Pie XI, un grand pape tombé dans l'oubli
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Pie XI, un grand pape tombé dans l'oubli
Pie XI, un grand pape tombé dans l'oubli
Le Milanais Achille Rati était élu pape sous le nom de Pie XI il y a cent ans jour pour jour, le 6 février 1922. On lui doit les accords du Latran, la condamnation des totalitarismes, la canonisation de grands saints ou encore la fête du Christ-Roi. Pourtant, ce pape mort en 1939 reste méconnu. Explications avec Marie-Thérèse Desouches, xavière.
Le 6 février 1922, le conclave réuni à Rome pour trouver un successeur à Benoît XV,
décédé le 22 janvier, se conclut par l’élection d’Achille Ratti, qui prend le nom de Pie XI.
Le Milanais Achille Rati était élu pape sous le nom de Pie XI il y a cent ans jour pour jour, le 6 février 1922. On lui doit les accords du Latran, la condamnation des totalitarismes, la canonisation de grands saints ou encore la fête du Christ-Roi. Pourtant, ce pape mort en 1939 reste méconnu. Explications avec Marie-Thérèse Desouches, xavière.
Le 6 février 1922, le conclave réuni à Rome pour trouver un successeur à Benoît XV,
décédé le 22 janvier, se conclut par l’élection d’Achille Ratti, qui prend le nom de Pie XI.
Publié le 6/02/2022 à 13:30
Achille Ratti a été élu pape sous le nom de Pie XI le 6 février 1922, il y a cent ans. On a l’impression que ce pape a complétement disparu des radars. Comment l’expliquer ?
C’est tout à fait étonnant ! Pie XI a pourtant eu un pontificat extrêmement riche avec pas moins de trente encycliques et des gestes forts : les accords du Latran, la condamnation des totalitarismes, l’institution de la fête du Christ-Roi, d’importantes canonisations ou encore le développement de l’Action catholique. Je crois que la figure de Pie XII et la Seconde guerre mondiale ont éclipsé son pontificat. La guerre de 40 a été un basculement de civilisation et le peuple chrétien a considéré Pie XII comme un ange tombé du ciel. Devant cette figure angélique, le pragmatique Pie XI n’avait pas beaucoup de chances.
Tout semble opposer ces deux papes qui, pourtant, se connaissent bien. Eugenio Pacelli a été secrétaire d’Etat de Pie XI de 1930 à 1939.
Les deux hommes n’ont pas du tout les mêmes tempéraments. Pacelli est un diplomate, un homme du compromis. Pie XI est un prophète. Il ne supporte pas les injustices. Dès qu’il sent que la vérité est menacée, il prend la parole. C’est ce qu’il a fait contre l’Allemagne nazie ou le communisme. Pacelli pensait que ce n’était pas la bonne méthode. En bon historien, Pie XI veut aussi inscrire ses décisions dans le temps long. C’est particulièrement vraiment pour les concordats qu’il signera ou les orientations qu’il prend pour la mission de l’Eglise dans le monde.
Historien, titulaire de trois doctorats, polyglotte… Achille Ratti est un érudit qui a passé plus de trente ans à la bibliothèque Ambroisienne (Milan) puis à la bibliothèque apostolique vaticane. Il est aussi un grand spirituel. Comment définiriez-vous sa spiritualité ?
Achille Ratti ne sera pas influencé par une seule spiritualité mais par plusieurs en réalité. Dès son petit séminaire, il entre dans des groupements spirituels qui le marqueront fortement : les tertiaires de saint François mais également l’Apostolat de la prière. Prêtre, il deviendra chapelain de la communauté du Cénacle à Milan et gardera toute sa vie trois traits majeurs de cette spiritualité : le Saint-Esprit, la dévotion mariale et la place centrale de l’eucharistie. Pie XI sera aussi attaché à la spiritualité ignacienne grâce à la Confrérie de saint Charles Borromée et de saint Ambroise, un groupement de prêtres qui donnait à l’époque des retraites de saint Ignace sur les exercices spirituels. Il sera tellement marqué par ces exercices qu’il leur consacrera une encyclique en 1929, Mens nostra.
Sainte Thérèse de l’enfant-Jésus a aussi une grande influence spirituelle sur lui ?
C’est l’étoile de son pontificat, comme il aimera à le répéter. Il découvre Thérèse dès que « l’histoire d’une âme » parait. C’est un Carme de Milan, qui était en lien avec Lisieux, qui lui donne les premiers textes de la carmélite. Tout de suite, Pie XI accroche avec la spiritualité de la petite voie. Au point qu’il la canonisera le 15 mai 1925 et la nommera patronne des missions deux ans plus tard. Durant tout son pontificat, il aura toujours une statue de la petite sainte sur son bureau. Il la prie avant chaque décision importante, et particulièrement lors d’une maladie en 1937.
Au cours de son pontificat, il canonise donc sainte Thérèse de Lisieux, mais aussi le curé d’Ars, Catherine Labouré, Don Bosco, Pierre Canisius, Thomas More, Bernadette Soubirous… Toutes de grandes figures de sainteté !
Pie XI procède à ces canonisations dans un contexte particulier, qu’il a longuement développé dans sa première encyclique Ubi Arcano. Le monde est dangereux et plein d’adversité. La paix n’est pas encore stabilisée, les persécutions contre les chrétiens se poursuivent dans certaines régions du monde (les Cristeros au Mexique par exemple) et l’athéisme se propage dans plusieurs pays d’Europe. Pour aider les fidèles dans cette époque troublée, il leur présente des modèles de sainteté qui ont mis le Christ au centre de leur existence. Les homélies de ses canonisations sont toujours très historiques : il expose la vie des saints avec leurs grâces, mais aussi leurs limites et leurs combats pour mettre en lumière « les victoires remportées par ces champions du Christ pour l'extension de son royaume » (encyclique Quas primas).
L’extension du Royaume de Dieu, c’est justement l’objet de sa première encyclique Ubi arcano sur « la paix du Christ dans le règne du Christ ». C’est l’objectif de son pontificat ?
Lorsqu’Achille Rati arrive sur le siège de Pierre, nous l’avons dit, l’état du monde reste très préoccupant. Pie XI l’écrit dès le début de son encyclique : « ni les individus, ni la société, ni les peuples n'ont encore, après la catastrophe d'une pareille guerre, retrouvé une véritable paix ; la tranquillité active et féconde que le monde appelle n'est pas encore rétablie ». Le nouveau pape a une conviction profonde : seul le règne du Christ procurera la paix sur terre. Et c’est ce à quoi il compte s’employer durant son pontificat. Pour répondre aux maux dont sont victimes les hommes de son temps, à commencer par le laïcisme, Pie XI propose le Christ, prince de la paix et de la réconciliation, comme remède.
Il développera cette idée dans une autre encyclique, Quas primas, consacrée au Christ-Roi et au règne social du Christ. Propose-t-il le retour de la chrétienté ?
Pour Pie XI, le Christ doit régner sur les hommes, mais d’abord dans leur cœur. La seigneurie du Christ commence par la conversion des cœurs. En bon juriste – il a un doctorat en droit canonique -, il sait que le Christ est, de droit, Roi de tous les peuples mais que, dans les faits, il ne l’est pas car les hommes résistent. « Si les hommes venaient à reconnaître l'autorité royale du Christ dans leur vie privée et dans leur vie publique, des bienfaits incroyables - une juste liberté, l'ordre et la tranquillité, la concorde et la paix -- se répandraient infailliblement sur la société tout entière », écrit-il dans cette encyclique. Toutefois, Pie XI n’a pas une conception triomphaliste du règne social du Christ, que l’on brandirait comme un étendard à des fins politiques. « Le royaume est avant tout spirituel et concerne avant tout l'ordre spirituel », écrit-il encore dans Quas primas. Pie XI s’appuie beaucoup sur le dialogue entre Pilate et Jésus – « Mon royaume n’est pas de ce monde » - et les exercices spirituels de saint Ignace. Dans la spiritualité ignacienne, le Christ – qui est le Christ-Roi – appelle des ouvriers pour bâtir son royaume mais ces ouvriers doivent vivre dans la pauvreté, refuser les honneurs et accepter les humiliations. On est loin du triomphalisme ! Pour Pie XI, le centre du règne social du Christ, c’est la croix ! Elle n’est pas le lieu du pouvoir mais la garantie que la paix est donnée. « Des deux peuples il en a fait un seul, en sa personne il a tué la haine » (épitre aux Ephésiens).
C’est en raison de cette conception du règne social du Christ qu’il condamne l’Action française ?
Pie XI a lu tous les documents de Maurras et il a rapidement constaté que ce dernier inversait l’ordre des priorités. Ce qui était premier chez Maurras, c’est l’Etat et pas le Royaume de Dieu. C’est pour ça que Pie XI lui répond : « le Royaume d’abord ». Il ne faut pas voir dans cette prise de position du pape une condamnation de Maurras mais le juste rétablissement des priorités. Quand la vérité est menacée, Pie XI tranche. Il saura le montrer à d’autres occasions, notamment avec ses encycliques condamnant les totalitarismes : Mit brennender Sorge pour le nazisme, Divini Redemptoris sur le communisme athée et Non abbiamo bisogno contre les velléités du fascisme.
Le pouvoir temporel n’a pas d’intérêt à ses yeux ?
Au contraire, Pie XI s’intéresse au temporel mais par des médiations chrétiennes. L’Eglise n’a pas à prendre un pouvoir temporel au sens politique du terme, estime-t-il. Par contre, les chrétiens sont appelés à s’engager dans le monde pour y développer le règne du Christ. C’est la raison pour laquelle Pie XI encourage fortement l’action catholique et signe de nombreux concordats pour permettre à l’Eglise d’être libre afin d’annoncer le Christ partout et à tous.
Qu'est-ce qu'un concordat ?
Du latin médiéval concordatum (cum : « ensemble », et cor : « le cœur »), le mot « concordat » désigne une convention passée entre le Saint-Siège et un Etat en vue de déterminer, au plan juridique, la nature de leurs rapports réciproques, et celle des relations entre l'Eglise et l'Etat dans ce pays.
La France a connu deux concordats. Le premier, signé en 1516 par Léon X et François Ier, avait été abrogé en 1790 par l'Assemblée constituante. Le second, celui de 1801, a été aboli en 1905, entraînant la rupture des relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège ; il n'est resté en vigueur qu'en Alsace et en Moselle. Quand il n'y a pas de concordat, des accords peuvent être signés entre le Saint-Siège et un Etat pour régler ponctuellement des problèmes pratiques. Ainsi, en 1921, les relations diplomatiques entre la France et le Saint-Siège ont été rétablies dans le climat d'apaisement religieux né en France à la suite de la guerre. Le Saint-Siège s'est alors engagé à consulter le gouvernement français pour toute nomination d'évêque.
Cette liberté de l’Eglise, il l’acquiert grâce aux accords du Latran ?
S’il n’avait pas eu le sens de l’histoire, Pie XI n’aurait jamais signé ces accords avec Mussolini. Ce pape voit plus loin que le conflit territorial qui perdurait depuis Pie IX et la perte des états pontificaux. Certes, les accords du Latran constituent une réduction drastique des états pontificaux au seul territoire du Vatican mais ils offrent à l’Eglise une souveraineté territoriale qui lui permet d’asseoir son pouvoir spirituel en toute indépendance. Pie XI voulait sauver l’essentiel : la liberté de l’Eglise. Grâce à ces accords, l’Eglise s’est assurée la possibilité de diffuser la bonne nouvelle du Christ dans le monde.
Vous avancez dans votre ouvrage que le pontificat de Pie XI est un prélude à Vatican II. Pour quelles raisons ? Il voulait d’ailleurs rouvrir le concile Vatican I !
Tous les papes voudront relancer Vatican I, interrompu par la guerre. Pie XI n’y fait pas exception. Mais il rencontre tellement de difficultés durant son ministère qu’il n’aura pas le temps de lancer ce vaste chantier. Cependant, son pontificat est une sorte de prélude à Vatican II, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, Pie XI renouvellent les sources de la théologie. Traditionnellement, elle se résumait à des thèses universitaires. Lui, en raison de sa grande culture, va s’inspirer des pères de l’Eglise avec Ambroise, Augustin ou les pères orientaux qu’il découvre lors de son passage en Pologne comme nonce apostolique. Il reprend aussi les médiévaux dont Thomas d’Aquin, sans oublier l’Ecriture même s’il n’est pas exégète. Ensuite, sa théologie est caractéristique de Vatican II : la place centrale qu’il accorde au Christ et à l’eucharistie, son attachement à l’Esprit-Saint ou encore son intérêt pour l’eschatologie. Enfin, le rôle majeur qu’il donne aux laïcs dans le monde, même s’il n’est pas le premier à en parler, est tout à fait dans l’esprit de ce que propose Vatican II.
Le Christ dans l'histoire selon le pape Pie XI, un prélude à Vatican II ? Marie-Thérèse Desouche, Cerf, Cogitatio Fidei
Antoine Pasquier
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
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