SUR LA HAINE DES HOMMES POUR LA VÉRITÉ - un sermon de Bossuet - ( sur les gros mensonges de notre époque)
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SUR LA HAINE DES HOMMES POUR LA VÉRITÉ - un sermon de Bossuet - ( sur les gros mensonges de notre époque)
SUR LA HAINE DES HOMMES POUR LA VÉRITÉ
Bossuet – Oeuvres complètes de Bossuet – Tome 1
Jacques-Bénigne Bossuet, (1627 – 1704), est un homme d'Église, évêque, prédicateur et écrivain français. Prédicateur renommé.
Le monde ne peut point vous haïr; et il me hait parce que je rends témoignage de lui, que ses œuvres sont mauvaises (Jean 7, 7).
Les hommes, presque toujours injustes, le sont en ceci principalement, que la vérité leur est odieuse et qu'ils ne peuvent souffrir ses lumières. Ce n'est pas qu'ils ne pensent tous avoir de l'amour pour elle ; et en effet, chrétiens, quand la vérité ne fait autre chose que de se montrer elle-même dans ses belles et adorables maximes, un cœur serait bien farouche, qui refuserait son affection à sa divine beauté : mais lorsque ce même éclat, qui ravit nos yeux, met au jour nos imperfections et nos défauts, et que la vérité, non contente de nous montrer ce qu'elle est, vient à nous manifester ce que nous sommes, alors, comme si elle avait perdu toute sa beauté en nous découvrant notre laideur, nous commençons aussitôt à la haïr, et ce beau miroir nous déplaît à cause qu'il est trop fidèle.
Étrange égarement de l'esprit humain! que nous souffrions en nous-mêmes si facilement des maux dont nous ne pouvons supporter la vue; que nous ayons les yeux plus tendres et plus délicats que la conscience; et que, pendant que nous haïssons tellement nos vices que nous ne pouvons les voir, nous nous y plaisions tellement, que nous ne craignions pas de les nourrir ; comme si notre âme insensée mettait son bonheur à se tromper elle-même, et se délivrait de ces maux en y ajoutant le plus grand de tous, qui est celui de n'y penser pas et celui même de les méconnaître. C'est, un si grand excès, qui fait que le Sauveur se plaint, dans mon texte, que le monde le hait à cause qu'il découvre ses mauvaises oeuvres; et comme il n'est que trop vrai que nous sommes coupables du même attentat que Jésus Christ a repris, il est juste que nous invoquions toute la force du Saint-Esprit contre l'injustice des hommes qui haïssent la vérité, et que nous demandions pour cela les puissantes intercessions de celle qui l'a conçue et qui l'a enfantée au monde : c'est la divine Marie, que nous saluerons avec l'ange.
« Tous ceux qui font mal, dit le Fils de Dieu, haïssent la lumière et craignent de s'en approcher, à cause qu'elle découvre leurs mauvaises œuvres. » (Jean 3, 20.). S'ils haïssent la lumière, ils haïssent par conséquent la vérité, qui est la lumière de Dieu, et la seule qui peut éclairer les yeux de l'esprit. Mais afin que vous entendiez de quelle sorte et par quels principes se forme en nous cette haine de la vérité, écoutez une belle doctrine du grand saint Thomas d`Aquin en sa seconde partie, où il traite expressément cette question. Il pose pour fondement que le principe de la haine, c'est la contrariété et la répugnance; tellement que les hommes ne sont capables d'avoir de l'aversion pour la vérité, qu'autant qu'ils la considèrent dans quelque sujet particulier où elle combat leurs inclinations. Or nous la pouvons considérer ou en tant qu'elle réside en Dieu , ou en tant que nous la sentons en nous-mêmes, ou en tant qu'elle nous paraît dans les autres; et comme en ces trois états, elle contrarie les mauvais désirs, elle est aussi l'objet de la haine des hommes déréglés et mal vivants.
Et en effet, chrétiens, ces lois immuables de la vérité sur lesquelles notre conduite doit être réglée ; soit que nous les regardions en leur source, c'est-à-dire en Dieu, soit que nous les écoutions parler en nous-mêmes dans le secret de nos cœurs, soit qu'elles nous soient montrées par les autres hommes nos semblables, crient toujours contre les pécheurs, quoiqu'avec des effets très différents. En Dieu, qui est le juge suprême, la vérité les condamne ; en eux-mêmes et dans leur propre conscience, elle les trouble ; dans les autres hommes, elle les confond ; et c'est pour quoi partout elle leur déplaît.
«L'homme sujet à s'enivrer hait nécessairement celui qui est sobre, l'impudique celui qui est chaste, l'injuste celui qui est juste; et il ne peut soutenir la présence d'aucun saint, parce qu'elle est comme un fardeau qui accable sa conscience » (Saint Hillaire, Tract. in Ps. CXIII, n. 10. col. 301.). Ainsi, en quelque manière que Jésus-Christ nous enseigne, soit par les oracles qu'il prononce dans son Évangile, soit par les lumières intérieures qu'il répand dans nos consciences, soit par les paroles de vérité qu'il met dans la bouche de nos frères; il a raison de se plaindre que les hommes du monde le haïssent, à cause qu'il censure leur mauvaise vie. Ils haïssent la vérité, parce qu'ils voudraient premièrement que ce qui est vrai ne fût pas vrai; ensuite ils voudraient du moins ne le pas connaître , et parce qu'ils ne veulent pas connaître, ils ne veulent pas non plus qu'on les avertisse. Au contraire, nous devons apprendre à aimer la vérité partout où elle est, en Dieu, en nous-mêmes, dans le prochain; afin qu'en Dieu elle nous règle, en nous-mêmes elle nous excite et nous éclaire, dans le prochain elle nous reprenne et nous redresse : et c'est le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
Les fidèles n'ignorent pas que les lois primitives et invariables, qui condamnent tous les vices, sont en Dieu éternellement ; et il m'est aisé de vous faire entendre que la haine qu'ont les pécheurs pour la vérité, s'emporte jusqu'à l'attaquer dans cette divine source. Car, comme j'ai déjà dit que le principe de la haine c'est la répugnance, et qu'il n'y a point de plus grande contrariété que celle des hommes pécheurs avec ces lois premières et originales; il s'ensuit que leur aversion pour la vérité s'étend jusqu'à celle qui est en Dieu, ou plutôt qui est Dieu même; en telle sorte, que l'attache aveugle au péché porte en nous nécessairement une secrète disposition, qui fait désirer à l'homme de pouvoir détruire ces lois, et la sainte vérité de Dieu qui en est le premier principe. Mais pour comprendre l'audace de cet attentat, et en découvrir les conséquences, il faut que je vous explique avant toutes choses la nature de la haine. Toutefois ne croyez pas, chrétiens, que je veuille faire en ce lieu une recherche philosophique sur cette cruelle passion, ni vous rapporter dans cette chaire ce qu'Aristote nous a dit de son naturel malin.
J'ai dessein de vous faire voir par les Écritures divines que la haine imprime dans l'âme un désir de destruction, et, si je puis l'appeler ainsi, une intention meurtrière ; c'est le disciple bien-aimé qui nous l'enseigne en ces termes : « Celui qui hait son frère est homicide. » ( 1. Jean 3. 15.). Il ne dit pas, chrétiens, celui qui répand son sang, ou qui lui enfonce un couteau dans le sein ; mais celui qui le hait est homicide : tant la haine est cruelle et malfaisante. En effet, il est déjà très indubitable que nous faisons mourir dans notre cœur celui que nous haïssons; mais il faut dire de plus qu'en l'éloignant de notre cœur, nous ne le pouvons souffrir nulle part. Aussi sa présence blesse notre vue ; se trouver avec lui dans un même lieu nous paraît une rencontre funeste ; tout ce qui vient de sa part nous fait horreur; et si nous ne réprimions cette maligne passion, nous voudrions être entièrement défaits de cet objet odieux : telle est l'intention secrète de la haine ; et c'est pourquoi l'apôtre saint Jean l'appelle homicide.
Par où vous voyez, mes frères, combien il est dangereux d'être emporté par la haine, puisque Dieu punit comme meurtriers tous ceux qui s'y abandonnent. Mais revenons à notre sujet, et appliquons aux pécheurs la doctrine de ce grand apôtre. Tous ceux qui transgressent la loi de Dieu haïssent sa vérité sainte, puisque non-seulement ils l'éloignent d'eux, mais encore qu'ils lui sont contraires; la détruisant en eux-mêmes, et ne lui donnant aucune place dans leur vie, ils voudraient pouvoir la détruire partout où elle est , et principalement dans son origine : ils s'irritent contre ces lois, ils se fâchent que ce qui leur plaît désordonnément leur soit si sévèrement défendu ; et se sentant trop pressés par la vérité, ils voudraient qu'elle ne fût pas. Car que souhaite davantage un malfaiteur, que l'impunité dans son crime? et pour avoir cette impunité, ne voudrait il pas pouvoir abolir et la loi qui le condamne, et la vérité qui le convainc, et la puissance qui l'accable ? et tout cela n'est-ce pas Dieu même, puis qu'il est lui-même sa vérité, sa puissance et sa justice?C'est pourquoi le Psalmiste a prononcé : « L'insensé a dit dans son cœur, il n'y a point de Dieu.» (Psaume 70, 1.) et saint Augustin, expliquant ces mots, dit « que ceux qui ne veulent pas être justes, voudraient qu'il n'y eût au monde ni justice, ni vérité, pour condamner les criminels.» (in Joan, Tract. xC. tom. III, part. II. col. 721.). Considérez, ô pécheurs, quelle est votre audace : c'est à Dieu que vous en voulez ; et puis que ses vérités vous déplaisent, c'est lui que vous haïssez, et que vous voudriez qu'il ne fût pas. : « Nous ne voulons point que celui-ci soit notre roi. »(Luc 19, 14). Mais afin que nous entendions que tel est le désir secret des pécheurs, Dieu a permis, chrétiens, qu'il se soit enfin découvert en la personne de son Fils. Il a envoyé Jésus-Christ au monde; c'est-à-dire il a envoyé sa vérité et sa parole. Qu'a fait au monde ce divin Sauveur ? Il a censuré hautement les pécheurs orgueilleux , il a découvert les hypocrites, il a confondu les scandaleux , il a été un flambeau qui a mis à chacun devant les yeux toute la honte de sa vie. Quel en a été l'événement ? Vous le savez, chrétiens, et Jésus-Christ l'a exprimé dans les paroles de mon texte : « Le monde me hait, dit-il, parce que je rends témoignage que ses œuvres sont mauvaises.» (Jean 7, 7 ) ; et ailleurs en parlant aux Juifs : « C'est pour cela, dit-il, que vous voulez me tuer, parce que ma parole ne prend point en vous.» ( Jean 8, 37), et que ma vérité vous est à charge. Si donc c'est la vérité qui a rendu Jésus-Christ odieux au monde, si c'est elle qu`ils ont persécutée en sa personne ; qui ne voit qu'en combattant par nos mœurs la doctrine de Jésus-Christ, nous nous liguons contre lui, et que nous entrons bien avant dans la cabale sacrilège qui a fait mourir le Sauveur du monde ?
Oui, mes frères, quiconque s'oppose à la vérité et aux lois immuables qu'elle nous donne, fait mourir spirituellement la justice et la sagesse éternelle qui est venue nous les apprendre, et se revêtit d'un esprit pour crucifier, comme dit l'Apôtre, Jésus-Christ encore une fois (Hébreux 6,6) et ne dites pas, chrétiens, que vous ne combattez pas la vérité sainte que Jésus-Christ a prêchée, puisqu'au contraire vous la professez : car ce n'est pas en vain que le même apôtre a prononcé ces paroles : « Ils professent de connaître Dieu, et ils le renient par leurs œuvres .» (Tite 1, 16.). Les œuvres parlent à leur manière, et d'une voix bien plus forte que la bouche même ; c'est là que paraît tout le fond du cœur. Par conséquent, nos aversions implacables et nos vengeances cruelles combattent contre la bonté de Jésus-Christ ; nos intempérances s'élèvent contre la pureté de sa doctrine ; notre orgueil contredit les mystérieuses humiliations de ce Dieu - Homme ; notre insatiable avarice, qui semble vouloir engloutir le monde et tous ses trésors, s'oppose de toute sa force à cette immense prodigalité par laquelle il a tout donné jusqu'à son sang et sa vie ; et notre ambition et notre orgueil , qui montent toujours, contrarient autant qu'ils le peuvent les anéantissements de ce Dieu-Homme et la sublime bassesse de sa croix et de ses souffrances.
Ainsi, c'est en vain que nous professons la doctrine de Jésus-Christ que nous combattons par nos œuvres : notre vie dément nos paroles , et fait bien voir , comme disait Salvien, « que nous ne sommes chrétiens qu'à la honte de Jésus-Christ et de son saint Évangile». Que s'il est ainsi, chrétiens, si nous combattons par nos œuvres la sainte vérité de Dieu ; qui ne voit combien il est juste qu'elle nous combatte aussi à son tour, et qu'elle s'arme contre nous de toutes ses lumières pour nous confondre, de toute son autorité pour nous condamner , de toute sa puissance pour nous perdre ? Il est juste et très juste que Dieu éloigne de lui ceux qui le fuient, et qu'il repousse violemment ceux qui le rejettent. C'est pourquoi, comme nous lui disons tous les jours, «Retirez-vous de nous, Seigneur, nous ne voulons pas vos voies.» (Job. 21,14 ) ; il nous dira à son tour : « Retirez-vous de moi, maudits; et, Je ne vous connais pas.» (Matthieu 25, 41; Luc 13, 27) et après que sa vérité aura prononcé de toute sa force cet anathème, cette exécration, cette excommunication éternelle, en un mot ce « Retirez-vous » où iront-ils ces malheureux ennemis de la vérité et exilés de la vie ? où, étant chassés du souverain bien, sinon au souverain mal ? où, en perdant l'éternelle bénédiction, sinon à la malédiction éternelle ? où, éloignés du séjour de paix et de tranquillité immuable, sinon au lieu d'horreur et de désespoir ?
Là sera le trouble, là le ver rongeur, là les flammes dévorantes, là enfin seront les pleurs et les grincements de dents (Matthieu 13, 42). O mes frères, qu'il sera horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, quand il entreprendra de venger sur nous sa vérité outragée plus encore par nos œuvres que par nos paroles ! Je tremble en disant ces choses. Et certes quand ce serait un ange du ciel qui dénoncerait aux mortels ces terribles jugements de Dieu, le sentiment de compassion le ferait trembler pour les autres : maintenant que j'ai à craindre pour vous et pour moi , quel doit être mon étonnement, et combien dois-je être saisi de frayeur ! Cessons donc, cessons , chrétiens, de nous opposer à la vérité de Dieu ; n'irritons pas contre nous une ennemie si redoutable, réconcilions nous bientôt avec elle, en composant notre vie selon ses préceptes, de peur, dit le Fils de Dieu, que cet adversaire implacable ne vous mène devant le juge, et que le juge ne nous livre à l'exécuteur qui nous jettera dans un cachot. Je vous dis en vérité, vous ne sortirez point de cette prison jusqu'à ce que vous ayez payé jusqu'à la dernière obole, tout ce que vous devez à Dieu et à sa justice : (Matthieu 5, 25, 26. - Sur le Purgatoire).
Ainsi accommodons-nous, pendant qu'il est temps, avec ce redoutable adversaire ; réconcilions-nous, faisons notre paix avec la vérité que nous haïssons injustement. «Elle n'est pas éloignée de nous.» (Actes des Apôtres 17, 27.). Elle est au fond de nos cœurs ; c'est là où nous la pouvons embrasser ; et quand vous l'en auriez tout à fait chassée, vous pouvez l'y rappeler aisément, si vous vous rendez attentifs à ma seconde partie.
SECOND POINT
C'est un effet admirable de la Providence qui régit le monde, que toutes les créatures vivantes et inanimées portent leur loi en elles-mêmes. Et le ciel, et le soleil , et les astres, et les éléments, et les animaux , et enfin toutes les parties de cet univers ont reçu leurs lois particulières ; qui , ayant toutes leurs secrets rapports avec cette loi éternelle qui réside dans le Créateur, font que tout marche en concours et en unité suivant l'ordre immuable de sa sagesse. S'il est ainsi, chrétiens, que toute la nature ait sa loi, l'homme a dû aussi recevoir la sienne ; mais avec cette différence que les autres créatures du monde visible l'ont reçue sans la connaître , au lieu qu'elle a été inspirée à l'homme dans un esprit raisonnable et intelligent, comme dans un globe de lumière dans lequel il la voit briller elle-même avec un éclat encore plus vif que le sien : afin que la voyant il l'aime, et que l'aimant il la suive par un mouvement volontaire. C'est en cette sorte, âmes saintes, que nous portons en nous-mêmes, et la loi de l'équité naturelle, et la loi de la justice chrétienne.
La première nous est donnée avec la raison en naissant dans cet ancien monde ; selon cette parole de l’Évangile, que « Dieu illumine tout homme venant au monde.» (Jean 1, 9 ) ; et la seconde nous est inspirée avec la foi, qui est la raison des chrétiens, en renaissant dans l’Église qui est le monde nouveau ; et c'est pourquoi le baptême s'appelait dans l'ancienne Église le mystère d'illumination, qui est une phrase apostolique tirée de la divine Épître aux Hébreux (Hébreux 6. 4.). Ces lois ne sont autre chose qu'un extrait fidèle de la vérité primitive, qui réside dans l'esprit de Dieu ; et c'est pourquoi nous pouvons dire sans crainte que la vérité est en nous. Mais si nous ne l'avons pas épargnée dans le sein même de Dieu, il ne faut pas s'étonner que nous la combattions en nos consciences. De quelle sorte, chrétiens ? Il vous sera utile de le bien entendre ; et c'est pourquoi je tâcherai de vous l'expliquer. Je vous ai dit , dans le premier point, qu'en vain les pécheurs attaquaient en Dieu cette vérité originale; ils se perdent tout seuls : elle n'est ni corrompue ni diminuée. Mais il n'en est pas de la sorte de cette vérité inhérente en nous : car comme nous la touchons de plus près, et que nous pouvons, pour ainsi dire, mettre nos mains dessus, nous pouvons aussi pour notre malheur la mutiler et la corrompre, la falsifier et l'obscurcir.
Et il ne faut pas s'étonner si cette haine secrète, par laquelle le pécheur s'efforce de la détruire dans l'original et dans sa source, le porte à l'altérer autant qu'il peut dans les copies et dans les ruisseaux. Mais ceci est trop vague et trop général; venons à des idées plus particulières Je veux donc dire, que nous falsifions dans nos consciences la règle de vérité qui doit gouverner nos mœurs, afin de ne voir pas quand nous faisons mal ; et voici en quelle manière.
Deux choses sont nécessaires pour nous connaître nous-mêmes et la justice de nos actions : que nous ayons les règles dans leur pureté, et que nous nous regardions dedans comme dans un miroir fidèle. Car en vain le miroir est-il bien placé, en vain sa glace est-elle polie, si vous n'y tournez le visage, il ne sert de rien pour vous reconnaître , non plus que la règle de la vérité, si vous n'en approchez pas pour y contempler quel vous êtes. C'est ici que nous errons doublement, car nous altérons la règle, et nous nous déguisons nos mœurs à nous-mêmes. Comme une femme mondaine, amoureuse jusqu'à la folie de cette beauté d'un jour, qui peint la surface du visage pour cacher la laideur qui est au dedans ; lorsqu'en consultant son miroir, elle ne trouve ni cet éclat ni cette douceur que sa vanité désire, elle s'en prend premièrement au cristal, elle cherche ensuite un miroir qui flatte. Que si elle ne peut tellement corrompre la fidélité de sa glace qu'elle ne lui montre toujours beaucoup de laideur, elle s'avise d'un autre moyen : elle se plâtre, elle se farde, elle se déguise, elle se donne de fausses couleurs ; elle se pare, dit saint Ambroise, d'une bonne grâce achetée, elle repaît sa vanité, et laisse jouir son orgueil du spectacle d'une beauté imaginaire.
C'est à peu près ce que nous faisons, lorsque notre vie mauvaise nous rend odieux à nous-mêmes . Lorsque nous courons après nos désirs, notre âme se défigure et perd toute sa beauté : si en cet état déplorable nous nous présentons quelquefois à cette règle de vérité écrite en nos cœurs, notre difformité nous étonne, elle fait horreur à nos yeux, nous nous plaignons de la règle. Ces lois austères, dont on nous effraie, ne sont pas les lois de l’Évangile ; elles ne sont pas si fâcheuses, ni si ennemies de l'humanité : nous éloignons ces dures maximes, et nous mettons en leur place, ainsi qu'une glace flatteuse, des maximes d'une piété accommodante. Cette loi de la dilection des ennemis, cette sévérité de la pénitence et de la mortification chrétienne, ce précepte terrible du détachement du monde, de ses vanités et de ses pompes, ne se doit pas prendre au pied de la lettre; tout cela tient plus du conseil que du commandement absolu. Mais, chrétiens, il est malaisé de détruire tout à fait en nous cette règle de vérité, qui est si profondément empreinte en nos âmes ; et quel que petit rayon qui nous en demeure, c'est assez pour convaincre nos mauvaises mœurs et notre vie licencieuse.
Cette pensée nous chagrine ; mais notre amour-propre s'avance à propos pour nous ôter cette inquiétude : il nous présente un fard agréable, il donne de fausses couleurs à nos intentions, il dore si bien nos vices que nous les prenons pour des vertus. Voilà, mes frères, les deux manières par les quelles nous falsifions et l’Évangile et nous mêmes : nous craignons de le découvrir en sa vérité, et de nous voir nous-mêmes tels que nous sommes. Nous ne pouvons nous résoudre à nous accorder avec l’Évangile par une conduite réglée ; nous tâchons de nous approcher en déguisant l'un et l'autre, faisant de l’Évangile un assemblage monstrueux de vrai et de faux, et de nous - même un personnage de théâtre qui n'a que des actions empruntées, et à qui rien ne convient moins que ce qu'il paraît. Et en effet, chrétiens, lorsque nous formons tant de doutes et tant d'incidents : que nous réduisons l’Évangile et la doctrine des mœurs à tant de questions artificieuses ; que faisons-nous autre chose, sinon de chercher des déguisements ? et que servent tant de questions, sinon à nous faire perdre parmi des détours infinis la trace toute droite de la vérité? Ne faisons ici la guerre à personne, sinon à nous-mêmes et à nos vices ; mais disons hautement dans cette chaire, que ces pécheurs subtils et ingénieux, qui tournent l’Évangile de tant de côtés, qui trouvent des raisons de douter sur l'exécution de tous les préceptes, qui fatiguent les casuistes par leurs consultations infinies, ne travaillent ordinairement qu'à nous envelopper la règle des mœurs.
« Ce sont des hommes, dit saint Augustin, qui se tourmentent beaucoup pour ne trouver pas ce qu'ils cherchent .» (de Genes. contra Manich. lib. II, cap. II. tom. I. col. 665.). Ou plutôt ce sont ceux dont parle l'Apôtre, «qui n'ont jamais de maximes fixes, ni de conduite certaine; qui apprennent toujours, et cependant n'arrivent jamais à la science de la vérité.» (2. Timothée 3, 7). Ce n'est pas ainsi, chrétiens, que doivent être les enfants de Dieu. A Dieu ne plaise que nous croyions que la doctrine chrétienne soit toute en questions et en incidents ! L’Évangile nous a donné quelques principes, Jésus-Christ nous a appris quelque chose ; son école n'est pas une académie, où chacun dispute ainsi qu'il lui plaît. Qu'il puisse se rencontrer quelquefois des difficultés extraordinaires, je ne m'y veux pas opposer ; mais je ne crains point de vous assurer que pour régler notre conscience sur la plupart des devoirs du christianisme, la simplicité et la bonne foi sont deux grands docteurs qui laissent peu de choses indécises.
Pourquoi donc subtilisez-vous sans mesure? Aimez vos ennemis, faites-leur du bien. Mais c'est une question, direz-vous, ce que signifie cet amour; si aimer ne veut pas dire, ne les haïr point : et pour ce qui regarde de leur faire du bien, il faut savoir dans quel ordre, et s'il ne suffit pas de venir à eux après que vous aurez épuisé votre libéralité sur tous les autres; et alors ils se contenteront, s'il leur plaît, de vos bonnes volontés. Raffinements ridicules ! aimer, c'est-à-dire aimer. L'ordre de faire du bien à vos ennemis dépend des occasions particulières que Dieu vous présente, pour rallumer, s'il se peut, en eux, le feu de la charité que vos inimitiés ont éteint : pourquoi raffiner davantage ? Grâce à la miséricorde divine, la piété chrétienne ne dépend pas des inventions de l'esprit humain ; et, pour vivre selon Dieu en simplicité, le chrétien n'a pas besoin d'une grande étude, ni d'un grand appareil de littérature : « Peu de choses lui suffisent, dit Tertullien, pour connaître de la vérité ce qu'il lui en faut pour se conduire ». Qui nous a donc produit tant de doutes, tant de fausses subtilités, tant de dangereux adoucissements sur la doctrine des mœurs, si ce n'est que nous voulons tromper et être trompés ?
De là tant de questions et tant d'incidents qui raffinent sur les chicanes et les détours du barreau. Vous avez dépouillé cet homme pauvre, et vous êtes devenu un grand fleuve engloutissant les petits ruisseaux ; mais vous ne savez pas par quels moyens, ni je ne me soucie de le pénétrer : soit que ce soit enlevant les bondes des digues, soit par quelque machine plus délicate; enfin vous avez mis cet étang à sec, et il vous redemande ses eaux. Que m'importe, ô grande rivière, qui regorges de toutes parts, en quelle manière et par quels détours ses eaux ont coulé en ton sein ! je vois qu'il est desséché, et que vous l'avez dépouillé de son peu de bien. Mais il y a ici des questions, et sans doute, des questions importantes; tout cela pour obscurcir la vérité. C'est pourquoi saint Augustin a raison de comparer ceux qui les forment à des hommes « qui soufflent sur de la poussière, et se jettent de la terre aux yeux. »
Et quoi, vous étiez dans le grand chemin de la charité chrétienne, la voie vous paraissait toute droite, et vous avez soufflé sur la terre mille vaines contentions, mille questions de néant se sont excitées, qui ont troublé votre vue comme une poussière importune, et vous ne pouvez plus vous conduire : un nuage vous couvre la vérité, vous ne la voyez qu'à demi. Mais c'en est assez, chrétiens, pour convaincre leur mauvaise vie. Car encore que nous tournions le dos au soleil, et que nous tâchions par ce moyen de nous envelopper dans notre ombre, les rayons qui viennent de part et d'autre nous donnent toujours assez de lumière. Encore que nous détournions nos visages de peur que la vérité ne nous éclaire de front, elle envoie par les côtés assez de lumière pour nous empêcher de nous méconnaître. Accourez ici, amour-propre, avec tous vos noms, toutes vos couleurs, tout votre art, et tout votre fard, venez peindre nos actions, venez colorer nos vices : ne nous donnez point de ce fard grossier qui trompe les yeux des autres ; déguisez-nous si délicatement et si finement, que nous ne nous connaissions plus nous mêmes.
Je n'aurais jamais fait, si j'entreprenais aujourd'hui de vous raconter tous les artifices par lesquels l'amour-propre nous cache à nous-mêmes, en nous donnant de faux jours, en nous faisant prendre le change, en détournant notre attention, ou en charmant notre vue. Disons quelques-unes de ses finesses ; mais donnons en même temps une règle sûre pour en découvrir la malice. Vous allez voir, chrétiens, comment il nous persuade premièrement que nous sommes bien convertis, quoique l'amour du monde règne encore en nous; et pour nous pousser plus avant, que nous sommes zélés, quoique nous ne soyons pas même charitables. Voici comme il s'y prend pour nous convertir : prêtez l'oreille, et écoutez les belles conversions que fait l'amour-propre. Il y a presque toujours en nous quelque commencement imparfait et quelque désir de vertu, dont l'amour propre relève le prix, et qu'il fait passer pour la vertu même : c'est ainsi qu'il commence à nous convertir.
Mais il faut s'affliger de ses crimes ; il trouvera le secret de nous donner de la componction. Nous serions bien malheureux, chrétiens, si le péché n'avait pas ses temps de dégoût, aussi-bien que toutes nos autres occupations. Ou le chagrin ou la plénitude fait qu'il nous déplaît quelquefois : c'est la contrition que fait l'amour-propre. Bien plus j'ai appris du grand saint Grégoire, que comme Dieu, dans la profondeur de ses miséricordes, laisse quelquefois dans ses serviteurs des désirs imparfaits du mal, pour les enraciner dans l'humilité ; aussi l'ennemi de notre salut, dans la profondeur de ses malices, laisse naître souvent dans les siens un amour imparfait de la justice, qui ne sert qu'à les enfler par la vanité : ceux-là se croient de grands pécheurs, ceux-ci se persuadent souvent qu'ils sont de grands saints. Ainsi le malheureux Balaam admirant les tabernacles des justes, s'écrie, tout touché, ce semble : « Que mon âme meure de la mort des justes» (Nombres 23, 10.) est-il rien de plus pieux ? Mais après avoir prononcé leur mort bienheureuse, le même donne aussitôt des conseils pernicieux contre leur vie. Ce sont les profondeurs de Satan, comme les appelle saint Jean dans l'Apocalypse, (Apocalypse 2, 24) ; mais il fait jouer pour cela les ressorts délicats de notre amour-propre.
C'est lui qui fait passer ces dégoûts qui viennent ou de chagrin ou d'humeur , pour la componction véritable, et des désirs, qui semblent sincères, pour des résolutions déterminées. Mais je veux encore vous accorder que le désir peut être sincère : mais ce sera toujours un désir, et non une résolution déterminée, c'est-à-dire, ce sera toujours une fleur, mais ce ne sera jamais un fruit, et c'est ce que Jésus-Christ cherche sur ses arbres. Pour nous détromper, chrétiens, des tromperies de notre amour-propre, la règle est de nous juger par les œuvres. C'est la seule règle infaillible, parce que c'est la seule que Dieu nous donne : il s'est réservé de juger les cœurs par leurs dispositions intérieures, et il ne s'y trompe jamais : il nous a donné les œuvres, comme la marque pour nous reconnaître; c'est la seule qui ne trompe pas. Si votre vie est changée, c'est le sceau de la conversion de votre cœur. Mais prenez garde encore en ce lieu aux subtilités de l'amour-propre : prenez garde qu'il ne change un vice en un autre, et non pas le vice en vertu; que l'amour du monde ne règne en vous sous un autre titre ; que ce tyran, au lieu de remettre le trône à Jésus-Christ le légitime Seigneur, n'ait laissé un successeur de sa race, enfant aussi-bien que lui de la même convoitise. Venez à l'épreuve des œuvres; mais ne vous contentez pas de quelques aumônes, ni de quelque demi-restitution. Ces œuvres dont nous parlons, qui sont le sceau de la conversion, doivent être des œuvres pleines devant Dieu, comme parle l’Écriture sainte.
« Je ne trouve point vos œuvres pleines devant mon Dieu ; » (Apocalypse 3,2) c'est-à-dire qu'elles doivent embrasser toute l'étendue de la justice chrétienne et évangélique. Après vous avoir montré de quelle sorte l'amour-propre convertit les hommes, je vous ai promis de vous dire comment il fait semblant d'allumer leur zèle. Je l'expliquerai en un mot : c'est qu'il est naturel à l'homme de vouloir tout régler, excepté lui-même. Un tableau qui n'est pas posé en sa place choque la justesse de notre vue; nous ne souffrons rien au prochain, nous n'avons de la facilité ni de l'indulgence pour aucunes fautes des autres. Ce grand dérèglement vient d'un bon principe; c'est qu'il y a en nous un amour de l'ordre et de la justice qui nous est donné pour nous conduire. Cette inclination est si forte, qu'elle ne peut demeurer inutile : c'est pourquoi si nous ne l'occupons au dedans de nous, elle s'amuse au dehors : elle se tourne à régler les autres, et nous croyons être fort zélés quand nous détestons le mal dans les autres. Il plaît à l'amour-propre que nous exercions, ou plutôt, que nous consumions et que nous épuisions ainsi notre zèle. Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse ; employez pour vous la même mesure dont vous vous servez pour les autres, toutes les ruses de l'amour-propre seront éventées. N'ayez pas deux mesures, l'une pour le prochain et l'autre pour vous ; « car c'est chose abominable devant le Seigneur.» ( Proverbe 20, 23.) n'ayez pas une petite mesure où vous ne mesuriez que vous-même, pour régler vos devoirs ainsi qu'il vous plaît; car cela attire la colère de Dieu. « La fausse mesure est pleine de la colère de Dieu, » dit le prophète Michée (Michée 6. 10). Prenez la grande mesure du christianisme, la mesure de la charité ; mesure pleine et véritable, qui enferme le prochain avec vous, et qui vous range tous deux sous la même règle et sous les mêmes devoirs, tant de l'équité naturelle que de la justice chrétienne. Ainsi, ce grand ennemi de la vérité intérieure, l'amour-propre, sera détruit en nous-mêmes; mais s'il vit encore, voici qui lui doit donner le coup de la mort ; la vérité dans les autres hommes convaincant et reprenant les mauvaises œuvres : c'est le dernier effort qu'elle fait, et c'est là qu'elle reçoit les plus grands outrages.
TROISIÈME POINT.
S'il appartient à la vérité de régler les hommes et de les juger souverainement; à plus forte raison, chrétiens, elle a droit de les censurer et de les reprendre. C'est pourquoi nous apprenons, par les saintes Lettres, que l'un des devoirs les plus importants de ceux qui sont établis pour être les dépositaires de la vérité, c'est de reprendre sévèrement les pécheurs; et il faut que nous apprenions de saint Augustin quelle est l'utilité d'un si saint emploi. Ce grand homme nous l'explique en un petit mot, au livre de la Correction et de la Grâce (Cap., III. n. 5. tom. x, col. 752.), où, faisant la comparaison des préceptes que l'on nous donne avec les reproches que l'on nous fait, et recherchant à fond selon sa coutume l’utilité de l'un et de l'autre, il dit « que comme on nous enseigne par le précepte ce que nous avons à faire, on nous montre par les reproches que, si nous ne le faisons pas, c'est par notre faute. » Et en effet, chrétiens, c'est là le fruit principal de telle censure : car quelque front qu'aient les pécheurs, le péché est toujours timide et honteux. C'est pourquoi qui médite un crime, médite pour l'ordinaire une excuse : c'est surprise, c'est fragilité, c'est une rencontre imprévue ; il se cache ainsi à lui-même plus de la moitié de son crime. Dieu lui suscite un censeur charitable, mais rigoureux qui, perçant toutes ses défenses, lui fait sentir que c'est par sa faute; et lui ôtant tous les vains prétextes, ne lui laisse que son péché avec sa honte. Si quelque chose le peut émouvoir, c'est sans doute cette sévère correction; et c'est pourquoi le divin Apôtre ordonne à Tite, son cher disciple, d'être dur et inexorable en quelques rencontres : « Reprenez-les, dit il, durement.» (Tite 1, 13.); c'est-à-dire qu'il faut jeter quelquefois au front des pécheurs impudents des vérités toutes sèches, qui les fassent rentrer en eux-mêmes, d'étonnement et de surprise ; et si les corrections doivent emprunter en plusieurs rencontres une certaine douceur de la charité qui est tendre et compatissante, elles doivent aussi emprunter souvent quelque espèce de rigueur et de dureté de la vérité qui est inflexible.
Si jamais la vérité se rend odieuse, c'est particulièrement, chrétiens, dans la fonction dont je parle. Les pécheurs toujours superbes ( dans leur orgueil) ne peuvent endurer qu'on les reprenne : quelque véritables que soient les reproches, ils ne manquent point d'artifices pour les éluder; et après ils se tourneront contre vous : c'est pourquoi le grand saint Grégoire les compare à des hérissons (porc-épic)(Pas tor. part. III, cap. x1, tom. II, col. 48.). Étant éloigné de cet animal , vous voyez sa tête, ses pieds et son corps ; quand vous approchez pour le prendre, vous ne trouvez plus qu'une boule, et celui que vous découvrez de loin tout entier, vous le perdez tout à coup, aussitôt que vous le tenez dans vos mains. Il en est ainsi de l'homme pécheur : vous avez découvert toutes ses menées, et démêlé toute son intrigue; enfin vous avez reconnu tout l'ordre du crime , vous voyez ses pieds, son corps et sa tête; aussitôt que vous pensez le convaincre en lui racontant ce détail, par mille adresses il vous retire ses pieds, il couvre soigneusement tous les vestiges de son crime, il vous cache sa tête, il recèle profondément ses desseins; il enveloppe son corps, c'est-à-dire toute la suite de son intrigue dans un tissu artificieux d'une histoire embarrassée et faite à plaisir : ce que vous pensiez avoir vu si distinctement, n'est plus qu'une masse informe et confuse, où il ne paraît ni fin ni commencement; et cette vérité si bien démêlée est tout à coup disparue parmi ces vaines défaites.
Ainsi étant retranché et enveloppé en lui-même, il ne vous présente plus que des piquants ; il s'arme à son tour contre vous, et vous ne pouvez le toucher sans que votre main ! soit ensanglantée, je veux dire, votre honneur blessé par quelque outrage : le moindre que vous recevrez sera le reproche de vos vains soupçons. « Et donc, dit le saint Apôtre, je suis devenu votre ennemi en vous disant la vérité?» (Galates 4, 16.)? Il est ainsi, chrétiens, et tel est l'aveuglement des hommes pécheurs. Qu'on discoure de la morale , qu'on déclame contre les vices ; pourvu qu'on ne leur dise jamais comme Nathan : « C'est vous-même qui êtes cet homme.» (2. Samuel 12, 7. - Ancien Testament), c'est à vous qu'on parle, ils écouteront volontiers une satire publique des mœurs de leur siècle ; et cela pour quelle raison? «c'est qu' ils aiment, dit saint Augustin (Confessions lib. x, cap. XXIII. tom. 1, col. 183.), la lumière de la vérité; mais ils ne peuvent souffrir ses censures.» « Elle leur plaît quand elle se découvre, parce qu'elle est belle; elle commence à les choquer quand elle les découvre eux-mêmes.»
«Aveugles, qui ne voient pas que c'est par la même lumière que le soleil se montre lui-même et tous les autres objets. Ils veulent cependant, que la vérité se découvre à eux, sans découvrir quels ils sont; et il leur arrivera au contraire, par une juste vengeance, que la lumière de la vérité mettra en évidence leurs mauvaises œuvres, pendant qu'elle-même leur sera cachée». Par conséquent, chrétiens, que les hommes qui ne veulent pas obéir à la vérité, souffrent du moins qu'on les reprenne ; s'ils la dépossèdent de son trône, du moins qu'ils ne la retiennent pas tout à fait captive; s'ils la dépouillent avec injustice de l'autorité du commandement, qu'ils lui laissent du moins la liberté de la plainte. Quoi! veulent-ils encore étouffer sa voix ? veulent-ils qu'on loue leurs péchés, ou du moins qu'on les dissimule ? comme si, faire bien ou mal , c'était une chose indifférente.
Ce n'est pas ainsi, chrétiens, que l’Évangile l'ordonne; il veut que la censure soit exercée, et que les pécheurs soient repris; parce que, dit saint Augustin, « s'il y a quelque espérance de salut pour eux, c'est par là que doit commencer leur guérison; et s'ils sont endurcis et incorrigibles, c'est par là que doit commencer leur supplice. » « Mais j'espère de vous, chrétiens, quelque chose de meilleur, encore que je vous parle de la sorte.» (Hébreux 6. 9). Voici les jours de salut, voici le temps de conversion dans lesquels on verra la presse autour des tribunaux de la pénitence : c'est principalement dans ces augustes tribunaux (Confessionnal) que la vérité reprend les pécheurs, et exerce sa charitable, mais vigoureuse censure. Ne désirez pas qu'on vous flatte où vous-mêmes vous vous rendez vos accusateurs. N'imitez pas ces méchants dont parle le prophète Isaïe, qui « disent à ceux qui regardent : Ne regardez pas ; et à ceux qui sont préposés pour voir : Ne voyez pas pour nous ce qui est droit ; dites-nous des choses qui nous plaisent, trompez-nous par des erreurs agréables.» (Isaïe 30, 10,). « Ôtez-nous cette voie, elle est trop droite ; ôtez-nous ce sentier, il est trop étroit : enseignez-nous des voies détournées où nous puissions nous sauver avec nos vices, et nous convertir sans changer nos cœurs;» car c'est ce que désirent les pécheurs rebelles.
Au lieu que la conversion véritable est que le méchant devienne bon, et que le pécheur devienne juste; ils imaginent une autre espèce de conversion, où le mal soit changé en bien, où le crime devienne honnête, où la rapine devienne justice; et ils cherchent, jusqu'au tribunal de la pénitence, des flatteurs qui les entretiennent dans cette pensée.
Loin de tous ceux qui m'écoutent une disposition si funeste. Cherchez-y des amis et non des trompeurs, des juges et non des complices, des médecins charitables et non des empoisonneurs. Ne vous contentez pas de replâtrer où il faut toucher jusqu'aux fondements. C'est un commencement de salut d'être capables des remèdes forts : votre plaie invétérée n'est pas en état d'être guérie par des lénitifs, il est temps d'appliquer le fer et le feu. Ne cherchez ni complaisance, ni tempérament, ni adoucissement, ni condescendance. Venez, venez rougir tout de bon, tandis que la honte est salutaire ; venez vous voir tous tels que vous êtes, afin que vous ayez horreur de vous mêmes; et que, confondus par les reproches, vous vous rendiez enfin dignes de louanges; et non-seulement de louanges, mais d'une gloire éternelle.
Mais ne faut-il pas user de condescendance? n'est-ce pas une doctrine évangélique, qu'il faut s'accommoder à l'infirmité humaine? Il le faut, n'en doutez pas, chrétiens; mais voici l'esprit véritable de la condescendance chrétienne. Elle doit être dans la charité, et non pas dans la vérité : je veux dire, il faut que la charité compatisse, et non pas que la vérité se relâche; il faut supporter l'infirmité, mais non pas l'excuser, ni lui complaire : il faut imiter saint Cyprien, dont saint Augustin a dit ces beaux mots : « que, considérant les pécheurs, il les tolérait dans l'Église par la patience de la charité», et voilà la condescendance chrétienne ; « mais que tout ensemble il les reprenait par la force de la vérité» et voilà la vigueur apostolique. Car pour ce qui est de la vérité et de la doctrine, il n'y a plus à espérer d'accommodement; et en voici la raison. Jésus-Christ a examiné une fois jusqu'où devait s'étendre la condescendance : lui qui connaît parfaitement la faiblesse humaine, et le secours qu'il lui donne, a mesuré pour jamais l'une et l'autre avec ses préceptes. Ces grands conseils de perfection, quitter tous ses biens, les donner aux pauvres, renoncer pour jamais aux honneurs du siècle, passer toute sa vie dans la continence, il les propose bien dans son Évangile ; mais comme ils sont au-delà des forces communes, il n'en fait pas une loi, il n'en impose pas l'obligation : s'il a eu sur nous quelque grand dessein que notre faiblesse ne pût pas porter, il en a différé l'accomplissement jusqu'à ce que l'infirmité eût été munie du secours de son Saint-Esprit : « J`ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent.» (Jean 16, 12).
Vous voyez donc, chrétiens, qu'il a pensé sérieusement, en esprit de douceur et de charité paternelle, jusqu'où il relâcherait et dans quelles bornes il retiendrait notre liberté. Il n'est plus temps maintenant de rien adoucir, après qu'il a apporté lui-même tous les adoucissements nécessaires : tout ce que la licence humaine présume au-delà, n'est plus de l'esprit du christianisme ; c'est l'ivraie parmi le bon grain; c'est ce mystère d'iniquité prédit par le saint Apôtre (2. Thessaloniciens 2. 7.), qui vient altérer la saine doctrine. La même vérité qui est sortie de sa bouche nous jugera au dernier jour : conformité entre l'un et l'autre état. Telle qu'il l'a prononcée, telle elle paraîtra pour prononcer notre sentence : « Ce sera le précepte qui deviendra une sentence » Justitia convertetur in judicium (Psaume 93, 15.). Là elle paraît comme dans une chaire pour nous enseigner, là dans un tribunal pour nous juger; mais elle sera la même en l'un et en l'autre. Mais telle qu'elle est dans l'une et dans l'autre, telle doit-elle être dans notre vie ; car quiconque n'est pas d'accord avec la règle, elle le repousse et le condamne; quiconque vient se heurter contre cette rectitude inflexible, nous vous l'avons déjà dit, il faut qu'elle les rompe et les brise. Désirons donc ardemment que la règle de la vérité se trouve en nos mœurs telle que Jésus Christ l'a prononcée. Mais afin qu'elle se trouve en notre vie, désirons aussi, chrétiens, qu'elle soit en sa pureté dans la bouche et la doctrine de ceux à qui nous en avons donné la conduite : qu'ils nous reprennent, pourvu qu'ils nous guérissent, qu'ils nous blessent, pourvu qu'ils nous sauvent, qu'ils disent ce qu'il leur plaira, pourvu qu'ils disent la vérité.
Mais, après que nous l'aurons entendue, considérons, chrétiens, que le jugement de Dieu est terrible sur ceux qui la connaissent et qui la méprisent. Ceux à qui la vérité chrétienne n'a pas été annoncée, seront ensevelis, dit saint Augustin, comme des morts dans les enfers ; mais ceux qui savent la vérité, et qui pèchent contre ces préceptes, se sont ceux dont David a dit :« qu'ils y descendront tout vivants » (Psaume 54. 16). Les autres y sont comme entraînés et précipités, ceux-ci y descendent de leur plein gré ; ceux-là y seront comme des morts, et les autres comme des vivants.
Cela veut dire, Messieurs, que la science de la vérité leur donnera un sentiment si vif de leurs peines, que les autres en comparaison, quoique tourmentés très cruellement, sembleront comme morts et insensibles. Et quelle sera cette vie ? c'est qu'ils verront éternellement cette vérité qu'ils ont combattue : de quelque côté qu'ils se tournent, toujours la vérité sera contre eux :(Daniel 12, 2) : en quelques antres profonds qu'ils aient tâché de la receler pour ne point entendre sa voix, elle percera leurs oreilles par des cris terribles : elle leur paraîtra toute nue, inexorable, inflexible, armée de tous ses reproches pour confondre éternellement leur ingratitude. Ah! mes Frères, éloignons de nous un si grand malheur : enfants de lumière et de vérité, nous devons aimer la lumière, même celle qui nous convainc; nous devons adorer la vérité, même celle qui nous condamne. Et toutefois, chrétiens, si nous sommes bien conseillés, ne soyons pas longtemps en querelle avec un ennemi si redoutable : accommodons-nous pendant qu'il est temps avec ce puissant adversaire; ayons la vérité pour amie; suivons sa lumière qui va devant nous, et nous ne marcherons point parmi les ténèbres. Allons droitement et honnêtement comme des hommes qui sont en plein jour, et dont toutes les actions sont éclairées; et à la fin nous arriverons à la clarté immortelle, et au plein jour de l'éternité. Amen.
Bossuet – Oeuvres complètes de Bossuet – Tome 1
Jacques-Bénigne Bossuet, (1627 – 1704), est un homme d'Église, évêque, prédicateur et écrivain français. Prédicateur renommé.
Le monde ne peut point vous haïr; et il me hait parce que je rends témoignage de lui, que ses œuvres sont mauvaises (Jean 7, 7).
Les hommes, presque toujours injustes, le sont en ceci principalement, que la vérité leur est odieuse et qu'ils ne peuvent souffrir ses lumières. Ce n'est pas qu'ils ne pensent tous avoir de l'amour pour elle ; et en effet, chrétiens, quand la vérité ne fait autre chose que de se montrer elle-même dans ses belles et adorables maximes, un cœur serait bien farouche, qui refuserait son affection à sa divine beauté : mais lorsque ce même éclat, qui ravit nos yeux, met au jour nos imperfections et nos défauts, et que la vérité, non contente de nous montrer ce qu'elle est, vient à nous manifester ce que nous sommes, alors, comme si elle avait perdu toute sa beauté en nous découvrant notre laideur, nous commençons aussitôt à la haïr, et ce beau miroir nous déplaît à cause qu'il est trop fidèle.
Étrange égarement de l'esprit humain! que nous souffrions en nous-mêmes si facilement des maux dont nous ne pouvons supporter la vue; que nous ayons les yeux plus tendres et plus délicats que la conscience; et que, pendant que nous haïssons tellement nos vices que nous ne pouvons les voir, nous nous y plaisions tellement, que nous ne craignions pas de les nourrir ; comme si notre âme insensée mettait son bonheur à se tromper elle-même, et se délivrait de ces maux en y ajoutant le plus grand de tous, qui est celui de n'y penser pas et celui même de les méconnaître. C'est, un si grand excès, qui fait que le Sauveur se plaint, dans mon texte, que le monde le hait à cause qu'il découvre ses mauvaises oeuvres; et comme il n'est que trop vrai que nous sommes coupables du même attentat que Jésus Christ a repris, il est juste que nous invoquions toute la force du Saint-Esprit contre l'injustice des hommes qui haïssent la vérité, et que nous demandions pour cela les puissantes intercessions de celle qui l'a conçue et qui l'a enfantée au monde : c'est la divine Marie, que nous saluerons avec l'ange.
« Tous ceux qui font mal, dit le Fils de Dieu, haïssent la lumière et craignent de s'en approcher, à cause qu'elle découvre leurs mauvaises œuvres. » (Jean 3, 20.). S'ils haïssent la lumière, ils haïssent par conséquent la vérité, qui est la lumière de Dieu, et la seule qui peut éclairer les yeux de l'esprit. Mais afin que vous entendiez de quelle sorte et par quels principes se forme en nous cette haine de la vérité, écoutez une belle doctrine du grand saint Thomas d`Aquin en sa seconde partie, où il traite expressément cette question. Il pose pour fondement que le principe de la haine, c'est la contrariété et la répugnance; tellement que les hommes ne sont capables d'avoir de l'aversion pour la vérité, qu'autant qu'ils la considèrent dans quelque sujet particulier où elle combat leurs inclinations. Or nous la pouvons considérer ou en tant qu'elle réside en Dieu , ou en tant que nous la sentons en nous-mêmes, ou en tant qu'elle nous paraît dans les autres; et comme en ces trois états, elle contrarie les mauvais désirs, elle est aussi l'objet de la haine des hommes déréglés et mal vivants.
Et en effet, chrétiens, ces lois immuables de la vérité sur lesquelles notre conduite doit être réglée ; soit que nous les regardions en leur source, c'est-à-dire en Dieu, soit que nous les écoutions parler en nous-mêmes dans le secret de nos cœurs, soit qu'elles nous soient montrées par les autres hommes nos semblables, crient toujours contre les pécheurs, quoiqu'avec des effets très différents. En Dieu, qui est le juge suprême, la vérité les condamne ; en eux-mêmes et dans leur propre conscience, elle les trouble ; dans les autres hommes, elle les confond ; et c'est pour quoi partout elle leur déplaît.
«L'homme sujet à s'enivrer hait nécessairement celui qui est sobre, l'impudique celui qui est chaste, l'injuste celui qui est juste; et il ne peut soutenir la présence d'aucun saint, parce qu'elle est comme un fardeau qui accable sa conscience » (Saint Hillaire, Tract. in Ps. CXIII, n. 10. col. 301.). Ainsi, en quelque manière que Jésus-Christ nous enseigne, soit par les oracles qu'il prononce dans son Évangile, soit par les lumières intérieures qu'il répand dans nos consciences, soit par les paroles de vérité qu'il met dans la bouche de nos frères; il a raison de se plaindre que les hommes du monde le haïssent, à cause qu'il censure leur mauvaise vie. Ils haïssent la vérité, parce qu'ils voudraient premièrement que ce qui est vrai ne fût pas vrai; ensuite ils voudraient du moins ne le pas connaître , et parce qu'ils ne veulent pas connaître, ils ne veulent pas non plus qu'on les avertisse. Au contraire, nous devons apprendre à aimer la vérité partout où elle est, en Dieu, en nous-mêmes, dans le prochain; afin qu'en Dieu elle nous règle, en nous-mêmes elle nous excite et nous éclaire, dans le prochain elle nous reprenne et nous redresse : et c'est le sujet de ce discours.
PREMIER POINT.
Les fidèles n'ignorent pas que les lois primitives et invariables, qui condamnent tous les vices, sont en Dieu éternellement ; et il m'est aisé de vous faire entendre que la haine qu'ont les pécheurs pour la vérité, s'emporte jusqu'à l'attaquer dans cette divine source. Car, comme j'ai déjà dit que le principe de la haine c'est la répugnance, et qu'il n'y a point de plus grande contrariété que celle des hommes pécheurs avec ces lois premières et originales; il s'ensuit que leur aversion pour la vérité s'étend jusqu'à celle qui est en Dieu, ou plutôt qui est Dieu même; en telle sorte, que l'attache aveugle au péché porte en nous nécessairement une secrète disposition, qui fait désirer à l'homme de pouvoir détruire ces lois, et la sainte vérité de Dieu qui en est le premier principe. Mais pour comprendre l'audace de cet attentat, et en découvrir les conséquences, il faut que je vous explique avant toutes choses la nature de la haine. Toutefois ne croyez pas, chrétiens, que je veuille faire en ce lieu une recherche philosophique sur cette cruelle passion, ni vous rapporter dans cette chaire ce qu'Aristote nous a dit de son naturel malin.
J'ai dessein de vous faire voir par les Écritures divines que la haine imprime dans l'âme un désir de destruction, et, si je puis l'appeler ainsi, une intention meurtrière ; c'est le disciple bien-aimé qui nous l'enseigne en ces termes : « Celui qui hait son frère est homicide. » ( 1. Jean 3. 15.). Il ne dit pas, chrétiens, celui qui répand son sang, ou qui lui enfonce un couteau dans le sein ; mais celui qui le hait est homicide : tant la haine est cruelle et malfaisante. En effet, il est déjà très indubitable que nous faisons mourir dans notre cœur celui que nous haïssons; mais il faut dire de plus qu'en l'éloignant de notre cœur, nous ne le pouvons souffrir nulle part. Aussi sa présence blesse notre vue ; se trouver avec lui dans un même lieu nous paraît une rencontre funeste ; tout ce qui vient de sa part nous fait horreur; et si nous ne réprimions cette maligne passion, nous voudrions être entièrement défaits de cet objet odieux : telle est l'intention secrète de la haine ; et c'est pourquoi l'apôtre saint Jean l'appelle homicide.
Par où vous voyez, mes frères, combien il est dangereux d'être emporté par la haine, puisque Dieu punit comme meurtriers tous ceux qui s'y abandonnent. Mais revenons à notre sujet, et appliquons aux pécheurs la doctrine de ce grand apôtre. Tous ceux qui transgressent la loi de Dieu haïssent sa vérité sainte, puisque non-seulement ils l'éloignent d'eux, mais encore qu'ils lui sont contraires; la détruisant en eux-mêmes, et ne lui donnant aucune place dans leur vie, ils voudraient pouvoir la détruire partout où elle est , et principalement dans son origine : ils s'irritent contre ces lois, ils se fâchent que ce qui leur plaît désordonnément leur soit si sévèrement défendu ; et se sentant trop pressés par la vérité, ils voudraient qu'elle ne fût pas. Car que souhaite davantage un malfaiteur, que l'impunité dans son crime? et pour avoir cette impunité, ne voudrait il pas pouvoir abolir et la loi qui le condamne, et la vérité qui le convainc, et la puissance qui l'accable ? et tout cela n'est-ce pas Dieu même, puis qu'il est lui-même sa vérité, sa puissance et sa justice?C'est pourquoi le Psalmiste a prononcé : « L'insensé a dit dans son cœur, il n'y a point de Dieu.» (Psaume 70, 1.) et saint Augustin, expliquant ces mots, dit « que ceux qui ne veulent pas être justes, voudraient qu'il n'y eût au monde ni justice, ni vérité, pour condamner les criminels.» (in Joan, Tract. xC. tom. III, part. II. col. 721.). Considérez, ô pécheurs, quelle est votre audace : c'est à Dieu que vous en voulez ; et puis que ses vérités vous déplaisent, c'est lui que vous haïssez, et que vous voudriez qu'il ne fût pas. : « Nous ne voulons point que celui-ci soit notre roi. »(Luc 19, 14). Mais afin que nous entendions que tel est le désir secret des pécheurs, Dieu a permis, chrétiens, qu'il se soit enfin découvert en la personne de son Fils. Il a envoyé Jésus-Christ au monde; c'est-à-dire il a envoyé sa vérité et sa parole. Qu'a fait au monde ce divin Sauveur ? Il a censuré hautement les pécheurs orgueilleux , il a découvert les hypocrites, il a confondu les scandaleux , il a été un flambeau qui a mis à chacun devant les yeux toute la honte de sa vie. Quel en a été l'événement ? Vous le savez, chrétiens, et Jésus-Christ l'a exprimé dans les paroles de mon texte : « Le monde me hait, dit-il, parce que je rends témoignage que ses œuvres sont mauvaises.» (Jean 7, 7 ) ; et ailleurs en parlant aux Juifs : « C'est pour cela, dit-il, que vous voulez me tuer, parce que ma parole ne prend point en vous.» ( Jean 8, 37), et que ma vérité vous est à charge. Si donc c'est la vérité qui a rendu Jésus-Christ odieux au monde, si c'est elle qu`ils ont persécutée en sa personne ; qui ne voit qu'en combattant par nos mœurs la doctrine de Jésus-Christ, nous nous liguons contre lui, et que nous entrons bien avant dans la cabale sacrilège qui a fait mourir le Sauveur du monde ?
Oui, mes frères, quiconque s'oppose à la vérité et aux lois immuables qu'elle nous donne, fait mourir spirituellement la justice et la sagesse éternelle qui est venue nous les apprendre, et se revêtit d'un esprit pour crucifier, comme dit l'Apôtre, Jésus-Christ encore une fois (Hébreux 6,6) et ne dites pas, chrétiens, que vous ne combattez pas la vérité sainte que Jésus-Christ a prêchée, puisqu'au contraire vous la professez : car ce n'est pas en vain que le même apôtre a prononcé ces paroles : « Ils professent de connaître Dieu, et ils le renient par leurs œuvres .» (Tite 1, 16.). Les œuvres parlent à leur manière, et d'une voix bien plus forte que la bouche même ; c'est là que paraît tout le fond du cœur. Par conséquent, nos aversions implacables et nos vengeances cruelles combattent contre la bonté de Jésus-Christ ; nos intempérances s'élèvent contre la pureté de sa doctrine ; notre orgueil contredit les mystérieuses humiliations de ce Dieu - Homme ; notre insatiable avarice, qui semble vouloir engloutir le monde et tous ses trésors, s'oppose de toute sa force à cette immense prodigalité par laquelle il a tout donné jusqu'à son sang et sa vie ; et notre ambition et notre orgueil , qui montent toujours, contrarient autant qu'ils le peuvent les anéantissements de ce Dieu-Homme et la sublime bassesse de sa croix et de ses souffrances.
Ainsi, c'est en vain que nous professons la doctrine de Jésus-Christ que nous combattons par nos œuvres : notre vie dément nos paroles , et fait bien voir , comme disait Salvien, « que nous ne sommes chrétiens qu'à la honte de Jésus-Christ et de son saint Évangile». Que s'il est ainsi, chrétiens, si nous combattons par nos œuvres la sainte vérité de Dieu ; qui ne voit combien il est juste qu'elle nous combatte aussi à son tour, et qu'elle s'arme contre nous de toutes ses lumières pour nous confondre, de toute son autorité pour nous condamner , de toute sa puissance pour nous perdre ? Il est juste et très juste que Dieu éloigne de lui ceux qui le fuient, et qu'il repousse violemment ceux qui le rejettent. C'est pourquoi, comme nous lui disons tous les jours, «Retirez-vous de nous, Seigneur, nous ne voulons pas vos voies.» (Job. 21,14 ) ; il nous dira à son tour : « Retirez-vous de moi, maudits; et, Je ne vous connais pas.» (Matthieu 25, 41; Luc 13, 27) et après que sa vérité aura prononcé de toute sa force cet anathème, cette exécration, cette excommunication éternelle, en un mot ce « Retirez-vous » où iront-ils ces malheureux ennemis de la vérité et exilés de la vie ? où, étant chassés du souverain bien, sinon au souverain mal ? où, en perdant l'éternelle bénédiction, sinon à la malédiction éternelle ? où, éloignés du séjour de paix et de tranquillité immuable, sinon au lieu d'horreur et de désespoir ?
Là sera le trouble, là le ver rongeur, là les flammes dévorantes, là enfin seront les pleurs et les grincements de dents (Matthieu 13, 42). O mes frères, qu'il sera horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, quand il entreprendra de venger sur nous sa vérité outragée plus encore par nos œuvres que par nos paroles ! Je tremble en disant ces choses. Et certes quand ce serait un ange du ciel qui dénoncerait aux mortels ces terribles jugements de Dieu, le sentiment de compassion le ferait trembler pour les autres : maintenant que j'ai à craindre pour vous et pour moi , quel doit être mon étonnement, et combien dois-je être saisi de frayeur ! Cessons donc, cessons , chrétiens, de nous opposer à la vérité de Dieu ; n'irritons pas contre nous une ennemie si redoutable, réconcilions nous bientôt avec elle, en composant notre vie selon ses préceptes, de peur, dit le Fils de Dieu, que cet adversaire implacable ne vous mène devant le juge, et que le juge ne nous livre à l'exécuteur qui nous jettera dans un cachot. Je vous dis en vérité, vous ne sortirez point de cette prison jusqu'à ce que vous ayez payé jusqu'à la dernière obole, tout ce que vous devez à Dieu et à sa justice : (Matthieu 5, 25, 26. - Sur le Purgatoire).
Ainsi accommodons-nous, pendant qu'il est temps, avec ce redoutable adversaire ; réconcilions-nous, faisons notre paix avec la vérité que nous haïssons injustement. «Elle n'est pas éloignée de nous.» (Actes des Apôtres 17, 27.). Elle est au fond de nos cœurs ; c'est là où nous la pouvons embrasser ; et quand vous l'en auriez tout à fait chassée, vous pouvez l'y rappeler aisément, si vous vous rendez attentifs à ma seconde partie.
SECOND POINT
C'est un effet admirable de la Providence qui régit le monde, que toutes les créatures vivantes et inanimées portent leur loi en elles-mêmes. Et le ciel, et le soleil , et les astres, et les éléments, et les animaux , et enfin toutes les parties de cet univers ont reçu leurs lois particulières ; qui , ayant toutes leurs secrets rapports avec cette loi éternelle qui réside dans le Créateur, font que tout marche en concours et en unité suivant l'ordre immuable de sa sagesse. S'il est ainsi, chrétiens, que toute la nature ait sa loi, l'homme a dû aussi recevoir la sienne ; mais avec cette différence que les autres créatures du monde visible l'ont reçue sans la connaître , au lieu qu'elle a été inspirée à l'homme dans un esprit raisonnable et intelligent, comme dans un globe de lumière dans lequel il la voit briller elle-même avec un éclat encore plus vif que le sien : afin que la voyant il l'aime, et que l'aimant il la suive par un mouvement volontaire. C'est en cette sorte, âmes saintes, que nous portons en nous-mêmes, et la loi de l'équité naturelle, et la loi de la justice chrétienne.
La première nous est donnée avec la raison en naissant dans cet ancien monde ; selon cette parole de l’Évangile, que « Dieu illumine tout homme venant au monde.» (Jean 1, 9 ) ; et la seconde nous est inspirée avec la foi, qui est la raison des chrétiens, en renaissant dans l’Église qui est le monde nouveau ; et c'est pourquoi le baptême s'appelait dans l'ancienne Église le mystère d'illumination, qui est une phrase apostolique tirée de la divine Épître aux Hébreux (Hébreux 6. 4.). Ces lois ne sont autre chose qu'un extrait fidèle de la vérité primitive, qui réside dans l'esprit de Dieu ; et c'est pourquoi nous pouvons dire sans crainte que la vérité est en nous. Mais si nous ne l'avons pas épargnée dans le sein même de Dieu, il ne faut pas s'étonner que nous la combattions en nos consciences. De quelle sorte, chrétiens ? Il vous sera utile de le bien entendre ; et c'est pourquoi je tâcherai de vous l'expliquer. Je vous ai dit , dans le premier point, qu'en vain les pécheurs attaquaient en Dieu cette vérité originale; ils se perdent tout seuls : elle n'est ni corrompue ni diminuée. Mais il n'en est pas de la sorte de cette vérité inhérente en nous : car comme nous la touchons de plus près, et que nous pouvons, pour ainsi dire, mettre nos mains dessus, nous pouvons aussi pour notre malheur la mutiler et la corrompre, la falsifier et l'obscurcir.
Et il ne faut pas s'étonner si cette haine secrète, par laquelle le pécheur s'efforce de la détruire dans l'original et dans sa source, le porte à l'altérer autant qu'il peut dans les copies et dans les ruisseaux. Mais ceci est trop vague et trop général; venons à des idées plus particulières Je veux donc dire, que nous falsifions dans nos consciences la règle de vérité qui doit gouverner nos mœurs, afin de ne voir pas quand nous faisons mal ; et voici en quelle manière.
Deux choses sont nécessaires pour nous connaître nous-mêmes et la justice de nos actions : que nous ayons les règles dans leur pureté, et que nous nous regardions dedans comme dans un miroir fidèle. Car en vain le miroir est-il bien placé, en vain sa glace est-elle polie, si vous n'y tournez le visage, il ne sert de rien pour vous reconnaître , non plus que la règle de la vérité, si vous n'en approchez pas pour y contempler quel vous êtes. C'est ici que nous errons doublement, car nous altérons la règle, et nous nous déguisons nos mœurs à nous-mêmes. Comme une femme mondaine, amoureuse jusqu'à la folie de cette beauté d'un jour, qui peint la surface du visage pour cacher la laideur qui est au dedans ; lorsqu'en consultant son miroir, elle ne trouve ni cet éclat ni cette douceur que sa vanité désire, elle s'en prend premièrement au cristal, elle cherche ensuite un miroir qui flatte. Que si elle ne peut tellement corrompre la fidélité de sa glace qu'elle ne lui montre toujours beaucoup de laideur, elle s'avise d'un autre moyen : elle se plâtre, elle se farde, elle se déguise, elle se donne de fausses couleurs ; elle se pare, dit saint Ambroise, d'une bonne grâce achetée, elle repaît sa vanité, et laisse jouir son orgueil du spectacle d'une beauté imaginaire.
C'est à peu près ce que nous faisons, lorsque notre vie mauvaise nous rend odieux à nous-mêmes . Lorsque nous courons après nos désirs, notre âme se défigure et perd toute sa beauté : si en cet état déplorable nous nous présentons quelquefois à cette règle de vérité écrite en nos cœurs, notre difformité nous étonne, elle fait horreur à nos yeux, nous nous plaignons de la règle. Ces lois austères, dont on nous effraie, ne sont pas les lois de l’Évangile ; elles ne sont pas si fâcheuses, ni si ennemies de l'humanité : nous éloignons ces dures maximes, et nous mettons en leur place, ainsi qu'une glace flatteuse, des maximes d'une piété accommodante. Cette loi de la dilection des ennemis, cette sévérité de la pénitence et de la mortification chrétienne, ce précepte terrible du détachement du monde, de ses vanités et de ses pompes, ne se doit pas prendre au pied de la lettre; tout cela tient plus du conseil que du commandement absolu. Mais, chrétiens, il est malaisé de détruire tout à fait en nous cette règle de vérité, qui est si profondément empreinte en nos âmes ; et quel que petit rayon qui nous en demeure, c'est assez pour convaincre nos mauvaises mœurs et notre vie licencieuse.
Cette pensée nous chagrine ; mais notre amour-propre s'avance à propos pour nous ôter cette inquiétude : il nous présente un fard agréable, il donne de fausses couleurs à nos intentions, il dore si bien nos vices que nous les prenons pour des vertus. Voilà, mes frères, les deux manières par les quelles nous falsifions et l’Évangile et nous mêmes : nous craignons de le découvrir en sa vérité, et de nous voir nous-mêmes tels que nous sommes. Nous ne pouvons nous résoudre à nous accorder avec l’Évangile par une conduite réglée ; nous tâchons de nous approcher en déguisant l'un et l'autre, faisant de l’Évangile un assemblage monstrueux de vrai et de faux, et de nous - même un personnage de théâtre qui n'a que des actions empruntées, et à qui rien ne convient moins que ce qu'il paraît. Et en effet, chrétiens, lorsque nous formons tant de doutes et tant d'incidents : que nous réduisons l’Évangile et la doctrine des mœurs à tant de questions artificieuses ; que faisons-nous autre chose, sinon de chercher des déguisements ? et que servent tant de questions, sinon à nous faire perdre parmi des détours infinis la trace toute droite de la vérité? Ne faisons ici la guerre à personne, sinon à nous-mêmes et à nos vices ; mais disons hautement dans cette chaire, que ces pécheurs subtils et ingénieux, qui tournent l’Évangile de tant de côtés, qui trouvent des raisons de douter sur l'exécution de tous les préceptes, qui fatiguent les casuistes par leurs consultations infinies, ne travaillent ordinairement qu'à nous envelopper la règle des mœurs.
« Ce sont des hommes, dit saint Augustin, qui se tourmentent beaucoup pour ne trouver pas ce qu'ils cherchent .» (de Genes. contra Manich. lib. II, cap. II. tom. I. col. 665.). Ou plutôt ce sont ceux dont parle l'Apôtre, «qui n'ont jamais de maximes fixes, ni de conduite certaine; qui apprennent toujours, et cependant n'arrivent jamais à la science de la vérité.» (2. Timothée 3, 7). Ce n'est pas ainsi, chrétiens, que doivent être les enfants de Dieu. A Dieu ne plaise que nous croyions que la doctrine chrétienne soit toute en questions et en incidents ! L’Évangile nous a donné quelques principes, Jésus-Christ nous a appris quelque chose ; son école n'est pas une académie, où chacun dispute ainsi qu'il lui plaît. Qu'il puisse se rencontrer quelquefois des difficultés extraordinaires, je ne m'y veux pas opposer ; mais je ne crains point de vous assurer que pour régler notre conscience sur la plupart des devoirs du christianisme, la simplicité et la bonne foi sont deux grands docteurs qui laissent peu de choses indécises.
Pourquoi donc subtilisez-vous sans mesure? Aimez vos ennemis, faites-leur du bien. Mais c'est une question, direz-vous, ce que signifie cet amour; si aimer ne veut pas dire, ne les haïr point : et pour ce qui regarde de leur faire du bien, il faut savoir dans quel ordre, et s'il ne suffit pas de venir à eux après que vous aurez épuisé votre libéralité sur tous les autres; et alors ils se contenteront, s'il leur plaît, de vos bonnes volontés. Raffinements ridicules ! aimer, c'est-à-dire aimer. L'ordre de faire du bien à vos ennemis dépend des occasions particulières que Dieu vous présente, pour rallumer, s'il se peut, en eux, le feu de la charité que vos inimitiés ont éteint : pourquoi raffiner davantage ? Grâce à la miséricorde divine, la piété chrétienne ne dépend pas des inventions de l'esprit humain ; et, pour vivre selon Dieu en simplicité, le chrétien n'a pas besoin d'une grande étude, ni d'un grand appareil de littérature : « Peu de choses lui suffisent, dit Tertullien, pour connaître de la vérité ce qu'il lui en faut pour se conduire ». Qui nous a donc produit tant de doutes, tant de fausses subtilités, tant de dangereux adoucissements sur la doctrine des mœurs, si ce n'est que nous voulons tromper et être trompés ?
De là tant de questions et tant d'incidents qui raffinent sur les chicanes et les détours du barreau. Vous avez dépouillé cet homme pauvre, et vous êtes devenu un grand fleuve engloutissant les petits ruisseaux ; mais vous ne savez pas par quels moyens, ni je ne me soucie de le pénétrer : soit que ce soit enlevant les bondes des digues, soit par quelque machine plus délicate; enfin vous avez mis cet étang à sec, et il vous redemande ses eaux. Que m'importe, ô grande rivière, qui regorges de toutes parts, en quelle manière et par quels détours ses eaux ont coulé en ton sein ! je vois qu'il est desséché, et que vous l'avez dépouillé de son peu de bien. Mais il y a ici des questions, et sans doute, des questions importantes; tout cela pour obscurcir la vérité. C'est pourquoi saint Augustin a raison de comparer ceux qui les forment à des hommes « qui soufflent sur de la poussière, et se jettent de la terre aux yeux. »
Et quoi, vous étiez dans le grand chemin de la charité chrétienne, la voie vous paraissait toute droite, et vous avez soufflé sur la terre mille vaines contentions, mille questions de néant se sont excitées, qui ont troublé votre vue comme une poussière importune, et vous ne pouvez plus vous conduire : un nuage vous couvre la vérité, vous ne la voyez qu'à demi. Mais c'en est assez, chrétiens, pour convaincre leur mauvaise vie. Car encore que nous tournions le dos au soleil, et que nous tâchions par ce moyen de nous envelopper dans notre ombre, les rayons qui viennent de part et d'autre nous donnent toujours assez de lumière. Encore que nous détournions nos visages de peur que la vérité ne nous éclaire de front, elle envoie par les côtés assez de lumière pour nous empêcher de nous méconnaître. Accourez ici, amour-propre, avec tous vos noms, toutes vos couleurs, tout votre art, et tout votre fard, venez peindre nos actions, venez colorer nos vices : ne nous donnez point de ce fard grossier qui trompe les yeux des autres ; déguisez-nous si délicatement et si finement, que nous ne nous connaissions plus nous mêmes.
Je n'aurais jamais fait, si j'entreprenais aujourd'hui de vous raconter tous les artifices par lesquels l'amour-propre nous cache à nous-mêmes, en nous donnant de faux jours, en nous faisant prendre le change, en détournant notre attention, ou en charmant notre vue. Disons quelques-unes de ses finesses ; mais donnons en même temps une règle sûre pour en découvrir la malice. Vous allez voir, chrétiens, comment il nous persuade premièrement que nous sommes bien convertis, quoique l'amour du monde règne encore en nous; et pour nous pousser plus avant, que nous sommes zélés, quoique nous ne soyons pas même charitables. Voici comme il s'y prend pour nous convertir : prêtez l'oreille, et écoutez les belles conversions que fait l'amour-propre. Il y a presque toujours en nous quelque commencement imparfait et quelque désir de vertu, dont l'amour propre relève le prix, et qu'il fait passer pour la vertu même : c'est ainsi qu'il commence à nous convertir.
Mais il faut s'affliger de ses crimes ; il trouvera le secret de nous donner de la componction. Nous serions bien malheureux, chrétiens, si le péché n'avait pas ses temps de dégoût, aussi-bien que toutes nos autres occupations. Ou le chagrin ou la plénitude fait qu'il nous déplaît quelquefois : c'est la contrition que fait l'amour-propre. Bien plus j'ai appris du grand saint Grégoire, que comme Dieu, dans la profondeur de ses miséricordes, laisse quelquefois dans ses serviteurs des désirs imparfaits du mal, pour les enraciner dans l'humilité ; aussi l'ennemi de notre salut, dans la profondeur de ses malices, laisse naître souvent dans les siens un amour imparfait de la justice, qui ne sert qu'à les enfler par la vanité : ceux-là se croient de grands pécheurs, ceux-ci se persuadent souvent qu'ils sont de grands saints. Ainsi le malheureux Balaam admirant les tabernacles des justes, s'écrie, tout touché, ce semble : « Que mon âme meure de la mort des justes» (Nombres 23, 10.) est-il rien de plus pieux ? Mais après avoir prononcé leur mort bienheureuse, le même donne aussitôt des conseils pernicieux contre leur vie. Ce sont les profondeurs de Satan, comme les appelle saint Jean dans l'Apocalypse, (Apocalypse 2, 24) ; mais il fait jouer pour cela les ressorts délicats de notre amour-propre.
C'est lui qui fait passer ces dégoûts qui viennent ou de chagrin ou d'humeur , pour la componction véritable, et des désirs, qui semblent sincères, pour des résolutions déterminées. Mais je veux encore vous accorder que le désir peut être sincère : mais ce sera toujours un désir, et non une résolution déterminée, c'est-à-dire, ce sera toujours une fleur, mais ce ne sera jamais un fruit, et c'est ce que Jésus-Christ cherche sur ses arbres. Pour nous détromper, chrétiens, des tromperies de notre amour-propre, la règle est de nous juger par les œuvres. C'est la seule règle infaillible, parce que c'est la seule que Dieu nous donne : il s'est réservé de juger les cœurs par leurs dispositions intérieures, et il ne s'y trompe jamais : il nous a donné les œuvres, comme la marque pour nous reconnaître; c'est la seule qui ne trompe pas. Si votre vie est changée, c'est le sceau de la conversion de votre cœur. Mais prenez garde encore en ce lieu aux subtilités de l'amour-propre : prenez garde qu'il ne change un vice en un autre, et non pas le vice en vertu; que l'amour du monde ne règne en vous sous un autre titre ; que ce tyran, au lieu de remettre le trône à Jésus-Christ le légitime Seigneur, n'ait laissé un successeur de sa race, enfant aussi-bien que lui de la même convoitise. Venez à l'épreuve des œuvres; mais ne vous contentez pas de quelques aumônes, ni de quelque demi-restitution. Ces œuvres dont nous parlons, qui sont le sceau de la conversion, doivent être des œuvres pleines devant Dieu, comme parle l’Écriture sainte.
« Je ne trouve point vos œuvres pleines devant mon Dieu ; » (Apocalypse 3,2) c'est-à-dire qu'elles doivent embrasser toute l'étendue de la justice chrétienne et évangélique. Après vous avoir montré de quelle sorte l'amour-propre convertit les hommes, je vous ai promis de vous dire comment il fait semblant d'allumer leur zèle. Je l'expliquerai en un mot : c'est qu'il est naturel à l'homme de vouloir tout régler, excepté lui-même. Un tableau qui n'est pas posé en sa place choque la justesse de notre vue; nous ne souffrons rien au prochain, nous n'avons de la facilité ni de l'indulgence pour aucunes fautes des autres. Ce grand dérèglement vient d'un bon principe; c'est qu'il y a en nous un amour de l'ordre et de la justice qui nous est donné pour nous conduire. Cette inclination est si forte, qu'elle ne peut demeurer inutile : c'est pourquoi si nous ne l'occupons au dedans de nous, elle s'amuse au dehors : elle se tourne à régler les autres, et nous croyons être fort zélés quand nous détestons le mal dans les autres. Il plaît à l'amour-propre que nous exercions, ou plutôt, que nous consumions et que nous épuisions ainsi notre zèle. Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse ; employez pour vous la même mesure dont vous vous servez pour les autres, toutes les ruses de l'amour-propre seront éventées. N'ayez pas deux mesures, l'une pour le prochain et l'autre pour vous ; « car c'est chose abominable devant le Seigneur.» ( Proverbe 20, 23.) n'ayez pas une petite mesure où vous ne mesuriez que vous-même, pour régler vos devoirs ainsi qu'il vous plaît; car cela attire la colère de Dieu. « La fausse mesure est pleine de la colère de Dieu, » dit le prophète Michée (Michée 6. 10). Prenez la grande mesure du christianisme, la mesure de la charité ; mesure pleine et véritable, qui enferme le prochain avec vous, et qui vous range tous deux sous la même règle et sous les mêmes devoirs, tant de l'équité naturelle que de la justice chrétienne. Ainsi, ce grand ennemi de la vérité intérieure, l'amour-propre, sera détruit en nous-mêmes; mais s'il vit encore, voici qui lui doit donner le coup de la mort ; la vérité dans les autres hommes convaincant et reprenant les mauvaises œuvres : c'est le dernier effort qu'elle fait, et c'est là qu'elle reçoit les plus grands outrages.
TROISIÈME POINT.
S'il appartient à la vérité de régler les hommes et de les juger souverainement; à plus forte raison, chrétiens, elle a droit de les censurer et de les reprendre. C'est pourquoi nous apprenons, par les saintes Lettres, que l'un des devoirs les plus importants de ceux qui sont établis pour être les dépositaires de la vérité, c'est de reprendre sévèrement les pécheurs; et il faut que nous apprenions de saint Augustin quelle est l'utilité d'un si saint emploi. Ce grand homme nous l'explique en un petit mot, au livre de la Correction et de la Grâce (Cap., III. n. 5. tom. x, col. 752.), où, faisant la comparaison des préceptes que l'on nous donne avec les reproches que l'on nous fait, et recherchant à fond selon sa coutume l’utilité de l'un et de l'autre, il dit « que comme on nous enseigne par le précepte ce que nous avons à faire, on nous montre par les reproches que, si nous ne le faisons pas, c'est par notre faute. » Et en effet, chrétiens, c'est là le fruit principal de telle censure : car quelque front qu'aient les pécheurs, le péché est toujours timide et honteux. C'est pourquoi qui médite un crime, médite pour l'ordinaire une excuse : c'est surprise, c'est fragilité, c'est une rencontre imprévue ; il se cache ainsi à lui-même plus de la moitié de son crime. Dieu lui suscite un censeur charitable, mais rigoureux qui, perçant toutes ses défenses, lui fait sentir que c'est par sa faute; et lui ôtant tous les vains prétextes, ne lui laisse que son péché avec sa honte. Si quelque chose le peut émouvoir, c'est sans doute cette sévère correction; et c'est pourquoi le divin Apôtre ordonne à Tite, son cher disciple, d'être dur et inexorable en quelques rencontres : « Reprenez-les, dit il, durement.» (Tite 1, 13.); c'est-à-dire qu'il faut jeter quelquefois au front des pécheurs impudents des vérités toutes sèches, qui les fassent rentrer en eux-mêmes, d'étonnement et de surprise ; et si les corrections doivent emprunter en plusieurs rencontres une certaine douceur de la charité qui est tendre et compatissante, elles doivent aussi emprunter souvent quelque espèce de rigueur et de dureté de la vérité qui est inflexible.
Si jamais la vérité se rend odieuse, c'est particulièrement, chrétiens, dans la fonction dont je parle. Les pécheurs toujours superbes ( dans leur orgueil) ne peuvent endurer qu'on les reprenne : quelque véritables que soient les reproches, ils ne manquent point d'artifices pour les éluder; et après ils se tourneront contre vous : c'est pourquoi le grand saint Grégoire les compare à des hérissons (porc-épic)(Pas tor. part. III, cap. x1, tom. II, col. 48.). Étant éloigné de cet animal , vous voyez sa tête, ses pieds et son corps ; quand vous approchez pour le prendre, vous ne trouvez plus qu'une boule, et celui que vous découvrez de loin tout entier, vous le perdez tout à coup, aussitôt que vous le tenez dans vos mains. Il en est ainsi de l'homme pécheur : vous avez découvert toutes ses menées, et démêlé toute son intrigue; enfin vous avez reconnu tout l'ordre du crime , vous voyez ses pieds, son corps et sa tête; aussitôt que vous pensez le convaincre en lui racontant ce détail, par mille adresses il vous retire ses pieds, il couvre soigneusement tous les vestiges de son crime, il vous cache sa tête, il recèle profondément ses desseins; il enveloppe son corps, c'est-à-dire toute la suite de son intrigue dans un tissu artificieux d'une histoire embarrassée et faite à plaisir : ce que vous pensiez avoir vu si distinctement, n'est plus qu'une masse informe et confuse, où il ne paraît ni fin ni commencement; et cette vérité si bien démêlée est tout à coup disparue parmi ces vaines défaites.
Ainsi étant retranché et enveloppé en lui-même, il ne vous présente plus que des piquants ; il s'arme à son tour contre vous, et vous ne pouvez le toucher sans que votre main ! soit ensanglantée, je veux dire, votre honneur blessé par quelque outrage : le moindre que vous recevrez sera le reproche de vos vains soupçons. « Et donc, dit le saint Apôtre, je suis devenu votre ennemi en vous disant la vérité?» (Galates 4, 16.)? Il est ainsi, chrétiens, et tel est l'aveuglement des hommes pécheurs. Qu'on discoure de la morale , qu'on déclame contre les vices ; pourvu qu'on ne leur dise jamais comme Nathan : « C'est vous-même qui êtes cet homme.» (2. Samuel 12, 7. - Ancien Testament), c'est à vous qu'on parle, ils écouteront volontiers une satire publique des mœurs de leur siècle ; et cela pour quelle raison? «c'est qu' ils aiment, dit saint Augustin (Confessions lib. x, cap. XXIII. tom. 1, col. 183.), la lumière de la vérité; mais ils ne peuvent souffrir ses censures.» « Elle leur plaît quand elle se découvre, parce qu'elle est belle; elle commence à les choquer quand elle les découvre eux-mêmes.»
«Aveugles, qui ne voient pas que c'est par la même lumière que le soleil se montre lui-même et tous les autres objets. Ils veulent cependant, que la vérité se découvre à eux, sans découvrir quels ils sont; et il leur arrivera au contraire, par une juste vengeance, que la lumière de la vérité mettra en évidence leurs mauvaises œuvres, pendant qu'elle-même leur sera cachée». Par conséquent, chrétiens, que les hommes qui ne veulent pas obéir à la vérité, souffrent du moins qu'on les reprenne ; s'ils la dépossèdent de son trône, du moins qu'ils ne la retiennent pas tout à fait captive; s'ils la dépouillent avec injustice de l'autorité du commandement, qu'ils lui laissent du moins la liberté de la plainte. Quoi! veulent-ils encore étouffer sa voix ? veulent-ils qu'on loue leurs péchés, ou du moins qu'on les dissimule ? comme si, faire bien ou mal , c'était une chose indifférente.
Ce n'est pas ainsi, chrétiens, que l’Évangile l'ordonne; il veut que la censure soit exercée, et que les pécheurs soient repris; parce que, dit saint Augustin, « s'il y a quelque espérance de salut pour eux, c'est par là que doit commencer leur guérison; et s'ils sont endurcis et incorrigibles, c'est par là que doit commencer leur supplice. » « Mais j'espère de vous, chrétiens, quelque chose de meilleur, encore que je vous parle de la sorte.» (Hébreux 6. 9). Voici les jours de salut, voici le temps de conversion dans lesquels on verra la presse autour des tribunaux de la pénitence : c'est principalement dans ces augustes tribunaux (Confessionnal) que la vérité reprend les pécheurs, et exerce sa charitable, mais vigoureuse censure. Ne désirez pas qu'on vous flatte où vous-mêmes vous vous rendez vos accusateurs. N'imitez pas ces méchants dont parle le prophète Isaïe, qui « disent à ceux qui regardent : Ne regardez pas ; et à ceux qui sont préposés pour voir : Ne voyez pas pour nous ce qui est droit ; dites-nous des choses qui nous plaisent, trompez-nous par des erreurs agréables.» (Isaïe 30, 10,). « Ôtez-nous cette voie, elle est trop droite ; ôtez-nous ce sentier, il est trop étroit : enseignez-nous des voies détournées où nous puissions nous sauver avec nos vices, et nous convertir sans changer nos cœurs;» car c'est ce que désirent les pécheurs rebelles.
Au lieu que la conversion véritable est que le méchant devienne bon, et que le pécheur devienne juste; ils imaginent une autre espèce de conversion, où le mal soit changé en bien, où le crime devienne honnête, où la rapine devienne justice; et ils cherchent, jusqu'au tribunal de la pénitence, des flatteurs qui les entretiennent dans cette pensée.
Loin de tous ceux qui m'écoutent une disposition si funeste. Cherchez-y des amis et non des trompeurs, des juges et non des complices, des médecins charitables et non des empoisonneurs. Ne vous contentez pas de replâtrer où il faut toucher jusqu'aux fondements. C'est un commencement de salut d'être capables des remèdes forts : votre plaie invétérée n'est pas en état d'être guérie par des lénitifs, il est temps d'appliquer le fer et le feu. Ne cherchez ni complaisance, ni tempérament, ni adoucissement, ni condescendance. Venez, venez rougir tout de bon, tandis que la honte est salutaire ; venez vous voir tous tels que vous êtes, afin que vous ayez horreur de vous mêmes; et que, confondus par les reproches, vous vous rendiez enfin dignes de louanges; et non-seulement de louanges, mais d'une gloire éternelle.
Mais ne faut-il pas user de condescendance? n'est-ce pas une doctrine évangélique, qu'il faut s'accommoder à l'infirmité humaine? Il le faut, n'en doutez pas, chrétiens; mais voici l'esprit véritable de la condescendance chrétienne. Elle doit être dans la charité, et non pas dans la vérité : je veux dire, il faut que la charité compatisse, et non pas que la vérité se relâche; il faut supporter l'infirmité, mais non pas l'excuser, ni lui complaire : il faut imiter saint Cyprien, dont saint Augustin a dit ces beaux mots : « que, considérant les pécheurs, il les tolérait dans l'Église par la patience de la charité», et voilà la condescendance chrétienne ; « mais que tout ensemble il les reprenait par la force de la vérité» et voilà la vigueur apostolique. Car pour ce qui est de la vérité et de la doctrine, il n'y a plus à espérer d'accommodement; et en voici la raison. Jésus-Christ a examiné une fois jusqu'où devait s'étendre la condescendance : lui qui connaît parfaitement la faiblesse humaine, et le secours qu'il lui donne, a mesuré pour jamais l'une et l'autre avec ses préceptes. Ces grands conseils de perfection, quitter tous ses biens, les donner aux pauvres, renoncer pour jamais aux honneurs du siècle, passer toute sa vie dans la continence, il les propose bien dans son Évangile ; mais comme ils sont au-delà des forces communes, il n'en fait pas une loi, il n'en impose pas l'obligation : s'il a eu sur nous quelque grand dessein que notre faiblesse ne pût pas porter, il en a différé l'accomplissement jusqu'à ce que l'infirmité eût été munie du secours de son Saint-Esprit : « J`ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter à présent.» (Jean 16, 12).
Vous voyez donc, chrétiens, qu'il a pensé sérieusement, en esprit de douceur et de charité paternelle, jusqu'où il relâcherait et dans quelles bornes il retiendrait notre liberté. Il n'est plus temps maintenant de rien adoucir, après qu'il a apporté lui-même tous les adoucissements nécessaires : tout ce que la licence humaine présume au-delà, n'est plus de l'esprit du christianisme ; c'est l'ivraie parmi le bon grain; c'est ce mystère d'iniquité prédit par le saint Apôtre (2. Thessaloniciens 2. 7.), qui vient altérer la saine doctrine. La même vérité qui est sortie de sa bouche nous jugera au dernier jour : conformité entre l'un et l'autre état. Telle qu'il l'a prononcée, telle elle paraîtra pour prononcer notre sentence : « Ce sera le précepte qui deviendra une sentence » Justitia convertetur in judicium (Psaume 93, 15.). Là elle paraît comme dans une chaire pour nous enseigner, là dans un tribunal pour nous juger; mais elle sera la même en l'un et en l'autre. Mais telle qu'elle est dans l'une et dans l'autre, telle doit-elle être dans notre vie ; car quiconque n'est pas d'accord avec la règle, elle le repousse et le condamne; quiconque vient se heurter contre cette rectitude inflexible, nous vous l'avons déjà dit, il faut qu'elle les rompe et les brise. Désirons donc ardemment que la règle de la vérité se trouve en nos mœurs telle que Jésus Christ l'a prononcée. Mais afin qu'elle se trouve en notre vie, désirons aussi, chrétiens, qu'elle soit en sa pureté dans la bouche et la doctrine de ceux à qui nous en avons donné la conduite : qu'ils nous reprennent, pourvu qu'ils nous guérissent, qu'ils nous blessent, pourvu qu'ils nous sauvent, qu'ils disent ce qu'il leur plaira, pourvu qu'ils disent la vérité.
Mais, après que nous l'aurons entendue, considérons, chrétiens, que le jugement de Dieu est terrible sur ceux qui la connaissent et qui la méprisent. Ceux à qui la vérité chrétienne n'a pas été annoncée, seront ensevelis, dit saint Augustin, comme des morts dans les enfers ; mais ceux qui savent la vérité, et qui pèchent contre ces préceptes, se sont ceux dont David a dit :« qu'ils y descendront tout vivants » (Psaume 54. 16). Les autres y sont comme entraînés et précipités, ceux-ci y descendent de leur plein gré ; ceux-là y seront comme des morts, et les autres comme des vivants.
Cela veut dire, Messieurs, que la science de la vérité leur donnera un sentiment si vif de leurs peines, que les autres en comparaison, quoique tourmentés très cruellement, sembleront comme morts et insensibles. Et quelle sera cette vie ? c'est qu'ils verront éternellement cette vérité qu'ils ont combattue : de quelque côté qu'ils se tournent, toujours la vérité sera contre eux :(Daniel 12, 2) : en quelques antres profonds qu'ils aient tâché de la receler pour ne point entendre sa voix, elle percera leurs oreilles par des cris terribles : elle leur paraîtra toute nue, inexorable, inflexible, armée de tous ses reproches pour confondre éternellement leur ingratitude. Ah! mes Frères, éloignons de nous un si grand malheur : enfants de lumière et de vérité, nous devons aimer la lumière, même celle qui nous convainc; nous devons adorer la vérité, même celle qui nous condamne. Et toutefois, chrétiens, si nous sommes bien conseillés, ne soyons pas longtemps en querelle avec un ennemi si redoutable : accommodons-nous pendant qu'il est temps avec ce puissant adversaire; ayons la vérité pour amie; suivons sa lumière qui va devant nous, et nous ne marcherons point parmi les ténèbres. Allons droitement et honnêtement comme des hommes qui sont en plein jour, et dont toutes les actions sont éclairées; et à la fin nous arriverons à la clarté immortelle, et au plein jour de l'éternité. Amen.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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