Le monde selon les Évangiles –

Le monde selon les Évangiles –

Texte du Jésuite français Jean- Nicolas Grou – 18 eme siècle


Qu`est-ce que le monde et que doit-il être a un chrétien? Deux questions bien intéressantes pour quiconque veut être tout à fait à Dieu, et mettre son salut en sureté.

Qu`est-ce que le monde? C`est l`ennemi  de Jésus-Christ, c`est l`ennemi de l`Évangile. C`est cet assemblage de personnes qui, attachées aux choses matérielles et y mettent leur bonheur, ont en horreur la pauvreté, les souffrances, les humiliations et les regardent comme de véritables maux qu`il faut fuir, et dont il faut se garantir à tout prix; qui font au contraire, le plus grand cas des richesses, des plaisirs, des honneurs; qui les tiennent pour les véritables biens; qui les désirent, les poursuivent avec une ardeur extrême, sans aucun choix sur les moyens; qui se les disputent; se les envies, se les arrachent les uns aux autres; qui ne se considèrent ou se méprisent en autant qu`ils en ont; qui fondent en un mot, sur la jouissance et l`acquisition de ses biens tous leurs principes, toute leur morale, tout le plan de leur conduite.

L`esprit du monde est donc  évidemment opposé à l`esprit de Jésus-Christ et de l`Évangile. Jésus-Christ et le monde se condamne, se réprouvent réciproquement. Jésus-Christ, dans sa prière pour ses élus, déclare qu`il ne prie pas pour le monde (Jean 17,9) ; il annonce a ses Apôtres et, dans leur personne, a tous les chrétiens, que le monde les haïra, les persécutera, comme il l`a haï et persécuté lui-même. Il veut qu`à leur tout, ils fassent une guerre continuelle au monde.

Dans les premiers siècles de l`Église, ou presque tous les chrétiens étaient saints, et le reste des hommes plongés dans l`idolâtrie, il était facile de faire le discernement du monde, et de connaitre ceux qu`on pouvait fréquenter, et ceux qu`on devait éviter. Le monde ouvertement déchainé alors contre Jésus-Christ se distinguait à des marques non équivoques.  Depuis que des nations entières ont embrassés l`Évangile et que le relâchement s`est introduit parmi les chrétiens, il s`est formé peu à peu au milieu d`eux un monde ou règne tous les vices de l`idolâtrie, un monde avide d`honneurs, de plaisirs, de richesses, un monde dont les maximes combattent directement les maximes de Jésus-Christ. Mais comme ce monde professe extérieurement le christianisme, le discernement en est devenu plus difficile. Le commerce en est devenu aussi plus dangereux, parce qu`il déguise sa mauvaise doctrine avec plus d`adresse, qu`il la sème avec plus de ménagement, qu`il met en usage toute sa subtilité pour la concilier avec la doctrine chrétienne et que, dans ce dessein, il affaiblit, il adoucit tant la sainte rigueur de l`Évangile et, d`un côté, il cache avec soin tout le venin de sa morale.


De là un danger de séduction d`autant plus grand, qu`on ne l`aperçoit pas et qu`on n`est pas en garde contre lui; de là un certain esprit de composition et d`accommodement, par lequel on tache d`accorder la sévérité chrétienne avec les maximes du monde sur l`ambition, sur la cupidité, sur la jouissance des plaisirs; accord impossible, tempéraments qui aboutissent a flatter la nature humaine, à altérer la sainteté chrétienne et à former de fausses consciences.

Si l`on veut vivre ici-bas sans participer a la corruption du siècle, il n`y a qu`un parti a prendre qui est de rompre absolument avec le monde par le cœur et d`entrer dans les sentiments de St-Paul qui disait : « Le monde est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde.» (Galates 6,14) Oh les belles paroles! Et que le sens qu`elles renferment est profond!  La croix était autrefois le supplice le plus infâme, le supplice des esclaves. Lors donc que l`Apôtre dit que le monde est crucifié pour lui, c`est comme s`il disait : « J`ai pour le monde le même mépris, la même aversion, la même horreur que pour un vil esclave mis en croix pour ses crimes : je ne puis en soutenir la vue, il est pour moi un objet de malédiction, avec lequel toute liaison, tout commerce, tout rapport me sont  interdits».

Il n`y a rien d`outré, rien que de juste et de légitime, dans ce sentiment de St-Paul qui doit être celui de tout chrétien. Et la raison en est évidente. Le monde a crucifié Jésus-Christ, après l`avoir condamné, insulté, outragé.  Il le crucifie encore tous les jours. Il est donc juste que le disciple ait en horreur l`ennemi capital de son maitre, de son Sauveur, de son Dieu. Aussi le renoncement au monde est-il une des promesses les plus solennelles du baptême, une condition essentielle sans laquelle l`Église ne nous eut pas admis parmi ses enfants. Pense t`on a cette promesse? Pense-t-on aux obligations qu`elle renferme?

Le renoncement su chrétien a l`égard du monde doit aller aussi loin que le renoncement du monde à l`égard de Jésus-Christ.  Cette règle est claire et l`on ne saurait se tromper  a cette mesure.  Il n`y a plus qu`a faire l`application et là le faire dans toute son étendue. Le monde a son évangile. Il n`y a qu`à le prendre d`une main et l`Évangile de Jésus-Christ de l`autre. Il n`y a qu`a comparer sur les mêmes objets leur doctrine et leurs exemples : il n`y a qu`a opposer Jésus-Christ en croix, dans la souffrance, dans l`opprobre, dans la nudité au monde entouré et enivré d``honneurs, de richesses et de plaisirs, et se dire a soi-même : « a qui suis-je? A qui veux-je être? Voilà deux ennemis irréconciliables qui se font la plus cruelle des guerres.  Pour qui veux-je me déclarer?

Il m`est impossible d`être neutre ou de prendre parti pour les deux. Si je choisi Jésus-Christ et sa croix, le monde me réprouve.  Si je m`attache au monde et a ses gloires, Jésus-Christ me rejette et me condamne. Y a-t-il à balancer?

Est-on chrétien si on hésite un instant?  Mais si on se range sous l`étendard de la croix, n`est-il pas évident que le monde devient un ennemi avec lequel il ne faut faire ni paix, ni trêve? Que cela va loin encore si les chrétiens comprenaient la grandeur de leur engagement!
Il ne suffit pas que le monde soit crucifié pour nous, il faut consentir  encore à être nous-même crucifiés pour le monde, c`est -a-dire que le monde nous crucifie comme il a crucifié Jésus-Christ; qu`il nous fasse la même guerre qu`il a faite a Jésus-Christ, qu`il nous poursuive, qu`il nous calomnie, qu`il nous outrage avec la même fureur; qu`il nous ravisse enfin les biens, l`honneur, la vie même.  Et non seulement il faut consentir à tous ces sacrifices, plutôt que de renoncer a la sainteté chrétienne, mais il faut s`en faire un sujet de joie et de triomphe. Il faut que le disciple se glorifie d`être traité comme son maitre.

«S`ils m`ont persécuté, disait Jésus-Christ a ses apôtres, ils vous persécuteront aussi.» (Jean 15,20) La chose est immanquable. Le monde ne serait pas ce qu`il est , ou les chrétiens ne seraient pas ce qu`ils doivent être, s`ils échappaient a la persécution du monde.

Nous cherchons souvent a nous rassurer sur notre état.  Nous voudrions savoir si nous sommes agréables a Dieu, si Jésus-Christ nous reconnais pour sien.  Voici un moyen bien propre a nous éclairer et a fixer toutes nos inquiétudes : voyons si le monde nous estime, nous considère, s`il parle bien de nous, s`il nous recherche. Si cela est; nous ne sommes point a Jésus-Christ. Au contraire, s`il nous censure, s`il nous raille, s`il nous méprise, s`il nous calomnie, s`il nous fuit, s`il nous méprise et nous hait, oh! Le grand motif de consolation. Oh1 la grande raison de croire que nous appartenons à Jésus-Christ!

Voyons donc une bonne fois ce que le monde est par rapport a nous et ce que nous sommes par rapport au monde.  Sondons nos dispositions intérieures, étudions les sentiments les plus profonds de notre cœur. Nous y trouverons surement de quoi nous humilier et nous confondre; nous trouverons que les maximes du monde ont laissés de profondes traces dans notre esprit et qu`en bien des rencontres délicates  nos jugements se rapprochent encore des siens.

Nous trouverons que nous sommes jaloux de son estime, et que nous redoutons ses mépris; nous sommes bien aise de cultiver et d`entretenir certaines liaisons, et que nous verrions avec peine qu`on se retirât de nous; que nous avons en plusieurs occasions des ménagements, des égards, des respects humains qui nous gênent, nous resserrent, et nous tienne dans une espèce de contrainte de dissimulation. Nous trouverons en  un mot que nous ne sommes pas assez déclarés pour Jésus-Christ et contre le monde. (pas complètement sous son drapeau)

Mais ne nous décourageons pas. Triompher pleinement du monde, le braver, le mépriser, trouver bon qu`a son tour il nous brave et nous méprise, n`est pas l`ouvrage d`un moment.  Exerçons-nous dans les petites occasions qui se présentent. Si Dieu nous aime, il ne nous laissera jamais en manquer et, par les petites victoires, préparons-nous aux grands combats. Rappelons-nous au besoin, ces paroles de Jésus-Christ : « Ayez confiance, j`ai vaincu le monde.» ( Jean 16,33).[/b]

Le fait que ce texte a été écrit par un Jésuite m’a rappelé une citation de Saint Ignace de Loyola qui ne s’éloigne pas beaucoup de ce que l'auteur du texte a dit.  Il a dit :

"L'homme est créé pour louer, honorer et servir Dieu, notre Seigneur, et, par ce moyen, sauver son âme. Et les autres choses qui sont dans le monde  sont créées à cause de l'homme et pour l'aider dans la poursuite de la fin que Dieu lui a marquée en le créant. D'où il suit qu'il doit en faire usage autant qu'elles le conduisent vers sa fin, et qu'il doit s'en dégager autant qu'elles l'en détournent. Pour cela, il est nécessaire de nous rendre indifférents à l'égard de tous les objets créés, en tout ce qui est laissé au choix de notre libre arbitre et ne lui est pas défendu; en sorte que, de notre côté, nous ne voulions pas plus la santé que la maladie, les richesses que la pauvreté, l'honneur que le mépris, une longue vie qu'une vie courte, et ainsi de tout le reste; désirant et choisissant uniquement ce qui nous conduit plus sûrement à la fin pour laquelle nous sommes créés."

Il est aussi écrit dans la première épitre de Saint Jean:

"N'aimez point le monde, ni ce qui est dans le monde. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde, la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux, et l'orgueil de la vie, ne vient point du Père, mais du monde. Le monde passe, et sa concupiscence aussi; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement." (1 Jean 2, 15-17 )

Ainsi,  pour avoir l’Amour du Père et la Vie Eternelle, nous devons haïr le monde avec son amour et ses concupiscences. Et d’un autre coté Notre Seigneur nous dit d'aimer nos ennemis (Matthieu 5,44), l’évangile selon saint Jean dit " Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais ait la vie éternelle" (Jean 3, 16) et Jésus a dit " Comme mon Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie." (Jean 20,21), " Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups: soyez donc prudents comme les serpents, et simples comme les colombes." (Matthieu 10,16) : à la  suite de Notre Seigneur Jésus et pour continuer sa mission, Dieu nous envoie encore dans son Église vers le monde pour l’aimé avec l’Amour Chrétien  qui cherche avant tout à chercher et  à partager les  biens spirituels pour la gloire de Dieu et le salut éternel des âmes. En bref, nous devons haïr le monde avec son amour et l’aimé avec l’Amour Chrétien. Et comme le texte a dit, dans ce devoir qui n'est pas facile, nous sommes réconfortés par les paroles du Seigneur qui nous dit  "Ayez confiance, j'ai vaincu le monde." (Jean 16,33) Et l’épitre de Saint Jean dit encore : "Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde". (1 Jean 4,5).