LA PARABOLE DU SEMEUR - L`Enseignement catholique de 1863

LA PARABOLE DU SEMEUR

Par M. l'abbé GAUREL. - L`Enseignement catholique de 1863


Une partie de la semence tomba le long du chemin , une autre partie tomba sur des pierres, une autre partie tomba parmi les épines, une autre partie tomba dans, de bonne terre.  (Luc 8,5)

Mes frères! Jésus-Christ instruit aujourd'hui le peuple sur la parole de Dieu ou le Verbe divin : ce Verbe appelé par Origène la médecine des âmes ; par saint Jérôme, un bouclier tout-puissant; par saint Chrysostome, une pluie féconde · qui arrose le coeur humain et y fait germer toutes les vertus , par saint Augustin , la nourriture des forts et le lait des petits. Ces louanges du Verbe divin me transportent, mais en même temps elles me jettent dans une sorte d'embarras. Si ce Verbe , en effet , possède une telle vertu , une telle efficacité, pourquoi les chemins qui conduisent vers la céleste Jérusalem sont-ils déserts ? Pourquoi les chemins du monde sont- ils, au contraire, si remplis ? Pourquoi tant de crimes, tant de scandales, tant d'injustices , tant de jalousies, tant de vengeances ? Pourquoi ces défaillances si fréquentes de la foi conjugale, ce peu de pudeur dans les vierges, de modestie dans les jeunes gens, de respect chez les enfants ? Pourquoi ce manque de résignation chez les pauvres, de charité chez les riches, de pudeur chez les vieillards, de franchise chez le marchand ?

Pourquoi ce triomphe du vice, pourquoi cette oppression de la vertu ? Est-ce par défaillance de ce Verbe divin ? A Dieu ne plaise ! La vérité incarnée porte le jour dans toutes ces obscurités , en nous présentant aujourd'hui le verbe divin sous le symbole d’un semeur semant son grain . De même, en effet, que la semence matérielle produit diversement selon la diversité des terrains où elle est semée , ainsi le Verbe divin fructifie avec plus ou moins d'abondance suivant la disposition des cœurs qui le reçoivent . Il est donc d'un immense intérêt pour nous de savoir quelles sont les dispositions qui favorisent la croissance de la parole , celles qui en diminuent la vertu , et celles enfin qui lui font perdre toute sa fécondité. Vous allez apprendre toutes ces choses de la bouche de Jésus - Christ même, car toutes les explications que j'ai à vous donner de l'Évangile de ce jour sont tirées du commentaire que lui - même en a fait. Et d'abord , la semence c'est la parole de Dieu ; la semence c'est le Verbe divin , sorti de toute éternité des profondeurs de l'essence divine . Il n'a cessé, depuis le commencement du monde, de jeter la semence, d'abord par le ministère des anges, puis par celui de Moïse et des Prophètes, et, au temps marqué, par lui-même.

Semeur infatigable , il sème encore chaque jour dans nos cœurs par les inspirations de l'esprit d'amour, par l'influx de sa grâce, par les exemples des saints, par les enseignements de son Église. Que demande un semeur, si ce n'est que la semence germe et fructifie ? Tel est aussi le vœu , le grand désir du Verbe éternel. Les vertus des âmes, ce sont, pour ainsi dire, ses richesses. Dans l'Évangile de dimanche dernier, il appelait l'âme une vigne; dans celui d'aujourd'hui, c'est un champ où il sème. Il attend par conséquent d'elle du blé pour ses greniers, et du vin pour ses celliers , c'est - à - dire une vie vivante et tout imprégnée de cet amour dont le vin est le symbole. Aussi ce céleste Semeur, ce divin Vigneron ne néglige-t -il aucun des soins que ce champ, ou cette vigne réclament : « Qu'ai-je dû faire à ma vigne, dit-il, que je ne lui aie point fait?  Et cependant, au lieu de raisins excellents que j'en attendais, elle ne m'a donné que des grappes mal mûres et amères. »

Les soins qu'il a donnés à son champ seront- ils du moins plus heureux ? Encore ici , Chrétiens, Chrétiennes, que de mécomptes ! que de grain jeté au vent ! que de semence improductive ! Écoutons les propres paroles de Notre - Seigneur : « Un semeur sortit pour semer. Tandis qu'il semait, une partie du grain tomba le long du chemin , et les oiseaux du ciel vinrent qui le mangèrent. Une autre partie tomba sur des endroits pierreux où le grain avait peu de terre . Il leva d'abord , parce que la terre n'était pas profonde ; mais quand le soleil eut paru , il brûla l'herbe, et elle sécha faute de racines et d'humidité. Une autre partie tomba dans les épines ; les épines crûrent et l'étouffèrent , elle ne rapporta rien . »

Suivons Jésus pas à pas. 1 ° Quel fruit à espérer, de la partie de la semence qui tombe le long du chemin ? Un double danger la menace : elle risque d'être foulée aux pieds des passants, ou dévorée par les oiseaux de l'air. Et pareillement, quel fruit de grâce et de vertu peut produire la parole, lorsqu'on la reçoit dans l'oreille seulement, non dans le cœur , si ce n'est peut- être à la surface ? « Ceux qui sont près du chemin , nous dit Jésus -Christ, sont ceux qui écoutent la parole . Dès qu'ils l'ont entendu, Satan vient qui ôte de leur coeur la parole qui avait été semée, de peur qu'en croyant ils ne soient sauvés .» Vous le voyez, la parole n'est tombée que dans l'oreille ou sur la surface du coeur; le dedans lui est resté fermé. La route sèche et durcie, foulée sans cesse aux pieds des passants, figure bien ces coeurs où la parole ne germe pas. Toutes les choses du dehors y sont passées, y ont séjourné ; c'est comme un terrain banal et continuellement foulé qui prend à la fin la consistance et la dureté de la pierre . Qu'en advient- il ? Les oiseaux de l'air, c'est- à- dire la légèreté , l'inconstance , les mille fantaisies de l'esprit et de l'imagination , dévorent en un moment cette partie de la semence et ne lui laissent pas le temps de germer. La conclusion à tirer de ceci est bien simple : puisque la semence , pour être à couvert des atteintes des oiseaux et des pieds des passants, doit être soigneusement enfouie dans la terre , de même il est nécessaire de faire une retraite au Verbe divin dans le plus profond du cœur , afin qu'il ne soit pas à la portée de l'infernal épervier.

Vous dirai- je maintenant quels sont ceux qui ne donnent pas un asile au Verbe dans le fond du cœur, mais qui l'oublient presque aussitôt qu'il a résonné dans leurs oreilles ? Ce sont ces chrétiens qui ne reçoivent pas la parole dans le même esprit et pour la même fin qu'elle est donnée . Ce sont ces chrétiens qui, s'affranchissant du plus vulgaire respect, ne font paraître pendant le temps de la prédication que dégoût et ennui . Ce sont ces chrétiens qui, pendant la distribution au peuple de la parole divine, sont présents de corps , mais absents d'esprit, s'occupant en eux -mêmes de soins domestiques, d'affaires, de projets. Ce sont ces chrétiens qui ne cherchent dans l'audition de la parole qu'un plaisir profane, que la volupté des oreilles, si j'ose le dire , comme si l'Église était une école de rhéteurs. Ce sont ces chrétiens qui, voulant accorder ensemble des choses inconciliables, incompatibles, ne rougissent pas, à la sortie du temple saint , de se rendre dans les festins de débauche. Ce sont, en un mot , ces chrétiens qui voudraient être à la fois au service de Dieu et au service du monde, allier le siècle et l'Église , avoir à la fois un pied dans les deux camps , et marier ensemble Satan et le Christ.

Faut-il s'étonner, dès lors , si le parfum de la divine parole, au lieu de pénétrer dans leur cœur, s'évapore dans les airs ? Quel fruit peut venir d'une semence qui tombe sur un sol pierreux ? Ne pouvant jeter de profondes racines , elle périt bientôt. Et de même, Chrétiens, Chrétiennes, qu'attendre d'un cœur endurci par une longue perpétration du mal? qu'attendre d'un cœur de pierre ? « Ceux qui reçoivent la semence sur un endroit pierreux, nous dit Jésus Christ, ce sont ceux qui , ayant entendu la parole, l'acceptent avec joie , mais ils n'ont pas en eux, un fond où la racine puisse prendre. Ils croient pour un temps, et quand vient ensuite une affliction ou une persécution à cause de la parole, ils en prennent un sujet de scandale et succombent. » On voit assez souvent, qu'une semence jetée au milieu des pierres trouvant un peu de terrain , y prend racine; mais le défaut d'humidité fait qu'elle sèche bientôt. Vous verrez aussi des pécheurs qui, venant de recevoir le céleste grain de la parole, éprouvent tout à coup en eux-mêmes un mouvement secret qui les étonne. La vérité, qui cherche à se faire jour dans leur entendement, les remue : ils gémissent, ils sentent dans leur âme je ne sais quel vague regret du mal qu'ils ont fait. Mais retenus, d'un côté, par la force d'une habitude invétérée, de l'autre, par la pensée des efforts qu'il faudrait faire pour y renoncer, ils se découragent presque aussitôt, et succombent de nouveau.

Coeurs faibles, coeurs mous, ils ne sont durs que pour Dieu , et c'est à cause de cette dureté que la semence de la parole divine n’y peut germer qu'un moment. Chrétiens, Chrétiennes, quel remède à ce mal? Le même dont userait celui qui, possédant un champ pierreux et par là même infertile, voudrait le rendre bon . Il commencerait d'abord par en ôter toutes les pierres . Ôtons aussi les pierres du champ de notre coeur : je veux dire ce trop d'attachement à l'argent qui nous rend durs envers le pauvre , cette colère qui nous rend violents, cet orgueil qui fait qu'on ne s’intéresse qu'à soi -même, et qu’à la longue on ne voit dans l'univers que soi . Lorsque ces sentiments , qui  sont les antipodes de l'amour chrétien , habitent dans un cœur , comment le verbe divin , qui est l'amour même, y prendrait-il racine ? C'est impossible. La semence, aussitôt semée,  elle sèche sur pied , parce qu'elle n'est pas humectée par cette céleste rosée qui coule du coeur de Jésus.  

3 - Quelles espérances fonder sur une semence qui tombe au milieu des épines ? Il est visible que celles- ci , grandissant avec elle , finiront par l'étouffer. Nous avons ici de quoi nous étonner. Jésus-Christ appelle des épines les richesses, les divertissements, les plaisirs. Est- ce possible ? Répétons les paroles du maître de toute vérité, pour nous en bien assurer. « Ce qui tombe dans les épines, nous dit -il , ce sont ceux qui ont entendu , la parole ; les embarras du siècle, les richesses trompeuses, les plaisirs de la vie, et les autres passions qui surviennent étouffent celle parole, elle devient stérile.» C'est bien le cas de dire, que le ciel n'est pas plus éloigné de la terre, que les pensées de Dieu le sont de nos pensées . En quoi ces épines qui piquent ou ensanglantent la main qui les touche, seraient la fidèle image des richesses et des plaisirs ? On entre si peu dans cette doctrine , que les richesses , aujourd'hui surtout, semblent être devenues le Dieu de ce monde. Bien loin de voir en elles des épines, on se persuade volontiers que les épines ne sont que là où les richesses ne sont pas.

On ne travaille, on ne respire que pour elles ; on en a fait l'unique affaire de la vie , tranchons le mot, la dernière fin de l'homme. La parole du divin Maître n'en demeure pas moins vraie. Entrez, si vous l'osez, dans le coeur de ce riche; vous y trouverez un inextricable entrelacement de toutes sortes d'épines : et l'avidité d'acquérir, et la crainte de perdre, et ces mille soucis de la conservation qui croissent et s'augmentent à mesure que croissent et s'augmentent les biens accumulés . Ajoutez à cela cette inquiétude qui naît de leur origine souvent équivoque. On m'objecte les plaisirs divers dont les richesses sont la source. Mais ces plaisirs , sont- ils sans mélange ? N'y a-t- il pas, là aussi , des épines où le coeur se pique? Ignorez - vous ces dégoûts qui les accompagnent, ce remords qui les suit quelquefois, cette tristesse qui les suit toujours ? On nous parle souvent des heureux du siècle et des plaisirs au milieu desquelles ils passent leurs jours. Erreur et illusion ! ces riches, ces prétendus heureux vivent au milieu des embarras, au milieu des agitations, au milieu des ronces : j'en ai pour garant Jésus-Christ lui-même. Quelle n'est donc pas la folie de l'homme lorsqu'il soupire après les richesses, c'est-à-dire après des épines ? C'est mettre en doute la la parole du Maître . Je ne prétends pas par là que Jésus – Christ, ait condamné les richesses. Elles peuvent devenir excellentes par un saint usage ; mais la modération leur est, sous tous les rapports, bien préférable. Elle ne pervertit pas les sens, elle n'enfle pas le coeur  elle est , en un mot, la vraie condition de l'homme ici -bas. C'est à cette aimable modération que vous bornerez, si vous êtes prudents, tous vos désirs.

4 - Nous sommes arrivés au quatrième point de la parabole. Il n'a été jusqu'à présent question que des obstacles qui s'opposent à la fructification de la divine semence; il est temps de parler du milieu favorable où, rien ne contrariant sa vertu , elle porte tous ses fruits :  «Ce qui tombe dans la bonne terre, nous dit le divin Maître, ce sont ceux qui , ayant entendu la parole, la reçoivent dans un coeur bien disposé, et par la patience produisent du fruit : l'un trente, l'autre soixante, l'autre cent pour un .» Vous  le voyez, le terrain favorable aux progrès du Verbe divin , c'est un cœur bien disposé, un cœur, pour me servir des expressions d'un saint docteur (Albert le Grand ), « fertilisé par la piété, humecté par les larmes, enrichi de la doctrine des saints, arrosé de la grâce divine, entouré du fossé d'une exacte discipline, expurgé par la confession, par la pénitence, de toutes ses mauvaises herbes. »

Comment une terre si bien préparée ne produirait - elle pas de bon fruit ? Quant à ce fruit lui-même, les saints le font consister en trois choses : conserver le Verbe divin dans sa mémoire , l'aimer dans son cœur , l'exprimer dans ses œuvres. Heureux fruit ! Ce n'est plus alors l'homme qui vit : c'est la vie divine qui est passée en lui. On peut se demander maintenant : pourquoi les grains semés dans une bonne terre produisent-ils diversement, l’un trente, l'autre soixante, l'autre cent pour un ? Ce serait ici le cas de parler de la diversité et de l'inégalité des dons divins, Tous les hommes ne les ont pas reçus dans la même mesure. Les uns reçoivent dix talents, d'autres cinq , d'autres moins encore . Les différences ne doivent point enorgueillir les premiers, ni humilier les derniers; elles ne sont point l'effet d'une dispensation injuste, elles sont nécessaires pour la beauté de l'ordre, comme le juste juge le fera bien voir à la fin des temps ; car « il sera demandé beaucoup à celui qui a reçu beaucoup, et demandé peu à celui qui a reçu peu . » Après avoir achevé sa parabole, Jésus éleva sa voix et il criait : «Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende !»  Oh ! nous dit saint Augustin , écoutez Jésus ! Il crie à ceux qui sont sourds pour vaincre leur endurcissement ; il crie à ceux qui dorment, afin de les réveiller; il crie à ceux qui passent dans la voie du mal, afin de les arrêter ; il crie à ceux qui s'égarent, afin de les ramener ; il crie aux ignorants, pour leur donner la vérité; il crie à nous tous qui souffrons : «Venez à moi, vous qui êtes fatigués, et je vous soulagerai.» (Matthieu 11,28).

Chrétiens, Chrétiennes, ne fermons pas nos coeurs à cette voix si  tendre et si forte.  Oui, écoutons cette voix de Jésus, et dès aujourd'hui mettons- nous à l’œuvre , afin de faire de notre âme un bon terrain où la divine semence fructifie à l'aise . Ne permettons pas à notre cœur de s'endurcir, de peur qu'il ne soit comme un chemin battu des pieds des passants , où le grain céleste est enlevé par les oiseaux. Arrachons-en cette attache désordonnée à l'argent, à tous les biens de ce monde, au milieu desquels la divine semence étoufferait . Soyons, en deux mots, une bonne terre qui produise le fruit du salut éternel . Amen!