L'hérésie de l'apparition de Jésus a tous les morts avant leur jugement particulier
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L'hérésie de l'apparition de Jésus a tous les morts avant leur jugement particulier
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L'Hérésie de l'Apparition de Jésus à tous les morts avant leur jugement particulier
Apparition, Grande Lumière Céleste ou Illumination systématique pour tous après l'arrêt cardiaque définitif. Le Salut se déciderait après la perte de l'usage du corps physique.
[page en cours de modifications, 19 décembre 2010]
Le Mystère de l'Enfer éternel est probablement le mystère de la foi catholique le plus difficile à accepter : Dieu, infiniment bon et infiniment puissant, permet pourtant qu'une partie de l'humanité se condamne à une éternité de haine et de souffrances en enfer.
Jésus aurait très bien pu nous dire : la vie sur terre est très importante et il est très important que vous viviez les commandements, mais ce qui sera décisif pour votre éternité, sera la rencontre avec moi, à votre mort, une fois que vous ne pourrez plus utiliser votre corps, c'est là, dans ce dernier face à face, que votre destinée sera fixée en toute justice.
Or l'Evangile n'enseigne pas à nous préparer à un soit disant dernier entretien décisif avec Jésus. Au contraire, plusieurs versets des évangiles insistent sur la nécessité absolue de tout faire, dès maintenant, pour refuser le péché mortel, quitte à perdre la vie plutôt que de le commettre.
Le culte rendu aux martyrs chrétiens est justement fondé sur le respect envers des personnes qui n'ont jamais cru qu'il y aurait une dernière chance, après leur arrêt cardiaque définitif (et pendant l'hypothétique temps que l'âme mettrait à se séparer du cadavre), pour sauver leur âme de la damnation éternelle s'ils commettaient ici bas, sur cette terre, tel ou tel péché mortel.
L'Hérésie de l'Apparition de Jésus à tous les morts avant leur jugement particulier (ou thèse de l'Illumination Finale) refuse la fermeture de la porte du mérite avec l'arrêt cardiaque définitif et l'électroencéphalogramme définitivement plat. Là où les théologiens catholiques enseignent que la vie éternelle peut se mériter uniquement pendant la vie et pendant que l'homme dispose de l'usage de son corps, les tenants de l'illumination finale prétendent qu'après la perte de l'usage du corps, par suite de l'arrêt cardiaque définitil, il est encore possible de mériter la vie éternelle et d'échapper à la damnation éternelle.
(les conversions in extremis et les miracles de la Miséricorde cités dans la vie des saints)
Sainte Faustine condamne l'Hérésie de l'Apparition de Jésus à tous les morts avant leur jugement particulier
Condamnation par le Saint Office, en 1936, de la thèse de l'illumination du père Getino, dominicain espagnol
P.S.
Nous ne sommes absolument certains de la damnation de personne, hormis celle de Judas
Les pécheurs tombent en enfer pressés comme les flocons de neige en hiver
On trouve dans le livre du chanoine Georges Panneton, Le Ciel ou L'Enfer, tome 2, L'Enfer, (Paris, éd. Beauchesne et ses Fils, 1956, p.120-123 et p.155) diverses indications et condamnations concernant cette erreur de l'apparition systématique de Jésus à la mort (l'illumination à la mort).
Cette hérésie est qualifiée par L'Ami du Clergé de vieille thèse, très vieille thèse, cf. 1932, p.133,
Cette hérésie a déjà été formulée au XIVème siècle en Angleterre et condamnée par l'archevêque de Cantorbéry, Simon Langham, dans une lettre adressée en 1368 au chancelier de l'Université d'Oxford, où sévissait Jean Wyclif (ou Wyckliffe, hérésiarque anglais considéré comme un des précurseurs du protestantisme, 1328-1384)
Opinion condamnée :
quilibet viator tam adultus quam non adultus, Saracenus, Judaeus
et paganus, etiam in utero materno defunctus, habebit claram visionem Dei ante mortem suam, qua visione manente habebit electionem liberam convertendi se ad Deum vel divertendi se ab eo ; et si pro tunc elegerit converti se ad Deum, salvabitur, sin autem minus, damnabitur.
Traduction : Toute personne dans l'état de voie [c'est à dire tout personne sur terre, non encore arrivée au terme de sa vie qui est soit l'enfer, le purgatoire ou le paradis], tant adulte que non adulte, musulman, juif et païen, même mort dans le sein maternel, aura une claire vision de Dieu avant sa mort, vision par laquelle il aura le libre choix de se convertir à Dieu ou de s'en détourner ; et si alors il choisit de se tourner vers Dieu, il sera sauvé, autrement, il sera damné.
- Docteur Chevrier, chirurgien des hôpitaux de Paris, dans le Bulletin de la Société médicale de Saint Luc, Saint Côme et Saint Damien (mai 1930), idées reproduites à titre documentaire par la Documentation Catholique du 5 décembre 1931, (col. 1043-1054).
cf.L'Ami du Clergé, 1932, p.130, p.131, p.132, p.133, p.134, p.135, p.136, p.137, p.138, p.139, p.140. Plusieurs autres auteurs et théologiens sont cités dans l'article de L'Ami du Clergé
L'Ami du Clergé, 1932, page 130 :
QUESTIONS DE SCIENCE ECCLESIASTIQUE
CONSULTATIONS DIVERSES
Q. - Que faut-il penser, selon le point de vue catholique, des idées exprimées par le Dr Chevrier, chirurgien des Hôpitaux de Paris, dans Le Bulletin de la Société médicale de S. Luc, S. Côme et S. Damien (mai 1930), idées reproduites à titre documentaire par la Documentation Catholique du 5 décembre dernier (col.1043 1054) ? Il semble que ces théories soient susceptibles de diminuer chez les chrétiens le souci d'une préparation sérieuse à la mort, de provoquer un véritable relâchement dans la pratique de la vertu, et même d'élargir notablement la voie large de la perdition, contre laquelle l'Evangile nous met si fort en garde.
R. - De plusieurs côtés nous avons reçu des questions de ce genre au sujet de l'article du Dr Chevrier. La publication qu'en a faite la Documentation Catholique lui a donné, dans le public religieux, une notoriété qu'il n'avait pas jusque là. Et nous estimons que les assertions du Dr Chevrier appellent une critique sérieuse, une mise au point exacte.
§ 1er EXPOSE DES IDÉES DU Dr CHEVRIER
Quoique médecin et s'adressant à une Société médicale, l'auteur, dès le début de sa communication, ne cache pas qu'il va faire œuvre de sentiment plus que de science. Il voudrait, déclare·t-il,
« atténuer la crainte du Jugement par une saine compréhension de l'agonie. »
Voyons comment il s'y emploie.
Nous n'avons pas à nous arrêter aux descriptions physiologiques de l'agonie. Notons simplement que le Dr Ch. n'accepte pas que l'Intelligence
1Voir Ami 1911, p. 85.87, et 1921 p. 701
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disparaisse la première, puis les mouvements volontaires et la sensibilité. Par des exemples de sommeil anesthésique et de coma, il montre que l'intelligence et la connaissance extérieure peuvent encore subsister, alors que tout moyen de les manifester est supprimé.
En ce qui consume la conscience, c'est-à-dire « la connaissance que l'âme a d'elle-même, » le Dr pense qu' « aucune preuve ne peut être donnée de sa persistance comme deson existence, en dehors de la foi. » Mais, ajoute-t-il, « on peut être spiritualiste et raisonner sainement. » Voici le raisonnement :
« Quand on admet qu'il y a deux principes étroitement mêlés en l'homme, le corps et l'âme, il est logique d'admettre que la séparation ne peut se faire entre l'un et l'autre que par la mort totale... La mort seule, mais la mort définitive, complète, entièrement réalisée, acquise, marque la séparation de l’âme et du corps. La conscience, la notion que l'âme a de son existence, doit donc persister jusqu'au bout.
Nous sommes donc arrivés à concevoir l'Agonie comme Pane période précédant habituellement la mort, pendant laquelle le corps perd lentement ou brusquement sa vitalité, tout engardant très tard sa possibilité de sentir et de souffrir. L'âme, tout en restant en relation avec le monde extérieur, a tendance à s'en isoler par l'engourdissement des sens et la moins grande excitabilité des conducteurs.
Mais cette âme qui tend à être isolée du dehors, tout en gardant sa possibilité de sentir et de souffrir, est-elle malade ? Loin de là. La mort du corps changera ses conditions d'existence, mais elle garde toute sa vitalité.
Précisément parce que son activité n’est plus sollicitée par le dehors, n'a-t-elle pas des raisons de la tourner vers le dedans, vers ces conditions d'existence nouvelles pour elle, et sur lesquelles elle a trop peu réfléchi peut-être, quand le corps l'alourdissait, l’enchaînait ? Mais voici qu'elle voit les chaînes sur le point de se briser... »
De cette observation, physiologique et psychologique, l'auteur va déduire des conclusions surprenantes. Elles méritent d'être transcrites textuellement.
« L’âme tressaille de joie en sentent que, sans entraves, elle va pouvoir vivre sa vie. Elle se redresse, joyeuse, prête à s'élancer, attirée par le mirage de l'Infini, auquel elle aspire depuis toujours.
A ce moment, je crois même qu'il y a plus et mieux qu'un mirage. Je n'ose espérer qu'à toute âme d’agonisant soit donnée la vision béatifique (sic), dans laquelle Dieu se révèle dans toute la perfection de sa Beauté. Il est vraisemblable que pareil bonheur est réservé aux âmes privilégiées.
Mais à toute âme humaine qui, depuis sa création, par la faute originelle d'Adam, a été privée de la connaissance complète du vrai, je crois qu'il est donné de voir, de comprendre la vérité, de sonder, en partie tout au moins, l'Infini.
Quelle joie pour cette âme, qui fait le génie de l'homme et qui e souffert toute sa vie de sentir le fond des choses lui échapper, quelle joie de voir la portes s'entrouvrir et une clarté éblouissante illuminer tout pour elle ! Elle saisit en un instant et sans effort tout ce qu'en vain elle s'acharnait à poursuivra et à démêler. Mais, à ce moment son attention se détourne de phénomènes qui, autrefois la passionnaient et s'attache uniquement à sa destinée. »
Ainsi, nous voici amenés à la fameuse hypothèse (dont nous avons, à plusieurs reprises déjà, entretenu nos lecteurs), d'une illumination de l'âme par la vérité, au moment de l'agonie. « Chrétiennement parlant, déclare le Dr Ch., cette hypothèse me semble nécessaire pour harmoniser la Bonté miséricordieuse et la Justice de Dieu :
« L'homme, honoré par Dieu de la liberté, le plus noble et le plus dangereux de tous les dons divins, a perdu par le péché originel la connaissance complète de choses et la tendance naturelle au bien. Il pèche par nature et à peine, pendant la vie terrestre, à connaître la voie droite et plus encore à la suivre. Il est tellement égaré par les erreurs et les passions humaines que Dieu lui-même, le Christ en croix, s'est écrié : « Mon Père, pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ! »
Si, de l'aveu du Christ lui-même, l'homme libre, mais attiré par le mal, éloigné de la vérité par l'ignorance et en proie à des passions puissantes, n'est pas toujours responsable du mal qu'il fait, s'il est vrai d'autre part que le Christ est venu pour racheter tous les hommes - comment le Christ lui-même, devenu juge, pourrait-il condamner et condamner à l'enfer perpétuel des inconscients pour lesquels il s'est donné la peine de vivre en homme et de mourir ?
Faut-il donc nier l'enferau nom de la Bonté divine ? Certes non. Mais comment concilier l'infinie Bonté et la Justice nécessaire de Dieu ?
La seule façon, me semble-t-il, est de faire de l'homme inconscient, et en partie irresponsable parce que mal éclairé, un homme conscient parce qu'éclairé et désormais responsable, qui ne sera plus arrêté dans ses décisions par son corps et ses passions.
L'infinie Bonté de Dieu n'a pas besoin d'être démontrée. A toutes nos fautes, Dieu, qui pourrait punir et se venger, répond par la temporisation. Il attend...; il attend toujours le repentir de ses fils égarés - mais, est-ce pour les frapper brutalement au tournant de la mort, sans nous avoir éclairés et nous avoir mis dans les conditions les meilleures pour nous repentir de nos fautes ?
Sans doute la vie nous a été donnée pour réfléchir, mais comment réfléchir quand on n'y voit pas clair, comment se décider quand les passions nous aveuglent ? Certes, il ne nous doit rien, mais il semble qu'il se doit à lui-même de faire encore quelque chose.
Et voici que, lors de l'agonie, il ferme à peu près l'âme au dehors, la dégageant des bruits extérieurs et des sollicitations du corps. Alors, dans ce recueillement propice, il me paraît qu'il se doit de rendre l'âme consciente de la vérité, de lui montrer sa destinée, ce qu'elle a fait et ce qu'elle aurait dû faire, où la mène la route dans laquelle elle est engagée.
L'âme consciente, éclairée et toujours libre, va donc pouvoir choisir définitivement sa voie et désormais entièrement responsable de son choix.
Si l'âme hostile se dresse devant Dieu, le blasphème, et le repousse, la Bonté de Dieu ayant épuisé le cycle de miséricorde, sa Justice entre en jeu. Elle confirme la condamnation que l'âme aprévue, voulue, prononcée elle-même contre elle-même, par sa rébellion délibérée et l'enfer va s'ouvrir.
Mais croyez-vous qu'une âme éclairée et consciente, dégagée des sollicitations du corps et de ses passions, ayant compris la vanité de l'orgueil, de la gloire et de la volupté, puisse, ayant vu la lumière et la lumière de l'amour, ne pas adhérer à cette lumière, ne pas se précipiter vers elle; qu’elle puisse s'en détourner pour lui préférer les ténèbres de la p.132 nuit ? Pensez-vous que ce soit possible ? Moi, je ne puis le concevoir et je suis persuadé que, grâce l'illumination de l'agonie, il y a fort peu d'âmes humaines en enfer et, qui sait ! peut-être même aucune…
Mais alors n'est-ce pas la négation de l'enfer ? L'existence de l'enfer est un article de foi et j'y souscris. J'y mets Satan et les anges rebelles et, comme il ne m'appartient pas de juger et de condamner, je n'y mets personne autre... »
L'auteur s'efforce d'appuyer cette singulière opinion sur deux raisons, l'une théologique, l'autre scripturaire.
La première est la différence qui existe entre l'illumination des démons au moment de leur épreuve et l'illumination de l'âme à l'agonie. Satan connut la lumière de la puissance absolue d'un Créateur; mais à l'âme humaine, en même temps que la puissance créatrice, se révèle la folle d'amour du Christ : l'âme humaine a la lumière de l'amour. Quel orgueil pourrait ne pas s'incliner, ne pas se fondre devant un pareil foyer ardent ? Non, il est impossible d'admettre qu'une âme humaine libre et sans passions, ayant vu dans sa vérité l'étendue infinie de l'amour de Dieu, puisse se dresser contre lui et encourir sa justice.
La deuxième est tirée de la parabole de la vigne. A la onzième heure, le père de famille envoie encore à sa vigne tous les ouvriers qui sont sur la place publique et n'ont pas encore été loués. Bien plus, il donne le même salaire aux derniers venus qu'à ceux qui ont travaillé tout le jour. N'est-ce pas indiquer que les ouvriers de la dernière heure, - les convertis de l'agonie, - seront, eux aussi, admis au bonheur céleste ?
« D’ailleurs cette dernière heure de travail à la vigne, l'heure de l'agonie est vraiment une heure de travail dur et pénible, mais en même temps joyeux; car à la différence de l'ouvrier engagé au dernier moment et avec lequel le Père de famille n'a pas fait de prix, l’âme illuminée connaît à l'avance son salaire, la vie éternelle, qu'elle va pouvoir mériter dans le Christ, par un acte de repentir et d'amour.
Malgré son allégresse, elle est saisie de terreur à la vue de l'insuffisance de ses œuvres bonnes. Elle est effrayée de sou indignité, de ses erreurs passées, de ses impuretés. Elle se brise vraiment dans une contrition parfaite, qui dépasse de fort loin nos contritions humaines les plus complètes, et cette contrition parfaite lui donne des droits à être justifiée dans les mérites du Christ. Mais cette justification par le Christ, pour laquelle il n'est demandé à l'âme qu'un acte d'adhésion, de repentir et d'amour, comporte comme complément indispensable l'expiation.
En dehors de sa contrition douloureuse, la pauvre âme offre en expiation tout ce qu'elle peut, les souffrances dernières de son corps (et c'est pourquoi il est utile que celui-ci puisse encore souffrir dans une certaine mesure), la douleur de se séparer de ses proches, qu'elle sait d'ailleurs retrouver avant peu.
Elle souffre avec joie toutes ces douleurs expiatrices et elle répète incessamment ce cri de triomphe, où elle met tous ses regrets, tous ses remords, toutes ses résolutions, toute son allégresse, tout son amour : « Je ne pécherai plus, je ne pécherai plus ! » Quel soulagement !
Pleine de honte à cause de ses fautes sans nombre, et devançant le jugement particulier, elle se condamne elle-même au purgatoire et elle attend avec impatience d'être libérée du corps, pour se précipiter dans le lieu d'expiation où elle se purifiera, se lavera de toutes ses taches, afin d'être digne de voir de nouveau la lumière de la Perfection infinie et de la Beauté suprême qu'elle a entrevue... »
Et l'auteur conclut que « chacun peut donc compter sur la certitude d'une agonie illuminée et justificatrice, quel que soit le genre de mort qui doive le frapper... »
De plus, déclare-t-il, « cette illumination de l'agonie sera donnée non seulement aux chrétiens justes et injustes, mais il me semble impossible qu'elle soit refusée à ceux qui n'ont pas connu le Christ, aux sauvages, aux idolâtres, aux infidèles, aux athées blasphémateurs, à tous. » Cette illumination, en effet, pourra produire dans ces âmes le baptême de désir. Et ainsi les exigences du dogme sont satisfaites. D'ailleurs, poursuit-il, « cette hypothèse consolante ne va nullement contre la nécessité des missions et des missionnaires. Si un non-converti peut être sauvé (c'est ce que mon hypothèse permet d'espérer), un converti le sera avec beaucoup plus de facilité et de certitude. Donc, évangélisons, convertissons, etc. »
A l'appui de l'hypothèse (reprenons ce terme) du Dr Chevrier, le Dr Henri Bon apporte des exemples tirés d'agonies chrétiennes. Dans les agonies de nombreux saints, on rencontre la persistance de l'intelligence jusqu'au dernier moment. Tel fut le cas de sainte Brigitte de Suède, de sainte Catherine de Sienne, de Rusbrock l'Admirable, de la Bienh. Louise de Savoie, de sainte Jeanne de Chantal, et de vingt autres. Bien plus, précédée ou non d'une phase d'angoisse, le visage des mourants donne fréquemment, comme dernière expression de leurs sentiments, celle d'une véritable joie ou allégresse. La Sœur qui veillait sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus a cru pouvoir déduire, des jeux de physionomie de l'agonisante, la présence de Notre Seigneur. Et, de fait, bien des saints agonisants avouèrent avoir vu, au moment de la mort, des membres de l'Eglise triomphante venir à eux.
N'est-ce pas d'ailleurs la conviction de l'Eglise catholique, qui, dans les prières des agonisants, suppose que le moribond garde jusqu'au bout sa lucidité, état de connaissance englobant connaissance du bien et du mat, contrition, confiance et espérance ? Ne considère-t-elle pas aussi que toute la Cour céleste vient au devant de l'âme qui va quitter son corps ? Qu'on relise la belle prière : « Mon cher frère, Je vous confie au Dieu Tout-Puissant... Que la brillante assemblée des anges vienne recevoir votre âme à la sortie de votre corps... Venez à son secours, saints de Dieu; courez à sa rencontre, anges du Seigneur; recevez son âme; présentez la au Très-Haut, etc. »
§ 2ème - QUE PENSER DE CES ASSERTIONS ?
I-UNE OBSERVATION D'ORDRE GÉNÉRAL
p.133
L'opinion d'une illumination de l'âme au moment de l'agonie n'est pas une opinion nouvelle. Nous l'avons déjà rencontrée à plusieurs reprises1. Si la question posée à l'Ami en 1931 était peut-être en rapport avec l'article du Dr Chevrier, les précédentes ne s'y rapportaient pas, à coup sûr; le Dr n'a rien inventé. Vieille thèse, très vieille thèse en réalité, que cette opinion étrange. Nos lecteurs attentifs se souviendront qu'elle fut déjà formulée au XIV° siècle, et condamnée par Simon Langham, archevêque de Cantorbéry, dans une lettre adressée en 1368 au chancelier de l'Université d'Oxford.2
Il ne sera pas inutile de citer derechef le texte de l'opinion condamnée au moyen-âge: c'est identiquement l'hypothèse émise par le Dr Ch., avec cette différence que l'auteur du XIV°siècle étend le bienfait de l'illumination suprême aux enfants eux-mêmes, encore dans le sein de leur mère : « Quilibet viator, disait cet auteur, tam adultus quam non adultus, Saracenus, Judœus et paganus, etiam in utero materno defunctus, habebit claram visonem Dei ante mortem suam, qua visione manente habebit electionem liberam convertendi se ad Deum vel divertendi se ab eo; et si pro tunc elegerit converti se ad Deum, salvabitur; sin autem minus, damnabitur. »
[Traduction : Toute personne dans l'état de voie [c'est à dire tout personne sur terre, non encore arrivée au terme de sa vie qui est soit l'enfer, le purgatoire ou le paradis], tant adulte que non adulte, musulman, juif et païen, même mort dans le sein maternel, aura une claire vision de Dieu avant sa mort, vision par laquelle il aura le libre choix de se convertir à Dieu ou de s'en détourner ; et si alors il choisit de se tourner vers Dieu, il sera sauvé, autrement, il sera damné.]
Dans ce texte, deux expressions doivent retenir notre attention. Tout d'abord : clara visio Dei. S'agit-il de la vision béatifique ? Cette interprétation ne s'impose pas : le sens de la phrase indique plutôt une manifestation claire de Dieu, quel qu'en soit le moyen, pour permettre à l'âme l'ultime option entre le bien et le mal. Car, précisément - c'est la seconde remarque importante, - l'âme habebit electionem liberam convertendi... vel divertendi. Cette possibilité d'élection pour ou contre Dieu implique qu'il ne saurait être question d'une vision béatifique, laquelle supprimerait radicalement la liberté du bien et du mal. L’auteur du XIV° siècle émet donc l'hypothèse d'une illumination divine, permettant à l'âme de se décider en toute connaissance de cause.
Nous avons dit également dans un précédent article (1931, p. 723) que cette ancienne opinion avait été reprise au XIX° siècle par le théologien allemand Klee en faveur des enfants- morts sans baptême, pour leur permettre le baptême de désir et ainsi leur ouvrir le ciel. Les arguments du théologien allemand ressemblent étrangement à ceux du Dr Chevrier :
« Par suite de son union avec le corps, écrit Klee, l'âme vit sous le régime de cette loi de l'union et n'arrive quand peu à peu à la conscience et à la liberté. Mais, quand l'âme est libérée de la loi et de ces conditions du corps, elle s'élève immédiatement et, sans intermédiaire, à la manière des purs esprits, à la pleine intellectualité et à la pleine liberté. Donc, quand le « procès » de la séparation de l'âme et du corps arrive à sa conclusion, rien n'est plus concevable et plus recevable que de supposer que l'âme prend conscience du besoin qu'elle a d'être rachetée; plus la séparation d'avec le corps s'affirme, et plus l'âme comprend les choses spirituelles, et l'ordre de la grâce lui devient présent.1 »
1 Voir Ami 1923. p. 724-728, 799; - 1924, p. 168; 1925, p. 684; - 1931, p. 777.
2 Voir Ami 1931, p. 509, note.
La thèse de Klee a été reproduite, avec plus de modération, par le théologien autrichien Karl-Maria Mayrhofer, et par Mgr Laurent, administrateur du diocèse de Luxembourg.2
Plus récemment encore, nous avons retrouvé la même thèse. défendue par Dom Démaret, dans une brochure intitulée : Les morts peu rassurantes. motifs d'espérance et de prière3. Toutefois, la thèse de D. Démaret présente une variante : c'est Jésus-Christ lui-même, crucifié, qui se manifestera à toute âme à l'heure de la mort, et qui mettra les pécheurs en demeure de choisir entre leur salut ou leur damnation :
« Les yeux éteints du moribond, son visage sans expression ou contracté par la douleur, sa bouche sans paroles, dérobent à nos regards ce suprême effort de l'amour de Dieu et de sa tendre miséricorde pour l'homme et gardent secrète l'entrevue dernière, dans les ombres de la foi, du Créateur avec sa créature. »
La doctrine d'Innocent III sur ce sujet est des plus nettes et des plus consolantes :
« Tout homme, bon ou mauvais, au moment de quitter cette terre et avant de paraître devant son Juge, voit lui apparaître Notre-Seigneur Jésus-Christ crucifié. »La vision du Calvaire, donnée à tous au dernier moment, est ainsi la grâce suprême offerte aux justes pour qu'ils s'attachent plus fortement et définitivement au Seigneur, - aux pécheurs, pour qu'ils se convertissent et reviennent à lui, tandis qu'il en est temps encore.
1 Klee, Katholische Dogmatik, Mayence, 1835, t. III p. 119.
2 Voir Ami 1931. p. 510.
3 Voir Ami1923. p. 724 et suiv. - Dom Démaret mettait « son hypothèse sous le patronage du cardinal Billot. Nous avons fait bonne justice de cette prétention. Aucun de nos lecteurs ne s'est mépris sur l'origine du démenti inséré p. 725. C'est bien le cardinal lui-même qui nous a prié de déclarer que s'il avait touché de près ou de loin cet argument des morts peu rassurantes, « c'eût été pour donner un démenti aussi catégorique que possible à une doctrine théologique bien digne de figurer dans un Almanach » - En écrivant ces lignes, au lendemain de la mort de l'illustre théologien, nous croyons pouvoir soulever le voile d'ailleurs assez transparent, sur la source de notre information.
Le card. Billot s'est contenté d’affirmer ce qu'affirment tous les théologiens : l'existence d'une grâce spéciale de conversion à l'article de la mort pour tout homme, même pécheur et, à plus forte raison pour les soldats qui meurent sur le champ de bataille en versant leur sang pour la patrie. Discours prononcé à Rome à la suite d'une Conférence de M. René Bazin, La France catholique à Rome, p. 24 à 27 (Paris, 1915). De ce discours on trouvera quelques extraits dans Dict. apol. de da Foi cath., art. Martyre, col 338 et surtout dans A. Michel, Questions de guerre(Beauchesne), p. 145 à 147.
Nous avons rétabli le texte et le sens exact des assertions de Lothaire Segni, le futur innocent III , car il n'est pas question ici d'un enseignement pontifical. Il est exact que Lothaire Segni enseigne que toute âme, au moment de la mort, est favorisée d'une apparition de Jésus crucifié; mais il n'enseigne pas que cette vision lui procure la possibilité d'une dernière option. Voici le texte concernant l'âme pécheresse : « Le méchant voit le Christ pour sa confusion afin qu'il rougisse de n’être pas racheté dans le sang du Sauveur. Ses fautes exigeant qu’il en soit ainsi. Malus videt sibi ad confusionem, ut erubescat se non esse redemptum sanguine Christi, sua culpa exigente. » (De contempiu mundi. l. 2, c. 43 : P. L., t. 217, col. 736).
L'étude que nous avons faite de ce texte (1923, p. 726) montre qu'il s'agit, dans ce second avènement invisible de Jésus-Christ, de la doctrine du jugement particulier. Toutefois, nous reconnaissons franchement qu'un point fait difficulté : la vision de Jésus-Christ crucifié est placée avant que l’âme quitte le corps. En tout cas, il n'est question ni de près, ni de loin, d'une option et d'une conversion in extremis.
1 De Ecclesia patienti, II, c. 4.
2 Cf. De mysteriis vitæ Christi, (disp. LII, sect. 2, n. 16 Voir J. Rivière, D. T. C., art. Jugement, t. VIII, col. 1809.
3 De Novissimis. p. 69.
4 A.-A. Goupil, La Règle de la foi, t. I, p. 72.
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Nous sommes donc bien en présence, non d'une idée personnelle au Dr Chevrier, mais d'une opinion qui a fait son chemin dans l'histoire. Il semble même qu'on en puisse fixer le point de départ dans la croyance, très répandue au moyen âge et même depuis, chez certains mystiques, que le jugement particulier comporte pour l’âme la vision, corporelle ou intellectuelle, de Jésus crucifié, juge des âmes. Cette croyance - que nous avons rencontrée chez le futur Innocent III, - ne trouve d'ailleurs aucun crédit chez les théologiens. Bellarmin l'écarte d'un mot : « Non solum non est certum, sed nec admodum probabile l. »Suarez ne lui trouve de fondements que pour le jugement général. Cependant il propose, avec Tostat, une sorte d'illumination psychologique, qui donnerait aux âmes, d'une manière réelle, sinon sensible, la perception du Christ 2. C'est l'opinion à laquelle s'arrête, de nos jours, le cardinal Lépicier 3.
II-TEMERITE DOCTRINALE D'UNE TELLE HYPOTHESE.
C'est à dessein que nous employons ici le mot témérité. Pour bien comprendre ce qu'est la témérité en matière de doctrine, il suffira d'en comparer la définition avec la définition de l'hérésie et de l'erreur :
« Pour qu'une proposition soit qualifiée hérétique, il faut qu'elle s'oppose directement à une vérité révélée, et que cette vérité ait été définie par l’Eglise, ou solennellement ou équivalemment par l'enseignement du magistère ordinaire... Une proposition est proche de l'hérésie, quand il s'en faut de peu que la vérité à laquelle on l'oppose ait été suffisamment enseignée .par l'Eglise... Une proposition est erronée, si elle s'oppose à une vérité révélée, au moins virtuellement, mais non encore définie, et donc seulement certaine théologiquement. - Une proposition est téméraire, quand elle s'écarte sans raison suffisante de renseignement théologique corn-- arma de l'Eglise ou des institutions, approuvées par elle. Cette censure dénonce une imprudence grave dans les questions de foi et de mœurs 4. »
Il n'est pas difficile de montrer que l'hypothèse émise par le Dr Chevrier s'écarte sans raison suffisante de l'enseignement théologique commun, et qu'elle constitue une imprudence grave dans une question de foi et de mœurs.
a) L'enseignement commun de l'Eglise se manifeste tout d'abord dans l'interprétation des textes scripturaires.Jésus-Christ lui-même nous recommande de nous tenir prêts à paraître au jugement de Dieu; c'est la leçon morale qui se dégage de la parabole des vierges folles : « Veillez, car vous ne savez ni le jour ni l'heure. » (Mt., xxv, 13). Cette expression : Veillez, ne fait pas allusion au sommeil des vierges, mais elle doit être comprise au sens moral et elle fait écho à une recommandation du chapitre précédent (xxiv, 42-44) : « Veillez donc, car vous ne savez pas à quel moment doit venir votre maître… Vous aussi, soyez prêts, car le Fils de l'homme vient au moment qui n'est pas celui que vous pensez. ». Le retour inopiné du maître, la venue du Fils de l'homme, c'est, sans contestation possible, dans la pensée de Jésus Christ, son dernier avènement, sa parousie, dont personne, hormis le Père, ne connaît le jour ni l'heure (cf. Mc., xiii, 32). Dans S. Luc (xii, 39), la parabole prend une autre allure : c'est l'exemple d'un maître vigilant, désireux de dépister les voleurs, qui est proposé aux apôtres. Mais la leçon morale est toujours la même : à chacun la vigilance est recommandée parce qu'il peut être surpris par l'arrivée inopinée du Fils de l'homme venant lui demander des comptes. Sans doute, il est toujours question, dans cette arrivée du Fils, de la parousie; mais le jour et l'heure, pour ceux qui lisent, leur rappelle instinctivement le moment de leur mort. Et c'est là l'utilité de la parabole pour chacun de nous. Or, cet enseignement n'aurait pas de sens si à l'heure de la mort il y avait toujours et certainement la possibilité du repentir. C'est parce que le juge arrivera à l'improviste, constatant un état favorable ou défectueux de l’âme, que la vigilance est recommandée. S. Paul l'avait si bien compris qu'il n'hésitait pas à recommander une vigilance de tous les -instants aux chrétiens de Thessalonique : « Vous savez très bien vous-mêmes, leur dit-il, que le jour du Seigneur viendra comme un voleur pendant la nuit » (c'est-à-dire au moment où l'on ne s'y attend point...) Donc, ne dormons pas comme les autres, mais veillons... « (I Thess., v, 2, 6). S. Pierre, rappelant le même caractère subit et inattendu de la venue du Sauveur, exhorte ses bien aimés à être trouvés purs et sans tache dans la paix (II Pet., iii, 14). De même, à l'ange de l’Eglise de Sardes, S. Jean rappelle l'obligation de la vigilance : « Si tu ne veilles pas, je viendrai à toi comme un voleur et tu ne sauras pas à quelle heure je viendrai à toi » (Apoc., iii, 3). Même recommandation générale au ch. xvi, 15 : « Voici que je viens comme un voleur. Bienheureux celui qui veille, et qui garde ses vêtements, afin qu'il ne marche pas nu et qu'on ne voie pas sa honte... »
S. Grégoire le Grand nous a donné le sens de l'enseignement catholique relatif à ces exhortations du Sauveur : « Notre-Seigneur, dit-il, a voulu que notre dernière heure nous demeurât inconnue, afin que nous soyons toujours en éveil à son égard; ainsi, parce que nous ne la pouvons prévoir avec certitude, il faut nous y préparer sans relâche.1 »
1 In Evangelia Homiliæ, lib. 1, homil. 13, n. 6.
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seraient également inintelligibles les graves avertissements que le Christ nous donne à tous, et qui illustrent la nécessité de la vigilance en attendant son retour : briser tout attachement et toute habitude scandaleuse (Mt., xviii, 8-9; Mc., ix, 4247); se renoncer à soi-même et prendre sa croix (Lc., xiv, 27); veiller et prier dans la continuelle attente du dernier jour (Mt., xxiv, 42-44), afin de ne pas être surpris dans la débauche, l'ébriété et les soucis de ce siècle et de ne pas encourir pour son âme un éternel dommage (Lc., xxi, 34). Tout cela, en effet, suppose que l'instant de la mort, loin de nous permettre un choix suprême susceptible d'assurer notre bonheur éternel, sera bien plutôt l'instant décisif où notre sort irrévocable sera fixé conformément à notre préparation antérieure, bonne ou mauvaise.
Ici encore, les commentaires de S. Paul sont précieux : ils reflètent la même préoccupation morale. L'Apôtre établit que « nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes œuvres ou à ses mauvaises actions, pendant qu'il était revêtu de son corps. » (II Cor., v, 10). Et ce jugement porte sur les actions de la vie présente; S. Paul ne laisse pas entrevoir que, d'une manière régulière et générale, il y aura encore, en un dernier instant de liberté éclairée par Dieu, la faculté de réparer tout un passé défectueux. Bien au contraire, il considère le temps de la vie comme le seul auquel il soit normalement possible de faire le salut : « Pendant que nous en avons le temps, faisons le bien » (Gal., vi, 10). Et encore : «Exhortez-vous chaque jour les uns les autres pendant le temps qui s'appelle aujourd'hui, de peur que quelqu'un de vous ne s'endurcisse par la séduction du péchés (Héb., iii, 13). Le terme « aujourd'hui », emprunté au ps. xciv, désigne ici la durée de la vie terrestre, en sorte que le sens est clair : « Exhortez-vous… tant que Dieu vous accorde le « jour » de la présente vie, et avant que tombe sur vous la nuit de la mort... »
b)L'enseignement de l'Eglise se manifeste encore dans sa manière de présenter aux fidèles le dogme de la persévérance finale. Pour les adultes, la persévérance finale comporte tout d'abord une persévérance active dans le bien, et, à l'heure de la mort, la coïncidence de la mort avec l'état de grâce. Dans cette coïncidence qui dépend de la volonté divine, les théologiens voient un élément essentiel qui nous empêche de pouvoir strictement mériter notre persévérance finale, bien plus, qui nous empêche de la pouvoir attendre avec une certitude complète. Ce dernier point est d'ailleurs défini dogmatiquement par le concile de Trente : « Si quelqu'un dit qu'il aura certainement et infailliblement ce grand don de la persévérance finale, à moins qu'il ne le sache par une révélation spéciale, qu'il soit anathème ! » (Sess. vi, can. 16; Denz.-Bannw., n. 826).
En regard de cette doctrine catholique, il suffira de reprendre une assertion du Dr Chevrier, pour en montrer la témérité : « Chacun peut donc compter sur la CERTITUDE d'une agonie illuminée et justificatrice, quel que soit le genre de mort qui doive le frapper... » Cette assertion est dans la logique rigoureuse du système. Or, il n'y aurait aucune exagération, en la rapprochant de l'anathème prononcé par le concile de Trente, de la déclarer erronée. Donc, le système lui-même dont elle découle logiquement, est à tout le moins téméraire.
c)L'enseignement de l'Eglise se manifeste enfin dans la manière d'affirmer le dogme de l'enfer éternel.Sans doute, le Dr Ch. confesse l'existence d'un enfer éternel; mais il le vide le plus possible : « L'existence de l'enfer est un article de foi et l'y souscris. J'y mets Satan et les anges rebelles et, comme il ne m'appartient pas de juger et de condamner, JE N'Y METS PERSONNE
AUTRE. » Il serait, en effet, difficile de mettre qui que ce soit en enfer, puisque chacunpeut compter sur la certitude d'une agonie justificatrice. Or, dans les promulgations du dogme, l'Eglise parait bien ne pas admettre que l'enfer sera réservé aux seuls démons. Le IX° anathème rédigé par Justinien contre les Origénistes, anathème auquel souscrivit le pape Vigile et l'épiscopat tout entier, distingue très bien les démons et les impies : « Quiconque dit ou pense que la peine des démons ou des impies ne sera pas éternelle, qu'elle aura une fin et qu'il se produira alors une « apocatastase » des démons et des impies, qu'il soit anathème.1 » L'Eglise suppose donc qu'en plus des démons, il y aura des hommes damnés.
Cette croyance est d'ailleurs si nette dans les premiers siècles, que l'hérésie des miséricordieux, bien plus bénigne que la thèse du De Chevrier, a été pourchassée impitoyablement par S. Augustin.2 Si l'Eglise pouvait tolérer qu'on restreignit les habitants de l'enfer aux seuls démons, comment aurait-elle déclaré, au II° concile de Lyon (1274), dans la profession de foi imposée à Michel Paléologue, que « les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché originel descendent aussitôt en enfer, pour y subir des peines différentes » ? (D -B , n. 464) Comment aurait-elle pu reprendre, au concile de Florence (Décret pro Græcis. en 1439; id., n. 693), la même définition, qu'elle complète, dans le décret pro Jacobitis, en 1441, d'une profession de foi solennelle, excluant du ciel et envoyant en enfer tous ceux qui n'appartiennent pas à L'Eglise catholique ou du moins ne s'y agrègent pas avant leur mort ? (id., n. 714).
Non, l'Eglise a toujours cru qu'il y aurait des hommes damnés en enfer. Si elle ne nous permet pas d'en supputer le nombre, elle affirme sa croyance que l'enfer n'est pas, même en fait, simplement pour les démons : « Ad cujus (Christi)
1 Cf D. T. C., art. Origénisme, t. xi, col. 1578.
2 On pourra relire, sur ce sujet, le travail intéressant de M. l'abbé Lehaut, L'Eternité des peines de l'enfer dans S. Augustin, Paris, Beauchesne, 1912.
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adventum, déclare le symbole d'Athanase, omnes homines resurgere habeni cum corporibus suis et reddituri sunt de factis propriis rationem; et qui bona egerunt, ibuni in vitam œternam; QUI VERO MALA, IN IGNEM ÆTERNUM »
Eu rapprochant ces textes de l'assertion osée du Dr Chevrier, on serait tenté de trouver trop bénigne la censure de témérité. Que sera-ce si nous rappelons les textes inspirés sur lesquels se fonde la croyance catholique ? Nous n'insisterons pas sur les énumérations de S. Paul relatives à ceux qui ne posséderont pas le royaume de Dieu (I Cor., vi, 9-10; Gal., v, 19-21), ni sur les menaces de l'enfer adressées aux persécuteurs des chrétiens (II Thess., i, 5-9), ni sur l'enseignement de S. Pierre concernant les pécheurs réservés à la fin du monde pour un jugement qui consacrera leur supplice (II Pet., ii, 9). Nous nous en tiendrons à la description du jugement dernier dans S. Matthieu, xxv, 31-46. Les nations seront rassemblées devant le Sauveur devenu leur Juge; les bons seront placés à sa droite, les mauvais à sa gauche. Du dialogue qui s'échange alors entre le juge d'une part, et d'autre part les élus et les réprouvés, il appareil clairement que ces élus et ces réprouvés sont pris parmi les hommes, et que Jésus les récompense ou les condamne d'après leurs œuvres bonnes ou mauvaises accomplies au cours de leur vie mortelle. La sentence elle même est fort nette : « Allez loin de moi, maudits, au feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges »(* 41). Toute cette description n'aurait aucun sens si seuls les démons devaient être soumis au châtiment éternel.
Sans doute, le Dr Ch. pourra nous répondre que l'illumination purificatrice de l'agonie n'entraîne pas nécessairement la conversion de toute âme pécheresse; que certains pécheurs pourront alors encore résister à la lumière et à la grâce. Nous répliquerons que, dans sa thèse, cette possibilité de résistance est bien minime, puisque lui-même confesse qu'en fait tous les hommes seront sauvés. Mais, même en admettant que certaines résistances se produisent en fait et que l'illumination purificatrice de l'agonie n'empêche point certaines âmes de se damner, il restera encore que l'hypothèse envisagée s'écarte de l'enseignement théologique commun, pour les deux premières raisons que nous avons proposées ci-dessus.
d) Quoi qu'il en soit, d'ailleurs, la témérité de l'hypothèse d'une agonie toujours et nécessairement illuminatrice et purificatrice, apparaîtra du fait que cette hypothèse constitue une imprudence grave dans une question de morale.
Si, en effet, « chacun peut compter sur la certitude d'une agonie illuminatrice et purificatrice, quel que soit le genre de mort qui doive le frapper, » les recommandations de vigilance, les exhortations à une vie pure et exempte de péchés, deviennent pratiquement sans objet. Le pécheur sait qu'il aura toujours et infailliblement la possibilité de se repentir. On lui suggère même que son âme, à l'heure de l'agonie, éclairée et consciente, dégagée des sollicitations du corps et de ses passions, ayant compris la vanité de l'orgueil, de la gloire et de la volupté, ne pourra pas, ayant vu la lumière de l'amour, ne pas se précipiter vers elle. Pratiquement plus d'enfer ! Car, en définitive, c'est bien à cette négation pratique de l'enfer qu'aboutit toute l'argumentation du Dr Ch., puisqu'il n'y aura, en enfer, que Satan et les anges rebelles. Si l'enfer n'est plus à redouter pour les hommes, la porte est irrémédiablement ouverte aux défaillances morales que se permettront plus facilement les âmes peu soucieuses d'idéal et de perfection.
N'est-il pas souverainement imprudent de supprimer l'un des meilleurs et des plus efficaces arguments de moralité, le seul peut être capable d'exercer une emprise sérieuse sur les âmes ordinaires et vulgaires ?
Le Dr Chevrier a voulu sans doute prévenir cette objection en rappelant « que la prudence pour nous et pour les autres conseille de ne pas escompter le miracle de l'agonie, mais de vivre toute la vie dans la paix et dans la charité du Christ, de pratiquer et d'user largement des merveilleux sacrements de la religion catholique. Notre agonie n'en sera que plus illuminée et plus belle, et surtout notre expiation dans l'autre monde en sera considérablement réduite. » - Cette réponse est insuffisante, car, pour miraculeuse qu'on proclame ici l'illumination purificatrice de l'agonie, elle n'en sera pas moins l'apanage assuré de tous et de chacun. La prudence du Dr Ch. conseille de mener une vie chrétienne, non pour assurer la justification, - qui est certaine, - mais pour diminuer l'expiation. Et c'est là précisément le grave danger moral de ce système. Il n'est pas hérétique, puisqu'il laisse subsister la nécessité de la justification extrasacramentelle et l'obligation d'une réparation pour le péché ainsi pardonné (voir Ami 1931, p. 778); mais il est téméraire, en tant qu'assurant aux hommes le salut nonobstant une vie de désordres et de péchés.
Re: L'hérésie de l'apparition de Jésus a tous les morts avant leur jugement particulier
III. FRAGILITÉ DES ARGUMENTS APPORTÉS EN FAVEURDE L'AGONIE ILLUMINATRICE ET JUSTIFICATRICE.
a)Erreur à la base psycho-physiologique du système
Le Dr Chevrier prétend que c'est le fait d'une physiologie matérialiste de concevoir dans l'agonie tout d'abord la disparition de l'intelligence et de la conscience, puis l'abolition de la sensibilité, et enfin seulement la cessation totale des fonctions vitales inconscientes. Pour lui, normalement, la connaissance extérieure, quoique atténuée, subsiste encore dans l'agonie. En tous cas, l'âme qui n'est point malade, garde sa conscience personnelle, et c'est au moment même où l'agonie va la délivrer des chaînes alourdissantes du corps, que son intelligence s'illumine et connaît la vérité absolue : « Lors de l'agonie, Dieu ferme à peu près l'âme au dehors, la dégageant des bruits extérieurs et des sollicitations du corps. Alors, dans ce recueillement propice, il me
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parait qu'il se doit de rendre l'âme consciente de la vérité, de lui montrer sa destinée, ce qu'elle a fait et ce qu'elle aurait dû faire, où mène la route dans laquelle elle est engagée. »
On a remarqué la formule employée : « il me paraît que Dieu se doit de rendre, etc » On combat ici les données de la physiologie « matérialiste » au nom d'un sentiment et d'une persuasion. Le procédé n'est pas très scientifique. Il eût fallu plutôt démontrer que seule une physiologie matérialiste pouvait concevoir la disparition des phénomènes vitaux dans l'ordre suivant : 1er disparition le des opérations intellectuelles, 2° des actes de la sensibilité, et 3° de la vie organique. Apparemment cependant, c'est le processus normal de l'agonie humaine. Et il eût fallu exposer scientifiquement que cette apparence ne correspondait pas à la réalité. En affirmant un tel processus normal ou habituel, on ne rejette pas pour autant, - et sans encourir le reproche de contradiction que fulmine le Dr Ch. contre Richet, - la possibilité de cas exceptionnels, où la vie de l'intelligence, les manifestations de la conscience persistent jusqu'à la fin, où la sensibilité continue à s'exercer, même sans s'exprimer par des actes extérieurs.
Nous disons donc que le spiritualisme le plus orthodoxe peut s'accommoder de la conception que rejette le Dr Ch. C'est, à notre sens, la seule qui réponde logiquement à la thèse catholique de l'union substantielle de l'âme et du corps. Tant que l'âme est unie substantiellement au corps, - et elle le demeure jusqu'à l'instant de la mort, - elle ne peut exercer aucune de ses fonctions spirituelles si ce n'est en relation avec les actes des facultés sensibles. Les organes de la vie sensitive venant à s'altérer gravement dans l'agonie, il est conforme à cette psychologie que cessent d'abord les phénomènes d'ordre intellectuel; puis les phénomènes d'ordre sensible, qui ne se produisent plus (le Dr Ch. le reconnaît expressément) que d'une manière atténuée et pour ainsi dire engourdie; et enfin seulement les actes de la vie organique. Cette psychologie « matérialiste et laïque » est celle que S. Thomas développe dans la Prima Pars, q. 84 et 85.
Les art. 6 et 7 de la q. 84 sont particulièrement suggestifs. Le saint Docteur, spiritualiste et catholique par excellence, professe dans l'art. 6 que « l'acte intellectuel est causé par le sens. Cependant les images sont incapables de modifier l'intellect possible, mais elles doivent être rendues intelligibles en acte par l'intellect agent. En conséquence, l'on ne peut dire que la connaissance sensible soit la cause totale et parfaite de la connaissance intellectuelle; mais bien plutôt qu'elle est la matière sur laquelle agit cette cause 1 »Mais ce n'est pas assez. Dans l'art. 7, le Maître enseigne que l'intellect uni au corps ne peut rien
1 Trad. du P. J. Wébert, O. P., La Pensée humaine (Somme Théologique, édition de la Revue des Jeunes), p. 52
comprendre s'il n'a recours aux images produites par la faculté imaginative. Tout l'article serait à citer ici. En voici du moins la conclusion :
« Pour l'intelligence humaine, qui est unie à un corps, l'objet propre est la quiddité ou nature qui se trouve en une matière corporelle. Et c'est par les natures des choses visibles qu'elle s'élève même à une certaine connaissance des choses invisibles. Or, par définition, cette nature (sensible) se trouve en un individu qui ne peut exister sans matière corporelle. Ainsi, par définition, l'essence de la pierre existe en telle pierre, l'essence du cheval existe en tel cheval, et ainsi de suite. Par suite, la nature de la pierre, ou de quelque autre réalité matérielle, ne peut être parfaitement et vraiment connue que pour autant qu'on la connaît comme existant dans le particulier. Or, nous connaissons celui-ci par le sens et l'imagination. Donc, pour que l'intelligence connaisse son objet propre, il faut qu'elle ait recours à l'image afin de considérer l'essence universelle comme existant dans le particulier. »
Dans la solution des objections, S. Thomas prévoit deux instances possibles. On pourrait dire tout d'abord qu'une fois les espèces intelligibles formées par l'intellect agent, il n'est plus nécessaire que l'intelligence, pour concevoir une idée, se retourne encore vers les images. Ce à quoi notre Docteur répond : « Les espèces intelligibles, conservées dans l'intellect possible, s'y trouvent à l'état d'habitus quand on n'est pas en acte de comprendre. Pour y être, il ne suffit pas de la simple conservation des espèces, mais il faut que nous en fassions usage de la manière qui convient aux réalités dent elles sont des espèces, à savoir : des natures existant eu des êtres particuliers. » (Ad 1). Si l'on insiste, en disant que les objets incorporels, par ex. les vérités surnaturelles que l'illumination de l'agonie pourrait présenter à l'âme, ne comportent pas d'images pour les exprimer comme il convient, S. Thomas ajoute « Les objets incorporels, dont il n'y a pas d'images, ne nous sont connus que par relation aux corps sensibles, qui, eux, en possèdent. Ainsi, nous atteignons la vérité en considérant la réalité qui est l'objet de notre réflexion; nous connaissons Dieu comme cause, et par passage à la limite et par négation; quant aux autres substances immatérielles, nous ne pouvons les connaître, en l'état de la vie présente, que par négation, ou par relation aux êtres corporels. En conséquence, lorsque nous saisissons l'un ou l'autre de ces objets, nous devons recourir aux images des corps bien que ces objets n'aient pas d'images. » (Ad 3) C'est sur cette théorie thomiste de la connaissance intellectuelle que se fonde toute la thèse catholique de la possibilité de la connaissance des mystères par voie d'analogie2.
Loin donc que la proximité de la mort permette à l'intelligence de se dégager du corps et de se tourner vers le dedans d'elle-même pour recevoir la révélation de la vérité dans des conditions nouvelles
1 P. Wébert, op. cit., p. 58 à 61.
2 On relira sur ce point : A. Michel, D. T. C., art. Mystère, t. x, col. 2594 et suiv.; et surtout M. T.-L. Penido, Le rôle de l'analogie en théologie dogmatique, p. 194-255.
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d'existence, il est plus conforme non seulement aux apparences extérieures, mais encore aux lois de la psychologie humaine et de la métaphysique chrétienne (l'âme forme du corps est un dogme catholique), de considérer que l'affaiblissement de l'activité sensorielle est une raison de trouble et peut-être d'annihilation totale dans l'activité intellectuelle. Dans l'art. 8 de la question 84 déjà citée, S. Thomas n'hésite pas à déclarer que « nous ne pouvons avoir de jugement intellectuel parfait, lorsque le sens qui nous fait connaître les réalités sensibles est empêché d'agir. » Et, dans l'ad 2 il en donne des exemples typiques, tirés du sommeil plus ou moins agité qu'éprouvent les hommes après des repas copieux ou des libations exagérées.
Prévenons immédiatement une objection des théologiens. C'est la possibilité pour l'âme d'atteindre la vérité divine en elle-même, peut-être même par une sorte de vision intuitive; qu'une grâce exceptionnelle de Dieu accorderait à l'âme d'une manière transitoire, comme il fut accordé à l'âme de S. Paul d'être ravie au paradis (II Cor., xii, 4). Les théologiens ne s'entendent guère sur la nature du ravissement dont fut favorisé l'Apôtre. Quoi qu'il en soit, la théologie mystique admet généralement dans la contemplation infuse quelque chose d'analogue, et de bons auteurs admettent qu'en ce cas l'intelligence est inondée de la lumière divine sans qu'elle ait recours aux images et aux données sensibles. Sur ce point, nous renvoyons à l'art. Mystique de M. Fonck, dans le D. T. C., t. x, col. 2606 et 2615; on y lira l'opinion très nette de S. Augustin et de Richard de St-Victor. D'ailleurs, la doctrine de ces deux auteurs a été reprise par S. Thomas, précisément à propos du ravissement de S. Paul, dans la IIa-IIæ, q. 175, art. 4 et 5. Le Docteur Angélique y rappelle que pour voir Dieu immédiatement, l'âme humaine doit faire abstraction de ses sens, et que si cette faveur est exceptionnellement accordée à un homme encore en vie, il faut que son âme, tout en demeurent unie au corps, soit rendue indépendante de toute image et de toute perception sensible.
Ce serait bien le cas imaginé par le Dr Chevrier pour l'agonie. Mais n'oublions pas que S. Thomas proclame cette intuition intellectuelle une grâce tout à fait exceptionnelle, extraordinaire, en dehors des conditions normales. Or, ces réserves mêmes rendent impossible l'hypothèse du Dr Ch. Qu'une telle intuition soit accordée à quelques sujets privilégiés, soit; personne n'y peut contredire. Mais qu'elle ait lieu au cours de toute agonie, et que chacun en soit favorisé, voilà qui est arbitraire, faux, contradictoire. Ce serait faire de l'exceptionnel la règle habituelle, de l'extraordinaire le cours normal des choses.
b) Faiblesse des arguments d'autorité.
Par sa doctrine, S. Thomas donne la vraie réponse à l'argument d'autorité proposé avec complaisance par le Dr Henri Bon, en confirmation de la thèse du Dr Chevrier (Bulletin cité, mai 1931).
Laissons tout d'abord les cas d'ordre évidemment naturel, où l'intelligence garde sa lucidité jusqu'au bout. Nous avons admis qu'il en était parfois ainsi, et ce « parfois » n'est peut être pas aussi rare qu'on se le pourrait imaginer. Il y a un abîme entre les cas cités de Gœthe, et surtout de sainte Brigitte de Suède, de sainte Catherine de Sienne, de Rusbrock l'Admirable, de la Bienh. Louise de Savoie, de Maggy Lekeux, de S. Augustin de Cantorbéry, de Marie des Vallées, etc., et l'hypothèse du Dr Ch. Dans ces cas cités par le Dr Bon, les moribonds, en pleine connaissance, laissent paraître la joie et l'allégresse de leur âme. Sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'explication de ce phénomène par des visions surnaturelles ou par une illumination purificatrice, l'esprit de foi de ces âmes privilégiées suffira amplement à rendre raison de leur joie surnaturelle.
Là où l'argumentation du Dr Bon devient franchement tendancieuse, c'est quand il expose « ce que voient les mourants ». D'après lui, l'objet de cette vision c'est une véritable illumination spirituelle, c'est l'assistance effective de l'Eglise triomphante. La petite Anne de Guigné voit son ange gardien; sainte Claire d'Assise, le Roi de gloire, Jésus-Christ; sainte Mechtilde aperçoit Notre-Seigneur lui-même, pendant l'agonie d'une moniale, tenant un linge très blanc devant la bouche de la mourante; et sainte Gertrude, dans ses révélations, nous rapporte d'autres faits analogues. - Admettons la véracité de ces visions (encore qu'il soit prudent d'y faire la part assez large à l'élément humain). Mais quelle conclusion doit-on en tirer ? Voici celle du Dr Bon : « Nous rencontrons là le moyen que Dieu nous a donné dans sa bonté de connaître ce que voient les mourants alors que ceux-ci, prisonniers d'un corps qui ne leur obéit plus, ne peuvent plus nous en faire part. C'est la vision surnaturelle par des âmes privilégiées des phases spirituelles de l'agonie. » Et voici notre réponse : « Devant ces faits extraordinaires, qui normalement n'ont pas d'explication dans les lois habituelles de la psychologie humaine, il serait plus conforme aux exigences de la logique de ne pas tirer de cas particuliers une conclusion générale, de ne pas induire de quelques faveurs exceptionnelles une loi régulière et normale. L'explication la plus obvie est dans une grâce spéciale de Dieu. En l'espèce, c'est la seule qu'il faut retenir. » L'induction est une méthode qu'il ne faut utiliser qu'en s'entourant de toutes les précautions indispensables pour justifier le passage du singulier à l'universel, du particulier au général. Or, chez le Dr Bon, le passage se fait uniquement sous l'idée préconçue d'une hypothèse non vérifiable, mais qu'on veut à tout prix faire admettre1.
1 Combien différente est l'attitude du P. Roure, dans le volume Au-delà que vient d'éditer G. Beauchesne « L'auteur s'attache à recueillir, non pas dans la vie des saints, mais dans l'observation commune, les indices fréquemment notés d'une lucidité exceptionnelle, soit à l'article de la mort, soit dans les circonstances soudaines qui mettent l'homme en face de la mort. Et les documents par lui recueillis rendent pour nous plus intelligible l'opération divine dans l'âme des agonisants. Le P. Roure, en psychologue averti. remet sous les yeux une vérité expérimentale très réelle : c'est la différence profonde qui sépare le temps en soi, le temps physique et objectif, mesuré par la révolution du soleil ou par les aiguilles du cadran, du temps relatif, psychique et subjectif, apprécié sur le développement d'une vie mentale consciente. Si le premier est d'une rigueur inflexible, toujours semblable à lui-même, le second est fonction du ralentissement ou de l'accélération des phénomènes vitaux. Ralentissement, dans le cas d'une vie mentale atténuée, dont le sommeil ou un état comateux offre les exemples les plus familiers : le temps alors s'écoule comme un rêve, ou plus vite qu'un rêve, comme une syncope dans l'existence. Accélération, dans le cas d'une excitation artificielle, d'une attente fiévreuse où les minutes semblent des siècles, d'une activité cérébrale exaltée par quelque accident imprévu.
« L'expérience montre que cette dilatation du temps psychique, marquée par une vie mentale plus intense, est fréquente chez les mourants qui, jusque dans un état de catalepsie ou d'inertie totale, gardent PARFOIS une extrême acuité de perception ou une extrême netteté de conscience.
La portée d'une telle observation, quant à la théorie générale d'une conversion in extremis, est manifeste. S'il existe au fond de l'âme de telles disponibilités et si, pour les réduire en acte, il suffit d'un accident fortuit, d'une chose imprévue, combien plus l'intervention de Dieu, à l'instant décisif où se joue le salut éternel de l'âme, sera-t-elle capable de provoquer une réaction salutaire ! Cela, nous l'aurions pu affirmer a priori, car il est certain que Dieu tient dans sa main le cœur de sa créature et peut à son gré lui imprimer un ébranlement vers la foi et le repentir de ses fautes. Mais il ne nous est pas indifférent de constater a posteriori que les virtualités requises pour un tel ébranlement ne font pas défaut, et que l'intervention divine en vue d'une conversion in extremis n'a pas nécessairement le caractère d'un miracle » (A. d'Alès. Eudes, 20 janvier 1932, p. 154-156).
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Quant à l'argument tiré des prières liturgiques, il n'en faut pas exagérer la portée. Sans doute, ces prières « ne sont pas une vaine littérature »; mais la réalisation de leur objectivité ne comporte pas un sens absolument littéral. L'Office des défunts est rempli de ces images symboliques, dans lesquelles il faut voir avant tout une traduction fortement accentuée des enseignements de la foi. De ce que l'Eglise adresse au ciel ses supplications pour le mourant, comme si c'était le mourant lui-même qui parlait à Dieu, il s'ensuit simplement qu'elle affirme par là son souci maternel à l'égard du moribond : « Dans les efforts que fait l'Eglise, dit Bossuet, on entend ses vœux les plus empressés et comme les derniers cris par où cette Sainte Mère achève de nous enfanter à la vie céleste1. » Et, pour autant, elle n'admet pas « systématiquement l'état de connaissance, de conscience englobant connaissance du bien et du mal, contrition, confiance et espérance, chez l'agonisant. » Elle prie pour l'agonisant, et elle prie avec lui : et, pour donner plus de force et de valeur à cette prière commune, elle se place dans l'hypothèse - qui d'ailleurs se vérifie parfois - où le mourant, pleinement conscient, invoque réellement Dieu avec elle. Quant au souhait formulé relativement à l'accueil de l’âme par toute la Cour céleste, qui ne comprend que c'est là une figure extrêmement vive st significative du salut éternel souhaité à cette âme ? Y vouloir trouver,
1 Oraison funèbre de Louis de Bourbon.
pour chacune des âmes, le vœu d'un accueil collectif de la Cour céleste, c'est de toute évidence fausser le sens de la prière liturgique et s'enfoncer dans des absurdités.
c) L'argument scripturaire
tiré de la parabole des ouvriers de la onzième heure est plus faible encore et sans aucune valeur. De ce que Jésus promet le ciel aux convertis de la dernière heure, il ne s'ensuit nullement que tous les hommes se convertiront. Vouloir tirer cette conséquence de la parabole est un pur enfantillage auquel il ne convient pas même de s'arrêter. De la parabole, contentons nous de tirer cette conclusion : Ceux qui, à la dernière heure, se convertiront, iront au ciel.
d) L'argument théologique
d'une différence entre l'illumination des démons au moment de leur épreuve et l'illumination des hommes au moment de l'agonie, est un argument insaisissable. On y relève des mots, aucune idée nette et précise.
Qu'est-ce à dire que « Satan connut la lumière de la puissance absolue d'un Créateur » ? On sait en quoi, d'après S. Thomas, a consisté la faute des démons. Dieu, non content d'avoir créé l'ange dans l'admirable intégrité de sa nature, y ajouta aussitôt la vie surnaturelle de la grâce, avec le pouvoir de parvenir, s'il le voulait, à ce qui en est le suprême couronnement : la vie éternelle de l'union béatifique et de la gloire. Beaucoup d'anges ont accepté l'offre divine; mais Lucifer et les siens n'en ont pas voulu. Ils préférèrent s'en tenir à leur béatitude naturelle; ils estimèrent que ne pas sortir de leur nature, y chercher le bonheur plus ou moins parfait qu'elle comporte, était quelque chose de plus fier, de plus semblable à Dieu (pour qui il n'y a pas de surnaturel), que d'aspirer à une béatitude sans borne, il est vrai, mais surajoutée gratuitement par Dieu à la nature. Il y eut donc non seulement la puissance du Créateur, mais encore la bonté du Père empressé à vouloir conférer à la splendide créature angélique la filiation adoptive.
Pour l'homme, la filiation adoptive lui est offerte par Jésus-Christ, avec tout l'amour que comporte le mystère de la Rédemption. Mais en quoi une illumination comportant la révélation des trésors infinis d'amour de l'Incarnation et de la Rédemption aurait elle plus d'efficacité que l'illumination pleine d'amour, elle aussi, dont furent favorisés les anges ? On affirme que l'illumination des anges fut, pour un grand nombre, inefficace; on affirme que l'illumination des hommes à l'agonie produira toujours son effet purificateur. On l'affirme; on met une différence, une opposition entre les deux illuminations; mais cela, gratuitement et uniquement pour les besoins de la cause. L'esprit angélique, plus délié, plus perspicace qui l'esprit de l'homme, serait bien plutôt dans un état de supériorité relativement au choix définitif de son bonheur ou de son malheur éternel. L'argument ne vaut donc rien en lui-même.
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Mais un théologien de profession y répondra d'un mot : Nego suppositum. Avant de faire la comparaison entre l'illumination de l'ange et celle de l'homme, prouvez que cette dernière, au moment de l'agonie, existe.
e) Il ne faut consigner ici que pour mémoire l'argument de sentiment, ressassé mille et mille fois : Dieu ne peut pas damner l'homme, qui, par le péché originel, a perdu la connaissance complète des choses et la tendance naturelle au bien. L'hypothèse de l'illumination purificatrice est donc nécessaire pour concilier la bonté et la justice de Dieu. - On oublie trop, dans ce raisonnement, que par sa grâce Dieu donne à l'homme les secours nécessaires pour faire son salut. Que cette œuvre du salut, même soutenue par la grâce divine, présente des difficultés d'ordre spéculatif et d'ordre pratique, qui ne le sait ? Mais les théologiens et les apologistes ont si souvent abordé cette question ; nous-mêmes l'avons déjà étudiée à tant de reprises et sous tant de formes différentes, qu'il serait fastidieux d'y revenir1.
CONCLUSION
Nous pensons avoir montré tout ce qu'il y a de téméraire dans l'hypothèse adoptée par le Dr Chevrier. En somme, cet excellent cœur ne veut d'enfer pour personne. Bon chrétien, il entend sauvegarder le dogme de l'enfer. Et l'hypothèse de l'illumination dans l'agonie est pour lui le moyen de vider l'enfer, tout en le conservant à l'usage des seuls démons. C'est là une assertion qui, sans être hérétique, doit être, pour les raisons que nous avons exposées, qualifiée de téméraire. Il serait même .à souhaiter qu'une décision officielle ou des indications autorisées intervinssent à ce sujet; car, avec la publicité qu'a donnée à l'article incriminé la Documentation Catholique, il est à craindre que certains esprits portés au laxisme ne tentent de le « populariser », ce qui ne manquerait pas, comme on nous l'écrit fort judicieusement, de provoquer dans certaines âmes de très imprudentes sécurités.
Est-ce à dire qu'il n'y ait pas une part de vérité dans les assertions outrancières de nos deux docteurs ? Nous avons déjà, au cours de cette étude, redit, avec le P. Roure, quelle possibilité psychologique s'offre en nombre d'âmes, d'une grâce spéciale de conversion à la mort. Rappelons ce que nous avons écrit en 1924 (p. 169) :
« Tout autre est la question de savoir si Dieu, dans sa miséricorde, ne réserve pas à tout homme, si pécheur soit-il, une grâce pressante de conversion (si besoin en est) à l'heure de sa mort. Cela, c'est le secret de Dieu, et personne ici-bas ne peut se flatter de le pouvoir scruter. Les meilleurs théologiens estiment que Dieu, à cet instant suprême, n'abandonne personne complètement. Mais en quoi consiste précisément la grâce qu'il accorde ? Il est fort à craindre qu'en beaucoup de cas il ne s'agisse point d'une mise en demeure formelle de choisir entre le ciel et l'enfer. Je n'en veux comme preuve que le
1 Voir surtout notre article du 13 mars 1924, p. 169.
sentiment où est l’Eglise, en administrant les sacrements de pénitence et d'extrême-onction aux moribonds privés de l'usage de leurs sens, sentiment selon lequel, à une réception valide du sacrement, est attachée la justification du pécheur simplement attrit. Cette attrition est loin d'être le choix définitif de la volonté dans le bien suprême, puisqu'elle subsiste dans l'âme avec le péché habituel. Et cependant, n'est-elle pas, dans le cas précité, la grâce suprême qui, jointe au sacrement, ouvrira le paradis au pauvre pécheur moribond, incapable peut-être d'exprimer à Dieu le moindre sentiment actuel de repentir ? »
Nous devons donc, avec les meilleurs théologiens, proclamer qu'il existe à l'heure de la mort une grâce spéciale de conversion. Mais nous ignorons la nature et l'efficacité de cette grâce. Vouloir sonder les desseins secrets de la Providence à ce sujet serait s'exposer à faire fausse route et à être livré aux caprices de l'imagination. Nous en avons un exemple saisissant dans l'hypothèse émise par le Dr Chevrier.
- Dom Gaston Démaret, moine de Solesmes, Les Morts Peu Rassurantes, Motifs d'Espérance et de Prière, Brochure publiée en 1923, à la Chapelle-Montligeon (Orne), avec "le simple imprimatur diocésain".
Dom Gaston Démaret, page 8-9 : On admet généralement aujourd'hui que le dernier battement du coeur et le dernier soupir ne marquent pas la vraie mort, l'abandon du corps par l'âme. La vie se prolonge dans les profondeurs de l'organisme, alors que toute manifestation extérieure a disparu, - vie latente ou mort apparente qui dure au moins une heure après une longue maladie, et, à la suite d'un accident ou dans le cas de mort subite, de trois à dix-huit heures, parfois même plusieurs jours. Or c'est dans ces instants de vie latente et profonde, quand le temps et l'espace s'évanouissent visiblement dans la claire lumière de l'éternité, qu'aurait lieu, auprès de chaque âme, cette dernière tentative de Dieu sous la forme du Christ en croix : "De vives lumières seraient données à l'âme, disait à ce sujet le cardinal Billot, une mise en demeure lui serait faite : à elle de choisir. Or, son choix, ne subissant alors plus aucune pression étrangère, se ferait en toute liberté : plus de ces préjugés qui trompent, plus de ces habitudes qui tyrannisent, plus de ce respect humain qui rend lâche. En face de la Vérité, qui lui découvre à la fois la délicieuse bonté de son Dieu et les ingratitudes de sa vie, une âme sincère jettera un cri de repentir plein de pur amour, qui, du plus grand pécheur, fait subitement un enfant de Dieu !"
cf. L'Ami du Clergé, 1923, sur Dom Gaston Démaret et sa brocure, p.724, p.725, p.726, p.727, p.728,
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Re: L'hérésie de l'apparition de Jésus a tous les morts avant leur jugement particulier
QUESTIONS DE SCIENCE ECCLESIASTIQUE - CONSULTATIONS DIVERSES
Q.- Auriez-vous la bonté de parcourir la petite brochure que je vous envoie ? Elle semble avoir inspiré la question posée dans l'Ami du 16 novembre 1922, page 736.
La doctrine enseignée en cette brochure est-elle en tout point exacte ? - Page 6 : « Tout homme... voit, avant que son âme quitte son corps, le Seigneur attaché à la croix. » - Page 8 : opinion du cardinal Billot.
R. - Cette lettre, qui nous vient de l'Extrême-Orient, nous fournit l'occasion de mettre un peu
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plus de précision et dans la réponse qui n'avait été qu'ébauchée le 16 novembre 1922, et dans la doctrine même touchée dans cette réponse. Procédons par ordre.
I. - Le 16 nov. 1922, p. 736, un abonné nous posait la question suivante :
« La question du salut des infidèles et des non-pratiquants, morts sans signe extérieur de repentir, est évidemment pleine d'inconnu pour nous. Il est permis toutefois de discuter les probabilités et les possibilités de ce salut. On m'affirme que l'opinion, toute récente, du savant cardinal Billot, est qu'au dernier moment Dieu, par une grâce d'illumination, montre clairement à l'âme le bien et le mal, lui donnant nettement à choisir entre les deux. En conséquence, le cardinal serait d'avis que la grande majorité de ceux qui meurent même sans sacrements, sans aucun signe extérieur de repentir, serait sauvée.
Le confrère qui me rapportait cette opinion du savant Jésuite n'a pas su me dire ni où ni quand le cardinal l'avait exposée. Voudriez-vous renseigner vos nombreux lecteurs sur cette question si intéressante et parfois si angoissante ? »
Nous avions répondu que « le confrère avait dû commettre une confusion. Sans doute, çà et là, dans ses œuvres, disions-nous, l'éminent théologien a parlé, comme tous les théologiens le font, des grâces d'illumination et de conversion que Dieu peut réserver et réserve souvent pour le dernier moment. Mais il n'a rien dit, à ce sujet, qui apporte une modification quelconque aux idées courantes, reçues depuis longtemps dans la théologie catholique. »
Une familiarité constante avec les œuvres et les publications diverses de l'éminent auteur permettait au rédacteur de l'Ami de répondre ainsi en toute sécurité. Or, voici que du fond de la Chine il reçoit aujourd'hui un exemplaire d'une petite brochure, - publiée à La Chapelle-Montligeon (Orne), sous la signature de dom Gaston Démaret, moine de Solesmes, et avec le simple Imprimatur diocésain, intitulée : Les morts peu rassurantes, motifs d'espérance et de prière, - qui contient une « citation » du card. Billot dans le sens indiqué par la question posée en novembre dernier. Voici le texte de dom Démaret, avec la « citation » qui l'accompagne (p. 8-9) :
« On admet généralement aujourd'hui que le dernier battement du cœur et le dernier soupir ne marquent pas la vraie mort, l'abandon du corps par l'âme. La vie se prolonge dans les profondeurs de l'organisme, alors que toute manifestation extérieure a disparu, - vie latente ou mort apparente qui dure au moins une heure après une longue maladie (?) [Ce point d'interrogation est de nous.], et, à la suite d'un accident ou dans le cas de mort subite, de trois à dix-huit heures, parfois même plusieurs jours. Or, c'est dans ces instants de vie latente et profonde, quand le temps et l'espace s'évanouissent visiblement dans la claire lumière de l'éternité, qu'aurait lieu, auprès de chaque âme, cette dernière tentative de Dieu sous la forme du Christ en croix : « De vives lumières seraient données à l'âme, disait à ce sujet le cardinal Billot, UNE MISE EN DEMEURE LUI SERAIT FAITE : A ELLE DE CHOISIR. Or, son choix, ne subissant plus alors aucune pression étrangère, se ferait en toute liberté : plus de ces préjugés qui trompent, plus de ces habitudes qui tyrannisent, plus de ce respect humain qui rend lâche.
En face de la Vérité, qui lui découvre à la fois la délicieuse bonté de son Dieu et les ingratitudes de sa vie, une âme sincère JETTERA UN CRI DE REPENTIR PLEIN DE PUR AMOUR, qui, du plus grand pécheur, fait subitement un enfant de Dieu ! »
Comme référence à ce texte, on cite l'Almanach de l'Espérance, Montligeon, 1918, p. 149.
De prime abord, il paraissait peu vraisemblable qu'un tel texte ait été écrit de la plume si grave et si prudente du card. Billot. Quiconque a connu de près l'ancien professeur de la Grégorienne, émettra, à priori, un doute sur l'authenticité des paroles qui lui sont attribuées. Mais, d'une part, parce que l'Œuvre de Montligeon est une Œuvre respectable, qu'il faut encourager, à cause même de la dévotion si opportune et si charitable qu'elle s'efforce de promouvoir dans le monde entier; et, d'autre part, parce que la propagande en faveur des âmes du purgatoire ne doit se faire qu'à l'aide d'arguments sérieux, et capables de suggérer aux fidèles une piété saine et prudente, nous avons voulu avoir le cœur net touchant l'authenticité de la phrase attribuée par l'Almanach de Montligeon au card. Billot. Et nous sommes autorisés à déclarer que le savant théologien « n'a jamais pensé, ni à plus forte raison écrit de pareilles choses ; que jamais même il n'a touché l'argument des morts peu rassurantes, soit de près, soit de loin. Et s'il l'avait touché, c'eût été pour donner un démenti, aussi catégorique que possible, à une doctrine théologique bien digne de figurer dans un Almanach. »
Voilà pour la « citation » du cardinal et l'opinion qu'on lui attribue [On trouve la véritable pensée du card. Billot dans son traité De Novissimis, où expliquant les textes des Pères relatifs à la prière adressée à Dieu en faveur de ceux qui sont morts en état de damnation apparente, l'auteur explique qu'il ne s'agit pas de prières pour les damnés : « At vero, quia de nullo in particulari sciri potest an revera incurrerit æternam damnationem, prœsertim propter ultimi instantis inscrutabile secretum, ideo semper locus relinquitur luctui qui cum suffragiis conjunctus sit. » (De Novissimis, Rome, 1903, p. 89, note).]
II. - Mais, puisque l'occasion s'en présente, venons-en au fond même de la thèse de dom Démaret.
Substantiellement, cette thèse se résume dans les quelques lignes qui terminent la brochure :
« Contentons donc le Seigneur et remercions-le du moins en croyant à sa parole, et, par conséquent, en espérant toujours, jusqu'au seuil de notre éternité, et en priant avec ferveur, confiance et persévérance pour ces âmes mêmes dont le sort peut nous paraître incertain. Qui a sondé les abîmes de la miséricorde divine ? Qui sait ce qui s'est passé au lit de mort entre l'âme et Dieu ? Prions donc et espérons. Toujours il nous reste l'espérance d'un « peut-être, » d'un « qui sait ? », profond comme la miséricorde de Dieu. »
Restreinte à cette assertion, la thèse est vraie, absolument juste. C'est la pensée, c'est la volonté de l'Eglise qu'il faut prier même pour ceux dont la mort s'est produite dans des circonstances apparemment désastreuses pour leur salut éternel. Nous ne sommes absolument certains de la damnation de personne, hormis celle de Judas. Et donc, nous pouvons toujours espérer; nous devons toujours prier.
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Deux premières preuves, apportées par dom Démaret, appuient cette assertion fondamentale, et personne ne songera à en contester la valeur doctrinale. C'est tout d'abord l'affirmation cent fois répétée dans l'Ecriture et dans la liturgie, de l'infinie miséricorde de Dieu. C'est ensuite la doctrine, communément admise par les théologiens, d'une grâce de conversion spéciale accordée aux pécheurs à l'article de la mort. Nous avons nous-mêmes assez défendu cette thèse pour qu'il soit inutile d'y insister. (Ami 1923, 5 février, p. 91-92 ; 12 avril, p. 230).
En tout cela, l'opuscule de dom Démaret ne mérite que des éloges et obtiendra les suffrages de tous les théologiens. Mais...
III. - Il y a un mais... A côté de ces affirmations qu'il ne viendra à l'esprit de personne de révoquer en doute, on trouve une autre assertion, qui fait le fond même de la brochure et qui - disons-le sans ambages - nous semble, sous la forme absolue où elle est présentée, inexacte et dangereuse.
Cette assertion, c'est que « Jésus-Christ crucifié se présentera, à l'heure de la mort, à toute âme, juste ou pécheresse, et que le divin Maître mettra les pécheurs en demeure de choisir entre leur salut ou leur damnation. »
Citons :
« Les yeux éteints du moribond, son visage sans expression ou contracté par la douleur, sa bouche sans paroles, dérobent à nos regards ce suprême effort de l'amour de Dieu et de sa tendre miséricorde pour l'homme et gardent secrète l'entrevue dernière, dans les ombres de la foi, du Créateur avec sa créature.
La doctrine d'Innocent III sur ce sujet est des plus nettes et des plus consolantes : tout homme, bon ou mauvais, au moment de quitter cette terre et avant de paraître devant son Juge, voit lui apparaître Notre-Seigneur Jésus-Christ crucifié. La vision du Calvaire, donnée à tous au dernier moment, est ainsi la grâce suprême offerte aux justes pour qu'ils s'attachent plus fortement et définitivement au Seigneur, - aux pécheurs, pour qu'ils se convertissent et reviennent à lui, tandis qu'il en est temps encore. Mais il faut citer les paroles DU SOUVERAIN PONTIFE... »
Avant d'aller plus loin, remarquons que le texte auquel fait appel dom Démaret n'est pas d'Innocent III comme Souverain Pontife, mais du cardinal Lothaire Segni écrivant, avant son accession au souverain pontificat, le De contemptu mundi, sive de miseria conditionis humanœ. Il y a donc une certaine exagération à présenter comme doctrine pontificale, l'extrait d'un ouvrage de caractère tout à fait privé, et que, d'ailleurs, les meilleurs critiques considèrent comme médiocre à tous points de vue. Mais, - et c'est ici que se manifeste l'illusion d'un auteur qui veut à tout prix trouver des points d'appui à la thèse qui lui est chère, - le cardinal Lothaire Segni n'a jamais enseigné que la vision de Notre-Seigneur en Croix, donnée à tous au dernier moment, « est la grâce offerte aux justes pour qu'ils s'attachent plus fortement et définitivement au Seigneur; aux pécheurs, pour qu'ils se convertissent et reviennent à lui, tandis qu'il en est temps encore. »
Voici, en effet, les paroles du futur Innocent III; en regard du passage où nous estimons que dom Démaret n'a pas donné le sens du texte latin, nous reproduirons le texte latin lui-même.
« Tout homme, soit bon, soit mauvais, voit, avant que son âme quitte son corps, le Seigneur attaché à la Croix.
Le méchant le voit pour sa confusion et pour sa honte, afin qu'il rougisse de ne pas profiter, en raison de ses péchés, du sang rédempteur Malus videt sibi ad confusionem, ut erubescat se non esse redemptum sanguine Christi, sua culpa exigente.
Aussi est-il dit des méchants dans l'Evangile : Ils verront celui qu'ils ont transpercé; parole qui doit s'entendre de l'avènement du Christ au jugement dernier et de son avènement privé à la mort de chaque homme. - Le bon le voit, pour sa consolation et sa joie, ce que nous devons conclure des paroles de l'Apôtre qui a dit : Il nous affermira jusqu'à la fin, pour que nous soyons irréprochables à l'avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est-à-dire au jour de notre mort, quand le Christ en croix se montre aux bons comme aux méchants. Notre-Seigneur a dit lui-même de S. Jean l'Evangéliste : Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, c'est-à-dire jusqu'au moment de sa mort.
On compte ainsi quatre avènements du Seigneur : deux visibles et deux invisibles.
Le premier avènement visible a eu lieu dans la chair, quand il est né de la bienheureuse Vierge; le second avènement visible s'accomplira quand il viendra juger les bons et les mauvais, plaçant les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche.
Le premier avènement invisible se réalise dans l'âme du juste par la grâce. Aussi, le Christ dit-il de l'homme juste : Nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure. L'âme du juste est donc le trône et la demeure de Dieu... qui y réside par la grâce. Enfin, le second avènement invisible s'effectue à la mort de chaque fidèle. Aussi, S. Jean dit-il dans l'Apocalypse : Venez, Seigneur Jésus, c'est-à-dire à l'heure de ma mort. [De Contemptu mundi, lib. ii, c. 43; P. L., t. 217, col. 736.] »
La traduction exacte du passage concernant les méchants devrait être, il nous semble : « Le méchant voit le Christ pour sa confusion, afin qu'il rougisse de n'être pas racheté dans le sang du Sauveur, ses fautes exigeant qu'il en soit ainsi. » II n'y a pas trace, dans la pensée du cardinal Segni, d'un choix, d'une option laissée à ce moment à l'âme pécheresse : il ne s'agit que de la simple constatation de son malheur irréparable. Et cette traduction littérale, contraire à l'exégèse de dom Démaret, s'impose avec plus de rigueur encore lorsqu'on se reporte au chapitre précédent, 42, De doloribus quos mali patiuntur in morte : « Tertius dolor est, quando anima jam incipit tam juste dijudicare et sibi pro suis iniquitatibus singulis OMNIA ET DEBITA GEHENNÆ TORMENTA VIDET IMMINERE.
Au fond, la doctrine du « second avènement invisible» est la doctrine du jugement particulier, avec l'opinion si fréquemment reçue au moyen âge de la vision (corporelle ou intellectuelle, peu importe) de Jésus-Christ crucifié, juge de l'âme. Le seul point qui fasse difficulté est qu'Innocent III place la vision du juge immédiatement avant la séparation de l'âme d'avec le corps. Quoi
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qu'il en soit de cette difficulté, une vérité demeure acquise, qui ressort de l'étude même des textes d'Innocent : c'est que cet auteur, même comme docteur privé et avant son pontificat, n'a jamais enseigné l'opinion que lui prête dom Démaret.
Et voilà que s'écroule le fondement le plus sérieux de la brochure.
Mais l'auteur fait appel à d'autres récits, en confirmation de sa thèse :
C'est la tante maternelle de S. Grégoire le Grand, Tharsilla, qui voit alors venir à elle Jésus-Christ et qui dit aux assistants : « Retirez-vous, retirez-vous. Voici venir Jésus. »
Or, S. Grégoire le Grand, dans les Dialogues (l. iv, c. 16 ; P. L., t. 77, col. 348) d'où sont extraites ces paroles, s'exprime ainsi : « NONNUNQUAM vero in consolatione egredientis animæ ipse apparere solet ac retributor vitæ. » Il ne s'agit donc 1° que d'une consolation pour les âmes justes, 2° que d'une consolation tout à fait exceptionnellement accordée. Nous sommes donc, ici encore, en dehors du sujet qu'on se propose de démontrer.
Poursuivons :
« Un saint moine de Cluny, aumônier des religieuses de Marcigny, Turquille, était à toute extrémité. On n'attendait plus que son dernier soupir. « J'ai vu le Seigneur et sa douce compagnie, » dit-il alors à un autre moine; et il expira. Un autre moine de Cluny, le cardinal Matthieu, raconta une semblable vision, quelques instants avant de mourir : « Cette nuit, dit-il, j'ai été au nombre des morts. Je me suis trouvé devant mon Seigneur Jésus-Christ; j'ai vu sa bienheureuse mère Marie. Il m'a accordé une place à ses pieds. C'est là que je reposerai. »
Tout d'abord, il ne s'agit ici que d'âmes saintes, favorisées d'une vision consolante; mais, de plus, il faut encore remarquer avec l'auteur de ces récits, Pierre le Vénérable (De miraculis, l. i, c. 21 ; l. ii, c. 22 ; P. L t. 189, col. 888; 932), que ces apparitions ou visions doivent être considérées comme des miracles, donc, toujours comme des faveurs exceptionnelles, où l'on ne saurait voir l'expression d'une loi régulière de la divine Providence. Donc, double erreur de la part de dom Démaret : dans aucun de ces récits, il ne s'agit ni des méchants, ni d'une intervention normale de Dieu. Et puis, que valent ces récits ?
Enfin, dom Démaret invoque l'autorité de sainte Gertrude :
« D'autre part, sainte Gertrude apporte à la doctrine d'Innocent III que je voudrais établir, tout le poids et toute l'autorité d'une parole qu'elle recueillit un jour de la bouche même du Seigneur, répondant à une inquiétude qui la tourmentait. Elle avait entendu dans un sermon un prédicateur affirmer que « pas un homme ne sera sauvé sans l'amour de Dieu, ou tout au moins cet amour devra être suffisant pour l'amener au repentir et à la fuite du péché. » La sainte se prit à réfléchir que beaucoup partaient de ce monde avec un repentir excité par la crainte de l'enfer plutôt que par l'amour de Dieu. Le Seigneur la rassura, lui disant : « Quand je vois à l'agonie ceux qui ont quelquefois pensé à moi avec plaisir durant leur vie, ou bien ont accompli quelques œuvres méritoires, je me montre à eux, au moment même de la mort, si aimable, si tendre, si bon, qu'ils se repentent du plus intime de leur cœur de m'avoir parfois offensé; et c'est ce repentir qui les sauve alors. Aussi, je voudrais que, pour cebienfait, mes élus me glorifiassent et me rendissent de spéciales actions de grâces.[Legatus divinæ pietatis, l. iii, c. 30, édition Paquelin (des Bénédictins de Solesmes), Poitiers, 1877, p. 186-187.] »
Nous nous étonnons qu'un théologien sérieux ait pu baser sur les révélations de sainte Gertrude un argument qui a « tout le poids et toute l'autorité d'une parole qu'elle recueillit de la bouche du Sauveur. » Aussi bien que nous, dom Démaret sait qu'en approuvant les révélations d'une sainte, l'Eglise n'exige pas qu'on leur accorde un assentiment de foi catholique, mais seulement un assentiment de foi humaine, juxta regulas prudentiæ, juxta quas prædictæ revelationes sunt probabiles et pie credibiles, dit Benoît XIV [cf. De Servorum Dei beatificatione et beatificatorum canonizatione, l. iii, c. 52, n. 13.]. Or, les révélations de sainte Gertrude n'ont pas même été approuvées par l'Eglise. Dans le Bréviaire, la 5e leçon de l'office dit simplement que dono revelationum clara extitit. Ses affirmations ne s'imposent donc pas toutes à notre croyance : telle donnée pseudo-historique, par exemple, l. iv, c. 45, a pu provenir de la Légende dorée. Puis, comment raconter en langage humain les choses divines ? Quand donc on veut examiner le fond des choses, il faut discuter de près les textes. Corneille de la Pierre (In Cant., viii, 6) cite sainte Gertrude, mais parce et cum grano salis ubi res exigit; il note que ses révélations contiennent beaucoup de récits symboliques, qu'il faut interpréter symboliquement, multa contineant symbolica ideoque symbolice interpretanda.
Ne sommes-nous pas ici en face d'un de ces récits symboliques dont sont émaillées les visions de la sainte ? Cette manifestation de Jésus accordée quelquefois aux pécheurs, n'est-elle pas un symbole de la grâce efficace qui leur serait quelquefois accordée au dernier moment ? En tous cas, quel que soit le sens à donner aux paroles de sainte Gertrude, il n'est pas possible d'y trouver un argument qui « a tout le poids et toute l'autorité d'une parole recueillie de la bouche du Sauveur. » Il y a là une exagération manifeste, d'autant plus regrettable que la piété des simples fidèles, auxquels est destinée la petite brochure de propagande, ne la saura pas discerner.
D'ailleurs, si l'on voulait chercher dans les révélations privées, on ne serait pas en peine de trouver la contrepartie de l'affirmation de sainte Gertrude. Un de nos abonnés ne nous questionnait-il pas naguère sur le cas à faire des révélations d'Anna-Maria Taïgi, voyant les pécheurs « tomber en enfer, aussi pressés que les flocons de neige en hiver ? » (Ami du 12 avril 1923, p. 229).
Il est regrettable, à plus d'un point de vue, qu'une brochure de propagande en faveur de la si sainte et si louable dévotion aux âmes du purgatoire, soit rédigée sous la forme et avec les motifs qu'a cru devoir adopter dom Démaret. Pour reprendre l'expression
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rapportée plus haut, c'est là une « théologie d'almanach, » indigne de venir au secours de la vraie piété.
J'ajouterai que c'est là une théologie dangereuse pour les mœurs catholiques. S'il était, en effet, établi que chaque mécréant reçoit, à l'heure de la mort, la visite du bon Sauveur le mettant péremptoirement en demeure de choisir, alors qu'il en est temps encore, entre le ciel et l'enfer, ce serait la porte fatalement ouverte au dérèglement des mœurs et à l'abandon des devoirs chrétiens. N'aurait-on pas toujours et certainement la possibilité de se repentir? Et comment expliquera-t-on, dans l'hypothèse de dom Démaret, les paroles si sages et si graves à la fois de N.-S. Jésus-Christ : Vigilate itaque, quia nescitis diem, neque horam (Mt., xxv, 13); paroles dont S. Paul nous a donné le commentaire : Ipsi enim diligenter scitis quia dies Domini sicut fur in nocte... (I Thess., v, 2). Sans doute, il s'agit ici du dernier avènement du Christ; mais le jour du Seigneur n'est-il pas, pour chacun de nous, comme l'enseigne Innocent III, le jour de notre mort ?
(p.728 : si cette hypothèse était vraie comment expliquera-t-on les paroles si sages et si graves à la fois de Notre Seigneur Jésus-Christ, Matthieu, 25,13 : veillez donc parce que vous ne savez ni le jour, ni l'heure.)
Dom Gaston Démaret parle d'une apparition de Jésus et non d'une lumière céleste : dernière tentative de Dieu sous la forme du Christ en croix. La proposition théologique condamnée par l'archevêque de Cantorbery, en 1368, claire vision de Dieu avant la mort, vision par laquelle toute homme ferait le libre choix de se convertir à Dieu ou de s'en détourner.
L'Ami du Clergé, 1923, p.799, p.800
QUESTIONS DE SCIENCE ECCLESIASTIQUE
CONSULTATIONS DIVERSES
Q. - J'ai bien hésité à vous écrire au sujet de l'apparition de Notre-Seigneur aux mourants (Ami du 15 nov., p. 724 et suiv.). Mais enfin, il ne s'agit que d'un renseignement. Il serait bien difficile de trouver le passage dans le cardinal Billot, mais plus facilement et plus sûrement dans le R. P. Monsabré, année 1889, Confér. VI. Il cite sainte Catherine de Sienne, mais sur le ton oratoire et légèrement dubitatif. Du reste, vous avez si bien traité la question en elle-même, qu'il n'y a rien à y ajouter...
R. - Notre correspondant a tort d'écrire qu'il serait « bien difficile de trouver un passage autorisant cette opinion, dans les œuvres du cardinal Billot. Il fallait, à la suite de notre article, reconnaître expressément que ce passage n'existe pas.
Il a raison en ce qui concerne le passage du R. P. Monsabré. L'impartialité nous fait un devoir de transcrire ce passage :
« Puisque je viens d'indiquer les mystérieuses opérations de Dieu, laissez-moi vous dire qu'il y a là une source de salut dont il nous est impossible de mesurer la profondeur. - Nous ne jugeons la vie humaine que par ses dehors, et, la plupart du temps, le péché ne nous y apparaît que sous un aspect repoussant qui nous fait le juger sévèrement. Nous oublions, comme le fait justement remarquer un auteur contemporain, « que la biographie intime de chaque âme est une miraculeuse histoire de la bonté divine. [cf. P. Faber, Le Créateur et la créature, liv. III, ch. 2.]» Dieu tient compte de tout : du malheur de la naissance, de l'ignorance, de la faiblesse, des vices de l'éducation, de l'influence des milieux physiques et moraux, des difficultés de la vie et aussi du plus petit germe de bonne volonté. Dans les paternels calculs de sa providence, plus souvent que nous ne le pensons, sa miséricorde l'emporte sur la justice. Tel homme, que nous croyons plein de mauvais vouloir, n'est qu'un déséquilibré dont il aura pitié; tel autre, que nous croyons opiniâtre dans le mal, est déjà sourdement travaillé par une grâce qui triomphera au seuil de l'éternité. Que dis-je? S'il faut en croire une grande sainte (sainte Catherine de Sienne, autant que je me le rappelle), la miséricorde divine poursuit le pécheur jusqu'à ce moment suprême de l'agonie, où, suspendu entre la vie et la mort, il ne semble plus appartenir à la terre. Alors, une dernière fois, dans un mystère dont personne ne se doute, le Créateur et Rédempteur des âmes se présente et lui dit : Veux-tu de moi ?
- Hélas ! Il y en a qui répondent : Non.
- Mais combien qui répondent : Oui !
- Sans doute, Dieu voudra qu'ils expient, dans de longs et cruels tourments, la capitulation tardive de leur âme pécheresse...; mais, du moins, ils auront échappé à la damnation éternelle. »
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Notre correspondant a saisi lui-même toute la nuance qui sépare le passage du P. Monsabré de celui que nous avions à examiner dans l'article rappelé. Le P. Monsabré, après avoir proposé les arguments favorables à la thèse du petit nombre des élus, expose ensuite les arguments de la thèse du plus grand nombre, du très grand nombre des élus. Il ne se prononce pas formellement entre les deux, bien qu'il incline visiblement vers la seconde. Comme dernier argument en faveur de la thèse du plus grand nombre des élus, il rappelle l'opinion couramment enseignée de la grâce du dernier moment, et la doctrine de la miséricorde infinie de Dieu qui juge le pécheur en pesant toutes les considérations qui doivent entrer en ligne de compte. Il appuie enfin sa thèse (mais d'une façon dubitative qui laisse suffisamment percevoir la prudence avec laquelle il faut user de l'argument) sur l'affirmation attribuée par lui à sainte Catherine de Sienne.
Reste à savoir si l'apparition de Jésus-Christ à l'âme pécheresse ne symbolise pas ici tout simplement la grâce de conversion offerte au dernier moment et parfois efficace ? S'agirait-il réellement d'une véritable mise en demeure faite par Dieu à l'âme, obligée ainsi d'opter entre le ciel et l'enfer ? Mystère. - Nous avons dit pourquoi nous estimions qu'une pareille mise en demeure nous semble bien improbable, et pourquoi la thèse qui propage cette idée est dangereuse et inexacte.
Le texte du P. Monsabré n'est pas fait pour modifier notre avis sur ce point, et, pour dire toute notre pensée, eh bien ! nous regrettons purement et simplement que, prêchant la bonté et la miséricorde divine, l'illustre orateur se soit servi, même simplement ad abundantiam, d'un argument sans portée doctrinale et d'une interprétation si difficile, alors que tant d'autres bonnes raisons existent et suffisent.
Erreur de croire que les écrits de Sainte Faustine corrobore l'hérésie de la dernière de l'apparition systématique de Jésus aux mourant
le Petit Journal, N°118, Soeur Faustine dit que certaines âmes religieuses sont en enfer pour avoir manqué au silence, elle ne dit pas que ces personnes sont damnées parce qu'elles ont refusé une dernière offre de la miséricorde à leur mort : N°118 J’ai vu beaucoup d’âmes qui étaient dans les gouffres de l’enfer pour n’avoir pas su garder le silence. Elles me l’ont dit elle mêmes, lorsque je les questionnais pour savoir ce qui avait causé leur perte. C’était des âmes religieuses. Mon Dieu, quelle douleur de penser qu’elles pourraient non seulement être au Ciel, mais même être Saintes.
N°119. O Jésus-Miséricorde, je tremble à la pensée de devoir rendre compte de ma langue. Elle peut engendrer la vie, mais aussi causer la mort et nous tuons plus d’une fois avec notre langue.
Au N°1697, Sainte Faustine ne parle pas de la venue de Jésus à l'agonie pour demander à l'âme de choisir mais elle évoque un puissant rayon de la grâce suprême qui éclairerait l'âme.
Sainte Faustine met en avant les miracles de la miséricorde lors des agonies, elle n'enseigne pas qu'une dernière chance de salut sera systématiquement offerte à tous avec la venue de Jésus auprès du mourant.
Le N°810 est relatif à la puissance du chapelet de la miséricorde enseigné par Jésus à Sainte Faustine. Jésus lui demande d'intercéder en faveur des mourants et promet de leur faire miséricorde si on le prie par ce chapelet.
Cela n'a aucun rapport avec l'idée qu'à toutes les agonies Jésus viendrait demander à l'âme si elle persiste dans ses péchés mortels.
Je donne l'extrait du Petit Journal de Soeur Faustine, p.296-297, (édité aux Editions Jules Hovines, 400, avenue Jean Jaurès, 59790 Ronchin, France) :
N°809. Le lendemain après-midi en entrant dans la salle, je vis une personne mourante et j’ai appris que l’agonie avait commencé pendant la nuit. J’ai constaté que c’était au moment où l’on me demandait des prières. Tout à coup, j’entendis dans mon âme une voix : « Dis ce chapelet que Je t’ai enseigné. » Je courus chercher mon rosaire. Et je m’agenouillai près de l’agonisante et je commençai avec toute l’ardeur de mon âme à dire ce chapelet. Soudain la moribonde ouvrit les yeux. Elle me regarda et je n’eus pas le temps d’achever le chapelet qu’elle était morte dans une étrange paix. Je priais ardemment le Seigneur de tenir la promesse qu’Il m’avait faite pour la récitation de ce chapelet. Le Seigneur me fit connaître que cette âme avait reçu la grâce que le Seigneur m’avait promise. Cette âme était la première qui ait obtenu la promesse du Seigneur. Je sentais la force de la miséricorde qui entourait cette âme.
N°810. En rentrant dans ma solitude, j’entendis ces mots : « Je défends chaque âme à l’heure de la mort comme Ma propre gloire. Que l’on récite ce chapelet soi-même,ou bien que d’autres le récitent pour l’agonisant, l’indulgence est la même. Quand on le récite auprès de l’agonisant, la colère divine s’apaise, la miséricorde insondable s’empare de son âme et les profondeurs de Ma miséricorde sont émues par la douloureuse Passion de Mon Fils. »
Oh ! Si l’on pouvait comprendre combien est grande la miséricorde du Seigneur et que nous en avons tous besoin, surtout à cette heure décisive.
N°811. Aujourd’hui j’ai lutté contre les esprits des ténèbres à propos d’une âme. Comme Satan hait terriblement la miséricorde divine, je vois qu’il s’oppose à toute cette œuvre.
N°1697, Petit Journal, p.542 :
Soeur Faustine : J’accompagne souvent les âmes agonisantes et je leur obtiens la confiance en la miséricorde divine. Je supplie Dieu de leur donner toute la grâce divine, qui est toujours victorieuse. Si elle supplie c'est qu'elle n'a pas la conviction que Dieu donne cette grâce à toutes les âmes et à chaque agonie. Là est la différence essentielle avec l'idée que ces grâces sont systématiques.
Continuons avec Soeur Faustine :
La miséricorde divine atteint plus d’une fois le pécheur au dernier moment, d’une manière étrange et mystérieuse : on voit bien qu'il ne s'agit donc pas d'un phénomène qui se produit à chaque agonie, puisqu'elle dit que cela se passe "plus d'une fois". Dire que la miséricorde atteint plus d'une fois les âmes, ce n'est pas dire qu'elle atteint systématiquement, toutes les âmes à toutes les agonies.
Or toute l'hérésie résite dans idée d' automatisation, ce caractère général et systématique des miracles de conversions qui sont parfois opérés par la miséricorde divine.
C'est bien parce que ces grâces à l'agonie ne sont pas universelles et systématiques qu'il est primordial de prier pour les obtenir aux mourants et c'est ce que Jésus enseigne à Sainte Faustine au moyen du chapelet de la miséricorde divine.
L'idée que Jésus se présenterait de toute façon pour proposer d'éviter l'enfer à chaque mourant n'a rien à voir avec ce qu'enseigne les écrits de Sainte Faustine, ni avec ce que l'évangile enseigne.
L'hérésie de la dernière de l'apparition systématique de Jésus aux mourants réouvre la porte du Mérite, invente un salut après l'arrêt cardiaque définitif et après la survenue de l'électroencéphalogramme définitivement plat.
L'hérésie de la dernière de l'apparition systématique de Jésus aux mourants propose un salut de l'âme mérité sans le corps, un salut acquis par l'esprit seul.
L'hérésie de la dernière de l'apparition systématique de Jésus aux mourants contredit l'enseignement de la théologie catholique selon laquelle la porte du mérite (la possibilité de mériter la vie éternelle) se ferme avec la survenue de la mort corporelle.
La thèse de l'Illumination automatique relance l'idée d'un salut qui pourrait se faire, non pas quand l'âme est unie au corps, mais une fois que la personne se trouve en arrêt cardiaque définitif avec un électroencéphalogramme définitivement plat.
Alors que Jésus enseigne qu'il faut vivre les dix commandements si l'on veut entrer dans le Royaume des Cieux, l'illumination enseigne que l'on peut mériter la vie éternelle une fois que l'on a perdu l'usage de son corps, une fois que le corps est allongé, immobile, en arrêt cardiaque définitif avec un électroencéphalogramme définitivement plat.
Le salut se mérite (ou se rejette), de manière habituelle et générale (car la miséricorde divine fait parfois des miracles au dernier moment) par l'action de l'âme unie au corps et non pas quand l'âme a perdu l'usage de son corps et qu'elle ne se trouve réduit à l'état d'esprit séparé de son corps.
L'article du Dictionnaire de Théologie Catholique, sur la Mort, comporte des éléments de nature à nous éclairer :
"Quels sont les Effets de la mort corporelle ?
1° sur le corps
Le corps, séparé de l'âme, doit être livré à la corruption et devenir la proie des vers du tombeau, en attendant la résurrection finale, voir Jacques, 2, 26 et surtout 1 Corinthiens 15,37.
2° sur l'âme
L'âme immortelle est placée par la mort dans l'état de terme, qui exclut désormais tout possibilité de changement de mérite ou de démérite."
La mort est une sorte d'arrêt sur image, on est statufié dans l'état intérieur où la mort nous surprend.
Celui qui était en état de paradis, c'est à dire en état de grâce échappe à l'enfer et va, soit directement au ciel, soit au purgatoire.
Celui qui est suspris par la mort alors que son âme est en état de condamnation intérieure, c'est à dire avec la volonté de commettre au moins un péché mortel, se précipite dans le lieu qui correspond à son état intérieur de haine à l'égard de Dieu, des autres et de lui-même.
[Voir sur ce point précis : Sainte Catherine de Gênes, Traité du Purgatoire, N°8 - L'enfer et le purgatoire font connaître l'admirable sagesse de Dieu :
De même que l'esprit net et purifié ne se connaît aucun lieu de repos sinon Dieu même puisqu'il a été créé à cette fin, de même l'âme pécheresse n'a de place nulle part sinon en enfer puisque Dieu le lui a destiné pour sa fin.
C'est pourquoi au moment même où l'esprit est séparé du corps, l'âme se rend au lieu qui lui est destiné, sans autre guide que la nature même de son péché, au cas où l'âme se détache du corps en état de péché mortel.
Si l'âme ne trouvait pas à ce moment même cette destination qui procède de la justice divine, elle serait dans un enfer pire que l'enfer même. La raison en est que l'âme se trouverait hors de cette disposition divine qui n'est pas sans une part de miséricorde, puisque la peine infligée n' est pas aussi grande qu'elle le mérite. Aussi l'âme, ne trouvant aucun lieu qui lui convienne davantage, ni lui soit moins douloureux, Dieu l'ayant disposé ainsi, elle se jette d'elle-même en enfer puisque c'est sa place. ]
"Sur ce point de la cessation de la possibilité de mériter ou de démériter, examinons ce que dit le dogme et son explication théologique :
1° Le dogme
"Que la voie (préparatoire à la vie future) ne se continue pas au delà du terme de la vie présente, que de l'issue de notre pérégrination terrestre dépende notre état d'immobilité dans la félicité ou la damnation ; qu'enfin on doive considérer comme une hérésie l'origénisme si malencontreusement ressuscité de nos jours par quelques écrivains..., c'est là une vérité que l'Eglise a toujours professée explicitement et expressément ; et, si l'on ne peut en apporter des définitions solennelle, cependant les Pères l'ont explicitement prêchée ou bien ouvertement supposée comme un dogme de la foi catholique." Cardinal Billot, De novissimis, Rome, 1921, question 1, § 2, p. 33.
Cette vérité s'appuie principalement sur :
a) Matthieu, chapitre 25. Le jugement dernier est décrit comme devant avoir pour unique objet les actes de la vie présente, et pour terme la double sentence d'éternelle récompense ou d'éternelle châtiment. Il y aura donc réellement un état immobile, soit de peine, soit de félicité, dépendant intégralement de la fin de notre vie présente.
b) La parabole de Lazare et du mauvais riche, Luc, chapitre 16.
Lazare et le mauvais riche reçurent la récompense due aux actions de leur vie terrestre et sont dans un état qui ne comporte plus de changement ; cf. Verset 26 le mauvais riche supplie Abraham d'envoyer quelqu'un à ses frères pour les exhorter à une pénitence que lui ne peut plus faire.
c) Les graves avertissements du Christ :
- briser tout attachement et toute habitude scandaleuse, Matthieu, 18, 8-9 ; Marc, 9, 42-47.
-se renoncer à soi-même et prendre sa croix, Luc 14, 27.
- veiller et prier dans la continuelle attente du dernier jour, Matthieu, 24, 42-44, afin de ne pas être surpris dans la débauche, l'ébriété et les soucis de ce siècle et de ne pas encourir pour son âme un éternel dommage, Luc., XXI, 34. Tout cela, en effet, suppose clairement que l'instant de la mort est décisif, et qu'il devient ensuite impossible à l'homme de mériter ou de démériter, de faire pénitence de ses fautes ou, à l'inverse, de perdre la grâce de Dieu.
- 2 Cor., 5, 10 : « Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû à ses bonnes œuvres ou à ses mauvaises actions, pendant qu'il était revêtu de son corps. Notre état futur dérive de ce jugement. Mais ce jugement aura pour objet unique les actions de la vie présente, les actions que nous aurons accomplies quand notre âme était unie au corps, ut referat unusquisque propria corporis. Cette pensée fondamentale éclaire d'autres assertions de saint Paul : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut », id. VI, 2. Et encore : « Pendant que nous en avons le temps, faisons du bien », Gal., VI, 10. Et encore : « Exhortez-vous chaque jour les uns les autres pendant le temps qui s'appelle aujourd'hui, de peur que quelqu'un de vous ne s'endurcisse par la séduction du péché. » Heb., III, 13. Le terme « aujourd'hui », emprunté au ps. XCIV, désigne ici la durée de la vie terrestre de l'homme. En sorte que le sens est clair : « Exhortez-vous... tant que Dieu vous accorde le « jour » de la présente vie, et avant que ne tombe sur vous la nuit de la mort, dans laquelle il devient impossible de travailler pour le ciel, etc. »
- Jean, 5, 25-29. On distingue ici deux temps où la voix du Fils de Dieu se fera entendre. Le premier temps est le temps de la vie présente : « L'heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu. » 25. Il s'agit ici des morts spirituels par le péché. La voix du Fils de Dieu se fait entendre à eux, afin qu'ils ressuscitent spirituellement, « et ceux qui l'auront entendue, vivront », id.: la voix dirige son appel vers beaucoup de morts, mais tous ne l'entendent pas, c'est-à-dire n'y répondent pas. L'autre temps est celui de la consommation des siècles. De ce temps il est écrit : « L'heure vient (Mais ce n'est pas celle qui est déjà venue) où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la Voix du Fils de Dieu » V. 28. Il s'agit ici de ceux qui sont morts à la vie du corps. Mais la voix du Fils ne se fera plus entendre pour exciter leur libre arbitre vers le bien, et il n'y a plus place pour la distinction précédemment établie entre ceux qui répondent et ceux qui ne répondent pas à l'appel du Fils de Dieu. Il s'agira uniquement d'appeler au jugement les hommes ressuscités. « Et ceux qui auront fait le bien (pendant le temps de leur vie mortelle) sortiront des tombeaux pour la résurrection de la vie, mais ceux qui auront mal fait, pour la résurrection du jugement (qui confirmera leur damnation). » V, 29. Cf. Billot, loc. cit., p. 33-42.
L'Ancien Testament fournit plusieurs textes où se trouve exprimée la même vérité. Chr. Pesch, Prælectiones, t. IX, n. 572, cite Eccl., IX, 10; Eccli., IV, 33; XIV, 13; XVII, 26; XVIII, 22. Coll. XI, 22 sq.
C'est d'ordinaire en commentant Joa., lx, 4, venit nox quando nemo potest operari, que les Pères proclament la foi catholique. L'auteur de la IIaClementis, VIII, 2; Origène, In ps. XXXVI, homil. III, P. G., t. XII, col. 1346; In Levit., homil. III, n. 4; id., col. 429; S. Cyprien, De lapsis, c. XXIX, Hartel, t. III, p. 258; S. Hilaire, In ps. XLI, n. 23, P. L., t. IX, col. 323; S. Jean Chrysostome, In Joannem, homil. LVI, P. G., t. LIX, col. 309 : S. Cyrille d'Alexandrie, In Joannem, l. VI, P. G., t. LXXIII, col. 959; S. Augustin, Enchiridion, c. CX, P. L., t. XL, col. 283; In Joannem, tract. XLIV, n. 5-6, P. L., t. XXXV, col. 1715-1716; S. Grégoire le Grand, In Evang., homil. XIII, P. L., t. LXXVI, col. 1127.
L'Église n'a pas formulé sur ce point de définition solennelle. Léon X a condamné la proposition suivante de Luther (prop. 38) :Animæ in purgatorio non sunt securæ de earum salute, saltem omnes : nec probatum est ullis aut rationibus aut Scripturis, ipsas esse extra statum merendi vel augendæ caritatis, Denzinger-Bannwart, n. 778; et le concile du Vatican se proposait de promulguer cette définition dogmatique : Post mortem quæ est viæ nostræ terminus, illico omnes manifestari nos oportet ante tribunal Christi, ut referat unusquisque propria corporis prout gessit, sive bonum, sive malum (II Cor., V, 10); neque ullus post hanc mortalem vitam relinquitur locus pænitentiæ ad justificationem. Mansi-Petit, Concil., t. LIII, col. 175.
2. Explication théologique. — Les théologiens enseignent unanimement cette doctrine. Cf. Suarez, De gratia, l. XII, c. XV; De angelis, l. VI, c. IV, n. 9 sq.; Ripalda, De ente supernaturali, disp. LXXVII, sect. 1 sq. Tous professent même que la raison dernière du terme imposé par la mort à l'état de voie, est la volonté souveraine de Dieu, qui, absolument parlant, aurait pu faire qu'après la mort l'homme pût encore mériter, ou qu'avant la mort fût déjà fixé un terme au mérite ou démérite possible. Mais, à ne consulter que l'ordre de la sagesse divine, l'instant de la mort parait très convenablement choisi pour fixer le terme de la voie, tant au point de vue du sujet, qui, à ce moment là, se trouvant privé du corps, cesse d'être principe total d'activité, qu'au point de vue de la sanction morale nécessaire dès l'entrée en l'autre vie.
Lorsqu'il s'agit de donner la raison prochaine de l'état de terme, dans lequel le changement moral, le mérite et le démérite sont devenus impossibles, les théologiens ne sont plus d'accord. Les thomistes font procéder la fixité des volontés humaines dans le bien ou dans le mal après la mort des lois psychologiques qui régleront, indépendamment même de l'état de béatitude surnaturelle ou de damnation, la connaissance et l'amour des âmes séparées. A l'instant de la mort sera fait par l'âme le choix de sa fin dernière, ou plutôt l'âme sera fixée dans le choix qu'elle se sera librement déterminé avant la mort : à l'instant de la mort, « notre âme change de mode de connaissance. Le corps n'étant plus là pour lui fournir les images et les émotions sensibles qui pendant cette vie éveillent, précisent, rectifient ou pervertissent nos idées et nos inclinations volontaires, elle reçoit directement, du même influx divin qui la soutient dans l'être, l'ensemble des idées qu'appelle l'état actuel de son intelligence, état individuellement déterminé par le résultat dernier de toute l'expérience de sa vie terrestre et consacré par son acte suprême d'acceptation ou de refus de l'autorité du Père céleste ». Hugueny, O. P., Critique et catholique, t. III, p. 337. Cf. S. Thomas, Cont. Gentes, l. IV, c. XCV; De veritate, q. XXIV, a. 1; le commentaire de Sylvestre de Ferrare sur la Somme contre les Gentils, loc. cit.; Bellarmin, De gratia, l. V, c. XIV. Billot a développé cette preuve dans De personali et originali peccato, Rome, 1924, th. VII, § 2, et dans La Providence de Dieu et le nombre infini d'hommes en dehors de la voie normale du salut,
col. 2495-96
IX, Catégorie des adultes, pour lesquels il n'est plus de milieu entre le ciel et l'enfer, dans Études, 1923, t. CLXXVI, p. 385-408.
Beaucoup de théologiens, en dehors de l'école de saint Thomas, n'estiment pas philosophiquement évidente ou même simplement probable la raison psychologique apportée par les thomistes. Les uns confessent leur ignorance à ce sujet. Cf. B. Romeyer, art. Ame, dans le Dictionnaire pratique des connaissances religieuses, t. I, col. 204. D'autres, tout au moins pour les damnés et pour les élus, recourent à des raisons extrinsèques : fixation de l'âme dans le vrai et le bien surnaturels par la vision intuitive; obstination des damnés dans le mal par la soustraction de toute grâce, et par le désespoir dans lequel la connaissance de leurs fautes les plonge. Suarez, De angelis, l. III, c. X; 1. VIII, c. X, n. 18; c. XI, n. 5 sq. Voir Chr. Pesch, op. cit., n. 574-575; 669-670. Ces raisons extrinsèques et d'ordre surnaturel sont d'ailleurs acceptées par les thomistes à la suite de saint Thomas; voir par exemple, pour les damnés, De veritate, q. XXIV, a. 10; De malo, q. XVI, a. 5.
[voir aussi question 93 volonté des méchants immuablement fixée dans le mal à leur mort]
(cf. Dictionnaire de Théologie Catholique, article Mort, col. 2492-2500).
Les conversions à l'agonie sont l'exception et non la règle générale (conversions in extremis)
La vie des Saints et des mystiques comportent de nombreux récits de sauvetage de dernière minute de personnes qui apparemment avaient fait ce qu'il fallait pour se damner et, qui, pourtant, sont arrachées à la damnation éternelle par la miséricorde divine.
Gloire à Dieu pour ces miracles de la miséricorde mais c'est une erreur de faire croire que, du fait de l'existence de ces miracles, ces miracles existeraient toujours et pour tous.
Il arrive parfois que Dieu fasse des miracles mais les miracles n'en deviennent pas pour autant la règle générale.
La règle générale est que le temps de la miséricorde est sur terre, tant que nous sommes en vie.
La règle générale est qu'une âme en état de péché mortel s'autocondamne à l'enfer éternel si elle est surprise par la mort.
L 'exception est que, par un miracle de la miséricorde divine, et par exception, des personnes ayant fait le choix apparent de vivre dans un ou plusieurs péchés mortels, sont miraculeusement retournées et finalement obtiennent le pardon de leurs fautes lors de leurs agonies et échappent à l'enfer.
Selon les partisans de l'apparition de Jésus à la mort (grande illumination à la mort), les conversions in extremis deviendraient la règle générale, cette illumination serait systématique, nous aurions tous droit à une double visite de Jésus avant le jugement particulier, pour choisir ou non l'enfer en toute connaissance de cause.
Les Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède indiquent que le mythe de l'apparition systématique de Jésus à la mort est une hérésie.
Les Révélations Célestes de Sainte Brigitte de Suède, grande mystique catholique, sont approuvées par trois papes et le concile de Bâle.
Jésus a favorisé sainte Brigitte de la vision de plusieurs jugements particuliers pour faire connaitre aux hommes comment les âmes faisaient le choix de leur destinée éternelle (en particulier dans le livre 6 des Révélations Célestes).
Jamais il n'est fait mention de la pseudo apparition de Jésus lors de l'agonie de l'âme. Jamais, les damnés le sont pour avoir "choisi l'enfer" lors de cette soit disant dernière proposition faite par Jésus.
Au contraire, il est clairement expliqué que le choix dépend des actes qu'ils ont posés durant leur existence terrestre, alors que leur âme pouvait utiliser et mouvoir leur corps.
Le père Getino, dominicain espagnol, condamnée en 1936
L'Ami du Clergé, 1936, la condamnation par le Saint Office de la double thèse du père Getino (mitigation des peines de l'enfer et illumination à la mort) p.345 :
« Le 5 mars 1936, le Saint-Office inscrivait dans l'Index des livres prohibés le livre de Luis G. Alonso Getino, Del gran numero de los que se salvan y de la mitigación de las penas eternas (Madrid, f.e.d.a., 1934).
Le 6 mars 1936, l'Osservatore Romano commentait ainsi cette mise à l'Index :
« Cette condamnation mérite qu'on y attache une importance particulière et qu'on la signale tout de suite à l'attention des fidèles pour le tort très grave que pourrait leur causer la lecture du livre en question.
Dans ladite publication, en effet, on s'inspire d'idées mises en vogue depuis quelque temps, surtout par des théologiens protestants ; en s'appuyant sur des arguments spécieux et des interprétations arbitraires de textes de la sainte Écriture et en citant certaines phrases prononcées par quelques Pères et Docteurs, on attaque à fond la claire et précise doctrine traditionnelle catholique sur l'éternité et la nature des peines de l'Enfer.
Et comme si cela ne suffisait pas, on défend en outre, ex professo, dans ledit volume, une étrange théorie concernant une prétendue illumination spéciale que les âmes humaines recevraient de Dieu au moment de leur séparation du corps, et grâce à laquelle elles se convertiraient intimement et parfaitement au Créateur et seraient ainsi justifiées et sauvées. Il n'est pas nécessaire, certes, de beaucoup de paroles pour faire comprendre combien grave est le danger caché sous ces théories qui, non seulement n'ont aucun fondement dans la Révélation, mais sont même en contradiction avec elle et avec le sentiment commun de l'Église.»
La thèse de l'illumination lors de la mort est bien condamnée,µla condamnation infligée ne concerne pas que la mitigation des peines de l'enfer mais aussi cette idée d'illumination, pour tous, à la mort.µ
L'Ami du clergé, 1923, p.726, : Nous ne sommes absolument certains de la damnation de personne, hormis celle de Judas.
L'Ami du Clergé, 1923, p.229, Anne-Maria Taïgi qui voyait les pécheurs tomber en enfer aussi pressés que les flocons de neige en hiver
L'Ami du Clergé, 1923, p.230,
L'Ami du Clergé, 1924, p.168-169-170
L'Ami du Clergé, 1931, p.508, p.509, p.510, p.511
L'Ami du Clergé, 1936, p.645
L'Ami du Clergé, 1953, 659-662
L'Ami du Clergé, 1923, p.91, p.92,
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