« C’est inhumain ! » : désarroi à Fréjus-Toulon après la suspension des ordinations

par Lumen Dim 12 Juin 2022 - 22:13

« C’est inhumain ! » : désarroi à Fréjus-Toulon après la suspension des ordinations

Une semaine après la décision de Rome de surseoir aux ordinations à Fréjus-Toulon, prêtres et fidèles du diocèse expriment leur peine et leur immense incompréhension. Gardant l’espérance, beaucoup espèrent néanmoins des explications

« C’est inhumain ! » : désarroi à Fréjus-Toulon après la suspension des ordinations Mgr_dominique_rey

« C’est inhumain ! » : désarroi à Fréjus-Toulon après la suspension des ordinations Mgr_dominique_rey

Mgr Rey célébrait la messe des confirmations à Saint-Raphaël dimanche de Pentecôte. Il a adressé un bref mot au sujet de la suspension des ordinations. ici, lors d'une messe en 2008. - Alain PINOGES/CIRIC

Dimanche de Pentecôte, 5 juin 2022. Dans l’église bondée Notre-Dame de la Paix à Saint-Raphaël (Var), Mgr Dominique Rey préside la messe des confirmations. Si l’ambiance est à la fête, un fond de gravité se dessine sur son visage et celui de plusieurs fidèles dans l’assemblée. Au moment des annonces, l’évêque de Fréjus-Toulon adresse ce bref message après avoir demandé de prier pour les familles des confirmés. « Merci, en cette période de grandes turbulences où nous avons dû pour le moment surseoir aux ordinations, de prier pour le séminaire, pour les séminaristes qui préparaient cet événement avec grande joie […]. Confions aussi nos rencontres et ce dialogue avec les autorités romaines pour que l’on trouve une solution… Merci à tous de votre prière et de votre soutien. » Un message salué par de chaleureux applaudissements.

Cette messe avait lieu à peine trois jours après l’annonce de la décision romaine exigeant la suspension des ordinations du diocèse de Fréjus-Toulon, en raison de « la restructuration du séminaire et de la politique d’accueil du diocèse », indiquait Mgr Rey dans un communiqué du 2 juin sans pouvoir apporter plus de précisions.

Prêtres et fidèles consternés et attristés

Aux quatre coins du diocèse, c’est le choc et la consternation. « Suspendre des ordinations quinze jours avant, c’est absolument inhumain, s’indigne le père Thierry de Marsac, prêtre de l’Emmanuel et curé de la paroisse Saint-Joseph du Pont-Du-Las à Toulon. Au-delà des motivations qui ne m’appartiennent pas, punir tout un groupe de la sorte est très douloureux. La violence de cette décision s’étend sur tout notre diocèse dans lequel se vit une grande collaboration avec les séminaristes », confie le curé. Il évoque notamment un système de parrainage grâce auquel les fidèles prient pour un « filleul » du séminaire et peuvent financer une partie de sa formation.

La stupéfaction est partagée par le père Jorge Luis Silva Vargas, vicaire de la paroisse Saint-Pierre de Toulon. « Nous n’avions vraiment rien vu venir », avoue-t-il tout en invitant à rester dans une attitude de confiance et d’espérance. « La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. J’ai tout de suite pensé aux ordinands et à leurs familles, c’est d’autant plus dur pour tout le monde que notre diocèse porte beaucoup de fruits », ajoute Martine, une septuagénaire de la paroisse de l’Emmanuel à Toulon.

Un diocèse « qui portait tant de fruits ! »

Comme elle, nombreux sont les paroissiens et prêtres qui insistent sur le dynamisme du diocèse, rendant la décision romaine d’autant plus frustrante. « Il y a tant de fruits missionnaires palpables ici ! L’unité est vécue en actes, dans notre époque où la vie ecclésiale n’est souvent pas si simple », souligne Véronique, fidèle au sein du regroupement paroissial du Mourillon. « Nous avons souvent déménagé, et on a rarement vu un diocèse aussi riche et uni autour de la figure de l’évêque. Les communautés ‘’tradis’’ et charismatiques œuvrent ensemble, c’est très unificateur pour nous, laïcs », confie cette paroissienne. En apprenant la suspension des ordinations, elle et son mari ont vécu un « véritable choc ».

Béatrice, 55 ans, évoque quant à elle un « coup de massue très fort ». Ayant assisté à la messe avec Mgr Rey dimanche pour la confirmation de sa fille, elle a vu combien il semblait « terriblement affecté ». « Notre évêque est resté très sobre et n’a pas voulu entrer dans la polémique, mais on voyait combien il portait ce souci pour tout le diocèse. Je ne sais pas ce qui lui est reproché par Rome, sans doute y a-t-il des raisons à cette décision, mais en tout cas Mgr Rey a toujours pris très au sérieux son rôle de père et de pasteur voulant rassembler ses brebis. » Elle aussi souligne l’unité qui règne dans le diocèse. « En tant que famille de militaire plutôt nomade, c’est la première fois que nous expérimentons une telle communion. » Très impliquée dans la journée des fiancés, Béatrice témoigne que, lors de cet événement, « tout le monde se retrouve : les tradis, les prêtres diocésains, les communautés charismatiques… Et dans la rue à Toulon, tout le monde salue les missionnaires de la Miséricorde divine. C’est l’image que je voudrais qu’on diffuse de l’Eglise, et pas celle que j’aurais imaginé qu’on veuille casser… »

Besoin d’explications claires

Astrid aussi a le sentiment d’un élan brisé. Cette quarantenaire très active et proche aussi bien de la liturgie tridentine que postconciliaire parle de « coup d’arrêt mortel à la mission ». « Je tiens une librairie et c’était le sujet numéro un ces jours-ci. Les gens ont vraiment soif d’explications, car c’est un peu toute la légitimité du diocèse qui est remise en cause ». Or des explications, il n’y en a pas ou très peu. Contacté par Famille Chrétienne, le diocèse préfère pour l’heure se concentrer sur les relations avec Rome et ne pas intervenir dans la presse. Et Rome reste toujours aussi silencieux.

De son côté, le recteur du séminaire, le père Benoît Moradei, a confirmé dans un entretien à Famille Chrétienne que la visite « fraternelle » menée par Mgr Aveline ces derniers mois avait mis en lumière quelques « défis à relever » notamment sur « la formation intellectuelle qu’ils ont trouvé très bonne ». Autant dire que les causes très précises d’une décision aussi brutale à quelques jours des ordinations restent dans l’ensemble assez floues. Le recteur du séminaire assure malgré tout que « Le travail de Mgr Aveline ne nous a pas porté préjudice. Au contraire ! Son accompagnement fut vraiment paternel et encourageant. » Contacté par la rédaction, ce dernier n’a finalement pas souhaité ajouter de commentaires aux déclarations du recteur du séminaire. Idem pour Mgr Sylvain Bataille, qui a participé à la visite à ses côtés.

« Nous n’avons pas les éléments pour maîtriser tout le dossier, mais ceux qui ont pris cette décision ne peuvent ignorer sa portée symbolique. C’est un coup de lance dans un diocèse qui semblait tant rayonner par son dynamisme ! Il y a une volonté de frapper les esprits et c’est d’autant plus gênant de n’avoir aucune explication » déplore Charles, un jeune paroissien du diocèse. « L’évêque accueille beaucoup de monde, c’est le deuxième plus gros vivier de séminaristes après Paris [et la communauté Saint-Martin, ndlr] et je crois que chacun peut y trouver chaussure à son pied. Cela devrait être plutôt salué », souligne-t-il. Cet accueil très large est notamment l’un des aspects figurant visiblement dans le viseur de Rome. Certains assurent que le Vatican veut se faire la peau des communautés « tradis » que Mgr Rey prend sous son aile, quand d’autres invoquent un éventuel manque de prudence dans le recrutement de certains candidats à la prêtrise venant de communautés, notamment étrangères et plutôt charismatiques, qui poseraient problème.

« La décision est a priori liée à un faisceau de facteurs, des rancœurs personnelles qui s’ajoutent à certains dysfonctionnements sans doute réels », résume un prêtre du diocèse bien renseigné, vent debout contre une annonce aussi brutale. « C’est d’une violence inouïe. S’il y a des choses à dire avec Mgr Rey, cela se règle en privé. Mais prendre une sanction contre tout un diocèse qui compte 250 prêtres et 40 séminaristes à l’heure où l’Eglise n’a plus de vocations, on voit bien l’orientation qui veut être donnée ! » Et d’ajouter : « Cette suspension des ordinations n’est pas du tout dans l’esprit de la visite de Mgr Aveline. Cette dernière a vraiment été fraternelle, et il en ressortait une vraie compréhension des points qui pourraient être rectifiés dans l’accueil et dans la formation des séminaristes. Tout cela est incompréhensible ».

Démarches de prière

Après le désarroi vient aussi le temps de la prière. « Nous tentons de rester dans l’espérance et dans la confiance envers notre Eglise », résume un prêtre de la paroisse Saint-Joseph du Muy près de Saint-Maximin. « Je vais au pèlerinage des mères de Famille à Cotignac et nous emporterons tous les séminaristes dans nos intentions », promet Béatrice. La liste des noms leur sera donnée afin qu’elles puissent les confier personnellement à saint Joseph et Notre-Dame-de-Grâces. Quant à lui, le curé de la paroisse toulonnaise de l’Emmanuel raconte avoir fait prier à tous ses paroissiens un Veni Sancte Spiritus après l’homélie de la messe de dimanche, lors de laquelle tous les prêtres devaient lire le communiqué de Mgr Rey. « Cette prière était un moment très fort, d’une grande ferveur ».

Des fidèles ont également lancé une supplique au pape François comptant déjà plus de 7 000 signatures mardi. De son côté, Astrid prie pour que « L’Esprit-Saint éclaire le diocèse, les fidèles et les responsables, pour trouver également des réponses sur l’Eglise que l’on veut pour demain »… En attendant la suite du feuilleton.

Camille Lecuit

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