dire que les années de la jeunesse ne soient pas difficiles à passer ! Dieu me garde surtout de jeter la pierre aux pauvres jeunes gens qui succombent dans cette route si laborieuse ! Mais, au nom du ciel, ne cherchez pas, vous leurs parents , à justifier ces écarts ; ne fournissez pas à ces jeunes imprudents une doctrine qui les endorme dans le mal. Que nous n 'ayons pas à déplorer ce scandale de voir des mères chrétiennes encourager le désordre de leurs fils , et les aider à faire taire la voix de leur conscience ! C 'est bien assez de faire le mal, sans chercher encore à se persuader qu 'on a le droit de le faire . Oui, mes chers amis, il faut que la jeunesse se passe. C 'est une époque orageuse; priez Dieu que vos enfants : la traversent sans chavirer; ou , si le vaisseau qui les porte doit faire un triste naufrage, que du moins la foi . leur reste , et avec elle une planche assurée de salut et de retour.
Dirons-nous quelque chose de ce triste axiome et l'usage des libertins : Courte et bonne? Hélas ! il renferme dans son premier mot une bien cruelle vérité; c' est que, trouvant leur punition dès cette vie , les passions honteuses, l'intempérance, la débauche, le jeu , abrègent bien souvent l'existence de ceux qui s'y adonnent. Nous le savons tous : la vie de l'impie , la vie du libertin peut être courte ; - mais certes elle n 'est pas bonne. Et, de même qu'il est dit : « Cherchez d 'abord le royaume de Dieu , et tout le reste vous sera donné par surcroît; » de même on peut dire : Cherchez le royaume du démon ( de l`ange déchu); c'est-à -dire marchez, par une vie criminelle , vers l'éternelle damnation ; et le reste, c'est-à -dire la damnation temporelle , le désespoir de la conscience, vous sera imposé par surcroît.
Dernière édition par MichelT le Dim 22 Oct 2023 - 0:48, édité 6 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
7 - QUI TRAVAILLE PRIE.
Que de choses dans ces trois mots, mes bons amis, et qu 'ils justifient bien ce que je vous disais en commençant, que la plupart des proverbes sont un étrange composé de vérités et d 'erreurs! Voulez- vous dire que l'homme, condamné à gagner son pain à la sueur de son front, ne peut pas être toujours à l'église; que négliger les devoirs de son état pour des exercices de piété non obligatoires, c'est bien mal entendre la piété ; que la place d 'une mère de famille est, d 'ordinaire et pour la plus grande partie du jour, au milieu de ses enfants, et la place du père de famille aux champs ou à l'atelier, le corps courbé sur la charrue, l'enclume ou le rabot ? - Si vous voulez dire cela , vous énoncez une grande vérité . Allez plus loin encore, et cherchez, par ce proverbe, à faire éclater votre reconnaissance envers le Bon Dieu
Il veut bien que le travail nous serve de prière ; il n 'a pas circonscrit nos hommages à un lieu ni à une heure déterminés. Mais , comme il est partout et toujours , partout et toujours il permet que nous le prions; il nous tient compte et des aspirations que, de temps a autre, au milieu du travail, notre âme élève vers lui et aussi de ce travail lui-même, qui, lorsqu 'il est entrepris dans le but de lui plaire, constitue une véritable prière. Vous ne devez, ni ne pouvez être toujours à l'église ; vous pouvez, et, jusqu 'à un certain point, vous devez prier toujours. Faites en vue de Dieu , toutes vos actions deviendront ainsi des prières; même vos actions les plus indifférentes; à plus forte raison ce qui est le fond de votre vie , votre travail, ce travail trois fois béni de Dieu , puisque c 'est un instrument providentiel de pénitence , un refuge assuré contre les tentations de l'oisiveté, et le moyen régulier de subvenir aux besoins de votre famille.
Soit que vous mangiez, soit que vous buviez , dit saint Paul, soit que vous fassiez toute autre chose , faites-le au nom du Seigneur. -- Un Ave Maria donc, mes bons amis, ou , si le temps vous manque, une élévation du coeur vers Dieu , au moment où vous commencez votre journée ! Un souvenir au charpentier de Nazareth et a son divin apprenti, lorsque quelque difficulté vous arrête , et que vous êtes tentés de vous décourager ! - Ainsi consacré, ne craignez pas d 'appeler votre travail une prière.
8- TOUT CHEMIN MÈNE A ROME.
Rome, la ville par excellence, Rome si longtemps la capitale du monde civilisé, depuis Notre- Seigneur la capitale du monde chrétien , Rome figure ici, ce qu 'elle est en effet, le centre de toute vérité , la source par conséquent de toute vertu et de toute vraie félicité .
Lors donc que l'on dit : Tout chemin mène à Rome, on entend par là (sans parler des applications secondaires) qu'en quelque position que Dieu nous ait placés , soit que nous ayons à gravir péniblement les sentiers les plus escarpés, soit que des routes faciles et toutes bordées de fleurs s'étendent à perte de vue sous nos pas, toujours, au bout du chemin , c 'est-à -dire au terme de notre existence , nous pouvons, nous devons arriver à la Rome de l'autre vie, à la Jérusalem céleste .
Ainsi le chrétien , cheminant dans le sillon que lui a tracé la Providence , ne voit pas seulement le but au terme de son voyage ; il est tellement identifié avec ce but qu'il en vit, pour ainsi parler. C 'est vers Dieu qu 'il marche, et c 'est Dieu lui-même qui, lui donnant la force et le courage, le soutient dans sa pénible route . - Oh ! qu 'il est doux de marcher, quand on est sûr d 'arriver ; et qu 'importe par quel chemin l'on s'avance. quand l'oeil de la foi, toujours ouvert, voit , au terme de la carrière, les couronnes éternelles promises à ceux qui auront persévéré jusqu la fin ! Donc tout chemin mène à Rome. Tous les chemins ne mènent pas tout le monde. Il faut d 'abord que nous soyons dans le chemin où Dieu nous a placés, et non dans un chemin où nous nous soyons mis nous-mêmes . Avez- vous quelquefois entendu prononcer le mot de vocation , mes amis ? C 'est le cas de vous en dire quelque chose. Vocation veut dire appel. Chaque homme a sa vocation ; c'est-à - dire que Dieu l'appelle à tel ou tel état. Celui- ci est appelé au service direct de Dieu dans la vie religieuse ; celui-là , dans l'état de mariage, doit aussi servir Dieu , mais d 'une manière moins immédiate : les uns sont amenés, par des circonstances que Dieu seul a combinées, à sortir de l'humble position de leurs pères ; les autres , au contraire, ont pour mission , d 'y demeurer. Les vocations ne sont pas extrêmement marquées pour tout le monde ; mais celui qui consulte ses dispositions naturelles, qui surtout prend conseil de ses parents , et qui, devant Dieu , choisit un état où le service de Dieu ne soit pas impossible, celui- là est fidèle à sa vocation ; il est dans le chemin où Dieu veut qu ' il soit; ce chemin le mènera au but.
Le voyageur qui, à moitié chemin de la ville éternelle , s 'assoirait sur le bord de la route , et dirait : Tout chemin mène à Rome, croyez- vous qu 'il y arrivât jamais ? Ce n 'est pas à cheval, ni en voiture, mes chers amis, que nous devons faire notre salut, mais bien à pied . Nous sommes dans le chemin : eh bien , marchons; et nous arriverons. — Dieu fait beaucoup pour nous : il nous place dans la bonne voie ; il dispose , le long de notre route , la nourriture pour nous soutenir , le sommeil pour réparer nos forces , le soleil pour nous éclairer , une douce pluie pour nous rafraîchir . Quelquefois même, des orages surviennent, pour nous apprendre que nous ne sommes pas encore dans la patrie du repos. Quand la fatigue nous accable , un regard levé vers le Ciel nous obtient des forces nouvelles . - Voilà ce que Dieu fait pour nous; mais tout cela, à condition que de notre côté nous marcherons. Ce n 'est pas sans nous que notre salut s'opère. Dieu veut que nous soyons, dans cette grande oeuvre, ses collaborateurs ; et l' on ne dit pas: recevoir son salut, mais faire son salut. Acceptation de toute position que Dieu nous donne ; obéissance à notre vocation ; coopération courageuse à notre salut: voilà les trois leçons que nous fournit notre Proverbe. Ainsi compris, il est bien vrai que tout chemin mène à Rome.
9- UN BON TIENS VAUT MIEUX QUE DEUX TU L 'AURAS - EN TOUTE CHOSE IL FAUT CONSIDÉRER LA FIN.
I. Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras. J'ai connu , mes chers amis, une honnête famille qui vivait à Paris d 'un emploi suffisant pour donner au père, à la mère, et aux quatre enfants , le logement, la nourriture et le vêtement ; même, avec un peu d 'économie, on eût pu mettre de côté pour l'avenir . — Il arriva qu 'en 1848 l’emploi, qui était de quatorze cents francs, fut réduit à douze. Mécontents de cette réduction , nos gens prêtèrent l'oreille à un charlatan qui leur promit qu'en un autre pays ils feraient fortune au bout de quelques mois. Ils quittèrent donc leur place, vendirent tout ce qu' ils possédaient, et partirent pour ce pays. Là le désenchantement ne se fit pas attendre : après avoir souffert mille privations, vu mourir deux de leurs enfants , compromis leur santé, perdu leur petit avoir , ils furent obligés de renoncer à leur folle entreprise. A grand peine ils retraversèrent la Méditerranée, et revinrent à Marseille . Avec les quelques sous qui leur restaient, le mari acheta une voiture, et regagna péniblement Paris , traînant lui-même sa femme, ses enfants , et quarante tortues d 'une lourdeur extrême qu 'il croyait vendre au poids de l'or. Dans ce même Paris, où, six mois auparavant, ils avaient une position enviable , nos voyageurs seraient morts de faim sans la charité publique. Je vous assure n 'avoir jamais rien vu de plus misérable que leur intérieur. De ces fameuses tortues la plupart étaient mortes en route , et je ne sais si l'on réussit à vendre les écailles dix sous pièce. Certes , ces pauvres gens, – maintenant à peu près tirés d 'affaire, je me hâte de vous le dire, pour ne pas trop vous affliger , certes, s'ils avaient un peu réfléchi, au lieu de se laisser monter la tête, ils y auraient regardé à deux fois avant de quitter le certain pour l'incertain , un bon tiens pour deux tu l'auras.
De deux maux il faut choisir le moindre. Ils ont fait ce que font tous ceux qui se livrent à leurs passions; pour eux le moment présent est tout , l'avenir rien . C 'est ainsi que l' écolier paresseux aime mieux être constamment grondé et puni que de travailler ; l'ouvrier, risquer sa place que de se priver de quelque partie de plaisir : l'ivrogne et le libertin , perdre santé , réputation , la vie même, que de résister à l'entraînement de leurs sens. Ils ont fait comme le chrétien qui sait bien qu'en se laissant aller à tel vice, en ne travaillant pas résolument à l'extirper de son âme, il s'expose peut-être aux flammes de l'enfer, et qui, tout entier aux jouissances honteuses de la matière, se dit : Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Si nous nous trouvons placés entre Dieu et le diable (l`ange déchu), et que celui- ci, le trompeur par excellence, nous offre des jouissances coupables, en nous disant: Tiens, nous ne sommes plus dans le cas de notre Proverbe . Car ce tiens, à peine sommes -nous assurés de le tenir ; et, en tous cas, nous savons bien que ce n 'est pas un bon tiens ; tandis que c 'est Dieu lui-même qui nous dit : « Repousse ces offres perfides ; ne t 'abandonne ni à la vengeance, ni à l'avarice, ni à l'impureté . Tu souffriras un peu ; mais, en récompense, tu auras la paix de l'âme, ce bien le plus précieux a de tous ceux d 'ici -bas; et puis, là - haut, tu auras le a bonheur suprême: car tu me posséderas moi-même. » - Soyons des chrétiens sages et prévoyants, qui se disent de chaque chose : Après ? qui, surtout, se préoccupent du dernier et définitif après, et font tout en conséquence. — Cette fin dernière n 'est elle pas la seule en effet qui dure toujours ? et quelle folie ne serait -ce point de travailler pour le temps qui passe , quand on est fait pour l' immuable éternité ?
10 - MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS
Oh ! mes bons amis, que le diable est habile ! Là où je mensonge ne ferait pas son compte , et ne réussirait point à nous maintenir dans la mauvaise voie , il sait bien avoir recours à la vérité ; mais à une vérité qui est vraie pour d 'autres que pour nous, et qui, nous étant appliquée, nous abusera tout aussi sûrement que l'erreur la plus infernale. Notre Proverbe en est un exemple frappant. Certes , quand, au déclin de notre vie, Dieu nous envoie la bonne inspiration de nous convertir , c 'est encore de Dieu que nous vient cette pensée que mieux vaut tard que jamais ; que nous avons sans doute eu tort de tant différer, de vivre de longues années dans l'oubli de nos devoirs ; mais qu'enfin le pardon est promis au repentir sincère , à quelque moment qu ' il se manifeste, etc., etc . Certes aussi, lorsque nous voyons des âmes qui nous sont chères tarder longtemps, bien longtemps , à rentrer au bercail, nous ne devons point désespérer de leur salut ; et, tout en redoublant nos prières afin que Dieu daigne enfin les toucher, nous devons croire que le repentir leur arrivera, et redire a leur intention : Mieux vaut tard que jamais.
1. Mais vous, chers amis qui me lisez, est- ce dans ce sens que vous prenez notre Proverbe ? Quelques. uns peut- être, et je les en loue. — Mais d 'autres, lors que l'idée de se convertir vient frapper à la porte de leur coeur (et cela arrive tous les jours peut- être ), d 'autres, pour écarter cette idée importune, se disent: « Maintenant, je n 'ai pas le temps ; mais je me convertirai lorsque j'aurai terminé telle affaire , que je me serai retiré du commerce , que mes enfants seront établis . En tout cas, je me convertirai, pour sûr, à l'heure de ma mort. J'ai bien recommandé aux a miens, lorsqu 'ils me verraient dangereusement malade , d 'appeler un prêtre avant un médecin . Après tout, mieux vaut tard que jamais, et grâce à Dieu je ne suis point de ceux qui projettent de mourir dans « l'impénitence finale . »
II . Tout cela, chers lecteurs , vous vous l'êtes dit mille fois à vous-mêmes, et je ne suis ici, n 'est-ce pas ? que l' écho de votre conscience . - Pourquoi donc alors ne vous convertissez - vous pas ? Ce serait une longue affaire que de répondre à ce pourquoi; car vous n 'êtes pas tous retenus par les mêmes chaînes; et il me faudrait signaler à chacun les siennes , tout en lui indiquant le moyen de les rompre . Peut-être n 'avez-vous pas la foi. Mais, si vous la désirez vraiment, vos prières et votre persévérance vous l'obtiendront infailliblement. Peut-être y a -t- il dans votre âme un hôte qu 'il en faut chasser, avant d ' y introduire le Dieu de toute pureté ; car nul ne peut servir deux maîtres ; et vous ne pouvez servir en même temps Dieu et l'argent, ou Dieu et la volupté , ou Dieu et la haine. Peut-être le respect humain vous retient-il, et craignez-vous les railleries de vos camarades ? Vous savez bien que, pour triompher de cette lâche terreur, il suffit d 'un peu de courage. Demandez- le à Dieu ; il vous le donnera ; et vous verrez de quel puéril épouvantail vous étiez effrayés. Mais il y en a , parmi vous, que ni le manque de foi, ni les passions, ni même le respect humain , n 'arrêtent; qui pensent, qui vivent, qui parlent en chrétiens, et qui pourtant ne remplissent pas certaines obligations capitales du Christianisme, qui ne se confessent pas (pour lâcher le grand mot). Ne trouvez-vous pas d 'abord , mes bons amis, ce langage bien peu respectueux à l'égard du Souverain Maître , et digne de ces mauvais débiteurs , qui disent à leur créancier : J'aimerais mieux vous devoir toute ma vie que de nier un seul instant ma dette ? En avez vous vu beaucoup, de ces débiteurs , s'acquitter avant de mourir ? De même soyez assurés que Dieu est très- peu honoré de cette résolution de repentir pour l'heure de la mort. De grâce, mon bon ami, mettez donc Dieu dans votre âme, et vous verrez quelle paix et quelle confiance y entreront avec lui. Cela vaut bien la peine de faire un effort.
11 - PETIT A PETIT , L'OISEAU FAIT SON NID
On lit dans l’Esprit de saint François de Sales que ce saint évêque ne pouvait parcourir la campagne sans trouver dans tout ce qu'il voyait des occasions de louer Dieu , et comme des ailes qui portaient sa prière, plus rapide et plus reconnaissante , vers le Créateur. Faisons comme ce grand saint, chers lecteurs, et allons ensemble regarder de près cet oiseau, qui, petit à petit, fait son nid . Regardons-le , non par une vaine et puérile curiosité, mais pour en retirer la leçon que Dieu y a placée , et pour apprendre, par son exemple , une des vertus qui réjouissent le plus les regards de notre Auteur : la persévérance douce et infatigable du Père de famille et du chrétien .
I. Pour se mettre à l'oeuvre, l'oiseau n 'attend pas la naissance de sa famille . Dès que le retour du printemps a réveillé son infaillible instinct, il sait qu 'il doit, selon son espèce , établir son nid sur le faite d 'un grand arbre, au fond d 'un vieux mur, dans les blés , ou parmi les roseaux touffus du rivage ; il sait que la divine providence a répandu dans la campagne les matériaux de sa petite demeure, et que le toit de chaume du paysan , les bois , les champs et les prairies lui gardent ces petits brins de paille, de mousse et d 'herbe séchée, qui lui serviront de moellons et de plâtre ; il sait qu 'à lui seul, l'architecte et le maçon de son palais aérien , il lui faudra, pour l' achever, d ' innombrables voyages, dont la pensée pourtant ne le décourage point; .. .. ou , plutôt, il ne sait rien de ces choses. Mais Dieu les fait toutes pour lui,. .. et pour nous, qu 'il veut instruire. Oui, mes chers amis, apprenons, par l'exemple de cette petite créature, que rien de bon ne se fait vite . Comme le nid de l'oiseau, le nid de votre famille ne sera solide et béni de Dieu que s'il est le résultat de votre travail de chaque jour. L 'oiseau qui voudrait épargner quelques voyages, et qui lésinerait, comme on dit, sur la matière première ou sur la main d 'oeuvre, ferait une triste besogne ; sa fragile construction serait bien vite balayée par le vent, minée par l'eau courante de la rivière , ou tout au moins entamée par la dent avide de la fouine ou du mulot. Vous de même, mes bons amis , ne vous imaginez pas, quelles que soient votre intelligence et votre assiduité au travail, que vous puissiez tout d 'un coup , je ne dis pas faire fortune, mais fonder seulement la plus humble aisance . Cela est arrivé à quelques- uns, de même que quelques-uns aussi naissent riches et n 'ont pas besoin , ce semble, de travailler pour vivre. Mais ce sont là des exceptions sur lesquelles il ne faut pas compter. D 'abord , ceux qui naissent riches, et qui succombent à la tentation de ne rien faire , parce qu' ils ont du pain de cuit, ceux- là , ne faisant rien de bien , font souvent du mal ; la plupart du temps, ils aventurent leur fortune dans de folles spéculations, quand ils ne la prodiguent pas en coupables dépenses; et ils défont leur nid , non pas petit à petit, mais bien vite ; car autant le patrimoine d 'une famille est long à amasser, autant il se dissipe facilement, et comme en un clin d ' oeil.
Quant à ceux qui font leur fortune tout d 'un coup, il y en a... comme il y a des hommes qui ont sept pieds, comme il y a des épis de blé contenant jusqu 'à deux ou trois cents grains. Mais ce sont là aussi de rares exceptions. El, de même qu'un insensé seul oserait se lamenter, parce que ses fils n 'ont pas tous la taille phénoménale des géants, ou prétendre n 'avoir dans son champ que des épis prodigieux , de même il faut nous résigner à la loi commune de faire notre nid petit à petit. Comme l'oiseau, vous ne sauriez vous y prendre trop tôt. Vous qui êtes bon ouvrier, qui gagnez de bonnes journées, qui n 'avez encore ni femme ni enfants à nourrir, pensez au temps prochain où ces charges vous arriveront ; douces charges pour votre coeur, qu 'elles réjouiront de toutes les saintes affections de la famille; mais charges enfin , puisque tout ce petit peuple qui fera votre joie, il faudra bien le loger, le nourrir , le vêtir, payer ses mois de nourrice et d'école, et son apprentissage ; – même lui donner plus tard une petite dot, pour l'aider à son tour à se faire son nid dans ce monde. – Pensez à cela quelquefois ; vous êtes dans le meilleur moment de votre vie pour économiser; et, sans prétendre vous interdire quelques honnêtes réjouissances avec d 'honnêtes camarades, qu 'elles soient rares et pas trop dispendieuses. Mettez votre joie à voir chaque jour le nid de votre famille à venir prendre figure ; vous jetez les fondements de votre bonheur, en vous garantissant ainsi d 'avance , autant que le peut faire la prévoyance humaine, contre la misère et les dépenses extraordinaires que la maladie , le chômage, les révolutions peuvent vous occasionner.
Ce que vous aurez fait, étant garçon , je n 'ai pas besoin de vous engager, votre femme et vous, à le continuer . Dieu bénit toujours les ménages où règne une sage et persévérante économie ; - non pas cette économie cruelle , qui n 'économise que sur le prochain , qui est aussi empressée à refuser un sou à un pauvre qu'à en dépenser cent par ostentation ou par gourmandise ; - mais cette économie chrétienne, soeur de la charité , qui ne prend jamais sur la part du pauvre , cette économie, non seulement permise, mais ordonnée, et qui met de côté , afin de pouvoir soulager, dans leur vieillesse , leurs maladies ou leurs autres épreuves , ceux dont Dieu nous a particulièrement confié le soin : un père, une mère, de jeunes frères ou soeurs, une femme, des enfants.
II. Vous m 'en voudriez , mes bons amis , et vous auriez raison , si je m 'arrêtais ici, à moitié chemin , et si je n 'ajoutais que votre nid éternel, votre place dans le ciel, c'est petit à petit aussi qu'il les faut préparer . Chaque bonne action que vous ferez , chaque victoire que vous remporterez sur vous -mêmes, chaque prière fervente , chaque sacrement pieusement reçu ; ce sera , pour votre nid du Ciel, autant de brins de paille et de mousse qui commenceront à le former. Tous les jours vous pouvez, et vous devez, ajouter quelques parcelles à cette riche demeure qui vous attend. Et pour cela il ne vous faut point d 'occasions extraordinaires . Remplir les devoirs de votre état, vos obligations de famille ; vous montrer bon écolier ; ne pas perdre de temps, ce bien si précieux, qui appartient à votre maître si vous êtes apprenti, ou ouvrier à la journée, qui, en tout cas, appartient à Dieu ; être résigné dans vos petites peines ; reconnaissant envers Dieu des petites jouissances qu 'il vous envoie : voilà de quels menus actes de vertu se compose votre nid . Mais précisément parce qu 'ils sont menus, l'on conçoit qu 'ils doivent être répétés. Aussi est - ce tous les jours que vous y devez travailler . - Vous vous rappelez cet empereur romain qui, à la fin d 'un jour où il n 'avait pu obliger personne, disait : J'ai perdu ma journée. Ainsi nous, nous devons considérer comme perdu un jour où nous aurons négligé les mille occasions qui s'offrent à notre âme de prendre son vol, et de porter à l'architecte céleste quelques humbles mérites pour la construction de notre nid éternel .
III . Mais, pour que vous fassiez votre nid dans le Ciel , il faut que la vertu fasse son nid dans votre coeur ; il faut surtout que telle vertu s' établisse chez vous, vertu pour laquelle vous avez une sorte de répulsion , - enclins que vous êtes au vice opposé. . C 'est petit à petit aussi que ce nid se construira . - N 'allez pas vous imaginer que vous deveniez parfaits en un jour. -- Tendre à la perfection , et n 'y arriver jamais (Dieu seul est parfait), c'est le travail de notre vie tout entière. Surtout ne désespérez jamais de venir à bout d 'un défaut. Avec la grâce de Dieu , qui bénira vos efforts , qui vous aidera - car il l'a promis, lui qui ne peut mentir, — dans votre labeur de chaque jour, petit à petit cette vertu dont vous êtes si éloignés aujourd 'hui sera solidement implantée dans votre âme.
Que de choses dans ces trois mots, mes bons amis, et qu 'ils justifient bien ce que je vous disais en commençant, que la plupart des proverbes sont un étrange composé de vérités et d 'erreurs! Voulez- vous dire que l'homme, condamné à gagner son pain à la sueur de son front, ne peut pas être toujours à l'église; que négliger les devoirs de son état pour des exercices de piété non obligatoires, c'est bien mal entendre la piété ; que la place d 'une mère de famille est, d 'ordinaire et pour la plus grande partie du jour, au milieu de ses enfants, et la place du père de famille aux champs ou à l'atelier, le corps courbé sur la charrue, l'enclume ou le rabot ? - Si vous voulez dire cela , vous énoncez une grande vérité . Allez plus loin encore, et cherchez, par ce proverbe, à faire éclater votre reconnaissance envers le Bon Dieu
Il veut bien que le travail nous serve de prière ; il n 'a pas circonscrit nos hommages à un lieu ni à une heure déterminés. Mais , comme il est partout et toujours , partout et toujours il permet que nous le prions; il nous tient compte et des aspirations que, de temps a autre, au milieu du travail, notre âme élève vers lui et aussi de ce travail lui-même, qui, lorsqu 'il est entrepris dans le but de lui plaire, constitue une véritable prière. Vous ne devez, ni ne pouvez être toujours à l'église ; vous pouvez, et, jusqu 'à un certain point, vous devez prier toujours. Faites en vue de Dieu , toutes vos actions deviendront ainsi des prières; même vos actions les plus indifférentes; à plus forte raison ce qui est le fond de votre vie , votre travail, ce travail trois fois béni de Dieu , puisque c 'est un instrument providentiel de pénitence , un refuge assuré contre les tentations de l'oisiveté, et le moyen régulier de subvenir aux besoins de votre famille.
Soit que vous mangiez, soit que vous buviez , dit saint Paul, soit que vous fassiez toute autre chose , faites-le au nom du Seigneur. -- Un Ave Maria donc, mes bons amis, ou , si le temps vous manque, une élévation du coeur vers Dieu , au moment où vous commencez votre journée ! Un souvenir au charpentier de Nazareth et a son divin apprenti, lorsque quelque difficulté vous arrête , et que vous êtes tentés de vous décourager ! - Ainsi consacré, ne craignez pas d 'appeler votre travail une prière.
8- TOUT CHEMIN MÈNE A ROME.
Rome, la ville par excellence, Rome si longtemps la capitale du monde civilisé, depuis Notre- Seigneur la capitale du monde chrétien , Rome figure ici, ce qu 'elle est en effet, le centre de toute vérité , la source par conséquent de toute vertu et de toute vraie félicité .
Lors donc que l'on dit : Tout chemin mène à Rome, on entend par là (sans parler des applications secondaires) qu'en quelque position que Dieu nous ait placés , soit que nous ayons à gravir péniblement les sentiers les plus escarpés, soit que des routes faciles et toutes bordées de fleurs s'étendent à perte de vue sous nos pas, toujours, au bout du chemin , c 'est-à -dire au terme de notre existence , nous pouvons, nous devons arriver à la Rome de l'autre vie, à la Jérusalem céleste .
Ainsi le chrétien , cheminant dans le sillon que lui a tracé la Providence , ne voit pas seulement le but au terme de son voyage ; il est tellement identifié avec ce but qu'il en vit, pour ainsi parler. C 'est vers Dieu qu 'il marche, et c 'est Dieu lui-même qui, lui donnant la force et le courage, le soutient dans sa pénible route . - Oh ! qu 'il est doux de marcher, quand on est sûr d 'arriver ; et qu 'importe par quel chemin l'on s'avance. quand l'oeil de la foi, toujours ouvert, voit , au terme de la carrière, les couronnes éternelles promises à ceux qui auront persévéré jusqu la fin ! Donc tout chemin mène à Rome. Tous les chemins ne mènent pas tout le monde. Il faut d 'abord que nous soyons dans le chemin où Dieu nous a placés, et non dans un chemin où nous nous soyons mis nous-mêmes . Avez- vous quelquefois entendu prononcer le mot de vocation , mes amis ? C 'est le cas de vous en dire quelque chose. Vocation veut dire appel. Chaque homme a sa vocation ; c'est-à - dire que Dieu l'appelle à tel ou tel état. Celui- ci est appelé au service direct de Dieu dans la vie religieuse ; celui-là , dans l'état de mariage, doit aussi servir Dieu , mais d 'une manière moins immédiate : les uns sont amenés, par des circonstances que Dieu seul a combinées, à sortir de l'humble position de leurs pères ; les autres , au contraire, ont pour mission , d 'y demeurer. Les vocations ne sont pas extrêmement marquées pour tout le monde ; mais celui qui consulte ses dispositions naturelles, qui surtout prend conseil de ses parents , et qui, devant Dieu , choisit un état où le service de Dieu ne soit pas impossible, celui- là est fidèle à sa vocation ; il est dans le chemin où Dieu veut qu ' il soit; ce chemin le mènera au but.
Le voyageur qui, à moitié chemin de la ville éternelle , s 'assoirait sur le bord de la route , et dirait : Tout chemin mène à Rome, croyez- vous qu 'il y arrivât jamais ? Ce n 'est pas à cheval, ni en voiture, mes chers amis, que nous devons faire notre salut, mais bien à pied . Nous sommes dans le chemin : eh bien , marchons; et nous arriverons. — Dieu fait beaucoup pour nous : il nous place dans la bonne voie ; il dispose , le long de notre route , la nourriture pour nous soutenir , le sommeil pour réparer nos forces , le soleil pour nous éclairer , une douce pluie pour nous rafraîchir . Quelquefois même, des orages surviennent, pour nous apprendre que nous ne sommes pas encore dans la patrie du repos. Quand la fatigue nous accable , un regard levé vers le Ciel nous obtient des forces nouvelles . - Voilà ce que Dieu fait pour nous; mais tout cela, à condition que de notre côté nous marcherons. Ce n 'est pas sans nous que notre salut s'opère. Dieu veut que nous soyons, dans cette grande oeuvre, ses collaborateurs ; et l' on ne dit pas: recevoir son salut, mais faire son salut. Acceptation de toute position que Dieu nous donne ; obéissance à notre vocation ; coopération courageuse à notre salut: voilà les trois leçons que nous fournit notre Proverbe. Ainsi compris, il est bien vrai que tout chemin mène à Rome.
9- UN BON TIENS VAUT MIEUX QUE DEUX TU L 'AURAS - EN TOUTE CHOSE IL FAUT CONSIDÉRER LA FIN.
I. Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras. J'ai connu , mes chers amis, une honnête famille qui vivait à Paris d 'un emploi suffisant pour donner au père, à la mère, et aux quatre enfants , le logement, la nourriture et le vêtement ; même, avec un peu d 'économie, on eût pu mettre de côté pour l'avenir . — Il arriva qu 'en 1848 l’emploi, qui était de quatorze cents francs, fut réduit à douze. Mécontents de cette réduction , nos gens prêtèrent l'oreille à un charlatan qui leur promit qu'en un autre pays ils feraient fortune au bout de quelques mois. Ils quittèrent donc leur place, vendirent tout ce qu' ils possédaient, et partirent pour ce pays. Là le désenchantement ne se fit pas attendre : après avoir souffert mille privations, vu mourir deux de leurs enfants , compromis leur santé, perdu leur petit avoir , ils furent obligés de renoncer à leur folle entreprise. A grand peine ils retraversèrent la Méditerranée, et revinrent à Marseille . Avec les quelques sous qui leur restaient, le mari acheta une voiture, et regagna péniblement Paris , traînant lui-même sa femme, ses enfants , et quarante tortues d 'une lourdeur extrême qu 'il croyait vendre au poids de l'or. Dans ce même Paris, où, six mois auparavant, ils avaient une position enviable , nos voyageurs seraient morts de faim sans la charité publique. Je vous assure n 'avoir jamais rien vu de plus misérable que leur intérieur. De ces fameuses tortues la plupart étaient mortes en route , et je ne sais si l'on réussit à vendre les écailles dix sous pièce. Certes , ces pauvres gens, – maintenant à peu près tirés d 'affaire, je me hâte de vous le dire, pour ne pas trop vous affliger , certes, s'ils avaient un peu réfléchi, au lieu de se laisser monter la tête, ils y auraient regardé à deux fois avant de quitter le certain pour l'incertain , un bon tiens pour deux tu l'auras.
De deux maux il faut choisir le moindre. Ils ont fait ce que font tous ceux qui se livrent à leurs passions; pour eux le moment présent est tout , l'avenir rien . C 'est ainsi que l' écolier paresseux aime mieux être constamment grondé et puni que de travailler ; l'ouvrier, risquer sa place que de se priver de quelque partie de plaisir : l'ivrogne et le libertin , perdre santé , réputation , la vie même, que de résister à l'entraînement de leurs sens. Ils ont fait comme le chrétien qui sait bien qu'en se laissant aller à tel vice, en ne travaillant pas résolument à l'extirper de son âme, il s'expose peut-être aux flammes de l'enfer, et qui, tout entier aux jouissances honteuses de la matière, se dit : Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras. Si nous nous trouvons placés entre Dieu et le diable (l`ange déchu), et que celui- ci, le trompeur par excellence, nous offre des jouissances coupables, en nous disant: Tiens, nous ne sommes plus dans le cas de notre Proverbe . Car ce tiens, à peine sommes -nous assurés de le tenir ; et, en tous cas, nous savons bien que ce n 'est pas un bon tiens ; tandis que c 'est Dieu lui-même qui nous dit : « Repousse ces offres perfides ; ne t 'abandonne ni à la vengeance, ni à l'avarice, ni à l'impureté . Tu souffriras un peu ; mais, en récompense, tu auras la paix de l'âme, ce bien le plus précieux a de tous ceux d 'ici -bas; et puis, là - haut, tu auras le a bonheur suprême: car tu me posséderas moi-même. » - Soyons des chrétiens sages et prévoyants, qui se disent de chaque chose : Après ? qui, surtout, se préoccupent du dernier et définitif après, et font tout en conséquence. — Cette fin dernière n 'est elle pas la seule en effet qui dure toujours ? et quelle folie ne serait -ce point de travailler pour le temps qui passe , quand on est fait pour l' immuable éternité ?
10 - MIEUX VAUT TARD QUE JAMAIS
Oh ! mes bons amis, que le diable est habile ! Là où je mensonge ne ferait pas son compte , et ne réussirait point à nous maintenir dans la mauvaise voie , il sait bien avoir recours à la vérité ; mais à une vérité qui est vraie pour d 'autres que pour nous, et qui, nous étant appliquée, nous abusera tout aussi sûrement que l'erreur la plus infernale. Notre Proverbe en est un exemple frappant. Certes , quand, au déclin de notre vie, Dieu nous envoie la bonne inspiration de nous convertir , c 'est encore de Dieu que nous vient cette pensée que mieux vaut tard que jamais ; que nous avons sans doute eu tort de tant différer, de vivre de longues années dans l'oubli de nos devoirs ; mais qu'enfin le pardon est promis au repentir sincère , à quelque moment qu ' il se manifeste, etc., etc . Certes aussi, lorsque nous voyons des âmes qui nous sont chères tarder longtemps, bien longtemps , à rentrer au bercail, nous ne devons point désespérer de leur salut ; et, tout en redoublant nos prières afin que Dieu daigne enfin les toucher, nous devons croire que le repentir leur arrivera, et redire a leur intention : Mieux vaut tard que jamais.
1. Mais vous, chers amis qui me lisez, est- ce dans ce sens que vous prenez notre Proverbe ? Quelques. uns peut- être, et je les en loue. — Mais d 'autres, lors que l'idée de se convertir vient frapper à la porte de leur coeur (et cela arrive tous les jours peut- être ), d 'autres, pour écarter cette idée importune, se disent: « Maintenant, je n 'ai pas le temps ; mais je me convertirai lorsque j'aurai terminé telle affaire , que je me serai retiré du commerce , que mes enfants seront établis . En tout cas, je me convertirai, pour sûr, à l'heure de ma mort. J'ai bien recommandé aux a miens, lorsqu 'ils me verraient dangereusement malade , d 'appeler un prêtre avant un médecin . Après tout, mieux vaut tard que jamais, et grâce à Dieu je ne suis point de ceux qui projettent de mourir dans « l'impénitence finale . »
II . Tout cela, chers lecteurs , vous vous l'êtes dit mille fois à vous-mêmes, et je ne suis ici, n 'est-ce pas ? que l' écho de votre conscience . - Pourquoi donc alors ne vous convertissez - vous pas ? Ce serait une longue affaire que de répondre à ce pourquoi; car vous n 'êtes pas tous retenus par les mêmes chaînes; et il me faudrait signaler à chacun les siennes , tout en lui indiquant le moyen de les rompre . Peut-être n 'avez-vous pas la foi. Mais, si vous la désirez vraiment, vos prières et votre persévérance vous l'obtiendront infailliblement. Peut-être y a -t- il dans votre âme un hôte qu 'il en faut chasser, avant d ' y introduire le Dieu de toute pureté ; car nul ne peut servir deux maîtres ; et vous ne pouvez servir en même temps Dieu et l'argent, ou Dieu et la volupté , ou Dieu et la haine. Peut-être le respect humain vous retient-il, et craignez-vous les railleries de vos camarades ? Vous savez bien que, pour triompher de cette lâche terreur, il suffit d 'un peu de courage. Demandez- le à Dieu ; il vous le donnera ; et vous verrez de quel puéril épouvantail vous étiez effrayés. Mais il y en a , parmi vous, que ni le manque de foi, ni les passions, ni même le respect humain , n 'arrêtent; qui pensent, qui vivent, qui parlent en chrétiens, et qui pourtant ne remplissent pas certaines obligations capitales du Christianisme, qui ne se confessent pas (pour lâcher le grand mot). Ne trouvez-vous pas d 'abord , mes bons amis, ce langage bien peu respectueux à l'égard du Souverain Maître , et digne de ces mauvais débiteurs , qui disent à leur créancier : J'aimerais mieux vous devoir toute ma vie que de nier un seul instant ma dette ? En avez vous vu beaucoup, de ces débiteurs , s'acquitter avant de mourir ? De même soyez assurés que Dieu est très- peu honoré de cette résolution de repentir pour l'heure de la mort. De grâce, mon bon ami, mettez donc Dieu dans votre âme, et vous verrez quelle paix et quelle confiance y entreront avec lui. Cela vaut bien la peine de faire un effort.
11 - PETIT A PETIT , L'OISEAU FAIT SON NID
On lit dans l’Esprit de saint François de Sales que ce saint évêque ne pouvait parcourir la campagne sans trouver dans tout ce qu'il voyait des occasions de louer Dieu , et comme des ailes qui portaient sa prière, plus rapide et plus reconnaissante , vers le Créateur. Faisons comme ce grand saint, chers lecteurs, et allons ensemble regarder de près cet oiseau, qui, petit à petit, fait son nid . Regardons-le , non par une vaine et puérile curiosité, mais pour en retirer la leçon que Dieu y a placée , et pour apprendre, par son exemple , une des vertus qui réjouissent le plus les regards de notre Auteur : la persévérance douce et infatigable du Père de famille et du chrétien .
I. Pour se mettre à l'oeuvre, l'oiseau n 'attend pas la naissance de sa famille . Dès que le retour du printemps a réveillé son infaillible instinct, il sait qu 'il doit, selon son espèce , établir son nid sur le faite d 'un grand arbre, au fond d 'un vieux mur, dans les blés , ou parmi les roseaux touffus du rivage ; il sait que la divine providence a répandu dans la campagne les matériaux de sa petite demeure, et que le toit de chaume du paysan , les bois , les champs et les prairies lui gardent ces petits brins de paille, de mousse et d 'herbe séchée, qui lui serviront de moellons et de plâtre ; il sait qu 'à lui seul, l'architecte et le maçon de son palais aérien , il lui faudra, pour l' achever, d ' innombrables voyages, dont la pensée pourtant ne le décourage point; .. .. ou , plutôt, il ne sait rien de ces choses. Mais Dieu les fait toutes pour lui,. .. et pour nous, qu 'il veut instruire. Oui, mes chers amis, apprenons, par l'exemple de cette petite créature, que rien de bon ne se fait vite . Comme le nid de l'oiseau, le nid de votre famille ne sera solide et béni de Dieu que s'il est le résultat de votre travail de chaque jour. L 'oiseau qui voudrait épargner quelques voyages, et qui lésinerait, comme on dit, sur la matière première ou sur la main d 'oeuvre, ferait une triste besogne ; sa fragile construction serait bien vite balayée par le vent, minée par l'eau courante de la rivière , ou tout au moins entamée par la dent avide de la fouine ou du mulot. Vous de même, mes bons amis , ne vous imaginez pas, quelles que soient votre intelligence et votre assiduité au travail, que vous puissiez tout d 'un coup , je ne dis pas faire fortune, mais fonder seulement la plus humble aisance . Cela est arrivé à quelques- uns, de même que quelques-uns aussi naissent riches et n 'ont pas besoin , ce semble, de travailler pour vivre. Mais ce sont là des exceptions sur lesquelles il ne faut pas compter. D 'abord , ceux qui naissent riches, et qui succombent à la tentation de ne rien faire , parce qu' ils ont du pain de cuit, ceux- là , ne faisant rien de bien , font souvent du mal ; la plupart du temps, ils aventurent leur fortune dans de folles spéculations, quand ils ne la prodiguent pas en coupables dépenses; et ils défont leur nid , non pas petit à petit, mais bien vite ; car autant le patrimoine d 'une famille est long à amasser, autant il se dissipe facilement, et comme en un clin d ' oeil.
Quant à ceux qui font leur fortune tout d 'un coup, il y en a... comme il y a des hommes qui ont sept pieds, comme il y a des épis de blé contenant jusqu 'à deux ou trois cents grains. Mais ce sont là aussi de rares exceptions. El, de même qu'un insensé seul oserait se lamenter, parce que ses fils n 'ont pas tous la taille phénoménale des géants, ou prétendre n 'avoir dans son champ que des épis prodigieux , de même il faut nous résigner à la loi commune de faire notre nid petit à petit. Comme l'oiseau, vous ne sauriez vous y prendre trop tôt. Vous qui êtes bon ouvrier, qui gagnez de bonnes journées, qui n 'avez encore ni femme ni enfants à nourrir, pensez au temps prochain où ces charges vous arriveront ; douces charges pour votre coeur, qu 'elles réjouiront de toutes les saintes affections de la famille; mais charges enfin , puisque tout ce petit peuple qui fera votre joie, il faudra bien le loger, le nourrir , le vêtir, payer ses mois de nourrice et d'école, et son apprentissage ; – même lui donner plus tard une petite dot, pour l'aider à son tour à se faire son nid dans ce monde. – Pensez à cela quelquefois ; vous êtes dans le meilleur moment de votre vie pour économiser; et, sans prétendre vous interdire quelques honnêtes réjouissances avec d 'honnêtes camarades, qu 'elles soient rares et pas trop dispendieuses. Mettez votre joie à voir chaque jour le nid de votre famille à venir prendre figure ; vous jetez les fondements de votre bonheur, en vous garantissant ainsi d 'avance , autant que le peut faire la prévoyance humaine, contre la misère et les dépenses extraordinaires que la maladie , le chômage, les révolutions peuvent vous occasionner.
Ce que vous aurez fait, étant garçon , je n 'ai pas besoin de vous engager, votre femme et vous, à le continuer . Dieu bénit toujours les ménages où règne une sage et persévérante économie ; - non pas cette économie cruelle , qui n 'économise que sur le prochain , qui est aussi empressée à refuser un sou à un pauvre qu'à en dépenser cent par ostentation ou par gourmandise ; - mais cette économie chrétienne, soeur de la charité , qui ne prend jamais sur la part du pauvre , cette économie, non seulement permise, mais ordonnée, et qui met de côté , afin de pouvoir soulager, dans leur vieillesse , leurs maladies ou leurs autres épreuves , ceux dont Dieu nous a particulièrement confié le soin : un père, une mère, de jeunes frères ou soeurs, une femme, des enfants.
II. Vous m 'en voudriez , mes bons amis , et vous auriez raison , si je m 'arrêtais ici, à moitié chemin , et si je n 'ajoutais que votre nid éternel, votre place dans le ciel, c'est petit à petit aussi qu'il les faut préparer . Chaque bonne action que vous ferez , chaque victoire que vous remporterez sur vous -mêmes, chaque prière fervente , chaque sacrement pieusement reçu ; ce sera , pour votre nid du Ciel, autant de brins de paille et de mousse qui commenceront à le former. Tous les jours vous pouvez, et vous devez, ajouter quelques parcelles à cette riche demeure qui vous attend. Et pour cela il ne vous faut point d 'occasions extraordinaires . Remplir les devoirs de votre état, vos obligations de famille ; vous montrer bon écolier ; ne pas perdre de temps, ce bien si précieux, qui appartient à votre maître si vous êtes apprenti, ou ouvrier à la journée, qui, en tout cas, appartient à Dieu ; être résigné dans vos petites peines ; reconnaissant envers Dieu des petites jouissances qu 'il vous envoie : voilà de quels menus actes de vertu se compose votre nid . Mais précisément parce qu 'ils sont menus, l'on conçoit qu 'ils doivent être répétés. Aussi est - ce tous les jours que vous y devez travailler . - Vous vous rappelez cet empereur romain qui, à la fin d 'un jour où il n 'avait pu obliger personne, disait : J'ai perdu ma journée. Ainsi nous, nous devons considérer comme perdu un jour où nous aurons négligé les mille occasions qui s'offrent à notre âme de prendre son vol, et de porter à l'architecte céleste quelques humbles mérites pour la construction de notre nid éternel .
III . Mais, pour que vous fassiez votre nid dans le Ciel , il faut que la vertu fasse son nid dans votre coeur ; il faut surtout que telle vertu s' établisse chez vous, vertu pour laquelle vous avez une sorte de répulsion , - enclins que vous êtes au vice opposé. . C 'est petit à petit aussi que ce nid se construira . - N 'allez pas vous imaginer que vous deveniez parfaits en un jour. -- Tendre à la perfection , et n 'y arriver jamais (Dieu seul est parfait), c'est le travail de notre vie tout entière. Surtout ne désespérez jamais de venir à bout d 'un défaut. Avec la grâce de Dieu , qui bénira vos efforts , qui vous aidera - car il l'a promis, lui qui ne peut mentir, — dans votre labeur de chaque jour, petit à petit cette vertu dont vous êtes si éloignés aujourd 'hui sera solidement implantée dans votre âme.
Dernière édition par MichelT le Lun 8 Mar 2021 - 17:23, édité 2 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
12 - NE RÉVEILLEZ PAS LE CHAT QUI DORT
Maintenant quel est le chat dont je veux vous parler, à vous, mes bons amis ? Je veux vous parler des caractères difficiles, avec lesquels peut- être vous avez à vivre. Je veux vous parler de vos passions, avec lesquelles certainement vous avez à vivre .
I . Vous vous rappelez sans doute que Notre- Seigneur, dans l'Évangile , et saint Paul d'après lui, nous recommandent d 'aimer, de bien traiter non-seulement nos amis et ceux qui sont d 'une humeur aimable et facile (les païens eux-mêmes agissent ainsi), mais encore nos ennemis, ou les personnes dont le caractère est aigre, rancuneux, méchant même. — Il se peut donc qu'afin de vous faire pratiquer la douceur, cette vertu qu 'il aime tant, Dieu ait placé près de vous, dans votre vie de chaque jour, des êtres dont l'humeur sauvage et le mauvais caractère sont pour votre patience un exercice de tous les instants . Il faut pourtant, même avec ces difficiles compagnons, garder la paix ; il y faut du moins faire tous ses efforts . Or voulez - vous que je vous enseigne un des moyens les plus sûrs d ' obtenir ce résultat si désirable ? C 'est de ne pas réveiller le chat qui dort; c'est , lorsque vous voyez sommeiller cette mauvaise humeur qui, éveillée, vous donne tant de fil à retordre , de vous bien garder d 'en troubler le repos, A quoi bon contester, par exemple , avec les gens que la contradiction irrite ? Si la conscience n 'est pas intéressée dans ce que disent cette femme acariâtre ou ce mari grondeur, laissez-les donc dire, et craignez qu 'un mot hasardé à l'encontre n 'amène une querelle, qui pour longtemps chassera la paix de votre logis. – Si au contraire vous savez vous taire, la crise de gronderie passera faute d 'aliment.
Après la paix de la conscience , le plus précieux de tous les biens, c'est la paix du ménage. Or il n 'y a pas de bien qui ne s'achète . Pourquoi ne pas savoir vous gêner et vous contraindre un peu pour obtenir celui- ci ? Il en vaut certes bien la peine. Ne me dites pas, madame, que c'est votre mari qui allume toutes les disputes. — Vous, vous les attisez . Si vous saviez ne pas réveiller sans cesse sa susceptibilité ou son humeur chagrine, par vos observations maladroites, ou vos réponses aigres- douces, qui sait combien de temps ne durerait pas ce sommeil heureux ? N 'oubliez jamais que, dans toute dispute, il y a des torts de part et d 'autre. C 'est à vous, que le Bon Dieu a faite chrétienne, à calmer , au lieu de les exciter , les tempêtes dont est menacé votre horizon . Et quel admirable calmant que le silence ! - Essayez-en . Encore une fois, ne réveillez pas le chat qui dort .
II . Le chat, disions-nous, est comme un tigre apprivoisé. Que de passions , mes chers amis, nous portons en nous-mêmes, dont la Religion a tempéré la violence, et qui sont comme endormies par les salutaires et bénignes influences d 'une vie chrétienne ! — Mais comme, l'animal féroce retrouve ses instincts sanguinaires, sachons bien que, pour ne pas se réveiller plus terribles, nos passions ont besoin d 'être maintenues loin des lieux et des occasions qui jadis leur furent si fatales. Que si nous allions les exposer aux tentations qui les firent tant de fois succomber, les allécher par l'aspect de leur pâture habituelle, ou seulement leur faire respirer, au lieu de l'atmosphère d 'une vie sage et retirée, l'air vif et excitant d 'une existence mondaine, soyons sûrs que tout le travail de notre vie sera perdu. O mon Dieu ! donnez -moi de la douceur, pour ne pas réveiller les humeurs chagrines endormies à côté de moi. Donnez-moi de la fermeté , pour maintenir dans un sommeil nécessaire les passions violentes qui s'agitent sans cesse et se voudraient réveiller au dedans de moi. Vous êtes le Prince de la Paix; c'est à vous que je demande la paix de ma maison et la paix de mon âme.
13 - LA LOI CHRÉTIENNE ET LA STABILITÉ DE NOS SOCIÉTÉS
Mais à quoi donc sont destinées , je vous prie, les lois, l'armée, la magistrature , la police , sinon à protéger le faible contre le fort, et la société en général contre les attaques de certains hommes fort dangereux, et que vous connaissez aussi bien que moi ? L 'assassin qui m 'ôte la vie, le voleur qui me dérobe ma montre ou mon portefeuille , le plaideur de mauvaise foi, qui espère me ruiner en me cherchant d 'injustes querelles.
Que les hommes abusent de tout? - Il y a longtemps que nous le savons. - Que, malgré de sages lois, une magistrature intègre, une police vigilante , il s'en faut que tout soit parfait dans la société? – Eh ! mes bons amis, est-ce que les hommes eux -mêmes sont parfaits ? et comment voulez - vous qu 'ils communiquent à leurs oeuvres une perfection qui leur manque à eux-mêmes ? Dieu seul est parfait; et, parmi ses oeuvres, celles- là seulement sont parfaites qu'il fait seul et sans notre coopération . Aussi, de même que la vérité tout entière ne réside que dans la Religion que Dieu nous a révélée , de même l'ordre tout entier ne se rencontrera que dans la vie à venir , parce que là notre sort éternel à chacun sera l'exécution d 'une sentence prononcée par Dieu lui-même.
La société , nous l'avons dit, est sans cesse en lutte contre la force injuste et violente. Victorieuse jusqu'ici, la société le sera - t -elle toujours ? Dieu seul le sait. Ce que nous savons, nous, c'est que la lutte est terrible , et par les résultats qu 'elle doit finalement produire , et par l'ardeur des combattants . Ceux qui veulent nous ramener à l'état sauvage ont pour auxiliaires toutes les mauvaises tendances de notre nature; et vous savez si elles sont à la fois dépravées et puissantes. - Contre de tels assaillants, la société ne saurait être trop fortement défendue. Comment le sera-t- elle ? Le voici : c 'est la loi, le lien , la subordination de tous à un pouvoir suprême, à des règlements, à des magistrats qu'il a établis. Ce pouvoir ne peut venir que de Dieu . Comment en effet le lien nécessaire de la société viendrait-il d 'un autre que de l'auteur même de l'homme et de sa nature sociale , de Celui qui, d 'ailleurs, est l'auteur de tout bien ? Or il importe de nous bien pénétrer de cette conviction , qu 'aucune de nos actions n 'est indifférente au maintien ou à la ruine de la société, puis que tout acte , selon qu 'il est bon ou mauvais , raffermit ou ébranle cette clef de voûte des sociétés, la loi, l'autorité. — Oui, chaque fois que nous faisons le mal, que nous nous abandonnons sans résistance à l' entraînement de nos passions, nous poussons la société , autant qu'il dépend de nous, vers l' état sauvage. Le jour, en effet, où la majorité des citoyens d 'une nation serait ennemie des lois, du pouvoir,de tout ce qui constitue une société régulière, amie au contraire des jouissances brutales, d 'une vie désordonnée , errante et sanguinaire , ce jour-là on courrait grand risque que la raison du plus fort serait en effet la meilleure .
Cela ne durerait pas longtemps; mais cela durerait assez pour faire crouler bien des fortunes (des petites plus encore que des grandes) et tomber bien des hommes . J'ajoute que, puisque les lois sont le salut des sociétés, il faut se rattacher fortement à celle de ces lois qui est la première , la plus vénérable de toutes, celle de qui les autres empruntent leur force et leur durée , la loi chrétienne. Oui, mes bons amis, soyez chrétiens, donnez l'exemple du respect de Dieu, de son Église , de ses ministres, de ses commandements moraux. Pensez-y : - chaque homme qui se convertit, outre qu 'il sauve son âme, contribue, pour sa part, à sauver la société . Car il grossit les rangs de ses vrais défenseurs , et diminue l'armée de ses ennemis, de ceux qui veulent substituer au règne de la loi le règne de la force, et, de chrétiens que nous sommes, nous faire redescendre à la condition des sauvages ou des animaux.
14 - QUI DONNE AUX PAUVRES PRÊTE À DIEU
Comment? me direz-vous, Dieu peut devenir notre débiteur, et nous ses créanciers ? Oui, mon cher lecteur, il ne tient qu 'à vous d 'opérer ce prodige. Il suffit pour cela de faire l'aumône, et de la faire en vue de Dieu . I. Quand vous donnez à un riche, parce qu 'il vous rendra , ce riche, jusqu'à ce qu 'il vous ait rendu , est votre débiteur. Vous faites là une affaire, et Dieu n 'a rien à y voir, à moins que vous ne la fassiez malhonnêtement, auquel cas, tôt ou tard , il interviendra pour vous punir . Mais si vous donnez à celui qui ne peut vous rendre, Dieu est là qui prend la place de votre obligé, et qui vous rendra au centuple ; et cela, non seulement parce que vous méritez la récompense de votre bonne action , mais parce que c'est Dieu lui même que vous avez nourri , vêtu , logé, en la personne de ce pauvre. Ce n 'est pas moi qui invente ces choses, mes bons amis : l'Église, notre mère , appelle les pauvres du nom glorieux de membres souffrants du Sauveur; et en cela elle ne fait qu 'emprunter le langage du Sauveur lui même, qui, nous retraçant, dans l'Évangile , la grande scène du jugement dernier, dit aux bienheureux : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume a qui vous a été préparé depuis la création du monde: « car j'ai eu faim , et vous m 'avez donné à manger; « j'ai eu soif, et vous m 'avez donné à boire; je ne « savais où loger, et vous m 'avez recueilli chez vous ; « j'étais nu, et vous m 'avez habillé. »
II. Mais nous sommes pauvres nous-mêmes, me répondrez- vous. Comment donnerions-nous, nous qui avons tant besoin qu 'on nous donne, nous qui sommes si souvent privés du nécessaire ? Nous n 'aurons jamais cette joie de rendre Dieu lui-même notre débiteur, ni de mettre à cette céleste caisse d 'épargne de la charité . Ne me dites pas cela , mes chers amis ; car je vous fermerais la bouche avec les nombreux exemples de charité, de dévouement héroïque (je ne demande pas tant de vous), qui sont chaque jour donnés au monde par de moins riches que vous. Je vous montrerais ces pauvres portiers, qui sont peu payés, qui n 'ont pas d 'ouvrage tous les jours, ni de pain autant qu'ils en voudraient pour leurs six enfants , adopter un orphelin , et l'élever avec autant de tendresse que leurs fils et leurs filles. Je vous mènerais dans cette mansarde, où une pauvre vieille femme reçoit le vivre et le couvert d 'une autre vieille femme, presque aussi misérable qu 'elle. Je ferais appel à vos souvenirs , et je vous demanderais si vous n 'avez pas reçu, ou rendu vous-mêmes, mille petits services, qui sont bien la charité , et qui, pourvu qu'ils en aient l'esprit, en méritent la récompense. Et puis, avez-vous oublié l'Évangile , et ce denier de la pauvre veuve , célébré par Notre-Seigneur lui-même, comme plus méritoire que les pompeuses offrandes des riches d 'Israël, et ce verre d'eau froide qui, donné au nom de Jésus-Christ, vous méritera les récompenses éternelles ? - En est-il un seul parmi vous qui, de temps en temps , ne puisse donner un sou à un plus pauvre que lui, un morceau de pain ou un verre d ' eau à ceux qui ont faim et soif ? Votre sou offert de bon ceur, et qui vous privera de tabac ou d 'eau-de- vie pour donner du pain à votre voisin , vaudra plus dans les balances célestes qu'une pièce d 'or donnée par de plus riches . Et si, pour apporter ce verre d 'eau froide au pauvre mendiant épuisé, vous avez remonté gaiement, pour la vingtième fois peut-être de la journée, vos six étages, soyez sûr que Dieu se considère bien comme votre débiteur, et pour le verre et pour les étages. Enfin remarquez que notre proverbe ne dit pas: Qui donne de l`argent aux pauvres prête à Dieu ; mais : Qui donne aux pauvres. - Est- ce que par hasard il n ' y aurait que de l'argent qui se puisse donner ? Vous avez trop bon cour pour le penser. Est-ce que votre mère, quand elle vous prenait enfant sur ses genoux, qu'elle berçait votre sommeil avec ses chansons , ou votre veille avec ses histoires du temps passé, est-ce que, votre bonne mère ne vous donnait rien ?
Est- ce que la soeur de Charité qui vous parle du ciel, est-ce que le prêtre qui l'ouvre à votre repentir, est-ce que le pieux jeune homme qui vous visite malade ou prisonnier, est-ce que le voisin charitable qui, trop pauvre pour vous secourir lui-même, apitoie en votre faveur des coeurs chrétiens et généreux, est-ce que tous ceux-là ne vous donnent pas ? Oh ! mes amis, la charité, que vous croyez être le patrimoine du riche, est, de toutes les vertus, celle qui . s'exerce le plus facilement par tout le monde, envers tout le monde, dans tous les instants de la vie . Il faut seulement le vouloir . Aimez vraiment Dieu : vous aimerez les pauvres, ses amis et ses représentants ; vous trouverez moyen de leur faire du bien en mille manières. Et ce bien , accumulé dans les trésors du Père céleste , fera votre consolation , au grand jour où nos comptes à tous seront définitivement arrêtés . Vous aurez certainement, en ce moment suprême, bien des dettes à payer à Dieu : quel bonheur que Dieu , de son côté, en ait aussi contracté envers vous ! - Il se fera alors , entre lui et vous, une heureuse compensation , et, une fois de plus, vous verrez , à votre grande et éternelle joie , s'accomplir cette parole de l'Apôtre : La charité couvre une multitude de péchés.
15 - QUI DONNE VITE DONNE DEUX FOIS
Nous venons de voir les récompenses de la charité . Deux mots sur les qualités qu'elle doit avoir pour nous obtenir , dans le coeur du prochain , cette reconnaissance qui, après le bonheur du ciel, est le plus doux fruit de la charité .
1. Qui donne vite (et qui donne gaiement, ajoutent quelques-uns) donne deux fois. - Oh ! que cela est vrai! Oui, la manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne. Pourquoi ? C'est que ce que l'on donne, quelque précieux qu'il puisse être, ce n 'est, après tout, qu'une chose . La manière de donner, au contraire, c' est une partie de notre coeur. Or rien ne va droit au coeur comme le coeur. Aussi la règle suprême de la charité est-elle qu' il faut donner avec son coeur. Cette règle est générale, et ne connaît pas d ' exception . Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup; si vous avez peu, donnez peu ; mais que vous donniez peu ou beaucoup , donnez gaiement et donnez vite.
2 - Nous avons le bonheur d 'appartenir à une religion où tout est jugé d 'après la pureté de l'intention , qui dépend toujours de nous, et rien d 'après l'événement, qui est l'affaire de Dieu . Profitons donc de cet immense avantage . Remontons sans cesse nos coeurs ; rallumons- y les bons sentiments . Combattons ceux qui sont mauvais ou indifférents. Cherchons, en un mot, à bien faire tout ce que nous avons à faire . Or, nous l'avons dit, bien faire la charité , outre que c'est la faire pour Dieu , c'est la faire vite et gaiement; c'est la faire avec le coeur.
16- A CHAQUE JOUR SUFFIT SA PEINE (Matthieu 6,34)
Ce proverbe est bien vieux, mes bons amis ; car Notre-Seigneur lui-même l'emploie dans l'Évangile , comme déjà usité de son temps. Mais ce qui n 'était jusque- là qu'une maxime de la prudence humaine nous est devenu sacré, en passant par les lèvres du Sauveur. Méditons- le donc avec le respect et l'amour dus aux paroles de Celui qui a dit : Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront point.
I. Vous avez sans doute rencontré quelquefois de ces gens ingénieux à se tourmenter eux-mêmes, non point de leurs peines présentes, ce qui serait assez naturel, mais de leurs peines à venir , des dangers qu'ils courront l'année prochaine , des difficultés qu'eux ou leur famille auront à traverser dans un avenir éloigné. Ce sont des gens pleins d'imagination , très- impressionnables, comme on dit, qui ne savent pas voir les choses simplement, et telles qu'elles sont, mais dont la déplorable perspicacité entrevoit toujours l'avenir sous les couleurs les plus sombres et les plus invraisemblables : leurs enfants sont encore à naître , qu'ils se demandent déjà comment ils feront pour racheter leurs fils de la conscription , et pour doter leurs filles .
Mais , hommes étonnants , suis -je tenté de leur dire, cet avenir dont vous vous préoccupez tant, vous ne le verrez point peut- être . Ces fils et ces filles qui troublent déjà votre paix , qui sait si le Bon Dieu vous les donnera ? Ces peines , ces dangers, ces difficultés, vous n ' aurez peut- être point à les affronter ; ou bien votre bon ange, vous prenant par la main , vous fera traverser sans encombre ce qui, de loin , vous effrayait tant. A quoi bon vous être ainsi tourmentés d 'un avenir incertain ? Vous vous êtes troublés ; vous avez douté peut-être de la protection de Dieu ; peut-être avez- vous murmuré contre sa divine providence; peut- être , en envisageant de loin des épreuves imaginaires, avez vous senti faiblir votre courage, et vous êtes - vous décidés d 'avance à succomber à la tentation , lorsqu 'elle se présenterait. Que de péchés de pensée , pour avoir négligé la parole du Sauveur : A chaque jour suffit son mal!
II. Le Dieu juste et bon qui nous a créés, mes chers amis , prend soin de toujours proportionner les épreuves qu ' il nous impose à notre degré de force , ou plutôt aux forces que sa grâce nous communique ; car nous mêmes ne sommes- que faiblesse , et toute force vient de Dieu . Hélas! nous nous plaignons souvent, malgré cela , que notre fardeau est bien lourd pour nos épaules. Pourquoi donc y ajouter celui des peines imaginaires ? Remarquez qu'indépendamment des grâces générales que Dieu nous accorde, il y en a encore un certain nombre de particulières à telle position , à telle difficulté, à tel état, et que pour cela on nomme grâces d 'état. Mais, pour mériter, ces grâces, il faut deux choses : être dans cet état pour lequel elles sont faites, et ne point s'y être jeté volontairement.
Lorsque notre imagination recherche les épreuves probables , ou possibles, que nous aurons à traverser demain , ou dans un an , nous n 'avons point cette grâce qui nous aide à triompher des tentations, qui nous adoucit les chagrins et les peines. Par conséquent nous succombons ou nous souffrons, en esprit, là où plus tard nous eussions, en fait , lutté avec consolation et succès contre le péché ou l'infortune ; à supposer toujours que ces périls tant redoutés ne se soient pas évanouis à notre approche, comme ces fantômes de la nuit qui de loin nous effrayent, et de près sont tout simplement des arbres tordus ou des moulins à vent.
A chaque jour donc suffit sa peine. – A chaque jour aussi suffit son bien : aussi remarquez que, dans la divine prière que Notre-Seigneur lui-même nous enseigna, nous disons, bornant notre demande aux besoins du jour présent : Donnez- nous aujourd 'hui notre pain de chaque jour. De même devons- nous dire à Dieu : Mon Dieu , aidez-nous à supporter aujourd 'hui nos peines de chaque jour. Demain je vous adresserai la même prière , et après-demain encore ; et par là je reconnais bien que les peines sont de tous les jours; mais, en même temps, je restreins mes préoccupations à celles d 'aujourd 'hui, — Car qui est sûr du lendemain ? - C 'est là ce que l'on entend , lorsque l' on dit, et cette parole est encore de l’Écriture, qu 'il faut vivre au jour le jour.
III. Et ne croyez pas que cette règle de conduite soit contraire au conseil de prévoyance que je vous donnais tout à l'heure. Celui-ci s'appliquait à l'action ; celle-là s'applique surtout à l'imagination ; deux choses bien distinctes. Mettre de côté pour le lendemain , penser à l'avenir de sa famille , et se priver pour elle de quelques jouissances, travailler à se faire un petit pécule, pour que nos enfants aient une entrée plus facile dans cette vie que nous ne l'avons eue nous-mêmes, – tout cela c 'est de la sage prévoyance; c'est remplir le devoir d 'un bon père de famille. Mais, se tourmenter l'esprit; se ronger les sens, comme l'on dit ; se persuader que tel bien , que Dieu nous a donné, ne peut point durer ; passer en revue toutes les circonstances, même les plus improbables, qui peuvent nous le ravir ; s 'en désoler ; — c 'est là une disposition très-fâcheuse et très-coupable ; car elle est en opposition avec la douce et filiale confiance que nous devons avoir en Dieu . Disons-nous bien plutôt : Dieu est bon ; je suis entre ses mains ; je m 'y abandonne. Autant je serais coupable de me révolter contre les épreuves qu'il lui plaira de m 'imposer, autant je serais ingrat et insensé de ne pas jouir des moments de repos et de bonheur qu'il m 'envoie , et de les empoisonner par la prévision de malheurs qui n 'arriveront peut-être jamais.
Maintenant quel est le chat dont je veux vous parler, à vous, mes bons amis ? Je veux vous parler des caractères difficiles, avec lesquels peut- être vous avez à vivre. Je veux vous parler de vos passions, avec lesquelles certainement vous avez à vivre .
I . Vous vous rappelez sans doute que Notre- Seigneur, dans l'Évangile , et saint Paul d'après lui, nous recommandent d 'aimer, de bien traiter non-seulement nos amis et ceux qui sont d 'une humeur aimable et facile (les païens eux-mêmes agissent ainsi), mais encore nos ennemis, ou les personnes dont le caractère est aigre, rancuneux, méchant même. — Il se peut donc qu'afin de vous faire pratiquer la douceur, cette vertu qu 'il aime tant, Dieu ait placé près de vous, dans votre vie de chaque jour, des êtres dont l'humeur sauvage et le mauvais caractère sont pour votre patience un exercice de tous les instants . Il faut pourtant, même avec ces difficiles compagnons, garder la paix ; il y faut du moins faire tous ses efforts . Or voulez - vous que je vous enseigne un des moyens les plus sûrs d ' obtenir ce résultat si désirable ? C 'est de ne pas réveiller le chat qui dort; c'est , lorsque vous voyez sommeiller cette mauvaise humeur qui, éveillée, vous donne tant de fil à retordre , de vous bien garder d 'en troubler le repos, A quoi bon contester, par exemple , avec les gens que la contradiction irrite ? Si la conscience n 'est pas intéressée dans ce que disent cette femme acariâtre ou ce mari grondeur, laissez-les donc dire, et craignez qu 'un mot hasardé à l'encontre n 'amène une querelle, qui pour longtemps chassera la paix de votre logis. – Si au contraire vous savez vous taire, la crise de gronderie passera faute d 'aliment.
Après la paix de la conscience , le plus précieux de tous les biens, c'est la paix du ménage. Or il n 'y a pas de bien qui ne s'achète . Pourquoi ne pas savoir vous gêner et vous contraindre un peu pour obtenir celui- ci ? Il en vaut certes bien la peine. Ne me dites pas, madame, que c'est votre mari qui allume toutes les disputes. — Vous, vous les attisez . Si vous saviez ne pas réveiller sans cesse sa susceptibilité ou son humeur chagrine, par vos observations maladroites, ou vos réponses aigres- douces, qui sait combien de temps ne durerait pas ce sommeil heureux ? N 'oubliez jamais que, dans toute dispute, il y a des torts de part et d 'autre. C 'est à vous, que le Bon Dieu a faite chrétienne, à calmer , au lieu de les exciter , les tempêtes dont est menacé votre horizon . Et quel admirable calmant que le silence ! - Essayez-en . Encore une fois, ne réveillez pas le chat qui dort .
II . Le chat, disions-nous, est comme un tigre apprivoisé. Que de passions , mes chers amis, nous portons en nous-mêmes, dont la Religion a tempéré la violence, et qui sont comme endormies par les salutaires et bénignes influences d 'une vie chrétienne ! — Mais comme, l'animal féroce retrouve ses instincts sanguinaires, sachons bien que, pour ne pas se réveiller plus terribles, nos passions ont besoin d 'être maintenues loin des lieux et des occasions qui jadis leur furent si fatales. Que si nous allions les exposer aux tentations qui les firent tant de fois succomber, les allécher par l'aspect de leur pâture habituelle, ou seulement leur faire respirer, au lieu de l'atmosphère d 'une vie sage et retirée, l'air vif et excitant d 'une existence mondaine, soyons sûrs que tout le travail de notre vie sera perdu. O mon Dieu ! donnez -moi de la douceur, pour ne pas réveiller les humeurs chagrines endormies à côté de moi. Donnez-moi de la fermeté , pour maintenir dans un sommeil nécessaire les passions violentes qui s'agitent sans cesse et se voudraient réveiller au dedans de moi. Vous êtes le Prince de la Paix; c'est à vous que je demande la paix de ma maison et la paix de mon âme.
13 - LA LOI CHRÉTIENNE ET LA STABILITÉ DE NOS SOCIÉTÉS
Mais à quoi donc sont destinées , je vous prie, les lois, l'armée, la magistrature , la police , sinon à protéger le faible contre le fort, et la société en général contre les attaques de certains hommes fort dangereux, et que vous connaissez aussi bien que moi ? L 'assassin qui m 'ôte la vie, le voleur qui me dérobe ma montre ou mon portefeuille , le plaideur de mauvaise foi, qui espère me ruiner en me cherchant d 'injustes querelles.
Que les hommes abusent de tout? - Il y a longtemps que nous le savons. - Que, malgré de sages lois, une magistrature intègre, une police vigilante , il s'en faut que tout soit parfait dans la société? – Eh ! mes bons amis, est-ce que les hommes eux -mêmes sont parfaits ? et comment voulez - vous qu 'ils communiquent à leurs oeuvres une perfection qui leur manque à eux-mêmes ? Dieu seul est parfait; et, parmi ses oeuvres, celles- là seulement sont parfaites qu'il fait seul et sans notre coopération . Aussi, de même que la vérité tout entière ne réside que dans la Religion que Dieu nous a révélée , de même l'ordre tout entier ne se rencontrera que dans la vie à venir , parce que là notre sort éternel à chacun sera l'exécution d 'une sentence prononcée par Dieu lui-même.
La société , nous l'avons dit, est sans cesse en lutte contre la force injuste et violente. Victorieuse jusqu'ici, la société le sera - t -elle toujours ? Dieu seul le sait. Ce que nous savons, nous, c'est que la lutte est terrible , et par les résultats qu 'elle doit finalement produire , et par l'ardeur des combattants . Ceux qui veulent nous ramener à l'état sauvage ont pour auxiliaires toutes les mauvaises tendances de notre nature; et vous savez si elles sont à la fois dépravées et puissantes. - Contre de tels assaillants, la société ne saurait être trop fortement défendue. Comment le sera-t- elle ? Le voici : c 'est la loi, le lien , la subordination de tous à un pouvoir suprême, à des règlements, à des magistrats qu'il a établis. Ce pouvoir ne peut venir que de Dieu . Comment en effet le lien nécessaire de la société viendrait-il d 'un autre que de l'auteur même de l'homme et de sa nature sociale , de Celui qui, d 'ailleurs, est l'auteur de tout bien ? Or il importe de nous bien pénétrer de cette conviction , qu 'aucune de nos actions n 'est indifférente au maintien ou à la ruine de la société, puis que tout acte , selon qu 'il est bon ou mauvais , raffermit ou ébranle cette clef de voûte des sociétés, la loi, l'autorité. — Oui, chaque fois que nous faisons le mal, que nous nous abandonnons sans résistance à l' entraînement de nos passions, nous poussons la société , autant qu'il dépend de nous, vers l' état sauvage. Le jour, en effet, où la majorité des citoyens d 'une nation serait ennemie des lois, du pouvoir,de tout ce qui constitue une société régulière, amie au contraire des jouissances brutales, d 'une vie désordonnée , errante et sanguinaire , ce jour-là on courrait grand risque que la raison du plus fort serait en effet la meilleure .
Cela ne durerait pas longtemps; mais cela durerait assez pour faire crouler bien des fortunes (des petites plus encore que des grandes) et tomber bien des hommes . J'ajoute que, puisque les lois sont le salut des sociétés, il faut se rattacher fortement à celle de ces lois qui est la première , la plus vénérable de toutes, celle de qui les autres empruntent leur force et leur durée , la loi chrétienne. Oui, mes bons amis, soyez chrétiens, donnez l'exemple du respect de Dieu, de son Église , de ses ministres, de ses commandements moraux. Pensez-y : - chaque homme qui se convertit, outre qu 'il sauve son âme, contribue, pour sa part, à sauver la société . Car il grossit les rangs de ses vrais défenseurs , et diminue l'armée de ses ennemis, de ceux qui veulent substituer au règne de la loi le règne de la force, et, de chrétiens que nous sommes, nous faire redescendre à la condition des sauvages ou des animaux.
14 - QUI DONNE AUX PAUVRES PRÊTE À DIEU
Comment? me direz-vous, Dieu peut devenir notre débiteur, et nous ses créanciers ? Oui, mon cher lecteur, il ne tient qu 'à vous d 'opérer ce prodige. Il suffit pour cela de faire l'aumône, et de la faire en vue de Dieu . I. Quand vous donnez à un riche, parce qu 'il vous rendra , ce riche, jusqu'à ce qu 'il vous ait rendu , est votre débiteur. Vous faites là une affaire, et Dieu n 'a rien à y voir, à moins que vous ne la fassiez malhonnêtement, auquel cas, tôt ou tard , il interviendra pour vous punir . Mais si vous donnez à celui qui ne peut vous rendre, Dieu est là qui prend la place de votre obligé, et qui vous rendra au centuple ; et cela, non seulement parce que vous méritez la récompense de votre bonne action , mais parce que c'est Dieu lui même que vous avez nourri , vêtu , logé, en la personne de ce pauvre. Ce n 'est pas moi qui invente ces choses, mes bons amis : l'Église, notre mère , appelle les pauvres du nom glorieux de membres souffrants du Sauveur; et en cela elle ne fait qu 'emprunter le langage du Sauveur lui même, qui, nous retraçant, dans l'Évangile , la grande scène du jugement dernier, dit aux bienheureux : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume a qui vous a été préparé depuis la création du monde: « car j'ai eu faim , et vous m 'avez donné à manger; « j'ai eu soif, et vous m 'avez donné à boire; je ne « savais où loger, et vous m 'avez recueilli chez vous ; « j'étais nu, et vous m 'avez habillé. »
II. Mais nous sommes pauvres nous-mêmes, me répondrez- vous. Comment donnerions-nous, nous qui avons tant besoin qu 'on nous donne, nous qui sommes si souvent privés du nécessaire ? Nous n 'aurons jamais cette joie de rendre Dieu lui-même notre débiteur, ni de mettre à cette céleste caisse d 'épargne de la charité . Ne me dites pas cela , mes chers amis ; car je vous fermerais la bouche avec les nombreux exemples de charité, de dévouement héroïque (je ne demande pas tant de vous), qui sont chaque jour donnés au monde par de moins riches que vous. Je vous montrerais ces pauvres portiers, qui sont peu payés, qui n 'ont pas d 'ouvrage tous les jours, ni de pain autant qu'ils en voudraient pour leurs six enfants , adopter un orphelin , et l'élever avec autant de tendresse que leurs fils et leurs filles. Je vous mènerais dans cette mansarde, où une pauvre vieille femme reçoit le vivre et le couvert d 'une autre vieille femme, presque aussi misérable qu 'elle. Je ferais appel à vos souvenirs , et je vous demanderais si vous n 'avez pas reçu, ou rendu vous-mêmes, mille petits services, qui sont bien la charité , et qui, pourvu qu'ils en aient l'esprit, en méritent la récompense. Et puis, avez-vous oublié l'Évangile , et ce denier de la pauvre veuve , célébré par Notre-Seigneur lui-même, comme plus méritoire que les pompeuses offrandes des riches d 'Israël, et ce verre d'eau froide qui, donné au nom de Jésus-Christ, vous méritera les récompenses éternelles ? - En est-il un seul parmi vous qui, de temps en temps , ne puisse donner un sou à un plus pauvre que lui, un morceau de pain ou un verre d ' eau à ceux qui ont faim et soif ? Votre sou offert de bon ceur, et qui vous privera de tabac ou d 'eau-de- vie pour donner du pain à votre voisin , vaudra plus dans les balances célestes qu'une pièce d 'or donnée par de plus riches . Et si, pour apporter ce verre d 'eau froide au pauvre mendiant épuisé, vous avez remonté gaiement, pour la vingtième fois peut-être de la journée, vos six étages, soyez sûr que Dieu se considère bien comme votre débiteur, et pour le verre et pour les étages. Enfin remarquez que notre proverbe ne dit pas: Qui donne de l`argent aux pauvres prête à Dieu ; mais : Qui donne aux pauvres. - Est- ce que par hasard il n ' y aurait que de l'argent qui se puisse donner ? Vous avez trop bon cour pour le penser. Est-ce que votre mère, quand elle vous prenait enfant sur ses genoux, qu'elle berçait votre sommeil avec ses chansons , ou votre veille avec ses histoires du temps passé, est-ce que, votre bonne mère ne vous donnait rien ?
Est- ce que la soeur de Charité qui vous parle du ciel, est-ce que le prêtre qui l'ouvre à votre repentir, est-ce que le pieux jeune homme qui vous visite malade ou prisonnier, est-ce que le voisin charitable qui, trop pauvre pour vous secourir lui-même, apitoie en votre faveur des coeurs chrétiens et généreux, est-ce que tous ceux-là ne vous donnent pas ? Oh ! mes amis, la charité, que vous croyez être le patrimoine du riche, est, de toutes les vertus, celle qui . s'exerce le plus facilement par tout le monde, envers tout le monde, dans tous les instants de la vie . Il faut seulement le vouloir . Aimez vraiment Dieu : vous aimerez les pauvres, ses amis et ses représentants ; vous trouverez moyen de leur faire du bien en mille manières. Et ce bien , accumulé dans les trésors du Père céleste , fera votre consolation , au grand jour où nos comptes à tous seront définitivement arrêtés . Vous aurez certainement, en ce moment suprême, bien des dettes à payer à Dieu : quel bonheur que Dieu , de son côté, en ait aussi contracté envers vous ! - Il se fera alors , entre lui et vous, une heureuse compensation , et, une fois de plus, vous verrez , à votre grande et éternelle joie , s'accomplir cette parole de l'Apôtre : La charité couvre une multitude de péchés.
15 - QUI DONNE VITE DONNE DEUX FOIS
Nous venons de voir les récompenses de la charité . Deux mots sur les qualités qu'elle doit avoir pour nous obtenir , dans le coeur du prochain , cette reconnaissance qui, après le bonheur du ciel, est le plus doux fruit de la charité .
1. Qui donne vite (et qui donne gaiement, ajoutent quelques-uns) donne deux fois. - Oh ! que cela est vrai! Oui, la manière de donner vaut mieux que ce que l'on donne. Pourquoi ? C'est que ce que l'on donne, quelque précieux qu'il puisse être, ce n 'est, après tout, qu'une chose . La manière de donner, au contraire, c' est une partie de notre coeur. Or rien ne va droit au coeur comme le coeur. Aussi la règle suprême de la charité est-elle qu' il faut donner avec son coeur. Cette règle est générale, et ne connaît pas d ' exception . Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup; si vous avez peu, donnez peu ; mais que vous donniez peu ou beaucoup , donnez gaiement et donnez vite.
2 - Nous avons le bonheur d 'appartenir à une religion où tout est jugé d 'après la pureté de l'intention , qui dépend toujours de nous, et rien d 'après l'événement, qui est l'affaire de Dieu . Profitons donc de cet immense avantage . Remontons sans cesse nos coeurs ; rallumons- y les bons sentiments . Combattons ceux qui sont mauvais ou indifférents. Cherchons, en un mot, à bien faire tout ce que nous avons à faire . Or, nous l'avons dit, bien faire la charité , outre que c'est la faire pour Dieu , c'est la faire vite et gaiement; c'est la faire avec le coeur.
16- A CHAQUE JOUR SUFFIT SA PEINE (Matthieu 6,34)
Ce proverbe est bien vieux, mes bons amis ; car Notre-Seigneur lui-même l'emploie dans l'Évangile , comme déjà usité de son temps. Mais ce qui n 'était jusque- là qu'une maxime de la prudence humaine nous est devenu sacré, en passant par les lèvres du Sauveur. Méditons- le donc avec le respect et l'amour dus aux paroles de Celui qui a dit : Le ciel et la terre passeront; mais mes paroles ne passeront point.
I. Vous avez sans doute rencontré quelquefois de ces gens ingénieux à se tourmenter eux-mêmes, non point de leurs peines présentes, ce qui serait assez naturel, mais de leurs peines à venir , des dangers qu'ils courront l'année prochaine , des difficultés qu'eux ou leur famille auront à traverser dans un avenir éloigné. Ce sont des gens pleins d'imagination , très- impressionnables, comme on dit, qui ne savent pas voir les choses simplement, et telles qu'elles sont, mais dont la déplorable perspicacité entrevoit toujours l'avenir sous les couleurs les plus sombres et les plus invraisemblables : leurs enfants sont encore à naître , qu'ils se demandent déjà comment ils feront pour racheter leurs fils de la conscription , et pour doter leurs filles .
Mais , hommes étonnants , suis -je tenté de leur dire, cet avenir dont vous vous préoccupez tant, vous ne le verrez point peut- être . Ces fils et ces filles qui troublent déjà votre paix , qui sait si le Bon Dieu vous les donnera ? Ces peines , ces dangers, ces difficultés, vous n ' aurez peut- être point à les affronter ; ou bien votre bon ange, vous prenant par la main , vous fera traverser sans encombre ce qui, de loin , vous effrayait tant. A quoi bon vous être ainsi tourmentés d 'un avenir incertain ? Vous vous êtes troublés ; vous avez douté peut-être de la protection de Dieu ; peut-être avez- vous murmuré contre sa divine providence; peut- être , en envisageant de loin des épreuves imaginaires, avez vous senti faiblir votre courage, et vous êtes - vous décidés d 'avance à succomber à la tentation , lorsqu 'elle se présenterait. Que de péchés de pensée , pour avoir négligé la parole du Sauveur : A chaque jour suffit son mal!
II. Le Dieu juste et bon qui nous a créés, mes chers amis , prend soin de toujours proportionner les épreuves qu ' il nous impose à notre degré de force , ou plutôt aux forces que sa grâce nous communique ; car nous mêmes ne sommes- que faiblesse , et toute force vient de Dieu . Hélas! nous nous plaignons souvent, malgré cela , que notre fardeau est bien lourd pour nos épaules. Pourquoi donc y ajouter celui des peines imaginaires ? Remarquez qu'indépendamment des grâces générales que Dieu nous accorde, il y en a encore un certain nombre de particulières à telle position , à telle difficulté, à tel état, et que pour cela on nomme grâces d 'état. Mais, pour mériter, ces grâces, il faut deux choses : être dans cet état pour lequel elles sont faites, et ne point s'y être jeté volontairement.
Lorsque notre imagination recherche les épreuves probables , ou possibles, que nous aurons à traverser demain , ou dans un an , nous n 'avons point cette grâce qui nous aide à triompher des tentations, qui nous adoucit les chagrins et les peines. Par conséquent nous succombons ou nous souffrons, en esprit, là où plus tard nous eussions, en fait , lutté avec consolation et succès contre le péché ou l'infortune ; à supposer toujours que ces périls tant redoutés ne se soient pas évanouis à notre approche, comme ces fantômes de la nuit qui de loin nous effrayent, et de près sont tout simplement des arbres tordus ou des moulins à vent.
A chaque jour donc suffit sa peine. – A chaque jour aussi suffit son bien : aussi remarquez que, dans la divine prière que Notre-Seigneur lui-même nous enseigna, nous disons, bornant notre demande aux besoins du jour présent : Donnez- nous aujourd 'hui notre pain de chaque jour. De même devons- nous dire à Dieu : Mon Dieu , aidez-nous à supporter aujourd 'hui nos peines de chaque jour. Demain je vous adresserai la même prière , et après-demain encore ; et par là je reconnais bien que les peines sont de tous les jours; mais, en même temps, je restreins mes préoccupations à celles d 'aujourd 'hui, — Car qui est sûr du lendemain ? - C 'est là ce que l'on entend , lorsque l' on dit, et cette parole est encore de l’Écriture, qu 'il faut vivre au jour le jour.
III. Et ne croyez pas que cette règle de conduite soit contraire au conseil de prévoyance que je vous donnais tout à l'heure. Celui-ci s'appliquait à l'action ; celle-là s'applique surtout à l'imagination ; deux choses bien distinctes. Mettre de côté pour le lendemain , penser à l'avenir de sa famille , et se priver pour elle de quelques jouissances, travailler à se faire un petit pécule, pour que nos enfants aient une entrée plus facile dans cette vie que nous ne l'avons eue nous-mêmes, – tout cela c 'est de la sage prévoyance; c'est remplir le devoir d 'un bon père de famille. Mais, se tourmenter l'esprit; se ronger les sens, comme l'on dit ; se persuader que tel bien , que Dieu nous a donné, ne peut point durer ; passer en revue toutes les circonstances, même les plus improbables, qui peuvent nous le ravir ; s 'en désoler ; — c 'est là une disposition très-fâcheuse et très-coupable ; car elle est en opposition avec la douce et filiale confiance que nous devons avoir en Dieu . Disons-nous bien plutôt : Dieu est bon ; je suis entre ses mains ; je m 'y abandonne. Autant je serais coupable de me révolter contre les épreuves qu'il lui plaira de m 'imposer, autant je serais ingrat et insensé de ne pas jouir des moments de repos et de bonheur qu'il m 'envoie , et de les empoisonner par la prévision de malheurs qui n 'arriveront peut-être jamais.
Dernière édition par MichelT le Dim 22 Oct 2023 - 14:23, édité 4 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
17 - AUX GRANDS MAUX LES GRANDS REMÈDES
Voici, mes chers lecteurs, un proverbe à l'usage des braves. Le royaume du ciel souffre violence, dit l'Évangile ; ce sont les braves qui l'emportent. (Matthieu 11,12)
Ce courage, mes bons amis, nécessaire pour conquérir le royaume du ciel, il faut l'employer surtout à écarter les obstacles qui surgissent dans notre route , à guérir notre âme des maladies qui ralentissent sa marche dans cette route bénie , c'est ce que dit notre proverbe : Aux grands maux les grands remèdes. Vous faut-il des exemples ? Hélas, vous les connaissez mieux que moi. Chacun de vous sait bien quel est le grand mal qui le ronge . On a beau vouloir s'étourdir, il y a des heures où l'on est seul avec soi-même; et, dans ces heures que Dieu nous ménage à tous, pour nous sauver , la conscience parle : « Tu es un grand misérable , nous dit-elle ; — tu es l'esclave du libertinage, ou de l'ivrognerie , ou de l'avarice , ou de la haine. - Tu étais bien plus heureux lorsque tu étais plus vertueux . Et puis, tu ne vivras pas toujours. Qu 'arriverait -il de toi, si tu venais à mourir dans cet état? » N 'est-il pas vrai que souvent, quelquefois du moins, vous vous dites ces choses ? — Ainsi il est bien convenu (je parle pour ceux qui ne vivent pas selon Dieu) qu'il y a en nous un grand mal. Que faire pour le guérir ? - - Ce que dit notre proverbe : y appliquer un grand remède, c'est-à -dire un remède énergique, qui supprime le mal, et rende son retour difficile , en supprimant l'occasion.
Vous avez fait de mauvaises fréquentations ( De mauvais amis, mauvaises influences). Voici l'occasion d 'obéir à ce précepte. Rompez, non point pour quelques jours , non point peu a peu ; mais tout de suite et à jamais. Si vous n 'employez ce grand remède, tous les autres ne serviront de rien . Au bout de quelques jours, vos visites seront aussi fréquentes , votre passion aussi ardente . Vous n 'aurez fait que jeter de l'huile sur un feu qu 'il fallait éteindre.
Vous savez que jamais vous ne vous rendez dans tel lieu sans y boire à l’excès, sans consommer en festins inutiles la paye de la semaine, sans jurer, sans rougir de Dieu , sans faire pis peut- être. Ne dites pas : Une autre fois je m 'observerai davantage. Dites : « Rien ne m 'appelle en ce lieu , je n 'y ai jamais fait que du mal ; je n 'y remettrai plus les pieds. O mon Dieu ! aidez -moi à tenir cette résolution que je forme pour ne plus vous offenser . »
Vous avez acheté un mauvais livre ; et dans ces heures que jadis vous consacriez à la prière, au travail, ou à d 'honnêtes délassements , vous vous êtes enivré de ce poison . Votre foi en a été ébranlée ; vos moeurs en ont reçu peut- être une mortelle atteinte . Vous sentez le mal, et vous voulez le guérir . Ce livre funeste , ne le cachez donc pas ; ce serait un petit remède . Jamais vous n ' oublieriez sa cachette ; et, le jour où votre coeur corrompu aurait faim de cette odieuse pâture, vous sauriez bien la retrouver tout de suite. Ne le donnez pas, ni ne le vendez pas non plus. Que diriez - vous de celui qui donnerait à un camarade, ou remettrait en circulation , un poison dont il aurait failli mourir lui-même? C 'est pourtant ce que vous feriez en disposant ainsi de cet exécrable poison , un mauvais livre. — Pour qu'il ne vous fasse jamais de mal, ni à vous ni à d 'autres, n 'hésitez pas à le détruire .
Enfin , mes bons amis, et d 'une manière générale, le mal par excellence , c 'est le péché; et le remède par excellence, c 'est la confession . – Pourquoi ? Parce que nous confesser , c'est justement nous mettre en rapport avec le médecin de notre âme, avec celui qui connaît son tempérament, et qui sait toujours quel traitement lui convient davantage. Si donc nous sentons que le poison du péché est entré dans notre cœur, prenons garde qu'il n ' y fasse, en y séjournant longtemps, des ravages considérables. — Adressons-nous à notre ami, à notre médecin spirituel, à celui qui veut nous guérir, parce qu'il nous aime; — et prenons courageusement les remèdes que nous indiquera sa tendresse .
Surtout, puisque c 'est notre confesseur qui doit nous indiquer les remèdes, que notre premier acte de courage soit de l'aller trouver sans délai. Le premier pas du malade vers la guérison , c'est de consulter son médecin . - Et puis , la confession par elle -même est un remède déjà :notre orgueil , notre paresse, notre sensualité, l'attachement à notre sens propre (mauvaises passions), le culte exclusif que nous vouons à nos affaires et à nos intérêts matériels, tout cela ressent, dans la confession , un salutaire affront. C'est déjà un acte de courage de se confesser. N 'hésitons donc jamais à le faire . Par là nous sera facilité le courage de nous soumettre aux sacrifices que la prudence de notre confesseur exigera de nous; sacrifices que notre conscience déjà nous avait indiqués, mais qu 'il appartient à Dieu seul de nous imposer par son ministre , et de nous adoucir par sa grâce.
18 - IL N'Y A PAS DE BONNES FÊTES SANS LENDEMAIN
On croit communément que ce proverbe est du à quelque ami du plaisir et de la joie , et qu'il indique combien l'homme est porté à prolonger ses jouissances, ne consentant à les interrompre en quelque sorte qu'à son corps défendant. C 'est une grave erreur, mes bons amis : il s'agit ici des fêtes de l'Église . On disait anciennement les bonnes fêtes, comme on dit le Bon Dieu , comme on disait encore de certaines villes importantes : la bonne ville de Paris, de Lyon ou de Rouen . Dans beaucoup de provinces encore, on emploie cette expression de bonnes fêtes; et l'on dit, par exemple, d'une personne régulière : Elle communie à toutes les bonnes fêtes.
Il n`y a pas de bonnes fêtes sans lendemain . En effet, Pâques et la Pentecôte ont leurs lundis. L'Église fête aussi après la Toussaint, le Jour des Morts ; la fête de l'Église souffrante, après la fête de l'Église triomphante . Après Noël, ce jour vénéré de la naissance du Sauveur, trois jours qui s'y rattachent, et qui sont désignés sous les noms de fêtes de Noël: la Saint- Étienne, la Saint-Jean et les Saints -Innocents. Quelle instruction devons-nous tirer de cette disposition de l'Église à donner un lendemain à toutes ses grandes fêtes?
I. Nous devons d'abord ne pas faire ce que dit cet autre proverbe: La fête passée, adieu le saint. Que de fois mes bons amis, impressionnés par l'éclat religieux d 'une grande solennité, entraînés par la parole d 'un prédicateur éloquent, touchés surtout par cette parole intérieure qui souvent nous parle de préférence au milieu de l'assemblée recueillie des fidèles, émus au souvenir des merveilleux événements dont nous fêtions l'anniversaire , que de fois nous nous sommes sentis meilleurs! Nous avons formé de bonnes résolutions ; nous avons vraiment pensé à notre salut ! Et que de fois, tant nous sommes légers, oublieux, absorbés par les choses matérielles, que de fois , le lendemain , nous avons repris notre train de vie , non pas précisément coupable ni impie, mais tiède, indifférent, et où Dieu occupe si peu de place ! -
Cela arrive à tout le monde, mes bons amis ; c'est la tendance de notre nature. Aussi l' Église , voulant gagner du moins un jour sur notre vie de routine et d ' oubli, avait établi un lendemain à toutes ses grandes fêtes . Notre cœur nous dit qu'elle avait bien fait . Si maintenant ces lendemains ne sont plus des fêtes d 'obligation , si nos occupations ne nous permettent pas de les fêter, au moins par l'assistance à la Messe, nous avons un moyen d ' y suppléer , et d 'entrer tout à fait dans l'esprit de l'Église , lorsqu' elle les institua ces lendemains. C ' est de nous roidir contre cette tendance de notre nature qui nous porte à oublier le monde invisible , le seul durable , pour ne voir que ce monde visible , si fragile et si passager. C'est surtout, au lendemain des grandes fêtes , de détourner le plus possible notre imagination des pensées frivoles, pour la reporter sur le souvenir des grâces que Dieu nous a faites dans la solennité d 'hier. Si une parole nous a frappés, redisons-nous-la , cherchons à en extraire tout le suc, à en nourrir notre esprit . Aimons à la répéter à ceux qui nous entourent, et à les en faire, eux aussi, profiter. Nourrissons-nous du souvenir des héroïques vertus que nous avons entendu raconter, des exemples de recueillement et de piété dont nous avons été les témoins. Surtout rappelons- nous les grâces qui nous ont été accordées.
Si nous aimons vraiment Dieu , si nous avons le coeur touché du bien qu' il ne cesse de nous faire , nous n 'aurons pas de peine à arrêter notre pensée sur ce sujet. - La reconnaissance est la mémoire du cœur, a -t - on dit . Comment n 'auriez-vous pas cette mémoire ? Chargeons-là de faire nos lendemains de bonnes fêtes, nous seront ainsi bien salutaires et bien agréables à Dieu . Que Dieu ne soit pas un accident dans notre vie qui se représente trois ou quatre fois par an , ou une fois la semaine, le dimanche, ou deux fois par jour, le matin et le soir . Que Dieu soit notre pensée dominante , à laquelle naturellement nous revenions toujours, lorsque quelque distraction nous en aura écartés. Qu'en lui nous vivions. Qu' il soit par excellence notre amour, notre vie , notre tout. Les fêtes alors , les dimanches, les heures de prières régulières , seront comme cette horloge placée dans un atelier laborieux , et dont l'avertissement sonore vient, à des intervalles fréquents , exciter le zèle des travailleurs, annonçant que le moment approche où la tâche de chacun devra être terminée. Chaque fête ainsi nous trouvera travaillant au grand but de notre vie ; mais aussi chaque fête, en avivant toutes les saintes pensées dont nous sommes pénétrés , nous imprimera une nouvelle ardeur ; comme l'ouvrier fidèle que l'heure sonnante ne trouve jamais inoccupé, mais qui cependant ne travaille jamais aussi bien que lorsque l'heure vient de sonner.
19 - LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES ENFANTS
Est - ce à dire , vous, mes enfants , qui me lisez , qu 'il ne sorte jamais de vos jeunes bouches autre chose que la vérité ? - Hélas ! je le voudrais . Mais vous savez aussi bien que moi que les enfants menteurs ne sont pas rares; peut- être, ce qu 'à Dieu ne plaise ! le savez-vous par votre propre expérience . Hélas ! oui,mes bons amis . Il y a des enfants menteurs, comme il y en a de voleurs , de paresseux , de colèriques. Mais ce vice du mensonge a , dans de jeunes âmes faites pour la vérité , je ne sais quoi qui révolte beaucoup plus que les autres défauts que je viens de nommer. On n 'a jamais dit que l' enfance fut la saison de la sobriété, des habitudes laborieuses, de la force du caractère. Toujours on a cru qu 'elle était l'époque bénie de la franchise, de l'ouverture du coeur, de la simplicité, de la vérité.
Vous vous rappelez ce jour où notre divin Sauveur, discourant avec ses disciples, mit tout à coup au milieu d 'eux un petit enfant, et leur dit : Si vous ne devenez comme ce petit enfant, vous n 'entrerez pas dans le royaume des cieux . Quelle leçon pour nous, mes bons amis, et quelle exhortation à cultiver ces humbles et douces vertus qui font le charme de l'enfance ! Quel encouragement pour vous, mes enfants, à ne pas perdre le privilège de votre âge, et à conserver longtemps cette âme simple et vraie du petit enfant, qui vous ouvrira les portes du royaume éternel ! Quand la raison s 'éveille chez vos enfants , mes chers amis , et qu 'elle y trouve la grâce du baptême, si quelque vice dans leur éducation n 'a pas hâté le développement de leurs mauvais penchants, la vérité règne en maîtresse dans ces jeunes âmes. L'enfant qui ne connaît pas encore ces passions coupables dont le mensonge est le complice nécessaire , l'enfant qui n 'a point respiré l'air du monde tout imprégné de dissimulation, l'enfant dit ingénument et simplement ce qu'il voit, ce qu'il sent, ce qu'il pense .
Son âme n 'est point une de ces boîtes à double ou à triple fond, à l'aide desquelles le prestidigitateur éblouit et trompe le vulgaire crédule ; c'est un pur cristal dont l'oeil pénètre tout d 'abord la profondeur. Ses affections ne sont jamais le résultat d 'un calcul; il ne sait pas ce que c'est que de manifester une grande tendresse à des personnes pour qui son cœur ne dit rien . Docile à l'impulsion de la nature, il aime son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, de tout son coeur, selon une expression enfantine, mais profondément vraie. Il ne sait pas aimer à moitié. A tous ceux qui lui témoignent de l'affection , il donne en retour son cœur tout entier . Ses actions aussi ne sont pas autre chose que la manifestation vraie des sentiments qu'il éprouve. S ' il fait le bien , ce n 'est pas par intérêt, par ambition (il ne connaît pas plus ces choses qu' il n ' entend leurs noms), c'est parce qu 'il sent que c 'est le bien ; c'est pour l'amour de Dieu ; c'est pour plaire à sa mère. Il ne connaît (je parle de l' enfant chrétien , du petit enfant, qu'une éducation vicieuse n 'a point gâté ; bien loin de là), il ne connaît pas l'orgueil, ce ver rongeur qui tue, dans leur germe, le mérite de nos bonnes oeuvres, pour en faire des œuvres coupables.
L ' enfant dit tout; il pense tout haut. Ce qu'il dirait à Dieu , dans sa candeur il se demande comment il craindrait de le dire aux hommes. On parle quelquefois des enfants terribles. Entendons-nous, mes bons amis , et prenons garde de blâmer les enfants, là où les grandes personnes seules sont coupables. Comment voulez-vous qu 'un enfant de cinq ans ou de sept fasse le discernement de ce qui peut impunément être répété et de ce qui doit demeurer secret? C 'est aux personnes qui vivent avec les enfants à se bien persuader que tout ce qu 'elles disent devant eux , c 'est comme si elles le déposaient dans une coupe de verre. C 'est aux parents surtout à préférer les indiscrétions les plus désobligeantes de ces petits personnages à une précocité fâcheuse qui leur ferait, à l'âge de la candeur, comprendre et pratiquer la dissimulation .
II. Voilà ce qu 'est un petit enfant, mes bons amis, - et voilà ce que vous devez être , si vous désirez , avec les petits enfants, entrer dans le royaume du Père céleste. La vérité, voilà ce qui doit remplir votre coeur, éclater sur vos traits , dans vos actions, dans vos paroles. Soyez vrais dans les petites comme dans les grandes choses, et vous serez plus près de Celui qui, parmi tant de noms magnifiques , affectionne plus particulièrement celui-ci, la vérité. Je suis la vérité , a dit, en parlant de lui-même, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Vous comprenez parfaitement, chers amis, que, pour que la vérité sorte de votre bouche, il faut qu'elle ait son siège dans votre coeur. La bouche parle de l'abondance du coeur , dit l’Évangile. Et, comme je vous disais tout à l'heure que la vérité dans sa source la plus haute et la plus pure, c' est Dieu lui-même, c'est donc Dieu qu 'il faut avoir au fond de vos coeurs pour que la vérité sorte de votre bouche. Je n 'ai pas besoin de vous répéter que vous posséderez Dieu par la foi, en croyant les dogmes qu 'il nous a révélés; que vous le posséderez par l'amour, en lui consacrant vos sentiments et vos actions.
Si vous êtes ainsi pleins de Dieu , vous éprouverez pour le mensonge une invincible répulsion . Vous saurez que votre ennemi le plus acharné, le démon (l`ange déchu), est appelé le père du mensonge , et que, chaque fois que vous manquez à la vérité , vous faites un pas vers ce grand ennemi. Mais surtout, ô vous tous qui avez le bonheur d 'appartenir à la Religion catholique, un souvenir bien plus auguste consacre votre bouche à la vérité. — Avez -vous oublié les douceurs de la communion ? Comment! sur votre langue le Dieu d 'amour a reposé : et cette langue ne craindrait pas de se profaner par le mensonge, elle, le temple du Sauveur !
Soyons donc simples : que la vérité sorte de notre bouche comme de celle des enfants. — Mais surtout rappelons-nous cette parole de Notre-Seigneur à ses disciples : Laissez venir à moi les petits enfants. Elle s'applique à nous qui sommes père et mère, et elle nous dit : De grâce, n 'élevez pas vos enfants dans le mensonge; ne gâtez pas l'ingénuité de leur âme; laissez-les plutôt suivre tout aimablement l' impulsion de leurs bons petits sentiments : Quel malheur, mes bons amis, si, dans l'éducation que vous donnez à ces êtres chéris, quelque chose pouvait les éloigner du Dieu Sauveur qui les aime tant !
20 - LE TEMPS EST UN GRAND MAÎTRE
I. Croyez- vous, mes chers lecteurs, que pour apprendre une science, un art, un métier, il suffise de s'adresser à un homme pour introducteur de votre fils dans la carrière que vous lui destinez comme le plus savant mathématicien, le premier de nos sculpteurs, ou le tailleur le plus en vogue, pensez- vous que votre fils soit assuré d 'égaler bientôt son maître, et qu 'il ne lui reste plus qu 'à se croiser les bras, attendant que, comme par enchantement, les connaissances viennent meubler sa tête ou enrichir ses doigts d 'un précieux gagne- pain ? - Non , mes bons amis; les maîtres, si habiles qu 'ils soient eux -mêmes, ne rendent savant que l'écolier docile et laborieux , toujours prêt à écouter, méditer et mettre en pratique leurs leçons et leurs conseils . Je vous dis tout cela , mes amis , non point au hasard , mais à propos de ce proverbe : Le temps est un grand maître, dont je crains que vous ne saisissiez pas parfaitement le sens. Il en est de ce proverbe comme de cette phrase qui se rencontre si souvent dans la bouche des parents : Oh ! cet enfant a de grands moyens ! Qu 'est-ce que cela prouve ? Qu 'il faut lui enseigner à les bien employer , ces moyens; car autrement il pourrait, ou en faire un mauvais usage, ou les laisser se rouiller dans l'inaction (ce qui est une autre manière d 'en abuser). Bien loin donc que nous devions nous reposer sur ces prétendus moyens, comme s'ils étaient une infaillible garantie d 'avenir , c'est tout simplement pour nous une raison de plus de soigner l'éducation de nos enfants. Tout don duquel il doit nous être demandé compte emporte avec soi un accroissement de responsabilité . Ainsi cette vérité : Le temps est un grand maître, deviendrait une erreur funeste , si nous l'entendions en ce sens, que nous ne pouvons manquer sans aucun effort ni aucune correspondance de notre part de tirer des leçons de ce grand maître une augmentation de sagesse , de prudence et de vertu . Qu' importe que le temps soit un grand maître, si nous ne voulons pas nous faire ses disciples ! Et la belle disposition pour le devenir, que de commencer par mépriser ses leçons!
II. Quelle est en effet la grande leçon de ce grand maître ? L'expérience . - On appelle de ce nom la science de ceux qui ont vu beaucoup d'hommes, et beaucoup d 'événements, et qui, ayant beaucoup examiné et beaucoup réfléchi, ont saisi cette leçon de modération , de sagesse et de religion , qui, pour tout coeur droit et pur, ressort d 'un pareil examen . L 'expérience est donc d 'ordinaire la qualité des vieillards. Quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu dit la Fontaine. -- De là vient que, dans tous les âges, les cheveux blancs furent entourés d 'une si grande vénération . A travers les ombres mêmes du paganisme, l' instinct des peuples comprenait que ce temps qui est un grand maître n 'est autre que Dieu lui -même, instruisant la faiblesse humaine par le spectacle des événements que tient et que dirige sa main puissante. Les fronts ridés et les têtes chenues étaient donc comme le cachet empreint sur ceux qui avaient suivi le plus longtemps ces leçons de la Providence. Or, mes amis, cette expérience , plus grande chez les vieillards, nous la possédons, à un moindre degré, mais enfin nous la possédons, du moment que la raison s'est éveillée dans notre esprit, et que la conscience a commencé de parler au fond de notre cœur.
Il suffit d`avoir une fois seulement, fait le mal, et senti, dans les profondeurs de son âme, l' aiguillon du remords; il suffit d 'avoir éprouvé, dans les joies pures de la conscience, la première et immédiate récompense d 'un acte méritoire, pour avoir une expérience qui, si nous étions sages, nous écarterait à jamais du péché, et nous tiendrait étroitement attachés à la vertu . Il suffit d 'avoir jeté le plus rapide coup d 'oeil autour de soi, pour comprendre que, tôt ou tard, le châtiment atteint les coupables, et que jamais la couronne ne manque aux sacrifices . – Si donc, après cette expérience , nous retournons au mal, si nous fuyons le bien , n 'ai- je pas raison de dire que nous agissons comme si l'expérience nous manquait absolument, que les leçons du temps sont perdues pour nous, et que nous ressemblons à ces écoliers qui espèrent apprendre sans étudier, ou qui attendent, pour profiter des leçons du maître, le moment où leurs parents les retirent de l'école ?
Mais ce n 'est pas tout; et vous allez , une fois de plus, admirer avec moi la bonté de Dieu . - L 'homme n 'est pas isolé dans le temps et dans l'espace , de telle sorte que chacun n 'ait à son service que sa propre expérience. Bien que pour les choses capitales, c' est- à dire pour les choses de la conscience , chacun trouve dans cette même conscience une expérience plus que suffisante , Dieu a voulu encore qu'au moyen de la société, des rapports qui unissent entre eux les membres d 'une même famille , d 'une même ville , d 'un même État, et surtout de ces rapports spirituels qui rapprochent entre eux tous les enfants de l'Église , Dieu a voulu que l' expérience de tous les hommes fut, pour chacun d 'eux , comme une partie de son patrimoine. Les leçons du temps ne sont pas comme ces improvisations rapides qu 'applaudit un auditoire enthousiaste, mais qui passent sans laisser de traces. Elles sont conservées, au sein de chaque famille , dans la mémoire des vieillards. De là vient que les vieillards aiment tant à raconter. De là vient que, si nous étions sages , au lieu de rire de cette tendance, nous chercherions à tirer de leurs récits les leçons utiles que presque toujours ils renferment.
III. Mais il y a plus.; et, comme le souvenir des événements passés finirait par s 'effacer dans chaque fa mille, Dieu a permis que l'humanité tout entière conservât la mémoire de ces faits qui l'intéressent et la peuvent instruire , et l'histoire se charge de nous transmettre ces leçons du temps, les plus anciennes comme les plus récentes. Avez -vous quelquefois réfléchi à cela mes bons amis? S ' il vous est arrivé d 'ouvrir un livre d 'histoire, ne l'avez-vous pas parcouru avec un sentiment de curiosité , ou avec le désir d'augmenter tout simplement la masse de vos connaissances ? tandis que vous auriez pu y trouver, pour peu que vous vous y fussiez appliqués, les leçons les plus utiles et les plus pratiques. L'histoire des empires , de leur élévation , due toujours à quelques vertus, de leur chute amenée toujours par la dégradation des peuples et les fautes des rois ou dirigeants ; l'histoire de l' Église surtout, où sa divinité est écrite en caractères plus brillants que le soleil ; l'histoire des Saints, où se trouvent réunies toutes les vertus que Dieu fait jaillir de nos âmes régénérées, depuis l’héroïsme du martyre jusqu 'à celui de la charité, depuis la grandeur d'âme des évêques qui luttèrent pour la défense de l'Église, jusqu 'à ces vertus aimables et cachées qui trahies par leur suave parfum ,ont placé sur nos autels, à côté des docteurs et des confesseurs de la foi, des paysans, des servantes, des ouvriers : - toutes ces histoires, mes bons amis, qu 'est- ce autre chose que l'expérience de l'humanité prolongée jusqu 'à nous par la miséricordieuse bonté de Dieu ? Qu 'est-ce autre chose que la leçon du temps, et sa leçon la plus précieuse , – puisque dans ces immenses annales, à quelque page que nous les ouvrions, le temps, ce grand maître, nous enseigne le mépris des actions coupables, l'admiration pour les dévouements généreux, la confiance en Dieu , la reconnaissance pour son adorable providence, toujours présente dans les événements humains, le désir de marcher sur les traces glorieuses de ses serviteurs, en un mot l'amour de Dieu et de nos frères, et le respect de nous -mêmes ? — Voilà les enseignements de l'histoire. — Ai-je tort de dire qu'il y a là , dans cette expérience des siècles ajoutée à la nôtre, plus de leçons mille fois qu 'il n 'en faudrait pour nous convertir ?
IV . D 'où vient donc que nous profitons si peu de ces leçons? C 'est que nous les voyons sans les regarder , que nous les entendons sans les écouter, que nous ne réfléchissons pas, en un mot. Quel est, en effet, mes bons amis, le grand art de vivre ? C 'est de tirer de chaque chose l'enseignement qu 'elle contient ; de ne jamais marcher au hasard ; de tendre toujours vers un but, et de faire servir à ce but tout ce qui nous entoure . Mais cela ne se fait pas tout seul ; cela demande de la réflexion . Et nous ne réfléchissons pas. Réfléchissons donc, mes bons amis ; il y a mieux : prions. La prière, c'est la réflexion faite devant Dieu , c'est-à- dire en présence de Celui qui, étant la lumière même, peut seul éclairer nos âmes, et faire servir nos réflexions à notre salut éternel . La prière, c'est encore l'aveu de notre faiblesse , de cette pauvreté de notre nature, qui fait qu 'entre la vérité reconnue et la vérité pratiquée il y a si souvent un abîme. – Dieu donc, si nous le prions, si nous réfléchissons devant lui aux leçons du temps et à celles que nous avons reçues nous mêmes, et à celles dont l'histoire conserve le dépôt, Dieu nous donnera l'esprit pour les comprendre, et la force pour les pratiquer. C'est alors seulement que le temps aura été pour nous un grand maître, puisqu'il nous aura conduits aux pieds de Celui qui est le Maître par excellence , Notre- Seigneur Jésus – Christ.
21 - IL NE FAUT PAS DISPUTER DES GOÛTS NI DES COULEURS et TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE
I. Certainement, mes bons amis, si vous entendez par là uniquement ce que vous dites : à savoir , que vous avez le droit de préférer le bleu au rouge, moi le rouge au bleu , tandis que tel autre a pour le vert une prédilection marquée; et que nous serions bien fous, les uns et les autres, d ' en venir aux mains, ou simplement aux gros mots, pour ce futile sujet ; que d 'ailleurs aucune couleur n 'ayant sur sa voisine une supériorité absolue, la dispute qui porterait sur une, pareille question n 'aurait point de terme, chacun étant toujours en droit de dire : Tous les goûts sont dans la nature ; - si c'est là ce que vous voulez dire , vous avez mille fois raison . Il y a même, dans notre proverbe ainsi entendu, une bien utile leçon , puisqu'il nous apprend à éviter l'esprit de dispute et à fuir cette déplorable disposition qui sur des riens fonde des discussions interminables ; - arrivant ainsi quelquefois à brouiller les meilleurs amis, pour des opinions dont ils ne se soucient au fond ni les uns ni les autres. Oh ! oui, dans ce sens, il ne faut pas disputer des goûts ni des couleurs. .
II . Mais il est bien évident qu'un proverbe veut toujours dire plus qu 'il ne dit, et a toujours un sens Moral. Ici ce sens est un contre-sens ; et un contre sens dangereux . Il signifie que toutes les inclinations, toutes les affections, toutes les passions sont dans la nature; que par conséquent chacun a le droit de suivre la pente de son naturel, sans que son voisin ait celui de l'inquiéter ; que je puis m 'abandonner à la volupté , à l'amour de l'argent, aux rancunes ou aux violences de mon caractère , de même que vous , vous vous trouvez être humble, doux , chaste, patient, charitable . C ' est là , mes bons amis, une doctrine que je soutiens être extrêmement dangereuse . Voyez d'abord qu 'elle est le renversement des principes du Christianisme.
En effet, elle dit trois choses, qui de fait s'enchaînent : la première, que tout est bon dans la nature humaine; la seconde , que personne n 'est obligé de résister aux impulsions de la nature ; la troisième, que chercher à changer la manière d 'être de son prochain , à le rendre chrétien , par exemple, d 'ivrogne ou de débauché qu 'il est, c'est pour ainsi dire attenter à son indépendance; et cela , parce que tous les goûts sont dans la nature. - Peut-on rien imaginer de plus absurde ou de plus faux ? , Hélas! il n 'est que trop vrai, tous les goûts sont dans la nature. Mais vous, qui n 'avez pas oublié votre catéchisme, vous savez que, par le péché originel, notre nature, créée bonne primitivement, a ressenti une grave atteinte ; qu ' elle a été corrompue et viciée dans sa source ; qu 'il a fallu , pour nous relever, qu'un Dieu même descendît parmi nous ; et que la lutte du bien et du mal, dont la terre est le théâtre, n 'est autre chose que le combat perpétuel entre notre nature corrompue et l' influence réparatrice de Dieu que l'on nomme la grâce. - Voilà , mes bons amis, ce que vous savez ; ou, si vous l'avez oublié , voilà ce que votre petite fille, lorsqu 'elle revient de l' école, voilà ce que votre garçon qui va faire sa première communion , vous peuvent rappeler . Cela est dans la nature: donc cela est bon ! - Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Mais toutes les fautes, tous les crimes proscrits par la loi de Dieu , ils sont dans la nature. Sondons plutôt notre coeur ; et rappelons-nous quelle pente facile le porte à tout ce qui est mal. Le Décalogue (les Dix Commandements) , que condamne-t-il autre chose que les mouvements ordinaires d 'une nature abandonnée à elle-même? L'oubli de Dieu , le blasphème, la violation des saints jours, le mépris et la révolte contre les parents, la colère et ses sanglantes conséquences , les passions honteuses , le mensonge et la calomnie, l'envie du prochain et de ses richesses , les attentats grands et petits à sur la propriété ; dites si tout cela n 'est pas dans la nature ; si vous n 'avez pas éprouvé, à un degré plus ou moins violent, chacun de ces sentiments ; si vous n 'avez pas été d 'autant meilleurs, que vous résistiez plus vivement à tous ces goûts, qui étaient pourtant dans la nature; d 'autant plus mauvais que vous vous y abandonniez davantage ? Ne dites donc plus: Tous les goûts sont dans la nature , pour vous excuser; puisque notre mission ici-bas, cette guerre à laquelle notre vie doit être vouée, consiste justement à contrôler en nous la nature, pour y substituer la vie de la grâce. - Ou , si ce proverbe vient frapper vos oreilles, qu'il ne réveille en vous qu'une pensée de confusion , au souvenir de tout ce que notre nature renferme d'inclinations mauvaises; une prière surtout au Dieu de toute force, pour qu 'il nous aide à en triompher .
III . Mais surtout ne disons point : Il ne faut pas disputer des goûts. Au contraire , mes amis, il en faut grandement disputer ; avec soi d 'abord et contre soi. L 'élément grossier et instinctif de nous-mêmes aimerait bien que notre âme n 'entrât jamais en dispute avec lui, et le laissât libre toujours de suivre ses goûts de chair et de sang . - Qu' il n 'en soit pas ainsi ! Disputons contre nous-mêmes. L 'homme spirituel finira toujours par l'emporter sur l'homme charnel, si à celui- ci, nous savons opposer les forces supérieures que Dieu communique aux combattants de bonne volonté . C 'est encore avec notre prochain qu' il faut disputer des goûts; non pas, mes bons amis , à tort et à travers, non pas en manquant de respect à ses supérieurs, en prenant la parole quand le silence seul nous conviendrait, en nous donnant, a nous et à la religion qui nous inspire, une réputation d 'aigreur et d 'amertume qui ne saurait convenir aux disciples du doux Jésus: -- non ; - mais avec prudence, avec cette prudence des enfants de Dieu qui est, nous l'avons déjà dit , sœur de la charité, et aussi éloignée de la lâcheté que de l'ostentation .
S 'il y a des circonstances où il est permis de se taire et alors même, que de moyens, pour tous, sans excepter les plus humbles, de montrer leur désapprobation de certains goûts blâmables étalés devant eux par des supérieurs! combien de circonstances, au contraire, où il nous est ordonné de parler, non pour notre intérêt, mais pour celui de notre prochain , duquel il est dit dans l'Écriture, que Dieu en a confié le soin à chacun de nous! Lorsque près de nous le mal est fait, ou est dit, ce qui est une autre manière de le faire, par un égal ou un inférieur, ne dites pas : C' est leur affaire ; c'est leur goût ; moi j'ai les miens. Ce sont là propos d 'égoïste. Un chrétien doit penser et agir autrement. Dites : Voici des hommes qui s' égarent; ils se laissent aller a sans résistance à leur mauvaise nature. Je vais m ' efforcer de les retenir sur ce terrain glissant, comme, si je voyais un voyageur près de tomber dans un précipice, je me croirais un misérable de ne pas tout faire pour empêcher sa chute. Cherchez donc à persuader à celui dont les paroles ou les actions sont le développement du proverbe : Tous les goûts sont dans la nature; cherchez à lui persuader qu'il se trompe ; qu'en raisonnant ainsi, le voleur et l'assassin se justifient aussi bien que l'ivrogne et le libertin .
Et si vous lui faites connaître Dieu , ou si seulement vous lui inspirez le désir de le connaître , à cet homme qui jusqu'ici ne connaissait que la nature et ses entraînements si puissants pour le mal, quelle belle œuvre vous aurez accomplie , mon cher ami! Vous aurez travaillé à sauver une âme. Quand même vous ne réussiriez pas, vous aurez toujours défendu la vérité. C ' est une assez belle tâche pour suffire à votre récompense. Après tout, parmi ces hommes qui prétendent que tous les goûts sont dans la nature , quel est celui qui aurait le droit de s'étonner de vous voir, à vous, le goût de Dieu et le goût de la vérité ? Puissiez -vous l'avoir toujours ! Puisse -t-il, saintement contagieux , de vous se communiquer à bien d'autres
la suite bientôt
Voici, mes chers lecteurs, un proverbe à l'usage des braves. Le royaume du ciel souffre violence, dit l'Évangile ; ce sont les braves qui l'emportent. (Matthieu 11,12)
Ce courage, mes bons amis, nécessaire pour conquérir le royaume du ciel, il faut l'employer surtout à écarter les obstacles qui surgissent dans notre route , à guérir notre âme des maladies qui ralentissent sa marche dans cette route bénie , c'est ce que dit notre proverbe : Aux grands maux les grands remèdes. Vous faut-il des exemples ? Hélas, vous les connaissez mieux que moi. Chacun de vous sait bien quel est le grand mal qui le ronge . On a beau vouloir s'étourdir, il y a des heures où l'on est seul avec soi-même; et, dans ces heures que Dieu nous ménage à tous, pour nous sauver , la conscience parle : « Tu es un grand misérable , nous dit-elle ; — tu es l'esclave du libertinage, ou de l'ivrognerie , ou de l'avarice , ou de la haine. - Tu étais bien plus heureux lorsque tu étais plus vertueux . Et puis, tu ne vivras pas toujours. Qu 'arriverait -il de toi, si tu venais à mourir dans cet état? » N 'est-il pas vrai que souvent, quelquefois du moins, vous vous dites ces choses ? — Ainsi il est bien convenu (je parle pour ceux qui ne vivent pas selon Dieu) qu'il y a en nous un grand mal. Que faire pour le guérir ? - - Ce que dit notre proverbe : y appliquer un grand remède, c'est-à -dire un remède énergique, qui supprime le mal, et rende son retour difficile , en supprimant l'occasion.
Vous avez fait de mauvaises fréquentations ( De mauvais amis, mauvaises influences). Voici l'occasion d 'obéir à ce précepte. Rompez, non point pour quelques jours , non point peu a peu ; mais tout de suite et à jamais. Si vous n 'employez ce grand remède, tous les autres ne serviront de rien . Au bout de quelques jours, vos visites seront aussi fréquentes , votre passion aussi ardente . Vous n 'aurez fait que jeter de l'huile sur un feu qu 'il fallait éteindre.
Vous savez que jamais vous ne vous rendez dans tel lieu sans y boire à l’excès, sans consommer en festins inutiles la paye de la semaine, sans jurer, sans rougir de Dieu , sans faire pis peut- être. Ne dites pas : Une autre fois je m 'observerai davantage. Dites : « Rien ne m 'appelle en ce lieu , je n 'y ai jamais fait que du mal ; je n 'y remettrai plus les pieds. O mon Dieu ! aidez -moi à tenir cette résolution que je forme pour ne plus vous offenser . »
Vous avez acheté un mauvais livre ; et dans ces heures que jadis vous consacriez à la prière, au travail, ou à d 'honnêtes délassements , vous vous êtes enivré de ce poison . Votre foi en a été ébranlée ; vos moeurs en ont reçu peut- être une mortelle atteinte . Vous sentez le mal, et vous voulez le guérir . Ce livre funeste , ne le cachez donc pas ; ce serait un petit remède . Jamais vous n ' oublieriez sa cachette ; et, le jour où votre coeur corrompu aurait faim de cette odieuse pâture, vous sauriez bien la retrouver tout de suite. Ne le donnez pas, ni ne le vendez pas non plus. Que diriez - vous de celui qui donnerait à un camarade, ou remettrait en circulation , un poison dont il aurait failli mourir lui-même? C 'est pourtant ce que vous feriez en disposant ainsi de cet exécrable poison , un mauvais livre. — Pour qu'il ne vous fasse jamais de mal, ni à vous ni à d 'autres, n 'hésitez pas à le détruire .
Enfin , mes bons amis, et d 'une manière générale, le mal par excellence , c 'est le péché; et le remède par excellence, c 'est la confession . – Pourquoi ? Parce que nous confesser , c'est justement nous mettre en rapport avec le médecin de notre âme, avec celui qui connaît son tempérament, et qui sait toujours quel traitement lui convient davantage. Si donc nous sentons que le poison du péché est entré dans notre cœur, prenons garde qu'il n ' y fasse, en y séjournant longtemps, des ravages considérables. — Adressons-nous à notre ami, à notre médecin spirituel, à celui qui veut nous guérir, parce qu'il nous aime; — et prenons courageusement les remèdes que nous indiquera sa tendresse .
Surtout, puisque c 'est notre confesseur qui doit nous indiquer les remèdes, que notre premier acte de courage soit de l'aller trouver sans délai. Le premier pas du malade vers la guérison , c'est de consulter son médecin . - Et puis , la confession par elle -même est un remède déjà :notre orgueil , notre paresse, notre sensualité, l'attachement à notre sens propre (mauvaises passions), le culte exclusif que nous vouons à nos affaires et à nos intérêts matériels, tout cela ressent, dans la confession , un salutaire affront. C'est déjà un acte de courage de se confesser. N 'hésitons donc jamais à le faire . Par là nous sera facilité le courage de nous soumettre aux sacrifices que la prudence de notre confesseur exigera de nous; sacrifices que notre conscience déjà nous avait indiqués, mais qu 'il appartient à Dieu seul de nous imposer par son ministre , et de nous adoucir par sa grâce.
18 - IL N'Y A PAS DE BONNES FÊTES SANS LENDEMAIN
On croit communément que ce proverbe est du à quelque ami du plaisir et de la joie , et qu'il indique combien l'homme est porté à prolonger ses jouissances, ne consentant à les interrompre en quelque sorte qu'à son corps défendant. C 'est une grave erreur, mes bons amis : il s'agit ici des fêtes de l'Église . On disait anciennement les bonnes fêtes, comme on dit le Bon Dieu , comme on disait encore de certaines villes importantes : la bonne ville de Paris, de Lyon ou de Rouen . Dans beaucoup de provinces encore, on emploie cette expression de bonnes fêtes; et l'on dit, par exemple, d'une personne régulière : Elle communie à toutes les bonnes fêtes.
Il n`y a pas de bonnes fêtes sans lendemain . En effet, Pâques et la Pentecôte ont leurs lundis. L'Église fête aussi après la Toussaint, le Jour des Morts ; la fête de l'Église souffrante, après la fête de l'Église triomphante . Après Noël, ce jour vénéré de la naissance du Sauveur, trois jours qui s'y rattachent, et qui sont désignés sous les noms de fêtes de Noël: la Saint- Étienne, la Saint-Jean et les Saints -Innocents. Quelle instruction devons-nous tirer de cette disposition de l'Église à donner un lendemain à toutes ses grandes fêtes?
I. Nous devons d'abord ne pas faire ce que dit cet autre proverbe: La fête passée, adieu le saint. Que de fois mes bons amis, impressionnés par l'éclat religieux d 'une grande solennité, entraînés par la parole d 'un prédicateur éloquent, touchés surtout par cette parole intérieure qui souvent nous parle de préférence au milieu de l'assemblée recueillie des fidèles, émus au souvenir des merveilleux événements dont nous fêtions l'anniversaire , que de fois nous nous sommes sentis meilleurs! Nous avons formé de bonnes résolutions ; nous avons vraiment pensé à notre salut ! Et que de fois, tant nous sommes légers, oublieux, absorbés par les choses matérielles, que de fois , le lendemain , nous avons repris notre train de vie , non pas précisément coupable ni impie, mais tiède, indifférent, et où Dieu occupe si peu de place ! -
Cela arrive à tout le monde, mes bons amis ; c'est la tendance de notre nature. Aussi l' Église , voulant gagner du moins un jour sur notre vie de routine et d ' oubli, avait établi un lendemain à toutes ses grandes fêtes . Notre cœur nous dit qu'elle avait bien fait . Si maintenant ces lendemains ne sont plus des fêtes d 'obligation , si nos occupations ne nous permettent pas de les fêter, au moins par l'assistance à la Messe, nous avons un moyen d ' y suppléer , et d 'entrer tout à fait dans l'esprit de l'Église , lorsqu' elle les institua ces lendemains. C ' est de nous roidir contre cette tendance de notre nature qui nous porte à oublier le monde invisible , le seul durable , pour ne voir que ce monde visible , si fragile et si passager. C'est surtout, au lendemain des grandes fêtes , de détourner le plus possible notre imagination des pensées frivoles, pour la reporter sur le souvenir des grâces que Dieu nous a faites dans la solennité d 'hier. Si une parole nous a frappés, redisons-nous-la , cherchons à en extraire tout le suc, à en nourrir notre esprit . Aimons à la répéter à ceux qui nous entourent, et à les en faire, eux aussi, profiter. Nourrissons-nous du souvenir des héroïques vertus que nous avons entendu raconter, des exemples de recueillement et de piété dont nous avons été les témoins. Surtout rappelons- nous les grâces qui nous ont été accordées.
Si nous aimons vraiment Dieu , si nous avons le coeur touché du bien qu' il ne cesse de nous faire , nous n 'aurons pas de peine à arrêter notre pensée sur ce sujet. - La reconnaissance est la mémoire du cœur, a -t - on dit . Comment n 'auriez-vous pas cette mémoire ? Chargeons-là de faire nos lendemains de bonnes fêtes, nous seront ainsi bien salutaires et bien agréables à Dieu . Que Dieu ne soit pas un accident dans notre vie qui se représente trois ou quatre fois par an , ou une fois la semaine, le dimanche, ou deux fois par jour, le matin et le soir . Que Dieu soit notre pensée dominante , à laquelle naturellement nous revenions toujours, lorsque quelque distraction nous en aura écartés. Qu'en lui nous vivions. Qu' il soit par excellence notre amour, notre vie , notre tout. Les fêtes alors , les dimanches, les heures de prières régulières , seront comme cette horloge placée dans un atelier laborieux , et dont l'avertissement sonore vient, à des intervalles fréquents , exciter le zèle des travailleurs, annonçant que le moment approche où la tâche de chacun devra être terminée. Chaque fête ainsi nous trouvera travaillant au grand but de notre vie ; mais aussi chaque fête, en avivant toutes les saintes pensées dont nous sommes pénétrés , nous imprimera une nouvelle ardeur ; comme l'ouvrier fidèle que l'heure sonnante ne trouve jamais inoccupé, mais qui cependant ne travaille jamais aussi bien que lorsque l'heure vient de sonner.
19 - LA VÉRITÉ SORT DE LA BOUCHE DES ENFANTS
Est - ce à dire , vous, mes enfants , qui me lisez , qu 'il ne sorte jamais de vos jeunes bouches autre chose que la vérité ? - Hélas ! je le voudrais . Mais vous savez aussi bien que moi que les enfants menteurs ne sont pas rares; peut- être, ce qu 'à Dieu ne plaise ! le savez-vous par votre propre expérience . Hélas ! oui,mes bons amis . Il y a des enfants menteurs, comme il y en a de voleurs , de paresseux , de colèriques. Mais ce vice du mensonge a , dans de jeunes âmes faites pour la vérité , je ne sais quoi qui révolte beaucoup plus que les autres défauts que je viens de nommer. On n 'a jamais dit que l' enfance fut la saison de la sobriété, des habitudes laborieuses, de la force du caractère. Toujours on a cru qu 'elle était l'époque bénie de la franchise, de l'ouverture du coeur, de la simplicité, de la vérité.
Vous vous rappelez ce jour où notre divin Sauveur, discourant avec ses disciples, mit tout à coup au milieu d 'eux un petit enfant, et leur dit : Si vous ne devenez comme ce petit enfant, vous n 'entrerez pas dans le royaume des cieux . Quelle leçon pour nous, mes bons amis, et quelle exhortation à cultiver ces humbles et douces vertus qui font le charme de l'enfance ! Quel encouragement pour vous, mes enfants, à ne pas perdre le privilège de votre âge, et à conserver longtemps cette âme simple et vraie du petit enfant, qui vous ouvrira les portes du royaume éternel ! Quand la raison s 'éveille chez vos enfants , mes chers amis , et qu 'elle y trouve la grâce du baptême, si quelque vice dans leur éducation n 'a pas hâté le développement de leurs mauvais penchants, la vérité règne en maîtresse dans ces jeunes âmes. L'enfant qui ne connaît pas encore ces passions coupables dont le mensonge est le complice nécessaire , l'enfant qui n 'a point respiré l'air du monde tout imprégné de dissimulation, l'enfant dit ingénument et simplement ce qu'il voit, ce qu'il sent, ce qu'il pense .
Son âme n 'est point une de ces boîtes à double ou à triple fond, à l'aide desquelles le prestidigitateur éblouit et trompe le vulgaire crédule ; c'est un pur cristal dont l'oeil pénètre tout d 'abord la profondeur. Ses affections ne sont jamais le résultat d 'un calcul; il ne sait pas ce que c'est que de manifester une grande tendresse à des personnes pour qui son cœur ne dit rien . Docile à l'impulsion de la nature, il aime son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, de tout son coeur, selon une expression enfantine, mais profondément vraie. Il ne sait pas aimer à moitié. A tous ceux qui lui témoignent de l'affection , il donne en retour son cœur tout entier . Ses actions aussi ne sont pas autre chose que la manifestation vraie des sentiments qu'il éprouve. S ' il fait le bien , ce n 'est pas par intérêt, par ambition (il ne connaît pas plus ces choses qu' il n ' entend leurs noms), c'est parce qu 'il sent que c 'est le bien ; c'est pour l'amour de Dieu ; c'est pour plaire à sa mère. Il ne connaît (je parle de l' enfant chrétien , du petit enfant, qu'une éducation vicieuse n 'a point gâté ; bien loin de là), il ne connaît pas l'orgueil, ce ver rongeur qui tue, dans leur germe, le mérite de nos bonnes oeuvres, pour en faire des œuvres coupables.
L ' enfant dit tout; il pense tout haut. Ce qu'il dirait à Dieu , dans sa candeur il se demande comment il craindrait de le dire aux hommes. On parle quelquefois des enfants terribles. Entendons-nous, mes bons amis , et prenons garde de blâmer les enfants, là où les grandes personnes seules sont coupables. Comment voulez-vous qu 'un enfant de cinq ans ou de sept fasse le discernement de ce qui peut impunément être répété et de ce qui doit demeurer secret? C 'est aux personnes qui vivent avec les enfants à se bien persuader que tout ce qu 'elles disent devant eux , c 'est comme si elles le déposaient dans une coupe de verre. C 'est aux parents surtout à préférer les indiscrétions les plus désobligeantes de ces petits personnages à une précocité fâcheuse qui leur ferait, à l'âge de la candeur, comprendre et pratiquer la dissimulation .
II. Voilà ce qu 'est un petit enfant, mes bons amis, - et voilà ce que vous devez être , si vous désirez , avec les petits enfants, entrer dans le royaume du Père céleste. La vérité, voilà ce qui doit remplir votre coeur, éclater sur vos traits , dans vos actions, dans vos paroles. Soyez vrais dans les petites comme dans les grandes choses, et vous serez plus près de Celui qui, parmi tant de noms magnifiques , affectionne plus particulièrement celui-ci, la vérité. Je suis la vérité , a dit, en parlant de lui-même, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Vous comprenez parfaitement, chers amis, que, pour que la vérité sorte de votre bouche, il faut qu'elle ait son siège dans votre coeur. La bouche parle de l'abondance du coeur , dit l’Évangile. Et, comme je vous disais tout à l'heure que la vérité dans sa source la plus haute et la plus pure, c' est Dieu lui-même, c'est donc Dieu qu 'il faut avoir au fond de vos coeurs pour que la vérité sorte de votre bouche. Je n 'ai pas besoin de vous répéter que vous posséderez Dieu par la foi, en croyant les dogmes qu 'il nous a révélés; que vous le posséderez par l'amour, en lui consacrant vos sentiments et vos actions.
Si vous êtes ainsi pleins de Dieu , vous éprouverez pour le mensonge une invincible répulsion . Vous saurez que votre ennemi le plus acharné, le démon (l`ange déchu), est appelé le père du mensonge , et que, chaque fois que vous manquez à la vérité , vous faites un pas vers ce grand ennemi. Mais surtout, ô vous tous qui avez le bonheur d 'appartenir à la Religion catholique, un souvenir bien plus auguste consacre votre bouche à la vérité. — Avez -vous oublié les douceurs de la communion ? Comment! sur votre langue le Dieu d 'amour a reposé : et cette langue ne craindrait pas de se profaner par le mensonge, elle, le temple du Sauveur !
Soyons donc simples : que la vérité sorte de notre bouche comme de celle des enfants. — Mais surtout rappelons-nous cette parole de Notre-Seigneur à ses disciples : Laissez venir à moi les petits enfants. Elle s'applique à nous qui sommes père et mère, et elle nous dit : De grâce, n 'élevez pas vos enfants dans le mensonge; ne gâtez pas l'ingénuité de leur âme; laissez-les plutôt suivre tout aimablement l' impulsion de leurs bons petits sentiments : Quel malheur, mes bons amis, si, dans l'éducation que vous donnez à ces êtres chéris, quelque chose pouvait les éloigner du Dieu Sauveur qui les aime tant !
20 - LE TEMPS EST UN GRAND MAÎTRE
I. Croyez- vous, mes chers lecteurs, que pour apprendre une science, un art, un métier, il suffise de s'adresser à un homme pour introducteur de votre fils dans la carrière que vous lui destinez comme le plus savant mathématicien, le premier de nos sculpteurs, ou le tailleur le plus en vogue, pensez- vous que votre fils soit assuré d 'égaler bientôt son maître, et qu 'il ne lui reste plus qu 'à se croiser les bras, attendant que, comme par enchantement, les connaissances viennent meubler sa tête ou enrichir ses doigts d 'un précieux gagne- pain ? - Non , mes bons amis; les maîtres, si habiles qu 'ils soient eux -mêmes, ne rendent savant que l'écolier docile et laborieux , toujours prêt à écouter, méditer et mettre en pratique leurs leçons et leurs conseils . Je vous dis tout cela , mes amis , non point au hasard , mais à propos de ce proverbe : Le temps est un grand maître, dont je crains que vous ne saisissiez pas parfaitement le sens. Il en est de ce proverbe comme de cette phrase qui se rencontre si souvent dans la bouche des parents : Oh ! cet enfant a de grands moyens ! Qu 'est-ce que cela prouve ? Qu 'il faut lui enseigner à les bien employer , ces moyens; car autrement il pourrait, ou en faire un mauvais usage, ou les laisser se rouiller dans l'inaction (ce qui est une autre manière d 'en abuser). Bien loin donc que nous devions nous reposer sur ces prétendus moyens, comme s'ils étaient une infaillible garantie d 'avenir , c'est tout simplement pour nous une raison de plus de soigner l'éducation de nos enfants. Tout don duquel il doit nous être demandé compte emporte avec soi un accroissement de responsabilité . Ainsi cette vérité : Le temps est un grand maître, deviendrait une erreur funeste , si nous l'entendions en ce sens, que nous ne pouvons manquer sans aucun effort ni aucune correspondance de notre part de tirer des leçons de ce grand maître une augmentation de sagesse , de prudence et de vertu . Qu' importe que le temps soit un grand maître, si nous ne voulons pas nous faire ses disciples ! Et la belle disposition pour le devenir, que de commencer par mépriser ses leçons!
II. Quelle est en effet la grande leçon de ce grand maître ? L'expérience . - On appelle de ce nom la science de ceux qui ont vu beaucoup d'hommes, et beaucoup d 'événements, et qui, ayant beaucoup examiné et beaucoup réfléchi, ont saisi cette leçon de modération , de sagesse et de religion , qui, pour tout coeur droit et pur, ressort d 'un pareil examen . L 'expérience est donc d 'ordinaire la qualité des vieillards. Quiconque a beaucoup vu peut avoir beaucoup retenu dit la Fontaine. -- De là vient que, dans tous les âges, les cheveux blancs furent entourés d 'une si grande vénération . A travers les ombres mêmes du paganisme, l' instinct des peuples comprenait que ce temps qui est un grand maître n 'est autre que Dieu lui -même, instruisant la faiblesse humaine par le spectacle des événements que tient et que dirige sa main puissante. Les fronts ridés et les têtes chenues étaient donc comme le cachet empreint sur ceux qui avaient suivi le plus longtemps ces leçons de la Providence. Or, mes amis, cette expérience , plus grande chez les vieillards, nous la possédons, à un moindre degré, mais enfin nous la possédons, du moment que la raison s'est éveillée dans notre esprit, et que la conscience a commencé de parler au fond de notre cœur.
Il suffit d`avoir une fois seulement, fait le mal, et senti, dans les profondeurs de son âme, l' aiguillon du remords; il suffit d 'avoir éprouvé, dans les joies pures de la conscience, la première et immédiate récompense d 'un acte méritoire, pour avoir une expérience qui, si nous étions sages, nous écarterait à jamais du péché, et nous tiendrait étroitement attachés à la vertu . Il suffit d 'avoir jeté le plus rapide coup d 'oeil autour de soi, pour comprendre que, tôt ou tard, le châtiment atteint les coupables, et que jamais la couronne ne manque aux sacrifices . – Si donc, après cette expérience , nous retournons au mal, si nous fuyons le bien , n 'ai- je pas raison de dire que nous agissons comme si l'expérience nous manquait absolument, que les leçons du temps sont perdues pour nous, et que nous ressemblons à ces écoliers qui espèrent apprendre sans étudier, ou qui attendent, pour profiter des leçons du maître, le moment où leurs parents les retirent de l'école ?
Mais ce n 'est pas tout; et vous allez , une fois de plus, admirer avec moi la bonté de Dieu . - L 'homme n 'est pas isolé dans le temps et dans l'espace , de telle sorte que chacun n 'ait à son service que sa propre expérience. Bien que pour les choses capitales, c' est- à dire pour les choses de la conscience , chacun trouve dans cette même conscience une expérience plus que suffisante , Dieu a voulu encore qu'au moyen de la société, des rapports qui unissent entre eux les membres d 'une même famille , d 'une même ville , d 'un même État, et surtout de ces rapports spirituels qui rapprochent entre eux tous les enfants de l'Église , Dieu a voulu que l' expérience de tous les hommes fut, pour chacun d 'eux , comme une partie de son patrimoine. Les leçons du temps ne sont pas comme ces improvisations rapides qu 'applaudit un auditoire enthousiaste, mais qui passent sans laisser de traces. Elles sont conservées, au sein de chaque famille , dans la mémoire des vieillards. De là vient que les vieillards aiment tant à raconter. De là vient que, si nous étions sages , au lieu de rire de cette tendance, nous chercherions à tirer de leurs récits les leçons utiles que presque toujours ils renferment.
III. Mais il y a plus.; et, comme le souvenir des événements passés finirait par s 'effacer dans chaque fa mille, Dieu a permis que l'humanité tout entière conservât la mémoire de ces faits qui l'intéressent et la peuvent instruire , et l'histoire se charge de nous transmettre ces leçons du temps, les plus anciennes comme les plus récentes. Avez -vous quelquefois réfléchi à cela mes bons amis? S ' il vous est arrivé d 'ouvrir un livre d 'histoire, ne l'avez-vous pas parcouru avec un sentiment de curiosité , ou avec le désir d'augmenter tout simplement la masse de vos connaissances ? tandis que vous auriez pu y trouver, pour peu que vous vous y fussiez appliqués, les leçons les plus utiles et les plus pratiques. L'histoire des empires , de leur élévation , due toujours à quelques vertus, de leur chute amenée toujours par la dégradation des peuples et les fautes des rois ou dirigeants ; l'histoire de l' Église surtout, où sa divinité est écrite en caractères plus brillants que le soleil ; l'histoire des Saints, où se trouvent réunies toutes les vertus que Dieu fait jaillir de nos âmes régénérées, depuis l’héroïsme du martyre jusqu 'à celui de la charité, depuis la grandeur d'âme des évêques qui luttèrent pour la défense de l'Église, jusqu 'à ces vertus aimables et cachées qui trahies par leur suave parfum ,ont placé sur nos autels, à côté des docteurs et des confesseurs de la foi, des paysans, des servantes, des ouvriers : - toutes ces histoires, mes bons amis, qu 'est- ce autre chose que l'expérience de l'humanité prolongée jusqu 'à nous par la miséricordieuse bonté de Dieu ? Qu 'est-ce autre chose que la leçon du temps, et sa leçon la plus précieuse , – puisque dans ces immenses annales, à quelque page que nous les ouvrions, le temps, ce grand maître, nous enseigne le mépris des actions coupables, l'admiration pour les dévouements généreux, la confiance en Dieu , la reconnaissance pour son adorable providence, toujours présente dans les événements humains, le désir de marcher sur les traces glorieuses de ses serviteurs, en un mot l'amour de Dieu et de nos frères, et le respect de nous -mêmes ? — Voilà les enseignements de l'histoire. — Ai-je tort de dire qu'il y a là , dans cette expérience des siècles ajoutée à la nôtre, plus de leçons mille fois qu 'il n 'en faudrait pour nous convertir ?
IV . D 'où vient donc que nous profitons si peu de ces leçons? C 'est que nous les voyons sans les regarder , que nous les entendons sans les écouter, que nous ne réfléchissons pas, en un mot. Quel est, en effet, mes bons amis, le grand art de vivre ? C 'est de tirer de chaque chose l'enseignement qu 'elle contient ; de ne jamais marcher au hasard ; de tendre toujours vers un but, et de faire servir à ce but tout ce qui nous entoure . Mais cela ne se fait pas tout seul ; cela demande de la réflexion . Et nous ne réfléchissons pas. Réfléchissons donc, mes bons amis ; il y a mieux : prions. La prière, c'est la réflexion faite devant Dieu , c'est-à- dire en présence de Celui qui, étant la lumière même, peut seul éclairer nos âmes, et faire servir nos réflexions à notre salut éternel . La prière, c'est encore l'aveu de notre faiblesse , de cette pauvreté de notre nature, qui fait qu 'entre la vérité reconnue et la vérité pratiquée il y a si souvent un abîme. – Dieu donc, si nous le prions, si nous réfléchissons devant lui aux leçons du temps et à celles que nous avons reçues nous mêmes, et à celles dont l'histoire conserve le dépôt, Dieu nous donnera l'esprit pour les comprendre, et la force pour les pratiquer. C'est alors seulement que le temps aura été pour nous un grand maître, puisqu'il nous aura conduits aux pieds de Celui qui est le Maître par excellence , Notre- Seigneur Jésus – Christ.
21 - IL NE FAUT PAS DISPUTER DES GOÛTS NI DES COULEURS et TOUS LES GOÛTS SONT DANS LA NATURE
I. Certainement, mes bons amis, si vous entendez par là uniquement ce que vous dites : à savoir , que vous avez le droit de préférer le bleu au rouge, moi le rouge au bleu , tandis que tel autre a pour le vert une prédilection marquée; et que nous serions bien fous, les uns et les autres, d ' en venir aux mains, ou simplement aux gros mots, pour ce futile sujet ; que d 'ailleurs aucune couleur n 'ayant sur sa voisine une supériorité absolue, la dispute qui porterait sur une, pareille question n 'aurait point de terme, chacun étant toujours en droit de dire : Tous les goûts sont dans la nature ; - si c'est là ce que vous voulez dire , vous avez mille fois raison . Il y a même, dans notre proverbe ainsi entendu, une bien utile leçon , puisqu'il nous apprend à éviter l'esprit de dispute et à fuir cette déplorable disposition qui sur des riens fonde des discussions interminables ; - arrivant ainsi quelquefois à brouiller les meilleurs amis, pour des opinions dont ils ne se soucient au fond ni les uns ni les autres. Oh ! oui, dans ce sens, il ne faut pas disputer des goûts ni des couleurs. .
II . Mais il est bien évident qu'un proverbe veut toujours dire plus qu 'il ne dit, et a toujours un sens Moral. Ici ce sens est un contre-sens ; et un contre sens dangereux . Il signifie que toutes les inclinations, toutes les affections, toutes les passions sont dans la nature; que par conséquent chacun a le droit de suivre la pente de son naturel, sans que son voisin ait celui de l'inquiéter ; que je puis m 'abandonner à la volupté , à l'amour de l'argent, aux rancunes ou aux violences de mon caractère , de même que vous , vous vous trouvez être humble, doux , chaste, patient, charitable . C ' est là , mes bons amis, une doctrine que je soutiens être extrêmement dangereuse . Voyez d'abord qu 'elle est le renversement des principes du Christianisme.
En effet, elle dit trois choses, qui de fait s'enchaînent : la première, que tout est bon dans la nature humaine; la seconde , que personne n 'est obligé de résister aux impulsions de la nature ; la troisième, que chercher à changer la manière d 'être de son prochain , à le rendre chrétien , par exemple, d 'ivrogne ou de débauché qu 'il est, c'est pour ainsi dire attenter à son indépendance; et cela , parce que tous les goûts sont dans la nature. - Peut-on rien imaginer de plus absurde ou de plus faux ? , Hélas! il n 'est que trop vrai, tous les goûts sont dans la nature. Mais vous, qui n 'avez pas oublié votre catéchisme, vous savez que, par le péché originel, notre nature, créée bonne primitivement, a ressenti une grave atteinte ; qu ' elle a été corrompue et viciée dans sa source ; qu 'il a fallu , pour nous relever, qu'un Dieu même descendît parmi nous ; et que la lutte du bien et du mal, dont la terre est le théâtre, n 'est autre chose que le combat perpétuel entre notre nature corrompue et l' influence réparatrice de Dieu que l'on nomme la grâce. - Voilà , mes bons amis, ce que vous savez ; ou, si vous l'avez oublié , voilà ce que votre petite fille, lorsqu 'elle revient de l' école, voilà ce que votre garçon qui va faire sa première communion , vous peuvent rappeler . Cela est dans la nature: donc cela est bon ! - Mais c'est le contraire qu'il faut dire. Mais toutes les fautes, tous les crimes proscrits par la loi de Dieu , ils sont dans la nature. Sondons plutôt notre coeur ; et rappelons-nous quelle pente facile le porte à tout ce qui est mal. Le Décalogue (les Dix Commandements) , que condamne-t-il autre chose que les mouvements ordinaires d 'une nature abandonnée à elle-même? L'oubli de Dieu , le blasphème, la violation des saints jours, le mépris et la révolte contre les parents, la colère et ses sanglantes conséquences , les passions honteuses , le mensonge et la calomnie, l'envie du prochain et de ses richesses , les attentats grands et petits à sur la propriété ; dites si tout cela n 'est pas dans la nature ; si vous n 'avez pas éprouvé, à un degré plus ou moins violent, chacun de ces sentiments ; si vous n 'avez pas été d 'autant meilleurs, que vous résistiez plus vivement à tous ces goûts, qui étaient pourtant dans la nature; d 'autant plus mauvais que vous vous y abandonniez davantage ? Ne dites donc plus: Tous les goûts sont dans la nature , pour vous excuser; puisque notre mission ici-bas, cette guerre à laquelle notre vie doit être vouée, consiste justement à contrôler en nous la nature, pour y substituer la vie de la grâce. - Ou , si ce proverbe vient frapper vos oreilles, qu'il ne réveille en vous qu'une pensée de confusion , au souvenir de tout ce que notre nature renferme d'inclinations mauvaises; une prière surtout au Dieu de toute force, pour qu 'il nous aide à en triompher .
III . Mais surtout ne disons point : Il ne faut pas disputer des goûts. Au contraire , mes amis, il en faut grandement disputer ; avec soi d 'abord et contre soi. L 'élément grossier et instinctif de nous-mêmes aimerait bien que notre âme n 'entrât jamais en dispute avec lui, et le laissât libre toujours de suivre ses goûts de chair et de sang . - Qu' il n 'en soit pas ainsi ! Disputons contre nous-mêmes. L 'homme spirituel finira toujours par l'emporter sur l'homme charnel, si à celui- ci, nous savons opposer les forces supérieures que Dieu communique aux combattants de bonne volonté . C 'est encore avec notre prochain qu' il faut disputer des goûts; non pas, mes bons amis , à tort et à travers, non pas en manquant de respect à ses supérieurs, en prenant la parole quand le silence seul nous conviendrait, en nous donnant, a nous et à la religion qui nous inspire, une réputation d 'aigreur et d 'amertume qui ne saurait convenir aux disciples du doux Jésus: -- non ; - mais avec prudence, avec cette prudence des enfants de Dieu qui est, nous l'avons déjà dit , sœur de la charité, et aussi éloignée de la lâcheté que de l'ostentation .
S 'il y a des circonstances où il est permis de se taire et alors même, que de moyens, pour tous, sans excepter les plus humbles, de montrer leur désapprobation de certains goûts blâmables étalés devant eux par des supérieurs! combien de circonstances, au contraire, où il nous est ordonné de parler, non pour notre intérêt, mais pour celui de notre prochain , duquel il est dit dans l'Écriture, que Dieu en a confié le soin à chacun de nous! Lorsque près de nous le mal est fait, ou est dit, ce qui est une autre manière de le faire, par un égal ou un inférieur, ne dites pas : C' est leur affaire ; c'est leur goût ; moi j'ai les miens. Ce sont là propos d 'égoïste. Un chrétien doit penser et agir autrement. Dites : Voici des hommes qui s' égarent; ils se laissent aller a sans résistance à leur mauvaise nature. Je vais m ' efforcer de les retenir sur ce terrain glissant, comme, si je voyais un voyageur près de tomber dans un précipice, je me croirais un misérable de ne pas tout faire pour empêcher sa chute. Cherchez donc à persuader à celui dont les paroles ou les actions sont le développement du proverbe : Tous les goûts sont dans la nature; cherchez à lui persuader qu'il se trompe ; qu'en raisonnant ainsi, le voleur et l'assassin se justifient aussi bien que l'ivrogne et le libertin .
Et si vous lui faites connaître Dieu , ou si seulement vous lui inspirez le désir de le connaître , à cet homme qui jusqu'ici ne connaissait que la nature et ses entraînements si puissants pour le mal, quelle belle œuvre vous aurez accomplie , mon cher ami! Vous aurez travaillé à sauver une âme. Quand même vous ne réussiriez pas, vous aurez toujours défendu la vérité. C ' est une assez belle tâche pour suffire à votre récompense. Après tout, parmi ces hommes qui prétendent que tous les goûts sont dans la nature , quel est celui qui aurait le droit de s'étonner de vous voir, à vous, le goût de Dieu et le goût de la vérité ? Puissiez -vous l'avoir toujours ! Puisse -t-il, saintement contagieux , de vous se communiquer à bien d'autres
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MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
22 - CE QUE DIEU GARDE EST BIEN GARDÉ
1. Il est plus difficile, a dit un ancien , de conserver une province que de la conquérir. On en pourrait donner d 'excellentes raisons mais ans aller aussi loin , mes bons amis, et sans parler de provinces, que nous n 'aurons jamais sans doute , ni vous ni moi, à conquérir pas plus qu 'à conserver , avez- vous quelquefois remarqué combien , en toutes choses, la conservation est difficile ? La science que vous avez acquise comment vous jouant, gardez vous de la laisser dormir (ne fût-ce que quelques mois ) dans un coin de votre mémoire ; lorsque vous irez l’y chercher , vous ne la trouverez plus. L'argent que vous avez gagné par un travail pénible, il est vrai, mais joyeux pourtant, si vous n 'en faites un emploi immédiat, ou si vous n 'en confiez la garde à votre sage ménagère, - n 'est-il pas vrai qu'il séjourne à peine dans votre poche ou dans votre bourse, et que tout à coup , sans que vous sachiez comment, il vous échappe ? Parlerai-je des bons principes que vous avez cherché à inspirer à vos enfants, et qui, au premier contact du monde et des passions, ont disparu sans presque laisser de traces? Quoi de plus difficile à un peuple que de garder ses institutions, à un marchand de garder ses pratiques, à l'homme, en général, de garder ses bonnes résolutions, au chrétien de garder la grâce ?
II . Et voilà précisément, chers lecteurs, ce qui fait la nécessité en même temps que la vérité de notre Proverbe. Oh ! oui, ce que Dieu garde est bien gardé. Dieu d ' abord , à la différence des gardiens de la terre, est un gardien désintéressé. Ici-bas, ce n 'est pas chose sans exemple de voir un gouverneur s' emparer, pour son compte , de la province qu 'il devait garder au nom de son souverain ; ou bien un banquier s 'enfuir avec l'argent, que vous avez vu des assemblées et des armées renverser ce qu'elles devaient défendre . – En un mot, l'homme, en se confiant à l'homme, ne sait jamais, d 'une certitude absolue, si sa confiance n 'est pas mal placée. — Dieu , au contraire, n 'a nul besoin des biens que nous possédons, biens que d 'ailleurs nous ne tenons que de lui. Souverainement heureux par lui-même, il ne prend en mains nos intérêts que par amour pour nous. Et puis , comme il est souverainement puissant, l'appui qu 'il nous prête est efficace autant qu 'il est désintéressé . Oui, mes bons amis , Dieu seul peut, Dieu seul veut nous bien garder . – Ne cherchons donc pas d 'autre protecteur ; mettons sous sa garde puissante et bénie tout ce que nous avons de précieux . -
III . Mais cette grande grâce d 'être gardés de Dieu , vous comprenez qu 'il la faut mériter. En d 'autres termes, pour obtenir que Dieu nous garde, il est juste que nous prenions la peine de le lui demander ; et, pour voir notre demande accueillie , il faut commencer par remplir nos devoirs envers Dieu . Que diriez - vous d 'un fils qui, vivant sous le même toit que son père , passerait cependant des jours, des mois et des années sans lui parler, sans lui rendre ces hommages que le respect et l'amour inspirent au coeur de tout enfant bien né ? Qu 'en diriez - vous surtout-si, malgré ce silence, malgré cette indigne et grossière conduite, il comptait sur la protection de ce père méprisé ? s'il la réclamait même au jour du danger ? C ' est votre histoire , mon bon ami, si vous manquez à vos devoirs envers Dieu et que vous espériez cependant qu 'il vous garde. Commencez par devenir un bon et fidèle chrétien . Alors ce sera le coeur libre, avec l'élan d 'un fils tendre et respectueux, que vous implorerez la protection de votre père céleste sur tout ce qui vous intéresse. Sous cette garde puissante , vos affaires temporelles seront en sûreté. — D 'abord, par cela seul que vous vous éloignerez des passions mauvaises , vous éviterez mille écueils contre lesquels viennent chaque jour se briser la santé, la fortune, la paix , le bonheur de ceux qui sont loin de Dieu . Mais surtout c'est votre âme, ce sont les âmes qui vous sont chères, que vous ne vous lasserez pas de mettre sous la sauvegarde de la divine providence. . Et quoi de plus légitime qu'une telle sollicitude ? Plus une chose est précieuse , plus il la faut conserver avec soin . Or est-il rien d 'aussi précieux que nos âmes? Et, lorsque ce bien si précieux est convoité par un ennemi redoutable, quel puissant protecteur ne lui faut il pas donner ! Ignorez - vous que le démon (l`ange déchu) tourne nuit et jour autour de notre âme, comme un lion furieux qui cherche à la dévorer ? (1 Pierre 5,8) - Ce sont les propres expressions de l’Église . Donc nous devons travailler à lui opposer celui devant lequel il tremble comme devant son maître : Dieu lui-même. Et pour cela , mes bons amis, ayons soin d 'employer docilement les moyens que ce grand Dieu daigne nous indiquer. Allons chercher la force là où il l'a mise ; c'est- à -dire, comme nous avons eu déjà plus d 'une occasion de le rappeler : dans la prière et dans les sacrements.
IV. Mais ce n 'est pas tout. Et vous m 'en voudriez de prendre congé de notre Proverbe, sans avoir rien dit de votre ange gardien , ce fidèle et charitable guide, comme dit la prière du matin , à qui Dieu lui-même a spécialement confié le soin de vous protéger . Il y aurait tout un livre à faire sur ce sujet que nous ne pouvons qu 'effleurer ici. Vous avez quelquefois, chers lecteurs, entendu parler des déserts brûlants de l'Afrique, et des périls qu 'offre leur traversée . Eh bien , voyez ce jeune écervelé. Il va s 'engager dans cette mer de sable . Un prince puissant, et qui lui veut du bien , lui offre une redoutable escorte . Lui, refuse ; ou bien s'il accepte, il a toujours soin de se tenir à une grande distance de la troupe armée qui doit le protéger. Et, quand des féroces l'attaquent, il se défend seul, au lieu de leur opposer une force supérieure, qui bien vite les mettrait en fuite . Aussi sera - t - il certainement dépouillé , peut- être emmené en esclavage , peut-être mis å mort. Nous voyageons, mes bons amis , dans un pays que l'on appelle la vie , et où les dangers sont bien autrement terribles qu 'au coeur du Sahara. Le plus puissant des princes, le Roi des rois , Dieu lui-même, qui nous aime, qui désire que nous triomphions de tous les obstacles semés sur notre route, Dieu nous a remis entre les mains d 'un esprit céleste , dont les lumières, dont la vive tendresse , nous valent mieux qu'une armée : il nous a confiés à notre ange gardien . - Et nous, chaque fois que nous avons un pas difficile à traverser, que nous nous sentons près de faiblir dans notre lutte incessante; nous, insensés , nous ne savons pas invoquer cet invisible ami, toujours présent à nos côtés ; nous combattons seuls, et nous sommes vaincus, tandis qu'aidés par notre bon ange , nous eussions certainement triomphé.
Relisez , mes bons amis , dans l'Ancien Testament, l'histoire du jeune Tobie (Livre de Tobie). Vous y verrez, outre un récit on ne peut plus touchant, l'image de ce que votre ange gardien fait pour vous, de ce qu'il ferait du moins, si vous preniez soin de vous adresser plus souvent à lui. Élevé par des parents pieux dans la crainte du Seigneur et l'amour de ses frères, Tobie va partir pour un long voyage. La sollicitude paternelle le place sous la conduite d 'un jeune homme, dans lequel Tobie ne voyait qu 'un compatriote obligeant, et qui, de fait, était l'archange St-Raphaël, son ange protecteur. C 'est grâce aux sages conseils de son conducteur que Tobie échappe à la mort dont le menaçait un monstre marin , qu'il termine une affaire difficile , conclut le plus heureux mariage, et que, revenant dans ses foyers , il guérit son vieux père , devenu aveugle . Je voudrais , mes bons amis , que le temps me permît de suivre pas à pas cette histoire, et de vous montrer en détail comment votre ange gardien , si vous l'invoquiez souvent et avec confiance vous ferait traverser sains et saufs les périls les plus redoutables, vous aiderait à mener à bien même vos affaires temporelles , et surtout attirerait les bénédictions du Ciel sur ces circonstances solennelles d ' un mariage ou du choix d 'un état, desquelles dépend si souvent notre bonheur ici-bas, et notre salut là -haut.
Il n 'y a pas jusqu 'à ce détail du jeune Tobie rendant la vue à son vieux père qui ne pût trouver, si vous le vouliez bien , son application dans votre vie . Votre père peut- être est loin de Dieu ; élevé à une époque malheureuse où la religion renaissait à peine, il ignore tout ce que cette divine loi renferme de lumière, de force et de consolation. Son âme est aveugle ; car elle n 'est point frappée de ces rayons éblouissants que répand autour de lui le Soleil de vérité, et pour lesquels l'oeil de notre esprit est fait comme l' oeil de notre corps pour les clartés du jour. – Eh bien , vous, mon bon ami, dans votre course à travers la vie , et dans cette succession de triomphes et de chutes qui n 'ont jamais, grâce à votre ange gardien , ébranlé votre foi, n 'avez - vous pas découvert un remède infaillible aux degrés divers de l'aveuglement humain , qu 'ils s 'appellent incrédulité , doute ou indifférence ?
La pureté , l'humilité, la charité , lorsqu 'on a dans le cœur le désir seulement, mais un désir sincère de ces divines vertus, il n ' est point d ' écailles si épaisses qui ne tombent aussitôt des yeux . Priez donc votre ange gardien , priez l' ange gardien de votre père, de lui inspirer ce désir sincère . Priez-les de vous aider à devenir l'instrument de cette illumination si ardemment désirée . Que la bonne odeur de vos mœurs chrétiennes , que la simplicité de votre modestie , que votre douceur, que votre ardente et ingénieuse charité , que votre charmante égalité d 'humeur, que tout cela soit comme un premier rayon pour ces yeux endormis dans les ténèbres : et bientôt ces yeux seront ouverts, et, comme Tobie , vous aurez la joie de voir , à votre contact, la lumière divine inonder ces paupières aimées. Lisez aussi, mes bons amis, lisez et relisez l'histoire des Saints. Vous les verrez vivre dans une intimité presque quotidienne avec leurs anges gardiens. Il semble que Dieu ait voulu récompenser la foi de ses fidèles serviteurs en leur laissant apercevoir, avec les yeux du corps, ces esprits célestes que l'œil de leur âme voyait déjà d 'un regard si assuré!
Pour nous, en apparence moins favorisés, n 'oublions pas cette parole de Notre- Seigneur à son disciple saint Thomas : Tu as cru , Thomas, parce que tu as vu ! Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu ! N 'oublions pas que les anges sont de purs esprits, c'est -à -dire des âmes sans corps; que, par conséquent, l'esprit seul peut les voir ; et que, s'il plaît à Dieu de les faire quelquefois apparaître à nos yeux matériels, c'est en les revêtant d 'un corps d ' emprunt. - Mais toutes les fois que nous pensons à notre ange gardien , que nous l' invoquons dans nos besoins, que nous remettons entre ses charitables mains les intérêts de notre âme et des âmes qui nous sont chères , nous le voyons véritablement. Car nous croyons en lui; nous ayons foi en son existence et en sa puissance . Or c'est par la foi que nous voyons le monde invisible, comme c'est par la prière que nous conversons avec lui. Revenons à notre Proverbe : Ce que Dieu garde est bien gardé. Dieu vous garde ! C 'est par ces mots que la piété de nos pères aimait à terminer une lettre ou un entretien . --- Quand nous disons plus brièvement adieu à ceux que nous aimons, pensons que cela veut dire : Je vous confie , je vous recommande à Dieu . — Adieu donc, mes bons amis. Confiés à Dieu , comment ne seriez - vous pas bien gardés ?
23 - A TOUT PÉCHÉ MISÉRICORDE
Élevons un peu nos coeurs, chers amis. Ce n 'est plus un simple proverbe que nous allons chercher à expliquer gaiement. C 'est sous une forme proverbiale, une des doctrines les plus admirables de votre sainte religion que je veux vous rappeler.
1. Pardonnez -nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; voilà ce que vous dites tous les jours dans votre Pater . Y pensez -vous? Êtes - vous bien persuadés que, de même qu'il vous est défendu d 'attenter à la vie ou à la propriété de votre prochain , de même il vous est interdit de chercher à lui rendre le mal pour le mal, ou seulement de lui en vouloir du tort qu 'il peut vous avoir fait ? Êtes-vous convaincus que la vengeance est un grand péché, et le pardon des injures un devoir bien important, puisque Dieu lui-même en a fait la condition du pardon que nous lui demandons chaque jour, et que nos offenses multipliées nous rendent si nécessaire ? Sachez bien cependant que, si vous n 'êtes pas convaincus de tout cela, vous n 'êtes pas chrétiens.
Sachez-le , et admirez la grandeur de la religion dans laquelle vous avez le bonheur d 'être nés. Avant la venue de Notre -Seigneur, alors que le monde adorait de fausses et cruelles divinités, les poètes ne consultant que les mauvais sentiments de notre nature , disaient que la vengeance était le plaisir des dieux . En effet , dans l'histoire de ces dieux prétendus, jamais ce doux sentiment de la miséricorde ne se manifestait ; la colère, la vengeance, tout au moins l'impitoyable justice, voilà quels étaient les mobiles de leurs actions. Hélas ! mes bons amis, mettez la main sur votre coeur, rappelez-vous combien souvent vous faites le mal, le besoin continuel que vous avez d 'indulgence et de pardon , et dites ce que vous deviendriez si Dieu vous jugeait, lui aussi, avec sa seule justice ; - je ne parle pas de la vengeance et de la colère ; il est trop évident que ces sentiments violents ne sauraient appartenir à la Divinité. - Aussi , Notre-Seigneur , au contraire , est- il venu apporter à la terre la charité , l'indulgence et la miséricorde. C 'est avec cette condescendance qu 'il nous juge. Mais il entend que, suivant son divin exemple, nous usions envers nos frères de douceur et de condescendance. La mesure dont vous vous servirez , est-il dit dans l'Évangile, on s' en servira avec vous. Encore une fois, chers amis, combien la Religion Chrétienne est admirable de s'adresser ainsi , non point à la partie brutale et corrompue de notre nature, mais à sa partie noble et délicate, à ce fonds de bonté que le péché originel avait vicié, mais que la Rédemption nous a rendu ; de ne pas dire , avec l'antiquité païenne : La vengeance est le plaisir des dieux, mais avec notre doux Sauveur : Heureux les miséricordieux , parce qu ' ils obtiendront miséricorde !
Le pardon des injures est semblable à ces riches métaux ou à ces pierres précieuses que la terre cache au plus profond de ses entrailles. A en juger par l'apparence, les contrées qui recèlent ces trésors sont souvent les plus stériles et les plus désolées. Ainsi le cœur de l'homme, si on s 'arrête à la surface, est enclin à tous les mauvais sentiments ; et vous pouvez, vous qui avez oublié l'Évangile , vous pouvez, ainsi que ces infortunés qui ne le connurent jamais , dire que la vengeance est un vif plaisir ; la vengeance , ce plaisir féroce, plein de trouble et de remords, et qui ne laisse après lui que désolation.
Mais creusez plus avant; demandez à l’Église , votre mère, de vous guider dans cette fouille de votre propre coeur; et, sous une couche épaisse de sentiments grossiers, tristes produits du péché , vous découvrirez l'or pur de la charité, ce diamant dont l'éclat efface tout ce que vous pouvez imaginer de plus étincelant. Oui, vous le découvrirez dans votre coeur même, après l'avoir découvert dans le cour sacré de votre bon Maître. Et, parmi les rayons de cette divine charité , le pardon des injures vous apparaîtra comme l'un des plus doux et des plus divins. Donc, à tout péché miséricorde. Quelque énormes que vous paraissent les torts de votre prochain à votre égard , et presque toujours ils vous paraîtront plus grands qu 'ils ne sont en effet, vous n 'avez pas autre chose à faire que de pardonner. Dieu vous l'ordonne : n 'est-ce pas assez ? Et puis, dans l'accomplissement de ce devoir toujours pénible à la nature irritée , vous goûterez une joie délicieuse , miséricorde qu'au dernier jour Notre-Seigneur doit faire aux miséricordieux . Comment pourriez -vous rendre le mal pour le mal, vous les disciples d 'un maître qui a prié pour ses ennemis, qui est mort pour eux ? Lorsque vous sentez les flots de la vengeance bouillonner en votre cœur, pensez à Jésus en croix, et vous vous arrêterez .
II . Un mot encore sur un second aspect de notre Proverbe; un mot à l'adresse de ceux qui, comme Judas, reconnaissent l'énormité de leurs péchés, et comme lui s'imaginent que Dieu ne leur pardonnera jamais. Comment, mes bons amis, Dieu nous fait un commandement du pardon des injures , et lui- même ne pardonnerait pas à un repentir sincère ! Non, vous ne pouvez le croire. Sondez bien votre coeur, et prenez garde de mentir à Dieu et à vous-mêmes. — Vous savez bien que Dieu pardonne toujours au repentir . Mais le repentir, vous ne l'avez pas, et vous ne voulez pas l'avoir ! Vous humilier au tribunal de la pénitence ; renoncer à vos péchés et aux occasions qui y mènent; voilà ce qui révolte votre orgueil et votre sensualité . Voilà pourquoi vous écoutez cette parole hypocrite, que le démon (l`ange déchu) murmure à votre oreille : Jamais Dieu ne te pardonnera ! C 'est lui, l`ange déchu , qui tout à l'heure vous engageait à ne pas pardonner . Prenez donc le contre- pied des insinuations de ce grand trompeur. Pardonnez vous mêmes, et ne doutez pas du pardon de Dieu .
24 - LE TEMPS FUIT ET NE REVIENT PAS.
Vous avez souvent, mes bons amis , entendu parler de cette marche précipitée du temps. Dans les livres et dans les sermons, on l'a comparé devant vous au coursier le plus agile ; à un navire fin voilier qui, le vent en poupe, fend les flots de l'Océan ; à une flèche qui traverse les airs; à un éclair que l'œil ébloui a à peine le ,loisir de contempler; enfin à tout ce que la pensée humaine peut imaginer de plus rapide. Et cependant peut- on dire que toutes ces comparaisons suffisent à définir la brièveté du temps, et sur tout à exprimer combien il est irréparable ? Il est certain qu ' elles sont insuffisantes pour nous convaincre; car, à voir l' usage inconsidéré que nous faisons du temps, l'aisance avec laquelle nous le gaspillons, notre calme parfait en le regardant fuir devant nous, qui se douterait que nous le considérons comme le plus précieux des biens, en même temps que le plus difficile à fixer ?
I. Il ne m 'appartient pas, je le sais, de vous faire å ce sujet un sermon . Seulement j'ai rencontré ce matin dans un livre italien , à propos du temps, une comparaison si juste et si frappante, que je veux vous la communiquer, et aussi les réflexions qu 'elle m 'a suggérées. « Le paysan sème, et il chante; le marchand , pour alléger le navire au milieu de la tempête, jette dans la mer ses marchandises, et il pleure ; parce que la semence se retrouve centuplée au jour de la moisson ; mais jamais les marchandises jetées à la mer ne se repêchent. » Quel est ce paysan , chers amis, et quel est ce marchand ? et que pensez-vous que figurent celte semence confiée aux entrailles fécondés de la terre , et ces marchandises abandonnées aux gouffres de l'Océan ? Le laboureur, c 'est le chrétien ; et le marchand , c'est l'homme qui ne sait pas régler sa vie d 'après les sages et douces lois de l’Église. Cette semence et ces marchandises sont l'image du temps qu 'il dépend de nous de faire fructifier, ou de perdre irrévocablement , selon l'emploi que nous en ferons. Avez-vous quelquefois assisté aux semailles ? — Sans doute , et plusieurs d 'entre vous les ont faites eux -mêmes. — Les uns et les autres, vous devez convenir que c 'est une douce et joyeuse besogne; c 'est même, pour ceux qui ont le bonheur d 'être chrétiens, une des plus frappantes occasions d 'admirer et de louer la paternelle providence du Bon Dieu . Vous jetez quelques grains dans la terre ; de chacun de ces grains, à mesure qu' il se décompose, sort et se développe un germe d 'où naît une plante qui doit porter des épis; chaque épi reproduit au centuple ce grain que vous avez semé. — Aussi, tandis qu 'il confie son grain à la terre , le laboureur, qui sait ces choses, chante. S'il connaît, s'il aime Dieu , ses chants sont un cantique de reconnaissance; toujours ils sont l'expression de sa joie et de l'empressement avec lequel, sur la foi des siècles passés , il croit à la moisson prochaine, et n 'hésite pas à sacrifier, en vue de ces grandes espérances, quelques sacs de froment, — dont pourtant il pourrait tirer , en les envoyant moudre au moulin , un profit plus immédiat .
Bien différent est le spectacle que nous présente ce marchand, s 'embarquant pour les Indes ou la Chine, avec une cargaison d 'eau -de-vie ou d 'opium. ( Il s`agit ici des marchands malhonnêtes internationaux du 19 ème siècle qui voulaient s`enrichir rapidement par des moyens immoraux – il existe encore de nos jours des gens qui veulent s`enrichir rapidement par toute sorte de moyens malhonnêtes et immoraux.) En échange de ces poisons, il voit déjà ses coffres pleins d 'or, et charme les ennuis du voyage en construisant dans son esprit une maison luxueuse. Tout à coup une violente bourrasque l'arrache à ses rêves éveillés... Une tempête furieuse s' est élevée; il faut à toute force, et sous peine de périr , alléger le navire. Notre marchand jette donc à la mer toute sa cargaison ; il le fait en pleurant; car il sait bien que jamais l'avide Océan ne rendra sa proie ; et que, s'il n 'est pas lui-même englouti par les flots , il va rentrer au port les mains vides , et n 'ayant recueilli de sa longue navigation que des dangers et des déceptions.
II . Vous êtes assez familiarisés déjà , chers lecteurs, avec le langage figuré des paraboles, pour voir quelle image fidèle du temps ces deux tableaux nous présentent. Pour le chrétien comme pour l'incroyant, le temps fuit; il n 'est irréparable que pour celui-ci. Car , pour le chrétien , le temps n ' est qu 'un moyen , qu 'une route , qu'une semence. Or le moyen mène à la fin , la route conduit au but, et la semence devient une plante qui oserait dire que le moyen est inutile, que la route est vaine, que la semence est perdue , lorsqu'on a retiré de chacune de ces choses ce qu 'elle était appelée à produire ?
Oui, pour reprendre notre comparaison , le chrétien sème le temps ; comme ces grains féconds que le laboureur jette en terre, il répand, volontairement et devant Dieu , chaque minute de son temps, dans le travail, la prière, les peines, les joies, dans tout ce qu'il plaît au Seigneur d 'ordonner de lui. Il sait que ce temps, ainsi employé, fuit rapidement sans doute , mais que, bien loin d 'être perdu pour jamais , il se retrouvera quelque jour accru plus qu'au centuple : car il s'appellera l'éternité . Aussi voit- il sans regrets cette fuite rapide du temps; il se plaît à le sacrifier lui même, et chante, toujours comme notre laboureur, heureux déjà au milieu de la fatigue des semailles, heureux déjà des joies de la moisson qu'il contemple avec l'oeil de la foi. - Ou, si quelquefois ses épreuves présentes lui arrachent quelques larmes, ce sont des larmes involontaires ; larmes de résignation et jamais de murmure ; larmes passagères enfin , puisque, à travers, la moisson toujours lui apparaît ; ce qui concilie notre passage avec cette belle figure de l’Écriture : « lls cheminaient et pleuraient, en jetant leurs semences dans la terre. Mais ils reviendront un jour pleins d 'allégresse, en portant leurs gerbes. » Tandis que le chrétien , l’oeil fixé sur une compensation certaine , sème volontairement, pour le recueillir, ce temps que Dieu lui confia , l'incroyant ressemble à notre marchand ; il voit avec douleur, quelquefois avec rage, fuir de ses mains les jours, les mois, les ans, pour tomber dans un abîme qu 'il sait être éternel. Jamais il n 'en fait volontairement le sacrifice , il les voudrait retenir ; et précisément parce qu'il s'y attache avec acharnement, parce qu'il ne sait pas les employer au service de Dieu , le temps lui échappe, sans laisser de son passage d 'autre trace que les châtiments promis, lorsque le temps ne sera plus, aux serviteurs infidèles.
III. Quelle conclusion tirer de tout cela , mes bons amis ? La conclusion à laquelle nous arriverons toujours , toutes les fois que nous voudrons examiner la conduite de la divine Providence à notre égard : une Profonde et amoureuse reconnaissance pour les bienfaits dont elle nous a comblés, pour les continuelles occasions qu'elle nous fournit, en étant fidèles à la grâce , d 'augmenter chaque jour nos bonnes œuvres, et d 'en former comme un édifice de vertu , et par conséquent de mérite, qui montera, jusqu'au ciel. – Que nous le voulions ou non , le temps fuit pour nous ; et cependant il dépend de nous de tirer de chaque instant qui passe une valeur infinie. Il suffit pour cela de l'employer en vue et selon les desseins de Dieu . Ai- je besoin de vous dire quels sont ces desseins de Dieu ? Remplir les devoirs de notre état, tel est, en résumé, ce que Dieu demande de chacun de nous; — et notre état, ce n 'est pas seulement notre profession ; nous sommes, avant tout, les enfants et les serviteurs de Dieu . Soyons donc bons chrétiens, et, selon notre position , bons pères ou bons fils, bons époux , bons amis, bons maîtres ou bons serviteurs , bons citoyens ou bons gouvernants . Aimons Dieu et nos frères ; aimons par conséquent à faire aimer Dieu autour de nous. N 'oublions pas que chaque instant consacré à la prière , à la charité, au travail, nous sera rendu centuple , si nous l'employons de bon coeur et pour obéir à Dieu ; n 'oublions pas d 'ailleurs qu'en employant ainsi le temps, en vue de l' éternité , non -seulement nous nous acquérons une place dans les tabernacles éternels, mais encore nous choisissons, dans le rapide passage de cette vie, la plus douce place et la plus consolante . En attendant la joie de la moisson , et pour la préparer, nous avons la joie des semailles. C 'a été la joie des saints. Pourquoi ne serait-elle pas la nôtre.
25 - A FORCE DE FORGER ON DEVIENT FORGERON .
La plupart d'entre vous, mes chers lecteurs , sont ouvriers, et par conséquent ont été apprentis. Causons donc un peu de vos jours d'apprentissage. . 1. Vous d ' abord , Pierre Fournier, je vous connais pour un habile horloger. Quand une montre est malade, on vous appelle pour la soigner. Pour lors, vous la regardez, d 'un air entendu, et vous dites à son propriétaire, qui n ' y connaît rien , mais qui vous croit parce que vous êtes un honnête garçon : C 'est ceci ou c'est cela . Puis vous me démontez cette petite machine je casserais , moi, si j'essayais tant seulement d 'y toucher ; vous tombez juste sur le ressort en mauvais état; vous le mettez dans un petit étau, vous le travaillez avec des instruments aussi fins qu 'un fil de soie : et voilà qui est fait; ma montre va mieux que jamais . - Eh bien , si, le premier jour de votre apprentissage, votre patron vous eût dit : Pierre, raccommode-moi cette montre, vous auriez ouvert de grands yeux , et vous vous seriez dit : Mon patron est fou , ou il me prend pour un autre. Est-ce que c'est chez lui la mode de commencer par la fin ? ou bien a -t-il quelque boisson pour rendre les gens savants sans avoir appris ? Mais on n 'a pas fait comme cela ; on a pris son temps et ses mesures; on vous a d 'abord mis après des pièces plus grosses et plus faciles à manier. Dans les commencements, vous ne faisiez pas de bien bon ouvrage, et vous gâtiez plus de ressorts que vous n ' en sépariez. Le patron grondait un peu , quoiqu 'il fut bien bon homme; et , entre nous, il avait quelquefois raison . Avec tout cela , petit à petit on gagnait du terrain , et voilà qu'au bout de trois ans, au lieu d 'un enfant étourdi et gauche qu 'on avait pris à votre mère, on lui a rendu un fin ouvrier , qui se connaît en montres de Genève mieux qu'un pêcheur à la ligne ne se connaît en carpes et en brochets . — Si vous n 'aviez pas voulu aller ainsi pas à pas, et que la fantaisie vous eût pris de faire au bout de huit jours ce que vous avez mis trois ans à apprendre, vous seriez encore un ignorant et un maladroit. Vous voyez donc qu'à force de forger on devient forgeron .
Mais il y a, mes chers mais, un métier que nous devons tous apprendre, oui, tous, les riches comme les pauvres, les notaires comme les maçons, les avocats comme les chaudronniers . C 'est le métier de bons chrétiens ; et, pour ne pas vous mentir, ce métier-là a aussi ses difficultés. Un bon chrétien est résigné à la volonté de Dieu ; et il y a des gens qui, à la moindre contrariété , sont tentés de se mettre en colère contre la Providence . Un bon chrétien ne se grise pas: et cependant, s'il s'écoutait, peut- être aimerait-il un peu trop le cabaret. Un bon chrétien pardonne à ses ennemis ; il est intraitable sur l'article de la probité ; il est chaste , il est patient, il est charitable ; et cependant il serait bien doux de se venger; on aurait bien envie de tromper , rien qu 'un peu , son prochain sur la qualité de la marchandise ; et naturellement on serait plus porté à une vie de dissipation et de débauche qu'à une vie sobre et pure. Oui, toutes les vertus du chrétien sont difficiles ; et cependant il faut les acquérir toutes. Nous ne serons jamais sauvés sans cela .
III. Je m 'attends bien qu'alors vous allez me dire, comme Louis Dubreuil pour ses bottes : Mais nous ne pourrons jamais ; c'est trop fort pour nous. Vous êtes comme un paresseux qu 'on mettrait au bas d 'une montagne élevée , et à qui on dirait : Grimpe là -haut. Il commencerait par se récrier aussi, et dire : Je ne peux pas. Moi, je lui dis , et je vous dis , que cela n 'est pas vrai, et que vous le pouvez . On ne demande pas à ce clampin de prendre des ailes pour arriver en un clin d ' oeil au sommet de la montagne. On lui demande de prendre un sentier, et de le suivre pas à pas, lui promettant que, s 'il a de la bonne volonté, il trouvera aussi de la force . De même on ne vous dit pas : Il faut que, du jour au lendemain , vous deveniez parfaits, qu 'il ne s 'élève plus dans votre coeur aucun murmure, aucun désir de vengeance, aucune pensée sensuelle. On vous dit : Il faut que vous travailliez de bon coeur à acquérir les vertus qui vous manquent; et, si votre désir est sincère, si vous priez Dieu de venir à votre secours, il y viendra , n 'en doutez pas. Vous n 'arriverez pas au but aussi vite et aussi droit qu'une flèche ; mais vous arriverez. Allez d 'abord au plus pressé : attaquez vous à votre plus grand ennemi; je veux dire vous le dise. Puis, prenez en un second, puis un troisième, n 'oubliant jamais de demander à Dieu , sans lequel vous ne pouvez rien , d 'aider votre faiblesse et d 'affermir votre volonté. De cette façon , je réponds du succès ; ou plutôt Dieu vous en répond lui-même.
IV . J'entends cependant Jean Micou , qui n 'est pas convaincu , et qui me dit : Mais cela n 'est pas toujours vrai qu'à force de forger on devient forgeron . Moi, par exemple , on avait voulu faire de moi un graveur : eh bien , je n 'ai jamais pu y mordre, il a fallu me donner un autre état. Et voilà pourquoi vous me voyez avec un tablier de charron : sans vanité , je réussis assez bien dans cette partie-là. Qui sait s' il n 'y en a pas qui sont aussi mal faits pour être bons chrétiens que moi pour être graveur ? Voilà ce que dit Jean Micou ; et voici ce que je lui réponds : Il n 'en est pas du métier de chrétien comme de ceux dont nous avons parlé d'abord. Comme il faut dans le monde des gens de divers états, il est tout simple que tel homme soit capable de réussir dans une profession , et incapable de rien faire de bon dans une autre . Mais le métier de chrétien est celui que tous doivent avoir. Et Dieu , qui n 'en dispense personne, est trop juste et trop bon pour refuser à aucun de nous le pouvoir d' y réussir . Il y a dans notre France, mes bons amis, bien des métiers; mais, au-dessus de toutes ces professions, il y a celle de Français ; et je vous demande un peu comment vous traiteriez celui qui dirait : Moi, je ne suis pas fait pour être Français; c'est trop fort pour moi, et qui, sous ce beau prétexte , se croirait dispensé de servir son pays. Vous lui diriez qu' il est un traître et un lâche, et vous auriez raison . Eh bien , nous avons une autre patrie plus belle que la France ; c'est le ciel ; et ceux qui veulent être citoyens de cette patrie, ce sont les bons chrétiens. Comment alors faut-il appeler ceux qui renoncent à cette patrie , sous prétexte que c'est trop fort pour eux d 'être bons chrétiens, et qu 'il faut se donner trop de mal pour le devenir ? Nous aurions le droit de leur donner des noms qui ne leur feraient point plaisir. Mais nous aimons mieux croire que jusqu'ici ils ont péché par ignorance plutôt que par malice ; et nous avons bon espoir que désormais, quand les difficultés que l'on rencontre dans la pratique du bien seront sur le point de les décourager , ils commenceront par demander avec ferveur à Dieu un secours qu'il ne refuse jamais, et se mettront ensuite bravement à l’œuvre, en prenant pour refrain : A force de forger , on devient forgeron .
la suite bientôt
1. Il est plus difficile, a dit un ancien , de conserver une province que de la conquérir. On en pourrait donner d 'excellentes raisons mais ans aller aussi loin , mes bons amis, et sans parler de provinces, que nous n 'aurons jamais sans doute , ni vous ni moi, à conquérir pas plus qu 'à conserver , avez- vous quelquefois remarqué combien , en toutes choses, la conservation est difficile ? La science que vous avez acquise comment vous jouant, gardez vous de la laisser dormir (ne fût-ce que quelques mois ) dans un coin de votre mémoire ; lorsque vous irez l’y chercher , vous ne la trouverez plus. L'argent que vous avez gagné par un travail pénible, il est vrai, mais joyeux pourtant, si vous n 'en faites un emploi immédiat, ou si vous n 'en confiez la garde à votre sage ménagère, - n 'est-il pas vrai qu'il séjourne à peine dans votre poche ou dans votre bourse, et que tout à coup , sans que vous sachiez comment, il vous échappe ? Parlerai-je des bons principes que vous avez cherché à inspirer à vos enfants, et qui, au premier contact du monde et des passions, ont disparu sans presque laisser de traces? Quoi de plus difficile à un peuple que de garder ses institutions, à un marchand de garder ses pratiques, à l'homme, en général, de garder ses bonnes résolutions, au chrétien de garder la grâce ?
II . Et voilà précisément, chers lecteurs, ce qui fait la nécessité en même temps que la vérité de notre Proverbe. Oh ! oui, ce que Dieu garde est bien gardé. Dieu d ' abord , à la différence des gardiens de la terre, est un gardien désintéressé. Ici-bas, ce n 'est pas chose sans exemple de voir un gouverneur s' emparer, pour son compte , de la province qu 'il devait garder au nom de son souverain ; ou bien un banquier s 'enfuir avec l'argent, que vous avez vu des assemblées et des armées renverser ce qu'elles devaient défendre . – En un mot, l'homme, en se confiant à l'homme, ne sait jamais, d 'une certitude absolue, si sa confiance n 'est pas mal placée. — Dieu , au contraire, n 'a nul besoin des biens que nous possédons, biens que d 'ailleurs nous ne tenons que de lui. Souverainement heureux par lui-même, il ne prend en mains nos intérêts que par amour pour nous. Et puis , comme il est souverainement puissant, l'appui qu 'il nous prête est efficace autant qu 'il est désintéressé . Oui, mes bons amis , Dieu seul peut, Dieu seul veut nous bien garder . – Ne cherchons donc pas d 'autre protecteur ; mettons sous sa garde puissante et bénie tout ce que nous avons de précieux . -
III . Mais cette grande grâce d 'être gardés de Dieu , vous comprenez qu 'il la faut mériter. En d 'autres termes, pour obtenir que Dieu nous garde, il est juste que nous prenions la peine de le lui demander ; et, pour voir notre demande accueillie , il faut commencer par remplir nos devoirs envers Dieu . Que diriez - vous d 'un fils qui, vivant sous le même toit que son père , passerait cependant des jours, des mois et des années sans lui parler, sans lui rendre ces hommages que le respect et l'amour inspirent au coeur de tout enfant bien né ? Qu 'en diriez - vous surtout-si, malgré ce silence, malgré cette indigne et grossière conduite, il comptait sur la protection de ce père méprisé ? s'il la réclamait même au jour du danger ? C ' est votre histoire , mon bon ami, si vous manquez à vos devoirs envers Dieu et que vous espériez cependant qu 'il vous garde. Commencez par devenir un bon et fidèle chrétien . Alors ce sera le coeur libre, avec l'élan d 'un fils tendre et respectueux, que vous implorerez la protection de votre père céleste sur tout ce qui vous intéresse. Sous cette garde puissante , vos affaires temporelles seront en sûreté. — D 'abord, par cela seul que vous vous éloignerez des passions mauvaises , vous éviterez mille écueils contre lesquels viennent chaque jour se briser la santé, la fortune, la paix , le bonheur de ceux qui sont loin de Dieu . Mais surtout c'est votre âme, ce sont les âmes qui vous sont chères, que vous ne vous lasserez pas de mettre sous la sauvegarde de la divine providence. . Et quoi de plus légitime qu'une telle sollicitude ? Plus une chose est précieuse , plus il la faut conserver avec soin . Or est-il rien d 'aussi précieux que nos âmes? Et, lorsque ce bien si précieux est convoité par un ennemi redoutable, quel puissant protecteur ne lui faut il pas donner ! Ignorez - vous que le démon (l`ange déchu) tourne nuit et jour autour de notre âme, comme un lion furieux qui cherche à la dévorer ? (1 Pierre 5,8) - Ce sont les propres expressions de l’Église . Donc nous devons travailler à lui opposer celui devant lequel il tremble comme devant son maître : Dieu lui-même. Et pour cela , mes bons amis, ayons soin d 'employer docilement les moyens que ce grand Dieu daigne nous indiquer. Allons chercher la force là où il l'a mise ; c'est- à -dire, comme nous avons eu déjà plus d 'une occasion de le rappeler : dans la prière et dans les sacrements.
IV. Mais ce n 'est pas tout. Et vous m 'en voudriez de prendre congé de notre Proverbe, sans avoir rien dit de votre ange gardien , ce fidèle et charitable guide, comme dit la prière du matin , à qui Dieu lui-même a spécialement confié le soin de vous protéger . Il y aurait tout un livre à faire sur ce sujet que nous ne pouvons qu 'effleurer ici. Vous avez quelquefois, chers lecteurs, entendu parler des déserts brûlants de l'Afrique, et des périls qu 'offre leur traversée . Eh bien , voyez ce jeune écervelé. Il va s 'engager dans cette mer de sable . Un prince puissant, et qui lui veut du bien , lui offre une redoutable escorte . Lui, refuse ; ou bien s'il accepte, il a toujours soin de se tenir à une grande distance de la troupe armée qui doit le protéger. Et, quand des féroces l'attaquent, il se défend seul, au lieu de leur opposer une force supérieure, qui bien vite les mettrait en fuite . Aussi sera - t - il certainement dépouillé , peut- être emmené en esclavage , peut-être mis å mort. Nous voyageons, mes bons amis , dans un pays que l'on appelle la vie , et où les dangers sont bien autrement terribles qu 'au coeur du Sahara. Le plus puissant des princes, le Roi des rois , Dieu lui-même, qui nous aime, qui désire que nous triomphions de tous les obstacles semés sur notre route, Dieu nous a remis entre les mains d 'un esprit céleste , dont les lumières, dont la vive tendresse , nous valent mieux qu'une armée : il nous a confiés à notre ange gardien . - Et nous, chaque fois que nous avons un pas difficile à traverser, que nous nous sentons près de faiblir dans notre lutte incessante; nous, insensés , nous ne savons pas invoquer cet invisible ami, toujours présent à nos côtés ; nous combattons seuls, et nous sommes vaincus, tandis qu'aidés par notre bon ange , nous eussions certainement triomphé.
Relisez , mes bons amis , dans l'Ancien Testament, l'histoire du jeune Tobie (Livre de Tobie). Vous y verrez, outre un récit on ne peut plus touchant, l'image de ce que votre ange gardien fait pour vous, de ce qu'il ferait du moins, si vous preniez soin de vous adresser plus souvent à lui. Élevé par des parents pieux dans la crainte du Seigneur et l'amour de ses frères, Tobie va partir pour un long voyage. La sollicitude paternelle le place sous la conduite d 'un jeune homme, dans lequel Tobie ne voyait qu 'un compatriote obligeant, et qui, de fait, était l'archange St-Raphaël, son ange protecteur. C 'est grâce aux sages conseils de son conducteur que Tobie échappe à la mort dont le menaçait un monstre marin , qu'il termine une affaire difficile , conclut le plus heureux mariage, et que, revenant dans ses foyers , il guérit son vieux père , devenu aveugle . Je voudrais , mes bons amis , que le temps me permît de suivre pas à pas cette histoire, et de vous montrer en détail comment votre ange gardien , si vous l'invoquiez souvent et avec confiance vous ferait traverser sains et saufs les périls les plus redoutables, vous aiderait à mener à bien même vos affaires temporelles , et surtout attirerait les bénédictions du Ciel sur ces circonstances solennelles d ' un mariage ou du choix d 'un état, desquelles dépend si souvent notre bonheur ici-bas, et notre salut là -haut.
Il n 'y a pas jusqu 'à ce détail du jeune Tobie rendant la vue à son vieux père qui ne pût trouver, si vous le vouliez bien , son application dans votre vie . Votre père peut- être est loin de Dieu ; élevé à une époque malheureuse où la religion renaissait à peine, il ignore tout ce que cette divine loi renferme de lumière, de force et de consolation. Son âme est aveugle ; car elle n 'est point frappée de ces rayons éblouissants que répand autour de lui le Soleil de vérité, et pour lesquels l'oeil de notre esprit est fait comme l' oeil de notre corps pour les clartés du jour. – Eh bien , vous, mon bon ami, dans votre course à travers la vie , et dans cette succession de triomphes et de chutes qui n 'ont jamais, grâce à votre ange gardien , ébranlé votre foi, n 'avez - vous pas découvert un remède infaillible aux degrés divers de l'aveuglement humain , qu 'ils s 'appellent incrédulité , doute ou indifférence ?
La pureté , l'humilité, la charité , lorsqu 'on a dans le cœur le désir seulement, mais un désir sincère de ces divines vertus, il n ' est point d ' écailles si épaisses qui ne tombent aussitôt des yeux . Priez donc votre ange gardien , priez l' ange gardien de votre père, de lui inspirer ce désir sincère . Priez-les de vous aider à devenir l'instrument de cette illumination si ardemment désirée . Que la bonne odeur de vos mœurs chrétiennes , que la simplicité de votre modestie , que votre douceur, que votre ardente et ingénieuse charité , que votre charmante égalité d 'humeur, que tout cela soit comme un premier rayon pour ces yeux endormis dans les ténèbres : et bientôt ces yeux seront ouverts, et, comme Tobie , vous aurez la joie de voir , à votre contact, la lumière divine inonder ces paupières aimées. Lisez aussi, mes bons amis, lisez et relisez l'histoire des Saints. Vous les verrez vivre dans une intimité presque quotidienne avec leurs anges gardiens. Il semble que Dieu ait voulu récompenser la foi de ses fidèles serviteurs en leur laissant apercevoir, avec les yeux du corps, ces esprits célestes que l'œil de leur âme voyait déjà d 'un regard si assuré!
Pour nous, en apparence moins favorisés, n 'oublions pas cette parole de Notre- Seigneur à son disciple saint Thomas : Tu as cru , Thomas, parce que tu as vu ! Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu ! N 'oublions pas que les anges sont de purs esprits, c'est -à -dire des âmes sans corps; que, par conséquent, l'esprit seul peut les voir ; et que, s'il plaît à Dieu de les faire quelquefois apparaître à nos yeux matériels, c'est en les revêtant d 'un corps d ' emprunt. - Mais toutes les fois que nous pensons à notre ange gardien , que nous l' invoquons dans nos besoins, que nous remettons entre ses charitables mains les intérêts de notre âme et des âmes qui nous sont chères , nous le voyons véritablement. Car nous croyons en lui; nous ayons foi en son existence et en sa puissance . Or c'est par la foi que nous voyons le monde invisible, comme c'est par la prière que nous conversons avec lui. Revenons à notre Proverbe : Ce que Dieu garde est bien gardé. Dieu vous garde ! C 'est par ces mots que la piété de nos pères aimait à terminer une lettre ou un entretien . --- Quand nous disons plus brièvement adieu à ceux que nous aimons, pensons que cela veut dire : Je vous confie , je vous recommande à Dieu . — Adieu donc, mes bons amis. Confiés à Dieu , comment ne seriez - vous pas bien gardés ?
23 - A TOUT PÉCHÉ MISÉRICORDE
Élevons un peu nos coeurs, chers amis. Ce n 'est plus un simple proverbe que nous allons chercher à expliquer gaiement. C 'est sous une forme proverbiale, une des doctrines les plus admirables de votre sainte religion que je veux vous rappeler.
1. Pardonnez -nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ; voilà ce que vous dites tous les jours dans votre Pater . Y pensez -vous? Êtes - vous bien persuadés que, de même qu'il vous est défendu d 'attenter à la vie ou à la propriété de votre prochain , de même il vous est interdit de chercher à lui rendre le mal pour le mal, ou seulement de lui en vouloir du tort qu 'il peut vous avoir fait ? Êtes-vous convaincus que la vengeance est un grand péché, et le pardon des injures un devoir bien important, puisque Dieu lui-même en a fait la condition du pardon que nous lui demandons chaque jour, et que nos offenses multipliées nous rendent si nécessaire ? Sachez bien cependant que, si vous n 'êtes pas convaincus de tout cela, vous n 'êtes pas chrétiens.
Sachez-le , et admirez la grandeur de la religion dans laquelle vous avez le bonheur d 'être nés. Avant la venue de Notre -Seigneur, alors que le monde adorait de fausses et cruelles divinités, les poètes ne consultant que les mauvais sentiments de notre nature , disaient que la vengeance était le plaisir des dieux . En effet , dans l'histoire de ces dieux prétendus, jamais ce doux sentiment de la miséricorde ne se manifestait ; la colère, la vengeance, tout au moins l'impitoyable justice, voilà quels étaient les mobiles de leurs actions. Hélas ! mes bons amis, mettez la main sur votre coeur, rappelez-vous combien souvent vous faites le mal, le besoin continuel que vous avez d 'indulgence et de pardon , et dites ce que vous deviendriez si Dieu vous jugeait, lui aussi, avec sa seule justice ; - je ne parle pas de la vengeance et de la colère ; il est trop évident que ces sentiments violents ne sauraient appartenir à la Divinité. - Aussi , Notre-Seigneur , au contraire , est- il venu apporter à la terre la charité , l'indulgence et la miséricorde. C 'est avec cette condescendance qu 'il nous juge. Mais il entend que, suivant son divin exemple, nous usions envers nos frères de douceur et de condescendance. La mesure dont vous vous servirez , est-il dit dans l'Évangile, on s' en servira avec vous. Encore une fois, chers amis, combien la Religion Chrétienne est admirable de s'adresser ainsi , non point à la partie brutale et corrompue de notre nature, mais à sa partie noble et délicate, à ce fonds de bonté que le péché originel avait vicié, mais que la Rédemption nous a rendu ; de ne pas dire , avec l'antiquité païenne : La vengeance est le plaisir des dieux, mais avec notre doux Sauveur : Heureux les miséricordieux , parce qu ' ils obtiendront miséricorde !
Le pardon des injures est semblable à ces riches métaux ou à ces pierres précieuses que la terre cache au plus profond de ses entrailles. A en juger par l'apparence, les contrées qui recèlent ces trésors sont souvent les plus stériles et les plus désolées. Ainsi le cœur de l'homme, si on s 'arrête à la surface, est enclin à tous les mauvais sentiments ; et vous pouvez, vous qui avez oublié l'Évangile , vous pouvez, ainsi que ces infortunés qui ne le connurent jamais , dire que la vengeance est un vif plaisir ; la vengeance , ce plaisir féroce, plein de trouble et de remords, et qui ne laisse après lui que désolation.
Mais creusez plus avant; demandez à l’Église , votre mère, de vous guider dans cette fouille de votre propre coeur; et, sous une couche épaisse de sentiments grossiers, tristes produits du péché , vous découvrirez l'or pur de la charité, ce diamant dont l'éclat efface tout ce que vous pouvez imaginer de plus étincelant. Oui, vous le découvrirez dans votre coeur même, après l'avoir découvert dans le cour sacré de votre bon Maître. Et, parmi les rayons de cette divine charité , le pardon des injures vous apparaîtra comme l'un des plus doux et des plus divins. Donc, à tout péché miséricorde. Quelque énormes que vous paraissent les torts de votre prochain à votre égard , et presque toujours ils vous paraîtront plus grands qu 'ils ne sont en effet, vous n 'avez pas autre chose à faire que de pardonner. Dieu vous l'ordonne : n 'est-ce pas assez ? Et puis, dans l'accomplissement de ce devoir toujours pénible à la nature irritée , vous goûterez une joie délicieuse , miséricorde qu'au dernier jour Notre-Seigneur doit faire aux miséricordieux . Comment pourriez -vous rendre le mal pour le mal, vous les disciples d 'un maître qui a prié pour ses ennemis, qui est mort pour eux ? Lorsque vous sentez les flots de la vengeance bouillonner en votre cœur, pensez à Jésus en croix, et vous vous arrêterez .
II . Un mot encore sur un second aspect de notre Proverbe; un mot à l'adresse de ceux qui, comme Judas, reconnaissent l'énormité de leurs péchés, et comme lui s'imaginent que Dieu ne leur pardonnera jamais. Comment, mes bons amis, Dieu nous fait un commandement du pardon des injures , et lui- même ne pardonnerait pas à un repentir sincère ! Non, vous ne pouvez le croire. Sondez bien votre coeur, et prenez garde de mentir à Dieu et à vous-mêmes. — Vous savez bien que Dieu pardonne toujours au repentir . Mais le repentir, vous ne l'avez pas, et vous ne voulez pas l'avoir ! Vous humilier au tribunal de la pénitence ; renoncer à vos péchés et aux occasions qui y mènent; voilà ce qui révolte votre orgueil et votre sensualité . Voilà pourquoi vous écoutez cette parole hypocrite, que le démon (l`ange déchu) murmure à votre oreille : Jamais Dieu ne te pardonnera ! C 'est lui, l`ange déchu , qui tout à l'heure vous engageait à ne pas pardonner . Prenez donc le contre- pied des insinuations de ce grand trompeur. Pardonnez vous mêmes, et ne doutez pas du pardon de Dieu .
24 - LE TEMPS FUIT ET NE REVIENT PAS.
Vous avez souvent, mes bons amis , entendu parler de cette marche précipitée du temps. Dans les livres et dans les sermons, on l'a comparé devant vous au coursier le plus agile ; à un navire fin voilier qui, le vent en poupe, fend les flots de l'Océan ; à une flèche qui traverse les airs; à un éclair que l'œil ébloui a à peine le ,loisir de contempler; enfin à tout ce que la pensée humaine peut imaginer de plus rapide. Et cependant peut- on dire que toutes ces comparaisons suffisent à définir la brièveté du temps, et sur tout à exprimer combien il est irréparable ? Il est certain qu ' elles sont insuffisantes pour nous convaincre; car, à voir l' usage inconsidéré que nous faisons du temps, l'aisance avec laquelle nous le gaspillons, notre calme parfait en le regardant fuir devant nous, qui se douterait que nous le considérons comme le plus précieux des biens, en même temps que le plus difficile à fixer ?
I. Il ne m 'appartient pas, je le sais, de vous faire å ce sujet un sermon . Seulement j'ai rencontré ce matin dans un livre italien , à propos du temps, une comparaison si juste et si frappante, que je veux vous la communiquer, et aussi les réflexions qu 'elle m 'a suggérées. « Le paysan sème, et il chante; le marchand , pour alléger le navire au milieu de la tempête, jette dans la mer ses marchandises, et il pleure ; parce que la semence se retrouve centuplée au jour de la moisson ; mais jamais les marchandises jetées à la mer ne se repêchent. » Quel est ce paysan , chers amis, et quel est ce marchand ? et que pensez-vous que figurent celte semence confiée aux entrailles fécondés de la terre , et ces marchandises abandonnées aux gouffres de l'Océan ? Le laboureur, c 'est le chrétien ; et le marchand , c'est l'homme qui ne sait pas régler sa vie d 'après les sages et douces lois de l’Église. Cette semence et ces marchandises sont l'image du temps qu 'il dépend de nous de faire fructifier, ou de perdre irrévocablement , selon l'emploi que nous en ferons. Avez-vous quelquefois assisté aux semailles ? — Sans doute , et plusieurs d 'entre vous les ont faites eux -mêmes. — Les uns et les autres, vous devez convenir que c 'est une douce et joyeuse besogne; c 'est même, pour ceux qui ont le bonheur d 'être chrétiens, une des plus frappantes occasions d 'admirer et de louer la paternelle providence du Bon Dieu . Vous jetez quelques grains dans la terre ; de chacun de ces grains, à mesure qu' il se décompose, sort et se développe un germe d 'où naît une plante qui doit porter des épis; chaque épi reproduit au centuple ce grain que vous avez semé. — Aussi, tandis qu 'il confie son grain à la terre , le laboureur, qui sait ces choses, chante. S'il connaît, s'il aime Dieu , ses chants sont un cantique de reconnaissance; toujours ils sont l'expression de sa joie et de l'empressement avec lequel, sur la foi des siècles passés , il croit à la moisson prochaine, et n 'hésite pas à sacrifier, en vue de ces grandes espérances, quelques sacs de froment, — dont pourtant il pourrait tirer , en les envoyant moudre au moulin , un profit plus immédiat .
Bien différent est le spectacle que nous présente ce marchand, s 'embarquant pour les Indes ou la Chine, avec une cargaison d 'eau -de-vie ou d 'opium. ( Il s`agit ici des marchands malhonnêtes internationaux du 19 ème siècle qui voulaient s`enrichir rapidement par des moyens immoraux – il existe encore de nos jours des gens qui veulent s`enrichir rapidement par toute sorte de moyens malhonnêtes et immoraux.) En échange de ces poisons, il voit déjà ses coffres pleins d 'or, et charme les ennuis du voyage en construisant dans son esprit une maison luxueuse. Tout à coup une violente bourrasque l'arrache à ses rêves éveillés... Une tempête furieuse s' est élevée; il faut à toute force, et sous peine de périr , alléger le navire. Notre marchand jette donc à la mer toute sa cargaison ; il le fait en pleurant; car il sait bien que jamais l'avide Océan ne rendra sa proie ; et que, s'il n 'est pas lui-même englouti par les flots , il va rentrer au port les mains vides , et n 'ayant recueilli de sa longue navigation que des dangers et des déceptions.
II . Vous êtes assez familiarisés déjà , chers lecteurs, avec le langage figuré des paraboles, pour voir quelle image fidèle du temps ces deux tableaux nous présentent. Pour le chrétien comme pour l'incroyant, le temps fuit; il n 'est irréparable que pour celui-ci. Car , pour le chrétien , le temps n ' est qu 'un moyen , qu 'une route , qu'une semence. Or le moyen mène à la fin , la route conduit au but, et la semence devient une plante qui oserait dire que le moyen est inutile, que la route est vaine, que la semence est perdue , lorsqu'on a retiré de chacune de ces choses ce qu 'elle était appelée à produire ?
Oui, pour reprendre notre comparaison , le chrétien sème le temps ; comme ces grains féconds que le laboureur jette en terre, il répand, volontairement et devant Dieu , chaque minute de son temps, dans le travail, la prière, les peines, les joies, dans tout ce qu'il plaît au Seigneur d 'ordonner de lui. Il sait que ce temps, ainsi employé, fuit rapidement sans doute , mais que, bien loin d 'être perdu pour jamais , il se retrouvera quelque jour accru plus qu'au centuple : car il s'appellera l'éternité . Aussi voit- il sans regrets cette fuite rapide du temps; il se plaît à le sacrifier lui même, et chante, toujours comme notre laboureur, heureux déjà au milieu de la fatigue des semailles, heureux déjà des joies de la moisson qu'il contemple avec l'oeil de la foi. - Ou, si quelquefois ses épreuves présentes lui arrachent quelques larmes, ce sont des larmes involontaires ; larmes de résignation et jamais de murmure ; larmes passagères enfin , puisque, à travers, la moisson toujours lui apparaît ; ce qui concilie notre passage avec cette belle figure de l’Écriture : « lls cheminaient et pleuraient, en jetant leurs semences dans la terre. Mais ils reviendront un jour pleins d 'allégresse, en portant leurs gerbes. » Tandis que le chrétien , l’oeil fixé sur une compensation certaine , sème volontairement, pour le recueillir, ce temps que Dieu lui confia , l'incroyant ressemble à notre marchand ; il voit avec douleur, quelquefois avec rage, fuir de ses mains les jours, les mois, les ans, pour tomber dans un abîme qu 'il sait être éternel. Jamais il n 'en fait volontairement le sacrifice , il les voudrait retenir ; et précisément parce qu'il s'y attache avec acharnement, parce qu'il ne sait pas les employer au service de Dieu , le temps lui échappe, sans laisser de son passage d 'autre trace que les châtiments promis, lorsque le temps ne sera plus, aux serviteurs infidèles.
III. Quelle conclusion tirer de tout cela , mes bons amis ? La conclusion à laquelle nous arriverons toujours , toutes les fois que nous voudrons examiner la conduite de la divine Providence à notre égard : une Profonde et amoureuse reconnaissance pour les bienfaits dont elle nous a comblés, pour les continuelles occasions qu'elle nous fournit, en étant fidèles à la grâce , d 'augmenter chaque jour nos bonnes œuvres, et d 'en former comme un édifice de vertu , et par conséquent de mérite, qui montera, jusqu'au ciel. – Que nous le voulions ou non , le temps fuit pour nous ; et cependant il dépend de nous de tirer de chaque instant qui passe une valeur infinie. Il suffit pour cela de l'employer en vue et selon les desseins de Dieu . Ai- je besoin de vous dire quels sont ces desseins de Dieu ? Remplir les devoirs de notre état, tel est, en résumé, ce que Dieu demande de chacun de nous; — et notre état, ce n 'est pas seulement notre profession ; nous sommes, avant tout, les enfants et les serviteurs de Dieu . Soyons donc bons chrétiens, et, selon notre position , bons pères ou bons fils, bons époux , bons amis, bons maîtres ou bons serviteurs , bons citoyens ou bons gouvernants . Aimons Dieu et nos frères ; aimons par conséquent à faire aimer Dieu autour de nous. N 'oublions pas que chaque instant consacré à la prière , à la charité, au travail, nous sera rendu centuple , si nous l'employons de bon coeur et pour obéir à Dieu ; n 'oublions pas d 'ailleurs qu'en employant ainsi le temps, en vue de l' éternité , non -seulement nous nous acquérons une place dans les tabernacles éternels, mais encore nous choisissons, dans le rapide passage de cette vie, la plus douce place et la plus consolante . En attendant la joie de la moisson , et pour la préparer, nous avons la joie des semailles. C 'a été la joie des saints. Pourquoi ne serait-elle pas la nôtre.
25 - A FORCE DE FORGER ON DEVIENT FORGERON .
La plupart d'entre vous, mes chers lecteurs , sont ouvriers, et par conséquent ont été apprentis. Causons donc un peu de vos jours d'apprentissage. . 1. Vous d ' abord , Pierre Fournier, je vous connais pour un habile horloger. Quand une montre est malade, on vous appelle pour la soigner. Pour lors, vous la regardez, d 'un air entendu, et vous dites à son propriétaire, qui n ' y connaît rien , mais qui vous croit parce que vous êtes un honnête garçon : C 'est ceci ou c'est cela . Puis vous me démontez cette petite machine je casserais , moi, si j'essayais tant seulement d 'y toucher ; vous tombez juste sur le ressort en mauvais état; vous le mettez dans un petit étau, vous le travaillez avec des instruments aussi fins qu 'un fil de soie : et voilà qui est fait; ma montre va mieux que jamais . - Eh bien , si, le premier jour de votre apprentissage, votre patron vous eût dit : Pierre, raccommode-moi cette montre, vous auriez ouvert de grands yeux , et vous vous seriez dit : Mon patron est fou , ou il me prend pour un autre. Est-ce que c'est chez lui la mode de commencer par la fin ? ou bien a -t-il quelque boisson pour rendre les gens savants sans avoir appris ? Mais on n 'a pas fait comme cela ; on a pris son temps et ses mesures; on vous a d 'abord mis après des pièces plus grosses et plus faciles à manier. Dans les commencements, vous ne faisiez pas de bien bon ouvrage, et vous gâtiez plus de ressorts que vous n ' en sépariez. Le patron grondait un peu , quoiqu 'il fut bien bon homme; et , entre nous, il avait quelquefois raison . Avec tout cela , petit à petit on gagnait du terrain , et voilà qu'au bout de trois ans, au lieu d 'un enfant étourdi et gauche qu 'on avait pris à votre mère, on lui a rendu un fin ouvrier , qui se connaît en montres de Genève mieux qu'un pêcheur à la ligne ne se connaît en carpes et en brochets . — Si vous n 'aviez pas voulu aller ainsi pas à pas, et que la fantaisie vous eût pris de faire au bout de huit jours ce que vous avez mis trois ans à apprendre, vous seriez encore un ignorant et un maladroit. Vous voyez donc qu'à force de forger on devient forgeron .
Mais il y a, mes chers mais, un métier que nous devons tous apprendre, oui, tous, les riches comme les pauvres, les notaires comme les maçons, les avocats comme les chaudronniers . C 'est le métier de bons chrétiens ; et, pour ne pas vous mentir, ce métier-là a aussi ses difficultés. Un bon chrétien est résigné à la volonté de Dieu ; et il y a des gens qui, à la moindre contrariété , sont tentés de se mettre en colère contre la Providence . Un bon chrétien ne se grise pas: et cependant, s'il s'écoutait, peut- être aimerait-il un peu trop le cabaret. Un bon chrétien pardonne à ses ennemis ; il est intraitable sur l'article de la probité ; il est chaste , il est patient, il est charitable ; et cependant il serait bien doux de se venger; on aurait bien envie de tromper , rien qu 'un peu , son prochain sur la qualité de la marchandise ; et naturellement on serait plus porté à une vie de dissipation et de débauche qu'à une vie sobre et pure. Oui, toutes les vertus du chrétien sont difficiles ; et cependant il faut les acquérir toutes. Nous ne serons jamais sauvés sans cela .
III. Je m 'attends bien qu'alors vous allez me dire, comme Louis Dubreuil pour ses bottes : Mais nous ne pourrons jamais ; c'est trop fort pour nous. Vous êtes comme un paresseux qu 'on mettrait au bas d 'une montagne élevée , et à qui on dirait : Grimpe là -haut. Il commencerait par se récrier aussi, et dire : Je ne peux pas. Moi, je lui dis , et je vous dis , que cela n 'est pas vrai, et que vous le pouvez . On ne demande pas à ce clampin de prendre des ailes pour arriver en un clin d ' oeil au sommet de la montagne. On lui demande de prendre un sentier, et de le suivre pas à pas, lui promettant que, s 'il a de la bonne volonté, il trouvera aussi de la force . De même on ne vous dit pas : Il faut que, du jour au lendemain , vous deveniez parfaits, qu 'il ne s 'élève plus dans votre coeur aucun murmure, aucun désir de vengeance, aucune pensée sensuelle. On vous dit : Il faut que vous travailliez de bon coeur à acquérir les vertus qui vous manquent; et, si votre désir est sincère, si vous priez Dieu de venir à votre secours, il y viendra , n 'en doutez pas. Vous n 'arriverez pas au but aussi vite et aussi droit qu'une flèche ; mais vous arriverez. Allez d 'abord au plus pressé : attaquez vous à votre plus grand ennemi; je veux dire vous le dise. Puis, prenez en un second, puis un troisième, n 'oubliant jamais de demander à Dieu , sans lequel vous ne pouvez rien , d 'aider votre faiblesse et d 'affermir votre volonté. De cette façon , je réponds du succès ; ou plutôt Dieu vous en répond lui-même.
IV . J'entends cependant Jean Micou , qui n 'est pas convaincu , et qui me dit : Mais cela n 'est pas toujours vrai qu'à force de forger on devient forgeron . Moi, par exemple , on avait voulu faire de moi un graveur : eh bien , je n 'ai jamais pu y mordre, il a fallu me donner un autre état. Et voilà pourquoi vous me voyez avec un tablier de charron : sans vanité , je réussis assez bien dans cette partie-là. Qui sait s' il n 'y en a pas qui sont aussi mal faits pour être bons chrétiens que moi pour être graveur ? Voilà ce que dit Jean Micou ; et voici ce que je lui réponds : Il n 'en est pas du métier de chrétien comme de ceux dont nous avons parlé d'abord. Comme il faut dans le monde des gens de divers états, il est tout simple que tel homme soit capable de réussir dans une profession , et incapable de rien faire de bon dans une autre . Mais le métier de chrétien est celui que tous doivent avoir. Et Dieu , qui n 'en dispense personne, est trop juste et trop bon pour refuser à aucun de nous le pouvoir d' y réussir . Il y a dans notre France, mes bons amis, bien des métiers; mais, au-dessus de toutes ces professions, il y a celle de Français ; et je vous demande un peu comment vous traiteriez celui qui dirait : Moi, je ne suis pas fait pour être Français; c'est trop fort pour moi, et qui, sous ce beau prétexte , se croirait dispensé de servir son pays. Vous lui diriez qu' il est un traître et un lâche, et vous auriez raison . Eh bien , nous avons une autre patrie plus belle que la France ; c'est le ciel ; et ceux qui veulent être citoyens de cette patrie, ce sont les bons chrétiens. Comment alors faut-il appeler ceux qui renoncent à cette patrie , sous prétexte que c'est trop fort pour eux d 'être bons chrétiens, et qu 'il faut se donner trop de mal pour le devenir ? Nous aurions le droit de leur donner des noms qui ne leur feraient point plaisir. Mais nous aimons mieux croire que jusqu'ici ils ont péché par ignorance plutôt que par malice ; et nous avons bon espoir que désormais, quand les difficultés que l'on rencontre dans la pratique du bien seront sur le point de les décourager , ils commenceront par demander avec ferveur à Dieu un secours qu'il ne refuse jamais, et se mettront ensuite bravement à l’œuvre, en prenant pour refrain : A force de forger , on devient forgeron .
la suite bientôt
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
26 - DIS-MOI QUI TU HANTES, JE TE DIRAI QUI TU ES.
Je connais, mes chers lecteurs, peu de fléaux plus terribles que les mauvaises compagnies . Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es ; c'est là certainement un des proverbes les plus complètement vrais que nous ayons rencontrés .
I. S'il vous était donné, mes bons amis, comme au grand poète catholique du moyen âge, le Dante , de pénétrer dans la cité des pleurs (l`enfer), et d 'étudier les fautes qui ont conduit dans ce triste séjour chacun des damnés, vous comprendriez ce mot d 'un écrivain : que l'enfer est pavé de bonnes intentions; et que, pour en courir à jamais la colère divine, il n 'est pas nécessaire d 'avoir voulu le mal pour lui-même, d ' avoir , comme Satan , déclaré à Dieu une guerre ouverte. Il suffit de n 'avoir pas voulu le bien fortement, de n 'avoir pas employé les moyens qui y conduisent, de n 'avoir pas pris, d 'une manière décidée, le parti de Dieu , selon ce mot terrible de l'Évangile : «Celui qui n 'est pas pour moi est contre moi.» (Luc 11,23). Or, parmi les moyens que la prudence, autant que la foi, indique aux chrétiens pour se maintenir dans le bien , la fuite des mauvaises compagnies et la recherche des bonnes occupent le premier rang. La raison en est facile à comprendre. L 'homme ne vit pas isolé , ou du moins cela est bien rare . Quelle que soit sa position , écolier, soldat, ouvrier ou laboureur, il vit au milieu de ses semblables. A peine même est - il entré dans l'une ou l'autre de ces carrières, qu 'il se trouve en présence de deux partis, jaloux l'un et l'autre de grossir leurs rangs, et faisant à chaque nouveau venu force avances et promesses. Ces deux partis ont des noms qui sont partout les mêmes ; on les appelle les bons et les mauvais : les bons écoliers et les mauvais écoliers ; les bons soldats et les mauvais soldats ; les bons et les mauvais ouvriers ; les bons et les mauvais laboureurs . Ai-je besoin de vous dire que les mauvais écoliers sont ceux qui font l' école buissonnière, qui montent les cabales contre les maîtres , qui ont beaucoup de punitions et jamais de prix ? Les bons au contraire sont les élèves assidus, laborieux , obéissants, et à qui reviennent toujours éloges et récompenses. Au régiment, les mauvais soldats sont ceux que l'on trouve toujours sur le chemin du cabaret , quand ils ne sont pas à la salle de police , et qui, indisciplinés et débauchés, ne voient jamais les galons et la Croix d 'honneur que sur les manches ou la poitrine de leurs camarades, les bons soldats . Ainsi, parmi les ouvriers de la ville et les laboureurs de la campagne, les méchants se distinguent aisément, et forment deux camps ennemis toujours en guerre. Il y a plus, cette distinction se rencontre d 'une manière générale dans le monde, où le bien et le mal se livrent une lutte acharnée; elle durera jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce jour redoutable où le Juge suprême l' établira sur ses bases véritables et dernières, en séparant définitivement les bons d 'avec les méchants, les boucs d 'avec les brebis .
II . Si donc le monde est comme un champ de bataille, sur lequel les bons et les méchants sont éternellement aux prises ; si rien n ' est plus facile que de reconnaître de quel côté sont les bons, et de quel côté les méchants ; s'il ne nous est pas permis de demeurer neutres entre les deux armées, il en résulte nécessairement que, par le fait seul de notre fréquentation de l'un ou l'autre parti, nous devenons les soldats de ce parti, nous en épousons la cause . Si nous fréquentons les méchants, nous sommes les soldats du mal; nous servons sous ses étendards. Aussi notre Proverbe tient-il avec grande raison à chacun de nous ce discours : « Dis-moi qui tu hantes (fréquente), je te dirai qui tu es». Je te dirai qui tu es ; et cela sans même examiner ce que tu fais toi-même; car l'action décisive de ta vie , celle d 'après laquelle tu as pris couleur , «tu t'es classé toi-même», c 'est précisément la hantise ou la fréquentation des soldats de l'un ou de l'autre camp.
Cela me paraît clair comme la lumière du jour. Et cela répond d 'avance à ce que nous disent si souvent, et à ce que se disent à eux-mêmes, pour calmer les cris de leur conscience, certains jeunes gens, chrétiens et amis du bien . Ils fréquentent cependant des camarades impies et libertins. Dieu nous garde , disent-ils, de leur ressembler ! Nous ne les fréquentons que a parce qu 'ils sont amusants . Nous prenons plaisir à jouir de leurs joyeux propos. Mais nous sommes bien décidés à ne pas aller plus loin . Illusion et ruse du démon que tout cela, mes bons amis! Non-seulement c 'est nous ranger de nous-mêmes parmi les méchants que d 'en faire notre compagnie habituelle ; c'est montrer que de ce côté sont nos sympathies et nos tendances . Non-seulement notre présence parmi ces ennemis de la foi et des bonnes moeurs est un scandale affreux, et, pour tant d 'autres, une occasion de chute . Soyons encore assurés que jamais nous ne fréquenterons impunément les mauvaises compagnies , et que s'il peut se rencontrer quelques exceptions à notre Proverbe : Dis-moi qui tu hantes , je te dirai qui tu es, il n 'en est plus de possible , en changeant le dernier mot : Dis -moi qui tu hantes , je te dirai qui tu seras. En fréquentant les débauchés , si vous n 'êtes pas débauchés aujourd'hui, vous le serez demain ou dans huit jours, ou dans un mois. De même des joueurs : de même des buveurs ; de même des impies. Qui ne connaît, par sa propre expérience, la puissance de l'exemple, et surtout d 'un exemple répété chaque jour , qui nous entoure et nous presse de toutes parts, et agit sur nous avec la force de l'entraînement et la persistance de l'habitude ?
C 'est précisément pour cela , chers amis, et à cause de cet ascendant presque irrésistible de l'exemple, que nous devons bénir Dieu de vivre dans notre temps et dans notre pays ; car , dans ce temps et ce pays , malgré tant de choses qui laissent à désirer , il y a , pour chaque profession , un noyau d 'hommes chrétiens auxquels nous pouvons nous attacher , bien sûrs que nous trouverons dans leur exemple la force de faire notre devoir . Lorsque nous entrons dans la vie , mes bons amis, Dieu nous montre ce bataillon sacré de ses fidèles serviteurs ; il nous offre de nous enrôler dans cette armée ,où , pour remporter les plus brillantes victoires ( pour gagner le ciel !), il suffit de marcher, comme on dit au régiment, en sentant les coudes et en emboîtant le pas. Mais aussi, malheur à nous, si nous préférons nous engager dans l'armée des méchants ! Nous deviendrons bien vite méchants nous-mêmes. Et là aussi, serrés de droite et de gauche, par- devant et par - derrière , entre nos complices, il nous sera comme impossible de nous arrêter .
III . Je ne connais qu'une seule exception à cette règle. C 'est le cas où nous nous trouverions fréquenter les méchants forcément, par suite de circonstances ut à fait indépendantes de notre volonté, se rattachant au contraire à la volonté de Dieu . Celui qui, par curiosité , ou pour faire parade de son courage , fut descendu dans la fosse aux lions, eût été infailliblement dévoré. Daniel, qui' y était jeté par suite de son héroïque fidélité à la loi de Dieu , est miraculeusement préservé. Il n 'avait pas cherché le péril ; il l'acceptait de la main de Dieu ; Dieu l'en tira . Il en sera de même de nous. Si, par exemple, la volonté de nos parents, qui sont pour un enfant les représentants de Dieu lui-même, si cette volonté nous a placés dans un atelier où la plupart des ouvriers ou des apprentis, nos camarades, méprisent la loi de Dieu , de la fréquentation nécessaire entre eux et nous, s'ensuivra-t-il que nous devions forcément de venir impies comme eux ? – Nullement. — Ce sera sans doute un danger pour nous; et les parents sages font tout ce qu 'ils peuvent pour épargner à la foi naissante de leurs enfants cet immense danger. Mais il peut se trouver que ce danger soit une des conditions inévitables de notre état ; que, dans la ville que nous habitons, tous les ateliers de cet état soient en grande partie composés d 'ouvriers libertins. . Que faire alors ? Prier Dieu de nous aider à traverser cette épreuve, sans que notre foi en -soit ébranlée; lui demander de nous indiquer, parmi tous ces camarades, avec lesquels nous vivons, ceux qui sont chrétiens comme nous désirons l'être toujours; - et alors faire de ceux-là nos compagnons de choix.
En effet, ce n 'est pas pendant le travail que sont particulièrement dangereuses les mauvaises compagnies . Le travail , surtout le travail consciencieux de l'ouvrier chrétien , est un bouclier contre le mal. Mais c'est dans les heures de repos et de repas que les conversations de camarades corrompus peuvent verser en nous un poison funeste. Or c'est pendant ces heures que nous sommes libres de choisir nos compagnons, et d 'aller de préférence avec ceux dont l'exemple nous peut être salutaire. Soyons donc prudents ; traversons le mal, lorsqu 'il se rencontre sur notre chemin ; mais ne le cherchons jamais . - Et alors , comme l'on voit, dans une épidémie, les médecins et les soeurs de charité, appelés chaque jour près des malades, résister souvent au fléau plus que d 'autres moins exposés; comme le prêtre , dans l'exercice de son redoutable ministère, entend d 'une oreille tranquille des confidences qui suffiraient pour bouleverser à jamais des âmes dont ce ne serait point la profession de les recevoir particulièrement; de même, nous sortirons sans souillure de ce commerce avec les méchants, que Dieu a voulu , et qui, cessant ainsi d 'être coupable , devenait , par là même, moins dangereux . Ce ne sera plus le cas de dire de nous : Dis-moi qui qui tu hantes, je te dirai qui tu es . Ce sera le cas de nous écrier, en élevant vers le Ciel une âme reconnaissante : «Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais aucuns maux ; parce que je sais, Seigneur, que vous êtes avec moi!» (Psaume 23, 4).
27 - LA PAROLE N`A PAS ÉTÉ DONNÉE A L'HOMME POUR DÉGUISER SA PENSÉE .
Que de belles choses à dire là- dessus, si nous en avions le temps! et qu'il serait intéressant de vous montrer que la parole n 'est qu 'une pensée parlée, de vous rappeler que la seconde personne de l'auguste Trinité (Jésus-Christ), la manifestation de Dieu se connaissant soi même, s'appelle le Verbe, c'est-à -dire, la Parole ! Mais aussi quelle chose horrible à penser, que ce don ineffable de la bonté divine, que cet instrument du commerce des hommes entre eux , que ce sans quoi il n ' y aurait ni liens de famille, ni relations d 'amitié, ni civilisation , que ce qui est devenu le nom du Fils unique de Dieu lui-même, que l'on ait osé dire que cela devait être pour l'homme un instrument de mensonge !
II Hélas! oui , mes bons amis, trop souvent la parole est employée par les hommes à déguiser leurs pensées . - Et que d 'autres usages déplorables n 'en font-ils pas ? Parce qu'il y a des langues de vipère qui distillent sur tout ce qui les approche le poison de leur malignité, des bouches assez audacieuses pour blasphémer Dieu , ses ministres , ses sacrements , son Église , dirons-nous que la parole a été donnée à l'homme pour déchirer la réputation de ses semblables, pour outrager la majesté de Dieu ? — Autant vaudrait dire que la justice est établie pour condamner l'innocence, que les arts et la littérature doivent énerver et corrompre l'humanité, parce que tel est le déplorable abus que l'on a fait de toutes ces belles et grandes choses ! Je n 'insisterai pas ici, mes chers lecteurs, sur tout ce que le mensonge et la dissimulation ont de blâmable et de honteux , sur les charmes de la sincérité, de la simplicité, de la candeur, de toutes ces vertus qui sont un reflet de l' éternelle vérité, comme la charité , la douceur, la patience, le pardon des injures, sont une image de l'éternel amour. Nous en avons dit quelque chose à l'occasion du proverbe : La vérité sort de la bouche des enfants .
III. Je veux vous dire deux mots de l'hypocrisie . Hypocrite signifie comédien . Est donc hypocrite tout individu qui joue un rôle, qui débite des pensées qui ne sont point dans son coeur, et qui le fait dans le but de retirer un profit de ce triste métier .On appelle plus particulièrement hypocrite celui qui prend le masque de la vertu et de la piété , espérant, par cette vaine apparence, obtenir quelques avantages temporels. Je n 'ai pas besoin de vous dire combien ce vice est odieux , et quel sacrilège abus c'est faire de la Religion que de s'en servir comme d 'un marchepied pour arriver aux biens de ce monde. Ne pas vous laisser sottement scandaliser par l'hypocrisie; — ne pas être vous-mêmes hypocrites; voilà ce que je voudrais vous apprendre.
Ainsi nous, quand nous verrions mille fois plus d 'hypocrites qu'il n 'y en a autour de nous , nous agirions, passez -moi le mot, en sots , si nous nous éloignions, à cause de cela, de la Religion . En effet, il ne s'agit pas de savoir si tel ou tel, abusant du plus grand des biens, tourne en instrument de mort un instrument de vie. Il s'agit de savoir si vraiment la Religion est cet instrument de vie . Si nous le croyons, si nous avons la foi, agissons donc en conséquence , et joignons- y la pratique. Si nous n 'avons pas la foi, cherchons à l'obtenir . Mais laissons les hypocrites se perdre tout seuls, et tenons pour certain que nous ne saurions nous scandaliser de leur conduite , et négliger, pour cela , de régulariser la nôtre, sans faire doublement les affaires du démon ( de l`ange déchu) . Quand nous verrons des hypocrites, disons- nous donc qu'ils sont bien malheureux de n 'avoir du bien que les apparences, de réussir ainsi, à grand'peine, à tromper, pour quelque temps, les hommes, tandis que l'œil pénétrant du souverain Juge les voit, en attendant qu'il les confonde au dernier jour. Soyons plus sages, et cherchons en Dieu lui-même le principe, la vérité , la force et la récompense de nos bonnes actions. Ne soyons donc pas follement les victimes de l'hypocrisie d 'autrui. Craignons plus encore d 'être hypocrites nous-mêmes.
Heureux le temps, mes bons amis, où ceux qui ne sont pas vraiment vertueux n 'ont d 'autre ressource, pour jouir de quelque considération auprès de leurs semblables, que de revêtir au moins les dehors de la vertu ! — Ce temps, on ne peut point dire que ce soit précisément le nôtre. Notre hypocrisie , à nous, est d 'un caractère tout opposé. - Descendez au fond de votre coeur, et vous trouverez que, plus d 'une fois, pour plaire à des hommes vicieux , pour acquérir la réputation d 'un bon garçon , d 'un joyeux compagnon , d 'un ennemi des préjugés , d 'un homme enfin , vous avez fait ou dit le mal, et cela malgré les avertissements et les déchirements de votre conscience . Vous étiez alors un hypocrite du vice . Votre hypocrisie était un honteux hommage rendu à l'impiété et aux mauvaises moeurs . Souvenez-vous, je vous en prie , de tout ce que vous avez lu et entendu au sujet du respect humain , et, vous rappelant en même temps telle ou telle circonstance de votre vie , où vous n 'avez pas osé être vous même, faites votre mea culpa . Vous aussi, vous avez été comédien . En fait d 'hypocrisie , vous n 'avez le droit de jeter la pierre à personne. Non, mes chers amis, la parole n 'a pas été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Mais, certes, s'il est coupable de déguiser sous une honnête apparence des sentiments mauvais , il est absurde, il est lâche, il est odieux au dernier chef, de rougir de sentiments honorables , et de les cacher sous une enveloppe vicieuse. Quand on est honnête homme, quelle pitié de parler et d 'agir en fripon ! Quand on est chrétien , quel sacrilège de parler et d'agir en impie et en libertin !
28 - DÉFIEZ- VOUS DU PREMIER MOUVEMENT, PARCE · QU'IL EST TOUJOURS BON .
Voici encore, mes bons amis, un échantillon de la sagesse diabolique (des anges déchus), de cette sagesse qui consiste à réunir un fragment de vérité et un lambeau d ' erreur ; - de telle sorte que la portion de vérité nous séduise , tandis que la part de l'erreur est plus que suffisante pour corrompre la maxime entière, et, si nous en faisons notre règle de conduite , pour nous mener tout droit où le diable ( l`ange déchu) veut que nous allions. Qu'importe en effet, je vous le demande, que l'enseigne soit attrayante , si, derrière elle, s'ouvre un abîme inévitable ? Qu 'importe que des sucs généreux aient composé ce breuvage, si une seule goutte de poison en a fait un breuvage de mort ? Qu'importe la sagesse apparente de ce qui, au fond , n 'est que folie ?
I. Ne dirait-on pas d 'abord, a entendre ce proverbe : Défiez -vous du premier mouvement, parce qu'il est toujours bon , que son auteur voyait l'humanité bien en beau ! — Hélas! l'habile auteur de ce proverbe ne voyait l'humanité ni en beau ni en laid . Il la voyait en habile homme qu' il était ; il cherchait, pour arriver à ses fins, à manier et à diriger adroitement, comme autant de marionnettes, les passions humaines. Et lorsque, sur son chemin , il rencontrait quelque instinct généreux qui le pouvait gêner , il lui déclarait une guerre à mort, et il commençait à l'attaquer par la flatterie et l'ironie , deux armes d 'une puissance proverbiale, et qui rarement, en France, manquent leur coup.
Le premier mouvement est toujours bon ! C 'est là l'éternelle flatterie de tous ceux qui, d 'une manière ou d 'autre, ont voulu révolter l'humanité contre Dieu . L 'homme est bon : sa nature est d 'une bonté qui se suffit à elle -même : n ' est -ce pas là le langage de tous les ennemis de la Religion chrétienne ? - Ne voit-on pas clairement en effet que, si l'homme est bon , il n ' y a pas en lui de mal à réparer ; que l' intervention de la Divinité dans nos affaires était chose inutile ; qu'elle n 'a donc pas dû avoir lieu ? Donc le Christianisme est un échafaudage de mensonges. Car son point de départ est, au contraire , que l'homme était devenu mauvais ; qu'il a fallu , pour le relever de sa chute, l'Incarnation d 'un Dieu ; et que la religion révélée est surtout l'ensemble des secours divins qui nous aident à lutter contre nos mauvaises tendances, et nous empêchent de céder à nos premiers mouvements, suite: indestructible, et toujours mauvaise , du péché originel (Genèse 3).
Telles sont, mes bons, amis, quelques-unes des conséquences monstrueuses renfermées dans ces séduisantes paroles : Le premier mouvement est toujours bon . Voyez si vous avez raison de vous défier des flatteries! Mais le caractère de la flatterie est double : elle : chatouille agréablement notre orgueil ; puis, une fois aveuglés par l'amour-propre, elle nous propose les plus grossières faussetés , que pourtant nous avalons comme de l'eau . Le premier mouvement est toujours bon ! Conçoit -on qu 'un homme, parlant à des hommes, ose tenir un pareil langage ! Certes, un saint ne l'eut pas osé ; et un homme politique ne recule pas devant un pareil dire ! - Que j'aime mieux , mes bons amis, ce mot d 'un politique aussi, mais d 'un politique chrétien , du grand Joseph de Maistre, l'un des hommes les plus vertueux qui aient jamais manié la plume et siégé dans les conseils des rois! Il disait, avec cette humilité du fidèle, mille fois plus noble que l'orgueil des incrédules : Je ne sais pas ce que c'est que la vie d 'un scélérat, je ne l'ai jamais été ; mais celle d 'un honnête homme est abominable . Et qu 'il avait grande raison de parler ainsi ! Descendons dans notre conscience, nous tous qui jouissons de l'estime de nos concitoyens, nous qui n 'avons jamais commis d ' action que les lois punissent, ou même que réprouve l'honneur du monde; et demandons nous si nos premiers mouvements ont toujours été bons. Où est celui qui n 'ait eu bien souvent des premiers mouvements de colère, de jugement téméraire, d ' orgueil, d 'envie , de sensualité ?
Ne savons-nous pas tous que c'est vers ces odieux abîmes qu'est tournée la pente de notre coeur ; et que si la vertu s'appelle virtus (latin), c'est-à- dire force, c'est que pour résister aux premiers et mauvais mouvements de la nature, il faut de grands efforts, tandis que, pour les suivre, il suffit de ne rien faire ; comme un nageur qui, fatigué de lutter contre le courant, s' y abandonne et se laisse emporter, mollement couché sur les vagues ? Défiez -vous donc du premier mouvement, non parce qu'il est toujours bon , mais parce qu 'il est presque toujours mauvais ; et craignez, en vous y abandonnant, de vous être embarqués sur les ondes tranquilles d 'un fleuve, pour vous retrouver, l'instant d 'après, au milieu des tempêtes de l'Océan . S 'il est difficile de résister au premier mouvement, comment parviendriez - vous alors à maîtriser une impulsion dont la force s'accroît à mesure qu'elle se prolonge, et qui finit par s 'identifier à notre nature et ne pouvoir plus céder qu'à un prodige de la miséricorde divine ?
II. Est-ce là , mes bons amis, toute l'instruction à tirer de notre Proverbe ? ou du moins est-ce la seule rectification à en faire ? Non! Défiez-vous du premier mouvement, parce qu'il est souvent mauvais, avons-nous dit. Abandonnez - vous au premier mouvement, devons-nous ajouter, parce qu ' il est souvent bon , et très-bon . Comment expliquer cette apparente contradiction ? Bien simplement, et avec ce que vous savez aussi bien que moi, avec le catéchisme. Il y a deux mondes en nous : le monde de la nature et le monde de la grâce. Si trop souvent les inspirations de la nature sont dépravées, toujours les inspirations de la grâce sont précieuses; et il faut mettre à suivre celles-ci le même empressement que l'on met à réprimer les autres .
Oui, de même qu 'il y a le premier mouvement de la nature, il y a le premier mouvement de la grâce . Que de fois ne vous êtes- vous pas sentis intérieurement poussés à vous réconcilier avec vos ennemis , à vous humilier dans le sacrement de pénitence (Confession des péchés), à soulager la misère de vos frères, à vous dévouer à telle œuvre rebutante et méritoire ? Souvent ce mouvement n ' a été qu 'un éclair ; parce que tout de suite les mauvais sentiments de votre nature ont repris le dessus. Mais , si court qu 'ait été ce premier mouvement, vous l'avez senti. C ' était la grâce qui vous parlait ; c' était Dieu. lui-même qui s'approchait de l'oreille de votre coeur; c 'était la voix , jamais éteinte, de votre conscience qui faisait entendre une plainte ; c 'était votre ange gardien qui cherchait, par ce mouvement, dont la noblesse et la pureté ne pouvaient vous échapper, à vous détacher du mal, pour vous ramener vers le bien . – C' est, à proprement parler, de ce premier mouvement de la grâce que notre Proverbe dit qu'il faut se défier, parce qu' il est toujours bon , - et c'est là ce qui fait l’infernale perversité de ce proverbe. Mais il y a ici mes bons amis , un grand enseignement. La conscience , et surtout la conscience du chrétien , de celui qui a connu les vérités et les secours si efficaces de la Religion , cette conscience , pour employer une expression vulgaire, a la vie dure.
Quelque blasé, quelque perverti qu 'il fut, l'auteur de notre Proverbe avait souvent entendu, au fond de son cour, cette voix puissante ; et, malgré le conseil qu'il donnait aux autres de s'en défier, conseil qu 'il s' était sans doute appliqué à lui-même, à son dernier moment il l' entendit encore . Sa conscience n 'était point morte , ou du moins elle ressuscita à cet instant suprême. Cette fois , et comme pour n 'être plus rebutée , elle prit la voix d 'une jeune enfant, chère au vieillard , mourant, et qui venait d 'être admise pour la première fois au banquet eucharistique. A cette voix, qui parlait de Dieu , de son amour, de sa miséricorde, des délices ineffables de son service , un premier mouvement de la grâce se manifesta dans ce coeur si endurci. Ce premier mouvement était bon ; il poussait le vieillard à se confesser et à mourir comme il aurait dû vivre .
29 - IL NE FAUT PAS COURIR DEUX LIÈVRES A LA FOIS.
1. Nous avons comparé la vie à une pierre qui roule, à une barque qui s'avance sur les flots, à un voyageur qui chemine dans un sentier difficile et long, au nid que l'oiseau construit petit à petit, à une guerre contre le péché qui n 'a point de relâche. — De toutes nos occupations, mes bons amis, la plus importante n 'est elle pas de bien vivre (vivre en bon chrétien) ? N 'est-ce pas vers ce but suprême que toutes choses doivent tendre ? Et n 'est- il pas bien naturel que partout l'esprit attentif et le cœur pur trouvent l'image de notre rapide existence, et quelque enseignement pour arriver mieux, et plus sûrement, à la vraie vie, à la vie du ciel ? Aujourd 'hui, nous emprunterons notre comparaison à la chasse, et nous dirons aux impatients, aux gens qui ne savent mettre ni ordre ni suite dans leurs occupations et dans leurs idées : Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois. Et, d 'abord , de quels lièvres s'agit-il ici? De toute affaire à la réussite de laquelle vous voulez travailler. – Pourquoi les lièvres, ces rapides coureurs, plutôt que tous autres animaux? C ' est afin de vous faire comprendre que, si , pour bien mener l'affaire en question , vous ne vous levez pas comme le chasseur, dès le fin matin , si vous comptez sur une réussite que vous n 'ayez point achetée par vos courses et vos sueurs , si vous estimez que les alouettes vont vous tomber toutes rôties dans le bec, ou les lièvres se ranger d ' eux-mêmes dans votre panier, – vous risquez fort de faire une triste chasse. La vigilance et la diligence; voilà donc les premiers enseignements de ce proverbe.
II. Le second , et le principal, c'est qu'il ne faut pas courir deux lièvres à la fois : si l'un prend sa course vers le nord, et l'autre vers le sud , et que vous les vouliez tous deux , comment ferez -vous pour mener de front cette double poursuite ? je vous le demande. C 'est bien assez d 'avoir à pourchasser un seul lièvre à travers les bois et les prés; il y a là de quoi essouffler plus d 'un chasseur et plus d'un chien . Pour bien faire une chose, mes chers amis, il faut presque toujours la faire toute seule . Si vous voulez réussir , croyez-moi, non-seulement ne faites pas plusieurs choses à la fois , mais , autant que possible , faites toujours la même chose , ou du moins la même nature de choses . Vous savez , et par expérience , ce que c 'est que la division du travail; c' est en attachant tel ouvrier à la confection , non -seulement du même objet, mais de la même partie du même objet, que l'on arrive à une grande perfection et à une grande rapidité dans l'exécution . Vous avez sans doute entendu citer l'exemple des épingles : une seule épingle , avant d ' être achevée , passe par les mains de douze ouvriers, dont chacun a , dans la fabrication de ce petit objet , sa spécialité. Mais aussi que de milliers d ' épingles, que de millions sont fabriquées chaque jour ! quelle économie par conséquent de combustible , de temps et de main d 'œuvre ! Ainsi, vous qui me lisez, sans aller plus loin , ne menez jamais de front deux affaires . Ce serait le moyen de les manquer toutes deux , comme notre chasseur qui, pour avoir voulu courir plus d 'un lièvre à la fois, s' en reviendra chez lui la gibecière vide, honteux comme un renard qu'une poule aurait pris. Mais ce que je dis de telle ou de telle affaire , je le dirai à plus forte raison de l'affaire capitale de votre vie temporelle, de votre état. Ayez un état, gardez vous d' en avoir deux , car vous serez difficilement habile dans ces deux professions. Surtout n 'en ayez pas un grand nombre ; cela équivaut, dans l'opinion d 'un chacun , à n 'en avoir pas du tout ; et un chacun ne se trompe guère en ces matières. Ayons donc un bon métier et tenons- nous- y . Si vous apercevez dans vos enfants une disposition à poursuivre la fortune par mille chemins, combattez cette disposition comme très - fâcheuse . Dites - leur, et dites-vous à vous-mêmes, que le trop grand empressement éloigne presque autant du succès que la paresse ; et qu'une tortue, en y donnant tous ses soins, dépassera plutôt un lièvre à la course.
III. Et nos défauts, ami lecteur, n 'en dirons-nous rien , non plus que de la chasse que nous avons à leur donner ? Comme des lièvres malfaisants et rapides, ils ravagent notre âme; et, quand nous les voulons saisir, pour les exterminer , ils prennent la fuite dans mille directions opposées , nous laissant bien embarrassés de savoir comment arriver à les réduire . Ce n 'est pas deux lièvres que nous serions tentés de courir à la fois , mais mille . Que faire donc? S'attacher à les prendre et à les détruire isolément. Voyez quel est votre défaut dominant, celui qui fait le sujet habituel de vos confessions, qui pèse sur votre conscience du poids le plus lourd , et dont, si vous . deviez mourir tout à l'heure, vous voudriez le plus être débarrassé . C 'est contre ce lièvre qu'il faut lancer tous vos chiens. Celui-ci réduit, vous aurez bien plus facilement raison des autres. Et remarquez le grand rapport qu'il y a entre vos défauts ( pour ne pas dire vos vices ) et les lièvres de notre proverbe. La chasse du lièvre est une chasse savante ; ce n 'est pas au hasard que l'on poursuit à travers les bois et les plaines ce petit animal: on connaît la suite de ses évolutions, et, avec un peu de calcul, pourvu qu' on sache d 'où il est parti, on sait où il doit arriver.
Ainsi de nos vices, mes bons amis . Il y a quelqu'un qui connaît la science de leurs mouvements, qui sait qu'après nous avoir conduits jusqu'ici, ils nous mèneront encore jusque- là ; qu'à leur marche il faut opposer telle contre -marche ; qu'avec la vigilance on leur résiste , qu 'on les dompte avec la sobriété, qu 'on se fortifie contre eux par la prière et les sacrements, et qu 'enfin , en employant tous les moyens que Dieu a mis en notre pouvoir , il est tel instant, il est tel lieu favorable pour leur donner le coup de grâce . Quel homme est cet homme habile ? me direz -vous. Comme si vous ne le saviez pas aussi bien que moi ! Mais c 'est votre confesseur. Consultez- le donc souvent : pour commencer votre chasse, tandis que vous la poursuivrez , alors surtout que vos chiens vous paraîtront en défaut, ou qu'il vous semblera que le succès vous échappe à tout jamais. Consultez-le , obéissez -lui, priez avec lui, travaillez sous l'oeil de Dieu ; et , après une première victoire, vous en remporterez une seconde. Petit à petit, et successivement, les vices qui dévastaient votre âme auront disparu. D 'aride qu'elle était, vous la verrez devenir comme un vaste champ où les moissons jaunissantes disent la bonté du Créateur ; comme un jardin fleuri, d 'où les plus doux parfums s' élèvent vers le trône de Dieu.
30 - CHAT ÉCHAUDÉ CRAINT L'EAU FROIDE.
I. Qui de vous, chers amis , n 'a été plus ou moins échaudé par ses passions ? Où est le gourmand, le paresseux , l'ivrogne, le débauché, l'orgueilleux, l'homme de colère, qui n 'ait eu , même au point de vue de ses intérêts temporels, à se plaindre grandement de l'empire que ses mauvais penchants exercent sur lui ? Et où est celui qui, prenant exemple sur le chat échaudé dont parle notre Proverbe, pousse la prudence jusqu 'à craindre l'eau froide , c' est - à -dire l'ombre même des fautes qui lui ont été si funestes ? Hélas ! la plupart du temps notre propre expérience est perdue pour nous. Au moment où la passion nous cause un dommage matériel, nous nous promettons bien de n 'y plus retomber , d'en éviter jusqu'aux apparences, comme cet animal avisé qui craint que l'eau froide ne le brûle . Et puis, lorsque notre santé, notre réputation , nos affaires, notre paix domestique, sont guéries des blessures que nos passions leur avaient faites, nous oublions ces blessures pour ne plus voir que le plaisir du moment, pour nous abandonner lâchement à nos , inclinations vicieuses.
Que dire et que faire à cela , mes excellents amis ? Et d 'abord , comment se fait- il qu'ici l'animal paraisse tellement plus raisonnable que vous ? C 'est que l'animal, n 'ayant, pour se diriger , ni raison ni volonté libre, Dieu lui a donné un instinct qui l'éloigne de tout ce qui lui est préjudiciable , et cela par une loi aussi impérieuse que celle qui dirige les astres dans leur cours . Quant à nous, il en est bien autrement. Rappelez- vous, mes amis , les premiers éléments de votre religion : le péché originel et ses suites déplorables, et cette liberté de l'homme sollicitée sans cesse par deux forces contraires : l`ange déchu et la concupiscence, qui l'attirent vers le mal : la conscience et la grâce divine, qui l' appellent au bien .
II. Ne me dites pas que le calcul suffit pour maintenir l'homme dans la bonne voie ; qu'en consultant son intérêt il devra toujours s'éloigner du mal et s 'attacher fortement au bien . Je vous répondrai par des faits et vous montrerai une foule d 'hommes connaissant parfaitement les conséquences funestes, même pour cette vie, des passions,, et pourtant s'y livrant avec frénésie . C 'est qu'il est assez facile de convaincre l'intelligence ; on y arrive par des raisonnements. Rien, au contraire , n 'est plus difficile que de triompher de la volonté. Pour l'amener à composition, pour lui inspirer des actes vertueux, et surtout cette disposition de suffit pas de raisonnements, il faut une force , et non pas une force matérielle , mais une force analogue à celles contre lesquelles il s'agit de lutter, plus forte qu 'elles, puisqu 'elle doit les vaincre. Pour triompher de la concupiscence, ce n ' est pas trop de Dieu et de la grâce . N 'espérez donc pas vaincre vos passions avec des maximes et des proverbes. Par là peut - être vous parviendrez à vous convaincre de votre propre folie ; vous vous mettrez , dans votre estime, au -dessous des plus vils animaux ; vous aurez honte de vous-mêmes.
Mais, quant à agir sur votre volonté d 'une manière efficace, quant à transformer un coeur où le mal a si longtemps fait son séjour, jamais vous ne le pourrez par vous-mêmes ! Appelez donc à votre aide l'auteur de toute force, Dieu ; attirez sur vous par la prière cette rosée vivifiante que nous nommons la grâce, et vous serez vainqueurs. O mon Dieu ! faites que nous ne comptions jamais sur nous-mêmes et que toujours nous comptions sur vous. Vous avez multiplié les appuis autour de notre faiblesse : de saints patrons dont l'exemple, un ange qui nous conduit par la main et nous couvre de ses ailes, des parents chrétiens, des amis pieux, des prêtres dont le cœur est pour nous tout paternel, votre Église , notre mère ici- bas, et Marie , notre mère au ciel. Faites, ô mon Dieu ! que nous chérissions ces mille canaux à travers lesquels votre grâce nous arrive ; faites que nous y ayons souvent recours avec cette confiante simplicité que vous aimez tant. Nous le savons, jamais les raisonnements ni les calculs ne nous sauveront ; mais votre grâce nous sauvera Ne permettez pas que nous oubliions jamais cette leçon de notre catéchisme, que, pour obtenir la grâce , la prière et les sacrements sont les moyens infaillibles établis par vous-même, ô mon Dieu !
31 - IL N'Y A QUE LE PREMIER PAS QUI COÛTE.
1. Vous rappelez -vous, mes bons amis, quand vous faisiez votre tour de la France , et qu'il fallait , certains jours vous lever de grand matin , parce que l'étape était longue ce jour-là ; vous rappelez -vous combien il vous en coûtait pour sortir de vos draps , où vous acheviez à peine de vous reposer des fatigues de la veille ? Vous souvient- il que de ces longues journées le pas le plus pénible était ce que l'on appelle vulgairement le saut du lit ? Vous vous habilliez à moitié endormi, et, reprenant votre havre-sac, vous partiez. Quelques minutes après , vous aviez oublié et les fatigues passées et ce premier pas qui vous avait tant coûté; et vous cheminiez gaiement, le bâton à la main , respirant à pleins poumons l'air vif et frais du matin , pensant à votre mère, que vous alliez bientôt revoir ; au clocher de votre village, dont chaque jour vous vous pensiez à Dieu, que vous étiez heureux ! jeunes, bien portants, ayant au bout de vos bras un bon métier, et par-dessus tout aimant le bon Dieu.
Le bonheur est là , ou il n 'est nulle part sur la terre . Que de fois, en sentant après le premier kilomètre vos forces renaître, le cour plein de joie, vous avez dit à un camarade, ou bien vous vous êtes dit à vous-mêmes : Il n 'y a que le premier pas qui coûte ! Je me rappelle, pour ma part, en avoir fait souvent l'expérience, lorsque je voyageais dans les Alpes. Quand , aux premières lueurs de l'aurore, mon guide . me réveillait, et m 'annonçait pour la journée une course de dix à douze lieues , il m 'arrivait de grommeler un peu , et de me dire , à part moi, que jamais je n 'irais jusque-là. Que mon sac me semblait lourd ! Et cette roule qui se déroulait, comme un long ruban , sur le flanc de la montagne, qu 'elle me paraissait interminable ! Et cependant, comme vous, mes bons amis , mes jambes étaient bien vite dérouillées par l'exercice ; mon sac alors ne me pesait pas plus qu 'une plume; et, de cette longue route , j' étais à peine parti que j'en avais laissé derrière moi la moitié.
— Que de choses d 'ailleurs à voir, à dire et à penser, qui trompent la longueur du chemin ! Le bon Dieu m 'avait donné, dans ces courses montagnardes, un bon compagnon dans le voyage de la vie, nous causions ensemble , de notre maison paternelle , de ceux de nos parents que le bon Dieu avait appelés à lui, des bénédictions dont nous avions été l'objet, des merveilles que la route étalait à nos regards, de notre vous assure que le temps courait pour nous, et que le soir nous trouvait arrivés au but, sans que nous nous fussions guère plaints de notre marche qu'à son commencement. — Il n 'y a que le premier pas qui coûte, c 'est une vérité connue de tous les piétons. Je voudrais, mes bons amis, qu'elle fût profondément gravée dans votre coeur, mais en un sens plus relevé que celui d 'une marche matérielle.
II . Il n 'y a que le premier pas qui coûte pour l'homme et pour le chrétien . .... d 'abord dans la route du bien . Peut- être l'avez -vous éprouvé vous-même. — Si vous avez été élevé par des parents chrétiens, faisant sous leurs yeux l'apprentissage de la ſoi et des bonnes moeurs, vous avez longtemps cheminé avec eux dans la route de la vertu , ignorant-presque, tant cette route vous semblait douce et facile, qu ' il y en eût une autre. Le premier pas alors ne vous coûtait point, parce que, à proprement parler, vous ne marchiez pas; vous étiez soutenu et porté, pour ainsi dire, par vos bons parents ; comme ces enfants qui suivent, dans les bras de leur mère, la famille voyageuse. Mais bientôt le moment est venu pour vous de marcher seul. Vous êtes entré dans cet atelier , où , malheureusement, bien des bouches blasphémaient Dieu et sa loi, où bien des coeurs, livrés aux mauvaises passions, cherchaient à se justifier, en se faisant des complices. — Vous le saviez ; votre mère vous avait mis en garde contre ces dangers. Alors, comme vous étiez chrétien , et que vous ne vouliez pas cesser de l 'être , vous avez prié Dieu de vous assister dans les luttes qui allaient commencer pour vous, de vous aider à franchir ce premier pas qui coûte tant à la nature.
Dès le premier jour, vous vous êtes montré ce que vous étiez , sans crainte et sans fanfaronnade, fidèle aux préceptes de l’Évangile ; vous ne vous êtes jamais joint aux railleries dont ses dogmes ou ses ministres étaient l'objet: On s'est un peu moqué de vous peut être ; mais moins le second jour que le premier ; et, comme vous teniez à faire honneur à vos croyances, et que toujours vous avez été bon ouvrier , excellent camarade, obligeant, d 'un bon caractère , on a fini par vous laisser libre, et par trouver tout aussi simple que vous alliez à la messe le dimanche, que de voir votre voisin fréquenter le cabaret, ce jour-là , et d 'autres encore. — Oui, vous le savez par votre propre histoire , dans le service de Dieu , il n 'y a que le premier pas qui coûte.
Vous, mon ami, qui, moins heureux , reculez toujours , tant ce premier pas vous effraye ; vous que la parole de Dieu entendue par hasard , ou l'exemple d 'un ami pieux, ou le souvenir de votre mère, sollicite peut-être de revenir à la pratique de vos devoirs, croyez -en donc notre expérience , et bientôt la vôtre viendra la confirmer. Armez-vous de courage. Jetez vous bravement à bas de ce lit où vous retiennent la paresse et la mauvaise honte, et partez. Vous aurez plus de peine sans doute à entrer dans la bonne voie que celui-ci à y persévérer ; précisément parce qu'il s'agit pour vous de ce premier pas que, plus heureux , il a franchi depuis longtemps. Mais, que voulez-vous ? On ne peut pas commencer par le second pas. Faites donc le premier aujourd'hui; demain vous serez au second ; et ce second , vous ne le ferez pas seul : comme ce voyageur dont je vous parlais tout à l'heure , vous aurez des frères à vos côtés ; leur exemple vous donnera du coeur.
En voyant, à droite et à gauche, tant de bons chrétiens marcher d 'un pas joyeux dans la route du ciel, vous vous sentirez enrégimenté dans une légion de braves, et vous serez brave aussi. Voudriez-vous à tout jamais demeurer loin de Dieu ? Non , sans doute , me direz-vous. Eh bien ! faites aujourd 'hui ce pas décisif, qui vous coûtera plus demain qu 'aujourd 'hui, et après-demain que demain ; car vous serez engagé plus avant dans la voie mauvaise, et séparé par une plus grande distance de cette bonne route qui vous réclame.
III. Mais ce n 'est pas seulement dans la route du bien , c'est aussi dans la route du mal, qu'il n 'y a que le premier pas qui coûte. Oui, pour quitter Dieu , pour se livrer au vice, il en coûte à notre conscience . Comme une sentinelle vigilante , elle crie au dedans de nous chaque fois que nous inclinons vers le mal; et le jour où, par une faute mortelle , nous nous livrons au père de tout mal, au diable (a l`ange déchu), ce jour-là, elle pousse un cri plus perçant et plus désespéré. Mais , parce que ce cri nous importune , nous nous appliquons à nous en délivrer . Comme ce général insensé qui, pour ne pas être troublé dans une orgie par le cri d 'alarme des factionnaires, leur ordonnerait de se taire à l'approche de l'ennemi, nous cherchons à imposer silence à notre conscience : et nous y réussissons presque toujours. Alors nous, à qui le premier pas a tant coûté dans la route du mal, nous y marchons, nous y courons, avec une facilité qui nous étonne.
Comment empêcher ce malheur, mes bons amis ? Car c'en est un bien grand que de faire le mal avec un coeur tranquille. C 'est d 'abord de tâcher que ce premier pas, qui coûte tant dans la route du vice, nous devienne plus difficile encore ; c'est de multiplier entre le mal et nous les obstacles; d 'avoir des amis qui nous avertissent, lorsqu ' ils nous voient donner à gauche. Et pour cela, pour que nos amis soient encouragés à nous rendre ce précieux service, il faut le recevoir avec reconnaissance, et comme le témoignage d 'une vraie et sincère amitié . Puis il faut nous défier grandement de nous-mêmes, et surtout des tentations d 'amour- propre . Gardez vous de dire : « Il y a tant d 'années que je sers Dieu fidèlement; j'ai échappé à tels périls . Maintenant il serait bien étonnant que je tombasse . » Ne le dites pas; car peut- être, pour vous punir , Dieu va - t- il retirer son bras qui vous soutenait jusque-là , et vous tomberez dans quelque faute honteuse, digne châtiment de votre orgueil. Non , ne pensez jamais au bonheur que vous avez de servir Dieu que pour l'en remercier, lui demander pardon de vos fautes, et le supplier de vous garder des fautes les plus graves , vers lesquelles notre nature corrompue incline de tout son poids. Une bien bonne recette encore pour ne pas faire dans la route du mal ce premier pas si funeste, c'est de ne pas marchander avec Dieu , ni avec notre conscience. Toutes les fois que vous êtes tenté , c 'est- à dire que le diable vient frapper à votre porte , Dieu , Implorez alors tout de suite la force d 'en -haut, et vous triompherez . – Mais , si vous vous arrêtez à considérer les charmes de la tentation , si vous vous dites à vous-même : « Vais-je préférer Dieu au démon , ou le démon à Dieu ? » ( car c'est là le dialogue qu'engage avec elle -même une âme qui ne repousse pas immédiatement le péché ), si, en un mot, vous ne profitez pas de cette répugnance qu 'éprouve d 'abord à l'aspect du mal un chrétien fidèle , si vous passez par-dessus les obstacles de tout genre qui font que ce premier pas vous coûte tant, — vous le ferez , ce premier pas, et bien d 'autres encore. Et Dieu sait quand , et si jamais, vous rebrousserez chemin pour redevenir ce que vous étiez tout à l'heure ! Enfin , et surtout, n 'oubliez pas ce remède souverain à tous les maux de l'âme, la confession.
Précisément parce que l'homme a le funeste pouvoir de faire taire sa conscience, Dieu a voulu que le meilleur de nos amis, notre père spirituel, notre confesseur, eût une voix ; non plus une voix intérieure , et qui ne s'entend qu'avec les oreilles de l'âme, comme notre conscience ; mais une voix matérielle qui nous dit les mêmes choses que notre conscience, et qui nous les redit et nous les redira , sans jamais se lasser, tant que nous n 'aurons point poussé l'infidélité jusqu'aux proportions d ' une révolte en règle , c'est-à -dire jusqu 'à cesser de nous confesser. Confessez - vous donc, mes chers amis, — c'est une conclusion à laquelle nous ne saurions trop souvent revenir ; - confessez- vous donc : si vous êtes dans la bonne voie, pour y rester; si vous êtes dans la mauvaise , pour en sortir. C 'est le moyen d 'avoir toujours Dieu avec vous. Appuyés sur lui, le bien ne vous coûtera plus ; et le mal vous coûtera tant, qu 'il vous deviendra comme impossible . – Car, selon une belle parole de l'Écriture : Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?
Je connais, mes chers lecteurs, peu de fléaux plus terribles que les mauvaises compagnies . Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es ; c'est là certainement un des proverbes les plus complètement vrais que nous ayons rencontrés .
I. S'il vous était donné, mes bons amis, comme au grand poète catholique du moyen âge, le Dante , de pénétrer dans la cité des pleurs (l`enfer), et d 'étudier les fautes qui ont conduit dans ce triste séjour chacun des damnés, vous comprendriez ce mot d 'un écrivain : que l'enfer est pavé de bonnes intentions; et que, pour en courir à jamais la colère divine, il n 'est pas nécessaire d 'avoir voulu le mal pour lui-même, d ' avoir , comme Satan , déclaré à Dieu une guerre ouverte. Il suffit de n 'avoir pas voulu le bien fortement, de n 'avoir pas employé les moyens qui y conduisent, de n 'avoir pas pris, d 'une manière décidée, le parti de Dieu , selon ce mot terrible de l'Évangile : «Celui qui n 'est pas pour moi est contre moi.» (Luc 11,23). Or, parmi les moyens que la prudence, autant que la foi, indique aux chrétiens pour se maintenir dans le bien , la fuite des mauvaises compagnies et la recherche des bonnes occupent le premier rang. La raison en est facile à comprendre. L 'homme ne vit pas isolé , ou du moins cela est bien rare . Quelle que soit sa position , écolier, soldat, ouvrier ou laboureur, il vit au milieu de ses semblables. A peine même est - il entré dans l'une ou l'autre de ces carrières, qu 'il se trouve en présence de deux partis, jaloux l'un et l'autre de grossir leurs rangs, et faisant à chaque nouveau venu force avances et promesses. Ces deux partis ont des noms qui sont partout les mêmes ; on les appelle les bons et les mauvais : les bons écoliers et les mauvais écoliers ; les bons soldats et les mauvais soldats ; les bons et les mauvais ouvriers ; les bons et les mauvais laboureurs . Ai-je besoin de vous dire que les mauvais écoliers sont ceux qui font l' école buissonnière, qui montent les cabales contre les maîtres , qui ont beaucoup de punitions et jamais de prix ? Les bons au contraire sont les élèves assidus, laborieux , obéissants, et à qui reviennent toujours éloges et récompenses. Au régiment, les mauvais soldats sont ceux que l'on trouve toujours sur le chemin du cabaret , quand ils ne sont pas à la salle de police , et qui, indisciplinés et débauchés, ne voient jamais les galons et la Croix d 'honneur que sur les manches ou la poitrine de leurs camarades, les bons soldats . Ainsi, parmi les ouvriers de la ville et les laboureurs de la campagne, les méchants se distinguent aisément, et forment deux camps ennemis toujours en guerre. Il y a plus, cette distinction se rencontre d 'une manière générale dans le monde, où le bien et le mal se livrent une lutte acharnée; elle durera jusqu'à la fin des temps, jusqu'à ce jour redoutable où le Juge suprême l' établira sur ses bases véritables et dernières, en séparant définitivement les bons d 'avec les méchants, les boucs d 'avec les brebis .
II . Si donc le monde est comme un champ de bataille, sur lequel les bons et les méchants sont éternellement aux prises ; si rien n ' est plus facile que de reconnaître de quel côté sont les bons, et de quel côté les méchants ; s'il ne nous est pas permis de demeurer neutres entre les deux armées, il en résulte nécessairement que, par le fait seul de notre fréquentation de l'un ou l'autre parti, nous devenons les soldats de ce parti, nous en épousons la cause . Si nous fréquentons les méchants, nous sommes les soldats du mal; nous servons sous ses étendards. Aussi notre Proverbe tient-il avec grande raison à chacun de nous ce discours : « Dis-moi qui tu hantes (fréquente), je te dirai qui tu es». Je te dirai qui tu es ; et cela sans même examiner ce que tu fais toi-même; car l'action décisive de ta vie , celle d 'après laquelle tu as pris couleur , «tu t'es classé toi-même», c 'est précisément la hantise ou la fréquentation des soldats de l'un ou de l'autre camp.
Cela me paraît clair comme la lumière du jour. Et cela répond d 'avance à ce que nous disent si souvent, et à ce que se disent à eux-mêmes, pour calmer les cris de leur conscience, certains jeunes gens, chrétiens et amis du bien . Ils fréquentent cependant des camarades impies et libertins. Dieu nous garde , disent-ils, de leur ressembler ! Nous ne les fréquentons que a parce qu 'ils sont amusants . Nous prenons plaisir à jouir de leurs joyeux propos. Mais nous sommes bien décidés à ne pas aller plus loin . Illusion et ruse du démon que tout cela, mes bons amis! Non-seulement c 'est nous ranger de nous-mêmes parmi les méchants que d 'en faire notre compagnie habituelle ; c'est montrer que de ce côté sont nos sympathies et nos tendances . Non-seulement notre présence parmi ces ennemis de la foi et des bonnes moeurs est un scandale affreux, et, pour tant d 'autres, une occasion de chute . Soyons encore assurés que jamais nous ne fréquenterons impunément les mauvaises compagnies , et que s'il peut se rencontrer quelques exceptions à notre Proverbe : Dis-moi qui tu hantes , je te dirai qui tu es, il n 'en est plus de possible , en changeant le dernier mot : Dis -moi qui tu hantes , je te dirai qui tu seras. En fréquentant les débauchés , si vous n 'êtes pas débauchés aujourd'hui, vous le serez demain ou dans huit jours, ou dans un mois. De même des joueurs : de même des buveurs ; de même des impies. Qui ne connaît, par sa propre expérience, la puissance de l'exemple, et surtout d 'un exemple répété chaque jour , qui nous entoure et nous presse de toutes parts, et agit sur nous avec la force de l'entraînement et la persistance de l'habitude ?
C 'est précisément pour cela , chers amis, et à cause de cet ascendant presque irrésistible de l'exemple, que nous devons bénir Dieu de vivre dans notre temps et dans notre pays ; car , dans ce temps et ce pays , malgré tant de choses qui laissent à désirer , il y a , pour chaque profession , un noyau d 'hommes chrétiens auxquels nous pouvons nous attacher , bien sûrs que nous trouverons dans leur exemple la force de faire notre devoir . Lorsque nous entrons dans la vie , mes bons amis, Dieu nous montre ce bataillon sacré de ses fidèles serviteurs ; il nous offre de nous enrôler dans cette armée ,où , pour remporter les plus brillantes victoires ( pour gagner le ciel !), il suffit de marcher, comme on dit au régiment, en sentant les coudes et en emboîtant le pas. Mais aussi, malheur à nous, si nous préférons nous engager dans l'armée des méchants ! Nous deviendrons bien vite méchants nous-mêmes. Et là aussi, serrés de droite et de gauche, par- devant et par - derrière , entre nos complices, il nous sera comme impossible de nous arrêter .
III . Je ne connais qu'une seule exception à cette règle. C 'est le cas où nous nous trouverions fréquenter les méchants forcément, par suite de circonstances ut à fait indépendantes de notre volonté, se rattachant au contraire à la volonté de Dieu . Celui qui, par curiosité , ou pour faire parade de son courage , fut descendu dans la fosse aux lions, eût été infailliblement dévoré. Daniel, qui' y était jeté par suite de son héroïque fidélité à la loi de Dieu , est miraculeusement préservé. Il n 'avait pas cherché le péril ; il l'acceptait de la main de Dieu ; Dieu l'en tira . Il en sera de même de nous. Si, par exemple, la volonté de nos parents, qui sont pour un enfant les représentants de Dieu lui-même, si cette volonté nous a placés dans un atelier où la plupart des ouvriers ou des apprentis, nos camarades, méprisent la loi de Dieu , de la fréquentation nécessaire entre eux et nous, s'ensuivra-t-il que nous devions forcément de venir impies comme eux ? – Nullement. — Ce sera sans doute un danger pour nous; et les parents sages font tout ce qu 'ils peuvent pour épargner à la foi naissante de leurs enfants cet immense danger. Mais il peut se trouver que ce danger soit une des conditions inévitables de notre état ; que, dans la ville que nous habitons, tous les ateliers de cet état soient en grande partie composés d 'ouvriers libertins. . Que faire alors ? Prier Dieu de nous aider à traverser cette épreuve, sans que notre foi en -soit ébranlée; lui demander de nous indiquer, parmi tous ces camarades, avec lesquels nous vivons, ceux qui sont chrétiens comme nous désirons l'être toujours; - et alors faire de ceux-là nos compagnons de choix.
En effet, ce n 'est pas pendant le travail que sont particulièrement dangereuses les mauvaises compagnies . Le travail , surtout le travail consciencieux de l'ouvrier chrétien , est un bouclier contre le mal. Mais c'est dans les heures de repos et de repas que les conversations de camarades corrompus peuvent verser en nous un poison funeste. Or c'est pendant ces heures que nous sommes libres de choisir nos compagnons, et d 'aller de préférence avec ceux dont l'exemple nous peut être salutaire. Soyons donc prudents ; traversons le mal, lorsqu 'il se rencontre sur notre chemin ; mais ne le cherchons jamais . - Et alors , comme l'on voit, dans une épidémie, les médecins et les soeurs de charité, appelés chaque jour près des malades, résister souvent au fléau plus que d 'autres moins exposés; comme le prêtre , dans l'exercice de son redoutable ministère, entend d 'une oreille tranquille des confidences qui suffiraient pour bouleverser à jamais des âmes dont ce ne serait point la profession de les recevoir particulièrement; de même, nous sortirons sans souillure de ce commerce avec les méchants, que Dieu a voulu , et qui, cessant ainsi d 'être coupable , devenait , par là même, moins dangereux . Ce ne sera plus le cas de dire de nous : Dis-moi qui qui tu hantes, je te dirai qui tu es . Ce sera le cas de nous écrier, en élevant vers le Ciel une âme reconnaissante : «Quand même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrais aucuns maux ; parce que je sais, Seigneur, que vous êtes avec moi!» (Psaume 23, 4).
27 - LA PAROLE N`A PAS ÉTÉ DONNÉE A L'HOMME POUR DÉGUISER SA PENSÉE .
Que de belles choses à dire là- dessus, si nous en avions le temps! et qu'il serait intéressant de vous montrer que la parole n 'est qu 'une pensée parlée, de vous rappeler que la seconde personne de l'auguste Trinité (Jésus-Christ), la manifestation de Dieu se connaissant soi même, s'appelle le Verbe, c'est-à -dire, la Parole ! Mais aussi quelle chose horrible à penser, que ce don ineffable de la bonté divine, que cet instrument du commerce des hommes entre eux , que ce sans quoi il n ' y aurait ni liens de famille, ni relations d 'amitié, ni civilisation , que ce qui est devenu le nom du Fils unique de Dieu lui-même, que l'on ait osé dire que cela devait être pour l'homme un instrument de mensonge !
II Hélas! oui , mes bons amis, trop souvent la parole est employée par les hommes à déguiser leurs pensées . - Et que d 'autres usages déplorables n 'en font-ils pas ? Parce qu'il y a des langues de vipère qui distillent sur tout ce qui les approche le poison de leur malignité, des bouches assez audacieuses pour blasphémer Dieu , ses ministres , ses sacrements , son Église , dirons-nous que la parole a été donnée à l'homme pour déchirer la réputation de ses semblables, pour outrager la majesté de Dieu ? — Autant vaudrait dire que la justice est établie pour condamner l'innocence, que les arts et la littérature doivent énerver et corrompre l'humanité, parce que tel est le déplorable abus que l'on a fait de toutes ces belles et grandes choses ! Je n 'insisterai pas ici, mes chers lecteurs, sur tout ce que le mensonge et la dissimulation ont de blâmable et de honteux , sur les charmes de la sincérité, de la simplicité, de la candeur, de toutes ces vertus qui sont un reflet de l' éternelle vérité, comme la charité , la douceur, la patience, le pardon des injures, sont une image de l'éternel amour. Nous en avons dit quelque chose à l'occasion du proverbe : La vérité sort de la bouche des enfants .
III. Je veux vous dire deux mots de l'hypocrisie . Hypocrite signifie comédien . Est donc hypocrite tout individu qui joue un rôle, qui débite des pensées qui ne sont point dans son coeur, et qui le fait dans le but de retirer un profit de ce triste métier .On appelle plus particulièrement hypocrite celui qui prend le masque de la vertu et de la piété , espérant, par cette vaine apparence, obtenir quelques avantages temporels. Je n 'ai pas besoin de vous dire combien ce vice est odieux , et quel sacrilège abus c'est faire de la Religion que de s'en servir comme d 'un marchepied pour arriver aux biens de ce monde. Ne pas vous laisser sottement scandaliser par l'hypocrisie; — ne pas être vous-mêmes hypocrites; voilà ce que je voudrais vous apprendre.
Ainsi nous, quand nous verrions mille fois plus d 'hypocrites qu'il n 'y en a autour de nous , nous agirions, passez -moi le mot, en sots , si nous nous éloignions, à cause de cela, de la Religion . En effet, il ne s'agit pas de savoir si tel ou tel, abusant du plus grand des biens, tourne en instrument de mort un instrument de vie. Il s'agit de savoir si vraiment la Religion est cet instrument de vie . Si nous le croyons, si nous avons la foi, agissons donc en conséquence , et joignons- y la pratique. Si nous n 'avons pas la foi, cherchons à l'obtenir . Mais laissons les hypocrites se perdre tout seuls, et tenons pour certain que nous ne saurions nous scandaliser de leur conduite , et négliger, pour cela , de régulariser la nôtre, sans faire doublement les affaires du démon ( de l`ange déchu) . Quand nous verrons des hypocrites, disons- nous donc qu'ils sont bien malheureux de n 'avoir du bien que les apparences, de réussir ainsi, à grand'peine, à tromper, pour quelque temps, les hommes, tandis que l'œil pénétrant du souverain Juge les voit, en attendant qu'il les confonde au dernier jour. Soyons plus sages, et cherchons en Dieu lui-même le principe, la vérité , la force et la récompense de nos bonnes actions. Ne soyons donc pas follement les victimes de l'hypocrisie d 'autrui. Craignons plus encore d 'être hypocrites nous-mêmes.
Heureux le temps, mes bons amis, où ceux qui ne sont pas vraiment vertueux n 'ont d 'autre ressource, pour jouir de quelque considération auprès de leurs semblables, que de revêtir au moins les dehors de la vertu ! — Ce temps, on ne peut point dire que ce soit précisément le nôtre. Notre hypocrisie , à nous, est d 'un caractère tout opposé. - Descendez au fond de votre coeur, et vous trouverez que, plus d 'une fois, pour plaire à des hommes vicieux , pour acquérir la réputation d 'un bon garçon , d 'un joyeux compagnon , d 'un ennemi des préjugés , d 'un homme enfin , vous avez fait ou dit le mal, et cela malgré les avertissements et les déchirements de votre conscience . Vous étiez alors un hypocrite du vice . Votre hypocrisie était un honteux hommage rendu à l'impiété et aux mauvaises moeurs . Souvenez-vous, je vous en prie , de tout ce que vous avez lu et entendu au sujet du respect humain , et, vous rappelant en même temps telle ou telle circonstance de votre vie , où vous n 'avez pas osé être vous même, faites votre mea culpa . Vous aussi, vous avez été comédien . En fait d 'hypocrisie , vous n 'avez le droit de jeter la pierre à personne. Non, mes chers amis, la parole n 'a pas été donnée à l'homme pour déguiser sa pensée. Mais, certes, s'il est coupable de déguiser sous une honnête apparence des sentiments mauvais , il est absurde, il est lâche, il est odieux au dernier chef, de rougir de sentiments honorables , et de les cacher sous une enveloppe vicieuse. Quand on est honnête homme, quelle pitié de parler et d 'agir en fripon ! Quand on est chrétien , quel sacrilège de parler et d'agir en impie et en libertin !
28 - DÉFIEZ- VOUS DU PREMIER MOUVEMENT, PARCE · QU'IL EST TOUJOURS BON .
Voici encore, mes bons amis, un échantillon de la sagesse diabolique (des anges déchus), de cette sagesse qui consiste à réunir un fragment de vérité et un lambeau d ' erreur ; - de telle sorte que la portion de vérité nous séduise , tandis que la part de l'erreur est plus que suffisante pour corrompre la maxime entière, et, si nous en faisons notre règle de conduite , pour nous mener tout droit où le diable ( l`ange déchu) veut que nous allions. Qu'importe en effet, je vous le demande, que l'enseigne soit attrayante , si, derrière elle, s'ouvre un abîme inévitable ? Qu 'importe que des sucs généreux aient composé ce breuvage, si une seule goutte de poison en a fait un breuvage de mort ? Qu'importe la sagesse apparente de ce qui, au fond , n 'est que folie ?
I. Ne dirait-on pas d 'abord, a entendre ce proverbe : Défiez -vous du premier mouvement, parce qu'il est toujours bon , que son auteur voyait l'humanité bien en beau ! — Hélas! l'habile auteur de ce proverbe ne voyait l'humanité ni en beau ni en laid . Il la voyait en habile homme qu' il était ; il cherchait, pour arriver à ses fins, à manier et à diriger adroitement, comme autant de marionnettes, les passions humaines. Et lorsque, sur son chemin , il rencontrait quelque instinct généreux qui le pouvait gêner , il lui déclarait une guerre à mort, et il commençait à l'attaquer par la flatterie et l'ironie , deux armes d 'une puissance proverbiale, et qui rarement, en France, manquent leur coup.
Le premier mouvement est toujours bon ! C 'est là l'éternelle flatterie de tous ceux qui, d 'une manière ou d 'autre, ont voulu révolter l'humanité contre Dieu . L 'homme est bon : sa nature est d 'une bonté qui se suffit à elle -même : n ' est -ce pas là le langage de tous les ennemis de la Religion chrétienne ? - Ne voit-on pas clairement en effet que, si l'homme est bon , il n ' y a pas en lui de mal à réparer ; que l' intervention de la Divinité dans nos affaires était chose inutile ; qu'elle n 'a donc pas dû avoir lieu ? Donc le Christianisme est un échafaudage de mensonges. Car son point de départ est, au contraire , que l'homme était devenu mauvais ; qu'il a fallu , pour le relever de sa chute, l'Incarnation d 'un Dieu ; et que la religion révélée est surtout l'ensemble des secours divins qui nous aident à lutter contre nos mauvaises tendances, et nous empêchent de céder à nos premiers mouvements, suite: indestructible, et toujours mauvaise , du péché originel (Genèse 3).
Telles sont, mes bons, amis, quelques-unes des conséquences monstrueuses renfermées dans ces séduisantes paroles : Le premier mouvement est toujours bon . Voyez si vous avez raison de vous défier des flatteries! Mais le caractère de la flatterie est double : elle : chatouille agréablement notre orgueil ; puis, une fois aveuglés par l'amour-propre, elle nous propose les plus grossières faussetés , que pourtant nous avalons comme de l'eau . Le premier mouvement est toujours bon ! Conçoit -on qu 'un homme, parlant à des hommes, ose tenir un pareil langage ! Certes, un saint ne l'eut pas osé ; et un homme politique ne recule pas devant un pareil dire ! - Que j'aime mieux , mes bons amis, ce mot d 'un politique aussi, mais d 'un politique chrétien , du grand Joseph de Maistre, l'un des hommes les plus vertueux qui aient jamais manié la plume et siégé dans les conseils des rois! Il disait, avec cette humilité du fidèle, mille fois plus noble que l'orgueil des incrédules : Je ne sais pas ce que c'est que la vie d 'un scélérat, je ne l'ai jamais été ; mais celle d 'un honnête homme est abominable . Et qu 'il avait grande raison de parler ainsi ! Descendons dans notre conscience, nous tous qui jouissons de l'estime de nos concitoyens, nous qui n 'avons jamais commis d ' action que les lois punissent, ou même que réprouve l'honneur du monde; et demandons nous si nos premiers mouvements ont toujours été bons. Où est celui qui n 'ait eu bien souvent des premiers mouvements de colère, de jugement téméraire, d ' orgueil, d 'envie , de sensualité ?
Ne savons-nous pas tous que c'est vers ces odieux abîmes qu'est tournée la pente de notre coeur ; et que si la vertu s'appelle virtus (latin), c'est-à- dire force, c'est que pour résister aux premiers et mauvais mouvements de la nature, il faut de grands efforts, tandis que, pour les suivre, il suffit de ne rien faire ; comme un nageur qui, fatigué de lutter contre le courant, s' y abandonne et se laisse emporter, mollement couché sur les vagues ? Défiez -vous donc du premier mouvement, non parce qu'il est toujours bon , mais parce qu 'il est presque toujours mauvais ; et craignez, en vous y abandonnant, de vous être embarqués sur les ondes tranquilles d 'un fleuve, pour vous retrouver, l'instant d 'après, au milieu des tempêtes de l'Océan . S 'il est difficile de résister au premier mouvement, comment parviendriez - vous alors à maîtriser une impulsion dont la force s'accroît à mesure qu'elle se prolonge, et qui finit par s 'identifier à notre nature et ne pouvoir plus céder qu'à un prodige de la miséricorde divine ?
II. Est-ce là , mes bons amis, toute l'instruction à tirer de notre Proverbe ? ou du moins est-ce la seule rectification à en faire ? Non! Défiez-vous du premier mouvement, parce qu'il est souvent mauvais, avons-nous dit. Abandonnez - vous au premier mouvement, devons-nous ajouter, parce qu ' il est souvent bon , et très-bon . Comment expliquer cette apparente contradiction ? Bien simplement, et avec ce que vous savez aussi bien que moi, avec le catéchisme. Il y a deux mondes en nous : le monde de la nature et le monde de la grâce. Si trop souvent les inspirations de la nature sont dépravées, toujours les inspirations de la grâce sont précieuses; et il faut mettre à suivre celles-ci le même empressement que l'on met à réprimer les autres .
Oui, de même qu 'il y a le premier mouvement de la nature, il y a le premier mouvement de la grâce . Que de fois ne vous êtes- vous pas sentis intérieurement poussés à vous réconcilier avec vos ennemis , à vous humilier dans le sacrement de pénitence (Confession des péchés), à soulager la misère de vos frères, à vous dévouer à telle œuvre rebutante et méritoire ? Souvent ce mouvement n ' a été qu 'un éclair ; parce que tout de suite les mauvais sentiments de votre nature ont repris le dessus. Mais , si court qu 'ait été ce premier mouvement, vous l'avez senti. C ' était la grâce qui vous parlait ; c' était Dieu. lui-même qui s'approchait de l'oreille de votre coeur; c 'était la voix , jamais éteinte, de votre conscience qui faisait entendre une plainte ; c 'était votre ange gardien qui cherchait, par ce mouvement, dont la noblesse et la pureté ne pouvaient vous échapper, à vous détacher du mal, pour vous ramener vers le bien . – C' est, à proprement parler, de ce premier mouvement de la grâce que notre Proverbe dit qu'il faut se défier, parce qu' il est toujours bon , - et c'est là ce qui fait l’infernale perversité de ce proverbe. Mais il y a ici mes bons amis , un grand enseignement. La conscience , et surtout la conscience du chrétien , de celui qui a connu les vérités et les secours si efficaces de la Religion , cette conscience , pour employer une expression vulgaire, a la vie dure.
Quelque blasé, quelque perverti qu 'il fut, l'auteur de notre Proverbe avait souvent entendu, au fond de son cour, cette voix puissante ; et, malgré le conseil qu'il donnait aux autres de s'en défier, conseil qu 'il s' était sans doute appliqué à lui-même, à son dernier moment il l' entendit encore . Sa conscience n 'était point morte , ou du moins elle ressuscita à cet instant suprême. Cette fois , et comme pour n 'être plus rebutée , elle prit la voix d 'une jeune enfant, chère au vieillard , mourant, et qui venait d 'être admise pour la première fois au banquet eucharistique. A cette voix, qui parlait de Dieu , de son amour, de sa miséricorde, des délices ineffables de son service , un premier mouvement de la grâce se manifesta dans ce coeur si endurci. Ce premier mouvement était bon ; il poussait le vieillard à se confesser et à mourir comme il aurait dû vivre .
29 - IL NE FAUT PAS COURIR DEUX LIÈVRES A LA FOIS.
1. Nous avons comparé la vie à une pierre qui roule, à une barque qui s'avance sur les flots, à un voyageur qui chemine dans un sentier difficile et long, au nid que l'oiseau construit petit à petit, à une guerre contre le péché qui n 'a point de relâche. — De toutes nos occupations, mes bons amis, la plus importante n 'est elle pas de bien vivre (vivre en bon chrétien) ? N 'est-ce pas vers ce but suprême que toutes choses doivent tendre ? Et n 'est- il pas bien naturel que partout l'esprit attentif et le cœur pur trouvent l'image de notre rapide existence, et quelque enseignement pour arriver mieux, et plus sûrement, à la vraie vie, à la vie du ciel ? Aujourd 'hui, nous emprunterons notre comparaison à la chasse, et nous dirons aux impatients, aux gens qui ne savent mettre ni ordre ni suite dans leurs occupations et dans leurs idées : Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois. Et, d 'abord , de quels lièvres s'agit-il ici? De toute affaire à la réussite de laquelle vous voulez travailler. – Pourquoi les lièvres, ces rapides coureurs, plutôt que tous autres animaux? C ' est afin de vous faire comprendre que, si , pour bien mener l'affaire en question , vous ne vous levez pas comme le chasseur, dès le fin matin , si vous comptez sur une réussite que vous n 'ayez point achetée par vos courses et vos sueurs , si vous estimez que les alouettes vont vous tomber toutes rôties dans le bec, ou les lièvres se ranger d ' eux-mêmes dans votre panier, – vous risquez fort de faire une triste chasse. La vigilance et la diligence; voilà donc les premiers enseignements de ce proverbe.
II. Le second , et le principal, c'est qu'il ne faut pas courir deux lièvres à la fois : si l'un prend sa course vers le nord, et l'autre vers le sud , et que vous les vouliez tous deux , comment ferez -vous pour mener de front cette double poursuite ? je vous le demande. C 'est bien assez d 'avoir à pourchasser un seul lièvre à travers les bois et les prés; il y a là de quoi essouffler plus d 'un chasseur et plus d'un chien . Pour bien faire une chose, mes chers amis, il faut presque toujours la faire toute seule . Si vous voulez réussir , croyez-moi, non-seulement ne faites pas plusieurs choses à la fois , mais , autant que possible , faites toujours la même chose , ou du moins la même nature de choses . Vous savez , et par expérience , ce que c 'est que la division du travail; c' est en attachant tel ouvrier à la confection , non -seulement du même objet, mais de la même partie du même objet, que l'on arrive à une grande perfection et à une grande rapidité dans l'exécution . Vous avez sans doute entendu citer l'exemple des épingles : une seule épingle , avant d ' être achevée , passe par les mains de douze ouvriers, dont chacun a , dans la fabrication de ce petit objet , sa spécialité. Mais aussi que de milliers d ' épingles, que de millions sont fabriquées chaque jour ! quelle économie par conséquent de combustible , de temps et de main d 'œuvre ! Ainsi, vous qui me lisez, sans aller plus loin , ne menez jamais de front deux affaires . Ce serait le moyen de les manquer toutes deux , comme notre chasseur qui, pour avoir voulu courir plus d 'un lièvre à la fois, s' en reviendra chez lui la gibecière vide, honteux comme un renard qu'une poule aurait pris. Mais ce que je dis de telle ou de telle affaire , je le dirai à plus forte raison de l'affaire capitale de votre vie temporelle, de votre état. Ayez un état, gardez vous d' en avoir deux , car vous serez difficilement habile dans ces deux professions. Surtout n 'en ayez pas un grand nombre ; cela équivaut, dans l'opinion d 'un chacun , à n 'en avoir pas du tout ; et un chacun ne se trompe guère en ces matières. Ayons donc un bon métier et tenons- nous- y . Si vous apercevez dans vos enfants une disposition à poursuivre la fortune par mille chemins, combattez cette disposition comme très - fâcheuse . Dites - leur, et dites-vous à vous-mêmes, que le trop grand empressement éloigne presque autant du succès que la paresse ; et qu'une tortue, en y donnant tous ses soins, dépassera plutôt un lièvre à la course.
III. Et nos défauts, ami lecteur, n 'en dirons-nous rien , non plus que de la chasse que nous avons à leur donner ? Comme des lièvres malfaisants et rapides, ils ravagent notre âme; et, quand nous les voulons saisir, pour les exterminer , ils prennent la fuite dans mille directions opposées , nous laissant bien embarrassés de savoir comment arriver à les réduire . Ce n 'est pas deux lièvres que nous serions tentés de courir à la fois , mais mille . Que faire donc? S'attacher à les prendre et à les détruire isolément. Voyez quel est votre défaut dominant, celui qui fait le sujet habituel de vos confessions, qui pèse sur votre conscience du poids le plus lourd , et dont, si vous . deviez mourir tout à l'heure, vous voudriez le plus être débarrassé . C 'est contre ce lièvre qu'il faut lancer tous vos chiens. Celui-ci réduit, vous aurez bien plus facilement raison des autres. Et remarquez le grand rapport qu'il y a entre vos défauts ( pour ne pas dire vos vices ) et les lièvres de notre proverbe. La chasse du lièvre est une chasse savante ; ce n 'est pas au hasard que l'on poursuit à travers les bois et les plaines ce petit animal: on connaît la suite de ses évolutions, et, avec un peu de calcul, pourvu qu' on sache d 'où il est parti, on sait où il doit arriver.
Ainsi de nos vices, mes bons amis . Il y a quelqu'un qui connaît la science de leurs mouvements, qui sait qu'après nous avoir conduits jusqu'ici, ils nous mèneront encore jusque- là ; qu'à leur marche il faut opposer telle contre -marche ; qu'avec la vigilance on leur résiste , qu 'on les dompte avec la sobriété, qu 'on se fortifie contre eux par la prière et les sacrements, et qu 'enfin , en employant tous les moyens que Dieu a mis en notre pouvoir , il est tel instant, il est tel lieu favorable pour leur donner le coup de grâce . Quel homme est cet homme habile ? me direz -vous. Comme si vous ne le saviez pas aussi bien que moi ! Mais c 'est votre confesseur. Consultez- le donc souvent : pour commencer votre chasse, tandis que vous la poursuivrez , alors surtout que vos chiens vous paraîtront en défaut, ou qu'il vous semblera que le succès vous échappe à tout jamais. Consultez-le , obéissez -lui, priez avec lui, travaillez sous l'oeil de Dieu ; et , après une première victoire, vous en remporterez une seconde. Petit à petit, et successivement, les vices qui dévastaient votre âme auront disparu. D 'aride qu'elle était, vous la verrez devenir comme un vaste champ où les moissons jaunissantes disent la bonté du Créateur ; comme un jardin fleuri, d 'où les plus doux parfums s' élèvent vers le trône de Dieu.
30 - CHAT ÉCHAUDÉ CRAINT L'EAU FROIDE.
I. Qui de vous, chers amis , n 'a été plus ou moins échaudé par ses passions ? Où est le gourmand, le paresseux , l'ivrogne, le débauché, l'orgueilleux, l'homme de colère, qui n 'ait eu , même au point de vue de ses intérêts temporels, à se plaindre grandement de l'empire que ses mauvais penchants exercent sur lui ? Et où est celui qui, prenant exemple sur le chat échaudé dont parle notre Proverbe, pousse la prudence jusqu 'à craindre l'eau froide , c' est - à -dire l'ombre même des fautes qui lui ont été si funestes ? Hélas ! la plupart du temps notre propre expérience est perdue pour nous. Au moment où la passion nous cause un dommage matériel, nous nous promettons bien de n 'y plus retomber , d'en éviter jusqu'aux apparences, comme cet animal avisé qui craint que l'eau froide ne le brûle . Et puis, lorsque notre santé, notre réputation , nos affaires, notre paix domestique, sont guéries des blessures que nos passions leur avaient faites, nous oublions ces blessures pour ne plus voir que le plaisir du moment, pour nous abandonner lâchement à nos , inclinations vicieuses.
Que dire et que faire à cela , mes excellents amis ? Et d 'abord , comment se fait- il qu'ici l'animal paraisse tellement plus raisonnable que vous ? C 'est que l'animal, n 'ayant, pour se diriger , ni raison ni volonté libre, Dieu lui a donné un instinct qui l'éloigne de tout ce qui lui est préjudiciable , et cela par une loi aussi impérieuse que celle qui dirige les astres dans leur cours . Quant à nous, il en est bien autrement. Rappelez- vous, mes amis , les premiers éléments de votre religion : le péché originel et ses suites déplorables, et cette liberté de l'homme sollicitée sans cesse par deux forces contraires : l`ange déchu et la concupiscence, qui l'attirent vers le mal : la conscience et la grâce divine, qui l' appellent au bien .
II. Ne me dites pas que le calcul suffit pour maintenir l'homme dans la bonne voie ; qu'en consultant son intérêt il devra toujours s'éloigner du mal et s 'attacher fortement au bien . Je vous répondrai par des faits et vous montrerai une foule d 'hommes connaissant parfaitement les conséquences funestes, même pour cette vie, des passions,, et pourtant s'y livrant avec frénésie . C 'est qu'il est assez facile de convaincre l'intelligence ; on y arrive par des raisonnements. Rien, au contraire , n 'est plus difficile que de triompher de la volonté. Pour l'amener à composition, pour lui inspirer des actes vertueux, et surtout cette disposition de suffit pas de raisonnements, il faut une force , et non pas une force matérielle , mais une force analogue à celles contre lesquelles il s'agit de lutter, plus forte qu 'elles, puisqu 'elle doit les vaincre. Pour triompher de la concupiscence, ce n ' est pas trop de Dieu et de la grâce . N 'espérez donc pas vaincre vos passions avec des maximes et des proverbes. Par là peut - être vous parviendrez à vous convaincre de votre propre folie ; vous vous mettrez , dans votre estime, au -dessous des plus vils animaux ; vous aurez honte de vous-mêmes.
Mais, quant à agir sur votre volonté d 'une manière efficace, quant à transformer un coeur où le mal a si longtemps fait son séjour, jamais vous ne le pourrez par vous-mêmes ! Appelez donc à votre aide l'auteur de toute force, Dieu ; attirez sur vous par la prière cette rosée vivifiante que nous nommons la grâce, et vous serez vainqueurs. O mon Dieu ! faites que nous ne comptions jamais sur nous-mêmes et que toujours nous comptions sur vous. Vous avez multiplié les appuis autour de notre faiblesse : de saints patrons dont l'exemple, un ange qui nous conduit par la main et nous couvre de ses ailes, des parents chrétiens, des amis pieux, des prêtres dont le cœur est pour nous tout paternel, votre Église , notre mère ici- bas, et Marie , notre mère au ciel. Faites, ô mon Dieu ! que nous chérissions ces mille canaux à travers lesquels votre grâce nous arrive ; faites que nous y ayons souvent recours avec cette confiante simplicité que vous aimez tant. Nous le savons, jamais les raisonnements ni les calculs ne nous sauveront ; mais votre grâce nous sauvera Ne permettez pas que nous oubliions jamais cette leçon de notre catéchisme, que, pour obtenir la grâce , la prière et les sacrements sont les moyens infaillibles établis par vous-même, ô mon Dieu !
31 - IL N'Y A QUE LE PREMIER PAS QUI COÛTE.
1. Vous rappelez -vous, mes bons amis, quand vous faisiez votre tour de la France , et qu'il fallait , certains jours vous lever de grand matin , parce que l'étape était longue ce jour-là ; vous rappelez -vous combien il vous en coûtait pour sortir de vos draps , où vous acheviez à peine de vous reposer des fatigues de la veille ? Vous souvient- il que de ces longues journées le pas le plus pénible était ce que l'on appelle vulgairement le saut du lit ? Vous vous habilliez à moitié endormi, et, reprenant votre havre-sac, vous partiez. Quelques minutes après , vous aviez oublié et les fatigues passées et ce premier pas qui vous avait tant coûté; et vous cheminiez gaiement, le bâton à la main , respirant à pleins poumons l'air vif et frais du matin , pensant à votre mère, que vous alliez bientôt revoir ; au clocher de votre village, dont chaque jour vous vous pensiez à Dieu, que vous étiez heureux ! jeunes, bien portants, ayant au bout de vos bras un bon métier, et par-dessus tout aimant le bon Dieu.
Le bonheur est là , ou il n 'est nulle part sur la terre . Que de fois, en sentant après le premier kilomètre vos forces renaître, le cour plein de joie, vous avez dit à un camarade, ou bien vous vous êtes dit à vous-mêmes : Il n 'y a que le premier pas qui coûte ! Je me rappelle, pour ma part, en avoir fait souvent l'expérience, lorsque je voyageais dans les Alpes. Quand , aux premières lueurs de l'aurore, mon guide . me réveillait, et m 'annonçait pour la journée une course de dix à douze lieues , il m 'arrivait de grommeler un peu , et de me dire , à part moi, que jamais je n 'irais jusque-là. Que mon sac me semblait lourd ! Et cette roule qui se déroulait, comme un long ruban , sur le flanc de la montagne, qu 'elle me paraissait interminable ! Et cependant, comme vous, mes bons amis , mes jambes étaient bien vite dérouillées par l'exercice ; mon sac alors ne me pesait pas plus qu 'une plume; et, de cette longue route , j' étais à peine parti que j'en avais laissé derrière moi la moitié.
— Que de choses d 'ailleurs à voir, à dire et à penser, qui trompent la longueur du chemin ! Le bon Dieu m 'avait donné, dans ces courses montagnardes, un bon compagnon dans le voyage de la vie, nous causions ensemble , de notre maison paternelle , de ceux de nos parents que le bon Dieu avait appelés à lui, des bénédictions dont nous avions été l'objet, des merveilles que la route étalait à nos regards, de notre vous assure que le temps courait pour nous, et que le soir nous trouvait arrivés au but, sans que nous nous fussions guère plaints de notre marche qu'à son commencement. — Il n 'y a que le premier pas qui coûte, c 'est une vérité connue de tous les piétons. Je voudrais, mes bons amis, qu'elle fût profondément gravée dans votre coeur, mais en un sens plus relevé que celui d 'une marche matérielle.
II . Il n 'y a que le premier pas qui coûte pour l'homme et pour le chrétien . .... d 'abord dans la route du bien . Peut- être l'avez -vous éprouvé vous-même. — Si vous avez été élevé par des parents chrétiens, faisant sous leurs yeux l'apprentissage de la ſoi et des bonnes moeurs, vous avez longtemps cheminé avec eux dans la route de la vertu , ignorant-presque, tant cette route vous semblait douce et facile, qu ' il y en eût une autre. Le premier pas alors ne vous coûtait point, parce que, à proprement parler, vous ne marchiez pas; vous étiez soutenu et porté, pour ainsi dire, par vos bons parents ; comme ces enfants qui suivent, dans les bras de leur mère, la famille voyageuse. Mais bientôt le moment est venu pour vous de marcher seul. Vous êtes entré dans cet atelier , où , malheureusement, bien des bouches blasphémaient Dieu et sa loi, où bien des coeurs, livrés aux mauvaises passions, cherchaient à se justifier, en se faisant des complices. — Vous le saviez ; votre mère vous avait mis en garde contre ces dangers. Alors, comme vous étiez chrétien , et que vous ne vouliez pas cesser de l 'être , vous avez prié Dieu de vous assister dans les luttes qui allaient commencer pour vous, de vous aider à franchir ce premier pas qui coûte tant à la nature.
Dès le premier jour, vous vous êtes montré ce que vous étiez , sans crainte et sans fanfaronnade, fidèle aux préceptes de l’Évangile ; vous ne vous êtes jamais joint aux railleries dont ses dogmes ou ses ministres étaient l'objet: On s'est un peu moqué de vous peut être ; mais moins le second jour que le premier ; et, comme vous teniez à faire honneur à vos croyances, et que toujours vous avez été bon ouvrier , excellent camarade, obligeant, d 'un bon caractère , on a fini par vous laisser libre, et par trouver tout aussi simple que vous alliez à la messe le dimanche, que de voir votre voisin fréquenter le cabaret, ce jour-là , et d 'autres encore. — Oui, vous le savez par votre propre histoire , dans le service de Dieu , il n 'y a que le premier pas qui coûte.
Vous, mon ami, qui, moins heureux , reculez toujours , tant ce premier pas vous effraye ; vous que la parole de Dieu entendue par hasard , ou l'exemple d 'un ami pieux, ou le souvenir de votre mère, sollicite peut-être de revenir à la pratique de vos devoirs, croyez -en donc notre expérience , et bientôt la vôtre viendra la confirmer. Armez-vous de courage. Jetez vous bravement à bas de ce lit où vous retiennent la paresse et la mauvaise honte, et partez. Vous aurez plus de peine sans doute à entrer dans la bonne voie que celui-ci à y persévérer ; précisément parce qu'il s'agit pour vous de ce premier pas que, plus heureux , il a franchi depuis longtemps. Mais, que voulez-vous ? On ne peut pas commencer par le second pas. Faites donc le premier aujourd'hui; demain vous serez au second ; et ce second , vous ne le ferez pas seul : comme ce voyageur dont je vous parlais tout à l'heure , vous aurez des frères à vos côtés ; leur exemple vous donnera du coeur.
En voyant, à droite et à gauche, tant de bons chrétiens marcher d 'un pas joyeux dans la route du ciel, vous vous sentirez enrégimenté dans une légion de braves, et vous serez brave aussi. Voudriez-vous à tout jamais demeurer loin de Dieu ? Non , sans doute , me direz-vous. Eh bien ! faites aujourd 'hui ce pas décisif, qui vous coûtera plus demain qu 'aujourd 'hui, et après-demain que demain ; car vous serez engagé plus avant dans la voie mauvaise, et séparé par une plus grande distance de cette bonne route qui vous réclame.
III. Mais ce n 'est pas seulement dans la route du bien , c'est aussi dans la route du mal, qu'il n 'y a que le premier pas qui coûte. Oui, pour quitter Dieu , pour se livrer au vice, il en coûte à notre conscience . Comme une sentinelle vigilante , elle crie au dedans de nous chaque fois que nous inclinons vers le mal; et le jour où, par une faute mortelle , nous nous livrons au père de tout mal, au diable (a l`ange déchu), ce jour-là, elle pousse un cri plus perçant et plus désespéré. Mais , parce que ce cri nous importune , nous nous appliquons à nous en délivrer . Comme ce général insensé qui, pour ne pas être troublé dans une orgie par le cri d 'alarme des factionnaires, leur ordonnerait de se taire à l'approche de l'ennemi, nous cherchons à imposer silence à notre conscience : et nous y réussissons presque toujours. Alors nous, à qui le premier pas a tant coûté dans la route du mal, nous y marchons, nous y courons, avec une facilité qui nous étonne.
Comment empêcher ce malheur, mes bons amis ? Car c'en est un bien grand que de faire le mal avec un coeur tranquille. C 'est d 'abord de tâcher que ce premier pas, qui coûte tant dans la route du vice, nous devienne plus difficile encore ; c'est de multiplier entre le mal et nous les obstacles; d 'avoir des amis qui nous avertissent, lorsqu ' ils nous voient donner à gauche. Et pour cela, pour que nos amis soient encouragés à nous rendre ce précieux service, il faut le recevoir avec reconnaissance, et comme le témoignage d 'une vraie et sincère amitié . Puis il faut nous défier grandement de nous-mêmes, et surtout des tentations d 'amour- propre . Gardez vous de dire : « Il y a tant d 'années que je sers Dieu fidèlement; j'ai échappé à tels périls . Maintenant il serait bien étonnant que je tombasse . » Ne le dites pas; car peut- être, pour vous punir , Dieu va - t- il retirer son bras qui vous soutenait jusque-là , et vous tomberez dans quelque faute honteuse, digne châtiment de votre orgueil. Non , ne pensez jamais au bonheur que vous avez de servir Dieu que pour l'en remercier, lui demander pardon de vos fautes, et le supplier de vous garder des fautes les plus graves , vers lesquelles notre nature corrompue incline de tout son poids. Une bien bonne recette encore pour ne pas faire dans la route du mal ce premier pas si funeste, c'est de ne pas marchander avec Dieu , ni avec notre conscience. Toutes les fois que vous êtes tenté , c 'est- à dire que le diable vient frapper à votre porte , Dieu , Implorez alors tout de suite la force d 'en -haut, et vous triompherez . – Mais , si vous vous arrêtez à considérer les charmes de la tentation , si vous vous dites à vous-même : « Vais-je préférer Dieu au démon , ou le démon à Dieu ? » ( car c'est là le dialogue qu'engage avec elle -même une âme qui ne repousse pas immédiatement le péché ), si, en un mot, vous ne profitez pas de cette répugnance qu 'éprouve d 'abord à l'aspect du mal un chrétien fidèle , si vous passez par-dessus les obstacles de tout genre qui font que ce premier pas vous coûte tant, — vous le ferez , ce premier pas, et bien d 'autres encore. Et Dieu sait quand , et si jamais, vous rebrousserez chemin pour redevenir ce que vous étiez tout à l'heure ! Enfin , et surtout, n 'oubliez pas ce remède souverain à tous les maux de l'âme, la confession.
Précisément parce que l'homme a le funeste pouvoir de faire taire sa conscience, Dieu a voulu que le meilleur de nos amis, notre père spirituel, notre confesseur, eût une voix ; non plus une voix intérieure , et qui ne s'entend qu'avec les oreilles de l'âme, comme notre conscience ; mais une voix matérielle qui nous dit les mêmes choses que notre conscience, et qui nous les redit et nous les redira , sans jamais se lasser, tant que nous n 'aurons point poussé l'infidélité jusqu'aux proportions d ' une révolte en règle , c'est-à -dire jusqu 'à cesser de nous confesser. Confessez - vous donc, mes chers amis, — c'est une conclusion à laquelle nous ne saurions trop souvent revenir ; - confessez- vous donc : si vous êtes dans la bonne voie, pour y rester; si vous êtes dans la mauvaise , pour en sortir. C 'est le moyen d 'avoir toujours Dieu avec vous. Appuyés sur lui, le bien ne vous coûtera plus ; et le mal vous coûtera tant, qu 'il vous deviendra comme impossible . – Car, selon une belle parole de l'Écriture : Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?
Dernière édition par MichelT le Mar 8 Fév 2022 - 14:08, édité 1 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: CINQUANTE PROVERBES - CAUSERIES FAMILIÈRES ET CHRÉTIENNES - EUGÈNE DE MARGERIE – Paris – année 1857
32 – LE CONTRÔLE DE NOS PAROLES.
C 'est une erreur assez répandue, chers amis, parmi ceux que n 'éclaire point la lumière de la foi, qu'il n 'y a de mal véritable que celui qui se traduit par un préjudice matériel causé à nos semblables. — Je n 'ai ni tué ni volé, voilà l'étrange éloge que font d'eux-mêmes beaucoup de soi- disant honnêtes gens. - Même parmi les chrétiens, on retrouve le contre -coup de ce préjugé, dans la tendance que nous avons à apprécier la criminalité de nos actions d 'après leurs résultats, plutôt que d 'après leur nature intime. C'est pourquoi je veux vous parler en ce moment des péchés de la langue, dont l'importance , souvent méconnue, est telle cependant que l'apôtre saint Jacques disait : Si quelqu'un ne pèche point en paroles, c'est là vraiment un homme parfait.(Épître de Saint -Jacques 3,2)
N` est ce pas la langue, dit Ésope, qui blasphème les dieux , sème la discorde entre les familles et les États ; qui distille le poison de la calomnie , qui sert d 'intrument aux doctrines les plus fausses et les plus coupables ? Voilà , en effet , ce qu 'est la langue, mes bons amis : un instrument; mais un instrument puissant pour le bien comme pour le mal.
Dans l'énumération de nos fautes , que contient le Confiteor, l'Église met sur la même ligne les péchés d'action et les péchés de parole . On peut même dire qu ' il importe d 'éviter ceux-ci avec plus de soin encore que les autres : d 'abord, parce que les occasions en sont plus fréquentes ; ensuite, parceque, frappés surtout par les choses matérielles, nous sommes toujours portés à craindre plutôt les fautes d 'action que les fautes de parole . -- .C 'est là le sens de ces mots de saint Jacques : Celui qui ne pèche point en paroles , celui-là est un homme parfait . C 'est le sens de notre Proverbe : Un coup de langue est pire qu'un coup de lance. Vous pensez bien qu 'en quelques pages je n 'ai point la prétention de vous parler de toutes les fautes et de tous les crimes qui se commettent par la langue. Un volume n ' y suffirait pas. -- Disons seulement deux mots du péché de parole le plus ordinaire, et dont peut- être vous vous faites très-peu de scrupule : la médisance .
Médire, c 'est dire du mal. – Toutes les fois donc que vous prenez plaisir à raconter les fautes du prochain , à vous entretenir de ses défauts, à colporter le récit de ses actes coupables ou ridicules, vous péchez par médisance. Pour bien comprendre la gravité de la médisance, mes bons amis, il faut avoir fait connaissance avec une soeur aînée de la médisance, aînée en perversité, et aussi en antiquité : on l'appelle la calomnie . Calomnier , c'est dire un mal faux . La médisance ne manque qu 'à la charité : la calomnie manque à la fois à la charité et à la vérité . Si vous voulez vous faire une idée de la profondeur du mal que comporte la calomnie, il suffit de vous rappeler que le calomniateur, c'est le nom propre du démon (ange déchu): diable vient d 'un mot grec qui veut dire calomnier . C 'est pour cela aussi que j'ai dit que la calomnie était la soeur aînée de la médisance : la première fois que, dans le paradis terrestre, le mal fut dit par l`ange déchu ( Genèse 3,5), ce mal était faux . La première médisance fut une calomnie contre Dieu : comme toute médisance du reste qui s'attaque à l'Être suprême. Car , comment dire un mal vrai de Celui en qui réside la plénitude du bien ?
Or, mes amis, c 'est la tendance des soeurs cadettes de se modeler sur leur soeur aînée. Ainsi la médisance, non contente de son air de famille avec la calomnie , tend toujours vers celle- ci. Il est très-peu de médisances qui ne contiennent le germe au moins d 'une calomnie . Il n 'est pas de médisant qui ne s 'expose à de venir calomniateur. - J 'en appelle à votre propre expérience . Vous avez quelquefois assisté à ces conversations, dont le prochain absent fait tous les frais ; vous avez vu chacun apporter sa pierre à cette œuvre mauvaise. Lorsqu’un pauvre patient est ainsi sur la sellette , vous savez avec quel entraînement, dont on finit par ne se plus rendre compte, chaque assistant veut renchérir sur son prédécesseur, et, par ces récits, exciter un rire plus fou , peut- être, ce qui est pis encore, un sourire plus aigre, que le rire et le sourire précédents . Et croyez-vous de bonne foi que chacun se montre bien scrupuleux sur le choix de ses histoires ? que toutes soient de la plus exacte vérité ? que, si le fond est vrai, ou du moins cru tel par le narrateur, les détails ne soient pas embellis , brodés, comme on dit ? Si vous êtes médisant, mon bon ami, ce qu'à Dieu ne plaise! descendez dans votre conscience, et vous vous rappellerez combien est glissant le pas qui mène du mal vrai au mal faux . La charité, ne l'oubliez pas, est la reine des vertus; quand on l'outrage , on est bien près de mépriser la vérité.
Et puis, il y a mille manières de calomnier. Ne croyez pas qu 'il soit nécessaire pour cela de raconter, de propos délibéré, un fait que l'on sait être de tous points inexact. Si vous le tenez; ce fait , d 'une personne à laquelle toute confiance n 'est pas due, et que, dans votre empressement à le mettre le premier en circulation , vous l'adoptiez sans toutes les garanties nécessaires, nécessaires surtout lorsqu 'il s'agit de condamner et de faire condamner votre frère, vous êtes un véritable calomniateur. Et où sont les médisants qui y regardent à deux fois avant d 'accréditer un bruit défavorable ? Ne prennent- ils pas au contraire de toutes mains, même des plus suspectes ? Oh ! qu 'il y a peu de médisants qui ne soient que médisants ! Et puis, qu'est-ce qu 'un fait ? Rien : toute son importance , toute sa signification , tout son mérite ou son démérite dépend de l'intention qui l'a dicté ; de telle sorte que ce qui, pour nous qui ne voyons que les apparences, semble ridicule ou coupable, est peut-être aux yeux de Dieu , qui sonde les cours, un acte héroïque et sublime. Or, je vous le demande encore, où est le médisant qui se contente de rapporter les actions de son prochain ? Où est celui qui ne se croie pas le droit de les juger , c'est-à -dire d ’ en interpréter le sens, de supposer l'intention dont elles émanent, le but que se propose leur auteur, les projets auxquels elles se rattachent? Ne sait - on pas que le simple récit du fait n ' est que la partie grossière de la médisance, mais que ce qui en constitue le charme et la plus exquise jouissance , c'est l'interprétation ? Or, pour peu que, dans cette interprétation , nous supposions à nos frères des motifs autres que ceux qui ont présidé à leur conduite, ce n 'est plus un mal vrai que nous disons, mais un mal faux .
Nous avons franchi les limites de la médisance ; nous sommes des calomniateurs. Et, comme en appréciant ainsi des intentions que Dieu seul connaît, nous risquons toujours de nous tromper, on doit dire que le médisant peut toujours être, et par conséquent, dans son intention , est toujours calomniateur. La parenté bien établie entre la médisance et la calomnie, je dis que ces deux crimes justifient pleinement le proverbe. En soi-même, le crime de la langue comporte plus de malice et de préméditation que l'autre.
En effet, c 'est là le second caractère du coup de langue . On comprend qu 'une blessure est d 'autant plus terrible qu'elle s'attaque à un point plus précieux et plus délicat . Or ai-je besoin de vous dire que l'honneur est, de tous les biens, le plus précieux ? Et, quand même l'honneur ne serait pas à lui seul un bien sans lequel tous les autres ne sont rien , je pourrais vous citer des exemples nombreux de familles entières, ruinées à jamais par l'indiscrétion d 'un médisant ou la haine d 'un calomniateur.
Tel est le mal. Voici le remède. Les médisants se divisent en deux classes, comme en général les sectateurs de toute passion : les moins nombreux disent le mal par perversité , par haine du prochain , par envie de sa supériorité, par une rage intérieure de leur position trop humble . A ces hommes, il n 'y a qu'une chose à dire : qu'ils apprennent à aimer le bon Dieu , qu 'ils lisent dans l'Évangile l'histoire de notre doux Sauveur, qu'ils se pénètrent des bénédictions promises à ceux qui aimeront leurs frères et leur feront du bien ; en un mot, qu'ils deviennent chrétiens. Car on ne l'est pas quand on fait , de propos délibéré, le mal à ses frères. Qu 'ils deviennent chrétiens, et s'ils médisent encore par entraînement, ils ne le feront plus par perversité. Ils passeront dans la deuxième classe de médisants . Ceux- ci sont les faibles, ceux qui parlent et agissent par entraînement et irréflexion . La médisance n 'est chez eux ni un calcul ni un but; elle est simplement une conséquence de leur intempérance de langue et un moyen de tuer le temps qui leur pèse.
Oui, la plupart des médisants sont des bavards. Le fait est que, quand on parle beaucoup ( à moins qu'on ne le fasse dans l'exercice de sa profession ou dans l'ordre de sa vocation ), il est difficile de ne pas rencontrer sur sa route les défauts de Pierre et de Paul; et, si une fois la conversation prend cette tournure, il faut être d 'une rare habileté pour ne pas laisser aux buissons du chemin bien des flocons de laine de cette douce brebis qui se nomme charité. Fuyons donc comme la peste le bavardage ; et, pour le fuir, fuyons l'oisiveté , sa mère. En effet , si l'on habille le prochain pour dire quelque chose , on dit quelque chose parce qu'on ne fait rien . Aussi le travail , en ne nous laissant plus de temps pour les conversations oiseuses , coupe dans sa racine cette plante vénéneuse de la médisance.
Travaillons donc. Dans quelque position que nous soyons, si nous voulions remplir les devoirs de notre état, les jours nous sembleraient trop courts; et lorsque, notre esprit ayant besoin d 'un peu de repos, nous irions le chercher au milieu de notre famille et de nos vrais amis, notre coeur serait trop plein de Dieu , de son amour, de ses bienfaits, pour pouvoir répandre sur le prochain autre chose que la charité dont il est pénétré. Faites, ô mon Dieu ! que nous vous aimions, et que toute notre conduite à l'égard de nos frères soit un reflet de cet amour, afin qu 'en nous voyant les incrédules disent de nous, comme au temps de la primitive Église les païens le disaient des chrétiens, nos pères : Voyez comme ils s'aiment les uns les autres !
33 - PLUS FAIT DOUCEUR QUE VIOLENCE
Oui, mes amis, plus fait douceur que violence ; - pour le bonheur de celui dont l'âme est ornée de cette belle vertu de la douceur ; - pour le bonheur de tous ceux qui l'entourent; — pour la vertu des uns et des autres ; – pour la conversion de tous ceux qui se rencontrent sur le chemin de l'homme doux.
Bienheureux: ceux qui sont doux , dit Notre - Seigneur Jésus-Christ, car ils posséderont la terre ; non point comme les conquérants , par la force de leurs armes , ni comme les savants, par leur génie ; mais d 'une manière bien plus suave et plus enviable ; ils la posséderont par leur cœur ; c'est-à -dire que le cœur de tous les hommes se portera de lui-même vers le cœur de ceux qui sont doux , comme à la source de toute bonté; c 'est-à -dire que de toutes les vertus nulle ne sera aimée , chérie , vénérée , pleurée, lorsqu'elle remontera vers le Ciel, comme la douceur ; et que, pour l' exprimer, ceux qui sont doux seront seuls appelés de ce nom , où se peint toute l'affection de leurs semblables , du nom d 'aimables. — Oui, ceux- là sont par excellence dignes d 'amour, dont le coeur est tendre, l'esprit indulgent, l'humeur facile. Et eussiez-vous toutes les vertus, si la douceur vous manque, nul n ' aura l'idée de vous appeler aimable . Et ne vous étonnez pas, chers amis, de la suréminence de cette vertu .
C 'était, pour ainsi dire , la vertu favorite de notre divin Sauveur; non qu'en lui, source et siège de toutes perfections, une vertu pût exister a un degré plus élevé qu'une autre ; toutes, en lui, étaient infinies. Mais il semble que la douceur soit celle dont il ait voulu former, pour notre instruction , le caractère prédominant de sa physionomie : Apprenez de moi, dit- il de lui-même, que je suis doux et humble de coeur , et vous trouverez la paix de vos âmes (Matthieu 11,29). Aussi , mes bons amis, dans cette imitation du divin Maître, qui constitue la vie du chrétien , devons- nous sans cesse nous attacher à cultiver une vertu qui nous fait aimer des hommes, parce qu'elle nous rend plus semblables à Celui que les saints ont appelé si souvent le doux Jésus. Aussi ces mêmes saints ont-ils tous singulièrement estimé et pratiqué la douceur. – Tous, ceux mêmes que l'histoire nous représente comme les plus austères , avaient nécessairement dans leur coeur et sur leurs lèvres, pour ceux qui les approchaient de près , beaucoup de ce miel sans lequel on ne plaît ni à Dieu ni aux hommes. - Mais remarquez que, même parmi ces grands serviteurs de Dieu , ceux dont le souvenir est demeuré le plus vivant et le plus chéri sur la terre, ce sont ceux qui, à l'exemple de Notre- Seigneur, ont eu la douceur pour vertu dominante.
L 'énumération en serait longue; j'en citerai seulement quelques-uns. C'était le grand saint François d 'Assise, dont le cœur, débordant de tendresse , avait une place même pour les animaux ; il les appelait, dans son charmant langage, ma soeur la colombe, et mon frère le corbeau ; et, par un prodige de la toute puissance divine, et comme pour accomplir, une fois de plus, la promesse : Heureux les doux, parce qu 'ils posséderont la terre, les animaux les plus sauvages eux -mêmes suivaient le saint religieux, et l'aimaient comme un père. C 'était l'illustre évêque de Genève, saint François de Sales, dont les écrits sont comme un écoulement permanent de la divine douceur, et qui, tout éloquent et tout savant qu 'il fût, convertit plus d 'hérétiques et de pécheurs par un regard d 'amour et de simples paroles sorties de son coeur d 'or, que par ses courses et ses prédications. C ' était notre saint Vincent de Paul, dont l'histoire vous est familière, et qui poussa la douceur, la patience, le pardon des injures , l'indulgente bonté, jusqu 'à cet héroïsme que le monde admire , mais que Dieu seul sait inspirer .
D 'où vient, me direz -vous peut-être , cette popularité de la douceur ? De ce que la douceur suppose toujours la bonté, qui est la reine des vertus, et qu' à toutes les autres vertus elle ajoute un charme indéfinissable . Remarquez en effet que, pour être indulgent, patient, tendre, prompt à excuser et à pardonner, ennemi des disputes, prêt par conséquent à renoncer à son propre sens afin de ne pas troubler la paix , pour avoir toutes ces qualités , qui constituent la douceur et en forment l'aimable cortège, il semblera toujours qu 'il faille être bon , avoir dans le coeur l'amour de Dieu , d 'où découle immédiatement, comme sa conséquence nécessaire, l amour du prochain.
De fait, la vraie douceur est toujours une émanation de la bonté ; et, comme il n 'y a de vraiment bons que ceux qui aiment Dieu , la source de toute bonté, il en résulte que les seuls hommes véritablement doux sont les chrétiens. Et cela est naturel. Avant l'auteur du Christianisme, avant Notre- Seigneur, la douceur était chose inconnue; à peine avait- elle un nom dans les langues anciennes. Si nous avions le loisir de jeter un coup d 'œil sur l' état du monde au moment où le Sauveur parut, vous seriez effrayés de la sauvage férocité de cette époque, pourtant si poli . Au milieu des horreurs de l'esclavage, de l'abomination des moeurs publiques et privées , vous trouveriez bien l'élégance des relations de société, les agréments d 'une amitié fondée sur des goûts ou des sentiments communs, cette affection naturelle que les animaux mêmes ressentent. — Mais cette céleste vertu qui s'immole à chaque instant dans le secret du coeur, ce combat perpétuel contre les bouillonnements de la colère, de l'envie, de l'orgueil, cette paix qui rayonne de l'âme du chrétien sur tout ce qui l'entoure, cette atmosphère dans laquelle sont comme baignées ses paroles et ses actions, pour en sortir tout empreintes d 'une suavité , d 'une persuasion , d 'une efficacité divines; la douceur, en un mot, voilà ce que le monde ne connaissait pas avant Jésus Christ.
Voilà ce qu 'il ignore encore , lorsqu 'il néglige les enseignements de ce divin Maître. Il l'ignore moins ce pendant, parce que ceux mêmes qui se croient le plus éloignés de l'Évangile ne peuvent pas faire que ce code divin n 'ait régénéré le monde, laissant des traces profondes jusque dans les siècles et les États les plus révoltés contre lui. Cet homme, qui n 'est pas chrétien , ne peut pas s'empêcher d 'avoir eu pour mère une chrétienne, une sainte peut-être , qui lui apprit tout : enfant a bégayer le nom du doux Jésus. Il a fait sa première communion , et la parole de son curé a laissé dans son âme plus d 'empreintes qu'il ne pense . - Voilà pourquoi, en dehors même du Christianisme, vous voyez quelquefois des vertus qui vous semblent chrétiennes. — Elles le sont en effet dans leur origine . Mais regardez-y de près, et combien vous les trouverez loin de cette perfection que leur donnerait la foi ! - Non , il n ' y a de vraie douceur que dans le Christianisme.
Vous donc, mon ami, qui êtes violent, entier , cassant, dur, et qui enviez l'affection qui s'attache aux qualités aimables qui vous manquent, voulez-vous les acquérir ces qualités? Faites-vous chrétien . Vous aurez dans le Christianisme des modèles : d 'abord le modèle suprême, Notre-Seigneur; puis la foule immense des saints, qui, dans des conditions plus difficiles que les vôtres, ayant pour point de départ peut être un caractère mille fois , plus impétueux que votre caractère, sont parvenus a se vaincre. Vous aurez aussi les instruments nécessaires pour le traitement que vous avez à subir : la prière, qui demande humblement; la confession , qui s'abaisse , et guérit en s'abaissant; l'eucharistie surtout, ce banquet divin , où se trouve pour les âmes de bonne volonté la clef de toutes les vertus, et surtout de la douceur. Comment en effet , admis à ce banquet de délices, et le coeur plein de cette divine nourriture, conserverait-on encore , contre d 'autres frères du Seigneur Jésus, des sentiments de haine ou de rancune?
Et vous qui, sur le point d 'entrer en ménage, cher chez une femme qui vous rende heureux, vous, mon jeune ami, choisissez une femme douce et chrétienne. Il n 'est point de joie durable dans une maison dont la maîtresse n 'a point de douceur. Si, au contraire, elle a appris cette belle vertu à l'école de Notre- Seigneur, la paix régnera toujours dans cet intérieur, et avec la paix le vrai contentement. Que dirai-je de ceux qui sont déjà chrétiens, et qui ne connaissent pas, par leur expérience, les charmes de la douceur ? Je leur dirai qu 'ils sont dans une voie funeste d 'où ils doivent se hâter de sortir . Comment reconnaître les disciples du doux Jésus dans ces âmes pleines de fiel et d 'aigreur ?
Il y a plus. — Si vous êtes vraiment chrétien , vous devez désirer de ramener à Dieu ceux de vos proches et de vos amis qui n 'ont pas le même bonheur. Dans le temps où nous vivons, il n 'est personne qui ne puisse , et par conséquent qui ne doive travailler , autour de lui, à la conversion des âmes. Or c'est ici surtout que s'applique notre Proverbe : Plus fait douceur que violence . Vous vous rappelez la fable de Phébus et Borée . Un voyageur passait, enveloppé dans son manteau . — Lequel de nous deux , se dirent-ils, aura plus tôt dégarni les épaules du cavalier que nous voyons ? Borée rassemble , de tous les coins de l'horizon , les vents dont il est le cheſ ; il les déchaîne sur le pauvre homme, qui serre de plus en plus son manteau , et finit par lasser la fureur des aquilons. Phébus, à son tour, brille au ciel de tout son éclat; ses rayons répandent au loin la lumière et la chaleur; celle -ci, après avoir séché notre pèlerin , devient tellement vive , que, de lui même, il replie son manteau .
Plus fait douceur que violence. Voulez - vous voir votre fils rejeter loin de lui le vêtement funeste de ses vices ; votre mari se défaire de ce tissu de préjugés ou de respect humain qui le sépare de Dieu ? Que votre piété se répande autour de vous comme les tièdes rayons du soleil. – Les vôtres alors , surtout ce fils ou ce mari dont vous êtes saintement préoccupée , seront attirés par une aussi douce influence; ils répudieront tout ce qui les éloigne encore de la source bénie à laquelle ils vous voient puiser cette sérénité, cette patience à toute épreuve, cette indulgence inconnue au monde, toutes ces vertus qui, de votre âme, où elles résident, rayonnent au dehors pour être la joie et la paix de votre intérieur. J'ai connu un mari qui disait à sa femme, lorsque celle-ci le pressait de se convertir : « Mais à quoi me servira d 'être chrétien ? Toi, qui es chrétienne, tu me bourres toute la journée. » C'était mal raisonné, mes bons amis, parce que le peu de patience de la femme prouvait seulement qu'elle appliquait bien imparfaitement les règles de sa foi. Mais c'est ainsi que l'on raisonne d 'ordinaire. Et cela s'explique . Ceux qui ne connaissent pas la Religion en elle-même la jugent naturellement d'après la conduite des personnes religieuses.
Si cette conduite est droite , si surtout elle est aimable ; – remontant de l'effet a la cause , ces hommes, à qui Dieu était inconnu, commencent à le connaître et à l'aimer dans ses serviteurs; ils commencent à se dire : « Si tels sont les ruisseaux , combien ne doit pas être plus riche et plus suave la source qui les alimente ! » C'est en ce sens, parmi bien d 'autres, que l'Écriture a dit : Dieu a confié à chacun le soin de son prochain . Nous répondrons au dernier jour du salut de tant d 'âmes qui nous furent confiées. Quelle belle couronne pour les âmes douces, que ces autres âmes ramenées à Dieu par l' exemple de leur douceur ! Et que nous serions ennemis de nous-mêmes, si nous négligions de cultiver une vertu dont les fruits immortels nous donnent, dès cette vie , dans l'amour de nos frères, dans la sérénité de notre cœur, dans les pacifiques conquêtes que font à Dieu nos exemples , comme un avant- goût du paradis!
34 - LE MIEUX EST L'ENNEMI DU BIEN
Encore une fois , mes bons amis , entendons-nous, et sachons de quel bien nous parlons.
I. Est-ce de ces avantages matériels et passagers, la richesse , la beauté, le pouvoir, et tout cet ensemble de commodités et de satisfactions où le monde voit le bonheur, et que le chrétien , lui, regarde comme de faibles rayons de la beauté céleste, comme des fleurs jetées sur notre passage pour le rendre moins pénible ? De tous ces biens, qui n 'en ont vraiment que l'apparence , ou du moins qui ne sont biens qu'autant que nous les recevons de la main de Dieu , et que nous les employons pour sa gloire, conformément à sa loi et sans y attacher notre coeur, de toutes ces choses on peut dire que le mieux est l'ennemi du bien .
Et la raison en est simple. Rien de tout cela ne nous a été donné pour soi-même; et ce serait se méprendre étrangement que de voir un but dans ce qui n 'est qu 'un moyen . Or, si notre persévérance et notre ardeur peu vent nous approcher du but, Dieu seul est est juge de moyens qu'il lui plaît de nous donner ; à lui seul surtout il appartient de déterminer la mesure dans laquelle il nous dispensera ces biens périssables. Pour nous, soyons persuadés qu 'ils ne nous peuvent mener aux biens éternels qu 'autant que ceux- ci seront l' étoile de notre voyage ; tandis que ceux-là nous serviront à peine comme d 'un bâton , sur lequel on s'appuie dans la route , mais qu 'on aspire au moment de jeter loin de soi, en entrant dans la patrie de la force et du repos.
Vouloir augmenter la masse de nos biens périssables, chercher avec inquiétude à sortir de la position où Dieu nous a placés , pour en trouver une plus commode ou plus brillante , c 'est donc méconnaître cette distinction si importante entre le but et le moyen : c'est nous ingérer dans les desseins de Dieu . Il nous avait voulus dans telle situation , à laquelle sa bonne providence avait attaché mille grâces, qui devaient, comme par la main , nous conduire au port du salut. Nous en sortons. Qui sait où nous arriverons ? Nous montrons, par cette sollicitude pour les choses du monde présent, que nous y attachons notre coeur, tandis que notre travail constant devrait être de l'en détacher. Celui qui voyage toute sa vie s'inquiète de la commodité de ses moyens de transport. Mais cet exilé qui, pour rentrer dans sa patrie, n 'a que quelques jours à passer en route, s'il est sage, il n 'attribue à la question du véhicule qu'une bien petite importance ; les plus odieuses voitures lui semblent douces.
Car son cœur est inondé de joie ; il se repaît déjà de la vue de sa terre natale : et que sont, comparés à cet enivrement de l'âme, quelques contusions ? — Nous qui cheminons vers la céleste patrie , tels devraient être nos sentiments. Et c 'est pourquoi Notre-Seigneur disait : « Ne vous inquiétez pas sur la nourriture et le vêtement; ce sont les païens a qui s 'inquiètent de ces choses. Votre Père céleste ne sait - il pas que vous en avez besoin ? Cherchez donc d 'abord le royaume de Dieu et sa justice ; et vous aurez tout cela de surcroît . » Est-ce ainsi que nous agissons ? Où sont ceux qui, riches, ne cherchent pas à l'être davantage; qui, jouissant d 'une honnête aisance, ne visent pas à la richesse ; qui, devant à un travail assidu ce pain de chaque jour qui suffit aux besoins de leur famille, ne rêvent pas les douceurs d 'une oisive aisance ?
Où sont ceux qui, pour améliorer leur sort, ne manquent à aucune des lois de Dieu , à la délicatesse , à la charité, aux devoirs de famille , à la sainte loi du repos dominical ? — Où sont ceux dont le coeur est, sinon content, du moins résigné, et l'âme détachée de l'amour de ces biens qu 'ils ont ou qu 'ils désirent ? - Où sont-ils ? - - Ou plutôt, où ne sont- ils pas ceux qui, mécontents de leur lot, veulent mieux que ce que Dieu leur a donné ? Pour ceux-là notre Proverbe est vrai : Le mieux: est l'ennemi du bien . Quand même ils réussiraient à rendre plus brillante ou plus douce leur position présente, si , dans leurs efforts pour parvenir à ce but, quelqu 'un des commandements de Dieu a reçu la plus légère atteinte, le mieux qu 'ils ont obtenu est ennemi du bien véritable, de leur bien éternel. Car il n 'y a nulle comparaison entre les plus grands avantages obtenus ici- bas, et le moindre risque couru de perdre les richesses du ciel.
Mais ce n 'est pas tout ; et, par une nouvelle application de cette règle, que ce qui est le plus honnête , est presque toujours en même temps le plus utile, et que l'on ne saurait, presque jamais, faire le mal moral sans en éprouver, matériellement, quelque préjudice , il arrive très-souvent qu'en poursuivant un mieux excessif, non -seulement on ne l'obtient pas, mais on perd encore le bien que l' on avait. Que de riches ruinés par des spéculations où ils espéraient décupler leur fortune ! Que de maladies prenant leur source dans un soin excessif de la santé ! Que de beautés flétries par les caprices mortels d 'une mode qui prétendait les embellir encore ! Et, pour ne pas sortir d 'une plus humble sphère, que de fois nos calculs et nos efforts, lorsqu 'ils n 'ont pas été conformes aux inspirations de la conscience et de la Religion , nous ont fait perdre une position passable , pour tomber dans une pire ?
Ai-je besoin de vous citer ces ouvriers qui, parce que l’ouvrage vient à manquer un instant dans leur village, arrivent à Paris , où , à la place de la gêne, ils trouvent la misère ; ces domestiques qui, au lieu d 'un placement sûr, mais modeste , se laissent prendre à l'appât d 'un intérêt imaginaire, et engloutissent leurs petites économies dans des entreprises industrielles ou dans les rentes espagnoles et portugaises ? En un mot, vouloir mieux que le bien que Dieu nous a donné, c 'est presque toujours être ennemi de soi même; c 'est ressembler à ce chien dont plus d 'une fois vous avez plaint le sort. Il traversait un ruisseau, portant à sa gueule un morceau de viande. A travers les fentes de la passerelle, l'onde pure et tranquille lui renvoya sa propre image et celle de son paquet. Croyant voir un confrère, nanti comme lui-même, il voulut doubler sa richesse , et lâcha ce qu ' il tenait pour saisir ce qu'il croyait voir . Mais l'eau, troublée par la chute de ce corps pesant, eut bien vite effacé l'apparence même de cette image tentatrice , et englouti, avec ce mieux imaginaire, le bien que notre ambitieux animal avait si imprudemment abandonné. Voilà , mes bons amis, le vrai de notre Proverbe. Déjà nous avons développé cette utile leçon à propos de cet autre dicton : Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.
II. Mais, à côté de cette, excellente recette contre l'ambition, dont, hélas ! nous profitons trop peu, j'aperçois un oreiller facile pour notre paresse naturelle. N 'allez pas, chers lecteurs , vous endormir sur cet oreiller : vous pourriez bien vous réveiller là où ni vous ni moi n 'irons, j'espère . Lorsqu'il ne s'agit plus des conditions diverses au milieu desquelles il a plu à la divine providence de nous placer , mais bien de la part que nous devons avoir dans l'œuvre de notre salut, de nos progrès dans le bien , de ce que les théologiens appellent excellemment notre avancement spirituel, ce qui était résignation tout à l'heure devient nonchalance, et je dois vous signaler notre Proverbe comme un des plus dangereux que nous ayons encore rencontrés. Une première raison pour m 'en défier, c 'est l'opposition absolue que j'aperçois entre lui et cet oracle sorti de la bouche infaillible du Sauveur : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Qu 'est-ce que cela veut dire : Soyez parfaits ? Un être parfait est celui auquel atteint un point au delà duquel on ne conçoit point qu'il puisse parvenir . Vous comprenez bien qu'à proprement parler il n 'y a de parfait que Dieu . Mais, à côté de la perfection absolue, de cette perfection qui en Dieu a toujours été, puisqu'elle est Dieu lui-même, il y a , pour chaque être, une perfection relative. Cette perfection d 'emprunt, puisqu'elle découle de Dieu comme de sa source , consiste, pour les êtres libres, à se rapprocher le plus possible de ce divin modèle ; vous voyez que c 'est moins une perfection qu 'un perfectionnement. — Ce perfectionnement doit être continuel, et n 'a point d 'autres limites que le moment fatal où doit cesser, avec notre vie, la faculté que nous avons de mériter, et où notre compte doit être définitivement réglé par le souverain Maître.
— Vous comprenez donc que pour l'homme: Soyez parfaits veut dire : « Tendez sans cesse vers la perfection . Atteignez chaque jour le point où vos forces, aidées de la grâce de Dieu , vous peuvent amener. Telle est votre perfection de chaque jour. Et, si chaque jour vous avancez avec cette conscience, vos divers progrès accumulés vous auront menés à un haut point de perfection . Au moment où la mort vous surprendra , vous serez là où Dieu vous voulait; c 'est - à -dire à ce degré bienheureux qui, des épreuves de la terre supportées courageusement, vous transportera aux joies sans mélange et sans terme de la céleste patrie. »
Que si nous disions au contraire : Le mieux est l'ennemi du bien , qu 'arriverait- il ? Il arriverait qu 'un jour, satisfaits de notre degré de vertu et de piété , nous nous arrêterions, craignant d 'aller trop loin , et nous fixerions, de nous-mêmes a nos progrès dans le bien, des limites que Dieu s'est réservé le droit de déterminer. Les motifs abondent pour montrer combien cette conduite serait coupable et folle . Et d'abord, en nous engageant à ne cheminer qu'à pas discrètement comptés dans la route du bien , notre Proverbe suppose que le bien peut quelquefois être trop bien ; ce qui est une grave erreur, quand il s'agit du bien véritable , c 'est-à -dire de la conformité de nos actes aux lois établies de Dieu . Et la raison en est toute simple , c'est que le bien consiste justement dans le mieux . Comment le mieux , qui est l'essence du bien , pourrait-il en être ennemi? Quand est-ce qu'un écolier remplit son devoir ? qu 'un apprenti fait espérer qu'il va devenir ouvrier ? Lorsque l'un et l'autre font des progrès. Et les progrès d 'hier dispensent-ils de l'obligation d 'en faire aujourd 'hui, ou ceux d'aujourd'hui d'en faire demain ? Nullement.
Jusqu 'au jour où nos parents nous ont retirés de l'école ou de l'atelier d 'apprentissage, notre bien , loin de craindre le mieux , consistait chaque jour à travailler mieux que la veille . - De même jusqu 'à l'heure, connue de Dieu seul, où il nous fera sortir de cette vie , le progrès est notre loi; et c'est le sens de cette parole : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. En effet, s'il était vrai qu 'arrivés à tel point, qui serait le bien , nous dussions nous arrêter, de peur d 'atteindre tel autre, qui serait le mieux , à qui appartiendrait- il de nous fixer ce point d 'arrêt? - Ne voyez - vous pas que, paresseux comme nous sommes, et faciles à être contents de nous-mêmes à peu de frais , nous nous croirions bien vite arrivés à ce lieu où la sagesse voudrait nous voir planter notre tente ? Pour peu que nous eussions cessé une vie évidemment coupable et scandaleuse , nous tomberions tout de suite en extase devant nous -mêmes; nous nous croirions arrivés et nous entonnerions le cantique du repos. Dieu sait, de peur d 'aller trop loin , combien de fois nous nous arrêterions presque au point de départ! - Combien il est plus sage de marcher toujours , laissant à un plus grand que nous de faire cesser notre course en terminant notre vie !
Oui, mes chers amis, il en faut faire son deuil. Bien loin d 'être l'ennemi du bien , le mieux en est la condition ; c'est-à -dire que, dans cette marche mystérieuse , le repos est impossible . Il faut ou avancer ou reculer . - Et vous le comprendrez facilement, si vous vous rappelez ce que nous avons eu plusieurs fois l'occasion de proclamer, que la pente naturelle de notre âme est mauvaise ; que, par conséquent, et pour résister à cette impulsion vers le mal, il faut une impulsion incessante vers le bien . Nous sommes semblables à un homme qui nage contre le courant; dans sa première ardeur , il avance rapidement, et ceux qu 'il a laissés sur le rivage le perdent presque de vue. Mais si, fatigué, il cesse de lutter contre les ondes, ne croyez pas qu' il se maintienne du moins au point où il est parvenu. Il croit se reposer seulement, et ne point avancer; mais il recule effectivement, et bientôt ses camarades étonnés le voient revenir . Qu 'a- t-il fait pour perdre ainsi le fruit de ses premiers efforts ? Rien , sinon qu' il n 'en a point fait de nouveaux .
Ainsi nous ne pouvons demeurer stationnaires ; et si nous ne nous attachons à gagner chaque jour quelque chose sur nos mauvaises habitudes, à aimer chaque jour Dieu avec un peu plus de ferveur, et nos frères avec un peu plus de dévouement, nous serons bientôt revenus au point d 'où nous étions partis, et nous aurons appris, par une triste expérience, que sans mieux il n 'y a point de bien . Il y a plus, chers amis . Et je prétends que c'est être son propre ennemi, même au point de vue des intérêts temporels, que de pratiquer ce lâche proverbe : Le mieux est l'ennemi du bien . Les commencements de chaque chose sont durs et arides; ceux de la piété comme tous les autres : s'arrêter lorsqu 'on les a franchis à peine, c 'est se priver , de gaieté de cour, des consolations et des douceurs qu'on ne peut manquer de trouver dans le service de Dieu , pour peu qu'on s'y attache et qu'on y avance avec ardeur et persévérance. C 'est là une vérité d'expérience. Dieu ne se donne qu 'à ceux qui se donnent à lui sans réserve , et la joie complète ne se trouve que là où on rencontre Dieu . Vous qui êtes revenu à la pratique de vos devoirs, mon bon ami, vous n 'avez encore éprouvé que ce que votre sacrifice a de pénible . Au lieu de vous arrêter, de peur d 'un excès imaginaire, cherchez le mieux ; cherchez-le en toutes choses. Priez mieux, avec plus d 'attention , de recueillement, d 'amour. Remplissez mieux les obligations de votre état , avec plus de zèle, d 'exactitude, de délicatesse. Confessez - vous mieux ; communiez mieux. Aimez mieux vos parents , vos frères, vos amis. Et, parce que vous vous serez ainsi donné à Dieu , il se donnera à vous. Vous sentirez la joie de le servir; et au fond de votre âme, quelles que soient vos peines extérieures, habiteront cette paix et cette sérénité qui font de l'âme du chrétien dévoué un véritable paradis.
Combien ils sont dupes ceux qui ne veulent avoir de la Religion que ses sévérités, refusant de demander à la piété ses douceurs , et les secours immenses que puise dans l'amour de Dieu une âme fidèle ! Les chrétiens ressemblent à ces ouvriers chargés , dans la vieille Rome, du travail important des fouilles. Les uns se lassent bien vite de ce labeur ingrat; ils pensent que le continuer serait seulement augmenter leurs fatigues; ils se découragent donc. D 'autres au contraire se rappellent les richesses enfouies dans ce sol par vingt générations; ils persévèrent, et bientôt, au moment peut- être où les premiers abandonnaient la pioche, – des vases curieux , des monnaies précieuses, et tous ces monuments d 'un autre âge qui font la joie de l'antiquaire, viennent récompenser leur infatigable persévérance. Dans cette mine inépuisable du service de Dieu , creusons, mes bons amis , creusons toujours ; et, en attendant que nous y trouvions notre éternelle félicité, nous ne pourrons manquer d 'y rencontrer des surprises et des ravissements.
35 - A BREBIS TONDUE DIEU MESURE LE VENT
Je ne sais, mes bons amis, si vous avez quelquefois rencontré sur votre chemin un troupeau grelottant de pauvres brebis , dont la toison vient de tomber sous le ciseau du tondeur. – Tandis que l'industrie humaine va tirer de ces blanches laines les vêtements qui nous protègent durant le jour, les couvertures qui nous réchauffent pendant la nuit, les pauvres bêtes qui nous fournissent ces richesses sont bien à plaindre, car elles ont perdu ce vêtement et cette couverture naturelle que le bon Dieu leur avait donnés. - Pour peu que vous ayez un bon coeur, vous les plaignez, et vous faites bien . Quant à moi, j' aurais grand peine à estimer un homme que je verrais indifférent aux souffrances des animaux.
Mais si nous, qui sommes mauvais, mes chers amis (c'est la parole de l'Évangile), si nous éprouvons cette impression de pitié, croyez-vous qu 'à bien plus forte raison , Dieu , qui est la bonté par essence , Dieu , de qui découle tout ce qu 'il y a de bons sentiments en vous, croyez-vous que Dieu ne sente pas ses entrailles s'émouvoir à la vue des souffrances de cette douce créature , et qu'il ne sache pas y porter remède ? En attendant que sa toison repousse , Dieu écartera de la pauvre brebis nouvellement tondue un vent trop violent, une pluie trop pénétrante ; et celui- là lisait bien dans le coeur de ce bon Père, qui s'écria le premier : A brebis tondue Dieu mesure le vent. Celui-là d 'ailleurs avait le coeur plein des souvenirs évangéliques; il savait combien notre doux Sauveur aimait à emprunter ses comparaisons à la nature, ce qu'il disait de consolant pour nous à propos du lis de la vallée et des oiseaux du ciel . Il savait que la brebis était l'image préférée de Notre - Seigneur quand il voulait parler de l'âme chrétienne; qu'il s'intitulait lui-même le bon Pasteur; et que certes il devait mesurer le vent à la brebis malheureuse et fidèle , lui qui ne craignait pas de courir après, la brebis égarée, de la chercher dans les lieux les plus sauvages, de l'arracher aux buissons épineux auxquels follement elle s'était laissé prendre, et de la rapporter au bercail sur ses divines épaules. Restituons donc à notre Proverbe son véritable sens, et disons : Au chrétien affaibli par de longues épreuves, épuisé par des chutes dont il vient de se relever , Dieu mesure les épreuves nouvelles, les adoucissant par l'onction de sa grâce , les proportionnant toujours aux forces amoindries du pauvre patient. Ainsi, pour ce pauvre troupeau que tout à l'heure vous regardiez passer , Dieu apaise le vent trop âpre qui s'élevait ; ou bien , mettant au cœur du berger un peu de sa propre miséricorde, il lui inspire de conduire ses brebis dans un vallon écarté ou des roches creusées par la nature et des hêtres centenaires forment contre l'orage un facile abri. J'ai vu quelquefois moi-même, sur ces hautes falaises d 'où l'œil embrasse la vaste étendue des mers, et qui semblent être l'empire du vent, j'ai vu tout un petit troupeau , - berger, brebis et chien , - réfugié dans un angle étroit, où la dune plus élevée laissait derrière elle une retraite assurée contre les fureurs de l'aquilon.
Mais aussi j'ai vu l'une de ces pauvres brebis, entendant au loin gronder l'Océan , ou mugir la tempête , curieuse de mieux voir et de mieux entendre, s'écarter peu à peu du troupeau , et, trompant l'oeil du chien , gravir quelque roche escarpée . Là , tout à coup , le vent l' a saisie et glacée : heureuse s 'il ne l'emporte pas, à travers les ronces et les escarpements, jusqu'à ce qu'elle se brise sur les galets du rivage! C 'est encore là notre image, mes pauvres amis. - Dieu ne nous garde pas, disions-nous ailleurs , si nous refusons d 'être gardés . Pauvres âmes que nous sommes, épuisés par les luttes que nous avons eues à subir , dépouillés de la robe d ' innocence de notre baptême, et même de cette seconde robe réparatrice de la pénitence, nous avons voulu revenir à Dieu . Il ne nous a pas refusé son pardon . Il a été envers nous, comme envers l'enfant prodigue , d 'une bonté toute paternelle . Surtout, nous sentant faibles , il nous a placés dans un milieu proportionné à notre faiblesse , comme on évite de faire respirer aux poitrines malades l' air vif des montagnes. Il nous a mesuré le vent des tribulations et des tentations trop fortes . — Et nous, malheureux , parce que Dieu était bon , nous avons été présomptueux et téméraires.
Est-ce la faute du berger si notre imprudente brebis de tout à l'heure va s'exposer au péril où sans doute elle périra ? — Nous, de même, mes bons amis , soyons fidèles à la voix de ce Dieu qui tant de fois déjà nous a pardonné, qui nous garde avec une si tendre sollicitude. Il nous demande en retour, et pour toute coopération , d ' imiter sa prudente bonté, de nous aimer nous-mêmes comme il nous aime, de ne pas courir, une fois de plus, aux périls d 'où il nous a tirés. Sachons donc éviter cette société où le respect humain nous porte si souvent à dire lâchement du mal d ' une religion que nous aimons. Gardons-nous de ces discussions où nous savons par expérience à quels tristes naufrages s'exposent la douceur et la charité. Cessons ces lectures pernicieuses pour notre foi ou nos moeurs. Attachons-nous fortement au contraire à ces secours bénis qui nous aident à lutter contre le démon (l`ange déchu): la prière , les sacrements, la pratique de la présence de Dieu , la résignation , etc . Enfin , mes bons amis, sachons que, pour compléter notre Proverbe, si plein de la bonté de Dieu : A brebis tondue Dieu mesure le vent, il faut y ajouter celui-ci, témoignage impérissable de notre ingrate faiblesse : Qui cherche le danger y périra .
36 - IL Y A UNE FIN A TOUT
Oui, mes chers amis, et même à ces bonnes causeries , auxquelles, pour ma part, je prenais un plaisir extrême, et qui, je l'espère, ne vous auront pas trop ennuyés. Je termine donc par un proverbe de circonstance : Il y a une fin à tout, et je l'adresse particulièrement à ceux d 'entre vous qui ont la foi, qui pratiquent même les devoirs de la religion , mais qui, esclaves d 'une passion ou d ' une mauvaise habitude quelconque, pardonnés mille fois, sont mille fois retombés dans les mêmes fautes et courent grand risque de lasser à la fin la patience de Dieu .
I. Voici, à ce sujet, une histoire qui s'est passée sous mes yeux . Un certain me dans la maison que Mathurin n 'en eût sa part, pas de secret de famille qui ne lui fut communiqué. Bien loin de l'accabler d 'ouvrage, le meunier faisait lui. même une partie de la besogne de cet heureux serviteur. Le bruit de ces bons traitements s'était répandu dans le voisinage; et, auprès de tous les garçons de moulin , à plusieurs lieues à la ronde, notre meunier passait pour le phénix des meuniers, et Mathurin pour le plus fortuné des valets : Un vrai coq en pâte , disaient tous ses confrères, qui étaient plus chargés de besogne et moins bien traités par leurs maîtres. En récompense de cette conduite toute paternelle , le meunier ne demandait à son serviteur ni activité extraordinaire, ni intelligence surhumaine, ni même une expansion et une tendresse qu 'il eût bien eu le droit de réclamer. De la bonne volonté pour exécuter les ordres qui lui étaient donnés, de la confiance en son maître, afin de suivre ses conseils ( qui avaient toujours pour but le bien de Mathurin ), de la bonne humeur dans leurs relations de chaque jour, de telle sorte que les observations faites sans impatience par le maître fussent accueillies sans aigreur par le domestique ; en un mot, cette manière d 'être que l'on a tout naturellement avec ceux qu'on aime et qui rend la vie, même au milieu des plus grandes peines, si douce et si facile , voilà ce que le meunier demandait de son serviteur de prédilection .
Ajoutons que le maître n 'exigeait même pas qu 'aucun nuage ne vint troubler cette sérénité . Il eut compris et excusé des moments de mauvaise humeur, de colère même, à condition qu 'ils fussent rares et suivis d 'un prompt et sincère repentir. Mais que croyez-vous qu 'il arriva ? C 'est que Mathurin , qui, pour son malheur, avait un mauvais caractère, devint exigeant à mesure que son maître était plus indulgent et meilleur. Il ne supportait point la moindre observation ; on ne savait par quel bout l'aborder ; c'était un vrai bâton de houx, comme dit le proverbe. Le meunier avait beau mettre , pour le prendre, les gants les plus fourrés, il s 'y piquait toujours. Quand , après avoir patienté longtemps, après avoir enduré pendant des jours et des semaines, près de lui, cette mine longue et cet air renfrogné que rien ne justifiait, quand Maître- Jean hasardait un reproche, Mathurin éclatait en récriminations et se posait en victime. Était- ce que Mathurin au fond n 'aimât pas son maître ?
Au fond , il l' aimait et aurait, je crois , donné sa vie pour lui. Mais Mathurin était l'esclave d 'une passion . Comme d'autres sont ivrognes ou libertins , lui était boudeur. Et il ne comprenait pas que ce vilain défaut demandait à être combattu vigoureusement, faute de quoi il finirait par envahir son âme tout entière et y étouffer ce qu 'elle conservait encore de bons sentiments ; comme en un jardin d 'où la vigilance du jardinier n 'extirpe pas les herbes malfaisantes, celles-ci bien vite couvrent la surface du terrain et ne laissent plus aux plantes salutaires et aux fleurs parfumées ni air ni espace . Ainsi, dans le commencement, lorsqu 'il avait par sa mauvaise humeur contristé le cœur de son maître , Mathurin avait honte de lui-même et demandait pardon .
Mais , comme il ne faisait , par après , aucun effort sur sa mauvaise nature, celle-ci reprenait vite le dessus. Au bout d 'un an ou deux , les bouderies, les colères, les scènes de toutes sortes devinrent plus fréquentes , les demandes de pardon plus rares ; le coeur de Mathurin s’aigrit décidément ; il se persuada presque (du moins à cette surface de la conscience qui se corrompt facilement ) que son maître était un tyran , lui un pauvre persécuté. Cependant le moulin de Maître - Jean était devenu un enfer; et un jour , à la suite d 'une scène plus désagréable encore que de coutume, le meunier appela Mathurin et lui dit : « Méchant serviteur , qu 'ai- je pu a faire pour toi que je n ' aie pas fait ? Tu n 'en as éprouvé, ou du moins ( ce qui revient au même pour moi), tu ne m 'en as manifesté par ta conduite aucune reconnaissance . Je ne te demandais qu 'une a chose : de me servir gaiement et de bonne grâce ; tu a m 'as constamment servi avec une mine rechignée et comme malgré toi. Il paraît que mon service ne t'agrée point. Quant à moi, ma patience est épuisée . Va donc chercher ailleurs des maîtres qui te conviennent davantage et laisse -moi, de mon côté, prendre à mon service des gens qui m 'aiment et me le montrent. » Maître Jean , pour avoir tenu ce langage et cette conduite , vous paraît -il injuste et méchant ? Non , sans doute, et vous pensez que ce qu 'il fit au bout de six ans (sa patience dura tout autant), d'autres, moins bons, mais pourtant point injustes , l'eussent fait après six mois .
II . Voyez-vous où j'en veux venir ? Le voici. Vous, mon bon ami, qui devez à une éducation fortement chrétienne , aux exemples d 'une mère et d 'un père vertueux , d 'avoir toujours eu la foi ; vous qui possédez ce flambeau que tant d 'autres ont perdu et recherchent avec tant d 'efforts ; vous qui connaissez le prix de l'humilité , l'efficacité de la prière, la puissance de la confession , les douceurs fortifiantes de l'Eucharistie ; vous que tout votre entourage porte à la vertu , vous qui vivez dans la maison mème du père de fa mille, et qui respirez un air tout imprégné de religion , quel usage faites- vous de ces faveurs refusées à tant d 'autres ? Sous des dehors qui trompent les regards et qui font envier à plus d'un peut-être le calme et la régularité de votre vie , vous portez une passion ; n 'importe laquelle : l' envie, la colère, l' impureté ; vous lui obéissez en esclave et elle vous tient dans un état de révolte continuelle contre Dieu . Vous n 'avez pas cependant l'excuse de ces hommes qui, privés des lumières de la foi, ne connaissent ni la laideur du péché ni les remèdes que nous offre l’Église pour nous guérir . Vous êtes plus éclairé, par conséquent plus coupable . Vous aimez bien le Bon Dieu , avec votre esprit , peut- être avec votre cœur : vous ne l'aimez pas assez avec votre volonté. L'offenser , lui demander pardon , à la première occasion retomber ; puis, à force de retomber, vous faire comme une seconde nature de cette lâche habitude de ne jamais résister aux mouvements impétueux de vos passions : voilà quelle est votre vie . Dieu pourtant est un bon maître , le meilleur et le plus indulgent de tous les maîtres . En retour des bien faits dont il vous comble , que vous demandait-il ? De la bonne volonté . Et vous la lui refusez ! Craignez qu 'un jour il ne vous dise : « Méchant serviteur, il y a une fin à tout. Ma patience est épuisée.» ? Tu parais ne point te plaire à mon service. Eh bien , « cherche un autre maître . Je romps le lien sacré qui t'attachait à moi. Ce bienfait de la foi que tu as ma connu, je le transporte à d 'autres qui en seront plus dignes . »
Oh ! mon bon ami, tremblez donc en vous rappelant l'histoire de Mathurin ; c 'est la vôtre. Tremblez que le dénouement ne soit le vôtre aussi. On a vu des nations entières, pour avoir abusé de la foi, privées tout à coup de sa divine clarté. C 'est aussi le châtiment des individus, lorsqu 'ils ne répondent point, par une vie chrétienne, aux lumières que Dieu leur a données. Je ne veux pas dire par là, mon cher lecteur, que vous deviez être impeccable , ni même vous décourager de la fréquence de vos chutes.
Le découragement est toujours une mauvaise chose ; et les meilleurs chrétiens pèchent souvent; car ils sont hommes. — Ce que je veux dire, c'est que si, descendant au fond de votre conscience, vous êtes obligé de vous rendre le triste témoignage que vous servez Dieu comme Mathurin servait le meunier; que vous ne faites, pour plaire au souverain Maître, aucun effort sur vous même; que, pour pénétrer dans votre âme, il suffit au diable de se montrer, et que, bien loin de lui fermer la porte au nez, comme tout bon chrétien a le devoir de le faire , vous lui faites toute sorte de politesses pour l'engager à entrer ; — ce qui, en bon français, veut dire : Si vous ne fuyez pas les occasions, et que, bien loin de résister à la tentation , vous lui cédiez sans combattre; - si tel est votre portrait, vous devez trembler de perdre la foi. Oui, mes bons amis, autant Dieu est indulgent pour le pauvre pécheur, qui succombe à la faiblesse de la nature , et qui, combattant toujours, est souvent vaincu , parce que tel est le sort des batailles il est irrité contre le lâche chrétien qui succombe, parce qu'il ne veut pas combattre .
Dieu , pour punir notre infidélité , Dieu , quand sa patience est à bout, peut retirer sa main qui nous soutient, et nous laisser retomber dans la mort, c'est-à -dire nous amener devant son tribunal, où les lâches n 'obtiendront nulle miséricorde. Il peut aussi laisser faire nos infidélités ; en suivant leur cours, elles auront bien vite effacé de notre âme les apparences chrétiennes qui y restent encore, et nous finirons par nous ranger, de nous-mêmes, parmi les impies ou les indifférents . Pensons- y donc, mes bons et chers amis : Il y a une fin à tout. Quelle chose terrible de pousser à bout la patience de Dieu ! Pendant qu'il en est temps encore, embrassons fortement les vérités divines de la religion . Cherchons à en pénétrer profondément notre âme. Si elles n 'étaient qu'à la surface , le moindre orage les pourrait en porter . Mais si, par une constante bonne volonté , nous arrivons à nous identifier avec elles, rien ne pourra nous les arracher. Et nous ne craindrons pas de dire : Il y a une fin à tout; fin de triomphe et d 'honneur pour ceux qui auront bravement combattu jusqu 'au dernier moment. Celui qui aura persévéré JUSQU 'A LA FIN sera couronné, a dit Notre -Seigneur Jésus-Christ.
Fin
C 'est une erreur assez répandue, chers amis, parmi ceux que n 'éclaire point la lumière de la foi, qu'il n 'y a de mal véritable que celui qui se traduit par un préjudice matériel causé à nos semblables. — Je n 'ai ni tué ni volé, voilà l'étrange éloge que font d'eux-mêmes beaucoup de soi- disant honnêtes gens. - Même parmi les chrétiens, on retrouve le contre -coup de ce préjugé, dans la tendance que nous avons à apprécier la criminalité de nos actions d 'après leurs résultats, plutôt que d 'après leur nature intime. C'est pourquoi je veux vous parler en ce moment des péchés de la langue, dont l'importance , souvent méconnue, est telle cependant que l'apôtre saint Jacques disait : Si quelqu'un ne pèche point en paroles, c'est là vraiment un homme parfait.(Épître de Saint -Jacques 3,2)
N` est ce pas la langue, dit Ésope, qui blasphème les dieux , sème la discorde entre les familles et les États ; qui distille le poison de la calomnie , qui sert d 'intrument aux doctrines les plus fausses et les plus coupables ? Voilà , en effet , ce qu 'est la langue, mes bons amis : un instrument; mais un instrument puissant pour le bien comme pour le mal.
Dans l'énumération de nos fautes , que contient le Confiteor, l'Église met sur la même ligne les péchés d'action et les péchés de parole . On peut même dire qu ' il importe d 'éviter ceux-ci avec plus de soin encore que les autres : d 'abord, parce que les occasions en sont plus fréquentes ; ensuite, parceque, frappés surtout par les choses matérielles, nous sommes toujours portés à craindre plutôt les fautes d 'action que les fautes de parole . -- .C 'est là le sens de ces mots de saint Jacques : Celui qui ne pèche point en paroles , celui-là est un homme parfait . C 'est le sens de notre Proverbe : Un coup de langue est pire qu'un coup de lance. Vous pensez bien qu 'en quelques pages je n 'ai point la prétention de vous parler de toutes les fautes et de tous les crimes qui se commettent par la langue. Un volume n ' y suffirait pas. -- Disons seulement deux mots du péché de parole le plus ordinaire, et dont peut- être vous vous faites très-peu de scrupule : la médisance .
Médire, c 'est dire du mal. – Toutes les fois donc que vous prenez plaisir à raconter les fautes du prochain , à vous entretenir de ses défauts, à colporter le récit de ses actes coupables ou ridicules, vous péchez par médisance. Pour bien comprendre la gravité de la médisance, mes bons amis, il faut avoir fait connaissance avec une soeur aînée de la médisance, aînée en perversité, et aussi en antiquité : on l'appelle la calomnie . Calomnier , c'est dire un mal faux . La médisance ne manque qu 'à la charité : la calomnie manque à la fois à la charité et à la vérité . Si vous voulez vous faire une idée de la profondeur du mal que comporte la calomnie, il suffit de vous rappeler que le calomniateur, c'est le nom propre du démon (ange déchu): diable vient d 'un mot grec qui veut dire calomnier . C 'est pour cela aussi que j'ai dit que la calomnie était la soeur aînée de la médisance : la première fois que, dans le paradis terrestre, le mal fut dit par l`ange déchu ( Genèse 3,5), ce mal était faux . La première médisance fut une calomnie contre Dieu : comme toute médisance du reste qui s'attaque à l'Être suprême. Car , comment dire un mal vrai de Celui en qui réside la plénitude du bien ?
Or, mes amis, c 'est la tendance des soeurs cadettes de se modeler sur leur soeur aînée. Ainsi la médisance, non contente de son air de famille avec la calomnie , tend toujours vers celle- ci. Il est très-peu de médisances qui ne contiennent le germe au moins d 'une calomnie . Il n 'est pas de médisant qui ne s 'expose à de venir calomniateur. - J 'en appelle à votre propre expérience . Vous avez quelquefois assisté à ces conversations, dont le prochain absent fait tous les frais ; vous avez vu chacun apporter sa pierre à cette œuvre mauvaise. Lorsqu’un pauvre patient est ainsi sur la sellette , vous savez avec quel entraînement, dont on finit par ne se plus rendre compte, chaque assistant veut renchérir sur son prédécesseur, et, par ces récits, exciter un rire plus fou , peut- être, ce qui est pis encore, un sourire plus aigre, que le rire et le sourire précédents . Et croyez-vous de bonne foi que chacun se montre bien scrupuleux sur le choix de ses histoires ? que toutes soient de la plus exacte vérité ? que, si le fond est vrai, ou du moins cru tel par le narrateur, les détails ne soient pas embellis , brodés, comme on dit ? Si vous êtes médisant, mon bon ami, ce qu'à Dieu ne plaise! descendez dans votre conscience, et vous vous rappellerez combien est glissant le pas qui mène du mal vrai au mal faux . La charité, ne l'oubliez pas, est la reine des vertus; quand on l'outrage , on est bien près de mépriser la vérité.
Et puis, il y a mille manières de calomnier. Ne croyez pas qu 'il soit nécessaire pour cela de raconter, de propos délibéré, un fait que l'on sait être de tous points inexact. Si vous le tenez; ce fait , d 'une personne à laquelle toute confiance n 'est pas due, et que, dans votre empressement à le mettre le premier en circulation , vous l'adoptiez sans toutes les garanties nécessaires, nécessaires surtout lorsqu 'il s'agit de condamner et de faire condamner votre frère, vous êtes un véritable calomniateur. Et où sont les médisants qui y regardent à deux fois avant d 'accréditer un bruit défavorable ? Ne prennent- ils pas au contraire de toutes mains, même des plus suspectes ? Oh ! qu 'il y a peu de médisants qui ne soient que médisants ! Et puis, qu'est-ce qu 'un fait ? Rien : toute son importance , toute sa signification , tout son mérite ou son démérite dépend de l'intention qui l'a dicté ; de telle sorte que ce qui, pour nous qui ne voyons que les apparences, semble ridicule ou coupable, est peut-être aux yeux de Dieu , qui sonde les cours, un acte héroïque et sublime. Or, je vous le demande encore, où est le médisant qui se contente de rapporter les actions de son prochain ? Où est celui qui ne se croie pas le droit de les juger , c'est-à -dire d ’ en interpréter le sens, de supposer l'intention dont elles émanent, le but que se propose leur auteur, les projets auxquels elles se rattachent? Ne sait - on pas que le simple récit du fait n ' est que la partie grossière de la médisance, mais que ce qui en constitue le charme et la plus exquise jouissance , c'est l'interprétation ? Or, pour peu que, dans cette interprétation , nous supposions à nos frères des motifs autres que ceux qui ont présidé à leur conduite, ce n 'est plus un mal vrai que nous disons, mais un mal faux .
Nous avons franchi les limites de la médisance ; nous sommes des calomniateurs. Et, comme en appréciant ainsi des intentions que Dieu seul connaît, nous risquons toujours de nous tromper, on doit dire que le médisant peut toujours être, et par conséquent, dans son intention , est toujours calomniateur. La parenté bien établie entre la médisance et la calomnie, je dis que ces deux crimes justifient pleinement le proverbe. En soi-même, le crime de la langue comporte plus de malice et de préméditation que l'autre.
En effet, c 'est là le second caractère du coup de langue . On comprend qu 'une blessure est d 'autant plus terrible qu'elle s'attaque à un point plus précieux et plus délicat . Or ai-je besoin de vous dire que l'honneur est, de tous les biens, le plus précieux ? Et, quand même l'honneur ne serait pas à lui seul un bien sans lequel tous les autres ne sont rien , je pourrais vous citer des exemples nombreux de familles entières, ruinées à jamais par l'indiscrétion d 'un médisant ou la haine d 'un calomniateur.
Tel est le mal. Voici le remède. Les médisants se divisent en deux classes, comme en général les sectateurs de toute passion : les moins nombreux disent le mal par perversité , par haine du prochain , par envie de sa supériorité, par une rage intérieure de leur position trop humble . A ces hommes, il n 'y a qu'une chose à dire : qu'ils apprennent à aimer le bon Dieu , qu 'ils lisent dans l'Évangile l'histoire de notre doux Sauveur, qu'ils se pénètrent des bénédictions promises à ceux qui aimeront leurs frères et leur feront du bien ; en un mot, qu'ils deviennent chrétiens. Car on ne l'est pas quand on fait , de propos délibéré, le mal à ses frères. Qu 'ils deviennent chrétiens, et s'ils médisent encore par entraînement, ils ne le feront plus par perversité. Ils passeront dans la deuxième classe de médisants . Ceux- ci sont les faibles, ceux qui parlent et agissent par entraînement et irréflexion . La médisance n 'est chez eux ni un calcul ni un but; elle est simplement une conséquence de leur intempérance de langue et un moyen de tuer le temps qui leur pèse.
Oui, la plupart des médisants sont des bavards. Le fait est que, quand on parle beaucoup ( à moins qu'on ne le fasse dans l'exercice de sa profession ou dans l'ordre de sa vocation ), il est difficile de ne pas rencontrer sur sa route les défauts de Pierre et de Paul; et, si une fois la conversation prend cette tournure, il faut être d 'une rare habileté pour ne pas laisser aux buissons du chemin bien des flocons de laine de cette douce brebis qui se nomme charité. Fuyons donc comme la peste le bavardage ; et, pour le fuir, fuyons l'oisiveté , sa mère. En effet , si l'on habille le prochain pour dire quelque chose , on dit quelque chose parce qu'on ne fait rien . Aussi le travail , en ne nous laissant plus de temps pour les conversations oiseuses , coupe dans sa racine cette plante vénéneuse de la médisance.
Travaillons donc. Dans quelque position que nous soyons, si nous voulions remplir les devoirs de notre état, les jours nous sembleraient trop courts; et lorsque, notre esprit ayant besoin d 'un peu de repos, nous irions le chercher au milieu de notre famille et de nos vrais amis, notre coeur serait trop plein de Dieu , de son amour, de ses bienfaits, pour pouvoir répandre sur le prochain autre chose que la charité dont il est pénétré. Faites, ô mon Dieu ! que nous vous aimions, et que toute notre conduite à l'égard de nos frères soit un reflet de cet amour, afin qu 'en nous voyant les incrédules disent de nous, comme au temps de la primitive Église les païens le disaient des chrétiens, nos pères : Voyez comme ils s'aiment les uns les autres !
33 - PLUS FAIT DOUCEUR QUE VIOLENCE
Oui, mes amis, plus fait douceur que violence ; - pour le bonheur de celui dont l'âme est ornée de cette belle vertu de la douceur ; - pour le bonheur de tous ceux qui l'entourent; — pour la vertu des uns et des autres ; – pour la conversion de tous ceux qui se rencontrent sur le chemin de l'homme doux.
Bienheureux: ceux qui sont doux , dit Notre - Seigneur Jésus-Christ, car ils posséderont la terre ; non point comme les conquérants , par la force de leurs armes , ni comme les savants, par leur génie ; mais d 'une manière bien plus suave et plus enviable ; ils la posséderont par leur cœur ; c'est-à -dire que le cœur de tous les hommes se portera de lui-même vers le cœur de ceux qui sont doux , comme à la source de toute bonté; c 'est-à -dire que de toutes les vertus nulle ne sera aimée , chérie , vénérée , pleurée, lorsqu'elle remontera vers le Ciel, comme la douceur ; et que, pour l' exprimer, ceux qui sont doux seront seuls appelés de ce nom , où se peint toute l'affection de leurs semblables , du nom d 'aimables. — Oui, ceux- là sont par excellence dignes d 'amour, dont le coeur est tendre, l'esprit indulgent, l'humeur facile. Et eussiez-vous toutes les vertus, si la douceur vous manque, nul n ' aura l'idée de vous appeler aimable . Et ne vous étonnez pas, chers amis, de la suréminence de cette vertu .
C 'était, pour ainsi dire , la vertu favorite de notre divin Sauveur; non qu'en lui, source et siège de toutes perfections, une vertu pût exister a un degré plus élevé qu'une autre ; toutes, en lui, étaient infinies. Mais il semble que la douceur soit celle dont il ait voulu former, pour notre instruction , le caractère prédominant de sa physionomie : Apprenez de moi, dit- il de lui-même, que je suis doux et humble de coeur , et vous trouverez la paix de vos âmes (Matthieu 11,29). Aussi , mes bons amis, dans cette imitation du divin Maître, qui constitue la vie du chrétien , devons- nous sans cesse nous attacher à cultiver une vertu qui nous fait aimer des hommes, parce qu'elle nous rend plus semblables à Celui que les saints ont appelé si souvent le doux Jésus. Aussi ces mêmes saints ont-ils tous singulièrement estimé et pratiqué la douceur. – Tous, ceux mêmes que l'histoire nous représente comme les plus austères , avaient nécessairement dans leur coeur et sur leurs lèvres, pour ceux qui les approchaient de près , beaucoup de ce miel sans lequel on ne plaît ni à Dieu ni aux hommes. - Mais remarquez que, même parmi ces grands serviteurs de Dieu , ceux dont le souvenir est demeuré le plus vivant et le plus chéri sur la terre, ce sont ceux qui, à l'exemple de Notre- Seigneur, ont eu la douceur pour vertu dominante.
L 'énumération en serait longue; j'en citerai seulement quelques-uns. C'était le grand saint François d 'Assise, dont le cœur, débordant de tendresse , avait une place même pour les animaux ; il les appelait, dans son charmant langage, ma soeur la colombe, et mon frère le corbeau ; et, par un prodige de la toute puissance divine, et comme pour accomplir, une fois de plus, la promesse : Heureux les doux, parce qu 'ils posséderont la terre, les animaux les plus sauvages eux -mêmes suivaient le saint religieux, et l'aimaient comme un père. C 'était l'illustre évêque de Genève, saint François de Sales, dont les écrits sont comme un écoulement permanent de la divine douceur, et qui, tout éloquent et tout savant qu 'il fût, convertit plus d 'hérétiques et de pécheurs par un regard d 'amour et de simples paroles sorties de son coeur d 'or, que par ses courses et ses prédications. C ' était notre saint Vincent de Paul, dont l'histoire vous est familière, et qui poussa la douceur, la patience, le pardon des injures , l'indulgente bonté, jusqu 'à cet héroïsme que le monde admire , mais que Dieu seul sait inspirer .
D 'où vient, me direz -vous peut-être , cette popularité de la douceur ? De ce que la douceur suppose toujours la bonté, qui est la reine des vertus, et qu' à toutes les autres vertus elle ajoute un charme indéfinissable . Remarquez en effet que, pour être indulgent, patient, tendre, prompt à excuser et à pardonner, ennemi des disputes, prêt par conséquent à renoncer à son propre sens afin de ne pas troubler la paix , pour avoir toutes ces qualités , qui constituent la douceur et en forment l'aimable cortège, il semblera toujours qu 'il faille être bon , avoir dans le coeur l'amour de Dieu , d 'où découle immédiatement, comme sa conséquence nécessaire, l amour du prochain.
De fait, la vraie douceur est toujours une émanation de la bonté ; et, comme il n 'y a de vraiment bons que ceux qui aiment Dieu , la source de toute bonté, il en résulte que les seuls hommes véritablement doux sont les chrétiens. Et cela est naturel. Avant l'auteur du Christianisme, avant Notre- Seigneur, la douceur était chose inconnue; à peine avait- elle un nom dans les langues anciennes. Si nous avions le loisir de jeter un coup d 'œil sur l' état du monde au moment où le Sauveur parut, vous seriez effrayés de la sauvage férocité de cette époque, pourtant si poli . Au milieu des horreurs de l'esclavage, de l'abomination des moeurs publiques et privées , vous trouveriez bien l'élégance des relations de société, les agréments d 'une amitié fondée sur des goûts ou des sentiments communs, cette affection naturelle que les animaux mêmes ressentent. — Mais cette céleste vertu qui s'immole à chaque instant dans le secret du coeur, ce combat perpétuel contre les bouillonnements de la colère, de l'envie, de l'orgueil, cette paix qui rayonne de l'âme du chrétien sur tout ce qui l'entoure, cette atmosphère dans laquelle sont comme baignées ses paroles et ses actions, pour en sortir tout empreintes d 'une suavité , d 'une persuasion , d 'une efficacité divines; la douceur, en un mot, voilà ce que le monde ne connaissait pas avant Jésus Christ.
Voilà ce qu 'il ignore encore , lorsqu 'il néglige les enseignements de ce divin Maître. Il l'ignore moins ce pendant, parce que ceux mêmes qui se croient le plus éloignés de l'Évangile ne peuvent pas faire que ce code divin n 'ait régénéré le monde, laissant des traces profondes jusque dans les siècles et les États les plus révoltés contre lui. Cet homme, qui n 'est pas chrétien , ne peut pas s'empêcher d 'avoir eu pour mère une chrétienne, une sainte peut-être , qui lui apprit tout : enfant a bégayer le nom du doux Jésus. Il a fait sa première communion , et la parole de son curé a laissé dans son âme plus d 'empreintes qu'il ne pense . - Voilà pourquoi, en dehors même du Christianisme, vous voyez quelquefois des vertus qui vous semblent chrétiennes. — Elles le sont en effet dans leur origine . Mais regardez-y de près, et combien vous les trouverez loin de cette perfection que leur donnerait la foi ! - Non , il n ' y a de vraie douceur que dans le Christianisme.
Vous donc, mon ami, qui êtes violent, entier , cassant, dur, et qui enviez l'affection qui s'attache aux qualités aimables qui vous manquent, voulez-vous les acquérir ces qualités? Faites-vous chrétien . Vous aurez dans le Christianisme des modèles : d 'abord le modèle suprême, Notre-Seigneur; puis la foule immense des saints, qui, dans des conditions plus difficiles que les vôtres, ayant pour point de départ peut être un caractère mille fois , plus impétueux que votre caractère, sont parvenus a se vaincre. Vous aurez aussi les instruments nécessaires pour le traitement que vous avez à subir : la prière, qui demande humblement; la confession , qui s'abaisse , et guérit en s'abaissant; l'eucharistie surtout, ce banquet divin , où se trouve pour les âmes de bonne volonté la clef de toutes les vertus, et surtout de la douceur. Comment en effet , admis à ce banquet de délices, et le coeur plein de cette divine nourriture, conserverait-on encore , contre d 'autres frères du Seigneur Jésus, des sentiments de haine ou de rancune?
Et vous qui, sur le point d 'entrer en ménage, cher chez une femme qui vous rende heureux, vous, mon jeune ami, choisissez une femme douce et chrétienne. Il n 'est point de joie durable dans une maison dont la maîtresse n 'a point de douceur. Si, au contraire, elle a appris cette belle vertu à l'école de Notre- Seigneur, la paix régnera toujours dans cet intérieur, et avec la paix le vrai contentement. Que dirai-je de ceux qui sont déjà chrétiens, et qui ne connaissent pas, par leur expérience, les charmes de la douceur ? Je leur dirai qu 'ils sont dans une voie funeste d 'où ils doivent se hâter de sortir . Comment reconnaître les disciples du doux Jésus dans ces âmes pleines de fiel et d 'aigreur ?
Il y a plus. — Si vous êtes vraiment chrétien , vous devez désirer de ramener à Dieu ceux de vos proches et de vos amis qui n 'ont pas le même bonheur. Dans le temps où nous vivons, il n 'est personne qui ne puisse , et par conséquent qui ne doive travailler , autour de lui, à la conversion des âmes. Or c'est ici surtout que s'applique notre Proverbe : Plus fait douceur que violence . Vous vous rappelez la fable de Phébus et Borée . Un voyageur passait, enveloppé dans son manteau . — Lequel de nous deux , se dirent-ils, aura plus tôt dégarni les épaules du cavalier que nous voyons ? Borée rassemble , de tous les coins de l'horizon , les vents dont il est le cheſ ; il les déchaîne sur le pauvre homme, qui serre de plus en plus son manteau , et finit par lasser la fureur des aquilons. Phébus, à son tour, brille au ciel de tout son éclat; ses rayons répandent au loin la lumière et la chaleur; celle -ci, après avoir séché notre pèlerin , devient tellement vive , que, de lui même, il replie son manteau .
Plus fait douceur que violence. Voulez - vous voir votre fils rejeter loin de lui le vêtement funeste de ses vices ; votre mari se défaire de ce tissu de préjugés ou de respect humain qui le sépare de Dieu ? Que votre piété se répande autour de vous comme les tièdes rayons du soleil. – Les vôtres alors , surtout ce fils ou ce mari dont vous êtes saintement préoccupée , seront attirés par une aussi douce influence; ils répudieront tout ce qui les éloigne encore de la source bénie à laquelle ils vous voient puiser cette sérénité, cette patience à toute épreuve, cette indulgence inconnue au monde, toutes ces vertus qui, de votre âme, où elles résident, rayonnent au dehors pour être la joie et la paix de votre intérieur. J'ai connu un mari qui disait à sa femme, lorsque celle-ci le pressait de se convertir : « Mais à quoi me servira d 'être chrétien ? Toi, qui es chrétienne, tu me bourres toute la journée. » C'était mal raisonné, mes bons amis, parce que le peu de patience de la femme prouvait seulement qu'elle appliquait bien imparfaitement les règles de sa foi. Mais c'est ainsi que l'on raisonne d 'ordinaire. Et cela s'explique . Ceux qui ne connaissent pas la Religion en elle-même la jugent naturellement d'après la conduite des personnes religieuses.
Si cette conduite est droite , si surtout elle est aimable ; – remontant de l'effet a la cause , ces hommes, à qui Dieu était inconnu, commencent à le connaître et à l'aimer dans ses serviteurs; ils commencent à se dire : « Si tels sont les ruisseaux , combien ne doit pas être plus riche et plus suave la source qui les alimente ! » C'est en ce sens, parmi bien d 'autres, que l'Écriture a dit : Dieu a confié à chacun le soin de son prochain . Nous répondrons au dernier jour du salut de tant d 'âmes qui nous furent confiées. Quelle belle couronne pour les âmes douces, que ces autres âmes ramenées à Dieu par l' exemple de leur douceur ! Et que nous serions ennemis de nous-mêmes, si nous négligions de cultiver une vertu dont les fruits immortels nous donnent, dès cette vie , dans l'amour de nos frères, dans la sérénité de notre cœur, dans les pacifiques conquêtes que font à Dieu nos exemples , comme un avant- goût du paradis!
34 - LE MIEUX EST L'ENNEMI DU BIEN
Encore une fois , mes bons amis , entendons-nous, et sachons de quel bien nous parlons.
I. Est-ce de ces avantages matériels et passagers, la richesse , la beauté, le pouvoir, et tout cet ensemble de commodités et de satisfactions où le monde voit le bonheur, et que le chrétien , lui, regarde comme de faibles rayons de la beauté céleste, comme des fleurs jetées sur notre passage pour le rendre moins pénible ? De tous ces biens, qui n 'en ont vraiment que l'apparence , ou du moins qui ne sont biens qu'autant que nous les recevons de la main de Dieu , et que nous les employons pour sa gloire, conformément à sa loi et sans y attacher notre coeur, de toutes ces choses on peut dire que le mieux est l'ennemi du bien .
Et la raison en est simple. Rien de tout cela ne nous a été donné pour soi-même; et ce serait se méprendre étrangement que de voir un but dans ce qui n 'est qu 'un moyen . Or, si notre persévérance et notre ardeur peu vent nous approcher du but, Dieu seul est est juge de moyens qu'il lui plaît de nous donner ; à lui seul surtout il appartient de déterminer la mesure dans laquelle il nous dispensera ces biens périssables. Pour nous, soyons persuadés qu 'ils ne nous peuvent mener aux biens éternels qu 'autant que ceux- ci seront l' étoile de notre voyage ; tandis que ceux-là nous serviront à peine comme d 'un bâton , sur lequel on s'appuie dans la route , mais qu 'on aspire au moment de jeter loin de soi, en entrant dans la patrie de la force et du repos.
Vouloir augmenter la masse de nos biens périssables, chercher avec inquiétude à sortir de la position où Dieu nous a placés , pour en trouver une plus commode ou plus brillante , c 'est donc méconnaître cette distinction si importante entre le but et le moyen : c'est nous ingérer dans les desseins de Dieu . Il nous avait voulus dans telle situation , à laquelle sa bonne providence avait attaché mille grâces, qui devaient, comme par la main , nous conduire au port du salut. Nous en sortons. Qui sait où nous arriverons ? Nous montrons, par cette sollicitude pour les choses du monde présent, que nous y attachons notre coeur, tandis que notre travail constant devrait être de l'en détacher. Celui qui voyage toute sa vie s'inquiète de la commodité de ses moyens de transport. Mais cet exilé qui, pour rentrer dans sa patrie, n 'a que quelques jours à passer en route, s'il est sage, il n 'attribue à la question du véhicule qu'une bien petite importance ; les plus odieuses voitures lui semblent douces.
Car son cœur est inondé de joie ; il se repaît déjà de la vue de sa terre natale : et que sont, comparés à cet enivrement de l'âme, quelques contusions ? — Nous qui cheminons vers la céleste patrie , tels devraient être nos sentiments. Et c 'est pourquoi Notre-Seigneur disait : « Ne vous inquiétez pas sur la nourriture et le vêtement; ce sont les païens a qui s 'inquiètent de ces choses. Votre Père céleste ne sait - il pas que vous en avez besoin ? Cherchez donc d 'abord le royaume de Dieu et sa justice ; et vous aurez tout cela de surcroît . » Est-ce ainsi que nous agissons ? Où sont ceux qui, riches, ne cherchent pas à l'être davantage; qui, jouissant d 'une honnête aisance, ne visent pas à la richesse ; qui, devant à un travail assidu ce pain de chaque jour qui suffit aux besoins de leur famille, ne rêvent pas les douceurs d 'une oisive aisance ?
Où sont ceux qui, pour améliorer leur sort, ne manquent à aucune des lois de Dieu , à la délicatesse , à la charité, aux devoirs de famille , à la sainte loi du repos dominical ? — Où sont ceux dont le coeur est, sinon content, du moins résigné, et l'âme détachée de l'amour de ces biens qu 'ils ont ou qu 'ils désirent ? - Où sont-ils ? - - Ou plutôt, où ne sont- ils pas ceux qui, mécontents de leur lot, veulent mieux que ce que Dieu leur a donné ? Pour ceux-là notre Proverbe est vrai : Le mieux: est l'ennemi du bien . Quand même ils réussiraient à rendre plus brillante ou plus douce leur position présente, si , dans leurs efforts pour parvenir à ce but, quelqu 'un des commandements de Dieu a reçu la plus légère atteinte, le mieux qu 'ils ont obtenu est ennemi du bien véritable, de leur bien éternel. Car il n 'y a nulle comparaison entre les plus grands avantages obtenus ici- bas, et le moindre risque couru de perdre les richesses du ciel.
Mais ce n 'est pas tout ; et, par une nouvelle application de cette règle, que ce qui est le plus honnête , est presque toujours en même temps le plus utile, et que l'on ne saurait, presque jamais, faire le mal moral sans en éprouver, matériellement, quelque préjudice , il arrive très-souvent qu'en poursuivant un mieux excessif, non -seulement on ne l'obtient pas, mais on perd encore le bien que l' on avait. Que de riches ruinés par des spéculations où ils espéraient décupler leur fortune ! Que de maladies prenant leur source dans un soin excessif de la santé ! Que de beautés flétries par les caprices mortels d 'une mode qui prétendait les embellir encore ! Et, pour ne pas sortir d 'une plus humble sphère, que de fois nos calculs et nos efforts, lorsqu 'ils n 'ont pas été conformes aux inspirations de la conscience et de la Religion , nous ont fait perdre une position passable , pour tomber dans une pire ?
Ai-je besoin de vous citer ces ouvriers qui, parce que l’ouvrage vient à manquer un instant dans leur village, arrivent à Paris , où , à la place de la gêne, ils trouvent la misère ; ces domestiques qui, au lieu d 'un placement sûr, mais modeste , se laissent prendre à l'appât d 'un intérêt imaginaire, et engloutissent leurs petites économies dans des entreprises industrielles ou dans les rentes espagnoles et portugaises ? En un mot, vouloir mieux que le bien que Dieu nous a donné, c 'est presque toujours être ennemi de soi même; c 'est ressembler à ce chien dont plus d 'une fois vous avez plaint le sort. Il traversait un ruisseau, portant à sa gueule un morceau de viande. A travers les fentes de la passerelle, l'onde pure et tranquille lui renvoya sa propre image et celle de son paquet. Croyant voir un confrère, nanti comme lui-même, il voulut doubler sa richesse , et lâcha ce qu ' il tenait pour saisir ce qu'il croyait voir . Mais l'eau, troublée par la chute de ce corps pesant, eut bien vite effacé l'apparence même de cette image tentatrice , et englouti, avec ce mieux imaginaire, le bien que notre ambitieux animal avait si imprudemment abandonné. Voilà , mes bons amis, le vrai de notre Proverbe. Déjà nous avons développé cette utile leçon à propos de cet autre dicton : Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois.
II. Mais, à côté de cette, excellente recette contre l'ambition, dont, hélas ! nous profitons trop peu, j'aperçois un oreiller facile pour notre paresse naturelle. N 'allez pas, chers lecteurs , vous endormir sur cet oreiller : vous pourriez bien vous réveiller là où ni vous ni moi n 'irons, j'espère . Lorsqu'il ne s'agit plus des conditions diverses au milieu desquelles il a plu à la divine providence de nous placer , mais bien de la part que nous devons avoir dans l'œuvre de notre salut, de nos progrès dans le bien , de ce que les théologiens appellent excellemment notre avancement spirituel, ce qui était résignation tout à l'heure devient nonchalance, et je dois vous signaler notre Proverbe comme un des plus dangereux que nous ayons encore rencontrés. Une première raison pour m 'en défier, c 'est l'opposition absolue que j'aperçois entre lui et cet oracle sorti de la bouche infaillible du Sauveur : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. Qu 'est-ce que cela veut dire : Soyez parfaits ? Un être parfait est celui auquel atteint un point au delà duquel on ne conçoit point qu'il puisse parvenir . Vous comprenez bien qu'à proprement parler il n 'y a de parfait que Dieu . Mais, à côté de la perfection absolue, de cette perfection qui en Dieu a toujours été, puisqu'elle est Dieu lui-même, il y a , pour chaque être, une perfection relative. Cette perfection d 'emprunt, puisqu'elle découle de Dieu comme de sa source , consiste, pour les êtres libres, à se rapprocher le plus possible de ce divin modèle ; vous voyez que c 'est moins une perfection qu 'un perfectionnement. — Ce perfectionnement doit être continuel, et n 'a point d 'autres limites que le moment fatal où doit cesser, avec notre vie, la faculté que nous avons de mériter, et où notre compte doit être définitivement réglé par le souverain Maître.
— Vous comprenez donc que pour l'homme: Soyez parfaits veut dire : « Tendez sans cesse vers la perfection . Atteignez chaque jour le point où vos forces, aidées de la grâce de Dieu , vous peuvent amener. Telle est votre perfection de chaque jour. Et, si chaque jour vous avancez avec cette conscience, vos divers progrès accumulés vous auront menés à un haut point de perfection . Au moment où la mort vous surprendra , vous serez là où Dieu vous voulait; c 'est - à -dire à ce degré bienheureux qui, des épreuves de la terre supportées courageusement, vous transportera aux joies sans mélange et sans terme de la céleste patrie. »
Que si nous disions au contraire : Le mieux est l'ennemi du bien , qu 'arriverait- il ? Il arriverait qu 'un jour, satisfaits de notre degré de vertu et de piété , nous nous arrêterions, craignant d 'aller trop loin , et nous fixerions, de nous-mêmes a nos progrès dans le bien, des limites que Dieu s'est réservé le droit de déterminer. Les motifs abondent pour montrer combien cette conduite serait coupable et folle . Et d'abord, en nous engageant à ne cheminer qu'à pas discrètement comptés dans la route du bien , notre Proverbe suppose que le bien peut quelquefois être trop bien ; ce qui est une grave erreur, quand il s'agit du bien véritable , c 'est-à -dire de la conformité de nos actes aux lois établies de Dieu . Et la raison en est toute simple , c'est que le bien consiste justement dans le mieux . Comment le mieux , qui est l'essence du bien , pourrait-il en être ennemi? Quand est-ce qu'un écolier remplit son devoir ? qu 'un apprenti fait espérer qu'il va devenir ouvrier ? Lorsque l'un et l'autre font des progrès. Et les progrès d 'hier dispensent-ils de l'obligation d 'en faire aujourd 'hui, ou ceux d'aujourd'hui d'en faire demain ? Nullement.
Jusqu 'au jour où nos parents nous ont retirés de l'école ou de l'atelier d 'apprentissage, notre bien , loin de craindre le mieux , consistait chaque jour à travailler mieux que la veille . - De même jusqu 'à l'heure, connue de Dieu seul, où il nous fera sortir de cette vie , le progrès est notre loi; et c'est le sens de cette parole : Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. En effet, s'il était vrai qu 'arrivés à tel point, qui serait le bien , nous dussions nous arrêter, de peur d 'atteindre tel autre, qui serait le mieux , à qui appartiendrait- il de nous fixer ce point d 'arrêt? - Ne voyez - vous pas que, paresseux comme nous sommes, et faciles à être contents de nous-mêmes à peu de frais , nous nous croirions bien vite arrivés à ce lieu où la sagesse voudrait nous voir planter notre tente ? Pour peu que nous eussions cessé une vie évidemment coupable et scandaleuse , nous tomberions tout de suite en extase devant nous -mêmes; nous nous croirions arrivés et nous entonnerions le cantique du repos. Dieu sait, de peur d 'aller trop loin , combien de fois nous nous arrêterions presque au point de départ! - Combien il est plus sage de marcher toujours , laissant à un plus grand que nous de faire cesser notre course en terminant notre vie !
Oui, mes chers amis, il en faut faire son deuil. Bien loin d 'être l'ennemi du bien , le mieux en est la condition ; c'est-à -dire que, dans cette marche mystérieuse , le repos est impossible . Il faut ou avancer ou reculer . - Et vous le comprendrez facilement, si vous vous rappelez ce que nous avons eu plusieurs fois l'occasion de proclamer, que la pente naturelle de notre âme est mauvaise ; que, par conséquent, et pour résister à cette impulsion vers le mal, il faut une impulsion incessante vers le bien . Nous sommes semblables à un homme qui nage contre le courant; dans sa première ardeur , il avance rapidement, et ceux qu 'il a laissés sur le rivage le perdent presque de vue. Mais si, fatigué, il cesse de lutter contre les ondes, ne croyez pas qu' il se maintienne du moins au point où il est parvenu. Il croit se reposer seulement, et ne point avancer; mais il recule effectivement, et bientôt ses camarades étonnés le voient revenir . Qu 'a- t-il fait pour perdre ainsi le fruit de ses premiers efforts ? Rien , sinon qu' il n 'en a point fait de nouveaux .
Ainsi nous ne pouvons demeurer stationnaires ; et si nous ne nous attachons à gagner chaque jour quelque chose sur nos mauvaises habitudes, à aimer chaque jour Dieu avec un peu plus de ferveur, et nos frères avec un peu plus de dévouement, nous serons bientôt revenus au point d 'où nous étions partis, et nous aurons appris, par une triste expérience, que sans mieux il n 'y a point de bien . Il y a plus, chers amis . Et je prétends que c'est être son propre ennemi, même au point de vue des intérêts temporels, que de pratiquer ce lâche proverbe : Le mieux est l'ennemi du bien . Les commencements de chaque chose sont durs et arides; ceux de la piété comme tous les autres : s'arrêter lorsqu 'on les a franchis à peine, c 'est se priver , de gaieté de cour, des consolations et des douceurs qu'on ne peut manquer de trouver dans le service de Dieu , pour peu qu'on s'y attache et qu'on y avance avec ardeur et persévérance. C 'est là une vérité d'expérience. Dieu ne se donne qu 'à ceux qui se donnent à lui sans réserve , et la joie complète ne se trouve que là où on rencontre Dieu . Vous qui êtes revenu à la pratique de vos devoirs, mon bon ami, vous n 'avez encore éprouvé que ce que votre sacrifice a de pénible . Au lieu de vous arrêter, de peur d 'un excès imaginaire, cherchez le mieux ; cherchez-le en toutes choses. Priez mieux, avec plus d 'attention , de recueillement, d 'amour. Remplissez mieux les obligations de votre état , avec plus de zèle, d 'exactitude, de délicatesse. Confessez - vous mieux ; communiez mieux. Aimez mieux vos parents , vos frères, vos amis. Et, parce que vous vous serez ainsi donné à Dieu , il se donnera à vous. Vous sentirez la joie de le servir; et au fond de votre âme, quelles que soient vos peines extérieures, habiteront cette paix et cette sérénité qui font de l'âme du chrétien dévoué un véritable paradis.
Combien ils sont dupes ceux qui ne veulent avoir de la Religion que ses sévérités, refusant de demander à la piété ses douceurs , et les secours immenses que puise dans l'amour de Dieu une âme fidèle ! Les chrétiens ressemblent à ces ouvriers chargés , dans la vieille Rome, du travail important des fouilles. Les uns se lassent bien vite de ce labeur ingrat; ils pensent que le continuer serait seulement augmenter leurs fatigues; ils se découragent donc. D 'autres au contraire se rappellent les richesses enfouies dans ce sol par vingt générations; ils persévèrent, et bientôt, au moment peut- être où les premiers abandonnaient la pioche, – des vases curieux , des monnaies précieuses, et tous ces monuments d 'un autre âge qui font la joie de l'antiquaire, viennent récompenser leur infatigable persévérance. Dans cette mine inépuisable du service de Dieu , creusons, mes bons amis , creusons toujours ; et, en attendant que nous y trouvions notre éternelle félicité, nous ne pourrons manquer d 'y rencontrer des surprises et des ravissements.
35 - A BREBIS TONDUE DIEU MESURE LE VENT
Je ne sais, mes bons amis, si vous avez quelquefois rencontré sur votre chemin un troupeau grelottant de pauvres brebis , dont la toison vient de tomber sous le ciseau du tondeur. – Tandis que l'industrie humaine va tirer de ces blanches laines les vêtements qui nous protègent durant le jour, les couvertures qui nous réchauffent pendant la nuit, les pauvres bêtes qui nous fournissent ces richesses sont bien à plaindre, car elles ont perdu ce vêtement et cette couverture naturelle que le bon Dieu leur avait donnés. - Pour peu que vous ayez un bon coeur, vous les plaignez, et vous faites bien . Quant à moi, j' aurais grand peine à estimer un homme que je verrais indifférent aux souffrances des animaux.
Mais si nous, qui sommes mauvais, mes chers amis (c'est la parole de l'Évangile), si nous éprouvons cette impression de pitié, croyez-vous qu 'à bien plus forte raison , Dieu , qui est la bonté par essence , Dieu , de qui découle tout ce qu 'il y a de bons sentiments en vous, croyez-vous que Dieu ne sente pas ses entrailles s'émouvoir à la vue des souffrances de cette douce créature , et qu'il ne sache pas y porter remède ? En attendant que sa toison repousse , Dieu écartera de la pauvre brebis nouvellement tondue un vent trop violent, une pluie trop pénétrante ; et celui- là lisait bien dans le coeur de ce bon Père, qui s'écria le premier : A brebis tondue Dieu mesure le vent. Celui-là d 'ailleurs avait le coeur plein des souvenirs évangéliques; il savait combien notre doux Sauveur aimait à emprunter ses comparaisons à la nature, ce qu'il disait de consolant pour nous à propos du lis de la vallée et des oiseaux du ciel . Il savait que la brebis était l'image préférée de Notre - Seigneur quand il voulait parler de l'âme chrétienne; qu'il s'intitulait lui-même le bon Pasteur; et que certes il devait mesurer le vent à la brebis malheureuse et fidèle , lui qui ne craignait pas de courir après, la brebis égarée, de la chercher dans les lieux les plus sauvages, de l'arracher aux buissons épineux auxquels follement elle s'était laissé prendre, et de la rapporter au bercail sur ses divines épaules. Restituons donc à notre Proverbe son véritable sens, et disons : Au chrétien affaibli par de longues épreuves, épuisé par des chutes dont il vient de se relever , Dieu mesure les épreuves nouvelles, les adoucissant par l'onction de sa grâce , les proportionnant toujours aux forces amoindries du pauvre patient. Ainsi, pour ce pauvre troupeau que tout à l'heure vous regardiez passer , Dieu apaise le vent trop âpre qui s'élevait ; ou bien , mettant au cœur du berger un peu de sa propre miséricorde, il lui inspire de conduire ses brebis dans un vallon écarté ou des roches creusées par la nature et des hêtres centenaires forment contre l'orage un facile abri. J'ai vu quelquefois moi-même, sur ces hautes falaises d 'où l'œil embrasse la vaste étendue des mers, et qui semblent être l'empire du vent, j'ai vu tout un petit troupeau , - berger, brebis et chien , - réfugié dans un angle étroit, où la dune plus élevée laissait derrière elle une retraite assurée contre les fureurs de l'aquilon.
Mais aussi j'ai vu l'une de ces pauvres brebis, entendant au loin gronder l'Océan , ou mugir la tempête , curieuse de mieux voir et de mieux entendre, s'écarter peu à peu du troupeau , et, trompant l'oeil du chien , gravir quelque roche escarpée . Là , tout à coup , le vent l' a saisie et glacée : heureuse s 'il ne l'emporte pas, à travers les ronces et les escarpements, jusqu'à ce qu'elle se brise sur les galets du rivage! C 'est encore là notre image, mes pauvres amis. - Dieu ne nous garde pas, disions-nous ailleurs , si nous refusons d 'être gardés . Pauvres âmes que nous sommes, épuisés par les luttes que nous avons eues à subir , dépouillés de la robe d ' innocence de notre baptême, et même de cette seconde robe réparatrice de la pénitence, nous avons voulu revenir à Dieu . Il ne nous a pas refusé son pardon . Il a été envers nous, comme envers l'enfant prodigue , d 'une bonté toute paternelle . Surtout, nous sentant faibles , il nous a placés dans un milieu proportionné à notre faiblesse , comme on évite de faire respirer aux poitrines malades l' air vif des montagnes. Il nous a mesuré le vent des tribulations et des tentations trop fortes . — Et nous, malheureux , parce que Dieu était bon , nous avons été présomptueux et téméraires.
Est-ce la faute du berger si notre imprudente brebis de tout à l'heure va s'exposer au péril où sans doute elle périra ? — Nous, de même, mes bons amis , soyons fidèles à la voix de ce Dieu qui tant de fois déjà nous a pardonné, qui nous garde avec une si tendre sollicitude. Il nous demande en retour, et pour toute coopération , d ' imiter sa prudente bonté, de nous aimer nous-mêmes comme il nous aime, de ne pas courir, une fois de plus, aux périls d 'où il nous a tirés. Sachons donc éviter cette société où le respect humain nous porte si souvent à dire lâchement du mal d ' une religion que nous aimons. Gardons-nous de ces discussions où nous savons par expérience à quels tristes naufrages s'exposent la douceur et la charité. Cessons ces lectures pernicieuses pour notre foi ou nos moeurs. Attachons-nous fortement au contraire à ces secours bénis qui nous aident à lutter contre le démon (l`ange déchu): la prière , les sacrements, la pratique de la présence de Dieu , la résignation , etc . Enfin , mes bons amis, sachons que, pour compléter notre Proverbe, si plein de la bonté de Dieu : A brebis tondue Dieu mesure le vent, il faut y ajouter celui-ci, témoignage impérissable de notre ingrate faiblesse : Qui cherche le danger y périra .
36 - IL Y A UNE FIN A TOUT
Oui, mes chers amis, et même à ces bonnes causeries , auxquelles, pour ma part, je prenais un plaisir extrême, et qui, je l'espère, ne vous auront pas trop ennuyés. Je termine donc par un proverbe de circonstance : Il y a une fin à tout, et je l'adresse particulièrement à ceux d 'entre vous qui ont la foi, qui pratiquent même les devoirs de la religion , mais qui, esclaves d 'une passion ou d ' une mauvaise habitude quelconque, pardonnés mille fois, sont mille fois retombés dans les mêmes fautes et courent grand risque de lasser à la fin la patience de Dieu .
I. Voici, à ce sujet, une histoire qui s'est passée sous mes yeux . Un certain me dans la maison que Mathurin n 'en eût sa part, pas de secret de famille qui ne lui fut communiqué. Bien loin de l'accabler d 'ouvrage, le meunier faisait lui. même une partie de la besogne de cet heureux serviteur. Le bruit de ces bons traitements s'était répandu dans le voisinage; et, auprès de tous les garçons de moulin , à plusieurs lieues à la ronde, notre meunier passait pour le phénix des meuniers, et Mathurin pour le plus fortuné des valets : Un vrai coq en pâte , disaient tous ses confrères, qui étaient plus chargés de besogne et moins bien traités par leurs maîtres. En récompense de cette conduite toute paternelle , le meunier ne demandait à son serviteur ni activité extraordinaire, ni intelligence surhumaine, ni même une expansion et une tendresse qu 'il eût bien eu le droit de réclamer. De la bonne volonté pour exécuter les ordres qui lui étaient donnés, de la confiance en son maître, afin de suivre ses conseils ( qui avaient toujours pour but le bien de Mathurin ), de la bonne humeur dans leurs relations de chaque jour, de telle sorte que les observations faites sans impatience par le maître fussent accueillies sans aigreur par le domestique ; en un mot, cette manière d 'être que l'on a tout naturellement avec ceux qu'on aime et qui rend la vie, même au milieu des plus grandes peines, si douce et si facile , voilà ce que le meunier demandait de son serviteur de prédilection .
Ajoutons que le maître n 'exigeait même pas qu 'aucun nuage ne vint troubler cette sérénité . Il eut compris et excusé des moments de mauvaise humeur, de colère même, à condition qu 'ils fussent rares et suivis d 'un prompt et sincère repentir. Mais que croyez-vous qu 'il arriva ? C 'est que Mathurin , qui, pour son malheur, avait un mauvais caractère, devint exigeant à mesure que son maître était plus indulgent et meilleur. Il ne supportait point la moindre observation ; on ne savait par quel bout l'aborder ; c'était un vrai bâton de houx, comme dit le proverbe. Le meunier avait beau mettre , pour le prendre, les gants les plus fourrés, il s 'y piquait toujours. Quand , après avoir patienté longtemps, après avoir enduré pendant des jours et des semaines, près de lui, cette mine longue et cet air renfrogné que rien ne justifiait, quand Maître- Jean hasardait un reproche, Mathurin éclatait en récriminations et se posait en victime. Était- ce que Mathurin au fond n 'aimât pas son maître ?
Au fond , il l' aimait et aurait, je crois , donné sa vie pour lui. Mais Mathurin était l'esclave d 'une passion . Comme d'autres sont ivrognes ou libertins , lui était boudeur. Et il ne comprenait pas que ce vilain défaut demandait à être combattu vigoureusement, faute de quoi il finirait par envahir son âme tout entière et y étouffer ce qu 'elle conservait encore de bons sentiments ; comme en un jardin d 'où la vigilance du jardinier n 'extirpe pas les herbes malfaisantes, celles-ci bien vite couvrent la surface du terrain et ne laissent plus aux plantes salutaires et aux fleurs parfumées ni air ni espace . Ainsi, dans le commencement, lorsqu 'il avait par sa mauvaise humeur contristé le cœur de son maître , Mathurin avait honte de lui-même et demandait pardon .
Mais , comme il ne faisait , par après , aucun effort sur sa mauvaise nature, celle-ci reprenait vite le dessus. Au bout d 'un an ou deux , les bouderies, les colères, les scènes de toutes sortes devinrent plus fréquentes , les demandes de pardon plus rares ; le coeur de Mathurin s’aigrit décidément ; il se persuada presque (du moins à cette surface de la conscience qui se corrompt facilement ) que son maître était un tyran , lui un pauvre persécuté. Cependant le moulin de Maître - Jean était devenu un enfer; et un jour , à la suite d 'une scène plus désagréable encore que de coutume, le meunier appela Mathurin et lui dit : « Méchant serviteur , qu 'ai- je pu a faire pour toi que je n ' aie pas fait ? Tu n 'en as éprouvé, ou du moins ( ce qui revient au même pour moi), tu ne m 'en as manifesté par ta conduite aucune reconnaissance . Je ne te demandais qu 'une a chose : de me servir gaiement et de bonne grâce ; tu a m 'as constamment servi avec une mine rechignée et comme malgré toi. Il paraît que mon service ne t'agrée point. Quant à moi, ma patience est épuisée . Va donc chercher ailleurs des maîtres qui te conviennent davantage et laisse -moi, de mon côté, prendre à mon service des gens qui m 'aiment et me le montrent. » Maître Jean , pour avoir tenu ce langage et cette conduite , vous paraît -il injuste et méchant ? Non , sans doute, et vous pensez que ce qu 'il fit au bout de six ans (sa patience dura tout autant), d'autres, moins bons, mais pourtant point injustes , l'eussent fait après six mois .
II . Voyez-vous où j'en veux venir ? Le voici. Vous, mon bon ami, qui devez à une éducation fortement chrétienne , aux exemples d 'une mère et d 'un père vertueux , d 'avoir toujours eu la foi ; vous qui possédez ce flambeau que tant d 'autres ont perdu et recherchent avec tant d 'efforts ; vous qui connaissez le prix de l'humilité , l'efficacité de la prière, la puissance de la confession , les douceurs fortifiantes de l'Eucharistie ; vous que tout votre entourage porte à la vertu , vous qui vivez dans la maison mème du père de fa mille, et qui respirez un air tout imprégné de religion , quel usage faites- vous de ces faveurs refusées à tant d 'autres ? Sous des dehors qui trompent les regards et qui font envier à plus d'un peut-être le calme et la régularité de votre vie , vous portez une passion ; n 'importe laquelle : l' envie, la colère, l' impureté ; vous lui obéissez en esclave et elle vous tient dans un état de révolte continuelle contre Dieu . Vous n 'avez pas cependant l'excuse de ces hommes qui, privés des lumières de la foi, ne connaissent ni la laideur du péché ni les remèdes que nous offre l’Église pour nous guérir . Vous êtes plus éclairé, par conséquent plus coupable . Vous aimez bien le Bon Dieu , avec votre esprit , peut- être avec votre cœur : vous ne l'aimez pas assez avec votre volonté. L'offenser , lui demander pardon , à la première occasion retomber ; puis, à force de retomber, vous faire comme une seconde nature de cette lâche habitude de ne jamais résister aux mouvements impétueux de vos passions : voilà quelle est votre vie . Dieu pourtant est un bon maître , le meilleur et le plus indulgent de tous les maîtres . En retour des bien faits dont il vous comble , que vous demandait-il ? De la bonne volonté . Et vous la lui refusez ! Craignez qu 'un jour il ne vous dise : « Méchant serviteur, il y a une fin à tout. Ma patience est épuisée.» ? Tu parais ne point te plaire à mon service. Eh bien , « cherche un autre maître . Je romps le lien sacré qui t'attachait à moi. Ce bienfait de la foi que tu as ma connu, je le transporte à d 'autres qui en seront plus dignes . »
Oh ! mon bon ami, tremblez donc en vous rappelant l'histoire de Mathurin ; c 'est la vôtre. Tremblez que le dénouement ne soit le vôtre aussi. On a vu des nations entières, pour avoir abusé de la foi, privées tout à coup de sa divine clarté. C 'est aussi le châtiment des individus, lorsqu 'ils ne répondent point, par une vie chrétienne, aux lumières que Dieu leur a données. Je ne veux pas dire par là, mon cher lecteur, que vous deviez être impeccable , ni même vous décourager de la fréquence de vos chutes.
Le découragement est toujours une mauvaise chose ; et les meilleurs chrétiens pèchent souvent; car ils sont hommes. — Ce que je veux dire, c'est que si, descendant au fond de votre conscience, vous êtes obligé de vous rendre le triste témoignage que vous servez Dieu comme Mathurin servait le meunier; que vous ne faites, pour plaire au souverain Maître, aucun effort sur vous même; que, pour pénétrer dans votre âme, il suffit au diable de se montrer, et que, bien loin de lui fermer la porte au nez, comme tout bon chrétien a le devoir de le faire , vous lui faites toute sorte de politesses pour l'engager à entrer ; — ce qui, en bon français, veut dire : Si vous ne fuyez pas les occasions, et que, bien loin de résister à la tentation , vous lui cédiez sans combattre; - si tel est votre portrait, vous devez trembler de perdre la foi. Oui, mes bons amis, autant Dieu est indulgent pour le pauvre pécheur, qui succombe à la faiblesse de la nature , et qui, combattant toujours, est souvent vaincu , parce que tel est le sort des batailles il est irrité contre le lâche chrétien qui succombe, parce qu'il ne veut pas combattre .
Dieu , pour punir notre infidélité , Dieu , quand sa patience est à bout, peut retirer sa main qui nous soutient, et nous laisser retomber dans la mort, c'est-à -dire nous amener devant son tribunal, où les lâches n 'obtiendront nulle miséricorde. Il peut aussi laisser faire nos infidélités ; en suivant leur cours, elles auront bien vite effacé de notre âme les apparences chrétiennes qui y restent encore, et nous finirons par nous ranger, de nous-mêmes, parmi les impies ou les indifférents . Pensons- y donc, mes bons et chers amis : Il y a une fin à tout. Quelle chose terrible de pousser à bout la patience de Dieu ! Pendant qu'il en est temps encore, embrassons fortement les vérités divines de la religion . Cherchons à en pénétrer profondément notre âme. Si elles n 'étaient qu'à la surface , le moindre orage les pourrait en porter . Mais si, par une constante bonne volonté , nous arrivons à nous identifier avec elles, rien ne pourra nous les arracher. Et nous ne craindrons pas de dire : Il y a une fin à tout; fin de triomphe et d 'honneur pour ceux qui auront bravement combattu jusqu 'au dernier moment. Celui qui aura persévéré JUSQU 'A LA FIN sera couronné, a dit Notre -Seigneur Jésus-Christ.
Fin
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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