ABRÉGÉ DES CONSEILS QUE LES PARENTS LAISSAIENT AUTREFOIS PAR ÉCRIT DANS LEURS LIVRES DE RAISON -19 ème siècle
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ABRÉGÉ DES CONSEILS QUE LES PARENTS LAISSAIENT AUTREFOIS PAR ÉCRIT DANS LEURS LIVRES DE RAISON -19 ème siècle
ALORS QUE NOUS APPROCHONS DE LA FÊTE DE SAINT-JEAN LE BAPTISTE - SOUVENONS-NOUS DES TRAVAUX ET DE LA SAGESSE DE NOS ANCÊTRES
ABRÉGÉ DES CONSEILS QUE LES PARENTS LAISSAIENT AUTREFOIS PAR ÉCRIT DANS LEURS LIVRES DE RAISON - (Extraits)
Source : Le Livre de Famille – Charles de Ribbe – France – 19 ème siècle
1 – La Religion
2 - Le respect des parents
3 - Le Livre de la famille
4 - Les bonnes mœurs
5 - Les lectures
6 - Le Jeu
7 - Le travail
8 - La simplicité et la modestie
9 - Prendre un état (Trouver sa vocation)
10 - L'union entre les frères
11 - Avoir un véritable ami
12 - Le dévouement au prochain et les rapports sociaux
13 - Le ménage et l'épargne domestique
14 - Quelques règles Importantes
I. — La religion.
Dans l'incertitude où je suis, mes chers enfants, du moment où il plaira à Dieu de me retirer de ce monde, ne sachant pas si j'aurai le temps, avec le secours de sa grâce, de vous élever en sa crainte et en son amour, comme je le souhaite, et étant encore incertain si, quand cela serait, je me trouverai en état de vous parler avant ma mort, je prends le parti d'y suppléer, en vous disant ce qu'il me semble que je vous dirais en ce dernier moment. Recevez ces sentiments comme ceux d'un père qui vous aime tendrement ; regardez ce qu'il y aura de bon comme venant de Dieu, seul auteur de tout bien; reconnaissez dans ce qu'il y aura de mauvais la corruption du cœur humain, qui se mêle dans tout, et prenez-en occasion de prier Dieu pour moi. La première recommandation que j'ai à vous adresser est d'être fidèles à notre sainte religion catholique, de l'aimer, de la pratiquer, comme l'ont fait vos pères, et de ne pas laisser passer un jour de votre vie sans penser à la grande affaire de votre salut. Croyez-moi : c'est ce qu'il y a de plus solide et de plus nécessaire au monde , et c'est la meilleure satisfaction que je puisse recevoir de vous. Vous en ferez un jour l'expérience par vous-mêmes : les principes de notre foi ne sont pas moins utiles pour la vie présente que pour la vie future. Soyez de bons chrétiens, songez à quoi vous oblige cette qualité; et vous mériterez la grâce que Dieu fasse de vous de véritables gens de bien , ayant une conduite qui réponde à l'éducation que nous avons tâché de vous donner; et vous serez aussi heureux qu'il est possible de l'être ici -bas. Lorsque vous entrerez dans le monde, vous ne trouverez que trop de gens qui se font un faux point d'honneur de douter de tout, et qui blasphèment ce qu'ils ignorent.
Ne vous laissez pas ébranler par leurs railleries, ni séduire par leurs systèmes; vous perdriez le repos de votre âme, vous vivriez sans espérance, et vous mourriez sans consolation. Pour vous préserver d'un tel malheur, mes enfants, commencez par bien vous remplir des vérités de la religion; apprenez à connaître tout ce qu'il y a en elles de noble et de beau; faites-vous des principes sur chacune d'elles, traduisez -les en règles de conduite, rapportez à cette étude toutes les autres, et attachez-vous à des pratiques solides sans lesquelles votre foi ne tarderait pas à s'affaiblir. Vous serez obligés de vous instruire sur bien des choses qui , pour l'ordinaire et à moins d'une grande attention sur soi, dissipent l'esprit ou le dessèchent. Vos maîtres vous enseigneront les sciences humaines ; appliquez-vous-y; mais n'oubliez pas que Jésus-Christ, dans lequel est le fondement de notre foi, est aussi l'unique objet qui mérite notre amour. Aimez-le donc par-dessus tout, comme votre divin chef, et prenez plaisir à le servir de tout votre cœur. Que la crainte de Dieu ne cesse d'être devant vos yeux; que ses commandements et ceux de la sainte Église soient la règle de votre esprit et de vos actions. C'est de lui que nous tenons l'être ; lui seul peut faire prospérer nos entreprises. S'il vous donne cette prospérité, remerciez -le humblement , en sorte que vous ne soyez pas pires par orgueil.
S'il vous envoie l'adversité, recevez-la avec patience , comme une expiation de vos fautes, et regardez -le comme un père qui ne vous manquera pas dans vos be soins. Dès que vous serez accoutumés à cette douce façon de vivre, vous serez contents, et tous vos alentours le seront avec vous. Est-il rien de meilleur que d'avoir la paix en soi et dans sa maison ? Plus tard, vous aussi, vous deviendrez chefs de famille; et vous ressentirez l'impression de tendresse que la Providence a mise dans les entrailles des pères et des mères. Alors vous reconnaîtrez pleinement ce ce que nous devons à Dieu , et aussi vous comprendrez combien il nous est nécessaire pour nous aider à remplir les devoirs de notre état, qui sans lui sont des croix bien difficiles à porter. Ces devoirs consistent à veiller sans cesse sur ceux qui sont sous notre charge, afin de les tenir sous l'ordre de Dieu, à avoir soin de nos affaires, à nous en instruire par toute sorte de moyens, pour pourvoir à nos besoins, à ceux de notre famille et des pauvres, et nous mettre en état de rendre un jour bon compte de notre administration temporelle , aussi bien que de la spirituelle. Vous ne serez bien avec Dieu, et vous ne serez bons chrétiens, qu'en restant fidèles aux pratiques que nous vous avons enseignées et dont nous vous avons de notre mieux donné l'exemple dès le berceau. Au sortir du lit, ne manquez jamais de vous mettre à genoux, et commencez par offrir votre journée à Dieu : c'est ainsi qu'on attire ses bénédictions et ses grâces sur soi, sur ses études et ses travaux, et qu'on se rend digne de sa miséricorde, sans laquelle l'homme est plus malheureux que la bête. Gardez un grand respect pour le saint jour du dimanche ; il nous est donné pour nous occuper des deux grands bienfaits de Dieu envers les hommes, la création et la rédemption. Soyez en état de fréquenter assidûment les sacrements.
Pour le repos de votre conscience, choisissez un directeur sage et éclairé : ne prenez pas le premier venu ; traitez votre âme au moins comme votre corps ; car vous ne prendriez pas un médecin sans savoir s'il est habile. Lorsque vous aurez trouvé ce bon médecin spirituel, placez -vous sous sa conduite, et ne perdez pas de vue les salutaires avis que vous en recevrez. Contractez et ayez l'habitude de ne pas passer un jour sans lire quelque chose du nouveau Testament; si le chapitre est trop long, bornez-vous à la moitié ; faites de même pour le livre l'Imitation de Jésus-Christ et les Vies des Saints. Quand vous serez chefs de maison , établissez chez vous la coutume de faire la prière du soir en commun; examinez votre journée, voyez en quoi vous avez manqué à Dieu, et souvenez-vous de vous en corriger. Après la pratique du premier et du plus grand des commandements, celui d'aimer Dieu, je vous demande, mes enfants, celle du second, l'amour du prochain et la charité envers les pauvres; car, sachez-le de moi, elle vous profitera beaucoup pour l'âme et pour le corps; non seulement vous n'en serez pas appauvris, mais vous en recevrez la récompense dans ce monde -ci même. Les familles chrétiennes ont eu de tout temps là-dessus des règles que vous aurez à suivre. C'est aux charités faites par leurs parents que les enfants ont toujours particulièrement attribué les grâces dont leurs maisons se trouvaient comblées et les biens dont ils jouissaient.
Ces biens ne sont pas pour nous seuls ; nous sommes comptables envers Dieu de l'usage que nous en faisons. Rien n'est plus important pour vous que d'avoir des principes solides sur l'étendue de ce grand point de morale. La charité doit s'exercer selon notre état; mais na vous y trompez pas, on s'illusionne facilement là-dessus, on se crée souvent des nécessités imaginaires, et l'on croit qu'on peut employer son bien selon son caprice, puisqu'on en est le maître. Ne vous laissez pas tromper par ces fausses maximes; réglez-vous à faire une dépense honnête, mais modeste et sage. Ne pensez pas qu'il soit permis à un chrétien de s'accorder toutes les petites commodités, que l'on recherche si fort à présent dans le monde. Cette attention que l'on a sans cesse à éviter toute incommodité, toute peine, si légère qu'elle soit, rend l'esprit non moins que le corps mou et languissant. Donnez tout ce que vous retrancherez de vos dépenses superflues, et craignez plutôt sur cet article d'être au-dessous de votre devoir que d'aller au delà. Consultez des gens éclairés et pleins de l'Évangile , pour proportionner vos aumônes avec vos revenus; faites-les avec ordre. Si vous avez des parents pauvres, leurs besoins doivent être préférés. Puis viennent vos serviteurs , les familles de votre paroisse, de vos terres, etc. Que votre cœur et votre bourse soient ouverts aux indigents; que vos conseils, vos lumières, votre crédit, s'emploient à leur venir en aide, selon les différents genres de misère. Mais souvenez-vous que leurs corps ne sont pas les seuls , et que vous devrez, autant que vous le pourrez, faire servir votre charité au salut de leurs âmes, procurer surtout dans les campagnes de bons livres et de solides instructions , afin d'attirer sur vous et sur ceux qui dépendront de vous les grâces du ciel.
II. — Le respect des parents.
Dieu , qui gouverne le monde par le ministère de ses créatures, donne aux parents, s'ils s'en rendent dignes, les lumières nécessaires pour l'éducation de leurs enfants. Il faut suivre cet ordre. Après Dieu , ce que vous devez préférablement respecter , craindre et aimer , ce sont ceux qu'il vous a donnés pour père et pour mère; et c'est à nous à ne nous conduire que par lui , et malheur à nous si nous avons d'autres vues ! Évitez avec attention les défauts où tombent trop de jeunes gens qui se croient maîtres d'eux-mêmes et hors de toute dépendance, dès que leurs études sont finies. Éloignez -vous de cette conduite; conservez toujours pour nous le respect et la confiance que vous nous devez; regardez -nous comme vos meilleurs amis. Nous serons en toute occasion les plus véritables, les plus désintéressés et les plus tendres que vous puissiez avoir. Ne faites jamais de projets, de parties, de liaisons, ni de connaissances que vous craigniez que nous ne sachions. S'il vous arrive de commettre des fautes , faites-nous-en sincèrement l'aveu : montrez-vous à nous tels que vous serez. Aimez-nous, et vous trouverez plaisir d'être avec nous; pour nous, votre mère et moi, nous ne manquerons aucune occasion de vous prouver combien nous vous aimons. Soyez à notre égard bons et affectueux. Vous ne le serez jamais autant que nous le serons pour vous ; car c'est une des lois établies par la Providence que l'affection descende des parents aux enfants, avec l'autorité et l'esprit de conseil. Nous ne vous demanderons jamais rien de contraire à vos intérêts, pas plus qu'à la loi de Dieu; un père et une mère peuvent- ils ne pas désirer le bonheur de ce qu'ils ont de plus cher au monde? Et n'est-il pas certain qu'il n'y en a de vrai et de stable que pour celui qui aime Dieu et le sert avec fidélité? Faites donc que vos volontés soient toujours conformes aux nôtres. Affermissez-vous dans ces principes, et vous mériterez par là les bénédictions d'en haut. « Honorez votre père et votre mère, afin que vous soyez heureux et que vous viviez longtemps sur la terre. »
Ces promesses divines ne portent pas seulement sur le bonheur de l'autre vie, elles ont aussi pour objet les biens mêmes de la vie présente. Voyez les familles heureuses, et instruisez-vous par leur exemple. Les parents n'ont pas besoin d'y faire sentir leur autorité, parce qu'on leur obéit par amour : un visage plus sérieux qu'à l'ordinaire, un regard un peu plus sévère suffisent à exprimer le blâme ; un air de satisfaction , une parole de louange, le moindre signe d'approbation, tiennent lieu de la plus grande récompense. Qu'il en soit ainsi pour vous, mes chers amis; et plus tard, lorsque vous serez à votre tour chefs de famille, Dieu vous récompensera dans vos enfants. Voici une grande règle, pour ne jamais vous laisser séduire par l'erreur ni égarer par vos passions. Dans toutes les circonstances de la vie, voulez-vous prendre le meilleur parti? Demandez-vous à vous-mêmes ce que vous conseilleriez à vos fils, à vos filles, en pareille occasion , et faites -le hardiment. Si vous pouviez balancer entre le vice et la vertu, entre le désir de la vengeance et le pardon de l'injure, entre la crainte de Dieu et le mépris de ses jugements , supposez votre enfant à votre place, et faites ce que vous lui conseilleriez. Étrange condition de l'homme déchu ! ce n'est que pour aimer et conseiller ses enfants qu'il retrouve la sagesse ! Cette manière d'exiger pour soi-même ce qu'on souhaiterait pour ses enfants est un moyen infaillible de n'être jamais trompé.
III. — Le Livre de raison de la famille.
Vous ne serez heureux, mes enfants, que si vous êtes sages. Pour vivre sagement, prenez la résolution de ne jamais vous écarter des conseils que je vais vous donner. Je vous le demande au nom de votre intérêt, au nom de votre bonheur; vous savez s'il me sont chers. Mes chers enfants, mes bons amis, je vous conjure de lire et de relire très souvent les avis que je vous laisse dans ce Livre de raison de la famille. C'est là que vous me trouverez toujours; c'est là que je vivrai encore pour vous, et vous n'aurez pas perdu votre père tant que vous le conserverez. Ces avis, qui s'élèvent du tombeau d'un père, font une très forte impression, et, quoique toutes les vérités morales soient connues, celles qui sortent de la bouche des parents sont encore les plus utiles.
IV. — Les bonnes mœurs.
Et, d'abord, conservez vos mœurs pour que vos mœurs vous conservent. Ici je m'adresse plus particulièrement à mes fils. On vous dira, dans le monde, qu'il faut se réjouir, que la jeunesse est destinée au plaisir, qu'il faut en prendre alors, que l'âge rend assez tôt sérieux et qu'il faut bien faire comme les autres. On vous dira surtout que lutter contre soi-même n'est pas gai et que c'est mener une existence bien triste. Au nom de Dieu , mes enfants , n'écoutez pas de tels discours, et soyez convaincus que du bon usage de votre jeunesse dépend le bonheur de votre vie. Si vous ne voulez pas m'en croire, voyez, consultez et jugez par la triste expérience des autres. Je t'en prie, mon bon fils, toi qui, en ta qualité d'aîné, dois donner l'exemple à tes frères cadets, n'entre jamais, jamais, dans aucune maison de débauche. Fuis de semblables lieux avec horreur. Si tu pouvais cesser de craindre la damnation éternelle, n'oublie pas que la malédiction divine frappe dès ici -bas les impurs.
Veux-tu être heureux époux? garde-toi pur pour celle que tu veux trouver sans tache; c'est alors que le mariage est le paradis de ce monde. Ce conseil, mon bon ami, il n'y a que ton père qui puisse te le donner; ce n'est que de moi que tu peux apprendre ce grand secret de la félicité humaine. J'y attache tant d'importance que je me mets ici à genoux devant toi; je prends tes mains, je les arrose de mes larmes, et, les yeux baissés devant les tiens, je te dis, mon cher enfant, que, depuis que tu es né, j'ai veillé nuit et jour à la conservation de tes mœurs. J'ai écarté de toi, avec le plus grand soin, tout ce qui aurait pu te corrompre. Aujourd'hui que la mort me presse, je te remets à toi-même le dépôt que Dieu m'avait confié. Oui, garde-toi toi-même, mon fils, ne te souille point. Si, à ma prière, tu te conserves chaste, crois que j'aurai plus fait pour toi que si je t'avais laissé d'immenses richesses. Ta vie sera longue; l'union que tu contracteras ne cessera jamais de t'être aussi chère, aussi douce que le premier jour; tous tes jours seront des jours de satisfaction, de paix et de bonheur domestique. Ton sang pur coulera dans les veines de tes enfants. Leur santé sera le prix de ta sagesse, et leurs bénédictions seront une nouvelle récompense pour toi.
V. — Les lectures.
Le démon ( l`ange déchu) vous présentera des romans qui ont de la vogue, et que vous verrez même lire et louer à des gens qui ont la réputation d'être sages et vertueux selon le monde ; mais il y a un venin dans ces sortes de livres, et l'on ne s'en aperçoit que lorsqu'il a fait impression. Alors on se sent froid pour la prière et pour le service de Dieu , et l'on est si fort en goût pour les choses mondaines qu'on demeure avec un cœur tout changé. Évitez ces occasions de chute. Les spectacles et les romans ne servent qu'à exalter l'imagination , qui est la source de nos erreurs et fait le tourment de la vie. Gardez -vous donc des lectures frivoles. On a dit depuis longtemps que la vie est trop courte pour lire toute sorte de livres; et j'ajoute que celle du chrétien est trop précieuse pour que nous ne nous bornions pas aux chefs-d'œuvre, surtout à ceux qui élèvent l'âme et nous rendent meilleurs. Ne lisez pas rapidement, legere et non colligere, ! nec legere est. Pour venir en aide à votre mémoire , écrivez ou notez ce qui vous touchera le plus, en ayant soin de marquer, à côté de chaque extrait, sur une grande marge, la matière à laquelle il doit être rapporté. Une table exacte de tous les sommaires, rangée par ordre alphabétique, vous permettra de retrouver plus tard tout ce que vous aurez recueilli sur le même sujet.
VI. — Le Jeu.
Interdisez -vous absolument de jouer de l'argent dans une pensée de gain. Le jeu mène à toutes les fautes, et presque toujours aux bassesses. Combien d'existences cette funeste passion n'a t-elle pas brisées! que de familles n'a-t-elle pas détruites! Les jeux de hasard sont un combat acharné pour s'arracher l'argent des mains les uns des autres. La cupidité, la férocité, la friponnerie en rassemblent les acteurs. Le père de famille y oublie qu'il a femme et enfants , les enfants qu'ils ont un état honorable ; l'ami et le camarade ne s'y connaissent plus. Le perdant est au désespoir, le gagnant est possédé de l'idée qu'il ne gagne pas encore assez et se livre à toutes sortes de débauches. Quel hideux spectacle ! Ces suites fatales du jeu sont trop frappantes et trop connues, mes enfants, pour que je vous en dise davantage. Rappelez -vous cette définition trop juste du joueur : « Il commence par être dupe; il finit par être fripon.»
VII. - Le travail.
Le véritable et unique moyen de conserver vos mœurs est l'occupation et le travail. Bien employer le temps, c'est savoir vivre; être désœuvré, c'est végéter. Le premier est de l'homme, le second est de l'animal. Levez -vous matin , c'est d'ailleurs salutaire pour la santé. Réglez le temps que vous devez donner au sommeil ; on blesse la tempérance en dormant trop, comme en buvant et mangeant au delà du nécessaire. Raisonnez sur la nouvelle journée que Dieu vous donne, distribuez vos heures, ayez de l'ordre et de l'exactitude, et ne renvoyez jamais au lendemain ce que vous pourrez exécuter le jour même. Quand on renvoie, les travaux ou les affaires s'accumulent, on les fait avec précipitation et l'on a plus de peine. Fuyez l'oisiveté ; celui qui ne fait rien pense à mal faire; or il ne suffit pas de ne point faire mal et du mal, il faut faire bien, mieux et du bien. Lorsque vous songerez à moi, souvenez -vous des conseils que je vous ai donnés pour vous rendre heureux. La vie est un présent du ciel; nous devons en user avec reconnaissance. C'est le plus grand des bienfaits pour ceux qui en font bon usage, et un don funeste pour celui qui ne sait pas en jouir. Lorsque vous aurez quelques mauvaises pensées, détournez -en tout de suite votre esprit; occupez-vous d'un autre objet qui fasse diversion. S'il vous arrive malgré votre bonne volonté de faire quelque chose de mal, ne vous découragez pas, mais tenez-vous sur vos gardes et redoublez d'ardeur pour bien agir.
Défiez-vous du penchant à ne rechercher que les choses qui plaisent, et préservez -vous de cette inconstance trop naturelle aux jeunes gens qui les jette dans des résolutions extrêmes. Apprenez à vous connaître, étudiez -vous, instruisez -vous par les exemples des autres, et vous verrez que nul bien ne nous arrive jamais sans peine, et qu'il est moins difficile de l'acquérir que d'en user sagement. Ayez sans cesse en vue que vous devez rendre gloire à Dieu, combler de satisfactions vos parents et être utiles à votre patrie. Pour y réussir, il vous faut des talents et la sagesse ; voilà plus qu'il n'est nécessaire pour vous encourager. Pensez aussi que vous n'êtes que les dépositaires de notre nom, et que vous aurez à le transmettre avec honneur à vos enfants. S'il ne vous est pas donné de l'illustrer, au moins rendez-le recommandable par vos vertus; ce nom n'a jamais eu une tache, soyez -en dignes. Je vous la rappelle pour que vous en fassiez votre profit, et je finis par une autre dont l'observance vous conduira à la perfection : « Quelle que soit la vocation que Dieu vous inspire de suivre, dans vos rapports avec vos supérieurs comme dans ceux que vous avez avec nous et avec vos maîtres, aimez la vérité qui vous reprend, et craignez la vérité qui vous flatte. » » Saint Paul, II Thess., v, 12
VIII. — La simplicité et la modestie.
Je vous parlerai bientôt de l'ordre à garder dans le gouvernement d'une maison; ici je dois vous dire comment vous devez vous gouverner vous-mêmes, et à quels traits l'on reconnaîtra en vous une bonne éducation. Ne soyez pas orgueilleux, et tenez -vous simples. Ne confondez pas la noblesse des sentiments avec l'orgueil; ce vice est presque toujours l'apanage de la médiocrité. Naissance distinguée, fortune, places, talents, avantages de l'esprit et du corps, tout cela perd son prix par l'orgueil et double sa valeur par la simplicité. L'orgueil a perdu les anges ; c'est lui qui perd les hommes. Vous devez le regarder comme chose abominable. « La naissance, a-t-on dit, donne moins d'honneur qu'elle n'en ordonne. » Quoi de plus vrai ? et ne l'est- il pas également d'ajouter que vanter sa race, c'est se parer du mérite d'autrui »? Ne soyez donc point prévenus de vous-mêmes, et n'ayez pas non plus la sotte erreur de croire que les hommes se jugent par ce qu'ils paraissent et non par ce qu'ils sont. Il y a quantité de gens qui, placés au haut de la roue, sont méprisables, si on les considère dépouillés du rang souvent éphémère auquel ils se sont élevés; il y en a quantité d'autres qui, dans un état très obscur, ont un mérite personnel peu commun. Ne méprisez aucune condition et aucune profession ; partout où vous trouverez des vertus , respectez-les.
Remerciez Dieu de vous avoir fait sortir d'une famille qui n'a jamais produit que des gens de bien, estimés, considérés, honorés de tout leur pays et de leurs concitoyens. La Providence, mes enfants, vous a donné la position la plus désirable pour le bonheur et la vertu. Une naissance illustre, une fortune considérable semblent être d'abord le partage le plus avantageux. Il s'en faut de beaucoup cependant que ce soit le plus heureux, même ici-bas, abstraction faite du plus grand intérêt, du seul véritable, celui du salut, pour lequel une grande naissance et une grande fortune sont des écueils dangereux. Ces écueils sont tels qu'ils font trembler. Dieu vous garde de ressembler jamais aux enfants prodigues, désespoir de leurs parents et véritables fléaux publics ! Tous ont commencé par être élevés comme des idoles et par se refuser au travail. Or sachez ici, mes chers enfants, que nous ne vous devons que deux choses : Nous avons à vous bien élever et à vous faire bien instruire. Avec cela, si nous pouvons vous laisser quelque bien, à la bonne heure; sinon, avec une bonne éducation et instruction , pour peu que vous ayez, vous aurez assez. Soyez de bonne heure économes et sobres; ne vous créez pas de besoins factices. Souvenez-vous que la sobriété fut toujours le meilleur remède pour prévenir les maladies comme pour les guérir, qu'elle est la source de la vigueur de l'esprit et la santé de l'âme comme celle du corps.
Ayez horreur du luxe de nos jours qui ferait votre malheur. Ne visez pas à la nouveauté et à la rareté ; elles rendent très chers des objets que peu de jours remettent à un prix raisonnable. Réglez -vous dans votre condition sur l'exemple des plus modérés, et cela pour le train de vie, pour la table, pour les meubles, etc., en vous rappelant que toute dépense au delà du nécessaire est directement contre la règle de l'aumône. Vivez dans la simplicité que nous avons toujours eue. Un honnête homme doit vivre de peu. Je prie Dieu qu'il écarte de vous la pauvreté; mais je lui demande aussi qu'il vous préserve de l'attachement aux richesses. Les biens temporels, dans lesquels on place aujourd'hui le souverain bonheur, sont plus que jamais variables et fugitifs. La vraie, la solide félicité est dans la paix de la conscience, qui s'acquiert par la pratique de ce que la religion nous enseigne, comme la fin de l'homme et le but de sa vie.
IX. — Prendre un état.
Travaillez avec le ferme vouloir de remplir dans votre pays les fonctions pour lesquelles vous aurez le plus d'aptitude. Un vrai chrétien, en commençant toujours par ce qu'il doit à Dieu , ne néglige pas ce qu'il doit à la société : il faut même y être exact , quand on a de la religion. Pensez-y bien et souvent : il n'y a rien sur quoi la volonté de Dieu sur nous soit plus manifestement marquée que l'obligation du travail. Tous nous sommes tenus de travailler selon notre condition, autant que Celui qui nous le commande donne d'industrie et de force à nos esprits et à nos corps. Le temps présent ne nous est accordé que pour gagner par notre fidélité et notre travail l'éternité bienheureuse. Vous devez aussi vous ménager les moyens d'élever et de placer vos enfants. Et puis, quelle satisfaction n'aurez-vous pas à tirer un parti utile de vous-mêmes et de vos talents? Ne ressemblez pas à ceux qui, comptant sur la fortune paternelle, tirent motif de là pour ne rien faire. Ce sont des imprévoyants : ils ignorent tout ce qu'il en coûte pour subvenir à l'éducation d'une famille et au train d'une maison; et j'ajoute que souvent ils finissent mal.
Le choix de l'état que vous prendrez, mes bons fils, est chose si importante que je vous conjure de ne pas le faire en suivant votre première impulsion. Je sais bien que Dieu inspire quelquefois sous ce rapport les enfants, et qu'alors il ne faut pas les contrecarrer ; mais je sais également que la jeunesse est exposée à se tromper. Souvent notre imagination nous égare , nos goûts peuvent changer avec le temps. Quand viendra ce moment, vous aurez un premier devoir à remplir , celui de beaucoup prier, pour connaître la volonté de Dieu sur vous. Le second , si je ne suis plus de ce monde, sera de consulter votre mère et de faire ce qu'elle- vous conseillera avec l'avis de vos parents. Lorsque vous aurez un état, pensez à ce que vous lui devez et à ce que la société réclame de vous. Instruisez-vous sur tout ce qui vous le fera bien remplir, mettez -vous -y en bonne réputation, distinguez-vous par votre honnêteté, votre vigilance et votre exactitude. Prenez pour modèles ceux dont on fera le plus de cas dans le corps auquel vous appartiendrez, et vous mériterez d'avoir des protecteurs qui ne vous oublieront pas. Enfin , si la Providence vous conduit à gouverner vos semblables, dans une situation élevée, restez simples au pouvoir, jamais obséquieux pour ceux qui sont au-dessus de vous, toujours bienveillants pour les autres; et, s'il vous est permis de rendre quelques services à votre pays, remerciez-la humblement de vous avoir pris pour instrument, mais n'en tirez aucun orgueil.
X — L'union entre les frères.
L'ordre des devoirs est de savoir bien vivre avec Dieu, avec ses supérieurs, avec ses égaux, avec ses inférieurs et avec soi-même. Je vous ai dit comment on vit bien avec soi-même, lorsqu'on vit bien avec Dieu. J'arrive maintenant à votre vie dans la famille et hors d'elle. Aimez- nous comme de bons parents qui vous chérissent tendrement et sans préférences ; mais ne vous aimez pas moins les uns les autres comme de bons frères. Il faut que vous vous aimiez non seulement aujourd'hui , mais toujours, de manière à n'avoir qu'un seul esprit, à vous dire avec confiance et sans réserve toutes vos pensées et vos actions, et à vous entraider mutuellement pendant le cours de votre existence. Il y aura peut-être quelques sacrifices à vous imposer pour garder une harmonie si nécessaire; mais vous en serez dédommagés au delà de ce que vous pouvez croire. L'union qui subsistera entre vous vous sera aussi agréable qu'avantageuse, et elle vous fera un honneur infini. Donc, au nom de toute mon affection et de ma puissance paternelle, je vous conjure, je vous commande de garder entre vous, après ma mort, la parfaite amitié et la concorde fraternelle, que j'ai nourries entre vous de mon vivant. Promettez-lemoi, et je mourrai content. Instruisez -vous par l'exemple des familles heureuses. Ne sont-ce pas celles qui se maintiennent et se conservent? Dieu lui-même n'a-t-il pas dit : « Mon esprit se plaît en trois choses qui sont en honneur devant Moi et devant les hommes : l'union entre les frères, l'amour entre les proches , un mari et une femme qui vivent dans un parfait accord*. — Un frère qui est aidé par son frère est une cité forte-. —Oh! qu'elle est douce, qu'elle est délicieuse l'union qui règne dans une société de frères! C'est au sein de la concorde que pleuvent les dons célestes; c'est là que Dieu donne des jours sans fin ? » Quant aux autres , voyez où les conduisent la désunion, les discordes intestines et surtout les procès; leur ruine est presque fatale. Malheur à celui d'entre vous qui troublerait la paix de la famille. « Le Seigneur, est -il dit dans les Livres saints, a en abomination celui qui sème la discorde entre ses frères. » C'est encore une maxime que l'expérience n'a jamais démentie.
XI. — Avoir un véritable ami.
Ayez un ami sage et sûr qui vous dise la vérité. Sachez ne pas vous offenser , lorsque d'autres que moi vous feront la guerre sur vos petits défauts. « Si j'osais vous citer mon exemple, écrivait Racine à son fils, je vous dirais qu'une des choses qui m'ont fait le plus de bien, c'est d'avoir passé ma jeunesse avec une société de gens qui se disaient assez volontiers leurs vérités. » Les jeunes gens ont des sociétés, rarement ils ont des amis. Les plaisirs seuls les unissent, et les plaisirs ne sont pas des liens dignes de l'amitié. L'esprit ne se délasse jamais si bien et si agréablement que dans la société d'un véritable ami. Il n'y a rien dans la vie qui approche de cette jouissance. Sa conversation même fait naître de nouvelles pensées, et excite à former de beaux desseins ; elle anime à pratiquer le bien . calme les passions et adoucit les peines. C'est un trésor dont le prix ne cesse de s'accroître jusqu'à la vieillesse; mais, pour le trouver, il faut commencer par le mériter. Ouvrez -vous à lui, comme il s'ouvrira à vous. Entretenez-vous quelquefois avec lui des choses du salut; cela vous sera d'autant plus utile qu'on est exposé à ne pas penser à Dieu dans la dissipation et le tracas des affaires. Mais n'oubliez pas que les parents sont toujours les meilleurs amis des enfants, et qu'il y a aussi des amis de la famille, dont l'affection descendant des pères aux fils demande à n'être pas négligée.
XII. — Le dévouement au prochain et les rapports sociaux.
A cette union intime joignez un commerce plus général avec vos semblables; mais connaissez-les bien, étudiez-les avant de vous lier à eux. En règle générale, parlez peu de vous-mêmes et de vos affaires. Soyez prudents. La prudence est la première des vertus cardinales, parce qu'elle conserve toutes les autres : c'est la plus utile des qualités, et cependant comme elle est souvent oubliée ! Plus la prudence se manifeste, plus elle donne d'autorité à celui qui la possède. Elle ne se trouve que dans les personnes de bon sens qui ont l'esprit juste et solide. User en toute occasion de ménagement et de réserve pour soi et pour les autres , savoir parler à propos et se taire, projeter des choses justes et raisonnables, et prendre les moyens convenables et légitimes pour y réussir : voilà en quoi elle consiste. Voyez comme Jésus- Christ loue les enfants du siècle de leur prudence pour leurs intérêts temporels, et comme il propose en eux presque des exemples à suivre aux enfants de lumière. Les chrétiens ne doivent pas être prudents , selon l'esprit du monde qui sacrifie tout au succès; ils ont à exercer cette vertu en vue de Dieu , pour se ménager des jours saints qui leur assurent la vie bienheureuse. Cette prudence vous empêchera de vous brouiller avec personne. Pour cela, habituez -vous à avoir avec tout le monde des procédés honnêtes : le dernier des hommes, qu'on a pour ennemi, peut créer bien des désagréments. Méfiez -vous de votre vivacité, n'ayez pas des airs de hauteur, ni un amour-propre mal entendu. Évitez la raillerie: elle est un effet de l'envie, c'est-à-dire d'un des sentiments les plus bas et les moins avouables.
Montrez-vous nobles de cœur, c'est-à-dire généreux, dévoués, désintéressés. Observez fidèlement ce principe simple et sublime : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait; faites à autrui ce que vous voudriez qui vous fût fait. » Vous réussirez à le pratiquer, si l'amour de Dieu et celui du prochain sont la règle de vos actes. Le premier vous empêchera de rien faire contre votre conscience, et le second de porter tort à personne. Par là, vous serez bénis de Dieu en ce monde, et récompensés par lui dans l'autre. Tous ceux avec lesquels vous aurez des rapports vous estimeront; ils vous regarderont comme de parfaits gens de bien, et l'édification produite sur eux par vos exemples fera qu'ils tâcheront de vous imiter. Les hommes ne seront bienveillants pour vous qu'autant que vous le serez pour eux. Le grand art dans la vie est de s'oublier, de parler aux autres de ce qui les intéresse, et de les faire valoir sans les flatter. Là est la vraie politesse : elle fera que vos supérieurs seront touchés de recevoir de vous le respect auquel ils ont droit; vos égaux, de trouver l'estime qu'ils ambitionnent; et vos inférieurs, la bonté qu'ils rencontrent souvent si peu. Mais que le désir de plaire ne vous jette pas, non plus, dans un autre défaut, aujourd'hui trop commun. Sachez qu'il ne faut pas avoir des égards pour des gens qui ne les méritent pas, et qu'à cela se reconnaît la dignité du caractère. Il y a là -dessus une ligne de démarcation à laquelle se sont toujours arrêtés les hommes d'honneur. La droiture de votre esprit et votre expérience vous la feront discerner en pratique.
XIII. — Le ménage et l'épargne domestique.
Persuadez -vous bien aussi, ma fille, que vous n'aurez pas le droit de constituer votre maison en dépenses vaines et superflues, surtout si vous ne lui avez pas porté une dot assez riche pour y fournir. Et, lors même que votre fortune personnelle vous permettrait le luxe, préservez-vous-en. Nos pères disaient que « les enfans doivent espargner de bonne heure, afin que, lorsqu'il faudra entrer en dépense, ils le puissent faire ». Une de leurs maximes était que « toute espargne , en matière de mesnage, est d'un revenu incroyable et par -dessus tous les autres revenus; que les richesses sont bien quelque chose; mais que le mesnagement leur est encore supérieur, parce que c'est luy qui entretient longuement les familles » . Nous devons à cette manière de vivre les biens dont nous jouissons. Nous n'avons aucune dette, nous n'avons besoin du secours de personne; notre revenu est honnête. C'est la situation la plus heureuse, et nous voudrions avoir la satisfaction de vous la voir conserver.
Le mari administre les biens et a dans son ressort toutes les affaires extérieures; la femme règle les dépenses de l'intérieur, et c'est là qu'elle doit faire régner l'ordre le mieux entendu. Là , les dépenses se renouvellent chaque jour ; il faut en régler l'emploi, prévenir les excès de consommation, pourvoir aux approvisionnements en temps favorable, en sorte que le mari puisse, sur les états de comptes, apercevoir aisément les objets qu'il convient de réduire. Votre mère vous a donné sur ces divers points des connaissances pratiques, qui me dispensent d'entrer là -dessus dans de plus amples détails. Je me borne à un simple conseil : ne perdez pas de vue que la prospérité de votre maison dépendra de la règle que vous y aurez établie. Vous devrez, ai-je dit, maintenir une balance exacte entre vos recettes et vos dépenses : voilà la vraie science du ménage. Mais j'ai hâte d'ajouter qu'il faut aller plus loin : il faut prévoir l'avenir, et se mettre en mesure de parer à un accident. Ceci s'adresse à mes fils. Un fermier ne vous aura pas payé sa rente; une inondation aura ravagé vos terres ; vous aurez à réparer un bâtiment, etc.. Comment ferez -vous, si vous êtes simplement au courant, c'est-à-dire sans dettes? Un fonds de réserve vous est nécessaire, et ce fonds vous aurez à l'économiser, dès le début du mariage , avant que les charges occasionnées par les enfants ne vous en empêchent. Quelque modiques que soient vos revenus, il vous sera toujours possible de dépenser moins. L'économie diminue les dépenses, le travail augmente les revenus. Ne soyez pas avares, c'est le vice le plus détestable pour la société; mais ayez l'esprit de conduite et de prévoyance.
L'avarice est la soif insatiable de l'argent pour la possession de l'argent; l'économie , au contraire , est vertu et sagesse ; c'est amasser à la vérité de l'argent, mais pour en faire en son temps un digne emploi. Certaines gens ne payent pas leurs dettes et sacrifient tout au luxe , à la vanité et à la bonne chère. Ne les imitez pas : traitez libéralement vos parents et amis; mais attachez -vous dans votre ordinaire à la propreté, à la délicatesse, à l'aisance, à l'honnêteté, à l'amabilité, à la gaieté. Que l'on puisse dire de ces réunions de famille : Nous venons de faire un joli et agréable repas. Une méthode sûre, pour bien vous conduire, est de faire votre budget. Écrivez chaque jour toutes vos recettes et vos dépenses. Chez nous, bonnes gens de famille, on a toujours cru que savoir tenir ses comptes , non seulement n'est pas au-dessous d'un honnête homme , mais est un de ses premiers devoirs.
XIV — Quelques règles Importantes.
Je ne saurais vous tracer ici dans le détail le bon usage que vous aurez à faire de vos biens, selon votre condition et les circonstances. Qu'il me suffise de vous marquer quelques règles dont l'expérience nous apprend l'absolue nécessité. 1° Persuadons-nous, si nous avons des dettes, que nos biens ne sont pas à nous , et qu'ils sont acquis à ceux dont nous sommes les débiteurs, tels que domestiques, artisans, ouvriers, créanciers... En ce cas , il faut se priver même du nécessaire , réduire son train habituel, n'avoir que très peu d'habits et de très simples , plutôt que d'attirer sur soi la colère de Dieu par une faute aussi grande qu'est celle de retenir le bien d'autrui injustement. Lorsqu'on est bon chrétien , on est par excellence un homme d'honneur, droit, probe, juste, intègre, fidèle à la parole donnée ; on est tenu de se montrer délicat jusqu'au scrupule. Il n'y a pas en cette matière de manquement qui soit chose légère. 2° N'empruntez jamais, si vous n'êtes pas assurés de pouvoir prélever sur vos revenus la somme dont vous avez besoin. 3° Soyez charitables, je vous l'ai dit : soyez généreux, mais non d'une manière désordonnée. Gardez-vous de cautionner personne, pour quelque sujet et quelque occasion que ce puisse être, soit verbalement, soit autrement. Vous pourrez prêter une petite somme à un ami. . Il y a des cas où l'on doit rendre service : un camarade fera une longue maladie , il sera dans d'autres accidents qui n'auront pas été les suites de la dissipation ou du jeu; venez à son secours, aidez-le de votre bourse, et faites-le sans retardement. Mais que ce soit de votre part un sacrifice, sans espoir de retour de la somme prêtée. Si vous n'êtes en état de vous imposer ce sacrifice, pourquoi vous obligeriez -vous pour un temps où vous en auriez peut-être encore moins les moyens ?
N'engagez jamais votre foi témérairement pour un autre , de peur d'être forcés de la dégager pour vous-mêmes. Vous perdriez du même coup votre argent, votre tranquillité et votre ami. J'ai vu les résultats d'imprudences de ce genre : on n'en retire que des embarras, et presque toujours on est réduit à la triste nécessité de payer pour le cautionné. Pour bien des choses que je vous ai recommandées des exhortations ont suffi ; mais je me sers de toute l'autorité que me donne ma qualité de père pour vous défendre absolument celle-ci. 4° Au surplus, dans toutes les affaires de quelque importance, consultez, avant de vous engager, et rapportez-vous-en à l'avis d'un homme impartial, d'une prudence et d'une expérience reconnues. En consultant, on a l'avantage d'être éclairé des lumières d'une personne détachée de l'intérêt personnel, et aussi celui de réfléchir soi-même plus mûrement. 5° Je vous prie et conjure de tout faire pour éviter les procès. Les meilleurs ne valent rien ; rappelez-vous ce vieux proverbe : « Celui qui gagne reste en chemise, celui qui perd reste nu. » Des difficultés , des contestations peuvent se produire, en dehors de notre volonté; il arrive quelque fois que les droits les plus légitimes sont méconnus et qu'il faut les défendre. Dans ce cas , vous devrez vous en remettre à des arbitres. Les arbitres sont des juges de notre choix, et leurs décisions, indépendantes des formes, concilient les cœurs en même temps que les intérêts. Un jugement nous ruine; un arbitrage ne nous coûte rien; il ne nous conserve pas seulement notre repos, il nous ménage l'amitié de la partie adverse.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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