Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
Page 1 sur 1
Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
Tableau poétique des fêtes chrétiennes ( Images et Musique chrétienne)
Année 1843 Vicomte Walsh ( Extraits)
Si l`homme fut resté obéissant aux commandements de Dieu, toutes ses journées eussent été des jours de fête. Placé par le Créateur dans un jardin de délices, sans qu`une pensée de tristesse et d`inquiétude put seulement approcher de son âme, assez supérieur à toutes les autres créatures terrestres pour leur commander en roi, presque l`égal des Anges et assez pur pour converser avec Dieu lui-même, Adam dans les Jardins d`Éden, n`aurait eu qu`une longue fête ; fête qui n`aurait fini que pour les éternelles fêtes du Ciel, auxquelles l`homme serait parvenu sans passer par la mort.
Ces destinées si heureuses ont été cruellement changées. Le péché est venu avec sa longue suite de douleurs..
Et quand Satan regarde ce que nous sommes aujourd`hui, enfants déchus d`Adam, et ce qu`a été notre premier père ; quand il compare notre vallée de larmes avec le lieu de délices que Dieu avait créé pour être notre patrie ; quand il oppose aux sérénités, aux quiétudes, aux félicités du Paradis terrestre, les histoires, les tristesses, les adversités qui sont devenus notre héritage. Oh! alors l`ange déchu doit ressentir une grande joie car il peut se dire « j`ai détruit un bonheur immense!»
Chassé d`Éden par l`Ange du Seigneur, l`homme fut condamné à manger son pain à la sueur de son front. Et ce pain gagné par le travail, il l`arrose encore bien souvent de ses larmes ; déchu de la royauté que Dieu lui avait faite, il est devenu humble et faible comme un exilé. Et si sur le long et dur chemin de la terre du bannissement, il n`avait pas quelque frais lieux de repos ; si à son travail.il n`avait pas quelque répit ; si à ses douleurs il n`avait pas quelques allègements, ce serait à ne plus vouloir de la vie, et dès les premières bornes de la route, il se coucherait pour mourir.
Mais la justice de Dieu ayant puni le coupable par l`exil d`Éden, sa bonté s`est tout de suite retrouvée en-dehors du Paradis terrestre pour reprendre l`homme par la main et l`empêcher de reculer d`effroi devant les nouvelles et tristes voies qui lui étaient ouvertes. Si nos premiers parents en ce moment terrible avaient été livrés à eux-mêmes ; ils se seraient irrités contre la sentence du bannissement ; ils auraient maudit celui qui, après les avoir créés pour tant de bonheur, leur commandait de vivre pour tant de désolation.
Il n`en fut point ainsi : Dieu, en punissant Adam et Ève de leur désobéissance, leur laissa dans l`âme un profond souvenir de lui, une pensée de reconnaissance et d`adoration.
Aussi le premier monument que les proscrits élevèrent quand ils prirent possession de la vallée de larmes, ce fut un autel.
Eh bien le premier jour ou, sur ce premier autel, fut offert au Seigneur de toutes choses le premier sacrifice a été la première fête religieuse. C`est là le premier anneau de cette longue chaine sacrée qui lie la terre au Ciel ; c`est là l`origine des saintes solennités que nous fêtons.
Certes il y a loin entre l`autel rustique d`Abel et le magnifique temple créé par Michel-Ange ; mais une seule et même pensée, une pensée d`adoration, les a élevés tous les deux. C`est l`histoire de toutes ces fêtes que la religion a établies pour le consoler que nous allons entreprendre d`écrire. Cette histoire veut être racontée plus avec le cœur qu'avec l’esprit ; c'est donc avec le cœur que nous la redirons. D'autres, plus doctes et plus habiles que nous, chercheront à vous en expliquer les mystérieuses cérémonies ; nous, nous ne vous en ferons voir que le but salutaire et les poétiques beautés ;d'autres plus saints toucheront au tabernacle ; nous, nous ne vous signalerons que la magnificence du temple. Le génie à la fois grave et tendre du catholicisme seretrouve tout entier dans ses fêtes, qui rappellent, dans leur cours annuel, des souvenirs de puissance et de bonté.
Tantôt la journée qu'il solennise rappelle un souvenir de puissance, tantôt un souvenir de bonté : ici , c'est l'Enfant-Dieu dans sa crèche ; là , c'est le Sauveur dans sa gloire, apparaissant sur le Thabor, entre Elie et Moïse, ou montant vers le ciel après avoir brisé la pierre du tombeau : aujourd'hui , c'est le nom de Dieu lui-même que célèbre l'Église; demain c'est celui de Marie : au printemps, parmi toutes les fleurs de la nature, la Fête- Dieu; en automne, parmi les feuilles qui tombent et les vents qui s'élèvent, la Toussaint et le jour des Morts.
Table des matières
1. Le Dimanche
2. L`Avent
3. Noel
4. La fête des St-Innocents
5. Fête de la Circoncision du Seigneur
6. L`Épiphanie ou le jour des Rois-Mages
7. La Purification ou la Chandeleur
8. Le Carême
9. Le Dimanche de la Passion
10. Le Dimanche de Rameaux
11. La Semaine Sainte
12. Jeudi Saint
13. Vendredi Saint
14. Samedi Saint
15. Pâques
16. L`Annonciation de la St-Vierge
17. Recouvrement de la St-Croix
18. Les Rogations
19. L`Ascension
20. La Pentecôte
21. La Trinité
22. La Fête-Dieu
23. La Fête de St-Jean Baptiste
24. St-Pierre et St-Paul
25. La Visitation
26. L`Assomption
27. La St-Louis – Roi de France
28. La Nativité de la St-Vierge
29. Les Saints Anges
30. St-Denis et ses compagnons
31. La Toussaint
32. Le Jour des Morts
33. La Dédicace de l`Église
34. L`Immaculée Conception
35. St-Geneviève
1 - Le Dimanche
Pour honorer le jour de la Résurrection de leur divin maitre, les apôtres ont établis que le jour de sanctification des chrétiens serait le Dimanche, le premier jour de la semaine selon les Hébreux, et le jour consacré au soleil pour les païens.
St-Barnabé écrit dans son Épitre : « Nous célébrons ce jour dans la joie, en mémoire de la Résurrection de Notre-Seigneur, parce que c`est ce jour-là qu`il est sortie du tombeau.» St-Ignace le martyr, dans sa lettre aux Magnésiens « veut que nous honorions le jour du Seigneur ; ce jour de la Résurrection, le plus beau, le plus excellent des jours !»
St-Justin dit que les Chrétiens s`assemblaient aussi parce que c`était le jour de la Création du Monde(Genèse). St-Irénée, Tertullien, Origène, parlent de même.
St-Justin, amené devant Marc-Aurèle (empereur romain) et marchant au martyre, révèle à l`empereur païen l`excellence du Dimanche.
« Au Jour du Seigneur, que les païens appellent jour du Soleil, nos frères des villes et des campagnes s`assemblent dans un même lieu ; on y lit les écrits des Apôtres, ou les livres des Prophètes. La lecture finie, celui qui préside l`assemblée prend la parole et exhorte les assistants à pratiquer les maximes qu`ils viennent d`entendre ; tous se lève pour ensuite prier, après quoi on offre le pain et le vin et l`eau, que l`on distribue aux fidèles. Après la consécration et les actions de grâce, avant de se séparer, ceux qui peuvent contribuer au soulagement des pauvres et à la délivrance des captifs déposent leurs dons volontaires. Nous avons choisi le Dimanche pour nous assembler, parce que c`est le premier jour de la création du monde et celui ou Notre-Seigneur Jésus-Christ est ressuscité des morts.»
Quoi de plus pur, de meilleur, de plus saint que ce dimanche primitif ? S'assembler comme des frères pour s'aimer chaque jour davantage, manger le même pain sacré,
à la même table sainte , louer Dieu ensemble , ensemble secourir les pauvres, consoler les affligés, racheter les captifs, se fortifier les uns les autres contre les persécutions en lisant les actes des apôtres et des martyrs, élever son âme avec la poésie des prophètes, n'avoir qu'un cœur et qu'un esprit : quelle admirable manière de sanctifier
le jour du Seigneur.
Dès l'origine du dimanche, nous voyons comme ce jour de prière et de repos est propre à élever l'âme, loin des soucis de la terre. Saint Jean, exilé, par l'empereur Domitien
, dans l'île de Pathmos, nous apprend que c'est le Jour du Seigneur que l'esprit de Dieu l'a ravi dans les hauteurs des cieux, pour lui révéler ce que l'œil n'avait jamais vu, ce que l'oreille n'avait jamais entendu, et ce que le cœur de l'homme n'avait jamais conçu !
Aussi l'utilité spirituelle du dimanche fut sentie dès les premiers jours du christianisme ; il n'y avait que vingt-cinq ans que Jésus-Christ était ressuscité, et tous les apôtres, hors saint Jacques le Majeur, étaient encore vivants, lorsque saint Paul passant par la Troade pour se rendre à Jérusalem, les fidèles s'assemblèrent le premier jour de la semaine, le jour du Seigneur, pour rompre le pain avec lui. Dans cette assemblée saint Paul prêcha, et y ressuscita un mort.
Le grand Constantin, (premier empereur romain à se convertir à la foi chrétienne) ayant vaincu par la croix, fit une loi pour que le dimanche fût célébré dans tout l'empire romain ; il voulut que son édit eût toute sa force dans ses armées ; soldat, il savait que les soldats puisent du courage dans la religion, et il commanda que le jour du Seigneur on priât et on se reposât dans les camps. Vers la fin du règne de Constance Chlore, fils et successeur de ce prince, le concile de Laodicée renouvela l'ordre de chômer le dimanche.
Certes, l'homme qui a travaillé pendant six jours pour gagner son pain et celui de sa famille, a besoin d'un jour de repos ; mais ce repos, le trouvera-t-il dans le tumulte
et dans l'agitation? Le voyageur fatigué s'assied à l'ombre des arbres qui bordent le chemin ; l'homme qui veut reprendre de la force sur la route si souvent mauvaise
de la vie, va se mettre à l'ombre de l'autel . Il y serait seul, qu’il y puiserait déjà beaucoup de soulagement et de quiétude ; mais à jour fixe, au jour du dimanche, il y
trouvera toute la famille assemblée , et ce sera avec son père et sa mère , avec son frère et sa sœur, avec sa femme et ses enfants, qu'il se délassera; semblable repos ne
vaut-il pas mieux que tous les autres?
Dans cette assemblée des fidèles d'une même ville, sous le rapport purement humain, il y a un grand avantage : ces saintes réunions apprennent à la famille à se connaître.
Tels hommes qui ne se rencontreraient jamais se trouvent ensemble une fois tous les huit jours, sous les regards du Dieu qui lit dans les cœurs. S'il y a au fond de l'âme de
ces chrétiens, qui doivent se voir au pied des autels, quelques pensées de rancune et de haine, cette haine et cette rancune , comme de mauvais esprits , abandonneront le
cœur qui les avait accueillies , elles s'enfuiront pour ne pas paraître devant celui qui chasse les démons. N'en doutons pas, bien des hommes qui se seraient détestés
toute leur vie, apprennent à ne plus se haïr en priant ensemble ; appelant Dieu notre Père, ils sont forcés de prendre entre eux des sentiments fraternels.
Ainsi, sous les rapports de société et de paix, la célébration du dimanche est utile et désirable, et des législateurs ont dit : « Que si le jour du Seigneur n'était pas
d'institution divine , il faudrait l'inventer , comme un des plus sûrs moyens de maintenir l'ordre parmi les hommes. »
Semblable résultat est bon à atteindre ; mais ce n'est pas là la seule, la première pensée qui a fait instituer et rendre obligatoire la sanctification du dimanche. Dès que
la première âme s'est sentie, elle a eu une pensée, et cette pensée a été d'adoration ; dès que l'oiseau sent ses ailes, malgré la beauté de son nid, malgré le moelleux duvet sur
lequel il repose, malgré la douce chaleur de sa mère, il s'élance vers le ciel . La première âme a fait de même ; son premier élan a été vers Dieu ; le besoin d'adorer, Adam l'a
légué à tous ses fils, et s'ils ne sont plus dans le royaume presque céleste qui avait été donné à leur père, la terre qu'ils habitent n'est-elle pas encore assez belle pour exciter leur amour et leur reconnaissance? N'est-ce pas pour eux que les fleurs poussent et s'épanouissent, que les fruits s'emplissent d'une douce saveur? pour eux que les arbres
étendent leurs branches comme un dais de verdure? Pour eux que les sources jaillissent du gazon, et que les fleuves roulent leurs ondes? pour eux que le soleil, la lune et les
étoiles sont allumés au ciel? Oui , toutes ces choses, toutes ces merveilles sont pour nous, et c'est de toutes ces mer veilles, de toutes ces choses, que nous devons solennellement et régulièrement remercier le Créateur.
A qui a tant reçu, à qui a été fait si riche, un jour de gratitude paraîtra-t-il trop? Honte à celui d'entre nous qui trouverait cette reconnaissance lourde et difficile ! Les cœurs qui se font ingrats sont de tristes cœurs, et ressemblent à ces fruits que le soleil ne peut mûrir, et qui n'ont ni saveur ni parfum.
Au ressouvenir de la création, il vient se joindre, dans le jour du repos des chrétiens, d'autres grandes réminiscences. Jésus-Christ est ressuscité le dimanche, et c'est encore le dimanche que le Saint-Esprit est descendu sur les apôtres.
C'est pour que nous puissions nous abandonner à ces pensées d'amour, de reconnaissance et d'adoration ; pour que nous puissions y livrer nos âmes, que tout travail, que toute occupation profane, nous sont interdits au jour qui doit être sanctifié. Dieu, qui a fait notre cœur, sait que l'onde n'est pas plus mobile, plus facile à agiter que lui ; et pour que dans le jour du repos il ne soit pas troublé par les préoccupations du monde, la religion nous fait venir dans la paix du sanctuaire, là où les vents de la
terre ne soufflent pas.
J'aime à écouter la foule chrétienne; j'aime à me mêler à elle quand elle chante, avec les prêtres, le Kyrie eleison, le Gloria in excelsis, le Credo et l`Agnus Dei.
Tous les souvenirs du dimanche primitif se sont conservés parmi nous : à nos grandes messes, on retrouve ce pain rompu entre les fidèles , ces lectures des livres saints,
ces dons faits aux pauvres et aux captifs; ce que saint Justin confessait à Marc-Aurèle , après seize cents ans , nous le faisons encore. En mémoire du pain distribué aux fidèles, voici le pain bénit que deux choristes portent sur un brancard orné de blanches draperies, et illuminé de cierges. En mémoire des dons volontaires des premiers chrétiens pour le soulagement des pauvres et le rachat des captifs , voici le prêtre et les confréries qui font leurs quêtes.
Ceux-ci demandent pour les malades et les petits orphelins; ceux-là pour les prisonniers. Cette jeune fille, avec sa bourse de velours rouge, c'est pour l'autel de la
Vierge qu'elle s'adresse à vous, pour avoir de blancs bouquets de fleurs. Ce vieillard, avec sa bandoulière noire semée de larmes d'argent, c'est un membre de la
confrérie de la bonne mort ; c'est pour avoir des cercueils pour les pauvres qu'il s'en va quêtant. En mémoire des actes des apôtres et des livres des
prophètes que les diacres lisaient autrefois aux fidèles assemblés, écoutez, voici le curé en chaire ; il lit l'évangile du jour, et prie tout haut pour les pontifes et les
rois , les riches et les pauvres, les malades et les infirmes, les voyageurs et les exilés.
La religion a arrangé les choses ainsi : il n'y a plus une douleur sans consolations, une misère sans soulagement, un besoin sans secours; et, chaque dimanche, elle nous
montre toutes ces bonnes œuvres liées ensemble comme en un faisceau. Si de superbes esprits dédaignent une grand'messe, c'est qu'ils ne savent pas tout ce qu'elle rappelle de vieilles mœurs et de saintes coutumes. Chose admirable! il n'y a pas dans toute la chrétienté un village, un petit hameau, qui ne puisse offrir tous les sept jours,
aux savants et aux érudits, des réminiscences de l'antiquité, des souvenirs des Césars et du cirque , des catacombes et des martyrs.
L'office du soir n'a pas moins de beautés que celui du matin ; les vêpres ont leurs poétiques psaumes ; et le salut ses hymnes, ses cierges et son encens.
Ainsi , depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, la journée du Seigneur a été sanctifiée. Entre les offices du matin et ceux du soir, les familles chrétiennes se sont
reposées d'un repos tout rempli de bonnes œuvres et d'édifiantes paroles; les enfants et les petits-enfants sont venus ce jour-là s'assoira la table du père et de l'aïeul,
et ensemble ils ont parlé du prône ou du sermon du matin, et se sont rappelé les noms des fiancés publiés du haut de la chaire; et la mère, dame de charité, a redit devant ses convives les misères, les pauvres femmes en couches , les orphelins et les vieillards paralytiques qu'il y a à secourir dans le quartier.
Ainsi, le dimanche a passé doucement pour ceux qui savent vraiment le sanctifier ; la prière, la charité, des joies innocentes, des réunions de famille, des loisirs paisibles, l'ont rempli. Et quand ce jour est fini, quand, avec tous les autres jours, il va tomber dans l'abîme du passé, il y va radieux des bonnes œuvres qu'il a fait faire, et parfumé de l'encens brûlé devant les autels.
Au lieu de donner l'exemple du repos commandé, les chefs de la nation donnent celui du travail; ils accordent ainsi une prime à l'impiété. Aux monuments qu'ils font
construire avec les deniers d'un peuple catholique, le marteau frappe, la hache tranche, la scie l'ait crier le marbre, le ciseau pique la pierre, la poussière blanche
vole le dimanche comme les autres jours !
Quand un gouvernement en est là en fait de religion, quel droit a-t-il de trouver mauvais qu'on ne croie pas en lui?... Un livre qui ne trompe pas, a cette phrase
dans ses immortelles pages : « Si le Seigneur ne bâtit lui-même la maison , en vain travaillent ceux qui s'efforcent de la construire». « Si le Seigneur ne garde lui-même la ville, c'est en vain que veille celui qui la garde. »
Ne pas vouloir sanctifier le jour du Seigneur, c'est s'exposer à voir bien des jours mauvais!
2 – L`Avent
Pour préparer à la joyeuse fête de Noël, qui vient comme un beau jour réjouir la saison des neiges, l'Église, en mémoire du grand avènement du Sauveur (adventus),
a institué l`Avent. Ce temps de jeûne, de prière et de préparation, se compose de quatre semaines, c'est-à-dire de quatre dimanches, hors ce qui reste de la quatrième
semaine jusqu'à Noël. L'institution de l'Avent est aussi ancienne que celle de la fête de la Nativité du Sauveur.
Pendant plusieurs siècles, l`Avent fut tout à fait un autre carême; il durait quarante jours, pendant lesquels on jeûnait et on se mortifiait, comme pendant la quarantaine qui précède Pâques. Cet Avent est mentionné dans les Capitulaires de Charlemagne.
L'Église de Milan, fidèle à ces anciens usages, a conservé les six semaines de l`Avent primitif, qui avaient été adoptées par les Églises d'Espagne, ainsi qu'on peut en
juger par un missel mozarabe. En Angleterre et en Irlande, l`Avent était de quarante jours , pendant lesquels les moines ne faisaient qu'un repas, comme en carême. Ce fut vers le dixième siècle que ce temps de préparation fut réduit à quatre semaines , comme il l'est aujourd'hui. Au huitième siècle, l'Avent était encore de quarante jours, et ceci est prouvé par une pensée de table que des annales historiques ont conservée; Astolphe, roi des Lombards en 753, ayant concédé les eaux de Nonantula à l'abbaye de ce nom, s'était réservé quarante brochets pour l'usage de sa table pendant les quarante jours maigres du carême de la Saint-Martin.
Le pape Nicolas I, dans ses réponses aux Bulgares, parle des quatre semaines de l'Avent observées de son temps par l'Église romaine. Baillet, dans son Histoire de l'Avent, pense « que l'on ne peut guère trouver d'essai ou de prélude de l'Avent, qui remonte plus haut que la seconde moitié du cinquième siècle, époque à laquelle saint Perpet, évêque de
Tours, ordonna, pour l'usage de son diocèse, trois jours de jeûne par semaine, depuis la fête de St-Martin jusqu'à celle de Noël.
Pendant les quatre semaines de l'Avent, l'Église ne prononce dans le sanctuaire que des paroles de repentir et de pénitence ; l` alléluia ne termine plus ni ses prières,
ni ses hymnes; et, comme nous l'avons dit, les autels ont pris les ornements de deuil.
Les prêtres répètent alors au peuple : « Repentez-vous, faites pénitence ; car voilà que Dieu approche ; car la cognée est près d'atteindre la racine de l'arbre.» « Revêtez la robe blanche, la robe de pureté ; car voici venir l'époux.»« Une voix s'élève dans le désert et crie : Voici le Rédempteur qui avance. Jetez des fleurs et des palmes sur ses voies, et préparez de nouveaux cantiques, car une vierge a conçu , et un enfant va nous naître à tous ! »
L'Église, en empruntant ainsi aux vieux prophètes leurs paroles inspirées, veut faire voir aux fidèles combien ils seraient coupables s'ils restaient froids quand la venue
du Messie approche. Cet avènement, désiré par les patriarches; cet avènement, que tous les justes de la loi de Moïse ont invoqué, doit réjouir les chrétiens; et, pour
que leur joie soit pure, il faut qu'ils s'y préparent par la pénitence. L'innocence : c'est là la robe blanche qu'il faut revêtir pour assister dignement aux fêtes de la religion.
Dans l'épître de la messe du premier dimanche , le diacre chante :
«La nuit est déjà avancée, le jour approche. Quittons les œuvres de ténèbres et revêtons-nous d'une armure brillante de lumière ; marchons purement au grand jour, et ne nous laissons point aller aux vices. Revêtons-nous de Notre-Seigneur Jésus-Christ »
Et puis dans l'évangile de ce premier dimanche, écoutez ! c'est celui que les prophètes ont annoncé pendant quatre mille ans ; c'est le désiré des nations lui-même
qui parle ; il veut amener les hommes à la pénitence par les terreurs du dernier jour : «Il y aura des prodiges au soleil, la lune et les étoiles se troubleront aussi. Et, en voyant ces choses, les nations seront saisies d'effroi ; la mer s'agitera et soulèvera tout les flots ; et les hommes sécheront dans l'attente de ce qui doit advenir à l'univers; car les voûtes des cieux seront ébranlées; alors, ils verront le fils de l'homme, en grande puissance et en grande majesté, paraître sur les nuées.»
« Or, au commencement de ces prodiges, levez vos têtes et regardez, parce que votre rédemption approche. Lorsque vous voyez le figuier et tous les autres arbres pousser leurs premières feuilles, vous dites que l'été va venir; de même, quand vous verrez ce que je vous annonce, dites-vous que le royaume de Dieu est proche. «En vérité, je vous le dis, cette génération ne s'écoulera pas sans que ceci s'accomplisse ; le ciel et la terre changeront de face , mais ma parole ne changera pas. « Prenez donc garde ; ne vous abandonnez ni aux viandes , ni au vin , et ne laissez point aller vos cœurs aux inquiétudes de cette vie, pour que ce jour ne vienne point vous surprendre ; car il enveloppera comme un filet tous ceux qui habitent sur la surface de la terre. Veillez donc et priez, afin que vous soyez dignes d'éviter les vengeances et de paraître pur devant la face du fils de l'homme. »
Commençant l'Avent par la lecture de cet évangile, l'Église ne pouvait faire autrement que de commander aux fidèles le jeûne, la mortification et la prière. Et le
religieux qui du fond de son cloître composa l'hymne Statuta Decreto Dei, qui se chante aux approches du jour de la naissance du Sauveur, a été bien inspiré.
« Voici venir les temps marqués par les décrets du Seigneur ; « Voici venir le jour qui s'est fait attendre tant de siècles. La postérité d'un père coupable gisait souffrante et désolée sur un lit de douleurs. Les hommes étaient sans force, découragés, couchés dans l'ombre de la mort ; Les terreurs de la tombe, les tourments de l'enfer, c'était là leur partage ; Les enfants d'Adam tremblaient et se desséchaient dans l'attente du souverain juge. Hélas! qui pouvait les délivrer de si grands maux? quelle main est assez puissante pour guérir une si profonde plaie?» Toi seul! ô Christ! toi seul... Cieux, ouvrez-vous! ouvrez-vous , et laissez descendre votre précieuse rosée ; que la terre fécondée donne au monde son Sauveur ! »
Il y a là, ou nous nous trompons, plus de vraie poésie que dans bien des pages de nos poètes d'aujourd'hui. Et le solitaire qui, dans sa modeste cellule, a écrit ces stances, a pris le bon moyen pour que son œuvre vécût longtemps ; il l'a donnée à la religion à garder. Au dernier dimanche de l'Avent, l'Église redouble d'exhortations pour que le grand jour de la naissance du Christ ne se lève que sur des vertus. Dans l’épître, on répète ces paroles : « Nous vous supplions, mes frères, de reprendre ceux qui sont déréglés, de ramener dans la bonne voie ceux qui s'égarent, de consoler ceux qui ont le cœur abattu, de soutenir ceux qui défaillent de faiblesse, et d'être patients envers tous. »
Certes, s'il y a des fêtes qui doivent être chômées à jamais par les peuples, s'il y en a qui doivent être respectées et conservées par les gouvernants, ce sont celles qui commandent de semblables préparations. Figurez-vous donc les hommes obéissants aux préceptes que nous venons de transcrire, et dites-nous si la terre, devenue toute chrétienne, toute aimante, toute charitable, ne serait pas déjà un lieu de repos où l'on pourrait, attendre en paix les délices du ciel.
3 – Noël ( 25 décembre)
Quand la saison des neiges est venue, quand toute la nature est attristée par un aspect de mort, les sonneries des grandes villes, les petites cloches des villages, se
mettent tout à coup à retentir joyeusement au milieu des ténèbres de la nuit. Et a ces sons sacrés qui semblent descendre du ciel, des cris se mêlent en s'élevant des cités et des hameaux.
Noël ! Noël ! crient les enfants qui annoncent par leur joie la naissance de l'Enfant-Dieu. Une grande, une sainte allégresse est survenue aux âmes chrétiennes à cette fête de la Nativité du Sauveur. Sous le plus misérable toit il y a eu du bonheur, quand les cloches ont annoncé que le divin Enfant nous est né. Cette belle fête de Noël ! il n'y a pas une pauvre mère qui ne la comprenne pas un enfant qui ne la désire. Mais avant d'en dire toute la beauté, essayons d'en montrer l'origine.
César-Auguste, au faîte de la puissance, voulut savoir combien de millions d'hommes étaient courbés sous son sceptre, et il ordonna un recensement général de toutes
les nations composant l'immense empire romain. Pour faire ce dénombrement, Auguste nomma vingt-quatre commissaires, qu'il envoya sur tous les points du globe. Publius Sulpitius Quirinus, et, selon les Grecs, Cyrinus, fut chargé du gouvernement de Syrie, dont dépendait la Judée.
Saint Luc nous apprend que ce fut là le premier dénombrement fait dans le pays pour les Romains. Le même Quirinus eut ordre d'en faire un second onze ans plus tard, étant toujours gouverneur de Syrie, lorsque l'empereur Auguste réduisit la Judée en province romaine, après en avoir chassé le roi Archélaus, fils d'Hérode, et l'avoir relégué dans les Gaules.
L'édit promulgué pour ce dénombrement général ordonnait à chacun, au plus riche comme au plus pauvre, au plus puissant comme au plus faible, de se rendre en la
ville où il était né, ou dont sa famille était originaire, pour se faire inscrire sur le contrôle romain. Or, Joseph et Marie, qui étaient tous les deux de la royale lignée de David, se rendirent en la ville de David, appelée Bethléem.
Là, la vierge Marie, qui avait été saluée pleine de grâce par l'archange Gabriel, et qui, aux yeux des hommes, passait pour l'épouse de Joseph , après avoir vainement
cherché un logement dans une hôtellerie, fut obligée de se réfugier dans une partie du hameau toute pleine de rochers, où l'on avait creusé des maisons et des étables.
Et ce fut ce lieu , si dédaigné et si humble , qui reçut , à son entrée dans ce monde , le roi du ciel , celui à qui appartient toute splendeur et toute gloire.
Au moment où ce prodige s'opérait, où une vierge enfantait un sauveur dans le voisinage de Bethléem en un lieu nommé la Tour d'Ader , des bergers qui restaient dans les champs, veillant tour à tour à la garde de leurs troupeaux, aperçurent tout à coup une vive splendeur au milieu des ténèbres, et dans cette gloire un ange leur apparut et leur dit : «Ne craignez point, car je viens vous apporter une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie : c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Voici la marque à laquelle vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans crèche.» A l'instant même, il se joignit à l'ange une troupe de l'armée céleste, louant Dieu et disant:« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! »
Quand la miraculeuse apparition fut passée, quand la nuit eut repris ses ténèbres, les bergers se dirent entre eux : Allons à Bethléem voir le Verbe qui nous a été annoncé. Et sans perdre un instant ils se hâtèrent vers l`étable où ils devaient trouver l'enfant nouveau-né. Il était là enveloppé de langes, couché dans une crèche. Marie et Joseph étaient près de lui. Les bergers, voyant que tout ce qu'avait dit l'ange était accompli, reconnurent dans cet enfant le Sauveur prédit à Israël ; ils se mirent à louer et à glorifier Dieu. Marie, la Vierge mère, écoutait tout ce que disaient les pasteurs, et gardait dans son cœur mémoire de leurs paroles. Tel est, en peu de mots, tout l'historique de la fête de Noël. Saint Luc a été le narrateur de cette nativité, d'où date l'ère chrétienne.
Que de choses se voient dans cette courte histoire ! Rome, orgueilleuse de son pouvoir (qu'elle croit éternel), veut non-seulement connaître tous les peuples, toutes
les nations qui relèvent d'elle, elle veut plus : elle prétend, pour ainsi dire, connaître par leurs noms chacun de ses esclaves! Et voilà qu'un commissaire romain est
envoyé en Judée pour forcer chaque homme et chaque femme à venir s'inscrire sur la longue liste des vaincus.
Auguste veut savoir tout ce qui naît, tout ce qui vit sous son sceptre. Eh bien ! voilà un enfant qui vient augmenter le nombre de ses sujets ; car cet enfant, devenu
homme, dira un jour : Rendez à César ce qui est à César. Mais cet enfant qui vient au monde si pauvre et si humble, qui naît dans une étable, qui dort dans une crèche, renversera tous les faux dieux de Rome, tous les dieux d'Auguste et de César. Cet enfant est le Seigneur des seigneurs, Emmanuel, fils du Très-Haut, roi des rois et des
empereurs, maître des empires et des mondes.
Et si une Rome nouvelle vit dans les siècles après la Rome antique, c'est qu'elle aura adoré, c'est qu'elle adorera l'enfant annoncé aux bergers, l'enfant né à Bethléem !
Au temps où les oracles disaient les dieux s'en vont, dans les souterrains de la ville éternelle, dans les catacombes creusées sous les temples de Jupiter et de Mars, de
Vénus et de Minerve, Jésus, né à Bethléem, était déjà adoré , et trois ou quatre siècles au plus après sa naissance, la fête que je décris aujourd'hui était déjà chômée.
Dans cette fête, que l'on pourrait nommer la fête des mères, des enfants et des pauvres, que d'encouragements pour tous ; mais, spécialement, que de consolations pour
ceux que le monde ne compte pas parmi ses favoris ! Avant le Christ , tous les honneurs , tous les respects étaient accordés à la puissance et à la prospérité; la bonne fortune avait des temples.
Avant le Christ, le pauvre pouvait gémir, l'esclave pouvait se plaindre ; mais il n'y avait personne dans le monde païen pour les écouter. L'Olympe n'était peuplé que de riantes divinités : la richesse, la gloire, la volupté, y avaient leurs dieux ; mais l'adversité et l'infortune n'avaient pas le leur. A présent que Jésus-Christ est né dans une étable ; qu'enfant encore il a été forcé de fuir dans l'exil ; que plus tard il a été persécuté, couronné d'épines et mis à mort ; à présent, toutes les douleurs ont une oreille attentive qui les écoute, et l'espérance qui les console est une vertu qui leur est commandée.
C'est du jour de la naissance du divin fils de Marie, que découlent toutes les consolations du christianisme. De la petite montagne de Bethléem sont sorties les sources d'eaux
vives qui guérissent nos plaies et allègent nos souffrances.
Les peuples font donc bien de se réjouir quand la grande nuit ramène ses étoiles et sa messe des cierges, ses cantiques et sa sainte, veillée ; car ce jour â été un jour de liberté et d'allégresse pour tous. Aussi, je ne me figure rien de plus beau, rien de plus poétique qu'une nuit de Noël célébrée dans un pays de foi, par de pieux chrétiens.
Les cloches qui chantent au-dessus des têtes, et dont les volées, joyeusement sonores, éveillent la cité, ce sont les voix des anges qui nous crient des nuages : « Gloire à
Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes de bonne volonté ! »
Cette grande lueur qui s'étend dans la vaste église ; cette lumière qui monte jusqu'aux pointes des ogives, qui tourne à l'entour des faisceaux de colonnes, qui les
embrasse et qui les dote ; pour les âmes pieuses et croyantes, c'est l'éclat miraculeux qui apparut dans le ciel, et qui montra aux pasteurs l'étable de Bethléem.
Ces voix claires et pures qui partent du sanctuaire, ces sons graves et majestueux qui s'élancent des orgues, ce sont le paradis et la terre, les chérubins et les hommes
qui s'unissent pour louer Dieu. Dans cette chapelle toute verdoyante des arbustes que l'hiver n'a pu dépouiller, parmi ces fleurs habilement imitées, voyez ce berceau : l'enfant Jésus y repose; ce sont les saintes soeurs des hospices ou des couvents qui l'ont orné. Là, les mères qui ont quelque enfant malade viennent prier; la joie de tous a diminué leur inquiétude ; elles invoquent la mère du Sauveur avec plus de confiance que de coutume. Marie a été mère, elle doit les comprendre : elle les exaucera.
Après les trois messes qui ont commencé au premier coup de minuit, et qui ont été dites au milieu de mille cierges et de nuages d'encens, les fidèles remplis d'une sainte allégresse, rentrent dans leurs maisons, et, avant de se livrer au sommeil s`assoient
Après la messe suit ce joyeux repas que nos pères ont appelé réveillon de Noël, et qui, dans les familles chrétiennes, n'a rien que de très-innocent. Quand la sainte nuit est au moment de finir, quand le ciel commence à blanchir du côté de l'orient, alors sonne la messe du point du jour; et ceux qui ont gardé le logis pendant l'office de la nuit sortent pour aller prier à leur tour. Plus tard , quand le soleil est déjà haut , toutes les joyeuses cloches de la cathédrale et des paroisses de la grande ville sont en branle : c'est un grand concert dans les airs ; et les oiseaux qui ont coutume d'habiter dans les vieux clochers et les antiques tours, sont chassés de leurs nids de pierre, et volent en tourbillonnant au-dessus des églises.
La vieille basilique est si remplie de foule, que l'on ne peut plus apercevoir les dalles de granit et les pierres tombales qui la pavent. C'est d'une mosaïque vivante de têtes rapprochées et contrastantes de couleurs, que les hauts faisceaux de colonnes ont l'air de partir pour s'élancer vers la voûte. Cependant les flots de cette multitude se fendent, reculent à droite et à gauche, et laissent un passage au prince de l'Église, qui officie et qui va célébrer la grand'messe. Vêtu de sa chape de drap d'or, la mitre au front, sa crosse à la main, il marche lentement et bénit les fidèles, qui s'inclinent à mesure qu'il avance. La croix d'argent de la paroisse, la croix de vermeil du chapitre, des acolytes, des thurifères, des chantres, des diacres, des prêtres, de vieux chanoines, tous portant des cierges allumés, le précèdent en chantant :
« Une vive lumière a brillé sur nous, parce que le Seigneur nous est né. Il est né le Seigneur, et il sera appelé l'Admirable, le Prince de paix, le Père du siècle à venir. Le règne du Seigneur n`auras pas de fin.» « Béni soit celui qui vient au nom de Dieu! Dieu nous est apparu ! Cieux, chantez des cantiques de louanges ; terre, sois dans l'allégresse, parce que le Seigneur a eu pitié de son peuple et l'a consolé, parce qu'il a eu compassion de ses enfants affligés. »
Quand la procession a fait le tour de l'église, quand elle est rentrée dans le sanctuaire, alors commence la messe solennelle : tantôt ce sont les voix des chantres accompagnées d'instruments sonores ; tantôt les sons de l'orgue qui retentissent sous les voûtes ; puis, par moments, il y a des silences qui ont aussi leur majesté. Au-dessus de ces
milliers de chrétiens qui prient agenouillés ensemble, on voit un nuage bleuâtre et léger qui flotte : c'est la fumée de l'encens ; on en a tant brûlé pendant la nuit, tant à la messe de l'aurore, que l'église en est toute parfumée ! Ce jour-là, si l'organiste comprend bien son devoir, il fera redire à l'orgue de vieux airs d'autrefois, de ces vieux Noëls que nos pères aimaient tant, et que nous avons entendus dans notre enfance.
Pour aider à la prière, rien de mieux que d'éveiller des souvenirs; comment ne pas prier avec foi, quand on pense à sa mère et à ses premières années?
Que les organistes n'aillent donc plus chercher leurs motifs dans des réminiscences d'opéra, mais bien dans ces vieux airs nationaux qui n'ont point passé par le sang des révolutions, mais que les pierres de nos églises savent depuis longtemps. La fête ne se passe pas seulement devant les autels : le foyer a aussi ses réjouissances de Noël. Ce jour-là , les familles s'assemblent, et les petits enfants dînent à table ; car c'est leur fête à eux.
Je me souviens d'une messe de minuit, dite en cachette, pendant les persécutions de 1793 ( Révolution française). En ce temps-là, il n'y avait plus d'église pour célébrer les saints mystères; Une grange fut choisie par les habitants du hameau. Les femmes la décorèrent pendant la nuit précédente ; des draps de grosse toile bien blanche furent tendus tout & l'entour ; une table rustique, recouverte des linges les plus blancs, devait servir d'autel ; des branches de houx à petites baies rouges étaient placées comme bouquets de chaque côté du crucifix d'ébène; deux chandelles de résine dans des flambeaux de fer : c'était là toute la pompe de ces temps de persécution. Sans doute elle n'était pas dédaignée du Dieu qui lit dans les cœurs, du Dieu qui voulut naître dans une étable , et qui a appelé les pasteurs avant les rois auprès de son berceau.
L'heure qui rappelle la miraculeuse naissance était venue, chaque famille du village avait attendu minuit, rassemblée en face de son foyer, racontant d'anciennes
histoires, et chantant à voix basse de vieux noëls. Isolément et sans faire aucun bruit, les fidèles se rendirent à la grange préparée pour la fête ; avec quelle piété
ils tombaient à genoux devant cet autel si pauvre !
La foi des bergers qui entendirent les anges mêmes annoncer la naissance du Sauveur n'était pas plus vive que celle de ces paysans bretons, de ces hommes de bonne volonté qui adoraient aussi le fils de Marie dans une étable. Se rassembler ainsi pour prier était alors un des plus grands crimes ; la mort s'ensuivait, et cette pensée ajoutait une ardeur nouvelle à leur piété. C'était celle des premiers chrétiens priant dans les catacombes! Quand le prêtre parut à l'autel, des pleurs s'échappèrent de tous les yeux , lui-même fut tellement ému qu'il répandit aussi des larmes qui n'étaient pas sans douceur ; confesseur de foi, il avait été frappé, persécuté pour le Sauveur ; il n'y avait que quelques jours qu'il s'était vu livré aux bourreaux et qu'il avait touché de près à la mort; et voilà qu'il s'appuie maintenant sur l'autel du Dieu qui a réjoui sa jeunesse, et le voilà qui va célébrer un mystère de sainte joie!...
Il y avait là des émotions autres que celles qu'avaient fait naître les pompes de la cathédrale ; mais Dieu étant sous le toit rustique de la grange comme sous la voûte
dorée de la grande basilique, les cœurs étaient touchés, et les âmes élevées vers le ciel.
Cette fête a un grand charme à l'époque où elle arrive aux hommes ; alors ils sont assemblés et dans les villes et dans les hameaux ; alors les jours sont tristes et froids et les veillées longues. Pour ranimer la nature, qui semble morte sous son suaire de neige, il faut la main de la religion : c'est elle qui répand de saintes joies sur la tristesse de la saison, et qui fait, pour ainsi dire, pousser des fleurs parmi les frimas. Il y aurait comme une sévérité puritaine à blâmer les plaisirs de famille qui égayent alors nos foyers ; car il est de nature et de sagesse de se réjouir quand un grand bienfait nous est accordé. Or, jamais fut-il donné aux hommes ce que la nuit de Noël leur a apporté dans ses ombres?
Jamais le ciel avait-il été aussi magnifique envers la terre? Cette nuit-là, il s'est entr'ouvert pour laisser venir à nous le roi que les anges servent et adorent en tremblant.
Cette nuit-là, un frère est venu aux malheureux, un libérateur aux esclaves, un ami aux enfants, un maître aux docteurs, un modèle aux rois, un vainqueur à la mort.
Laissez donc les hommes se réjouir dans le Seigneur, comme la terre se réjouit chaque matin quand le soleil se lève pour la délivrer des ténèbres. Noël, c'est la grande aurore de notre délivrance ; Jésus-Christ naissant, c'est le soleil de justice, qui se lève sur le monde pour en écarter les ombres de la mort.
Voyez aussi quel enthousiasme, quel saint délire règne dans l'office que chantent nos prêtres ! écoutez-les. « Colline de Sion, tressaille d'allégresse... Filles de Jérusalem, revêtez vos habits de fêtes, et chantez, chantez de nouveaux cantiques. Jérusalem, lève-toi, secoue la poussière de tes cheveux, romps la chaîne de ton cou; lève-toi, ton Sauveur est venu! « Tu avais été vendue, et voici que le Seigneur t'a rachetée : chante, Jérusalem.»
« Le Seigneur a dit : Assur a opprimé mon peuple, l'injustice et la cruauté ont pesé sur lui : il faut que je le délivre ; autrefois je parlais, à présent me voici. « L'abondance et la paix se lèvent avec le jour du Seigneur. La vérité est sortie de la terre, et du haut du ciel la justice nous a regardés.»
« Chantons donc, chantons donc de nouveaux hymnes
Seigneur; que toute la terre chante avec nous!
« Chantons au Seigneur et bénissons son nom.
Annonçons à l'univers le jour de son salut.»
«Que les nations se redisent les prodiges qu'il a faits
et que les peuples soient dans la joie! »
Car, véritablement, notre Dieu est grand, son nom est digne de louanges, et sa puissance domine tout ce qui existe . Que sont les dieux des nations étrangères, auprès de
notre Dieu! Des démons de l'abîme. Mais notre Dieu, à nous, c'est celui qui a fait le ciel et la terre, le firmament avec ses étoiles, et la mer avec ses flots. Que le ciel se réjouisse donc, que la terre s'exalte de joie, que la mer s'agite et soulève ses grandes eaux en signe d'allégresse, et que les champs et toutes les plantes qui y croissent tressaillent de plaisir ; car voici venu le jour du Seigneur!
«La veille de Noël était la plus solennelle de toutes. On lisait, à vêpres, le capitule Gaudete, pour inviter les fidèles à une joie spirituelle. Les versets de ces vêpres expriment les soupirs les plus ardents des anciens patriarches. Le Veni ad liberandum était chanté par deux enfants de chœur, et le Rorate coeli, par un seul.
On le voit, dans les maisons de retraite et de prière, où l'on conçoit mieux que dans le monde les choses saintes, au jour de Noël, c'était à des enfants qu'on laissait chanter
les premiers hymnes de la fête, et là je trouve une pensée de convenance et de justice : n'était-ce pas aux enfants à saluer les premiers, de leurs voix jeunes et pures, l'enfant divin qui venait de naître pour le salut de tous.
Année 1843 Vicomte Walsh ( Extraits)
Si l`homme fut resté obéissant aux commandements de Dieu, toutes ses journées eussent été des jours de fête. Placé par le Créateur dans un jardin de délices, sans qu`une pensée de tristesse et d`inquiétude put seulement approcher de son âme, assez supérieur à toutes les autres créatures terrestres pour leur commander en roi, presque l`égal des Anges et assez pur pour converser avec Dieu lui-même, Adam dans les Jardins d`Éden, n`aurait eu qu`une longue fête ; fête qui n`aurait fini que pour les éternelles fêtes du Ciel, auxquelles l`homme serait parvenu sans passer par la mort.
Ces destinées si heureuses ont été cruellement changées. Le péché est venu avec sa longue suite de douleurs..
Et quand Satan regarde ce que nous sommes aujourd`hui, enfants déchus d`Adam, et ce qu`a été notre premier père ; quand il compare notre vallée de larmes avec le lieu de délices que Dieu avait créé pour être notre patrie ; quand il oppose aux sérénités, aux quiétudes, aux félicités du Paradis terrestre, les histoires, les tristesses, les adversités qui sont devenus notre héritage. Oh! alors l`ange déchu doit ressentir une grande joie car il peut se dire « j`ai détruit un bonheur immense!»
Chassé d`Éden par l`Ange du Seigneur, l`homme fut condamné à manger son pain à la sueur de son front. Et ce pain gagné par le travail, il l`arrose encore bien souvent de ses larmes ; déchu de la royauté que Dieu lui avait faite, il est devenu humble et faible comme un exilé. Et si sur le long et dur chemin de la terre du bannissement, il n`avait pas quelque frais lieux de repos ; si à son travail.il n`avait pas quelque répit ; si à ses douleurs il n`avait pas quelques allègements, ce serait à ne plus vouloir de la vie, et dès les premières bornes de la route, il se coucherait pour mourir.
Mais la justice de Dieu ayant puni le coupable par l`exil d`Éden, sa bonté s`est tout de suite retrouvée en-dehors du Paradis terrestre pour reprendre l`homme par la main et l`empêcher de reculer d`effroi devant les nouvelles et tristes voies qui lui étaient ouvertes. Si nos premiers parents en ce moment terrible avaient été livrés à eux-mêmes ; ils se seraient irrités contre la sentence du bannissement ; ils auraient maudit celui qui, après les avoir créés pour tant de bonheur, leur commandait de vivre pour tant de désolation.
Il n`en fut point ainsi : Dieu, en punissant Adam et Ève de leur désobéissance, leur laissa dans l`âme un profond souvenir de lui, une pensée de reconnaissance et d`adoration.
Aussi le premier monument que les proscrits élevèrent quand ils prirent possession de la vallée de larmes, ce fut un autel.
Eh bien le premier jour ou, sur ce premier autel, fut offert au Seigneur de toutes choses le premier sacrifice a été la première fête religieuse. C`est là le premier anneau de cette longue chaine sacrée qui lie la terre au Ciel ; c`est là l`origine des saintes solennités que nous fêtons.
Certes il y a loin entre l`autel rustique d`Abel et le magnifique temple créé par Michel-Ange ; mais une seule et même pensée, une pensée d`adoration, les a élevés tous les deux. C`est l`histoire de toutes ces fêtes que la religion a établies pour le consoler que nous allons entreprendre d`écrire. Cette histoire veut être racontée plus avec le cœur qu'avec l’esprit ; c'est donc avec le cœur que nous la redirons. D'autres, plus doctes et plus habiles que nous, chercheront à vous en expliquer les mystérieuses cérémonies ; nous, nous ne vous en ferons voir que le but salutaire et les poétiques beautés ;d'autres plus saints toucheront au tabernacle ; nous, nous ne vous signalerons que la magnificence du temple. Le génie à la fois grave et tendre du catholicisme seretrouve tout entier dans ses fêtes, qui rappellent, dans leur cours annuel, des souvenirs de puissance et de bonté.
Tantôt la journée qu'il solennise rappelle un souvenir de puissance, tantôt un souvenir de bonté : ici , c'est l'Enfant-Dieu dans sa crèche ; là , c'est le Sauveur dans sa gloire, apparaissant sur le Thabor, entre Elie et Moïse, ou montant vers le ciel après avoir brisé la pierre du tombeau : aujourd'hui , c'est le nom de Dieu lui-même que célèbre l'Église; demain c'est celui de Marie : au printemps, parmi toutes les fleurs de la nature, la Fête- Dieu; en automne, parmi les feuilles qui tombent et les vents qui s'élèvent, la Toussaint et le jour des Morts.
Table des matières
1. Le Dimanche
2. L`Avent
3. Noel
4. La fête des St-Innocents
5. Fête de la Circoncision du Seigneur
6. L`Épiphanie ou le jour des Rois-Mages
7. La Purification ou la Chandeleur
8. Le Carême
9. Le Dimanche de la Passion
10. Le Dimanche de Rameaux
11. La Semaine Sainte
12. Jeudi Saint
13. Vendredi Saint
14. Samedi Saint
15. Pâques
16. L`Annonciation de la St-Vierge
17. Recouvrement de la St-Croix
18. Les Rogations
19. L`Ascension
20. La Pentecôte
21. La Trinité
22. La Fête-Dieu
23. La Fête de St-Jean Baptiste
24. St-Pierre et St-Paul
25. La Visitation
26. L`Assomption
27. La St-Louis – Roi de France
28. La Nativité de la St-Vierge
29. Les Saints Anges
30. St-Denis et ses compagnons
31. La Toussaint
32. Le Jour des Morts
33. La Dédicace de l`Église
34. L`Immaculée Conception
35. St-Geneviève
1 - Le Dimanche
Pour honorer le jour de la Résurrection de leur divin maitre, les apôtres ont établis que le jour de sanctification des chrétiens serait le Dimanche, le premier jour de la semaine selon les Hébreux, et le jour consacré au soleil pour les païens.
St-Barnabé écrit dans son Épitre : « Nous célébrons ce jour dans la joie, en mémoire de la Résurrection de Notre-Seigneur, parce que c`est ce jour-là qu`il est sortie du tombeau.» St-Ignace le martyr, dans sa lettre aux Magnésiens « veut que nous honorions le jour du Seigneur ; ce jour de la Résurrection, le plus beau, le plus excellent des jours !»
St-Justin dit que les Chrétiens s`assemblaient aussi parce que c`était le jour de la Création du Monde(Genèse). St-Irénée, Tertullien, Origène, parlent de même.
St-Justin, amené devant Marc-Aurèle (empereur romain) et marchant au martyre, révèle à l`empereur païen l`excellence du Dimanche.
« Au Jour du Seigneur, que les païens appellent jour du Soleil, nos frères des villes et des campagnes s`assemblent dans un même lieu ; on y lit les écrits des Apôtres, ou les livres des Prophètes. La lecture finie, celui qui préside l`assemblée prend la parole et exhorte les assistants à pratiquer les maximes qu`ils viennent d`entendre ; tous se lève pour ensuite prier, après quoi on offre le pain et le vin et l`eau, que l`on distribue aux fidèles. Après la consécration et les actions de grâce, avant de se séparer, ceux qui peuvent contribuer au soulagement des pauvres et à la délivrance des captifs déposent leurs dons volontaires. Nous avons choisi le Dimanche pour nous assembler, parce que c`est le premier jour de la création du monde et celui ou Notre-Seigneur Jésus-Christ est ressuscité des morts.»
Quoi de plus pur, de meilleur, de plus saint que ce dimanche primitif ? S'assembler comme des frères pour s'aimer chaque jour davantage, manger le même pain sacré,
à la même table sainte , louer Dieu ensemble , ensemble secourir les pauvres, consoler les affligés, racheter les captifs, se fortifier les uns les autres contre les persécutions en lisant les actes des apôtres et des martyrs, élever son âme avec la poésie des prophètes, n'avoir qu'un cœur et qu'un esprit : quelle admirable manière de sanctifier
le jour du Seigneur.
Dès l'origine du dimanche, nous voyons comme ce jour de prière et de repos est propre à élever l'âme, loin des soucis de la terre. Saint Jean, exilé, par l'empereur Domitien
, dans l'île de Pathmos, nous apprend que c'est le Jour du Seigneur que l'esprit de Dieu l'a ravi dans les hauteurs des cieux, pour lui révéler ce que l'œil n'avait jamais vu, ce que l'oreille n'avait jamais entendu, et ce que le cœur de l'homme n'avait jamais conçu !
Aussi l'utilité spirituelle du dimanche fut sentie dès les premiers jours du christianisme ; il n'y avait que vingt-cinq ans que Jésus-Christ était ressuscité, et tous les apôtres, hors saint Jacques le Majeur, étaient encore vivants, lorsque saint Paul passant par la Troade pour se rendre à Jérusalem, les fidèles s'assemblèrent le premier jour de la semaine, le jour du Seigneur, pour rompre le pain avec lui. Dans cette assemblée saint Paul prêcha, et y ressuscita un mort.
Le grand Constantin, (premier empereur romain à se convertir à la foi chrétienne) ayant vaincu par la croix, fit une loi pour que le dimanche fût célébré dans tout l'empire romain ; il voulut que son édit eût toute sa force dans ses armées ; soldat, il savait que les soldats puisent du courage dans la religion, et il commanda que le jour du Seigneur on priât et on se reposât dans les camps. Vers la fin du règne de Constance Chlore, fils et successeur de ce prince, le concile de Laodicée renouvela l'ordre de chômer le dimanche.
Certes, l'homme qui a travaillé pendant six jours pour gagner son pain et celui de sa famille, a besoin d'un jour de repos ; mais ce repos, le trouvera-t-il dans le tumulte
et dans l'agitation? Le voyageur fatigué s'assied à l'ombre des arbres qui bordent le chemin ; l'homme qui veut reprendre de la force sur la route si souvent mauvaise
de la vie, va se mettre à l'ombre de l'autel . Il y serait seul, qu’il y puiserait déjà beaucoup de soulagement et de quiétude ; mais à jour fixe, au jour du dimanche, il y
trouvera toute la famille assemblée , et ce sera avec son père et sa mère , avec son frère et sa sœur, avec sa femme et ses enfants, qu'il se délassera; semblable repos ne
vaut-il pas mieux que tous les autres?
Dans cette assemblée des fidèles d'une même ville, sous le rapport purement humain, il y a un grand avantage : ces saintes réunions apprennent à la famille à se connaître.
Tels hommes qui ne se rencontreraient jamais se trouvent ensemble une fois tous les huit jours, sous les regards du Dieu qui lit dans les cœurs. S'il y a au fond de l'âme de
ces chrétiens, qui doivent se voir au pied des autels, quelques pensées de rancune et de haine, cette haine et cette rancune , comme de mauvais esprits , abandonneront le
cœur qui les avait accueillies , elles s'enfuiront pour ne pas paraître devant celui qui chasse les démons. N'en doutons pas, bien des hommes qui se seraient détestés
toute leur vie, apprennent à ne plus se haïr en priant ensemble ; appelant Dieu notre Père, ils sont forcés de prendre entre eux des sentiments fraternels.
Ainsi, sous les rapports de société et de paix, la célébration du dimanche est utile et désirable, et des législateurs ont dit : « Que si le jour du Seigneur n'était pas
d'institution divine , il faudrait l'inventer , comme un des plus sûrs moyens de maintenir l'ordre parmi les hommes. »
Semblable résultat est bon à atteindre ; mais ce n'est pas là la seule, la première pensée qui a fait instituer et rendre obligatoire la sanctification du dimanche. Dès que
la première âme s'est sentie, elle a eu une pensée, et cette pensée a été d'adoration ; dès que l'oiseau sent ses ailes, malgré la beauté de son nid, malgré le moelleux duvet sur
lequel il repose, malgré la douce chaleur de sa mère, il s'élance vers le ciel . La première âme a fait de même ; son premier élan a été vers Dieu ; le besoin d'adorer, Adam l'a
légué à tous ses fils, et s'ils ne sont plus dans le royaume presque céleste qui avait été donné à leur père, la terre qu'ils habitent n'est-elle pas encore assez belle pour exciter leur amour et leur reconnaissance? N'est-ce pas pour eux que les fleurs poussent et s'épanouissent, que les fruits s'emplissent d'une douce saveur? pour eux que les arbres
étendent leurs branches comme un dais de verdure? Pour eux que les sources jaillissent du gazon, et que les fleuves roulent leurs ondes? pour eux que le soleil, la lune et les
étoiles sont allumés au ciel? Oui , toutes ces choses, toutes ces merveilles sont pour nous, et c'est de toutes ces mer veilles, de toutes ces choses, que nous devons solennellement et régulièrement remercier le Créateur.
A qui a tant reçu, à qui a été fait si riche, un jour de gratitude paraîtra-t-il trop? Honte à celui d'entre nous qui trouverait cette reconnaissance lourde et difficile ! Les cœurs qui se font ingrats sont de tristes cœurs, et ressemblent à ces fruits que le soleil ne peut mûrir, et qui n'ont ni saveur ni parfum.
Au ressouvenir de la création, il vient se joindre, dans le jour du repos des chrétiens, d'autres grandes réminiscences. Jésus-Christ est ressuscité le dimanche, et c'est encore le dimanche que le Saint-Esprit est descendu sur les apôtres.
C'est pour que nous puissions nous abandonner à ces pensées d'amour, de reconnaissance et d'adoration ; pour que nous puissions y livrer nos âmes, que tout travail, que toute occupation profane, nous sont interdits au jour qui doit être sanctifié. Dieu, qui a fait notre cœur, sait que l'onde n'est pas plus mobile, plus facile à agiter que lui ; et pour que dans le jour du repos il ne soit pas troublé par les préoccupations du monde, la religion nous fait venir dans la paix du sanctuaire, là où les vents de la
terre ne soufflent pas.
J'aime à écouter la foule chrétienne; j'aime à me mêler à elle quand elle chante, avec les prêtres, le Kyrie eleison, le Gloria in excelsis, le Credo et l`Agnus Dei.
Tous les souvenirs du dimanche primitif se sont conservés parmi nous : à nos grandes messes, on retrouve ce pain rompu entre les fidèles , ces lectures des livres saints,
ces dons faits aux pauvres et aux captifs; ce que saint Justin confessait à Marc-Aurèle , après seize cents ans , nous le faisons encore. En mémoire du pain distribué aux fidèles, voici le pain bénit que deux choristes portent sur un brancard orné de blanches draperies, et illuminé de cierges. En mémoire des dons volontaires des premiers chrétiens pour le soulagement des pauvres et le rachat des captifs , voici le prêtre et les confréries qui font leurs quêtes.
Ceux-ci demandent pour les malades et les petits orphelins; ceux-là pour les prisonniers. Cette jeune fille, avec sa bourse de velours rouge, c'est pour l'autel de la
Vierge qu'elle s'adresse à vous, pour avoir de blancs bouquets de fleurs. Ce vieillard, avec sa bandoulière noire semée de larmes d'argent, c'est un membre de la
confrérie de la bonne mort ; c'est pour avoir des cercueils pour les pauvres qu'il s'en va quêtant. En mémoire des actes des apôtres et des livres des
prophètes que les diacres lisaient autrefois aux fidèles assemblés, écoutez, voici le curé en chaire ; il lit l'évangile du jour, et prie tout haut pour les pontifes et les
rois , les riches et les pauvres, les malades et les infirmes, les voyageurs et les exilés.
La religion a arrangé les choses ainsi : il n'y a plus une douleur sans consolations, une misère sans soulagement, un besoin sans secours; et, chaque dimanche, elle nous
montre toutes ces bonnes œuvres liées ensemble comme en un faisceau. Si de superbes esprits dédaignent une grand'messe, c'est qu'ils ne savent pas tout ce qu'elle rappelle de vieilles mœurs et de saintes coutumes. Chose admirable! il n'y a pas dans toute la chrétienté un village, un petit hameau, qui ne puisse offrir tous les sept jours,
aux savants et aux érudits, des réminiscences de l'antiquité, des souvenirs des Césars et du cirque , des catacombes et des martyrs.
L'office du soir n'a pas moins de beautés que celui du matin ; les vêpres ont leurs poétiques psaumes ; et le salut ses hymnes, ses cierges et son encens.
Ainsi , depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, la journée du Seigneur a été sanctifiée. Entre les offices du matin et ceux du soir, les familles chrétiennes se sont
reposées d'un repos tout rempli de bonnes œuvres et d'édifiantes paroles; les enfants et les petits-enfants sont venus ce jour-là s'assoira la table du père et de l'aïeul,
et ensemble ils ont parlé du prône ou du sermon du matin, et se sont rappelé les noms des fiancés publiés du haut de la chaire; et la mère, dame de charité, a redit devant ses convives les misères, les pauvres femmes en couches , les orphelins et les vieillards paralytiques qu'il y a à secourir dans le quartier.
Ainsi, le dimanche a passé doucement pour ceux qui savent vraiment le sanctifier ; la prière, la charité, des joies innocentes, des réunions de famille, des loisirs paisibles, l'ont rempli. Et quand ce jour est fini, quand, avec tous les autres jours, il va tomber dans l'abîme du passé, il y va radieux des bonnes œuvres qu'il a fait faire, et parfumé de l'encens brûlé devant les autels.
Au lieu de donner l'exemple du repos commandé, les chefs de la nation donnent celui du travail; ils accordent ainsi une prime à l'impiété. Aux monuments qu'ils font
construire avec les deniers d'un peuple catholique, le marteau frappe, la hache tranche, la scie l'ait crier le marbre, le ciseau pique la pierre, la poussière blanche
vole le dimanche comme les autres jours !
Quand un gouvernement en est là en fait de religion, quel droit a-t-il de trouver mauvais qu'on ne croie pas en lui?... Un livre qui ne trompe pas, a cette phrase
dans ses immortelles pages : « Si le Seigneur ne bâtit lui-même la maison , en vain travaillent ceux qui s'efforcent de la construire». « Si le Seigneur ne garde lui-même la ville, c'est en vain que veille celui qui la garde. »
Ne pas vouloir sanctifier le jour du Seigneur, c'est s'exposer à voir bien des jours mauvais!
2 – L`Avent
Pour préparer à la joyeuse fête de Noël, qui vient comme un beau jour réjouir la saison des neiges, l'Église, en mémoire du grand avènement du Sauveur (adventus),
a institué l`Avent. Ce temps de jeûne, de prière et de préparation, se compose de quatre semaines, c'est-à-dire de quatre dimanches, hors ce qui reste de la quatrième
semaine jusqu'à Noël. L'institution de l'Avent est aussi ancienne que celle de la fête de la Nativité du Sauveur.
Pendant plusieurs siècles, l`Avent fut tout à fait un autre carême; il durait quarante jours, pendant lesquels on jeûnait et on se mortifiait, comme pendant la quarantaine qui précède Pâques. Cet Avent est mentionné dans les Capitulaires de Charlemagne.
L'Église de Milan, fidèle à ces anciens usages, a conservé les six semaines de l`Avent primitif, qui avaient été adoptées par les Églises d'Espagne, ainsi qu'on peut en
juger par un missel mozarabe. En Angleterre et en Irlande, l`Avent était de quarante jours , pendant lesquels les moines ne faisaient qu'un repas, comme en carême. Ce fut vers le dixième siècle que ce temps de préparation fut réduit à quatre semaines , comme il l'est aujourd'hui. Au huitième siècle, l'Avent était encore de quarante jours, et ceci est prouvé par une pensée de table que des annales historiques ont conservée; Astolphe, roi des Lombards en 753, ayant concédé les eaux de Nonantula à l'abbaye de ce nom, s'était réservé quarante brochets pour l'usage de sa table pendant les quarante jours maigres du carême de la Saint-Martin.
Le pape Nicolas I, dans ses réponses aux Bulgares, parle des quatre semaines de l'Avent observées de son temps par l'Église romaine. Baillet, dans son Histoire de l'Avent, pense « que l'on ne peut guère trouver d'essai ou de prélude de l'Avent, qui remonte plus haut que la seconde moitié du cinquième siècle, époque à laquelle saint Perpet, évêque de
Tours, ordonna, pour l'usage de son diocèse, trois jours de jeûne par semaine, depuis la fête de St-Martin jusqu'à celle de Noël.
Pendant les quatre semaines de l'Avent, l'Église ne prononce dans le sanctuaire que des paroles de repentir et de pénitence ; l` alléluia ne termine plus ni ses prières,
ni ses hymnes; et, comme nous l'avons dit, les autels ont pris les ornements de deuil.
Les prêtres répètent alors au peuple : « Repentez-vous, faites pénitence ; car voilà que Dieu approche ; car la cognée est près d'atteindre la racine de l'arbre.» « Revêtez la robe blanche, la robe de pureté ; car voici venir l'époux.»« Une voix s'élève dans le désert et crie : Voici le Rédempteur qui avance. Jetez des fleurs et des palmes sur ses voies, et préparez de nouveaux cantiques, car une vierge a conçu , et un enfant va nous naître à tous ! »
L'Église, en empruntant ainsi aux vieux prophètes leurs paroles inspirées, veut faire voir aux fidèles combien ils seraient coupables s'ils restaient froids quand la venue
du Messie approche. Cet avènement, désiré par les patriarches; cet avènement, que tous les justes de la loi de Moïse ont invoqué, doit réjouir les chrétiens; et, pour
que leur joie soit pure, il faut qu'ils s'y préparent par la pénitence. L'innocence : c'est là la robe blanche qu'il faut revêtir pour assister dignement aux fêtes de la religion.
Dans l'épître de la messe du premier dimanche , le diacre chante :
«La nuit est déjà avancée, le jour approche. Quittons les œuvres de ténèbres et revêtons-nous d'une armure brillante de lumière ; marchons purement au grand jour, et ne nous laissons point aller aux vices. Revêtons-nous de Notre-Seigneur Jésus-Christ »
Et puis dans l'évangile de ce premier dimanche, écoutez ! c'est celui que les prophètes ont annoncé pendant quatre mille ans ; c'est le désiré des nations lui-même
qui parle ; il veut amener les hommes à la pénitence par les terreurs du dernier jour : «Il y aura des prodiges au soleil, la lune et les étoiles se troubleront aussi. Et, en voyant ces choses, les nations seront saisies d'effroi ; la mer s'agitera et soulèvera tout les flots ; et les hommes sécheront dans l'attente de ce qui doit advenir à l'univers; car les voûtes des cieux seront ébranlées; alors, ils verront le fils de l'homme, en grande puissance et en grande majesté, paraître sur les nuées.»
« Or, au commencement de ces prodiges, levez vos têtes et regardez, parce que votre rédemption approche. Lorsque vous voyez le figuier et tous les autres arbres pousser leurs premières feuilles, vous dites que l'été va venir; de même, quand vous verrez ce que je vous annonce, dites-vous que le royaume de Dieu est proche. «En vérité, je vous le dis, cette génération ne s'écoulera pas sans que ceci s'accomplisse ; le ciel et la terre changeront de face , mais ma parole ne changera pas. « Prenez donc garde ; ne vous abandonnez ni aux viandes , ni au vin , et ne laissez point aller vos cœurs aux inquiétudes de cette vie, pour que ce jour ne vienne point vous surprendre ; car il enveloppera comme un filet tous ceux qui habitent sur la surface de la terre. Veillez donc et priez, afin que vous soyez dignes d'éviter les vengeances et de paraître pur devant la face du fils de l'homme. »
Commençant l'Avent par la lecture de cet évangile, l'Église ne pouvait faire autrement que de commander aux fidèles le jeûne, la mortification et la prière. Et le
religieux qui du fond de son cloître composa l'hymne Statuta Decreto Dei, qui se chante aux approches du jour de la naissance du Sauveur, a été bien inspiré.
« Voici venir les temps marqués par les décrets du Seigneur ; « Voici venir le jour qui s'est fait attendre tant de siècles. La postérité d'un père coupable gisait souffrante et désolée sur un lit de douleurs. Les hommes étaient sans force, découragés, couchés dans l'ombre de la mort ; Les terreurs de la tombe, les tourments de l'enfer, c'était là leur partage ; Les enfants d'Adam tremblaient et se desséchaient dans l'attente du souverain juge. Hélas! qui pouvait les délivrer de si grands maux? quelle main est assez puissante pour guérir une si profonde plaie?» Toi seul! ô Christ! toi seul... Cieux, ouvrez-vous! ouvrez-vous , et laissez descendre votre précieuse rosée ; que la terre fécondée donne au monde son Sauveur ! »
Il y a là, ou nous nous trompons, plus de vraie poésie que dans bien des pages de nos poètes d'aujourd'hui. Et le solitaire qui, dans sa modeste cellule, a écrit ces stances, a pris le bon moyen pour que son œuvre vécût longtemps ; il l'a donnée à la religion à garder. Au dernier dimanche de l'Avent, l'Église redouble d'exhortations pour que le grand jour de la naissance du Christ ne se lève que sur des vertus. Dans l’épître, on répète ces paroles : « Nous vous supplions, mes frères, de reprendre ceux qui sont déréglés, de ramener dans la bonne voie ceux qui s'égarent, de consoler ceux qui ont le cœur abattu, de soutenir ceux qui défaillent de faiblesse, et d'être patients envers tous. »
Certes, s'il y a des fêtes qui doivent être chômées à jamais par les peuples, s'il y en a qui doivent être respectées et conservées par les gouvernants, ce sont celles qui commandent de semblables préparations. Figurez-vous donc les hommes obéissants aux préceptes que nous venons de transcrire, et dites-nous si la terre, devenue toute chrétienne, toute aimante, toute charitable, ne serait pas déjà un lieu de repos où l'on pourrait, attendre en paix les délices du ciel.
3 – Noël ( 25 décembre)
Quand la saison des neiges est venue, quand toute la nature est attristée par un aspect de mort, les sonneries des grandes villes, les petites cloches des villages, se
mettent tout à coup à retentir joyeusement au milieu des ténèbres de la nuit. Et a ces sons sacrés qui semblent descendre du ciel, des cris se mêlent en s'élevant des cités et des hameaux.
Noël ! Noël ! crient les enfants qui annoncent par leur joie la naissance de l'Enfant-Dieu. Une grande, une sainte allégresse est survenue aux âmes chrétiennes à cette fête de la Nativité du Sauveur. Sous le plus misérable toit il y a eu du bonheur, quand les cloches ont annoncé que le divin Enfant nous est né. Cette belle fête de Noël ! il n'y a pas une pauvre mère qui ne la comprenne pas un enfant qui ne la désire. Mais avant d'en dire toute la beauté, essayons d'en montrer l'origine.
César-Auguste, au faîte de la puissance, voulut savoir combien de millions d'hommes étaient courbés sous son sceptre, et il ordonna un recensement général de toutes
les nations composant l'immense empire romain. Pour faire ce dénombrement, Auguste nomma vingt-quatre commissaires, qu'il envoya sur tous les points du globe. Publius Sulpitius Quirinus, et, selon les Grecs, Cyrinus, fut chargé du gouvernement de Syrie, dont dépendait la Judée.
Saint Luc nous apprend que ce fut là le premier dénombrement fait dans le pays pour les Romains. Le même Quirinus eut ordre d'en faire un second onze ans plus tard, étant toujours gouverneur de Syrie, lorsque l'empereur Auguste réduisit la Judée en province romaine, après en avoir chassé le roi Archélaus, fils d'Hérode, et l'avoir relégué dans les Gaules.
L'édit promulgué pour ce dénombrement général ordonnait à chacun, au plus riche comme au plus pauvre, au plus puissant comme au plus faible, de se rendre en la
ville où il était né, ou dont sa famille était originaire, pour se faire inscrire sur le contrôle romain. Or, Joseph et Marie, qui étaient tous les deux de la royale lignée de David, se rendirent en la ville de David, appelée Bethléem.
Là, la vierge Marie, qui avait été saluée pleine de grâce par l'archange Gabriel, et qui, aux yeux des hommes, passait pour l'épouse de Joseph , après avoir vainement
cherché un logement dans une hôtellerie, fut obligée de se réfugier dans une partie du hameau toute pleine de rochers, où l'on avait creusé des maisons et des étables.
Et ce fut ce lieu , si dédaigné et si humble , qui reçut , à son entrée dans ce monde , le roi du ciel , celui à qui appartient toute splendeur et toute gloire.
Au moment où ce prodige s'opérait, où une vierge enfantait un sauveur dans le voisinage de Bethléem en un lieu nommé la Tour d'Ader , des bergers qui restaient dans les champs, veillant tour à tour à la garde de leurs troupeaux, aperçurent tout à coup une vive splendeur au milieu des ténèbres, et dans cette gloire un ange leur apparut et leur dit : «Ne craignez point, car je viens vous apporter une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie : c'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Voici la marque à laquelle vous le reconnaîtrez : vous trouverez un enfant enveloppé de langes et couché dans crèche.» A l'instant même, il se joignit à l'ange une troupe de l'armée céleste, louant Dieu et disant:« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté ! »
Quand la miraculeuse apparition fut passée, quand la nuit eut repris ses ténèbres, les bergers se dirent entre eux : Allons à Bethléem voir le Verbe qui nous a été annoncé. Et sans perdre un instant ils se hâtèrent vers l`étable où ils devaient trouver l'enfant nouveau-né. Il était là enveloppé de langes, couché dans une crèche. Marie et Joseph étaient près de lui. Les bergers, voyant que tout ce qu'avait dit l'ange était accompli, reconnurent dans cet enfant le Sauveur prédit à Israël ; ils se mirent à louer et à glorifier Dieu. Marie, la Vierge mère, écoutait tout ce que disaient les pasteurs, et gardait dans son cœur mémoire de leurs paroles. Tel est, en peu de mots, tout l'historique de la fête de Noël. Saint Luc a été le narrateur de cette nativité, d'où date l'ère chrétienne.
Que de choses se voient dans cette courte histoire ! Rome, orgueilleuse de son pouvoir (qu'elle croit éternel), veut non-seulement connaître tous les peuples, toutes
les nations qui relèvent d'elle, elle veut plus : elle prétend, pour ainsi dire, connaître par leurs noms chacun de ses esclaves! Et voilà qu'un commissaire romain est
envoyé en Judée pour forcer chaque homme et chaque femme à venir s'inscrire sur la longue liste des vaincus.
Auguste veut savoir tout ce qui naît, tout ce qui vit sous son sceptre. Eh bien ! voilà un enfant qui vient augmenter le nombre de ses sujets ; car cet enfant, devenu
homme, dira un jour : Rendez à César ce qui est à César. Mais cet enfant qui vient au monde si pauvre et si humble, qui naît dans une étable, qui dort dans une crèche, renversera tous les faux dieux de Rome, tous les dieux d'Auguste et de César. Cet enfant est le Seigneur des seigneurs, Emmanuel, fils du Très-Haut, roi des rois et des
empereurs, maître des empires et des mondes.
Et si une Rome nouvelle vit dans les siècles après la Rome antique, c'est qu'elle aura adoré, c'est qu'elle adorera l'enfant annoncé aux bergers, l'enfant né à Bethléem !
Au temps où les oracles disaient les dieux s'en vont, dans les souterrains de la ville éternelle, dans les catacombes creusées sous les temples de Jupiter et de Mars, de
Vénus et de Minerve, Jésus, né à Bethléem, était déjà adoré , et trois ou quatre siècles au plus après sa naissance, la fête que je décris aujourd'hui était déjà chômée.
Dans cette fête, que l'on pourrait nommer la fête des mères, des enfants et des pauvres, que d'encouragements pour tous ; mais, spécialement, que de consolations pour
ceux que le monde ne compte pas parmi ses favoris ! Avant le Christ , tous les honneurs , tous les respects étaient accordés à la puissance et à la prospérité; la bonne fortune avait des temples.
Avant le Christ, le pauvre pouvait gémir, l'esclave pouvait se plaindre ; mais il n'y avait personne dans le monde païen pour les écouter. L'Olympe n'était peuplé que de riantes divinités : la richesse, la gloire, la volupté, y avaient leurs dieux ; mais l'adversité et l'infortune n'avaient pas le leur. A présent que Jésus-Christ est né dans une étable ; qu'enfant encore il a été forcé de fuir dans l'exil ; que plus tard il a été persécuté, couronné d'épines et mis à mort ; à présent, toutes les douleurs ont une oreille attentive qui les écoute, et l'espérance qui les console est une vertu qui leur est commandée.
C'est du jour de la naissance du divin fils de Marie, que découlent toutes les consolations du christianisme. De la petite montagne de Bethléem sont sorties les sources d'eaux
vives qui guérissent nos plaies et allègent nos souffrances.
Les peuples font donc bien de se réjouir quand la grande nuit ramène ses étoiles et sa messe des cierges, ses cantiques et sa sainte, veillée ; car ce jour â été un jour de liberté et d'allégresse pour tous. Aussi, je ne me figure rien de plus beau, rien de plus poétique qu'une nuit de Noël célébrée dans un pays de foi, par de pieux chrétiens.
Les cloches qui chantent au-dessus des têtes, et dont les volées, joyeusement sonores, éveillent la cité, ce sont les voix des anges qui nous crient des nuages : « Gloire à
Dieu au plus haut des cieux, et paix aux hommes de bonne volonté ! »
Cette grande lueur qui s'étend dans la vaste église ; cette lumière qui monte jusqu'aux pointes des ogives, qui tourne à l'entour des faisceaux de colonnes, qui les
embrasse et qui les dote ; pour les âmes pieuses et croyantes, c'est l'éclat miraculeux qui apparut dans le ciel, et qui montra aux pasteurs l'étable de Bethléem.
Ces voix claires et pures qui partent du sanctuaire, ces sons graves et majestueux qui s'élancent des orgues, ce sont le paradis et la terre, les chérubins et les hommes
qui s'unissent pour louer Dieu. Dans cette chapelle toute verdoyante des arbustes que l'hiver n'a pu dépouiller, parmi ces fleurs habilement imitées, voyez ce berceau : l'enfant Jésus y repose; ce sont les saintes soeurs des hospices ou des couvents qui l'ont orné. Là, les mères qui ont quelque enfant malade viennent prier; la joie de tous a diminué leur inquiétude ; elles invoquent la mère du Sauveur avec plus de confiance que de coutume. Marie a été mère, elle doit les comprendre : elle les exaucera.
Après les trois messes qui ont commencé au premier coup de minuit, et qui ont été dites au milieu de mille cierges et de nuages d'encens, les fidèles remplis d'une sainte allégresse, rentrent dans leurs maisons, et, avant de se livrer au sommeil s`assoient
Après la messe suit ce joyeux repas que nos pères ont appelé réveillon de Noël, et qui, dans les familles chrétiennes, n'a rien que de très-innocent. Quand la sainte nuit est au moment de finir, quand le ciel commence à blanchir du côté de l'orient, alors sonne la messe du point du jour; et ceux qui ont gardé le logis pendant l'office de la nuit sortent pour aller prier à leur tour. Plus tard , quand le soleil est déjà haut , toutes les joyeuses cloches de la cathédrale et des paroisses de la grande ville sont en branle : c'est un grand concert dans les airs ; et les oiseaux qui ont coutume d'habiter dans les vieux clochers et les antiques tours, sont chassés de leurs nids de pierre, et volent en tourbillonnant au-dessus des églises.
La vieille basilique est si remplie de foule, que l'on ne peut plus apercevoir les dalles de granit et les pierres tombales qui la pavent. C'est d'une mosaïque vivante de têtes rapprochées et contrastantes de couleurs, que les hauts faisceaux de colonnes ont l'air de partir pour s'élancer vers la voûte. Cependant les flots de cette multitude se fendent, reculent à droite et à gauche, et laissent un passage au prince de l'Église, qui officie et qui va célébrer la grand'messe. Vêtu de sa chape de drap d'or, la mitre au front, sa crosse à la main, il marche lentement et bénit les fidèles, qui s'inclinent à mesure qu'il avance. La croix d'argent de la paroisse, la croix de vermeil du chapitre, des acolytes, des thurifères, des chantres, des diacres, des prêtres, de vieux chanoines, tous portant des cierges allumés, le précèdent en chantant :
« Une vive lumière a brillé sur nous, parce que le Seigneur nous est né. Il est né le Seigneur, et il sera appelé l'Admirable, le Prince de paix, le Père du siècle à venir. Le règne du Seigneur n`auras pas de fin.» « Béni soit celui qui vient au nom de Dieu! Dieu nous est apparu ! Cieux, chantez des cantiques de louanges ; terre, sois dans l'allégresse, parce que le Seigneur a eu pitié de son peuple et l'a consolé, parce qu'il a eu compassion de ses enfants affligés. »
Quand la procession a fait le tour de l'église, quand elle est rentrée dans le sanctuaire, alors commence la messe solennelle : tantôt ce sont les voix des chantres accompagnées d'instruments sonores ; tantôt les sons de l'orgue qui retentissent sous les voûtes ; puis, par moments, il y a des silences qui ont aussi leur majesté. Au-dessus de ces
milliers de chrétiens qui prient agenouillés ensemble, on voit un nuage bleuâtre et léger qui flotte : c'est la fumée de l'encens ; on en a tant brûlé pendant la nuit, tant à la messe de l'aurore, que l'église en est toute parfumée ! Ce jour-là, si l'organiste comprend bien son devoir, il fera redire à l'orgue de vieux airs d'autrefois, de ces vieux Noëls que nos pères aimaient tant, et que nous avons entendus dans notre enfance.
Pour aider à la prière, rien de mieux que d'éveiller des souvenirs; comment ne pas prier avec foi, quand on pense à sa mère et à ses premières années?
Que les organistes n'aillent donc plus chercher leurs motifs dans des réminiscences d'opéra, mais bien dans ces vieux airs nationaux qui n'ont point passé par le sang des révolutions, mais que les pierres de nos églises savent depuis longtemps. La fête ne se passe pas seulement devant les autels : le foyer a aussi ses réjouissances de Noël. Ce jour-là , les familles s'assemblent, et les petits enfants dînent à table ; car c'est leur fête à eux.
Je me souviens d'une messe de minuit, dite en cachette, pendant les persécutions de 1793 ( Révolution française). En ce temps-là, il n'y avait plus d'église pour célébrer les saints mystères; Une grange fut choisie par les habitants du hameau. Les femmes la décorèrent pendant la nuit précédente ; des draps de grosse toile bien blanche furent tendus tout & l'entour ; une table rustique, recouverte des linges les plus blancs, devait servir d'autel ; des branches de houx à petites baies rouges étaient placées comme bouquets de chaque côté du crucifix d'ébène; deux chandelles de résine dans des flambeaux de fer : c'était là toute la pompe de ces temps de persécution. Sans doute elle n'était pas dédaignée du Dieu qui lit dans les cœurs, du Dieu qui voulut naître dans une étable , et qui a appelé les pasteurs avant les rois auprès de son berceau.
L'heure qui rappelle la miraculeuse naissance était venue, chaque famille du village avait attendu minuit, rassemblée en face de son foyer, racontant d'anciennes
histoires, et chantant à voix basse de vieux noëls. Isolément et sans faire aucun bruit, les fidèles se rendirent à la grange préparée pour la fête ; avec quelle piété
ils tombaient à genoux devant cet autel si pauvre !
La foi des bergers qui entendirent les anges mêmes annoncer la naissance du Sauveur n'était pas plus vive que celle de ces paysans bretons, de ces hommes de bonne volonté qui adoraient aussi le fils de Marie dans une étable. Se rassembler ainsi pour prier était alors un des plus grands crimes ; la mort s'ensuivait, et cette pensée ajoutait une ardeur nouvelle à leur piété. C'était celle des premiers chrétiens priant dans les catacombes! Quand le prêtre parut à l'autel, des pleurs s'échappèrent de tous les yeux , lui-même fut tellement ému qu'il répandit aussi des larmes qui n'étaient pas sans douceur ; confesseur de foi, il avait été frappé, persécuté pour le Sauveur ; il n'y avait que quelques jours qu'il s'était vu livré aux bourreaux et qu'il avait touché de près à la mort; et voilà qu'il s'appuie maintenant sur l'autel du Dieu qui a réjoui sa jeunesse, et le voilà qui va célébrer un mystère de sainte joie!...
Il y avait là des émotions autres que celles qu'avaient fait naître les pompes de la cathédrale ; mais Dieu étant sous le toit rustique de la grange comme sous la voûte
dorée de la grande basilique, les cœurs étaient touchés, et les âmes élevées vers le ciel.
Cette fête a un grand charme à l'époque où elle arrive aux hommes ; alors ils sont assemblés et dans les villes et dans les hameaux ; alors les jours sont tristes et froids et les veillées longues. Pour ranimer la nature, qui semble morte sous son suaire de neige, il faut la main de la religion : c'est elle qui répand de saintes joies sur la tristesse de la saison, et qui fait, pour ainsi dire, pousser des fleurs parmi les frimas. Il y aurait comme une sévérité puritaine à blâmer les plaisirs de famille qui égayent alors nos foyers ; car il est de nature et de sagesse de se réjouir quand un grand bienfait nous est accordé. Or, jamais fut-il donné aux hommes ce que la nuit de Noël leur a apporté dans ses ombres?
Jamais le ciel avait-il été aussi magnifique envers la terre? Cette nuit-là, il s'est entr'ouvert pour laisser venir à nous le roi que les anges servent et adorent en tremblant.
Cette nuit-là, un frère est venu aux malheureux, un libérateur aux esclaves, un ami aux enfants, un maître aux docteurs, un modèle aux rois, un vainqueur à la mort.
Laissez donc les hommes se réjouir dans le Seigneur, comme la terre se réjouit chaque matin quand le soleil se lève pour la délivrer des ténèbres. Noël, c'est la grande aurore de notre délivrance ; Jésus-Christ naissant, c'est le soleil de justice, qui se lève sur le monde pour en écarter les ombres de la mort.
Voyez aussi quel enthousiasme, quel saint délire règne dans l'office que chantent nos prêtres ! écoutez-les. « Colline de Sion, tressaille d'allégresse... Filles de Jérusalem, revêtez vos habits de fêtes, et chantez, chantez de nouveaux cantiques. Jérusalem, lève-toi, secoue la poussière de tes cheveux, romps la chaîne de ton cou; lève-toi, ton Sauveur est venu! « Tu avais été vendue, et voici que le Seigneur t'a rachetée : chante, Jérusalem.»
« Le Seigneur a dit : Assur a opprimé mon peuple, l'injustice et la cruauté ont pesé sur lui : il faut que je le délivre ; autrefois je parlais, à présent me voici. « L'abondance et la paix se lèvent avec le jour du Seigneur. La vérité est sortie de la terre, et du haut du ciel la justice nous a regardés.»
« Chantons donc, chantons donc de nouveaux hymnes
Seigneur; que toute la terre chante avec nous!
« Chantons au Seigneur et bénissons son nom.
Annonçons à l'univers le jour de son salut.»
«Que les nations se redisent les prodiges qu'il a faits
et que les peuples soient dans la joie! »
Car, véritablement, notre Dieu est grand, son nom est digne de louanges, et sa puissance domine tout ce qui existe . Que sont les dieux des nations étrangères, auprès de
notre Dieu! Des démons de l'abîme. Mais notre Dieu, à nous, c'est celui qui a fait le ciel et la terre, le firmament avec ses étoiles, et la mer avec ses flots. Que le ciel se réjouisse donc, que la terre s'exalte de joie, que la mer s'agite et soulève ses grandes eaux en signe d'allégresse, et que les champs et toutes les plantes qui y croissent tressaillent de plaisir ; car voici venu le jour du Seigneur!
«La veille de Noël était la plus solennelle de toutes. On lisait, à vêpres, le capitule Gaudete, pour inviter les fidèles à une joie spirituelle. Les versets de ces vêpres expriment les soupirs les plus ardents des anciens patriarches. Le Veni ad liberandum était chanté par deux enfants de chœur, et le Rorate coeli, par un seul.
On le voit, dans les maisons de retraite et de prière, où l'on conçoit mieux que dans le monde les choses saintes, au jour de Noël, c'était à des enfants qu'on laissait chanter
les premiers hymnes de la fête, et là je trouve une pensée de convenance et de justice : n'était-ce pas aux enfants à saluer les premiers, de leurs voix jeunes et pures, l'enfant divin qui venait de naître pour le salut de tous.
Dernière édition par MichelT le Ven 23 Mar 2018 - 23:38, édité 26 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
4 – Les St-Innocents ( 28 décembre)
Une religion toute de pureté et de tendresse doit aimer les enfants ; aussi la religion catholique les amène souvent dans ses sanctuaires et se plaît à les montrer dans les solennités : elle en fait les frères des anges. Mais, faire tenir les enfants auprès des autels, se servir de leurs mains innocentes pour aider au saint sacrifice, n'était point assez encore : la religion nous ordonne d'honorer de petits martyrs immolés sur le sein maternel, et qui ont passé de l'âge du berceau aux délices du ciel.
Le roi Hérode, ami de César, fort de l'appui des Romains, entouré de gardes, tremblait dans son palais, et c'était la pensée d'un enfant qui causait sa frayeur ; car des Mages venus des régions de l'Orient et qu'une étoile miraculeuse avait conduits de leur pays lointain à Jérusalem, disaient à ceux qui les questionnaient : Nous sommes arrivés des
contrées voisines de l'aurore pour adorer un enfant qui vient de naître en Judée, et doit être roi des Juifs. Une étoile qui d'ordinaire n'a point de place au firmament nous a servi de guide ; là où elle s'arrêtera , là nous trouverons l'enfant que nous voulons honorer.
A ces paroles, Hérode, saisi d'une grande frayeur, assembla les princes des prêtres pour les consulter, et ils lui dirent que l'enfant que ces rois de l'Orient venaient adorer ne pouvait être que le Messie annoncé par les prophètes, et que c'était dans la petite ville de Bethléem qu'il devait naître. Quand les rois ont peur, ils sont facilement cruels.
Hérode, tremblant devant un enfant inconnu pris tout de suite une sanglante résolution : celle de faire massacrer tous les enfants nouveau-nés qui auraient depuis deux ans vu le jour à Bethléem et dans le pays qui avoisine la ville de David
S'étant arrêté à ce dessein, le roi de la Judée fit venir les Mages en sa présence ,et leur dit : « L'enfant que vous cherchez et que vous allez honorer, je veux l'honorer aussi ; quand vous saurez le lieu de sa naissance, quand vous retournerez dans votre pays, revenez par Jérusalem, et dites-moi où est l'enfant miraculeux, pour que je lui porte mon hommage. »
Les Mages, sans défiance, promirent ce qu'Hérode leur demandait; mais bientôt un ange leur apparut, il leur révéla la cruelle pensée du roi de la Judée, et les Sages de l'Orient retournèrent en leur patrie sans passer par la ville d'Hérode. Ce fut vers ce même temps que Joseph sut aussi la vérité d'un ange du Seigneur, qui lui commanda de fuir en Égypte avec Marie et son nouveau-né.
On le voit, le Dieu qui s'était fait homme fut de bonne heure exposé à la méchanceté des hommes. Le monde fut sans hypocrisie pour lui : tout de suite il se montra cruel et sanguinaire envers le Sauveur, qu'il méconnaissait ; et l'enfant divin n'avait pu encore marcher sur la terre où il avait voulu naître, que déjà elle se couvrait de sang dans la crainte de sa venue. Quand Jésus sortit de son berceau, ce fut pour être emporté par sa mère dans l'exil ; ainsi les douleurs du Fils de l'homme ne se firent pas attendre : elles commencèrent avec ses premiers jours !
Cette fuite vers l'Égypte se fit au milieu des plus grands dangers; car déjà l'ordre cruel d'Hérode était mis à exécution, déjà des voix lamentables étaient entendues dans Rama : c'étaient celles des mères qui pleuraient et qui ne voulaient pas être consolées, parce que leurs fils n'étaient plus, parce que de cruels soldats les avaient arrachés de leurs bras, les avaient tués du glaive ou écrasés contre les murailles !
Oh! quelle affreuse, quelle horrible lutte entre ces mères qui défendent leurs enfants nouveau-nés, et ces bourreaux armés! Elles n'ont ni casques, ni cuirasses, ni lances, ni boucliers; elles n'ont que leur désespoir de femme, que leur courage de mère, et elles ne craignent rien. Elles ont supplié d'abord ; mais quand elles ont vu que leurs prières étaient vaines, et que leurs larmes n'amollissaient pas le coeur des meurtriers, alors elles n'ont plus été à genoux, et si elles ont encore levé les mains, ce n'était plus pour implorer, mais pour déchirer, pour se battre, pour défendre leurs enfants. Ne voyez plus de timides femmes : voyez des lionnes hurlant, écumant, défendant leurs petits. Dans ce combat, plus d'un soldat d'Hérode succombe, plus d'une mère croit un instant que son courage a sauvé son fils ; mais d'autres exécuteurs des volontés du tyran arrivent, et dans les campagnes, et dans les maisons, et sous les ruines ensanglantées, et sous les tas d'enfants massacrés, et sous les corps des mères qui ont été tuées de la lance qui a tué leur fils, ils cherchent, et si un petit enfant respire encore, si sa mère est parvenue à se cacher avec lui, un martyr de plus sera immolé aux frayeurs d'Hérode; car il ne faut pas qu'un seul enfant échappe : l'enfant sauvé pourrait être le Messie, le vrai roi des Juifs , et alors que deviendrait la puissance de l'usurpateur?
En tout temps, en tous lieux , l'usurpation rend méchant et sanguinaire ; ce que l'injustice a pris, la cruauté veut le défendre, l`avarice veut le garder. Quelques écrivains ont prétendu que le nombre des enfants massacrés par les ordres d'Hérode se monte à quatorze mille; nous croyons qu'il y a là exagération. Toujours est-il que beaucoup de sang coula alors, et dans toutes ces si jeunes victimes immolées auprès du berceau du Christ, la religion a voulu voir des martyrs. Ce n'est pas par la parole qu'ils ont confessé la venue du Sauveur, c'est par l'effusion de leur sang. D'autres sont montés au ciel des planches des échafauds, de la poussière rougie du cirque et des flammes des bûchers; mais eux, c'est du sein, des bras, des baisers de leur mère qu'ils ont été emportés par les anges dans les demeures célestes.
Jamais l'Église n'a montré plus de poésie que dans l'hymne qui se chante le jour des saints Innocents ; on dirait ces stances composées par une mère:
« Nous vous saluons , premières fleurs des martyrs !
Nous vous saluons , vous que le fer a moissonnés dès vos
premiers jours! vous, roses naissantes, que l'ouragan a
emportées toutes fraîches et toutes belles !
«Vous, premières victimes, qui avez été immolées
pour le Christ ! vous jouez innocemment à ces autels,
avec les palmes et les couronnes que vous avez emportées de la terre !
La cruauté d'Hérode ne lui servira pas. Bien des enfants ont été massacrés ; mais l'enfant dont il voulait la mort, celui-là est sauvé ! Le sang des nouveau-nés a formé des ruisseaux ; mais le Fils de la Vierge n'a pas été atteint du glaive ! du glaive qui a fait pleurer tant de mères!
« Ainsi Moïse, le libérateur d'Israël, échappa au cruel édit du Pharaon. Ainsi son berceau fut retiré des eaux du Nil ; ainsi le salut fut donné à celui qui précédait le Christ, le Désiré des nations. «Tendre troupeau de blanches brebis, il servira l'Agneau dans les parvis du ciel ! Ce sont ceux-là qui n'ont connu que les baisers de leurs mères, ce sont ceux-là qui suivent l'Agneau partout; car ils sont purs comme la neige, et le mensonge n'a pas souillé leur bouche. »
La fête des saints Innocents, fixée au 28 décembre, remonte au neuvième siècle ; depuis ce temps la célébration en fut presque générale, jusqu'à ce que des folies vinssent la déshonorer. Comme en cette fête, consacrée à la mémoire des jeunes martyrs, on donnait le pas et la place d'honneur aux enfants; comme c'était en quelque sorte
la fête spéciale des petits enfants, la raison ne présida pas toujours à tout ce qui fut introduit, en quelques villes, dans le cérémonial de ce jour.
De la fête des Enfants, l'abus fit la fête des Fous, et alors d'ignobles bouffonneries profanèrent le sanctuaire. Ces sacrilèges ont cessé, et aujourd'hui la fête des petits martyrs a retrouvé toute sa pureté ; et, dans nos églises, bien des larmes reviennent aux yeux des mères chrétiennes quand elles chantent devant l'autel encore paré des pompes de Noël :
« Nous vous saluons, prémices et fleurs des martyrs! Nous vous saluons, vous que le fer a moissonnés dès vos premiers jours ! vous, roses naissantes, que l'ouragan a emportées toutes fraîches et toutes belles! »
La religion catholique, qui n'a pas voulu que sur la terre il y eût une misère sans secours, un mal sans remède, une douleur sans consolation, a aussi placé dans le ciel des protecteurs pour tous les hommes.
Les puissants du monde, ceux qui s'asseoient sur les trônes, ont, pour intercéder en leur faveur auprès du Roi des rois, sainte Clotilde, saint Louis, sainte Radegonde, saint Ferdinand, saint Henri, saint Casimir. Les guerriers ont saint Georges, saint Maurice et tous les pieux soldats de la légion Thébaine.
Les chastes filles qui se sont vouées au Seigneur ont pour première patronne Marie, la reine des vierges ; puis sainte Ursule, sainte Thérèse, sainte Angèle, et sainte Geneviève, bergère de Nanterre. Les vieillards prient les saints patriarches , et les petits enfants ont pour intercesseurs dans les régions célestes les chérubins, leurs frères, et ces jeunes martyrs dont le sang a coulé à l'entour du berceau de l`Enfant-Jésus.
5 – La Circoncision – Premier Janvier.
Une fête aussi solennelle que celle de la naissance du Sauveur devait avoir une octave. Aussi, pendant plusieurs siècles, le huitième jour après la nuit de Noël était chômé sous le titre d'octave de la Nativité de Jésus. On croit que ce fut vers l'année 660 que l'on donna à cette fête le nom de fête de la Circoncision de Notre-Seigneur.
Un vieux livre dit, à propos de la célébration de ce jour : « Jésus-Christ a voulu nous faire voir dans ce mystère que quoique la divinité fût jointe à son humanité, il n'était pas venu pour se dispenser de la loi. » Quand l'année commence, l'Église offre aux méditations des fidèles un exemple de soumission à la loi établie, comme pour leur dire : « Pendant les jours qui vont vous venir, restez obéissants à qui vous commande au nom de Dieu . Voyez celui qui n'avait sur sa divine personne aucune marque du péché, n'avait besoin ni de la circoncision ni du baptême ; mais comme il venait enseigner l'humilité, il s'est humilié sous le joug commun »
Dans la loi de Moïse, il n'y avait rien de prescrit sur le lieu où la circoncision devait être faite ; l'on peut donc croire que le fils de Marie fut circoncis dans Bethléem, où il était né, puisque les Mages trouvèrent ce divin enfant dans ce même lieu quand ils vinrent l'adorer. C'était le jour où l'on faisait couler le sang de 1`enfant nouveau-né, qu'on lui donnait le nom qu'il devait porter parmi les hommes. Le fils de Dieu avait bien le droit de prendre les noms les plus glorieux, ceux qui avaient été illustrés par les grands rois et les conquérants ; mais non, ce fut celui de Jésus, qui veut dire Sauveur, qu'il préféra à tous les autres.
Aussi on lit ces paroles dans l'hymne de la Circoncision : « Pour ajouter à leur gloire, les conquérants prennent les noms des nations soumises par leurs armes. — Mais vous, ô Jésus ! vous prenez un nom qui annonce la délivrance; vous aimez mieux délivrer que conquérir. » Quand j'étais au collège, je me souviens que nos maîtres nous recommandaient d'écrire à la première page de nos cahiers d'études une pensée à la gloire de Dieu, pour sanctifier et rendre notre travail meilleur. Eh bien! dans ce nom de Jésus, mis au premier jour de l'année chrétienne, je trouve quelque chose de semblable : pour que les jours qui vont suivre cette première journée nous soient bons, la religion en a marqué la première heure par un nom de rédemption et de salut.
Ainsi, l'homme des champs, qui veut que ses prairies aient de bons pâturages, fait partir et découler tous les ruisseaux qui les arrosent d'une source pure et bienfaisante. Avec les usages tels que l'habitude nous les a faits, les premiers jours de l'an sont en général peu sanctifiés.
Les devoirs de société empiètent trop sur les devoirs religieux. — En cette journée de visites , il y a souvent un bienfaiteur oublié c'est Dieu, celui qui envoie les années à la terre pour savoir ce que valent les hommes. L'Église s'est souvent affligée des restes du paganisme qui signalent cette première journée du nouvel an
Les étrennes, si aimées de nous tous quand nous en recevons, et plus douces encore quand nous pouvons en donner, ces étrennes si attendues des enfants , ont été anathématisées par les saints Pères à cause de leur origine païenne.
Le concile de Tours, tenu l`an 566, nous apprend qu'au premier jour de janvier il était ordonné d'apposer le chant des litanies aux chants impies et superstitieux des païens , ce qui marque que ce premier jour de l'an était moins un jour de fête et de joie qu'un jour de pénitence et d'expiation, un jour sans Alléluia à l'office.
Vers la fin du septième siècle , l'Église abrogea les trois jours de jeûne que les conciles avaient prescrits pour la fin de l'année et le commencement de l'année suivante Elle exhorta vivement les fidèles à substituer les pauvres à la place des amis, et à convertir les étrennes en aumônes.
Toute la charité chrétienne se retrouve dans ce précepte; les siècles, dans leur marche, peuvent bien amener quelques changements dans le cérémonial des fêtes religieuses, mais ils ne changent rien à l'esprit du catholicisme; il reste toujours pur, élevé, plein d'amour et de mansuétude, de miséricorde et de justice. Et quand les temps seront accomplis, il retournera vers Dieu qui l'a fait , comme ces anges qui venaient visiter les patriarches et les saints remontaient au ciel sans que leurs pieds d'ivoire eussent été souillés de la poussière du monde, sans qu'une plume fût tombée de leurs ailes!—Les étrennes, les souhaits de bonne année, étant restés un usage établi, la religion y a mêlé sa sagesse, et ses conseils. Je me souviens qu'un jour du premier de l'an , vers les neuf heures du matin,—j'étais alors à Rouen,—j'entrai dans l'église de Saint-Maclou; elle était pleine de fidèles, et son vieux et respectable curé était en chaire.
C'était bien aux pauvres habitants de ce pauvre quartier de venir, la première matinée du nouvel an, demander à Dieu de la force pour travailler et de la résignation pour souffrir; car en cette paroisse, que les riches habitent peu, résignation et force sont des vertus de première nécessité.
Le bon pasteur parlait à son troupeau avec un ton paternel qui allait à l'âme, et je restai debout dans la foule, trouvant si grand bonheur à l'entendre, que je n'ai point oublié ses paroles: « Beaucoup d'entre vous , disait le vénérable curé, beaucoup d'entre vous sont venus me souhaiter une bonne année, je les en remercie, et, pour que l'année
qui commence aujourd'hui me soit bonne et heureuse, il faut qu'elle ne vous soit pas mauvaise; à vous donc, mes chers enfants, à mon tour, je souhaite une bonne année, une année sans misère, sans fléau de Dieu, une de ces années de vertu qui mènent aux années éternelles.
« A vous donc, qui m'écoutez, et qui n'avez ni splendides habits, ni de somptueux atours, à vous je souhaite résignation et patience Oh! portez en chrétiens soumis les pauvres vêtements que je vous vois, et si les bonnes années que je vous souhaite vous adviennent, là-haut Dieu vous échangera ces habits contre des manteaux de pourpre, semblables à des manteaux de rois. »
Comme j'étais dans la foule, je vis l'émotion qui y régnait : il y avait alors, je vous assure, entre le troupeau et le pasteur, entre les enfants et le père , entre les chrétiens et le prêtre, une union de charité si intime, que ce n'était plus qu'un coeur et qu'un esprit.
Dans tous ces premiers de l'an que j'ai vus passer sur ma tête, et aux jours de bonheur, et aux jours d'adversité, dans les maisons des grands où je suis allé avec la foule offrir des vieux de bonheur aux heureux de ce monde, j'ai vu bien des choses! je les ai oubliées ; et comment se fait-il que j'aie gardé le souvenir de cet échange de souhaits entre le curé de Saint-Maclou et ses pauvres paroissiens?... Oh! je le sais . c'est que la religion avait imprimé son sceau sur cette scène, et rien n'a pu l'effacer.
Il y a bien, des gens qui passent d'une année à une autre sans rien ressentir, et qui se prennent à sourire de dédain quand vous leur dites que vous ne finissez pas une année, que vous n'en commencez pas une autre sans émotion : moi, j'avoue que ce n'est jamais sans saisissement que, dans la nuit du 31 décembre, je compte les
douze coups de minuit; quand le dernier coup a sonné, j'écoute toujours, car le son qui vibre pendant quelques secondes, et qui est tout ce qui reste de l'année expirante, lui appartient encore; ce ne sera que lorsque cette vibration ne tremblera plus dans l'air que la nouvelle année commencera.
Je trouve qu'à ce moment de transition il faut appeler près de soi une pensée religieuse; sans cela, l'âme serait saisie de trop de tristesse; car, cette année qui s'en est allée tomber dans le gouffre de l'éternité, combien de nos amis n'a-t-elle pas emportés dans leurs suaires!
Avec de l'espérance pour l'avenir, avec de la résignation pour le passé, je dis à l'année qui commence : « Salut, fille naissante du temps ! salut, inconnue qui nous arrives ! tu nous viens tout enveloppée de voiles ; nous ne pouvons voir si ton visage est riant ou sévère, si tes mains encore fermées nous apportent bonheur ou infortune, si tu as dans les plis de ton manteau la paix ou la guerre ; tu es mystérieuse pour nous ; mais tu nous viens de Dieu, et nous te donnons la bienvenue ; salut !.. .»
«Béni soit celui qui nous vient au nom du Seigneur. » Le jour qui commence l'année me semble si solennel, que je voudrais que la part de la religion y fût plus grande. Quelquefois, quand une fontaine va être ouverte aux habitants d'une ville, vous voyez un pontife venir bénir les eaux qui vont couler. Eh bien! je voudrais qu'il y eût aussi, des marches de l'autel, une bénédiction des jours qui vont nous venir.
Sous le soleil, y a-t-il quelque chose qui se ressemble plus que les eaux qui coulent et que nos jours qui passent? Les eaux vont à l'océan, les jours à l'éternité. Mais si le vieil océan ne dit point aux ondes qui lui arrivent : Pourquoi êtes-vous troublées et bourbeuses? Dieu dira à nos jours : Pourquoi n'avez-vous pas été purs?... Tâchons donc qu'ils ne soient pas souillés.
6 – L`Épiphanie – Le Jour des Rois Mages. ( 6 janvier)
Si le printemps parsème les champs de fleurs quand rient le riant mois de mai , le catholicisme répand sur la triste et froide saison de l'hiver, sur les mois de décembre et de janvier, de saintes fêtes , qui sont comme des fleurs dans la vie du peuple chrétien. Voyez quelle succession de jours joyeux : Noël, les saints Innocents , le premier de l'An, et les Rois!...
Le jour des Rois a surtout un grand attrait ; mais , avant de nous laisser aller au plaisir de peindre les beautés poétiques de cette fête religieuse , qui est devenue une des plus douces fêtes de famille, disons son origine et l'adoration qu'elle rappelle.
En faisant venir autour du berceau de l'enfant Sauveur les étrangers et les gentils , Dieu a voulu montrer que tous les hommes, que toutes les nations, étaient destinés à le connaître, à l'aimer, à le servir. L'Épiphanie, c'est la manifestation de Jésus- Christ à tous : dès ce jour où les Mages de l'Orient sont venus adorer le fils de Marie, il n'y a plus eu de privilège de nation, plus de peuple de Dieu à part. Le peuple de Jésus-Christ, ç'a été tous les peuples ; la nation choisie, ç'a été toutes les nations de la terre.
Ainsi, la fête de l'Adoration des Mages est notre fête à tous, car nous descendons de ceux qui sont venus de loin pour adorer le Désiré des nations; nos pères n'étaient pas possesseurs de la terre de Chanaan : pour les y conduire, une étoile s'est levée dans le ciel, a marché devant eux, comme la colonne de feu avait jadis guidé les tribus de Moïse. Nous devons reconnaissance à Dieu de ce prodige. Sans l'étoile qu'il a fait briller à leurs yeux , nous serions restés dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Nous devons donc chaque année, quand le jour des Rois revient, aller au pied de ces autels qui représentent la crèche de Bethléem, adorer celui qui est né pour le salut de tous. Et si nous n'avons ni myrrhe, ni encens, ni or à offrir, ne nous décourageons pas ; souvenons-nous que les bergers ont adoré le fils de Marie avant les mages ou les rois. Et, eux, qu'avaient-ils à lui porter en hommage, hors leur pureté et leur foi?...
Dans les premiers siècles, depuis la nuit de Noël jusqu'au jour de l'Épiphanie, ce n'était qu'une fête continuelle , et dans cette sainte joie que ressentaient nos devanciers , ils n'avaient pu trouver une place pour la mortification ; la vigile des Rois n'avait point de jeûne , et voici ce que nous lisons à ce sujet dans l'Histoire des fêtes de l'Église :
« La veille de l'Épiphanie, quoique des plus célèbres depuis son institution , n'avait rien dans les commencements qui la distinguât des autres. On passait la nuit à l'église , en prières et en lectures ; et ce qui la rendit en suite plus auguste que toutes les autres en Orient, ce fut la grande cérémonie du baptême des catéchumènes , et le grand nombre des luminaires , en quoi elle égalait les veillées de Pâques et de Noël, « Lorsqu'on changea l'usage de veiller la nuit dans l'église, on se trouva partagé sur l'observation du jeûne qui semblait devoir être observé le jour précédent, comme on en usait aux autres veilles de fêtes ; mais parce que ce jour était compris dans l'espace d'entre Noël et de l'Épiphanie, qui était considéré comme une fête continuelle, cette considération fit qu'en plusieurs endroits l'on se crut dispensé de jeûne, sous prétexte d'honorer la fête, ce qui s'étendit même jusqu'aux religieux. »
L'auteur du livre dont j'extrais ce passage s'appuie de l'autorité de saint Pierre Damien et de saint Grégoire. Tout usage qui réunit les familles au nom de Dieu, toute fête qui rapproche les parents, toute réjouissance qui est partagée par les maîtres et les serviteurs, par les riches et les pauvres, sont bonnes.
Écoutez Chateaubriand : « Ceux qui n'ont jamais reporté leurs cœurs vers ces temps de foi où un acte de religion était une fête de famille, et qui méprisent des plaisirs qui n'ont pour eux que leur innocence ; ceux-là , sans mentir, sont bien à plaindre.»
Les cœurs simples ne se rappellent point sans attendrissement ces heures d'épanchement où ils se rassemblaient autour des gâteaux qui retraçaient les présents des mages. L'aïeul , retiré pendant le reste de l'année au fond de son appartement, reparaissait dans ce jour comme la divinité du foyer paternel. Ses petits-enfants,
qui depuis longtemps ne rêvaient que la fête attendue, entouraient ses genoux et le rajeunissaient de leur jeunesse; les fronts respiraient la gaieté, les cœurs étaient épanouis, la salle du festin était merveilleusement décorée, et chacun prenait un vêtement nouveau.
Au choc des verres, aux bruyants éclats de joie, on tirait au sort ces royautés, qui ne coûtaient ni soupirs ni larmes ; on se passait ces sceptres, qui ne pesaient point dans la main de celui qui les portait. « Souvent une fraude qui redoublait l'allégresse des sujets et n'excitait que les plaintes de la souveraine , faisait tomber la fortune à la fille du lieu et à un fils du voisin dernièrement arrivé de l'armée. Les jeunes gens rougissaient, embarrassés qu'ils étaient de leur couronne ; les mères souriaient, et l'aïeul vidait sa coupe, à la nouvelle reine.
« Or, le curé, présent à la fête, recevait, pour la distribuer avec d'autres secours, cette première part, appelée la part des pauvres. Des jeux de l'ancien temps, un bal, dont quelque vieux serviteur était le premier musicien , prolongeaient les plaisirs ; et la maison entière , nourrices, fermiers, domestiques et maîtres, dansaient ensemble la ronde antique. »
En lisant cette délicieuse description d'une fête que nous avons tous célébrée , chacun de nous rappelle ses souvenirs d'enfance. C'était une belle fête sous le toit paternel. Ce jour-là, on mettait des allonges à notre grande table; car notre père y conviait nos parents et nos amis. Dès le matin, le boulanger qui , de père en fils, servait la maison, avait
fait hommage d'un gâteau feuilleté, grand et rond comme le bouclier d'Achille. Il avait peut-être dit tout bas au maître d'hôtel dans quelle partie se trouvait la fève devait donner la royauté ; mais personne de nous ne le savait.
Le curé, invité à la fête, quand nous étions tous autour de la table , avant que nous fussions assis , disait le Bénédicité. Notre sœur aînée était assise en face de notre père, car notre mère avait été appelée à Dieu, et, depuis plusieurs années , célébrait toutes les saintes fêtes dans le ciel.
Je me souviens que ce jour-là nous trouvions que le premier et le second service duraient bien longtemps ; l'ambition des enfants appelait le dessert, car c'était le moment du gâteau. Depuis que nous avons vieilli, nous avons vu des ambitieux désirer des troubles et des bouleversements, pour avoir la chance de gagner des sceptres et des couronnes.
Nous, nous étions plus innocents dans nos désirs : c'était à travers le plaisir que nous voulions parvenir au pouvoir Et puis, la couronne que nous ambitionnions n'appartenait à personne. On apportait l'immense gâteau devant le curé, et notre sœur, celle qui remplaçait notre mère, priait le vieux pasteur qui lui avait fait faire sa première communion , et qui lui avait enseigné la charité , de marquer la part des pauvres , et lui recommandait de la faire bien grande.
Cette part était mise de côté , et si par hasard la fève ne se trouvait pas dans les portions qui avaient été offertes cachées sous un napperon blanc, et portées par le plus jeune d'entre nous à chacun des convives ; alors , pour avoir le droit de la chercher dans la part des pauvres, qui s'appelait aussi la part à Dieu, il fallait la racheter du curé par une aumône envers les nécessiteux et les malades de la paroisse.
Quand cette fève était enfin trouvée, quand un de nous, fier de l'avoir obtenue du sort, la montrait aux acclamations libres, franches, sincères, sans solde, sans arrière-pensée , saluaient le nouveau roi ! Et, quand cette légère couronne de la fève tombait sur le front d'un enfant..., la royauté s'embellissait encore de grâces, d'innocence et d'espoir, et l'on souriait d'amour en criant vive le roi !
Puis, il fallait que le jeune monarque partageât son trône, et qu'il choisît une reine pour venir s'y asseoir auprès de lui ; ou bien, si le sort, sans égard pour notre vieille loi salique, avait tout d'abord donné la royauté a une jeune fille , c'était à elle à désigner qui elle prêtait pour roi.
Un échanson était aussi nommé ; c'était à lui à emplir la coupe du roi et de la reine, et alors que leurs riantes et gracieuses majestés buvaient, quels cris de le roi boit!
le roi boit! la reine boit! la reine boit! Les murs de la salle du festin , ornés des portraits de famille, répétaient ces bruyants élans de plaisir; et les vieux serviteurs se sentaient tous réjouis de la joie de leurs jeunes maîtres.
Dans les campagnes , les enfants se mettent à courir quand l'obscurité de la douzième nuit arrive ; ils tiennent et agitent dans leurs mains des baguettes d'osier pelé et séché, auxquelles ils ont mis le feu ; cet usage est d'un effet fantastique dans les champs. Ces flammes qui courent, qui montent et qui descendent, qui apparaissent et dans la plaine et sur la montagne, et dans les bois et près des eaux ; les cris de joie , les chants d'allégresse des enfants qui promènent ces feux, ont pour but de rappeler cette lumière miraculeuse qui guidait à travers les campagnes d'Israël les Mages de l'Orient.
Dans quelques pays, une étoile toute scintillante de petites bougies , ou de lampions allumés , part de dessous le porche de l'orgue, et , à l'aide de poulies et de cordes, file le long de la nef du milieu, et ne s'arrête qu'au-dessus de l'autel, pour dire que celui qui doit être adoré est là !...
Quelques esprits austères se réjouissent quand ces vieux usages , qu'ils appellent superstitieux, viennent à s'effacer des mœurs du peuple; dans leur rigidité, ils ne voudraient rien de ces choses matérielles et extérieures: je pense qu'il y a là une sorte de sécheresse puritaine, qui ne va point au catholicisme, toujours sage , mais toujours tendre, toujours appuyé sur la raison , mais toujours plein de poésie. Sans doute il ne faut pas permettre que les choses qui ressemblent aux jeux des théâtres viennent se mêler à nos saintes cérémonies; mais quand ces ressouvenirs naïfs d'un mystère ont traversé les siècles , et sont venus des anciens jusqu'à nous, à travers l'encens du sanctuaire, je crois qu'ils sont bons à conserver.
Dans cette journée de l'Épiphanie, l'Église a réuni trois commémorations, celle du baptême de Jésus-Christ, celle de son premier miracle aux noces de Cana, et celle de l'adoration des Mages. La réunion de ces trois commémorations le même jour est d'un usage fort ancien : il parait que l'Église, dans l'établissement de cette triple fête de l'Épiphanie, a eu égard à l'opinion de quelques anciens pères, qui ont cru que les trois mystères pouvaient être arrivés en un même jour.
La fête, telle qu'elle est aujourd'hui , était célébrée très-solennellement dans les Gaules dès le milieu du quatrième siècle, puisqu'au rapport d'Ammien Marcellin, l'empereur Julien, surnommé l'Apostat, n'osa se dispenser d'assister à l'office de ce jour, étant alors à Vienne en Dauphiné, et ne s'étant pas encore ouvertement déclaré contre la religion de Jésus-Christ au commencement de l'an 361.
Avant l'union des trois mystères de l'Épiphanie, la fête de l'adoration des Mages s'appelait Théophanie. La pensée du Sauveur adoré dans sa crèche par les rois ou les Mages est celle qui domine dans l'office et dans les hymnes de la fête du 6 janvier ; ainsi l'Évangile ne parle que du voyage des Mages guidés par l'étoile :
« Jésus étant né dans Bethléem , ville de Juda , au temps du roi Hérode, des Mages vinrent de l'Orient a Jérusalem, et ils demandèrent : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer.»
« Ce que le roi Hérode ayant entendu , il fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Et ayant assemblé tous les princes des prêtres et les docteurs du peuple, il s'enquit d'eux où devait naîtra le Christ. Ils lui dirent que c'était dans Bethléem, de la tribu. de Juda, selon qu'il a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la dernière parmi les principales villes de Juda; car de toi sortira le chef qui conduira mon peuple d'Israël ! Alors Hérode ayant appelé les Mages en secret, s'enquit d'eux, avec un grand soin, du temps que l'étoile leur était apparue ; et les envoyant à Bethléem , il leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet enfant , et, lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi l'adorer.»
Ayant ouï ces paroles du roi, ils partirent ; en même temps l'étoile qu'ils avaient vue en Orient reparut, et elle allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu où était l'enfant, elle s'y arrêta. «Lorsqu'ils virent l'étoile arrêtée, ils furent transportés d'une extrême joie; et, entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant et sa mère, et se prosternant en terre , ils l'adorèrent ; puis , ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l'or , de l'encens et de la myrrhe ; et ayant reçu en songe un avertissement du Ciel de n'aller point retrouver Hérode , ils s'en retournèrent dans leur pays par un autre chemin.»
Tel est le récit fait par saint Matthieu, et du voyage des Mages et des terreurs d'Hérode. Le mot de Roi n'est pas prononcé dans l'Évangile, et cependant la tradition a fait de ces Mages de l'Orient des Rois; serait-ce parce que dans l'office de la fête l'Église répète ces paroles des prophètes : « Les rois de Tharsis et des îles viendront lui
apporter des présents ; les rois d'Arabie et de Saba lui feront des offrandes , et tous les peuples seront sous sa domination.»
« L'Église , dit l'auteur de l` Histoire des Fêtes chrétiennes, fait profession de ne savoir autre chose des Mages que ce qu'elle en a appris de l'Évangile ; et il ajoute : Elle croit seulement qu'après être retournés en leur pays, ils eurent grand soin de conserver et de faire profiter la grâce qu'ils avaient reçue ; et qu'ils sont parvenus à la gloire du ciel, après avoir annoncé Jésus-Christ à la terre et par leurs instructions et par l'exemple de leur vie. »
La tradition et de parole et de peinture a réduit le nombre des Mages à trois; mais encore, à cet égard, l'Évangile ne fixe rien , et nous avons de la peine à voir qui a pu établir si généralement dans les esprits le nombre trois, comme ayant été celui des Mages voyageurs.
Don Calmet, saint Léon, saint Césaire, Eusèbe, Bède, l'abbé Rupert , et après eux une foule de commentateurs, enseignent que les Mages étaient trois. Ce sentiment paraît fondé principalement sur les trois sortes de présents : l'or, la myrrhe et l'encens, qui sont marqués dans l'Évangile. Nous leur donnons les noms de Gaspar, Melchior et Balthasar; mais ces noms sont inconnus à l'antiquité, aussi bien que ces autres qu'on leur attribue dans des livres peu autorisés.
On est assez partagé sur la profession des Mages, écrit don Calmet; les uns ont cru qu'ils exerçaient les arts curieux et diaboliques de la divination , de l'astrologie et des enchantements. L'ancien Évangile de l'enfance du Sauveur dit qu'ils étaient disciples de Zoroastre ; mais d'autres ont porté un jugement plus favorable : ils ont cru que leur magie était permise et naturelle. Saint Épiphane croit qu'ils étaient de la race d'Abraham et de Céthura. L'abbé Rupert leur donne le nom de prophètes et d'hommes inspirés.
Origène a cru que les Mages s'étant aperçus , dans leurs opérations magiques, que le pouvoir du démon était fort affaibli, s'appliquèrent à en découvrir la cause, et qu'ayant remarqué dans le même temps un nouvel astre dans le ciel, ils jugèrent que c'était cet astre dont avait parlé Balaam , et qui désignait la naissance d'un nouveau roi d'Israël ; c'est ce qui les détermina à l'aller chercher pour lui rendre leurs adorations.
SaintBasile et saint Ambroise ont eu à peu près la même pensée. Saint Jérôme dit qu'ils apprirent des démons, ou plutôt de la prophétie de Balaam, que le Christ était né. Tertullien semble dire que c'est par l'astrologie qu'ils apprirent la naissance du Messie, puisqu'il avance que jusqu'à Jésus-Christ , cette science était permise , mais que depuis ce temps elle est défendue, afin que personne ne cherche plus dans les astres l'horoscope de quelqu'un.
Il est édifiant et curieux de voir quelle importance les chrétiens primitifs mettaient à connaître le nombre et la profession des Mages quand la miraculeuse étoile apparut à leurs yeux et les décida à quitter leur pays, à traverser des contrées inconnues, pour venir adorer un roi des Juifs, au berceau. Pour prouver jusqu'à quel point nos devanciers portaient leur pieux désir de savoir tout ce qui se rattachait aux grands événements du christianisme,
Je vais citer des extraits sur la fête de l'Épiphanie. On lit, à la fin du troisième volume des ouvrages du vénérable Bède, dans un livre intitulé Extraits des Pères, que Melcbior, le premier des Mages, était un vieillard chauve, ayant une grande barbe, et de longs cheveux blancs ; qu'il portait, quand il s'est prosterné devant l'enfant annoncé par l'étoile, une robe couleur d'hyacinthe, ou de bleu céleste, un manteau jaune ou orangé (sagomelino), une chaussure de couleur mêlée de bleu et de blanc , et un manteau royal de différentes couleurs ; il offrit de l'or au roi Jésus-Christ.
Le second Mage s'appelait Gaspar ; il était jeune, sans barbe, vermeil, vêtu d'une robe orangée et d'un manteau rouge. Sa chaussure était couleur d'hyacinthe ; il offrit de l` encens pour reconnaître la divinité de Jésus-Christ. Le troisième s'appelait Balthasar ; il était brun, portait une grande barbe, était vêtu d'une robe rouge, d'un manteau bariolé; sa chaussure était jaune ; il offrit de la myrrhe au. Sauveur pour marquer sa mortalité.
Nous avons vu, dans plus d'une église, des tableaux de l`Adoration des Mages, faits d'après cette description de costumes, que l'on pourrait croire avoir été écrite par un témoin oculaire.
D'autres livres du même genre disent que les Mages avaient été douze, pris dans toute leur nation, et se succédant de père en fils depuis bien des siècles, pour observer le moment de l'apparition de l'étoile prédite par le prophète Balaam. Enfin, l'étoile leur apparut portant un enfant au milieu de ses rayons.
Le connétable d'Arménie écrivait à saint Louis que les trois rois Mages étaient venus de Tangat dans l'Arménie. Venons à présent, dit en terminant don Calmet, à l'étoile qui apparut aux Mages. Quelques anciens ont avancé que c'était un astre nouveau, créé exprès pour annoncer aux hommes la naissance du Messie.
Origène (livre I"), contre Celse, Maldonat et Grotius, croit que c'était une espèce de comète qui avait paru extraordinairement dans l'air; d'autres ont prétendu que c'était un ange au corps lumineux, en forme d'étoile.
Quelques-uns m'en voudront peut-être de toutes les conjectures, de toutes les opinions que j'ai rapportées ici sur les Mages; mais j'avouerai que j'ai trouvé de la naïveté dans tous ces commentaires, et, de plus, une preuve du respect que portaient nos devanciers à ces hommes choisis de Dieu pour venir de loin adorer son fils.
On ne s'enquiert autant de quelqu'un que lorsqu'on veut l'honorer beaucoup; quand on va si loin pour trouver de la pierre blanche et saine; quand on fait venir les ouvriers les plus habiles ; quand on abat les cèdres les plus beaux ; quand on scie et façonne les marbres les plus précieux; quand on élève une forêt de colonnes, c'est que l'on veut que le temple que l'on construit soit noble et magnifique, et digne du Dieu qui y sera adoré.
7– La Purification – la Chandeleur . ( 2 Février)
Jésus-Christ, la sainteté même, avait voulu se soumettre à la loi de Moïse, qui ordonnait la circoncision. Car, n'en doutons pas, ce que faisaient Marie et Joseph,
c'était la volonté de l'enfant divin qui leur était confié; comme une toute petite fleur exhale souvent beaucoup de parfum, une grande puissance émanait de cet enfant,
ou endormi dans la crèche, ou souriant dans les bras d'une femme; et quand on le portait au temple pour lui faire obéir à la loi commune, c'était d'après sa volonté : ceux qui croyaient le conduire marchaient guidés par lui.
Comme le Sauveur aurait pu, à cause de sa sainteté, ne pas se soumettre à la formalité de la circoncision, sa chaste mère, sa mère toujours vierge, n'avait aucun besoin de la purification ordonnée par la loi des Juifs; la pureté ne se purifie pas; c'est comme la neige tombant du ciel, qui pourrait la blanchir? C'est comme le lis, qui pourra le rendre plus beau, qui pourra lui donner une odeur plus douce que celle qu'il a eue en s'entr'ouvrant le premier jour au soleil? Mais Marie était la plus humble des femmes : mère d'un Dieu, elle s'appelait toujours la servante du Seigneur, ancilla Domini. Aussi, quand les quarante jours après la nuit de la naissance miraculeuse furent accomplis, elle se mit en marche pour aller présenter au temple de Jérusalem son enfant et les deux colombes du sacrifice. Le vieillard qui est avec eux, sur la poussière du chemin, c'est Joseph; lui et Marie, son épouse aux yeux des hommes, sont tous les deux de la royale lignée de David . Mais quand les usurpateurs sont sur les trônes, les descendants des vrais rois sont dans la pauvreté.
La loi de purification établie par Moïse ordonnait à la femme qui venait au temple afin d'être purifiée, de présenter un agneau pour être offert en holocauste, et une tourterelle qui devait être immolée pour le péché. La loi ajoutait que si la femme n'avait pas de quoi acheter un agneau pour l'holocauste, elle devait donner deux tourterelles ou deux petits de colombes. La fille de David, la mère du Messie, ne put offrir que les deux colombes! Oh! quand je vois mépriser la pauvreté, je m'irrite et m'indigne : dans la misère, il y a si souvent tant de noblesse ; dans le dévouement, tant de vertu! Eh! qui vous dit que sous cet habit si humble il n'y a pas un fils de roi , que sous ce voile usé il n'y a pas une reine? Peut-être qu`un riche orgueilleux de Jérusalem aura regardé avec dédain le couple qui n'apportait au temple que les deux colombes du pauvre; peut-être que, sous le parvis, près de l'autel des sacrifices, l'homme au manteau de pourpre, aux sandales dorées, aura disputé le pas à Joseph et à Marie!...
Et pourtant, stupide favori de la fortune aveugle, cet homme qui porte les deux colombes, c'est un descendant de vos anciens rois! cette femme si timide, si belle et
si humble, c'est une fille de David! cet enfant— , c'est le maître du monde ! S'il le voulait, de sa petite main il renverserait les colonnes de vos palais , il briserait les
cèdres de vos collines, et ferait périr les moissons de vos champs.
Quand la vierge-mère eut offert le sacrifice ordonné par la loi, quand elle eut dit au Seigneur : «Je vous offre mon fils, qui est le vôtre » , elle allait redescendre du
temple , et prendre le chemin de Nazareth ; mais un homme juste et craignant Dieu , Siméon, qui passait ses jours à attendre et à espérer la venue du Messie, la consolation d'Israël; Siméon, sur lequel était l'Esprit saint, et qui savait qu'il ne mourrait pas sans avoir vu le Christ, était aussi au temple le jour où Marie y porta son divin enfant.
Et quand le saint vieillard vit Jésus près de l'autel, il le prit des bras de sa mère, le bénit, et, inspiré de l'Esprit d'en haut, s'écria avec une vive allégresse :
«A présent! à présent, Seigneur, vous pouvez renvoyer votre serviteur de la vie ; à présent je mourrai en paix, car mes yeux ont vu le salut d'Israël; selon votre
parole, ô Seigneur, j'ai vu le salut que vous avez préparé devant toutes les nations, pour être la lumière et la gloire de votre peuple d'Israël. »
Après ces paroles, Siméon remit l'enfant dans les bras de Marie, la bénit aussi, ainsi que Joseph, et leur dit : « Cet enfant est venu pour être la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël ; il sera comme un signe qui excitera beaucoup de contradictions, un but contre lequel on lancera bien des flèches. Et votre âme, ô Marie! sera transpercée d'un glaive de douleur, afin que les pensées qui sont encore renfermées dans l'âme de plusieurs, soient révélées.» Après ces prophétiques paroles, le vieillard se tut, et quelques-uns croient qu'il mourut aussitôt dans le temple même Nous croyons, nous, que sa mort n'eut pas lieu en présence de Marie, de Joseph, et de l'enfant sauveur ; car, s'il en avait été ainsi, l'Évangile, qui redit son cantique, aurait raconté sa mort.
Il y avait aussi alors à Jérusalem une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, et qui était avancée en âge et veuve depuis longtemps , n'ayant vécu que sept ans avec son mari. Cette femme, entièrement vouée au service du Seigneur, passait sa vie dans le temple, priant et jeûnant, et faisant des bonnes oeuvres. L'Esprit de Dieu était souvent en elle, et quand elle eut entendu le cantique de Siméon, elle aussi se mit à louer le Seigneur, et à parler de Jésus à tous ceux qui attendaient le salut et la rédemption d'Israël.
Voilà tout ce que les livres saints nous disent de la purification de la sainte Vierge ; et dans le peu de lignes qui sont consacrées à nous redire cette cérémonie, nous
voyons encore une fois comme la douleur vient tout de suite se mêler à la joie dans les choses de ce monde.
Certes, quand le vieillard inspiré tenait dans ses bras l'enfant de Marie, lorsqu'il le bénissait, lorsqu'il l'appelait la gloire, le salut d'Israël, l'âme de la vierge-mère devait être remplie de délices ! Mais cette joie maternelle ne durera pas longtemps ; écoutez le prophète, il parle bientôt du glaive qui transpercera le coeur de la mère, et de tous les traits qui seront dirigés contre son fils.
Soumis à la volonté du Seigneur, Joseph et Marie, après la cérémonie de la purification et de la présentation au temple, reprirent le chemin de Nazareth, où ils demeuraient, ainsi que nous l'apprend saint Luc. La fête qui rappelle et la Purification de la mère et la Présentation de l'enfant au temple, date de loin ; c'est sous Justinien qu'elle fut instituée. On dit que ce fut l'accomplissement d'un voeu que cet empereur avait fait à Dieu pour obtenir la cessation d'une maladie qui dépeuplait Constantinople, en l'année 542.
Alors cette fête était nommée Hypapante, mot grec qui signifie aller au-devant ou à la rencontre de quelqu'un. Siméon et Anne la prophétesse étaient venus au-devant,
à la rencontre de Jésus-Christ dans le temple ; c'était ce souvenir-là que l'Église voulait perpétuer. «Mais, dit l'auteur de l` Histoire des Fêtes chrétiennes quoique cette fête fixée au 2 soit du nombre de celles dont nous nous croyons redevables à l'Église grecque, il semble que Rome ait quelque raison de prétendre qu'elle a prévenu Constantinople. Le pape Gélase, qui gouvernait l'Église plus de trente ans avant que Justinien fût par venu à l'empire, paraît avoir introduit cette fête au mois de février, lorsqu'il détruisit les restes honteux de l'abominable fête des Lupercales Fêtes infâmes, dans les quelles les habitants de Rome, dans le délire du vin et de la débauche, parcouraient tout nus, des torches à la main, les rues et les places de cette ville si fière de sa civilisation!
La fête chrétienne de la Purification s'est aussi appelée Chandeleur, parce qu'anciennement, à l'office de ce jour, les prêtres et les fidèles tenaient tous à la main un
cierge ou une chandelle de cire, une réminiscence de ces paroles du cantique de Siméon : Cet enfant sera la lumière d'Israël. Dans nos églises, aux vêpres et au salut, le jour de la Chandeleur, c'est bien beau de voir sous les ombres des arceaux et des voûtes, à l'heure où l'obscurité du soir arrive ; c'est bien beau de voir toutes ces lumières se mouvoir, briller et escorter la croix ; on dirait de petites étoiles descendues du ciel pour louer Dieu avec nous!
Une religion toute de pureté et de tendresse doit aimer les enfants ; aussi la religion catholique les amène souvent dans ses sanctuaires et se plaît à les montrer dans les solennités : elle en fait les frères des anges. Mais, faire tenir les enfants auprès des autels, se servir de leurs mains innocentes pour aider au saint sacrifice, n'était point assez encore : la religion nous ordonne d'honorer de petits martyrs immolés sur le sein maternel, et qui ont passé de l'âge du berceau aux délices du ciel.
Le roi Hérode, ami de César, fort de l'appui des Romains, entouré de gardes, tremblait dans son palais, et c'était la pensée d'un enfant qui causait sa frayeur ; car des Mages venus des régions de l'Orient et qu'une étoile miraculeuse avait conduits de leur pays lointain à Jérusalem, disaient à ceux qui les questionnaient : Nous sommes arrivés des
contrées voisines de l'aurore pour adorer un enfant qui vient de naître en Judée, et doit être roi des Juifs. Une étoile qui d'ordinaire n'a point de place au firmament nous a servi de guide ; là où elle s'arrêtera , là nous trouverons l'enfant que nous voulons honorer.
A ces paroles, Hérode, saisi d'une grande frayeur, assembla les princes des prêtres pour les consulter, et ils lui dirent que l'enfant que ces rois de l'Orient venaient adorer ne pouvait être que le Messie annoncé par les prophètes, et que c'était dans la petite ville de Bethléem qu'il devait naître. Quand les rois ont peur, ils sont facilement cruels.
Hérode, tremblant devant un enfant inconnu pris tout de suite une sanglante résolution : celle de faire massacrer tous les enfants nouveau-nés qui auraient depuis deux ans vu le jour à Bethléem et dans le pays qui avoisine la ville de David
S'étant arrêté à ce dessein, le roi de la Judée fit venir les Mages en sa présence ,et leur dit : « L'enfant que vous cherchez et que vous allez honorer, je veux l'honorer aussi ; quand vous saurez le lieu de sa naissance, quand vous retournerez dans votre pays, revenez par Jérusalem, et dites-moi où est l'enfant miraculeux, pour que je lui porte mon hommage. »
Les Mages, sans défiance, promirent ce qu'Hérode leur demandait; mais bientôt un ange leur apparut, il leur révéla la cruelle pensée du roi de la Judée, et les Sages de l'Orient retournèrent en leur patrie sans passer par la ville d'Hérode. Ce fut vers ce même temps que Joseph sut aussi la vérité d'un ange du Seigneur, qui lui commanda de fuir en Égypte avec Marie et son nouveau-né.
On le voit, le Dieu qui s'était fait homme fut de bonne heure exposé à la méchanceté des hommes. Le monde fut sans hypocrisie pour lui : tout de suite il se montra cruel et sanguinaire envers le Sauveur, qu'il méconnaissait ; et l'enfant divin n'avait pu encore marcher sur la terre où il avait voulu naître, que déjà elle se couvrait de sang dans la crainte de sa venue. Quand Jésus sortit de son berceau, ce fut pour être emporté par sa mère dans l'exil ; ainsi les douleurs du Fils de l'homme ne se firent pas attendre : elles commencèrent avec ses premiers jours !
Cette fuite vers l'Égypte se fit au milieu des plus grands dangers; car déjà l'ordre cruel d'Hérode était mis à exécution, déjà des voix lamentables étaient entendues dans Rama : c'étaient celles des mères qui pleuraient et qui ne voulaient pas être consolées, parce que leurs fils n'étaient plus, parce que de cruels soldats les avaient arrachés de leurs bras, les avaient tués du glaive ou écrasés contre les murailles !
Oh! quelle affreuse, quelle horrible lutte entre ces mères qui défendent leurs enfants nouveau-nés, et ces bourreaux armés! Elles n'ont ni casques, ni cuirasses, ni lances, ni boucliers; elles n'ont que leur désespoir de femme, que leur courage de mère, et elles ne craignent rien. Elles ont supplié d'abord ; mais quand elles ont vu que leurs prières étaient vaines, et que leurs larmes n'amollissaient pas le coeur des meurtriers, alors elles n'ont plus été à genoux, et si elles ont encore levé les mains, ce n'était plus pour implorer, mais pour déchirer, pour se battre, pour défendre leurs enfants. Ne voyez plus de timides femmes : voyez des lionnes hurlant, écumant, défendant leurs petits. Dans ce combat, plus d'un soldat d'Hérode succombe, plus d'une mère croit un instant que son courage a sauvé son fils ; mais d'autres exécuteurs des volontés du tyran arrivent, et dans les campagnes, et dans les maisons, et sous les ruines ensanglantées, et sous les tas d'enfants massacrés, et sous les corps des mères qui ont été tuées de la lance qui a tué leur fils, ils cherchent, et si un petit enfant respire encore, si sa mère est parvenue à se cacher avec lui, un martyr de plus sera immolé aux frayeurs d'Hérode; car il ne faut pas qu'un seul enfant échappe : l'enfant sauvé pourrait être le Messie, le vrai roi des Juifs , et alors que deviendrait la puissance de l'usurpateur?
En tout temps, en tous lieux , l'usurpation rend méchant et sanguinaire ; ce que l'injustice a pris, la cruauté veut le défendre, l`avarice veut le garder. Quelques écrivains ont prétendu que le nombre des enfants massacrés par les ordres d'Hérode se monte à quatorze mille; nous croyons qu'il y a là exagération. Toujours est-il que beaucoup de sang coula alors, et dans toutes ces si jeunes victimes immolées auprès du berceau du Christ, la religion a voulu voir des martyrs. Ce n'est pas par la parole qu'ils ont confessé la venue du Sauveur, c'est par l'effusion de leur sang. D'autres sont montés au ciel des planches des échafauds, de la poussière rougie du cirque et des flammes des bûchers; mais eux, c'est du sein, des bras, des baisers de leur mère qu'ils ont été emportés par les anges dans les demeures célestes.
Jamais l'Église n'a montré plus de poésie que dans l'hymne qui se chante le jour des saints Innocents ; on dirait ces stances composées par une mère:
« Nous vous saluons , premières fleurs des martyrs !
Nous vous saluons , vous que le fer a moissonnés dès vos
premiers jours! vous, roses naissantes, que l'ouragan a
emportées toutes fraîches et toutes belles !
«Vous, premières victimes, qui avez été immolées
pour le Christ ! vous jouez innocemment à ces autels,
avec les palmes et les couronnes que vous avez emportées de la terre !
La cruauté d'Hérode ne lui servira pas. Bien des enfants ont été massacrés ; mais l'enfant dont il voulait la mort, celui-là est sauvé ! Le sang des nouveau-nés a formé des ruisseaux ; mais le Fils de la Vierge n'a pas été atteint du glaive ! du glaive qui a fait pleurer tant de mères!
« Ainsi Moïse, le libérateur d'Israël, échappa au cruel édit du Pharaon. Ainsi son berceau fut retiré des eaux du Nil ; ainsi le salut fut donné à celui qui précédait le Christ, le Désiré des nations. «Tendre troupeau de blanches brebis, il servira l'Agneau dans les parvis du ciel ! Ce sont ceux-là qui n'ont connu que les baisers de leurs mères, ce sont ceux-là qui suivent l'Agneau partout; car ils sont purs comme la neige, et le mensonge n'a pas souillé leur bouche. »
La fête des saints Innocents, fixée au 28 décembre, remonte au neuvième siècle ; depuis ce temps la célébration en fut presque générale, jusqu'à ce que des folies vinssent la déshonorer. Comme en cette fête, consacrée à la mémoire des jeunes martyrs, on donnait le pas et la place d'honneur aux enfants; comme c'était en quelque sorte
la fête spéciale des petits enfants, la raison ne présida pas toujours à tout ce qui fut introduit, en quelques villes, dans le cérémonial de ce jour.
De la fête des Enfants, l'abus fit la fête des Fous, et alors d'ignobles bouffonneries profanèrent le sanctuaire. Ces sacrilèges ont cessé, et aujourd'hui la fête des petits martyrs a retrouvé toute sa pureté ; et, dans nos églises, bien des larmes reviennent aux yeux des mères chrétiennes quand elles chantent devant l'autel encore paré des pompes de Noël :
« Nous vous saluons, prémices et fleurs des martyrs! Nous vous saluons, vous que le fer a moissonnés dès vos premiers jours ! vous, roses naissantes, que l'ouragan a emportées toutes fraîches et toutes belles! »
La religion catholique, qui n'a pas voulu que sur la terre il y eût une misère sans secours, un mal sans remède, une douleur sans consolation, a aussi placé dans le ciel des protecteurs pour tous les hommes.
Les puissants du monde, ceux qui s'asseoient sur les trônes, ont, pour intercéder en leur faveur auprès du Roi des rois, sainte Clotilde, saint Louis, sainte Radegonde, saint Ferdinand, saint Henri, saint Casimir. Les guerriers ont saint Georges, saint Maurice et tous les pieux soldats de la légion Thébaine.
Les chastes filles qui se sont vouées au Seigneur ont pour première patronne Marie, la reine des vierges ; puis sainte Ursule, sainte Thérèse, sainte Angèle, et sainte Geneviève, bergère de Nanterre. Les vieillards prient les saints patriarches , et les petits enfants ont pour intercesseurs dans les régions célestes les chérubins, leurs frères, et ces jeunes martyrs dont le sang a coulé à l'entour du berceau de l`Enfant-Jésus.
5 – La Circoncision – Premier Janvier.
Une fête aussi solennelle que celle de la naissance du Sauveur devait avoir une octave. Aussi, pendant plusieurs siècles, le huitième jour après la nuit de Noël était chômé sous le titre d'octave de la Nativité de Jésus. On croit que ce fut vers l'année 660 que l'on donna à cette fête le nom de fête de la Circoncision de Notre-Seigneur.
Un vieux livre dit, à propos de la célébration de ce jour : « Jésus-Christ a voulu nous faire voir dans ce mystère que quoique la divinité fût jointe à son humanité, il n'était pas venu pour se dispenser de la loi. » Quand l'année commence, l'Église offre aux méditations des fidèles un exemple de soumission à la loi établie, comme pour leur dire : « Pendant les jours qui vont vous venir, restez obéissants à qui vous commande au nom de Dieu . Voyez celui qui n'avait sur sa divine personne aucune marque du péché, n'avait besoin ni de la circoncision ni du baptême ; mais comme il venait enseigner l'humilité, il s'est humilié sous le joug commun »
Dans la loi de Moïse, il n'y avait rien de prescrit sur le lieu où la circoncision devait être faite ; l'on peut donc croire que le fils de Marie fut circoncis dans Bethléem, où il était né, puisque les Mages trouvèrent ce divin enfant dans ce même lieu quand ils vinrent l'adorer. C'était le jour où l'on faisait couler le sang de 1`enfant nouveau-né, qu'on lui donnait le nom qu'il devait porter parmi les hommes. Le fils de Dieu avait bien le droit de prendre les noms les plus glorieux, ceux qui avaient été illustrés par les grands rois et les conquérants ; mais non, ce fut celui de Jésus, qui veut dire Sauveur, qu'il préféra à tous les autres.
Aussi on lit ces paroles dans l'hymne de la Circoncision : « Pour ajouter à leur gloire, les conquérants prennent les noms des nations soumises par leurs armes. — Mais vous, ô Jésus ! vous prenez un nom qui annonce la délivrance; vous aimez mieux délivrer que conquérir. » Quand j'étais au collège, je me souviens que nos maîtres nous recommandaient d'écrire à la première page de nos cahiers d'études une pensée à la gloire de Dieu, pour sanctifier et rendre notre travail meilleur. Eh bien! dans ce nom de Jésus, mis au premier jour de l'année chrétienne, je trouve quelque chose de semblable : pour que les jours qui vont suivre cette première journée nous soient bons, la religion en a marqué la première heure par un nom de rédemption et de salut.
Ainsi, l'homme des champs, qui veut que ses prairies aient de bons pâturages, fait partir et découler tous les ruisseaux qui les arrosent d'une source pure et bienfaisante. Avec les usages tels que l'habitude nous les a faits, les premiers jours de l'an sont en général peu sanctifiés.
Les devoirs de société empiètent trop sur les devoirs religieux. — En cette journée de visites , il y a souvent un bienfaiteur oublié c'est Dieu, celui qui envoie les années à la terre pour savoir ce que valent les hommes. L'Église s'est souvent affligée des restes du paganisme qui signalent cette première journée du nouvel an
Les étrennes, si aimées de nous tous quand nous en recevons, et plus douces encore quand nous pouvons en donner, ces étrennes si attendues des enfants , ont été anathématisées par les saints Pères à cause de leur origine païenne.
Le concile de Tours, tenu l`an 566, nous apprend qu'au premier jour de janvier il était ordonné d'apposer le chant des litanies aux chants impies et superstitieux des païens , ce qui marque que ce premier jour de l'an était moins un jour de fête et de joie qu'un jour de pénitence et d'expiation, un jour sans Alléluia à l'office.
Vers la fin du septième siècle , l'Église abrogea les trois jours de jeûne que les conciles avaient prescrits pour la fin de l'année et le commencement de l'année suivante Elle exhorta vivement les fidèles à substituer les pauvres à la place des amis, et à convertir les étrennes en aumônes.
Toute la charité chrétienne se retrouve dans ce précepte; les siècles, dans leur marche, peuvent bien amener quelques changements dans le cérémonial des fêtes religieuses, mais ils ne changent rien à l'esprit du catholicisme; il reste toujours pur, élevé, plein d'amour et de mansuétude, de miséricorde et de justice. Et quand les temps seront accomplis, il retournera vers Dieu qui l'a fait , comme ces anges qui venaient visiter les patriarches et les saints remontaient au ciel sans que leurs pieds d'ivoire eussent été souillés de la poussière du monde, sans qu'une plume fût tombée de leurs ailes!—Les étrennes, les souhaits de bonne année, étant restés un usage établi, la religion y a mêlé sa sagesse, et ses conseils. Je me souviens qu'un jour du premier de l'an , vers les neuf heures du matin,—j'étais alors à Rouen,—j'entrai dans l'église de Saint-Maclou; elle était pleine de fidèles, et son vieux et respectable curé était en chaire.
C'était bien aux pauvres habitants de ce pauvre quartier de venir, la première matinée du nouvel an, demander à Dieu de la force pour travailler et de la résignation pour souffrir; car en cette paroisse, que les riches habitent peu, résignation et force sont des vertus de première nécessité.
Le bon pasteur parlait à son troupeau avec un ton paternel qui allait à l'âme, et je restai debout dans la foule, trouvant si grand bonheur à l'entendre, que je n'ai point oublié ses paroles: « Beaucoup d'entre vous , disait le vénérable curé, beaucoup d'entre vous sont venus me souhaiter une bonne année, je les en remercie, et, pour que l'année
qui commence aujourd'hui me soit bonne et heureuse, il faut qu'elle ne vous soit pas mauvaise; à vous donc, mes chers enfants, à mon tour, je souhaite une bonne année, une année sans misère, sans fléau de Dieu, une de ces années de vertu qui mènent aux années éternelles.
« A vous donc, qui m'écoutez, et qui n'avez ni splendides habits, ni de somptueux atours, à vous je souhaite résignation et patience Oh! portez en chrétiens soumis les pauvres vêtements que je vous vois, et si les bonnes années que je vous souhaite vous adviennent, là-haut Dieu vous échangera ces habits contre des manteaux de pourpre, semblables à des manteaux de rois. »
Comme j'étais dans la foule, je vis l'émotion qui y régnait : il y avait alors, je vous assure, entre le troupeau et le pasteur, entre les enfants et le père , entre les chrétiens et le prêtre, une union de charité si intime, que ce n'était plus qu'un coeur et qu'un esprit.
Dans tous ces premiers de l'an que j'ai vus passer sur ma tête, et aux jours de bonheur, et aux jours d'adversité, dans les maisons des grands où je suis allé avec la foule offrir des vieux de bonheur aux heureux de ce monde, j'ai vu bien des choses! je les ai oubliées ; et comment se fait-il que j'aie gardé le souvenir de cet échange de souhaits entre le curé de Saint-Maclou et ses pauvres paroissiens?... Oh! je le sais . c'est que la religion avait imprimé son sceau sur cette scène, et rien n'a pu l'effacer.
Il y a bien, des gens qui passent d'une année à une autre sans rien ressentir, et qui se prennent à sourire de dédain quand vous leur dites que vous ne finissez pas une année, que vous n'en commencez pas une autre sans émotion : moi, j'avoue que ce n'est jamais sans saisissement que, dans la nuit du 31 décembre, je compte les
douze coups de minuit; quand le dernier coup a sonné, j'écoute toujours, car le son qui vibre pendant quelques secondes, et qui est tout ce qui reste de l'année expirante, lui appartient encore; ce ne sera que lorsque cette vibration ne tremblera plus dans l'air que la nouvelle année commencera.
Je trouve qu'à ce moment de transition il faut appeler près de soi une pensée religieuse; sans cela, l'âme serait saisie de trop de tristesse; car, cette année qui s'en est allée tomber dans le gouffre de l'éternité, combien de nos amis n'a-t-elle pas emportés dans leurs suaires!
Avec de l'espérance pour l'avenir, avec de la résignation pour le passé, je dis à l'année qui commence : « Salut, fille naissante du temps ! salut, inconnue qui nous arrives ! tu nous viens tout enveloppée de voiles ; nous ne pouvons voir si ton visage est riant ou sévère, si tes mains encore fermées nous apportent bonheur ou infortune, si tu as dans les plis de ton manteau la paix ou la guerre ; tu es mystérieuse pour nous ; mais tu nous viens de Dieu, et nous te donnons la bienvenue ; salut !.. .»
«Béni soit celui qui nous vient au nom du Seigneur. » Le jour qui commence l'année me semble si solennel, que je voudrais que la part de la religion y fût plus grande. Quelquefois, quand une fontaine va être ouverte aux habitants d'une ville, vous voyez un pontife venir bénir les eaux qui vont couler. Eh bien! je voudrais qu'il y eût aussi, des marches de l'autel, une bénédiction des jours qui vont nous venir.
Sous le soleil, y a-t-il quelque chose qui se ressemble plus que les eaux qui coulent et que nos jours qui passent? Les eaux vont à l'océan, les jours à l'éternité. Mais si le vieil océan ne dit point aux ondes qui lui arrivent : Pourquoi êtes-vous troublées et bourbeuses? Dieu dira à nos jours : Pourquoi n'avez-vous pas été purs?... Tâchons donc qu'ils ne soient pas souillés.
6 – L`Épiphanie – Le Jour des Rois Mages. ( 6 janvier)
Si le printemps parsème les champs de fleurs quand rient le riant mois de mai , le catholicisme répand sur la triste et froide saison de l'hiver, sur les mois de décembre et de janvier, de saintes fêtes , qui sont comme des fleurs dans la vie du peuple chrétien. Voyez quelle succession de jours joyeux : Noël, les saints Innocents , le premier de l'An, et les Rois!...
Le jour des Rois a surtout un grand attrait ; mais , avant de nous laisser aller au plaisir de peindre les beautés poétiques de cette fête religieuse , qui est devenue une des plus douces fêtes de famille, disons son origine et l'adoration qu'elle rappelle.
En faisant venir autour du berceau de l'enfant Sauveur les étrangers et les gentils , Dieu a voulu montrer que tous les hommes, que toutes les nations, étaient destinés à le connaître, à l'aimer, à le servir. L'Épiphanie, c'est la manifestation de Jésus- Christ à tous : dès ce jour où les Mages de l'Orient sont venus adorer le fils de Marie, il n'y a plus eu de privilège de nation, plus de peuple de Dieu à part. Le peuple de Jésus-Christ, ç'a été tous les peuples ; la nation choisie, ç'a été toutes les nations de la terre.
Ainsi, la fête de l'Adoration des Mages est notre fête à tous, car nous descendons de ceux qui sont venus de loin pour adorer le Désiré des nations; nos pères n'étaient pas possesseurs de la terre de Chanaan : pour les y conduire, une étoile s'est levée dans le ciel, a marché devant eux, comme la colonne de feu avait jadis guidé les tribus de Moïse. Nous devons reconnaissance à Dieu de ce prodige. Sans l'étoile qu'il a fait briller à leurs yeux , nous serions restés dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Nous devons donc chaque année, quand le jour des Rois revient, aller au pied de ces autels qui représentent la crèche de Bethléem, adorer celui qui est né pour le salut de tous. Et si nous n'avons ni myrrhe, ni encens, ni or à offrir, ne nous décourageons pas ; souvenons-nous que les bergers ont adoré le fils de Marie avant les mages ou les rois. Et, eux, qu'avaient-ils à lui porter en hommage, hors leur pureté et leur foi?...
Dans les premiers siècles, depuis la nuit de Noël jusqu'au jour de l'Épiphanie, ce n'était qu'une fête continuelle , et dans cette sainte joie que ressentaient nos devanciers , ils n'avaient pu trouver une place pour la mortification ; la vigile des Rois n'avait point de jeûne , et voici ce que nous lisons à ce sujet dans l'Histoire des fêtes de l'Église :
« La veille de l'Épiphanie, quoique des plus célèbres depuis son institution , n'avait rien dans les commencements qui la distinguât des autres. On passait la nuit à l'église , en prières et en lectures ; et ce qui la rendit en suite plus auguste que toutes les autres en Orient, ce fut la grande cérémonie du baptême des catéchumènes , et le grand nombre des luminaires , en quoi elle égalait les veillées de Pâques et de Noël, « Lorsqu'on changea l'usage de veiller la nuit dans l'église, on se trouva partagé sur l'observation du jeûne qui semblait devoir être observé le jour précédent, comme on en usait aux autres veilles de fêtes ; mais parce que ce jour était compris dans l'espace d'entre Noël et de l'Épiphanie, qui était considéré comme une fête continuelle, cette considération fit qu'en plusieurs endroits l'on se crut dispensé de jeûne, sous prétexte d'honorer la fête, ce qui s'étendit même jusqu'aux religieux. »
L'auteur du livre dont j'extrais ce passage s'appuie de l'autorité de saint Pierre Damien et de saint Grégoire. Tout usage qui réunit les familles au nom de Dieu, toute fête qui rapproche les parents, toute réjouissance qui est partagée par les maîtres et les serviteurs, par les riches et les pauvres, sont bonnes.
Écoutez Chateaubriand : « Ceux qui n'ont jamais reporté leurs cœurs vers ces temps de foi où un acte de religion était une fête de famille, et qui méprisent des plaisirs qui n'ont pour eux que leur innocence ; ceux-là , sans mentir, sont bien à plaindre.»
Les cœurs simples ne se rappellent point sans attendrissement ces heures d'épanchement où ils se rassemblaient autour des gâteaux qui retraçaient les présents des mages. L'aïeul , retiré pendant le reste de l'année au fond de son appartement, reparaissait dans ce jour comme la divinité du foyer paternel. Ses petits-enfants,
qui depuis longtemps ne rêvaient que la fête attendue, entouraient ses genoux et le rajeunissaient de leur jeunesse; les fronts respiraient la gaieté, les cœurs étaient épanouis, la salle du festin était merveilleusement décorée, et chacun prenait un vêtement nouveau.
Au choc des verres, aux bruyants éclats de joie, on tirait au sort ces royautés, qui ne coûtaient ni soupirs ni larmes ; on se passait ces sceptres, qui ne pesaient point dans la main de celui qui les portait. « Souvent une fraude qui redoublait l'allégresse des sujets et n'excitait que les plaintes de la souveraine , faisait tomber la fortune à la fille du lieu et à un fils du voisin dernièrement arrivé de l'armée. Les jeunes gens rougissaient, embarrassés qu'ils étaient de leur couronne ; les mères souriaient, et l'aïeul vidait sa coupe, à la nouvelle reine.
« Or, le curé, présent à la fête, recevait, pour la distribuer avec d'autres secours, cette première part, appelée la part des pauvres. Des jeux de l'ancien temps, un bal, dont quelque vieux serviteur était le premier musicien , prolongeaient les plaisirs ; et la maison entière , nourrices, fermiers, domestiques et maîtres, dansaient ensemble la ronde antique. »
En lisant cette délicieuse description d'une fête que nous avons tous célébrée , chacun de nous rappelle ses souvenirs d'enfance. C'était une belle fête sous le toit paternel. Ce jour-là, on mettait des allonges à notre grande table; car notre père y conviait nos parents et nos amis. Dès le matin, le boulanger qui , de père en fils, servait la maison, avait
fait hommage d'un gâteau feuilleté, grand et rond comme le bouclier d'Achille. Il avait peut-être dit tout bas au maître d'hôtel dans quelle partie se trouvait la fève devait donner la royauté ; mais personne de nous ne le savait.
Le curé, invité à la fête, quand nous étions tous autour de la table , avant que nous fussions assis , disait le Bénédicité. Notre sœur aînée était assise en face de notre père, car notre mère avait été appelée à Dieu, et, depuis plusieurs années , célébrait toutes les saintes fêtes dans le ciel.
Je me souviens que ce jour-là nous trouvions que le premier et le second service duraient bien longtemps ; l'ambition des enfants appelait le dessert, car c'était le moment du gâteau. Depuis que nous avons vieilli, nous avons vu des ambitieux désirer des troubles et des bouleversements, pour avoir la chance de gagner des sceptres et des couronnes.
Nous, nous étions plus innocents dans nos désirs : c'était à travers le plaisir que nous voulions parvenir au pouvoir Et puis, la couronne que nous ambitionnions n'appartenait à personne. On apportait l'immense gâteau devant le curé, et notre sœur, celle qui remplaçait notre mère, priait le vieux pasteur qui lui avait fait faire sa première communion , et qui lui avait enseigné la charité , de marquer la part des pauvres , et lui recommandait de la faire bien grande.
Cette part était mise de côté , et si par hasard la fève ne se trouvait pas dans les portions qui avaient été offertes cachées sous un napperon blanc, et portées par le plus jeune d'entre nous à chacun des convives ; alors , pour avoir le droit de la chercher dans la part des pauvres, qui s'appelait aussi la part à Dieu, il fallait la racheter du curé par une aumône envers les nécessiteux et les malades de la paroisse.
Quand cette fève était enfin trouvée, quand un de nous, fier de l'avoir obtenue du sort, la montrait aux acclamations libres, franches, sincères, sans solde, sans arrière-pensée , saluaient le nouveau roi ! Et, quand cette légère couronne de la fève tombait sur le front d'un enfant..., la royauté s'embellissait encore de grâces, d'innocence et d'espoir, et l'on souriait d'amour en criant vive le roi !
Puis, il fallait que le jeune monarque partageât son trône, et qu'il choisît une reine pour venir s'y asseoir auprès de lui ; ou bien, si le sort, sans égard pour notre vieille loi salique, avait tout d'abord donné la royauté a une jeune fille , c'était à elle à désigner qui elle prêtait pour roi.
Un échanson était aussi nommé ; c'était à lui à emplir la coupe du roi et de la reine, et alors que leurs riantes et gracieuses majestés buvaient, quels cris de le roi boit!
le roi boit! la reine boit! la reine boit! Les murs de la salle du festin , ornés des portraits de famille, répétaient ces bruyants élans de plaisir; et les vieux serviteurs se sentaient tous réjouis de la joie de leurs jeunes maîtres.
Dans les campagnes , les enfants se mettent à courir quand l'obscurité de la douzième nuit arrive ; ils tiennent et agitent dans leurs mains des baguettes d'osier pelé et séché, auxquelles ils ont mis le feu ; cet usage est d'un effet fantastique dans les champs. Ces flammes qui courent, qui montent et qui descendent, qui apparaissent et dans la plaine et sur la montagne, et dans les bois et près des eaux ; les cris de joie , les chants d'allégresse des enfants qui promènent ces feux, ont pour but de rappeler cette lumière miraculeuse qui guidait à travers les campagnes d'Israël les Mages de l'Orient.
Dans quelques pays, une étoile toute scintillante de petites bougies , ou de lampions allumés , part de dessous le porche de l'orgue, et , à l'aide de poulies et de cordes, file le long de la nef du milieu, et ne s'arrête qu'au-dessus de l'autel, pour dire que celui qui doit être adoré est là !...
Quelques esprits austères se réjouissent quand ces vieux usages , qu'ils appellent superstitieux, viennent à s'effacer des mœurs du peuple; dans leur rigidité, ils ne voudraient rien de ces choses matérielles et extérieures: je pense qu'il y a là une sorte de sécheresse puritaine, qui ne va point au catholicisme, toujours sage , mais toujours tendre, toujours appuyé sur la raison , mais toujours plein de poésie. Sans doute il ne faut pas permettre que les choses qui ressemblent aux jeux des théâtres viennent se mêler à nos saintes cérémonies; mais quand ces ressouvenirs naïfs d'un mystère ont traversé les siècles , et sont venus des anciens jusqu'à nous, à travers l'encens du sanctuaire, je crois qu'ils sont bons à conserver.
Dans cette journée de l'Épiphanie, l'Église a réuni trois commémorations, celle du baptême de Jésus-Christ, celle de son premier miracle aux noces de Cana, et celle de l'adoration des Mages. La réunion de ces trois commémorations le même jour est d'un usage fort ancien : il parait que l'Église, dans l'établissement de cette triple fête de l'Épiphanie, a eu égard à l'opinion de quelques anciens pères, qui ont cru que les trois mystères pouvaient être arrivés en un même jour.
La fête, telle qu'elle est aujourd'hui , était célébrée très-solennellement dans les Gaules dès le milieu du quatrième siècle, puisqu'au rapport d'Ammien Marcellin, l'empereur Julien, surnommé l'Apostat, n'osa se dispenser d'assister à l'office de ce jour, étant alors à Vienne en Dauphiné, et ne s'étant pas encore ouvertement déclaré contre la religion de Jésus-Christ au commencement de l'an 361.
Avant l'union des trois mystères de l'Épiphanie, la fête de l'adoration des Mages s'appelait Théophanie. La pensée du Sauveur adoré dans sa crèche par les rois ou les Mages est celle qui domine dans l'office et dans les hymnes de la fête du 6 janvier ; ainsi l'Évangile ne parle que du voyage des Mages guidés par l'étoile :
« Jésus étant né dans Bethléem , ville de Juda , au temps du roi Hérode, des Mages vinrent de l'Orient a Jérusalem, et ils demandèrent : Où est le roi des Juifs qui est nouvellement né? car nous avons vu son étoile en Orient, et nous sommes venus l'adorer.»
« Ce que le roi Hérode ayant entendu , il fut troublé, et toute la ville de Jérusalem avec lui. Et ayant assemblé tous les princes des prêtres et les docteurs du peuple, il s'enquit d'eux où devait naîtra le Christ. Ils lui dirent que c'était dans Bethléem, de la tribu. de Juda, selon qu'il a été écrit par le prophète : Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la dernière parmi les principales villes de Juda; car de toi sortira le chef qui conduira mon peuple d'Israël ! Alors Hérode ayant appelé les Mages en secret, s'enquit d'eux, avec un grand soin, du temps que l'étoile leur était apparue ; et les envoyant à Bethléem , il leur dit : Allez, informez-vous exactement de cet enfant , et, lorsque vous l'aurez trouvé, faites-le-moi savoir, afin que j'aille aussi l'adorer.»
Ayant ouï ces paroles du roi, ils partirent ; en même temps l'étoile qu'ils avaient vue en Orient reparut, et elle allait devant eux, jusqu'à ce qu'étant arrivée sur le lieu où était l'enfant, elle s'y arrêta. «Lorsqu'ils virent l'étoile arrêtée, ils furent transportés d'une extrême joie; et, entrant dans la maison, ils trouvèrent l'enfant et sa mère, et se prosternant en terre , ils l'adorèrent ; puis , ouvrant leurs trésors, ils lui offrirent pour présents de l'or , de l'encens et de la myrrhe ; et ayant reçu en songe un avertissement du Ciel de n'aller point retrouver Hérode , ils s'en retournèrent dans leur pays par un autre chemin.»
Tel est le récit fait par saint Matthieu, et du voyage des Mages et des terreurs d'Hérode. Le mot de Roi n'est pas prononcé dans l'Évangile, et cependant la tradition a fait de ces Mages de l'Orient des Rois; serait-ce parce que dans l'office de la fête l'Église répète ces paroles des prophètes : « Les rois de Tharsis et des îles viendront lui
apporter des présents ; les rois d'Arabie et de Saba lui feront des offrandes , et tous les peuples seront sous sa domination.»
« L'Église , dit l'auteur de l` Histoire des Fêtes chrétiennes, fait profession de ne savoir autre chose des Mages que ce qu'elle en a appris de l'Évangile ; et il ajoute : Elle croit seulement qu'après être retournés en leur pays, ils eurent grand soin de conserver et de faire profiter la grâce qu'ils avaient reçue ; et qu'ils sont parvenus à la gloire du ciel, après avoir annoncé Jésus-Christ à la terre et par leurs instructions et par l'exemple de leur vie. »
La tradition et de parole et de peinture a réduit le nombre des Mages à trois; mais encore, à cet égard, l'Évangile ne fixe rien , et nous avons de la peine à voir qui a pu établir si généralement dans les esprits le nombre trois, comme ayant été celui des Mages voyageurs.
Don Calmet, saint Léon, saint Césaire, Eusèbe, Bède, l'abbé Rupert , et après eux une foule de commentateurs, enseignent que les Mages étaient trois. Ce sentiment paraît fondé principalement sur les trois sortes de présents : l'or, la myrrhe et l'encens, qui sont marqués dans l'Évangile. Nous leur donnons les noms de Gaspar, Melchior et Balthasar; mais ces noms sont inconnus à l'antiquité, aussi bien que ces autres qu'on leur attribue dans des livres peu autorisés.
On est assez partagé sur la profession des Mages, écrit don Calmet; les uns ont cru qu'ils exerçaient les arts curieux et diaboliques de la divination , de l'astrologie et des enchantements. L'ancien Évangile de l'enfance du Sauveur dit qu'ils étaient disciples de Zoroastre ; mais d'autres ont porté un jugement plus favorable : ils ont cru que leur magie était permise et naturelle. Saint Épiphane croit qu'ils étaient de la race d'Abraham et de Céthura. L'abbé Rupert leur donne le nom de prophètes et d'hommes inspirés.
Origène a cru que les Mages s'étant aperçus , dans leurs opérations magiques, que le pouvoir du démon était fort affaibli, s'appliquèrent à en découvrir la cause, et qu'ayant remarqué dans le même temps un nouvel astre dans le ciel, ils jugèrent que c'était cet astre dont avait parlé Balaam , et qui désignait la naissance d'un nouveau roi d'Israël ; c'est ce qui les détermina à l'aller chercher pour lui rendre leurs adorations.
SaintBasile et saint Ambroise ont eu à peu près la même pensée. Saint Jérôme dit qu'ils apprirent des démons, ou plutôt de la prophétie de Balaam, que le Christ était né. Tertullien semble dire que c'est par l'astrologie qu'ils apprirent la naissance du Messie, puisqu'il avance que jusqu'à Jésus-Christ , cette science était permise , mais que depuis ce temps elle est défendue, afin que personne ne cherche plus dans les astres l'horoscope de quelqu'un.
Il est édifiant et curieux de voir quelle importance les chrétiens primitifs mettaient à connaître le nombre et la profession des Mages quand la miraculeuse étoile apparut à leurs yeux et les décida à quitter leur pays, à traverser des contrées inconnues, pour venir adorer un roi des Juifs, au berceau. Pour prouver jusqu'à quel point nos devanciers portaient leur pieux désir de savoir tout ce qui se rattachait aux grands événements du christianisme,
Je vais citer des extraits sur la fête de l'Épiphanie. On lit, à la fin du troisième volume des ouvrages du vénérable Bède, dans un livre intitulé Extraits des Pères, que Melcbior, le premier des Mages, était un vieillard chauve, ayant une grande barbe, et de longs cheveux blancs ; qu'il portait, quand il s'est prosterné devant l'enfant annoncé par l'étoile, une robe couleur d'hyacinthe, ou de bleu céleste, un manteau jaune ou orangé (sagomelino), une chaussure de couleur mêlée de bleu et de blanc , et un manteau royal de différentes couleurs ; il offrit de l'or au roi Jésus-Christ.
Le second Mage s'appelait Gaspar ; il était jeune, sans barbe, vermeil, vêtu d'une robe orangée et d'un manteau rouge. Sa chaussure était couleur d'hyacinthe ; il offrit de l` encens pour reconnaître la divinité de Jésus-Christ. Le troisième s'appelait Balthasar ; il était brun, portait une grande barbe, était vêtu d'une robe rouge, d'un manteau bariolé; sa chaussure était jaune ; il offrit de la myrrhe au. Sauveur pour marquer sa mortalité.
Nous avons vu, dans plus d'une église, des tableaux de l`Adoration des Mages, faits d'après cette description de costumes, que l'on pourrait croire avoir été écrite par un témoin oculaire.
D'autres livres du même genre disent que les Mages avaient été douze, pris dans toute leur nation, et se succédant de père en fils depuis bien des siècles, pour observer le moment de l'apparition de l'étoile prédite par le prophète Balaam. Enfin, l'étoile leur apparut portant un enfant au milieu de ses rayons.
Le connétable d'Arménie écrivait à saint Louis que les trois rois Mages étaient venus de Tangat dans l'Arménie. Venons à présent, dit en terminant don Calmet, à l'étoile qui apparut aux Mages. Quelques anciens ont avancé que c'était un astre nouveau, créé exprès pour annoncer aux hommes la naissance du Messie.
Origène (livre I"), contre Celse, Maldonat et Grotius, croit que c'était une espèce de comète qui avait paru extraordinairement dans l'air; d'autres ont prétendu que c'était un ange au corps lumineux, en forme d'étoile.
Quelques-uns m'en voudront peut-être de toutes les conjectures, de toutes les opinions que j'ai rapportées ici sur les Mages; mais j'avouerai que j'ai trouvé de la naïveté dans tous ces commentaires, et, de plus, une preuve du respect que portaient nos devanciers à ces hommes choisis de Dieu pour venir de loin adorer son fils.
On ne s'enquiert autant de quelqu'un que lorsqu'on veut l'honorer beaucoup; quand on va si loin pour trouver de la pierre blanche et saine; quand on fait venir les ouvriers les plus habiles ; quand on abat les cèdres les plus beaux ; quand on scie et façonne les marbres les plus précieux; quand on élève une forêt de colonnes, c'est que l'on veut que le temple que l'on construit soit noble et magnifique, et digne du Dieu qui y sera adoré.
7– La Purification – la Chandeleur . ( 2 Février)
Jésus-Christ, la sainteté même, avait voulu se soumettre à la loi de Moïse, qui ordonnait la circoncision. Car, n'en doutons pas, ce que faisaient Marie et Joseph,
c'était la volonté de l'enfant divin qui leur était confié; comme une toute petite fleur exhale souvent beaucoup de parfum, une grande puissance émanait de cet enfant,
ou endormi dans la crèche, ou souriant dans les bras d'une femme; et quand on le portait au temple pour lui faire obéir à la loi commune, c'était d'après sa volonté : ceux qui croyaient le conduire marchaient guidés par lui.
Comme le Sauveur aurait pu, à cause de sa sainteté, ne pas se soumettre à la formalité de la circoncision, sa chaste mère, sa mère toujours vierge, n'avait aucun besoin de la purification ordonnée par la loi des Juifs; la pureté ne se purifie pas; c'est comme la neige tombant du ciel, qui pourrait la blanchir? C'est comme le lis, qui pourra le rendre plus beau, qui pourra lui donner une odeur plus douce que celle qu'il a eue en s'entr'ouvrant le premier jour au soleil? Mais Marie était la plus humble des femmes : mère d'un Dieu, elle s'appelait toujours la servante du Seigneur, ancilla Domini. Aussi, quand les quarante jours après la nuit de la naissance miraculeuse furent accomplis, elle se mit en marche pour aller présenter au temple de Jérusalem son enfant et les deux colombes du sacrifice. Le vieillard qui est avec eux, sur la poussière du chemin, c'est Joseph; lui et Marie, son épouse aux yeux des hommes, sont tous les deux de la royale lignée de David . Mais quand les usurpateurs sont sur les trônes, les descendants des vrais rois sont dans la pauvreté.
La loi de purification établie par Moïse ordonnait à la femme qui venait au temple afin d'être purifiée, de présenter un agneau pour être offert en holocauste, et une tourterelle qui devait être immolée pour le péché. La loi ajoutait que si la femme n'avait pas de quoi acheter un agneau pour l'holocauste, elle devait donner deux tourterelles ou deux petits de colombes. La fille de David, la mère du Messie, ne put offrir que les deux colombes! Oh! quand je vois mépriser la pauvreté, je m'irrite et m'indigne : dans la misère, il y a si souvent tant de noblesse ; dans le dévouement, tant de vertu! Eh! qui vous dit que sous cet habit si humble il n'y a pas un fils de roi , que sous ce voile usé il n'y a pas une reine? Peut-être qu`un riche orgueilleux de Jérusalem aura regardé avec dédain le couple qui n'apportait au temple que les deux colombes du pauvre; peut-être que, sous le parvis, près de l'autel des sacrifices, l'homme au manteau de pourpre, aux sandales dorées, aura disputé le pas à Joseph et à Marie!...
Et pourtant, stupide favori de la fortune aveugle, cet homme qui porte les deux colombes, c'est un descendant de vos anciens rois! cette femme si timide, si belle et
si humble, c'est une fille de David! cet enfant— , c'est le maître du monde ! S'il le voulait, de sa petite main il renverserait les colonnes de vos palais , il briserait les
cèdres de vos collines, et ferait périr les moissons de vos champs.
Quand la vierge-mère eut offert le sacrifice ordonné par la loi, quand elle eut dit au Seigneur : «Je vous offre mon fils, qui est le vôtre » , elle allait redescendre du
temple , et prendre le chemin de Nazareth ; mais un homme juste et craignant Dieu , Siméon, qui passait ses jours à attendre et à espérer la venue du Messie, la consolation d'Israël; Siméon, sur lequel était l'Esprit saint, et qui savait qu'il ne mourrait pas sans avoir vu le Christ, était aussi au temple le jour où Marie y porta son divin enfant.
Et quand le saint vieillard vit Jésus près de l'autel, il le prit des bras de sa mère, le bénit, et, inspiré de l'Esprit d'en haut, s'écria avec une vive allégresse :
«A présent! à présent, Seigneur, vous pouvez renvoyer votre serviteur de la vie ; à présent je mourrai en paix, car mes yeux ont vu le salut d'Israël; selon votre
parole, ô Seigneur, j'ai vu le salut que vous avez préparé devant toutes les nations, pour être la lumière et la gloire de votre peuple d'Israël. »
Après ces paroles, Siméon remit l'enfant dans les bras de Marie, la bénit aussi, ainsi que Joseph, et leur dit : « Cet enfant est venu pour être la ruine et la résurrection de plusieurs en Israël ; il sera comme un signe qui excitera beaucoup de contradictions, un but contre lequel on lancera bien des flèches. Et votre âme, ô Marie! sera transpercée d'un glaive de douleur, afin que les pensées qui sont encore renfermées dans l'âme de plusieurs, soient révélées.» Après ces prophétiques paroles, le vieillard se tut, et quelques-uns croient qu'il mourut aussitôt dans le temple même Nous croyons, nous, que sa mort n'eut pas lieu en présence de Marie, de Joseph, et de l'enfant sauveur ; car, s'il en avait été ainsi, l'Évangile, qui redit son cantique, aurait raconté sa mort.
Il y avait aussi alors à Jérusalem une prophétesse nommée Anne, fille de Phanuel, et qui était avancée en âge et veuve depuis longtemps , n'ayant vécu que sept ans avec son mari. Cette femme, entièrement vouée au service du Seigneur, passait sa vie dans le temple, priant et jeûnant, et faisant des bonnes oeuvres. L'Esprit de Dieu était souvent en elle, et quand elle eut entendu le cantique de Siméon, elle aussi se mit à louer le Seigneur, et à parler de Jésus à tous ceux qui attendaient le salut et la rédemption d'Israël.
Voilà tout ce que les livres saints nous disent de la purification de la sainte Vierge ; et dans le peu de lignes qui sont consacrées à nous redire cette cérémonie, nous
voyons encore une fois comme la douleur vient tout de suite se mêler à la joie dans les choses de ce monde.
Certes, quand le vieillard inspiré tenait dans ses bras l'enfant de Marie, lorsqu'il le bénissait, lorsqu'il l'appelait la gloire, le salut d'Israël, l'âme de la vierge-mère devait être remplie de délices ! Mais cette joie maternelle ne durera pas longtemps ; écoutez le prophète, il parle bientôt du glaive qui transpercera le coeur de la mère, et de tous les traits qui seront dirigés contre son fils.
Soumis à la volonté du Seigneur, Joseph et Marie, après la cérémonie de la purification et de la présentation au temple, reprirent le chemin de Nazareth, où ils demeuraient, ainsi que nous l'apprend saint Luc. La fête qui rappelle et la Purification de la mère et la Présentation de l'enfant au temple, date de loin ; c'est sous Justinien qu'elle fut instituée. On dit que ce fut l'accomplissement d'un voeu que cet empereur avait fait à Dieu pour obtenir la cessation d'une maladie qui dépeuplait Constantinople, en l'année 542.
Alors cette fête était nommée Hypapante, mot grec qui signifie aller au-devant ou à la rencontre de quelqu'un. Siméon et Anne la prophétesse étaient venus au-devant,
à la rencontre de Jésus-Christ dans le temple ; c'était ce souvenir-là que l'Église voulait perpétuer. «Mais, dit l'auteur de l` Histoire des Fêtes chrétiennes quoique cette fête fixée au 2 soit du nombre de celles dont nous nous croyons redevables à l'Église grecque, il semble que Rome ait quelque raison de prétendre qu'elle a prévenu Constantinople. Le pape Gélase, qui gouvernait l'Église plus de trente ans avant que Justinien fût par venu à l'empire, paraît avoir introduit cette fête au mois de février, lorsqu'il détruisit les restes honteux de l'abominable fête des Lupercales Fêtes infâmes, dans les quelles les habitants de Rome, dans le délire du vin et de la débauche, parcouraient tout nus, des torches à la main, les rues et les places de cette ville si fière de sa civilisation!
La fête chrétienne de la Purification s'est aussi appelée Chandeleur, parce qu'anciennement, à l'office de ce jour, les prêtres et les fidèles tenaient tous à la main un
cierge ou une chandelle de cire, une réminiscence de ces paroles du cantique de Siméon : Cet enfant sera la lumière d'Israël. Dans nos églises, aux vêpres et au salut, le jour de la Chandeleur, c'est bien beau de voir sous les ombres des arceaux et des voûtes, à l'heure où l'obscurité du soir arrive ; c'est bien beau de voir toutes ces lumières se mouvoir, briller et escorter la croix ; on dirait de petites étoiles descendues du ciel pour louer Dieu avec nous!
Dernière édition par MichelT le Ven 22 Déc 2017 - 20:56, édité 26 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
8– Le Carême.
Alors que les rigueurs de l'hiver sont passées, mais que la douce tiédeur du printemps n'est pas encore venue; alors que la société des villes commence à se lasser des bruyants et stériles plaisirs qui l'ont agitée pendant les mois de frimas et de neige ; tout à coup un grand silence se fait dans nos cités , la folie avec ses masques et ses cris, ses bals et ses cavalcades et ses enfantillages impies, se tait.
Et qui a si subitement rendu la raison à tout ce monde atteint de vertige?
La religion ; elle a répandu un peu de cendres sur toutes ces têtes en délire, et les voilà redevenues calmes ; ces hommes qui faisaient tant de bruit tout à l'heure, ont écouté la voix qui partait des sanctuaires, et qui leur criait : « Homme, souviens-toi que tu es poussière.»
Ce Memento donné par l'Église a été le remède à l'aliénation de la foule. Le Mercredi des Cendres a ouvert la sainte quarantaine, et voici commencés les jours de jeûne et de prières, de retraite et de mortification ; maintenant, celui qui restera dans l'ignorance, celui qui ne se lèvera point des ombres de la mort, où il était assis, en vérité sera bien coupable ; car la religion, cette mère de tous les hommes, offre de tous côtés des secours et des lumières, du repos et des consolations. Voyez toutes les églises, leurs grandes portes sont ouvertes ; regardez tous les autels, les cierges y brûlent avec l'encens ; écoutez sous toutes les vieilles voûtes, ce sont les prêtres du Dieu de miséricorde qui invitent au repentir, et qui annoncent le pardon.
Pendant la folle saison , nous avons tous, plus ou moins, goûté des plaisirs du monde: eh bien! voici que la journée est finie, que les affaires et les travaux ont cessé; voici que nos églises sont bien belles, bien inspirantes, avec le jour montant derrière leurs vitraux : entrons-y, et voyons si les prêtres, disent vrai, voyons si le joug du Seigneur est léger.
S'il y a encore du, bruit en dehors, il ne parvient à ceux qui sont réunis dans l'église, qu'affaibli et sourd. Ces lointaines rumeurs se perdent dans le chant des cantiques , que les fidèles répètent en chœur en attendant le prêtre. Quand, à la lueur des lampes, il paraît en chaire après l'invocation : Esprit saint, descendez en nous, la foule attentive s'assied ; alors c'est vraiment comme une grande famille dans la demeure d'un père ; alors les paroles du ministre de l'Évangile peuvent tomber puissantes sur cette multitude que le jeûne et la prière lui ont préparée. C'est le champ tout labouré pour recevoir la bonne semence.
Oh! ce ne sont pas les grands, les sublimes sujets qui vont manquer au prêtre, pendant les quarante jours de prédication... Jamais l'éloquence profane n'a autant d'espace devant elle; l'espace du prêtre, c'est l'infini; son temps, c'est l'éternité... Voyez quelle galerie de tableaux : la terre, l'enfer, le ciel, le repentir, la pénitence, la miséricorde, la vertu, la mort !
Quelles inspirations ! toutes celles des anciens prophètes. Quelles consolations à répandre! toutes celles de l`Évangile. La majestueuse puissance de Dieu au, milieu des foudres et des éclairs, dicte, ses lois sur le Sinaï!
Agar dans le désert, Joseph vendu par ses frères, Tobie voyageant avec l'ange, les Macchabées défendant leur patrie, le divin fils de la Vierge consolant les affligés, guérissant les malades, ressuscitant les morts; le peuple écoutant les paraboles du Sauveur, et pleurant à celle de l'enfant prodigue : voilà ce que le prêtre a pour émouvoir la foule qui vient l'écouter. . . ; et s'il la laisse froide, il faut qu'elle soit bien endurcie, ou que lui soit resté bien pauvre au milieu de tant de richesses.
Le mercredi des Cendres a, comme tous les jours de pénitence, beaucoup perdu de son ancienne austérité. Autrefois, dit l'historien des fêtes de l'Église, on choisissait ce jour pour mettre en pénitence publique les pécheurs qui devaient être reçus à la réconciliation, ou à la communion des fidèles, pour la fête de Pâques ; les prêtres écoutaient d'abord leur confession, ils les couvraient ensuite d'un cilice ou d'un sac, leur mettaient de la cendre sur la tête, les aspergeaient d'eau bénite, récitaient sur eux les sept psaumes de la pénitence avec tout le clergé.
Au retour de la procession, on les faisait marcher pieds nus, puis on les chassait de l'église avec le bâton de la croix, et l'on ne les y recevait plus que le Jeudi saint. Pendant qu'on les menait à la porte du temple pour les en faire sortir, les prêtres chantaient les paroles que Dieu avait prononcées contre Adam et Ève quand il les avait exilés du Paradis terrestre.
On fermait ensuite la porte sur eux, puis on commençait la messe des fidèles. Pendant toute la durée du Carême, et dans les villes et dans les campagnes, et dans les vastes cathédrales des cités et dans les humbles églises des hameaux, la parole évangélique ne cesse de retentir en ce temps ; Dieu tient cour plénière de miséricorde, et tous ceux qui ont besoin de pardon peuvent venir.
L'Église a pris ses ornements violets et n'a plus de fleurs sur ses autels ; des voiles couvrent le Christ et les images des saints ; et quand la prédication du soir est finie, c'est le saint-ciboire que le prêtre sort du tabernacle pour bénir les fidèles agenouillés.
Le Miserere, le Parce Domine Populo Tuo, ont remplacé les cantiques de joie..., et la plupart de ces chrétiens qui sont venus écouter la parole de Dieu, ont obéi dès le matin à un de ses commandements: ils ont observé le jeûne ordonné par l'Église. Avant midi ils n'ont pris aucune nourriture, et à moins d'aumônes faites aux pauvres pour obtenir des dispenses, il faudra qu'ils s'abstiennent de viande pendant les quarante jours de pénitence..., et ce ne sera que le soir, bien après le soleil couché, qu'ils s'asseoiront à une frugale collation.
Le Christ se retire 40 jours au désert
Le Psaume 51 - pénitentiel et de miséricorde - Miserere
Les plus célèbres Pères de l'Église estiment que J'observation de ce jeûne de quarante jours est de tradition apostolique, ou du moins qu'elle n'est pas postérieure de beaucoup au siècle des apôtres. Plusieurs en ont attribué l'institution au pape saint Télesphon, qui vivait du temps de l'empereur Adrien, alors que l'on voyait encore plusieurs disciples des apôtres sur la terre. On convient cependant qu'il n'y avait encore, sous ce pontificat, aucun statut de l'Église qui ordonnât ce jeûne : ce ne fut que vers le milieu du troisième siècle que l'on commença à regarder l'observation du jeûne de quarante jours comme une loi qui, s'étant établie peu à peu, se communiqua à toute l'Église. Ce fut alors que l'on s'accorda partout à placer le Carême immédiatement avant Pâques, pour servir de préparation à cette grande fête.
Aujourd'hui l'Église est pleine d'indulgence et a rendu à ses enfants le jeûne bien plus facile qu'autrefois ; notre délicatesse s'effrayerait si je lui disais toute l'austérité du Carême. Il y a deux cents ans, alors dans toute une ville on n'aurait pas trouvé dix familles qui ne fissent pas maigre, depuis le mercredi des Cendres jusqu'au dimanche de Pâques. Si, pour les malades, les bouchers vendaient encore quelques livres de viande, on ne le voyait pas, et c'était nuitamment que cette viande était portée dans les maisons. Le vin a été aussi longtemps interdit.
Sur la fin du huitième siècle, Théodulphe, évêque d'Orléans, marquant que l'on devait se priver de toutes sortes de délices dans les jeûnes du Carême, exhortait encore tout son peuple à s'abstenir d'œufs, de fromage, de laitage, de poisson et de vin lorsqu'on le pouvait. Mais il fait connaître qu'on en permettait l'usage aux infirmes et aux malades, ou à ceux qui n'auraient pas d'autre nourriture pour soutenir leur travail , pourvu qu'on en usât sobrement, et qu'en ne mangeant qu'une fois par jour on ne fît son repas que le soir.
On sent qu'auprès de toutes ces rigueurs, la religion avait établi des dispenses; quand l'Église avait commandé, il fallait obéir; cette soumission est ce qu'il y a d'agréable à Dieu. Mais quand l'âge, la maladie, les infirmités sont là, montrant leurs faiblesses et leurs défaillances, les ministres d'un Dieu de bonté ont de la compatissance, et jamais ils ne refusent des dispenses à ceux qui viennent les solliciter.
Demander de ne pas jeûner, de ne pas être condamné à faire maigre tout le Carême, c'est un acte d'obéissance, c'est déjà se sevrer du plaisir de faire sa volonté ; c'est reconnaître l'autorité de l'Église et s'avouer son vassal ; et quand, dans tous les esprits et dans tous les cœurs, il y a un besoin effréné d'indépendance et de liberté, il faut savoir tenir compte du plus petit acte de soumission. Dans un pays fertile, on passe à côté des plus verdoyantes prairies, sans s'arrêter à les regarder; et dans le désert on s'extasie de plaisir devant une touffe d'herbe, car elle dit : il y a là encore un peu de fraîcheur, et tout n'y est pas mort.
En reconnaissance des dispenses accordées, il y avait jadis à Paris une procession annuelle, le dimanche de la Quinquagésime ; les paroisses et les religieux des ordres mendiants, avec croix et bannières en tête, se rendaient à l'église de Notre-Dame. A Rouen, la plus belle tour de la magnifique cathédrale est encore appelée Tour de beurre, et ce nom lui vient de ce qu'elle a été bâtie avec les deniers provenant des dispenses qui furent accordées pour l'usage du beurre.
Les chrétiens d'autrefois ne faisaient, comme nous l'avons dit, qu'un seul repas chaque jour; et ce repas, d'où l'on retranchait toutes les choses succulentes, n'avait lieu qu'après l'heure de vêpres, c'est-à-dire le soir. Sous Louis XII et François Ier, cet usage était déjà bien changé, car l'évêque de Paris, Etienne Poncher, permet que ce repas se fasse à l'heure de midi.
Un changement si considérable ne se fit pas tout à coup, il n'est venu que par degrés au point où l'Église s'est vue obligée de le tolérer. Lorsqu'on se défit du scrupule de rompre le jeûne du Carême à l'heure de none, il en resta un autre touchant l'office de vêpres, qui semblait toujours devoir précéder la réfection ; l'on ne trouva point d'autre expédient pour s'en délivrer, que d'avancer aussi cet office et lui faire occuper la place que celui de none tenait auparavant.
Ce dérèglement de l'heure du repas, continue le même auteur, en produisit un autre touchant l'unité de la réfection du jour ; on commença chez les Latins à s'en dispenser par la permission que l'on se donna de boire vers le soir, à cause de l'altération que casse le jeûne.
Cette coutume de boire à l'approche de la hait, lorsqu'on mangeait à midi ou à none, s'introduisit au huitième siècle dans l'ordre de Saint-Benoît. Sur la fin du onzième siècle, les religieux, craignant qu'il ne fût nuisible à la santé de boire sans manger, crurent devoir ajouter un petit morceau de pain à ce qu'ils avaient à boire le soir ; mais comme ils ne voulaient pas que cela leur fît perdre du temps, ils firent ces jours-là leur lecture du soir dans le réfectoire, au lieu de la faire dans la salle du chapitre, et ils appelèrent cela aller à la collation, du nom latin de la conférence des saints pères,.
Ainsi le mot de collation se communiqua insensiblement de la lecture de ces conférences à ce petit repas du soir, et il commença à se faire connaître au même sens dans le monde, lorsque les séculiers, trouvant que ce petit repas était assez commode pour adoucir les rigueurs du jeûne, jugèrent à propos d'imiter les religieux en ce point.
J'ai transcrit tout ce passage, parce que je pense que beaucoup sont comme moi, et aiment à savoir l'origine des usages établis; combien de bons catholiques font strictement la collation du Carême, et qui ne se doutent pas de l'étymologie de ce mot!
L'origine du jeûne remonte bien haut ; le jeûne est presque aussi vieux que la douleur : Abraham pleurant Sara, Jacob pleurant Joseph, mêlent le jeûne à leurs regrets et à leurs prières. Depuis Moïse, les jeûnes sont fréquents parmi les Juifs; mais pour les jeûnes qui se lisent dans leur calendrier, ils sont postérieurs à la loi. Le législateur des Hébreux n'ordonne aucun jeûne particulier dans ses livres, sinon le jeûne de l'expiation solennelle, qui est d'une observation stricte et générale.
Josué et les anciens d'Israël demeurèrent prosternés devant l'arche depuis le matin jusqu'au soir, sans prendre aucune nourriture. Après la défaite des Israélites devant Haï, les onze tribus qui avaient pris les armes contre celle de Benjamin, voyant qu'elles ne pouvaient tenir contre les soldats de Gabaa, se prosternèrent devant l'arche, et y demeurèrent sans manger jusqu'à la tombée de la nuit.
Le Carême: Le pain et l`eau de la Pénitence
David jeûna pendant la maladie du premier fils qu'il avait eu de Bethsabée, femme d'Uri. Dans tous les pays, les hommes, en leurs jours d'inquiétude, d'effroi et de tristesse, ont senti le besoin de s'imposer des privations pour éloigner les fléaux ou les douleurs qui menaçaient de fondre sur eux ; et il y a bien longtemps que, pour détourner le malheur, on a crié vers Dieu, et que l'on a mis des pleurs et des plaisirs sacrifiés entre soi et l'adversité qui avançait.
Le Carême est une commémoration du jeûne de Notre-Seigneur, alors que pendant quarante jours il resta dans le désert. Lui, qui n'avait pas péché, n'avait pas besoin de faire pénitence ; mais il était venu pour enseigner aux hommes la mortification, et il voulait que chaque action de sa vie fût un modèle à suivre, un exemple à donner.
Or, la solitude, la retraite, le silence et l'éloignement des affaires du monde, la tempérance et la sobriété, étaient des choses bonnes à enseigner aux hommes. Dans le bruit, dans le mouvement, dans les agitations de la société, il y a peu de place pour les graves et pieuses pensées ; les inspirations qui élèvent l'âme ne viennent pas de la place publique. Elie était dans le désert quand l'esprit du Seigneur le fit monter sur le char de feu...
La solitude et le silence ne ressemblent point à la mort : il y a en eux toute une vie pour l'esprit ; on dirait que Dieu a permis à des anges de rester au désert pour y converser avec les saints qui viennent y chercher le repos. Quand d'une promenade de nos villes nous regardons un beau ciel scintillant d'étoiles, quand nous jouissons du calme que la nuit et le sommeil ont répandu sur la cité, notre âme se sent déjà dégagée de beaucoup des liens qui l'attachent aux intérêts du monde... Dans le désert, c'est bien autre chose ! ... et les ailes qui nous rapprochent du ciel s'y déploient bien mieux!... Là, si vous entendez quelques murmures, c'est le vent qui gémit dans les arbres, c'est le torrent qui gronde dans le lointain; ces bruits sont autrement inspirants que la marche cadencée d'une patrouille qui passe, et que l'impure chanson de quelques gens ivres que l'on renvoie des mauvais lieux.
Ce son doux et plaintif qui sort des rameaux balancés du palmier ou du cèdre, vous semble la voix des amis que vous avez perdus, et qui vous plaignent de n'être pas encore avec leurs âmes ; ce bruit du torrent vous fait souvenir de la vie! vos jours sont comme des ondes, vont vite et ne reviennent plus. C'est donc une chose bonne et salutaire que cette trêve que le Carême commande, que cette séparation d'avec les affaires et les plaisirs..., que cette absence des festins... Hommes vivant dans le monde, nous savons tous les entraînements qu'il y a dans la saison des banquets et des bals ; mais c'est de bonne foi que nous le demandons:... Est-ce autour des tables, est-ce dans la foule d'une fête, que les grandes pensées nous viennent?
Non; il faut rendre à chaque chose, ce qui lui appartient. Le bruyant tumulte du monde, qui n'est pas sans charme, donne l'étourdissement et parfois l'oubli momentané des peines. La retraite donne la paix et le saint enthousiasme. L'un enivre, l'autre élève.
Pour arriver à la grande semaine, à la semaine des douleurs du fils de Dieu, c'est une sainte préparation que le Carême. Pour bien célébrer la Pâque, il faut être pur, il faut avoir des sandales et le bâton du voyageur, il faut être prêt à partir. Les instructions des quarante jours vous apprennent que la mort aime à surprendre les hommes au milieu des festins, et qu'elle se plaît à venir, comme un voleur, frapper les fronts couronnés de diamants et de fleurs.
La Confession
La religion ne cesse de nous crier: Pour bien faire la Pâque, il ne faut pas trop s'asseoir dans la vie; il faut être debout et rompre avec les délices qui énervent et qui retiennent. Le chrétien est voyageur, la terre n'est pas sa demeure ; il ne doit la regarder que comme une hôtellerie que l'on quitte quand on y a dormi ; ou comme une tente que l'on a plantée sur le bord du chemin, et que l'on enlève et que l'on replie quand la nuit est passée.
Il ne faut pas nous arrêter avant d'être arrivés à la demeure de notre père. Et la demeure de notre père, c'est le ciel!.. Voilà ce qui est dit, ce qui est répété chaque matin ou chaque soir aux chrétiens qui viennent se recueillir, se fortifier et se reposer dans les églises pendant la quarantaine de jeûne, de méditations et de prières.
Si le philosophisme, ou ce qui se nomme aujourd'hui le rationalisme, parvenait à donner à la société les mœurs qu'il rêve dans ses idées de perfectibilité et de progrès, toute l'année se ressemblerait, et n'aurait aucun de ces différents aspects que la religion lui donna ; tous les mois, tous les jours seraient les mêmes ; point de fêtes de sainte allégresse, point de solennités de deuil ! L'année, d'un bout à l'autre, serait comme un pays plat et monotone, sans effets de soleil et d'ombre.
La religion entend mieux que cela ce qui convient aux hommes. Elle sait qu'il faut à notre nature légère et inconstante de la diversité, et elle en a répandu sur L`année chrétienne. Autrefois, rien de plus frappant dans un pays catholique que l'avènement du Carême après la suite des joyeuses fêtes de Noël, du premier de l'an, des Rois et de la Chandeleur. La société, le mercredi des Cendres, prenait subitement un tout autre aspect; ce n'était plus le même bruit dans les villes, la même physionomie à la foule : dans les rues, plus de saltimbanques ni de jongleurs; mais des confréries de pénitents et des pèlerins.
Le soir, aux carrefours, plus de gaies chansons, plus de danses; mais de pieux cantiques devant les statues de la Vierge ou du saint du quartier... Dans les maisons, plus de festins; mais des repas qui rappelaient, par leur frugalité, les agapes des premiers fidèles... Aussi il y avait, parmi tous ces fervents chrétiens, une vive impatience de voir arriver la belle journée de Pâques, et l'office des alléluia!
Alors, la douce gaieté, fille de l'innocence et de la paix, revenait aux villes et aux campagnes, aux presbytères et aux châteaux: et nos pères, qui avaient jeûné avec soumission, se décaremaient avec joie.
Il y a des gens qui s'étonnent que la société devienne triste, qu'elle se fasse sombre, et qu'elle ne rie plus de ce bon rire du vieux temps. Ce changement me paraît facile à expliquer : quand les ondes d'un fleuve n'ont pas de bords arrêtés pour les contenir, elles vont s'étendant de tous côtés, et n'ont de profondeur nulle part.
Il en est de même du plaisir : quand il peut s'étendre également à tous les jours, quand il n'a ni bornes, ni empêchements, il n'a plus de vivacité; on ne lui sourit plus que du bout des lèvres, comme à un hôte qui revient trop souvent chez nous. Ce serait sans doute un bien (religieusement parlant), si cette langueur, cette espèce de dégoût, nous avaient amené la sagesse et le mépris des vanités des vanités ; mais non, jusqu'à présent ce n'est pas la sagesse qui nous est arrivée; c'est seulement l'ennui, et l'ennui n'a jamais été bon ni pour le corps ni pour l'âme.
9– Le Dimanche de la Passion.
Nous voici parvenus à la voie douloureuse; aussi le deuil de nos églises redouble, et déjà les souffrances du Fils de l'homme se font pressentir. La religion a bien fait de nous conduire à travers la pénitence pour arriver au chemin sacré du Calvaire : sans la pénitence du Carême, sans les larmes que nous avons versées, sans les austérités auxquelles nous nous sommes soumis, sans la blanche robe d'innocence que le repentir nous a donnée, comment oserions-nous monter au Golgotha pour voir mourir un Dieu?
Mais, si nous avons pleuré du fond de nos cœurs, nous sommes aussi purs que les anges, et, comme eux, nous pouvons entourer la croix. Dès la veille du dimanche de la Passion, dans plusieurs passages de l'office, on retranche le Gloria Patri, ce refrain de Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit; ce refrain que les chœurs célestes font entendre dans leurs divins concerts, a semblé trop plein d'allégresse pour un jour si rapproché des jours de douleur.
Dans quelques pays, ce n'est qu'au dimanche de la Passion que l'on voile le crucifix et les images des saints; dans d'autres, c'est dès la première semaine de Carême que l'on cache, sous des étoffes violettes, la croix de l'autel et les statues de l'église. Dans quelques endroits, on se sert, pour les offices, d'ornements noirs, afin de marquer le deuil encore davantage.
Mais, en général, c'est la couleur violette qui est adoptée; alors les cierges ne sont plus de cire blanche, mais jaunes, comme ceux des funérailles. Quand les autels sont ainsi revêtus de tristesse, les prêtres, sur un air lent et solennel , chantent le Vexilla regis prodeunt. Voici l'étendard du Roi souverain des rois. Voici le mystère de la croix qui rayonne.
Voici le mystère qui nous montre un Dieu attaché à une croix.
On Dieu attaché pour nous à un gibet infâme!
Voyez, du côté du Sauveur le sang coule.
Il coule mêlé à l'eau, pour effacer nos crimes.
A présent sont accomplies les paroles de David.
Prophète inspiré, il avait dit aux nations :
« C'est par le bois que régnera le Seigneur.»
Arbre resplendissant et beau !
Arbre que le Roi des rois a empourpré de son sang ; Arbre privilégié, tu as été choisi entre tous les autres, et tu toucheras les membres sacrés du Saint des saints!
Oh ! que tes branches sont heureuses ! Elles ont porté la rançon du monde!
Et c'est à tes rameaux, comme à une balance, que le corps divin a été pesé, et qu'il a emporté la proie de l'enfer.
Salut! ô croix, notre unique espérance!
0 croix ! dans ces jours de la passion,
Augmente la piété au cœur des justes,
Obtiens le pardon aux coupables!
Ces dernières paroles de l'hymne du dimanche de la Passion seront souvent répétées dans les jours saints qui vont suivre. La croix va devenir comme la pensée fixe de l`Église; elle sera invoquée, et presque adorée; les rois, les pontifes, les cardinaux, les archevêques, les évêques, les vieillards du sanctuaire, les enfants de chœur, les fidèles, les riches, les pauvres, iront pieds nus baiser le bois rédempteur, pendant que la voix grave des chantres répétera :
O crux ave, spes unica!
Hoc passionis tempore,
Auge piis justitiam
Reisque dona veniam!
Alors, on dirait que les enfants éplorés d'un père qui vient de mourir, sont admis dans la chambre mortuaire où le chef de la famille est exposé sur un lit funèbre, et qu'ils viennent avec respect et douleur baiser ses restes vénérés. Ces enfants, ce sont les fidèles; le père, c'est Jésus- Christ; ce lit funèbre, c'est la croix !
J'ai entendu une fois un Ave crux qui restera dans ma mémoire, alors même qu'elle s'affaiblira sous la main de la vieillesse ; un chanté, pas dans une petite
chapelle, pas dans une vaste cathédrale, pas devant quelques centaines de chrétiens, mais entonné sur une montagne, au-dessus d'un grand fleuve, en face de la mer,
et répété par plus de six mille hommes.
C'était le jour de la plantation de la croix sur le calvaire de la Montagne de Grâce.
C'était par une belle journée; toute la population de Honfleur, des villes et des campagnes voisines, était accourue à la montagne sainte; ses flancs, ses chemins, sa
cime, étaient bigarrés d'une foule innombrable. Sur le plateau, pendant quelque temps, rien ne dominait cette multitude pressée et silencieuse; mais tout à coup un des
marins qui avaient creusé le trou où l'arbre sacré devait être planté, vient dire au prêtre qui dirigeait la pieuse cérémonie que tout était prêt. Alors le prêtre, monté
sur une espèce de chaire rustique s'écria d'une voix qui fut en
tendue au loin : RELEVEZ-VOUS, CROIX SAINTE DU SALUT !
Et au moment où elle se leva, toute la foule s'abaissa, se prosterna, et, du grand silence qui régna un instant, s'élança et monta vers le ciel :
0 CRUX AVE, SPES UNICAl
C'était tout un peuple qui chantait, et l'on eût dît une seule et puissante voix.
Bien au-dessous de la montagne, à quatre cents pieds plus bas, la voix fut entendue, et des mariniers, agenouillés dans des barques que l'on voyait arrêtées sur les
eaux, répondirent au pieux cantique. L'orateur chrétien ramena souvent dans son discours : O CRUX ave!
Et chaque fois, la foule tombait à genoux et chantait de nouveau les saintes paroles Oh ! il y avait dans cette scène tant de grandeur, que son souvenir fait encore battre mon cœur, pendant que ma main cherche à la décrire. Il y a dans les fêtes religieuses quelque chose d'indélébile , quelque chose qui demeure quand tout le reste s'en va.
10– Le Dimanche des Rameaux.
Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où demeurait Lazare, ce mort qu'il avait ressuscité ; là, il se mit à table auprès de celui qu'il avait tiré du sépulcre.
Le lendemain, une multitude de peuple qui était venue pour la fête de Pâques, ayant appris que Jésus arrivait à Jérusalem, prit des branches de palmier et alla
au-devant de lui, en criant : « Hosannah ! Hosannah ! béni soit le Roi d'Israël qui vient au nom du Seigneur! »
Tous ceux qui s'étaient trouvés avec Jésus lorsqu'il avait ressuscité Lazare, lui rendaient témoignage. C'est pourquoi tout le peuple venait à sa rencontre ; car il avait entendu raconter le miracle. Comme ils approchaient de Jérusalem , Jésus fit venir deux de ses disciples, et il leur dit :« Allez à ce village qui est devant vous; vous trouverez, en y arrivant, une ânesse attachée et son ânon avec elle. Détachez-les, et amenez-les-moi.» Les disciples amenèrent l'ânesse et l'ânon, qu'ils couvrirent de leurs manteaux, et Jésus monta dessus, comme il avait été écrit : «Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre Roi qui vient monté sur un ânon.»
A mesure qu'ils avançaient, la foule du peuple étendait ses habits sur le chemin ; d'autres coupaient des branches d'arbres et les jetaient sur son passage. Quand il fut près de la descente de la montagne des Oliviers les disciples qui étaient là en grand nombre, étant transportés de joie, se mirent tous à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus, en répétant : «Béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur ! paix dans le ciel, et gloire au plus haut des cieux! Hosannah au Fils de David ! »
C'est avec les paroles mêmes qui sont chantées par les prêtres à la procession des Rameaux, que j'ai voulu faire l 'historique de cette fête qui ouvre la grande semaine . Il y a dans ce récit si simple une force de vérité qui commande la foi, et tout de suite à cette foi il se mêle de l'amour. C'est un roi de paix et de mansuétude qui s'avance. Oh! quelle entrée triomphale que celle du Christ à Jérusalem!
Pour que d'autres entrées triomphales ne s'effaçassent pas du souvenir des peuples et des annales des nations, les rois conquérants ont fait élever à grands frais de magnifiques arcs de triomphe ; afin que la mémoire de leurs conquêtes ne passât pas, afin qu'elle demeurât à perpétuité parmi les hommes, ils ont bâti leurs arcs de victoires aussi solides que s'ils devaient porter le monde. Les pierres les plus dures, le marbre le plus à l'épreuve du temps, ont été employés à la construction de ces monuments, faits pour durer toujours. Eh bien ! les siècles, en passant sur ces montagnes d'orgueil, les ont écrasées de leurs pieds qui broient tout. Et de beaucoup de ces arcs de triomphe, aujourd'hui vous chercheriez une petite pierre, un grain de poussière, que vous ne le trouveriez pas; tout en a disparu, tout, jusqu'à la mémoire.
Pour l'entrée du roi d'Israël à Jérusalem, pour perpétuer le souvenir que Jésus y est venu au nom du Seigneur, il n'y a eu ni arc de triomphe, ni obélisque élevés, et
voyez comme la mémoire de cette entrée si humble est demeurée dans tous les esprits! Les détails en sont si bien conservés, que l'on dirait que c'est un fait récent raconté par l'évangéliste Et cependant, voilà tout à l'heure deux mille ans ! Que le monde dure six mille ans de plus, et le récit que ma main transcrit aujourd'hui sera transcrit par d'autres mains encore. L'histoire des hommes se déchire, se perd ; quand on l'écrit sur le granit ou le bronze, elle se renverse et se brise ; mais celle de Dieu a pris de son éternité.
Cet ouragan des âges qui balaye et emporte ces arcs de triomphe dont je parlais tout à l'heure, et qui joue avec leurs blocs de pierre ou de marbre, comme le vent d'automne avec les feuilles sèches, ne peut pas remuer, pour la perdre, une page de l'Évangile! Ne nous étonnons pas si tous les détails de l'entrée de Jésus à Jérusalem sont si bien gardés. Dieu s'est appelé quelque part le Roi des siècles!
Quand le dimanche des Rameaux est venu, il y a encore quelque chose de particulier à la physionomie de nos villes et de nos églises. Dès le matin on voit, sur les places
et dans les rues, des marchands de branches verdoyantes; ici, c'est du buis aux petites feuilles luisantes; là, du romarin à l'odeur forte, au feuillage bleuâtre, qu'ils offrent
aux fidèles qui se rendent à l'église. Et puis, dans le sanctuaire, devant l'autel, toute une forêt de palmes que le prêtre va bénir, et distribuer à la foule. Et ceux des chrétiens qui ne peuvent arriver jusqu'à la balustrade du chœur, élèvent leurs rameaux en l'air quand l'officiant, en parcourant la nef et les bas côtés de l'église, fait l'aspersion et dit à haute voix : « 0 Dieu, dont le fils est descendu sur la terre pour le salut des hommes; Seigneur, qui avez voulu que, lors que le temps de sa passion était proche, Jésus allât à Jérusalem monté sur une ânesse ; vous qui avez voulu qu'il fût appelé Roi par la multitude ; daignez bénir ces rameaux, et remplissez de grâces et de bénédictions tous ceux qui les porteront, afin qu'après avoir surmonté ici-bas les tentations de l'ennemi des hommes, ils aillent paraître devant vous, Seigneur, avec la palme de la victoire et le fruit des bonnes œuvres! »
Et quand tous les rameaux sont bénits, on voit toutes ces branches de verdure se lever, s'abaisser, s'agiter, comme si une forte brise était venue passer sur un champ
d'arbustes... C'est le moment de la procession : les prêtres, les chantres, les choristes, les fidèles, sortent de l'église, et vont entourer une croix tenue dehors, en face du grand portail.
Là on chante :
» Tous ceux qui allaient à sa rencontre, tout le peuple qui allait au-devant de lui, criaient Hosannah au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! béni soit le règne de David que nous voyons arriver ! Hosannah au plus haut des cieux ! «Fille de Sion, sois remplie d'allégresse; fille de Jérusalem, laisse éclater ta joie ! Voici votre Roi qui vient à vous; le voici, c'est un Roi juste et bon ; il est pauvre, il vient à vous monté sur une ânesse ! «Sauvez-nous, Seigneur ! Seigneur! Seigneur! regardez-nous favorablement ! Béni soit celui qui nous vient en votre nom ! Le Seigneur est le vrai Dieu, et il a fait luire sur nous une nouvelle lumière. Rendez, rendez ce jour grand et solennel ; amenez la victime jusqu'à l'autel. »
Quelques-uns des pharisiens dirent à Jésus : Maître, faites taire vos disciples . Il leur répondit :« En vérité, je vous le dis, s'ils se taisaient, les pierres mêmes crieraient.» Et quand Jésus fut tout proche de Jérusalem, il s'arrêta, regarda la ville, et se mit à pleurer..., disant :« 0 Jérusalem, si du moins en ce jour qui t'est donné , tu savais ce qui peut t'assurer la paix... Mais non, maintenant tout cela est caché à tes yeux ! »
Je trouve ces offices chantés par l'Église, admirables ; ils louent et racontent, prient et remercient à la fois; ils sont, comme nos journées, mêlés de joies et de tristesses, d'élévations et d'abaissements. Quand l'hymne gloria, laus et honor est achevé, le prêtre officiant se rapproche de la grande porte fermée de l'église, et dit, en élevant la voix : « Ouvrez-vous, ouvrez-vous , portes éternelles ! ouvrez-vous, et le Roi de gloire entrera.»
Et des voix de l'intérieur de l'église répondent : — Quel est ce Roi de gloire ?—C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur terrible, invincible dans les combats ; ouvrez-vous, ouvrez-vous, ô portes éternelles ! laissez passer le Roi de gloire. »
Mais les portes restent toujours fermées, et, de derrière leurs épais battants, les voix demandent encore : « — Quel est ce Roi de gloire? — C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur terrible, invincible dans les combats ; ouvrez, ouvrez vos portes, et le Roi de gloire entrera. »
Pour la troisième fois, le chœur , resté sous le porcin intérieur, demande:
« — Quel est ce Roi de gloire? » Et pour la troisième fois la procession du dehors chante en frappant la porte avec le bâton de la croix : Ce Roi de gloire, c'est le Seigneur fort et puissant, terrible, invincible dans les batailles ; c'est le Dieu des armées ; ouvrez, ouvrez vos portes éternelles; laissez entrer le Roi des rois. »
A ces dernières paroles, la lourde porte ou de bronze ou de bois de chêne, à clous saillants et à arabesques de fer, tourne sur ses gonds et laisse passer la croix et son
cortège. Quand les prêtres sont ainsi rentrés dans l'église, en marchant vers le sanctuaire, ils chantent sur un ton de triomphe :
« Quand Jésus fut entré dans Jérusalem, toute la ville en fut émue, et le peuple répétait: C'est Jésus le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée ; et les enfants
criaient: Hosannah, hosannah au fils de David. Vous tirez, Seigneur, votre gloire de la bouche des enfants, de ceux qui sont encore à la mamelle. J'ai redit presque toutes les paroles de cet office du matin des Rameaux, parce que j'y trouve la marche et le mouvement d'un poème : ces prêtres et ce peuple avec leurs palmes de verdure ; ce dialogue entre le chœur du dehors et celui de l'intérieur de l'église ; cette répétition de : Ouvrez, ouvrez vos portes éternelles, et de ces autres mots: Quel est ce Roi de gloire? me semble d'une grande beauté.
Quand la grand messe, avec son long évangile, est finie, quand tout le peuple s'est prosterné et a baisé la terre à ces paroles de la passion de Notre-Seigneur:
JÉSUS, JETANT UN GRAND CRI, RENDIT L'AME
Chacun, avec son rameau, s'en retourne à son logis, et attache à son, chevet la branche verdoyante que le prêtre a bénite. Le rameau séché de l'année précédente doit être jeté
an feu. Dans quelques églises, c'est la cendre de ces rameaux brûlés que l'on répand sur le front des chrétiens , le mercredi des Cendres : ainsi ce qui reste des palmes du triomphe sert à nous montrer la vanité de toute gloire !
Des idées que je me garderai bien de nommer superstitieuses sont attachées, en divers pays, à la garde de ces rameaux : en Bretagne, la mère qui ne verrait plus la
branche bénite à la couche de sa fille, tremblerait pour elle. Quand un enfant vient à naître, on prend quelque, feuilles du rameau qui a été placé près du lit de la mère
et du père de famille, pour les attacher au berceau de nouveau-né.
Et quand nos derniers instants seront arrivés, quand nous serons couchés sur le lit d'où nous ne nous lèverons plus, le rameau qui a veillé sur nos nuits tranquilles sera
de la muraille ou du rideau, et la sœur de charité qui soignera nos souffrances et qui pensera au salut de notre âme, l'aura mis dans l'eau bénite, pour en asperger de temps en temps notre couche et nous-mêmes. En Espagne, dans quelques provinces, les morts sont enterrés avec leurs rameaux entre leurs mains jointes ; et la tradition dit que les rameaux des prédestinés ne pourrissent point dans le cercueil.
11– Le Semaine Sainte
La dernière semaine de Carême, la semaine qui précède la solennité de Pâques, a reçu des chrétiens différentes appellations qui prouvent combien elle était placée
haut dans leur esprit. Tantôt ils la nomment: semaine sainte, grande semaine, semaine pénale, et semaine d'indulgence.
Dans la primitive Église, les jeûnes étaient plus longs et plus austères que dans le reste du Carême ; je lis dans l`Histoire des Fêtes de l'Église: Parmi les fidèles il y en
avait qui passaient la semaine entière sans manger. Les autres étaient quatre jours de suite; les autres, trois; d'autres, deux seulement. Comparons nos austérités à celles des premiers chrétiens, et puis, si nous l'osons, plaignons-nous.
Après la belle cérémonie des palmes, le lundi et le mardi saints paraissent froids ; rien ne les distingue des autres jours; seulement, dès qu'on fait quelques pas dans les églises, on voit plus de monde que de coutume près des confessionnaux ; et puis les lévites qui sont chargés d'orner et de parer les autels commencent déjà les apprêts du tombeau, ou reposoir, où l'hostie consacrée le jeudi doit être déposée sous un voile de drap d'or, en mémoire de l'ensevelissement du Sauveur, et de son repos de trois jours dans le sépulcre.
Mais avant les magnificences du Jeudi et le deuil du Vendredi saint , dès le Mercredi, les offices appelés ténèbres commencent à être chantés. Ce nom de ténèbres vient de ce que, dans les premiers siècles, ces prières étaient dites pendant la nuit; car alors, aux austérités du jeûne on joignait la privation du sommeil, et les veillées saintes étaient longues et fréquentes. D'autres disent que c'est en mémoire de l'obscurité qui s'est étendue sur toute la nature au moment où Jésus-Christ, expirant sur la croix, a fait trembler la terre
de ces mots : CONSUMMATUM EST! que l'on a nommé Ténèbres les offices du soir des Mercredi, Jeudi et Vendredi saints.
Tout ce que les Écritures ont de plus belle poésie se trouve dans cet office de la sainte semaine ; et pour pleurer les souffrances du fils de Dieu, l'Église a évoqué les
hommes qui avaient le mieux redit les douleurs et les angoisses de l'âme: Job, David, Isaïe, Jérémie ; ce sont leurs plaintes, leurs prières, leurs lamentations, leurs prophétiques visions que l'on récite lugubrement devant les autels dépouillés.
Au milieu du sanctuaire, un chandelier triangulaire, portant quinze cierges de cire jaune, brûle comme un symbole de ceux qui ont confessé le Christ. A la fin de chaque psaume un acolyte se lève et vient éteindre un des cierges ; et à mesure que l'office avance, le nombre des lumières diminue... Ici la main de l'enfant de chœur est comme la main de la mort ; chaque cierge que l'on éteint représente un juste, un confesseur de Jésus qui meurt; et quand il ne reste plus que la lumière placée tout au haut du triangle, celle-là n'est point éteinte comme les autres : le choriste la porte et la cache derrière l'autel ; c'est le Sauveur, la lumière du monde, qui s'éclipse pendant quelques instants derrière l'ombre du tombeau !
Oh! dans la moindre cérémonie de notre culte, rien n'est sans une leçon, sans un ressouvenir : Un cierge que l'on allume, c'est un prophète qui naît; Une lampe que
l'on éteint, c'est un juste qui quitte la terre.
C'est un moment grandement solennel que celui où le cierge allumé disparaît derrière l'autel ; alors les prêtres disent d'une voix lente et lugubre le Miserere mei Deus! Puis, après ces mots, Pater noster, l'officiant se tait, et le silence règne dans toute l'église, comme il a régné dans le sépulcre de Joseph d'Arimathie... Tout à coup un grand bruit s'élève et retentit, quand le jeune choriste reparaît avec le cierge. Les fidèles, les enfants surtout, frappent avec leurs livres sur les bancs de l'église; c'est pour rappeler la grande commotion qui remua la terre jusque dans ses fondements, quand le Christ rendit l'âme et que le voile du temple fut déchiré dans toute sa hauteur. Que de richesses poétiques dans ces offices des quatre derniers jours de la grande semaine ! on y trouve comme un délire de douleur, et cependant cette douleur est toujours sublime : c'est celle des prophètes.
Voici ce qu'a dit le Seigneur: « Va à la fille de Sion, et dis-lui: «Le Sauveur vient, il vient portant avec lui la rédemption et la récompense. C'est lui qui sort de l'Idumée, c'est lui qui s'élève de Bosra! Il se lève beau et majestueux, avec ses Vêtements teints de sang ; sa force se révèle dans sa démarche» « Écoutez-le : C'est moi qui annonce la justice ; c'est moi qui puis sauver le monde. Pourquoi vos vêtements sont-ils ainsi rougis? ils sont rougis comme ceux des hommes qui foulent la vendange. Seul j'ai foulé le vin, et entre tous les peuples, pas un homme ne s'est levé pour me secourir. Aussi je les ai foulés aux pieds je les ai foulés aux pieds dans ma colère, et c'est leur sang qui a rejailli sur moi, qui a rougi mes vêtements. Le jour de ma vengeance est venu, et c'est à présent qu'il faut que je rachète les miens. Dans le malheur, j'ai regardé autour de moi s'il n'y avait personne pour me porter aide, et il n'y a eu personne pour me secourir. Qui m'a sauvé? c'est mon bras; qui m'a délivré? c'est ma colère. Dans ma fureur, j'ai écrasé les peuples sous mes pieds, et je les ai enivrés de leur propre sang »
C'est par la bouche d'Isaïe que le Seigneur se révèle de la sorte. Quelles images! Voyez maintenant quel portrait ce même prophète fait du Rédempteur chargé de nos iniquités : Il est comme un arbrisseau qui languit dans une terre sans rosée. Il est sans éclat, sans beauté; nos yeux l'ont vu et ne l'ont pas reconnu; car il était devenu comme le dernier, comme le rebut des hommes ; comme si la lèpre s'était étendue sur lui.
« Toutes les souffrances, toutes les douleurs, l'ont pris pour victime. Son visage est voilé de tristesse, nos langueurs et nos infirmités l'ont courbé sous leur poids. Et c'est pour nous, pour nos iniquités, pour nos crimes, qu'il s'est offert à toutes ces souffrances, à toutes ces humiliations. Notre paix vient de ses angoisses; et notre guérison découle de ses plaies. Semblables à des brebis égarées, nous étions sortis du bon chemin, et chacun de nous suivait sa propre voie. Le Seigneur lui a dit de prendre nos péchés sur lui; et il l'a fait, et il s'est immolé pour nous sans ouvrir la bouche, sans se plaindre! Il sera mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger; et sous le couteau il gardera encore le silence, comme un agneau est muet sous la main qui lui sa toison. »
N'est-ce pas là une sublime peinture de la résignation chrétienne? — Et, il faut le dire, chaque page des offices de la semaine sainte a de ces beautés-là; il faut le dire, car, voyez-vous, il y a des hommes qui passent dans le monde pour des hommes littéraires, et qui ne se doutent pas des richesses poétiques que contient un livre de prières catholiques. Ils ont lu beaucoup d'ouvrages ; mais ils ont dédaigné d'ouvrir ce livre-là! C'est cependant dans ce livre-là que l'on trouve encore cette page :
« Sauvez-moi ! sauvez-moi, Seigneur, parce que les eaux de l'affliction montent et inondent mon âme! Je suis tombé dans un abîme , et j'y roule sans trouver de fond ! J'ai crié , j'ai appelé à mon aide, et ma voix s'est fatiguée en cris inutiles; mes regards se sont tournés et vers la terre et vers le ciel, et mes yeux se sont lassés; j'attendais ma délivrance d'en haut, et elle ne m'est pas venue ! Ma tête a moins de cheveux que je n'ai d'ennemis; et cependant la haine contre moi est injuste. Mon Dieu, c'est pour vous que j'ai souffert; mon Dieu, prenez pitié de moi; car à présent me voilà seul; mes frères ne me reconnaissent plus et s'éloignent de moi . Les juges dans leurs tribunaux s'élèvent contre moi; et le peuple, dans sa débauche, me prend pour sujet de ses chansons. Et moi, Seigneur, j'implore votre secours. 0 mon Dieu ! il est temps de faire éclater votre puissance pour me sauver. Que la tempête ne me submerge pas , que je ne sois pas englouti par les flots, et que l'abîme dans lequel je suis tombé ne se referme pas sur ma tête ! »
Jamais le malheur a-t-il crié plus fort vers Dieu?... Mais, écoutez, voici la psalmodie lugubre des prêtres qui cesse. Des voix jeunes et pures, argentines et sonores,
s'élèvent : ce sont celles des enfants de chœur ; elles vont redire les lamentations de Jérémie; de Jérémie, le grand poète des douleurs!
Oh! comment cette ville, autrefois si animée de peuple, est-elle maintenant si déserte et si morne? Comment la reine des nations, celle que les peuples venaient voir de loin, a-t-elle été rendue semblable à une veuve désolée? Comment la maîtresse de tant de provinces a-t- elle été faite tributaire de l'étranger? Toute la nuit elle pleure; et, pleurant toujours, la douleur flétrit son visage, et la marque des larmes reste sur ses joues... De tous ceux qu'elle chérissait, pas un ne pense à elle, pas un ne vient la consoler... Bien plus ceux qu'elle aimait se sont tournés contre elle. Pour se sauver de l'affliction de la servitude, pour échapper à l'esclavage, Juda a quitté sa patrie. Mais le repos qu'il avait perdu, il l'a vainement cherché chez les nations étrangères; elles n'ont fait que se lier ensemble pour le persécuter. Les rues de Sion pleurent leur solitude ; personne n'y vient plus ; personne n'accourt plus aux solennités du temple! Ses portes sont brisées, ses parvis déserts, ses prêtres dans la douleur; et ses vierges, vêtues de deuil, plongées dans l'amertume, gémissent. Ses ennemis l'ont terrassée , et se sont gorgés de ses richesses, parce que le Seigneur, irrité de ses iniquités, dans sa justice et sa colère, l'avait condamnée... Ses enfants, encore tout petits, ont été emmenés captifs, frappés et rudoyés par l'ennemi. Jérusalem ! Jérusalem ! convertis-toi au Seigneur ton Dieu ! » laisse bien loin derrière elle toute autre poésie.
Et comment en serait-il autrement? Isaïe, Job, David, Jérémie, étaient hommes comme nous, et comme nous avaient pu puiser dans leurs propres malheurs de déchirantes lamentations. Eux aussi avaient été trompés par de faux amis, avaient eu à pleurer sur les morts, et avaient vu la patrie déchoir de sa gloire et de son bonheur. Ainsi, ayant souffert, ils pouvaient avoir appris l'éloquence de l'adversité ; mais pour savoir si bien les paroles qui sont comme les sœurs des larmes, comme les gémissements de l'âme, des paroles que toutes les douleurs leur empruntent quand elles veulent faire pleurer sur elles; pour devenir interprètes si vrais des grands malheurs dans tous les siècles, chez toutes les nations, il a fallu à Jérémie, à Isaïe, à Job, à David et aux prophètes, d'autres révélations que celles de leur cœur; il a fallu que Dieu les prit pour ainsi dire par la main , et les conduisît dans l'arsenal de ses vengeances, et là , leur montrât tout ce que sa justice avait en réserve pour punir les hommes. Alors, les lamentations ont été proportionnées aux malheurs du passé, du présent et de l'avenir.....
Aussi, avec les paroles ,le Jérémie, toute une nation peut se plaindre et pleurer. Nous nous trompons fort, ou c'est là de la poésie qui laisse bien loin derrière elle toute autre poésie. Et comment en serait-il autrement? Isaïe, Job, David, Jérémie, étaient hommes comme nous, et comme nous avaient pu puiser dans leurs propres malheurs de déchirantes lamentations. Eux aussi avaient été trompés par de faux amis, avaient eu à pleurer sur les morts, et avaient vu la patrie déchoir de sa gloire et de son bonheur.
Alors que les rigueurs de l'hiver sont passées, mais que la douce tiédeur du printemps n'est pas encore venue; alors que la société des villes commence à se lasser des bruyants et stériles plaisirs qui l'ont agitée pendant les mois de frimas et de neige ; tout à coup un grand silence se fait dans nos cités , la folie avec ses masques et ses cris, ses bals et ses cavalcades et ses enfantillages impies, se tait.
Et qui a si subitement rendu la raison à tout ce monde atteint de vertige?
La religion ; elle a répandu un peu de cendres sur toutes ces têtes en délire, et les voilà redevenues calmes ; ces hommes qui faisaient tant de bruit tout à l'heure, ont écouté la voix qui partait des sanctuaires, et qui leur criait : « Homme, souviens-toi que tu es poussière.»
Ce Memento donné par l'Église a été le remède à l'aliénation de la foule. Le Mercredi des Cendres a ouvert la sainte quarantaine, et voici commencés les jours de jeûne et de prières, de retraite et de mortification ; maintenant, celui qui restera dans l'ignorance, celui qui ne se lèvera point des ombres de la mort, où il était assis, en vérité sera bien coupable ; car la religion, cette mère de tous les hommes, offre de tous côtés des secours et des lumières, du repos et des consolations. Voyez toutes les églises, leurs grandes portes sont ouvertes ; regardez tous les autels, les cierges y brûlent avec l'encens ; écoutez sous toutes les vieilles voûtes, ce sont les prêtres du Dieu de miséricorde qui invitent au repentir, et qui annoncent le pardon.
Pendant la folle saison , nous avons tous, plus ou moins, goûté des plaisirs du monde: eh bien! voici que la journée est finie, que les affaires et les travaux ont cessé; voici que nos églises sont bien belles, bien inspirantes, avec le jour montant derrière leurs vitraux : entrons-y, et voyons si les prêtres, disent vrai, voyons si le joug du Seigneur est léger.
S'il y a encore du, bruit en dehors, il ne parvient à ceux qui sont réunis dans l'église, qu'affaibli et sourd. Ces lointaines rumeurs se perdent dans le chant des cantiques , que les fidèles répètent en chœur en attendant le prêtre. Quand, à la lueur des lampes, il paraît en chaire après l'invocation : Esprit saint, descendez en nous, la foule attentive s'assied ; alors c'est vraiment comme une grande famille dans la demeure d'un père ; alors les paroles du ministre de l'Évangile peuvent tomber puissantes sur cette multitude que le jeûne et la prière lui ont préparée. C'est le champ tout labouré pour recevoir la bonne semence.
Oh! ce ne sont pas les grands, les sublimes sujets qui vont manquer au prêtre, pendant les quarante jours de prédication... Jamais l'éloquence profane n'a autant d'espace devant elle; l'espace du prêtre, c'est l'infini; son temps, c'est l'éternité... Voyez quelle galerie de tableaux : la terre, l'enfer, le ciel, le repentir, la pénitence, la miséricorde, la vertu, la mort !
Quelles inspirations ! toutes celles des anciens prophètes. Quelles consolations à répandre! toutes celles de l`Évangile. La majestueuse puissance de Dieu au, milieu des foudres et des éclairs, dicte, ses lois sur le Sinaï!
Agar dans le désert, Joseph vendu par ses frères, Tobie voyageant avec l'ange, les Macchabées défendant leur patrie, le divin fils de la Vierge consolant les affligés, guérissant les malades, ressuscitant les morts; le peuple écoutant les paraboles du Sauveur, et pleurant à celle de l'enfant prodigue : voilà ce que le prêtre a pour émouvoir la foule qui vient l'écouter. . . ; et s'il la laisse froide, il faut qu'elle soit bien endurcie, ou que lui soit resté bien pauvre au milieu de tant de richesses.
Le mercredi des Cendres a, comme tous les jours de pénitence, beaucoup perdu de son ancienne austérité. Autrefois, dit l'historien des fêtes de l'Église, on choisissait ce jour pour mettre en pénitence publique les pécheurs qui devaient être reçus à la réconciliation, ou à la communion des fidèles, pour la fête de Pâques ; les prêtres écoutaient d'abord leur confession, ils les couvraient ensuite d'un cilice ou d'un sac, leur mettaient de la cendre sur la tête, les aspergeaient d'eau bénite, récitaient sur eux les sept psaumes de la pénitence avec tout le clergé.
Au retour de la procession, on les faisait marcher pieds nus, puis on les chassait de l'église avec le bâton de la croix, et l'on ne les y recevait plus que le Jeudi saint. Pendant qu'on les menait à la porte du temple pour les en faire sortir, les prêtres chantaient les paroles que Dieu avait prononcées contre Adam et Ève quand il les avait exilés du Paradis terrestre.
On fermait ensuite la porte sur eux, puis on commençait la messe des fidèles. Pendant toute la durée du Carême, et dans les villes et dans les campagnes, et dans les vastes cathédrales des cités et dans les humbles églises des hameaux, la parole évangélique ne cesse de retentir en ce temps ; Dieu tient cour plénière de miséricorde, et tous ceux qui ont besoin de pardon peuvent venir.
L'Église a pris ses ornements violets et n'a plus de fleurs sur ses autels ; des voiles couvrent le Christ et les images des saints ; et quand la prédication du soir est finie, c'est le saint-ciboire que le prêtre sort du tabernacle pour bénir les fidèles agenouillés.
Le Miserere, le Parce Domine Populo Tuo, ont remplacé les cantiques de joie..., et la plupart de ces chrétiens qui sont venus écouter la parole de Dieu, ont obéi dès le matin à un de ses commandements: ils ont observé le jeûne ordonné par l'Église. Avant midi ils n'ont pris aucune nourriture, et à moins d'aumônes faites aux pauvres pour obtenir des dispenses, il faudra qu'ils s'abstiennent de viande pendant les quarante jours de pénitence..., et ce ne sera que le soir, bien après le soleil couché, qu'ils s'asseoiront à une frugale collation.
Le Christ se retire 40 jours au désert
Le Psaume 51 - pénitentiel et de miséricorde - Miserere
Les plus célèbres Pères de l'Église estiment que J'observation de ce jeûne de quarante jours est de tradition apostolique, ou du moins qu'elle n'est pas postérieure de beaucoup au siècle des apôtres. Plusieurs en ont attribué l'institution au pape saint Télesphon, qui vivait du temps de l'empereur Adrien, alors que l'on voyait encore plusieurs disciples des apôtres sur la terre. On convient cependant qu'il n'y avait encore, sous ce pontificat, aucun statut de l'Église qui ordonnât ce jeûne : ce ne fut que vers le milieu du troisième siècle que l'on commença à regarder l'observation du jeûne de quarante jours comme une loi qui, s'étant établie peu à peu, se communiqua à toute l'Église. Ce fut alors que l'on s'accorda partout à placer le Carême immédiatement avant Pâques, pour servir de préparation à cette grande fête.
Aujourd'hui l'Église est pleine d'indulgence et a rendu à ses enfants le jeûne bien plus facile qu'autrefois ; notre délicatesse s'effrayerait si je lui disais toute l'austérité du Carême. Il y a deux cents ans, alors dans toute une ville on n'aurait pas trouvé dix familles qui ne fissent pas maigre, depuis le mercredi des Cendres jusqu'au dimanche de Pâques. Si, pour les malades, les bouchers vendaient encore quelques livres de viande, on ne le voyait pas, et c'était nuitamment que cette viande était portée dans les maisons. Le vin a été aussi longtemps interdit.
Sur la fin du huitième siècle, Théodulphe, évêque d'Orléans, marquant que l'on devait se priver de toutes sortes de délices dans les jeûnes du Carême, exhortait encore tout son peuple à s'abstenir d'œufs, de fromage, de laitage, de poisson et de vin lorsqu'on le pouvait. Mais il fait connaître qu'on en permettait l'usage aux infirmes et aux malades, ou à ceux qui n'auraient pas d'autre nourriture pour soutenir leur travail , pourvu qu'on en usât sobrement, et qu'en ne mangeant qu'une fois par jour on ne fît son repas que le soir.
On sent qu'auprès de toutes ces rigueurs, la religion avait établi des dispenses; quand l'Église avait commandé, il fallait obéir; cette soumission est ce qu'il y a d'agréable à Dieu. Mais quand l'âge, la maladie, les infirmités sont là, montrant leurs faiblesses et leurs défaillances, les ministres d'un Dieu de bonté ont de la compatissance, et jamais ils ne refusent des dispenses à ceux qui viennent les solliciter.
Demander de ne pas jeûner, de ne pas être condamné à faire maigre tout le Carême, c'est un acte d'obéissance, c'est déjà se sevrer du plaisir de faire sa volonté ; c'est reconnaître l'autorité de l'Église et s'avouer son vassal ; et quand, dans tous les esprits et dans tous les cœurs, il y a un besoin effréné d'indépendance et de liberté, il faut savoir tenir compte du plus petit acte de soumission. Dans un pays fertile, on passe à côté des plus verdoyantes prairies, sans s'arrêter à les regarder; et dans le désert on s'extasie de plaisir devant une touffe d'herbe, car elle dit : il y a là encore un peu de fraîcheur, et tout n'y est pas mort.
En reconnaissance des dispenses accordées, il y avait jadis à Paris une procession annuelle, le dimanche de la Quinquagésime ; les paroisses et les religieux des ordres mendiants, avec croix et bannières en tête, se rendaient à l'église de Notre-Dame. A Rouen, la plus belle tour de la magnifique cathédrale est encore appelée Tour de beurre, et ce nom lui vient de ce qu'elle a été bâtie avec les deniers provenant des dispenses qui furent accordées pour l'usage du beurre.
Les chrétiens d'autrefois ne faisaient, comme nous l'avons dit, qu'un seul repas chaque jour; et ce repas, d'où l'on retranchait toutes les choses succulentes, n'avait lieu qu'après l'heure de vêpres, c'est-à-dire le soir. Sous Louis XII et François Ier, cet usage était déjà bien changé, car l'évêque de Paris, Etienne Poncher, permet que ce repas se fasse à l'heure de midi.
Un changement si considérable ne se fit pas tout à coup, il n'est venu que par degrés au point où l'Église s'est vue obligée de le tolérer. Lorsqu'on se défit du scrupule de rompre le jeûne du Carême à l'heure de none, il en resta un autre touchant l'office de vêpres, qui semblait toujours devoir précéder la réfection ; l'on ne trouva point d'autre expédient pour s'en délivrer, que d'avancer aussi cet office et lui faire occuper la place que celui de none tenait auparavant.
Ce dérèglement de l'heure du repas, continue le même auteur, en produisit un autre touchant l'unité de la réfection du jour ; on commença chez les Latins à s'en dispenser par la permission que l'on se donna de boire vers le soir, à cause de l'altération que casse le jeûne.
Cette coutume de boire à l'approche de la hait, lorsqu'on mangeait à midi ou à none, s'introduisit au huitième siècle dans l'ordre de Saint-Benoît. Sur la fin du onzième siècle, les religieux, craignant qu'il ne fût nuisible à la santé de boire sans manger, crurent devoir ajouter un petit morceau de pain à ce qu'ils avaient à boire le soir ; mais comme ils ne voulaient pas que cela leur fît perdre du temps, ils firent ces jours-là leur lecture du soir dans le réfectoire, au lieu de la faire dans la salle du chapitre, et ils appelèrent cela aller à la collation, du nom latin de la conférence des saints pères,.
Ainsi le mot de collation se communiqua insensiblement de la lecture de ces conférences à ce petit repas du soir, et il commença à se faire connaître au même sens dans le monde, lorsque les séculiers, trouvant que ce petit repas était assez commode pour adoucir les rigueurs du jeûne, jugèrent à propos d'imiter les religieux en ce point.
J'ai transcrit tout ce passage, parce que je pense que beaucoup sont comme moi, et aiment à savoir l'origine des usages établis; combien de bons catholiques font strictement la collation du Carême, et qui ne se doutent pas de l'étymologie de ce mot!
L'origine du jeûne remonte bien haut ; le jeûne est presque aussi vieux que la douleur : Abraham pleurant Sara, Jacob pleurant Joseph, mêlent le jeûne à leurs regrets et à leurs prières. Depuis Moïse, les jeûnes sont fréquents parmi les Juifs; mais pour les jeûnes qui se lisent dans leur calendrier, ils sont postérieurs à la loi. Le législateur des Hébreux n'ordonne aucun jeûne particulier dans ses livres, sinon le jeûne de l'expiation solennelle, qui est d'une observation stricte et générale.
Josué et les anciens d'Israël demeurèrent prosternés devant l'arche depuis le matin jusqu'au soir, sans prendre aucune nourriture. Après la défaite des Israélites devant Haï, les onze tribus qui avaient pris les armes contre celle de Benjamin, voyant qu'elles ne pouvaient tenir contre les soldats de Gabaa, se prosternèrent devant l'arche, et y demeurèrent sans manger jusqu'à la tombée de la nuit.
Le Carême: Le pain et l`eau de la Pénitence
David jeûna pendant la maladie du premier fils qu'il avait eu de Bethsabée, femme d'Uri. Dans tous les pays, les hommes, en leurs jours d'inquiétude, d'effroi et de tristesse, ont senti le besoin de s'imposer des privations pour éloigner les fléaux ou les douleurs qui menaçaient de fondre sur eux ; et il y a bien longtemps que, pour détourner le malheur, on a crié vers Dieu, et que l'on a mis des pleurs et des plaisirs sacrifiés entre soi et l'adversité qui avançait.
Le Carême est une commémoration du jeûne de Notre-Seigneur, alors que pendant quarante jours il resta dans le désert. Lui, qui n'avait pas péché, n'avait pas besoin de faire pénitence ; mais il était venu pour enseigner aux hommes la mortification, et il voulait que chaque action de sa vie fût un modèle à suivre, un exemple à donner.
Or, la solitude, la retraite, le silence et l'éloignement des affaires du monde, la tempérance et la sobriété, étaient des choses bonnes à enseigner aux hommes. Dans le bruit, dans le mouvement, dans les agitations de la société, il y a peu de place pour les graves et pieuses pensées ; les inspirations qui élèvent l'âme ne viennent pas de la place publique. Elie était dans le désert quand l'esprit du Seigneur le fit monter sur le char de feu...
La solitude et le silence ne ressemblent point à la mort : il y a en eux toute une vie pour l'esprit ; on dirait que Dieu a permis à des anges de rester au désert pour y converser avec les saints qui viennent y chercher le repos. Quand d'une promenade de nos villes nous regardons un beau ciel scintillant d'étoiles, quand nous jouissons du calme que la nuit et le sommeil ont répandu sur la cité, notre âme se sent déjà dégagée de beaucoup des liens qui l'attachent aux intérêts du monde... Dans le désert, c'est bien autre chose ! ... et les ailes qui nous rapprochent du ciel s'y déploient bien mieux!... Là, si vous entendez quelques murmures, c'est le vent qui gémit dans les arbres, c'est le torrent qui gronde dans le lointain; ces bruits sont autrement inspirants que la marche cadencée d'une patrouille qui passe, et que l'impure chanson de quelques gens ivres que l'on renvoie des mauvais lieux.
Ce son doux et plaintif qui sort des rameaux balancés du palmier ou du cèdre, vous semble la voix des amis que vous avez perdus, et qui vous plaignent de n'être pas encore avec leurs âmes ; ce bruit du torrent vous fait souvenir de la vie! vos jours sont comme des ondes, vont vite et ne reviennent plus. C'est donc une chose bonne et salutaire que cette trêve que le Carême commande, que cette séparation d'avec les affaires et les plaisirs..., que cette absence des festins... Hommes vivant dans le monde, nous savons tous les entraînements qu'il y a dans la saison des banquets et des bals ; mais c'est de bonne foi que nous le demandons:... Est-ce autour des tables, est-ce dans la foule d'une fête, que les grandes pensées nous viennent?
Non; il faut rendre à chaque chose, ce qui lui appartient. Le bruyant tumulte du monde, qui n'est pas sans charme, donne l'étourdissement et parfois l'oubli momentané des peines. La retraite donne la paix et le saint enthousiasme. L'un enivre, l'autre élève.
Pour arriver à la grande semaine, à la semaine des douleurs du fils de Dieu, c'est une sainte préparation que le Carême. Pour bien célébrer la Pâque, il faut être pur, il faut avoir des sandales et le bâton du voyageur, il faut être prêt à partir. Les instructions des quarante jours vous apprennent que la mort aime à surprendre les hommes au milieu des festins, et qu'elle se plaît à venir, comme un voleur, frapper les fronts couronnés de diamants et de fleurs.
La Confession
La religion ne cesse de nous crier: Pour bien faire la Pâque, il ne faut pas trop s'asseoir dans la vie; il faut être debout et rompre avec les délices qui énervent et qui retiennent. Le chrétien est voyageur, la terre n'est pas sa demeure ; il ne doit la regarder que comme une hôtellerie que l'on quitte quand on y a dormi ; ou comme une tente que l'on a plantée sur le bord du chemin, et que l'on enlève et que l'on replie quand la nuit est passée.
Il ne faut pas nous arrêter avant d'être arrivés à la demeure de notre père. Et la demeure de notre père, c'est le ciel!.. Voilà ce qui est dit, ce qui est répété chaque matin ou chaque soir aux chrétiens qui viennent se recueillir, se fortifier et se reposer dans les églises pendant la quarantaine de jeûne, de méditations et de prières.
Si le philosophisme, ou ce qui se nomme aujourd'hui le rationalisme, parvenait à donner à la société les mœurs qu'il rêve dans ses idées de perfectibilité et de progrès, toute l'année se ressemblerait, et n'aurait aucun de ces différents aspects que la religion lui donna ; tous les mois, tous les jours seraient les mêmes ; point de fêtes de sainte allégresse, point de solennités de deuil ! L'année, d'un bout à l'autre, serait comme un pays plat et monotone, sans effets de soleil et d'ombre.
La religion entend mieux que cela ce qui convient aux hommes. Elle sait qu'il faut à notre nature légère et inconstante de la diversité, et elle en a répandu sur L`année chrétienne. Autrefois, rien de plus frappant dans un pays catholique que l'avènement du Carême après la suite des joyeuses fêtes de Noël, du premier de l'an, des Rois et de la Chandeleur. La société, le mercredi des Cendres, prenait subitement un tout autre aspect; ce n'était plus le même bruit dans les villes, la même physionomie à la foule : dans les rues, plus de saltimbanques ni de jongleurs; mais des confréries de pénitents et des pèlerins.
Le soir, aux carrefours, plus de gaies chansons, plus de danses; mais de pieux cantiques devant les statues de la Vierge ou du saint du quartier... Dans les maisons, plus de festins; mais des repas qui rappelaient, par leur frugalité, les agapes des premiers fidèles... Aussi il y avait, parmi tous ces fervents chrétiens, une vive impatience de voir arriver la belle journée de Pâques, et l'office des alléluia!
Alors, la douce gaieté, fille de l'innocence et de la paix, revenait aux villes et aux campagnes, aux presbytères et aux châteaux: et nos pères, qui avaient jeûné avec soumission, se décaremaient avec joie.
Il y a des gens qui s'étonnent que la société devienne triste, qu'elle se fasse sombre, et qu'elle ne rie plus de ce bon rire du vieux temps. Ce changement me paraît facile à expliquer : quand les ondes d'un fleuve n'ont pas de bords arrêtés pour les contenir, elles vont s'étendant de tous côtés, et n'ont de profondeur nulle part.
Il en est de même du plaisir : quand il peut s'étendre également à tous les jours, quand il n'a ni bornes, ni empêchements, il n'a plus de vivacité; on ne lui sourit plus que du bout des lèvres, comme à un hôte qui revient trop souvent chez nous. Ce serait sans doute un bien (religieusement parlant), si cette langueur, cette espèce de dégoût, nous avaient amené la sagesse et le mépris des vanités des vanités ; mais non, jusqu'à présent ce n'est pas la sagesse qui nous est arrivée; c'est seulement l'ennui, et l'ennui n'a jamais été bon ni pour le corps ni pour l'âme.
9– Le Dimanche de la Passion.
Nous voici parvenus à la voie douloureuse; aussi le deuil de nos églises redouble, et déjà les souffrances du Fils de l'homme se font pressentir. La religion a bien fait de nous conduire à travers la pénitence pour arriver au chemin sacré du Calvaire : sans la pénitence du Carême, sans les larmes que nous avons versées, sans les austérités auxquelles nous nous sommes soumis, sans la blanche robe d'innocence que le repentir nous a donnée, comment oserions-nous monter au Golgotha pour voir mourir un Dieu?
Mais, si nous avons pleuré du fond de nos cœurs, nous sommes aussi purs que les anges, et, comme eux, nous pouvons entourer la croix. Dès la veille du dimanche de la Passion, dans plusieurs passages de l'office, on retranche le Gloria Patri, ce refrain de Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit; ce refrain que les chœurs célestes font entendre dans leurs divins concerts, a semblé trop plein d'allégresse pour un jour si rapproché des jours de douleur.
Dans quelques pays, ce n'est qu'au dimanche de la Passion que l'on voile le crucifix et les images des saints; dans d'autres, c'est dès la première semaine de Carême que l'on cache, sous des étoffes violettes, la croix de l'autel et les statues de l'église. Dans quelques endroits, on se sert, pour les offices, d'ornements noirs, afin de marquer le deuil encore davantage.
Mais, en général, c'est la couleur violette qui est adoptée; alors les cierges ne sont plus de cire blanche, mais jaunes, comme ceux des funérailles. Quand les autels sont ainsi revêtus de tristesse, les prêtres, sur un air lent et solennel , chantent le Vexilla regis prodeunt. Voici l'étendard du Roi souverain des rois. Voici le mystère de la croix qui rayonne.
Voici le mystère qui nous montre un Dieu attaché à une croix.
On Dieu attaché pour nous à un gibet infâme!
Voyez, du côté du Sauveur le sang coule.
Il coule mêlé à l'eau, pour effacer nos crimes.
A présent sont accomplies les paroles de David.
Prophète inspiré, il avait dit aux nations :
« C'est par le bois que régnera le Seigneur.»
Arbre resplendissant et beau !
Arbre que le Roi des rois a empourpré de son sang ; Arbre privilégié, tu as été choisi entre tous les autres, et tu toucheras les membres sacrés du Saint des saints!
Oh ! que tes branches sont heureuses ! Elles ont porté la rançon du monde!
Et c'est à tes rameaux, comme à une balance, que le corps divin a été pesé, et qu'il a emporté la proie de l'enfer.
Salut! ô croix, notre unique espérance!
0 croix ! dans ces jours de la passion,
Augmente la piété au cœur des justes,
Obtiens le pardon aux coupables!
Ces dernières paroles de l'hymne du dimanche de la Passion seront souvent répétées dans les jours saints qui vont suivre. La croix va devenir comme la pensée fixe de l`Église; elle sera invoquée, et presque adorée; les rois, les pontifes, les cardinaux, les archevêques, les évêques, les vieillards du sanctuaire, les enfants de chœur, les fidèles, les riches, les pauvres, iront pieds nus baiser le bois rédempteur, pendant que la voix grave des chantres répétera :
O crux ave, spes unica!
Hoc passionis tempore,
Auge piis justitiam
Reisque dona veniam!
Alors, on dirait que les enfants éplorés d'un père qui vient de mourir, sont admis dans la chambre mortuaire où le chef de la famille est exposé sur un lit funèbre, et qu'ils viennent avec respect et douleur baiser ses restes vénérés. Ces enfants, ce sont les fidèles; le père, c'est Jésus- Christ; ce lit funèbre, c'est la croix !
J'ai entendu une fois un Ave crux qui restera dans ma mémoire, alors même qu'elle s'affaiblira sous la main de la vieillesse ; un chanté, pas dans une petite
chapelle, pas dans une vaste cathédrale, pas devant quelques centaines de chrétiens, mais entonné sur une montagne, au-dessus d'un grand fleuve, en face de la mer,
et répété par plus de six mille hommes.
C'était le jour de la plantation de la croix sur le calvaire de la Montagne de Grâce.
C'était par une belle journée; toute la population de Honfleur, des villes et des campagnes voisines, était accourue à la montagne sainte; ses flancs, ses chemins, sa
cime, étaient bigarrés d'une foule innombrable. Sur le plateau, pendant quelque temps, rien ne dominait cette multitude pressée et silencieuse; mais tout à coup un des
marins qui avaient creusé le trou où l'arbre sacré devait être planté, vient dire au prêtre qui dirigeait la pieuse cérémonie que tout était prêt. Alors le prêtre, monté
sur une espèce de chaire rustique s'écria d'une voix qui fut en
tendue au loin : RELEVEZ-VOUS, CROIX SAINTE DU SALUT !
Et au moment où elle se leva, toute la foule s'abaissa, se prosterna, et, du grand silence qui régna un instant, s'élança et monta vers le ciel :
0 CRUX AVE, SPES UNICAl
C'était tout un peuple qui chantait, et l'on eût dît une seule et puissante voix.
Bien au-dessous de la montagne, à quatre cents pieds plus bas, la voix fut entendue, et des mariniers, agenouillés dans des barques que l'on voyait arrêtées sur les
eaux, répondirent au pieux cantique. L'orateur chrétien ramena souvent dans son discours : O CRUX ave!
Et chaque fois, la foule tombait à genoux et chantait de nouveau les saintes paroles Oh ! il y avait dans cette scène tant de grandeur, que son souvenir fait encore battre mon cœur, pendant que ma main cherche à la décrire. Il y a dans les fêtes religieuses quelque chose d'indélébile , quelque chose qui demeure quand tout le reste s'en va.
10– Le Dimanche des Rameaux.
Six jours avant la Pâque, Jésus vint à Béthanie où demeurait Lazare, ce mort qu'il avait ressuscité ; là, il se mit à table auprès de celui qu'il avait tiré du sépulcre.
Le lendemain, une multitude de peuple qui était venue pour la fête de Pâques, ayant appris que Jésus arrivait à Jérusalem, prit des branches de palmier et alla
au-devant de lui, en criant : « Hosannah ! Hosannah ! béni soit le Roi d'Israël qui vient au nom du Seigneur! »
Tous ceux qui s'étaient trouvés avec Jésus lorsqu'il avait ressuscité Lazare, lui rendaient témoignage. C'est pourquoi tout le peuple venait à sa rencontre ; car il avait entendu raconter le miracle. Comme ils approchaient de Jérusalem , Jésus fit venir deux de ses disciples, et il leur dit :« Allez à ce village qui est devant vous; vous trouverez, en y arrivant, une ânesse attachée et son ânon avec elle. Détachez-les, et amenez-les-moi.» Les disciples amenèrent l'ânesse et l'ânon, qu'ils couvrirent de leurs manteaux, et Jésus monta dessus, comme il avait été écrit : «Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre Roi qui vient monté sur un ânon.»
A mesure qu'ils avançaient, la foule du peuple étendait ses habits sur le chemin ; d'autres coupaient des branches d'arbres et les jetaient sur son passage. Quand il fut près de la descente de la montagne des Oliviers les disciples qui étaient là en grand nombre, étant transportés de joie, se mirent tous à louer Dieu à haute voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus, en répétant : «Béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur ! paix dans le ciel, et gloire au plus haut des cieux! Hosannah au Fils de David ! »
C'est avec les paroles mêmes qui sont chantées par les prêtres à la procession des Rameaux, que j'ai voulu faire l 'historique de cette fête qui ouvre la grande semaine . Il y a dans ce récit si simple une force de vérité qui commande la foi, et tout de suite à cette foi il se mêle de l'amour. C'est un roi de paix et de mansuétude qui s'avance. Oh! quelle entrée triomphale que celle du Christ à Jérusalem!
Pour que d'autres entrées triomphales ne s'effaçassent pas du souvenir des peuples et des annales des nations, les rois conquérants ont fait élever à grands frais de magnifiques arcs de triomphe ; afin que la mémoire de leurs conquêtes ne passât pas, afin qu'elle demeurât à perpétuité parmi les hommes, ils ont bâti leurs arcs de victoires aussi solides que s'ils devaient porter le monde. Les pierres les plus dures, le marbre le plus à l'épreuve du temps, ont été employés à la construction de ces monuments, faits pour durer toujours. Eh bien ! les siècles, en passant sur ces montagnes d'orgueil, les ont écrasées de leurs pieds qui broient tout. Et de beaucoup de ces arcs de triomphe, aujourd'hui vous chercheriez une petite pierre, un grain de poussière, que vous ne le trouveriez pas; tout en a disparu, tout, jusqu'à la mémoire.
Pour l'entrée du roi d'Israël à Jérusalem, pour perpétuer le souvenir que Jésus y est venu au nom du Seigneur, il n'y a eu ni arc de triomphe, ni obélisque élevés, et
voyez comme la mémoire de cette entrée si humble est demeurée dans tous les esprits! Les détails en sont si bien conservés, que l'on dirait que c'est un fait récent raconté par l'évangéliste Et cependant, voilà tout à l'heure deux mille ans ! Que le monde dure six mille ans de plus, et le récit que ma main transcrit aujourd'hui sera transcrit par d'autres mains encore. L'histoire des hommes se déchire, se perd ; quand on l'écrit sur le granit ou le bronze, elle se renverse et se brise ; mais celle de Dieu a pris de son éternité.
Cet ouragan des âges qui balaye et emporte ces arcs de triomphe dont je parlais tout à l'heure, et qui joue avec leurs blocs de pierre ou de marbre, comme le vent d'automne avec les feuilles sèches, ne peut pas remuer, pour la perdre, une page de l'Évangile! Ne nous étonnons pas si tous les détails de l'entrée de Jésus à Jérusalem sont si bien gardés. Dieu s'est appelé quelque part le Roi des siècles!
Quand le dimanche des Rameaux est venu, il y a encore quelque chose de particulier à la physionomie de nos villes et de nos églises. Dès le matin on voit, sur les places
et dans les rues, des marchands de branches verdoyantes; ici, c'est du buis aux petites feuilles luisantes; là, du romarin à l'odeur forte, au feuillage bleuâtre, qu'ils offrent
aux fidèles qui se rendent à l'église. Et puis, dans le sanctuaire, devant l'autel, toute une forêt de palmes que le prêtre va bénir, et distribuer à la foule. Et ceux des chrétiens qui ne peuvent arriver jusqu'à la balustrade du chœur, élèvent leurs rameaux en l'air quand l'officiant, en parcourant la nef et les bas côtés de l'église, fait l'aspersion et dit à haute voix : « 0 Dieu, dont le fils est descendu sur la terre pour le salut des hommes; Seigneur, qui avez voulu que, lors que le temps de sa passion était proche, Jésus allât à Jérusalem monté sur une ânesse ; vous qui avez voulu qu'il fût appelé Roi par la multitude ; daignez bénir ces rameaux, et remplissez de grâces et de bénédictions tous ceux qui les porteront, afin qu'après avoir surmonté ici-bas les tentations de l'ennemi des hommes, ils aillent paraître devant vous, Seigneur, avec la palme de la victoire et le fruit des bonnes œuvres! »
Et quand tous les rameaux sont bénits, on voit toutes ces branches de verdure se lever, s'abaisser, s'agiter, comme si une forte brise était venue passer sur un champ
d'arbustes... C'est le moment de la procession : les prêtres, les chantres, les choristes, les fidèles, sortent de l'église, et vont entourer une croix tenue dehors, en face du grand portail.
Là on chante :
» Tous ceux qui allaient à sa rencontre, tout le peuple qui allait au-devant de lui, criaient Hosannah au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! béni soit le règne de David que nous voyons arriver ! Hosannah au plus haut des cieux ! «Fille de Sion, sois remplie d'allégresse; fille de Jérusalem, laisse éclater ta joie ! Voici votre Roi qui vient à vous; le voici, c'est un Roi juste et bon ; il est pauvre, il vient à vous monté sur une ânesse ! «Sauvez-nous, Seigneur ! Seigneur! Seigneur! regardez-nous favorablement ! Béni soit celui qui nous vient en votre nom ! Le Seigneur est le vrai Dieu, et il a fait luire sur nous une nouvelle lumière. Rendez, rendez ce jour grand et solennel ; amenez la victime jusqu'à l'autel. »
Quelques-uns des pharisiens dirent à Jésus : Maître, faites taire vos disciples . Il leur répondit :« En vérité, je vous le dis, s'ils se taisaient, les pierres mêmes crieraient.» Et quand Jésus fut tout proche de Jérusalem, il s'arrêta, regarda la ville, et se mit à pleurer..., disant :« 0 Jérusalem, si du moins en ce jour qui t'est donné , tu savais ce qui peut t'assurer la paix... Mais non, maintenant tout cela est caché à tes yeux ! »
Je trouve ces offices chantés par l'Église, admirables ; ils louent et racontent, prient et remercient à la fois; ils sont, comme nos journées, mêlés de joies et de tristesses, d'élévations et d'abaissements. Quand l'hymne gloria, laus et honor est achevé, le prêtre officiant se rapproche de la grande porte fermée de l'église, et dit, en élevant la voix : « Ouvrez-vous, ouvrez-vous , portes éternelles ! ouvrez-vous, et le Roi de gloire entrera.»
Et des voix de l'intérieur de l'église répondent : — Quel est ce Roi de gloire ?—C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur terrible, invincible dans les combats ; ouvrez-vous, ouvrez-vous, ô portes éternelles ! laissez passer le Roi de gloire. »
Mais les portes restent toujours fermées, et, de derrière leurs épais battants, les voix demandent encore : « — Quel est ce Roi de gloire? — C'est le Seigneur fort et puissant, le Seigneur terrible, invincible dans les combats ; ouvrez, ouvrez vos portes, et le Roi de gloire entrera. »
Pour la troisième fois, le chœur , resté sous le porcin intérieur, demande:
« — Quel est ce Roi de gloire? » Et pour la troisième fois la procession du dehors chante en frappant la porte avec le bâton de la croix : Ce Roi de gloire, c'est le Seigneur fort et puissant, terrible, invincible dans les batailles ; c'est le Dieu des armées ; ouvrez, ouvrez vos portes éternelles; laissez entrer le Roi des rois. »
A ces dernières paroles, la lourde porte ou de bronze ou de bois de chêne, à clous saillants et à arabesques de fer, tourne sur ses gonds et laisse passer la croix et son
cortège. Quand les prêtres sont ainsi rentrés dans l'église, en marchant vers le sanctuaire, ils chantent sur un ton de triomphe :
« Quand Jésus fut entré dans Jérusalem, toute la ville en fut émue, et le peuple répétait: C'est Jésus le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée ; et les enfants
criaient: Hosannah, hosannah au fils de David. Vous tirez, Seigneur, votre gloire de la bouche des enfants, de ceux qui sont encore à la mamelle. J'ai redit presque toutes les paroles de cet office du matin des Rameaux, parce que j'y trouve la marche et le mouvement d'un poème : ces prêtres et ce peuple avec leurs palmes de verdure ; ce dialogue entre le chœur du dehors et celui de l'intérieur de l'église ; cette répétition de : Ouvrez, ouvrez vos portes éternelles, et de ces autres mots: Quel est ce Roi de gloire? me semble d'une grande beauté.
Quand la grand messe, avec son long évangile, est finie, quand tout le peuple s'est prosterné et a baisé la terre à ces paroles de la passion de Notre-Seigneur:
JÉSUS, JETANT UN GRAND CRI, RENDIT L'AME
Chacun, avec son rameau, s'en retourne à son logis, et attache à son, chevet la branche verdoyante que le prêtre a bénite. Le rameau séché de l'année précédente doit être jeté
an feu. Dans quelques églises, c'est la cendre de ces rameaux brûlés que l'on répand sur le front des chrétiens , le mercredi des Cendres : ainsi ce qui reste des palmes du triomphe sert à nous montrer la vanité de toute gloire !
Des idées que je me garderai bien de nommer superstitieuses sont attachées, en divers pays, à la garde de ces rameaux : en Bretagne, la mère qui ne verrait plus la
branche bénite à la couche de sa fille, tremblerait pour elle. Quand un enfant vient à naître, on prend quelque, feuilles du rameau qui a été placé près du lit de la mère
et du père de famille, pour les attacher au berceau de nouveau-né.
Et quand nos derniers instants seront arrivés, quand nous serons couchés sur le lit d'où nous ne nous lèverons plus, le rameau qui a veillé sur nos nuits tranquilles sera
de la muraille ou du rideau, et la sœur de charité qui soignera nos souffrances et qui pensera au salut de notre âme, l'aura mis dans l'eau bénite, pour en asperger de temps en temps notre couche et nous-mêmes. En Espagne, dans quelques provinces, les morts sont enterrés avec leurs rameaux entre leurs mains jointes ; et la tradition dit que les rameaux des prédestinés ne pourrissent point dans le cercueil.
11– Le Semaine Sainte
La dernière semaine de Carême, la semaine qui précède la solennité de Pâques, a reçu des chrétiens différentes appellations qui prouvent combien elle était placée
haut dans leur esprit. Tantôt ils la nomment: semaine sainte, grande semaine, semaine pénale, et semaine d'indulgence.
Dans la primitive Église, les jeûnes étaient plus longs et plus austères que dans le reste du Carême ; je lis dans l`Histoire des Fêtes de l'Église: Parmi les fidèles il y en
avait qui passaient la semaine entière sans manger. Les autres étaient quatre jours de suite; les autres, trois; d'autres, deux seulement. Comparons nos austérités à celles des premiers chrétiens, et puis, si nous l'osons, plaignons-nous.
Après la belle cérémonie des palmes, le lundi et le mardi saints paraissent froids ; rien ne les distingue des autres jours; seulement, dès qu'on fait quelques pas dans les églises, on voit plus de monde que de coutume près des confessionnaux ; et puis les lévites qui sont chargés d'orner et de parer les autels commencent déjà les apprêts du tombeau, ou reposoir, où l'hostie consacrée le jeudi doit être déposée sous un voile de drap d'or, en mémoire de l'ensevelissement du Sauveur, et de son repos de trois jours dans le sépulcre.
Mais avant les magnificences du Jeudi et le deuil du Vendredi saint , dès le Mercredi, les offices appelés ténèbres commencent à être chantés. Ce nom de ténèbres vient de ce que, dans les premiers siècles, ces prières étaient dites pendant la nuit; car alors, aux austérités du jeûne on joignait la privation du sommeil, et les veillées saintes étaient longues et fréquentes. D'autres disent que c'est en mémoire de l'obscurité qui s'est étendue sur toute la nature au moment où Jésus-Christ, expirant sur la croix, a fait trembler la terre
de ces mots : CONSUMMATUM EST! que l'on a nommé Ténèbres les offices du soir des Mercredi, Jeudi et Vendredi saints.
Tout ce que les Écritures ont de plus belle poésie se trouve dans cet office de la sainte semaine ; et pour pleurer les souffrances du fils de Dieu, l'Église a évoqué les
hommes qui avaient le mieux redit les douleurs et les angoisses de l'âme: Job, David, Isaïe, Jérémie ; ce sont leurs plaintes, leurs prières, leurs lamentations, leurs prophétiques visions que l'on récite lugubrement devant les autels dépouillés.
Au milieu du sanctuaire, un chandelier triangulaire, portant quinze cierges de cire jaune, brûle comme un symbole de ceux qui ont confessé le Christ. A la fin de chaque psaume un acolyte se lève et vient éteindre un des cierges ; et à mesure que l'office avance, le nombre des lumières diminue... Ici la main de l'enfant de chœur est comme la main de la mort ; chaque cierge que l'on éteint représente un juste, un confesseur de Jésus qui meurt; et quand il ne reste plus que la lumière placée tout au haut du triangle, celle-là n'est point éteinte comme les autres : le choriste la porte et la cache derrière l'autel ; c'est le Sauveur, la lumière du monde, qui s'éclipse pendant quelques instants derrière l'ombre du tombeau !
Oh! dans la moindre cérémonie de notre culte, rien n'est sans une leçon, sans un ressouvenir : Un cierge que l'on allume, c'est un prophète qui naît; Une lampe que
l'on éteint, c'est un juste qui quitte la terre.
C'est un moment grandement solennel que celui où le cierge allumé disparaît derrière l'autel ; alors les prêtres disent d'une voix lente et lugubre le Miserere mei Deus! Puis, après ces mots, Pater noster, l'officiant se tait, et le silence règne dans toute l'église, comme il a régné dans le sépulcre de Joseph d'Arimathie... Tout à coup un grand bruit s'élève et retentit, quand le jeune choriste reparaît avec le cierge. Les fidèles, les enfants surtout, frappent avec leurs livres sur les bancs de l'église; c'est pour rappeler la grande commotion qui remua la terre jusque dans ses fondements, quand le Christ rendit l'âme et que le voile du temple fut déchiré dans toute sa hauteur. Que de richesses poétiques dans ces offices des quatre derniers jours de la grande semaine ! on y trouve comme un délire de douleur, et cependant cette douleur est toujours sublime : c'est celle des prophètes.
Voici ce qu'a dit le Seigneur: « Va à la fille de Sion, et dis-lui: «Le Sauveur vient, il vient portant avec lui la rédemption et la récompense. C'est lui qui sort de l'Idumée, c'est lui qui s'élève de Bosra! Il se lève beau et majestueux, avec ses Vêtements teints de sang ; sa force se révèle dans sa démarche» « Écoutez-le : C'est moi qui annonce la justice ; c'est moi qui puis sauver le monde. Pourquoi vos vêtements sont-ils ainsi rougis? ils sont rougis comme ceux des hommes qui foulent la vendange. Seul j'ai foulé le vin, et entre tous les peuples, pas un homme ne s'est levé pour me secourir. Aussi je les ai foulés aux pieds je les ai foulés aux pieds dans ma colère, et c'est leur sang qui a rejailli sur moi, qui a rougi mes vêtements. Le jour de ma vengeance est venu, et c'est à présent qu'il faut que je rachète les miens. Dans le malheur, j'ai regardé autour de moi s'il n'y avait personne pour me porter aide, et il n'y a eu personne pour me secourir. Qui m'a sauvé? c'est mon bras; qui m'a délivré? c'est ma colère. Dans ma fureur, j'ai écrasé les peuples sous mes pieds, et je les ai enivrés de leur propre sang »
C'est par la bouche d'Isaïe que le Seigneur se révèle de la sorte. Quelles images! Voyez maintenant quel portrait ce même prophète fait du Rédempteur chargé de nos iniquités : Il est comme un arbrisseau qui languit dans une terre sans rosée. Il est sans éclat, sans beauté; nos yeux l'ont vu et ne l'ont pas reconnu; car il était devenu comme le dernier, comme le rebut des hommes ; comme si la lèpre s'était étendue sur lui.
« Toutes les souffrances, toutes les douleurs, l'ont pris pour victime. Son visage est voilé de tristesse, nos langueurs et nos infirmités l'ont courbé sous leur poids. Et c'est pour nous, pour nos iniquités, pour nos crimes, qu'il s'est offert à toutes ces souffrances, à toutes ces humiliations. Notre paix vient de ses angoisses; et notre guérison découle de ses plaies. Semblables à des brebis égarées, nous étions sortis du bon chemin, et chacun de nous suivait sa propre voie. Le Seigneur lui a dit de prendre nos péchés sur lui; et il l'a fait, et il s'est immolé pour nous sans ouvrir la bouche, sans se plaindre! Il sera mené à la mort comme une brebis que l'on va égorger; et sous le couteau il gardera encore le silence, comme un agneau est muet sous la main qui lui sa toison. »
N'est-ce pas là une sublime peinture de la résignation chrétienne? — Et, il faut le dire, chaque page des offices de la semaine sainte a de ces beautés-là; il faut le dire, car, voyez-vous, il y a des hommes qui passent dans le monde pour des hommes littéraires, et qui ne se doutent pas des richesses poétiques que contient un livre de prières catholiques. Ils ont lu beaucoup d'ouvrages ; mais ils ont dédaigné d'ouvrir ce livre-là! C'est cependant dans ce livre-là que l'on trouve encore cette page :
« Sauvez-moi ! sauvez-moi, Seigneur, parce que les eaux de l'affliction montent et inondent mon âme! Je suis tombé dans un abîme , et j'y roule sans trouver de fond ! J'ai crié , j'ai appelé à mon aide, et ma voix s'est fatiguée en cris inutiles; mes regards se sont tournés et vers la terre et vers le ciel, et mes yeux se sont lassés; j'attendais ma délivrance d'en haut, et elle ne m'est pas venue ! Ma tête a moins de cheveux que je n'ai d'ennemis; et cependant la haine contre moi est injuste. Mon Dieu, c'est pour vous que j'ai souffert; mon Dieu, prenez pitié de moi; car à présent me voilà seul; mes frères ne me reconnaissent plus et s'éloignent de moi . Les juges dans leurs tribunaux s'élèvent contre moi; et le peuple, dans sa débauche, me prend pour sujet de ses chansons. Et moi, Seigneur, j'implore votre secours. 0 mon Dieu ! il est temps de faire éclater votre puissance pour me sauver. Que la tempête ne me submerge pas , que je ne sois pas englouti par les flots, et que l'abîme dans lequel je suis tombé ne se referme pas sur ma tête ! »
Jamais le malheur a-t-il crié plus fort vers Dieu?... Mais, écoutez, voici la psalmodie lugubre des prêtres qui cesse. Des voix jeunes et pures, argentines et sonores,
s'élèvent : ce sont celles des enfants de chœur ; elles vont redire les lamentations de Jérémie; de Jérémie, le grand poète des douleurs!
Oh! comment cette ville, autrefois si animée de peuple, est-elle maintenant si déserte et si morne? Comment la reine des nations, celle que les peuples venaient voir de loin, a-t-elle été rendue semblable à une veuve désolée? Comment la maîtresse de tant de provinces a-t- elle été faite tributaire de l'étranger? Toute la nuit elle pleure; et, pleurant toujours, la douleur flétrit son visage, et la marque des larmes reste sur ses joues... De tous ceux qu'elle chérissait, pas un ne pense à elle, pas un ne vient la consoler... Bien plus ceux qu'elle aimait se sont tournés contre elle. Pour se sauver de l'affliction de la servitude, pour échapper à l'esclavage, Juda a quitté sa patrie. Mais le repos qu'il avait perdu, il l'a vainement cherché chez les nations étrangères; elles n'ont fait que se lier ensemble pour le persécuter. Les rues de Sion pleurent leur solitude ; personne n'y vient plus ; personne n'accourt plus aux solennités du temple! Ses portes sont brisées, ses parvis déserts, ses prêtres dans la douleur; et ses vierges, vêtues de deuil, plongées dans l'amertume, gémissent. Ses ennemis l'ont terrassée , et se sont gorgés de ses richesses, parce que le Seigneur, irrité de ses iniquités, dans sa justice et sa colère, l'avait condamnée... Ses enfants, encore tout petits, ont été emmenés captifs, frappés et rudoyés par l'ennemi. Jérusalem ! Jérusalem ! convertis-toi au Seigneur ton Dieu ! » laisse bien loin derrière elle toute autre poésie.
Et comment en serait-il autrement? Isaïe, Job, David, Jérémie, étaient hommes comme nous, et comme nous avaient pu puiser dans leurs propres malheurs de déchirantes lamentations. Eux aussi avaient été trompés par de faux amis, avaient eu à pleurer sur les morts, et avaient vu la patrie déchoir de sa gloire et de son bonheur. Ainsi, ayant souffert, ils pouvaient avoir appris l'éloquence de l'adversité ; mais pour savoir si bien les paroles qui sont comme les sœurs des larmes, comme les gémissements de l'âme, des paroles que toutes les douleurs leur empruntent quand elles veulent faire pleurer sur elles; pour devenir interprètes si vrais des grands malheurs dans tous les siècles, chez toutes les nations, il a fallu à Jérémie, à Isaïe, à Job, à David et aux prophètes, d'autres révélations que celles de leur cœur; il a fallu que Dieu les prit pour ainsi dire par la main , et les conduisît dans l'arsenal de ses vengeances, et là , leur montrât tout ce que sa justice avait en réserve pour punir les hommes. Alors, les lamentations ont été proportionnées aux malheurs du passé, du présent et de l'avenir.....
Aussi, avec les paroles ,le Jérémie, toute une nation peut se plaindre et pleurer. Nous nous trompons fort, ou c'est là de la poésie qui laisse bien loin derrière elle toute autre poésie. Et comment en serait-il autrement? Isaïe, Job, David, Jérémie, étaient hommes comme nous, et comme nous avaient pu puiser dans leurs propres malheurs de déchirantes lamentations. Eux aussi avaient été trompés par de faux amis, avaient eu à pleurer sur les morts, et avaient vu la patrie déchoir de sa gloire et de son bonheur.
Dernière édition par MichelT le Mer 3 Jan 2018 - 18:51, édité 21 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
12– Le Jeudi Saint
Dans la semaine de deuil, le Jeudi saint vient comme un court rayon de joie; ce jour-là, l'Église a quitté ses ornements de tristesse; la couleur rouge a remplacé le violet, couleur d'humilité et de pénitence. La couleur rouge, c'est celle qui marque les fêtes des martyrs; et quel martyr que le crucifié du Calvaire! Quel sang que celui qui a rougi la voie douloureuse depuis la colonne de la flagellation jusque sur les pierres du Golgotha !
A cause de la journée de mort qui viendra le lendemain, l'Église ne voudrait plus laisser paraître sa joie; mais dans l'institution de l'Eucharistie, il y a une telle source de grâces pour les chrétiens, qu'elle n'a pu, le jour où le miracle d'amour s'est opéré, garder ses vêtements funèbres; pour l'office du matin, elle les a déposés , et s'est parée pour la fête.
L'autel a repris ses flambeaux de vermeil et ses cierges de cire blanche, et l'archevêque ou l'évêque se montre au peuple avec sa mitre et sa crosse d'or. C'est lui qui va consacrer, et qui communiera tous les dignitaires du diocèse. Les vétérans du sanctuaire, en surplis et en camail, et l'étole de pasteur au cou; les jeunes prêtres, diacres et sous-diacres, en dalmatiques; les acolytes en aubes blanches avec des ceintures de soie; les thuriféraires avec les urnes flottantes des parfums ; les bedeaux sans leurs baguettes d'ébène, mais avec leurs robes traînantes; deux à deux, humbles et recueillis, s'agenouiller sur les marches de l'autel , et recevoir de la main du prélat le pain mystique de l'eucharistie.
Il faudrait un cœur sec pour rester sans émotion à cette communion générale. Je me souviendrai toujours du Jeudi saint, à Nantes, pays de foi et de piété : la grande nef de la cathédrale était pleine de fidèles, et les laïques étaient mêlés au clergé, à droite et à gauche du chœur. Quand le vénérable évêque, se tenant debout appuyé contre le marbre de l'autel, montrait l'hostie, en disant à ceux qui allaient communier : Ecce Agnus Dei qui lollit peccata mundi, il y avait alors un grand silence; les voix des chantres , les accords de l'orgue s'étaient tu, et si l'on entendait quelque chose, c'était le bruit des chaînes d'argent des encensoirs qui montaient et qui s'abaissaient, s'élevaient et retombaient encore.
Avant de porter au tombeau ou reposoir l'hostie qui doit être celle du jour où l'on ne consacre pas, l'évêque officiant vient s'asseoir en face d'une table dressée vers le milieu du sanctuaire. Alors des diacres et sous-diacres apportent de grandes urnes, qu'ils déposent en face du pontife , crosse en main et mitre en tête ; ces urnes sont remplies de l'huile qui va être sanctifiée et bénite. Huiles saintes destinées aux enfants qui naissent et aux malades qui meurent, aux prêtres que l'on voue à Dieu et aux rois que l'on sacre et que l'on couronne.
Huiles saintes qui coulent sur nous, et à notre entrée dans la vie et à la sortie du monde ; Saint Chrême au baptême et à la confirmation, et Extrême-Onction à la mort. Toutes les fois que j'ai assisté à la bénédiction des saintes huiles, j'ai été vivement préoccupé en voyant l'évêque prier sur elles pour y faire descendre l'esprit de Dieu. Je me demandais lequel d'entre nous sera le premier oint de cette huile? sera-ce un frère? un ami? Sera-ce moi-même? Oh! quand ces pensées-là se glissent dans votre esprit, les cérémonies de l'Église vous semblent doublement saintes. Les pensées graves sont sœurs des pensées salutaires.
Dans cette bénédiction du saint-chrême, l'évêque doit être assisté de douze prêtres, tous pasteurs, autant que possible, pour mieux représenter les apôtres; et de sept diacres avec autant de sous-diacres, afin de rappeler le temps où le collège des ministres sacrés était composé de douze prêtres, de sept diacres et d'autant de mineurs, pour l'administration du diocèse, et pour le service de l'évêque et du peuple.
Quand toutes les prières ont été dites sur les saintes huiles, l'évêque remonte à l'autel, et, après la communion, l'hostie qu'il a consacrée pour le lendemain est portée sous le dais, et en grande pompe, à la chapelle du tombeau. Dans quelques pays (et, selon nous, ce sont ceux qui comprennent le mieux la solennité du Jeudi saint) cette chapelle est toute tendue de velours noir à lugubres bordures rouges ; quelques lampes funéraires répandent une lumière triste sous les draperies du sépulcre; et les vases sacrés des autels, les calices, les ciboires, les urnes d'or et d'argent, qui ont été jetés comme en désordre au pied du Christ mort, attestent que le saint sacrifice est suspendu, et que le jour du déicide on ne se servira pas de tout ce luxe bénit.
Dans d'autres villes, l'aspect de l'autel du Jeudi et du Vendredi saints est tout différent : au lieu d'être drapé de deuil, il est recouvert des tentures les plus éclatantes, et sur le fond écarlate des gradins se dessinent et resplendissent des chandeliers et des vases d'argent sans nombre; toutes les fleurs de la saison, les jacinthes ou clochettes bleues et blanches, les primevères jaunes qui ont percé la neige cour s'épanouit les premières. les anémones, les renoncules aux vives couleurs, émaillent le Paradis: car c'est ainsi que les enfants appellent ce reposoir.
Au milieu de ces pompes du temple et de la nature, au milieu de ces bouquets et de ces cierges, sous, un voile de drap d'or, est déposée l'hostie. Ici, rien de triste, rien de lugubre; on dirait que les prêtres qui ont ainsi conçu le décor de leur autel n'ont pas voulu s'attrister de la mort du Christ, parce que cette mort a sauvé le monde. Sur cette mort qui a donné la vie, ils n'ont pas jeté le drap noir semé de larmes: le pesant drap mortuaire est bon pour nous, qui resterons couchés longtemps dans le sépulcre; mais pour celui qui, le troisième jour, en a brisé la pierre, pour celui qui devait être surnommé le vainqueur de la mort, ils ont pensé qu'il ne fallait pas tant de deuil, et ils ont laissé apporter des fleurs sur ce qui représentait son tombeau.
Quand l'office du matin est terminé, quand la procession qui a conduit la sainte hostie est revenue au sanctuaire où Dieu n'est plus ; quand les grandes dames de la ville sont apostées aux portes de l'église, quêtant pour les pauvres ; alors tout le peuple chrétien quitte ses demeures et s'en va faisant les stations dans toutes les paroisses. Dans les rues qui mènent aux églises, il y a grande foule; mais nulle part il n'y a de bruit ni de tumulte; une même pensée religieuse a mis tout ce monde en mouvement; et parmi les hommes et les femmes qui circulent ainsi dans la ville, il en est plusieurs qui prient en marchant et qui ont le chapelet à la main.
Cet usage de faire des stations remonte très-haut dans les temps passés : les chevaliers quittaient autrefois leur épée, et de nobles dames marchaient nu-pieds dans les rues pour accomplir cet acte de piété. La dévotion du chemin de la croix, qui est aujourd'hui très-recommandée aux fidèles, est un souvenir de cette voie sainte que nos pères suivaient humblement le Jeudi et le Vendredi saints.
De nos jours, nous avons vu un des plus nobles et des meilleurs hommes de France, un homme dont le caractère était aussi élevé que le nom est illustre, le duc de Montmorency, mourir le Jeudi saint en faisant ses stations ; c'est devant le tombeau de Jésus-Christ que la mort est venue en amie chercher le descendant du premier baron chrétien. Belle et digne mort pour un Montmorency ! Autrefois, ils avaient moult aidé, de leur épée, à conquérir sur les mécréants Sarrazins le saint tombeau; aujourd'hui, un de leurs fils vient y prier avec foi et y mourir avec espérance !
La véritable fête de l'Eucharistie était le Jeudi saint; mais ce jour, mêlé à une semaine de pénitence et de tristesse, était trop assombri par ce qui le précédait et par ce qui le suivait, pour convenir à la célébration du grand mystère. Au treizième siècle, Urbain IV a établi la fête de Corpus Christi, qu'en France nous appelons Fête-Dieu.
Le Pange lingua est l'hymne appropriée au Jeudi saint, et il est beau à entendre chanter de tout le clergé, lors de la procession du maître-autel à l'autel du tombeau, alors que le dais de velours cramoisi brodé d'or, surmonté de ses gros panaches, se meut et avance tenu par les plus notables de la cité, et que les torches et les cierges des confréries brillent à l'entour des saintes espèces portées par l'évêque.
Dans les cérémonies du jeudi de la grande semaine, il y en a encore une d'un grave enseignement et d'une haute leçon : c'est celle que l'on appelait autrefois le mandat, et qui est plus connue sous le nom de lavement des pieds.
Alors, ce qu'il y a de plus haut parmi les hommes, les papes, les empereurs, les rois, les archevêques et les évêques, à l'exemple du Sauveur, se font humbles devant les pauvres. D'autres jours, ils pourront prendre les marques de leurs dignités, leurs tiares, leurs couronnes, leurs mitres ; mais aujourd'hui c'est le napperon de lin qu'il leur faut ceindre autour d'eux.
D'autres fois ils pourront convoquer, à leur cour ou à leur siège, les grands de leur empire, et les princes qui relèvent de leur puissance ; mais aujourd'hui ce sont les nécessiteux, les délaissés du monde, qu'il leur faut chercher pour leur laver les pieds. Après la cène, Satan ayant déjà inspiré à Judas, fils de Simon Iscariote, de trahir Jésus;
Jésus, qui savait que son père lui avait mis toutes choses entre les mains, qu'il était sorti de Dieu, et qu'il s'en retournerait à Dieu, se leva de table, quitta ses habits, et, prenant un napperon, le mit autour de lui, puis versa de l'eau dans un bassin ; et après avoir lavé les pieds de ses disciples, il les essuya avec le napperon qu'il avait autour de lui.
Et s'étant remis à table, il leur dit : «Comprenez-vous ce que je viens de faire à votre égard? Vous me nommez votre maître et votre Seigneur; et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre Seigneur et votre maître, vous devez aussi vous les laver les uns aux autres ; car je vous ai donné l'exemple, afin que ce que j'ai fait pour vous, vous le fassiez pour les autres. »
C'est pour mettre cet évangile en action, que la cérémonie du lavement des pieds a été instituée. Mais, il faut le dire, une fausse délicatesse avait ôté à cet acte d'humilité son véritable caractère; et la courtisanerie, en se mêlant à la pensée de l'Évangile, en avait affaibli la leçon.
J'ai vu, dans la galerie de Diane un roi très-chrétien, à qui appartenait, par droit de naissance, la plus belle couronne qui soit sous le soleil; je l'ai vu entouré de sa cour toute chamarrée d'or, de plaques et de rubans, venir laver les pieds de douze pauvres...; mais non, ceux qui tendaient leurs pieds pour que le roi les lavât n'étaient pas de vrais pauvres : c'étaient des enfants que l'intrigue avait amenés là, et non la misère...: car pour être classés ce jour-là parmi les douze pauvres, il y avait des familles qui avaient employé des protections, comme s'il avait été question de devenir riche.
Et puis, était-ce laver les pieds de ces enfants, que ces quelques gouttes d'eau répandues rapidement et essuyées de même? Du moment que les rois se font humbles, il faut qu'ils le soient tout à fait. Quand on s'empare d'une pensée de l'Évangile, il ne faut pas jouer avec elle.
II y a des fleurs qui embaument la solitude, où Dieu les a fait s'épanouir; mais si vous les amenez sous un ciel qu'elles n'aiment pas, alors elles languissent et végètent étiolées; il en est de même de certaines pensées, quand on les transporte à la cour; la routine les y garde bien, mais elles y ont perdu leur beauté et n'ont plus de suaves odeurs...
Ah! que de nobles choses l'étiquette des palais n'a-t-elle pas étouffées! Le Sauveur avait dit: Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres; et l'étiquette est venue fixer le nombre des gouttes d'eau qui seraient versées sur chaque pied d'enfant.
La cérémonie du mandat ou du lavement des pieds ne se faisait nulle part avec plus de pompe et plus d'appareil que dans les monastères ; là, elle était suivie d'aumônes envers les pauvres. Et les pièces de monnaie et les pains, tout était donné par treize, en mémoire des douze apôtres et de leur divin maitre,
Cet usage était établi dans toute la France dès le règne de Louis le Débonnaire. On lit dans l'Histoire de l'Église: « Le Jeudi saint on fait aussi l'absoute ou l'absolution des pénitents. » On peut rapporter au neuvième siècle l'établissement de cette cérémonie, et le jour n'en fut fixé au Jeudi saint que vers le même temps; cette cérémonie se faisait ordinairement avant de commencer la messe,, pour cet effet, des pénitents couverts du sac ou du cilice, la cendre sur la tête, se rendaient dès le matin au lieu où ils s'étaient tenus pendant le Carême; on allait les y prendre, on les conduisait à l'église, on les présentait aux ministres de Dieu ; tous se prosternaient à l'instant, et l'évêque faisait sur eux une oraison.
Alors le diacre, parlant pour les pénitents, qui ne s'expliquaient que par des larmes et des gémissements, représentait au pontife que le temps de la propitiation était venu. Puis l'évêque faisait une exhortation à ceux qui s'étaient repentis, et qui imploraient miséricorde, et prononçait, en étendant les mains sur chacun d'eux, les prières pour demander la rémission de tous les péchés. Ces moyens de réconciliation n'étaient employés que pour ceux qui avaient été condamnés à la pénitence publique, et chassés de l'église le mercredi des Cendres.
Aujourd'hui, les pécheurs et les justes restent dans l'église; aujourd'hui, personne n'est chassé du temple; les hommes se sont fait plus de honte pour accuser leurs péchés, et la religion plus de compatissance pour leur pardonner. — Mère éclairée et pleine de tendresse, elle voit, elle apprécie les changements que les siècles, en coulant vers l'éternité, et en passant comme de grands flots sur le monde, amènent parmi ses enfants. Et elle ne demande à leur faiblesse que ce qu'ils peuvent donner. Au brin d'herbe, elle ne demande point le parfum de la violette, ni au roseau la majesté du cèdre.
13 – Le Vendredi Saint
Voici venu le jour de la grande tristesse chrétienne, le jour que les cloches n'annoncent pas, le jour où les autels n'ont pas de sacrifices, le jour où les sanctuaires sont
en deuil et ne retentissent que de lamentations, le jour où les mères disent à leurs petits enfants : Aujourd'hui, « le bon Dieu est mort ; il faut que vous fassiez aussi pénitence, et que vous rompiez le pain sec avec nous.» Car en cette journée, le deuil n'est pas seulement à l'entour des autels, mais il doit être encore dans les maisons chrétiennes.
Est-ce n'est pas assez qu'il n'y ait plus de cantiques dans les églises ; il faut qu'il n'y ait plus de joie au foyer. Dans les capitales, toujours si agitées et si bruyantes,
quand vient la grande journée de tristesse, on s'aperçoit peu que les sonneries des églises ont cessé depuis la veille. Mais dans les villes de province, ce silence des
cloches a quelque chose de lugubrement solennel ; quelques horloges publiques aussi se taisent, et l'on dirait que le temps ne va plus, parce que Dieu est mort.
Ce jour-là, dans quelques pays, la langue de fer du temps ne redisait aux hommes qu'une seule heure : Trois heures!
Heure de la mort du Rédempteur! heure qui a entendu le cri qui a fait trembler la terre, qui a fait fendre les rochers, déchirer le voile du temple, se cacher le soleil, s'entrouvrir les tombes, ressusciter des morts ; ce grand cri : CONSUMMATUM EST ! ! ! (C`est achevé)
Dans beaucoup de villes aussi, les habitants ne portent, le Vendredi saint, que des vêtements noirs, et nous avons vu de fervents catholiques ne pas vouloir se servir de
leurs voitures le jour où le Sauveur avait baigné de son sang et de sa sueur le chemin du Calvaire.
Autrefois, dans le royaume très-chrétien, la tristesse s'étendait de nos vieilles églises à nos vieux palais. Et quand les pontifes de Saint-Denis et de Notre-Dame se
couvraient du cilice et de la cendre, les successeurs de Clovis et de saint Louis se découronnaient, et prenaient des habits violets, couleur du deuil des rois.
Sans vouloir blâmer les temps actuels, nous les plaignons d'être déshérités de tous ces antiques, de tous ces pieux usages. Et nous avons beau chercher quel avantage, quelle garantie les pouvoirs humains peuvent trouver à s'isoler de Dieu : nous ne voyons que délire et vertige dans pareille pensée.
C'est un sentiment reçu sans contradiction dans toute l'Église, que les apôtres ont institué les fêtes dont les mystères s'étaient passés sous leurs yeux. Saint Augustin
met en ce rang la Passion, la Résurrection, l'Ascension, et la descente du Saint-Esprit. Mais on convient qu'en ces commencements, comme dans presque toute la suite des
siècles, la fête de la Passion ou du Vendredi saint, tout auguste qu'elle a toujours été, était une fête de prière, de travail et de mortification, plutôt que de repos et de réjouissance. Les Latins firent paraître autant de vénération que les Grecs pour ce saint jour. Ils en chômèrent la fête en plusieurs endroits. Ce ne fut qu'au milieu du seizième
siècle qu'elle fut réduite à une demi-fête, terminée à midi, après les offices du matin et avec ceux des Jeudi et Samedi saints.
Alors on redoublait ou l'on prolongeait les veilles, les mortifications, les lectures saintes et les prières. Toute la nuit se passait à jeun dans l'assemblée des fidèles ; c'était une coutume venue des apôtres mêmes ; personne n'était exempt du jeûne, hors les enfants au-dessous de sept ans. On y lisait toute la passion, selon les quatre évangélistes, divisée en douze leçons; après la nuit on continuait l'office du jour aux heures ordinaires; mais on n'y faisait point d'oblation ni de sacrifice.
Rien ne frappe plus l'âme de tristesse que l'aspect de nos églises. Le matin du Vendredi saint, la couleur violette n'a plus semblé assez de deuil ; c'est du noir, du noir,
comme pour nous autres mortels, que l'on a étendu sur l'autel du Dieu immortel. C'est sur le drap mortuaire des chrétiens que le crucifix est exposé aux adorations. Ces mots répétés d'une voix lente et triste reviennent souvent dans l'office de ce jour :
«Collocavit me in obscuris, — sicut mortuos seculi.
Posuerunt super caput ejus causam ipsius scriptam,
JESUS NAZARENUS, REX JUDE0RUM.
Christus factus pro nobis obediens usque ad mortem,
mortem autem crucis. »
Ils m'ont mis dans un lieu obscur, comme les morts du siècle ; comme ceux que l'on descend au tombeau. Ils ont mis au-dessus de sa tête une inscription pour
dire la cause de sa condamnation. Ils ont écrit : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.
Pendant que l'on psalmodie ces versets, tous les prêtres sont à genoux sur les dalles nues du sanctuaire, et des acolytes étendent sur l'autel, sans cierges, sans ornement
aucun, devant le tabernacle vide et ouvert, une nappe de lin.
Puis un chantre dit la prophétie suivante d'Osée : « Voici ce que dit le Seigneur : Dans l'excès de leur tribulation, quand la douleur pèsera sur eux, ils se hâteront de revenir à moi ! Tenez, venez, diront-ils, retournons vers le Seigneur; c'est lui qui nous a mis en captivité ; c'est lui qui fera cesser notre servitude. C'est lui qui nous a blessés ; c'est lui qui nous guérira. Dans deux jours il nous rendra la vie , le troisième jour il nous ressuscitera d'entre les morts. Alors nous vivrons en sa présence et nous connaîtrons la puissance du Seigneur ; et nous nous attacherons à lui, comme au salut.
Il viendra à nous, comme la rosée qui tombe en son temps sur la terre.
Que te ferai-je, ô peuple d’Éphraïm ? Que te ferai-je, ô peuple de Judée ?
Seigneur, votre miséricorde ressemble à un nuage du matin, à la rosée que le soleil fait disparaître quand il se lève dans le ciel. J'ai exposé les prophètes aux tourments, à la mort, pour vous annoncer les paroles de ma bouche et pour que vous fassiez éclater votre innocence comme la lumière ; car j'aime mieux l'obéissance que les sacrifices et les riches offrandes...
Seigneur ! Seigneur ! je me suis souvenu de vos anciens prodiges, et j'ai été saisi d'épouvante. Seigneur ! Seigneur ! je le sais, vous paraîtrez sur les nuées quand les temps seront accomplis ; vous paraîtrez entre deux chérubins, et vous vous ferez connaître. Dieu paraîtra du côté du Liban, et le saint viendra d'une montagne couverte d'arbres épais. Sa gloire efface l'éclat des cieux , et la terre retentit de ses louanges ! »
Après ces prophéties, la Passion de Notre-Seigneur est chantée par trois prêtres. Ce chant, d'une haute antiquité, est dialogué : les Juifs, Pilate, Hérode, les apôtres et Jésus lui-même, parlent et se répondent tour à tour ; quand on en est venu à ces paroles, on récite : « Et inclinato capite reddidit spiritum. » Les chants cessent, un grand silence se fait dans l'église, et l'on n'entend plus que le mouvement des fidèles qui se prosternent et baisent la terre que le Sauveur a trempée de son sang.
Après la Passion, le prêtre à l'autel, fléchissant le genou et tendant les bras à chaque oraison, prie pour toute la terre, pour la sainte Église, pour le pape, pour les évêques,
prêtres, diacres et sous-diacres; pour les rois, pour les catéchumènes, pour toutes les nécessités, pour les hérétiques et les schismatiques, pour les juifs, pour les
païens et les idolâtres.
Maintenant, grands et petits, puissants et faibles, heureux et malheureux, riches et pauvres, tous vont adorer la croix. Le prêtre est à l'autel, et découvrant au peuple
une des branches de l'arbre du salut, s'écrie : Ecce lignum crucis!
Et le choeur répond :
In quo salus mundi pependit.
Puis, s' avançant du côté droit de l'autel, et dépouillant une autre branche de la croix, il dit encore : Ecce lignum crucis!
Et de nouveau les choristes répètent :
In quo salus mundi pependït.
Enfin une troisième fois il dit, du milieu de l'autel, en élevant davantage la voix :
Ecce lignum crucis.
Et la croix tout entière est alors découverte et montrée à la foule chrétienne, qui depuis bien des jours n'a vu le crucifix que voilé, et qui dans ce moment le contemple avec le front couronné d'épines, avec les mains et les pieds percés de clous, avec le côté ouvert par le fer de la lance.
Et quand le fils de l'homme est ainsi montré tout sanglant, tout meurtri des tortures de la Passion, le prêtre continue à chanter : Popule meus, quid feci Tibi? in quo contristavi te?
responde mihi. 0 mon peuple ! que t'ai-je fait? en quoi t'ai-je consisté? ô mon peuple! réponds-moi.
Parce que je t'ai délivré de la captivité ; parce que durant quarante ans je t'ai nourri dans le désert ; Parce que de la stérilité je t'ai conduit dans une terre féconde; qu'ai-je pu faire de plus pour toi? N'as-tu pas été la vigne que j'ai plantée, que j'ai gardée sous ma protection? Et tu m'as attaché à la croix! et quand j'ai eu soif, tu m'as donné à boire du vinaigre et du fiel !
0 mon peuple ! que t'ai-je donc fait, et en quoi t'ai-je contristé? ô mon peuple! réponds-moi. Pour te sauver de l'Égypte, j'ai englouti, sous les flots de la mer, le Pharaon et ses cavaliers, et tu m'as livré aux princes des prêtres ! je t'ai ouvert un passage à travers les vagues de l'abîme, et tu m'as percé le côté d'une lance! J'ai marché devant toi, colonne lumineuse de nuées et tu m'as traîné au prétoire de Pilate! je t'ai nourri de la manne qui tombait du ciel, et tu m'as souffleté et meurtri de coups! J'ai fait sortir l'eau du rocher pour étancher ta soif, et toi, tu ne m'as donné à boire que fiel et vinaigre! J'ai mis dans tes mains le sceptre de la puissance, et toi, tu as mis un roseau dans ma main et une couronne d'épines sur mon front! Je t'ai fait monter à un trône de puissance, et tu m'as élevé sur une croix !
Agios ô theos!
Agios ischiros!
Sanctus fortis!
Agios athanatos eleison imas!
Sanctus et immortalis , miserere nobis!
On le voit, dans sa profonde douleur, l'Église n'a plus assez d'une langue pour crier vers Dieu : 0 Seigneur, vous êtes fort, vous êtes saint, vous êtes immortel, ayez pitié de nous!
Il règne, dans cette partie de l'office, comme du délire; et dans ces angoisses, ces paroles si simples et qui reviennent souvent : 0 mon peuple! que t'ai-je donc fait? vont toucher les cœurs les plus froids. Ici, s'il y a des rois dans l'Église, ils peuvent prendre leur part de l'enseignement qui est donné aux puissant de la terre. S'ils ont eu à se plaindre de leurs sujets; si leur pays a répondu par l'exil et la proscription au bien qu'ils voulaient lui faire ; si ceux qui ont nourri, vêtu et abrité les pauvres, n'ont plus d'asile à eux ; si ceux qui
ont eu des palais n'ont plus une pierre pour reposer leur tête : qu'ils ne se plaignent pas trop amèrement, et qu'ils mettent leurs royales douleurs aux pieds des douleurs divines de Jésus de Nazareth, roi des Juifs, et fils de l'éternel.
Seigneur, Dieu des empires et des armées! Les hymnes et les versets douloureux de la Passion sont alternativement psalmodiés, pendant que le crucifix découvert est exposé sur un carreau de velours noir, comme un roi mort sur un lit funéraire. Pour venir baiser les pieds et les mains percés de clous , et le côté entr'ouvert du Sauveur, les plus hauts en puissance et en dignité, les rois, les archevêques, les évêques, les princes, s'il y en a dans l'église, ôtent leurs chaussures et adorent pieds nus. La foule les suit, et vient avec eux ; car il est mort pour tous ; et le mendiant qui tend la main à la porte du temple a dans le sang rédempteur une aussi grande part que le monarque et le pontife.
La veille, quand l'hostie avait été portée du maître autel à la chapelle du tombeau, toutes les pompes du sanctuaire avaient été déployées : les chapes rouges à bosses d'or, les aubes de dentelles à grands ramages, les dalmatiques orientales, la croix et les chandeliers de vermeil, l'encens le plus pur d'Arabie, les sons graves de l'orgue accompagnaient le Pange lingua.
Mais le Vendredi saint, c'est en silence, c'est en grande tristesse, sans orgue, sans magnificence, que les saintes espèces sont rapportées au sanctuaire pour être consommées par le prêtre. Après la communion , l'office est terminé , et si dans l'église la foule demeure encore, c'est que tout le peuple veut baiser la croix ; et pendant toute la journée de mort, vieillards et jeunes hommes, femmes et enfants se succèdent à cette adoration. Auprès du crucifix se trouve un plat ou de cuivre ou d'argent, où le riche et le pauvre déposent leur aumône; car ce n'est pas dans une journée de douleur que les mal heureux peuvent être oubliés.
Dès sept heures du matin, avant que les artisans soient allés à leur travail quotidien, la Passion de Notre-Seigneur a été prêchée; à trois heures de l'après-midi,
heure à laquelle Jésus-Christ est mort, elle l'est de nouveau ; dans la cité, tous les chrétiens veulent être émus au récit des douleurs d'un Dieu.
Voilà tout à l'heure deux mille ans que la Passion de Notre-Seigneur est prêchée aux fidèles : eh bien , le prêtre chrétien n'a besoin que de foi et d'amour pour faire
couler d'abondantes larmes ; il y a des sources qui ne s'épuisent jamais, et des récits qui se passent d'art et d'éloquence, de recherche et d'embellissements humains.
Je me souviendrai toujours avoir entendu un missionnaire, un pèlerin revenant de Jérusalem (M. l'abbé Forbin de Janson, aujourd'hui évêque de Nancy). Plein des
souvenirs de la ville sainte, il racontait toutes les stations de la voie douloureuse, et sa parole, vive et simple, forte et pittoresque, faisait vraiment voir la sueur, les larmes
et le sang dont le chemin du Golgotha avait été arrosé.
En l'écoutant, on avait pour ainsi dire passé les mers avec le prêtre, descendant de vieux chevaliers croisés. On se croyait tour à tour au jardin des Oliviers, au palais de Caïphe, au prétoire de Pilate : avec lui on était pèlerin, à travers toutes les stations; avec lui on gravissait la pénible montagne du Calvaire ; avec lui on frémissait, on se repentait, on priait et l'on espérait.
La journée du Vendredi saint se termine par le chant du Stabat Mater, cette hymne de maternelle douleur, que les femmes ne répètent qu'en pleurant, parce que mieux que nous elles conçoivent les angoisses de la mère assise au pied de la croix.
Oh! pour remuer les âmes, Pergolèze n'avait pas besoin de composer son immortel chef d'œuvre ; le simple chant de l'Église est, selon moi, saisissant de tristesse et
de résignation. Ce récit des douleurs de Marie peut se passer de tout la magie de l'art, de toutes les pompes des grandes églises. Au hameau, devant l'humble autel en deuil, des
femmes, des mères, alternant les strophes avec le prêtre et les deux enfants de chœur, c'est assez pour émouvoir l'âme et faire pleurer les yeux.
Que ceux qui liront ce que je dis ici ne croient pas que je veuille ôter à nos prières les ailes que la bonne musique peut leur prêter Oh! non, je me réjouis quand les arts viennent se sanctifier près des autels : la vraie mission des beaux-arts, c'est de glorifier Dieu. Mais je veux qu'en entrant dans les églises ils quittent leur air mondain, et que jamais ils n'amènent dans le sanctuaire des pensées et des ressouvenirs profanes.
Que la musique qui loue le Seigneur soit vierge , et que les hommes qui l'écoutent ne puissent pas lui dire , nous t'avons entendue ailleurs. Pour terminer ce que j'ai dit sur le Vendredi saint, je vais emprunter à un de mes amis des réflexions faites sur les lieux mêmes où le Christ a souffert, et écrites le jour de la mort du Sauveur. Ces réflexions de M. Poujoulat, éloquent auteur de l'Histoire de Jérusalem, ont un double attrait : celui du talent, et celui qu'elles ont pris dans l'aspect saisissant de ce tombeau, qui n'aura rien à rendre au grand jour de la résurrection.
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM.
Vendredi saint. — A trois heures du matin, tout le monde était déjà réveillé ; les hommes reprenaient leur turban et leur ceinture, les femmes leur voile ou leur féredgé. Chaque famille était rangée autour d'un vase rempli de feu. Dès que les rayons du matin, partis du dôme, sont venus nous éclairer, je suis sorti de la chapelle de la Vierge, et me suis mis, non sans tristesse, à parcourir l'église.
A trois heures après midi, les Latins ont chanté l'office des Ténèbres; ces lugubres et saintes harmonies, qui dans ces deux derniers jours résonnaient avec tant de
charme à mon oreille, se perdaient aujourd'hui à travers les flots de peuple, au milieu d'un bruit immense : plus de quarante mille pèlerins de toutes les nations s'étaient
précipités dans l'église du Saint-Sépulcre pour assister à la cérémonie du Vendredi saint. C'est la plus imposante cérémonie que j'aie vue à Jérusalem.
Toute l'enceinte de l'église était remplie : pas le plus petit espace, pas un coin, pas un pilier, pas une grille qui ne fussent occupés ; aussi, malheureusement, la confusion était extrême. La cérémonie a commencé à sept heures du soir; je vais vous la décrire. Je marchais à côté du célébrant, et j'ai pu tout observer.
Le père vicaire célébrant et ses officiers, suivis de tous les religieux du couvent de Saint-Sauveur, se sont d'abord réunis dans la chapelle de la Vierge, dont on a fermé les portes. On avait éteint toutes les lumières de la chapelle, et, au milieu de l'obscurité la plus profonde, un jeune Père d'Italie a prononcé un discours sur les souffrances et la mort du Sauveur. Ce discours n'a été qu'un rapide abrégé de la passion du Christ, accompagné de réflexions pieuses. Qu'était-il besoin de rhétorique auprès de ces pauvres religieux, que le simple récit des douleurs du Fils de l'homme faisait fondre en larmes?
Après ce discours, les portes de la chapelle se sont ouvertes, et nous avons entendu le vaste bruit de la foule, semblable au mugissement de la mer; nos cénobites, ayant à leur tête un grand crucifix, se sont rangés deux à deux avec un flambeau à la main, et nous nous sommes mis en marche dans l'église, à travers une multitude qui se heurtait et s'ébranlait ; hommes, femmes, jeunes filles, enfants, vieillards, de toutes les nations de l'Orient. On a commencé le Miserere sur un ton des plus lamentables qu'on puisse entendre. Les jeunes Arabes élevés au couvent de Saint-Sauveur marchaient les premiers, avec la croix, chantant de leur côté le Stabat mater avec assez de charme et d'harmonie.
La procession ne pouvait avancer d'un pas sans une peine extrême, tant la foule nous pressait de toutes parts. Arrivés auprès de l'autel de la division des vêtements, nous nous sommes arrêtés; un religieux espagnol, revêtu d'une étole noire sans surplis, a prononcé un discours dans la langue de son pays, sur la triste solennité du jour. Nous étions tous debout pendant ce discours. Le célébrant était seul assis sur un siège de velours noir, brodé d'or. Deux des principaux catholiques de Jérusalem portaient ce tabouret derrière le célébrant, pendant la procession.
Je n'ai rien vu de plus beau que les ornements en velours noir, brodés d'or, qui ont servi à la cérémonie d'aujourd'hui; ils ont été envoyés par l'Espagne en 1819. Les armes de Castille brillent en filets d'or sur ces vêtements sacrés. Le sermon espagnol étant achevé, nous nous sommes remis en marche jusqu'à l'autel de l`Impropère, sous lequel on voit un débris de colonne de pierre, où s'assit le Sauveur lorsque, durant la nuit de sa passion, il fut rassasié d'opprobres; là, nous avons eu un second discours espagnol, puis nous nous sommes avancés vers le Calvaire. Au milieu d'un bruit immense, traversé par de longs cris, chacun voulait monter sur le Golgotha...
Avec une peine infinie, nous sommes parvenus à l`autel du Crucifiement. Le grand crucifix porté en tête de la procession par un religieux latin, a été posé au pied de l'autel construit à la place même où le Sauveur expira. Le Père espagnol que nous avions entendu à la station de l`Impropère, s'est agenouillé devant le crucifix et a repris son discours avec des larmes dans les yeux ; lorsqu'il en est venu à la dernière heure du Sauveur, le prêtre espagnol a éclaté en sanglots.
Pour moi, je me suis vu saisi d'un saint effroi quand j'ai entendu le cénobite, avec son étole noire et a robe de laine brune, nous raconter la mort ignominieuse de Jésus, à la place même où Jésus a été immolé!... Car j’étais là, sur le Golgotha, où la croix fut plantée; car je foulais la montagne qui a bu le sang du Christ!!!
Que de tristesses! que de pensées! un Dieu qui se fait homme pour mourir , et pour mourir innocent! N'y a-t-il pas dans ce mystère un touchant exemple , une consolation sublime pour l'humanité? Le monde avait besoin de voir mourir un Dieu pour que l'image du trépas fût moins horrible. L'homme pouvait entrer avec moins de douleur dans le sépulcre, après que Dieu lui-même y était entré.
Pauvres humains qu'a frappés le glaive de l'injustice, regardez cette croix où périt le saint des saints! Vous, mortels de génie , et qui, méconnus de vos contemporains , ne recueillez que l'indifférence dédaigneuse, ou les humiliations; nobles enfants de la terre, marqués au front du sceau immortel, dont les jours se consument en brûlantes pensées, levez les yeux vers le père de l'Évangile, le régénérateur et le Sauveur du monde , suspendu au bois infâme! C'est là son trône et son autel ; et sa couronne !... Regardez-la, c'est une couronne d'épines!
«Dans la prison, dans l'exil, sur l'échafaud, que de victimes ont pu s'écrier, comme le Christ sur le Golgotha. Mon Dieu! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné?
ELI ! ELI ! LAMMASABACTHANI !
Le crucifix de la procession a été planté à l'endroit même où fut plantée la croix du Sauveur. Après un long discours sur la passion, un religieux a dévotement attaché une écharpe blanche au bras du Christ, lui a ôté sa couronne d'épines, et a décloué ses pieds et ses mains avec un marteau et une tenaille. La couronne et les clous enlevés ont été tour à tour baisés respectueusement par le prêtre , montrés à l'adoration des fidèles, puis déposés dans un bassin d'argent. A mesure qu'un bras du Christ était déployé , le bras tombait de lui-même , comme le bras d'un mort.
Ensuite, on a descendu le Christ de la croix, de la même manière que le Sauveur après qu'il eut expiré ! Ce spectacle me faisait frissonner : j'assistais à cette scène si terrible et si solennelle, qui ensanglanta le Calvaire il y a dix-huit siècles!...
L'impatiente curiosité de la multitude n'avait pu que s'accroître. Et au milieu du vaste murmure, on distinguait les cris des petits enfants, les gémissements des
femmes et des jeunes filles, que la foule étouffait. Quelques jeunes filles arméniennes s'étaient jetées vers moi , en me suppliant de les défendre et de les garder à mes
côtés pendant la cérémonie.
Nous sommes descendus de la sainte montagne pour nous rendre à la Pierre de l'Onction, où le fils de Marie fut embaumé. Le Christ a été enveloppé dans un
linceul, et quatre religieux, revêtus d'une étole noire , l'ont porté pieusement comme on porte un cadavre. Un voile blanc recouvrait la Pierre de l` Onction. On y avait placé un coussin de velours noir sur lequel devait être posée la tête de Jésus. Aux quatre angles de la pierre était un vase d'argent renfermant des aromates et des eaux de senteur. Le Christ ayant été posé sur le marbre sacré , le célébrant s'est agenouillé pour arroser l'image du Sauveur d'essence de rose, et brûler autour d'elle de précieux parfums.
Après quelques instants de recueillement, le Père latin, qui remplit à Jérusalem les fonctions de curé, a prononcé, en arabe, un discours qui s'adressait aux catholiques du pays; il était monté sur un des piliers qui avoisinent la porte de l'église , et tous les assistants, même les musulmans , l'ont écouté avec une religieuse attention. Ce discours achevé, nous nous sommes avancés du côté du tombeau. Quatre religieux portaient le Christ dans un linceul blanc. L'image sainte a été déposée sur la pierre du sépulcre. Nous avons entendu un dernier discours en langue espagnole, et c'est ainsi que s'est terminée la lugubre cérémonie.
En cherchant à décrire les cérémonies du Jeudi et du Vendredi saints, j'ai fait remarquer qu'il n'y avait aucune uniformité dans les différentes églises pour le décor de la
chapelle où l'hostie consacrée est déposée pendant deux jours. Dans quelque villes, cet autel est lugubre comme un tombeau; dans d'autres, radieux de fleurs et de cierges,
comme un reposoir de la Fête-Dieu. Je le dis avec quelque timidité, mais je crois que l'unité vaudrait mieux que cette dissemblance qui peut étonner : car si la pensée
de la cérémonie est une commémoration de mort, il vaudrait mieux que la chose extérieure ressemblât partout à un sépulcre.
Aujourd'hui surtout, que l'on aime à donner à tout son aspect historique et véritable, ne serait-il pas très-facile que chaque église arrangeât , le Jeudi et le Vendredi
saints, une de ses chapelles sur le modèle exact du saint sépulcre de Jérusalem , tel qu'il est encore aujourd'hui. Cette représentation vraie, pied pour pied et pouce pour pouce, de la partie la plus sacrée des Saints-Lieux, coûterait peu à établir; et je ne sais si je me trompe, mais il me semble que la piété ne pourrait que gagner à cette copie fidèle.
La pierre fendue du tombeau serait l'autel , qui porterait les saintes Espèces recouvertes d'un voile simulant le linceul ; et les lampes qui brûlent sans cesse devant le saint Tombeau à Jérusalem, et qui y ont été envoyées en offrandes par tous les souverains de la chrétienté, ne seraient pas difficiles à copier, et répandraient une mystérieuse lueur à l'entour de l'hostie ; là se verrait aussi la pierre où l'ange vêtu de blanc et de splendeur a apparu aux saintes femmes.
Les proportions de ce saint sépulcre , qui a fait se lever en armes une partie du monde , qui a mis sur pied des millions de guerriers pour l'aller délivrer des profanations des infidèles, ne sont pas grandes. Ce tombeau, creusé dans le roc, ressemble à une petite chambre presque carrée , haute de huit pieds et un pouce, depuis le sol jusqu'à la voûte ; longue de six pieds un pouce , et de quinze pieds dix pouces de large.
On entre dans ce petit espace par une porte très-abaissée ; cette porte se fermait par une pierre du même roc que celle du tombeau ; et c'est sur cette pierre que les
princes des prêtres appliquèrent leur sceau , pour retenir leur victime dans les ombres de la mort. . . Vains efforts! Jésus, quand l'heure fut venue, remua dans sa tombe de pierre, et tout fut brisé! Qui aurait pu retenir le Dieu fort à son réveil ?
0 mort ! où est ton aiguillon?
0 mort! où est ta victoire?
Je me souviens avoir vu, au Mont Valérien, attenant à l'église que les missionnaires de cette grande et belle solitude élevaient dans des temps meilleurs , une exacte et
véritable imitation du saint sépulcre. C'est là que l'on pourrait aller prendre, sans aucune dépense , le modèle que j'ai osé conseiller.
Quelques marguilliers qui aiment à se mêler de l'embellissement de nos églises , seraient peut-être contristés si le projet que j'indique était réalisé; car alors, ils ne pourraient plus déployer chaque année les trésors de leur imagination; mais je me persuade que l'on parviendrait à se consoler de leur tristesse , si le peuple chrétien, si la foule pieuse apprenait à connaître le lieu le plus saint , le plus sacré qui soit sur notre globe ; lieu que la France très-chrétienne protégeait puissamment autrefois; lieu que les anachorètes et les solitaires venaient voir de loin ; lieu que des religieux de toutes les nations gardent aujourd'hui, et souvent au péril de leur vie.
Dans la semaine de deuil, le Jeudi saint vient comme un court rayon de joie; ce jour-là, l'Église a quitté ses ornements de tristesse; la couleur rouge a remplacé le violet, couleur d'humilité et de pénitence. La couleur rouge, c'est celle qui marque les fêtes des martyrs; et quel martyr que le crucifié du Calvaire! Quel sang que celui qui a rougi la voie douloureuse depuis la colonne de la flagellation jusque sur les pierres du Golgotha !
A cause de la journée de mort qui viendra le lendemain, l'Église ne voudrait plus laisser paraître sa joie; mais dans l'institution de l'Eucharistie, il y a une telle source de grâces pour les chrétiens, qu'elle n'a pu, le jour où le miracle d'amour s'est opéré, garder ses vêtements funèbres; pour l'office du matin, elle les a déposés , et s'est parée pour la fête.
L'autel a repris ses flambeaux de vermeil et ses cierges de cire blanche, et l'archevêque ou l'évêque se montre au peuple avec sa mitre et sa crosse d'or. C'est lui qui va consacrer, et qui communiera tous les dignitaires du diocèse. Les vétérans du sanctuaire, en surplis et en camail, et l'étole de pasteur au cou; les jeunes prêtres, diacres et sous-diacres, en dalmatiques; les acolytes en aubes blanches avec des ceintures de soie; les thuriféraires avec les urnes flottantes des parfums ; les bedeaux sans leurs baguettes d'ébène, mais avec leurs robes traînantes; deux à deux, humbles et recueillis, s'agenouiller sur les marches de l'autel , et recevoir de la main du prélat le pain mystique de l'eucharistie.
Il faudrait un cœur sec pour rester sans émotion à cette communion générale. Je me souviendrai toujours du Jeudi saint, à Nantes, pays de foi et de piété : la grande nef de la cathédrale était pleine de fidèles, et les laïques étaient mêlés au clergé, à droite et à gauche du chœur. Quand le vénérable évêque, se tenant debout appuyé contre le marbre de l'autel, montrait l'hostie, en disant à ceux qui allaient communier : Ecce Agnus Dei qui lollit peccata mundi, il y avait alors un grand silence; les voix des chantres , les accords de l'orgue s'étaient tu, et si l'on entendait quelque chose, c'était le bruit des chaînes d'argent des encensoirs qui montaient et qui s'abaissaient, s'élevaient et retombaient encore.
Avant de porter au tombeau ou reposoir l'hostie qui doit être celle du jour où l'on ne consacre pas, l'évêque officiant vient s'asseoir en face d'une table dressée vers le milieu du sanctuaire. Alors des diacres et sous-diacres apportent de grandes urnes, qu'ils déposent en face du pontife , crosse en main et mitre en tête ; ces urnes sont remplies de l'huile qui va être sanctifiée et bénite. Huiles saintes destinées aux enfants qui naissent et aux malades qui meurent, aux prêtres que l'on voue à Dieu et aux rois que l'on sacre et que l'on couronne.
Huiles saintes qui coulent sur nous, et à notre entrée dans la vie et à la sortie du monde ; Saint Chrême au baptême et à la confirmation, et Extrême-Onction à la mort. Toutes les fois que j'ai assisté à la bénédiction des saintes huiles, j'ai été vivement préoccupé en voyant l'évêque prier sur elles pour y faire descendre l'esprit de Dieu. Je me demandais lequel d'entre nous sera le premier oint de cette huile? sera-ce un frère? un ami? Sera-ce moi-même? Oh! quand ces pensées-là se glissent dans votre esprit, les cérémonies de l'Église vous semblent doublement saintes. Les pensées graves sont sœurs des pensées salutaires.
Dans cette bénédiction du saint-chrême, l'évêque doit être assisté de douze prêtres, tous pasteurs, autant que possible, pour mieux représenter les apôtres; et de sept diacres avec autant de sous-diacres, afin de rappeler le temps où le collège des ministres sacrés était composé de douze prêtres, de sept diacres et d'autant de mineurs, pour l'administration du diocèse, et pour le service de l'évêque et du peuple.
Quand toutes les prières ont été dites sur les saintes huiles, l'évêque remonte à l'autel, et, après la communion, l'hostie qu'il a consacrée pour le lendemain est portée sous le dais, et en grande pompe, à la chapelle du tombeau. Dans quelques pays (et, selon nous, ce sont ceux qui comprennent le mieux la solennité du Jeudi saint) cette chapelle est toute tendue de velours noir à lugubres bordures rouges ; quelques lampes funéraires répandent une lumière triste sous les draperies du sépulcre; et les vases sacrés des autels, les calices, les ciboires, les urnes d'or et d'argent, qui ont été jetés comme en désordre au pied du Christ mort, attestent que le saint sacrifice est suspendu, et que le jour du déicide on ne se servira pas de tout ce luxe bénit.
Dans d'autres villes, l'aspect de l'autel du Jeudi et du Vendredi saints est tout différent : au lieu d'être drapé de deuil, il est recouvert des tentures les plus éclatantes, et sur le fond écarlate des gradins se dessinent et resplendissent des chandeliers et des vases d'argent sans nombre; toutes les fleurs de la saison, les jacinthes ou clochettes bleues et blanches, les primevères jaunes qui ont percé la neige cour s'épanouit les premières. les anémones, les renoncules aux vives couleurs, émaillent le Paradis: car c'est ainsi que les enfants appellent ce reposoir.
Au milieu de ces pompes du temple et de la nature, au milieu de ces bouquets et de ces cierges, sous, un voile de drap d'or, est déposée l'hostie. Ici, rien de triste, rien de lugubre; on dirait que les prêtres qui ont ainsi conçu le décor de leur autel n'ont pas voulu s'attrister de la mort du Christ, parce que cette mort a sauvé le monde. Sur cette mort qui a donné la vie, ils n'ont pas jeté le drap noir semé de larmes: le pesant drap mortuaire est bon pour nous, qui resterons couchés longtemps dans le sépulcre; mais pour celui qui, le troisième jour, en a brisé la pierre, pour celui qui devait être surnommé le vainqueur de la mort, ils ont pensé qu'il ne fallait pas tant de deuil, et ils ont laissé apporter des fleurs sur ce qui représentait son tombeau.
Quand l'office du matin est terminé, quand la procession qui a conduit la sainte hostie est revenue au sanctuaire où Dieu n'est plus ; quand les grandes dames de la ville sont apostées aux portes de l'église, quêtant pour les pauvres ; alors tout le peuple chrétien quitte ses demeures et s'en va faisant les stations dans toutes les paroisses. Dans les rues qui mènent aux églises, il y a grande foule; mais nulle part il n'y a de bruit ni de tumulte; une même pensée religieuse a mis tout ce monde en mouvement; et parmi les hommes et les femmes qui circulent ainsi dans la ville, il en est plusieurs qui prient en marchant et qui ont le chapelet à la main.
Cet usage de faire des stations remonte très-haut dans les temps passés : les chevaliers quittaient autrefois leur épée, et de nobles dames marchaient nu-pieds dans les rues pour accomplir cet acte de piété. La dévotion du chemin de la croix, qui est aujourd'hui très-recommandée aux fidèles, est un souvenir de cette voie sainte que nos pères suivaient humblement le Jeudi et le Vendredi saints.
De nos jours, nous avons vu un des plus nobles et des meilleurs hommes de France, un homme dont le caractère était aussi élevé que le nom est illustre, le duc de Montmorency, mourir le Jeudi saint en faisant ses stations ; c'est devant le tombeau de Jésus-Christ que la mort est venue en amie chercher le descendant du premier baron chrétien. Belle et digne mort pour un Montmorency ! Autrefois, ils avaient moult aidé, de leur épée, à conquérir sur les mécréants Sarrazins le saint tombeau; aujourd'hui, un de leurs fils vient y prier avec foi et y mourir avec espérance !
La véritable fête de l'Eucharistie était le Jeudi saint; mais ce jour, mêlé à une semaine de pénitence et de tristesse, était trop assombri par ce qui le précédait et par ce qui le suivait, pour convenir à la célébration du grand mystère. Au treizième siècle, Urbain IV a établi la fête de Corpus Christi, qu'en France nous appelons Fête-Dieu.
Le Pange lingua est l'hymne appropriée au Jeudi saint, et il est beau à entendre chanter de tout le clergé, lors de la procession du maître-autel à l'autel du tombeau, alors que le dais de velours cramoisi brodé d'or, surmonté de ses gros panaches, se meut et avance tenu par les plus notables de la cité, et que les torches et les cierges des confréries brillent à l'entour des saintes espèces portées par l'évêque.
Dans les cérémonies du jeudi de la grande semaine, il y en a encore une d'un grave enseignement et d'une haute leçon : c'est celle que l'on appelait autrefois le mandat, et qui est plus connue sous le nom de lavement des pieds.
Alors, ce qu'il y a de plus haut parmi les hommes, les papes, les empereurs, les rois, les archevêques et les évêques, à l'exemple du Sauveur, se font humbles devant les pauvres. D'autres jours, ils pourront prendre les marques de leurs dignités, leurs tiares, leurs couronnes, leurs mitres ; mais aujourd'hui c'est le napperon de lin qu'il leur faut ceindre autour d'eux.
D'autres fois ils pourront convoquer, à leur cour ou à leur siège, les grands de leur empire, et les princes qui relèvent de leur puissance ; mais aujourd'hui ce sont les nécessiteux, les délaissés du monde, qu'il leur faut chercher pour leur laver les pieds. Après la cène, Satan ayant déjà inspiré à Judas, fils de Simon Iscariote, de trahir Jésus;
Jésus, qui savait que son père lui avait mis toutes choses entre les mains, qu'il était sorti de Dieu, et qu'il s'en retournerait à Dieu, se leva de table, quitta ses habits, et, prenant un napperon, le mit autour de lui, puis versa de l'eau dans un bassin ; et après avoir lavé les pieds de ses disciples, il les essuya avec le napperon qu'il avait autour de lui.
Et s'étant remis à table, il leur dit : «Comprenez-vous ce que je viens de faire à votre égard? Vous me nommez votre maître et votre Seigneur; et vous dites bien, car je le suis. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre Seigneur et votre maître, vous devez aussi vous les laver les uns aux autres ; car je vous ai donné l'exemple, afin que ce que j'ai fait pour vous, vous le fassiez pour les autres. »
C'est pour mettre cet évangile en action, que la cérémonie du lavement des pieds a été instituée. Mais, il faut le dire, une fausse délicatesse avait ôté à cet acte d'humilité son véritable caractère; et la courtisanerie, en se mêlant à la pensée de l'Évangile, en avait affaibli la leçon.
J'ai vu, dans la galerie de Diane un roi très-chrétien, à qui appartenait, par droit de naissance, la plus belle couronne qui soit sous le soleil; je l'ai vu entouré de sa cour toute chamarrée d'or, de plaques et de rubans, venir laver les pieds de douze pauvres...; mais non, ceux qui tendaient leurs pieds pour que le roi les lavât n'étaient pas de vrais pauvres : c'étaient des enfants que l'intrigue avait amenés là, et non la misère...: car pour être classés ce jour-là parmi les douze pauvres, il y avait des familles qui avaient employé des protections, comme s'il avait été question de devenir riche.
Et puis, était-ce laver les pieds de ces enfants, que ces quelques gouttes d'eau répandues rapidement et essuyées de même? Du moment que les rois se font humbles, il faut qu'ils le soient tout à fait. Quand on s'empare d'une pensée de l'Évangile, il ne faut pas jouer avec elle.
II y a des fleurs qui embaument la solitude, où Dieu les a fait s'épanouir; mais si vous les amenez sous un ciel qu'elles n'aiment pas, alors elles languissent et végètent étiolées; il en est de même de certaines pensées, quand on les transporte à la cour; la routine les y garde bien, mais elles y ont perdu leur beauté et n'ont plus de suaves odeurs...
Ah! que de nobles choses l'étiquette des palais n'a-t-elle pas étouffées! Le Sauveur avait dit: Vous devez vous laver les pieds les uns aux autres; et l'étiquette est venue fixer le nombre des gouttes d'eau qui seraient versées sur chaque pied d'enfant.
La cérémonie du mandat ou du lavement des pieds ne se faisait nulle part avec plus de pompe et plus d'appareil que dans les monastères ; là, elle était suivie d'aumônes envers les pauvres. Et les pièces de monnaie et les pains, tout était donné par treize, en mémoire des douze apôtres et de leur divin maitre,
Cet usage était établi dans toute la France dès le règne de Louis le Débonnaire. On lit dans l'Histoire de l'Église: « Le Jeudi saint on fait aussi l'absoute ou l'absolution des pénitents. » On peut rapporter au neuvième siècle l'établissement de cette cérémonie, et le jour n'en fut fixé au Jeudi saint que vers le même temps; cette cérémonie se faisait ordinairement avant de commencer la messe,, pour cet effet, des pénitents couverts du sac ou du cilice, la cendre sur la tête, se rendaient dès le matin au lieu où ils s'étaient tenus pendant le Carême; on allait les y prendre, on les conduisait à l'église, on les présentait aux ministres de Dieu ; tous se prosternaient à l'instant, et l'évêque faisait sur eux une oraison.
Alors le diacre, parlant pour les pénitents, qui ne s'expliquaient que par des larmes et des gémissements, représentait au pontife que le temps de la propitiation était venu. Puis l'évêque faisait une exhortation à ceux qui s'étaient repentis, et qui imploraient miséricorde, et prononçait, en étendant les mains sur chacun d'eux, les prières pour demander la rémission de tous les péchés. Ces moyens de réconciliation n'étaient employés que pour ceux qui avaient été condamnés à la pénitence publique, et chassés de l'église le mercredi des Cendres.
Aujourd'hui, les pécheurs et les justes restent dans l'église; aujourd'hui, personne n'est chassé du temple; les hommes se sont fait plus de honte pour accuser leurs péchés, et la religion plus de compatissance pour leur pardonner. — Mère éclairée et pleine de tendresse, elle voit, elle apprécie les changements que les siècles, en coulant vers l'éternité, et en passant comme de grands flots sur le monde, amènent parmi ses enfants. Et elle ne demande à leur faiblesse que ce qu'ils peuvent donner. Au brin d'herbe, elle ne demande point le parfum de la violette, ni au roseau la majesté du cèdre.
13 – Le Vendredi Saint
Voici venu le jour de la grande tristesse chrétienne, le jour que les cloches n'annoncent pas, le jour où les autels n'ont pas de sacrifices, le jour où les sanctuaires sont
en deuil et ne retentissent que de lamentations, le jour où les mères disent à leurs petits enfants : Aujourd'hui, « le bon Dieu est mort ; il faut que vous fassiez aussi pénitence, et que vous rompiez le pain sec avec nous.» Car en cette journée, le deuil n'est pas seulement à l'entour des autels, mais il doit être encore dans les maisons chrétiennes.
Est-ce n'est pas assez qu'il n'y ait plus de cantiques dans les églises ; il faut qu'il n'y ait plus de joie au foyer. Dans les capitales, toujours si agitées et si bruyantes,
quand vient la grande journée de tristesse, on s'aperçoit peu que les sonneries des églises ont cessé depuis la veille. Mais dans les villes de province, ce silence des
cloches a quelque chose de lugubrement solennel ; quelques horloges publiques aussi se taisent, et l'on dirait que le temps ne va plus, parce que Dieu est mort.
Ce jour-là, dans quelques pays, la langue de fer du temps ne redisait aux hommes qu'une seule heure : Trois heures!
Heure de la mort du Rédempteur! heure qui a entendu le cri qui a fait trembler la terre, qui a fait fendre les rochers, déchirer le voile du temple, se cacher le soleil, s'entrouvrir les tombes, ressusciter des morts ; ce grand cri : CONSUMMATUM EST ! ! ! (C`est achevé)
Dans beaucoup de villes aussi, les habitants ne portent, le Vendredi saint, que des vêtements noirs, et nous avons vu de fervents catholiques ne pas vouloir se servir de
leurs voitures le jour où le Sauveur avait baigné de son sang et de sa sueur le chemin du Calvaire.
Autrefois, dans le royaume très-chrétien, la tristesse s'étendait de nos vieilles églises à nos vieux palais. Et quand les pontifes de Saint-Denis et de Notre-Dame se
couvraient du cilice et de la cendre, les successeurs de Clovis et de saint Louis se découronnaient, et prenaient des habits violets, couleur du deuil des rois.
Sans vouloir blâmer les temps actuels, nous les plaignons d'être déshérités de tous ces antiques, de tous ces pieux usages. Et nous avons beau chercher quel avantage, quelle garantie les pouvoirs humains peuvent trouver à s'isoler de Dieu : nous ne voyons que délire et vertige dans pareille pensée.
C'est un sentiment reçu sans contradiction dans toute l'Église, que les apôtres ont institué les fêtes dont les mystères s'étaient passés sous leurs yeux. Saint Augustin
met en ce rang la Passion, la Résurrection, l'Ascension, et la descente du Saint-Esprit. Mais on convient qu'en ces commencements, comme dans presque toute la suite des
siècles, la fête de la Passion ou du Vendredi saint, tout auguste qu'elle a toujours été, était une fête de prière, de travail et de mortification, plutôt que de repos et de réjouissance. Les Latins firent paraître autant de vénération que les Grecs pour ce saint jour. Ils en chômèrent la fête en plusieurs endroits. Ce ne fut qu'au milieu du seizième
siècle qu'elle fut réduite à une demi-fête, terminée à midi, après les offices du matin et avec ceux des Jeudi et Samedi saints.
Alors on redoublait ou l'on prolongeait les veilles, les mortifications, les lectures saintes et les prières. Toute la nuit se passait à jeun dans l'assemblée des fidèles ; c'était une coutume venue des apôtres mêmes ; personne n'était exempt du jeûne, hors les enfants au-dessous de sept ans. On y lisait toute la passion, selon les quatre évangélistes, divisée en douze leçons; après la nuit on continuait l'office du jour aux heures ordinaires; mais on n'y faisait point d'oblation ni de sacrifice.
Rien ne frappe plus l'âme de tristesse que l'aspect de nos églises. Le matin du Vendredi saint, la couleur violette n'a plus semblé assez de deuil ; c'est du noir, du noir,
comme pour nous autres mortels, que l'on a étendu sur l'autel du Dieu immortel. C'est sur le drap mortuaire des chrétiens que le crucifix est exposé aux adorations. Ces mots répétés d'une voix lente et triste reviennent souvent dans l'office de ce jour :
«Collocavit me in obscuris, — sicut mortuos seculi.
Posuerunt super caput ejus causam ipsius scriptam,
JESUS NAZARENUS, REX JUDE0RUM.
Christus factus pro nobis obediens usque ad mortem,
mortem autem crucis. »
Ils m'ont mis dans un lieu obscur, comme les morts du siècle ; comme ceux que l'on descend au tombeau. Ils ont mis au-dessus de sa tête une inscription pour
dire la cause de sa condamnation. Ils ont écrit : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs.
Pendant que l'on psalmodie ces versets, tous les prêtres sont à genoux sur les dalles nues du sanctuaire, et des acolytes étendent sur l'autel, sans cierges, sans ornement
aucun, devant le tabernacle vide et ouvert, une nappe de lin.
Puis un chantre dit la prophétie suivante d'Osée : « Voici ce que dit le Seigneur : Dans l'excès de leur tribulation, quand la douleur pèsera sur eux, ils se hâteront de revenir à moi ! Tenez, venez, diront-ils, retournons vers le Seigneur; c'est lui qui nous a mis en captivité ; c'est lui qui fera cesser notre servitude. C'est lui qui nous a blessés ; c'est lui qui nous guérira. Dans deux jours il nous rendra la vie , le troisième jour il nous ressuscitera d'entre les morts. Alors nous vivrons en sa présence et nous connaîtrons la puissance du Seigneur ; et nous nous attacherons à lui, comme au salut.
Il viendra à nous, comme la rosée qui tombe en son temps sur la terre.
Que te ferai-je, ô peuple d’Éphraïm ? Que te ferai-je, ô peuple de Judée ?
Seigneur, votre miséricorde ressemble à un nuage du matin, à la rosée que le soleil fait disparaître quand il se lève dans le ciel. J'ai exposé les prophètes aux tourments, à la mort, pour vous annoncer les paroles de ma bouche et pour que vous fassiez éclater votre innocence comme la lumière ; car j'aime mieux l'obéissance que les sacrifices et les riches offrandes...
Seigneur ! Seigneur ! je me suis souvenu de vos anciens prodiges, et j'ai été saisi d'épouvante. Seigneur ! Seigneur ! je le sais, vous paraîtrez sur les nuées quand les temps seront accomplis ; vous paraîtrez entre deux chérubins, et vous vous ferez connaître. Dieu paraîtra du côté du Liban, et le saint viendra d'une montagne couverte d'arbres épais. Sa gloire efface l'éclat des cieux , et la terre retentit de ses louanges ! »
Après ces prophéties, la Passion de Notre-Seigneur est chantée par trois prêtres. Ce chant, d'une haute antiquité, est dialogué : les Juifs, Pilate, Hérode, les apôtres et Jésus lui-même, parlent et se répondent tour à tour ; quand on en est venu à ces paroles, on récite : « Et inclinato capite reddidit spiritum. » Les chants cessent, un grand silence se fait dans l'église, et l'on n'entend plus que le mouvement des fidèles qui se prosternent et baisent la terre que le Sauveur a trempée de son sang.
Après la Passion, le prêtre à l'autel, fléchissant le genou et tendant les bras à chaque oraison, prie pour toute la terre, pour la sainte Église, pour le pape, pour les évêques,
prêtres, diacres et sous-diacres; pour les rois, pour les catéchumènes, pour toutes les nécessités, pour les hérétiques et les schismatiques, pour les juifs, pour les
païens et les idolâtres.
Maintenant, grands et petits, puissants et faibles, heureux et malheureux, riches et pauvres, tous vont adorer la croix. Le prêtre est à l'autel, et découvrant au peuple
une des branches de l'arbre du salut, s'écrie : Ecce lignum crucis!
Et le choeur répond :
In quo salus mundi pependit.
Puis, s' avançant du côté droit de l'autel, et dépouillant une autre branche de la croix, il dit encore : Ecce lignum crucis!
Et de nouveau les choristes répètent :
In quo salus mundi pependït.
Enfin une troisième fois il dit, du milieu de l'autel, en élevant davantage la voix :
Ecce lignum crucis.
Et la croix tout entière est alors découverte et montrée à la foule chrétienne, qui depuis bien des jours n'a vu le crucifix que voilé, et qui dans ce moment le contemple avec le front couronné d'épines, avec les mains et les pieds percés de clous, avec le côté ouvert par le fer de la lance.
Et quand le fils de l'homme est ainsi montré tout sanglant, tout meurtri des tortures de la Passion, le prêtre continue à chanter : Popule meus, quid feci Tibi? in quo contristavi te?
responde mihi. 0 mon peuple ! que t'ai-je fait? en quoi t'ai-je consisté? ô mon peuple! réponds-moi.
Parce que je t'ai délivré de la captivité ; parce que durant quarante ans je t'ai nourri dans le désert ; Parce que de la stérilité je t'ai conduit dans une terre féconde; qu'ai-je pu faire de plus pour toi? N'as-tu pas été la vigne que j'ai plantée, que j'ai gardée sous ma protection? Et tu m'as attaché à la croix! et quand j'ai eu soif, tu m'as donné à boire du vinaigre et du fiel !
0 mon peuple ! que t'ai-je donc fait, et en quoi t'ai-je contristé? ô mon peuple! réponds-moi. Pour te sauver de l'Égypte, j'ai englouti, sous les flots de la mer, le Pharaon et ses cavaliers, et tu m'as livré aux princes des prêtres ! je t'ai ouvert un passage à travers les vagues de l'abîme, et tu m'as percé le côté d'une lance! J'ai marché devant toi, colonne lumineuse de nuées et tu m'as traîné au prétoire de Pilate! je t'ai nourri de la manne qui tombait du ciel, et tu m'as souffleté et meurtri de coups! J'ai fait sortir l'eau du rocher pour étancher ta soif, et toi, tu ne m'as donné à boire que fiel et vinaigre! J'ai mis dans tes mains le sceptre de la puissance, et toi, tu as mis un roseau dans ma main et une couronne d'épines sur mon front! Je t'ai fait monter à un trône de puissance, et tu m'as élevé sur une croix !
Agios ô theos!
Agios ischiros!
Sanctus fortis!
Agios athanatos eleison imas!
Sanctus et immortalis , miserere nobis!
On le voit, dans sa profonde douleur, l'Église n'a plus assez d'une langue pour crier vers Dieu : 0 Seigneur, vous êtes fort, vous êtes saint, vous êtes immortel, ayez pitié de nous!
Il règne, dans cette partie de l'office, comme du délire; et dans ces angoisses, ces paroles si simples et qui reviennent souvent : 0 mon peuple! que t'ai-je donc fait? vont toucher les cœurs les plus froids. Ici, s'il y a des rois dans l'Église, ils peuvent prendre leur part de l'enseignement qui est donné aux puissant de la terre. S'ils ont eu à se plaindre de leurs sujets; si leur pays a répondu par l'exil et la proscription au bien qu'ils voulaient lui faire ; si ceux qui ont nourri, vêtu et abrité les pauvres, n'ont plus d'asile à eux ; si ceux qui
ont eu des palais n'ont plus une pierre pour reposer leur tête : qu'ils ne se plaignent pas trop amèrement, et qu'ils mettent leurs royales douleurs aux pieds des douleurs divines de Jésus de Nazareth, roi des Juifs, et fils de l'éternel.
Seigneur, Dieu des empires et des armées! Les hymnes et les versets douloureux de la Passion sont alternativement psalmodiés, pendant que le crucifix découvert est exposé sur un carreau de velours noir, comme un roi mort sur un lit funéraire. Pour venir baiser les pieds et les mains percés de clous , et le côté entr'ouvert du Sauveur, les plus hauts en puissance et en dignité, les rois, les archevêques, les évêques, les princes, s'il y en a dans l'église, ôtent leurs chaussures et adorent pieds nus. La foule les suit, et vient avec eux ; car il est mort pour tous ; et le mendiant qui tend la main à la porte du temple a dans le sang rédempteur une aussi grande part que le monarque et le pontife.
La veille, quand l'hostie avait été portée du maître autel à la chapelle du tombeau, toutes les pompes du sanctuaire avaient été déployées : les chapes rouges à bosses d'or, les aubes de dentelles à grands ramages, les dalmatiques orientales, la croix et les chandeliers de vermeil, l'encens le plus pur d'Arabie, les sons graves de l'orgue accompagnaient le Pange lingua.
Mais le Vendredi saint, c'est en silence, c'est en grande tristesse, sans orgue, sans magnificence, que les saintes espèces sont rapportées au sanctuaire pour être consommées par le prêtre. Après la communion , l'office est terminé , et si dans l'église la foule demeure encore, c'est que tout le peuple veut baiser la croix ; et pendant toute la journée de mort, vieillards et jeunes hommes, femmes et enfants se succèdent à cette adoration. Auprès du crucifix se trouve un plat ou de cuivre ou d'argent, où le riche et le pauvre déposent leur aumône; car ce n'est pas dans une journée de douleur que les mal heureux peuvent être oubliés.
Dès sept heures du matin, avant que les artisans soient allés à leur travail quotidien, la Passion de Notre-Seigneur a été prêchée; à trois heures de l'après-midi,
heure à laquelle Jésus-Christ est mort, elle l'est de nouveau ; dans la cité, tous les chrétiens veulent être émus au récit des douleurs d'un Dieu.
Voilà tout à l'heure deux mille ans que la Passion de Notre-Seigneur est prêchée aux fidèles : eh bien , le prêtre chrétien n'a besoin que de foi et d'amour pour faire
couler d'abondantes larmes ; il y a des sources qui ne s'épuisent jamais, et des récits qui se passent d'art et d'éloquence, de recherche et d'embellissements humains.
Je me souviendrai toujours avoir entendu un missionnaire, un pèlerin revenant de Jérusalem (M. l'abbé Forbin de Janson, aujourd'hui évêque de Nancy). Plein des
souvenirs de la ville sainte, il racontait toutes les stations de la voie douloureuse, et sa parole, vive et simple, forte et pittoresque, faisait vraiment voir la sueur, les larmes
et le sang dont le chemin du Golgotha avait été arrosé.
En l'écoutant, on avait pour ainsi dire passé les mers avec le prêtre, descendant de vieux chevaliers croisés. On se croyait tour à tour au jardin des Oliviers, au palais de Caïphe, au prétoire de Pilate : avec lui on était pèlerin, à travers toutes les stations; avec lui on gravissait la pénible montagne du Calvaire ; avec lui on frémissait, on se repentait, on priait et l'on espérait.
La journée du Vendredi saint se termine par le chant du Stabat Mater, cette hymne de maternelle douleur, que les femmes ne répètent qu'en pleurant, parce que mieux que nous elles conçoivent les angoisses de la mère assise au pied de la croix.
Oh! pour remuer les âmes, Pergolèze n'avait pas besoin de composer son immortel chef d'œuvre ; le simple chant de l'Église est, selon moi, saisissant de tristesse et
de résignation. Ce récit des douleurs de Marie peut se passer de tout la magie de l'art, de toutes les pompes des grandes églises. Au hameau, devant l'humble autel en deuil, des
femmes, des mères, alternant les strophes avec le prêtre et les deux enfants de chœur, c'est assez pour émouvoir l'âme et faire pleurer les yeux.
Que ceux qui liront ce que je dis ici ne croient pas que je veuille ôter à nos prières les ailes que la bonne musique peut leur prêter Oh! non, je me réjouis quand les arts viennent se sanctifier près des autels : la vraie mission des beaux-arts, c'est de glorifier Dieu. Mais je veux qu'en entrant dans les églises ils quittent leur air mondain, et que jamais ils n'amènent dans le sanctuaire des pensées et des ressouvenirs profanes.
Que la musique qui loue le Seigneur soit vierge , et que les hommes qui l'écoutent ne puissent pas lui dire , nous t'avons entendue ailleurs. Pour terminer ce que j'ai dit sur le Vendredi saint, je vais emprunter à un de mes amis des réflexions faites sur les lieux mêmes où le Christ a souffert, et écrites le jour de la mort du Sauveur. Ces réflexions de M. Poujoulat, éloquent auteur de l'Histoire de Jérusalem, ont un double attrait : celui du talent, et celui qu'elles ont pris dans l'aspect saisissant de ce tombeau, qui n'aura rien à rendre au grand jour de la résurrection.
SEMAINE SAINTE A JÉRUSALEM.
Vendredi saint. — A trois heures du matin, tout le monde était déjà réveillé ; les hommes reprenaient leur turban et leur ceinture, les femmes leur voile ou leur féredgé. Chaque famille était rangée autour d'un vase rempli de feu. Dès que les rayons du matin, partis du dôme, sont venus nous éclairer, je suis sorti de la chapelle de la Vierge, et me suis mis, non sans tristesse, à parcourir l'église.
A trois heures après midi, les Latins ont chanté l'office des Ténèbres; ces lugubres et saintes harmonies, qui dans ces deux derniers jours résonnaient avec tant de
charme à mon oreille, se perdaient aujourd'hui à travers les flots de peuple, au milieu d'un bruit immense : plus de quarante mille pèlerins de toutes les nations s'étaient
précipités dans l'église du Saint-Sépulcre pour assister à la cérémonie du Vendredi saint. C'est la plus imposante cérémonie que j'aie vue à Jérusalem.
Toute l'enceinte de l'église était remplie : pas le plus petit espace, pas un coin, pas un pilier, pas une grille qui ne fussent occupés ; aussi, malheureusement, la confusion était extrême. La cérémonie a commencé à sept heures du soir; je vais vous la décrire. Je marchais à côté du célébrant, et j'ai pu tout observer.
Le père vicaire célébrant et ses officiers, suivis de tous les religieux du couvent de Saint-Sauveur, se sont d'abord réunis dans la chapelle de la Vierge, dont on a fermé les portes. On avait éteint toutes les lumières de la chapelle, et, au milieu de l'obscurité la plus profonde, un jeune Père d'Italie a prononcé un discours sur les souffrances et la mort du Sauveur. Ce discours n'a été qu'un rapide abrégé de la passion du Christ, accompagné de réflexions pieuses. Qu'était-il besoin de rhétorique auprès de ces pauvres religieux, que le simple récit des douleurs du Fils de l'homme faisait fondre en larmes?
Après ce discours, les portes de la chapelle se sont ouvertes, et nous avons entendu le vaste bruit de la foule, semblable au mugissement de la mer; nos cénobites, ayant à leur tête un grand crucifix, se sont rangés deux à deux avec un flambeau à la main, et nous nous sommes mis en marche dans l'église, à travers une multitude qui se heurtait et s'ébranlait ; hommes, femmes, jeunes filles, enfants, vieillards, de toutes les nations de l'Orient. On a commencé le Miserere sur un ton des plus lamentables qu'on puisse entendre. Les jeunes Arabes élevés au couvent de Saint-Sauveur marchaient les premiers, avec la croix, chantant de leur côté le Stabat mater avec assez de charme et d'harmonie.
La procession ne pouvait avancer d'un pas sans une peine extrême, tant la foule nous pressait de toutes parts. Arrivés auprès de l'autel de la division des vêtements, nous nous sommes arrêtés; un religieux espagnol, revêtu d'une étole noire sans surplis, a prononcé un discours dans la langue de son pays, sur la triste solennité du jour. Nous étions tous debout pendant ce discours. Le célébrant était seul assis sur un siège de velours noir, brodé d'or. Deux des principaux catholiques de Jérusalem portaient ce tabouret derrière le célébrant, pendant la procession.
Je n'ai rien vu de plus beau que les ornements en velours noir, brodés d'or, qui ont servi à la cérémonie d'aujourd'hui; ils ont été envoyés par l'Espagne en 1819. Les armes de Castille brillent en filets d'or sur ces vêtements sacrés. Le sermon espagnol étant achevé, nous nous sommes remis en marche jusqu'à l'autel de l`Impropère, sous lequel on voit un débris de colonne de pierre, où s'assit le Sauveur lorsque, durant la nuit de sa passion, il fut rassasié d'opprobres; là, nous avons eu un second discours espagnol, puis nous nous sommes avancés vers le Calvaire. Au milieu d'un bruit immense, traversé par de longs cris, chacun voulait monter sur le Golgotha...
Avec une peine infinie, nous sommes parvenus à l`autel du Crucifiement. Le grand crucifix porté en tête de la procession par un religieux latin, a été posé au pied de l'autel construit à la place même où le Sauveur expira. Le Père espagnol que nous avions entendu à la station de l`Impropère, s'est agenouillé devant le crucifix et a repris son discours avec des larmes dans les yeux ; lorsqu'il en est venu à la dernière heure du Sauveur, le prêtre espagnol a éclaté en sanglots.
Pour moi, je me suis vu saisi d'un saint effroi quand j'ai entendu le cénobite, avec son étole noire et a robe de laine brune, nous raconter la mort ignominieuse de Jésus, à la place même où Jésus a été immolé!... Car j’étais là, sur le Golgotha, où la croix fut plantée; car je foulais la montagne qui a bu le sang du Christ!!!
Que de tristesses! que de pensées! un Dieu qui se fait homme pour mourir , et pour mourir innocent! N'y a-t-il pas dans ce mystère un touchant exemple , une consolation sublime pour l'humanité? Le monde avait besoin de voir mourir un Dieu pour que l'image du trépas fût moins horrible. L'homme pouvait entrer avec moins de douleur dans le sépulcre, après que Dieu lui-même y était entré.
Pauvres humains qu'a frappés le glaive de l'injustice, regardez cette croix où périt le saint des saints! Vous, mortels de génie , et qui, méconnus de vos contemporains , ne recueillez que l'indifférence dédaigneuse, ou les humiliations; nobles enfants de la terre, marqués au front du sceau immortel, dont les jours se consument en brûlantes pensées, levez les yeux vers le père de l'Évangile, le régénérateur et le Sauveur du monde , suspendu au bois infâme! C'est là son trône et son autel ; et sa couronne !... Regardez-la, c'est une couronne d'épines!
«Dans la prison, dans l'exil, sur l'échafaud, que de victimes ont pu s'écrier, comme le Christ sur le Golgotha. Mon Dieu! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné?
ELI ! ELI ! LAMMASABACTHANI !
Le crucifix de la procession a été planté à l'endroit même où fut plantée la croix du Sauveur. Après un long discours sur la passion, un religieux a dévotement attaché une écharpe blanche au bras du Christ, lui a ôté sa couronne d'épines, et a décloué ses pieds et ses mains avec un marteau et une tenaille. La couronne et les clous enlevés ont été tour à tour baisés respectueusement par le prêtre , montrés à l'adoration des fidèles, puis déposés dans un bassin d'argent. A mesure qu'un bras du Christ était déployé , le bras tombait de lui-même , comme le bras d'un mort.
Ensuite, on a descendu le Christ de la croix, de la même manière que le Sauveur après qu'il eut expiré ! Ce spectacle me faisait frissonner : j'assistais à cette scène si terrible et si solennelle, qui ensanglanta le Calvaire il y a dix-huit siècles!...
L'impatiente curiosité de la multitude n'avait pu que s'accroître. Et au milieu du vaste murmure, on distinguait les cris des petits enfants, les gémissements des
femmes et des jeunes filles, que la foule étouffait. Quelques jeunes filles arméniennes s'étaient jetées vers moi , en me suppliant de les défendre et de les garder à mes
côtés pendant la cérémonie.
Nous sommes descendus de la sainte montagne pour nous rendre à la Pierre de l'Onction, où le fils de Marie fut embaumé. Le Christ a été enveloppé dans un
linceul, et quatre religieux, revêtus d'une étole noire , l'ont porté pieusement comme on porte un cadavre. Un voile blanc recouvrait la Pierre de l` Onction. On y avait placé un coussin de velours noir sur lequel devait être posée la tête de Jésus. Aux quatre angles de la pierre était un vase d'argent renfermant des aromates et des eaux de senteur. Le Christ ayant été posé sur le marbre sacré , le célébrant s'est agenouillé pour arroser l'image du Sauveur d'essence de rose, et brûler autour d'elle de précieux parfums.
Après quelques instants de recueillement, le Père latin, qui remplit à Jérusalem les fonctions de curé, a prononcé, en arabe, un discours qui s'adressait aux catholiques du pays; il était monté sur un des piliers qui avoisinent la porte de l'église , et tous les assistants, même les musulmans , l'ont écouté avec une religieuse attention. Ce discours achevé, nous nous sommes avancés du côté du tombeau. Quatre religieux portaient le Christ dans un linceul blanc. L'image sainte a été déposée sur la pierre du sépulcre. Nous avons entendu un dernier discours en langue espagnole, et c'est ainsi que s'est terminée la lugubre cérémonie.
En cherchant à décrire les cérémonies du Jeudi et du Vendredi saints, j'ai fait remarquer qu'il n'y avait aucune uniformité dans les différentes églises pour le décor de la
chapelle où l'hostie consacrée est déposée pendant deux jours. Dans quelque villes, cet autel est lugubre comme un tombeau; dans d'autres, radieux de fleurs et de cierges,
comme un reposoir de la Fête-Dieu. Je le dis avec quelque timidité, mais je crois que l'unité vaudrait mieux que cette dissemblance qui peut étonner : car si la pensée
de la cérémonie est une commémoration de mort, il vaudrait mieux que la chose extérieure ressemblât partout à un sépulcre.
Aujourd'hui surtout, que l'on aime à donner à tout son aspect historique et véritable, ne serait-il pas très-facile que chaque église arrangeât , le Jeudi et le Vendredi
saints, une de ses chapelles sur le modèle exact du saint sépulcre de Jérusalem , tel qu'il est encore aujourd'hui. Cette représentation vraie, pied pour pied et pouce pour pouce, de la partie la plus sacrée des Saints-Lieux, coûterait peu à établir; et je ne sais si je me trompe, mais il me semble que la piété ne pourrait que gagner à cette copie fidèle.
La pierre fendue du tombeau serait l'autel , qui porterait les saintes Espèces recouvertes d'un voile simulant le linceul ; et les lampes qui brûlent sans cesse devant le saint Tombeau à Jérusalem, et qui y ont été envoyées en offrandes par tous les souverains de la chrétienté, ne seraient pas difficiles à copier, et répandraient une mystérieuse lueur à l'entour de l'hostie ; là se verrait aussi la pierre où l'ange vêtu de blanc et de splendeur a apparu aux saintes femmes.
Les proportions de ce saint sépulcre , qui a fait se lever en armes une partie du monde , qui a mis sur pied des millions de guerriers pour l'aller délivrer des profanations des infidèles, ne sont pas grandes. Ce tombeau, creusé dans le roc, ressemble à une petite chambre presque carrée , haute de huit pieds et un pouce, depuis le sol jusqu'à la voûte ; longue de six pieds un pouce , et de quinze pieds dix pouces de large.
On entre dans ce petit espace par une porte très-abaissée ; cette porte se fermait par une pierre du même roc que celle du tombeau ; et c'est sur cette pierre que les
princes des prêtres appliquèrent leur sceau , pour retenir leur victime dans les ombres de la mort. . . Vains efforts! Jésus, quand l'heure fut venue, remua dans sa tombe de pierre, et tout fut brisé! Qui aurait pu retenir le Dieu fort à son réveil ?
0 mort ! où est ton aiguillon?
0 mort! où est ta victoire?
Je me souviens avoir vu, au Mont Valérien, attenant à l'église que les missionnaires de cette grande et belle solitude élevaient dans des temps meilleurs , une exacte et
véritable imitation du saint sépulcre. C'est là que l'on pourrait aller prendre, sans aucune dépense , le modèle que j'ai osé conseiller.
Quelques marguilliers qui aiment à se mêler de l'embellissement de nos églises , seraient peut-être contristés si le projet que j'indique était réalisé; car alors, ils ne pourraient plus déployer chaque année les trésors de leur imagination; mais je me persuade que l'on parviendrait à se consoler de leur tristesse , si le peuple chrétien, si la foule pieuse apprenait à connaître le lieu le plus saint , le plus sacré qui soit sur notre globe ; lieu que la France très-chrétienne protégeait puissamment autrefois; lieu que les anachorètes et les solitaires venaient voir de loin ; lieu que des religieux de toutes les nations gardent aujourd'hui, et souvent au péril de leur vie.
Dernière édition par MichelT le Ven 26 Jan 2018 - 0:38, édité 13 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
14 – Le Samedi Saint
Quand on s'est enfoncé dans les profondeurs de la grande semaine , quand on a laissé aller son esprit aux inspirations que les cérémonies , que les offices de ce temps font naître , on est vraiment comme accablé de tant de grandeur. Les psaumes qu'on a lus, les hymnes qu'on a entendu chanter, les lamentations d'Isaïe et de Jérémie que l'on a écoutées, ont nourri notre âme d'émotions fortes et de grandes pensées. On a pour ainsi dire vécu avec les prophètes et les rois d'Israël ; on s'est élevé avec eux bien au-dessus des choses de la terre, et l'on éprouve quelque peine à revenir aux paroles vulgaires de la vie.
Mais le Samedi saint nous fait rester encore dans ces hautes régions; peu de jours dans l'année chrétienne sont aussi remplis de symboles que celui-ci. L'Église honore en ce jour le repos mystérieux que Jésus-Christ a gardé dans le sépulcre, et rappelle en même temps la descente aux enfers du vainqueur de la mort, alors qu'il alla retirer des ténèbres des limbes les âmes des patriarches et des justes qui avaient attendu et annoncé le Messie.
La sépulture de Notre-Seigneur , dit l'historien des fêtes catholiques, est un mystère que l'Église semble n'a voir voulu célébrer que par son silence, car l'office relatif à cette sépulture se termine à l'heure de None. D'ailleurs, comme la veille de Pâques est la première de toutes les veilles en dignité, et qu'elle est plus chargée de pratiques et d'observations, l'on a avancé les offices de cette nuit au jour qui la précède.
Dans les premiers siècles de l'Église, cette veille se continuait jusqu'au point du jour du dimanche par les fidèles de tout état, la plupart à jeun depuis le vendredi, et quelques-uns du jeudi depuis le souper. On avait grand soin de recommander de ne point finir les offices de cette célèbre veille avant le chant du coq.
C'était alors que l'on offrait le sacrifice, que l'on communiait, et que l'on rompait enfin le jeûne du Carême. Ainsi les fidèles passaient dans l'église d'un soleil à l'autre. Cet usage a cessé chez les Latins depuis que l'on a commencé les offices de la veille de Pâques dès le matin à l'heure de Tierce du samedi ; mais cette coutume subsiste toujours chez les Grecs.
Aujourd'hui cette fête du Samedi saint est presque partout remise à la dévotion des particuliers, elle n'est plus chômée. Pour être célébré avec pompe, le Samedi saint est trop voisin de la plus grande des fêtes chrétiennes. Aussi, si vous entrez ce jour dans une de nos églises, malgré la poésie et les images des cérémonies, vous n'y trouverez
pas la foule des journées précédentes.
Ce qui attirait autrefois beaucoup de monde à l'office du Samedi saint, c'était le baptême des catéchumènes. Vers le midi, on les amenait à l'église ; là on les catéchisait pour la dernière fois, et ils devaient prouver qu'ils étaient suffisamment instruits pour être admis dans la communion des fidèles.
Ils récitaient à haute voix le Symbole des apôtres et l'Oraison dominicale ; puis l'évêque allait par les rangs faisant le signe de la croix sur le front de chacun, et après cela, leur imposant les mains, il les exorcisait. Dans cette cérémonie , il imitait ce qu'avait fait le Sauveur ; il leur touchait les yeux et les oreilles avec de la salive, leur disant : epheta, ce qui signifie : ouvrez-vous. Alors les yeux qui avaient été fermés aux clartés divines, alors les oreilles qui ne s'étaient pas encore ouvertes aux paroles du salut, voyaient et entendaient; et ceux qui avaient désiré avec ferveur et qui avaient vécu avec pureté, étaient admis à nos sacrés mystères.
Et pour prouver à tous que ces nouveaux chrétiens étaient prêts à combattre pour la foi qu'ils embrassaient, et qu'ils étaient devenus des athlètes du Christ, sur leurs poitrines, sur leurs épaules nues, l'évêque répandait l'huile de l'onction , l'huile qui rend fort dans l'arène ! Un peu plus tard , après la bénédiction des fonts, le baptême par immersion avait lieu ; les parrains présentant les jeunes garçons, et les marraines amenant les jeunes filles, les prêtres recevaient les catéchumènes de leurs mains, puis avec la chasteté du sanctuaire savaient éloigner les inconvenances ; et la triple immersion pour ceux qui étaient forts, et la simple immersion pour ceux qui étaient débiles et faibles, avaient lieu en toute pureté.
Au sortir de la piscine régénératrice, tous les baptisés étaient présentés au ministre de l'autel, qui leur donnait l'onction du saint-chrême, leur faisant, avec le pouce, le signe de la croix sur le haut de la tête.
Puis les nouveaux chrétiens revêtaient de longues robes blanches , sans taches et sans souillures , emblème d'innocence et de virginité. Ainsi vêtus, et purs comme des anges, ces jeunes hommes et ces jeunes filles étaient amenés devant l'évêque, qui faisait sur eux la prière de la confirmation, invoquant sur ces enfants de l'Église les sept dons du Saint-Esprit!
Purifiés par le baptême, fortifiés par la confirmation, les néophytes venaient en chantant les litanies des saints, des saints dont ils étaient devenus les frères, assistera la messe, où ils communiaient tous. Ces cérémonies du baptême et de la confirmation se pratiquaient, dès le huitième siècle, le Samedi saint; et c'était une des choses qui donnaient le plus de pompe religieuse à cette journée.
Aujourd'hui qu'il n'y a plus de ces jeunes catéchumènes avec leurs robes blanches et leurs bandeaux de lin; aujourd'hui que l'on ne baptise plus par immersion, et que nos temples n'ont plus de ces grandes piscines où l'on se plongeait par trois fois, l'office de la veille de Pâques est très-simplifié ; cependant il lui reste encore la bénédiction des fonts et du feu nouveau, et le cierge pascal : toutes choses qui rappellent une haute antiquité.
La bénédiction du feu nouveau vient après None. Alors le prêtre officiant, revêtu d'une chape violette, descend de l'autel, et, accompagné du diacre et du sous-diacre, traverse l'église dans toute sa longueur, et près du porche d'entrée, bénit ainsi la flamme qui n'a servi à aucun usage profane, la flamme qui doit brûler dans la lampe, devant le Saint des saints : « 0 Dieu! qui par votre Fils, pierre angulaire de l'Église, avez allumé le feu de votre charité dans les cœurs, daignez sanctifier ce feu nouveau que nous venons de tirer d'un caillou pour servir à nos usages, et faites que durant ces fêtes de Pâques nous soyons enflammés de désirs tout célestes, afin qu'étant purs, nous puissions arriver à la solennité des fêtes de votre éternelle gloire, par Jésus-Christ, Notre-Seigneur.
« Créateur de toutes lumières, bénissez celle-ci! Seigneur, vous avez été la lumière d'Israël ! Seigneur, vous avez été la colonne de feu dans le désert ; Seigneur, bénissez ce feu nouveau ! »
Alors un acolyte met le feu dans l'encensoir, et le prêtre répand dessus quelques gouttes d'eau bénite en disant :
Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : lavabisme, et super nivem dealbabor.
Le diacre en dalmatique prend un cierge à trois branches et formant un triangle; puis, l'ayant allumé, il retourne vers l'autel en chantant : Lumen Christi!
Il demande ensuite au célébrant de le bénir, pour qu'il soit digne d'annoncer la Pâque. Puis vient la bénédiction du cierge pascal. Le cierge pascal remonte au sixième siècle, et voilà son origine :pour éclairer la veillée de Pâques, la plus solennelle de toutes les veillées saintes, les fidèles plaçaient au milieu de l'église une haute colonne de cire , et de sa grosse mèche enflammée s'élevait et tombait la lumière.
On regardait cette torche, ou ce cierge, comme le symbole de Jésus-Christ debout au milieu de son Église pour l'éclairer et la guider. Les prières dites à cette bénédiction sont pleines d'enthousiasme poétique : « Que les anges du ciel , que la milice d'en haut se réjouisse et tressaille d'allégresse, et que le son des trompettes annonce nos sacrifices de joie ! Que la terre soit dans le bonheur et qu'elle jouisse de la lumière glorieuse qui lui est venue !
«Et toi, notre mère, Église sainte, réjouis-toi aussi; te voilà rayonnante de la lueur du flambeau divin, du flambeau qui éclaire le monde ! Que le lieu saint retentisse des transports de la joie des peuples ; que les acclamations de la terre montent vers le ciel! Ensuite le prêtre enfonce dans la cire du cierge cinq grains d'encens bénit.»
Dans les premiers siècles, le cierge pascal ne servait que dans la nuit de la veille de Pâques. A présent on le laisse dans le sanctuaire, en face de l'autel , jusqu'à la fête de l'Ascension ; ce flambeau symbolique représentant Jésus-Christ, on ne le retire de l'église que lorsque le Sauveur est remonté au ciel. Dans quelques pays, alors que l'année commençait à Pâques, on écrivait sur le cierge pascal les cycles, les principales époques, les grands anniversaires d'événements religieux.
Quand le prêtre avec le triple flambeau allume le cierge pascal et les lampes de l'église, il dit : « Seigneur, que ce cierge et ces lampes, qui sont consacrés en l'honneur de votre nom, brûlent pendant toute cette nuit pour en dissiper l'obscurité, et que, s'élevant comme un parfum agréable, leurs lumières se mêlent avec celles des flambeaux célestes.
« Que l'astre du matin les retrouve encore allumés! »
Après cette cérémonie, les prêtres, en ornements violets, lisent les prophéties. Dans ces pages inspirées, quelle suite de magnifiques tableaux !
C'est Dieu assis dans sa puissance, et avant les temps, fécondant le chaos pour en tirer le monde : la terre avec ses arbres, ses fleuves et ses montagnes ; la mer avec ses profondeurs et ses abîmes, le firmament avec ses étoiles, la lune et le soleil, et la lumière naissant d'un mot!
C'est le patriarche Noé sauvé du déluge, et les grandes eaux qui montent, et l'arche qui surnage, et le corbeau qui se perd, et la colombe qui revient avec le rameau d'olivier !
C'est Dieu demandant à Abraham un sacrifice qu'il n'eût pas exigé d'une mère ; c'est l'ange arrêtant le bras du père d'Isaac; c'est Isaac sauvé.
C'est le Dieu des armées lui-même, l'Éternel, sème la terreur et la mort parmi les Égyptiens, et engloutissant dans les flots les cavaliers, les chevaux, les chars, le roi, et l'armée tout entière!
C'est le Seigneur, disant à Israël que l'impie abandonne sa voie, et le méchant ses pensées d'injustice; qu'il revienne à Dieu, et Dieu lui fera miséricorde, car les pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes, et les voies du ciel ne sont point semblables aux chemins de la terre ; autant le ciel est au-dessus de la terre, autant les pensées de Dieu sont au-dessus des pensées des hommes. Et comme les pluies et les neiges, quand elles sont tombées des nuages, ne remontent plus, mais restent sur les champs pour les fertiliser, ainsi la parole du Seigneur, quand elle est une fois sortie de sa bouche, doit porter ses fruits.
Plus loin, c'est le prophète Baruch qui s'écrie : « D'où vient, Israël, que tu habites parmi tes ennemis? d'où vient que tu as vieilli dans une terre étrangère? « Pourquoi es- tu semblable à un mort qui pourrit dans le sépulcre? « Pourquoi es-tu pareil aux habitants des tombeaux? « Oh! je le sais bien, c'est que tu as éloigné tes pas des sources de la sagesse, c'est que tu as cessé de marcher dans les sentiers du Seigneur! Si tu étais resté fidèle, la paix éternelle eût été ton partage, ô Israël ! Apprends où sont les trésors, la prudence, la force et l'intelligence; apprends-le pour savoir où est la durée de la vie; apprends-le pour savoir d'où viennent la vraie lumière des yeux et la vraie paix de l'âme. Dis . où sont les princes des nations qui commandaient aux hommes et qui domptaient les animaux, qui se jouaient avec les oiseaux du ciel , et qui entassaient l'or et l'argent dans leurs trésors; où sont-ils? Ils sont disparus de la terre, ils sont descendus aux enfers, et d'autres ont pris leur place!
«0 Israël! que la maison du Seigneur est belle et vaste ! que son étendue est immense ! C'est là que furent, dès les premiers temps, ces géants renommés d'une si haute taille et si forts dans la guerre. Le Seigneur ne les a point gardés, et ils n'ont point trouvé la sagesse, et eux aussi ont disparu de la terre! Qui est monté au ciel pour prendre la sagesse? Ou qui l'a fait descendre des nuées? Qui a traversé les mers pour la chercher, et qui l'a préférée à l'or? »
Après Baruch c'est Ézéchiel ! Ézéchiel qui a sa grande vision des morts Écoutez!
« En ce jour-là la main du Seigneur me toucha, sa voix me dit : « Lève-toi. » Je me levai, et, ravi en esprit, l'ange de Dieu me porta au milieu d'un champ tout couvert d'ossements de morts; et le Seigneur m'ayant fait tourner autour de tous ces os blancs et desséchés, me dit : « Fils de l'homme, crois-tu que tous ces ossements puissent reprendre la vie?
— « Seigneur, mon Dieu, vous le savez.
— « Prophétise sur eux , et dis à ces ossements :
«Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur.
« Il a dit : je vais vous ranimer, et vous vivrez de nouveau; je vous rendrai des nerfs, et je vous recouvrirai de chair; vous vous tiendrez debout, et vous reconnaîtrez que je suis le Seigneur! »
Je me mis à prophétiser pour obéir au Seigneur, et pendant que ma voix s'élevait sur les morts, voici tout à coup qu'un grand bruit retentit dans le champ : c'était celui que faisaient tous ces ossements qui se mouvaient, se cherchaient, se heurtaient, s'emboîtaient et reprenaient leur place ; puis les squelettes reprirent des nerfs et se revêtirent de chair et de peau. Mais ainsi revêtus ils demeuraient couchés et immobiles, car ils étaient encore inanimés. « Le Seigneur me dit : « Fils de l'homme , prophétise encore, et dis à l'esprit : Voici ce que commande le Seigneur : « Esprit, viens du midi et du septentrion, du couchant et de l'aurore ; viens des quatre régions des vents , viens et souffle sur ces morts pour les rendre à la vie. »
« Je prophétisai pour obéir au Seigneur , et à l'instant l'esprit entre dans tous ces os revêtus de chair, les anime; et les voilà qui se meuvent, qui se dressent, qui se lèvent et qui se tiennent debout sur leurs pieds, tous rangés dans le champ comme une grande armée! « Alors le Seigneur me dit : « Fils de l'homme, tous ces os représentent les enfants d'Israël : Nos os, disent-ils, sont desséchés, c'en est fait de nous, nous n'avons plus d'espérance. Prophétise donc encore, et dis-leur: Voici ce que dit le Seigneur : « 0 mon peuple ! je vais ouvrir tes sépulcres , et je ferai sortir tes morts de leurs tombeaux , et je vous emmènerai dans la terre d'Israël ; et quand je vous aurai ainsi délivrés de la mort, vous connaîtrez que je suis votre Dieu, et vous vivrez dans la paix! »
Après cette vision, un autre prophète succède à Ézéchiel.
Jésus-Christ délivre les bons bloqués dans les Enfers
Celui-là voit la terre dépeuplée d'hommes, et les femmes pleurant sur leur viduité ; mais bientôt le rejeton du Seigneur poussera du milieu des ruines, et fera éclater sa puissance et sa gloire ; et ceux d'entre les enfants d'Israël qui n'auront pas succombé aux malheurs de leur nation seront comblés de joie. Ceux qui seront demeurés dans Jérusalem, ceux qui ne seront point descendus de la colline de Sion seront appelés saints , et leurs nom seront inscrits par l'ange dans le livre de vie !
Jonas vient à son tour ; le Seigneur lui a dit d'aller crier malheur, malheur à Ninive : le voilà... Or, Ninive était une grande ville de trois journées de chemin. Jonas marcha un jour entier dans la ville, répétant dans les rues, sur les places, en face des palais, en face des temples : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Ces paroles furent entendues du peuple ; le peuple crut à la parole du prophète, et, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, tous se mirent à jeûner, tous se revêtirent de sacs et se couvrirent de cendres. Et le roi, ayant appris ce qui se passait dans sa ville, descendit de son trône, et, ayant dépouillé ses habits royaux, se couvrit aussi d'un sac et s'assit sur la cendre. Par son ordre, un héraut alla criant par la ville, que les hommes, que les chevaux, que les bœufs et tous les animaux, soient privés de nourriture, et que l'eau même ne leur soit pas donnée pendant les jours de pénitence. Et Ninive tout entière ayant jeûné, pleuré et prié, le Seigneur eut égard à son repentir et à sa pénitence, et elle fut sauvée; Dieu prit compassion de son peuple.
Les paroles de Moïse viennent après celles de Jonas. Après que Moïse eut écrit dans un livre les sentences de la loi, il dit aux lévites qui portaient l'arche d'alliance : Prenez ce livre et placez-le à côté de l'arche d'alliance du Seigneur; placez-le là, afin qu'un jour il serve de témoignage contre vous, ô enfants d'Israël ! . . car je connais votre opiniâtreté et votre amour de la rébellion ; tandis que j'ai vécu au milieu de vous, vous vous êtes souvent révoltés contre le Seigneur : que sera-ce quand je n'y serai plus! Assemblez donc les anciens et tous les docteurs des tribus ; je leur ferai entendre mes paroles, et je prendrai à témoin le ciel et la terre contre ceux qui les transgresseront... Mon âme devient triste quand je pense qu'après ma mort vous quitterez la voie dans laquelle je vous conduisais, Israël! Israël! ton iniquité allumera la colère du Seigneur !
Nous ne sommes plus à Ninive, plus dans le camp de Moïse; l'esprit nous a portés à Babylone la superbe, à Babylone, la prostituée des nations. Écoutez : En ces jours-là, le roi Nabuchodonosor fit faire une statue d'or de soixante coudées de haut et large de six. Il la fit placer dans le champ de Dura, en la province de Babylone. Et quand elle fut là élevée, Nabuchodonosor ordonna aux princes, aux magistrats, aux juges, aux capitaines, aux intendants, aux gouverneurs des provinces, aux peuples des villes et des campagnes, aux riches et aux pauvres, aux grands et aux petits, de s'assembler et d'assister à la dédicace de cette statue.
Et quand toute cette multitude fut réunie dans la plaine de Dura, les hérauts du roi se mirent à crier : Peuples et tribus de différentes contrées et de langues diverses, il vous est ordonné de vous prosterner et d'adorer la statue du grand Nabuchodonosor ; vous tomberez donc la face contre terre quand vous entendrez le son des trompettes, des cythares, des flûtes, des tympanons, des timbales et d'autres instruments. Et si quelqu'un d'entre toute la foule ne se prosterne pas et n'adore pas la statue du roi, il sera pris et jeté incontinent dans une fournaise ardente.
A peine donc les peuples eurent-ils entendu le son des trompettes, des harpes, des cythares, des flûtes, des tympanons, des timbales et d'autres instruments de musique, qu'ils se prosternèrent tous et adorèrent, la face contre terre, la statue de Nabuchodonosor. Mais les Chaldéens vinrent au roi et lui dirent : 0 grand roi ! que tes jours soient éternels! Tu as ordonné que tout homme se prosternerait et adorerait, la face contre terre, ta statue, alors que retentiraient les trompettes, les harpes, les cythares, les flûtes, les tympanons et les timbales; tu as ordonné que celui qui n'obéirait pas sera pris et jeté incontinent dans une fournaise ardente. Et bien, trois Juifs, que toi, ô grand roi! tu as établis intendants de la province de Babylone, Sidrach, Misachet Abdenago, méprisant ton édit, n'ont point adoré ta statue d'or. Alors Nabuchodonosor, entrant dans une grande colère, ordonna qu'on lui amenât Sidrach, Misach et Abdenago. Et quand ils furent devant lui, Nabuchodonosor leur dit :
Est-il vrai que vous ne vouliez adorer ni mes dieux, ni la statue d'or que j'ai fait élever?... Les trompettes, les harpes, les cythares, les flûtes, les tympanons et les timbales vont de nouveau se faire entendre, et si vous ne vous prosternez pas, et si vous n'adorez pas, vous serez pris et jetés incontinent dans la fournaise ardente. Quel Dieu pensez-vous
qui puisse alors vous délivrer de mes mains ?
Sidrach, Misach et Abdenago répondirent au roi : Il ne nous appartient pas de répondre à ce que vous nous demandez. Seulement, nous vous disons que le Dieu que nous adorons peut nous arracher de vos mains et nous sauver de la fournaise ardente ; mais il ne voudrait pas étendre sa main sur nous pour nous délivrer, que nous n'adorerions encore ni vos dieux ni votre statue.
A ces mots, un grand changement se montra sur le visage de Nabuchodonosor, et tout de suite il ordonna que la fournaise fût allumée sept fois de plus que de coutume ; et par les plus vigoureux soldats de son armée il fit lier les pieds à Sidrach, Misach et Abdenago, et commanda qu'ils fussent ainsi tous les trois jetés dans les flammes.
Comme le roi l'avait ordonné, les trois enfants d'Israël furent pris, garrottés, et, encore avec leurs robes de fêtes, leurs chaussures et leurs tiares, précipités dans la fournaise, plus ardente qu'elle ne l'avait jamais été. Elle était si embrasée, que les soldats qui s'en étaient approchés pour y jeter Sidrach, Misach et Abdenago, furent à l'instant consumés. Mais les trois Israélites qui avaient été précipités tout liés dans la fournaise, se mirent à marcher libres au milieu des flammes, louant et bénissant Dieu!
Certes, voilà une suite de tableaux assez remplis de poésie ! j'ai pris plaisir à les redire, car il y a bien des catholiques qui entrent le Samedi saint dans nos églises, et qui ne se doutent pas de la sublimité des offices de ce jour, Quand on lit cet office avec attention, on dirait que l'Église, au moment de célébrer la grande fête de la résurrection, veut prouver, par les faits du passé, la puissance du Dieu qui va briser la pierre du tombeau et triompher de la mort. Pour mieux faire adorer Jésus-Christ, elle redit l'histoire de Dieu, et met les prodiges de l'ancienne loi auprès des miséricordes et des espérances de la loi nouvelle.
Après cette longue suite de prophéties entremêlées d'oraisons, le célébrant de l'office procède à la bénédiction des fonts : là encore les prières sont belles et touchantes. « 0 Dieu, dont l'esprit était porté sur les eaux, à la naissance du monde, pour imprimer dès lors à cet élément la vertu de purifier les âmes ! . . . Dieu qui , en lavant les iniquités du monde criminel, avez montré dans le déluge même une image de la régénération, afin que par un admirable mystère le même élément fît mourir les vices et naître les vertus ; ô Seigneur ! jetez les yeux sur ces eaux, et sanctifiez-les ! »
Puis, touchant l'eau avec la main, et faisant sur elle le signe de la croix, le prêtre ajoute : Que cette eau, innocente et sainte créature, soit à couvert des entreprises de l'ennemi, et qu'elle soit purifiée par ton souffle, ô Seigneur! Qu'elle soit une source de vie, une source de grâce et de régénération. Et que celui qui sera lavé dans cette eau soit purifié par le Saint-Esprit ! Eau, je vous bénis par le Dieu vivant, par le Dieu véritable, par le Dieu saint, par ce même Dieu qui, au commencement des temps, vous sépara de la terre par sa parole ; ce Dieu dont l'esprit était porté sur les eaux ! »
A ces mots, le célébrant divise l'eau avec la main, et en jette vers les quatre points cardinaux, disant : « Je te bénis encore, par ce Dieu qui te fit couler en quatre fleuves dans le paradis terrestre, en t'ordonnant d'arroser toute la terre. Je te bénis par ce Dieu qui te fit jaillir d'un rocher ; je te bénis aussi par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui te changea en vin, aux noces de Cana ; je te bénis par le Sauveur qui marcha sur tes Ilots ; je te bénis par celui que Jean baptisa dans le Jourdain ; je te bénis par Jésus-Christ sur la croix qui te fit couler de son côté avec du sang, et qui commanda à ses disciples de baptiser en toi ceux qui croiraient en lui. »
Soufflant sur l'eau, le célébrant ajoute : «Seigneur, bénissez vous-même ces eaux pures, afin qu'elles ne lavent pas seulement les corps, mais qu'elles aient encore la vertu de purifier les âmes. » Plongeant par trois fois le cierge bénit dans l'eau, le prêtre répète : « Que la vertu du Saint-Esprit descende sur toute la substance de cette eau, et qu'elle lui communique la fécondité et la puissance de régénérer! » L'officiant prenant le cierge, et faisant couler trois fois de la cire dans l'eau, en forme de croix, dit : «Que ces fonts soient sanctifiés et rendus féconds, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! »
Puis, y versant trois fois de l'huile des catéchumènes ; « Que le mélange de l'huile d'onction et de l'eau baptismale se fasse au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! »Répandant du saint-chrême dans l'eau : « Que le mélange du chrême de sanctification, de l'huile d'onction, et de l'eau du baptême, se fasse au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! » Et les fidèles répondent : ainsi soit-il.
Ce mot est peut-être prononcé légèrement par beaucoup; et cependant, si ceux qui le disent y réfléchissaient, ils le trouveraient bien grave en cette circonstance : car cette eau qui vient d'être sanctifiée en leur présence, et à la bénédiction de laquelle ils ont aidé par leurs prières, cette eau sera versée sur le front de leurs enfants, à leur venue dans le monde ; quand eux-mêmes seront gisants sur leur lit de mort, quand le râle de leur agonie fera souffrir et pleurer autour d'eux, une main pieuse aspergera de cette même eau leurs membres déjà glacés.
Oh ! il n'y a rien de futile, rien qui ne doive faire méditer dans les cérémonies du catholicisme ; cette eau qui se trouve à la porte de nos églises, ou dans des coupes de marbre, ou dans de vastes coquilles, ou dans des piscines de pierre , est destinée aux berceaux et aux tombes, aux vivants et aux morts.
Quand la bénédiction des fonts est terminée, les litanies de tous les saints sont chantées à l'autel ; l'Église convie ainsi tous les saint; du ciel à la grande fête de la terre. Depuis le Jeudi saint, depuis le moment où l'hostie a été portée à la chapelle du tombeau, toutes les tours, tous les clochers, toutes les flèches des églises ont fait silence ; aucune sonnerie ne s'est fait entendre dans les villes; mais quand le prêtre entonne le Gloria in excelsis, alors de joyeuses volées partent de toutes les paroisses, et accompagnent les alléluia, qui préludent déjà à la fête du lendemain... Cet instant est la vraie fin du deuil des quarante jours; car l'Évangile a annoncé la résurrection.
Autrefois, les nouveaux baptisés communiaient tous après le prêtre et le clergé, et ils étaient suivis de tout le peuple. Ce que l'on observait à l'égard des petits enfants à la mamelle que l'on baptisait la veille de Pâques avec les autres, était de ne leur point, donner le corps de Jésus-Christ sous l'espèce du pain, quand ils ne mangeaient pas
encore. On se contentait de les faire communier du sang précieux, que l'on prenait pour eux dans le calice avec une cuiller, pour le leur verser dans la bouche ; on leur faisait ensuite prendre du vin ordinaire, comme aux autres baptisés, ce qui était en usage dans le quatrième siècle.
Dans cet usage de faire communier les tout petits enfants, on retrouve tout de suite un vif souvenir de cette tendresse que le Sauveur montrait aux petits enfants; les apôtres, les disciples, les contemporains de Jésus-Christ, l'ayant vu pendant son passage sur la terre laisser venir jusqu'à lui les petits enfants, les prenant sur ses genoux et
les bénissant, avaient voulu , après sa mort, continuer cette prédilection envers les innocentes créatures que le fils de Marie avait aimées, et que le baptême venait de rendre aussi pures que des anges. Un enfant baptisé et qui n'a pu pécher encore, c'est un ange de la terre; son innocence vaut mieux que bien de nos vertus !
15 – Pâques
Voici le jour qu'a fait le Seigneur, le grand jour, le plus grand des jours des chrétiens, le jour de délivrance! Aussi, il y a dans l'air, au-dessus des cités, au-dessus des campagnes, comme un grand cantique, comme un hymne de joie qui résonne. Dès la première aube du matin, les cloches ont joyeusement annoncé la fête. La terre, depuis quarante jours enveloppée de pénitence et de deuil, ressuscite aussi à la joie ; et chacun sort de sa demeure avec ses plus beaux habits. Ce jour-là, nos plus vastes églises sont trop petites; car les plus indifférents, en cette sainte journée, se croient dans l'obligation de venir à leur solennité. Il est vrai que la religion y a déployé toutes ses pompes ; les autels ont repris leur magnificence, leurs bouquets de fleurs, leurs reliquaires, leurs chandeliers d'or ; plus de voiles sur les saints, plus rien qui cache les anges adorateurs.
L'encens fume à gros nuages dans le sanctuaire ; le velours et le brocart rouge revêtent les prêtres ; la mitre brille au front du pontife, et la crosse resplendit dans sa main ; les
cierges brûlent de chaque côté du tabernacle, qui domine la radieuse eucharistie ; et les diacres et les sous diacres, et les chanoines et les acolytes, et les chantres et les enfants de chœur, portent des flambeaux allumés, et chantent ces paroles en faisant le tour de l'église, à travers les flots pressés de la foule : « Un ange du Seigneur est descendu du ciel, et, renversant la pierre, il s'est assis dessus; puis, s' adressant aux femmes, il leur a dit : Ne craignez point, car je sais que vous cherchez Jésus. Il est ressuscité; venez, et voyez le lieu où le Seigneur avait été couché. Alléluia! Alléluia !»
«Et lorsqu'elles Furent entrées dans le sépulcre, elles virent assis, au côté droit, un jeune homme vêtu de blanc; et ce jeune homme, les voyant effrayées, leur dit : Ne craignez point, car je sais qui vous cherchez : il est ressuscité.»
Jésus-Christ, étant ressuscité d'entre les morts, ne mourra plus désormais, et la mort n'aura plus d'empire sur lui. Il était mort pour le péché; maintenant, c'est pour Dieu qu'il vit ! Il est mort une fois pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ce qu'il a souffert, et qu'il entrât ainsi dans la gloire?
Le Seigneur est sorti glorieux du tombeau. Pour l'amour de nous il avait été attaché à la croix, et le voilà ressuscité. Alléluia! Alléluia.
C'est ainsi que les prêtres en descendant du sanctuaire, en passant au milieu des fidèles, et dans la grande nef et dans les bas côtés, et dans l'abside, chantent au peuple la
grande nouvelle de la résurrection. Ce mot alléluia, qui veut dire louange à Dieu, est devenu un mot chrétien , que comprend la foule chrétienne ; aussi il est répété par
elle avec une sorte de saint délire, et c'est quelque chose de saisissant d'entendre monter vers les vieilles voûtes de nos églises ce cri dont les Hébreux faisaient retentir
les profondeurs de la mer, quand le Tout-Puissant leur ouvrit un passage au milieu des flots suspendus !
C'est encore aujourd'hui un cri de délivrance, comme ce l'était alors. La mort et la résurrection du Christ ouvrent aussi un passage vers une autre terre promise,
vers le ciel où le Christ est monté. Après le jour du Sabbat qui avait suivi le jour de la mort du Sauveur, Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, mère des fils de Zébédée, qui, en descendant du Calvaire, avaient acheté des parfums pour embaumer le corps de Jésus, partirent de Jérusalem, le lendemain, de très-bonne heure, et arrivèrent à son sépulcre avant le lever du soleil. Elles portaient avec elles les parfums qu'elles avaient préparées... Mais comme elles approchaient du tombeau, elles se dirent l'une à l'autre : « Qui nous ôtera la pierre scellée du sépulcre? »
Pendant qu'elles parlaient ainsi, la terre se mit à trembler fortement : c'était le moment où l'ange du Seigneur, descendu du ciel, renversait la pierre du tombeau. Cet ange avait le visage plus éclatant qu'un éclair, et sa robe avait plus de blancheur que la neige... Les soldats qui avaient été apostés à la garde du sépulcre virent cet ange et devinrent comme morts, tant ils avaient été saisis de frayeur.
Les femmes, voyant la pierre ôtée, entrèrent dans le monument, et n'y trouvèrent point le corps du Seigneur... Alors leur surprise fut grande, et Marie Magdeleine se mit
à courir, à redescendre à Jérusalem, pour avertir Pierre et Jean et les autres apôtres, de ce qui était arrivé. Pierre et Jean sortirent aussitôt de la ville et prirent en grande hâte le chemin du sépulcre ; ils couraient tous les deux; mais Jean, qui courait le plus vite, arriva le premier; et, s'étant baissé à l'entrée du tombeau, aperçut les linceuls par terre..., mais il attendit que Pierre fût arrivé pour entrer avec lui.
Lorsqu'ils y eurent pénétré, ils virent bien les linceuls dont on avait enveloppé le corps, et le suaire qu'on avait mis sur la face du Sauveur. Ils crurent tous les deux, ainsi
que les femmes, qu'on avait enlevé le corps; car ils ne savaient pas alors ce que l'Écriture enseigne : qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. Saisis d'étonnement, ils retournèrent à Jérusalem pour dire aux autres apôtres ce qu'ils venaient de voir. Mais les femmes restaient à l'entrée du monument. Marie Magdeleine, se laissant aller aux larmes, pleurait beaucoup en regardant dans le sépulcre vide; tout à coup, dans ses ombres elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l'endroit où avait été mis le corps de Jésus ; l'un à la tête et l'autre aux pieds. Et les anges dirent à Marie Magdeleine : « Femme, pourquoi pleurez-vous? »
Elle répondit: «On a enlevé le corps de mon Seigneur, et je ne sais où on l'a emporté. » Au moment où elle disait ces mots, elle vit debout, tout près d'elle, Jésus, et il lui
demanda aussi : « Femme, pourquoi pleurez-vous? » Et comme le sépulcre était dans un jardin, Marie Magdeleine crut d'abord que cet homme qui lui parlait était le jardinier, et elle dit: «Si c'est vous qui avez enlevé le corps de mon Seigneur, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. »
Jésus n'avait prononcé que ce mot : Marie! que déjà elle l'avait reconnu ; et, tendant les bras vers lui, elle lui cria : Rabboni! c'est-à-dire, mon maître. « Ne me touchez pas, ajouta le Sauveur ; je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Allez vers les disciples, et dites-leur ce que vous avez vu ; dites-leur que je monte vers mon Père, qui est votre père, vers mon Dieu, qui est votre Dieu. »
Magdeleine alla dire aux disciples qui étaient dans l'affliction qu'elle avait vu le Seigneur, et leur rapporta tout ce qu'il lui avait dit; mais ils avaient l'esprit tellement abattu, qu'ils ne la crurent pas, quoiqu'elle affirmât qu'il était vivant et que ses yeux l'avaient vu. Les autres saintes femmes, toujours saisies de frayeur, se tenaient tremblantes près du sépulcre. Les deux anges leur dirent : « Ne craignez point. Vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? il n'est point ici, car il est ressuscité,, comme il l'avait dit. Souvenez-vous de ses paroles, alors qu'il était encore en Galilée : Il faut QUE LE FILS DE l'HOMME SOIT LIVRÉ ENTRE LES MAINS DES PÉCHEURS, QU'IL SOIT CRUCIFIÉ, ET QU'IL RESSUSCITE LE TROISIÈME JOUR ; VENEZ ET VOYEZ. »
Les saintes femmes se souvinrent en effet des paroles de Jésus, et, étant sorties du tombeau, agitées de joie et de crainte, elles se hâtèrent aussi pour aller porter aux
apôtres et aux disciples la grande nouvelle qu'elles venaient d'apprendre. Comme elles marchaient vite, louant Dieu au fond de leurs cœurs, Jésus se présenta sur le chemin devant elles et les bénit. Il y avait en lui tant de bonté et de mansuétude, qu'elles osèrent approcher de sa personne et lui baiser les pieds.
Et la bouche du Sauveur s'ouvrit et prononça ces paroles : « Femmes, ne craignez pas, et allez dire à mes frères qu'ils se rendent en Galilée ; ils me verront là. »
Lorsqu'elles furent arrivées au cénacle, lieu où se tenaient les apôtres, elles leur redirent ce qu'elles venaient de voir et d'entendre ; mais leurs paroles, comme celles
de Marie Magdeleine, furent traitées de rêveries.
De leur côté, quelques-uns des soldats qui avaient été apostés à la garde du sépulcre allèrent à la ville, et rapportèrent aux princes des prêtres tout ce qui s'était passé.
A la nouvelle de ces prodiges, les princes des prêtres s'assemblèrent avec les hommes de Pilate et d'Hérode pour aviser à ce qu'il y avait à faire, et il fut résolu par les ennemis de Jésus, qu'une forte somme d'argent serait comptée à ces gardes, pour leur faire dire au peuple que les disciples du Nazaréen étaient venus nuitamment enlever le corps de leur maître.
Les soldats, ayant reçu cet argent, firent ce qui leur était commandé; mais, malgré leur mensonge, la vérité fut connue ; Notre-Seigneur apparut à saint Pierre
et aux disciples d'Emmaüs, et saint Thomas lui-même fut convaincu.
Voici tout l'historique de la grande fête de la résurrection; il y a dans ce récit, fait par les témoins oculaires, un ton de vérité irrésistible. Un homme assez malheureux pour ne vouloir pas croire serait obligé à admirer tous les détails si naïfs et si purs de cette grande histoire. L'Église a dû joindre au souvenir de la résurrection de Jésus-Christ sa plus imposante solennité; aussi elle a appelé cette fête le Jour du Seigneur , la Fête des fêtes , le Jour de la délivrance.
Saint Grégoire de Nazianze dit que la fête de la Pâque est autant au-dessus des autres fêtes du Seigneur, que celles-ci sont au-dessus des fêtes des saints.
Le pape saint Léon disait qu'entre tous les jours que l'on honorait de quelque culte dans la religion chrétienne il n'y en avait point de plus auguste et de plus excellent
que celui de Pâques ; il le regardait comme le point capital de toute la discipline de la grande république chrétienne, d'où dépendait l'économie du culte divin et des
sacrements de l'Église, parce que la résurrection du Sauveur est le fondement de notre religion, et que sans elle notre espérance est vaine.
Et, en effet, nous eussions aimé le fils de Marie dans la crèche , nous l'eussions adoré avec les mages de l'Orient, nous l'eussions écouté dans le temple avec les docteurs, suivi dans la Judée avec ses disciples, admiré dans tous les miracles, que tout cela serait en vain s'il n'était pas ressuscité le troisième jour. C'est la pierre brisée du sépulcre qui crie plus haut que tout pour proclamer la divinité du crucifié du Calvaire.
C'est ce passage du tombeau à la vie qui a fait donner à la fête de la résurrection le nom de passaga, qui, comme chacun le sait, signifie passage. La Pâque des Hébreux , c'était le souvenir du passage de l'esclavage à la liberté. La Pâque des Chrétiens, c'est le souvenir du passage de la mort à la vie, du passage des ombres du sépulcre aux gloires du ciel , du passage de la servitude du péché à la liberté des enfants de Dieu !
Quand les Hébreux eurent traversé la mer au milieu de ses flots divisés et immobiles, quand ils se retrouvèrent sur l'autre rive, séparés, délivrés de leurs ennemis; alors
ils sentirent une grande joie, et, dans un saint enthousiasme, ils chantèrent au Seigneur des hymnes de délivrance. Les chrétiens, le jour de Pâques, font entendre des
chants pareils ; ils chantent : «Peuple», prosterne-toi, adore la victime pascale, adore l'agneau qui sauve les brebis !« Adore le Christ qui réconcilie la terre avec le Ciel! « Oh! que! merveilleux duel entre la vie et la mort»
« Le maître de la vie meurt, mais la mort sera vaincue et le crucifié reprendra la vie, comme un vêtement qui lui appartient et qu'il n'avait fait que déposer!
« Qu'as-tu vu, Magdeleine? dis-nous, qu'as-tu vu sur le chemin? « J'ai vu le sépulcre du Christ vivant ; j'ai vu la gloire du Christ ressuscité; j'ai vu les anges, témoins célestes, avec leurs robes éclatantes de blancheur, me montrer le tombeau vide ; je les ai entendus me dire : Il n'est plus ici.»
« Le Christ, mon espérance, est ressuscité d'entre les morts. Il vous précède en Galilée. « La terre a tremblé, et s'est tenue dans le silence lorsque Dieu s'est levé pour rendre son jugement. »
Tout l'office de cette grande solennité respire l'allégresse et l'enthousiasme ; mais les cérémonies n'ont rien d'extraordinaire, la grand'messe et les vêpres ressemblent
à celles des autres grandes fêtes ; il n'y a de plus dans le sanctuaire que le cierge pascal; le soir, il est porté avec solennité tout autour de l'église, et je vous assure que, pour ceux qui savent quel est ce symbole et ce que représente ce cierge dont la grosse flamme va brillant au-dessus de toutes les têtes de la foule, il y a à penser et à réfléchir.
Ce qui a civilisé le monde, c'est la lumière de la foi, la lumière dont le cierge de Pâques n'est qu'une ombre. Pour éteindre cette flamme qui nous venait du ciel, quels
efforts n'a pas faits l'enfer ! Quand vous êtes dans l'église, vous voyez le cierge pascal partir d'auprès de l'autel , vous le voyez s'avancer dans le sanctuaire, en descendre les marches, puis, en tournant pour entrer dans les bas côtés, tout à coup la lueur sacrée disparaît derrière un faisceau de colonnes; mais bientôt elle reparaît sous l'ouverture d'une ogive ; un peu plus loin , elle se cache derrière d'autres piliers ; à quelque distance elle se montrera de nouveau ; et enfin , vous la verrez revenir resplendissante aux côtés de l'autel.
Ceci nous semble une image fidèle des vicissitudes qu'a traversées le flambeau de la foi chrétienne ; par moments il a brillé d'un grand éclat; par moments sa lueur s'est
cachée, mais elle ne s'est jamais éteinte ; et, à la fin des temps, elle remontera pure et étincelante au ciel, comme le cierge pascal revient au côté de l'autel. Pendant la procession du cierge, les prêtres chantent: «Lorsque Israël sortit de l'Égypte et que la maison de Jacob ne fut plus sous le joug d'un peuple barbare ; La mer vit sur ses bords le peuple délivré, et recula. Le Jourdain vit Israël , et remonta vers sa source :
Les montagnes bondirent comme des moutons, et les collines comme des agneaux.
Mer, pourquoi reculas-tu ainsi? Jourdain, pourquoi remontas-lu vers ta source?
Montagnes, pourquoi bondissiez-vous comme des moutons?
Collines, pourquoi bondissiez-vous comme des agneaux?
La terre s'est ébranlée à la vue du Seigneur, à la vue du Dieu de Jacob. C'est le Seigneur, c'est le Dieu de Jacob qui changea la pierre en une source d'eau , et les rochers en courants d'eaux vives. Ce n'est pas pour nous, ô Seigneur! ce n'est pas pour nous, c'est pour la gloire de votre nom ! Manifestez votre miséricorde et votre vérité, pour que les nations ne disent plus : Où est leur Dieu? Notre Dieu ! il est dans le ciel ! tout ce qui existe a été fait par notre Dieu.
Les idoles des nations ne sont que de l'or et de l'argent : elles ne sont que l'ouvrage des mains des hommes. Elles ont une bouche et elles ne parlent pas; elles ont
des yeux et ne peuvent pas voir. Elles ont des oreilles et ne peuvent rien entendre ; elles ont des narines et ne sentent point. Elles ont des mains et ne sauraient rien toucher;
elles ont des pieds et ne marchent pas, un gosier et ne peuvent crier. Puissent leur ressembler et ceux qui les ont faites, et ceux qui ont confiance en elles.
Pour la maison d'Israël, elle a mis son espérance dans le Seigneur. Le Seigneur est son protecteur et son appui. La maison d'Aaron espère aussi dans le Seigneur, et
le Seigneur la protège. Le Seigneur s'est souvenu de son peuple et l'a béni.»
De pareilles paroles d'allégresse et de triomphe vont bien à la solennité de Pâques , et nous avons vu des hommes de génie et de cœur transportés d'enthousiasme,
en écoutant des milliers de chrétiens chantant, sous les voûtes d'une de nos vieilles églises, le cantique des Israélites délivrés. Après cette poésie des psaumes, l'Église, le jour de Pâques, a encore son hymne de : 0 FILII ET FILIE
Nos pères ont composé, pour cette histoire rimée de la résurrection, un air que savent nos enfants et que chanteront nos arrière-neveux Oh ! je ne connais pas de
cœur si froid qui ne batte mieux quand tous les fidèles, répondant aux voix pures et sonores des choristes, répètent le refrain Alléluia ! Alléluia !
Les échos de nos cathédrales, de nos églises de villages, de nos chapelles des hameaux, répètent bien cet air qu'ils savent depuis longtemps. Pour une solennité comme celle de Pâques , la piété de nos pères n'avait pu se contenter d'un seul jour; aussi le lundi et le mardi qui suivent le dimanche de la résurrection furent longtemps des fêtes d'obligation. Aujourd'hui ces deux jours ne sont plus solennellement chômés ; mais le peuple les sanctifie encore.
Ce temps de Pâques n'a pas que des réjouissances religieuses : comme la fête de la résurrection vient avec le retour des beaux jours, c'est le moment où les artisans,
les ouvriers des villes, ont besoin de respirer hors des rues étroites et des enceintes de pierre; la nature, qui a été pendant l'hiver comme morte sous son suaire de neige, semble aussi ressusciter à cette époque de l'année ; aussi c'est le commencement des fêtes hors des cités. Le peuple va chanter l'hymne o filii et filie! Dans les églises des champs, et dîner au village. C'est le temps où le père et la mère de famille habillent les enfants à neuf; le temps où les magistrats, les hommes d'affaires et les écoliers ont de courtes vacances.
Ces jours qui avoisinent Pâques ont été trouvés trop saints pour que le travail pût y avoir place. Noël a eu sa joie sous les nuages gris et pluvieux de décembre et auprès des foyers Pâques a ses réjouissances quand les arbres commencent à bourgeonner quand les primevères épanouissent leurs fleurs et quand le ciel se tend de bleu.
Alors que nous passons en revue toutes ces saintes allégresses que le catholicisme répand sur notre vie, nous ne pouvons nous empêcher de plaindre du fond de
notre cœur les hommes sceptiques et froids qui ne chôment pas nos fêtes; ce n'est pas pour eux que j'écris; ceux à qui je dédie mon livre ne dédaignent point les joies pures qui viennent d'en haut ; au contraire, ils les recherchent. Eux ne veulent point des froides ombres de la mort, eux croient à la résurrection.
Non-seulement à la résurrection de Jésus-Christ, mais à la résurrection de la société. Oui, nous le prédisons hardiment, la société ne restera point ce qu'elle est aujourd'hui ; on aura beau vouloir la faire rester dans les sombres régions de la mort; on aura beau aposter des gardes pour l'empêcher de sortir du tombeau; elle en renversera la pierre, elle en brisera les scellés, elle en sortira radieuse, et déployant au souffle du ciel l'étendard de la croix.
Car c'est par ce signe qu'elle aura vaincu. Nous qui croyons fermement que ce grand jour de résurrection se lèvera sur le monde, tâchons, hommes de bonne volonté,
d'en hâter la venue. Le pécheur, vous le voyez par moi, peut travailler à amener ce beau jour; il n'y a pas que des mains saintes qui travaillent à reconstruire le temple.
Allons donc de par le pays, et quand nous verrons le scepticisme grandir; quand on ne voudra plus croire que ce que l'on pourra expliquer; quand l'orgueil s'irritera
de tout mystère; quand on ne reconnaîtra qu'à grand' peine le spiritualisme de l'âme, parce que, ainsi que le corps, on ne pourra la disséquer.
Quand nous verrons des hommes prendre des airs fiers, enfoncer bien avant leur chapeau lorsqu'une croix portée par un prêtre viendra à passer près d'eux;
Quand on mettra stupidement une statue profane, au lieu du signe du christianisme et de la résurrection, sur la cendre des morts; Quand nous verrons de telles choses, nous crierons : Antique foi de nos pères ! croyances sacrées ! sortez d'entre les morts, ressuscitez! ressuscitez!
Quand les sectaires de l'égoïsme professeront hautement leurs desséchantes doctrines; quand ils hausseront les épaules en entendant raconter un trait de dévouement; quand ils ricaneront des devoirs et des sacrifices; quand les turpitudes de la morale des intérêts , comme les flots d'un océan de boue liquide, s'agiteront, grossiront, s'élèveront et menaceront de couvrir la société; alors, invoquant bien haut la morale des devoirs , nous crierons de toutes nos forces :Nobles doctrines d'abnégation, grands dévouements, généreux sacrifices ! sortez ! sortez d'entre les morts !ressuscitez, ressuscitez !
A nous ! on voudrait faire une patrie toute neuve , toute dépouillée de traditions, toute rase de monuments; si nos pères ont eu de la renommée, il faudrait l'oublier ; s'ils ont eu de glorieux tombeaux, on ne nous en laisserait que la poudre; tout ce qui daterait des âges chrétiens devrait être comme s'il n'avait jamais été.
Voilà la volonté des impies; oh! nous ne nous soumettrons point à ce stupide vouloir. Nous regretterons dans nos campagnes les vieilles abbayes, avec leurs hauts clochers, leurs ogives, leurs arceaux, leurs cloîtres et les pinacles de leurs toits; les châteaux forts, avec leurs faisceaux de tours, leurs profonds fossés, leurs pont-levis et leurs herses menaçantes; et quand nous verrons la bande sacrilège et noire porter des mains vandales sur ces fleurons de la France catholique ; quand nous marcherons sur la poussière blanche de tous ces monuments , nous nous écrierons : Saints ermites, pieux pèlerins, vaillants chevaliers, poursuivant d'armes, bardes, trouvères, troubadours, sortez d'entre les morts! ressuscitez, ressuscitez!
C'est à la résurrection de ce qui était saint et de ce que l'on a tué, qu'il faut que le vrai chrétien travaille...
Eh! mon Dieu! nous savons bien que ce n'est point en criant aux rois, aux pontifes, aux ermites : ressuscitez! ressuscitez! que nous les ferons se lever de leurs lits de marbre ou d'argile ; nous savons bien que ce n'est pas la voix des hommes qui peut crier assez haut pour réveiller les morts ; mais ce que nous pouvons , ce que nous devons faire, [u]c'est de remettre en honneur les principes, les doctrines de religion, d'honneur, de franchise et de loyauté ; rendons au présent ce qu'il y avait de bon dans le passé, et ce sera assurer le bonheur de l'avenir.
Et quand nous nous serons mis à l'œuvre, ne nous rebutons pas. Alors que nous rencontrerons des obstacles, souvenons-nous, nous qui voulons obéir à ce que le Dieu
de nos pères a commandé, nous qui voulons que la société soit, comme les maisons des enfants d'Israël!, marquée du sang de l'agneau pascal, pour que le Seigneur irrité ne la décime plus, souvenons-nous que les Hébreux, dans la Pâque, étaient debout, les sandales aux pieds, les reins ceints, le bâton à la main ; imitons-les, soyons prêts à nous mettre en marche ; souvenons-nous que nous sommes voyageurs, que la mollesse et les délices du repos ne sont point faits pour celui qui veut atteindre le but qui lui a été marqué; et si sur notre chemin nous trouvons beaucoup de laitues sauvages, c'est-à-dire beaucoup de choses amères, ne murmurons pas, ne nous rebutons pas pour cela; Dieu n'a pas dit que le voyageur, sur cette terre, ne serait nourri que de lait et de miel.
Les fêtes catholiques font plus que de réjouir les âmes chrétiennes qui les célèbrent; elles les rendent meilleures; elles ne répandent pas que des fleurs sur la terre, elles
y font germer les semences du ciel et mûrir des fruits pour l'éternité.
Quand on s'est enfoncé dans les profondeurs de la grande semaine , quand on a laissé aller son esprit aux inspirations que les cérémonies , que les offices de ce temps font naître , on est vraiment comme accablé de tant de grandeur. Les psaumes qu'on a lus, les hymnes qu'on a entendu chanter, les lamentations d'Isaïe et de Jérémie que l'on a écoutées, ont nourri notre âme d'émotions fortes et de grandes pensées. On a pour ainsi dire vécu avec les prophètes et les rois d'Israël ; on s'est élevé avec eux bien au-dessus des choses de la terre, et l'on éprouve quelque peine à revenir aux paroles vulgaires de la vie.
Mais le Samedi saint nous fait rester encore dans ces hautes régions; peu de jours dans l'année chrétienne sont aussi remplis de symboles que celui-ci. L'Église honore en ce jour le repos mystérieux que Jésus-Christ a gardé dans le sépulcre, et rappelle en même temps la descente aux enfers du vainqueur de la mort, alors qu'il alla retirer des ténèbres des limbes les âmes des patriarches et des justes qui avaient attendu et annoncé le Messie.
La sépulture de Notre-Seigneur , dit l'historien des fêtes catholiques, est un mystère que l'Église semble n'a voir voulu célébrer que par son silence, car l'office relatif à cette sépulture se termine à l'heure de None. D'ailleurs, comme la veille de Pâques est la première de toutes les veilles en dignité, et qu'elle est plus chargée de pratiques et d'observations, l'on a avancé les offices de cette nuit au jour qui la précède.
Dans les premiers siècles de l'Église, cette veille se continuait jusqu'au point du jour du dimanche par les fidèles de tout état, la plupart à jeun depuis le vendredi, et quelques-uns du jeudi depuis le souper. On avait grand soin de recommander de ne point finir les offices de cette célèbre veille avant le chant du coq.
C'était alors que l'on offrait le sacrifice, que l'on communiait, et que l'on rompait enfin le jeûne du Carême. Ainsi les fidèles passaient dans l'église d'un soleil à l'autre. Cet usage a cessé chez les Latins depuis que l'on a commencé les offices de la veille de Pâques dès le matin à l'heure de Tierce du samedi ; mais cette coutume subsiste toujours chez les Grecs.
Aujourd'hui cette fête du Samedi saint est presque partout remise à la dévotion des particuliers, elle n'est plus chômée. Pour être célébré avec pompe, le Samedi saint est trop voisin de la plus grande des fêtes chrétiennes. Aussi, si vous entrez ce jour dans une de nos églises, malgré la poésie et les images des cérémonies, vous n'y trouverez
pas la foule des journées précédentes.
Ce qui attirait autrefois beaucoup de monde à l'office du Samedi saint, c'était le baptême des catéchumènes. Vers le midi, on les amenait à l'église ; là on les catéchisait pour la dernière fois, et ils devaient prouver qu'ils étaient suffisamment instruits pour être admis dans la communion des fidèles.
Ils récitaient à haute voix le Symbole des apôtres et l'Oraison dominicale ; puis l'évêque allait par les rangs faisant le signe de la croix sur le front de chacun, et après cela, leur imposant les mains, il les exorcisait. Dans cette cérémonie , il imitait ce qu'avait fait le Sauveur ; il leur touchait les yeux et les oreilles avec de la salive, leur disant : epheta, ce qui signifie : ouvrez-vous. Alors les yeux qui avaient été fermés aux clartés divines, alors les oreilles qui ne s'étaient pas encore ouvertes aux paroles du salut, voyaient et entendaient; et ceux qui avaient désiré avec ferveur et qui avaient vécu avec pureté, étaient admis à nos sacrés mystères.
Et pour prouver à tous que ces nouveaux chrétiens étaient prêts à combattre pour la foi qu'ils embrassaient, et qu'ils étaient devenus des athlètes du Christ, sur leurs poitrines, sur leurs épaules nues, l'évêque répandait l'huile de l'onction , l'huile qui rend fort dans l'arène ! Un peu plus tard , après la bénédiction des fonts, le baptême par immersion avait lieu ; les parrains présentant les jeunes garçons, et les marraines amenant les jeunes filles, les prêtres recevaient les catéchumènes de leurs mains, puis avec la chasteté du sanctuaire savaient éloigner les inconvenances ; et la triple immersion pour ceux qui étaient forts, et la simple immersion pour ceux qui étaient débiles et faibles, avaient lieu en toute pureté.
Au sortir de la piscine régénératrice, tous les baptisés étaient présentés au ministre de l'autel, qui leur donnait l'onction du saint-chrême, leur faisant, avec le pouce, le signe de la croix sur le haut de la tête.
Puis les nouveaux chrétiens revêtaient de longues robes blanches , sans taches et sans souillures , emblème d'innocence et de virginité. Ainsi vêtus, et purs comme des anges, ces jeunes hommes et ces jeunes filles étaient amenés devant l'évêque, qui faisait sur eux la prière de la confirmation, invoquant sur ces enfants de l'Église les sept dons du Saint-Esprit!
Purifiés par le baptême, fortifiés par la confirmation, les néophytes venaient en chantant les litanies des saints, des saints dont ils étaient devenus les frères, assistera la messe, où ils communiaient tous. Ces cérémonies du baptême et de la confirmation se pratiquaient, dès le huitième siècle, le Samedi saint; et c'était une des choses qui donnaient le plus de pompe religieuse à cette journée.
Aujourd'hui qu'il n'y a plus de ces jeunes catéchumènes avec leurs robes blanches et leurs bandeaux de lin; aujourd'hui que l'on ne baptise plus par immersion, et que nos temples n'ont plus de ces grandes piscines où l'on se plongeait par trois fois, l'office de la veille de Pâques est très-simplifié ; cependant il lui reste encore la bénédiction des fonts et du feu nouveau, et le cierge pascal : toutes choses qui rappellent une haute antiquité.
La bénédiction du feu nouveau vient après None. Alors le prêtre officiant, revêtu d'une chape violette, descend de l'autel, et, accompagné du diacre et du sous-diacre, traverse l'église dans toute sa longueur, et près du porche d'entrée, bénit ainsi la flamme qui n'a servi à aucun usage profane, la flamme qui doit brûler dans la lampe, devant le Saint des saints : « 0 Dieu! qui par votre Fils, pierre angulaire de l'Église, avez allumé le feu de votre charité dans les cœurs, daignez sanctifier ce feu nouveau que nous venons de tirer d'un caillou pour servir à nos usages, et faites que durant ces fêtes de Pâques nous soyons enflammés de désirs tout célestes, afin qu'étant purs, nous puissions arriver à la solennité des fêtes de votre éternelle gloire, par Jésus-Christ, Notre-Seigneur.
« Créateur de toutes lumières, bénissez celle-ci! Seigneur, vous avez été la lumière d'Israël ! Seigneur, vous avez été la colonne de feu dans le désert ; Seigneur, bénissez ce feu nouveau ! »
Alors un acolyte met le feu dans l'encensoir, et le prêtre répand dessus quelques gouttes d'eau bénite en disant :
Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : lavabisme, et super nivem dealbabor.
Le diacre en dalmatique prend un cierge à trois branches et formant un triangle; puis, l'ayant allumé, il retourne vers l'autel en chantant : Lumen Christi!
Il demande ensuite au célébrant de le bénir, pour qu'il soit digne d'annoncer la Pâque. Puis vient la bénédiction du cierge pascal. Le cierge pascal remonte au sixième siècle, et voilà son origine :pour éclairer la veillée de Pâques, la plus solennelle de toutes les veillées saintes, les fidèles plaçaient au milieu de l'église une haute colonne de cire , et de sa grosse mèche enflammée s'élevait et tombait la lumière.
On regardait cette torche, ou ce cierge, comme le symbole de Jésus-Christ debout au milieu de son Église pour l'éclairer et la guider. Les prières dites à cette bénédiction sont pleines d'enthousiasme poétique : « Que les anges du ciel , que la milice d'en haut se réjouisse et tressaille d'allégresse, et que le son des trompettes annonce nos sacrifices de joie ! Que la terre soit dans le bonheur et qu'elle jouisse de la lumière glorieuse qui lui est venue !
«Et toi, notre mère, Église sainte, réjouis-toi aussi; te voilà rayonnante de la lueur du flambeau divin, du flambeau qui éclaire le monde ! Que le lieu saint retentisse des transports de la joie des peuples ; que les acclamations de la terre montent vers le ciel! Ensuite le prêtre enfonce dans la cire du cierge cinq grains d'encens bénit.»
Dans les premiers siècles, le cierge pascal ne servait que dans la nuit de la veille de Pâques. A présent on le laisse dans le sanctuaire, en face de l'autel , jusqu'à la fête de l'Ascension ; ce flambeau symbolique représentant Jésus-Christ, on ne le retire de l'église que lorsque le Sauveur est remonté au ciel. Dans quelques pays, alors que l'année commençait à Pâques, on écrivait sur le cierge pascal les cycles, les principales époques, les grands anniversaires d'événements religieux.
Quand le prêtre avec le triple flambeau allume le cierge pascal et les lampes de l'église, il dit : « Seigneur, que ce cierge et ces lampes, qui sont consacrés en l'honneur de votre nom, brûlent pendant toute cette nuit pour en dissiper l'obscurité, et que, s'élevant comme un parfum agréable, leurs lumières se mêlent avec celles des flambeaux célestes.
« Que l'astre du matin les retrouve encore allumés! »
Après cette cérémonie, les prêtres, en ornements violets, lisent les prophéties. Dans ces pages inspirées, quelle suite de magnifiques tableaux !
C'est Dieu assis dans sa puissance, et avant les temps, fécondant le chaos pour en tirer le monde : la terre avec ses arbres, ses fleuves et ses montagnes ; la mer avec ses profondeurs et ses abîmes, le firmament avec ses étoiles, la lune et le soleil, et la lumière naissant d'un mot!
C'est le patriarche Noé sauvé du déluge, et les grandes eaux qui montent, et l'arche qui surnage, et le corbeau qui se perd, et la colombe qui revient avec le rameau d'olivier !
C'est Dieu demandant à Abraham un sacrifice qu'il n'eût pas exigé d'une mère ; c'est l'ange arrêtant le bras du père d'Isaac; c'est Isaac sauvé.
C'est le Dieu des armées lui-même, l'Éternel, sème la terreur et la mort parmi les Égyptiens, et engloutissant dans les flots les cavaliers, les chevaux, les chars, le roi, et l'armée tout entière!
C'est le Seigneur, disant à Israël que l'impie abandonne sa voie, et le méchant ses pensées d'injustice; qu'il revienne à Dieu, et Dieu lui fera miséricorde, car les pensées de Dieu ne sont pas les pensées des hommes, et les voies du ciel ne sont point semblables aux chemins de la terre ; autant le ciel est au-dessus de la terre, autant les pensées de Dieu sont au-dessus des pensées des hommes. Et comme les pluies et les neiges, quand elles sont tombées des nuages, ne remontent plus, mais restent sur les champs pour les fertiliser, ainsi la parole du Seigneur, quand elle est une fois sortie de sa bouche, doit porter ses fruits.
Plus loin, c'est le prophète Baruch qui s'écrie : « D'où vient, Israël, que tu habites parmi tes ennemis? d'où vient que tu as vieilli dans une terre étrangère? « Pourquoi es- tu semblable à un mort qui pourrit dans le sépulcre? « Pourquoi es-tu pareil aux habitants des tombeaux? « Oh! je le sais bien, c'est que tu as éloigné tes pas des sources de la sagesse, c'est que tu as cessé de marcher dans les sentiers du Seigneur! Si tu étais resté fidèle, la paix éternelle eût été ton partage, ô Israël ! Apprends où sont les trésors, la prudence, la force et l'intelligence; apprends-le pour savoir où est la durée de la vie; apprends-le pour savoir d'où viennent la vraie lumière des yeux et la vraie paix de l'âme. Dis . où sont les princes des nations qui commandaient aux hommes et qui domptaient les animaux, qui se jouaient avec les oiseaux du ciel , et qui entassaient l'or et l'argent dans leurs trésors; où sont-ils? Ils sont disparus de la terre, ils sont descendus aux enfers, et d'autres ont pris leur place!
«0 Israël! que la maison du Seigneur est belle et vaste ! que son étendue est immense ! C'est là que furent, dès les premiers temps, ces géants renommés d'une si haute taille et si forts dans la guerre. Le Seigneur ne les a point gardés, et ils n'ont point trouvé la sagesse, et eux aussi ont disparu de la terre! Qui est monté au ciel pour prendre la sagesse? Ou qui l'a fait descendre des nuées? Qui a traversé les mers pour la chercher, et qui l'a préférée à l'or? »
Après Baruch c'est Ézéchiel ! Ézéchiel qui a sa grande vision des morts Écoutez!
« En ce jour-là la main du Seigneur me toucha, sa voix me dit : « Lève-toi. » Je me levai, et, ravi en esprit, l'ange de Dieu me porta au milieu d'un champ tout couvert d'ossements de morts; et le Seigneur m'ayant fait tourner autour de tous ces os blancs et desséchés, me dit : « Fils de l'homme, crois-tu que tous ces ossements puissent reprendre la vie?
— « Seigneur, mon Dieu, vous le savez.
— « Prophétise sur eux , et dis à ces ossements :
«Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur.
« Il a dit : je vais vous ranimer, et vous vivrez de nouveau; je vous rendrai des nerfs, et je vous recouvrirai de chair; vous vous tiendrez debout, et vous reconnaîtrez que je suis le Seigneur! »
Je me mis à prophétiser pour obéir au Seigneur, et pendant que ma voix s'élevait sur les morts, voici tout à coup qu'un grand bruit retentit dans le champ : c'était celui que faisaient tous ces ossements qui se mouvaient, se cherchaient, se heurtaient, s'emboîtaient et reprenaient leur place ; puis les squelettes reprirent des nerfs et se revêtirent de chair et de peau. Mais ainsi revêtus ils demeuraient couchés et immobiles, car ils étaient encore inanimés. « Le Seigneur me dit : « Fils de l'homme , prophétise encore, et dis à l'esprit : Voici ce que commande le Seigneur : « Esprit, viens du midi et du septentrion, du couchant et de l'aurore ; viens des quatre régions des vents , viens et souffle sur ces morts pour les rendre à la vie. »
« Je prophétisai pour obéir au Seigneur , et à l'instant l'esprit entre dans tous ces os revêtus de chair, les anime; et les voilà qui se meuvent, qui se dressent, qui se lèvent et qui se tiennent debout sur leurs pieds, tous rangés dans le champ comme une grande armée! « Alors le Seigneur me dit : « Fils de l'homme, tous ces os représentent les enfants d'Israël : Nos os, disent-ils, sont desséchés, c'en est fait de nous, nous n'avons plus d'espérance. Prophétise donc encore, et dis-leur: Voici ce que dit le Seigneur : « 0 mon peuple ! je vais ouvrir tes sépulcres , et je ferai sortir tes morts de leurs tombeaux , et je vous emmènerai dans la terre d'Israël ; et quand je vous aurai ainsi délivrés de la mort, vous connaîtrez que je suis votre Dieu, et vous vivrez dans la paix! »
Après cette vision, un autre prophète succède à Ézéchiel.
Jésus-Christ délivre les bons bloqués dans les Enfers
Celui-là voit la terre dépeuplée d'hommes, et les femmes pleurant sur leur viduité ; mais bientôt le rejeton du Seigneur poussera du milieu des ruines, et fera éclater sa puissance et sa gloire ; et ceux d'entre les enfants d'Israël qui n'auront pas succombé aux malheurs de leur nation seront comblés de joie. Ceux qui seront demeurés dans Jérusalem, ceux qui ne seront point descendus de la colline de Sion seront appelés saints , et leurs nom seront inscrits par l'ange dans le livre de vie !
Jonas vient à son tour ; le Seigneur lui a dit d'aller crier malheur, malheur à Ninive : le voilà... Or, Ninive était une grande ville de trois journées de chemin. Jonas marcha un jour entier dans la ville, répétant dans les rues, sur les places, en face des palais, en face des temples : Encore quarante jours, et Ninive sera détruite ! » Ces paroles furent entendues du peuple ; le peuple crut à la parole du prophète, et, depuis le plus grand jusqu'au plus petit, tous se mirent à jeûner, tous se revêtirent de sacs et se couvrirent de cendres. Et le roi, ayant appris ce qui se passait dans sa ville, descendit de son trône, et, ayant dépouillé ses habits royaux, se couvrit aussi d'un sac et s'assit sur la cendre. Par son ordre, un héraut alla criant par la ville, que les hommes, que les chevaux, que les bœufs et tous les animaux, soient privés de nourriture, et que l'eau même ne leur soit pas donnée pendant les jours de pénitence. Et Ninive tout entière ayant jeûné, pleuré et prié, le Seigneur eut égard à son repentir et à sa pénitence, et elle fut sauvée; Dieu prit compassion de son peuple.
Les paroles de Moïse viennent après celles de Jonas. Après que Moïse eut écrit dans un livre les sentences de la loi, il dit aux lévites qui portaient l'arche d'alliance : Prenez ce livre et placez-le à côté de l'arche d'alliance du Seigneur; placez-le là, afin qu'un jour il serve de témoignage contre vous, ô enfants d'Israël ! . . car je connais votre opiniâtreté et votre amour de la rébellion ; tandis que j'ai vécu au milieu de vous, vous vous êtes souvent révoltés contre le Seigneur : que sera-ce quand je n'y serai plus! Assemblez donc les anciens et tous les docteurs des tribus ; je leur ferai entendre mes paroles, et je prendrai à témoin le ciel et la terre contre ceux qui les transgresseront... Mon âme devient triste quand je pense qu'après ma mort vous quitterez la voie dans laquelle je vous conduisais, Israël! Israël! ton iniquité allumera la colère du Seigneur !
Nous ne sommes plus à Ninive, plus dans le camp de Moïse; l'esprit nous a portés à Babylone la superbe, à Babylone, la prostituée des nations. Écoutez : En ces jours-là, le roi Nabuchodonosor fit faire une statue d'or de soixante coudées de haut et large de six. Il la fit placer dans le champ de Dura, en la province de Babylone. Et quand elle fut là élevée, Nabuchodonosor ordonna aux princes, aux magistrats, aux juges, aux capitaines, aux intendants, aux gouverneurs des provinces, aux peuples des villes et des campagnes, aux riches et aux pauvres, aux grands et aux petits, de s'assembler et d'assister à la dédicace de cette statue.
Et quand toute cette multitude fut réunie dans la plaine de Dura, les hérauts du roi se mirent à crier : Peuples et tribus de différentes contrées et de langues diverses, il vous est ordonné de vous prosterner et d'adorer la statue du grand Nabuchodonosor ; vous tomberez donc la face contre terre quand vous entendrez le son des trompettes, des cythares, des flûtes, des tympanons, des timbales et d'autres instruments. Et si quelqu'un d'entre toute la foule ne se prosterne pas et n'adore pas la statue du roi, il sera pris et jeté incontinent dans une fournaise ardente.
A peine donc les peuples eurent-ils entendu le son des trompettes, des harpes, des cythares, des flûtes, des tympanons, des timbales et d'autres instruments de musique, qu'ils se prosternèrent tous et adorèrent, la face contre terre, la statue de Nabuchodonosor. Mais les Chaldéens vinrent au roi et lui dirent : 0 grand roi ! que tes jours soient éternels! Tu as ordonné que tout homme se prosternerait et adorerait, la face contre terre, ta statue, alors que retentiraient les trompettes, les harpes, les cythares, les flûtes, les tympanons et les timbales; tu as ordonné que celui qui n'obéirait pas sera pris et jeté incontinent dans une fournaise ardente. Et bien, trois Juifs, que toi, ô grand roi! tu as établis intendants de la province de Babylone, Sidrach, Misachet Abdenago, méprisant ton édit, n'ont point adoré ta statue d'or. Alors Nabuchodonosor, entrant dans une grande colère, ordonna qu'on lui amenât Sidrach, Misach et Abdenago. Et quand ils furent devant lui, Nabuchodonosor leur dit :
Est-il vrai que vous ne vouliez adorer ni mes dieux, ni la statue d'or que j'ai fait élever?... Les trompettes, les harpes, les cythares, les flûtes, les tympanons et les timbales vont de nouveau se faire entendre, et si vous ne vous prosternez pas, et si vous n'adorez pas, vous serez pris et jetés incontinent dans la fournaise ardente. Quel Dieu pensez-vous
qui puisse alors vous délivrer de mes mains ?
Sidrach, Misach et Abdenago répondirent au roi : Il ne nous appartient pas de répondre à ce que vous nous demandez. Seulement, nous vous disons que le Dieu que nous adorons peut nous arracher de vos mains et nous sauver de la fournaise ardente ; mais il ne voudrait pas étendre sa main sur nous pour nous délivrer, que nous n'adorerions encore ni vos dieux ni votre statue.
A ces mots, un grand changement se montra sur le visage de Nabuchodonosor, et tout de suite il ordonna que la fournaise fût allumée sept fois de plus que de coutume ; et par les plus vigoureux soldats de son armée il fit lier les pieds à Sidrach, Misach et Abdenago, et commanda qu'ils fussent ainsi tous les trois jetés dans les flammes.
Comme le roi l'avait ordonné, les trois enfants d'Israël furent pris, garrottés, et, encore avec leurs robes de fêtes, leurs chaussures et leurs tiares, précipités dans la fournaise, plus ardente qu'elle ne l'avait jamais été. Elle était si embrasée, que les soldats qui s'en étaient approchés pour y jeter Sidrach, Misach et Abdenago, furent à l'instant consumés. Mais les trois Israélites qui avaient été précipités tout liés dans la fournaise, se mirent à marcher libres au milieu des flammes, louant et bénissant Dieu!
Certes, voilà une suite de tableaux assez remplis de poésie ! j'ai pris plaisir à les redire, car il y a bien des catholiques qui entrent le Samedi saint dans nos églises, et qui ne se doutent pas de la sublimité des offices de ce jour, Quand on lit cet office avec attention, on dirait que l'Église, au moment de célébrer la grande fête de la résurrection, veut prouver, par les faits du passé, la puissance du Dieu qui va briser la pierre du tombeau et triompher de la mort. Pour mieux faire adorer Jésus-Christ, elle redit l'histoire de Dieu, et met les prodiges de l'ancienne loi auprès des miséricordes et des espérances de la loi nouvelle.
Après cette longue suite de prophéties entremêlées d'oraisons, le célébrant de l'office procède à la bénédiction des fonts : là encore les prières sont belles et touchantes. « 0 Dieu, dont l'esprit était porté sur les eaux, à la naissance du monde, pour imprimer dès lors à cet élément la vertu de purifier les âmes ! . . . Dieu qui , en lavant les iniquités du monde criminel, avez montré dans le déluge même une image de la régénération, afin que par un admirable mystère le même élément fît mourir les vices et naître les vertus ; ô Seigneur ! jetez les yeux sur ces eaux, et sanctifiez-les ! »
Puis, touchant l'eau avec la main, et faisant sur elle le signe de la croix, le prêtre ajoute : Que cette eau, innocente et sainte créature, soit à couvert des entreprises de l'ennemi, et qu'elle soit purifiée par ton souffle, ô Seigneur! Qu'elle soit une source de vie, une source de grâce et de régénération. Et que celui qui sera lavé dans cette eau soit purifié par le Saint-Esprit ! Eau, je vous bénis par le Dieu vivant, par le Dieu véritable, par le Dieu saint, par ce même Dieu qui, au commencement des temps, vous sépara de la terre par sa parole ; ce Dieu dont l'esprit était porté sur les eaux ! »
A ces mots, le célébrant divise l'eau avec la main, et en jette vers les quatre points cardinaux, disant : « Je te bénis encore, par ce Dieu qui te fit couler en quatre fleuves dans le paradis terrestre, en t'ordonnant d'arroser toute la terre. Je te bénis par ce Dieu qui te fit jaillir d'un rocher ; je te bénis aussi par Notre-Seigneur Jésus-Christ qui te changea en vin, aux noces de Cana ; je te bénis par le Sauveur qui marcha sur tes Ilots ; je te bénis par celui que Jean baptisa dans le Jourdain ; je te bénis par Jésus-Christ sur la croix qui te fit couler de son côté avec du sang, et qui commanda à ses disciples de baptiser en toi ceux qui croiraient en lui. »
Soufflant sur l'eau, le célébrant ajoute : «Seigneur, bénissez vous-même ces eaux pures, afin qu'elles ne lavent pas seulement les corps, mais qu'elles aient encore la vertu de purifier les âmes. » Plongeant par trois fois le cierge bénit dans l'eau, le prêtre répète : « Que la vertu du Saint-Esprit descende sur toute la substance de cette eau, et qu'elle lui communique la fécondité et la puissance de régénérer! » L'officiant prenant le cierge, et faisant couler trois fois de la cire dans l'eau, en forme de croix, dit : «Que ces fonts soient sanctifiés et rendus féconds, au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! »
Puis, y versant trois fois de l'huile des catéchumènes ; « Que le mélange de l'huile d'onction et de l'eau baptismale se fasse au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! »Répandant du saint-chrême dans l'eau : « Que le mélange du chrême de sanctification, de l'huile d'onction, et de l'eau du baptême, se fasse au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ! » Et les fidèles répondent : ainsi soit-il.
Ce mot est peut-être prononcé légèrement par beaucoup; et cependant, si ceux qui le disent y réfléchissaient, ils le trouveraient bien grave en cette circonstance : car cette eau qui vient d'être sanctifiée en leur présence, et à la bénédiction de laquelle ils ont aidé par leurs prières, cette eau sera versée sur le front de leurs enfants, à leur venue dans le monde ; quand eux-mêmes seront gisants sur leur lit de mort, quand le râle de leur agonie fera souffrir et pleurer autour d'eux, une main pieuse aspergera de cette même eau leurs membres déjà glacés.
Oh ! il n'y a rien de futile, rien qui ne doive faire méditer dans les cérémonies du catholicisme ; cette eau qui se trouve à la porte de nos églises, ou dans des coupes de marbre, ou dans de vastes coquilles, ou dans des piscines de pierre , est destinée aux berceaux et aux tombes, aux vivants et aux morts.
Quand la bénédiction des fonts est terminée, les litanies de tous les saints sont chantées à l'autel ; l'Église convie ainsi tous les saint; du ciel à la grande fête de la terre. Depuis le Jeudi saint, depuis le moment où l'hostie a été portée à la chapelle du tombeau, toutes les tours, tous les clochers, toutes les flèches des églises ont fait silence ; aucune sonnerie ne s'est fait entendre dans les villes; mais quand le prêtre entonne le Gloria in excelsis, alors de joyeuses volées partent de toutes les paroisses, et accompagnent les alléluia, qui préludent déjà à la fête du lendemain... Cet instant est la vraie fin du deuil des quarante jours; car l'Évangile a annoncé la résurrection.
Autrefois, les nouveaux baptisés communiaient tous après le prêtre et le clergé, et ils étaient suivis de tout le peuple. Ce que l'on observait à l'égard des petits enfants à la mamelle que l'on baptisait la veille de Pâques avec les autres, était de ne leur point, donner le corps de Jésus-Christ sous l'espèce du pain, quand ils ne mangeaient pas
encore. On se contentait de les faire communier du sang précieux, que l'on prenait pour eux dans le calice avec une cuiller, pour le leur verser dans la bouche ; on leur faisait ensuite prendre du vin ordinaire, comme aux autres baptisés, ce qui était en usage dans le quatrième siècle.
Dans cet usage de faire communier les tout petits enfants, on retrouve tout de suite un vif souvenir de cette tendresse que le Sauveur montrait aux petits enfants; les apôtres, les disciples, les contemporains de Jésus-Christ, l'ayant vu pendant son passage sur la terre laisser venir jusqu'à lui les petits enfants, les prenant sur ses genoux et
les bénissant, avaient voulu , après sa mort, continuer cette prédilection envers les innocentes créatures que le fils de Marie avait aimées, et que le baptême venait de rendre aussi pures que des anges. Un enfant baptisé et qui n'a pu pécher encore, c'est un ange de la terre; son innocence vaut mieux que bien de nos vertus !
15 – Pâques
Voici le jour qu'a fait le Seigneur, le grand jour, le plus grand des jours des chrétiens, le jour de délivrance! Aussi, il y a dans l'air, au-dessus des cités, au-dessus des campagnes, comme un grand cantique, comme un hymne de joie qui résonne. Dès la première aube du matin, les cloches ont joyeusement annoncé la fête. La terre, depuis quarante jours enveloppée de pénitence et de deuil, ressuscite aussi à la joie ; et chacun sort de sa demeure avec ses plus beaux habits. Ce jour-là, nos plus vastes églises sont trop petites; car les plus indifférents, en cette sainte journée, se croient dans l'obligation de venir à leur solennité. Il est vrai que la religion y a déployé toutes ses pompes ; les autels ont repris leur magnificence, leurs bouquets de fleurs, leurs reliquaires, leurs chandeliers d'or ; plus de voiles sur les saints, plus rien qui cache les anges adorateurs.
L'encens fume à gros nuages dans le sanctuaire ; le velours et le brocart rouge revêtent les prêtres ; la mitre brille au front du pontife, et la crosse resplendit dans sa main ; les
cierges brûlent de chaque côté du tabernacle, qui domine la radieuse eucharistie ; et les diacres et les sous diacres, et les chanoines et les acolytes, et les chantres et les enfants de chœur, portent des flambeaux allumés, et chantent ces paroles en faisant le tour de l'église, à travers les flots pressés de la foule : « Un ange du Seigneur est descendu du ciel, et, renversant la pierre, il s'est assis dessus; puis, s' adressant aux femmes, il leur a dit : Ne craignez point, car je sais que vous cherchez Jésus. Il est ressuscité; venez, et voyez le lieu où le Seigneur avait été couché. Alléluia! Alléluia !»
«Et lorsqu'elles Furent entrées dans le sépulcre, elles virent assis, au côté droit, un jeune homme vêtu de blanc; et ce jeune homme, les voyant effrayées, leur dit : Ne craignez point, car je sais qui vous cherchez : il est ressuscité.»
Jésus-Christ, étant ressuscité d'entre les morts, ne mourra plus désormais, et la mort n'aura plus d'empire sur lui. Il était mort pour le péché; maintenant, c'est pour Dieu qu'il vit ! Il est mort une fois pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ce qu'il a souffert, et qu'il entrât ainsi dans la gloire?
Le Seigneur est sorti glorieux du tombeau. Pour l'amour de nous il avait été attaché à la croix, et le voilà ressuscité. Alléluia! Alléluia.
C'est ainsi que les prêtres en descendant du sanctuaire, en passant au milieu des fidèles, et dans la grande nef et dans les bas côtés, et dans l'abside, chantent au peuple la
grande nouvelle de la résurrection. Ce mot alléluia, qui veut dire louange à Dieu, est devenu un mot chrétien , que comprend la foule chrétienne ; aussi il est répété par
elle avec une sorte de saint délire, et c'est quelque chose de saisissant d'entendre monter vers les vieilles voûtes de nos églises ce cri dont les Hébreux faisaient retentir
les profondeurs de la mer, quand le Tout-Puissant leur ouvrit un passage au milieu des flots suspendus !
C'est encore aujourd'hui un cri de délivrance, comme ce l'était alors. La mort et la résurrection du Christ ouvrent aussi un passage vers une autre terre promise,
vers le ciel où le Christ est monté. Après le jour du Sabbat qui avait suivi le jour de la mort du Sauveur, Marie Magdeleine, Marie, mère de Jacques, et Salomé, mère des fils de Zébédée, qui, en descendant du Calvaire, avaient acheté des parfums pour embaumer le corps de Jésus, partirent de Jérusalem, le lendemain, de très-bonne heure, et arrivèrent à son sépulcre avant le lever du soleil. Elles portaient avec elles les parfums qu'elles avaient préparées... Mais comme elles approchaient du tombeau, elles se dirent l'une à l'autre : « Qui nous ôtera la pierre scellée du sépulcre? »
Pendant qu'elles parlaient ainsi, la terre se mit à trembler fortement : c'était le moment où l'ange du Seigneur, descendu du ciel, renversait la pierre du tombeau. Cet ange avait le visage plus éclatant qu'un éclair, et sa robe avait plus de blancheur que la neige... Les soldats qui avaient été apostés à la garde du sépulcre virent cet ange et devinrent comme morts, tant ils avaient été saisis de frayeur.
Les femmes, voyant la pierre ôtée, entrèrent dans le monument, et n'y trouvèrent point le corps du Seigneur... Alors leur surprise fut grande, et Marie Magdeleine se mit
à courir, à redescendre à Jérusalem, pour avertir Pierre et Jean et les autres apôtres, de ce qui était arrivé. Pierre et Jean sortirent aussitôt de la ville et prirent en grande hâte le chemin du sépulcre ; ils couraient tous les deux; mais Jean, qui courait le plus vite, arriva le premier; et, s'étant baissé à l'entrée du tombeau, aperçut les linceuls par terre..., mais il attendit que Pierre fût arrivé pour entrer avec lui.
Lorsqu'ils y eurent pénétré, ils virent bien les linceuls dont on avait enveloppé le corps, et le suaire qu'on avait mis sur la face du Sauveur. Ils crurent tous les deux, ainsi
que les femmes, qu'on avait enlevé le corps; car ils ne savaient pas alors ce que l'Écriture enseigne : qu'il fallait qu'il ressuscitât d'entre les morts. Saisis d'étonnement, ils retournèrent à Jérusalem pour dire aux autres apôtres ce qu'ils venaient de voir. Mais les femmes restaient à l'entrée du monument. Marie Magdeleine, se laissant aller aux larmes, pleurait beaucoup en regardant dans le sépulcre vide; tout à coup, dans ses ombres elle vit deux anges vêtus de blanc, assis à l'endroit où avait été mis le corps de Jésus ; l'un à la tête et l'autre aux pieds. Et les anges dirent à Marie Magdeleine : « Femme, pourquoi pleurez-vous? »
Elle répondit: «On a enlevé le corps de mon Seigneur, et je ne sais où on l'a emporté. » Au moment où elle disait ces mots, elle vit debout, tout près d'elle, Jésus, et il lui
demanda aussi : « Femme, pourquoi pleurez-vous? » Et comme le sépulcre était dans un jardin, Marie Magdeleine crut d'abord que cet homme qui lui parlait était le jardinier, et elle dit: «Si c'est vous qui avez enlevé le corps de mon Seigneur, dites-moi où vous l'avez mis, et je l'emporterai. »
Jésus n'avait prononcé que ce mot : Marie! que déjà elle l'avait reconnu ; et, tendant les bras vers lui, elle lui cria : Rabboni! c'est-à-dire, mon maître. « Ne me touchez pas, ajouta le Sauveur ; je ne suis pas encore remonté vers mon Père. Allez vers les disciples, et dites-leur ce que vous avez vu ; dites-leur que je monte vers mon Père, qui est votre père, vers mon Dieu, qui est votre Dieu. »
Magdeleine alla dire aux disciples qui étaient dans l'affliction qu'elle avait vu le Seigneur, et leur rapporta tout ce qu'il lui avait dit; mais ils avaient l'esprit tellement abattu, qu'ils ne la crurent pas, quoiqu'elle affirmât qu'il était vivant et que ses yeux l'avaient vu. Les autres saintes femmes, toujours saisies de frayeur, se tenaient tremblantes près du sépulcre. Les deux anges leur dirent : « Ne craignez point. Vous cherchez Jésus de Nazareth, qui a été crucifié : pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? il n'est point ici, car il est ressuscité,, comme il l'avait dit. Souvenez-vous de ses paroles, alors qu'il était encore en Galilée : Il faut QUE LE FILS DE l'HOMME SOIT LIVRÉ ENTRE LES MAINS DES PÉCHEURS, QU'IL SOIT CRUCIFIÉ, ET QU'IL RESSUSCITE LE TROISIÈME JOUR ; VENEZ ET VOYEZ. »
Les saintes femmes se souvinrent en effet des paroles de Jésus, et, étant sorties du tombeau, agitées de joie et de crainte, elles se hâtèrent aussi pour aller porter aux
apôtres et aux disciples la grande nouvelle qu'elles venaient d'apprendre. Comme elles marchaient vite, louant Dieu au fond de leurs cœurs, Jésus se présenta sur le chemin devant elles et les bénit. Il y avait en lui tant de bonté et de mansuétude, qu'elles osèrent approcher de sa personne et lui baiser les pieds.
Et la bouche du Sauveur s'ouvrit et prononça ces paroles : « Femmes, ne craignez pas, et allez dire à mes frères qu'ils se rendent en Galilée ; ils me verront là. »
Lorsqu'elles furent arrivées au cénacle, lieu où se tenaient les apôtres, elles leur redirent ce qu'elles venaient de voir et d'entendre ; mais leurs paroles, comme celles
de Marie Magdeleine, furent traitées de rêveries.
De leur côté, quelques-uns des soldats qui avaient été apostés à la garde du sépulcre allèrent à la ville, et rapportèrent aux princes des prêtres tout ce qui s'était passé.
A la nouvelle de ces prodiges, les princes des prêtres s'assemblèrent avec les hommes de Pilate et d'Hérode pour aviser à ce qu'il y avait à faire, et il fut résolu par les ennemis de Jésus, qu'une forte somme d'argent serait comptée à ces gardes, pour leur faire dire au peuple que les disciples du Nazaréen étaient venus nuitamment enlever le corps de leur maître.
Les soldats, ayant reçu cet argent, firent ce qui leur était commandé; mais, malgré leur mensonge, la vérité fut connue ; Notre-Seigneur apparut à saint Pierre
et aux disciples d'Emmaüs, et saint Thomas lui-même fut convaincu.
Voici tout l'historique de la grande fête de la résurrection; il y a dans ce récit, fait par les témoins oculaires, un ton de vérité irrésistible. Un homme assez malheureux pour ne vouloir pas croire serait obligé à admirer tous les détails si naïfs et si purs de cette grande histoire. L'Église a dû joindre au souvenir de la résurrection de Jésus-Christ sa plus imposante solennité; aussi elle a appelé cette fête le Jour du Seigneur , la Fête des fêtes , le Jour de la délivrance.
Saint Grégoire de Nazianze dit que la fête de la Pâque est autant au-dessus des autres fêtes du Seigneur, que celles-ci sont au-dessus des fêtes des saints.
Le pape saint Léon disait qu'entre tous les jours que l'on honorait de quelque culte dans la religion chrétienne il n'y en avait point de plus auguste et de plus excellent
que celui de Pâques ; il le regardait comme le point capital de toute la discipline de la grande république chrétienne, d'où dépendait l'économie du culte divin et des
sacrements de l'Église, parce que la résurrection du Sauveur est le fondement de notre religion, et que sans elle notre espérance est vaine.
Et, en effet, nous eussions aimé le fils de Marie dans la crèche , nous l'eussions adoré avec les mages de l'Orient, nous l'eussions écouté dans le temple avec les docteurs, suivi dans la Judée avec ses disciples, admiré dans tous les miracles, que tout cela serait en vain s'il n'était pas ressuscité le troisième jour. C'est la pierre brisée du sépulcre qui crie plus haut que tout pour proclamer la divinité du crucifié du Calvaire.
C'est ce passage du tombeau à la vie qui a fait donner à la fête de la résurrection le nom de passaga, qui, comme chacun le sait, signifie passage. La Pâque des Hébreux , c'était le souvenir du passage de l'esclavage à la liberté. La Pâque des Chrétiens, c'est le souvenir du passage de la mort à la vie, du passage des ombres du sépulcre aux gloires du ciel , du passage de la servitude du péché à la liberté des enfants de Dieu !
Quand les Hébreux eurent traversé la mer au milieu de ses flots divisés et immobiles, quand ils se retrouvèrent sur l'autre rive, séparés, délivrés de leurs ennemis; alors
ils sentirent une grande joie, et, dans un saint enthousiasme, ils chantèrent au Seigneur des hymnes de délivrance. Les chrétiens, le jour de Pâques, font entendre des
chants pareils ; ils chantent : «Peuple», prosterne-toi, adore la victime pascale, adore l'agneau qui sauve les brebis !« Adore le Christ qui réconcilie la terre avec le Ciel! « Oh! que! merveilleux duel entre la vie et la mort»
« Le maître de la vie meurt, mais la mort sera vaincue et le crucifié reprendra la vie, comme un vêtement qui lui appartient et qu'il n'avait fait que déposer!
« Qu'as-tu vu, Magdeleine? dis-nous, qu'as-tu vu sur le chemin? « J'ai vu le sépulcre du Christ vivant ; j'ai vu la gloire du Christ ressuscité; j'ai vu les anges, témoins célestes, avec leurs robes éclatantes de blancheur, me montrer le tombeau vide ; je les ai entendus me dire : Il n'est plus ici.»
« Le Christ, mon espérance, est ressuscité d'entre les morts. Il vous précède en Galilée. « La terre a tremblé, et s'est tenue dans le silence lorsque Dieu s'est levé pour rendre son jugement. »
Tout l'office de cette grande solennité respire l'allégresse et l'enthousiasme ; mais les cérémonies n'ont rien d'extraordinaire, la grand'messe et les vêpres ressemblent
à celles des autres grandes fêtes ; il n'y a de plus dans le sanctuaire que le cierge pascal; le soir, il est porté avec solennité tout autour de l'église, et je vous assure que, pour ceux qui savent quel est ce symbole et ce que représente ce cierge dont la grosse flamme va brillant au-dessus de toutes les têtes de la foule, il y a à penser et à réfléchir.
Ce qui a civilisé le monde, c'est la lumière de la foi, la lumière dont le cierge de Pâques n'est qu'une ombre. Pour éteindre cette flamme qui nous venait du ciel, quels
efforts n'a pas faits l'enfer ! Quand vous êtes dans l'église, vous voyez le cierge pascal partir d'auprès de l'autel , vous le voyez s'avancer dans le sanctuaire, en descendre les marches, puis, en tournant pour entrer dans les bas côtés, tout à coup la lueur sacrée disparaît derrière un faisceau de colonnes; mais bientôt elle reparaît sous l'ouverture d'une ogive ; un peu plus loin , elle se cache derrière d'autres piliers ; à quelque distance elle se montrera de nouveau ; et enfin , vous la verrez revenir resplendissante aux côtés de l'autel.
Ceci nous semble une image fidèle des vicissitudes qu'a traversées le flambeau de la foi chrétienne ; par moments il a brillé d'un grand éclat; par moments sa lueur s'est
cachée, mais elle ne s'est jamais éteinte ; et, à la fin des temps, elle remontera pure et étincelante au ciel, comme le cierge pascal revient au côté de l'autel. Pendant la procession du cierge, les prêtres chantent: «Lorsque Israël sortit de l'Égypte et que la maison de Jacob ne fut plus sous le joug d'un peuple barbare ; La mer vit sur ses bords le peuple délivré, et recula. Le Jourdain vit Israël , et remonta vers sa source :
Les montagnes bondirent comme des moutons, et les collines comme des agneaux.
Mer, pourquoi reculas-tu ainsi? Jourdain, pourquoi remontas-lu vers ta source?
Montagnes, pourquoi bondissiez-vous comme des moutons?
Collines, pourquoi bondissiez-vous comme des agneaux?
La terre s'est ébranlée à la vue du Seigneur, à la vue du Dieu de Jacob. C'est le Seigneur, c'est le Dieu de Jacob qui changea la pierre en une source d'eau , et les rochers en courants d'eaux vives. Ce n'est pas pour nous, ô Seigneur! ce n'est pas pour nous, c'est pour la gloire de votre nom ! Manifestez votre miséricorde et votre vérité, pour que les nations ne disent plus : Où est leur Dieu? Notre Dieu ! il est dans le ciel ! tout ce qui existe a été fait par notre Dieu.
Les idoles des nations ne sont que de l'or et de l'argent : elles ne sont que l'ouvrage des mains des hommes. Elles ont une bouche et elles ne parlent pas; elles ont
des yeux et ne peuvent pas voir. Elles ont des oreilles et ne peuvent rien entendre ; elles ont des narines et ne sentent point. Elles ont des mains et ne sauraient rien toucher;
elles ont des pieds et ne marchent pas, un gosier et ne peuvent crier. Puissent leur ressembler et ceux qui les ont faites, et ceux qui ont confiance en elles.
Pour la maison d'Israël, elle a mis son espérance dans le Seigneur. Le Seigneur est son protecteur et son appui. La maison d'Aaron espère aussi dans le Seigneur, et
le Seigneur la protège. Le Seigneur s'est souvenu de son peuple et l'a béni.»
De pareilles paroles d'allégresse et de triomphe vont bien à la solennité de Pâques , et nous avons vu des hommes de génie et de cœur transportés d'enthousiasme,
en écoutant des milliers de chrétiens chantant, sous les voûtes d'une de nos vieilles églises, le cantique des Israélites délivrés. Après cette poésie des psaumes, l'Église, le jour de Pâques, a encore son hymne de : 0 FILII ET FILIE
Nos pères ont composé, pour cette histoire rimée de la résurrection, un air que savent nos enfants et que chanteront nos arrière-neveux Oh ! je ne connais pas de
cœur si froid qui ne batte mieux quand tous les fidèles, répondant aux voix pures et sonores des choristes, répètent le refrain Alléluia ! Alléluia !
Les échos de nos cathédrales, de nos églises de villages, de nos chapelles des hameaux, répètent bien cet air qu'ils savent depuis longtemps. Pour une solennité comme celle de Pâques , la piété de nos pères n'avait pu se contenter d'un seul jour; aussi le lundi et le mardi qui suivent le dimanche de la résurrection furent longtemps des fêtes d'obligation. Aujourd'hui ces deux jours ne sont plus solennellement chômés ; mais le peuple les sanctifie encore.
Ce temps de Pâques n'a pas que des réjouissances religieuses : comme la fête de la résurrection vient avec le retour des beaux jours, c'est le moment où les artisans,
les ouvriers des villes, ont besoin de respirer hors des rues étroites et des enceintes de pierre; la nature, qui a été pendant l'hiver comme morte sous son suaire de neige, semble aussi ressusciter à cette époque de l'année ; aussi c'est le commencement des fêtes hors des cités. Le peuple va chanter l'hymne o filii et filie! Dans les églises des champs, et dîner au village. C'est le temps où le père et la mère de famille habillent les enfants à neuf; le temps où les magistrats, les hommes d'affaires et les écoliers ont de courtes vacances.
Ces jours qui avoisinent Pâques ont été trouvés trop saints pour que le travail pût y avoir place. Noël a eu sa joie sous les nuages gris et pluvieux de décembre et auprès des foyers Pâques a ses réjouissances quand les arbres commencent à bourgeonner quand les primevères épanouissent leurs fleurs et quand le ciel se tend de bleu.
Alors que nous passons en revue toutes ces saintes allégresses que le catholicisme répand sur notre vie, nous ne pouvons nous empêcher de plaindre du fond de
notre cœur les hommes sceptiques et froids qui ne chôment pas nos fêtes; ce n'est pas pour eux que j'écris; ceux à qui je dédie mon livre ne dédaignent point les joies pures qui viennent d'en haut ; au contraire, ils les recherchent. Eux ne veulent point des froides ombres de la mort, eux croient à la résurrection.
Non-seulement à la résurrection de Jésus-Christ, mais à la résurrection de la société. Oui, nous le prédisons hardiment, la société ne restera point ce qu'elle est aujourd'hui ; on aura beau vouloir la faire rester dans les sombres régions de la mort; on aura beau aposter des gardes pour l'empêcher de sortir du tombeau; elle en renversera la pierre, elle en brisera les scellés, elle en sortira radieuse, et déployant au souffle du ciel l'étendard de la croix.
Car c'est par ce signe qu'elle aura vaincu. Nous qui croyons fermement que ce grand jour de résurrection se lèvera sur le monde, tâchons, hommes de bonne volonté,
d'en hâter la venue. Le pécheur, vous le voyez par moi, peut travailler à amener ce beau jour; il n'y a pas que des mains saintes qui travaillent à reconstruire le temple.
Allons donc de par le pays, et quand nous verrons le scepticisme grandir; quand on ne voudra plus croire que ce que l'on pourra expliquer; quand l'orgueil s'irritera
de tout mystère; quand on ne reconnaîtra qu'à grand' peine le spiritualisme de l'âme, parce que, ainsi que le corps, on ne pourra la disséquer.
Quand nous verrons des hommes prendre des airs fiers, enfoncer bien avant leur chapeau lorsqu'une croix portée par un prêtre viendra à passer près d'eux;
Quand on mettra stupidement une statue profane, au lieu du signe du christianisme et de la résurrection, sur la cendre des morts; Quand nous verrons de telles choses, nous crierons : Antique foi de nos pères ! croyances sacrées ! sortez d'entre les morts, ressuscitez! ressuscitez!
Quand les sectaires de l'égoïsme professeront hautement leurs desséchantes doctrines; quand ils hausseront les épaules en entendant raconter un trait de dévouement; quand ils ricaneront des devoirs et des sacrifices; quand les turpitudes de la morale des intérêts , comme les flots d'un océan de boue liquide, s'agiteront, grossiront, s'élèveront et menaceront de couvrir la société; alors, invoquant bien haut la morale des devoirs , nous crierons de toutes nos forces :Nobles doctrines d'abnégation, grands dévouements, généreux sacrifices ! sortez ! sortez d'entre les morts !ressuscitez, ressuscitez !
A nous ! on voudrait faire une patrie toute neuve , toute dépouillée de traditions, toute rase de monuments; si nos pères ont eu de la renommée, il faudrait l'oublier ; s'ils ont eu de glorieux tombeaux, on ne nous en laisserait que la poudre; tout ce qui daterait des âges chrétiens devrait être comme s'il n'avait jamais été.
Voilà la volonté des impies; oh! nous ne nous soumettrons point à ce stupide vouloir. Nous regretterons dans nos campagnes les vieilles abbayes, avec leurs hauts clochers, leurs ogives, leurs arceaux, leurs cloîtres et les pinacles de leurs toits; les châteaux forts, avec leurs faisceaux de tours, leurs profonds fossés, leurs pont-levis et leurs herses menaçantes; et quand nous verrons la bande sacrilège et noire porter des mains vandales sur ces fleurons de la France catholique ; quand nous marcherons sur la poussière blanche de tous ces monuments , nous nous écrierons : Saints ermites, pieux pèlerins, vaillants chevaliers, poursuivant d'armes, bardes, trouvères, troubadours, sortez d'entre les morts! ressuscitez, ressuscitez!
C'est à la résurrection de ce qui était saint et de ce que l'on a tué, qu'il faut que le vrai chrétien travaille...
Eh! mon Dieu! nous savons bien que ce n'est point en criant aux rois, aux pontifes, aux ermites : ressuscitez! ressuscitez! que nous les ferons se lever de leurs lits de marbre ou d'argile ; nous savons bien que ce n'est pas la voix des hommes qui peut crier assez haut pour réveiller les morts ; mais ce que nous pouvons , ce que nous devons faire, [u]c'est de remettre en honneur les principes, les doctrines de religion, d'honneur, de franchise et de loyauté ; rendons au présent ce qu'il y avait de bon dans le passé, et ce sera assurer le bonheur de l'avenir.
Et quand nous nous serons mis à l'œuvre, ne nous rebutons pas. Alors que nous rencontrerons des obstacles, souvenons-nous, nous qui voulons obéir à ce que le Dieu
de nos pères a commandé, nous qui voulons que la société soit, comme les maisons des enfants d'Israël!, marquée du sang de l'agneau pascal, pour que le Seigneur irrité ne la décime plus, souvenons-nous que les Hébreux, dans la Pâque, étaient debout, les sandales aux pieds, les reins ceints, le bâton à la main ; imitons-les, soyons prêts à nous mettre en marche ; souvenons-nous que nous sommes voyageurs, que la mollesse et les délices du repos ne sont point faits pour celui qui veut atteindre le but qui lui a été marqué; et si sur notre chemin nous trouvons beaucoup de laitues sauvages, c'est-à-dire beaucoup de choses amères, ne murmurons pas, ne nous rebutons pas pour cela; Dieu n'a pas dit que le voyageur, sur cette terre, ne serait nourri que de lait et de miel.
Les fêtes catholiques font plus que de réjouir les âmes chrétiennes qui les célèbrent; elles les rendent meilleures; elles ne répandent pas que des fleurs sur la terre, elles
y font germer les semences du ciel et mûrir des fruits pour l'éternité.
Dernière édition par MichelT le Dim 24 Déc 2017 - 3:27, édité 11 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
16 – Annonciation de la St-Vierge ( 25 Mars)
Voici une fête chrétienne qui, placée par l'Église le 25 de mars, tombe presque toujours dans la quarantaine de larmes, de pénitence et d'expiations. Alors, elle est pour la piété comme un beau rayon de soleil qui, s'échappant entre des nuages sombres et mélancoliques, vient jeter sur la terre une teinte vive et animée, tandis que le ciel reste triste.
Cette fête est comme la merveilleuse toison de Gédéon: sur elle une rosée abondante , et tout autour l'aridité. Vulgairement appelée Notre-Dame de mars, elle est dans l'année religieuse ce qu'est dans la nature la fleur charmante que le peuple nomme aussi violette de mars.
Humble, modeste, bienfaisante, exhalant le plus doux parfum, chère et précieuse aux malades , cette plante s'élève à peine à quelques lignes de hauteur au-dessus des feuilles mortes et des herbes sèches et flétries dont l'hiver a jonché le sol. On la sent mieux qu'on ne la voit; elle recherche l'ombre, elle se cache sous la feuille naissante du buisson d'aubépine; elle semble craindre le grand jour, le regard et la main de l'homme, mais son odeur embaumée la découvre et la trahit.
Telle est la fête de ce jour, tel est le mystère qu'on y honore. Le mystère, il se passe dans le royaume le plus petit et le plus ignoré des royaumes de la terre, dans la province la moins connue de ce petit État, et dans la ville la plus obscure de cette chétive province ; il se passe dans le secret, dans le silence, sous le toit d'une pauvre chaumière, entre Dieu, un ange et une Vierge, mais une Vierge sans fortune et sans éclat aux yeux du monde. Ce mystère n'a été connu que par ses fruits de vie et par le parfum de salut qu'il a répandu parmi nous.
Quarante siècles avaient passé sur la postérité d'Adam. L'heure du salut avait sonné ; les temps prédits par les prophètes et annoncés par les figures étaient enfin arrivés. Il luisait, ce beau jour que le fidèle Abraham avait vivement désiré voir. Tout était dans l'attente du grand événement qui devait renouveler la face de la terre...
Et voici comment s'ouvre cette ère nouvelle, ère de grâce et de paix, ère de clémence et de pardon.
Écoutons la première et admirable scène de ce grand drame, dont le dénouement sera la mort du médiateur, mais aussi la réconciliation du Ciel avec la terre, des hommes avec Dieu. Laissons parler l'historien inspiré de cet événement adorable .
« En ces jours , Dieu envoya l'ange Gabriel en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge qui était mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph, et cette Vierge s'appelait Marie. L'ange étant entré où elle était, lui dit: «Je vous salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. Elle fut troublée en l'entendant parler ainsi, et elle était en peine de ce que voulait dire ce salut. L'ange lui dit : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Vous deviendrez enceinte, et vous mettrez au monde un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin.»
Alors Marie dit à l'ange : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? L'ange lui répondit : Le Saint-Esprit descendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C'est pour cela que le fruit saint qui naitra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Voilà même qu'Élisabeth, votre cousine, est devenue enceinte d'un fils dans sa vieillesse, et celle qu'on appelait stérile est à présent dans son sixième mois, car il n'y a rien d'impossible à Dieu. Marie dit alors : Je suis la servante du Seigneur, que votre parole s'accomplisse en moi. Et l'ange disparut. »
Après ce récit si sublime d'une part, si simple, si naïf, si poétique et si plein de fraîcheur de l'autre, oserons nous nous permettre de jeter quelques réflexions, de hasarder un commentaire, ou, pour parler plus juste, de respirer, de savourer le parfum qu'exhale ce passage, un des plus beaux des livres saints?
Avançons dans ces régions poétiques et saintes à la suite de saint Bernard et de Bossuet, ce génie qui nous a laissé les Élévations, bien nommées, car après les auteurs inspirés, nul ne s'est élevé si haut.
Au sixième mois de la grossesse d'Élisabeth, l'ange Gabriel fut envoyé dans une ville de Galilée, nommée Nazareth, à une Vierge qu'un homme appelé Joseph, de la maison de David, avait épousée, et le nom de la Vierge était Marie.
« Dès que nous voyons l'ange saint Gabriel envoyé, nous devons attendre quelque excellente nouvelle sur la venue du Messie. Lorsque Dieu voulut apprendre à Daniel, homme de désirs, l'arrivée prochaine du Saint des saints , le même ange fut dépêché vers ce saint prophète. » II venait de l'être tout récemment vers Zacharie pour lui promettre l'enfantement du précurseur.
Ici, l'auteur de l'ambassade, c'est Dieu même, le Roi des rois , le Seigneur des seigneurs , l'Éternel, le Tout-Puissant, l'Invincible, le Dieu des dieux. L'envoyé, ce n'est pas un homme de poussière et de cendre; ce ne serait pas assez de l'âme d'un patriarche ou d'un prophète : non , l'innocent Abel , le fidèle Abraham, le chaste et vertueux Joseph, Daniel, si rempli de sagesse, ne seront pas ici les élus du Très-Haut. Il lui faut un des princes de sa céleste cour, un des assistants de son trône, un des premiers esprits de la première des hiérarchies.
Et ce n'est pas à Athènes la savante, à Corinthe la magnifique, à Rome la maîtresse et la reine du monde, ce n'est ni dans la Grèce, si célèbre par ses exploits, ses sciences et ses arts, ni dans la belle Italie; ce n'est pas dans Jérusalem la ville royale, ni dans le temple qui en faisait la grandeur, ni dans le sanctuaire qui en est la partie la plus sacrée, ni parmi les exercices les plus saints d'une fonction toute divine, ni à une princesse assise sur un trône que ce saint ange est envoyé .
C'est dans une ville de Galilée, province des moins estimées, dans une petite ville dont le nom est à peine connu. C'est à l'épouse d'un homme qui, comme elle, était à la vérité de la famille royale, mais réduit à un métier mécanique; c'est à une femme qui, d'après l'ancienne tradition, gagnait, comme son mari, sa vie par son travail, et qui, vivant dans l'obscurité, ne s'occupait qu'à plaire à Dieu et à orner son âme.
Et le nom de cette Vierge était Marie... Marie, nom vénéré et le plus vénérable parmi les noms des créatures! Marie, nom mille fois doux aux lèvres et bien plus doux encore au cœur! Marie, nom que bénissent et le ciel et la terre; nom qu'aime l'innocence et qu'aime aussi le repentir : salut à toi, salut à toi! Sois mon guide dans mes voyages et mon étoile sur la mer ; sois un baume pour mes blessures et un appui pour ma faiblesse.
Le messager divin entre, et paraît soudain aux regards de la Vierge dans le lieu le plus retiré de sa modeste demeure, et où, dit saint Ambroise, il n'y avait qu'un ange qui pût avoir accès : hospitium solis angelis pervium. Marie priait alors, si l'on en croit les traditions de la peinture, qui nous la montrent en oraison quand l'archange lui apparaît. Ainsi, c'est dans la prière que la grâce se répand en nous et que le Ciel parle le mieux à nos cœurs.
Et l'ange dit à la Vierge : Je vous salue , pleine de grâce, très-agréable à Dieu et remplie de ses dons ; le Seigneur est avec vous, et vous êtes bénie par-dessus toutes les femmes. Quel langage respectueux ! quelle humble salutation! quels éloges magnifiques! Sara sous la tente de Mambré, Agar dans le désert de Sur, avaient, elles aussi, vu des anges; mais qu'il y a loin de ces visites aux marques de respect que Gabriel donne à Marie : Je vous salue, pleine de grâce , riche de mille dons, belle de toutes les vertus ; je vous salue, perle terrestre, rose mystique, chef-d’œuvre du Très-Haut, merveille de la création.
Dieu même est avec vous, il habite dans votre cœur, il y a fait ses délices; vous êtes son sanctuaire, son temple bien-aimé, vous êtes et vous serez éternellement bénie entre toutes les femmes, entre toutes les créatures du ciel et de la terre.
Oh ! combien de fois ces paroles ont été répétées depuis! combien de fois elles sont montées comme un parfum de suave odeur vers le trône royal sur lequel Marie est assise auprès de l'Éternel ! que de lèvres elles ont sanctifiées, et que de cœurs elles ont délicieusement émus! Oui, oui, Marie est bénie entre toutes les femmes et par-dessus toutes les femmes. Jamais femme n'a reçu ni ne recevra des honneurs qui approchent de ceux dont se voit et se verra éternellement comblée l'humble.
Vierge de Nazareth. Ah ! puissent mes hommages arriver aussi jusqu'à elle ! Poètes, peintres, sculpteurs, voilà le beau idéal de la virginité, de la maternité, le beau idéal de la femme, le type parfait et divin de la beauté créée.
C'est elle que Raphaël, c'est elle que Michel-Ange ont méditée et contemplée avec le génie de la foi. Méditez-la aussi et prenez vos blocs de marbre, vos toiles et votre lyre. L'étude de la Vierge a enfanté des chefs-d’œuvre, et en enfantera encore jusqu'à la fin des siècles. Ce sujet est inépuisable.
A la vue de l'archange et au son de sa voix, Marie se trouble, et ce trouble, remarque encore saint Ambroise, ne venait pas de ce qu'un ange lui apparaissait, car nul doute qu'elle n'eût avec le Ciel un commerce intime et suivi par l'entremise des esprits bienheureux ; nul doute qu'elle ne vît bien mieux encore que Jacob ces célestes esprits et monter et descendre par l'échelle mystérieuse; mais le trouble de Marie vient de ce que l'archange a revêtu une forme humaine.
Les paroles flatteuses qu'elle entend augmentent encore ses alarmes. Elle sait que les louanges sont l'appât séducteur et l'amorce perfide que le crime jette à l'innocence. Marie garde un profond silence et réfléchit à la nature de cette salutation. Que de leçons dans ce silence! Vierges pures, femmes chastes, méditez-les.
L'ange devait, sans plus de délai, calmer ces vives inquiétudes, et il laisse aussitôt tomber ces paroles rassurantes : Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. Le nom de Dieu la rassure et dissipe ses craintes. L'archange Gabriel ajoute : Vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils auquel vous donnerez le nom de Jésus, de sauveur.
Écoutons les magnifiques destinées de ce fils dont Marie doit être la mère : Il sera grand , non pas d'une grandeur d'emprunt ni d'une grandeur de circonstance, mais d'une grandeur qui lui est propre, d'une grandeur éternelle, de la grandeur qui convient, qui appartient au Fils unique, au Fils par nature du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, el son règne n'aura point de fin.
La grande part qu'eut Marie dans ce mystère a fait donner généralement à la fête qui en consacre la mémoire le nom d'Annonciation de la bienheureuse vierge Marie, comme à la fête du 2 février on donne ordinairement et de préférence celui de Purification de la Sainte Vierge, l'Église montrant par-là combien lui est cher tout ce qui se rattache immédiatement à la gloire, au culte personnel et aux sublimes privilèges de la Mère admirable.
Aussi, dès le cinquième siècle, époque où elle parait avoir été instituée, elle portait le nom d'Annonciation, ou de Fête de la bienheureuse Vierge, fête par excellence, fête même unique alors.
« C'est ainsi, dit Baillet, que, quoique ce fût proprement la fête de la conception de Jésus-Christ, on s'accoutumait insensiblement à la regarder comme particulièrement consacrée à la Sainte Vierge... Et on tournait à l'honneur de la Sainte Vierge le culte dont on honorait le moment auquel elle avait reçu la députation de l'ange et conçu Jésus-Christ.
Aussi cette fête , que les Grecs appelaient Évangélisime, c`est-à-dire Annonciation, était regardée, dès le septième siècle, comme la fête particulière de la maternité de la Vierge. Cependant elle est aussi nommée, dans quelques liturgies, Fête de l'Incarnation du Verbe ou de la Conception de Jésus-Christ.
A ce titre, la fête dont nous parlons est la première des fêtes chrétiennes dans l'ordre des événements, et la première aussi, selon nous, par la grandeur et la majesté du mystère qu'elle honore. Toutes les autres fêtes, tous les autres mystères de la Rédemption, ne sont que la conséquence de l'Incarnation : l'Incarnation est la source; le reste en découle.
Aussi regrettons-nous que, par suite du concordat, elle ne soit plus en France fête d'obligation. C'est la fête de la réhabilitation et de la divinisation , pour ainsi parler, de la nature humaine; c'est l'exaltation de l'humanité; c'est son triomphe sur le péché, sur la mort et sur l'enfer; c'est l'élévation de notre mortalité au-dessus des anges mêmes, et jusque sur le trône de la Divinité; ce sont les noces de la terre ; c'est l'union mystique de notre humanité avec le Verbe; c'est la prise de possession du royaume de ce monde par Jésus-Christ, roi éternel ; ce devrait être , en un mot , la fête de la terre entière.
Voici la prose que chante l'Église quand l'Annonciation, tombant dans la semaine Sainte, est remise au lundi, lendemain de Quasimodo. Alors, cette prose se mêle aux triomphants Alléluia!
« Cessons de soupirer et de verser des larmes; ce jour apporte aux malheureux mortels la plus heureuse nouvelle. Le crime d'un seul nous a tous fait tomber; et pour nous relever de notre chute, le Fils du Très-Haut veut descendre du ciel. Une vierge est choisie pour être sa mère, et l'ange du Seigneur vient lui annoncer le mystère de notre salut.
0 la plus heureuse de toutes les femmes, vierge sans tache, recevez dans votre sein un Dieu qui veut naître de vous. Pour sauver l'homme, le Verbe, que le Père engendre avant tous les temps, se revêt aujourd'hui d'un corps mortel . II l'offrira en sacrifice pour nous racheter, et tout son sang répandu pour nous sera le prix de notre rançon.»
«Malheureux exilé, loin de ma patrie, j'errais çà et là, sans avoir de chemin qui me fît retrouver le séjour du bonheur. Le Seigneur vient dans le lieu de mon exil; lui-même il est le terme de ma félicité, et il en sera la voie : en la suivant, puis-je m'égarer? « 0 souveraine vérité, qui vous cachez sous le voile d'un corps, mais qui vous découvrez aux yeux d'un cœur pur, daignez nous éclairer. Et vous, Vierge sainte, prenez en pitié notre misère; soyez notre avocate auprès de Dieu, ô vous qui, en vous disant la servante du Seigneur, devenez en ce jour la reine du monde entier. »
Mais quand l'Annonciation arrive dans les semaines de Carême, cette prose est supprimée, et remplacée par un trait au chant grave et sévère. L'orgue se tait, et les choristes chantent avec leurs voix mâles ces versets si poétiques :
« La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées; la Justice et la Paix se sont mutuellement embrassées. La Vérité a germé du sein de la terre, et, du haut des cieux, la Justice a jeté sur nous un regard favorable. Il descendra comme une pluie bienfaisante qui fertilise nos campagnes, comme l'eau que le ciel répand pour arroser la terre. Sous son règne fleuriront la justice et l'abondance de la paix. En lui seront bénies toutes les nations de la terre; tous les peuples annonceront sa gloire et sa magnificence. »
Lorsqu'on célèbre cette fête en carême, les vêpres sont chantées immédiatement après la messe , et l'officiant ne descend de l'autel que pour venir occuper sa stalle dans le chœur, parce que, d'après les canons qui règlent le jeûne quadragésimal, les vêpres doivent précéder le premier repas. Et malgré l'allégresse qu'inspire cette solennité, l'Église n'y dispense pas du jeûne, et n'en adoucit en rien la rigueur.
Et c'est, remarque Baillet, parce qu'il n'était pas aisé d'accorder la joie de cette fête avec la pénitence du carême, que divers évêques, surtout en Espagne, transférèrent la solennité de l'Annonciation au mois de décembre pour être célébrée pendant les huit jours qui précèdent immédiatement celle de Noël.
On ne pouvait sans doute, continue cet hagiographe, trouver de temps, en toute l'année , qui se rapporte mieux à l'Annonciation que celui de l'Avent. Tous les offices de ce saint temps pourraient passer pour des offices de l'Annonciation. On n'y parle que de l'attente du Messie, annoncé par l'ange Gabriel, conçu du Saint-Esprit, incarné dans le sein d'une vierge. Tout y est consacré au mystère qui a précédé sa naissance.
En Flandre, la messe de l'Annonciation a été longtemps dite le mercredi des Quatre-Temps de décembre, avant le lever du jour. Elle s'appelait messe dorée, et elle était accompagnée de la représentation du mystère, faite par des acteurs. L'Angleterre protestante, depuis son schisme, a continué d'observer cette fête et de la chômer d'obligation, comme auparavant, avec un jeûne et une veille, un office public du jour, et une collecte particulière. C'est de ce jour qu'elle commence son année ecclésiastique.
A la fête du 25 mars se rattache bien naturellement la salutation angélique ou Ave Maria. Après Dieu, mais infiniment après Dieu, l'objet le plus vénéré de la piété des catholiques , c'est Marie. Ainsi, après la prière à Notre Père qui êtes aux cieux, celle que nous savons le mieux, celle que nous disons le plus, c'est la prière à notre mère, qui est aussi aux cieux.
C'est celle que notre mère par le sang nous a appris à aimer en nous berçant. A peine nos lèvres ont-elles pu bégayer quelques sons, à peine avons-nous pu lier ensemble quelques mots , et prononcer quelques paroles à la suite les unes des autres , que notre langue alors si pure a dit : Je vous salue, Marie. Dans les palais, dans les riches demeures , il y a aussi des images de Marie ; la peinture ou la sculpture reproduisent aux yeux de la famille la mère de l'enfant Jésus , et nous avons vu des princes enfants joindre leurs petites mains devant la statue de la Reine des anges.
Dans la chaumière enfumée, la femme du bûcheron montre du doigt à son enfant une image de la sainte Vierge appendue à la cheminée ou auprès des rideaux du lit. C'est Notre-Dame de Bonsecours, c'est Notre-Dame du Chêne, c'est Notre-Dame de la Garde. Et l'enfant , à genoux, joignant ses deux mains innocentes, dit : Je vous salue, Marie. Quand le dimanche, la fermière, belle de ses habits de fête, va à la messe du village, tantôt portant entre ses bras et pressant sur son cœur, tantôt conduisant par la main son enfant bien-aimé , elle se dirige de préférence vers la chapelle de la Vierge, et vers l'autel qui offre aussi à son pieux regard une mère et son enfant; et là , elle fait dire au sien : Je vous salue, Marie, et l'enfant répète après elle : Je vous salue, Marie.
Nous nous souvenons, avec une émotion que le temps n'a point affaiblie, d'une de ces rencontres, d'un de ces spectacles touchants qui sont dans notre vie ce que les fleurs sont pour la terre , qu'elles embaument et embellissent.
Je vous salue, Marie, oh! que ces paroles ont été souvent répétées depuis dix-huit cents ans ! que de bouches diverses les ont dites! de combien de cœurs elles se sont élancées pour monter vers celle que l'ange Gabriel a saluée avec ces mêmes mots !
L'Ave Maria! les rois et les reines le disent avant de commencer leur journée, comme le laboureur avant d'aller labourer son champ. Je vous salue, Marie, les chevaliers vêtus de fer le répétaient, la lance ou l'épée en main, avant de s'élancer au fort de la bataille. Je vous salue, Marie, c'est le cri du matelot sous les coups de l'orage; le jeune soldat, mourant loin de son pays, se souvenant de sa mère et de son village, dit aussi : « Je vous salue, Marie ! »
L'Ave Maria, c'est la prière du juste qui veut conserver sa justice, et celle du pécheur qui veut avoir une protectrice dans le ciel. L'enfant qui ne fait encore que bégayer quelques mots apprend sur les genoux de sa mère à dire : « Je vous salue, Marie » , et le vieillard courbé sous le poids des ans et des infirmités marche péniblement vers l'autel de la Reine des patriarches, et, s'agenouillant devant son image , dit la même prière que le petit enfant. Vieillesse et jeune âge, bonheur et infortune, richesse et pauvreté, faibles et forts, justes et pécheurs, tous veulent être sous la protection de Marie, et tous la disent avec respect et amour : « Nous vous saluons, pleine de grâce. »
17 – Recouvrement de la Sainte-Croix ( 3 Mai - 14 septembre actuellement)
Satan, vaincu dans sa révolte contre le Très-Haut, a la conscience de son éternelle défaite; précipité des hauteurs du ciel dans les régions de feu, il sait qu'il ne pourra jamais remonter au delà des nuées, là où, par-dessus tous les d'eux, la majesté de Dieu réside; mais, malgré cette conviction, il s'agite toujours dans l'abîme; n'en pouvant
sortir, il veut y attirer ; une grande joie de celui qui a dit : «Mal, sois mon unique bien » , c'est de compter, du haut de son infernal trône, les nombreuses âmes auxquelles il a ravi le bonheur céleste! Après cette hideuse joie, il en a une autre encore; c'est quand, sur la terre, on insulte à la Croix : un sacrilège commis par les hommes, c'est un sujet de triomphe, une cause d'allégresse pour les démons et les damnés; ils savent que, sous les bras étendus de la Croix, il y a du salut pour tous les enfants d'Adam ; et quand ce victorieux, ce glorieux étendard est abaissé ou renversé par les impies, il y a dans le lac de soufre et de bitume comme un moment de répit aux éternelles tortures.
Aussi voilà longtemps que l'implacable Satan pousse les hommes au sacrilège, à la destruction des choses saintes. Quand la race du fratricide Caïn, méconnaissant les enseignements que le Très-Haut avait donnés à Adam et à Ève et par lui-même et par ses anges, voulut se livrer au délire de toutes leurs passions, à l'instigation de Satan, ils détruisirent les autels de gazon qu'ils avaient, dans leurs jours d'innocence, élevés au Seigneur.
Plus tard, quand le Fils de Dieu, s' étant incarné pour racheter les hommes, eut été sacrifié pour le salut de tous, sur le mont Golgotha, l'archange rebelle redoubla
de haine contre le Ciel, et jura par lui-même que l'emplacement du grand et sanglant sacrifice disparaîtrait et serait enlevé à la vénération des disciples du Christ ressuscité.
L'orgueilleux vaincu ne pouvait se résoudre à laisser debout l'étendard du vainqueur de la mort et de l'enfer. La Croix fut abattue, et sur le lieu même où le Dieu de toute pureté, la victime sans tache, avait été immolé, Satan inspira aux conquérants de la Judée, aux maîtres de Jérusalem, l'abominable pensée d'élever un temple à l'impudique Vénus.
Depuis l'empereur Adrien, les adorateurs des faux dieux n'avaient rien négligé pour profaner la sainteté du Calvaire ; ils avaient vu avec quel respect les premiers chrétiens s'approchaient de la montagne sainte, avec quelle pieuse vénération ils baisaient la terre arrosée du sang de Jésus et la pierre brisée de son sépulcre; et pour que le peuple ne reconnût plus l'endroit où la Croix avait été dressée, ils avaient fait du Golgotha un lieu d'idolâtrie, un temple de prostitution.
Pour abolir la mémoire de la résurrection de Jésus-Christ, ils avaient bouché le trou dans lequel l'arbre du salut avait été planté ; ils avaient comblé la grotte du saint sépulcre,
élevé une grande terrasse au-dessus, pavé de pierres le haut, et construit là un temple à Vénus, afin qu'il parut que les chrétiens allaient adorer cette fausse divinité lorsqu'ils y venaient rendre leur culte à Jésus-Christ.
Quand le miraculeux Labarum eut apparu à l`empereur Constantin, quand l'image de la Croix eut été placée au diadème des Césars, un des premiers soins du nouveau chrétien couronné fut de rendre le Calvaire à la vénération du monde ; il ordonna donc que le temple impur fût détruit, qu'il n'en restât pas pierre sur pierre, et que toute souillure fût éloignée de la montagne sacrée. Saint Macaire, évêque de Jérusalem, reçut de l'empereur l'ordre d'y bâtir une magnifique église, le proconsul romain ayant commandement de fournir pour cette construction tout ce qui était nécessaire, tout ce qui pouvait contribuer à la grandeur, à la beauté de ce temple chrétien.
L`Impératrice romaine St-Hélene
Malgré ces ordres donnés par le maître du monde, l'impératrice Hélène, mère de Constantin, se hâta d'arriver à Jérusalem. Elle-même, dans son pieux zèle, voulait surveiller les travaux de ce monument; elle les fit commencer vers l'an 326, après avoir interrogé les descendants de ceux qui avaient été témoins de la passion et de la mort du divin Sauveur. Le peuple a sa mémoire, et il se souvient bien des événements qui ont remué son cœur; il raconte les faits qu'il a vus, ses enfants se les rappellent et les redisent, et cette tradition vaut bien des livres. Hélène écouta cette voix, et, à son aide, elle retrouva, elle reconnut tous les lieux illustrés par les souffrances du fils de l'homme.
La petite montagne du Golgotha est fort près de Jérusalem, et c'était apparemment là que l'on exécutait les criminels. Après que la ville de Jérusalem eut été détruite
par les Romains sous l'empire de Tite, elle se rétablit peu à peu, et les juifs y étaient en assez grand nombre lorsque Barcoquebas se révolta contre les Romains. Adrien ou ses généraux furent obligés de l'assiéger, et, l'ayant prise, la ruinèrent de fond en comble. Après cela, Turanus Rufus, on Tinnius Ruflus, qui était alors gouverneur de Judée, fit passer la charrue sur l'endroit où avait été le temple, pour montrer qu'en cet endroit nul édifice ne pouvait jamais être reconstruit, sans un arrêt exprès du sénat.
Après la guerre, Adrien défendit aux juifs de mettre le pied dans Jérusalem, sous peine de la vie. Il y établit une colonie romaine, et appela la ville Aelia Capitolina. Cette nouvelle ville ne fut pas bâtie sur les ruines de l'ancienne, mais plus au septentrion ; en sorte que le mont du Calvaire, qui auparavant se trouvait hors de la ville, fut presque au centre d'Aelia Capitolina. On n'enferma dans cette ville qu'une assez petite partie de l'ancienne Jérusalem. Le mont de Sion, où avait été le temple de Salomon, était labouré comme un champ ou couvert de démolitions et de ruines.
Aujourd'hui Jérusalem est au même endroit où l'empereur Adrien l'a ceinte de murailles ; mais le temple païen qu'il avait fait élever afin de déguiser et de profaner le Golgotha, est remplacé par l'église que l'impératrice Hélène y a fait bâtir pour garder, recouvrir et enclore les lieux consacrés par la passion et la mort du Christ. C'est en renversant les autels consacrés par Adrien aux faux dieux, à Jupiter, à Vénus, à Adonis ; c'est en déblayant la montagne consacrée par le sang du Sauveur, que des ouvriers trouvèrent, profondément enfouies sous terre, trois croix...
Pendant que les travaux se poursuivaient avec activité, la pieuse mère de l'empereur Constantin priait au pied du Calvaire, quand on vint lui annoncer l'heureuse découverte qui venait d'être faite. Bien vite elle courut à l'endroit où les instruments de supplice venaient d'être trouvés. Les trois croix étaient gisantes sur la terre fraîchement remuée; en les voyant, l'impératrice tomba à genoux pour vénérer la Croix sur laquelle Jésus avait rendu le dernier soupir. Nul doute que ce ne fût une des trois... ; mais laquelle? Une foi fervente parvint bientôt à découvrir celle du Fils de Dieu, à la distinguer de celles des deux larrons mis en croix le même jour, à la même heure, sur le même lieu que le Juste, que ses bourreaux eux-mêmes avaient désigné par le titre de JÉSUS NAZARÉEN, ROI DES JUIFS.
D'après l'ordre de l'impératrice Hélène, trois moribonds furent enlevés de leurs couches et apportés sur des brancards au pied du mont de la rédemption ; là, on les étendit sur les trois croix. Un d'eux fut soudainement, miraculeusement guéri, et, se levant et marchant, se mit à louer et à bénir le Seigneur. Cette éclatante guérison indiqua quelle était la croix du Rédempteur, de celui qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. »
D'autres racontent différemment le miracle qui révéla la vraie Croix. D'après leur récit, ce serait saint Macaire, évêque de Jérusalem, qui aurait fait porter les trois croix
chez une pieuse chrétienne , agonisante et à demi descendue dans la tombe : deux de ces croix avaient déjà touché la malade, et le danger restait imminent, les symptômes funestes ne disparaissaient pas; les pleurs, les sanglots de la famille continuaient. Mais du moment que le bois que le sang de Jésus avait imbibé fut approché de la moribonde, l'ombre de la mort s'éloigna d'elle, et quand une des branches de la Croix eut touché son corps déjà privé de tout mouvement, elle se souleva sur sa couche de douleur, fut soudainement guérie, et glorifia le Fils de Dieu. L'impératrice Hélène, heureuse d'avoir découvert ce trésor sacré, cette glorieuse relique qui laisse bien loin Jérusalem, où elle en laissa une moitié, et l'empereur sou fils, à qui elle envoya l'autre.
Ce prince, qui fondait alors le second siège de l'empire en Orient, et qui faisait travailler à la nouvelle ville de Constantinople, reçut ce saint présent avec de grandes démonstrations de joie, de respect et de vénération. Quelques écrivains racontent que lorsque la ville fut achevée, il fit mettre une portion de ce bois sacré dans sa propre statue, élevée au milieu de la grande place, sur une haute colonne, tenant en sa main droite un globe d'or, avec cette inscription : 0 Christ , mon Dieu! je vous recommande cette cité que je viens de bâtir.
Bientôt de précieuses parcelles de la vraie Croix se répandirent par tout l'univers, comme des garanties contre les souffrances, les chagrins et la mort : pauvres et riches, faibles et puissants, heureux et malheureux, désiraient avec ardeur pouvoir s'agenouiller et prier devant un fragment de l'arbre du salut. Un morceau de la vraie Croix sanctifiait les couronnes des plus puissants monarques , et pour en obtenir ils donnaient les diamants les plus beaux et les pierreries les plus éclatantes.
Les palais, les églises, les monastères, les abbayes, les trésors des villes, les hôpitaux, les asiles de la douleur, enviaient tous des parcelles du bois sacré ; les rois en voulaient pour protéger leurs trônes ; les saints, pour mieux se pénétrer des angoisses du divin Sauveur ; les chevaliers, pour être plus forts dans les batailles ; les juges, pour faire jurer de vrais serments ; les riches, pour garder leur prospérité ; les pauvres, pour voir finir leur misère ; les malades, pour recouvrer la santé, et les moribonds, pour s'assurer d'une pieuse agonie et d'un passage facile de vie à trépas. Ce n'était pas seulement de Jérusalem que découlaient ces saintes libéralités ; les empereurs d'Orient faisaient aussi parfois des distributions de la portion nous chantons encore aujourd'hui , Vexilla régis et Pange lingua.
Il fit aussi un poème sur le même sujet, pour remercier l'empereur Justin et l'impératrice Sophie du riche présent qu'ils avaient fait à Radegonde. Saint Grégoire de
Tours, qui n'était encore que prêtre, fut présenté la réception de cette sainte relique à Tours, où elle fut déposée avant d'être transportée à Poitiers , et il parle
comme témoin oculaire de plusieurs miracles qui s'y firent. La portion de la vraie Croix restée à Jérusalem, et qui était renfermée dans un étui d'argent, y fut conservée jusqu'à la prise de cette ville par Chosroës, roi des Perses. Elle demeura en possession des infidèles pendant quatorze ans, à la grande douleur de toute la chrétienté.
Ce fut Héraclius qui la recouvra des mains de Siroës, fils et successeur de Chosroës, par un traité de paix qu'il fit avec lui : c'est ce recouvrement dont on a fait une fête le 14 septembre, sous le nom de l'Exaltation de la sainte Croix. Je n'énumérerai point ici tous les souverains qui sollicitèrent et qui obtinrent des morceaux de la vraie Croix. Je dirai seulement qu'en 1205, Baudouin, comte de Flandre, empereur de Constantinople , en fit un magnifique présent à Philippe-Auguste, qui fut déposé dans le royal trésor de Saint-Denis. Depuis ce temps, saint Louis retira des mains des Vénitiens la partie qui était restée à Constantinople, et qui leur avait été engagée par l'empereur Baudouin II, ou plutôt par Jehan de Brienne, son beau-père. Après avoir payé aux marchands de Venise l'argent qu'ils avaient prêté à ce prince, il la fit transporter en France en l'an 1241.
Le pieux fils de Blanche de Castille possédait déjà la sainte couronne d'épines, et ce fut avec une joie toute céleste qu'il fit placer, dans cet admirable reliquaire de pierre qu'il venait de faire construire auprès de son palais (la Sainte-Chapelle), le plus gros morceau de la vraie Croix qui fût en Europe. Bientôt beaucoup d'églises de France en reçurent des parcelles, que la piété des fidèles vénère encore. Cette relique de l'arbre de la rédemption était dans une telle vénération parmi nos pères, que nous trouvons trois fêtes qui lui étaient spécialement consacrées : au 3 mai, l` Invention de la sainte Croix, pour rappeler le jour où sainte Hélène l'avait découverte sous les débris du temple païen ; la Susception de la Croix, le premier dimanche d'août, en commémoration du jour où saint Louis avait reçu cette relique , et l`Exaltation de la sainte Croix, le 14 septembre.
Pendant bien des siècles, la vraie Croix n'était exposée à l'adoration des fidèles que le jour du Vendredi saint; et c'est là, en effet, la grande fête de la Croix. Mais la mort de Jésus-Christ répandait trop de tristesse sur cette journée, pour que nos pieux devanciers pussent se contenter de cette fête toute mêlée de larmes.
De cette pensée découlèrent les fêtes que nous venons de nommer. Le mot d'adoration de la Croix scandalise quelques-uns : en l'employant, l'Église a voulu se servir d'un mot qui indiquât un sentiment encore plus respectueux que celui de vénération. La vénération est commandée pour les reliques des saints, des vierges, des solitaires, des martyrs ; pour la relique imprégnée du sang du divin Rédempteur, elle a choisi un mot qui révélât un plus profond hommage que celui que l'on rend aux; saints.
« L'esprit de l'Église, dans cette fête, dit l'historien des fêtes catholiques, est de nous porter à respecter le bois sacré de la vraie Croix, ainsi que les plus petites parcelles qui en sont détachées; à faire attention que le culte que l'on rend à la Croix ne se rapporte pas au bois même de cette Croix , ce qui serait imiter l'erreur des idolâtres, mais à notre divin Sauveur, qui a été attaché à cette Croix; que, quoique que l'on se serve du mot d'adoration en parlant de la croix, c'est Jésus crucifié que nous devons adorer; que cette même Église n'expose à nos yeux les instruments de la passion qu'afin d'élever nos cœurs jusqu'à celui qui a souffert et qui est mort pour nos péchés; que pour être de vrais disciples de notre Sauveur, nous devons supporter avec patience les croix spirituelles qui nous arrivent, comme les maladies, les injustices, la perte des biens temporels , et tous les sujets d'affliction. »
En racontant comment la vraie Croix avait été trouvée par les ouvriers que l'impératrice Hélène avait mis à la chercher sous les débris du temple de Vénus, j'ai dit
que la pieuse mère de Constantin, pendant leur travail, s'était prosternée en prière au pied de la montagne du salut. Dans l'église du Saint-Sépulcre, telle qu'elle existe
encore aujourd'hui, un petit oratoire, tout proche de la chapelle de l'Invention de la Croix, marque l'endroit où sainte Hélène a prié. M. de Chateaubriand termine sa description de l'église du Saint-Sépulcre par le passage suivant :
« L'église du Saint-Sépulcre, composée de plusieurs églises, bâtie sur un terrain inégal, éclairée par une multitude de lampes, est singulièrement mystérieuse : il y règne une obscurité favorable à la piété et au recueillement de l'âme. Les prêtres chrétiens des différentes sectes habitent les différentes parties de l'édifice. Du haut des arcades, où ils se sont nichés comme des colombes, du fond des chapelles et des souterrains, ils font entendre leurs cantiques à toutes les heures du jour et de la nuit.
L'orgue du religieux latin, les cymbales du prêtre abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du solitaire arménien, l'espèce de plainte du moine cophte, frappent tour à tour votre oreille; vous ne savez d'où partent ces concerts ; vous respirez l'odeur de l'encens, sans savoir la main qui le brûle; seulement vous voyez passer, s'enfoncer derrière des colonnes, se perdre dans l'ombre du temple, le pontife qui va célébrer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes où ils se sont accomplis. »
18 – Les Rogations
Il est beau et majestueux de voir toute une grande ville s'émouvoir pour une solennité; c'est un imposant spectacle que toute une population en habits de fête, s'acheminant vers les autels parés du Seigneur, pour célébrer quelques antiques souvenirs du christianisme! Alors les rumeurs de la cité, se mêlant aux sonneries des églises, deviennent comme une seule voix qui va louer Dieu. Des campagnes qui environnent la ville, le voyageur entend ce bruit et n'en a pas peur, car il ne ressemble en rien à celui de la révolte, et il hâte sa marche pour arriver à l'église, dont il aperçoit par-dessus toutes les maisons le haut clocher avec sa croix brillante; là, quoi que étranger, il se trouvera avec des frères. La religion, c'est encore la patrie.
Mais si dans les capitales et les grandes villes les solennités religieuses brillent d'un saisissant éclat, si Noël, si Pâques, y sont magnifiques à voir célébrer, il y a d'autres journées chrétiennes qui sont pleines de charme au milieu des champs. Parmi ces journées, il faut mettre en première ligne les poétiques rogations ; elles ont été instituées pour les campagnes; c'est pour que le Créateur y répande l'abondance, que la croix d'argent et la bannière de velours rouge sont portées autour des sillons. On le sait, les hommes ne demandent avec ferveur à Dieu que ce qui les intéresse, que ce qu'ils comprennent bien; ainsi, un habitant des hameaux chante mal le Te Deum ordonné pour quelque lointaine victoire. Et que lui font à lui les querelles des rois, quand elles n'amènent pas l'ennemi sur le sol natal? Mais quand la religion lui dit : Lève-toi ! sors de ta chaumière, et viens prier le Seigneur de bénir ton labour ; viens lui demander de la rosée et du soleil, de tièdes ondées et de la chaleur pour les champs que tu as cultivés...
oh ! alors on n'a pas besoin de stimuler sa dévotion , car ce n'est pas lui qui doute de la puissance de Dieu ; la nature a été pour lui un grand livre où tout lui a révélé la bonté du Créateur aussi il va prier avec confiance ; il est plein d'espérance, parce que son cœur est rempli de foi. Aussitôt que l'Angélus du matin a sonné, les fidèles des campagnes se rendent à l'église ; c'est là qu'est donné le pieux rendez-vous; le curé et le vicaire n'ont point revêtu la lourde chape brodée : elle aurait trop d'ampleur pour les étroits sentiers que la procession va suivre, et dans le fond des vallées, et sur le flanc des coteaux, et sous l'ombrage des hautes futaies, et à travers les champs de blé : pour que rien n'embarrasse leur marche, les prêtres de la paroisse rustique n'ont pris que l'étole et le surplis.
Le porte-croix, et le marguillier qui tient la bannière patronale, sont en habits de paysans. Ces jours-là, à ces fêtes des campagnes, l'habit du hameau est comme l'habit de cérémonie. Les enfants de chœur, qui sont tout joyeux de traverser les champs et les village», avec leurs aubes blanches et leurs ceintures rouges, dominent de leurs voix claires et argentines les voix graves des chantres. Ceux-ci appellent tous les saints, et, à chaque nom, la foule de vieillards, de femmes, de jeunes hommes et de jeunes filles qui suivent la procession, répond : Ora pro nobis. Parmi ces saints que l'on invoque ainsi, il y a eu de laboureurs et des gardeurs de troupeaux ; mais ce n'est pas eux seulement que l'on prie de veiller sur les campagnes : on demande aux vierges et aux martyrs, aux anachorètes et aux apôtres, aux papes, aux empereurs et aux rois, que l'Église a placés parmi les bienheureux, d'intercéder auprès de Dieu pour que la fertilité et l'abondance viennent récompenser les hommes qui ont arrosé de leurs sueurs ces champs que traverse la croix.
Dans ces journées de mai, rien de plus poétique à voir que cette multitude chrétienne se dessinant sur la verdure naissante du printemps. La croix d'argent brille au soleil, et la bannière de velours ou de damas, avec l'image brodée du saint patron du pays, se déploie et flotte au vent, comme un ancien étendard de chevalerie. Tantôt ces insignes de l'Église apparaissent sur les hauteurs des collines, tantôt descendent dans les profondeurs des vallons; à leur suite on aperçoit comme un long serpent d'une couleur brunâtre tacheté de blanc ; c'est la foule des paysans avec leurs habits de couleur fauve, et des femmes avec leurs coiffes blanches, qui marchent deux à deux sur les pas du prêtre. Si la procession vient à passer devant une chapelle en foncée sous le feuillage ou devant un oratoire creusé dans le rocher, elle s'y arrête un instant, et les chantres répètent trois fois le nom du saint ou de la sainte que l'on vénère dans ce lieu consacré.
En passant près de la fontaine qui donne de pures et limpides eaux à la contrée, le prêtre la bénit pour qu'elle soit toujours bonne et salutaire aux habitants du hameau, pour que les orages ne troublent pas ses ondes, pour que les ardeurs de l'été ne les tarissent pas. Quand le pasteur et son troupeau, revenant vers l'église, arrivent au cimetière, c'est pour les laboureurs morts que l'on prie ; et comme on vient d'appeler la rosée fécondante sur les champs ensemencés, on demande la paix pour ceux qui dorment dans leur fosse de gazon. Souvent je me suis plu à parcourir la campagne les jours des Rogations, et je voyais que la foule pieuse avait été grande le matin à la procession, à la manière dont les chemins et les sentiers étaient battus ; et puis, dans les passages étroits, les fleurs de l'aubépine blanche jonchaient la terre : c'était la procession qui les avait fait tomber en avançant entre les haies.
Dès la veille au soir, les femmes des villages étaient venues aux croix des chemins pour les parer de verdure et de fleurs, car les fidèles, dans leur marche, devaient y faire une station. Dans mon pays, les enterrements s'arrêtent aussi devant ces croix des champs, les porteurs du cercueil se reposent là en priant pour le trépassé dont la bière est posée sur les marches du calvaire rustique ; c'est comme une dernière bénédiction que l'on demande à Dieu pour le laboureur qui a fini ses journées de travail, qui s'en est allé dormir.
Les étrangers qui parcourent la Bretagne se sont souvent étonnés en voyant une grande quantité de toutes petites croix fixées au pied des grandes croix des campagnes : ils ne savaient pas que chaque fois qu'un mort passe devant un calvaire, ses parents y attachent une de ces petites croix. Ce sont les douleurs des hommes rapprochées des douleurs d'un Dieu ; il faut le dire, les vents emportent parfois de ces petites croix; hélas! c'est comme le temps qui emporte les regrets !
Il y a longtemps que ces croix qui s'élèvent dans les paysages de la Bretagne et de la Vendée m'ont donné à réfléchir ; aussi je savais beaucoup d'histoires qui se rattachaient à elles ; le peintre, comme le chrétien, aime à les rencontrer aux carrefours des routes, sur le haut des collines, ou près de la fontaine entourée des saules du vallon. Près de Bouguenais, à trois lieues de Nantes, on m'a montré, il y a bien longtemps, une croix en grande vénération dans la contrée ; on dépose souvent sur sa base du pain, du sel, des œufs et des fruits; le pauvre qui passe par le chemin a droit à cette offrande ; avant de la prendre, il s'agenouille et prie pour le malade qui a pensé à ses besoins.
Pendant la maladie d'une jeune personne, nous avons connu une nourrice qui portait tous les matins la part du pauvre à la croix de la Cayère, pour que Dieu rendît la santé à l'enfant qu'elle avait élevé. Alors la prière de la nourrice fut entendue de Dieu... Mais depuis, la maladie est revenue, et toutes les larmes et tous les vœux n'ont pu retenir la jeune mère dans la vie. A un quart de lieue de Saint-Nazaire, à l'embouchure de la Loire, il y a une autre croix, vénérée depuis des Siècles avant la révolution de 1789 : chaque fois qu'un Vaisseau passait devant elle, il la saluait d'une décharge de toute son artillerie, pendant que l'équipage chantait le Salve regina et le Veni creator. En revenant des pays lointains, la même salve avait lieu, et c'était le Te Deum qu'entonnaient les matelots reconnaissants.
Toutes ces croix si vénérées, si aimées dans le pays très-catholique, sont, comme je l'ai dit, parées de verdure et de fleurs aux jours des Rogations; et à leur pied, les paysans apportent les semences que dans le cours de l'année ils comptent confier à la terre, pour que le prêtre les bénisse. Ces saintes journées des Rogations datent du cinquième siècle, et la première ville où elles aient été célébrées, c'est Vienne en Dauphiné, saint Mamert étant évêque. Alors, de grandes calamités pesaient sur le pays ; depuis que les Bourguignons s'étaient emparés de cette partie de la Gaule , il y était survenu comme une stérilité annuelle ; le printemps avait beau revenir, les arbres languissants semblaient n'ouvrir qu'à regret leurs feuilles ; plus tard an vent desséchant flétrissait et faisait tomber leurs fleurs ; aussi les vignes restaient sans fruits, des déluges de pluie étaient suivis de longues sécheresses , les sources tarissaient : cependant , peu de temps auparavant, les fleuves avaient débordé et vomi leurs eaux bourbeuses et troublées sur les prairies et les champs.
A ce dérangement des saisons venaient se joindre des météores dans le ciel et des tremblements de terre ; des bruits sourds et comme des gémissements lamentables
étaient entendus pendant les nuits. Dans les rues, sur les places publiques de Vienne, le peuple parlait d'apparitions surnaturelles, et les esprits les moins crédules étaient obligés de convenir qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire, et qu'un grand malheur inconnu était proche. La consternation, la stupeur, le découragement, énervaient les populations qui ne travaillaient plus, car elles se disaient : A quoi bon notre pays est maudit de Dieu... Aussi, comme les hommes avaient peur, les bêtes sauvages des bois s'enhardissaient et sortaient de leurs repaires en plein jour ; des bandes de loups avaient été vues creusant la terre des cimetières, ouvrant les fosses et dé chiquetant les cadavres.
La frayeur publique allait devenir du désespoir. Saint Mamert, qui, depuis tous ces fléaux, n'avait cessé de prier pour son troupeau, pensa qu'en cette circonstance il fallait plus que des prières ordinaires ; et, assemblant son peuple, il parla de Ninive que la pénitence avait sauvée: puis, ôtant sa chaussure et remplaçant son étole d'évêque par une corde qu'il noua autour de son cou, il prit une grande croix de bois, et cria : « Que chacun me suive! allons fléchir la colère de Dieu ! »
Tout le monde , dit l'historien des fêtes de l'Église , tout le monde conspira avec lui dans cette sainte entreprise , et d'un commun consentement on choisit les trois jours qui précèdent la fête de l'Ascension. Le saint évêque marqua pour la station ou le terme de la première procession une église en dehors de la ville , mais qui n'en était pas éloignée. Tous les habitants y allèrent avec grande dévotion, dans un extérieur pénitent et humilié, mêlant leurs larmes et leurs gémissements avec le chant des psaumes. Saint Mamert. voyant le zèle de son peuple, porta plus loin le terme des processions suivantes.
Cette pieuse institution produisit des effets merveilleux ; par une émulation qui se mit dans ces exercices de dévotion, elle ne se termina point à la ville ou au diocèse
de Vienne : les évêques des Gaules, considérant la sagesse de cette institution, ne crurent pouvoir rien faire de mieux que de s'y conformer. Saint Césaire, évêque d'Arles, qui
présida au concile d'Agde, l'an 506, a parlé aussi des Rogations de saint Mamert, d'une manière à faire juger qu'elles étaient établies de son temps dans les provinces des Gaules sous la domination des Visigoths ; elles furent reçues aussi, vers le commencement du sixième siècle, dans le reste des Gaules qui composaient les États de Clovis I, roi de France; et depuis ce temps-là, leur observation ne fut jamais interrompue dans les églises de France.
Elle passa en Espagne au septième siècle, et à Rome dès la fin du huitième , sous le pape Léon III. En France, c'étaient de vrais pèlerinages ou des processions de long cours.
Dans les commencements on chômait ces trois jours ; mais bientôt après, cette obligation fut restreinte à l'assistance aux processions et à la messe. La religion, dit l'auteur du Génie du Christianisme, n'a pas voulu que le jour où l'on demande à Dieu les biens de la terre, fût un jour d'oisiveté. Après la procession, chacun retourne au travail. Avec quelle espérance on enfonce le soc dans le sillon après avoir imploré celui qui dirige le soleil et qui garde dans ses trésors les vents du midi et les tièdes ondées! Pour bien achever un jour si saintement commencé, les anciens du village viennent, à l'entrée de la nuit, converser avec le curé , qui prend son repas du soir sous les peupliers de sa cour. La lune répand alors ses dernières harmonies sur cette fête , que ramènent chaque année le mois le plus doux et l'astre le plus mystérieux.
On croit entendre de toutes parts les blés germer dans la terre, et les plantes croître et se développer; des voix inconnues s'élèvent dans le silence des bois, comme le chœur des anges champêtres dont on a invoqué les secours ; et les soupirs du rossignol parviennent à l'oreille des vieillards , assis non loin des tombeaux. Quelle poésie que celle de la fête des Rogations et quel poète que Chateaubriand!
Voici une fête chrétienne qui, placée par l'Église le 25 de mars, tombe presque toujours dans la quarantaine de larmes, de pénitence et d'expiations. Alors, elle est pour la piété comme un beau rayon de soleil qui, s'échappant entre des nuages sombres et mélancoliques, vient jeter sur la terre une teinte vive et animée, tandis que le ciel reste triste.
Cette fête est comme la merveilleuse toison de Gédéon: sur elle une rosée abondante , et tout autour l'aridité. Vulgairement appelée Notre-Dame de mars, elle est dans l'année religieuse ce qu'est dans la nature la fleur charmante que le peuple nomme aussi violette de mars.
Humble, modeste, bienfaisante, exhalant le plus doux parfum, chère et précieuse aux malades , cette plante s'élève à peine à quelques lignes de hauteur au-dessus des feuilles mortes et des herbes sèches et flétries dont l'hiver a jonché le sol. On la sent mieux qu'on ne la voit; elle recherche l'ombre, elle se cache sous la feuille naissante du buisson d'aubépine; elle semble craindre le grand jour, le regard et la main de l'homme, mais son odeur embaumée la découvre et la trahit.
Telle est la fête de ce jour, tel est le mystère qu'on y honore. Le mystère, il se passe dans le royaume le plus petit et le plus ignoré des royaumes de la terre, dans la province la moins connue de ce petit État, et dans la ville la plus obscure de cette chétive province ; il se passe dans le secret, dans le silence, sous le toit d'une pauvre chaumière, entre Dieu, un ange et une Vierge, mais une Vierge sans fortune et sans éclat aux yeux du monde. Ce mystère n'a été connu que par ses fruits de vie et par le parfum de salut qu'il a répandu parmi nous.
Quarante siècles avaient passé sur la postérité d'Adam. L'heure du salut avait sonné ; les temps prédits par les prophètes et annoncés par les figures étaient enfin arrivés. Il luisait, ce beau jour que le fidèle Abraham avait vivement désiré voir. Tout était dans l'attente du grand événement qui devait renouveler la face de la terre...
Et voici comment s'ouvre cette ère nouvelle, ère de grâce et de paix, ère de clémence et de pardon.
Écoutons la première et admirable scène de ce grand drame, dont le dénouement sera la mort du médiateur, mais aussi la réconciliation du Ciel avec la terre, des hommes avec Dieu. Laissons parler l'historien inspiré de cet événement adorable .
« En ces jours , Dieu envoya l'ange Gabriel en une ville de Galilée appelée Nazareth, à une Vierge qui était mariée à un homme de la maison de David, nommé Joseph, et cette Vierge s'appelait Marie. L'ange étant entré où elle était, lui dit: «Je vous salue, ô pleine de grâce, le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. Elle fut troublée en l'entendant parler ainsi, et elle était en peine de ce que voulait dire ce salut. L'ange lui dit : Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. Vous deviendrez enceinte, et vous mettrez au monde un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé le Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n'aura point de fin.»
Alors Marie dit à l'ange : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? L'ange lui répondit : Le Saint-Esprit descendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre. C'est pour cela que le fruit saint qui naitra de vous sera appelé le Fils de Dieu. Voilà même qu'Élisabeth, votre cousine, est devenue enceinte d'un fils dans sa vieillesse, et celle qu'on appelait stérile est à présent dans son sixième mois, car il n'y a rien d'impossible à Dieu. Marie dit alors : Je suis la servante du Seigneur, que votre parole s'accomplisse en moi. Et l'ange disparut. »
Après ce récit si sublime d'une part, si simple, si naïf, si poétique et si plein de fraîcheur de l'autre, oserons nous nous permettre de jeter quelques réflexions, de hasarder un commentaire, ou, pour parler plus juste, de respirer, de savourer le parfum qu'exhale ce passage, un des plus beaux des livres saints?
Avançons dans ces régions poétiques et saintes à la suite de saint Bernard et de Bossuet, ce génie qui nous a laissé les Élévations, bien nommées, car après les auteurs inspirés, nul ne s'est élevé si haut.
Au sixième mois de la grossesse d'Élisabeth, l'ange Gabriel fut envoyé dans une ville de Galilée, nommée Nazareth, à une Vierge qu'un homme appelé Joseph, de la maison de David, avait épousée, et le nom de la Vierge était Marie.
« Dès que nous voyons l'ange saint Gabriel envoyé, nous devons attendre quelque excellente nouvelle sur la venue du Messie. Lorsque Dieu voulut apprendre à Daniel, homme de désirs, l'arrivée prochaine du Saint des saints , le même ange fut dépêché vers ce saint prophète. » II venait de l'être tout récemment vers Zacharie pour lui promettre l'enfantement du précurseur.
Ici, l'auteur de l'ambassade, c'est Dieu même, le Roi des rois , le Seigneur des seigneurs , l'Éternel, le Tout-Puissant, l'Invincible, le Dieu des dieux. L'envoyé, ce n'est pas un homme de poussière et de cendre; ce ne serait pas assez de l'âme d'un patriarche ou d'un prophète : non , l'innocent Abel , le fidèle Abraham, le chaste et vertueux Joseph, Daniel, si rempli de sagesse, ne seront pas ici les élus du Très-Haut. Il lui faut un des princes de sa céleste cour, un des assistants de son trône, un des premiers esprits de la première des hiérarchies.
Et ce n'est pas à Athènes la savante, à Corinthe la magnifique, à Rome la maîtresse et la reine du monde, ce n'est ni dans la Grèce, si célèbre par ses exploits, ses sciences et ses arts, ni dans la belle Italie; ce n'est pas dans Jérusalem la ville royale, ni dans le temple qui en faisait la grandeur, ni dans le sanctuaire qui en est la partie la plus sacrée, ni parmi les exercices les plus saints d'une fonction toute divine, ni à une princesse assise sur un trône que ce saint ange est envoyé .
C'est dans une ville de Galilée, province des moins estimées, dans une petite ville dont le nom est à peine connu. C'est à l'épouse d'un homme qui, comme elle, était à la vérité de la famille royale, mais réduit à un métier mécanique; c'est à une femme qui, d'après l'ancienne tradition, gagnait, comme son mari, sa vie par son travail, et qui, vivant dans l'obscurité, ne s'occupait qu'à plaire à Dieu et à orner son âme.
Et le nom de cette Vierge était Marie... Marie, nom vénéré et le plus vénérable parmi les noms des créatures! Marie, nom mille fois doux aux lèvres et bien plus doux encore au cœur! Marie, nom que bénissent et le ciel et la terre; nom qu'aime l'innocence et qu'aime aussi le repentir : salut à toi, salut à toi! Sois mon guide dans mes voyages et mon étoile sur la mer ; sois un baume pour mes blessures et un appui pour ma faiblesse.
Le messager divin entre, et paraît soudain aux regards de la Vierge dans le lieu le plus retiré de sa modeste demeure, et où, dit saint Ambroise, il n'y avait qu'un ange qui pût avoir accès : hospitium solis angelis pervium. Marie priait alors, si l'on en croit les traditions de la peinture, qui nous la montrent en oraison quand l'archange lui apparaît. Ainsi, c'est dans la prière que la grâce se répand en nous et que le Ciel parle le mieux à nos cœurs.
Et l'ange dit à la Vierge : Je vous salue , pleine de grâce, très-agréable à Dieu et remplie de ses dons ; le Seigneur est avec vous, et vous êtes bénie par-dessus toutes les femmes. Quel langage respectueux ! quelle humble salutation! quels éloges magnifiques! Sara sous la tente de Mambré, Agar dans le désert de Sur, avaient, elles aussi, vu des anges; mais qu'il y a loin de ces visites aux marques de respect que Gabriel donne à Marie : Je vous salue, pleine de grâce , riche de mille dons, belle de toutes les vertus ; je vous salue, perle terrestre, rose mystique, chef-d’œuvre du Très-Haut, merveille de la création.
Dieu même est avec vous, il habite dans votre cœur, il y a fait ses délices; vous êtes son sanctuaire, son temple bien-aimé, vous êtes et vous serez éternellement bénie entre toutes les femmes, entre toutes les créatures du ciel et de la terre.
Oh ! combien de fois ces paroles ont été répétées depuis! combien de fois elles sont montées comme un parfum de suave odeur vers le trône royal sur lequel Marie est assise auprès de l'Éternel ! que de lèvres elles ont sanctifiées, et que de cœurs elles ont délicieusement émus! Oui, oui, Marie est bénie entre toutes les femmes et par-dessus toutes les femmes. Jamais femme n'a reçu ni ne recevra des honneurs qui approchent de ceux dont se voit et se verra éternellement comblée l'humble.
Vierge de Nazareth. Ah ! puissent mes hommages arriver aussi jusqu'à elle ! Poètes, peintres, sculpteurs, voilà le beau idéal de la virginité, de la maternité, le beau idéal de la femme, le type parfait et divin de la beauté créée.
C'est elle que Raphaël, c'est elle que Michel-Ange ont méditée et contemplée avec le génie de la foi. Méditez-la aussi et prenez vos blocs de marbre, vos toiles et votre lyre. L'étude de la Vierge a enfanté des chefs-d’œuvre, et en enfantera encore jusqu'à la fin des siècles. Ce sujet est inépuisable.
A la vue de l'archange et au son de sa voix, Marie se trouble, et ce trouble, remarque encore saint Ambroise, ne venait pas de ce qu'un ange lui apparaissait, car nul doute qu'elle n'eût avec le Ciel un commerce intime et suivi par l'entremise des esprits bienheureux ; nul doute qu'elle ne vît bien mieux encore que Jacob ces célestes esprits et monter et descendre par l'échelle mystérieuse; mais le trouble de Marie vient de ce que l'archange a revêtu une forme humaine.
Les paroles flatteuses qu'elle entend augmentent encore ses alarmes. Elle sait que les louanges sont l'appât séducteur et l'amorce perfide que le crime jette à l'innocence. Marie garde un profond silence et réfléchit à la nature de cette salutation. Que de leçons dans ce silence! Vierges pures, femmes chastes, méditez-les.
L'ange devait, sans plus de délai, calmer ces vives inquiétudes, et il laisse aussitôt tomber ces paroles rassurantes : Ne craignez point, Marie, vous avez trouvé grâce devant le Seigneur. Le nom de Dieu la rassure et dissipe ses craintes. L'archange Gabriel ajoute : Vous concevrez dans votre sein, et vous enfanterez un fils auquel vous donnerez le nom de Jésus, de sauveur.
Écoutons les magnifiques destinées de ce fils dont Marie doit être la mère : Il sera grand , non pas d'une grandeur d'emprunt ni d'une grandeur de circonstance, mais d'une grandeur qui lui est propre, d'une grandeur éternelle, de la grandeur qui convient, qui appartient au Fils unique, au Fils par nature du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père; il régnera éternellement sur la maison de Jacob, el son règne n'aura point de fin.
La grande part qu'eut Marie dans ce mystère a fait donner généralement à la fête qui en consacre la mémoire le nom d'Annonciation de la bienheureuse vierge Marie, comme à la fête du 2 février on donne ordinairement et de préférence celui de Purification de la Sainte Vierge, l'Église montrant par-là combien lui est cher tout ce qui se rattache immédiatement à la gloire, au culte personnel et aux sublimes privilèges de la Mère admirable.
Aussi, dès le cinquième siècle, époque où elle parait avoir été instituée, elle portait le nom d'Annonciation, ou de Fête de la bienheureuse Vierge, fête par excellence, fête même unique alors.
« C'est ainsi, dit Baillet, que, quoique ce fût proprement la fête de la conception de Jésus-Christ, on s'accoutumait insensiblement à la regarder comme particulièrement consacrée à la Sainte Vierge... Et on tournait à l'honneur de la Sainte Vierge le culte dont on honorait le moment auquel elle avait reçu la députation de l'ange et conçu Jésus-Christ.
Aussi cette fête , que les Grecs appelaient Évangélisime, c`est-à-dire Annonciation, était regardée, dès le septième siècle, comme la fête particulière de la maternité de la Vierge. Cependant elle est aussi nommée, dans quelques liturgies, Fête de l'Incarnation du Verbe ou de la Conception de Jésus-Christ.
A ce titre, la fête dont nous parlons est la première des fêtes chrétiennes dans l'ordre des événements, et la première aussi, selon nous, par la grandeur et la majesté du mystère qu'elle honore. Toutes les autres fêtes, tous les autres mystères de la Rédemption, ne sont que la conséquence de l'Incarnation : l'Incarnation est la source; le reste en découle.
Aussi regrettons-nous que, par suite du concordat, elle ne soit plus en France fête d'obligation. C'est la fête de la réhabilitation et de la divinisation , pour ainsi parler, de la nature humaine; c'est l'exaltation de l'humanité; c'est son triomphe sur le péché, sur la mort et sur l'enfer; c'est l'élévation de notre mortalité au-dessus des anges mêmes, et jusque sur le trône de la Divinité; ce sont les noces de la terre ; c'est l'union mystique de notre humanité avec le Verbe; c'est la prise de possession du royaume de ce monde par Jésus-Christ, roi éternel ; ce devrait être , en un mot , la fête de la terre entière.
Voici la prose que chante l'Église quand l'Annonciation, tombant dans la semaine Sainte, est remise au lundi, lendemain de Quasimodo. Alors, cette prose se mêle aux triomphants Alléluia!
« Cessons de soupirer et de verser des larmes; ce jour apporte aux malheureux mortels la plus heureuse nouvelle. Le crime d'un seul nous a tous fait tomber; et pour nous relever de notre chute, le Fils du Très-Haut veut descendre du ciel. Une vierge est choisie pour être sa mère, et l'ange du Seigneur vient lui annoncer le mystère de notre salut.
0 la plus heureuse de toutes les femmes, vierge sans tache, recevez dans votre sein un Dieu qui veut naître de vous. Pour sauver l'homme, le Verbe, que le Père engendre avant tous les temps, se revêt aujourd'hui d'un corps mortel . II l'offrira en sacrifice pour nous racheter, et tout son sang répandu pour nous sera le prix de notre rançon.»
«Malheureux exilé, loin de ma patrie, j'errais çà et là, sans avoir de chemin qui me fît retrouver le séjour du bonheur. Le Seigneur vient dans le lieu de mon exil; lui-même il est le terme de ma félicité, et il en sera la voie : en la suivant, puis-je m'égarer? « 0 souveraine vérité, qui vous cachez sous le voile d'un corps, mais qui vous découvrez aux yeux d'un cœur pur, daignez nous éclairer. Et vous, Vierge sainte, prenez en pitié notre misère; soyez notre avocate auprès de Dieu, ô vous qui, en vous disant la servante du Seigneur, devenez en ce jour la reine du monde entier. »
Mais quand l'Annonciation arrive dans les semaines de Carême, cette prose est supprimée, et remplacée par un trait au chant grave et sévère. L'orgue se tait, et les choristes chantent avec leurs voix mâles ces versets si poétiques :
« La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées; la Justice et la Paix se sont mutuellement embrassées. La Vérité a germé du sein de la terre, et, du haut des cieux, la Justice a jeté sur nous un regard favorable. Il descendra comme une pluie bienfaisante qui fertilise nos campagnes, comme l'eau que le ciel répand pour arroser la terre. Sous son règne fleuriront la justice et l'abondance de la paix. En lui seront bénies toutes les nations de la terre; tous les peuples annonceront sa gloire et sa magnificence. »
Lorsqu'on célèbre cette fête en carême, les vêpres sont chantées immédiatement après la messe , et l'officiant ne descend de l'autel que pour venir occuper sa stalle dans le chœur, parce que, d'après les canons qui règlent le jeûne quadragésimal, les vêpres doivent précéder le premier repas. Et malgré l'allégresse qu'inspire cette solennité, l'Église n'y dispense pas du jeûne, et n'en adoucit en rien la rigueur.
Et c'est, remarque Baillet, parce qu'il n'était pas aisé d'accorder la joie de cette fête avec la pénitence du carême, que divers évêques, surtout en Espagne, transférèrent la solennité de l'Annonciation au mois de décembre pour être célébrée pendant les huit jours qui précèdent immédiatement celle de Noël.
On ne pouvait sans doute, continue cet hagiographe, trouver de temps, en toute l'année , qui se rapporte mieux à l'Annonciation que celui de l'Avent. Tous les offices de ce saint temps pourraient passer pour des offices de l'Annonciation. On n'y parle que de l'attente du Messie, annoncé par l'ange Gabriel, conçu du Saint-Esprit, incarné dans le sein d'une vierge. Tout y est consacré au mystère qui a précédé sa naissance.
En Flandre, la messe de l'Annonciation a été longtemps dite le mercredi des Quatre-Temps de décembre, avant le lever du jour. Elle s'appelait messe dorée, et elle était accompagnée de la représentation du mystère, faite par des acteurs. L'Angleterre protestante, depuis son schisme, a continué d'observer cette fête et de la chômer d'obligation, comme auparavant, avec un jeûne et une veille, un office public du jour, et une collecte particulière. C'est de ce jour qu'elle commence son année ecclésiastique.
A la fête du 25 mars se rattache bien naturellement la salutation angélique ou Ave Maria. Après Dieu, mais infiniment après Dieu, l'objet le plus vénéré de la piété des catholiques , c'est Marie. Ainsi, après la prière à Notre Père qui êtes aux cieux, celle que nous savons le mieux, celle que nous disons le plus, c'est la prière à notre mère, qui est aussi aux cieux.
C'est celle que notre mère par le sang nous a appris à aimer en nous berçant. A peine nos lèvres ont-elles pu bégayer quelques sons, à peine avons-nous pu lier ensemble quelques mots , et prononcer quelques paroles à la suite les unes des autres , que notre langue alors si pure a dit : Je vous salue, Marie. Dans les palais, dans les riches demeures , il y a aussi des images de Marie ; la peinture ou la sculpture reproduisent aux yeux de la famille la mère de l'enfant Jésus , et nous avons vu des princes enfants joindre leurs petites mains devant la statue de la Reine des anges.
Dans la chaumière enfumée, la femme du bûcheron montre du doigt à son enfant une image de la sainte Vierge appendue à la cheminée ou auprès des rideaux du lit. C'est Notre-Dame de Bonsecours, c'est Notre-Dame du Chêne, c'est Notre-Dame de la Garde. Et l'enfant , à genoux, joignant ses deux mains innocentes, dit : Je vous salue, Marie. Quand le dimanche, la fermière, belle de ses habits de fête, va à la messe du village, tantôt portant entre ses bras et pressant sur son cœur, tantôt conduisant par la main son enfant bien-aimé , elle se dirige de préférence vers la chapelle de la Vierge, et vers l'autel qui offre aussi à son pieux regard une mère et son enfant; et là , elle fait dire au sien : Je vous salue, Marie, et l'enfant répète après elle : Je vous salue, Marie.
Nous nous souvenons, avec une émotion que le temps n'a point affaiblie, d'une de ces rencontres, d'un de ces spectacles touchants qui sont dans notre vie ce que les fleurs sont pour la terre , qu'elles embaument et embellissent.
Je vous salue, Marie, oh! que ces paroles ont été souvent répétées depuis dix-huit cents ans ! que de bouches diverses les ont dites! de combien de cœurs elles se sont élancées pour monter vers celle que l'ange Gabriel a saluée avec ces mêmes mots !
L'Ave Maria! les rois et les reines le disent avant de commencer leur journée, comme le laboureur avant d'aller labourer son champ. Je vous salue, Marie, les chevaliers vêtus de fer le répétaient, la lance ou l'épée en main, avant de s'élancer au fort de la bataille. Je vous salue, Marie, c'est le cri du matelot sous les coups de l'orage; le jeune soldat, mourant loin de son pays, se souvenant de sa mère et de son village, dit aussi : « Je vous salue, Marie ! »
L'Ave Maria, c'est la prière du juste qui veut conserver sa justice, et celle du pécheur qui veut avoir une protectrice dans le ciel. L'enfant qui ne fait encore que bégayer quelques mots apprend sur les genoux de sa mère à dire : « Je vous salue, Marie » , et le vieillard courbé sous le poids des ans et des infirmités marche péniblement vers l'autel de la Reine des patriarches, et, s'agenouillant devant son image , dit la même prière que le petit enfant. Vieillesse et jeune âge, bonheur et infortune, richesse et pauvreté, faibles et forts, justes et pécheurs, tous veulent être sous la protection de Marie, et tous la disent avec respect et amour : « Nous vous saluons, pleine de grâce. »
17 – Recouvrement de la Sainte-Croix ( 3 Mai - 14 septembre actuellement)
Satan, vaincu dans sa révolte contre le Très-Haut, a la conscience de son éternelle défaite; précipité des hauteurs du ciel dans les régions de feu, il sait qu'il ne pourra jamais remonter au delà des nuées, là où, par-dessus tous les d'eux, la majesté de Dieu réside; mais, malgré cette conviction, il s'agite toujours dans l'abîme; n'en pouvant
sortir, il veut y attirer ; une grande joie de celui qui a dit : «Mal, sois mon unique bien » , c'est de compter, du haut de son infernal trône, les nombreuses âmes auxquelles il a ravi le bonheur céleste! Après cette hideuse joie, il en a une autre encore; c'est quand, sur la terre, on insulte à la Croix : un sacrilège commis par les hommes, c'est un sujet de triomphe, une cause d'allégresse pour les démons et les damnés; ils savent que, sous les bras étendus de la Croix, il y a du salut pour tous les enfants d'Adam ; et quand ce victorieux, ce glorieux étendard est abaissé ou renversé par les impies, il y a dans le lac de soufre et de bitume comme un moment de répit aux éternelles tortures.
Aussi voilà longtemps que l'implacable Satan pousse les hommes au sacrilège, à la destruction des choses saintes. Quand la race du fratricide Caïn, méconnaissant les enseignements que le Très-Haut avait donnés à Adam et à Ève et par lui-même et par ses anges, voulut se livrer au délire de toutes leurs passions, à l'instigation de Satan, ils détruisirent les autels de gazon qu'ils avaient, dans leurs jours d'innocence, élevés au Seigneur.
Plus tard, quand le Fils de Dieu, s' étant incarné pour racheter les hommes, eut été sacrifié pour le salut de tous, sur le mont Golgotha, l'archange rebelle redoubla
de haine contre le Ciel, et jura par lui-même que l'emplacement du grand et sanglant sacrifice disparaîtrait et serait enlevé à la vénération des disciples du Christ ressuscité.
L'orgueilleux vaincu ne pouvait se résoudre à laisser debout l'étendard du vainqueur de la mort et de l'enfer. La Croix fut abattue, et sur le lieu même où le Dieu de toute pureté, la victime sans tache, avait été immolé, Satan inspira aux conquérants de la Judée, aux maîtres de Jérusalem, l'abominable pensée d'élever un temple à l'impudique Vénus.
Depuis l'empereur Adrien, les adorateurs des faux dieux n'avaient rien négligé pour profaner la sainteté du Calvaire ; ils avaient vu avec quel respect les premiers chrétiens s'approchaient de la montagne sainte, avec quelle pieuse vénération ils baisaient la terre arrosée du sang de Jésus et la pierre brisée de son sépulcre; et pour que le peuple ne reconnût plus l'endroit où la Croix avait été dressée, ils avaient fait du Golgotha un lieu d'idolâtrie, un temple de prostitution.
Pour abolir la mémoire de la résurrection de Jésus-Christ, ils avaient bouché le trou dans lequel l'arbre du salut avait été planté ; ils avaient comblé la grotte du saint sépulcre,
élevé une grande terrasse au-dessus, pavé de pierres le haut, et construit là un temple à Vénus, afin qu'il parut que les chrétiens allaient adorer cette fausse divinité lorsqu'ils y venaient rendre leur culte à Jésus-Christ.
Quand le miraculeux Labarum eut apparu à l`empereur Constantin, quand l'image de la Croix eut été placée au diadème des Césars, un des premiers soins du nouveau chrétien couronné fut de rendre le Calvaire à la vénération du monde ; il ordonna donc que le temple impur fût détruit, qu'il n'en restât pas pierre sur pierre, et que toute souillure fût éloignée de la montagne sacrée. Saint Macaire, évêque de Jérusalem, reçut de l'empereur l'ordre d'y bâtir une magnifique église, le proconsul romain ayant commandement de fournir pour cette construction tout ce qui était nécessaire, tout ce qui pouvait contribuer à la grandeur, à la beauté de ce temple chrétien.
L`Impératrice romaine St-Hélene
Malgré ces ordres donnés par le maître du monde, l'impératrice Hélène, mère de Constantin, se hâta d'arriver à Jérusalem. Elle-même, dans son pieux zèle, voulait surveiller les travaux de ce monument; elle les fit commencer vers l'an 326, après avoir interrogé les descendants de ceux qui avaient été témoins de la passion et de la mort du divin Sauveur. Le peuple a sa mémoire, et il se souvient bien des événements qui ont remué son cœur; il raconte les faits qu'il a vus, ses enfants se les rappellent et les redisent, et cette tradition vaut bien des livres. Hélène écouta cette voix, et, à son aide, elle retrouva, elle reconnut tous les lieux illustrés par les souffrances du fils de l'homme.
La petite montagne du Golgotha est fort près de Jérusalem, et c'était apparemment là que l'on exécutait les criminels. Après que la ville de Jérusalem eut été détruite
par les Romains sous l'empire de Tite, elle se rétablit peu à peu, et les juifs y étaient en assez grand nombre lorsque Barcoquebas se révolta contre les Romains. Adrien ou ses généraux furent obligés de l'assiéger, et, l'ayant prise, la ruinèrent de fond en comble. Après cela, Turanus Rufus, on Tinnius Ruflus, qui était alors gouverneur de Judée, fit passer la charrue sur l'endroit où avait été le temple, pour montrer qu'en cet endroit nul édifice ne pouvait jamais être reconstruit, sans un arrêt exprès du sénat.
Après la guerre, Adrien défendit aux juifs de mettre le pied dans Jérusalem, sous peine de la vie. Il y établit une colonie romaine, et appela la ville Aelia Capitolina. Cette nouvelle ville ne fut pas bâtie sur les ruines de l'ancienne, mais plus au septentrion ; en sorte que le mont du Calvaire, qui auparavant se trouvait hors de la ville, fut presque au centre d'Aelia Capitolina. On n'enferma dans cette ville qu'une assez petite partie de l'ancienne Jérusalem. Le mont de Sion, où avait été le temple de Salomon, était labouré comme un champ ou couvert de démolitions et de ruines.
Aujourd'hui Jérusalem est au même endroit où l'empereur Adrien l'a ceinte de murailles ; mais le temple païen qu'il avait fait élever afin de déguiser et de profaner le Golgotha, est remplacé par l'église que l'impératrice Hélène y a fait bâtir pour garder, recouvrir et enclore les lieux consacrés par la passion et la mort du Christ. C'est en renversant les autels consacrés par Adrien aux faux dieux, à Jupiter, à Vénus, à Adonis ; c'est en déblayant la montagne consacrée par le sang du Sauveur, que des ouvriers trouvèrent, profondément enfouies sous terre, trois croix...
Pendant que les travaux se poursuivaient avec activité, la pieuse mère de l'empereur Constantin priait au pied du Calvaire, quand on vint lui annoncer l'heureuse découverte qui venait d'être faite. Bien vite elle courut à l'endroit où les instruments de supplice venaient d'être trouvés. Les trois croix étaient gisantes sur la terre fraîchement remuée; en les voyant, l'impératrice tomba à genoux pour vénérer la Croix sur laquelle Jésus avait rendu le dernier soupir. Nul doute que ce ne fût une des trois... ; mais laquelle? Une foi fervente parvint bientôt à découvrir celle du Fils de Dieu, à la distinguer de celles des deux larrons mis en croix le même jour, à la même heure, sur le même lieu que le Juste, que ses bourreaux eux-mêmes avaient désigné par le titre de JÉSUS NAZARÉEN, ROI DES JUIFS.
D'après l'ordre de l'impératrice Hélène, trois moribonds furent enlevés de leurs couches et apportés sur des brancards au pied du mont de la rédemption ; là, on les étendit sur les trois croix. Un d'eux fut soudainement, miraculeusement guéri, et, se levant et marchant, se mit à louer et à bénir le Seigneur. Cette éclatante guérison indiqua quelle était la croix du Rédempteur, de celui qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. »
D'autres racontent différemment le miracle qui révéla la vraie Croix. D'après leur récit, ce serait saint Macaire, évêque de Jérusalem, qui aurait fait porter les trois croix
chez une pieuse chrétienne , agonisante et à demi descendue dans la tombe : deux de ces croix avaient déjà touché la malade, et le danger restait imminent, les symptômes funestes ne disparaissaient pas; les pleurs, les sanglots de la famille continuaient. Mais du moment que le bois que le sang de Jésus avait imbibé fut approché de la moribonde, l'ombre de la mort s'éloigna d'elle, et quand une des branches de la Croix eut touché son corps déjà privé de tout mouvement, elle se souleva sur sa couche de douleur, fut soudainement guérie, et glorifia le Fils de Dieu. L'impératrice Hélène, heureuse d'avoir découvert ce trésor sacré, cette glorieuse relique qui laisse bien loin Jérusalem, où elle en laissa une moitié, et l'empereur sou fils, à qui elle envoya l'autre.
Ce prince, qui fondait alors le second siège de l'empire en Orient, et qui faisait travailler à la nouvelle ville de Constantinople, reçut ce saint présent avec de grandes démonstrations de joie, de respect et de vénération. Quelques écrivains racontent que lorsque la ville fut achevée, il fit mettre une portion de ce bois sacré dans sa propre statue, élevée au milieu de la grande place, sur une haute colonne, tenant en sa main droite un globe d'or, avec cette inscription : 0 Christ , mon Dieu! je vous recommande cette cité que je viens de bâtir.
Bientôt de précieuses parcelles de la vraie Croix se répandirent par tout l'univers, comme des garanties contre les souffrances, les chagrins et la mort : pauvres et riches, faibles et puissants, heureux et malheureux, désiraient avec ardeur pouvoir s'agenouiller et prier devant un fragment de l'arbre du salut. Un morceau de la vraie Croix sanctifiait les couronnes des plus puissants monarques , et pour en obtenir ils donnaient les diamants les plus beaux et les pierreries les plus éclatantes.
Les palais, les églises, les monastères, les abbayes, les trésors des villes, les hôpitaux, les asiles de la douleur, enviaient tous des parcelles du bois sacré ; les rois en voulaient pour protéger leurs trônes ; les saints, pour mieux se pénétrer des angoisses du divin Sauveur ; les chevaliers, pour être plus forts dans les batailles ; les juges, pour faire jurer de vrais serments ; les riches, pour garder leur prospérité ; les pauvres, pour voir finir leur misère ; les malades, pour recouvrer la santé, et les moribonds, pour s'assurer d'une pieuse agonie et d'un passage facile de vie à trépas. Ce n'était pas seulement de Jérusalem que découlaient ces saintes libéralités ; les empereurs d'Orient faisaient aussi parfois des distributions de la portion nous chantons encore aujourd'hui , Vexilla régis et Pange lingua.
Il fit aussi un poème sur le même sujet, pour remercier l'empereur Justin et l'impératrice Sophie du riche présent qu'ils avaient fait à Radegonde. Saint Grégoire de
Tours, qui n'était encore que prêtre, fut présenté la réception de cette sainte relique à Tours, où elle fut déposée avant d'être transportée à Poitiers , et il parle
comme témoin oculaire de plusieurs miracles qui s'y firent. La portion de la vraie Croix restée à Jérusalem, et qui était renfermée dans un étui d'argent, y fut conservée jusqu'à la prise de cette ville par Chosroës, roi des Perses. Elle demeura en possession des infidèles pendant quatorze ans, à la grande douleur de toute la chrétienté.
Ce fut Héraclius qui la recouvra des mains de Siroës, fils et successeur de Chosroës, par un traité de paix qu'il fit avec lui : c'est ce recouvrement dont on a fait une fête le 14 septembre, sous le nom de l'Exaltation de la sainte Croix. Je n'énumérerai point ici tous les souverains qui sollicitèrent et qui obtinrent des morceaux de la vraie Croix. Je dirai seulement qu'en 1205, Baudouin, comte de Flandre, empereur de Constantinople , en fit un magnifique présent à Philippe-Auguste, qui fut déposé dans le royal trésor de Saint-Denis. Depuis ce temps, saint Louis retira des mains des Vénitiens la partie qui était restée à Constantinople, et qui leur avait été engagée par l'empereur Baudouin II, ou plutôt par Jehan de Brienne, son beau-père. Après avoir payé aux marchands de Venise l'argent qu'ils avaient prêté à ce prince, il la fit transporter en France en l'an 1241.
Le pieux fils de Blanche de Castille possédait déjà la sainte couronne d'épines, et ce fut avec une joie toute céleste qu'il fit placer, dans cet admirable reliquaire de pierre qu'il venait de faire construire auprès de son palais (la Sainte-Chapelle), le plus gros morceau de la vraie Croix qui fût en Europe. Bientôt beaucoup d'églises de France en reçurent des parcelles, que la piété des fidèles vénère encore. Cette relique de l'arbre de la rédemption était dans une telle vénération parmi nos pères, que nous trouvons trois fêtes qui lui étaient spécialement consacrées : au 3 mai, l` Invention de la sainte Croix, pour rappeler le jour où sainte Hélène l'avait découverte sous les débris du temple païen ; la Susception de la Croix, le premier dimanche d'août, en commémoration du jour où saint Louis avait reçu cette relique , et l`Exaltation de la sainte Croix, le 14 septembre.
Pendant bien des siècles, la vraie Croix n'était exposée à l'adoration des fidèles que le jour du Vendredi saint; et c'est là, en effet, la grande fête de la Croix. Mais la mort de Jésus-Christ répandait trop de tristesse sur cette journée, pour que nos pieux devanciers pussent se contenter de cette fête toute mêlée de larmes.
De cette pensée découlèrent les fêtes que nous venons de nommer. Le mot d'adoration de la Croix scandalise quelques-uns : en l'employant, l'Église a voulu se servir d'un mot qui indiquât un sentiment encore plus respectueux que celui de vénération. La vénération est commandée pour les reliques des saints, des vierges, des solitaires, des martyrs ; pour la relique imprégnée du sang du divin Rédempteur, elle a choisi un mot qui révélât un plus profond hommage que celui que l'on rend aux; saints.
« L'esprit de l'Église, dans cette fête, dit l'historien des fêtes catholiques, est de nous porter à respecter le bois sacré de la vraie Croix, ainsi que les plus petites parcelles qui en sont détachées; à faire attention que le culte que l'on rend à la Croix ne se rapporte pas au bois même de cette Croix , ce qui serait imiter l'erreur des idolâtres, mais à notre divin Sauveur, qui a été attaché à cette Croix; que, quoique que l'on se serve du mot d'adoration en parlant de la croix, c'est Jésus crucifié que nous devons adorer; que cette même Église n'expose à nos yeux les instruments de la passion qu'afin d'élever nos cœurs jusqu'à celui qui a souffert et qui est mort pour nos péchés; que pour être de vrais disciples de notre Sauveur, nous devons supporter avec patience les croix spirituelles qui nous arrivent, comme les maladies, les injustices, la perte des biens temporels , et tous les sujets d'affliction. »
En racontant comment la vraie Croix avait été trouvée par les ouvriers que l'impératrice Hélène avait mis à la chercher sous les débris du temple de Vénus, j'ai dit
que la pieuse mère de Constantin, pendant leur travail, s'était prosternée en prière au pied de la montagne du salut. Dans l'église du Saint-Sépulcre, telle qu'elle existe
encore aujourd'hui, un petit oratoire, tout proche de la chapelle de l'Invention de la Croix, marque l'endroit où sainte Hélène a prié. M. de Chateaubriand termine sa description de l'église du Saint-Sépulcre par le passage suivant :
« L'église du Saint-Sépulcre, composée de plusieurs églises, bâtie sur un terrain inégal, éclairée par une multitude de lampes, est singulièrement mystérieuse : il y règne une obscurité favorable à la piété et au recueillement de l'âme. Les prêtres chrétiens des différentes sectes habitent les différentes parties de l'édifice. Du haut des arcades, où ils se sont nichés comme des colombes, du fond des chapelles et des souterrains, ils font entendre leurs cantiques à toutes les heures du jour et de la nuit.
L'orgue du religieux latin, les cymbales du prêtre abyssin, la voix du caloyer grec, la prière du solitaire arménien, l'espèce de plainte du moine cophte, frappent tour à tour votre oreille; vous ne savez d'où partent ces concerts ; vous respirez l'odeur de l'encens, sans savoir la main qui le brûle; seulement vous voyez passer, s'enfoncer derrière des colonnes, se perdre dans l'ombre du temple, le pontife qui va célébrer les plus redoutables mystères aux lieux mêmes où ils se sont accomplis. »
18 – Les Rogations
Il est beau et majestueux de voir toute une grande ville s'émouvoir pour une solennité; c'est un imposant spectacle que toute une population en habits de fête, s'acheminant vers les autels parés du Seigneur, pour célébrer quelques antiques souvenirs du christianisme! Alors les rumeurs de la cité, se mêlant aux sonneries des églises, deviennent comme une seule voix qui va louer Dieu. Des campagnes qui environnent la ville, le voyageur entend ce bruit et n'en a pas peur, car il ne ressemble en rien à celui de la révolte, et il hâte sa marche pour arriver à l'église, dont il aperçoit par-dessus toutes les maisons le haut clocher avec sa croix brillante; là, quoi que étranger, il se trouvera avec des frères. La religion, c'est encore la patrie.
Mais si dans les capitales et les grandes villes les solennités religieuses brillent d'un saisissant éclat, si Noël, si Pâques, y sont magnifiques à voir célébrer, il y a d'autres journées chrétiennes qui sont pleines de charme au milieu des champs. Parmi ces journées, il faut mettre en première ligne les poétiques rogations ; elles ont été instituées pour les campagnes; c'est pour que le Créateur y répande l'abondance, que la croix d'argent et la bannière de velours rouge sont portées autour des sillons. On le sait, les hommes ne demandent avec ferveur à Dieu que ce qui les intéresse, que ce qu'ils comprennent bien; ainsi, un habitant des hameaux chante mal le Te Deum ordonné pour quelque lointaine victoire. Et que lui font à lui les querelles des rois, quand elles n'amènent pas l'ennemi sur le sol natal? Mais quand la religion lui dit : Lève-toi ! sors de ta chaumière, et viens prier le Seigneur de bénir ton labour ; viens lui demander de la rosée et du soleil, de tièdes ondées et de la chaleur pour les champs que tu as cultivés...
oh ! alors on n'a pas besoin de stimuler sa dévotion , car ce n'est pas lui qui doute de la puissance de Dieu ; la nature a été pour lui un grand livre où tout lui a révélé la bonté du Créateur aussi il va prier avec confiance ; il est plein d'espérance, parce que son cœur est rempli de foi. Aussitôt que l'Angélus du matin a sonné, les fidèles des campagnes se rendent à l'église ; c'est là qu'est donné le pieux rendez-vous; le curé et le vicaire n'ont point revêtu la lourde chape brodée : elle aurait trop d'ampleur pour les étroits sentiers que la procession va suivre, et dans le fond des vallées, et sur le flanc des coteaux, et sous l'ombrage des hautes futaies, et à travers les champs de blé : pour que rien n'embarrasse leur marche, les prêtres de la paroisse rustique n'ont pris que l'étole et le surplis.
Le porte-croix, et le marguillier qui tient la bannière patronale, sont en habits de paysans. Ces jours-là, à ces fêtes des campagnes, l'habit du hameau est comme l'habit de cérémonie. Les enfants de chœur, qui sont tout joyeux de traverser les champs et les village», avec leurs aubes blanches et leurs ceintures rouges, dominent de leurs voix claires et argentines les voix graves des chantres. Ceux-ci appellent tous les saints, et, à chaque nom, la foule de vieillards, de femmes, de jeunes hommes et de jeunes filles qui suivent la procession, répond : Ora pro nobis. Parmi ces saints que l'on invoque ainsi, il y a eu de laboureurs et des gardeurs de troupeaux ; mais ce n'est pas eux seulement que l'on prie de veiller sur les campagnes : on demande aux vierges et aux martyrs, aux anachorètes et aux apôtres, aux papes, aux empereurs et aux rois, que l'Église a placés parmi les bienheureux, d'intercéder auprès de Dieu pour que la fertilité et l'abondance viennent récompenser les hommes qui ont arrosé de leurs sueurs ces champs que traverse la croix.
Dans ces journées de mai, rien de plus poétique à voir que cette multitude chrétienne se dessinant sur la verdure naissante du printemps. La croix d'argent brille au soleil, et la bannière de velours ou de damas, avec l'image brodée du saint patron du pays, se déploie et flotte au vent, comme un ancien étendard de chevalerie. Tantôt ces insignes de l'Église apparaissent sur les hauteurs des collines, tantôt descendent dans les profondeurs des vallons; à leur suite on aperçoit comme un long serpent d'une couleur brunâtre tacheté de blanc ; c'est la foule des paysans avec leurs habits de couleur fauve, et des femmes avec leurs coiffes blanches, qui marchent deux à deux sur les pas du prêtre. Si la procession vient à passer devant une chapelle en foncée sous le feuillage ou devant un oratoire creusé dans le rocher, elle s'y arrête un instant, et les chantres répètent trois fois le nom du saint ou de la sainte que l'on vénère dans ce lieu consacré.
En passant près de la fontaine qui donne de pures et limpides eaux à la contrée, le prêtre la bénit pour qu'elle soit toujours bonne et salutaire aux habitants du hameau, pour que les orages ne troublent pas ses ondes, pour que les ardeurs de l'été ne les tarissent pas. Quand le pasteur et son troupeau, revenant vers l'église, arrivent au cimetière, c'est pour les laboureurs morts que l'on prie ; et comme on vient d'appeler la rosée fécondante sur les champs ensemencés, on demande la paix pour ceux qui dorment dans leur fosse de gazon. Souvent je me suis plu à parcourir la campagne les jours des Rogations, et je voyais que la foule pieuse avait été grande le matin à la procession, à la manière dont les chemins et les sentiers étaient battus ; et puis, dans les passages étroits, les fleurs de l'aubépine blanche jonchaient la terre : c'était la procession qui les avait fait tomber en avançant entre les haies.
Dès la veille au soir, les femmes des villages étaient venues aux croix des chemins pour les parer de verdure et de fleurs, car les fidèles, dans leur marche, devaient y faire une station. Dans mon pays, les enterrements s'arrêtent aussi devant ces croix des champs, les porteurs du cercueil se reposent là en priant pour le trépassé dont la bière est posée sur les marches du calvaire rustique ; c'est comme une dernière bénédiction que l'on demande à Dieu pour le laboureur qui a fini ses journées de travail, qui s'en est allé dormir.
Les étrangers qui parcourent la Bretagne se sont souvent étonnés en voyant une grande quantité de toutes petites croix fixées au pied des grandes croix des campagnes : ils ne savaient pas que chaque fois qu'un mort passe devant un calvaire, ses parents y attachent une de ces petites croix. Ce sont les douleurs des hommes rapprochées des douleurs d'un Dieu ; il faut le dire, les vents emportent parfois de ces petites croix; hélas! c'est comme le temps qui emporte les regrets !
Il y a longtemps que ces croix qui s'élèvent dans les paysages de la Bretagne et de la Vendée m'ont donné à réfléchir ; aussi je savais beaucoup d'histoires qui se rattachaient à elles ; le peintre, comme le chrétien, aime à les rencontrer aux carrefours des routes, sur le haut des collines, ou près de la fontaine entourée des saules du vallon. Près de Bouguenais, à trois lieues de Nantes, on m'a montré, il y a bien longtemps, une croix en grande vénération dans la contrée ; on dépose souvent sur sa base du pain, du sel, des œufs et des fruits; le pauvre qui passe par le chemin a droit à cette offrande ; avant de la prendre, il s'agenouille et prie pour le malade qui a pensé à ses besoins.
Pendant la maladie d'une jeune personne, nous avons connu une nourrice qui portait tous les matins la part du pauvre à la croix de la Cayère, pour que Dieu rendît la santé à l'enfant qu'elle avait élevé. Alors la prière de la nourrice fut entendue de Dieu... Mais depuis, la maladie est revenue, et toutes les larmes et tous les vœux n'ont pu retenir la jeune mère dans la vie. A un quart de lieue de Saint-Nazaire, à l'embouchure de la Loire, il y a une autre croix, vénérée depuis des Siècles avant la révolution de 1789 : chaque fois qu'un Vaisseau passait devant elle, il la saluait d'une décharge de toute son artillerie, pendant que l'équipage chantait le Salve regina et le Veni creator. En revenant des pays lointains, la même salve avait lieu, et c'était le Te Deum qu'entonnaient les matelots reconnaissants.
Toutes ces croix si vénérées, si aimées dans le pays très-catholique, sont, comme je l'ai dit, parées de verdure et de fleurs aux jours des Rogations; et à leur pied, les paysans apportent les semences que dans le cours de l'année ils comptent confier à la terre, pour que le prêtre les bénisse. Ces saintes journées des Rogations datent du cinquième siècle, et la première ville où elles aient été célébrées, c'est Vienne en Dauphiné, saint Mamert étant évêque. Alors, de grandes calamités pesaient sur le pays ; depuis que les Bourguignons s'étaient emparés de cette partie de la Gaule , il y était survenu comme une stérilité annuelle ; le printemps avait beau revenir, les arbres languissants semblaient n'ouvrir qu'à regret leurs feuilles ; plus tard an vent desséchant flétrissait et faisait tomber leurs fleurs ; aussi les vignes restaient sans fruits, des déluges de pluie étaient suivis de longues sécheresses , les sources tarissaient : cependant , peu de temps auparavant, les fleuves avaient débordé et vomi leurs eaux bourbeuses et troublées sur les prairies et les champs.
A ce dérangement des saisons venaient se joindre des météores dans le ciel et des tremblements de terre ; des bruits sourds et comme des gémissements lamentables
étaient entendus pendant les nuits. Dans les rues, sur les places publiques de Vienne, le peuple parlait d'apparitions surnaturelles, et les esprits les moins crédules étaient obligés de convenir qu'il se passait quelque chose d'extraordinaire, et qu'un grand malheur inconnu était proche. La consternation, la stupeur, le découragement, énervaient les populations qui ne travaillaient plus, car elles se disaient : A quoi bon notre pays est maudit de Dieu... Aussi, comme les hommes avaient peur, les bêtes sauvages des bois s'enhardissaient et sortaient de leurs repaires en plein jour ; des bandes de loups avaient été vues creusant la terre des cimetières, ouvrant les fosses et dé chiquetant les cadavres.
La frayeur publique allait devenir du désespoir. Saint Mamert, qui, depuis tous ces fléaux, n'avait cessé de prier pour son troupeau, pensa qu'en cette circonstance il fallait plus que des prières ordinaires ; et, assemblant son peuple, il parla de Ninive que la pénitence avait sauvée: puis, ôtant sa chaussure et remplaçant son étole d'évêque par une corde qu'il noua autour de son cou, il prit une grande croix de bois, et cria : « Que chacun me suive! allons fléchir la colère de Dieu ! »
Tout le monde , dit l'historien des fêtes de l'Église , tout le monde conspira avec lui dans cette sainte entreprise , et d'un commun consentement on choisit les trois jours qui précèdent la fête de l'Ascension. Le saint évêque marqua pour la station ou le terme de la première procession une église en dehors de la ville , mais qui n'en était pas éloignée. Tous les habitants y allèrent avec grande dévotion, dans un extérieur pénitent et humilié, mêlant leurs larmes et leurs gémissements avec le chant des psaumes. Saint Mamert. voyant le zèle de son peuple, porta plus loin le terme des processions suivantes.
Cette pieuse institution produisit des effets merveilleux ; par une émulation qui se mit dans ces exercices de dévotion, elle ne se termina point à la ville ou au diocèse
de Vienne : les évêques des Gaules, considérant la sagesse de cette institution, ne crurent pouvoir rien faire de mieux que de s'y conformer. Saint Césaire, évêque d'Arles, qui
présida au concile d'Agde, l'an 506, a parlé aussi des Rogations de saint Mamert, d'une manière à faire juger qu'elles étaient établies de son temps dans les provinces des Gaules sous la domination des Visigoths ; elles furent reçues aussi, vers le commencement du sixième siècle, dans le reste des Gaules qui composaient les États de Clovis I, roi de France; et depuis ce temps-là, leur observation ne fut jamais interrompue dans les églises de France.
Elle passa en Espagne au septième siècle, et à Rome dès la fin du huitième , sous le pape Léon III. En France, c'étaient de vrais pèlerinages ou des processions de long cours.
Dans les commencements on chômait ces trois jours ; mais bientôt après, cette obligation fut restreinte à l'assistance aux processions et à la messe. La religion, dit l'auteur du Génie du Christianisme, n'a pas voulu que le jour où l'on demande à Dieu les biens de la terre, fût un jour d'oisiveté. Après la procession, chacun retourne au travail. Avec quelle espérance on enfonce le soc dans le sillon après avoir imploré celui qui dirige le soleil et qui garde dans ses trésors les vents du midi et les tièdes ondées! Pour bien achever un jour si saintement commencé, les anciens du village viennent, à l'entrée de la nuit, converser avec le curé , qui prend son repas du soir sous les peupliers de sa cour. La lune répand alors ses dernières harmonies sur cette fête , que ramènent chaque année le mois le plus doux et l'astre le plus mystérieux.
On croit entendre de toutes parts les blés germer dans la terre, et les plantes croître et se développer; des voix inconnues s'élèvent dans le silence des bois, comme le chœur des anges champêtres dont on a invoqué les secours ; et les soupirs du rossignol parviennent à l'oreille des vieillards , assis non loin des tombeaux. Quelle poésie que celle de la fête des Rogations et quel poète que Chateaubriand!
Dernière édition par MichelT le Ven 23 Mar 2018 - 23:39, édité 14 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
19 – L`Ascension
II y a eu un temps qui a dû être bien merveilleux pour les apôtres, c'est celui qui s'est écoulé depuis la nuit où le Sauveur est ressuscité jusqu'au jour de l'Ascension. Oh! quel saint frémissement ces hommes pleins d'amour et de foi devaient éprouver quand, subitement, sans que les portes eussent besoin de s'ouvrir , Jésus rayonnant de sa divinité se montrait au milieu d'eux l
Quelle douce paix, quels suaves parfums d'en haut devaient se répandre alors dans cette humble maison qui recevait sous son toit celui qui a les nuées pour trône, l'univers pour domaine, et les cieux pour palais! Ayant rempli sa divine mission , ayant enseigné et souffert..., souffert jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix! ayant dormi trois jours dans le sépulcre, étant ressuscité, et ayant prouvé aux plus incrédules sa résurrection , Jésus-Christ , pour se reposer des souffrances de son humanité, aurait pu rester moins de quarante jours parmi les hommes : mais non, son amour pour nous le retenait loin des anges ; on eût dit un royal exilé dont le ban était levé, mais qui ne voulait pas s'en retourner tout de suite au lieu natal, parce que, pendant son bannissement, il s'était habitué à aimer les hommes avec lesquels il avait souffert!
Et remarquez : Jésus choisit , pour apparaître , les lieux qu'il a aimés pendant sa mission terrestre, les campagnes de Galilée, les rives de la mer de Tibériade, les bords des lacs où péchaient ses disciples, la montagne où il se plaisait à enseigner, et enfin le Jardin des Oliviers, où il avait eu sa sueur de sang, et où il avait dit à ses apôtres ; Veillez et priez avec moi!
Dans ces apparitions du Fils de l'homme, il y a vraiment comme des ressouvenirs de patrie. Au moment de retourner vers son Père, le Sauveur rappelle ses disciples auprès de Jérusalem, ville dont les rues ont vu les douleurs de sa passion, ville sur laquelle il a pleuré; c'est du lieu où il a le plus souffert, de ce Jardin des Oliviers où son courage de Dieu a été près de défaillir, qu'il veut prendre congé d'eux, les bénir et remonter au ciel.
Il les assembla donc sur le mont tout voisin de la ville de David ; et là , il leur dit : «Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre ; allez donc en mon nom, par tout le monde, prêcher l'Évangile à toutes créatures. Vous savez ce que j'ai enseigné ; vous m'avez vu souffrir, mourir et ressusciter; vous avez été témoins de l'accomplissement de toutes les prophéties ; allez donc instruisez et baptisez les peuples au nom dit Père, du Fils et du Saint-Esprit. Apprenez aux nations à observer toutes les choses que je vous ai commandées. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé , mais celui qui ne croira pas n'aura point part au salut. Ceux qui croiront recevront de moi la puissance de chasser les démons, de toucher aux serpents sans danger, et de résister aux poisons qu'on leur donnera à boire. Ceux que j'enverrai parleront de nouvelles langues; ils imposeront leurs mains aux malades et les guériront.»
Ayez donc bon courage, car je resterai avec vous jusqu'à la consommation des siècles ! » Puis , Jésus recommanda encore à ses apôtres de ne pas partir de Jérusalem aussitôt que lui aurait quitté la terre, mais d'y attendre la promesse du Père qu'ils avaient ouïe de sa bouche, lorsqu'il leur avait dit : « Jean a baptisé dans l'eau , mais vous, vous serai baptisés dans le Saint-Esprit. »
Il ajouta : « Ce que vous voyez est l'accomplissement de ce que je vous avais dit lorsque je vivais encore avec vous : qu'il était nécessaire que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes, fût accompli. » En même temps, il éclaira leur esprit, afin qu'ils entendissent les Écritures et qu'ils vissent que tout ce qui était arrivé avait été prédit d'avance.
Quelques disciples lui demandèrent alors : «Seigneur, est-ce à présent que vous rétablirez le royaume d'Israël?» Et il leur répondit : « Ce n'est pas à vous à savoir ni le temps ni l'heure que le Père a réservés à sa connaissance et à son pouvoir ; mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous. Et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, dans toute la Judée et le pays de Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre.»
Après ces paroles, le Fils de Dieu, né de la vierge Marie, étendit ses mains sur ses apôtres et ses disciples, qui formaient un grand cercle autour de lui, sur la cime du mont des Oliviers, et, les ayant tous bénis, rayonnant de gloire, de sa propre puissance , sans être emporté par des anges, le divin Sauveur s'éleva majestueux vers le ciel, et tous ceux qui étaient là le virent monter..., monter jusqu'à ce qu'une nuée le dérobât à leurs regard.
Les apôtres et les disciples avaient encore les yeux levés vers le ciel, quand deux anges, semblables à de beaux jeunes hommes, leur apparurent et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêter ainsi à regarder le ciel? Ce Jésus qui vous a quittés et qui s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous y avez vu monter. »
Les disciples l'ayant donc adoré en se prosternant la face contre terre, et ayant baisé la trace de ses pieds, retournèrent comblés de joie à Jérusalem, où ils demeurèrent en attendant l'accomplissement de la promesse qui leur avait été faite, employant les journées d'attente à louer et à bénir Dieu dans le temple.
Tel a été le départ du Christ de cette terre que sa main puissante avait créée aux jours de la naissance des mondes, et qu'il avait arrosée de son sang aux jours de la rédemption. Oh ! s'il avait été donné aux faibles regards des hommes de tout voir dans ce mystère d'un Dieu retournant vers un Dieu, de Dieu revenant à lui-même et rentrant dans sa gloire, comme un roi victorieux revient à son royaume, béni par les captifs qu'il a délivrés!... oh! s'il avait été accordé aux apôtres et aux disciples de connaître tout ce qui s'est passé dans l'espace, quand le Seigneur l'a traversé ; n'auraient-ils pas vu toutes les saintes milices du ciel venir au-devant du vainqueur de la mort? n'auraient-ils pas vu les neuf chœurs de la cour céleste : les chérubins, les séraphins, les trônes, les dominations, les vertus, les puissances, les principautés, les anges et les archanges, jetant, devant le triomphateur, des palmes et des couronnes?
N'auraient-ils pas entendu les voix des anges gardiens de la terre chanter aux anges du ciel :
OUVREZ, OUVREZ VOS PORTES ÉTERNELLES !
LAISSEZ, LAISSEZ PASSER LE ROI DE GLOIRE,
LE ROI FORT, LE ROI IMMORTEL !
Et quand ces portes éternelles se sont ouvertes, quelle splendeurs, plus éclatantes que des millions de soleils, ont dû se répandre au dehors ! Tous ces mondes que nous voyons briller au firmament comme des paillette» d'or, et ceux que la main de Dieu a semés dans l'espace, niait que la distance dérobe à notre vue, auront rayonné d'un éclat inconnu!
Ouvrez, ouvrez les portes éternelles; le Roi de gloire ne vient pas seul : il vient avec les captifs qu'il a délivrés des limbes, les âmes des justes et des patriarches !
Ouvrez-vous, ouvrez-vous, ô portes éternelles! Écoutez les chants de l'Église :
Quel est l'ange à qui le Seigneur ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis vos ennemis sous vos pieds?
Celui qui est descendu du ciel est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux.
II nous a, le premier, tracé une voie nouvelle; il a déchiré le voile du temple, et nous avons vu le Saint des saints.
Vous avez achevé votre œuvre, ô Seigneur ! Vous avez triomphé de la mort, et maintenant vous allez reprendre possession de la gloire du ciel, gloire dont vous vous étiez dépouillé pour nous. Déjà bien élevé au-dessus de la terre, vous nous regardez encore; vous voyez à votre suite les justes que vous avez rachetés, que vous avez fait sortir de leur sombre prison.
Tout l'office du jour de l'Ascension n'est qu'un chant de triomphe. Et dans les hymnes, et dans les versets et dans les antiennes, la pensée du rachat des captifs revient souvent.
Au temps d'Eusèbe, qui vivait vers le commencement du quatrième siècle, on croyait savoir, par tradition, l'endroit d'où Notre-Seigneur était monté au ciel; on montrait dès ce temps, sur le point le plus élevé du mont des Oliviers, sur une pierre, les marques ou l'empreinte des pieds du Sauveur, traces que rien n'avait pu effacer; et cependant la piété des fidèles faisait que bien souvent ils grattaient cette pierre pour emporter chez eux un peu de cette poussière sacrée.
Et ce qui est encore plus merveilleux, dit un vieil auteur, «c'est que Titus, quand il vint faire le siège de Jérusalem, avait planté ses tentes sur le mont des Oliviers, comme sur les autres hauteurs, pour enceindre la ville déicide, et que les pas de tant de soldats, que le roulement de tant de machines de guerre, n'aient pas fait disparaître la marque des pieds du Dieu de paix et d'amour.
Saint Paulin de Noie et Sulpice Sévère, qui étaient contemporains de saint Jérôme, nous apprennent aussi la même chose ; saint Augustin avait la même opinion ; il le prouvait lorsqu'il disait : « On allait en Judée adorer les vestiges de Jésus-Christ, qui se voyaient au lieu d'où il était monté au ciel. Cette merveille subsistait encore au huitième siècle, selon le témoignage du vénérable Bède, et sur la foi d'un évêque d'Occident qui avait fait le voyage de Terre-Sainte.
L'auteur que j'ai cité tout à l'heure dit encore : Dieu fit un autre miracle de grand éclat au sujet de ces vestiges du Seigneur, lorsque l'impératrice Hélène fit bâtir l'église de l'Ascension sur la place du Mont des Oliviers, d'où l'on savait que le divin Sauveur était monté au ciel. On voulut paver, comme le reste de l'église, l'endroit où était la trace de ses pieds, et le couvrir de marbre précieux; mais on avait beau le cimenter et vouloir retenir cette dalle avec de longs clous d'or rivés en terre, une puissance, sortant du lieu même que Jésus-Christ avait touché de ses pieds sacrés, soulevait et jetait toujours à l'écart ce que l'architecte voulait fixer sur l'empreinte miraculeuse.
Il en fut de même lorsque l'on chercha à fermer la voûte; jamais on ne put parvenir à la clore, et pendant bien des siècles le dôme resta avec une ouverture, qui indiquait que Dieu avait passé là pour retourner dans son royaume céleste.
20 – La Pentecôte ( mai - juin)
La Pentecôte des Juifs, qu'ils appelaient la fête des Semaines, la fête de la Loi, la solennité des Moissons, le jour des premiers fruits, avait été instituée par Moïse, pour qu'Israël gardât à jamais le souvenir des commandements que le Seigneur lui avait donnés au milieu des foudres et des éclairs, sur le mont Sinaï.
L'obéissance à ces divins commandements, l'observance de cette loi dictée par Dieu, la sagesse même, devaient faire du peuple qui y serait resté fidèle, le peuple le plus heureux du globe. La Pentecôte des Chrétiens est la commémoration d'une autre grande journée, de celle où le Saint-Esprit, sous la forme visible de langues de feu, descendit sur les apôtres, pour embraser ceux qui devaient éclairer le monde.
Le Dieu descendant au cénacle est le même que l'Éternel descendant sur le Sinaï; sous l'ancienne loi, les tonnerres l'annoncent; sous la loi nouvelle, c'est un bruit semblable à un vent impétueux venant du ciel, qui le précède et remplit la maison où les apôtres étaient rassemblés. A cette grande voix d'en haut, les hommes pleins de foi, qui attendaient le Consolateur que Jésus avait promis de leur envoyer, ne doutent plus que ce ne soit l'accomplissement de la parole divine, et, saisis de crainte et de respect, ils se mettent à prier 0 prodige ! tout à coup des langues de feu se divisent et vont s'arrêter sur chacun d'eux.
Feu du Ciel, vraiment! car à l'instant même ces hommes faibles et timides se sentent entièrement changés ; sous la flamme divine, leurs âmes se sont soudainement agrandies! À présent ils conçoivent les pensées élevées, les généreux dévouements et les nobles sacrifices : à présent l'Esprit-Saint est en eux! Aussi, entendez-les louer et confesser Dieu dans toutes les langues ! A peine savaient-ils l'hébreu, et les voilà parlant, ces douze Galiléens, de manière à être entendus et compris par les Parthes, les Mèdes, les Élamites, et par ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphilie, l'Égypte et la Libye cyrénaïque, et par ceux qui sont venus de Rome, de l'île de Crète et de l'Arabie!
Comment se fait-il que les disciples nous parlent ainsi à chacun notre langue? Comment se fait-il que tout à coup tant de savoir leur ait été donné? Voilà ce qu'avec épouvante se demandaient les témoins du prodige. Mais ceux qui avaient reçu le Saint-Esprit, eux, ne ressentaient plus d'épouvante : car un de ses dons, c'est le courage... Oh! à présent pas un d'entre eux ne renierait le Christ; dans leur soudaine inspiration, ils voient l'avenir: cet avenir sera sanglant pour eux; n'importe, ils s'élanceront au-devant du glaive et des bûchers, de la roue et de la croix; ils ne trembleront plus, le Saint-Esprit est en eux!
Certes, la commémoration du jour où l'Esprit-Saint répandit sur l'Église la richesse de ses dons devait être une des grandes fêtes chrétiennes ; aussi la Pentecôte n'en compte que deux avant elle: Noël et Pâques. Dès les premiers siècles, cette solennité fut célébrée avec toutes les pompes du sanctuaire, et avant que la religion eût élevé ses magnifiques cathédrales, la fête du Saint-Esprit, la fête de celui qui avait donné la fortitude aux premiers martyrs, avait été chômée dans les catacombes! et les saintes paroles qui se chantaient sous leurs voûtes, nous les redisons encore aujourd'hui.
«Seigneur, tu es vraiment grand, et ta puissance éclate de toutes parts!... Toutes les créatures t'obéissent; tu as dit, et tout a été fait; tu as envoyé ton Esprit, et l'univers a été créé... Alléluia! alléluia! Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés, et que ceux qui le haïssent fuient de devant sa face! »
Les prêtres ont pris la couleur rouge pour cette solennité, et c'est revêtu d'une dalmatique couleur de feu et rehaussée d'or, que le diacre, entre deux acolytes portant des cierges allumés, et en face de la croix de vermeil, chante cet évangile au milieu de la fumée des encensoirs qu'on balance près de lui.
« En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m'aime pas ne garde point mes paroles. La parole que vous avez entendue n'est pas ma parole, mais celle de mon Père, qui m'a envoyé... Je vous ai dit ceci, demeurant encore avec vous; mais le Consolateur, qui est le Saint-Esprit et que mon Père vous enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous fera souvenir de toutes mes paroles.»
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s'épouvante : vous avez entendu ce que je vous ai dit ; je m'en vais, et je reviens à vous : si vous m'aimez, vous vous réjouirez de ce que je vous ai dit. Je m'en vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi ; et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que vous le croyiez lorsqu'il sera arrivé. Désormais je ne vous parlerai plus guère, car le prince du monde va venir, et il n'a rien en moi qui lui appartienne; mais afin que le monde connaisse que j'aime mon Père, je fais ce que mon Père m'a ordonné. »
L'hymne Veni creator Spiritus commence les offices de cette journée solennelle. Cette belle prière est connue et répétée par toutes les nations chrétiennes : Les rois la disent à leur sacre. Les magistrats, avant de monter à leur siège de justice. Les évêques et les archevêques, avant de répandre sur le front des lévites l'onction des autels ; les peuples, avant d'ouvrir leurs grandes assemblées:
«Viens, Esprit créateur, viens visiter les âmes de ceux qui sont à toi. Viens et remplis de ta grâce les cœurs que tu as créés. C'est toi que les saintes Écritures ont appelé le Consolateur. C'est toi qu'elles ont nommé le don du Très-Haut, la source d'eau vive, l'onction spirituelle, la charité et le feu sacré. C'est toi qui répands sur nous les sept dons de la grâce, la rosée du ciel. Tu es le doigt de Dieu qui enseigne la route ; tu es la science des apôtres ; c'est toi qui as rendu leurs langues éloquentes. Éclaire aussi nos esprits, embrase aussi nos âmes, fais-y brûler ton amour. Donne de la force à notre faiblesse, rends-nous forts par ta vertu. Repousse loin de nous l'ennemi; oh! rends-nous vite la paix, la paix que tu sais donner. Sois notre guide, pour que nous ne marchions que dans la bonne voie. Sois notre appui, pour que nous fie trébuchions pas dans les pièges des méchants. Garde-nous de tout mal. Fais vivre en nous une foi ardente, et qu'à notre dernier jour nous confessions encore un Dieu en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. »
Il faut l'avouer, c'était une salutaire pensée que celle qui avait fait adopter cette prière par les puissants du monde. Les peuples devaient se reposer plus tranquilles quand ils voyaient les rois qui les gouvernaient et les juges qui prononçaient sur leurs fortunes et leurs vies, implorer les lumières d'en haut. Aujourd'hui, il y a dans les nations une sourde inquiétude : et le moyen de la faire cesser, est-ce de ne leur montrer que des hommes avec leurs faiblesses et leurs passions à la tête des gouvernements? Si Dieu y apparaissait pour donner une garantie de justice, croyez-vous qu'il n'y aurait pas plus de repos, plus de confiance dans le monde?
Nous voyons les hommes politiques se fatiguer à faire des lois; nous les voyons chaque jour grossir leurs codes et donner à leurs polices de nouveaux yeux et de nouveaux bras; nous les voyons assemblant leurs conseils et ordonnant des enquêtes pour découvrir où est le mal qui tourmente la société. Insensés qu'ils sont! ils ont chassé Dieu de leurs lois, et ils veulent que leurs lois soient puissantes ! Dans leur superbe , ils ont dit : Nous savons tout, nos lumières nous suffisent, et nous n'invoquerons pas ce que nos pères appelaient l'Esprit-Saint!
Alors ils se sont assemblés ; alors ils se sont mis à l'œuvre, et avant leurs délibérations ils n'ont pas fléchi le genou, ils n'ont pas regardé le ciel, ils n'ont pas crié : Esprit-Saint, viens nous éclairer! Aussi, regardez ce qu'ils ont fait!
Ils avaient dit ordre, il y a eu désordre. Ils avaient dit : économie, il y a eu dilapidation. Ils avaient dit : Nous allons donner la paix au monde, et le monde a été troublé jusque dans ses entrailles. Ils avaient dit : Nous allons régénérer la terre, et ils l'ont couverte de sang. Ils avaient dit : liberté, et les prisons n'ont plus été assez vastes ni assez nombreuses pour les captifs qu'ils ont faits.
Ils avaient dit : égalité, et ils se sont élevés plus haut que tous les autres, en montant sur les cadavres de leurs victimes, comme sur un trône. Ils avaient dit : justice, et ils se sont enrichis du champ de la veuve et de l'orphelin. Ils avaient dit : fraternité, et les frères se sont fait la guerre, et les pères ont dénoncé leurs fils , et des fils ont demandé le prix de la tête de leurs pères.
Ils avaient dit : humanité, et les échafauds se sont dressés de toutes parts, et les bourreaux ont crié à ceux qui s'étaient faits juges : Nous sommes fatigués, accordez-nous du repos. Ils avaient dit : la mort, et cette fois ils ont tenu parole ; car, alors que les hommes veulent se passer de Dieu, ils ne peuvent donner que cela.
Espérons que les temps de délire et de vertige passeront. Déjà on a l'air de s'apercevoir que Dieu manque aux affaires humaines, et qu'il faut l'y rappeler. Lors que le terrible choléra est venu s'abattre sur Paris, comme un immense oiseau de proie pour manger des morts, des hommes qui se croyaient habiles et qui étaient écoutés dans les conseils , furent d'avis de ne pas faire demander officiellement des prières publiques; et alors on parla aux populations alarmées de sachets de camphre, d'ablutions et de chlorure de chaux; mais de Dieu, pas un mot!
Aujourd'hui, il y a progrès, et nous n'avons montré le mal que pour faire voir que de meilleures pensées commencent à poindre; aujourd'hui, on ose de temps en temps prononcer le mot de Providence, et parfois même demander des Te Deum. Nous, chrétiens, qui n'avons pas la main aux affaires publiques, nous n'en avons pas moins une sainte mission à remplir ; nous écrivons pour la gloire de Dieu et la paix du monde. Mais pour atteindre ce but, il faut qu'un Esprit-Saint nous anime, il faut que nos cœurs brûlent de l'amour du bien. II faut que la langue de feu ait brillé sur nos têtes , et que nous ayons ressenti quelque souffle nous venir du ciel; sans cela, nos efforts seraient vains, et nos paroles ne seraient pas comprises.
Mais si le père des pauvres (pater pauperum) est avec nous, ceux qui souffrent et qui pleurent, en nous lisant ressentiront quelque soulagement (in fletu solatium), et trouveront comme une main amie pour essuyer leurs larmes.
Si nous avons puisé à la source des dons célestes (dator munerum), nous pourrons soulager bien des misères. Si la lumière des coeurs (lumen cordium) a dardé sur
nous quelques-uns de ses divins rayons , un reflet d'en haut brillera sur nos pages.
Si le consolateur par excellence (consolator optime) a répandu en nous quelques-unes de ses joies ineffables, les infortunés viendront à nous comme à des amis. Si le doux hôte des âmes (dulcis hospes animae) s'est reposé chez nous, oh! il y aura de la paix et du calme dans nos pages, et nous serons, pour ceux qui arrosent de leurs sueurs les durs chemins de la vie, comme une suave brise rafraîchissante (dulce refrigerium) au milieu des ardeurs de l'été; comme le repos (in labore requies) pour l'ouvrier qui travaille depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.
Avec l'aide de cet Esprit qui est descendu sur les apôtres au grand jour de la Pentecôte, nous pourrons peut-être laver (lava quod est sordidum) et faire disparaître ces taches et ces souillures que l'impiété a faites au monde: l'aridité (riga quod est aridum) que le scepticisme a étendue sur les sciences, les lettres et les arts, disparaîtra sous nos efforts. Le malaise (sana quod est saucium) qui fait languir les nations cessera, si nous sommes tous animés d'un seul et même esprit, d'un seul et même amour, l'amour du bien; l'amour du bien, c'est l'amour de Dieu.
A l'œuvre! hommes de bonne volonté, hommes de cœur, de savoir et de talent; à l'œuvre! Ce n'est pas pour rien que Dieu a fait descendre sur vos têtes la langue de feu! Ce n'est pas pour rien qu'il vous a accordé le don des langues, la puissance d'émouvoir et d'élever les cœurs.
Écoutez! n'entendez-vous pas comme le bruit d'un vent violent et impétueux? Oh ! je l'entends , moi ; mais cette fois il ne vient pas du ciel, il vient de la terre; ce sont les mauvaises passions déchaînées qui rugissent et qui hurlent... On dirait une tourmente qui approche...
Eh bien ! dans cette effrayante rumeur il y a de quoi s'inspirer. A l'œuvre donc! hommes de bonne volonté; à l'œuvre! répandons dans la terre vierge qui est devant nous, répandons à pleines mains la bonne semence, les paroles sages et les principes purs, et cultivons si bien le champ qui nous a été confié, que lorsque la tempête et l'ouragan s'élèveront, rugiront, et viendront se ruer contre la terre, il y ait quelque chose qui résiste, que ce soit nos enseignements !
Autrefois c'était une belle et imposante cérémonie qu'une messe solennelle du Saint-Esprit; quand les parlements faisaient leur rentrée, quelque haut dignitaire de l'Église était prié, par les premiers présidents, de monter à l'autel, et d'implorer, pour les juges qui allaient reprendre leur place sur les fleurs de lis, les lumières de l'Esprit-Saint.
Alors, il était rassurant, il était majestueux de voit tous ces hommes vieillis dans le sacerdoce de la justice, revêtus de leurs longues robes rouges herminées, venir s'agenouiller humblement devant le Dieu qui juge les juges. Toutes ces lumières des tribunaux venaient implorer les lumières du Ciel; et le peuple, qui voyait ainsi la foi et la piété des juges établis sur lui, prenait de la confiance, et se disait : « Ils prononceront sur nos différends avec conscience; car ils ont invoqué Dieu, qui est, bien plus que les rois, source de toute justice. »
Ces messes s'appelaient messes rouges, à cause des ornements des prêtres, qui étaient couleur de feu, et des robes rouges des hauts magistrats qui y assistaient. Le jour de la Pentecôte a été longtemps, en France, une grande solennité pour nos rois; car ils avaient appelé les splendeurs du Saint-Esprit en aide aux splendeurs de leur trône, déjà si rayonnant de gloire! Et chaque année, pendant l'octave de la Pentecôte, un chapitre solennel de l'ordre du Saint-Esprit devait être tenu.
Grande et imposante assemblée de rois, de princes, de chevaliers, de prélats, de grandeurs des cours, d'illustrations des armées, qui se réunissaient pour aviser aux intérêts de l'ordre, et pour chercher de grands mérites à honorer, ou de grands services qui n'eussent pas encore de récompense. Quoique les évêques donnent la confirmation dans tous les temps de l'année, cependant la fête de la Pentecôte a toujours été regardée comme la plus convenable pour l'administration de ce sacrement.
Les évêques, par l'imposition des mains, renouvellent en quelque sorte le prodige de la descente du Saint-Esprit : ils le font descendre dans les cœurs purifiés, comme il est descendu dans les âmes des apôtres L'esprit qu'ils communiquent par le sacrement de la confirmation est le même que celui qui embrasa les disciples, esprit de foi et d'amour, de constance et de fortitude.
En sortant de leur retraite, les apôtres ne furent retenus par aucune crainte; leur ancienne pusillanimité s'était changée en courage; mille morts se seraient présentées à eux , qu'ils n'auraient pas reculé. Les chrétiens qui ont reçu les dons du Saint-Esprit, les chrétiens qui se relèvent de la confirmation, doivent être de même. Ils sont maintenant assez forts pour le combat.
Dans la chevalerie, quand les poursuivants d'armes avaient fait assez de preuves de vaillance, ils étaient reçus chevaliers, on leur chaussait l'éperon, et ils recevaient de leur parrain une brillante armure. Le néophyte peut être comparé au poursuivant d'armes : dans la confirmation, il a aussi été armé. Un casque, une cuirasse, un bouclier et une lance lui sont tombés du ciel; armes bénites, et que le fer de l'ennemi ne saura ni rompre, ni transpercer.
Un beau génie, un grand caractère, le Démosthène, le Cicéron du Christianisme, saint Paul, transporté par le Saint-Esprit, a décrit tous les dons que les apôtres et les disciples reçurent d'en haut, au moment où la langue de feu s'arrêta sur leurs tètes; dons qui ne se bornaient pas à eux, mais qu'ils transmettaient par l'imposition des mains, et qui sont restés dans les trésors de l'épiscopat, pour être répandus, par les évêques, sur nous et sur nos enfants.
Il y a des munificences que les siècles épuisent (ils dessèchent bien les plus grands fleuves). Mais il y a des sources qui ne peuvent tarir : ce sont celles de la grâce, pour ces eaux vives qui découlent du ciel ; il n'y a ni ardeurs, ni sécheresses capables de les arrêter; la main de Dieu, les blanches ailes des anges s'étendent sur elles, et leur gardent l'abondance et la fraîcheur.
Saint Paul dit : qu'il faut ranger parmi les dons extérieurs que l'Esprit-Saint a répandus sur les apôtres et les disciples : « Le langage de la sagesse et la science des vérités sublimes de la révélation, avec le talent de les propager; la parole de science, ou la faculté d'interpréter le sens mystique et voilé des saintes Écritures; La foi, qui donne le courage au milieu des dangers et des tourments; le don de guérir par des moyens surnaturels; le don de chasser les démons et de ressusciter les morts, et de faire , au nom de Dieu , des choses hors du cours de la nature ; le don de prophétie; le don de savoir discerner les esprits, ou de juger si ceux qui se disent inspirés sont en effet éclairés des lumières du Saint-Esprit, ou s'ils ne sont que des imposteurs ; une sagacité surnaturelle qui fait démêler les subtilités de Satan d'avec les impulsions divines; une prudence qui assigne à chacun la place, l'office ou la fonction qu'il peut remplir dans l'Église. Le don des langues, ou l'aptitude subite à parler différentes langues sans les avoir apprises; et enfin, le don d'interpréter les langues : car les uns pouvaient les parler sans pouvoir les traduire , et les autres pouvaient les entendre sans pouvoir les parler. »
Ces dons si prodigieux, si surnaturels, durent rencontrer plus que de la surprise dans le grand concours des différents peuples que la Pentecôte avait attirés à Jérusalem ; car il y a eu dans tous les temps et il y aura toujours des hommes orgueilleux qui s'irriteront contre ceux qui sont au-dessus d'eux , qui chercheront à déverser du ridicule sur tout ce que leur esprit ne peut ni comprendre ni expliquer; aussi, dans la multitude qui voyait le saint enthousiasme des apôtres , et qui écoutait leurs paroles inspirées, il y avait des incrédules, des esprits forts du temps, qui disaient : Ces Galiléens sont ivres, c'est le vin qui les fait parler ainsi.
Oh! que de gens encore qui ressemblent à ces sceptiques de la Judée ! gens au cœur froid et à l'imagination endormie ; gens qui , ne ressentant rien d'élevé, croient
que tout végète terre à terre ; âmes glacées qui ne veulent pas croire au feu ; tristes oiseaux de nuit , qui ne comprennent pas l'amour de l'aigle pour le soleil.
Oh! tout homme qui a un peu vieilli doit avoir rencontré sur son chemin bien de ces gens, qui s'en vont répétant à ceux qui ont de la chaleur et de l'enthousiasme ce que les incrédules de Jérusalem disaient des disciples inspirés : Ils sont ivres!
Depuis dix-huit siècles, bien des races ont péri ; mais celle-là n'est pas éteinte ; elle subsiste au milieu de nous, pour douter, railler et insulter encore.
Nous lisons dans le Traité des Fêtes mobiles: «Saint Luc dit que les apôtres se tenaient, en attendant le Saint-Esprit, dans une chambre haute; et le terme qu'il emploie dans les Actes des apôtres, signifie la partie la plus élevée de la maison. Le toit des édifices, dans la Palestine, étant plat, la chambre la plus haute était la plus grande comme la plus retirée. Les juifs avaient leurs oratoires particuliers dans cette partie de leurs demeures, appelée alijoth. Daniel avait son alijoth où il avait coutume de prier, et que les Septante traduisent par chambre haute. Telle était celle où saint Paul prêchait à Troas, lorsqu'il ressuscita le jeune Eutychus, qui, accablé de sommeil, était tombé du troisième étage ; et telle était probablement aussi celle où les apôtres s'étaient réunis après l'Ascension. »
Quelques-uns ont pensé que la chambre où se rassemblaient les apôtres était située au-dessus du Temple; il est certain qu'il y avait des appartements dans la partie supérieure de ce vaste édifice. Josèphe nous dit qu'Esdras s'assit dans une chambre haute du Temple , avec les pères du peuple. Comment de pauvres pêcheurs, comment des Galiléens, devenus odieux à cause de leur maître, auraient-ils pu occuper une de ces salles? Saint Luc , d'ailleurs , fait assez entendre que leur cénacle n'était pas au temple, puisqu'il dit : « Que Pierre et Jean montèrent au Temple à l'heure de la prière, et que les disciples rompaient le pain de maison en maison.»
Baronius, Jansenius, Canisius, Lorinus, Menochius et autres écrivains érudits, prétendent que c'était dans la maison de Marie, mère de Jean et Marc, que se tenaient les premières assemblées. L'impératrice Hélène fit bâtir une basilique au lieu même où avait été cette maison, qui avait servi d'église aux apôtres, et qui avait été consacrée par les apparitions du Sauveur et par la descente du Saint-Esprit. Ce temple, élevé par la pieuse mère de Constantin, ayant été détruit par les infidèles, une reine de Sicile l'a fait reconstruire : je ne sais s'il en existe vestige aujourd’hui.
En parlant des hymnes de la solennité de la Pentecôte, j’ai cité le Veni Sancte Spiritus; un pape, Innocent III selon plusieurs biographes, a composé cette belle prière.
D'autres savants prétendent que son auteur est un saint moine nommé Notker; ils ajoutent qu'ayant envoyé son œuvre à Charles le Gros, il reçut en retour le Veni Creator, que la piété avait inspiré au prince. En ce temps-là, les rois ne croyaient pas déroger en louant Dieu ; Robert le Pieux a écrit plusieurs prières que l'Église répète encore aujourd'hui ; l'hymne de l'Ascension : Rex omnipotens, die hodierna, est de lui.
Ainsi , des voix s'élevaient du silence des cloîtres et de l'agitation des cours, de l'humble cellule et du somptueux palais, pour rendre hommage au Dieu du cénobite et du
puissant monarque , et pour implorer cet Esprit-Saint qui inspirait David dans les splendeurs de Sion, et Elie dans sa grotte du Carmel .
21 – La Trinité ( mai - juin)
La sainte Trinité a été invoquée sur nous à notre naissance. La sainte Trinité sera invoquée sur nous à notre mort. Aux fonts baptismaux , le prêtre nous a dit : Au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, allez et marchez dans la vie. Aux portes de la tombe , quand nous serons étendus défaillants sur notre lit d'agonie, le prêtre nous dira : Partez, âme chrétienne, au nom du Père qui vous a créée, au nom du Fils qui a souffert pour vous, au nom du Saint-Esprit qui vous a sanctifiée!
Ainsi, c'est entre deux invocations à la Trinité que la religion a placé tous les jours de l'homme; et comme ces jours, semblables à des flots qui s'égarent, auraient pu perdre de leur pureté en ne coulant plus sous les yeux de Dieu , le catholicisme a voulu que le souvenir de la Trinité nous revînt, non-seulement dans toutes les circonstances graves de la vie, mais encore souvent dans la même journée.
Les sacrements qui se trouvent entre le baptême et l'extrême onction sont tous administrés au nom de Dieu en trois personnes, et l'Église tient tellement à ce que les chrétiens ne perdent pas de vue ce mystère, qu'elle le mêle à ses prières du matin et du soir, à ses prédications, à ses hymnes et à son sacrifice. Sur la terre elle répète :
Gloire au Père, gloire au Fils, gloire au Saint-Esprit! comme les Séraphins, dans leurs éternelles extases, répètent: Saint! saint! saint! le Dieu des armées! Gloire au plus haut des deux! Le Gloria patri, c'est l'hosannah des hommes, l'hymne sans fin de ce monde.
Le grand mystère de la Trinité écrase tellement l'esprit, que, pour en parler avec convenance, il faut se servir des paroles que les saints ont dites avant nous ; sans
cette prudence, vous courez risque de vous égarer. La gloire de Dieu en trois personnes vous éblouit et vous trouble ; aussi nous, profanes, nous bornerons-nous à répéter l'admirable symbole de saint Athanase ; le voici dans toute sa sublime simplicité.
Quiconque veut être sauvé doit, avant toutes choses, embrasser la foi catholique et s'y tenir. Et quiconque ne la conservera pas entière, inviolable, périra pour l'éternité. Or, la foi catholique consiste à adorer un Dieu en trois personnes, et trois personnes en un seul Dieu. Sans confondre les personnes, sans séparer la substance. Car, autre est la personne du Père, autre est la personne du Fils, autre est la personne du Saint-Esprit. Mais la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit est une ; leur gloire égale leur coéternelle majesté. Tel qu'est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit. Le Père est incréé, le Fils est incréé, le Saint-Esprit est incréé. Le Père est immense, le Fils est immense, immense est le Saint-Esprit. Le Père est éternel, le Fils est éternel, le Saint-Esprit est éternel.
Et néanmoins ce ne sont pas trois éternels, mais un seul Éternel. Comme aussi ce ne sont pas trois incréés, trois immenses, mais un seul immense, un seul incréé. De même le Père est tout-puissant, le Fils est tout-puissant, le Saint-Esprit est tout-puissant. Ainsi, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu. Ainsi, le Père est le Seigneur, le Fils est le Seigneur, le Saint-Esprit est le Seigneur. Car, ainsi que la vérité chrétienne nous oblige de reconnaître et de confesser que chacune des trois personnes est Dieu et Seigneur, aussi la religion catholique nous défend de dire trois Dieux ou trois Seigneurs. Le Père n'a été fait, ni créé, ni engendré d'aucun autre. Le Fils n'a été fait, ni créé, mais engendré du Père seul. Le Saint-Esprit n'a été ni fait, ni créé, ni engendré, mais il procède du Père et du Fils. Il n'y a donc qu'un seul Père, et non trois Pères ; un Fils, et non trois Fils; un Saint-Esprit, et non trois Saints-Esprits. Et, dans cette Trinité , il n'y a ni plus ancien, ni moins ancien ; ni plus grand, ni moins grand ; mais les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles. De sorte qu'en tout, comme il a été dit, on doit adorer l'unité dans la Trinité, et la Trinité dans l'unité.
Quand saint Athanase a écrit ces paroles, il était inspiré de la lumière d'en haut; aussi l'Église, qui veut que le dogme de la sainte Trinité reste immuable parmi-nous, fait un devoir aux prêtres de répéter ce symbole tous les dimanches.
Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps dans notre âme, c'est-à-dire dans cette partie, où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée de Dieu, conçu éternellement dans l'intelligence du Père céleste. C'est pourquoi ce Fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu'il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons quand nous contemplons la vérité.
Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité, qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure., et l'esprit où elle naît, et en l'aimant nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l'un et de l'autre, qui les unit, qui s'unit à eux, et qui ne fait avec eux qu'une même vie.
Ainsi, (autant qu'il se peut trouver de rapport entre Dieu et l'homme), ainsi, dis—je, se produit en Dieu l'amour éternel qui sort du Père qui pense, et du Fils qui est sa pensée, pour faire, avec lui et sa pensée, une même nature également heureuse et parfaite.
Voilà, s'écrie Chateaubriand, un assez beau commentaire à propos d'un seul mot de la Genèse: Faisons l'homme. En vérité, n'est-ce pas pitié que d'entendre des hommes futiles et légers, des esprits qui n'ont médité que le plaisir, des imaginations qui ne sont nourries que de pensées de cuivre et d'argent, que de lucre et de négoce ; n'est-ce pas pitié de les entendre rire et se moquer des mystères du christianisme, quand des génies comme ceux de Tertullien et de Bossuet se sont arrêtés à contempler, à admirer leur grandeur et leur sublimité!
Saint Ambroise, Origène, saint Augustin, en écrivant sur le dogme de la sainte Trinité, n'hésitent pas à dire que les saints patriarches avaient connaissance de ce mystère. Et en effet, eux qui étaient assez purs, assez saints, assez rapprochés de Dieu pour converser avec lui, ne devaient rien ignorer de sa grandeur.
Mais arrêtons-nous avec respect devant ces impénétrables profondeurs. S'il est donné aux anges de contempler face à face le triangle de feu qui resplendit au plus haut du ciel; si, ainsi que l'aigle qui va regarder de près le soleil, ils peuvent soutenir tant de splendeur et d'éclat sans mourir ; à nous, il n'appartient pas de nous élever si haut, et c'est dans la poussière que nous adorons. Je me souviens d'une histoire qui m'a été racontée il y a bien longtemps, car j'étais encore au collège à Stonyhurst, dans le nord de l'Angleterre ; là, ceux qui nous enseignaient avaient un art merveilleux pour se faire écouter par des enfants, alors même qu'ils parlaient des choses les plus graves et les plus sublimes.
Les pères de Stonyhurst ressemblaient à ces jésuites missionnaires au Canada, qui, pour attirer les peuplades amérindiennes autour de la croix qu'ils portaient au désert, avaient avec eux des harpes et des cithares; et quand ils voguaient avec quelques néophytes sur les grands fleuves, ils se mettaient à chanter des cantiques, en s'accompagnant d'accords suaves et harmonieux ; l'attrait de cette musique amenait à eux des naturels du pays, et souvent, pour mieux entendre les hommes de la chair blanche, on voyait de ces amérindiens qui se jetaient à la nage, et qui venaient se suspendre aux bords du canot pour écouter ces hommes qui avaient appris leur langue et accouraient, à travers les mers et les dangers, leur parler de Dieu. Nos maîtres de Stonyhurst n'avaient ni cithares ni harpes; mais ils avaient des histoires qu'ils savaient mêler à tous leurs enseignements. En voici une que l'un des pères nous raconta à l'instruction du matin , le dimanche de la Trinité.
Un saint docteur, un homme qui avait cherché la solitude pour pouvoir se livrer, loin de tout bruit et de toute distraction, à la prière et à la méditation, un jour se promenait seul sur les bords de la mer; là, livré à ses graves pensées, tantôt il regardait le ciel, tantôt il portait ses yeux sur l'immensité des flots.
La vue du ciel avec son azur et ses nuages, la vue de la mer avec son mouvement et ses vagues, sont deux grands aspects qui plaisent aux âmes méditatives; il y a de l'infini dans ces deux spectacles, et l'infini mène à Dieu . Ce qui préoccupait le saint dans sa promenade solitaire, c'était le mystère de la Trinité. Accoutumé dans sa retraite aux plus profondes méditations, bien des choses qui nous arrêteraient n'étaient plus des obstacles pour lui. La sainteté de sa vie et l'habitude de la prière lui avaient, pour ainsi dire, donné des ailes qui l'emportaient souvent dans de hautes régions... Aussi, ce jour-là, manquant d'humilité, il ne recula pas devant le plus impénétrable des mystères; il crut que le savoir humain pourrait comprendre le Dieu en trois personnes et expliquer la Trinité... Pensée d'orgueil!
Il s'était dit : Mon génie va me révéler ce qui n a pas été appris aux autres Hommes; moi, créature, je vais mesurer le Créateur... Déjà, par les idées qui se succédaient lucides et claires dans son esprit, il croyait se faire comme des échelons pour aller voir dans le ciel les mystères sacrés. Mais tout à coup comme des vertiges lui vinrent, et, renonçant à regret à monter si haut, humilié, il regarda la terre...
Alors, à quelques pas de lui, il aperçut tout à coup un jeune et joli enfant assis sur le rivage. Cet enfant avait creusé près de lui un trou dans le sable, et chaque fois que la vague arrivait à ses pieds, avec une coquille rose et nacrée, il prenait de l'eau de la mer et la versait dans le creux qu'il avait fait avec ses petites mains. Le sable buvait cette eau. Mais à la prochaine vague, il en prenait d'autre, et toujours ainsi
Le saint, après l'avoir examiné longtemps, lui dit : «Mon enfant, que faites-vous là? je vous vois tout en sueur; quel est ce jeu? A la constance que vous y mettez, on dirait un travail que vous vous êtes imposé.
— Aussi est-ce un travail, répliqua l'enfant sans discontinuer.
— Et quel est ce travail?
— Je veux vider la mer.
— Vider la mer! où mettrez-vous ses eaux?
— Dans ce creux que j'ai fait là.
— Mon enfant, reposez-vous, votre travail est folie.
— Folie! repartit l'enfant, moins folie que le travail
que vous faisiez tout à l'heure dans votre pensée...
— Comment?
— Oui , tout à l'heure vous cherchiez à comprendre le mystère de la Trinité, et, en vérité, je vous le dis, j'aurai plus tôt vidé la mer et mis toutes ses eaux dans le creux que j'ai fait là; j'aurai plus tôt compté tous ces grains de sable, tous ces débris de coquillages qui bordent l'Océan et que roulent les vagues, que vous n'aurez conçu le mystère que, dans votre orgueil, vous prétendiez expliquer.
Après ces mots, le jeune enfant déploya deux petites ailes qui jusqu'alors étaient restées invisibles, et, s'élevant du rivage, remonta au ciel.
Le solitaire s'humilia alors, et se prosterna à la place où il avait vu le chérubin, et adora avec foi et simplicité de cœur.
L'office du dimanche de la Trinité, les prêtres chantent à la procession : Seraphim clamabant alter ad alterum : Sanctus, sanctus, sanctus Dominus Deus exercituum ! Plena est omnis terra gloria ejus. Tres sunt qui testimonium dant in coelo : Pater, Verbum et Spiritus sanctus! Et hi tres unum sunt. »
Les séraphins chantaient et se répondaient entre eux : Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées! Toute la terre est remplie de sa gloire. Ils sont trois dans le ciel qui rendent témoignage : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, et ces trois ne sont qu'un.
« 0 Seigneur notre Dieu! que tu es admirable ! Tu t'asseois sur les chérubins, et tu vois jusqu'au fond des abîmes. Sois loué dans le firmament, et jusqu'à la fin des siècles ! Dieu trois fois saint! Dieu trois fois puissant! incompréhensible Trinité; lumière éclatante, éternelle ; unité toujours vraie; vérité toujours une; charité toujours la même, soyez louée et bénie ! vous êtes la joie des anges et des hommes.» « Vous êtes environnée de nuées impénétrables ; vous habitez une lumière inaccessible; les archanges et toutes les milices ailées des cieux vous adorent; les dominations, les vertus, les puissances tremblent en votre présence, ô Seigneur trois fois saint! »
L'évangile de ce jour investit les apôtres de leur grande mission. En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : «Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre : allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées ; et soyez assurés que je serai moi-même avec vous jusqu'à la fin des siècles. »
Le jour commémoratif de cette mission donnée par le Sauveur à ses apôtres devait être célébré par l'Église, car c'est l'évangile de ce jour qui lui donne le monde : «Allez et instruisez tous les peuples, je serai avec vous jusqu'à la fin des siècles! » Quelle grande investiture et quelle consolante promesse !
Un évêque de Liège, Etienne, dès l'année 920, avait composé un office en l'honneur de la sainte Trinité. Le concile d'Arles ordonne, en 1620, la célébration de la fête de la Trinité; mais ce ne fut qu'au quatorzième siècle, sous le pontificat de Jean XXII, que cette solennité devint générale dans toute la chrétienté. Ce mystère, honoré par l'Église, a été nié par bien des hérétiques.
Dès le temps des apôtres, un Juif d'Antioche , Cérinthe, prétendait que Jésus n'était qu'un homme ordinaire, et que le Christ s'était uni à lui le jour de son baptême, mais l'avait quitté avant sa passion... Insensé! il ne reconnaissait pas la Divinité couronnée d'épines, et la Toute-Puissance se faisant humble et douce pour souffrir, mourir et nous racheter !
A la même époque, Bion soutint aussi que Jésus-Christ n'était pas Dieu ; et ce fut pour confondre ces deux hérésiarques que saint Jean écrivit son évangile du Verbe qui
était, avant le temps, vrai Dieu, avec le Père et dans le Père.
Dans ces premiers siècles, Théodote, corroyeur de Byzance, effrayé de la persécution, nia par faiblesse la divinité du Sauveur, et effaça des saints évangiles tous les passages où le Christ était montré comme le fils de Dieu.
Plus tard, Arius, le trop fameux auteur de l'arianisme, renouvela les blasphèmes de Cérinthe, de Bion et de Théodote, mais sut envelopper son hérésie avec assez d'art pour ne pas choquer ouvertement le texte sacré.
Il reconnaît une espèce d'incarnation, et regarde Jésus comme ce que Dieu a créé de plus parfait. Selon Arius, le Christ est plus grand que tous les anges, et est sorti des mains du Tout-Puissant avant eux.
C'est ici, je crois, le lieu de remarquer comment les esprits orgueilleux, qui ne veulent pas se courber devant un mystère, inventent et donnent à croire à leurs adeptes des choses plus incompréhensibles que le mystère qu'ils ne veulent pas admettre, ainsi, n'est-il pas plus facile de croire que Jésus est Dieu et fils de Dieu, que de le reconnaître comme un homme créé avant les anges, comme une créature aidant l'Éternel quand il a fécondé le chaos?
Bien souvent les ennemis du catholicisme lui ont reproché son intolérance, et lui ont jeté avec insulte le sang que les passions et les haines des hommes ont fait répandre au nom d'une religion de douceur et de miséricorde. Le dogme de la sainte Trinité a prouvé que le protestantisme n'était pas toujours aussi tolérant que ses partisans le représentent : c'est pour avoir nié le mystère d'un Dieu en trois personnes que Michel Servet a été brûlé à Genève.
Quelques années auparavant, il avait été condamné à Vienne, sur la demande de Calvin, à la peine du feu; son effigie avait été attachée au gibet, et le bourreau avait brûlé cinq ballots de ses livres infectés d'hérésie. Pour fuir la persécution, il avait résolu d'aller exercer la médecine à Naples. Une mauvaise inspiration le fit passer par Genève, la tolérante et la réformée; mais Calvin, ayant su son arrivée, en fit part au syndic, et, ayant obtenu son arrestation, alla le saisir pendant la nuit, et le réveilla pour le mener à la barre. Là, le saint du protestantisme se chargea de diriger lui-même les accusateurs et les juges; il suivit toute la procédure avec une chaleur qui ressemblait plus à de l'acharnement et à de la haine qu'à du zèle religieux.
Les magistrats protestants et les théologiens de Zurich, de Berne, de Schaffouse et de Bâle furent consultés, et firent de longues réponses pour prouver que Michel
Servet avait mérité la peine de mort.
Le 27 octobre 1553, il fut condamné à être brûlé vif. A cette sentence que Calvin avait obtenue contre lui, Servet n'opposa aucune force, aucun courage, et ne put marcher à la mort ; il fallut l'y porter. Le malheureux ne faisait que pleurer, trembler et défaillir ; puis, tout à coup, en voyant le bûcher où il devait monter, il entra dans un accès de fureur, mêlant à des malédictions contre ses juges des cris de : « Miséricorde ! miséricorde ! grâce ! grâce ! » Je ne sais si ses cris ont été entendus là-haut; mais les hommes qui l'avaient condamné ne s'en émurent pas : il fut brûlé avec ses écrits.
Le zèle de l'Église protestante ne s'arrêta pas à l'exécution de Servet. Gentilis , natif de Cosenza , dans le royaume de Naples, s'étant rendu en Suisse pour y prêcher des principes anti-trinitaires, fut arrêté à Gex le 19 juillet 1566. On produisit contre lui un livre écrit tout entier de sa main et dédié à Sigismond, roi de Pologne ; de plus, un ouvrage écrit en italien et en latin, tout rempli des blasphèmes de l'arianisme.
A Gex, comme Calvin était mort, on permit à Valentinus Gentilis de discuter ses opinions ; mais tout ce qu'il put dire et professer ne put le sauver : il fut condamna à avoir la tête tranchée D'abord il voulut se donner les airs et l'assurance des martyrs ; mais ce courage, qui ne s'appuyait pas sur Dieu, faiblit au pied de l'échafaud , et il mourut comme avait fait Servet.
J'ai raconté ces deux exécutions pour prouver que le protestantisme, qui se vante si haut de sa tolérance, n'a pas toujours eu les mains pures de sang Il faudrait donc que ses partisans fussent plus sobres de reproches de cruauté envers le catholicisme : une religion qui a eu pour premiers apôtres Luther et Calvin, et pour premier chef spirituel le sanguinaire et débauché Henri VIII , devrait y regarder à deux fois avant de vouloir jeter du sang à la face des autres.
Il ne tiendrait qu'à nous d'entasser ici de nombreux exemples de la tolérance protestante, calviniste et luthérienne : nous nous bornerons, puisque nous venons de laisser tomber de notre plume le nom odieux de Henri VIII, de montrer la liberté que lui, sa fille Élisabeth et leurs successeurs anticatholiques ont donnée à la généreuse Irlande, à ce noble pays longtemps appelé l`ile des Saints, et qui gémit depuis tant d'années sous le joug protestant de l'Angleterre. Malheureux pays de mes pères, ses vertes campagnes donnent leur abondance à l'altière Albion ; ses familles fournissent à sa marine et à ses armées leurs meilleurs soldats et leurs meilleurs matelots; et pour cet impôt de sang et d'argent qu'elle paye chaque année, que lui rend le protestantisme couronné?
II y a eu un temps qui a dû être bien merveilleux pour les apôtres, c'est celui qui s'est écoulé depuis la nuit où le Sauveur est ressuscité jusqu'au jour de l'Ascension. Oh! quel saint frémissement ces hommes pleins d'amour et de foi devaient éprouver quand, subitement, sans que les portes eussent besoin de s'ouvrir , Jésus rayonnant de sa divinité se montrait au milieu d'eux l
Quelle douce paix, quels suaves parfums d'en haut devaient se répandre alors dans cette humble maison qui recevait sous son toit celui qui a les nuées pour trône, l'univers pour domaine, et les cieux pour palais! Ayant rempli sa divine mission , ayant enseigné et souffert..., souffert jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix! ayant dormi trois jours dans le sépulcre, étant ressuscité, et ayant prouvé aux plus incrédules sa résurrection , Jésus-Christ , pour se reposer des souffrances de son humanité, aurait pu rester moins de quarante jours parmi les hommes : mais non, son amour pour nous le retenait loin des anges ; on eût dit un royal exilé dont le ban était levé, mais qui ne voulait pas s'en retourner tout de suite au lieu natal, parce que, pendant son bannissement, il s'était habitué à aimer les hommes avec lesquels il avait souffert!
Et remarquez : Jésus choisit , pour apparaître , les lieux qu'il a aimés pendant sa mission terrestre, les campagnes de Galilée, les rives de la mer de Tibériade, les bords des lacs où péchaient ses disciples, la montagne où il se plaisait à enseigner, et enfin le Jardin des Oliviers, où il avait eu sa sueur de sang, et où il avait dit à ses apôtres ; Veillez et priez avec moi!
Dans ces apparitions du Fils de l'homme, il y a vraiment comme des ressouvenirs de patrie. Au moment de retourner vers son Père, le Sauveur rappelle ses disciples auprès de Jérusalem, ville dont les rues ont vu les douleurs de sa passion, ville sur laquelle il a pleuré; c'est du lieu où il a le plus souffert, de ce Jardin des Oliviers où son courage de Dieu a été près de défaillir, qu'il veut prendre congé d'eux, les bénir et remonter au ciel.
Il les assembla donc sur le mont tout voisin de la ville de David ; et là , il leur dit : «Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre ; allez donc en mon nom, par tout le monde, prêcher l'Évangile à toutes créatures. Vous savez ce que j'ai enseigné ; vous m'avez vu souffrir, mourir et ressusciter; vous avez été témoins de l'accomplissement de toutes les prophéties ; allez donc instruisez et baptisez les peuples au nom dit Père, du Fils et du Saint-Esprit. Apprenez aux nations à observer toutes les choses que je vous ai commandées. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé , mais celui qui ne croira pas n'aura point part au salut. Ceux qui croiront recevront de moi la puissance de chasser les démons, de toucher aux serpents sans danger, et de résister aux poisons qu'on leur donnera à boire. Ceux que j'enverrai parleront de nouvelles langues; ils imposeront leurs mains aux malades et les guériront.»
Ayez donc bon courage, car je resterai avec vous jusqu'à la consommation des siècles ! » Puis , Jésus recommanda encore à ses apôtres de ne pas partir de Jérusalem aussitôt que lui aurait quitté la terre, mais d'y attendre la promesse du Père qu'ils avaient ouïe de sa bouche, lorsqu'il leur avait dit : « Jean a baptisé dans l'eau , mais vous, vous serai baptisés dans le Saint-Esprit. »
Il ajouta : « Ce que vous voyez est l'accomplissement de ce que je vous avais dit lorsque je vivais encore avec vous : qu'il était nécessaire que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes, fût accompli. » En même temps, il éclaira leur esprit, afin qu'ils entendissent les Écritures et qu'ils vissent que tout ce qui était arrivé avait été prédit d'avance.
Quelques disciples lui demandèrent alors : «Seigneur, est-ce à présent que vous rétablirez le royaume d'Israël?» Et il leur répondit : « Ce n'est pas à vous à savoir ni le temps ni l'heure que le Père a réservés à sa connaissance et à son pouvoir ; mais vous recevrez la vertu du Saint-Esprit qui descendra sur vous. Et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, dans toute la Judée et le pays de Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre.»
Après ces paroles, le Fils de Dieu, né de la vierge Marie, étendit ses mains sur ses apôtres et ses disciples, qui formaient un grand cercle autour de lui, sur la cime du mont des Oliviers, et, les ayant tous bénis, rayonnant de gloire, de sa propre puissance , sans être emporté par des anges, le divin Sauveur s'éleva majestueux vers le ciel, et tous ceux qui étaient là le virent monter..., monter jusqu'à ce qu'une nuée le dérobât à leurs regard.
Les apôtres et les disciples avaient encore les yeux levés vers le ciel, quand deux anges, semblables à de beaux jeunes hommes, leur apparurent et leur dirent : « Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêter ainsi à regarder le ciel? Ce Jésus qui vous a quittés et qui s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous y avez vu monter. »
Les disciples l'ayant donc adoré en se prosternant la face contre terre, et ayant baisé la trace de ses pieds, retournèrent comblés de joie à Jérusalem, où ils demeurèrent en attendant l'accomplissement de la promesse qui leur avait été faite, employant les journées d'attente à louer et à bénir Dieu dans le temple.
Tel a été le départ du Christ de cette terre que sa main puissante avait créée aux jours de la naissance des mondes, et qu'il avait arrosée de son sang aux jours de la rédemption. Oh ! s'il avait été donné aux faibles regards des hommes de tout voir dans ce mystère d'un Dieu retournant vers un Dieu, de Dieu revenant à lui-même et rentrant dans sa gloire, comme un roi victorieux revient à son royaume, béni par les captifs qu'il a délivrés!... oh! s'il avait été accordé aux apôtres et aux disciples de connaître tout ce qui s'est passé dans l'espace, quand le Seigneur l'a traversé ; n'auraient-ils pas vu toutes les saintes milices du ciel venir au-devant du vainqueur de la mort? n'auraient-ils pas vu les neuf chœurs de la cour céleste : les chérubins, les séraphins, les trônes, les dominations, les vertus, les puissances, les principautés, les anges et les archanges, jetant, devant le triomphateur, des palmes et des couronnes?
N'auraient-ils pas entendu les voix des anges gardiens de la terre chanter aux anges du ciel :
OUVREZ, OUVREZ VOS PORTES ÉTERNELLES !
LAISSEZ, LAISSEZ PASSER LE ROI DE GLOIRE,
LE ROI FORT, LE ROI IMMORTEL !
Et quand ces portes éternelles se sont ouvertes, quelle splendeurs, plus éclatantes que des millions de soleils, ont dû se répandre au dehors ! Tous ces mondes que nous voyons briller au firmament comme des paillette» d'or, et ceux que la main de Dieu a semés dans l'espace, niait que la distance dérobe à notre vue, auront rayonné d'un éclat inconnu!
Ouvrez, ouvrez les portes éternelles; le Roi de gloire ne vient pas seul : il vient avec les captifs qu'il a délivrés des limbes, les âmes des justes et des patriarches !
Ouvrez-vous, ouvrez-vous, ô portes éternelles! Écoutez les chants de l'Église :
Quel est l'ange à qui le Seigneur ait jamais dit : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que j'aie mis vos ennemis sous vos pieds?
Celui qui est descendu du ciel est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux.
II nous a, le premier, tracé une voie nouvelle; il a déchiré le voile du temple, et nous avons vu le Saint des saints.
Vous avez achevé votre œuvre, ô Seigneur ! Vous avez triomphé de la mort, et maintenant vous allez reprendre possession de la gloire du ciel, gloire dont vous vous étiez dépouillé pour nous. Déjà bien élevé au-dessus de la terre, vous nous regardez encore; vous voyez à votre suite les justes que vous avez rachetés, que vous avez fait sortir de leur sombre prison.
Tout l'office du jour de l'Ascension n'est qu'un chant de triomphe. Et dans les hymnes, et dans les versets et dans les antiennes, la pensée du rachat des captifs revient souvent.
Au temps d'Eusèbe, qui vivait vers le commencement du quatrième siècle, on croyait savoir, par tradition, l'endroit d'où Notre-Seigneur était monté au ciel; on montrait dès ce temps, sur le point le plus élevé du mont des Oliviers, sur une pierre, les marques ou l'empreinte des pieds du Sauveur, traces que rien n'avait pu effacer; et cependant la piété des fidèles faisait que bien souvent ils grattaient cette pierre pour emporter chez eux un peu de cette poussière sacrée.
Et ce qui est encore plus merveilleux, dit un vieil auteur, «c'est que Titus, quand il vint faire le siège de Jérusalem, avait planté ses tentes sur le mont des Oliviers, comme sur les autres hauteurs, pour enceindre la ville déicide, et que les pas de tant de soldats, que le roulement de tant de machines de guerre, n'aient pas fait disparaître la marque des pieds du Dieu de paix et d'amour.
Saint Paulin de Noie et Sulpice Sévère, qui étaient contemporains de saint Jérôme, nous apprennent aussi la même chose ; saint Augustin avait la même opinion ; il le prouvait lorsqu'il disait : « On allait en Judée adorer les vestiges de Jésus-Christ, qui se voyaient au lieu d'où il était monté au ciel. Cette merveille subsistait encore au huitième siècle, selon le témoignage du vénérable Bède, et sur la foi d'un évêque d'Occident qui avait fait le voyage de Terre-Sainte.
L'auteur que j'ai cité tout à l'heure dit encore : Dieu fit un autre miracle de grand éclat au sujet de ces vestiges du Seigneur, lorsque l'impératrice Hélène fit bâtir l'église de l'Ascension sur la place du Mont des Oliviers, d'où l'on savait que le divin Sauveur était monté au ciel. On voulut paver, comme le reste de l'église, l'endroit où était la trace de ses pieds, et le couvrir de marbre précieux; mais on avait beau le cimenter et vouloir retenir cette dalle avec de longs clous d'or rivés en terre, une puissance, sortant du lieu même que Jésus-Christ avait touché de ses pieds sacrés, soulevait et jetait toujours à l'écart ce que l'architecte voulait fixer sur l'empreinte miraculeuse.
Il en fut de même lorsque l'on chercha à fermer la voûte; jamais on ne put parvenir à la clore, et pendant bien des siècles le dôme resta avec une ouverture, qui indiquait que Dieu avait passé là pour retourner dans son royaume céleste.
20 – La Pentecôte ( mai - juin)
La Pentecôte des Juifs, qu'ils appelaient la fête des Semaines, la fête de la Loi, la solennité des Moissons, le jour des premiers fruits, avait été instituée par Moïse, pour qu'Israël gardât à jamais le souvenir des commandements que le Seigneur lui avait donnés au milieu des foudres et des éclairs, sur le mont Sinaï.
L'obéissance à ces divins commandements, l'observance de cette loi dictée par Dieu, la sagesse même, devaient faire du peuple qui y serait resté fidèle, le peuple le plus heureux du globe. La Pentecôte des Chrétiens est la commémoration d'une autre grande journée, de celle où le Saint-Esprit, sous la forme visible de langues de feu, descendit sur les apôtres, pour embraser ceux qui devaient éclairer le monde.
Le Dieu descendant au cénacle est le même que l'Éternel descendant sur le Sinaï; sous l'ancienne loi, les tonnerres l'annoncent; sous la loi nouvelle, c'est un bruit semblable à un vent impétueux venant du ciel, qui le précède et remplit la maison où les apôtres étaient rassemblés. A cette grande voix d'en haut, les hommes pleins de foi, qui attendaient le Consolateur que Jésus avait promis de leur envoyer, ne doutent plus que ce ne soit l'accomplissement de la parole divine, et, saisis de crainte et de respect, ils se mettent à prier 0 prodige ! tout à coup des langues de feu se divisent et vont s'arrêter sur chacun d'eux.
Feu du Ciel, vraiment! car à l'instant même ces hommes faibles et timides se sentent entièrement changés ; sous la flamme divine, leurs âmes se sont soudainement agrandies! À présent ils conçoivent les pensées élevées, les généreux dévouements et les nobles sacrifices : à présent l'Esprit-Saint est en eux! Aussi, entendez-les louer et confesser Dieu dans toutes les langues ! A peine savaient-ils l'hébreu, et les voilà parlant, ces douze Galiléens, de manière à être entendus et compris par les Parthes, les Mèdes, les Élamites, et par ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphilie, l'Égypte et la Libye cyrénaïque, et par ceux qui sont venus de Rome, de l'île de Crète et de l'Arabie!
Comment se fait-il que les disciples nous parlent ainsi à chacun notre langue? Comment se fait-il que tout à coup tant de savoir leur ait été donné? Voilà ce qu'avec épouvante se demandaient les témoins du prodige. Mais ceux qui avaient reçu le Saint-Esprit, eux, ne ressentaient plus d'épouvante : car un de ses dons, c'est le courage... Oh! à présent pas un d'entre eux ne renierait le Christ; dans leur soudaine inspiration, ils voient l'avenir: cet avenir sera sanglant pour eux; n'importe, ils s'élanceront au-devant du glaive et des bûchers, de la roue et de la croix; ils ne trembleront plus, le Saint-Esprit est en eux!
Certes, la commémoration du jour où l'Esprit-Saint répandit sur l'Église la richesse de ses dons devait être une des grandes fêtes chrétiennes ; aussi la Pentecôte n'en compte que deux avant elle: Noël et Pâques. Dès les premiers siècles, cette solennité fut célébrée avec toutes les pompes du sanctuaire, et avant que la religion eût élevé ses magnifiques cathédrales, la fête du Saint-Esprit, la fête de celui qui avait donné la fortitude aux premiers martyrs, avait été chômée dans les catacombes! et les saintes paroles qui se chantaient sous leurs voûtes, nous les redisons encore aujourd'hui.
«Seigneur, tu es vraiment grand, et ta puissance éclate de toutes parts!... Toutes les créatures t'obéissent; tu as dit, et tout a été fait; tu as envoyé ton Esprit, et l'univers a été créé... Alléluia! alléluia! Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés, et que ceux qui le haïssent fuient de devant sa face! »
Les prêtres ont pris la couleur rouge pour cette solennité, et c'est revêtu d'une dalmatique couleur de feu et rehaussée d'or, que le diacre, entre deux acolytes portant des cierges allumés, et en face de la croix de vermeil, chante cet évangile au milieu de la fumée des encensoirs qu'on balance près de lui.
« En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples: Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure. Celui qui ne m'aime pas ne garde point mes paroles. La parole que vous avez entendue n'est pas ma parole, mais celle de mon Père, qui m'a envoyé... Je vous ai dit ceci, demeurant encore avec vous; mais le Consolateur, qui est le Saint-Esprit et que mon Père vous enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous fera souvenir de toutes mes paroles.»
« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble ni ne s'épouvante : vous avez entendu ce que je vous ai dit ; je m'en vais, et je reviens à vous : si vous m'aimez, vous vous réjouirez de ce que je vous ai dit. Je m'en vais à mon Père, parce que mon Père est plus grand que moi ; et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que vous le croyiez lorsqu'il sera arrivé. Désormais je ne vous parlerai plus guère, car le prince du monde va venir, et il n'a rien en moi qui lui appartienne; mais afin que le monde connaisse que j'aime mon Père, je fais ce que mon Père m'a ordonné. »
L'hymne Veni creator Spiritus commence les offices de cette journée solennelle. Cette belle prière est connue et répétée par toutes les nations chrétiennes : Les rois la disent à leur sacre. Les magistrats, avant de monter à leur siège de justice. Les évêques et les archevêques, avant de répandre sur le front des lévites l'onction des autels ; les peuples, avant d'ouvrir leurs grandes assemblées:
«Viens, Esprit créateur, viens visiter les âmes de ceux qui sont à toi. Viens et remplis de ta grâce les cœurs que tu as créés. C'est toi que les saintes Écritures ont appelé le Consolateur. C'est toi qu'elles ont nommé le don du Très-Haut, la source d'eau vive, l'onction spirituelle, la charité et le feu sacré. C'est toi qui répands sur nous les sept dons de la grâce, la rosée du ciel. Tu es le doigt de Dieu qui enseigne la route ; tu es la science des apôtres ; c'est toi qui as rendu leurs langues éloquentes. Éclaire aussi nos esprits, embrase aussi nos âmes, fais-y brûler ton amour. Donne de la force à notre faiblesse, rends-nous forts par ta vertu. Repousse loin de nous l'ennemi; oh! rends-nous vite la paix, la paix que tu sais donner. Sois notre guide, pour que nous ne marchions que dans la bonne voie. Sois notre appui, pour que nous fie trébuchions pas dans les pièges des méchants. Garde-nous de tout mal. Fais vivre en nous une foi ardente, et qu'à notre dernier jour nous confessions encore un Dieu en trois personnes : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. »
Il faut l'avouer, c'était une salutaire pensée que celle qui avait fait adopter cette prière par les puissants du monde. Les peuples devaient se reposer plus tranquilles quand ils voyaient les rois qui les gouvernaient et les juges qui prononçaient sur leurs fortunes et leurs vies, implorer les lumières d'en haut. Aujourd'hui, il y a dans les nations une sourde inquiétude : et le moyen de la faire cesser, est-ce de ne leur montrer que des hommes avec leurs faiblesses et leurs passions à la tête des gouvernements? Si Dieu y apparaissait pour donner une garantie de justice, croyez-vous qu'il n'y aurait pas plus de repos, plus de confiance dans le monde?
Nous voyons les hommes politiques se fatiguer à faire des lois; nous les voyons chaque jour grossir leurs codes et donner à leurs polices de nouveaux yeux et de nouveaux bras; nous les voyons assemblant leurs conseils et ordonnant des enquêtes pour découvrir où est le mal qui tourmente la société. Insensés qu'ils sont! ils ont chassé Dieu de leurs lois, et ils veulent que leurs lois soient puissantes ! Dans leur superbe , ils ont dit : Nous savons tout, nos lumières nous suffisent, et nous n'invoquerons pas ce que nos pères appelaient l'Esprit-Saint!
Alors ils se sont assemblés ; alors ils se sont mis à l'œuvre, et avant leurs délibérations ils n'ont pas fléchi le genou, ils n'ont pas regardé le ciel, ils n'ont pas crié : Esprit-Saint, viens nous éclairer! Aussi, regardez ce qu'ils ont fait!
Ils avaient dit ordre, il y a eu désordre. Ils avaient dit : économie, il y a eu dilapidation. Ils avaient dit : Nous allons donner la paix au monde, et le monde a été troublé jusque dans ses entrailles. Ils avaient dit : Nous allons régénérer la terre, et ils l'ont couverte de sang. Ils avaient dit : liberté, et les prisons n'ont plus été assez vastes ni assez nombreuses pour les captifs qu'ils ont faits.
Ils avaient dit : égalité, et ils se sont élevés plus haut que tous les autres, en montant sur les cadavres de leurs victimes, comme sur un trône. Ils avaient dit : justice, et ils se sont enrichis du champ de la veuve et de l'orphelin. Ils avaient dit : fraternité, et les frères se sont fait la guerre, et les pères ont dénoncé leurs fils , et des fils ont demandé le prix de la tête de leurs pères.
Ils avaient dit : humanité, et les échafauds se sont dressés de toutes parts, et les bourreaux ont crié à ceux qui s'étaient faits juges : Nous sommes fatigués, accordez-nous du repos. Ils avaient dit : la mort, et cette fois ils ont tenu parole ; car, alors que les hommes veulent se passer de Dieu, ils ne peuvent donner que cela.
Espérons que les temps de délire et de vertige passeront. Déjà on a l'air de s'apercevoir que Dieu manque aux affaires humaines, et qu'il faut l'y rappeler. Lors que le terrible choléra est venu s'abattre sur Paris, comme un immense oiseau de proie pour manger des morts, des hommes qui se croyaient habiles et qui étaient écoutés dans les conseils , furent d'avis de ne pas faire demander officiellement des prières publiques; et alors on parla aux populations alarmées de sachets de camphre, d'ablutions et de chlorure de chaux; mais de Dieu, pas un mot!
Aujourd'hui, il y a progrès, et nous n'avons montré le mal que pour faire voir que de meilleures pensées commencent à poindre; aujourd'hui, on ose de temps en temps prononcer le mot de Providence, et parfois même demander des Te Deum. Nous, chrétiens, qui n'avons pas la main aux affaires publiques, nous n'en avons pas moins une sainte mission à remplir ; nous écrivons pour la gloire de Dieu et la paix du monde. Mais pour atteindre ce but, il faut qu'un Esprit-Saint nous anime, il faut que nos cœurs brûlent de l'amour du bien. II faut que la langue de feu ait brillé sur nos têtes , et que nous ayons ressenti quelque souffle nous venir du ciel; sans cela, nos efforts seraient vains, et nos paroles ne seraient pas comprises.
Mais si le père des pauvres (pater pauperum) est avec nous, ceux qui souffrent et qui pleurent, en nous lisant ressentiront quelque soulagement (in fletu solatium), et trouveront comme une main amie pour essuyer leurs larmes.
Si nous avons puisé à la source des dons célestes (dator munerum), nous pourrons soulager bien des misères. Si la lumière des coeurs (lumen cordium) a dardé sur
nous quelques-uns de ses divins rayons , un reflet d'en haut brillera sur nos pages.
Si le consolateur par excellence (consolator optime) a répandu en nous quelques-unes de ses joies ineffables, les infortunés viendront à nous comme à des amis. Si le doux hôte des âmes (dulcis hospes animae) s'est reposé chez nous, oh! il y aura de la paix et du calme dans nos pages, et nous serons, pour ceux qui arrosent de leurs sueurs les durs chemins de la vie, comme une suave brise rafraîchissante (dulce refrigerium) au milieu des ardeurs de l'été; comme le repos (in labore requies) pour l'ouvrier qui travaille depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.
Avec l'aide de cet Esprit qui est descendu sur les apôtres au grand jour de la Pentecôte, nous pourrons peut-être laver (lava quod est sordidum) et faire disparaître ces taches et ces souillures que l'impiété a faites au monde: l'aridité (riga quod est aridum) que le scepticisme a étendue sur les sciences, les lettres et les arts, disparaîtra sous nos efforts. Le malaise (sana quod est saucium) qui fait languir les nations cessera, si nous sommes tous animés d'un seul et même esprit, d'un seul et même amour, l'amour du bien; l'amour du bien, c'est l'amour de Dieu.
A l'œuvre! hommes de bonne volonté, hommes de cœur, de savoir et de talent; à l'œuvre! Ce n'est pas pour rien que Dieu a fait descendre sur vos têtes la langue de feu! Ce n'est pas pour rien qu'il vous a accordé le don des langues, la puissance d'émouvoir et d'élever les cœurs.
Écoutez! n'entendez-vous pas comme le bruit d'un vent violent et impétueux? Oh ! je l'entends , moi ; mais cette fois il ne vient pas du ciel, il vient de la terre; ce sont les mauvaises passions déchaînées qui rugissent et qui hurlent... On dirait une tourmente qui approche...
Eh bien ! dans cette effrayante rumeur il y a de quoi s'inspirer. A l'œuvre donc! hommes de bonne volonté; à l'œuvre! répandons dans la terre vierge qui est devant nous, répandons à pleines mains la bonne semence, les paroles sages et les principes purs, et cultivons si bien le champ qui nous a été confié, que lorsque la tempête et l'ouragan s'élèveront, rugiront, et viendront se ruer contre la terre, il y ait quelque chose qui résiste, que ce soit nos enseignements !
Autrefois c'était une belle et imposante cérémonie qu'une messe solennelle du Saint-Esprit; quand les parlements faisaient leur rentrée, quelque haut dignitaire de l'Église était prié, par les premiers présidents, de monter à l'autel, et d'implorer, pour les juges qui allaient reprendre leur place sur les fleurs de lis, les lumières de l'Esprit-Saint.
Alors, il était rassurant, il était majestueux de voit tous ces hommes vieillis dans le sacerdoce de la justice, revêtus de leurs longues robes rouges herminées, venir s'agenouiller humblement devant le Dieu qui juge les juges. Toutes ces lumières des tribunaux venaient implorer les lumières du Ciel; et le peuple, qui voyait ainsi la foi et la piété des juges établis sur lui, prenait de la confiance, et se disait : « Ils prononceront sur nos différends avec conscience; car ils ont invoqué Dieu, qui est, bien plus que les rois, source de toute justice. »
Ces messes s'appelaient messes rouges, à cause des ornements des prêtres, qui étaient couleur de feu, et des robes rouges des hauts magistrats qui y assistaient. Le jour de la Pentecôte a été longtemps, en France, une grande solennité pour nos rois; car ils avaient appelé les splendeurs du Saint-Esprit en aide aux splendeurs de leur trône, déjà si rayonnant de gloire! Et chaque année, pendant l'octave de la Pentecôte, un chapitre solennel de l'ordre du Saint-Esprit devait être tenu.
Grande et imposante assemblée de rois, de princes, de chevaliers, de prélats, de grandeurs des cours, d'illustrations des armées, qui se réunissaient pour aviser aux intérêts de l'ordre, et pour chercher de grands mérites à honorer, ou de grands services qui n'eussent pas encore de récompense. Quoique les évêques donnent la confirmation dans tous les temps de l'année, cependant la fête de la Pentecôte a toujours été regardée comme la plus convenable pour l'administration de ce sacrement.
Les évêques, par l'imposition des mains, renouvellent en quelque sorte le prodige de la descente du Saint-Esprit : ils le font descendre dans les cœurs purifiés, comme il est descendu dans les âmes des apôtres L'esprit qu'ils communiquent par le sacrement de la confirmation est le même que celui qui embrasa les disciples, esprit de foi et d'amour, de constance et de fortitude.
En sortant de leur retraite, les apôtres ne furent retenus par aucune crainte; leur ancienne pusillanimité s'était changée en courage; mille morts se seraient présentées à eux , qu'ils n'auraient pas reculé. Les chrétiens qui ont reçu les dons du Saint-Esprit, les chrétiens qui se relèvent de la confirmation, doivent être de même. Ils sont maintenant assez forts pour le combat.
Dans la chevalerie, quand les poursuivants d'armes avaient fait assez de preuves de vaillance, ils étaient reçus chevaliers, on leur chaussait l'éperon, et ils recevaient de leur parrain une brillante armure. Le néophyte peut être comparé au poursuivant d'armes : dans la confirmation, il a aussi été armé. Un casque, une cuirasse, un bouclier et une lance lui sont tombés du ciel; armes bénites, et que le fer de l'ennemi ne saura ni rompre, ni transpercer.
Un beau génie, un grand caractère, le Démosthène, le Cicéron du Christianisme, saint Paul, transporté par le Saint-Esprit, a décrit tous les dons que les apôtres et les disciples reçurent d'en haut, au moment où la langue de feu s'arrêta sur leurs tètes; dons qui ne se bornaient pas à eux, mais qu'ils transmettaient par l'imposition des mains, et qui sont restés dans les trésors de l'épiscopat, pour être répandus, par les évêques, sur nous et sur nos enfants.
Il y a des munificences que les siècles épuisent (ils dessèchent bien les plus grands fleuves). Mais il y a des sources qui ne peuvent tarir : ce sont celles de la grâce, pour ces eaux vives qui découlent du ciel ; il n'y a ni ardeurs, ni sécheresses capables de les arrêter; la main de Dieu, les blanches ailes des anges s'étendent sur elles, et leur gardent l'abondance et la fraîcheur.
Saint Paul dit : qu'il faut ranger parmi les dons extérieurs que l'Esprit-Saint a répandus sur les apôtres et les disciples : « Le langage de la sagesse et la science des vérités sublimes de la révélation, avec le talent de les propager; la parole de science, ou la faculté d'interpréter le sens mystique et voilé des saintes Écritures; La foi, qui donne le courage au milieu des dangers et des tourments; le don de guérir par des moyens surnaturels; le don de chasser les démons et de ressusciter les morts, et de faire , au nom de Dieu , des choses hors du cours de la nature ; le don de prophétie; le don de savoir discerner les esprits, ou de juger si ceux qui se disent inspirés sont en effet éclairés des lumières du Saint-Esprit, ou s'ils ne sont que des imposteurs ; une sagacité surnaturelle qui fait démêler les subtilités de Satan d'avec les impulsions divines; une prudence qui assigne à chacun la place, l'office ou la fonction qu'il peut remplir dans l'Église. Le don des langues, ou l'aptitude subite à parler différentes langues sans les avoir apprises; et enfin, le don d'interpréter les langues : car les uns pouvaient les parler sans pouvoir les traduire , et les autres pouvaient les entendre sans pouvoir les parler. »
Ces dons si prodigieux, si surnaturels, durent rencontrer plus que de la surprise dans le grand concours des différents peuples que la Pentecôte avait attirés à Jérusalem ; car il y a eu dans tous les temps et il y aura toujours des hommes orgueilleux qui s'irriteront contre ceux qui sont au-dessus d'eux , qui chercheront à déverser du ridicule sur tout ce que leur esprit ne peut ni comprendre ni expliquer; aussi, dans la multitude qui voyait le saint enthousiasme des apôtres , et qui écoutait leurs paroles inspirées, il y avait des incrédules, des esprits forts du temps, qui disaient : Ces Galiléens sont ivres, c'est le vin qui les fait parler ainsi.
Oh! que de gens encore qui ressemblent à ces sceptiques de la Judée ! gens au cœur froid et à l'imagination endormie ; gens qui , ne ressentant rien d'élevé, croient
que tout végète terre à terre ; âmes glacées qui ne veulent pas croire au feu ; tristes oiseaux de nuit , qui ne comprennent pas l'amour de l'aigle pour le soleil.
Oh! tout homme qui a un peu vieilli doit avoir rencontré sur son chemin bien de ces gens, qui s'en vont répétant à ceux qui ont de la chaleur et de l'enthousiasme ce que les incrédules de Jérusalem disaient des disciples inspirés : Ils sont ivres!
Depuis dix-huit siècles, bien des races ont péri ; mais celle-là n'est pas éteinte ; elle subsiste au milieu de nous, pour douter, railler et insulter encore.
Nous lisons dans le Traité des Fêtes mobiles: «Saint Luc dit que les apôtres se tenaient, en attendant le Saint-Esprit, dans une chambre haute; et le terme qu'il emploie dans les Actes des apôtres, signifie la partie la plus élevée de la maison. Le toit des édifices, dans la Palestine, étant plat, la chambre la plus haute était la plus grande comme la plus retirée. Les juifs avaient leurs oratoires particuliers dans cette partie de leurs demeures, appelée alijoth. Daniel avait son alijoth où il avait coutume de prier, et que les Septante traduisent par chambre haute. Telle était celle où saint Paul prêchait à Troas, lorsqu'il ressuscita le jeune Eutychus, qui, accablé de sommeil, était tombé du troisième étage ; et telle était probablement aussi celle où les apôtres s'étaient réunis après l'Ascension. »
Quelques-uns ont pensé que la chambre où se rassemblaient les apôtres était située au-dessus du Temple; il est certain qu'il y avait des appartements dans la partie supérieure de ce vaste édifice. Josèphe nous dit qu'Esdras s'assit dans une chambre haute du Temple , avec les pères du peuple. Comment de pauvres pêcheurs, comment des Galiléens, devenus odieux à cause de leur maître, auraient-ils pu occuper une de ces salles? Saint Luc , d'ailleurs , fait assez entendre que leur cénacle n'était pas au temple, puisqu'il dit : « Que Pierre et Jean montèrent au Temple à l'heure de la prière, et que les disciples rompaient le pain de maison en maison.»
Baronius, Jansenius, Canisius, Lorinus, Menochius et autres écrivains érudits, prétendent que c'était dans la maison de Marie, mère de Jean et Marc, que se tenaient les premières assemblées. L'impératrice Hélène fit bâtir une basilique au lieu même où avait été cette maison, qui avait servi d'église aux apôtres, et qui avait été consacrée par les apparitions du Sauveur et par la descente du Saint-Esprit. Ce temple, élevé par la pieuse mère de Constantin, ayant été détruit par les infidèles, une reine de Sicile l'a fait reconstruire : je ne sais s'il en existe vestige aujourd’hui.
En parlant des hymnes de la solennité de la Pentecôte, j’ai cité le Veni Sancte Spiritus; un pape, Innocent III selon plusieurs biographes, a composé cette belle prière.
D'autres savants prétendent que son auteur est un saint moine nommé Notker; ils ajoutent qu'ayant envoyé son œuvre à Charles le Gros, il reçut en retour le Veni Creator, que la piété avait inspiré au prince. En ce temps-là, les rois ne croyaient pas déroger en louant Dieu ; Robert le Pieux a écrit plusieurs prières que l'Église répète encore aujourd'hui ; l'hymne de l'Ascension : Rex omnipotens, die hodierna, est de lui.
Ainsi , des voix s'élevaient du silence des cloîtres et de l'agitation des cours, de l'humble cellule et du somptueux palais, pour rendre hommage au Dieu du cénobite et du
puissant monarque , et pour implorer cet Esprit-Saint qui inspirait David dans les splendeurs de Sion, et Elie dans sa grotte du Carmel .
21 – La Trinité ( mai - juin)
La sainte Trinité a été invoquée sur nous à notre naissance. La sainte Trinité sera invoquée sur nous à notre mort. Aux fonts baptismaux , le prêtre nous a dit : Au nom
du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, allez et marchez dans la vie. Aux portes de la tombe , quand nous serons étendus défaillants sur notre lit d'agonie, le prêtre nous dira : Partez, âme chrétienne, au nom du Père qui vous a créée, au nom du Fils qui a souffert pour vous, au nom du Saint-Esprit qui vous a sanctifiée!
Ainsi, c'est entre deux invocations à la Trinité que la religion a placé tous les jours de l'homme; et comme ces jours, semblables à des flots qui s'égarent, auraient pu perdre de leur pureté en ne coulant plus sous les yeux de Dieu , le catholicisme a voulu que le souvenir de la Trinité nous revînt, non-seulement dans toutes les circonstances graves de la vie, mais encore souvent dans la même journée.
Les sacrements qui se trouvent entre le baptême et l'extrême onction sont tous administrés au nom de Dieu en trois personnes, et l'Église tient tellement à ce que les chrétiens ne perdent pas de vue ce mystère, qu'elle le mêle à ses prières du matin et du soir, à ses prédications, à ses hymnes et à son sacrifice. Sur la terre elle répète :
Gloire au Père, gloire au Fils, gloire au Saint-Esprit! comme les Séraphins, dans leurs éternelles extases, répètent: Saint! saint! saint! le Dieu des armées! Gloire au plus haut des deux! Le Gloria patri, c'est l'hosannah des hommes, l'hymne sans fin de ce monde.
Le grand mystère de la Trinité écrase tellement l'esprit, que, pour en parler avec convenance, il faut se servir des paroles que les saints ont dites avant nous ; sans
cette prudence, vous courez risque de vous égarer. La gloire de Dieu en trois personnes vous éblouit et vous trouble ; aussi nous, profanes, nous bornerons-nous à répéter l'admirable symbole de saint Athanase ; le voici dans toute sa sublime simplicité.
Quiconque veut être sauvé doit, avant toutes choses, embrasser la foi catholique et s'y tenir. Et quiconque ne la conservera pas entière, inviolable, périra pour l'éternité. Or, la foi catholique consiste à adorer un Dieu en trois personnes, et trois personnes en un seul Dieu. Sans confondre les personnes, sans séparer la substance. Car, autre est la personne du Père, autre est la personne du Fils, autre est la personne du Saint-Esprit. Mais la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit est une ; leur gloire égale leur coéternelle majesté. Tel qu'est le Père, tel est le Fils, tel est le Saint-Esprit. Le Père est incréé, le Fils est incréé, le Saint-Esprit est incréé. Le Père est immense, le Fils est immense, immense est le Saint-Esprit. Le Père est éternel, le Fils est éternel, le Saint-Esprit est éternel.
Et néanmoins ce ne sont pas trois éternels, mais un seul Éternel. Comme aussi ce ne sont pas trois incréés, trois immenses, mais un seul immense, un seul incréé. De même le Père est tout-puissant, le Fils est tout-puissant, le Saint-Esprit est tout-puissant. Ainsi, le Père est Dieu, le Fils est Dieu, le Saint-Esprit est Dieu. Ainsi, le Père est le Seigneur, le Fils est le Seigneur, le Saint-Esprit est le Seigneur. Car, ainsi que la vérité chrétienne nous oblige de reconnaître et de confesser que chacune des trois personnes est Dieu et Seigneur, aussi la religion catholique nous défend de dire trois Dieux ou trois Seigneurs. Le Père n'a été fait, ni créé, ni engendré d'aucun autre. Le Fils n'a été fait, ni créé, mais engendré du Père seul. Le Saint-Esprit n'a été ni fait, ni créé, ni engendré, mais il procède du Père et du Fils. Il n'y a donc qu'un seul Père, et non trois Pères ; un Fils, et non trois Fils; un Saint-Esprit, et non trois Saints-Esprits. Et, dans cette Trinité , il n'y a ni plus ancien, ni moins ancien ; ni plus grand, ni moins grand ; mais les trois personnes sont coéternelles et égales entre elles. De sorte qu'en tout, comme il a été dit, on doit adorer l'unité dans la Trinité, et la Trinité dans l'unité.
Quand saint Athanase a écrit ces paroles, il était inspiré de la lumière d'en haut; aussi l'Église, qui veut que le dogme de la sainte Trinité reste immuable parmi-nous, fait un devoir aux prêtres de répéter ce symbole tous les dimanches.
Si nous imposons silence à nos sens, dit Bossuet, et que nous nous renfermions pour un peu de temps dans notre âme, c'est-à-dire dans cette partie, où la vérité se fait entendre, nous y verrons quelque image de la Trinité que nous adorons. La pensée, que nous sentons naître comme le germe de notre esprit, comme le fils de notre intelligence, nous donne quelque idée de Dieu, conçu éternellement dans l'intelligence du Père céleste. C'est pourquoi ce Fils de Dieu prend le nom de Verbe, afin que nous entendions qu'il naît dans le sein du Père, non comme naissent les corps, mais comme naît dans notre âme cette parole intérieure que nous y sentons quand nous contemplons la vérité.
Mais la fécondité de notre esprit ne se termine pas à cette parole intérieure, à cette pensée intellectuelle, à cette image de la vérité, qui se forme en nous. Nous aimons et cette parole intérieure., et l'esprit où elle naît, et en l'aimant nous sentons en nous quelque chose qui ne nous est pas moins précieux que notre esprit et notre pensée, qui est le fruit de l'un et de l'autre, qui les unit, qui s'unit à eux, et qui ne fait avec eux qu'une même vie.
Ainsi, (autant qu'il se peut trouver de rapport entre Dieu et l'homme), ainsi, dis—je, se produit en Dieu l'amour éternel qui sort du Père qui pense, et du Fils qui est sa pensée, pour faire, avec lui et sa pensée, une même nature également heureuse et parfaite.
Voilà, s'écrie Chateaubriand, un assez beau commentaire à propos d'un seul mot de la Genèse: Faisons l'homme. En vérité, n'est-ce pas pitié que d'entendre des hommes futiles et légers, des esprits qui n'ont médité que le plaisir, des imaginations qui ne sont nourries que de pensées de cuivre et d'argent, que de lucre et de négoce ; n'est-ce pas pitié de les entendre rire et se moquer des mystères du christianisme, quand des génies comme ceux de Tertullien et de Bossuet se sont arrêtés à contempler, à admirer leur grandeur et leur sublimité!
Saint Ambroise, Origène, saint Augustin, en écrivant sur le dogme de la sainte Trinité, n'hésitent pas à dire que les saints patriarches avaient connaissance de ce mystère. Et en effet, eux qui étaient assez purs, assez saints, assez rapprochés de Dieu pour converser avec lui, ne devaient rien ignorer de sa grandeur.
Mais arrêtons-nous avec respect devant ces impénétrables profondeurs. S'il est donné aux anges de contempler face à face le triangle de feu qui resplendit au plus haut du ciel; si, ainsi que l'aigle qui va regarder de près le soleil, ils peuvent soutenir tant de splendeur et d'éclat sans mourir ; à nous, il n'appartient pas de nous élever si haut, et c'est dans la poussière que nous adorons. Je me souviens d'une histoire qui m'a été racontée il y a bien longtemps, car j'étais encore au collège à Stonyhurst, dans le nord de l'Angleterre ; là, ceux qui nous enseignaient avaient un art merveilleux pour se faire écouter par des enfants, alors même qu'ils parlaient des choses les plus graves et les plus sublimes.
Les pères de Stonyhurst ressemblaient à ces jésuites missionnaires au Canada, qui, pour attirer les peuplades amérindiennes autour de la croix qu'ils portaient au désert, avaient avec eux des harpes et des cithares; et quand ils voguaient avec quelques néophytes sur les grands fleuves, ils se mettaient à chanter des cantiques, en s'accompagnant d'accords suaves et harmonieux ; l'attrait de cette musique amenait à eux des naturels du pays, et souvent, pour mieux entendre les hommes de la chair blanche, on voyait de ces amérindiens qui se jetaient à la nage, et qui venaient se suspendre aux bords du canot pour écouter ces hommes qui avaient appris leur langue et accouraient, à travers les mers et les dangers, leur parler de Dieu. Nos maîtres de Stonyhurst n'avaient ni cithares ni harpes; mais ils avaient des histoires qu'ils savaient mêler à tous leurs enseignements. En voici une que l'un des pères nous raconta à l'instruction du matin , le dimanche de la Trinité.
Un saint docteur, un homme qui avait cherché la solitude pour pouvoir se livrer, loin de tout bruit et de toute distraction, à la prière et à la méditation, un jour se promenait seul sur les bords de la mer; là, livré à ses graves pensées, tantôt il regardait le ciel, tantôt il portait ses yeux sur l'immensité des flots.
La vue du ciel avec son azur et ses nuages, la vue de la mer avec son mouvement et ses vagues, sont deux grands aspects qui plaisent aux âmes méditatives; il y a de l'infini dans ces deux spectacles, et l'infini mène à Dieu . Ce qui préoccupait le saint dans sa promenade solitaire, c'était le mystère de la Trinité. Accoutumé dans sa retraite aux plus profondes méditations, bien des choses qui nous arrêteraient n'étaient plus des obstacles pour lui. La sainteté de sa vie et l'habitude de la prière lui avaient, pour ainsi dire, donné des ailes qui l'emportaient souvent dans de hautes régions... Aussi, ce jour-là, manquant d'humilité, il ne recula pas devant le plus impénétrable des mystères; il crut que le savoir humain pourrait comprendre le Dieu en trois personnes et expliquer la Trinité... Pensée d'orgueil!
Il s'était dit : Mon génie va me révéler ce qui n a pas été appris aux autres Hommes; moi, créature, je vais mesurer le Créateur... Déjà, par les idées qui se succédaient lucides et claires dans son esprit, il croyait se faire comme des échelons pour aller voir dans le ciel les mystères sacrés. Mais tout à coup comme des vertiges lui vinrent, et, renonçant à regret à monter si haut, humilié, il regarda la terre...
Alors, à quelques pas de lui, il aperçut tout à coup un jeune et joli enfant assis sur le rivage. Cet enfant avait creusé près de lui un trou dans le sable, et chaque fois que la vague arrivait à ses pieds, avec une coquille rose et nacrée, il prenait de l'eau de la mer et la versait dans le creux qu'il avait fait avec ses petites mains. Le sable buvait cette eau. Mais à la prochaine vague, il en prenait d'autre, et toujours ainsi
Le saint, après l'avoir examiné longtemps, lui dit : «Mon enfant, que faites-vous là? je vous vois tout en sueur; quel est ce jeu? A la constance que vous y mettez, on dirait un travail que vous vous êtes imposé.
— Aussi est-ce un travail, répliqua l'enfant sans discontinuer.
— Et quel est ce travail?
— Je veux vider la mer.
— Vider la mer! où mettrez-vous ses eaux?
— Dans ce creux que j'ai fait là.
— Mon enfant, reposez-vous, votre travail est folie.
— Folie! repartit l'enfant, moins folie que le travail
que vous faisiez tout à l'heure dans votre pensée...
— Comment?
— Oui , tout à l'heure vous cherchiez à comprendre le mystère de la Trinité, et, en vérité, je vous le dis, j'aurai plus tôt vidé la mer et mis toutes ses eaux dans le creux que j'ai fait là; j'aurai plus tôt compté tous ces grains de sable, tous ces débris de coquillages qui bordent l'Océan et que roulent les vagues, que vous n'aurez conçu le mystère que, dans votre orgueil, vous prétendiez expliquer.
Après ces mots, le jeune enfant déploya deux petites ailes qui jusqu'alors étaient restées invisibles, et, s'élevant du rivage, remonta au ciel.
Le solitaire s'humilia alors, et se prosterna à la place où il avait vu le chérubin, et adora avec foi et simplicité de cœur.
L'office du dimanche de la Trinité, les prêtres chantent à la procession : Seraphim clamabant alter ad alterum : Sanctus, sanctus, sanctus Dominus Deus exercituum ! Plena est omnis terra gloria ejus. Tres sunt qui testimonium dant in coelo : Pater, Verbum et Spiritus sanctus! Et hi tres unum sunt. »
Les séraphins chantaient et se répondaient entre eux : Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées! Toute la terre est remplie de sa gloire. Ils sont trois dans le ciel qui rendent témoignage : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, et ces trois ne sont qu'un.
« 0 Seigneur notre Dieu! que tu es admirable ! Tu t'asseois sur les chérubins, et tu vois jusqu'au fond des abîmes. Sois loué dans le firmament, et jusqu'à la fin des siècles ! Dieu trois fois saint! Dieu trois fois puissant! incompréhensible Trinité; lumière éclatante, éternelle ; unité toujours vraie; vérité toujours une; charité toujours la même, soyez louée et bénie ! vous êtes la joie des anges et des hommes.» « Vous êtes environnée de nuées impénétrables ; vous habitez une lumière inaccessible; les archanges et toutes les milices ailées des cieux vous adorent; les dominations, les vertus, les puissances tremblent en votre présence, ô Seigneur trois fois saint! »
L'évangile de ce jour investit les apôtres de leur grande mission. En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : «Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre : allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées ; et soyez assurés que je serai moi-même avec vous jusqu'à la fin des siècles. »
Le jour commémoratif de cette mission donnée par le Sauveur à ses apôtres devait être célébré par l'Église, car c'est l'évangile de ce jour qui lui donne le monde : «Allez et instruisez tous les peuples, je serai avec vous jusqu'à la fin des siècles! » Quelle grande investiture et quelle consolante promesse !
Un évêque de Liège, Etienne, dès l'année 920, avait composé un office en l'honneur de la sainte Trinité. Le concile d'Arles ordonne, en 1620, la célébration de la fête de la Trinité; mais ce ne fut qu'au quatorzième siècle, sous le pontificat de Jean XXII, que cette solennité devint générale dans toute la chrétienté. Ce mystère, honoré par l'Église, a été nié par bien des hérétiques.
Dès le temps des apôtres, un Juif d'Antioche , Cérinthe, prétendait que Jésus n'était qu'un homme ordinaire, et que le Christ s'était uni à lui le jour de son baptême, mais l'avait quitté avant sa passion... Insensé! il ne reconnaissait pas la Divinité couronnée d'épines, et la Toute-Puissance se faisant humble et douce pour souffrir, mourir et nous racheter !
A la même époque, Bion soutint aussi que Jésus-Christ n'était pas Dieu ; et ce fut pour confondre ces deux hérésiarques que saint Jean écrivit son évangile du Verbe qui
était, avant le temps, vrai Dieu, avec le Père et dans le Père.
Dans ces premiers siècles, Théodote, corroyeur de Byzance, effrayé de la persécution, nia par faiblesse la divinité du Sauveur, et effaça des saints évangiles tous les passages où le Christ était montré comme le fils de Dieu.
Plus tard, Arius, le trop fameux auteur de l'arianisme, renouvela les blasphèmes de Cérinthe, de Bion et de Théodote, mais sut envelopper son hérésie avec assez d'art pour ne pas choquer ouvertement le texte sacré.
Il reconnaît une espèce d'incarnation, et regarde Jésus comme ce que Dieu a créé de plus parfait. Selon Arius, le Christ est plus grand que tous les anges, et est sorti des mains du Tout-Puissant avant eux.
C'est ici, je crois, le lieu de remarquer comment les esprits orgueilleux, qui ne veulent pas se courber devant un mystère, inventent et donnent à croire à leurs adeptes des choses plus incompréhensibles que le mystère qu'ils ne veulent pas admettre, ainsi, n'est-il pas plus facile de croire que Jésus est Dieu et fils de Dieu, que de le reconnaître comme un homme créé avant les anges, comme une créature aidant l'Éternel quand il a fécondé le chaos?
Bien souvent les ennemis du catholicisme lui ont reproché son intolérance, et lui ont jeté avec insulte le sang que les passions et les haines des hommes ont fait répandre au nom d'une religion de douceur et de miséricorde. Le dogme de la sainte Trinité a prouvé que le protestantisme n'était pas toujours aussi tolérant que ses partisans le représentent : c'est pour avoir nié le mystère d'un Dieu en trois personnes que Michel Servet a été brûlé à Genève.
Quelques années auparavant, il avait été condamné à Vienne, sur la demande de Calvin, à la peine du feu; son effigie avait été attachée au gibet, et le bourreau avait brûlé cinq ballots de ses livres infectés d'hérésie. Pour fuir la persécution, il avait résolu d'aller exercer la médecine à Naples. Une mauvaise inspiration le fit passer par Genève, la tolérante et la réformée; mais Calvin, ayant su son arrivée, en fit part au syndic, et, ayant obtenu son arrestation, alla le saisir pendant la nuit, et le réveilla pour le mener à la barre. Là, le saint du protestantisme se chargea de diriger lui-même les accusateurs et les juges; il suivit toute la procédure avec une chaleur qui ressemblait plus à de l'acharnement et à de la haine qu'à du zèle religieux.
Les magistrats protestants et les théologiens de Zurich, de Berne, de Schaffouse et de Bâle furent consultés, et firent de longues réponses pour prouver que Michel
Servet avait mérité la peine de mort.
Le 27 octobre 1553, il fut condamné à être brûlé vif. A cette sentence que Calvin avait obtenue contre lui, Servet n'opposa aucune force, aucun courage, et ne put marcher à la mort ; il fallut l'y porter. Le malheureux ne faisait que pleurer, trembler et défaillir ; puis, tout à coup, en voyant le bûcher où il devait monter, il entra dans un accès de fureur, mêlant à des malédictions contre ses juges des cris de : « Miséricorde ! miséricorde ! grâce ! grâce ! » Je ne sais si ses cris ont été entendus là-haut; mais les hommes qui l'avaient condamné ne s'en émurent pas : il fut brûlé avec ses écrits.
Le zèle de l'Église protestante ne s'arrêta pas à l'exécution de Servet. Gentilis , natif de Cosenza , dans le royaume de Naples, s'étant rendu en Suisse pour y prêcher des principes anti-trinitaires, fut arrêté à Gex le 19 juillet 1566. On produisit contre lui un livre écrit tout entier de sa main et dédié à Sigismond, roi de Pologne ; de plus, un ouvrage écrit en italien et en latin, tout rempli des blasphèmes de l'arianisme.
A Gex, comme Calvin était mort, on permit à Valentinus Gentilis de discuter ses opinions ; mais tout ce qu'il put dire et professer ne put le sauver : il fut condamna à avoir la tête tranchée D'abord il voulut se donner les airs et l'assurance des martyrs ; mais ce courage, qui ne s'appuyait pas sur Dieu, faiblit au pied de l'échafaud , et il mourut comme avait fait Servet.
J'ai raconté ces deux exécutions pour prouver que le protestantisme, qui se vante si haut de sa tolérance, n'a pas toujours eu les mains pures de sang Il faudrait donc que ses partisans fussent plus sobres de reproches de cruauté envers le catholicisme : une religion qui a eu pour premiers apôtres Luther et Calvin, et pour premier chef spirituel le sanguinaire et débauché Henri VIII , devrait y regarder à deux fois avant de vouloir jeter du sang à la face des autres.
Il ne tiendrait qu'à nous d'entasser ici de nombreux exemples de la tolérance protestante, calviniste et luthérienne : nous nous bornerons, puisque nous venons de laisser tomber de notre plume le nom odieux de Henri VIII, de montrer la liberté que lui, sa fille Élisabeth et leurs successeurs anticatholiques ont donnée à la généreuse Irlande, à ce noble pays longtemps appelé l`ile des Saints, et qui gémit depuis tant d'années sous le joug protestant de l'Angleterre. Malheureux pays de mes pères, ses vertes campagnes donnent leur abondance à l'altière Albion ; ses familles fournissent à sa marine et à ses armées leurs meilleurs soldats et leurs meilleurs matelots; et pour cet impôt de sang et d'argent qu'elle paye chaque année, que lui rend le protestantisme couronné?
Dernière édition par MichelT le Mar 26 Déc 2017 - 15:00, édité 23 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
22 – La Fête-Dieu ( Juin)
Oh ! pour bien écrire de cette fête , il me faudrait encore la riante saison que l'Église a choisie pour la célébrer; il me faudrait le radieux soleil, le ciel bleu et les fleurs du mois de juin ! Il me faudrait cette inspiration que donnent les choses extérieures, ces pensées fraîches qui vous descendent dans l'âme quand la rosée des beaux jours tombe d'en haut sur les fleurs! Et voilà cependant que je vais décrire la journée où l'on effeuille les roses, dans le temps où il n'y a plus que les asters et les dahlias d'automne.
Je vais parler de la Fête-Dieu au bruit du vent des morts qui commence à se lever. Au lieu de peindre d'après nature, il me va falloir peindre de souvenir... Mais dans la journée dont je veux raconter l'origine, il y a tant de grands souvenirs, tant de sainte poésie, que j'espère que mes tableaux auront encore de la couleur.
Le Jeudi-Saint est la vraie commémoration du mystère eucharistique ; et ce jour devrait être la fête de nos tabernacles ; mais dans la semaine des douleurs, comment mettre tant de joie? A la veille du Vendredi-Saint, l'Église, épouse désolée, ne pouvait se couronner de fleurs et chanter des cantiques d'allégresse.
Aussi, les pompes du Jeudi-Saint ne sont que comme un rayon de soleil dans une journée sombre. Ce jour, les ornements violets ne sont plus portés par les prêtres; mais dès après l'office du matin, l'autel est dépouillé, et le tabernacle vide reste ouvert.
A la veille de la mort du Sauveur, on ne manque pas de redire les paroles qu'il a prononcées à la Cène, quand il a rompu le pain avec ses apôtres ; les paroles qui seront répétées jusqu'à la fin des siècles, puisque ce sont celles qui font descendre Dieu parmi les hommes. « Jésus-Christ , voulant disposer les esprits à concevoir la transformation qu'il devait faire de sa chair et de son sang en aliment et en breuvage, pour nourrir les âmes de ceux à qui il désirait procurer la vie éternelle, parla d'abord d'une nourriture qui n'était pas périssable et d'un vrai pain du ciel. Il insinua ensuite qu'il était lui-même cette nourriture et ce pain céleste; enfin il déclara ouvertement qu'il était le pain de vie, différent de la manne du désert, laquelle ne pouvait garantir de la mort.
« Je suis, dit-il, le pain vivant, venu du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point, et qu'il vive éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair. » Les Juifs, l'entendant parler ainsi, se demandaient l'un à l'autre : Comment lui serait-il possible de donner sa chair à manger? Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous : celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; car ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui : comme mon Père qui m'a envoyé est vivant, et que je vis par mon Père ; de même celui qui me mange vivra aussi par moi. C'est ici le pain descendu du ciel ; ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée dans le désert, et qui ne les a pas empêchés de mourir. Celui qui mangera de ce pain vivra éternellement.»
Jésus-Christ parlait ainsi dans la ville de Capharnaüm, en pleine synagogue, où il avait coutume d'entrer les jours de Sabbat, pour y enseigner. Plusieurs de ses disciples, qui l'avaient entendu, dirent entre eux : Ce discours est dur, et qui peut l'écouter? Jésus, connaissant leurs murmures secrets, leur dit: «Mes paroles vous choquent: que sera-ce donc quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant? c'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sait rien. Ce que je vous ai dit est esprit et vie; mais parmi vous il y en a qui ne croient pas ; c'est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père. »
« Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et cessèrent de le suivre; ce que voyant Jésus, il dit aux douze qu'il avait choisis pour apôtres : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi me quitter? »
Simon Pierre lui répondit: «Seigneur, à qui pourrions-nous aller? Vous avez les paroles de la vie éternelle.» En lisant, en transcrivant toutes ces saintes et mystérieuses paroles, on voit combien le Sauveur désirait préparer les esprits au grand mystère de son amour. Il savait combien l'orgueilleuse raison humaine se révolterait contre ce qu'elle ne pourrait jamais comprendre.
Aussi c'est plus d'une année avant l'institution du sacrement de l'Eucharistie, qu'il parle ainsi dans la synagogue, devant le peuple assemblé aux prières du jour du Seigneur. Enfin la nuit de la Cène pascale arrive, et là, assis à table avec les douze apôtres, il lègue à la terre le don de son éternel amour. «Il prit du pain, et, ayant rendu grâces, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples, en leur disant: « Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui est donné et qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Il prit de même la coupe, et ayant rendu grâces, il la leur présenta, disant : «Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu en faveur de plusieurs pour la rémission de leurs péchés. C'est le calice du testament nouveau dans mon sang, qui va être répandu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez.»
Ils en burent tous, et Jésus leur dit: « Je vous déclare que je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai de nouveau, avec vous, dans le royaume de mon Père. » C'est ce mystère de la chair et du sang divins qui est célébré dans la majestueuse solennité de la Fête-Dieu. Pour que rien ne manque à ses pompes, l'Église l'a placée dans la plus douce et la plus riante saison de l'année.
Et dans ce choix d'une journée de juin pour fêter le Dieu de la nature, il y a une grande harmonie ; car ce Dieu qui par sa puissance opère le prodige de l'eucharistie, est le même Dieu que celui qui fait naître et épanouir les fleurs. Et moi qui ne veux pas dessécher mon cœur par le doute, moi qui veux courber mon esprit devant ce que la foi commande, je crois qu'il est aussi facile à un Dieu de se faire la nourriture spirituelle des hommes que de faire poindre les primevères du printemps des neiges de l'hiver, et la lumière des ténèbres de la nuit.
Mais, contre ce mystère des autels, beaucoup d'hérétiques avaient blasphémé, et l'Église sentait le besoin d'une éclatante expiation ; et admirez comme l'humilité et la piété sont agréables à Dieu : c'est une sainte fille, âgée de seize ans, la bienheureuse Julienne, du mont Cornillon, religieuse hospitalière aux portes de la ville de Liège, qui sera choisie pour provoquer l'institution d'une fête annuelle en l'honneur du Saint-Sacrement! Dans sa cellule, l`amour de Jésus-Christ la tourmente et l'embrase ; elle pleure sur l'aveuglement des hommes qui le méconnaissent, et rien ne peut la consoler, parce qu'elle voit le Dieu qu'elle adore outragé sur les autels où sa bonté le fait habiter...
Dans ses saints regrets, dans ses ardentes prières, des extases la ravissent au-dessus de la terre... Et quand elle redescend des célestes hauteurs, ne croyez pas que la jeune fille reste timide sans oser élever la voix : sa voix ira jusqu'au souverain pontife... Et bientôt cette fête, conçue par la pieuse novice, fera marcher les rois, les magistrats. les guerriers pour assister à ses pompes ; et le jour que l'humble fille aura appelé de ses désirs, se lèvera le plus beau de l'année chrétienne.
Un archidiacre de l'église de Liège, Jacques Pantaléon de Troyes, qui fut depuis évêque de Verdun, patriarche de Jérusalem, et enfin pape sous le nom d'Urbain IV; l'évêque de Cambrai et le chancelier de l'Église de Paris, et un provincial des Jacobins de Liège, Hugues, qui fut nommé cardinal à cause de sa haute piété et de son profond savoir, avaient entendu la sainte recluse leur redire ses extases et ses révélations, et appuyèrent fortement sa pensée et son constant désir pendant qu'ils agissaient auprès de la cour de Rome. Julienne était si convaincue qu'une fête solennelle serait instituée en l'honneur du Saint-Sacrement, qu'elle donna elle-même le plan de l'office qui devait être composé pour cette solennité, et ce fut saint Thomas d'Aquin qui fut chargé de ce soin.
Dieu éprouve ses saints ; Julienne mourut avant d'avoir vu réalisé le désir constant de toute sa vie; mais une recluse comme elle, nommée Ève, qui vivait aussi à Liège, dans la maison de saint Martin, poursuivit l'œuvre commencée; et le 8 septembre 1264, un bref du pape Urbain IV fut expédié à la pieuse amie de Julienne. Cette bulle, datée d'Orvieto, institue la fête du Saint-Sacrement et ordonne qu'elle sera célébrée avec toutes les solennités des fêtes de premier ordre.
La volonté du pontife est aujourd'hui bien remplie; le catholicisme n'a pas de fête plus selon le cœur des peuples que la Fête-Dieu. On pourrait aussi appeler cette sainte journée la fête de la terre, la fête des villes et des hameaux ; car partout ce n'est que joyeuses sonneries, que chants d'allégresse, qu'arcs de verdure dans les chemins des campagnes, que riches tapisseries dans les rues des cités, qu'encens montant vers le ciel, que fleurs effeuillées jonchant le sol, que populations en beaux habits, qu'enfants couronnés de roses et de bluets, que reposoirs auprès des palais et auprès des chaumières, que bannières et drapeaux, que cierges et fusils, que soldats pacifiques, et que prêtres rayonnants de joie.
Oh ! celui qui est assez heureux pour n'avoir sur le cœur aucun pesant remords, quand il s'éveille ce jour-là, sent la joie générale lui venir avec l'air du matin ; cette joie est partout; elle monte de la terre comme une grande prière ; elle descend du ciel comme un bienfait. L'air en est pour ainsi dire imprégné ; ce jour-là, le climat est devenu doux pour tout le monde, ceux qui sont condamnés à pleurer sentent leurs larmes moins amères; ceux qui sont heureux sentent mieux leur bonheur.
De tous les jours de l'année, c'est celui où l'on est le plus convaincu que Dieu est partout. Le Roi, dans son palais, dépose sa couronne et descend du trône pour suivre celui qui lui a conféré la puissance ; le pauvre, souffrant sur son lit d'hôpital, se soulève de sa couche pour voir passer devant l'hospice le Dieu qui guérit et qui console; dans les familles, les enfants se sont levés de bonne heure pour aller admirer les reposoirs de la ville, avant que la foule n'obstrue les places et, les rues ; car en cette grande journée, on vient de loin pour assister à la pro cession où doivent marcher les princes de l'Église.
Pour aimer la Fête-Dieu, j'ai mes souvenirs d'enfance; car entre toutes les processions de France, celle d'Angers était renommée, et vraiment elle méritait de l'être. Cette ville que l'on avait surnommée la ville noire à cause de ses rues sombres et étroites et la couleur foncée de ses ardoises, devenait belle ce jour-là.
De trente lieues à la ronde on venait voir le sacre (c'est ainsi que l'on appelait la solennité de la Fête-Dieu) : les populations des campagnes et des petites villes environnantes, avec leurs divers costumes ; les Bretons de Guérande, du Croisic et du Pouliguen, avec leurs Braies à mille plis, leurs guêtres de toile blanche et leurs vestes et manteaux bruns; les femmes du Bourg-de-Bat, avec leurs élégantes coiffures, leurs bouquets de fleurs faites avec des coquilles, et leurs devantures de corset dorées; les habitants du Maine avec leurs habits couleur grisâtre; les femmes d'Ingrande, de Chantocé et de Saint-Georges, avec leurs bonnets ronds et leurs mantelets de drap noir ou d'indienne, et leurs antiques capots ou capuchons ; tous ces différents vêtements de formes et de couleurs diverses bariolaient la multitude pressée dans les rues, et attestaient qu'on était venu de divers lieux pour voir la grande solennité angevine.
La procession ne cheminait que sous une voûte de toile, formée par les voiles des grands bateaux de la Loire et de la Maine, que les mariniers tenaient à grand honneur de fournir; car les embarcations dont la voilure avait servi à abriter le Saint-Sacrement dans sa marche à travers la ville, ne faisaient jamais naufrage.
Ces immenses voiles tendues d'un pignon à un autre, et se touchant toutes sans laisser d'ouverture entre elles, répandaient sur la voie sainte une mystérieuse sombreur, rappelant celle de nos vieilles églises. Chaque maison avait sa façade de bois sculpté, cachée par des tapisseries à grands personnages, et le pavé ne se voyait plus, tant n`y avait répandu d'herbes odorantes.
Toute cette pompe, tout ce monde, cachaient la laideur de la vieille et irrégulière cité. En ce jour, on l'aurait crue belle, à cause de son enthousiasme et de la poésie de la fête. Poésie! enthousiasme! oh! que ces rayons du ciel embellissent de choses !
Voici quelle était la marche de la procession. Les plus humbles, les plus pauvres, venaient les premiers, avec leurs croix de bois ; les ordres mendiants, les capucins, les carmes, fendaient la foule. Et c'était là un ressouvenir de l'antique Orient; car ces religieux avec leur cheveux rasés, avec leurs longues barbes, leurs pieds chaussés de sandales, leurs robes de laine brune et leurs ceintures de cordes, n'avaient rien changé au costume des premiers anachorètes : c'était ainsi qu'étaient vêtus dans leurs grottes des rochers les fils de la solitude et du silence.
Après leur longue file, venait ce qu'à Angers on appelait les torches; et je ne sais pourquoi on les nommait ainsi. C'étaient douze grands théâtres portés sur d'énormes brancards; quatre colonnes torses, semblables à celles des lits du moyen âge, supportaient un baldaquin terminé en dôme. Sous ce dais, des figures de cire de grandeur naturelle étaient groupées pour représenter différentes scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Tantôt c'était Abraham prêt à sacrifier Isaac, et l'ange arrêtant son bras ; tantôt, Agar dans le désert, auprès du petit Ismaël mourant de soif; une autrefois, c'était le jugement de Salomon, et la reine de Saba lui apportant des présents; plus loin, c'était la naissance de l'enfant Jésus; la crèche, avec les bergers et les anges, ou les mages offrant au fils de Marie l'or, la myrrhe et l'encens.
Tous ces personnages étaient superbement vêtus, et je me souviens encore du mouvement que la marche des porteurs imprimait à ces figures aux regards fixes et aux gestes arrêtés. Chaque torche ou chaque théâtre était porté par vingt-quatre jeunes hommes, en beaux habits enrubannés.
Parmi les ouvriers de la ville, il était reconnu que l'on se mariait mal, lorsque l'on n'avait pas porté les torches. Après ces représentations, ou tableaux de l'histoire sainte, à la grande joie de la foule, on voyait arriver la torche des pécheurs, énorme cierge, gros et haut comme une colonne, et dont la mèche allumée passait à la hauteur des premiers étages. Des roseaux, des coquilles, des guirlandes de fleurs aquatiques, des franges, de petits poissons argentés, ornaient ce pilier de cire blanche. Les pêcheurs de la Loire et de la Maine faisaient les frais de cette torche, et de ternes en temps formaient des danses à l'entour.
Tout cela se voyait à une grande distance du Saint-Sacrement ; car, après les pêcheurs et tous les autres corps de métiers, venaient les religieux des différents couvents De la ville; puis, après eux, les lévites des séminaires, le clergé de toutes les paroisses, les chanoines de Saint-Maurice, les chapelains des hospices, les frères des écoles chrétiennes, et les sœurs de la charité avec leurs nombreux élèves. Tout ce monde pieux marchait sur deux lignes, les uns portant des cierges allumés, les autres des branches de verdure et des bâtons ornés de bouquets et de rubans, et surmontés d'une image du saint patron de leur corporation ou métier.
Entre cette double haie, avançaient lentement les croix, les bannières festonnées et flottantes, les statues argentées et dorées des saints, les châsses des martyrs, des vierges, des ermites et des pontifes; ces reliquaires à sculptures et à formes gothiques posaient sur des brancards recouverts de draperies de velours à franges d'or, et étaient portés par de jeunes prêtres en aubes blanches, avec des teintures de soie bleu de ciel, et couronnés de fleurs. Puis , bien loin , bien loin , comme à la fin de cette longue avenue mouvante, au milieu de mille splendeurs, à travers les nuages d'encens et la pluie de roses effeuillées qui tombaient de chaque rue, de chaque maison, de chaque fenêtre, on apercevait l'ostensoir d'or rayonnant comme un soleil, porté par l'évêque sous le magnifique dais de la cathédrale ; ses pentes brodées d'or, ses gros panaches de plumes d'autruche, se mouvaient , ondoyaient au-dessus de Dieu et du pontife.
Des princes, des grands seigneurs, des hommes d'épée et de robe, le maire, les échevins, les marguilliers , avaient tour à tour l'honneur de porter le dais. Et puis, mêlée à tout ce cortège pacifique , se joignait la milice bourgeoise; et les plumets et les baïonnettes se voyaient et brillaient à côté des croix d'argent, et des flammes des cierges et des flambeaux.
Souvent la marche était interrompue, car chaque quartier avait son reposoir, et devant chacun d'eux la pro cession s'arrêtait; on a vu comme des émeutes, ce qu'on appelait autrefois des émotions populaires, parce que quelques évêques avaient voulu changer le cours de la procession du sacre. Les rues par lesquelles elle passait étaient mieux habitées que les autres, et les maisons y étaient affermées plus cher.
Pour la ville d'Angers, c'était un moment de joie et de dévotion, de plaisir et de fortune, que le temps de la Fête-Dieu. A cette époque, les nobles propriétaires revenaient de leurs terres, et les industriels, les marchands du pays, se donnaient rendez-vous à la foire du sacre. Dans les vieux temps, il y avait ainsi de merveilleuses alliances entre la religion et l'intérêt du peuple, et les populations des villes et des campagnes en aimaient davantage le Dieu du ciel qui ne dédaignait pas de se mêler aux choses de la terre.
Aujourd'hui Angers a encore son sacre, mais il a perdu une grande partie de son ancien éclat : ce n'est plus que l'ombre d'autrefois. J'ai l'espoir que l'on ne m'en voudra pas d'avoir décrit si au long les pompes d'une procession à laquelle se rattachent mes premiers souvenirs. Oh! que de fois, lors que j'étais exilé loin du pays natal, jeté sur une terre protestante, où toutes les choses religieuses sont sèches et froides; oh! que de fois j'ai pensé au sacre d'Angers! au reposoir qui se faisait près de la maison paternelle le jour de l`octave; reposoir pour lequel ma mère prêtait ses candélabres et girandoles d'argent, et que mes sœurs ornaient de bouquets faits par elles!
Mais refoulons dans notre âme ces réminiscences mêlées de douceur et d'amertume, ces joies tristes d'un cœur qui vieillit, et parlons de la solennité de la Fête-Dieu, telle qu'elle se célèbre aujourd'hui. L'Église avait choisi le jeudi après l'octave de la Pentecôte pour la célébration de cette journée si aimée des chrétiens. Depuis le concordat, cette fête a été reportée au dimanche suivant.
Les cérémonies de la Fête-Dieu, dans beaucoup de villes de France, ont perdu la plus grande partie de leur éclat: à Paris, entre autres, il n'est plus permis au Dieu de Clovis et de Charlemagne, de saint Louis et de Louis XIV, de sortir de ses temples. Des esprits forts, des commis-voyageurs , des philosophes imberbes , de vieux révolutionnaires adorateurs de la déesse Raison et de l'Être suprême de Robespierre, ont fait peur aux ministres du jour ; et le pays très-chrétien est déshérité d'une solennité qu'il aimait, parce que tel est le bon plaisir de quelques adeptes du philosophisme.
La partie la plus éclatante des offices du Saint-Sacrement, et celle qui contribue le plus à distinguer cette fête d'avec toutes les autres, est la procession solennelle où le corps de Jésus-Christ est porté en triomphe avec le plus grand appareil; plusieurs en rapportent l'institution à Jean XXII, et croient qu'elle doit son origine à l'exposition du Saint-Sacrement. Cette exposition dure pendant toute l'octave de la fête eucharistique, et c'est merveille que de voir les pompes et les magnificences de nos églises pendant cette huitaine En ville, cette octave a sans doute un grand charme pour les âmes pieuses; mais à la campagne, les saluts du soir ont un saint attrait pour les catholiques qui habitent les châteaux et les maisons de villages. Quand le soleil s'éteint au ciel, les cierges s'allument sur les autels; et quand les oiseaux ne chantent plus sous la feuillée, les hymnes commencent dans les églises; alors, les riches et les pauvres s'acheminent vers le temple champêtre, dont les cloches sont en branle, et à cette heure où la fraîcheur et le repos descendent sur la nature, la prière et la paix d'en haut viennent aux âme qui croient, qui aiment et qui espèrent.
L'autel a conservé les ornements dont il avait été paré pour le grand jour; le dais est encore dans le sanctuaire avec la croix argentée et la bannière des temps antiques; les fleurs, les arbustes, les orangers, que les jardiniers de la contrée ont prêtés, mêlent encore leurs parfums à l'encens ; et sous des palmes dorées et recourbées en voûte, ou sur des draperies de velours cramoisi ,entre deux anges adorateurs, est exposé l'ostensoir avec ses rayons d'or ou d'argent. Pendant tout le jour, des cierges ont brûlé devant le Saint-Sacrement, et les âmes les plus pieuses et les plus ardentes se sont relevées pour qu'il n'y ait pas une heure sans adoration.
Si un étranger entre alors dans l'église, soit à la ville soit au village, quelque chose saisit tout de suite son âme; s'il a le bonheur de croire, il tombe prosterné; s'il ne croit pas, il envie la foi de ceux qu'il voit priant dans le calme et le silence; car il éprouve qu'il y a là un grand repos, une profonde paix ; avec l'odeur des cierges qui brûlent, avec la senteur des tubéreuses et des orangers groupés en massifs sur les marches de l'autel; avec ce qui reste de la fumée de l'encens, on respire ici comme l'air béni du ciel.
Quand est venu le huitième jour, la fin de l'octave, les fidèles qui se sont habitués à prier ensemble se sont attristés de voir finir ce temps sanctifié ; on dirait une famille qui ne va plus vivre sous le même toit; des frères et des sœurs qui vont se séparer. Il y a eu trop de pieuse allégresse parmi le peuple chrétien le jour de la Fête-Dieu, pour que cette belle solennité n'ait pas un reflet. Aussi le jour de l'Octave , que dans quelques pays on nomme la petite Fête-Dieu, il y a encore une procession. Les processions du Saint-Sacrement varient de pompes et de beautés, selon les lieux où elles se déploient : majestueuses dans les grandes cités, elles sont pleines de grâce au village. A la campagne, la Fête-Dieu peut être comparée à la fête des Tabernacles des Hébreux. Alors, Dieu vient habiter sous des berceaux de verdure et de fleurs.
Dans les villes, « le bruit des cloches et le roulement des canons annoncent que le Tout-Puissant a franchi le seuil de son temple.» Par intervalles, les voix et les instruments se taisent, et un silence aussi majestueux que celui des grandes mers dans un jour de calme ,règne parmi cette multitude recueillie; on n'entend plus que ses pas sur les pavés retentissants.
Mais où va-t-il ce Dieu redoutable , dont les puissances de la terre proclament ainsi la majesté? Il va se reposer sous des tentes de lin, sous des arches de feuillages, qui lui présentent, comme au jour de l'ancienne alliance, des temples innocents et des retraites champêtres; les humbles de cœur, les pauvres, les enfants, le précèdent; les juges, les guerriers, les potentats, le suivent. Il marche entre la simplicité et la grandeur, comme ce mois qu'il a choisi pour sa fête; il se montre aux hommes entre la saison des fleurs et celle des foudres.
Les fenêtres et les murs de la cité sont bordés d'habitants, dont le cœur s'épanouit à cette Fête du Dieu de la patrie; le nouveau-né tend ses bras au Jésus de la montagne, et le vieillard penché vers la tombe se sent tout à coup délivré de ses craintes; il ne sait quelle assurance de vie le remplit de joie à la vue du Dieu vivant. La Fête-Dieu ne plaît pas qu'à la foule qui vient voir passer dans les rues les pompes du sanctuaire; elle est pleine de charmes pour les poètes : aussi, voyez comme elle en a inspiré! Nous venons de citer le premier de tous, Chateaubriand! après lui, Delille, Soumet, Michaud, Fontanes, et bien d'autres encore. En cette fête, nous trouvons tant de choses pour élever l'esprit, pour émouvoir le cœur, pour sanctifier l'âme, que nous allons en donner des tableaux différents; en redisant le sacre d'Angers, nous avons essayé de peindre la Fête-Dieu dans une grande ville; en voici une dans un hameau.
On nous a fait la liberté de telle sorte, que les populations catholiques de beaucoup de grandes villes sont aujourd'hui déshéritées des magnificences de la religion. Dans Paris, ville jadis si chérie des rois très-chrétiens, le Dieu de Clotilde et de Clovis est comme prisonnier dans ses temples... Ses ministres, craignant les sacrilèges, n'osent plus faire sortir du saint des saints la radieuse eucharistie. Qui sait si les esprits forts du siècle ne seraient pas dans les rues pour l'insulter?
Au village, comme il y a plus de foi, il y a plus de vraie liberté. Au hameau de Flamenville, situé sur les hautes falaises du promontoire normand, j'ai vu une de ces processions que l'auteur du Génie du Christianisme aimerait à décrire. L'église, qui est belle et assez vaste, et que j'avais vue les dimanches précédents presque aussi pleine que celles de la Bretagne, avait mis dehors et étalé à tous les yeux sa bannière et son dais de damas rouge, sa croix et ses chandeliers, et ses plus beaux bouquets. C'était là toute la magnificence du temple champêtre.
Un vieux curé, confesseur de la foi, un jeune vicaire à l'air doux et modeste, composaient tout le clergé; et puis venaient des adolescents, des enfants en aubes blanches, avec des ceintures à longs bouts pendants; quelques-uns agitant des encensoirs, d'autres portant des corbeilles et jetant des fleurs sous les pas de Dieu. Plus de cent petites filles voilées et vêtues de blanc, et conduites par de saintes filles de charité, suivaient la bannière de la Vierge. Tout à côté du Saint-Sacrement, marchait en bon ordre l'école du village, dont la tenue religieuse et décente aurait pu faire honte à plus d'un grand collège.
L'alliance entre les châteaux et les presbytères date de loin; et comment voudrait-on qu'il en fût autrement? Les dames châtelaines et leurs filles ont toujours occupé leurs loisirs à broder de beaux ornements, des chapes, des chasubles, de belles nappes d'autel pour leurs chapelles. ou pour leur église de paroisse. Elles ont de tout temps envoyé des aumônes aux curés pour les pauvres qu'ils avaient recommandés à la charité des riches.
Aussi, aux Rogations, et surtout à la Fête-Dieu, le clergé des hameaux aime à venir à l'ancienne demeure seigneuriale, montrer qu'il est reconnaissant et fier des beaux ornements qui lui ont été donnés, et faire voir les nécessiteux qu'on l'a mis à même de secourir. La procession sortit de l'église par un soleil resplendissant; pendant quelque temps la croix brilla de ses rayons, et puis elle s'enfonça sous de beaux ombrages; parfois l'écharpe et les longs rubans qui l'ornaient, se déployant et ondoyant à la brise, me faisaient illusion, elle rappelaient les fêtes bretonnes et vendéennes où nous voyions tant de drapeaux. Auprès de la croix étaient groupés les chantres, bons paysans de la contrée, que j'avais vus la veille avec la hache, la pioche ou le fusil de garde, et maintenant marchant avec dignité sous la chape dorée. Leurs voix , plus fortes que justes, retentissaient au loin.
Après les chantres, le maître d'école se montrait grave et digne au milieu de ses élèves, formant deux longues files et chantant des cantiques français sur de vieux airs normands, quand les hymnes latines venaient à cesser. Chacun de ces jeunes garçons avait un ruban blanc noué au bras ; brassard sacré de la première communion, et que les mères avaient eu grand bonheur à nouer.
La bénédiction fut donnée dans la chapelle du château, et de là le cortège passa entre deux étangs ; c'est alors que la brise agita la bannière de la paroisse, et celle de la congrégation de la Sainte Vierge, l'écharpe de la croix et les panaches du dais. Au bout de cette chaussée s'ouvrait le haut et large porche d'une longue nef gothique Oh! c'était là un beau temple! presque aussi long, que l'église de Sainte- Geneviève de Paris; plus de deux cents pieds avant d'arriver à la croix latine; plus de deux cents colonnes avec d'élégants chapiteaux foliés, et toutes ornées de guirlandes qui ne se fanent pas ; de merveilleuses et délicates nervures se dessinant, se croisant, se mêlant sur la voûte en ogive; et au milieu de ce demi-jour religieux, de cette sombreur de nos vieilles cathédrales, tout à fait dans la profondeur de cette admirable nef, on apercevait l'autel élevé sur de nombreux gradins, et tout brillant de la lumière des cierges et de l'émail des fleurs Quand la voix des chantres de village se taisait, alors les chantres bien plus habiles du temple que je viens de décrire, célébraient à leur tour le Dieu de la nature...
Ces chantres, c'étaient les oiseaux; cette belle nef gothique, c'était une longue allée droite, à la française, avec de beaux arbres faisant berceau; sous leur religieux ombrage, un reposoir avait été élevé ; la procession y fit sa dernière station; à travers les branches mobiles de la voûte, quelques rayons de soleil vinrent scintiller sur l'ostensoir que le prêtre élevait au-dessus de la foule; tout le monde était à genoux sur la mousse et sur les fleurs effeuillées. il y avait un grand silence... Oh! que là nous étions loin de tous ces bruits que les révolutions laissent après elles!
Comme on aurait voulu être là longtemps avec tous ceux qu'on aime !... Mais le maître rustique des cérémonies donna le signal , le tambour des douaniers de la côte de Flamenville battait aux champs, et nous nous remîmes en route. Avant de rentrer dans l'église, la procession fit le tour du cimetière; la veille on avait fauché une voie dans les hautes herbes ; on y marchait sans bruit et comme sur un tapis; les coquelicots, les roses et les bluets, que les petits villageois jetaient sous les pas du Dieu qui a dit : Je suis la résurrection et la vie, retombaient sur les fosses des morts du village; devant la tombe d'une bienfaitrice du pays, le Saint-Sacrement s'arrêta quelques minutes : c'était pour bénir la femme pieuse et charitable qui avait orné les autels, vêtu le pauvre et nourri l'orphelin.
Dans toute cette gracieuse cérémonie champêtre, je n'ai été fâché que d'une chose : c'est que la procession ne se soit pas dirigée vers la mer, qui n'est qu'à un demi-quart de lieue du hameau ; sur les hautes falaises de rochers, à deux cents pieds au-dessus des vagues écumantes, qu'un reposoir eût été beau ! Nous venions de voir un Dieu de mansuétude et de paix sous le temple de feuillage, ici nous aurions vu un Dieu de force et de majesté sur un de ces blocs immuables que sa main a créés, et en face de ces grandes eaux sous lesquelles s'est promenée la sagesse éternelle. Dans ce pays, il me semblait injuste de délaisser ainsi la mer, car elle aussi loue le Seigneur qui lui a donné le secret des abîmes et la puissance des tempêtes; et ne la voyons-nous pas, toujours obéissante à la voix de Dieu, entr'ouvrir les flots pour laisser passer ses protégés, ou soulever ses vagues pour engloutir les rois, les chars et les cavaliers?
23 – La fête de St-Jean-Baptiste ( 24 juin)
Quand les prophéties qui avaient annoncé la venue du Sauveur furent accomplies, quand les jours de la Rédemption furent proches, il se fit en Israël un mouvement religieux. Les hommes, pour se rendre plus dignes de recevoir le Messie qui leur était si positivement annoncé, voulaient devenir meilleurs, et, à cette époque d'attente, sentaient le besoin de ramener leurs pensées vers le Seigneur.
Avant que le soleil n'apparaisse au ciel, alors qu'il est encore caché par les monts, on devine, aux teintes vives de l'orient, que le grand astre va venir répandre sur la
terre la lumière, la chaleur et la vie: il en était de même dans le monde au moment où le salut allait descendre d'en haut sur les hommes ; on ne le voyait pas encore ,
mais on le devinait, et, comme la brise qui précède le lever du jour, agite le feuillage des arbres et les Heurs sur leurs tiges, de même, avant que le Soleil de justice
se montrât aux regards, les cœurs frémissaient devant un souffle inconnu.
En ce temps-là, il y avait dans le temple de Jérusalem un juste qui avait nom Zacharie, qui était de la race d'Aaron, et marié à une sainte femme nommée Élisabeth.
Tous les deux avaient trouvé grâce devant Dieu. Un jour que Zacharie avait soulevé le redoutable voile du temple, et avait pénétré dans le saint des saints pour y adorer le
Très-Haut, l'ange Gabriel lui apparut, et lui dit : « Ne crains pas, Zacharie: ta prière est exaucée; Élisabeth, ta femme, va concevoir et enfanter un fils. Tu lui donneras le nom de Jean ; il sera pour son père et sa mère l'objet d'une grande joie. Il sera grand devant le Seigneur; il ne boira ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer; dès le sein de sa mère il sera rempli du Saint-Esprit, et il convertira beaucoup d'enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu.
— A quoi reconnaîtrai-je la vérité de vos paroles? Car je suis vieux, et Élisabeth, ma femme, est avancée en âge, demanda Zacharie au messager du ciel.
— Je suis Gabriel, répondit l'archange; je suis toujours présent devant le Très-Haut, toujours prêt à exécuter ses ordres. C'est lui qui m'a envoyé vers toi pour te porter cette heureuse nouvelle. Mais comme tu n'as pas cru tout de suite à ma parole, tu demeureras muet jusqu'à l'accomplissement des promesses que je t'ai faites.»
Zacharie s'inclina, et lorsqu'il releva la tête, l'archange avait disparu, était remonté vers le trône de Dieu. Quand le sacrificateur sortit du temple, on s'aperçut qu'il était devenu muet, et l'on inféra de là qu'il avait eu une vision; car il était de croyance parmi les Hébreux que lorsqu'ils avaient une vision d'en haut, lorsqu'un ange ou Dieu lui-même leur apparaissait , ils couraient danger de mort ; ils croyaient qu'entre eux , habitants de la terre, et ceux du ciel, il existait une telle différence, qu'eux , condamnés aux larmes , ne pouvaient regarder Dieu, ou l'un de ses anges, sans risque de mourir.
St-Jean le Baptiste
Cependant le temps où Élisabeth devait accoucher arriva, et elle mit au monde le fils qui lui avait été pro mis. Ses voisins et ses parents vinrent la voir pour la complimenter et lui témoigner leur joie, et le jour de la circoncision étant venu, ils voulurent le nommer Zacharie, comme son père; mais Élisabeth s'y opposa, et dit : « C'est Jean qu'il doit être appelé , c'est Jean qui Sera son nom. »
Zacharie fut consulté à ce sujet, et il allait écrire le nom de Jean , quand la parole lui fut soudaine et miraculeusement rendue ; et il s'écria : « Que le Dieu d'Israël soit béni! il s'est souvenu des promesses qu'il a faites à Abraham; il va les accomplir, et le salut va venir au monde. » Puis, s'adressant à son nouveau-né, il lui dit : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies , pour donner à son peuple connaissance du salut, afin qu'il obtienne la rémission de ses péchés. »
La Judée fut saisie d'étonnement à la vue d'une naissance accompagnée de tant de prodiges , et tous ceux et toutes celles qui étaient allés visiter Élisabeth s'en retournaient chez eux en se disant : « L'enfant que nous venons de voir dans son berceau est destiné à de grandes choses. » Et quand ils parlaient ainsi, ils avaient raison, car la main du Seigneur était étendue sur lui. Or, l'enfant se fortifiait de corps et d'esprit, et, dès ses premiers jours, faisait pressentir ses hautes destinées : il dédaignait les jeux de son âge , fuyait le bruit, cherchait la solitude, et aimait le silence.
On ne sait pas à quel âge il quitta la maison paternelle pour aller vivre, jeûner, prier et baptiser dans le désert. Saint Chrysostome et saint Jérôme croient que ce fut dès son enfance; mais saint Paulin est d'un avis contraire, et pense que ce fut sous les yeux de Zacharie et d'Élisabeth qu'il apprit la loi de Moïse, et qu'il se prépara à la sainte mission de précurseur.
Quand il eut quitté le lieu de sa naissance; quand, abandonnant tout, il se fut enfoncé dans les solitudes du désert, sa vie devint d'une extrême austérité : l'eau suintant des flancs du rocher ou jaillissant du sable, du miel sauvage, des racines et des sauterelles, composaient toute sa nourriture. Une rude tunique de poil de chameau, serrée autour de sa taille par une lanière de cuir, était tout son vêtement. C'est à Jean dans le désert qu'il faut faire remonter l'origine de la vie des anachorètes et des solitaires de la Thébaïde. Après l'avoir ainsi tenu caché dans le désert, Dieu le manifesta au monde, en la quinzième année du règne de Tibère. Les rives du Jourdain entendirent ses premières prédications, et bientôt la solitude perdit de son silence.
Bientôt, dans les villes de Judée, se répandit le bruit qu'un homme extraordinaire, qu'un prophète convertissant les pécheurs par l'autorité de ses paroles, avait paru dans les lieux les plus sauvages, criant à tous : « Faites pénitence! faites pénitence! car le règne de Dieu est proche, et la cognée est déjà à la racine de l'arbre. »
Il y eut alors un besoin d'entendre cet homme dont tout le monde parlait , et des flots de peuple, de riches et de pauvres, de grands et de petits, se portèrent vers le désert.
A toute cette multitude, le Précurseur faisait confesser ses péchés, et à mesure que ceux qui avaient offensé le Seigneur s'en étaient repentis, il les faisait entrer dans les eaux du Jourdain, leur disant : « Croyez à celui que je suis venu annoncer; c'est lui qui vous baptisera dans l'esprit et dans le feu, et qui vous accordera le pardon de vos péchés.»
Les soldats et les publicains même glorifiaient Dieu dans la vertu de saint Jean et marquaient autant d'empressement que le peuple pour recevoir son baptême. »
La réputation de saint Jean devint si grande, que plusieurs eurent la pensée qu'il pourrait bien être lui-même le Christ, le Messie depuis tant de siècles prédit par les prophètes; mais Jean, dont l'humilité était aussi grande que la sainteté, rejeta bien loin de lui ce titre qui ne pouvait appartenir qu'au divin fils de Marie.
Jean le Baptiseur ou Baptiste n'avait jamais vu le Christ dont il annonçait la venue; seulement les inspirations qu'il recevait d'en haut lui avaient appris que le Rédempteur serait celui sur lequel il verrait descendre le Saint-Esprit. Et lorsque Jésus vint avec d'autres Juifs pour recevoir le baptême de Jean, celui-ci, éclairé d'une lumière surnaturelle, s'humilia devant lui, disant : «C'est moi qui ai besoin d'être baptisé et purifié par vous. »
Mais le Christ insistant, le baptiseur obéit; et lorsque Jésus fut entré dans le Jourdain, il lui répandit de l'eau sur la tête, et lui donna ainsi le baptême que son humilité lui avait demandé. A l'instant où l'eau tomba sur le front auquel appartient de toute éternité la couronne des mondes, le ciel s'entr'ouvrit au-dessus de la tête du baptisé, une gloire
divine s'échappa d'en haut pour rayonner sur le Christ; le Saint-Esprit, sous la forme d'une blanche colombe, plana au-dessus de lui , et la voix de Dieu même proclama QUE CELUI-CI ÉTAIT SON FILS BIEN-AIMÉ EN QUI IL AYAIT MIS TOUTES SES COMPLAISANCES.
Quelque temps après ce baptême, les Juifs obstinés envoyèrent une députation à Jean, pour lui demander s'il n'était pas le Messie. Il répondit aux hommes qui étaient venus vers lui : « Non , je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni prophète; je ne suis que la voix qui crie dans le désert : Préparez le sentier du Seigneur. » Le lendemain, il s'expliqua encore plus clairement; car voyant venir à lui Jésus, qui avait passé quarante jours dans le désert après avoir reçu le baptême, il s'écria: Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde.
Hérode Antipas ayant épousé la femme de son frère encore vivant, avait causé un grand scandale dans tout le pays : Jean-Baptiste lui en parla avec sa force et son indépendance habituelles. Il reprocha en face à Hérode sa scandaleuse conduite. Le prince, irrité de ce qu'il appelait son audace, le fit arrêter et mettre en prison. Captif et chargé de chaînes, ses disciples ne l'abandonnèrent pas. Hérode même, tout en lui laissant ses fers, était forcé au respect envers lui; il l'écoutait en plusieurs choses, et suivait de temps en temps ses avis. Mais Hérodiade, qui craignait toujours qu'Hérode ne le remît en liberté, cherchait une occasion favorable pour le faire mourir. Elle la trouva enfin : un jour que le roi donnait un grand festin pour célébrer l'anniversaire de sa naissance, cette femme méchante et vindicative envoya Salomé, sa fille (qu'elle avait eue de Philippe, son mari légitime), dans la salle du banquet, pour y danser devant Hérode et ses convives.
La belle Salomé dansa si bien au gré du roi, qu'il la fit venir auprès de son trône, et lui promit de lui donner tout ce qu'elle demanderait , quand bien même ce serait la moitié de son royaume. Aussitôt elle sortit et alla redire à sa mère le succès qu'elle venait d'avoir, et la promesse que le roi lui avait faite, ajoutant : «Ma mère, que demanderai-je?
« — La tête de notre ennemi, la tête de Jean le Baptiseur», répondit Hérodiade... Et Salomé, accoutumée à trembler devant sa mère, retourna dans la salle, et ,dit à Hérode : «Seigneur, donnez-moi, dans ce plat, la tête de Jean le prisonnier. »
Hérode, dit don Calmet, fut fâché de cette demande; mais n'osant manquer de parole devant sa compagnie, il ordonna qu'on allât couper la tête à Jean le Baptiseur. Cet ordre fut exécuté sur-le-champ. Le bourreau donna le chef sanglant du saint à Salomé , et Salomé le porta à sa mère, qui lui perça la langue avec une aiguille d'or qui retenait ses cheveux. Cette mort arriva, à ce que l'on croit, sur la fin de la trente et unième année de l'ère vulgaire , ou au commencement de l'an 32. Le festin dont parle l'Évangile se fit probablement à Maqueronte, où saint Jean était en prison, et où il fut décapité.
L'Église fait deux fêtes de saint Jean-Baptiste, l'une de sa nativité, l'autre de sa décollation. La première est la plus chômée, et il devait en être ainsi : l'ange Gabriel n'avait-il pas prédit à Zacharie que la naissance de son fils serait une cause de joie? L'institution de cette solennité est fort ancienne, puisque saint Augustin assure que les fidèles l'avaient reçue des apôtres eux-mêmes.
C'est le 24 juin que l'on chôme cette fête ; elle vient au milieu des plus longs et des plus beaux jours de l'année; dans les villes, dans les campagnes, il y a de grandes, de bruyantes réjouissances, quand arrive la Saint-Jean: sur les places publiques des cités et des villages, sur le haut des coteaux, dans le creux des vallées, on allume des feux de joie , et toute la nuit perd son silence et son repos devant l'allégresse des populations.
A la campagne, on apporte à la dame châtelaine une torche de paille enrubannée et enjolivée de fleurs; puis, suivie de toute sa famille, elle descend les marches du
perron; le maire de la commune allume le flambeau rustique, et la noble dame met le feu à une haute pyramide de fagots. Avant que cet immense bûcher soit allumé, le curé avec son vicaire, ses chantres, ses choristes, sa croix et sa bannière a fait trois fois le tour du feu de joie, Bientôt de gros nuages de fumée blanchâtre sortent des flancs du bûcher, s'élèvent en se roulant sur eux-mêmes et se dessinent sur le ciel ; bientôt de longues gerbes de flamme les suivent et répandent une vive clarté dans les airs et sur la foule agitée, qui, se tenant par la main, forme un énorme cercle autour de la pyramide brûlante.
L'Église a cru devoir décerner à saint Jean les honneurs du martyre, comme à saint Etienne, aux apôtres; car avant le sixième siècle, la fête de la décollation de saint Jean était appelée Passion, comme on le voit dans les anciens sacramentaires de Rome, sous le pape Gélase; mais depuis saint Grégoire le Grand, elle a retenu dans l'Église latine le nom de Décollation. On peut juger de la dévotion que les fidèles ont toujours eue pour le Précurseur par la multitude des églises mises sous son invocation dans tous les pays du monde.
Et il était juste qu'il en fût ainsi; car Jésus-Christ lui-même a pris soin de le louer; c'est lui qui a dit du juste qui l'avait baptisé, que ce juste était une lampe ardente et répandant la clarté; que cet homme n'était pas semblable à un roseau agité par le vent, mais un vrai prophète, un ange que Dieu devait envoyer devant le Christ pour lui préparer la voie; qu'il était Elie, celui qu'on attendait; qu'en lui se terminaient les prophètes et la loi; qu'en un mot, si l'on en exceptait celui qui avait commencé à paraître depuis lui, c'est-à-dire le divin Sauveur lui-même, il n'y avait pas , parmi les hommes nés de la femme, un seul qui fût plus grand que Jean-Baptiste. »
24 – La fête de St-Pierre et St-Paul ( 29 juin)
Comment décrire tout le temple catholique sans nous arrêter quelques instants devant ses deux premières colonnes? L'histoire des saints que l'Église honore ne doit pas entrer dans ce livre ; mais comment ne pas parler du prince des apôtres, de ce Simon Pierre si plein d'amour et de foi, premier anneau de la longue chaîne qui lie la terre au ciel? et de ce beau, de ce grand génie, Paul, apôtre des Gentils, orateur énergique, plaidant avec une sainte et sublime indépendance pour la liberté des peuples, la liberté par la croix? Non, quoique ce soit sortir de notre plan, après les grandes commémorations des mystères de la foi, nous dirons quelques mots de la fête de ces deux apôtres.
Singulière et grande destinée ! voici qu'un simple pêcheur, au cœur droit mais faible, à l'âme aimante mais timide, sera choisi par la sagesse éternelle pour être mis le premier à la tête de ces conquérants qui vont changer la face de la terre ! Simon est enlevé à ses filets, à sa barque, à son hameau de Bethsaïde, pour être porté si haut, qu'il semble, aux yeux des chrétiens, placé entre la terre et le ciel. Je viens de dire que Simon ou Céphas avait été choisi par l`éternelle sagesse, et j'ai bien dit ; car la sagesse humaine n'eût rien vu en cet homme simple et naïf, et ne l'aurait pas fait sortir de son obscure situation : mais Dieu ne marche pas par les mêmes chemins que nous et ce qui nous semble devoir être dédaigné, lui l'honore ; ce que nous prenons pour un vil métal, lui le fait briller plus que l'or et étinceler plus que le diamant.
C'est l'amour fraternel qui a amené Pierre près du Christ. André, ayant entendu Jésus enseigner sur les bords du lac de Génésareth, trouva tant de bonheur à l'écouter, qu'il dit à son frère Simon : « Viens entendre le nouveau prophète. » Simon se rendit un jour avec la foule, et dès ce jour son âme fut prise et attachée à l'homme-Dieu. Quelquefois, quand la multitude était grande sur les bords du lac, Jésus montait dans la barque des deux frères, et de là, comme d'une tribune séparée de la foule, il enseignait le peuple. Pour reconnaître cette complaisance des deux pêcheurs, un jour le Messie dit à Pierre : « Allons en pleine mer, et jetez-y vos filets. » Et là leur pêche fut si abondante, que les filets se rompirent sous le poids des poissons.
Pour éprouver si Pierre commençait à croire, le fils de Dieu, par sa propre puissance, se mit à marcher sur les flots et appela Pierre à lui. D'abord plein de confiance dans son divin maître , il voulut courir à lui sur les vagues ; mais voyant qu'il enfonçait, sa foi l'abandonna un instant, et il eut peur. Ces mouvements se retrouvent plusieurs fois dans la vie du premier apôtre. Voyez quand les jours de la grande épreuve sont venus. D'abord Pierre proteste de son dévouement et répète que rien ne pourra le séparer de Jésus, et quelques heures plus tard, devant une pauvre femme, il renie , il abandonne son maître !
Avec nos idées, un homme si faible, si inconstant, si timide, n'eût jamais été choisi pour être mis en évidence. Mais laissez faire Dieu : si Pierre est timide, inconstant et faible, c'est alors que le Saint-Esprit n'est pas descendu en lui. Quand une fois la langue de feu se sera arrêtée sur sa tête, quand l'enthousiasme divin sera entré dans son cœur, l'homme timide sera devenu l'homme de courage; l'homme incertain, l'homme aux sentiments mobiles sera changé en roc immuable et méritera son nom de Céphas.
Dieu se plaît souvent à revêtir ainsi notre faiblesse de sa fortitude : sous sa souveraine volonté le roseau se transforme en chêne , et ce qui pliait sous le moindre souffle résiste aux tempêtes déchaînées Paul était un des plus ardents persécuteurs des disciples du Christ, et quand l'éclair, quand la foudre de grâce l'a frappé sur la route de Damas, quand la voix d'en haut lui a crié : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? » comment ce fougueux ennemi des chrétiens est-il tout à coup si complétement changé? C'est que la
grâce est toute-puissante, c'est que tous les cœurs sont comme de la cire molle dans les mains de Dieu.
Pierre avait la bonté et la foi, Paul la foi et l'énergie; Pierre nous est montré tenant les clefs du ciel, Paul avec le glaive de la parole ; et, en effet, quel puissant orateur ! Mais n'attendez pas de Paul ni la pompe ni les ornements dont se parc l'éloquence humaine : il est trop grave et trop sérieux pour rechercher ces délicatesses , ou, pour dire quelque chose de plus chrétien et de plus digne du grand apôtre, il est trop passionnément amoureux des glorieuses bassesses du christianisme pour vouloir corrompre, par les vanités de l'éloquence séculière, la vénérable simplicité de l'Évangile de Jésus-Christ.
Sa science ! il dit qu'il ne sait autre chose que son maître crucifié, c'est-à-dire qu'il ne sait rien que ce qui choque, que ce qui scandalise, que ce qui paraît folie et extravagance... Comment donc peut-il espérer que ses auditeurs soient persuadés? Mais, grand Paul, si la doctrine que vous annoncez est si étrange et si difficile, cherchez du moins des termes polis, couvrez des fleur de la rhétorique cette face hideuse de votre évangile, et adoucissez son austérité par les charmes de votre éloquence. A Dieu ne plaise ! répond ce grand homme, que je mêle la sagesse humaine à la sagesse du Fils de Dieu! C'est la volonté de mon maître que mes paroles ne soient pas moins rudes que ma doctrine paraît incroyable. Non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis.
Le grand Bossuet, le saint Paul des temps modernes, ajoute encore : « Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger; il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine, et prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'aréopage en l'école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome entendra sa voix, et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul adressée à ses citoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron.»
L'apôtre , qui est si éloquent quand il parle, est sublime quand il souffre pour le Dieu qu'il annonce. C'est encore Bossuet qui va louer Paul. Ce serait à grand tort que je placerais quelques paroles de moi entre deux si grands noms : « Considérez ce grand homme fouetté à Philippes par la main du bourreau pour y avoir prêché Jésus-Christ, puis jeté dans l'obscurité d'un cachot, ayant les pieds serrés dans du bois qui était entrouvert par force et les pressait ensuite avec violence. Cet homme cependant , triomphant de joie de sentir si vivement en lui-même la sanglante impression de la croix, avec Silas son cher compagnon, rompait le silence de la nuit en offrant à Dieu, d'une âme contente, des louanges pour ses supplices, des actions de grâces pour ses blessures !»
Voilà comme Paul porte la croix du Sauveur ! Et aussi dans ce même temps, le Sauveur lui veut faire voir une merveilleuse représentation de ce qui s'est fait à la sienne : là du sang, et ici du sang ; là la terre a tremblé , et ici elle tremble encore , Terrae motus factus est magnus. Là les tombeaux ont été ouverts, qui sont comme les prisons des morts, et les morts sont ressuscités ; ici les prisons, qui sont les tombeaux obscurs des hommes vivants , s'ouvrent : Aperta sunt omnia ostia. Et , pour achever cette ressemblance, là celui qui garde la croix du Sauveur le reconnaît pour le fils de Dieu : Verè filius Dei erat iste; et ici celui qui garde saint Paul se jette aussitôt à ses pieds : Procidit ad pedes; il se soumet à son évangile. «Que ferai-je, dit-il, pour être sauvé? Quid me oportet facere ut salvus sim? »
Il lave premièrement les plaies de l'apôtre, l'apôtre après lavera les siennes par la grâce du baptême, et ce bienheureux geôlier se prépare à cette eau céleste en essuyant le sang de l'apôtre qui lui inspire l'amour de la croix et l'esprit du christianisme. Si le caractère énergique et fort de saint Paul se révèle par sa magnanimité dans les souffrances et le genre mâle et rude de son éloquence, la bonté de son âme, la chaleur de son cœur, se font voir avec un grand charme dans les épîtres à Timothée : l'amitié n'a jamais eu un langage plus digne et plus tendre. On sent, en lisant ces lettres, que Paul aime à travers la croix, et que ses affections se sont imprégnées du sang de Jésus-Christ. Dans ces épîtres, comme le maître parle de haut au disciple! Mais cependant, comme en tombant de haut les paroles de l'apôtre demeurent pleines d'amitié!
Aujourd'hui on fait grand bruit de liberté : oh ! qui parle bien d'indépendance , c'est Paul. Jamais homme n'a mieux revendiqué les droits des peuples que lui, car il les demandait au nom du divin Sauveur et en montrant le sang répandu pour que la terre fût libre, pour que les hommes fussent frères !
La mort de St-Paul a Rome
La crucifixion de St-Pierre a Rome
L'Église fête le même jour saint Pierre et saint Paul, et c'est là une des plus magnifiques solennités de Rome chrétienne. Là où leur sang a coulé, là on exalte leurs noms, et la voix de tout un peuple, dans le plus majestueux temple de l'univers, en face du tombeau des saints apôtres , sous les yeux du successeur de Pierre , chante ces paroles : Saints apôtres, vous que les mêmes travaux dans la vie, vous que la même couronne du martyre ont unis, nous vous unissons aussi pour vous honorer en un même jour. L'éternel Seigneur a partagé entre vous l'univers : vous, Pierre, vous instruisez les Juifs; vous, Paul, vous portez la foi chez les Gentils. Tous deux chefs de l'armée sacrée, tous deux aimés de Dieu, tous deux honorés des hommes. Césars de la vieille Rome, le temps où l'idolâtrie adorait vos cadavres corrompus est passé, et voilà que les cendres de vos victimes sont vénérées par les princes de la terre et par toutes les nations !
Rome, tes collines empourprées du sang des glorieux martyrs portent sur leurs cimes la croix du Christ; Rome, cette croix t'a vaincue, et tu vaincras par elle!
Oh ! pour bien écrire de cette fête , il me faudrait encore la riante saison que l'Église a choisie pour la célébrer; il me faudrait le radieux soleil, le ciel bleu et les fleurs du mois de juin ! Il me faudrait cette inspiration que donnent les choses extérieures, ces pensées fraîches qui vous descendent dans l'âme quand la rosée des beaux jours tombe d'en haut sur les fleurs! Et voilà cependant que je vais décrire la journée où l'on effeuille les roses, dans le temps où il n'y a plus que les asters et les dahlias d'automne.
Je vais parler de la Fête-Dieu au bruit du vent des morts qui commence à se lever. Au lieu de peindre d'après nature, il me va falloir peindre de souvenir... Mais dans la journée dont je veux raconter l'origine, il y a tant de grands souvenirs, tant de sainte poésie, que j'espère que mes tableaux auront encore de la couleur.
Le Jeudi-Saint est la vraie commémoration du mystère eucharistique ; et ce jour devrait être la fête de nos tabernacles ; mais dans la semaine des douleurs, comment mettre tant de joie? A la veille du Vendredi-Saint, l'Église, épouse désolée, ne pouvait se couronner de fleurs et chanter des cantiques d'allégresse.
Aussi, les pompes du Jeudi-Saint ne sont que comme un rayon de soleil dans une journée sombre. Ce jour, les ornements violets ne sont plus portés par les prêtres; mais dès après l'office du matin, l'autel est dépouillé, et le tabernacle vide reste ouvert.
A la veille de la mort du Sauveur, on ne manque pas de redire les paroles qu'il a prononcées à la Cène, quand il a rompu le pain avec ses apôtres ; les paroles qui seront répétées jusqu'à la fin des siècles, puisque ce sont celles qui font descendre Dieu parmi les hommes. « Jésus-Christ , voulant disposer les esprits à concevoir la transformation qu'il devait faire de sa chair et de son sang en aliment et en breuvage, pour nourrir les âmes de ceux à qui il désirait procurer la vie éternelle, parla d'abord d'une nourriture qui n'était pas périssable et d'un vrai pain du ciel. Il insinua ensuite qu'il était lui-même cette nourriture et ce pain céleste; enfin il déclara ouvertement qu'il était le pain de vie, différent de la manne du désert, laquelle ne pouvait garantir de la mort.
« Je suis, dit-il, le pain vivant, venu du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point, et qu'il vive éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair. » Les Juifs, l'entendant parler ainsi, se demandaient l'un à l'autre : Comment lui serait-il possible de donner sa chair à manger? Jésus leur dit : « En vérité, je vous le déclare, si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous : celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour ; car ma chair est véritablement une nourriture, et mon sang est véritablement un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui : comme mon Père qui m'a envoyé est vivant, et que je vis par mon Père ; de même celui qui me mange vivra aussi par moi. C'est ici le pain descendu du ciel ; ce n'est pas comme la manne que vos pères ont mangée dans le désert, et qui ne les a pas empêchés de mourir. Celui qui mangera de ce pain vivra éternellement.»
Jésus-Christ parlait ainsi dans la ville de Capharnaüm, en pleine synagogue, où il avait coutume d'entrer les jours de Sabbat, pour y enseigner. Plusieurs de ses disciples, qui l'avaient entendu, dirent entre eux : Ce discours est dur, et qui peut l'écouter? Jésus, connaissant leurs murmures secrets, leur dit: «Mes paroles vous choquent: que sera-ce donc quand vous verrez le Fils de l'homme monter où il était auparavant? c'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sait rien. Ce que je vous ai dit est esprit et vie; mais parmi vous il y en a qui ne croient pas ; c'est pour cela que je vous ai dit que personne ne peut venir à moi, s'il ne lui est donné par mon Père. »
« Dès lors, plusieurs de ses disciples se retirèrent, et cessèrent de le suivre; ce que voyant Jésus, il dit aux douze qu'il avait choisis pour apôtres : « Et vous, ne voulez-vous pas aussi me quitter? »
Simon Pierre lui répondit: «Seigneur, à qui pourrions-nous aller? Vous avez les paroles de la vie éternelle.» En lisant, en transcrivant toutes ces saintes et mystérieuses paroles, on voit combien le Sauveur désirait préparer les esprits au grand mystère de son amour. Il savait combien l'orgueilleuse raison humaine se révolterait contre ce qu'elle ne pourrait jamais comprendre.
Aussi c'est plus d'une année avant l'institution du sacrement de l'Eucharistie, qu'il parle ainsi dans la synagogue, devant le peuple assemblé aux prières du jour du Seigneur. Enfin la nuit de la Cène pascale arrive, et là, assis à table avec les douze apôtres, il lègue à la terre le don de son éternel amour. «Il prit du pain, et, ayant rendu grâces, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples, en leur disant: « Prenez et mangez, ceci est mon corps, qui est donné et qui sera livré pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. » Il prit de même la coupe, et ayant rendu grâces, il la leur présenta, disant : «Buvez-en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu en faveur de plusieurs pour la rémission de leurs péchés. C'est le calice du testament nouveau dans mon sang, qui va être répandu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez.»
Ils en burent tous, et Jésus leur dit: « Je vous déclare que je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu'au jour où j'en boirai de nouveau, avec vous, dans le royaume de mon Père. » C'est ce mystère de la chair et du sang divins qui est célébré dans la majestueuse solennité de la Fête-Dieu. Pour que rien ne manque à ses pompes, l'Église l'a placée dans la plus douce et la plus riante saison de l'année.
Et dans ce choix d'une journée de juin pour fêter le Dieu de la nature, il y a une grande harmonie ; car ce Dieu qui par sa puissance opère le prodige de l'eucharistie, est le même Dieu que celui qui fait naître et épanouir les fleurs. Et moi qui ne veux pas dessécher mon cœur par le doute, moi qui veux courber mon esprit devant ce que la foi commande, je crois qu'il est aussi facile à un Dieu de se faire la nourriture spirituelle des hommes que de faire poindre les primevères du printemps des neiges de l'hiver, et la lumière des ténèbres de la nuit.
Mais, contre ce mystère des autels, beaucoup d'hérétiques avaient blasphémé, et l'Église sentait le besoin d'une éclatante expiation ; et admirez comme l'humilité et la piété sont agréables à Dieu : c'est une sainte fille, âgée de seize ans, la bienheureuse Julienne, du mont Cornillon, religieuse hospitalière aux portes de la ville de Liège, qui sera choisie pour provoquer l'institution d'une fête annuelle en l'honneur du Saint-Sacrement! Dans sa cellule, l`amour de Jésus-Christ la tourmente et l'embrase ; elle pleure sur l'aveuglement des hommes qui le méconnaissent, et rien ne peut la consoler, parce qu'elle voit le Dieu qu'elle adore outragé sur les autels où sa bonté le fait habiter...
Dans ses saints regrets, dans ses ardentes prières, des extases la ravissent au-dessus de la terre... Et quand elle redescend des célestes hauteurs, ne croyez pas que la jeune fille reste timide sans oser élever la voix : sa voix ira jusqu'au souverain pontife... Et bientôt cette fête, conçue par la pieuse novice, fera marcher les rois, les magistrats. les guerriers pour assister à ses pompes ; et le jour que l'humble fille aura appelé de ses désirs, se lèvera le plus beau de l'année chrétienne.
Un archidiacre de l'église de Liège, Jacques Pantaléon de Troyes, qui fut depuis évêque de Verdun, patriarche de Jérusalem, et enfin pape sous le nom d'Urbain IV; l'évêque de Cambrai et le chancelier de l'Église de Paris, et un provincial des Jacobins de Liège, Hugues, qui fut nommé cardinal à cause de sa haute piété et de son profond savoir, avaient entendu la sainte recluse leur redire ses extases et ses révélations, et appuyèrent fortement sa pensée et son constant désir pendant qu'ils agissaient auprès de la cour de Rome. Julienne était si convaincue qu'une fête solennelle serait instituée en l'honneur du Saint-Sacrement, qu'elle donna elle-même le plan de l'office qui devait être composé pour cette solennité, et ce fut saint Thomas d'Aquin qui fut chargé de ce soin.
Dieu éprouve ses saints ; Julienne mourut avant d'avoir vu réalisé le désir constant de toute sa vie; mais une recluse comme elle, nommée Ève, qui vivait aussi à Liège, dans la maison de saint Martin, poursuivit l'œuvre commencée; et le 8 septembre 1264, un bref du pape Urbain IV fut expédié à la pieuse amie de Julienne. Cette bulle, datée d'Orvieto, institue la fête du Saint-Sacrement et ordonne qu'elle sera célébrée avec toutes les solennités des fêtes de premier ordre.
La volonté du pontife est aujourd'hui bien remplie; le catholicisme n'a pas de fête plus selon le cœur des peuples que la Fête-Dieu. On pourrait aussi appeler cette sainte journée la fête de la terre, la fête des villes et des hameaux ; car partout ce n'est que joyeuses sonneries, que chants d'allégresse, qu'arcs de verdure dans les chemins des campagnes, que riches tapisseries dans les rues des cités, qu'encens montant vers le ciel, que fleurs effeuillées jonchant le sol, que populations en beaux habits, qu'enfants couronnés de roses et de bluets, que reposoirs auprès des palais et auprès des chaumières, que bannières et drapeaux, que cierges et fusils, que soldats pacifiques, et que prêtres rayonnants de joie.
Oh ! celui qui est assez heureux pour n'avoir sur le cœur aucun pesant remords, quand il s'éveille ce jour-là, sent la joie générale lui venir avec l'air du matin ; cette joie est partout; elle monte de la terre comme une grande prière ; elle descend du ciel comme un bienfait. L'air en est pour ainsi dire imprégné ; ce jour-là, le climat est devenu doux pour tout le monde, ceux qui sont condamnés à pleurer sentent leurs larmes moins amères; ceux qui sont heureux sentent mieux leur bonheur.
De tous les jours de l'année, c'est celui où l'on est le plus convaincu que Dieu est partout. Le Roi, dans son palais, dépose sa couronne et descend du trône pour suivre celui qui lui a conféré la puissance ; le pauvre, souffrant sur son lit d'hôpital, se soulève de sa couche pour voir passer devant l'hospice le Dieu qui guérit et qui console; dans les familles, les enfants se sont levés de bonne heure pour aller admirer les reposoirs de la ville, avant que la foule n'obstrue les places et, les rues ; car en cette grande journée, on vient de loin pour assister à la pro cession où doivent marcher les princes de l'Église.
Pour aimer la Fête-Dieu, j'ai mes souvenirs d'enfance; car entre toutes les processions de France, celle d'Angers était renommée, et vraiment elle méritait de l'être. Cette ville que l'on avait surnommée la ville noire à cause de ses rues sombres et étroites et la couleur foncée de ses ardoises, devenait belle ce jour-là.
De trente lieues à la ronde on venait voir le sacre (c'est ainsi que l'on appelait la solennité de la Fête-Dieu) : les populations des campagnes et des petites villes environnantes, avec leurs divers costumes ; les Bretons de Guérande, du Croisic et du Pouliguen, avec leurs Braies à mille plis, leurs guêtres de toile blanche et leurs vestes et manteaux bruns; les femmes du Bourg-de-Bat, avec leurs élégantes coiffures, leurs bouquets de fleurs faites avec des coquilles, et leurs devantures de corset dorées; les habitants du Maine avec leurs habits couleur grisâtre; les femmes d'Ingrande, de Chantocé et de Saint-Georges, avec leurs bonnets ronds et leurs mantelets de drap noir ou d'indienne, et leurs antiques capots ou capuchons ; tous ces différents vêtements de formes et de couleurs diverses bariolaient la multitude pressée dans les rues, et attestaient qu'on était venu de divers lieux pour voir la grande solennité angevine.
La procession ne cheminait que sous une voûte de toile, formée par les voiles des grands bateaux de la Loire et de la Maine, que les mariniers tenaient à grand honneur de fournir; car les embarcations dont la voilure avait servi à abriter le Saint-Sacrement dans sa marche à travers la ville, ne faisaient jamais naufrage.
Ces immenses voiles tendues d'un pignon à un autre, et se touchant toutes sans laisser d'ouverture entre elles, répandaient sur la voie sainte une mystérieuse sombreur, rappelant celle de nos vieilles églises. Chaque maison avait sa façade de bois sculpté, cachée par des tapisseries à grands personnages, et le pavé ne se voyait plus, tant n`y avait répandu d'herbes odorantes.
Toute cette pompe, tout ce monde, cachaient la laideur de la vieille et irrégulière cité. En ce jour, on l'aurait crue belle, à cause de son enthousiasme et de la poésie de la fête. Poésie! enthousiasme! oh! que ces rayons du ciel embellissent de choses !
Voici quelle était la marche de la procession. Les plus humbles, les plus pauvres, venaient les premiers, avec leurs croix de bois ; les ordres mendiants, les capucins, les carmes, fendaient la foule. Et c'était là un ressouvenir de l'antique Orient; car ces religieux avec leur cheveux rasés, avec leurs longues barbes, leurs pieds chaussés de sandales, leurs robes de laine brune et leurs ceintures de cordes, n'avaient rien changé au costume des premiers anachorètes : c'était ainsi qu'étaient vêtus dans leurs grottes des rochers les fils de la solitude et du silence.
Après leur longue file, venait ce qu'à Angers on appelait les torches; et je ne sais pourquoi on les nommait ainsi. C'étaient douze grands théâtres portés sur d'énormes brancards; quatre colonnes torses, semblables à celles des lits du moyen âge, supportaient un baldaquin terminé en dôme. Sous ce dais, des figures de cire de grandeur naturelle étaient groupées pour représenter différentes scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament.
Tantôt c'était Abraham prêt à sacrifier Isaac, et l'ange arrêtant son bras ; tantôt, Agar dans le désert, auprès du petit Ismaël mourant de soif; une autrefois, c'était le jugement de Salomon, et la reine de Saba lui apportant des présents; plus loin, c'était la naissance de l'enfant Jésus; la crèche, avec les bergers et les anges, ou les mages offrant au fils de Marie l'or, la myrrhe et l'encens.
Tous ces personnages étaient superbement vêtus, et je me souviens encore du mouvement que la marche des porteurs imprimait à ces figures aux regards fixes et aux gestes arrêtés. Chaque torche ou chaque théâtre était porté par vingt-quatre jeunes hommes, en beaux habits enrubannés.
Parmi les ouvriers de la ville, il était reconnu que l'on se mariait mal, lorsque l'on n'avait pas porté les torches. Après ces représentations, ou tableaux de l'histoire sainte, à la grande joie de la foule, on voyait arriver la torche des pécheurs, énorme cierge, gros et haut comme une colonne, et dont la mèche allumée passait à la hauteur des premiers étages. Des roseaux, des coquilles, des guirlandes de fleurs aquatiques, des franges, de petits poissons argentés, ornaient ce pilier de cire blanche. Les pêcheurs de la Loire et de la Maine faisaient les frais de cette torche, et de ternes en temps formaient des danses à l'entour.
Tout cela se voyait à une grande distance du Saint-Sacrement ; car, après les pêcheurs et tous les autres corps de métiers, venaient les religieux des différents couvents De la ville; puis, après eux, les lévites des séminaires, le clergé de toutes les paroisses, les chanoines de Saint-Maurice, les chapelains des hospices, les frères des écoles chrétiennes, et les sœurs de la charité avec leurs nombreux élèves. Tout ce monde pieux marchait sur deux lignes, les uns portant des cierges allumés, les autres des branches de verdure et des bâtons ornés de bouquets et de rubans, et surmontés d'une image du saint patron de leur corporation ou métier.
Entre cette double haie, avançaient lentement les croix, les bannières festonnées et flottantes, les statues argentées et dorées des saints, les châsses des martyrs, des vierges, des ermites et des pontifes; ces reliquaires à sculptures et à formes gothiques posaient sur des brancards recouverts de draperies de velours à franges d'or, et étaient portés par de jeunes prêtres en aubes blanches, avec des teintures de soie bleu de ciel, et couronnés de fleurs. Puis , bien loin , bien loin , comme à la fin de cette longue avenue mouvante, au milieu de mille splendeurs, à travers les nuages d'encens et la pluie de roses effeuillées qui tombaient de chaque rue, de chaque maison, de chaque fenêtre, on apercevait l'ostensoir d'or rayonnant comme un soleil, porté par l'évêque sous le magnifique dais de la cathédrale ; ses pentes brodées d'or, ses gros panaches de plumes d'autruche, se mouvaient , ondoyaient au-dessus de Dieu et du pontife.
Des princes, des grands seigneurs, des hommes d'épée et de robe, le maire, les échevins, les marguilliers , avaient tour à tour l'honneur de porter le dais. Et puis, mêlée à tout ce cortège pacifique , se joignait la milice bourgeoise; et les plumets et les baïonnettes se voyaient et brillaient à côté des croix d'argent, et des flammes des cierges et des flambeaux.
Souvent la marche était interrompue, car chaque quartier avait son reposoir, et devant chacun d'eux la pro cession s'arrêtait; on a vu comme des émeutes, ce qu'on appelait autrefois des émotions populaires, parce que quelques évêques avaient voulu changer le cours de la procession du sacre. Les rues par lesquelles elle passait étaient mieux habitées que les autres, et les maisons y étaient affermées plus cher.
Pour la ville d'Angers, c'était un moment de joie et de dévotion, de plaisir et de fortune, que le temps de la Fête-Dieu. A cette époque, les nobles propriétaires revenaient de leurs terres, et les industriels, les marchands du pays, se donnaient rendez-vous à la foire du sacre. Dans les vieux temps, il y avait ainsi de merveilleuses alliances entre la religion et l'intérêt du peuple, et les populations des villes et des campagnes en aimaient davantage le Dieu du ciel qui ne dédaignait pas de se mêler aux choses de la terre.
Aujourd'hui Angers a encore son sacre, mais il a perdu une grande partie de son ancien éclat : ce n'est plus que l'ombre d'autrefois. J'ai l'espoir que l'on ne m'en voudra pas d'avoir décrit si au long les pompes d'une procession à laquelle se rattachent mes premiers souvenirs. Oh! que de fois, lors que j'étais exilé loin du pays natal, jeté sur une terre protestante, où toutes les choses religieuses sont sèches et froides; oh! que de fois j'ai pensé au sacre d'Angers! au reposoir qui se faisait près de la maison paternelle le jour de l`octave; reposoir pour lequel ma mère prêtait ses candélabres et girandoles d'argent, et que mes sœurs ornaient de bouquets faits par elles!
Mais refoulons dans notre âme ces réminiscences mêlées de douceur et d'amertume, ces joies tristes d'un cœur qui vieillit, et parlons de la solennité de la Fête-Dieu, telle qu'elle se célèbre aujourd'hui. L'Église avait choisi le jeudi après l'octave de la Pentecôte pour la célébration de cette journée si aimée des chrétiens. Depuis le concordat, cette fête a été reportée au dimanche suivant.
Les cérémonies de la Fête-Dieu, dans beaucoup de villes de France, ont perdu la plus grande partie de leur éclat: à Paris, entre autres, il n'est plus permis au Dieu de Clovis et de Charlemagne, de saint Louis et de Louis XIV, de sortir de ses temples. Des esprits forts, des commis-voyageurs , des philosophes imberbes , de vieux révolutionnaires adorateurs de la déesse Raison et de l'Être suprême de Robespierre, ont fait peur aux ministres du jour ; et le pays très-chrétien est déshérité d'une solennité qu'il aimait, parce que tel est le bon plaisir de quelques adeptes du philosophisme.
La partie la plus éclatante des offices du Saint-Sacrement, et celle qui contribue le plus à distinguer cette fête d'avec toutes les autres, est la procession solennelle où le corps de Jésus-Christ est porté en triomphe avec le plus grand appareil; plusieurs en rapportent l'institution à Jean XXII, et croient qu'elle doit son origine à l'exposition du Saint-Sacrement. Cette exposition dure pendant toute l'octave de la fête eucharistique, et c'est merveille que de voir les pompes et les magnificences de nos églises pendant cette huitaine En ville, cette octave a sans doute un grand charme pour les âmes pieuses; mais à la campagne, les saluts du soir ont un saint attrait pour les catholiques qui habitent les châteaux et les maisons de villages. Quand le soleil s'éteint au ciel, les cierges s'allument sur les autels; et quand les oiseaux ne chantent plus sous la feuillée, les hymnes commencent dans les églises; alors, les riches et les pauvres s'acheminent vers le temple champêtre, dont les cloches sont en branle, et à cette heure où la fraîcheur et le repos descendent sur la nature, la prière et la paix d'en haut viennent aux âme qui croient, qui aiment et qui espèrent.
L'autel a conservé les ornements dont il avait été paré pour le grand jour; le dais est encore dans le sanctuaire avec la croix argentée et la bannière des temps antiques; les fleurs, les arbustes, les orangers, que les jardiniers de la contrée ont prêtés, mêlent encore leurs parfums à l'encens ; et sous des palmes dorées et recourbées en voûte, ou sur des draperies de velours cramoisi ,entre deux anges adorateurs, est exposé l'ostensoir avec ses rayons d'or ou d'argent. Pendant tout le jour, des cierges ont brûlé devant le Saint-Sacrement, et les âmes les plus pieuses et les plus ardentes se sont relevées pour qu'il n'y ait pas une heure sans adoration.
Si un étranger entre alors dans l'église, soit à la ville soit au village, quelque chose saisit tout de suite son âme; s'il a le bonheur de croire, il tombe prosterné; s'il ne croit pas, il envie la foi de ceux qu'il voit priant dans le calme et le silence; car il éprouve qu'il y a là un grand repos, une profonde paix ; avec l'odeur des cierges qui brûlent, avec la senteur des tubéreuses et des orangers groupés en massifs sur les marches de l'autel; avec ce qui reste de la fumée de l'encens, on respire ici comme l'air béni du ciel.
Quand est venu le huitième jour, la fin de l'octave, les fidèles qui se sont habitués à prier ensemble se sont attristés de voir finir ce temps sanctifié ; on dirait une famille qui ne va plus vivre sous le même toit; des frères et des sœurs qui vont se séparer. Il y a eu trop de pieuse allégresse parmi le peuple chrétien le jour de la Fête-Dieu, pour que cette belle solennité n'ait pas un reflet. Aussi le jour de l'Octave , que dans quelques pays on nomme la petite Fête-Dieu, il y a encore une procession. Les processions du Saint-Sacrement varient de pompes et de beautés, selon les lieux où elles se déploient : majestueuses dans les grandes cités, elles sont pleines de grâce au village. A la campagne, la Fête-Dieu peut être comparée à la fête des Tabernacles des Hébreux. Alors, Dieu vient habiter sous des berceaux de verdure et de fleurs.
Dans les villes, « le bruit des cloches et le roulement des canons annoncent que le Tout-Puissant a franchi le seuil de son temple.» Par intervalles, les voix et les instruments se taisent, et un silence aussi majestueux que celui des grandes mers dans un jour de calme ,règne parmi cette multitude recueillie; on n'entend plus que ses pas sur les pavés retentissants.
Mais où va-t-il ce Dieu redoutable , dont les puissances de la terre proclament ainsi la majesté? Il va se reposer sous des tentes de lin, sous des arches de feuillages, qui lui présentent, comme au jour de l'ancienne alliance, des temples innocents et des retraites champêtres; les humbles de cœur, les pauvres, les enfants, le précèdent; les juges, les guerriers, les potentats, le suivent. Il marche entre la simplicité et la grandeur, comme ce mois qu'il a choisi pour sa fête; il se montre aux hommes entre la saison des fleurs et celle des foudres.
Les fenêtres et les murs de la cité sont bordés d'habitants, dont le cœur s'épanouit à cette Fête du Dieu de la patrie; le nouveau-né tend ses bras au Jésus de la montagne, et le vieillard penché vers la tombe se sent tout à coup délivré de ses craintes; il ne sait quelle assurance de vie le remplit de joie à la vue du Dieu vivant. La Fête-Dieu ne plaît pas qu'à la foule qui vient voir passer dans les rues les pompes du sanctuaire; elle est pleine de charmes pour les poètes : aussi, voyez comme elle en a inspiré! Nous venons de citer le premier de tous, Chateaubriand! après lui, Delille, Soumet, Michaud, Fontanes, et bien d'autres encore. En cette fête, nous trouvons tant de choses pour élever l'esprit, pour émouvoir le cœur, pour sanctifier l'âme, que nous allons en donner des tableaux différents; en redisant le sacre d'Angers, nous avons essayé de peindre la Fête-Dieu dans une grande ville; en voici une dans un hameau.
On nous a fait la liberté de telle sorte, que les populations catholiques de beaucoup de grandes villes sont aujourd'hui déshéritées des magnificences de la religion. Dans Paris, ville jadis si chérie des rois très-chrétiens, le Dieu de Clotilde et de Clovis est comme prisonnier dans ses temples... Ses ministres, craignant les sacrilèges, n'osent plus faire sortir du saint des saints la radieuse eucharistie. Qui sait si les esprits forts du siècle ne seraient pas dans les rues pour l'insulter?
Au village, comme il y a plus de foi, il y a plus de vraie liberté. Au hameau de Flamenville, situé sur les hautes falaises du promontoire normand, j'ai vu une de ces processions que l'auteur du Génie du Christianisme aimerait à décrire. L'église, qui est belle et assez vaste, et que j'avais vue les dimanches précédents presque aussi pleine que celles de la Bretagne, avait mis dehors et étalé à tous les yeux sa bannière et son dais de damas rouge, sa croix et ses chandeliers, et ses plus beaux bouquets. C'était là toute la magnificence du temple champêtre.
Un vieux curé, confesseur de la foi, un jeune vicaire à l'air doux et modeste, composaient tout le clergé; et puis venaient des adolescents, des enfants en aubes blanches, avec des ceintures à longs bouts pendants; quelques-uns agitant des encensoirs, d'autres portant des corbeilles et jetant des fleurs sous les pas de Dieu. Plus de cent petites filles voilées et vêtues de blanc, et conduites par de saintes filles de charité, suivaient la bannière de la Vierge. Tout à côté du Saint-Sacrement, marchait en bon ordre l'école du village, dont la tenue religieuse et décente aurait pu faire honte à plus d'un grand collège.
L'alliance entre les châteaux et les presbytères date de loin; et comment voudrait-on qu'il en fût autrement? Les dames châtelaines et leurs filles ont toujours occupé leurs loisirs à broder de beaux ornements, des chapes, des chasubles, de belles nappes d'autel pour leurs chapelles. ou pour leur église de paroisse. Elles ont de tout temps envoyé des aumônes aux curés pour les pauvres qu'ils avaient recommandés à la charité des riches.
Aussi, aux Rogations, et surtout à la Fête-Dieu, le clergé des hameaux aime à venir à l'ancienne demeure seigneuriale, montrer qu'il est reconnaissant et fier des beaux ornements qui lui ont été donnés, et faire voir les nécessiteux qu'on l'a mis à même de secourir. La procession sortit de l'église par un soleil resplendissant; pendant quelque temps la croix brilla de ses rayons, et puis elle s'enfonça sous de beaux ombrages; parfois l'écharpe et les longs rubans qui l'ornaient, se déployant et ondoyant à la brise, me faisaient illusion, elle rappelaient les fêtes bretonnes et vendéennes où nous voyions tant de drapeaux. Auprès de la croix étaient groupés les chantres, bons paysans de la contrée, que j'avais vus la veille avec la hache, la pioche ou le fusil de garde, et maintenant marchant avec dignité sous la chape dorée. Leurs voix , plus fortes que justes, retentissaient au loin.
Après les chantres, le maître d'école se montrait grave et digne au milieu de ses élèves, formant deux longues files et chantant des cantiques français sur de vieux airs normands, quand les hymnes latines venaient à cesser. Chacun de ces jeunes garçons avait un ruban blanc noué au bras ; brassard sacré de la première communion, et que les mères avaient eu grand bonheur à nouer.
La bénédiction fut donnée dans la chapelle du château, et de là le cortège passa entre deux étangs ; c'est alors que la brise agita la bannière de la paroisse, et celle de la congrégation de la Sainte Vierge, l'écharpe de la croix et les panaches du dais. Au bout de cette chaussée s'ouvrait le haut et large porche d'une longue nef gothique Oh! c'était là un beau temple! presque aussi long, que l'église de Sainte- Geneviève de Paris; plus de deux cents pieds avant d'arriver à la croix latine; plus de deux cents colonnes avec d'élégants chapiteaux foliés, et toutes ornées de guirlandes qui ne se fanent pas ; de merveilleuses et délicates nervures se dessinant, se croisant, se mêlant sur la voûte en ogive; et au milieu de ce demi-jour religieux, de cette sombreur de nos vieilles cathédrales, tout à fait dans la profondeur de cette admirable nef, on apercevait l'autel élevé sur de nombreux gradins, et tout brillant de la lumière des cierges et de l'émail des fleurs Quand la voix des chantres de village se taisait, alors les chantres bien plus habiles du temple que je viens de décrire, célébraient à leur tour le Dieu de la nature...
Ces chantres, c'étaient les oiseaux; cette belle nef gothique, c'était une longue allée droite, à la française, avec de beaux arbres faisant berceau; sous leur religieux ombrage, un reposoir avait été élevé ; la procession y fit sa dernière station; à travers les branches mobiles de la voûte, quelques rayons de soleil vinrent scintiller sur l'ostensoir que le prêtre élevait au-dessus de la foule; tout le monde était à genoux sur la mousse et sur les fleurs effeuillées. il y avait un grand silence... Oh! que là nous étions loin de tous ces bruits que les révolutions laissent après elles!
Comme on aurait voulu être là longtemps avec tous ceux qu'on aime !... Mais le maître rustique des cérémonies donna le signal , le tambour des douaniers de la côte de Flamenville battait aux champs, et nous nous remîmes en route. Avant de rentrer dans l'église, la procession fit le tour du cimetière; la veille on avait fauché une voie dans les hautes herbes ; on y marchait sans bruit et comme sur un tapis; les coquelicots, les roses et les bluets, que les petits villageois jetaient sous les pas du Dieu qui a dit : Je suis la résurrection et la vie, retombaient sur les fosses des morts du village; devant la tombe d'une bienfaitrice du pays, le Saint-Sacrement s'arrêta quelques minutes : c'était pour bénir la femme pieuse et charitable qui avait orné les autels, vêtu le pauvre et nourri l'orphelin.
Dans toute cette gracieuse cérémonie champêtre, je n'ai été fâché que d'une chose : c'est que la procession ne se soit pas dirigée vers la mer, qui n'est qu'à un demi-quart de lieue du hameau ; sur les hautes falaises de rochers, à deux cents pieds au-dessus des vagues écumantes, qu'un reposoir eût été beau ! Nous venions de voir un Dieu de mansuétude et de paix sous le temple de feuillage, ici nous aurions vu un Dieu de force et de majesté sur un de ces blocs immuables que sa main a créés, et en face de ces grandes eaux sous lesquelles s'est promenée la sagesse éternelle. Dans ce pays, il me semblait injuste de délaisser ainsi la mer, car elle aussi loue le Seigneur qui lui a donné le secret des abîmes et la puissance des tempêtes; et ne la voyons-nous pas, toujours obéissante à la voix de Dieu, entr'ouvrir les flots pour laisser passer ses protégés, ou soulever ses vagues pour engloutir les rois, les chars et les cavaliers?
23 – La fête de St-Jean-Baptiste ( 24 juin)
Quand les prophéties qui avaient annoncé la venue du Sauveur furent accomplies, quand les jours de la Rédemption furent proches, il se fit en Israël un mouvement religieux. Les hommes, pour se rendre plus dignes de recevoir le Messie qui leur était si positivement annoncé, voulaient devenir meilleurs, et, à cette époque d'attente, sentaient le besoin de ramener leurs pensées vers le Seigneur.
Avant que le soleil n'apparaisse au ciel, alors qu'il est encore caché par les monts, on devine, aux teintes vives de l'orient, que le grand astre va venir répandre sur la
terre la lumière, la chaleur et la vie: il en était de même dans le monde au moment où le salut allait descendre d'en haut sur les hommes ; on ne le voyait pas encore ,
mais on le devinait, et, comme la brise qui précède le lever du jour, agite le feuillage des arbres et les Heurs sur leurs tiges, de même, avant que le Soleil de justice
se montrât aux regards, les cœurs frémissaient devant un souffle inconnu.
En ce temps-là, il y avait dans le temple de Jérusalem un juste qui avait nom Zacharie, qui était de la race d'Aaron, et marié à une sainte femme nommée Élisabeth.
Tous les deux avaient trouvé grâce devant Dieu. Un jour que Zacharie avait soulevé le redoutable voile du temple, et avait pénétré dans le saint des saints pour y adorer le
Très-Haut, l'ange Gabriel lui apparut, et lui dit : « Ne crains pas, Zacharie: ta prière est exaucée; Élisabeth, ta femme, va concevoir et enfanter un fils. Tu lui donneras le nom de Jean ; il sera pour son père et sa mère l'objet d'une grande joie. Il sera grand devant le Seigneur; il ne boira ni vin, ni rien de ce qui peut enivrer; dès le sein de sa mère il sera rempli du Saint-Esprit, et il convertira beaucoup d'enfants d'Israël au Seigneur leur Dieu.
— A quoi reconnaîtrai-je la vérité de vos paroles? Car je suis vieux, et Élisabeth, ma femme, est avancée en âge, demanda Zacharie au messager du ciel.
— Je suis Gabriel, répondit l'archange; je suis toujours présent devant le Très-Haut, toujours prêt à exécuter ses ordres. C'est lui qui m'a envoyé vers toi pour te porter cette heureuse nouvelle. Mais comme tu n'as pas cru tout de suite à ma parole, tu demeureras muet jusqu'à l'accomplissement des promesses que je t'ai faites.»
Zacharie s'inclina, et lorsqu'il releva la tête, l'archange avait disparu, était remonté vers le trône de Dieu. Quand le sacrificateur sortit du temple, on s'aperçut qu'il était devenu muet, et l'on inféra de là qu'il avait eu une vision; car il était de croyance parmi les Hébreux que lorsqu'ils avaient une vision d'en haut, lorsqu'un ange ou Dieu lui-même leur apparaissait , ils couraient danger de mort ; ils croyaient qu'entre eux , habitants de la terre, et ceux du ciel, il existait une telle différence, qu'eux , condamnés aux larmes , ne pouvaient regarder Dieu, ou l'un de ses anges, sans risque de mourir.
St-Jean le Baptiste
Cependant le temps où Élisabeth devait accoucher arriva, et elle mit au monde le fils qui lui avait été pro mis. Ses voisins et ses parents vinrent la voir pour la complimenter et lui témoigner leur joie, et le jour de la circoncision étant venu, ils voulurent le nommer Zacharie, comme son père; mais Élisabeth s'y opposa, et dit : « C'est Jean qu'il doit être appelé , c'est Jean qui Sera son nom. »
Zacharie fut consulté à ce sujet, et il allait écrire le nom de Jean , quand la parole lui fut soudaine et miraculeusement rendue ; et il s'écria : « Que le Dieu d'Israël soit béni! il s'est souvenu des promesses qu'il a faites à Abraham; il va les accomplir, et le salut va venir au monde. » Puis, s'adressant à son nouveau-né, il lui dit : « Et toi, petit enfant, tu seras appelé prophète du Très-Haut; tu marcheras devant le Seigneur pour lui préparer les voies , pour donner à son peuple connaissance du salut, afin qu'il obtienne la rémission de ses péchés. »
La Judée fut saisie d'étonnement à la vue d'une naissance accompagnée de tant de prodiges , et tous ceux et toutes celles qui étaient allés visiter Élisabeth s'en retournaient chez eux en se disant : « L'enfant que nous venons de voir dans son berceau est destiné à de grandes choses. » Et quand ils parlaient ainsi, ils avaient raison, car la main du Seigneur était étendue sur lui. Or, l'enfant se fortifiait de corps et d'esprit, et, dès ses premiers jours, faisait pressentir ses hautes destinées : il dédaignait les jeux de son âge , fuyait le bruit, cherchait la solitude, et aimait le silence.
On ne sait pas à quel âge il quitta la maison paternelle pour aller vivre, jeûner, prier et baptiser dans le désert. Saint Chrysostome et saint Jérôme croient que ce fut dès son enfance; mais saint Paulin est d'un avis contraire, et pense que ce fut sous les yeux de Zacharie et d'Élisabeth qu'il apprit la loi de Moïse, et qu'il se prépara à la sainte mission de précurseur.
Quand il eut quitté le lieu de sa naissance; quand, abandonnant tout, il se fut enfoncé dans les solitudes du désert, sa vie devint d'une extrême austérité : l'eau suintant des flancs du rocher ou jaillissant du sable, du miel sauvage, des racines et des sauterelles, composaient toute sa nourriture. Une rude tunique de poil de chameau, serrée autour de sa taille par une lanière de cuir, était tout son vêtement. C'est à Jean dans le désert qu'il faut faire remonter l'origine de la vie des anachorètes et des solitaires de la Thébaïde. Après l'avoir ainsi tenu caché dans le désert, Dieu le manifesta au monde, en la quinzième année du règne de Tibère. Les rives du Jourdain entendirent ses premières prédications, et bientôt la solitude perdit de son silence.
Bientôt, dans les villes de Judée, se répandit le bruit qu'un homme extraordinaire, qu'un prophète convertissant les pécheurs par l'autorité de ses paroles, avait paru dans les lieux les plus sauvages, criant à tous : « Faites pénitence! faites pénitence! car le règne de Dieu est proche, et la cognée est déjà à la racine de l'arbre. »
Il y eut alors un besoin d'entendre cet homme dont tout le monde parlait , et des flots de peuple, de riches et de pauvres, de grands et de petits, se portèrent vers le désert.
A toute cette multitude, le Précurseur faisait confesser ses péchés, et à mesure que ceux qui avaient offensé le Seigneur s'en étaient repentis, il les faisait entrer dans les eaux du Jourdain, leur disant : « Croyez à celui que je suis venu annoncer; c'est lui qui vous baptisera dans l'esprit et dans le feu, et qui vous accordera le pardon de vos péchés.»
Les soldats et les publicains même glorifiaient Dieu dans la vertu de saint Jean et marquaient autant d'empressement que le peuple pour recevoir son baptême. »
La réputation de saint Jean devint si grande, que plusieurs eurent la pensée qu'il pourrait bien être lui-même le Christ, le Messie depuis tant de siècles prédit par les prophètes; mais Jean, dont l'humilité était aussi grande que la sainteté, rejeta bien loin de lui ce titre qui ne pouvait appartenir qu'au divin fils de Marie.
Jean le Baptiseur ou Baptiste n'avait jamais vu le Christ dont il annonçait la venue; seulement les inspirations qu'il recevait d'en haut lui avaient appris que le Rédempteur serait celui sur lequel il verrait descendre le Saint-Esprit. Et lorsque Jésus vint avec d'autres Juifs pour recevoir le baptême de Jean, celui-ci, éclairé d'une lumière surnaturelle, s'humilia devant lui, disant : «C'est moi qui ai besoin d'être baptisé et purifié par vous. »
Mais le Christ insistant, le baptiseur obéit; et lorsque Jésus fut entré dans le Jourdain, il lui répandit de l'eau sur la tête, et lui donna ainsi le baptême que son humilité lui avait demandé. A l'instant où l'eau tomba sur le front auquel appartient de toute éternité la couronne des mondes, le ciel s'entr'ouvrit au-dessus de la tête du baptisé, une gloire
divine s'échappa d'en haut pour rayonner sur le Christ; le Saint-Esprit, sous la forme d'une blanche colombe, plana au-dessus de lui , et la voix de Dieu même proclama QUE CELUI-CI ÉTAIT SON FILS BIEN-AIMÉ EN QUI IL AYAIT MIS TOUTES SES COMPLAISANCES.
Quelque temps après ce baptême, les Juifs obstinés envoyèrent une députation à Jean, pour lui demander s'il n'était pas le Messie. Il répondit aux hommes qui étaient venus vers lui : « Non , je ne suis ni le Christ, ni Elie, ni prophète; je ne suis que la voix qui crie dans le désert : Préparez le sentier du Seigneur. » Le lendemain, il s'expliqua encore plus clairement; car voyant venir à lui Jésus, qui avait passé quarante jours dans le désert après avoir reçu le baptême, il s'écria: Voici l'Agneau de Dieu, qui ôte les péchés du monde.
Hérode Antipas ayant épousé la femme de son frère encore vivant, avait causé un grand scandale dans tout le pays : Jean-Baptiste lui en parla avec sa force et son indépendance habituelles. Il reprocha en face à Hérode sa scandaleuse conduite. Le prince, irrité de ce qu'il appelait son audace, le fit arrêter et mettre en prison. Captif et chargé de chaînes, ses disciples ne l'abandonnèrent pas. Hérode même, tout en lui laissant ses fers, était forcé au respect envers lui; il l'écoutait en plusieurs choses, et suivait de temps en temps ses avis. Mais Hérodiade, qui craignait toujours qu'Hérode ne le remît en liberté, cherchait une occasion favorable pour le faire mourir. Elle la trouva enfin : un jour que le roi donnait un grand festin pour célébrer l'anniversaire de sa naissance, cette femme méchante et vindicative envoya Salomé, sa fille (qu'elle avait eue de Philippe, son mari légitime), dans la salle du banquet, pour y danser devant Hérode et ses convives.
La belle Salomé dansa si bien au gré du roi, qu'il la fit venir auprès de son trône, et lui promit de lui donner tout ce qu'elle demanderait , quand bien même ce serait la moitié de son royaume. Aussitôt elle sortit et alla redire à sa mère le succès qu'elle venait d'avoir, et la promesse que le roi lui avait faite, ajoutant : «Ma mère, que demanderai-je?
« — La tête de notre ennemi, la tête de Jean le Baptiseur», répondit Hérodiade... Et Salomé, accoutumée à trembler devant sa mère, retourna dans la salle, et ,dit à Hérode : «Seigneur, donnez-moi, dans ce plat, la tête de Jean le prisonnier. »
Hérode, dit don Calmet, fut fâché de cette demande; mais n'osant manquer de parole devant sa compagnie, il ordonna qu'on allât couper la tête à Jean le Baptiseur. Cet ordre fut exécuté sur-le-champ. Le bourreau donna le chef sanglant du saint à Salomé , et Salomé le porta à sa mère, qui lui perça la langue avec une aiguille d'or qui retenait ses cheveux. Cette mort arriva, à ce que l'on croit, sur la fin de la trente et unième année de l'ère vulgaire , ou au commencement de l'an 32. Le festin dont parle l'Évangile se fit probablement à Maqueronte, où saint Jean était en prison, et où il fut décapité.
L'Église fait deux fêtes de saint Jean-Baptiste, l'une de sa nativité, l'autre de sa décollation. La première est la plus chômée, et il devait en être ainsi : l'ange Gabriel n'avait-il pas prédit à Zacharie que la naissance de son fils serait une cause de joie? L'institution de cette solennité est fort ancienne, puisque saint Augustin assure que les fidèles l'avaient reçue des apôtres eux-mêmes.
C'est le 24 juin que l'on chôme cette fête ; elle vient au milieu des plus longs et des plus beaux jours de l'année; dans les villes, dans les campagnes, il y a de grandes, de bruyantes réjouissances, quand arrive la Saint-Jean: sur les places publiques des cités et des villages, sur le haut des coteaux, dans le creux des vallées, on allume des feux de joie , et toute la nuit perd son silence et son repos devant l'allégresse des populations.
A la campagne, on apporte à la dame châtelaine une torche de paille enrubannée et enjolivée de fleurs; puis, suivie de toute sa famille, elle descend les marches du
perron; le maire de la commune allume le flambeau rustique, et la noble dame met le feu à une haute pyramide de fagots. Avant que cet immense bûcher soit allumé, le curé avec son vicaire, ses chantres, ses choristes, sa croix et sa bannière a fait trois fois le tour du feu de joie, Bientôt de gros nuages de fumée blanchâtre sortent des flancs du bûcher, s'élèvent en se roulant sur eux-mêmes et se dessinent sur le ciel ; bientôt de longues gerbes de flamme les suivent et répandent une vive clarté dans les airs et sur la foule agitée, qui, se tenant par la main, forme un énorme cercle autour de la pyramide brûlante.
L'Église a cru devoir décerner à saint Jean les honneurs du martyre, comme à saint Etienne, aux apôtres; car avant le sixième siècle, la fête de la décollation de saint Jean était appelée Passion, comme on le voit dans les anciens sacramentaires de Rome, sous le pape Gélase; mais depuis saint Grégoire le Grand, elle a retenu dans l'Église latine le nom de Décollation. On peut juger de la dévotion que les fidèles ont toujours eue pour le Précurseur par la multitude des églises mises sous son invocation dans tous les pays du monde.
Et il était juste qu'il en fût ainsi; car Jésus-Christ lui-même a pris soin de le louer; c'est lui qui a dit du juste qui l'avait baptisé, que ce juste était une lampe ardente et répandant la clarté; que cet homme n'était pas semblable à un roseau agité par le vent, mais un vrai prophète, un ange que Dieu devait envoyer devant le Christ pour lui préparer la voie; qu'il était Elie, celui qu'on attendait; qu'en lui se terminaient les prophètes et la loi; qu'en un mot, si l'on en exceptait celui qui avait commencé à paraître depuis lui, c'est-à-dire le divin Sauveur lui-même, il n'y avait pas , parmi les hommes nés de la femme, un seul qui fût plus grand que Jean-Baptiste. »
24 – La fête de St-Pierre et St-Paul ( 29 juin)
Comment décrire tout le temple catholique sans nous arrêter quelques instants devant ses deux premières colonnes? L'histoire des saints que l'Église honore ne doit pas entrer dans ce livre ; mais comment ne pas parler du prince des apôtres, de ce Simon Pierre si plein d'amour et de foi, premier anneau de la longue chaîne qui lie la terre au ciel? et de ce beau, de ce grand génie, Paul, apôtre des Gentils, orateur énergique, plaidant avec une sainte et sublime indépendance pour la liberté des peuples, la liberté par la croix? Non, quoique ce soit sortir de notre plan, après les grandes commémorations des mystères de la foi, nous dirons quelques mots de la fête de ces deux apôtres.
Singulière et grande destinée ! voici qu'un simple pêcheur, au cœur droit mais faible, à l'âme aimante mais timide, sera choisi par la sagesse éternelle pour être mis le premier à la tête de ces conquérants qui vont changer la face de la terre ! Simon est enlevé à ses filets, à sa barque, à son hameau de Bethsaïde, pour être porté si haut, qu'il semble, aux yeux des chrétiens, placé entre la terre et le ciel. Je viens de dire que Simon ou Céphas avait été choisi par l`éternelle sagesse, et j'ai bien dit ; car la sagesse humaine n'eût rien vu en cet homme simple et naïf, et ne l'aurait pas fait sortir de son obscure situation : mais Dieu ne marche pas par les mêmes chemins que nous et ce qui nous semble devoir être dédaigné, lui l'honore ; ce que nous prenons pour un vil métal, lui le fait briller plus que l'or et étinceler plus que le diamant.
C'est l'amour fraternel qui a amené Pierre près du Christ. André, ayant entendu Jésus enseigner sur les bords du lac de Génésareth, trouva tant de bonheur à l'écouter, qu'il dit à son frère Simon : « Viens entendre le nouveau prophète. » Simon se rendit un jour avec la foule, et dès ce jour son âme fut prise et attachée à l'homme-Dieu. Quelquefois, quand la multitude était grande sur les bords du lac, Jésus montait dans la barque des deux frères, et de là, comme d'une tribune séparée de la foule, il enseignait le peuple. Pour reconnaître cette complaisance des deux pêcheurs, un jour le Messie dit à Pierre : « Allons en pleine mer, et jetez-y vos filets. » Et là leur pêche fut si abondante, que les filets se rompirent sous le poids des poissons.
Pour éprouver si Pierre commençait à croire, le fils de Dieu, par sa propre puissance, se mit à marcher sur les flots et appela Pierre à lui. D'abord plein de confiance dans son divin maître , il voulut courir à lui sur les vagues ; mais voyant qu'il enfonçait, sa foi l'abandonna un instant, et il eut peur. Ces mouvements se retrouvent plusieurs fois dans la vie du premier apôtre. Voyez quand les jours de la grande épreuve sont venus. D'abord Pierre proteste de son dévouement et répète que rien ne pourra le séparer de Jésus, et quelques heures plus tard, devant une pauvre femme, il renie , il abandonne son maître !
Avec nos idées, un homme si faible, si inconstant, si timide, n'eût jamais été choisi pour être mis en évidence. Mais laissez faire Dieu : si Pierre est timide, inconstant et faible, c'est alors que le Saint-Esprit n'est pas descendu en lui. Quand une fois la langue de feu se sera arrêtée sur sa tête, quand l'enthousiasme divin sera entré dans son cœur, l'homme timide sera devenu l'homme de courage; l'homme incertain, l'homme aux sentiments mobiles sera changé en roc immuable et méritera son nom de Céphas.
Dieu se plaît souvent à revêtir ainsi notre faiblesse de sa fortitude : sous sa souveraine volonté le roseau se transforme en chêne , et ce qui pliait sous le moindre souffle résiste aux tempêtes déchaînées Paul était un des plus ardents persécuteurs des disciples du Christ, et quand l'éclair, quand la foudre de grâce l'a frappé sur la route de Damas, quand la voix d'en haut lui a crié : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? » comment ce fougueux ennemi des chrétiens est-il tout à coup si complétement changé? C'est que la
grâce est toute-puissante, c'est que tous les cœurs sont comme de la cire molle dans les mains de Dieu.
Pierre avait la bonté et la foi, Paul la foi et l'énergie; Pierre nous est montré tenant les clefs du ciel, Paul avec le glaive de la parole ; et, en effet, quel puissant orateur ! Mais n'attendez pas de Paul ni la pompe ni les ornements dont se parc l'éloquence humaine : il est trop grave et trop sérieux pour rechercher ces délicatesses , ou, pour dire quelque chose de plus chrétien et de plus digne du grand apôtre, il est trop passionnément amoureux des glorieuses bassesses du christianisme pour vouloir corrompre, par les vanités de l'éloquence séculière, la vénérable simplicité de l'Évangile de Jésus-Christ.
Sa science ! il dit qu'il ne sait autre chose que son maître crucifié, c'est-à-dire qu'il ne sait rien que ce qui choque, que ce qui scandalise, que ce qui paraît folie et extravagance... Comment donc peut-il espérer que ses auditeurs soient persuadés? Mais, grand Paul, si la doctrine que vous annoncez est si étrange et si difficile, cherchez du moins des termes polis, couvrez des fleur de la rhétorique cette face hideuse de votre évangile, et adoucissez son austérité par les charmes de votre éloquence. A Dieu ne plaise ! répond ce grand homme, que je mêle la sagesse humaine à la sagesse du Fils de Dieu! C'est la volonté de mon maître que mes paroles ne soient pas moins rudes que ma doctrine paraît incroyable. Non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis.
Le grand Bossuet, le saint Paul des temps modernes, ajoute encore : « Il ira, cet ignorant dans l'art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l'étranger; il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs, et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d'églises que Platon n'y a gagné de disciples par cette éloquence qu'on a crue divine, et prêchera Jésus dans Athènes, et le plus savant de ses sénateurs passera de l'aréopage en l'école de ce barbare. Il poussera encore plus loin ses conquêtes ; il abattra aux pieds du Sauveur la majesté des faisceaux romains en la personne d'un proconsul, et il fera trembler dans leurs tribunaux les juges devant lesquels on le cite. Rome entendra sa voix, et un jour cette ville maîtresse se tiendra bien plus honorée d'une lettre du style de Paul adressée à ses citoyens, que de tant de fameuses harangues qu'elle a entendues de son Cicéron.»
L'apôtre , qui est si éloquent quand il parle, est sublime quand il souffre pour le Dieu qu'il annonce. C'est encore Bossuet qui va louer Paul. Ce serait à grand tort que je placerais quelques paroles de moi entre deux si grands noms : « Considérez ce grand homme fouetté à Philippes par la main du bourreau pour y avoir prêché Jésus-Christ, puis jeté dans l'obscurité d'un cachot, ayant les pieds serrés dans du bois qui était entrouvert par force et les pressait ensuite avec violence. Cet homme cependant , triomphant de joie de sentir si vivement en lui-même la sanglante impression de la croix, avec Silas son cher compagnon, rompait le silence de la nuit en offrant à Dieu, d'une âme contente, des louanges pour ses supplices, des actions de grâces pour ses blessures !»
Voilà comme Paul porte la croix du Sauveur ! Et aussi dans ce même temps, le Sauveur lui veut faire voir une merveilleuse représentation de ce qui s'est fait à la sienne : là du sang, et ici du sang ; là la terre a tremblé , et ici elle tremble encore , Terrae motus factus est magnus. Là les tombeaux ont été ouverts, qui sont comme les prisons des morts, et les morts sont ressuscités ; ici les prisons, qui sont les tombeaux obscurs des hommes vivants , s'ouvrent : Aperta sunt omnia ostia. Et , pour achever cette ressemblance, là celui qui garde la croix du Sauveur le reconnaît pour le fils de Dieu : Verè filius Dei erat iste; et ici celui qui garde saint Paul se jette aussitôt à ses pieds : Procidit ad pedes; il se soumet à son évangile. «Que ferai-je, dit-il, pour être sauvé? Quid me oportet facere ut salvus sim? »
Il lave premièrement les plaies de l'apôtre, l'apôtre après lavera les siennes par la grâce du baptême, et ce bienheureux geôlier se prépare à cette eau céleste en essuyant le sang de l'apôtre qui lui inspire l'amour de la croix et l'esprit du christianisme. Si le caractère énergique et fort de saint Paul se révèle par sa magnanimité dans les souffrances et le genre mâle et rude de son éloquence, la bonté de son âme, la chaleur de son cœur, se font voir avec un grand charme dans les épîtres à Timothée : l'amitié n'a jamais eu un langage plus digne et plus tendre. On sent, en lisant ces lettres, que Paul aime à travers la croix, et que ses affections se sont imprégnées du sang de Jésus-Christ. Dans ces épîtres, comme le maître parle de haut au disciple! Mais cependant, comme en tombant de haut les paroles de l'apôtre demeurent pleines d'amitié!
Aujourd'hui on fait grand bruit de liberté : oh ! qui parle bien d'indépendance , c'est Paul. Jamais homme n'a mieux revendiqué les droits des peuples que lui, car il les demandait au nom du divin Sauveur et en montrant le sang répandu pour que la terre fût libre, pour que les hommes fussent frères !
La mort de St-Paul a Rome
La crucifixion de St-Pierre a Rome
L'Église fête le même jour saint Pierre et saint Paul, et c'est là une des plus magnifiques solennités de Rome chrétienne. Là où leur sang a coulé, là on exalte leurs noms, et la voix de tout un peuple, dans le plus majestueux temple de l'univers, en face du tombeau des saints apôtres , sous les yeux du successeur de Pierre , chante ces paroles : Saints apôtres, vous que les mêmes travaux dans la vie, vous que la même couronne du martyre ont unis, nous vous unissons aussi pour vous honorer en un même jour. L'éternel Seigneur a partagé entre vous l'univers : vous, Pierre, vous instruisez les Juifs; vous, Paul, vous portez la foi chez les Gentils. Tous deux chefs de l'armée sacrée, tous deux aimés de Dieu, tous deux honorés des hommes. Césars de la vieille Rome, le temps où l'idolâtrie adorait vos cadavres corrompus est passé, et voilà que les cendres de vos victimes sont vénérées par les princes de la terre et par toutes les nations !
Rome, tes collines empourprées du sang des glorieux martyrs portent sur leurs cimes la croix du Christ; Rome, cette croix t'a vaincue, et tu vaincras par elle!
Dernière édition par MichelT le Mer 5 Sep 2018 - 3:40, édité 8 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
25 – La Visitation ( 31 mai)
Quand le messager céleste, l'archange Gabriel, envoyé du Très-Haut, apparut tout à coup à Marie dans son humble demeure de Nazareth, et lui annonça le mystère qui devait s'accomplir en elle pour la rédemption du monde, il apprit à la Vierge, étonnée et confuse, que sa cousine Élisabeth, femme de Zacharie, malgré sa stérilité reconnue et son âge fort avancé, allait aussi être mère d'un fils, et qu'elle était déjà dans le sixième mois de sa grossesse. Marie ayant répondu à l'envoyé de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole » , l'archange remonta vers le trône de l'Éternel, et l'humble Vierge, après avoir adoré et prié, reprit ses occupations de tous les jours.
Elle avait beau vouloir courber sa pensée, quelque chose d'inconnu, des idées plus élevées que celles qu'elle avait eues jusqu'alors remplissaient son âme; elle sentait que le temps des prodiges était venu, et quoique Nazareth fût encore assez éloigné de la ville d'Hébron, qui était située dans les montagnes de Juda , elle entreprit d'aller voir Élisabeth, sur laquelle la main du Seigneur venait de s'étendre.
Elle partit donc avec Joseph pour faire le voyage, et nous croyons qu'en quittant sa tranquille demeure, Marie savait que c'était plus qu'un devoir de famille qu'elle allait remplir : celle qui devait donner le jour au fils de Dieu savait déjà bien des choses de l'avenir ; elle savait que l'enfant que portait Élisabeth devait être le précurseur du sien, et elle allait le sanctifier en embrassant sa mère.
L'auteur de l'Histoire des Fêtes de l'Église prétend que près. Dans le calme et la paix de sa maison , la pieuse épouse de Zacharie entendit tout à coup une voix qu'elle connaissait, celle de sa parente, Marie, fiancée de Joseph et comme lui de la lignée de David. Dès les premiers mots de Marie qui la saluait, Élisabeth sentit son enfant tressaillir dans ses entrailles, et elle-même, remplie soudainement du Saint-Esprit, s'écria : «Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni Et d'où me vient ce bonheur, que la mère de mon Seigneur daigne me visiter? Car dès que votre voix a frappé mon oreille, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Vous êtes, ô Marie ! bien heureuse d'avoir cru aux paroles du Seigneur, car tout ce que vous a dit l'ange en son nom s'accomplira. »
Alors l'humble Vierge, qui devait être mère en gardant toute sa virginale pureté, fut saisie de l'esprit d'en haut, et répondit à Élisabeth par ces magnifiques et prophétiques paroles: «Mon âme glorifie le Seigneur. Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon salut, Parce qu'il a abaissé ses regards sur l'humilité de sa servante. Les générations m'appelleront bienheureuse dans tous les siècles, Parce qu'il a fait en moi de grandes choses, lui qui est le Tout-Puissant et dont le nom est saint.
Sa miséricorde se répand d'âge en âge sur tous ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras, il a renversé les superbes, il a fait descendre les grands de leurs trônes, il a élevé les humbles. Il a rempli de biens ceux qui étaient dans le besoin, il a renvoyé vides et pauvres ceux qui étaient riches. Se souvenant de ses miséricordes, il a pris Israël son serviteur sous sa protection. Ainsi il a parlé à nos pères, à Abraham, à sa postérité, et il s'est souvenu de ses promesses, qu'il tiendra jusqu'à la fin des siècles.»
Que l'on songe à ce qu'était le monde à l'époque où cette scène se passait dans les montagnes de Juda, et l'on s'inclinera devant cette sagesse d'en haut, qui pour régénérer et sauver les hommes ne va point recourir aux grandeurs de la terre, mais à deux femmes qui vivent, pures et simples, dans la crainte et l'amour de Dieu.
Oh ! quels grands, quels sublimes entretiens durent avoir, lieu entre Marie et Élisabeth pendant les trois mois qu'elles passèrent ensemble dans la même demeure!; Toutes les deux devaient avoir, comme les prophètes, des visions de l'avenir.
La mère âgée du Précurseur n'approchait sans doute qu'avec vénération et respect de la jeune vierge , qui allait enfanter un Dieu : car il est à présumer, comme l'a pensé saint Augustin dans sa Cité de Dieu, qu'Élisabeth connut par une révélation ce que la modestie de Marie lui cachait, le mystère de l'incarnation , et que ce fut aussi par une inspiration soudaine qu'elle apprit ce que signifiait ce tressaillement extraordinaire qu'elle avait senti dans son sein, lorsque la douce voix de Marie était parvenue à son oreille.
C'était le serviteur qui bondissait de joie à la venue du maître , le flambeau qui s'allumait à l'approche de la lumière. Les Pères ont pensé que le tressaillement de Jean dans le sein maternel n'était pas moins la marque de sa sanctification que l'hommage que le Précurseur rendait au Christ, qu'une Vierge immaculée venait de concevoir et que lui était destiné à annoncer.
Dès l'origine des fêtes chrétiennes, on a pensé que la sanctification du fils de Zacharie et d'Élisabeth avait précédé sa naissance, et que c'est par la parole de la Vierge; que Jésus-Christ a sanctifié son précurseur. La visite de Marie & la mère de Jean, de celui qui devait briller aux yeux des hommes comme une lampe ardente , de celui qui devait être prophète et plus que prophète, était donc bien plus qu'un devoir de famille et d'amitié; c'était une solennelle entrevue entre les deux femmes qui en savaient plus sur le salut du monde que tous les philosophes, que tous les sages de l'univers. Aussi l'Église a voulu conserver et consacrer le souvenir de cette visite, et elle a fixé au 2 juillet la fête de la Visitation, et la fait suivre immédiatement après l'octave de la Nativité de saint Jean.
Pour donner à cette journée toute sa solennité, la liturgie a grand soin de redire toutes les paroles des deux femmes inspirées, et ces mots qui ont été joints à la salutation angélique et que nous répétons chaque matin et chaque soir , « Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni», et le Magnificat, ce psaume, beau entre toutes les poésies sacrées, que les prêtres ne chantent que debout, en balançant l'encensoir devant l'image de la Vierge, qui l'a dit la première.
Bien des siècles ont passé sur le monde depuis qu'une fille de la royale lignée de David, devenue pauvre, est partie, avec un vieillard, de la petite ville de Nazareth pour aller voir une de ses parentes à Hébron , dans les montagnes de Juda Parmi tous les grands événements, les bouleversements, les changements d'empires et de royaumes, comment le souvenir de cette visite d'une femme à une femme a-t-il surnagé sur l'oubli?
Ah ! vous allez le savoir. C'est que la religion fait vivre à jamais ce qu'elle a pris sous sa garde, et qu'elle a voulu que le jour où la mère du Christ s'est reposée sous le toit de la mère du Précurseur ne passât point inaperçu parmi les autres jours.
Aussi voyez aux grandes fêtes de l'année, dans nos vieilles et gothiques cathédrales : voici tout à coup que les prêtres se lèvent de leurs stalles, que l'évêque ou l'archevêque descend de son trône placé près de l'autel ; il va sortir du chœur des diacres, des sous-diacres, des curés, des vicaires; des chanoines l'accompagnent des choristes avec des cierges des lévites avec des encensoirs d'or, le précèdent et le suivent. Où va le prince de l'Église avec ce cortège sacré?
Tous vont ensemble à la chapelle de la Vierge , parce que les chantres du sanctuaire viennent d'entonner la Magnificat, parce que les paroles que Marie a dites il y a plus de dix-huit cents ans, dans la maison d'Élisabeth, sont alors chantées sous les voûtes du temple de Jésus- Christ.
Cet hommage à la Vierge de Nazareth ne lui est pas seulement rendu aux grandes fêtes et dans nos somptueuses basiliques ; non, tous les dimanches et dans toutes les églises, dans celles des grandes villes comme dans celles des hameaux , le cantique de Marie est toujours, après la bénédiction du Saint-Sacrement, ce qu'il y a de plus solennel dans les offices du soir.
L'orgue, comme la voix du ciel, et le chant des fidèles, comme celle de la terre, alternent les versets de ce magnifique psaume. Dans les prophétiques paroles de la Vierge inspirée, chacun trouve ou une leçon ou une espérance. Les petits et les humbles y sont consolés de leur petitesse, et du peu de place qu'ils occupent ici-bas, par ce verset : « Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, parce qu'il a abaissé ses regards sur l'humilité de sa servante » ; et les grandeurs orgueilleuses et usurpées tremblent à ces mots : « II a déployé la force de son bras, il a renversé les superbes et les a fait descendre de leurs trônes. » Il n'y a que la religion qui sache aussi bien ce qu'elle doit dire à chacun.
26 – L`Assomption ( 15 août)
En racontant les fêtes des martyrs, nous avons en à parler de sang répandu, de cachots, de tortures, de geôliers et de bourreaux ; maintenant il nous faut chercher des mots suaves et harmonieux, et tracer de gracieuses images, car le lis va être emporté du milieu des épines, la rose mystique ne va plus embellir la terre , c'est au ciel qu'elle va fleurir. Voyez : voici les anges et les archanges qui descendent et qui viennent au-devant de leur reine! les patriarches l'attendent sur les nuées ; c'est une fille des rois, c'est la fille de David qui monte au céleste royaume.
A celle qui a été si humble et si pleine de grâce, quelle gloire réservée ! Dieu le Père l'attend comme sa fille ; Dieu le Fils, comme sa mère ; Dieu le Saint-Esprit, comme son épouse. Les saints du ciel se réjouissent. Les saints de la terre pleurent : ils viennent de voir mourir la mère du vainqueur de la mort; ils viennent de voir s'éteindre cette douce lumière qui brillait au milieu d'eux Depuis la mort du Christ, Marie, malgré son amour pour la retraite, avait été entourée des respects des apôtres et des disciples ; et ceux qui souffraient , et qui mouraient pour confesser la divinité de Jésus, ressentaient et professaient une haute vénération pour sa mère Il n'en pouvait être autrement; et pour la Vierge, qui avait eu l'âme transpercée par le glaive de douleur, c'était une grande joie que de voir le salut du monde naître de la mort de son fils.
Cette mort si cruelle , si sanglante, cette agonie sur la croix, ne se présentaient plus à l'esprit de la Vierge-Mère pour le torturer Oh! non, le jardin des Oliviers consolait du Golgotha et si sur la montagne du supplice on voyait encore quelques traces de sang, sur mont des Oliviers restaient gravées les preuves de l'Ascension. Le Fils de Marie, rentré dans la gloire de son céleste empire, ne pouvait laisser longtemps sa mère dans notre vallée de larmes. Les rois triomphants se hâtent de rappeler ceux qu'ils aiment de la terre de l'exil ; aussi l'on croit que la mort de la Vierge ne tarda pas longtemps après la première année de grâce. Quelques-uns croient que ce fut à Éphèse que mourut la Sainte Vierge ; mais rien n'est certain à cet égard, et les saints évangélistes ne donnent aucun détail sur la naissance, sur la vie et sur la mort de Marie.
On dirait que Dieu a voulu envelopper de nuages cette fleur d'humilité, comme il couvre d'un voile de vapeur la plante qui n'aime pas le soleil. Ce que nous savons par l'Évangile, c'est qu'alors que la crainte dispersa les disciples et les apôtres, alors que le Christ vit l'abandon des siens venir ajouter aux tourments de sa passion, la mère, elle, ne se mit point à fuir, et dans son cœur il y eut plus de force que dans tous ces hommes qui peu de jours avant le jour d'épreuve faisaient tant de protestations d'amour et de dévouement.
Eux se dispersèrent, prirent la fuite et se cachèrent; elle suivit pas à pas son fils sur la voie douloureuse, et demeura au pied de la croix jusqu'à ce que tout fût consommé. Je viens de dire que les évangélistes ne donnaient aucun détail sur la vie de Marie ; je me trompais : l'Évangile nous montre la Vierge humble et pieuse, et la Mère courageuse et forte. Il y a là le plus grand des éloges. Un disciple, sortant de sa première frayeur, était aussi venu voir mourir son maître. Jean avait dormi sur le sein de Jésus ; c'était bien le moins qu'il vînt auprès de la croix. Mais il n'y arriva pas le premier : l'amour maternel avait devancé l'amitié et la reconnaissance. Et remarquons ici que l'Évangile, qui nous montre la Sainte Vierge debout sur le Calvaire ensanglanté, ne nous la fait pas voir dans les rues de Jérusalem le jour où son divin fils y faisait son entrée triomphale. Non, elle avait trop d'humilité pour aller briller sous le rayon de gloire ; mais elle a aussi trop de courage pour ne pas venir pleurer et souffrit sous les bras étendus de son fils cloué à la croix.
C'est là que la mère et l'ami entendent les dernières recommandations du divin supplicié: A la mère : « Femme, voila votre fils. » Au disciple : « Voici votre mère. » Dans ce peu de mots tombés du haut de la croix, nous devons voir que l'apôtre saint Jean , sous les yeux du Christ, est le représentant de tous les chrétiens des temps passés, des temps présents et des temps à venir ; c'est à eux que Marie est donnée pour mère par son divin fils. Depuis ces mots dits sur le Calvaire, combien de fois l'Église ne nous répète-t-elle pas, en nous conduisant devant les images de la Vierge : « Chrétiens, voici votre mère ! » Le monde a cru à cette parole ; aussi voyez comme il s'est vite couvert de temples en son honneur ! Partout elle a des autels, parce que partout il y a du malheur, et qu'il est dans la nature que les enfants qui souffrent crient vers leur mère.
Pendant sa vie, nous nous le persuadons, elle a dû souvent être invoquée par les infortunés : car ceux qui savaient la puissance de Jésus connaissaient aussi la compatissance de Marie, et savaient y recourir. Nous voyons qu'après l'Ascension du Christ, la Vierge sainte assiste aux assemblées, aux prières des apôtres, et la tradition nous la montre assise parmi eux quand le Consolateur est descendu du ciel; certes, elle avait bien droit à être consolée : sur la voie douloureuse, sur le Golgotha, qui avait souffert autant qu'elle? Et n'était ce pas elle qui, du pied de la croix, pouvait dire : vous qui passez par ce chemin, voyez s'il est une douleur semblable à ma douleur!
On croit qu'après la dispersion des apôtres, Marie suivit saint Jean à Éphèse. Marie-Madeleine, selon quelques-uns, les accompagna dans cette ville avec d'autres disciples, et nous partageons facilement cette croyance. Ceux qui avaient connu le Christ, qui avaient écouté ses enseignements, quand ils ne le virent plus sur la terre, durent éprouver le besoin de se trouver ensemble pour parler de lui encore, pour redire sa bonté, raconter sa puissance, et prier en son nom.
Quand un de nos amis est parti d'avec nous, quand la mort nous l'a enlevé, nous nous rassemblons aussi pour nous entretenir de lui; mais alors nous avons avec nous une pensée triste : car celui qui nous manque, où est-il? Pour les premiers chrétiens qui se réunissaient en mémoire du Sauveur, rien de semblable, point de doute, pas de crainte, pas de pensée de mort; celui dont ils venaient parler avait brisé sa tombe et siégeait maintenant sur un trône de gloire; ils ne venaient pas le pleurer : ils venaient l'adorer ensemble. Dans ces saintes réunions, quelle joie pour la mère du glorifié! et comme elle devait aspirer après le moment où son divin fils enverrait ses anges la délivrer de son exil !
Klopstock, dans son beau poème de la Messiade, nous représente l'ange de la mort porté sur ses larges ailes, formant d'immenses cercles autour de la croix, et, malgré l'ordre de l'Éternel, n'osant approcher du Christ pour lui retirer le souffle de la vie... Cet ange, ordinairement si hardi, et qu'aucune grandeur, aucune puissance n'arrête, a peur de toucher à l'agonisant du Calvaire!... Eh bien! il me semble aussi que la mort dut hésiter à prendre le dernier soupir de Marie; Marie, née sans souillure, n'était pas sa vassale... Nous ne mourons, nous, que parce que nous avons sur le front la marque du péché d'Adam. Mais le sépulcre avait perdu de son horreur depuis que l'auteur de la vie s'y était reposé, et la Vierge mère n'eut pas peur d'y descendre; résignée, subissant la loi commune à toutes les filles d'Ève, elle passa par la tombe pour aller à la gloire céleste
J'ai dit que l'on croit communément que la Sainte Vierge a terminé sa vie à Éphèse, mais je dois ajouter que quelques-uns pensent qu'elle est morte à Jérusalem, avant la dispersion des apôtres. « Nous n'avons, dit Alban Buttler, aucune notion certaine, ni sur le lieu, ni sur la date, ni sur les circonstances de celte précieuse mort. La résurrection de la Vierge et son assomption au ciel ne sont point des articles de foi. L'Église ne prescrit pas la croyance de l'assomption corporelle de Marie dans le ciel ; mais elle fait assez entendre le sentiment vers lequel elle incline; dans un hymne de la fête de l'Assomption, elle s'exprime ainsi : «0 Vierge sainte! lorsque les récompenses célestes qui vous étaient préparées vous appelèrent, l'amour brisa les liens qui retenaient votre âme captive dans la prison du corps mortel ; mais la mort, vaincue par le fruit de votre sein, ne peut avoir d'empire sur vous, et n'ose retenir dans ses chaînes celle qui a donné au monde l'auteur de la vie.»
Dans la collecte même, qui est comme le sceau de la croyance, l'Église réclame l'intercession de la sainte Mère de Dieu, qui a subi la nécessité de la mort temporelle, mais sans que la mort ait pu retenir dans ses liens celle en qui Notre-Seigneur s'est incarné. Respectons le voile qu'il a plu à Dieu d'étendre sur la vie et la mort de Marie, et soyons assurés que celle qui a donné la vie au Sauveur des hommes est environnée des hommages des anges et des magnificences de Dieu. Celui qui est juste envers toutes les créatures n'aura pas été injuste envers sa mère, et ce que la terre a eu de plus parfait aura été porté au plus haut des cieux !
Plusieurs des apôtres ont, à ce que rapporte la tradition, entouré le lit de mort de la Vierge: depuis un jour, ils l'avaient déposée dans la tombe, quand quelques-uns de leurs frères arrivèrent a la demeure où elle avait rendu le dernier soupir; voulant honorer ses restes, ils firent lever la pierre du sépulcre pour y répandre des parfums; mais, ô prodige! le sarcophage est vide; et des lis, symboles de pureté et de virginité, ont poussé là où avait été couché son chaste corps, corps immaculé, corps trop saint pour rester dans la tombe, et que les anges et les archanges, les séraphins et les chérubins, emportèrent sur leurs ailes, quand la voix de Dieu l'eut réveillée de son court sommeil.
Cette tradition a inspiré bien des peintres, et nos grands tableaux d'église nous montrent souvent le ciel tout peuplé d'esprits célestes, portant des couronnes et des palmes à la fille de David, qui va être couronnée reine des cieux. La pierre du tombeau est renversée à l'écart, et l'on aperçoit, parmi les plis du linceul, les fleurs miraculeuses qui ont poussé dans le fond de la tombe. Les bras étendus, les yeux levés vers son divin fils qui l'attend, la Vierge, en extase, s'élève majestueuse, pendant que les chœurs des anges font retentir l'espace de chants de triomphe et de cantiques d'allégresse. « Venez, venez, Reine du ciel! venez, votre trône est revêtu de splendeur et de gloire.»
« Venez, Dieu le Père qui a créé le monde, Dieu le Fils qui l'a racheté, Dieu le Saint-Esprit qui l'a vivifié, vous attendent pour vous couronner! Venez, venez, Reine des patriarches et des prophètes, Reine des vierges et des martyrs! Vous êtes aussi notre reine, ô vous, Marie pleine de grâce ! Les milices célestes, les trônes et les dominations, les vertus et les puissances, les chérubins et les séraphins, les anges et les archanges s'inclinent devant vous, et vous proclament leur souveraine !»
« Nous avons vu le trône qui vous est préparé ; le soleil et tous les astres unis n'ont pas sa magnifique splendeur; votre sceptre est un lis immortel, et votre couronne est formée de rayonnantes étoiles; venez, venez, ô Marie! tous les justes que votre fils a délivrés, et qui sont montés au ciel avec lui, se lèvent pour venir au-devant de vous. »Et pendant que les célestes esprits chantaient ainsi à l'entour de Marie, elle, fille si humble de la terre qu'elle voyait alors comme un point dans l'espace, elle répétait son cantique, elle disait : « Glorifie, glorifie le Seigneur, ô mon âme! et adore la bonté de Dieu, mon Sauveur. Il a regardé avec complaisance l'humilité de sa servante, et voilà que toutes les nations, dans tous les âges, m'appelleront bienheureuse!»
Oh ! que le Tout-Puissant, dont le nom est trois fois saint, a opéré de grandes choses en moi ! Sa miséricorde s'étend de générations en générations sur tous ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras, il a renversé les puissants de leurs trônes, il a exalté les humbles. Il a comblé de biens ceux qui étaient pauvres, et ceux qui n'avaient rien, il les a faits riches. Et il a fait toutes ces choses en se souvenant de sa promesses à Abraham et à Isaac.»
La fête de l'Assomption a été appelée pendant quelque temps : déposition, repos, sommeil, dormition. Déposition des restes sacrés de la bienheureuse Vierge au cercueil, et dormition pour indiquer que la mort de la Mère de Dieu n'avait été qu'un court sommeil, quelques instants de repos. On ne peut préciser l'époque de l'institution de cette belle solennité on n'en trouve pas de vestige bien évident avant le concile d'Éphèse ; mais la persuasion où l'on était de posséder son tombeau dans cette ville, semble insinuer que la fête qu'on y célébrait déjà était celle de la commémoration de la mort de la Sainte Vierge et de son entrée dans le ciel; on croit même que la grande église d'Éphèse fut bâtie en son honneur.
Le concile ayant assuré la glorieuse qualité de mère de Dieu à Marie, contre l'hérésie des nestoriens, donna beaucoup d'autorité et d'étendue au culte que lui rendaient déjà les
fidèles. On se mit à bâtir des temples en son nom, à Constantinople et dans les autres villes de l'empire, et dès le siècle suivant, qui était le sixième de l'Église, on commença à distinguer la fête de l'Assomption d'avec les autres fêtes instituées à sa gloire.
Pour une vie si pleine d'humilité, si remplie de vertus, au gré des chrétiens ce n'eût point été assez qu'une seule fête en l'honneur de Marie. Dans leur ferveur envers elle, ils prirent différentes époques de sa vie : l'annonciation, sa nativité, sa présentation au temple, sa conception, sa visite à sa parente Élisabeth, ses douleurs lors de la passion de son divin Fils, son ravissement dans les deux, et en firent autant de saintes journées consacrées à sa gloire.
Plus tard, ils pensèrent que ce n'était point encore assez que toutes ces fêtes répandues sur le cours de l'année, et ils voulurent faire descendre trois fois chaque jour, sur les villes et sur les campagnes, le souvenir de la salutation angélique. Quand le matin se lève, quand le soleil de midi rayonne, quand les ombres du soir commencent à s'abaisser sur la terre, l'Angélus sonne et fait penser à Marie pleine de grâce, à la servante du Seigneur, et à la miraculeuse conception.
Parcourez l'Europe entière , arrêtez-vous devant les antiques monuments, interrogez-les, demandez ce qui les a fait sortir de terre avec toutes leurs merveilles, et une voix s'élèvera, et des pierres, et de la tradition, et des annales des peuples, pour vous répondre : Le culte de Marie! Oui, c'est ce culte touchant qui a paré le monde catholique de tant de magnifiques églises, de tant de riches abbayes, de tant d'hôpitaux, de tant de poétiques souvenirs. Sans sortir de notre France, autrefois si chrétienne, voyez que de basiliques, que de chapelles, que d'hospices sous l'invocation de Notre-Dame, et quelles douces appellations à la Vierge divine!
Ici, c'est Notre-Dame-de-Bon-Secours ; là, Notre-Dame-de-Pitié ; plus loin, Notre-Dame-de-Toutes-Joies; dans un autre lieu, c'est Notre-Dame-de-Toutes-Aides ; près des hôpitaux, Notre- Dame-des-Sept-Douleurs; là où l'on s'est battu, Notre- Dame-des-Victoires ; au fond d'un vallon, Notre-Dame de- la-Paix; sur la montagne, Notre Dame-de- Grâce ; près des flots, Notre-Dame-de-Bon-Port ; et puis Notre-Dame-de-la-Délivrance, Notre-Dame-des-Neiges, Notre-Dame -des-Rochers , Notre- Dame- des- Lis, Notre-Dame-de-la-Garde et Notre-Dame-des-Anges.
On nous accuserait de chercher à surprendre l'oreille par de doux sons, si nous redisions ici tous les gracieux, tous les touchants titres de la patronne que s'étaient choisie nos pères ; aussi nous nous arrêtons. Les fils des Francs et des Gaulois, ces hommes de mouvement, de batailles et de conquêtes; nos ancêtres qui, pendant tant de siècles, s'en allèrent par le monde plaçant des rois sur tous les trônes, avaient mis leur bouillante valeur sous la protection d'une femme céleste. Toute couverte de la poussière et du sang des combats , la vieille France s'agenouillait devant les statues de Marie, et plaçait souvent l'image de la Vierge sur ses blancs étendards... En vérité, c'était noble spectacle que de voir ainsi la force et la vaillance honorer une mère et un enfant , et opposer ainsi ce que la terre a de plus terrible à ce que le ciel a de plus doux.
Combien de vœux faits à la Vierge par de grands et puissants rois! Louis IX, Philippe-Auguste, Louis XIV, ont ôté leur casque et leur couronne en passant devant les images de la Reine des anges, de la Servante du Seigneur. Louis surnommé le Juste a mis tout son royaume sous sa protection. La Vierge des hameaux a souvent protégé les palais, et nous avons vu des rois et des reines recevoir autant de consolation en priant devant la consolatrice des affligés, que de pauvres paysans en avaient trouvé en implorant la bonne Vierge dans l'humble chapelle du village.
Il fallait avoir été élevé au mépris des choses religieuses, pour voir d'un œil indifférent et avec un cœur sans émotion un roi de France accomplissant le vœu de Louis XIII ; le roi du peuple le plus fier et le plus vaillant, avec toutes les grandeurs et les magnificences de son royaume, marchant à la suite de la patronne du pays, à la suite de cette Vierge que Clovis avait priée avec Clotilde, que Louis IX , que Philippe-Auguste , que Louis XIV avaient invoquée.
Je me souviens avoir vu Charles X marchant à cette procession de l'Assomption ; ses fils et madame la Dauphine et madame duchesse de Berri étaient avec lui, à quelques pas derrière la statue de la Sainte Vierge. Le soleil répandait une vive lumière sur la foule pieuse , et dardait ses rayons sur le front découvert du roi , et sur les parures des princesses Je ne sais pourquoi la procession fit un temps d'arrêt devant la Conciergerie, et je vis la fille de Marie-Antoinette lever ses yeux rougis de pleurs , et regarder longuement les murs de la prison : puis, tout à coup, elle reporta ses regards vers l'image de la Vierge des douleurs, fit un signe de croix, et se remit à marcher avec le cortège.... Et pendant que la fille des rois avait eu les yeux attachés aux tristes murailles, toutes ses douleurs m'étaient revenues dans la mémoire, et je conçus sa fervente piété. Pour essuyer toutes ses larmes, c'était la main de Dieu qu'il fallait.
Au moment même où j'écris cette page , madame la Dauphine répand encore des pleurs bien amers ; dans l'exil, elle vient de perdre un second père, le frère de Louis XVI ; et ce n'est point dans les caveaux de famille , ce n'est point près de son fils que Charles X va dormir son sommeil ; c'est de la terre étrangère qui va retomber sur son cercueil ! , . . Oh ! cette terre m'est lourde sur le cœur et oppresse ma pensée !
La dévotion à Marie se lie à l'histoire du monde ; on voit chaque nation tour à tour, ou toutes ensemble, implorer sa puissante protection. La journée de Lépante sera une éclatante preuve de la protection de la Mère de Dieu en faveur de ceux qui l'invoquent avec confiance. Il y avait près d'un siècle que les Turcs jetaient la terreur dans toute la chrétienté par une continuité de victoires que Dieu permettait pour punir les péchés des chrétiens, et pour réveiller leur foi à demi éteinte. Sélim, fils et successeur de Soliman, empereur de Constantinople, s'étant rendu maître de l'île de Chypre, venait avec une puissante armée fondre sur les Vénitiens, et ne se promettait rien moins que la conquête de l'univers. Le saint pape Pie V, alarmé du danger que courait la chrétienté, s'unit aux Vénitiens et aux Espagnols pour repousser les efforts de cet ennemi commun. Quoique la partie ne fût pas égale, les chrétiens, s'appuyant sur la protection de la Sainte Vierge, ne doutèrent pas du succès de leur entreprise.
Dès le commencement de cette expédition, le pape ordonna des jeûnes et des prières publiques pour fléchir la justice divine. Toute l'Europe était en prières, les fidèles couraient en foule à Notre-Dame-de-Lorette, pour y implorer l'assistance du Ciel, par l'intercession de la Mère de Dieu.
Le saint pontife, en envoyant sa bénédiction au général don Juan d'Autriche, l'assura positivement de la victoire. Il lui ordonna en même temps de renvoyer tous les soldats qui ne semblaient animés que par l'espoir du pillage , ainsi que toutes les personnes dont les mœurs étaient déréglées, de peur que leurs crimes n'attirassent la colère divine sur l'armée. Pour lui, comme un autre Moïse, il ne cessait de lever les mains au ciel, et d'adresser à Dieu de ferventes prières pour attirer ses bénédictions sur les armes des chrétiens. Enfin , le 7 octobre 1571, les deux armées en vinrent aux mains dans le golfe de Lépante. Les Turcs chargèrent l'armée chrétienne avec fureur, et semblèrent d'abord remporter quelques avantages. Mais celui qui tient la victoire entre ses mains se déclara bientôt pour les chrétiens.
Les infidèles furent complétement défaits, et perdirent plus de trente mille hommes et presque tout le matériel de leur armée. Les chrétiens firent un butin immense, et mirent
en liberté quinze mille captifs qui étaient sur les vaisseaux des Mahométans. Le saint pape eut révélation de la victoire au moment même. Il était alors occupé à travailler avec les cardinaux; tout à coup il les quitte, ouvre la fenêtre, et, après avoir regardé le ciel quelques instants, il leur dit : « Il ne s'agit plus de parler d'affaires ; nous ne devons plus penser qu'à rendre grâce à Dieu pour la victoire qu'il vient d'accorder à l'armée chrétienne.»
Ce fait , tout extraordinaire qu'il est, a été attesté de la manière la plus authentique, et il est rapporté comme incontestable dans le procès de la canonisation du saint pape. Pie V était si persuadé que cette victoire était l'effet de la protection particulière de la Sainte Vierge, qu'il institua, à cette occasion, la fête de Notre-Dame-de-la-Victoire, qui fut ensuite transportée au premier dimanche d'octobre, par Grégoire XIII son successeur, sous le titre de fête du saint Rosaire. Ce fut aussi à cette occasion que Pie V inséra dans les litanies de la Sainte Vierge ces mots : «Auxilium christanorum, ora pro nobis; secours des chrétiens, priez pour nous. »
Ainsi cette Vierge dont l'humble image se trouve au-dessus de la porte de la chaumière, et que les femmes du hameau viennent prier pour que leur demeure et leur famille soient protégées ; cette bonne Vierge de la Fontaine et du Gros-Chêne, Marie est aussi invoquée par les pontifes, les empereurs, les rois, les généraux et leurs soldats ; et celle qui garde la cabane du laboureur fait aussi gagner les batailles et sauve les empires.
Si puissante protectrice doit voir le nombre de ses suppliants s'accroître dans les temps d'épreuves et de périls; aussi de nouvelles pratiques pieuses ont été établies depuis quelque temps. Le Mois de Marie a, je crois, une origine récente ; cette dévotion est pleine de charme et d'attraits religieux ; tout le mois de mai, le mois des fleurs, est consacré à la Reine des anges et des vierges. Pendant le mois le plus doux, le plus parfumé de l'année, les autels de Marie sont ornés de cierges et de bouquets sans nombre. Là , dans des sanctuaires tendus de blanches draperies, et décorés d'orangers et d'arbres verdoyants, les jeunes filles viennent chanter et prier ensemble; chaque matin la grand'messe est célébrée avec des ornements blancs, et chaque soir tous les cierges de la chapelle s'allument pour le salut.
A ces prières , à ces cantiques, sont mêlées des instructions qui enseignent la confiance dans la Sainte Vierge. Pour y exciter , les prêtres racontent les miracles opérés par elle , et la jeune et chaste assistance écoute , avec un grand recueillement et un vif attrait , ces histoires merveilleuses dites sous les voûtes saintes; et quand dans ces instructions les noms de Jésus et de Marie viennent à sortir de la bouche du missionnaire, toutes ces jeunes personnes inclinent leurs têtes voilées de blanc : alors on dirait un parterre tout planté de lys, dont les tiges et les fleurs se courbent sous le souffle du printemps ou sous le pieds d'un ange invisible.
27 – La fête de St-Louis Roi de France ( 25 août)
Voilà un vieux jour français, un jour qui revient chaque année avec les souvenirs de notre histoire et les pompes de la religion : les révolutions ont beau se succéder, s'accumuler les unes sur les autres, et vouloir étendre l'oubli de ce qui a existé avant elles; il y a des solennités qui demeurent immuables dans la pensée des hommes. En France, la fête de saint Louis est de ce nombre, et il faut savoir gré à notre pays, si oublieux de sa nature, d'avoir gardé le souvenir d'une de ses gloires. Aujourd'hui, sans doute, la fête du vaillant roi, du roi courageux dans les batailles et fort dans les fers , du roi qui donnait à son peuple de sages lois et de bons exemples, n'est plus célébrée dans les palais et dans les camps. Aujourd'hui, les soldats ne sont plus conduits dans nos églises pour y entendre raconter la glorieuse vie et les exploits du saint couronné ; mais dans les familles qui aiment le Dieu et les rois de nos pères, il y a toujours de la joie quand revient la Saint-Louis. ( Ce roi vivait en 13 eme siècle)
Ce nom a été trouvé si beau, qu'il a été donné à beaucoup de Français. De là, bien des fêtes, bien des bouquets, bien des vœux quand arrive le 25 août. Louis, neuvième du nom, dit un vieux chroniqueur, n'avait parfait que sa douzième année, quand son père trépassa. Pour tout homme, c'est grand malheur d'être délaissé si jeune ; mais pour prince qui doit monter au trône, c'est plus pitoyable encore, car, pour bien porter la couronne, il faut être fort ; et qui donne la force au fils, si ce n'est le père?
La reine de France, Blanche de Castille avec le jeune St-Louis
Mais Dieu, qui avait fait la belle âme de Louis, avait mis, pour la garder pure et la façonner aux grandes choses, une femme forte, une reine habile, auprès du prince : Blanche de Castille veillait sur son fils, et l'élèverait si chrétiennement, qu'elle lui disait : Mon fils, j'aimerais mieux vous voir mourir devant mes yeux que de vous voir offenser Dieu mortellement. Si précieuses semences de piété germèrent au cœur de Louis, et portèrent beaux et nombreux fruits de sainteté. Dès l'âge de vingt ans, le fils de Blanche était grave et appliqué aux devoirs de chrétien et de roi, simple et modeste dans ses habits, doux envers les hommes, humble envers Dieu, sévère envers les méchants, aumônier envers les nécessiteux, justicier envers tous, miséricordieux envers les pauvres malades.
Dès qu'il eut établi la soumission parmi les grands, et la paix dans le menu peuple, il ne pensa qu'à faire servir sa puissance à la gloire du Roi des rois; il abolit le duel et le blasphème, chassa les bateleurs ; il ne donnait jamais les bénéfices qu'à des hommes capables de les bien remplir, et il n'en conférait jamais un second qu'on n'eût renoncé au premier.
L'amour pour la justice était si fort en lui, qui partout où il passait il se faisait informer de tous dommages que lui et sa suite avaient pu causer; et quand étaient advenus des dégâts , ils étaient incontinent royalement réparés. Il bâtit un grand nombre de monastères et d'hôpitaux, et il allait souvent en ceux-ci visiter les malades et les servir de ses propres mains. Il mortifiait son corps par le cilice et par le jeûne, et joignait la continence à ces pratiques, dans les jours consacrés à la pénitence ou aux solennités.
Tous les jours, en quelque pays qu'il fût, plus de cent pauvres étaient nourris de sa table. Il fonda les abbayes de Royaumont, de Cîteaux, plusieurs maisons de frères mineurs et de frères prêcheurs, en divers lieux de son royaume; il augmenta les revenus de l'Hôtel-Dieu, et établit les hôpitaux de Compiègne et de Pontoise; il fonda aussi les Quinze- Vingts de Paris, où il assembla ce même nombre d'aveugles. Et, quand quelques-uns lui représentaient qu'il faisait de grandes dépenses pour toutes ces œuvres pies, il avait accoutumance de répondre : Puisqu'un roi doit dépenser, il vaut mieux que ce soit pour Dieu et le prochain que pour soi et la vanité.
Dieu, pour l'éprouver, lui ayant envoyé de grandes souffrances et grave maladie, Louis fit vœu de se croiser pour la délivrance du saint sépulcre; et dès que la santé lui fut revenue, il s'embarqua avec une puissante armée , laissant à la reine sa mère le soin de son royaume, et passa en Syrie. Lorsqu'il se vit en présence des Sarrasins, qui l'attendaient rangés, innombrables, sur le rivage, il se jeta à la mer, l'épée à la main, avec si grand courage, qu'il les mit en fuite, et, sans retardement, entra victorieux dans Damiette.
Mais la peste, comme alliée des infidèles, vint affaiblir l'armée française, et Louis, vaincu, fut fait prisonnier. Le Seigneur n'épargne point les tribulations à ses saints, car il sait
que leur gloire sortira de leur adversité. Le saint roi captif fut si plein de mansuétude, de force et de majesté, que les Sarrasins lui offrirent la couronne. N'est-ce pas là un triomphe à nul autre pareil?
Nous l'avouons, plus nous lisons l'histoire, plus nous nous appliquons à connaître les différents rois des temps passés, et plus nous admirons le grand caractère de saint Louis. Ce caractère est grandit par les siècles, pour être offert en modèle aux rois d'aujourd'hui, époque de faiblesse et d'égoïsme, où tant de nobles traditions sont mises en oubli. Nous conseillons aux condamnés à la couronne de reporter souvent leurs regards sur le fils de Blanche de Castille,
En étudiant ce type de l'ancienne royauté, ils apprendront autre chose qu'à prier Dieu. Et cependant, prier Dieu , c'est déjà beaucoup pour un roi ; car on prie Dieu autant par ses actions que par ses paroles. Or, l'homme qui, pour se rapprocher de la Divinité, pour paraître moins nu en sa présence, se revêt de bonnes œuvres, a déjà chance de faire un bon roi.
Dans un livre de prières, il y a toute une politique sacrée : pour être juste, pour ne rien retenir à autrui, pour donner l'exemple des bonnes mœurs, pour être sage, chaste, économe, doux envers les malheureux, ferme envers les méchants, on n'a qu'à se souvenir de son catéchisme ; toute la vie de l`homme de bien se trouve là : pour être bon roi, avant tout, il faut être homme de bien.
Louis IX était essentiellement homme de bien; son âme était pure et ardente, son cœur noble et compatissant, son caractère ferme et élevé. Ce qu'il aimait le plus, c'était la franchise; il avait en horreur le mensonge et l'hypocrisie. Et Joinville dit quelque part que le saint roi aimait à regarder face à face ceux qui avaient affaire à lui. En tout homme, l'hypocrisie et la fausseté sont choses bien méprisables; mais, avec la corruption qui existe par le monde , on conçoit que la faiblesse y recoure quelquefois pour arriver à ses fins. L'hypocrisie, c'est le vice des faibles.
Les enfants mentent parce qu'ils ont peur d'être grondés. Mais, quand on est fort et puissant, l'hypocrisie et le mensonge se conçoivent plus difficilement, et pour que ces vices ignobles, ces deux péchés d`en bas, se trouvent au cœur d'un prince, il faut que ce cœur soit bien corrompu.
En étudiant saint Louis, on prend une grande haine, un profond mépris pour toute félonie, pour tout mensonge, pour tout roi qui rougit du Christ. Pour être homme de bien, il faut avoir le courage de son opinion. Car il est vil de ne pas confesser ce que l'on croit, de ne pas défendre ce que l'on aime. Or, Louis IX était chrétien fervent, il aimait la croix avec l'ardeur et l'amour d'un chevalier; et si quelque politique de son temps était venu lui conseiller de cacher au dedans de lui cette ardeur religieuse ; lui dire que, pour garder sa couronne, il fallait en quelque sorte renier la croix; Louis , d'ordinaire si plein de douceur et de mansuétude, serait entré dans une grande et sainte colère, et aurait à jamais banni de sa présence le méchant conseiller.
Oh! saint Louis était homme à briser sa couronne plutôt que de la porter avec une souillure ! Mais pour bien louer le plus grand roi des siècles passés, laissons parler le plus grand écrivain du siècle présent. Voici comment M. de Chateaubriand raconte les derniers moments de saint Louis.
Du sommet de Byrsa, l'œil embrasse les ruines de Carthage, qui sont plus nombreuses qu'on ne le pense généralement. Elles ressemblent à celles de Sparte; n'ayant rien de bien conservé, mais occupant un espace considérable. Je les vis au mois de février; les figuiers, les oliviers, les caroubiers, donnaient déjà leurs premières feuilles ; de grandes angéliques et des acanthes formaient des touffes de verdure parmi les débris de marbres de toutes couleurs. Au loin, je promenais mes regards sur l'isthme, sur une double mer, sur des îles lointaines, sur une campagne riante, sur des lacs bleuâtres, sur des montagnes azurées; je découvrais des forêts de vaisseaux, des aqueducs, des villages maures, des ermitages mahométans, les minarets et les maisons blanches de Tunis.
Des milliers de sansonnets réunis eu bataillons, et ressemblant à des nuages, volaient au-dessus de ma tête; environné des plus grands et des plus touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d'Asdrubal ; je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d'Annibal, de Scipion et de César; mes yeux voulaient reconnaître l'emplacement d'Utique; hélas! les débris du palais de Tibère existent encore à Caprée, et l'on cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton ! Enfin, les terribles Vandales, les légers Maures, passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m'offrait, pour dernier tableau, saint Louis expirant sur les ruines de Carthage. Que le récit de la mort de ce prince termine cet itinéraire ; heureux de rentrer, pour ainsi dire, dans ma patrie par un antique monument de ses vertus, et de finir au tombeau du saint roi ce long pèlerinage aux tombeaux des grands hommes !
Lorsque saint Louis entreprit son second voyage d'outre-mer, il n'était plus jeune; sa santé affaiblie ne lui permettait ni de rester longtemps à cheval, ni de soutenir le poids d'une armure; mais Louis n'avait rien perdu de sa vigueur d'âme. Il assemble à Paris les grands du royaume, leur fait la peinture des malheurs de la Palestine, et leur déclare qu'il est résolu d'aller au secours de ses frères les chrétiens; en même temps, il reçoit la croix des mains du légat, et la donne à ses trois fils aînés.
Une foule de seigneurs se croisant avec lui, les rois de l'Europe se préparent à prendre la bannière : Charles le Sicile, Edward d'Angleterre, Gaston de Béarn, les rois de Navarre et d'Aragon. Les femmes montrèrent le même zèle : la dame de Poitiers, la comtesse de Bretagne, Yolande de Bourgogne, Jeanne de Toulon, Isabelle de France, Amélie de Courtenay, quittèrent la quenouille que filaient alors les reines, et suivirent leurs maris outre-mer.
Saint Louis fit son testament ; il laissa à Agnès , la plus jeune de ses filles, dix mille francs pour se marier, et quatre mille francs à la reine Marguerite; il nomma ensuite deux régents du royaume : Mathila, abbé de Saint-Denis, et Simon, sire de Nesle; après quoi il alla prendre l'oriflamme. Cette bannière que l'on commence à voir dans nos armées sous le règne de Louis le Gros, était un étendard de soie attaché au bout d'une lance ; il était d'un vermeil samit, à guise de gonfanon à trois queues; il avait autour des houppes de soie verte ; on le déposait en temps de paix sur l'autel de Saint-Denis, parmi les tombeaux des rois, comme pour avertir que de race en race les Français étaient fidèles à Dieu, au prince, à l'honneur. Saint Louis prit cette bannière des mains de l'abbé, selon l'usage.
Il reçut en même temps l'escarcelle du voyage et le bourdon du pèlerin, que l'on appelait la consolation et la marque du voyage ; coutume si ancienne dans la monarchie, que
Charlemagne fut enterré avec l'escarcelle d'or qu'il avait coutume de porter en Italie. Louis pria au tombeau des martyrs et mit son royaume sous la protection du patron
de la France. Le lendemain de cette cérémonie, il se rendit pieds nus, avec ses fils, du Palais-de-Justice à l'église de Notre-Dame. Le soir du même jour, il partit pour
Vincennes, où il fit ses adieux à la reine Marguerite, gentille, bonne reine, pleine de grande simplesse, dit Robert de Sainceriaux ; ensuite il quitta pour jamais ses vieux
chênes, vénérables témoins de sa justice et de sa vertu.
Déjà les comtes de Nemours, de Montmorency et de Vendôme n'étaient plus ; le roi avait vu mourir dans ses bras son fils chéri, le duc de Nevers. Il se sentit lui-même frappé, et s'aperçut dès le premier moment que le coup était mortel, que ce coup abattrait facilement un corps usé par la fatigue de la guerre, par les soucis du trône, et par les veilles religieuses et royales qu'il consacrait à son Dieu et à son peuple.
Il tâcha néanmoins de dissimuler son mal et de cacher la douleur qu'il ressentait de la perte de son fils. On le voyait, la mort sur le front, visiter les hôpitaux, comme un de ces pères de la Merci consacrés dans les mêmes lieux à la rédemption des captifs et au salut des pestiférés ; des œuvres du saint, il passait aux devoirs du roi, veillait à la sûreté du camp, montrait à l'ennemi un visage intrépide ; ou , assis devant sa tente, rendait la justice à ses sujets comme sous le chêne de Vincennes.
La maladie faisant des progrès, Louis demanda l'extrême-onction ; il répondit aux prières des agonisants avec une voix aussi ferme que s'il avait donné des ordres sur un champ de bataille; il se mit à genoux au pied de son lit pour recevoir le saint viatique, et on fut obligé de soutenir par les bras ce nouveau saint Jérôme , dans cette dernière communion ; depuis ce moment, il mit fin aux pensées de la terre, et se crut acquitté envers ses peuples. Eh! quel monarque avait mieux rempli ses devoirs? Sa charité s'étendit alors à tous les hommes. Il pria pour les infidèles, qui firent à la fois la gloire et le malheur de sa vie; il invoqua les saints patrons de la France, de cette France si chère à son âme royale.
Le lundi 25 août, sentant que sa fin approchait, il se fit coucher sur un lit de cendres, où il demeura les bras croisés sur sa poitrine et les yeux levés vers le ciel. On n'a vu qu'une fois et l'on ne reverra jamais un pareil spectacle ; la flotte du roi de Sicile se montrait à l'horizon ; la campagne et les collines étaient couvertes de l'armée des Maures ; au milieu des débris de Carthage, le camp des chrétiens offrait l'image de la plus affreuse douleur, aucun bruit ne s'y faisait entendre ; les soldats moribonds sortaient des hôpitaux, et se traînaient à travers les ruines pour s'approcher de leur roi expirant.
Louis était entouré de sa famille en larmes, des princes consternés, des princesses défaillantes. Les députés de l'empereur de Constantinople se trouvaient présents à cette scène ; ils purent raconter à la Grèce la merveille d'un trépas que Socrate aurait admiré. Du lit de cendres où saint Louis rendait le dernier soupir, on découvrait le rivage d'Utique ; chacun pouvait faire la comparaison de la mort du philosophe stoïcien et du philosophe chrétien ; plus heureux que Caton , saint Louis ne fut point obligé de lire un traité sur l'immortalité de l'âme pour se convaincre de l'existence d'une vie future ; il en trouvait la preuve invincible dans sa religion, ses vertus et ses malheurs.
Enfin , vers les trois heures de l'après-midi, le roi , jetant un grand soupir, prononça distinctement ces paroles : « Seigneur, j'entrerai dans votre maison, et je vous adorerai dans votre saint temple. » Et son âme s'envola dans le saint temple, où elle était digne d'adorer. Nous lisons dans le Traité des Fêtes : Le corps du saint roi demeura exposé sous le pavillon jusqu'à ce que son fils, le roi Philippe, fût reconnu, et qu'il eût reçu les hommages accoutumés. Comme les Européens n'avaient pas alors le secret d'embaumer les corps pour les conserver, on fit bouillir celui de saint Louis dans du vin, de l'eau et des aromates , pour séparer ainsi les chairs d'avec les os ; les os furent mis avec le cœur dans une caisse fort riche ; et Charles d'Anjou , roi de Sicile , fit tant d'instances auprès du nouveau roi, son neveu, qu'il obtint la permission de transporter les chairs et les entrailles à Palerme, où il les fit inhumer, avec grande solennité, dans l'abbaye de Montréal, à une lieue de la ville.
On y éleva d'abord un monument de marbre, auquel on joignit bientôt un autel , lorsque Dieu eut fait éclater la sainteté de ces reliques par plusieurs miracles. A l'égard de la châsse qui renfermait les os et le cœur, le roi Philippe le Hardi porta ces précieux restes on France; ils furent d'abord déposés dans l'église de Notre-Dame de Paris, et ensuite, en grand et magnifique cérémonial, on les transporta à la royale abbaye de Saint-Denis.
Le roi St-Louis lavant les pieds des pauvres le Jeudi saint
En fils respectueux, et pour honorer la mémoire du saint, le roi Philippe porta lui-même le corps de son père sur ses épaules, et, à chaque station qu'il fit sur la voie, furent élevées des croix pour marquer les endroits de ses repos. Les os de saint Louis furent déposés près de ceux de son père, Louis VIII, dans un tombeau de pierre que la piété a depuis grandement enrichi. La célébration de la fête de saint Louis date de l'année 1297, sous le pape Boniface VIII. Depuis ce temps elle est restée une des plus saintes journées de la France: la religion, la chevalerie, le trône et la patrie, y trouvent de grands souvenirs.
Quand le messager céleste, l'archange Gabriel, envoyé du Très-Haut, apparut tout à coup à Marie dans son humble demeure de Nazareth, et lui annonça le mystère qui devait s'accomplir en elle pour la rédemption du monde, il apprit à la Vierge, étonnée et confuse, que sa cousine Élisabeth, femme de Zacharie, malgré sa stérilité reconnue et son âge fort avancé, allait aussi être mère d'un fils, et qu'elle était déjà dans le sixième mois de sa grossesse. Marie ayant répondu à l'envoyé de Dieu : « Je suis la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole » , l'archange remonta vers le trône de l'Éternel, et l'humble Vierge, après avoir adoré et prié, reprit ses occupations de tous les jours.
Elle avait beau vouloir courber sa pensée, quelque chose d'inconnu, des idées plus élevées que celles qu'elle avait eues jusqu'alors remplissaient son âme; elle sentait que le temps des prodiges était venu, et quoique Nazareth fût encore assez éloigné de la ville d'Hébron, qui était située dans les montagnes de Juda , elle entreprit d'aller voir Élisabeth, sur laquelle la main du Seigneur venait de s'étendre.
Elle partit donc avec Joseph pour faire le voyage, et nous croyons qu'en quittant sa tranquille demeure, Marie savait que c'était plus qu'un devoir de famille qu'elle allait remplir : celle qui devait donner le jour au fils de Dieu savait déjà bien des choses de l'avenir ; elle savait que l'enfant que portait Élisabeth devait être le précurseur du sien, et elle allait le sanctifier en embrassant sa mère.
L'auteur de l'Histoire des Fêtes de l'Église prétend que près. Dans le calme et la paix de sa maison , la pieuse épouse de Zacharie entendit tout à coup une voix qu'elle connaissait, celle de sa parente, Marie, fiancée de Joseph et comme lui de la lignée de David. Dès les premiers mots de Marie qui la saluait, Élisabeth sentit son enfant tressaillir dans ses entrailles, et elle-même, remplie soudainement du Saint-Esprit, s'écria : «Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni Et d'où me vient ce bonheur, que la mère de mon Seigneur daigne me visiter? Car dès que votre voix a frappé mon oreille, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Vous êtes, ô Marie ! bien heureuse d'avoir cru aux paroles du Seigneur, car tout ce que vous a dit l'ange en son nom s'accomplira. »
Alors l'humble Vierge, qui devait être mère en gardant toute sa virginale pureté, fut saisie de l'esprit d'en haut, et répondit à Élisabeth par ces magnifiques et prophétiques paroles: «Mon âme glorifie le Seigneur. Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon salut, Parce qu'il a abaissé ses regards sur l'humilité de sa servante. Les générations m'appelleront bienheureuse dans tous les siècles, Parce qu'il a fait en moi de grandes choses, lui qui est le Tout-Puissant et dont le nom est saint.
Sa miséricorde se répand d'âge en âge sur tous ceux qui le craignent. Il a déployé la force de son bras, il a renversé les superbes, il a fait descendre les grands de leurs trônes, il a élevé les humbles. Il a rempli de biens ceux qui étaient dans le besoin, il a renvoyé vides et pauvres ceux qui étaient riches. Se souvenant de ses miséricordes, il a pris Israël son serviteur sous sa protection. Ainsi il a parlé à nos pères, à Abraham, à sa postérité, et il s'est souvenu de ses promesses, qu'il tiendra jusqu'à la fin des siècles.»
Que l'on songe à ce qu'était le monde à l'époque où cette scène se passait dans les montagnes de Juda, et l'on s'inclinera devant cette sagesse d'en haut, qui pour régénérer et sauver les hommes ne va point recourir aux grandeurs de la terre, mais à deux femmes qui vivent, pures et simples, dans la crainte et l'amour de Dieu.
Oh ! quels grands, quels sublimes entretiens durent avoir, lieu entre Marie et Élisabeth pendant les trois mois qu'elles passèrent ensemble dans la même demeure!; Toutes les deux devaient avoir, comme les prophètes, des visions de l'avenir.
La mère âgée du Précurseur n'approchait sans doute qu'avec vénération et respect de la jeune vierge , qui allait enfanter un Dieu : car il est à présumer, comme l'a pensé saint Augustin dans sa Cité de Dieu, qu'Élisabeth connut par une révélation ce que la modestie de Marie lui cachait, le mystère de l'incarnation , et que ce fut aussi par une inspiration soudaine qu'elle apprit ce que signifiait ce tressaillement extraordinaire qu'elle avait senti dans son sein, lorsque la douce voix de Marie était parvenue à son oreille.
C'était le serviteur qui bondissait de joie à la venue du maître , le flambeau qui s'allumait à l'approche de la lumière. Les Pères ont pensé que le tressaillement de Jean dans le sein maternel n'était pas moins la marque de sa sanctification que l'hommage que le Précurseur rendait au Christ, qu'une Vierge immaculée venait de concevoir et que lui était destiné à annoncer.
Dès l'origine des fêtes chrétiennes, on a pensé que la sanctification du fils de Zacharie et d'Élisabeth avait précédé sa naissance, et que c'est par la parole de la Vierge; que Jésus-Christ a sanctifié son précurseur. La visite de Marie & la mère de Jean, de celui qui devait briller aux yeux des hommes comme une lampe ardente , de celui qui devait être prophète et plus que prophète, était donc bien plus qu'un devoir de famille et d'amitié; c'était une solennelle entrevue entre les deux femmes qui en savaient plus sur le salut du monde que tous les philosophes, que tous les sages de l'univers. Aussi l'Église a voulu conserver et consacrer le souvenir de cette visite, et elle a fixé au 2 juillet la fête de la Visitation, et la fait suivre immédiatement après l'octave de la Nativité de saint Jean.
Pour donner à cette journée toute sa solennité, la liturgie a grand soin de redire toutes les paroles des deux femmes inspirées, et ces mots qui ont été joints à la salutation angélique et que nous répétons chaque matin et chaque soir , « Marie, vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni», et le Magnificat, ce psaume, beau entre toutes les poésies sacrées, que les prêtres ne chantent que debout, en balançant l'encensoir devant l'image de la Vierge, qui l'a dit la première.
Bien des siècles ont passé sur le monde depuis qu'une fille de la royale lignée de David, devenue pauvre, est partie, avec un vieillard, de la petite ville de Nazareth pour aller voir une de ses parentes à Hébron , dans les montagnes de Juda Parmi tous les grands événements, les bouleversements, les changements d'empires et de royaumes, comment le souvenir de cette visite d'une femme à une femme a-t-il surnagé sur l'oubli?
Ah ! vous allez le savoir. C'est que la religion fait vivre à jamais ce qu'elle a pris sous sa garde, et qu'elle a voulu que le jour où la mère du Christ s'est reposée sous le toit de la mère du Précurseur ne passât point inaperçu parmi les autres jours.
Aussi voyez aux grandes fêtes de l'année, dans nos vieilles et gothiques cathédrales : voici tout à coup que les prêtres se lèvent de leurs stalles, que l'évêque ou l'archevêque descend de son trône placé près de l'autel ; il va sortir du chœur des diacres, des sous-diacres, des curés, des vicaires; des chanoines l'accompagnent des choristes avec des cierges des lévites avec des encensoirs d'or, le précèdent et le suivent. Où va le prince de l'Église avec ce cortège sacré?
Tous vont ensemble à la chapelle de la Vierge , parce que les chantres du sanctuaire viennent d'entonner la Magnificat, parce que les paroles que Marie a dites il y a plus de dix-huit cents ans, dans la maison d'Élisabeth, sont alors chantées sous les voûtes du temple de Jésus- Christ.
Cet hommage à la Vierge de Nazareth ne lui est pas seulement rendu aux grandes fêtes et dans nos somptueuses basiliques ; non, tous les dimanches et dans toutes les églises, dans celles des grandes villes comme dans celles des hameaux , le cantique de Marie est toujours, après la bénédiction du Saint-Sacrement, ce qu'il y a de plus solennel dans les offices du soir.
L'orgue, comme la voix du ciel, et le chant des fidèles, comme celle de la terre, alternent les versets de ce magnifique psaume. Dans les prophétiques paroles de la Vierge inspirée, chacun trouve ou une leçon ou une espérance. Les petits et les humbles y sont consolés de leur petitesse, et du peu de place qu'ils occupent ici-bas, par ce verset : « Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon sauveur, parce qu'il a abaissé ses regards sur l'humilité de sa servante » ; et les grandeurs orgueilleuses et usurpées tremblent à ces mots : « II a déployé la force de son bras, il a renversé les superbes et les a fait descendre de leurs trônes. » Il n'y a que la religion qui sache aussi bien ce qu'elle doit dire à chacun.
26 – L`Assomption ( 15 août)
En racontant les fêtes des martyrs, nous avons en à parler de sang répandu, de cachots, de tortures, de geôliers et de bourreaux ; maintenant il nous faut chercher des mots suaves et harmonieux, et tracer de gracieuses images, car le lis va être emporté du milieu des épines, la rose mystique ne va plus embellir la terre , c'est au ciel qu'elle va fleurir. Voyez : voici les anges et les archanges qui descendent et qui viennent au-devant de leur reine! les patriarches l'attendent sur les nuées ; c'est une fille des rois, c'est la fille de David qui monte au céleste royaume.
A celle qui a été si humble et si pleine de grâce, quelle gloire réservée ! Dieu le Père l'attend comme sa fille ; Dieu le Fils, comme sa mère ; Dieu le Saint-Esprit, comme son épouse. Les saints du ciel se réjouissent. Les saints de la terre pleurent : ils viennent de voir mourir la mère du vainqueur de la mort; ils viennent de voir s'éteindre cette douce lumière qui brillait au milieu d'eux Depuis la mort du Christ, Marie, malgré son amour pour la retraite, avait été entourée des respects des apôtres et des disciples ; et ceux qui souffraient , et qui mouraient pour confesser la divinité de Jésus, ressentaient et professaient une haute vénération pour sa mère Il n'en pouvait être autrement; et pour la Vierge, qui avait eu l'âme transpercée par le glaive de douleur, c'était une grande joie que de voir le salut du monde naître de la mort de son fils.
Cette mort si cruelle , si sanglante, cette agonie sur la croix, ne se présentaient plus à l'esprit de la Vierge-Mère pour le torturer Oh! non, le jardin des Oliviers consolait du Golgotha et si sur la montagne du supplice on voyait encore quelques traces de sang, sur mont des Oliviers restaient gravées les preuves de l'Ascension. Le Fils de Marie, rentré dans la gloire de son céleste empire, ne pouvait laisser longtemps sa mère dans notre vallée de larmes. Les rois triomphants se hâtent de rappeler ceux qu'ils aiment de la terre de l'exil ; aussi l'on croit que la mort de la Vierge ne tarda pas longtemps après la première année de grâce. Quelques-uns croient que ce fut à Éphèse que mourut la Sainte Vierge ; mais rien n'est certain à cet égard, et les saints évangélistes ne donnent aucun détail sur la naissance, sur la vie et sur la mort de Marie.
On dirait que Dieu a voulu envelopper de nuages cette fleur d'humilité, comme il couvre d'un voile de vapeur la plante qui n'aime pas le soleil. Ce que nous savons par l'Évangile, c'est qu'alors que la crainte dispersa les disciples et les apôtres, alors que le Christ vit l'abandon des siens venir ajouter aux tourments de sa passion, la mère, elle, ne se mit point à fuir, et dans son cœur il y eut plus de force que dans tous ces hommes qui peu de jours avant le jour d'épreuve faisaient tant de protestations d'amour et de dévouement.
Eux se dispersèrent, prirent la fuite et se cachèrent; elle suivit pas à pas son fils sur la voie douloureuse, et demeura au pied de la croix jusqu'à ce que tout fût consommé. Je viens de dire que les évangélistes ne donnaient aucun détail sur la vie de Marie ; je me trompais : l'Évangile nous montre la Vierge humble et pieuse, et la Mère courageuse et forte. Il y a là le plus grand des éloges. Un disciple, sortant de sa première frayeur, était aussi venu voir mourir son maître. Jean avait dormi sur le sein de Jésus ; c'était bien le moins qu'il vînt auprès de la croix. Mais il n'y arriva pas le premier : l'amour maternel avait devancé l'amitié et la reconnaissance. Et remarquons ici que l'Évangile, qui nous montre la Sainte Vierge debout sur le Calvaire ensanglanté, ne nous la fait pas voir dans les rues de Jérusalem le jour où son divin fils y faisait son entrée triomphale. Non, elle avait trop d'humilité pour aller briller sous le rayon de gloire ; mais elle a aussi trop de courage pour ne pas venir pleurer et souffrit sous les bras étendus de son fils cloué à la croix.
C'est là que la mère et l'ami entendent les dernières recommandations du divin supplicié: A la mère : « Femme, voila votre fils. » Au disciple : « Voici votre mère. » Dans ce peu de mots tombés du haut de la croix, nous devons voir que l'apôtre saint Jean , sous les yeux du Christ, est le représentant de tous les chrétiens des temps passés, des temps présents et des temps à venir ; c'est à eux que Marie est donnée pour mère par son divin fils. Depuis ces mots dits sur le Calvaire, combien de fois l'Église ne nous répète-t-elle pas, en nous conduisant devant les images de la Vierge : « Chrétiens, voici votre mère ! » Le monde a cru à cette parole ; aussi voyez comme il s'est vite couvert de temples en son honneur ! Partout elle a des autels, parce que partout il y a du malheur, et qu'il est dans la nature que les enfants qui souffrent crient vers leur mère.
Pendant sa vie, nous nous le persuadons, elle a dû souvent être invoquée par les infortunés : car ceux qui savaient la puissance de Jésus connaissaient aussi la compatissance de Marie, et savaient y recourir. Nous voyons qu'après l'Ascension du Christ, la Vierge sainte assiste aux assemblées, aux prières des apôtres, et la tradition nous la montre assise parmi eux quand le Consolateur est descendu du ciel; certes, elle avait bien droit à être consolée : sur la voie douloureuse, sur le Golgotha, qui avait souffert autant qu'elle? Et n'était ce pas elle qui, du pied de la croix, pouvait dire : vous qui passez par ce chemin, voyez s'il est une douleur semblable à ma douleur!
On croit qu'après la dispersion des apôtres, Marie suivit saint Jean à Éphèse. Marie-Madeleine, selon quelques-uns, les accompagna dans cette ville avec d'autres disciples, et nous partageons facilement cette croyance. Ceux qui avaient connu le Christ, qui avaient écouté ses enseignements, quand ils ne le virent plus sur la terre, durent éprouver le besoin de se trouver ensemble pour parler de lui encore, pour redire sa bonté, raconter sa puissance, et prier en son nom.
Quand un de nos amis est parti d'avec nous, quand la mort nous l'a enlevé, nous nous rassemblons aussi pour nous entretenir de lui; mais alors nous avons avec nous une pensée triste : car celui qui nous manque, où est-il? Pour les premiers chrétiens qui se réunissaient en mémoire du Sauveur, rien de semblable, point de doute, pas de crainte, pas de pensée de mort; celui dont ils venaient parler avait brisé sa tombe et siégeait maintenant sur un trône de gloire; ils ne venaient pas le pleurer : ils venaient l'adorer ensemble. Dans ces saintes réunions, quelle joie pour la mère du glorifié! et comme elle devait aspirer après le moment où son divin fils enverrait ses anges la délivrer de son exil !
Klopstock, dans son beau poème de la Messiade, nous représente l'ange de la mort porté sur ses larges ailes, formant d'immenses cercles autour de la croix, et, malgré l'ordre de l'Éternel, n'osant approcher du Christ pour lui retirer le souffle de la vie... Cet ange, ordinairement si hardi, et qu'aucune grandeur, aucune puissance n'arrête, a peur de toucher à l'agonisant du Calvaire!... Eh bien! il me semble aussi que la mort dut hésiter à prendre le dernier soupir de Marie; Marie, née sans souillure, n'était pas sa vassale... Nous ne mourons, nous, que parce que nous avons sur le front la marque du péché d'Adam. Mais le sépulcre avait perdu de son horreur depuis que l'auteur de la vie s'y était reposé, et la Vierge mère n'eut pas peur d'y descendre; résignée, subissant la loi commune à toutes les filles d'Ève, elle passa par la tombe pour aller à la gloire céleste
J'ai dit que l'on croit communément que la Sainte Vierge a terminé sa vie à Éphèse, mais je dois ajouter que quelques-uns pensent qu'elle est morte à Jérusalem, avant la dispersion des apôtres. « Nous n'avons, dit Alban Buttler, aucune notion certaine, ni sur le lieu, ni sur la date, ni sur les circonstances de celte précieuse mort. La résurrection de la Vierge et son assomption au ciel ne sont point des articles de foi. L'Église ne prescrit pas la croyance de l'assomption corporelle de Marie dans le ciel ; mais elle fait assez entendre le sentiment vers lequel elle incline; dans un hymne de la fête de l'Assomption, elle s'exprime ainsi : «0 Vierge sainte! lorsque les récompenses célestes qui vous étaient préparées vous appelèrent, l'amour brisa les liens qui retenaient votre âme captive dans la prison du corps mortel ; mais la mort, vaincue par le fruit de votre sein, ne peut avoir d'empire sur vous, et n'ose retenir dans ses chaînes celle qui a donné au monde l'auteur de la vie.»
Dans la collecte même, qui est comme le sceau de la croyance, l'Église réclame l'intercession de la sainte Mère de Dieu, qui a subi la nécessité de la mort temporelle, mais sans que la mort ait pu retenir dans ses liens celle en qui Notre-Seigneur s'est incarné. Respectons le voile qu'il a plu à Dieu d'étendre sur la vie et la mort de Marie, et soyons assurés que celle qui a donné la vie au Sauveur des hommes est environnée des hommages des anges et des magnificences de Dieu. Celui qui est juste envers toutes les créatures n'aura pas été injuste envers sa mère, et ce que la terre a eu de plus parfait aura été porté au plus haut des cieux !
Plusieurs des apôtres ont, à ce que rapporte la tradition, entouré le lit de mort de la Vierge: depuis un jour, ils l'avaient déposée dans la tombe, quand quelques-uns de leurs frères arrivèrent a la demeure où elle avait rendu le dernier soupir; voulant honorer ses restes, ils firent lever la pierre du sépulcre pour y répandre des parfums; mais, ô prodige! le sarcophage est vide; et des lis, symboles de pureté et de virginité, ont poussé là où avait été couché son chaste corps, corps immaculé, corps trop saint pour rester dans la tombe, et que les anges et les archanges, les séraphins et les chérubins, emportèrent sur leurs ailes, quand la voix de Dieu l'eut réveillée de son court sommeil.
Cette tradition a inspiré bien des peintres, et nos grands tableaux d'église nous montrent souvent le ciel tout peuplé d'esprits célestes, portant des couronnes et des palmes à la fille de David, qui va être couronnée reine des cieux. La pierre du tombeau est renversée à l'écart, et l'on aperçoit, parmi les plis du linceul, les fleurs miraculeuses qui ont poussé dans le fond de la tombe. Les bras étendus, les yeux levés vers son divin fils qui l'attend, la Vierge, en extase, s'élève majestueuse, pendant que les chœurs des anges font retentir l'espace de chants de triomphe et de cantiques d'allégresse. « Venez, venez, Reine du ciel! venez, votre trône est revêtu de splendeur et de gloire.»
« Venez, Dieu le Père qui a créé le monde, Dieu le Fils qui l'a racheté, Dieu le Saint-Esprit qui l'a vivifié, vous attendent pour vous couronner! Venez, venez, Reine des patriarches et des prophètes, Reine des vierges et des martyrs! Vous êtes aussi notre reine, ô vous, Marie pleine de grâce ! Les milices célestes, les trônes et les dominations, les vertus et les puissances, les chérubins et les séraphins, les anges et les archanges s'inclinent devant vous, et vous proclament leur souveraine !»
« Nous avons vu le trône qui vous est préparé ; le soleil et tous les astres unis n'ont pas sa magnifique splendeur; votre sceptre est un lis immortel, et votre couronne est formée de rayonnantes étoiles; venez, venez, ô Marie! tous les justes que votre fils a délivrés, et qui sont montés au ciel avec lui, se lèvent pour venir au-devant de vous. »Et pendant que les célestes esprits chantaient ainsi à l'entour de Marie, elle, fille si humble de la terre qu'elle voyait alors comme un point dans l'espace, elle répétait son cantique, elle disait : « Glorifie, glorifie le Seigneur, ô mon âme! et adore la bonté de Dieu, mon Sauveur. Il a regardé avec complaisance l'humilité de sa servante, et voilà que toutes les nations, dans tous les âges, m'appelleront bienheureuse!»
Oh ! que le Tout-Puissant, dont le nom est trois fois saint, a opéré de grandes choses en moi ! Sa miséricorde s'étend de générations en générations sur tous ceux qui le craignent. Il a déployé la puissance de son bras, il a renversé les puissants de leurs trônes, il a exalté les humbles. Il a comblé de biens ceux qui étaient pauvres, et ceux qui n'avaient rien, il les a faits riches. Et il a fait toutes ces choses en se souvenant de sa promesses à Abraham et à Isaac.»
La fête de l'Assomption a été appelée pendant quelque temps : déposition, repos, sommeil, dormition. Déposition des restes sacrés de la bienheureuse Vierge au cercueil, et dormition pour indiquer que la mort de la Mère de Dieu n'avait été qu'un court sommeil, quelques instants de repos. On ne peut préciser l'époque de l'institution de cette belle solennité on n'en trouve pas de vestige bien évident avant le concile d'Éphèse ; mais la persuasion où l'on était de posséder son tombeau dans cette ville, semble insinuer que la fête qu'on y célébrait déjà était celle de la commémoration de la mort de la Sainte Vierge et de son entrée dans le ciel; on croit même que la grande église d'Éphèse fut bâtie en son honneur.
Le concile ayant assuré la glorieuse qualité de mère de Dieu à Marie, contre l'hérésie des nestoriens, donna beaucoup d'autorité et d'étendue au culte que lui rendaient déjà les
fidèles. On se mit à bâtir des temples en son nom, à Constantinople et dans les autres villes de l'empire, et dès le siècle suivant, qui était le sixième de l'Église, on commença à distinguer la fête de l'Assomption d'avec les autres fêtes instituées à sa gloire.
Pour une vie si pleine d'humilité, si remplie de vertus, au gré des chrétiens ce n'eût point été assez qu'une seule fête en l'honneur de Marie. Dans leur ferveur envers elle, ils prirent différentes époques de sa vie : l'annonciation, sa nativité, sa présentation au temple, sa conception, sa visite à sa parente Élisabeth, ses douleurs lors de la passion de son divin Fils, son ravissement dans les deux, et en firent autant de saintes journées consacrées à sa gloire.
Plus tard, ils pensèrent que ce n'était point encore assez que toutes ces fêtes répandues sur le cours de l'année, et ils voulurent faire descendre trois fois chaque jour, sur les villes et sur les campagnes, le souvenir de la salutation angélique. Quand le matin se lève, quand le soleil de midi rayonne, quand les ombres du soir commencent à s'abaisser sur la terre, l'Angélus sonne et fait penser à Marie pleine de grâce, à la servante du Seigneur, et à la miraculeuse conception.
Parcourez l'Europe entière , arrêtez-vous devant les antiques monuments, interrogez-les, demandez ce qui les a fait sortir de terre avec toutes leurs merveilles, et une voix s'élèvera, et des pierres, et de la tradition, et des annales des peuples, pour vous répondre : Le culte de Marie! Oui, c'est ce culte touchant qui a paré le monde catholique de tant de magnifiques églises, de tant de riches abbayes, de tant d'hôpitaux, de tant de poétiques souvenirs. Sans sortir de notre France, autrefois si chrétienne, voyez que de basiliques, que de chapelles, que d'hospices sous l'invocation de Notre-Dame, et quelles douces appellations à la Vierge divine!
Ici, c'est Notre-Dame-de-Bon-Secours ; là, Notre-Dame-de-Pitié ; plus loin, Notre-Dame-de-Toutes-Joies; dans un autre lieu, c'est Notre-Dame-de-Toutes-Aides ; près des hôpitaux, Notre- Dame-des-Sept-Douleurs; là où l'on s'est battu, Notre- Dame-des-Victoires ; au fond d'un vallon, Notre-Dame de- la-Paix; sur la montagne, Notre Dame-de- Grâce ; près des flots, Notre-Dame-de-Bon-Port ; et puis Notre-Dame-de-la-Délivrance, Notre-Dame-des-Neiges, Notre-Dame -des-Rochers , Notre- Dame- des- Lis, Notre-Dame-de-la-Garde et Notre-Dame-des-Anges.
On nous accuserait de chercher à surprendre l'oreille par de doux sons, si nous redisions ici tous les gracieux, tous les touchants titres de la patronne que s'étaient choisie nos pères ; aussi nous nous arrêtons. Les fils des Francs et des Gaulois, ces hommes de mouvement, de batailles et de conquêtes; nos ancêtres qui, pendant tant de siècles, s'en allèrent par le monde plaçant des rois sur tous les trônes, avaient mis leur bouillante valeur sous la protection d'une femme céleste. Toute couverte de la poussière et du sang des combats , la vieille France s'agenouillait devant les statues de Marie, et plaçait souvent l'image de la Vierge sur ses blancs étendards... En vérité, c'était noble spectacle que de voir ainsi la force et la vaillance honorer une mère et un enfant , et opposer ainsi ce que la terre a de plus terrible à ce que le ciel a de plus doux.
Combien de vœux faits à la Vierge par de grands et puissants rois! Louis IX, Philippe-Auguste, Louis XIV, ont ôté leur casque et leur couronne en passant devant les images de la Reine des anges, de la Servante du Seigneur. Louis surnommé le Juste a mis tout son royaume sous sa protection. La Vierge des hameaux a souvent protégé les palais, et nous avons vu des rois et des reines recevoir autant de consolation en priant devant la consolatrice des affligés, que de pauvres paysans en avaient trouvé en implorant la bonne Vierge dans l'humble chapelle du village.
Il fallait avoir été élevé au mépris des choses religieuses, pour voir d'un œil indifférent et avec un cœur sans émotion un roi de France accomplissant le vœu de Louis XIII ; le roi du peuple le plus fier et le plus vaillant, avec toutes les grandeurs et les magnificences de son royaume, marchant à la suite de la patronne du pays, à la suite de cette Vierge que Clovis avait priée avec Clotilde, que Louis IX , que Philippe-Auguste , que Louis XIV avaient invoquée.
Je me souviens avoir vu Charles X marchant à cette procession de l'Assomption ; ses fils et madame la Dauphine et madame duchesse de Berri étaient avec lui, à quelques pas derrière la statue de la Sainte Vierge. Le soleil répandait une vive lumière sur la foule pieuse , et dardait ses rayons sur le front découvert du roi , et sur les parures des princesses Je ne sais pourquoi la procession fit un temps d'arrêt devant la Conciergerie, et je vis la fille de Marie-Antoinette lever ses yeux rougis de pleurs , et regarder longuement les murs de la prison : puis, tout à coup, elle reporta ses regards vers l'image de la Vierge des douleurs, fit un signe de croix, et se remit à marcher avec le cortège.... Et pendant que la fille des rois avait eu les yeux attachés aux tristes murailles, toutes ses douleurs m'étaient revenues dans la mémoire, et je conçus sa fervente piété. Pour essuyer toutes ses larmes, c'était la main de Dieu qu'il fallait.
Au moment même où j'écris cette page , madame la Dauphine répand encore des pleurs bien amers ; dans l'exil, elle vient de perdre un second père, le frère de Louis XVI ; et ce n'est point dans les caveaux de famille , ce n'est point près de son fils que Charles X va dormir son sommeil ; c'est de la terre étrangère qui va retomber sur son cercueil ! , . . Oh ! cette terre m'est lourde sur le cœur et oppresse ma pensée !
La dévotion à Marie se lie à l'histoire du monde ; on voit chaque nation tour à tour, ou toutes ensemble, implorer sa puissante protection. La journée de Lépante sera une éclatante preuve de la protection de la Mère de Dieu en faveur de ceux qui l'invoquent avec confiance. Il y avait près d'un siècle que les Turcs jetaient la terreur dans toute la chrétienté par une continuité de victoires que Dieu permettait pour punir les péchés des chrétiens, et pour réveiller leur foi à demi éteinte. Sélim, fils et successeur de Soliman, empereur de Constantinople, s'étant rendu maître de l'île de Chypre, venait avec une puissante armée fondre sur les Vénitiens, et ne se promettait rien moins que la conquête de l'univers. Le saint pape Pie V, alarmé du danger que courait la chrétienté, s'unit aux Vénitiens et aux Espagnols pour repousser les efforts de cet ennemi commun. Quoique la partie ne fût pas égale, les chrétiens, s'appuyant sur la protection de la Sainte Vierge, ne doutèrent pas du succès de leur entreprise.
Dès le commencement de cette expédition, le pape ordonna des jeûnes et des prières publiques pour fléchir la justice divine. Toute l'Europe était en prières, les fidèles couraient en foule à Notre-Dame-de-Lorette, pour y implorer l'assistance du Ciel, par l'intercession de la Mère de Dieu.
Le saint pontife, en envoyant sa bénédiction au général don Juan d'Autriche, l'assura positivement de la victoire. Il lui ordonna en même temps de renvoyer tous les soldats qui ne semblaient animés que par l'espoir du pillage , ainsi que toutes les personnes dont les mœurs étaient déréglées, de peur que leurs crimes n'attirassent la colère divine sur l'armée. Pour lui, comme un autre Moïse, il ne cessait de lever les mains au ciel, et d'adresser à Dieu de ferventes prières pour attirer ses bénédictions sur les armes des chrétiens. Enfin , le 7 octobre 1571, les deux armées en vinrent aux mains dans le golfe de Lépante. Les Turcs chargèrent l'armée chrétienne avec fureur, et semblèrent d'abord remporter quelques avantages. Mais celui qui tient la victoire entre ses mains se déclara bientôt pour les chrétiens.
Les infidèles furent complétement défaits, et perdirent plus de trente mille hommes et presque tout le matériel de leur armée. Les chrétiens firent un butin immense, et mirent
en liberté quinze mille captifs qui étaient sur les vaisseaux des Mahométans. Le saint pape eut révélation de la victoire au moment même. Il était alors occupé à travailler avec les cardinaux; tout à coup il les quitte, ouvre la fenêtre, et, après avoir regardé le ciel quelques instants, il leur dit : « Il ne s'agit plus de parler d'affaires ; nous ne devons plus penser qu'à rendre grâce à Dieu pour la victoire qu'il vient d'accorder à l'armée chrétienne.»
Ce fait , tout extraordinaire qu'il est, a été attesté de la manière la plus authentique, et il est rapporté comme incontestable dans le procès de la canonisation du saint pape. Pie V était si persuadé que cette victoire était l'effet de la protection particulière de la Sainte Vierge, qu'il institua, à cette occasion, la fête de Notre-Dame-de-la-Victoire, qui fut ensuite transportée au premier dimanche d'octobre, par Grégoire XIII son successeur, sous le titre de fête du saint Rosaire. Ce fut aussi à cette occasion que Pie V inséra dans les litanies de la Sainte Vierge ces mots : «Auxilium christanorum, ora pro nobis; secours des chrétiens, priez pour nous. »
Ainsi cette Vierge dont l'humble image se trouve au-dessus de la porte de la chaumière, et que les femmes du hameau viennent prier pour que leur demeure et leur famille soient protégées ; cette bonne Vierge de la Fontaine et du Gros-Chêne, Marie est aussi invoquée par les pontifes, les empereurs, les rois, les généraux et leurs soldats ; et celle qui garde la cabane du laboureur fait aussi gagner les batailles et sauve les empires.
Si puissante protectrice doit voir le nombre de ses suppliants s'accroître dans les temps d'épreuves et de périls; aussi de nouvelles pratiques pieuses ont été établies depuis quelque temps. Le Mois de Marie a, je crois, une origine récente ; cette dévotion est pleine de charme et d'attraits religieux ; tout le mois de mai, le mois des fleurs, est consacré à la Reine des anges et des vierges. Pendant le mois le plus doux, le plus parfumé de l'année, les autels de Marie sont ornés de cierges et de bouquets sans nombre. Là , dans des sanctuaires tendus de blanches draperies, et décorés d'orangers et d'arbres verdoyants, les jeunes filles viennent chanter et prier ensemble; chaque matin la grand'messe est célébrée avec des ornements blancs, et chaque soir tous les cierges de la chapelle s'allument pour le salut.
A ces prières , à ces cantiques, sont mêlées des instructions qui enseignent la confiance dans la Sainte Vierge. Pour y exciter , les prêtres racontent les miracles opérés par elle , et la jeune et chaste assistance écoute , avec un grand recueillement et un vif attrait , ces histoires merveilleuses dites sous les voûtes saintes; et quand dans ces instructions les noms de Jésus et de Marie viennent à sortir de la bouche du missionnaire, toutes ces jeunes personnes inclinent leurs têtes voilées de blanc : alors on dirait un parterre tout planté de lys, dont les tiges et les fleurs se courbent sous le souffle du printemps ou sous le pieds d'un ange invisible.
27 – La fête de St-Louis Roi de France ( 25 août)
Voilà un vieux jour français, un jour qui revient chaque année avec les souvenirs de notre histoire et les pompes de la religion : les révolutions ont beau se succéder, s'accumuler les unes sur les autres, et vouloir étendre l'oubli de ce qui a existé avant elles; il y a des solennités qui demeurent immuables dans la pensée des hommes. En France, la fête de saint Louis est de ce nombre, et il faut savoir gré à notre pays, si oublieux de sa nature, d'avoir gardé le souvenir d'une de ses gloires. Aujourd'hui, sans doute, la fête du vaillant roi, du roi courageux dans les batailles et fort dans les fers , du roi qui donnait à son peuple de sages lois et de bons exemples, n'est plus célébrée dans les palais et dans les camps. Aujourd'hui, les soldats ne sont plus conduits dans nos églises pour y entendre raconter la glorieuse vie et les exploits du saint couronné ; mais dans les familles qui aiment le Dieu et les rois de nos pères, il y a toujours de la joie quand revient la Saint-Louis. ( Ce roi vivait en 13 eme siècle)
Ce nom a été trouvé si beau, qu'il a été donné à beaucoup de Français. De là, bien des fêtes, bien des bouquets, bien des vœux quand arrive le 25 août. Louis, neuvième du nom, dit un vieux chroniqueur, n'avait parfait que sa douzième année, quand son père trépassa. Pour tout homme, c'est grand malheur d'être délaissé si jeune ; mais pour prince qui doit monter au trône, c'est plus pitoyable encore, car, pour bien porter la couronne, il faut être fort ; et qui donne la force au fils, si ce n'est le père?
La reine de France, Blanche de Castille avec le jeune St-Louis
Mais Dieu, qui avait fait la belle âme de Louis, avait mis, pour la garder pure et la façonner aux grandes choses, une femme forte, une reine habile, auprès du prince : Blanche de Castille veillait sur son fils, et l'élèverait si chrétiennement, qu'elle lui disait : Mon fils, j'aimerais mieux vous voir mourir devant mes yeux que de vous voir offenser Dieu mortellement. Si précieuses semences de piété germèrent au cœur de Louis, et portèrent beaux et nombreux fruits de sainteté. Dès l'âge de vingt ans, le fils de Blanche était grave et appliqué aux devoirs de chrétien et de roi, simple et modeste dans ses habits, doux envers les hommes, humble envers Dieu, sévère envers les méchants, aumônier envers les nécessiteux, justicier envers tous, miséricordieux envers les pauvres malades.
Dès qu'il eut établi la soumission parmi les grands, et la paix dans le menu peuple, il ne pensa qu'à faire servir sa puissance à la gloire du Roi des rois; il abolit le duel et le blasphème, chassa les bateleurs ; il ne donnait jamais les bénéfices qu'à des hommes capables de les bien remplir, et il n'en conférait jamais un second qu'on n'eût renoncé au premier.
L'amour pour la justice était si fort en lui, qui partout où il passait il se faisait informer de tous dommages que lui et sa suite avaient pu causer; et quand étaient advenus des dégâts , ils étaient incontinent royalement réparés. Il bâtit un grand nombre de monastères et d'hôpitaux, et il allait souvent en ceux-ci visiter les malades et les servir de ses propres mains. Il mortifiait son corps par le cilice et par le jeûne, et joignait la continence à ces pratiques, dans les jours consacrés à la pénitence ou aux solennités.
Tous les jours, en quelque pays qu'il fût, plus de cent pauvres étaient nourris de sa table. Il fonda les abbayes de Royaumont, de Cîteaux, plusieurs maisons de frères mineurs et de frères prêcheurs, en divers lieux de son royaume; il augmenta les revenus de l'Hôtel-Dieu, et établit les hôpitaux de Compiègne et de Pontoise; il fonda aussi les Quinze- Vingts de Paris, où il assembla ce même nombre d'aveugles. Et, quand quelques-uns lui représentaient qu'il faisait de grandes dépenses pour toutes ces œuvres pies, il avait accoutumance de répondre : Puisqu'un roi doit dépenser, il vaut mieux que ce soit pour Dieu et le prochain que pour soi et la vanité.
Dieu, pour l'éprouver, lui ayant envoyé de grandes souffrances et grave maladie, Louis fit vœu de se croiser pour la délivrance du saint sépulcre; et dès que la santé lui fut revenue, il s'embarqua avec une puissante armée , laissant à la reine sa mère le soin de son royaume, et passa en Syrie. Lorsqu'il se vit en présence des Sarrasins, qui l'attendaient rangés, innombrables, sur le rivage, il se jeta à la mer, l'épée à la main, avec si grand courage, qu'il les mit en fuite, et, sans retardement, entra victorieux dans Damiette.
Mais la peste, comme alliée des infidèles, vint affaiblir l'armée française, et Louis, vaincu, fut fait prisonnier. Le Seigneur n'épargne point les tribulations à ses saints, car il sait
que leur gloire sortira de leur adversité. Le saint roi captif fut si plein de mansuétude, de force et de majesté, que les Sarrasins lui offrirent la couronne. N'est-ce pas là un triomphe à nul autre pareil?
Nous l'avouons, plus nous lisons l'histoire, plus nous nous appliquons à connaître les différents rois des temps passés, et plus nous admirons le grand caractère de saint Louis. Ce caractère est grandit par les siècles, pour être offert en modèle aux rois d'aujourd'hui, époque de faiblesse et d'égoïsme, où tant de nobles traditions sont mises en oubli. Nous conseillons aux condamnés à la couronne de reporter souvent leurs regards sur le fils de Blanche de Castille,
En étudiant ce type de l'ancienne royauté, ils apprendront autre chose qu'à prier Dieu. Et cependant, prier Dieu , c'est déjà beaucoup pour un roi ; car on prie Dieu autant par ses actions que par ses paroles. Or, l'homme qui, pour se rapprocher de la Divinité, pour paraître moins nu en sa présence, se revêt de bonnes œuvres, a déjà chance de faire un bon roi.
Dans un livre de prières, il y a toute une politique sacrée : pour être juste, pour ne rien retenir à autrui, pour donner l'exemple des bonnes mœurs, pour être sage, chaste, économe, doux envers les malheureux, ferme envers les méchants, on n'a qu'à se souvenir de son catéchisme ; toute la vie de l`homme de bien se trouve là : pour être bon roi, avant tout, il faut être homme de bien.
Louis IX était essentiellement homme de bien; son âme était pure et ardente, son cœur noble et compatissant, son caractère ferme et élevé. Ce qu'il aimait le plus, c'était la franchise; il avait en horreur le mensonge et l'hypocrisie. Et Joinville dit quelque part que le saint roi aimait à regarder face à face ceux qui avaient affaire à lui. En tout homme, l'hypocrisie et la fausseté sont choses bien méprisables; mais, avec la corruption qui existe par le monde , on conçoit que la faiblesse y recoure quelquefois pour arriver à ses fins. L'hypocrisie, c'est le vice des faibles.
Les enfants mentent parce qu'ils ont peur d'être grondés. Mais, quand on est fort et puissant, l'hypocrisie et le mensonge se conçoivent plus difficilement, et pour que ces vices ignobles, ces deux péchés d`en bas, se trouvent au cœur d'un prince, il faut que ce cœur soit bien corrompu.
En étudiant saint Louis, on prend une grande haine, un profond mépris pour toute félonie, pour tout mensonge, pour tout roi qui rougit du Christ. Pour être homme de bien, il faut avoir le courage de son opinion. Car il est vil de ne pas confesser ce que l'on croit, de ne pas défendre ce que l'on aime. Or, Louis IX était chrétien fervent, il aimait la croix avec l'ardeur et l'amour d'un chevalier; et si quelque politique de son temps était venu lui conseiller de cacher au dedans de lui cette ardeur religieuse ; lui dire que, pour garder sa couronne, il fallait en quelque sorte renier la croix; Louis , d'ordinaire si plein de douceur et de mansuétude, serait entré dans une grande et sainte colère, et aurait à jamais banni de sa présence le méchant conseiller.
Oh! saint Louis était homme à briser sa couronne plutôt que de la porter avec une souillure ! Mais pour bien louer le plus grand roi des siècles passés, laissons parler le plus grand écrivain du siècle présent. Voici comment M. de Chateaubriand raconte les derniers moments de saint Louis.
Du sommet de Byrsa, l'œil embrasse les ruines de Carthage, qui sont plus nombreuses qu'on ne le pense généralement. Elles ressemblent à celles de Sparte; n'ayant rien de bien conservé, mais occupant un espace considérable. Je les vis au mois de février; les figuiers, les oliviers, les caroubiers, donnaient déjà leurs premières feuilles ; de grandes angéliques et des acanthes formaient des touffes de verdure parmi les débris de marbres de toutes couleurs. Au loin, je promenais mes regards sur l'isthme, sur une double mer, sur des îles lointaines, sur une campagne riante, sur des lacs bleuâtres, sur des montagnes azurées; je découvrais des forêts de vaisseaux, des aqueducs, des villages maures, des ermitages mahométans, les minarets et les maisons blanches de Tunis.
Des milliers de sansonnets réunis eu bataillons, et ressemblant à des nuages, volaient au-dessus de ma tête; environné des plus grands et des plus touchants souvenirs, je pensais à Didon, à Sophonisbe, à la noble épouse d'Asdrubal ; je contemplais les vastes plaines où sont ensevelies les légions d'Annibal, de Scipion et de César; mes yeux voulaient reconnaître l'emplacement d'Utique; hélas! les débris du palais de Tibère existent encore à Caprée, et l'on cherche en vain à Utique la place de la maison de Caton ! Enfin, les terribles Vandales, les légers Maures, passaient tour à tour devant ma mémoire, qui m'offrait, pour dernier tableau, saint Louis expirant sur les ruines de Carthage. Que le récit de la mort de ce prince termine cet itinéraire ; heureux de rentrer, pour ainsi dire, dans ma patrie par un antique monument de ses vertus, et de finir au tombeau du saint roi ce long pèlerinage aux tombeaux des grands hommes !
Lorsque saint Louis entreprit son second voyage d'outre-mer, il n'était plus jeune; sa santé affaiblie ne lui permettait ni de rester longtemps à cheval, ni de soutenir le poids d'une armure; mais Louis n'avait rien perdu de sa vigueur d'âme. Il assemble à Paris les grands du royaume, leur fait la peinture des malheurs de la Palestine, et leur déclare qu'il est résolu d'aller au secours de ses frères les chrétiens; en même temps, il reçoit la croix des mains du légat, et la donne à ses trois fils aînés.
Une foule de seigneurs se croisant avec lui, les rois de l'Europe se préparent à prendre la bannière : Charles le Sicile, Edward d'Angleterre, Gaston de Béarn, les rois de Navarre et d'Aragon. Les femmes montrèrent le même zèle : la dame de Poitiers, la comtesse de Bretagne, Yolande de Bourgogne, Jeanne de Toulon, Isabelle de France, Amélie de Courtenay, quittèrent la quenouille que filaient alors les reines, et suivirent leurs maris outre-mer.
Saint Louis fit son testament ; il laissa à Agnès , la plus jeune de ses filles, dix mille francs pour se marier, et quatre mille francs à la reine Marguerite; il nomma ensuite deux régents du royaume : Mathila, abbé de Saint-Denis, et Simon, sire de Nesle; après quoi il alla prendre l'oriflamme. Cette bannière que l'on commence à voir dans nos armées sous le règne de Louis le Gros, était un étendard de soie attaché au bout d'une lance ; il était d'un vermeil samit, à guise de gonfanon à trois queues; il avait autour des houppes de soie verte ; on le déposait en temps de paix sur l'autel de Saint-Denis, parmi les tombeaux des rois, comme pour avertir que de race en race les Français étaient fidèles à Dieu, au prince, à l'honneur. Saint Louis prit cette bannière des mains de l'abbé, selon l'usage.
Il reçut en même temps l'escarcelle du voyage et le bourdon du pèlerin, que l'on appelait la consolation et la marque du voyage ; coutume si ancienne dans la monarchie, que
Charlemagne fut enterré avec l'escarcelle d'or qu'il avait coutume de porter en Italie. Louis pria au tombeau des martyrs et mit son royaume sous la protection du patron
de la France. Le lendemain de cette cérémonie, il se rendit pieds nus, avec ses fils, du Palais-de-Justice à l'église de Notre-Dame. Le soir du même jour, il partit pour
Vincennes, où il fit ses adieux à la reine Marguerite, gentille, bonne reine, pleine de grande simplesse, dit Robert de Sainceriaux ; ensuite il quitta pour jamais ses vieux
chênes, vénérables témoins de sa justice et de sa vertu.
Déjà les comtes de Nemours, de Montmorency et de Vendôme n'étaient plus ; le roi avait vu mourir dans ses bras son fils chéri, le duc de Nevers. Il se sentit lui-même frappé, et s'aperçut dès le premier moment que le coup était mortel, que ce coup abattrait facilement un corps usé par la fatigue de la guerre, par les soucis du trône, et par les veilles religieuses et royales qu'il consacrait à son Dieu et à son peuple.
Il tâcha néanmoins de dissimuler son mal et de cacher la douleur qu'il ressentait de la perte de son fils. On le voyait, la mort sur le front, visiter les hôpitaux, comme un de ces pères de la Merci consacrés dans les mêmes lieux à la rédemption des captifs et au salut des pestiférés ; des œuvres du saint, il passait aux devoirs du roi, veillait à la sûreté du camp, montrait à l'ennemi un visage intrépide ; ou , assis devant sa tente, rendait la justice à ses sujets comme sous le chêne de Vincennes.
La maladie faisant des progrès, Louis demanda l'extrême-onction ; il répondit aux prières des agonisants avec une voix aussi ferme que s'il avait donné des ordres sur un champ de bataille; il se mit à genoux au pied de son lit pour recevoir le saint viatique, et on fut obligé de soutenir par les bras ce nouveau saint Jérôme , dans cette dernière communion ; depuis ce moment, il mit fin aux pensées de la terre, et se crut acquitté envers ses peuples. Eh! quel monarque avait mieux rempli ses devoirs? Sa charité s'étendit alors à tous les hommes. Il pria pour les infidèles, qui firent à la fois la gloire et le malheur de sa vie; il invoqua les saints patrons de la France, de cette France si chère à son âme royale.
Le lundi 25 août, sentant que sa fin approchait, il se fit coucher sur un lit de cendres, où il demeura les bras croisés sur sa poitrine et les yeux levés vers le ciel. On n'a vu qu'une fois et l'on ne reverra jamais un pareil spectacle ; la flotte du roi de Sicile se montrait à l'horizon ; la campagne et les collines étaient couvertes de l'armée des Maures ; au milieu des débris de Carthage, le camp des chrétiens offrait l'image de la plus affreuse douleur, aucun bruit ne s'y faisait entendre ; les soldats moribonds sortaient des hôpitaux, et se traînaient à travers les ruines pour s'approcher de leur roi expirant.
Louis était entouré de sa famille en larmes, des princes consternés, des princesses défaillantes. Les députés de l'empereur de Constantinople se trouvaient présents à cette scène ; ils purent raconter à la Grèce la merveille d'un trépas que Socrate aurait admiré. Du lit de cendres où saint Louis rendait le dernier soupir, on découvrait le rivage d'Utique ; chacun pouvait faire la comparaison de la mort du philosophe stoïcien et du philosophe chrétien ; plus heureux que Caton , saint Louis ne fut point obligé de lire un traité sur l'immortalité de l'âme pour se convaincre de l'existence d'une vie future ; il en trouvait la preuve invincible dans sa religion, ses vertus et ses malheurs.
Enfin , vers les trois heures de l'après-midi, le roi , jetant un grand soupir, prononça distinctement ces paroles : « Seigneur, j'entrerai dans votre maison, et je vous adorerai dans votre saint temple. » Et son âme s'envola dans le saint temple, où elle était digne d'adorer. Nous lisons dans le Traité des Fêtes : Le corps du saint roi demeura exposé sous le pavillon jusqu'à ce que son fils, le roi Philippe, fût reconnu, et qu'il eût reçu les hommages accoutumés. Comme les Européens n'avaient pas alors le secret d'embaumer les corps pour les conserver, on fit bouillir celui de saint Louis dans du vin, de l'eau et des aromates , pour séparer ainsi les chairs d'avec les os ; les os furent mis avec le cœur dans une caisse fort riche ; et Charles d'Anjou , roi de Sicile , fit tant d'instances auprès du nouveau roi, son neveu, qu'il obtint la permission de transporter les chairs et les entrailles à Palerme, où il les fit inhumer, avec grande solennité, dans l'abbaye de Montréal, à une lieue de la ville.
On y éleva d'abord un monument de marbre, auquel on joignit bientôt un autel , lorsque Dieu eut fait éclater la sainteté de ces reliques par plusieurs miracles. A l'égard de la châsse qui renfermait les os et le cœur, le roi Philippe le Hardi porta ces précieux restes on France; ils furent d'abord déposés dans l'église de Notre-Dame de Paris, et ensuite, en grand et magnifique cérémonial, on les transporta à la royale abbaye de Saint-Denis.
Le roi St-Louis lavant les pieds des pauvres le Jeudi saint
En fils respectueux, et pour honorer la mémoire du saint, le roi Philippe porta lui-même le corps de son père sur ses épaules, et, à chaque station qu'il fit sur la voie, furent élevées des croix pour marquer les endroits de ses repos. Les os de saint Louis furent déposés près de ceux de son père, Louis VIII, dans un tombeau de pierre que la piété a depuis grandement enrichi. La célébration de la fête de saint Louis date de l'année 1297, sous le pape Boniface VIII. Depuis ce temps elle est restée une des plus saintes journées de la France: la religion, la chevalerie, le trône et la patrie, y trouvent de grands souvenirs.
Dernière édition par MichelT le Sam 10 Fév 2018 - 14:41, édité 9 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
28 – La Nativité de la St-Vierge ( 8 septembre)
Depuis le péché d'Adam , et par suite de ce péché, depuis la malédiction qui alors tomba sur l'homme et sur toute sa postérité, la naissance des enfants d'Ève n'est plus que leur entrée dans une vallée de larmes, dans une terre de misère, dans une région de douleurs, de ténèbres et de mort.
Aussi l'Église catholique, cette inspirée de Dieu, n'a pour la naissance temporelle ni cérémonies saintes, ni accents d'allégresse, ni cantiques de joie. Pour elle, la vraie naissance c'est celle du baptême, celle qui nous fait enfants de Dieu, membres du Christ et héritiers du ciel , c'est celle par laquelle nous passons de la mort du péché à la vie de la grâce. C'est encore celle par laquelle les saints, sortant de ce monde, entrent dans la vie véritable, dans cette vie sans fin où il n'y aura plus ni souffrances, ni mort.
Le dernier soupir du juste, le jour pour lui si beau où, secouant les chaînes de notre mortalité, il s'élance dans le sein de Dieu, voilà ce que l'Église appelle son jour natal, natalis, le jour de sa naissance à l'éternelle vie des cieux, le jour de son entrée dans la sainte Sion, dans la cité permanente. Et voilà aussi pourquoi elle n'honore généralement dans la vie des saints que le jour de leur mort.
Cependant, trois fois chaque année elle nous appelle près d'un berceau; mais, hâtons-nous de dire que ces berceaux autour desquels la joie nous réunit, le péché ne les souille point, le démon (l`ange déchu) n'y fait point sentir son souffle empoisonné. A Noël, dans la saison des neiges, des glaces et des souffrances du pauvre, c'est auprès du berceau divin de l`étable de Bethléem, près du berceau de l'Emmanuel Fils de Dieu dans l'éternité, et fils de l'homme dans le temps, que l'Église rassemble la multitude de ses enfants.
Plus tard, dans les plus longs jours de l'été, quand les moissons sont déjà jaunies par l'été, quand elles tombent déjà sous le tranchant de la faucille, les cloches retentissent ; c'est la nativité de Jean le précurseur, du prophète, de l'ange du nouveau Testament, du plus grand des enfants des femmes, de celui dont Dieu a fait dire qu'un jour la multitude se réjouira de sa naissance.
Aujourd'hui que l'été a dépouillé nos champs et séché les feuilles de nos arbres, au moment où la vigne va nous donner son fruit, et que la Providence fait mûrir sur nos coteaux le vin du sacrifice, les cloches s'agitent encore, et c'est encore une naissance que notre foi va honorer, c'est celle de Marie, celle de l'enfant incomparable que Dieu destine à devenir la mère du Saint des saints. Mais auprès du berceau de ce saint par excellence, si je vois de la pauvreté, de l'abandon, du dénuement, je vois aussi de pieux bergers en adoration, je vois des anges environnés d'un éclat tout céleste, je vois des rois, des mages venus de l'Orient avec l'or, l'encens et la myrrhe.
Près du berceau de Jean-Baptiste se groupent à la fois et un archange qui est un des esprits assistants devant Dieu, et un saint Zacharie de la race d'Abia, la plus excellente des races lévitiques, et une sainte Élisabeth de la tribu d'Aaron, aussi distinguée, dans la tribu de Lévi que la tribu de Lévi était elle-même élevée parmi les tribus d'Israël.
L'apparition soudaine de l'ange Gabriel au côté droit de l'autel, alors que Zacharie exerçait la plus pure des fonctions sacerdotales en faisant brûler l'encens sur l'autel des parfums, l'émotion de tout un peuple qui attend avec anxiété, avec inquiétude, que le sacrificateur ait achevé son auguste et sacré ministère, le trouble dont est saisi Zacharie à la vue de l'ange, les promesses de cet ange, les hautes et sublimes destinées réservées au fils qu'il annonce, la punition du vieillard qui perd l'usage de la parole, et qui reste muet parce qu'il n'avait pas sur-le-champ ajouté foi à ce que lui annonçait le messager de Dieu, la conception miraculeuse d'une femme âgée et regardée généralement comme stérile, le tressaillement de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère à la voix de Marie, l'affluence des voisins, des parents, qui accourent en foule pour recevoir dans leurs bras l'enfant d'Élisabeth, la joie, l'admiration et les exclamations de tous, les cris : Que pensez-vous que sera cet enfant, car la main du Seigneur est visiblement avec lui, le miracle qui rend soudainement à Zacharie et la parole et l'ouïe, et le cantique de ce sacrificateur touchant le règne du Christ, qui déjà était venu, et qui bientôt allait paraître ; toutes ces circonstances extraordinaires, merveilleuses , relèvent, rehaussent et ennoblissent singulièrement le berceau et la naissance de saint Jean.
Mais, rien de tout cela ne se voit à la naissance de Marie. Elle a été, il est vrai, annoncée dès le commencement comme devant écraser la tête du serpent; elle a été, il est vrai, figurée en mille manières. Ève, Sara, Débora, Judith, Esther, la mère de Salomon, l'épouse des Cantiques, et l'arche d'alliance faite d'un bois incorruptible et revêtue d'un or pur au dedans et au dehors, et la colombe de Noé portant le rameau d'olivier, symbole de la paix et de la fin du déluge, et le buisson ardent qui brûle sans se consumer, et le faible et léger nuage qui, petit dans le principe comme le pied d'un homme, produit ensuite une grande pluie ; toutes ces figures, et beaucoup d'autres, étaient l'annonce et l'emblème de la Vierge à laquelle était réservé l'honneur de concevoir et d'enfanter sans cesser d'être vierge.
St-Anne et St-Joachim a la naissance de la St-Vierge Marie
Oui , s'écrie avec son esprit et sa grâce accoutumée l'éloquent abbé de Clairvaux, « c'est elle que figurait cette verge sacerdotale d'Aaron qui fleurit sans avoir de racines, cette toison de Gédéon que la rosée trempa seule au milieu d'une aire sèche, cette porte orientale que vit Ézéchiel et qui jamais n'avait été ouverte pour personne. C'est elle enfin qu'Isaïe surtout annonçait tantôt comme le rejeton qui devait sortir de la tige de Jessé, tantôt et plus clairement encore comme la vierge qui devait enfanter.»
L'Ancien Testament est plein d'elle! et pourtant, quand elle paraît, rien de plus caché que son berceau, rien de plus obscur que sa naissance, rien de plus inconnu que le jour, que le lieu où elle vint au monde. Aucune des circonstances qui accompagnèrent sa naissance ne nous a été révélée. Le nom même de ses parents ne nous est pas certainement connu.
L'Évangile se tait sur eux. Et pourquoi ce silence ? pourquoi cette mystérieuse obscurité? Ah ! c'est qu'il entrait dans les desseins adorables de Dieu que tout fût humble, modeste dans la naissance, dans la vie comme dans la mort de Marie. On ne la voit paraître dans l'histoire évangélique que là ou elle est en rapport direct et immédiat avec le Christ, dans l'incarnation, dans la Visitation, dans la naissance du Sauveur, dans la fuite en Égypte, à Cana et sur le Calvaire.
C'était une fleur qui ne devait s'épanouir qu'à l'ombre, une perle qui devait être déposée sur notre terre sans que les hommes sussent ni par qui ni comment, un astre qui ne devait se faire apercevoir, briller et resplendir, que lorsqu'il serait mis en rapport avec le soleil. Dans cette existence à part, tout est grand et tout est humble.
Et pourtant nous entendons l'Église s'écrier aujourd'hui : Quelle est celte enfant qui s'avance radieuse comme l'aurore naissante, belle comme la lune, éblouissante comme le soleil , terrible et redoutable comme une armée en bataille? Mais cette beauté, cette force, sont tout intérieures.
L'éclat de la fille du Roi est tout entier dans les vertus, dans les grâces qui ornent son âme. Rien de plus poétique que les noms que l'Église donne à la Vierge, rien de plus ingénieux que les emblèmes sous lesquels l'Église envisage, honore et salue la Vierge. Dans le style de la liturgie, qui est celui de la Bible, Marie est le temple bâti en l'honneur du Très-Haut, le trône du sage Salomon, la ville de la vérité, la montagne sacrée, la montagne du Dieu des armées; Marie est le miroir de la justice, le siège de la sagesse, le vaisseau d'honneur et de choix; Marie est la rose mystique et le lis parmi les épines ; elle est aussi la tour d'ivoire, la maison d'or, l'étoile du matin et la porte du ciel.
Et, en effet, la Sainte Vierge est tout cela pour les chrétiens. Écoutons les chants de l'Église au jour de la Nativité de cette Vierge bien-aimée ; voici l'hymne du matin : Céleste aurore, mère et fille tout à la fois du Soleil de justice, qu'il est beau, qu'il est heureux pour nous le jour que votre naissance fait éclore !
« Ce divin Soleil vous revêt de sa lumière, la lune est sous vos pieds, et sur votre tête auguste brille une couronne de douze étoiles. Les chœurs des anges, tous les esprits bienheureux forment votre cortège, et l'Esprit saint par lequel vous devenez mère vous environne de toute sa divinité. Telle qu'une armée puissante, vous êtes, Vierge sainte, la terreur de nos ennemis, et Dieu, en vous couvrant de son ombre, vous rend formidable à tout l'enfer. Vous écrasez la tête du serpent qui nous avait infectés de son poison ; désormais sa rage est impuissante; il ne se relèvera pas du coup mortel dont vous l'avez, frappé. »
Et à la messe : « Qu'heureux est le jour de votre naissance, ô Vierge qui devez enfanter un Dieu sauveur! jour tant désiré de nos pères, tu brilles, enfin sur nous! Nous gémissions dans une nuit profonde. Voici l'aurore qui nous amène le vrai Soleil! 0 Marie! que tous les peuples vous proclament bienheureuse ! Qu'ils vous appellent l'arche de la nouvelle alliance; le temple que doit remplir toute la Divinité, la nouvelle Ève qui réparera avec avantage le mal que nous fit la première. Ève rendit ses enfants esclaves du démon ; par vous nous renaissons enfants de Dieu ; Ève fut la cause de notre mort, et vous nous donnez le salut. »
Il y a près de douze cents ans que cette fête se célèbre solennellement dans l'Église romaine, puisqu'en l`an 688 le pape Serge avait lui-même désigné les homélies et les litanies qu'on y devait dire, et qu'il la mit au nombre des quatre fêtes de la Vierge auxquelles il ordonnait que la procession des fidèles partirait de l'église de Saint-Adrien pour aller faire la station et l'office à celle de Sainte-Marie.
En France, la Nativité de la Sainte Vierge fut longtemps appelée Angevine, parce que la ville d'Angers fut une des premières du royaume qui la célébra. Les habitants de l'Anjou ont conservé une grande dévotion à la Sainte Vierge, et aucune loi, aucun concordat n'ont pu les empêcher de chômer ses fêtes ; dans l'Anjou, comme dans le Poitou, comme dans la Bretagne, les soldats des armées catholiques et royales allaient affronter les balles républicaines avec le sacré cœur de Jésus sur la poitrine et le chapelet au cou.
L'obligation de la chômer paraît aussi établie dès le dixième siècle en Angleterre, où elle s'est maintenue avec grande solennité jusqu'au temps du schisme. Les protestants l'ont retranchée de leur liturgie ; mais ils en ont retenu le nom dans leur calendrier réformé. En Orient, saint Jean de Damas disait dans le huitième siècle: « Peuples, accourez; accourez, hommes de tout âge, de toute langue, de toute condition et de tous les pays du monde. Célébrons tous avec joie l'heureux jour où commence notre félicité ; célébrons avec des transports d'amour la naissance de la Mère de Dieu qui, par son Fils, a procuré le rétablissement du genre humain Aujourd'hui naît une vierge qui sera la porte céleste par laquelle le Très-Haut, le Dieu-Homme entrera dans le monde. Aujourd'hui s'élève de la tige de Jessé un rejeton qui produira, par la vertu d'en haut, cette divine fleur qui sera le salut des hommes. »
Jetons donc, jetons des fleurs sur le berceau de Marie.... Et vous, belle fleur de Jessé, jetez, jetez à votre tour vos racines en nos coeurs : In electis mitte radices.
29 – La Fête des St-Anges ( 29 septembre)
Laissez votre esprit prendre son essor, laissez-le aller aussi haut qu'il est donné à l'âme humaine de s'élever : laissez-le sortir du cercle des temps, laissez-le franchir les limites des siècles, et s'élancer par-dessus tous les mondes pour se trouver face à face avec Dieu, avant la création ; et cet esprit, porté sur les ailes que la religion lui prête, verra Jéhovah, l'Éternel Seigneur, entouré d'ANGES, alors que ni la terre ni l'homme n'existaient encore.
Notre imagination ne peut se figurer Dieu seul assis dans son éternité ; et à ce Roi des siècles, à ce Tout-Puissant, à cet Éternel, nous voulons voir une cour dans les régions inconnues où il avait établi son trône avant que la matière eût été tirée du néant. Entre Dieu et l'homme, entre le ciel et la terre, la distance, la séparation eût été trop grande; il fallait, dans cet espace, des êtres intermédiaires, inférieurs à Dieu, mais supérieurs aux fils d'Adam. Ces êtres, ce sont les anges, serviteurs et messagers du Très-Haut.
Ces êtres célestes, d'une nature supérieure à la nôtre, devaient cependant prouver que toute créature est imparfaite, et que Dieu s'est réservé la perfection; eux ont péché avant l'homme ; admis tout près du Créateur, chargés de l'exécution de ses volontés, porteurs de ses ordres, ils se sont trop enorgueillis de leur origine; et, dans le
délire de leur superbe, aux instigations de Lucifer, le plus beau, le premier des anges, ils se sont révoltés.
Les anges rebelles chassés du Paradis
C'est de leur désobéissance que date l'enfer; avant elle, il n'existait pas de lieu de punition et de tourments, pas de région de larmes et de désespoir. C'est la colère du Tout-Puissant contre les anges rebelles qui a creusé l'abîme, et qui y a allumé le feu inextinguible.
Des anges déchus avec les damnés dans les enfers - source: L`Enfer de Dante
Si le ciel avait été sans rébellion, la terre eût été sans péché : car c'est un ange tombé qui est venu tenter Ève... Ève et Adam, innocents et purs, parés de leur beauté primitive, conversaient avec les messagers de Dieu. Et rien ne nous défend de croire que ces esprits qui approchaient du Créateur, qui en connaissaient la puissance, la bonté et la gloire, n'aient les premiers enseigné à l'homme l'excellence de Dieu.
Adam et Ève chassés du Paradis terrestre
On dispute, dit don Calmet, sur le temps de la création des anges ; les uns croient qu'ils ont été créés en même temps que le ciel, et que Moïse les a compris sous le nom de ciel , en disant : Au commencement Dieu créa le ciel; d'autres ont conjecturé qu'il avait voulu les exprimer sous le nom de la lumière, que Dieu créa le premier jour; d'autres, enfin, ont prétendu qu'ils avaient été créés avant le monde sensible, et Job semble favoriser cette opinion en disant: « Où étiez-vous quand je posai les fondements de la terre..., et que tous les enfants de Dieu étaient dans des transports de joie?»
Les Hébreux croient que Dieu créa ces esprits le second jour, et que ce sont les anges qu'il consulta quand il dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. Les Juifs cabalistes donnent pour précepteurs aux patriarches certains anges, qu'ils désignent par leurs noms.
Par exemple , ils disent que le précepteur d'Adam s'appelait Raziel; celui de Sem, Jéphiel; celui d'Abraham, Zédéckiel; celui d'Isaac, Raphaël; celui de Jacob, Séliel; celui de Joseph, Gabriel; celui de Moïse, Mêlatron ou Métator, comme qui dirait celui qui marque le camp; celui d'Elie, Malushiel; et celui de David, Cerviel.
De tous ces noms, nous n'en voyons que deux rapportés dans la sainte Bible : Raphaël, dont parle Tobie, et Gabriel, cité par Daniel. Ce prophète a aussi mentionné Michel; et dans le quatrième l'ivre d'Esdras, on trouve Uriel et Jérémiel. Dans le Nouveau Testament, nous ne lisons que deux noms d'archanges : Gabriel et Michel; Gabriel qui salue Marie pleine de grâce , et Michel qui terrasse Lucifer, et qui referme sur lui le puits de l'abîme.
Des prophètes qui ont eu des visions du ciel et qui en ont aperçu la gloire , nous disent que les neuf chœurs des anges se tiennent debout devant l'Éternel : Stantes ante thronum Dei. Saint Jean a vu des millions et des milliers de milliers d'esprits célestes chantant et adorant Dieu, prosternés autour de l'Agneau. Le Roi des rois , le Seigneur des seigneurs , a choisi dans ces milices du ciel des protecteurs pour chaque empire et pour chaque royaume de la terre.
Et, chose admirable! le petit enfant qui naît à son ange gardien , comme le puissant monarque ; tout ce qui a une âme rachetée par le sang de Jésus-Christ a droit à être gardé par un de ces esprits ailés. Le Créateur leur a dit : Vous veillerez sur les jours de l'homme qui espère en moi , vous le défendrez des flèches de l'ennemi, et vous détournerez les fléaux de sa demeure.
Dans les chemins mauvais de la vie, vous le porterez dans vos mains, pour que son pied ne heurte pas contre la pierre. Vous serez à côté de lui dans les batailles, et à côté de sa couche pendant la nuit, pour éloigner le démon qui rôde comme un loup dévorant , cherchant sa proie à dévorer.
Les anges sont employés là-haut à chanter les louanges de Dieu ; ici-bas à garder, à conduire les hommes. Au ciel , couronnés de fleurs, immortelles, vêtus de splendeur, rayonnant de gloire, ils tiennent leurs harpes d'or dans d'harmonieux concerts ; dans la vallée de larmes , amis invisibles, mais vigilants, ils sont sans cesse près de nous, et, par des paroles que la conscience seule entend, nous détournent des mauvais sentiers que Satan voudrait nous faire suivre.
Au ciel, ils sont à côté du trône du Tout-Puissant; sur la terre, à côté du berceau d'un nouveau-né, ou près du lit d'un chrétien qui meurt : car Dieu, qui leur a commandé de veiller sur l'enfant qui entre dans la vie, leur a aussi ordonné de lui ramener l'âme chrétienne qui part à la voix du prêtre.
Ces princes du céleste royaume ne sont pas seulement occupés à conduire chacun de nous à travers les mille écueils du monde ; mais encore, comme je l'écrivais tout à l'heure, il y a parmi eux de grands gardiens des empires, des archanges placés près des trônes par le Roi des rois, puissante: sentinelles qui veillent à la garde des États. Ainsi nous voyons, dans l'Écriture sainte, que Michel était le gardien d’Israël ; dans notre propre histoire, nous apprenons que la foi et la piété de nos devanciers ont mis la France sous la protection de l'archange vainqueur de Lucifer, et de nos jours nous avons eu la preuve que Michel protégeait toujours notre pays.
Et dans l'immensité, dans ces champs de l'infini qui détendent au-dessus de notre terre, les globes qui étincèlent la nuit comme les flambeaux du firmament, ces mondes inconnus de notre monde ont, n'en doutons pas de célestes conducteurs. Quand Dieu a des joies ou des calamités à annoncer aux hommes, ce sont les anges qui deviennent ses messagers. Et quand de grands repentirs crient vers le Seigneur, les anges deviennent aussi messagers des hommes, et ce sont eux qui portent nos prières et nos larmes aux pieds du Seigneur courroucé.
La mystérieuse échelle que Jacob a vue alors qu'il était endormi sur la pierre de Béthel n'a point été brisée; elle existe toujours avec ses milliers d'anges qui montent et qui descendent; ce chemin qui unit la terreau ciel, ce chemin de la prière n'est pas devenu infréquenté, et les yeux de la foi y voient toujours les envoyés de Dieu et les gardiens des hommes.
L'Église a fixé la fête de l'archange Michel et de tous les saints anges au 29 septembre. Voici ce que nous lisons dans un vieux livre sur cette solennité : Daniel, le prophète aimé de Dieu, est le premier qui ait vu le puissant chef des milices du ciel, arrivant à son secours pour combattre contre le prince des Perses. Saint Jude l'appelle archange. Saint Jean l'évangéliste décrit un combat entre Michel et le démon (l`ange déchu), et nous fait voir Satan terrassé par le céleste soldat du Seigneur.
Le nom de Michel signifie qui est comme Dieu. A l'égard de Gabriel, le même prophète Daniel nous apprend que cet ange vint à lui dans le temps qu'il cherchait l'intelligence d'une vision. Gabriel le toucha de sa main, et lui fit comprendre ce qu'il avait vu. Quatorze ans après, le même archange vola vers lui et lui expliqua les soixante-dix semaines d'années ( qui faisaient 490 ans), au bout desquelles devait paraître le Messie.
Quelque temps avant la naissance de saint Jean-Baptiste, Gabriel apparut au prêtre Zacharie et lui prédit que sa femme Élisabeth, quoique stérile, aurait un fils nommé Jean. Et il ajouta ces paroles : Je suis Gabriel, toujours présent devant Dieu.
Sept mois plus tard, le même envoyé de Dieu apparut à la vierge Marie, pour lui annoncer le grand mystère de l'incarnation. Quant à Raphaël, on lit dans le livre de Tobie que cet ange fut le conducteur de ce saint jeune homme dans le voyage qu'il avait entrepris par l'ordre de son père; il le garantit, dans le trajet, d'un monstrueux poisson, et lui fit épouser Sara; il lui enseigna les moyens de se préserver du démon de l`ange déchu), qui avait tué les premiers maris de Sara. De retour sous le toit du père de Tobie, il rendit la vue au vieillard, et, prêt à remonter au ciel, il dit à ses hôtes : Je suis Raphaël, un des sept qui veillent sans cesse devant le trône de l'éternel Seigneur.
Comme l'Écriture sainte nous fait comprendre qu'il y a des milliers d'anges, sans en nommer d'autres que Michel, Gabriel et Raphaël, l'Église a cru pouvoir distribuer par classes cette milice d'en haut, et elle en a fait neuf chœurs ou neuf ordres hiérarchiques, selon la dénomination qu'ils ont dans la Bible.
Les chérubins sont les premiers dont il est parlé; on voit, dans le livre de la Genèse, que Dieu mit des chérubins, armés d'une épée flamboyante, à l'entrée du Paradis terrestre , pour empêcher les fils d'Adam d'y rentrer. Dans le livre de l` Exode, le Seigneur fait mettre deux figures de chérubins sur l'arche d'alliance. Les séraphins sont nommés dans les visions d'Isaïe. C'est un de ces esprits qui vint toucher et purifier ses lèvres avec un charbon ardent.
Les trônes, les dominations, les puissances, les vertus, sont les divers noms de dignité dont l'apôtre saint Paul a caractérisé les esprits célestes, à raison de leurs différents ministères, et c'est particulièrement lors qu'il dit que Dieu, ressuscitant Jésus-Christ d'entre les morts, l'a fait asseoir à sa droite dans les cieux, bien au-dessus de toutes les puissances, de toutes les vertus et de toutes les dominations.
Les archanges sont le huitième ordre. Saint Paul, parlant du jugement dernier, dit que le signal de résurrection sera donné par la voix et par la trompette de l'archange, qui volera au-dessus de tous les tombeaux. Les anges composent la neuvième classe. Selon la sentiment commun, on croit que c'est de cet ordre que Dieu tire ceux qu'il commet à la garde de chacun de nous. Sur plusieurs points du monde, les hommes ont conservé le souvenir d'apparitions de l'archange Michel, et deux grands monuments, subsistants encore aujourd'hui, attestent les miraculeuses visions que les peuples ont eues de ce chef des cohortes du ciel.
Le château Saint-Ange à Rome, bâti vers l'an 610 par le pape Boniface IV, sur le môle Adrien, à l'endroit même où l'archange avait apparu, et l'abbaye du mont Saint-Michel, élevée sur un rocher qui sort des flots, près des côtes de Bretagne et de Normandie. Saint Aubert, évêque d'Avranches, homme d'une haute vertu, obtint une vision du grand archange, sur le rocher dont la tète s'élève au-dessus des vagues comme la tombe d'un géant, à l'endroit que de nombreux naufrages avaient fait nommer le Péril des mers.
Michel lui apparut, et désigna ce lieu comme lui étant agréable pour être vénéré. L'idolâtrie avait souillé ce roc : les druides y avaient fait couler le sang humain, et Jupiter y avait eu un temple ; il fallait que ce lieu fût purifié par la religion du Christ. Sigebert rapporte cette apparition à l'an 709. Saint Aubert, qui avait une dévotion particulière à l'archange vainqueur de Satan, se hâta de planter une croix de bois sur le rocher,..,, Bientôt une chapelle remplaça le simple signe du salut, et une magnifique abbaye succéda au modeste oratoire; de sorte qu'après quelques années, des voix de religieux mêlaient le chant des hymnes au bruit constant des flots qui frappaient la roche solitaire, et sur le faîte de l'édifice, bâti par des saints et gardé par des chevaliers, s'est vue pendant bien des siècles une colossale statue dorée de l'archange, avec ses ailes déployées, avec sa lance flamboyante, touchant du bout du pied le pinacle le plus élevé du monastère. La grande figure avait l'air de planer dans le ciel, et de bien loin les vaisseaux qui passaient dans ces parages saluaient Saint-Michel du péril de la mer.
Richard I, duc de Normandie, remplaça par des chanoines les ermites que saint Aubert avait fait venir prier sur le rocher ; puis, après ces chanoines, des moines de Saint-Benoît habitèrent la belle abbaye, merveille d'architecture, magnifique et sauvage retraite que les âmes élevées devaient aimer quand la religion et la chevalerie en avaient la garde
Le mont Saint-Michel a été longtemps le but de nombreux et illustres pèlerinages; plusieurs de nos rois y sont venus. Louis XI porta la dévotion plus loin que ses prédécesseurs, et y institua, en 1469, l'ordre de Saint-Michel, qui fut respecté en France comme le premier des ordres militaires jusqu'à l'institution de celui du Saint-Esprit, créé par le roi Henri III.
Les Grecs et les Orientaux font une fête particulière de saint Gabriel. Saint Raphaël est particulièrement honoré en Espagne. En France, les trois grands archanges ont leur fête confondue avec celle des autres esprits célestes. L'Église la célèbre le 29 septembre. De nos jours, saint Michel a fait voir qu'il avait pour agréable la journée qui lui est consacrée, et l'a marquée par un bienfait Oh ! que ce puissant patron de la France étende sa lance protectrice sur tous ceux qui sont nés le jour de sa fête , et qu'il soit en aide à ceux qui ont été mis sous son invocation !
30 – La Fête de St-Denis et ses compagnons Rustique et Éleuthère. (octobre)
Voilà des noms mêlés aux vieilles annales de France: la mémoire de ceux qui les ont portés sera éternelle, car si les archives du royaume perdaient les récits qui ont été faits de saint Denis, de sainte Geneviève et de saint Louis, leur histoire vivrait encore, parce que la religion s'est chargée de la perpétuer parmi les chrétiens.
Et quand il n'y a plus de livres, les traditions qu'elle a enseignées vont toujours. Les siècles , dans leurs tourmentes, dans leur incessante marche, dérangent, bouleversent et emportent des souvenirs historiques et profanes. Mais les annales sur lesquelles le catholicisme a mis la main ne sont point enlevées dans les tempêtes, ne sont point perdues dans la longue suite des âges : le sceau apposé par la religion à ces souvenirs les maintient perpétuels.
Il y a bien des noms de conquérants que la gloire a voulu garder, bien de puissants monarques qui ont fait de grandes choses et dont les peuples ne savent seulement pas les noms. Cependant, pour se perpétuer dans la mémoire de leurs nations, ces rois avaient élevé des monuments , et sur le marbre et le bronze avaient fait inscrire les faits et gestes de leurs règnes. Tout cela a été perdu, tandis que le souvenir de trois missionnaires envoyés de Rome pour prêcher la foi dans les Gaules est conservé et vivra toujours.
Dieu donne à ses saints quelque chose de son immortalité. C'est une opinion commune en France que parmi les missionnaires qui vinrent prêcher aux premiers Français la loi de Jésus-Christ, saint Denis fut celui qui porta le plus loin le flambeau de l'Évangile. Après avoir fait plusieurs éclatantes conversions sur sa route, après avoir prêché avec succès à Arles, il arriva à Paris, à la Lutèce, que les Romains avaient imprégnée de leurs vices et de leur idolâtrie.
Lutèce ( Paris) a l`époque Gallo-Romaine
Alors la ville française était loin de s'étendre comme elle fait de nos jours. En ce temps son enceinte était resserrée entre les deux bras de la Seine, et se bornait à cet espace nommé la Cité, C'est dans ce vieux cœur de Paris que la parole chrétienne s'est d'abord fait entendre Depuis, que de bruits divers ont retenti là où s'était élevée la voix de notre premier apôtre ! Et cependant ses paroles n'ont point été oubliées : le Dieu qu'il adorait, nous l'adorons, et là où il avait planté des croix de bois, se voient aujourd'hui des églises. Les enseignements et les miracles de Denis et de ses compagnons Rustique et Éleuthère ont été reproduits par de naïves sculptures, et la pierre s'est chargée, comme nos vieilles chroniques, de redire au peuple la vie et la mort des trois martyrs.
Denis savait le beau langage et de Rome et d'Athènes ; son éloquence était reconnue parmi les hommes de son temps. Mais ce n'est pas au miel de sa parole qu'il faut attribuer les nombreuses conversions qu'il opérait chaque jour. Non, l'éloquence humaine la plus fleurie, la plus étudiée, la plus habile, n'aurait pu persuader à nos ancêtres, fils des Francs et des Gaulois, qu'il valait mieux vivre en paix que de gagner des batailles; qu'il fallait être doux et humbles et savoir pardonner : les idées de fierté, de gloire, de rancune étaient trop enracinées dans les cœurs de nos rudes devanciers, pour qu'une voix humaine les en chassât. Il fallait pour rendre humbles les orgueilleux, pour rendre humains les cruels, il fallait la voix de Dieu. Dieu parla donc par la bouche de son apôtre.
Le nombre des chrétiens augmentant partout où Denis prêchait la nouvelle loi, les adorateurs de Jupiter et de Vénus, de Mars et d'Apollon, prirent ombrage du saint missionnaire et le firent arrêter, alors que Maximilien Hercule était empereur.
Denis, Rustique, Éleuthère, furent amenés devant le gouverneur Fescennius, que d'autres appellent Sisinnius.
« Sacrifiez à nos dieux immortels! leur cria le Romain.
— Nous adorons Jésus-Christ ; nous ne pouvons sacrifier à vos idoles.
— La mort vous attend si vous n'obéissez aux ordres de César.
— Nous désobéissons à César pour obéir à Dieu.
— Vous allez à l'instant être mis à mort.
— Nous allons à l'instant être reçus dans le ciel. »
St-Denis et ses compagnons arrêtés par les Romains.
Confessant ainsi Jésus-Christ, les trois apôtres furent jetés dans un cachot, et, selon une tradition, ce cachot est devenu une église et a été appelée, dans la suite des temps, Saint-Denis-de-la-Chartre. Après de longues tortures, le proconsul fit trancher la tête aux trois chrétiens, et ordonna que leurs corps, privés de sépulture, fussent abandonnés aux oiseaux du ciel et aux bêtes des bois qui vivent de cadavres. Mais une femme chrétienne, qui avait de l'or à répandre, trouva le moyen de s'emparer des corps des martyrs, et les fit enterrer à six milles de la ville, dans un village que l'ont croit être Saint-Denis-de-l' Estrée, et que l'on appelait alors Catheuil. Plus tard les chrétiens, à la voix d'une bergère renommée pour sa piété et qui paissait ses moutons dans les environs de Paris (sainte Geneviève), élevèrent une église à saint Denis et à ses compagnons sur le lieu même de sa sépulture. Cette église, où s'opéraient beaucoup de miracles, fut enrichie et ornée des largesses de Dagobert.
Martyre de St-Denis et de ses compagnons a Paris
Des extrémités du royaume, la foule chrétienne venait en pèlerinage à Saint-Denis. Dans les procès, on y venait aussi faire serment sur la châsse des saints pour déclarer la vérité que l'on ne pouvait découvrir par les voies ordinaires. Une fois un parjure osa lever la main sur les saintes reliques, et comme sa bouche jurait à faux, il tomba et mourut à l'instant dans d'affreuses souffrances. « Le tombeau du patron de la France, dit un historien, était décoré de choses très-riches et très-précieuses; l'or et les pierreries y reluisaient avec magnificence. »
Ce sépulcre était un monument bâti en forme de tour, ou plutôt un faisceau de tours. Saint Eloi prit plaisir à l'enrichir, et saint Ouen assure que de ses jours l'église aimée de Dagobert était une merveille de la terre, un vraie portrait du paradis. La piété de Dagobert fit exhumer les corps saints des trois martyrs et les fit transporter en grande et magnifique pompe à la nouvelle abbaye. Depuis cette translation des reliques de saint Denis et de ses glorieux compagnons, les murs de l'antique église ont vu bien de splendides cérémonies : à elle les grandeurs de la mort, à elle les royales funérailles! C'est à la garde du premier apôtre de la France que sont confiées les cendres des rois français.
Aujourd'hui, quand une capitale est menacée par l'ennemi, vous voyez une grande agitation autour du palais de la banque; on charge de lingots d'or et d'argent les chariots de l'État : le siècle emporte son Dieu. Autrefois , quand les nations barbares, quand les terribles Normands serraient de leur immense cercle de fer une cité chrétienne, alors il y avait aussi un grand émoi dans la ville ; mais c'était aux églises que le peuple effrayé se portait. Les trésors qu'il s'occupait, en ces moments de terreur, de soustraire à l'ennemi, c'étaient les reliques de ses saints, la châsse bénite du patron du pays : dans la pensée de la foule chrétienne, ce soin passait avant tous les autres.
En 859, dit un vieux moine chroniqueur, les hommes des épouvantements, les féroces Normands, vinrent faire leurs ravages en France ; la terre s'émut sous leurs
pieds et trembla. Alors les religieux de l'abbaye furent aussi saisis de crainte, et, prenant sur leur dos les reliques de leur saint patron, cheminèrent en grande hâte vers
Nogent-sur-Seine.
Les hommes du Nord, ayant pris goût au beau pays de France, revinrent en l'an de grâce 887, et derechef les reliquaires de l'abbaye furent emportés ; mais cette
fois, ce fut à la ville de Reims qu'ils furent donnés en garde.
Oh ! il y avait dans cet amour pour les choses sacrées des autels, dans cet empressement à les soustraire aux mains des profanateurs, quelque chose de touchant! Le
patron d'un pays devenait comme le père de tous, et pour racheter les ossements de leur protecteur, les chrétiens de ces temps primitifs auraient donné tout leur or.
Parmi les hommes de France qui vénéraient le plus saint Denis, il faut mettre avant tous les autres nos anciens rois. Ils venaient souvent avec les chevaliers et les grands de leur royaume s'agenouiller sur les dalles, au-dessus des caveaux où ils devaient dormir un jour; et quand une guerre éclatait, c'était à la royale abbaye qu'ils accouraient chercher l'oriflamme ; puis, après que Dieu avait béni leurs armes, c'était encore à l'autel de saint Denis qu'ils revenaient appendre l'étendard victorieux Et alors que le conquérant, vaincu à son tour par la mort, gisait dans les régions funèbres, deux choses se voyaient au-dessus de ses cendres : l'image du patron de la France, et la noble bannière qu'un ange avait apportée du ciel.
La fête de saint Denis a toujours été célébrée, dans le royaume très-chrétien, avec beaucoup de solennité; dans plusieurs diocèses, elle était chômée comme fête d'obligation. Aujourd'hui de grands changements sont survenus en toutes choses, et la face du monde a été renouvelée : des puissants sont tombés, des petits se sont élevés, des empires ont croulé, des États nouveaux ont surgi au soleil ; et dans la vieille église de Dagobert, c'est aujourd'hui comme par le passé : on y prie encore Saint-Denis, et sur les tombes restaurées des rois on chante toujours l'office des trépassés.
Cependant, il y a quarante ans, « il s'était élevé un vent de la colère autour de l'édifice de la mort. Les flots des peuples ont été poussés sur lui. Les majestés des tombeaux ont été outragées; des enfants ont été vus jouant avec les os des puissants monarques. Et sous la main des sacrilèges, et sous le marteau, la hache et les pics de fer, tout semblait détruit; mais dans le ciel, le patron que nos pères s'étaient choisi intercédait pour la France, et l'église mise sous son invocation a été relevée de ses ruines. Un grand guerrier a fait chercher, ramasser les cendres des rois que dans les jours de tourmente et de vertige on avait jetées à l'entour de la sainte abbaye.
Les débris d'ossements ont été remis sous le marbre et le granit des caveaux funéraires. Et aujourd'hui encore, au jour où j'écris cette page, il me semble voir saint Denis, quittant la glorieuse place qu`il occupe dans le ciel, se prosterner devant le trône de l'Éternel et demander à Dieu qu'un vieux roi, fils de saint Louis, mort sur la terre d'exil tout chargé d'années, de vertus et de malheurs, puisse venir dormir dans le royal enfeu de sa famille, entre ses frères et son fils. On le voit, des souvenirs de la patrie se rattachent au nom de l'apôtre des Gaules. Nos valeureux ancêtres avaient pris pour cri de guerre : MONTJOIE ET SAINT DENIS! Et les prêtres qui ont succédé aux religieux de la noble abbaye répètent aujourd'hui le même nom, en priant sur les tombes des reines et des rois.
31 – La Toussaint ( 1 novembre)
Voici venu le mois des vents et des tourmentes, le mois où le souffle précurseur de l'hiver emporte les feuilles des arbres, comme le temps a emporté nos beaux jours. Pendant le cours de l'année, la religion, de distance en distance, a répandu des fêtes parmi nos journées de travail, commodes repos, comme des oasis dans le désert, pour le chrétien fatigué. Pendant les mois écoulés, chaque mystère a eu sa solennité chaque saint sa commémoration.
La naissance du Sauveur, sa présentation au temple, sa circoncision, son épiphanie, sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension, ont été célébrées. La descente du Saint-Esprit, la Fête-Dieu, l'Annonciation, la Nativité, la Conception, la Visitation, l'Assomption de la Sainte Vierge, ont vu se succéder leurs anniversaires avec les mois qui se suivaient...
Musique chrétienne
Offertoire pour la Toussaint pour Harpe - Charles Camille Saint-Saëns
Eh bien! toutes ces journées consacrées et bénites ne sont point encore assez pour le catholicisme : il a voulu d'autres solennités que celles des mystères, et, après avoir cherché dans ses annales, après avoir passé en revue tous les mérites, toutes les vertus, toutes les souffrances des saints, il a mis chaque jour de l'année sous la protection spéciale d'un habitant du ciel; et comme l`année est loin d'avoir autant de jours que les cieux ont d'élus, il a couronné toutes les commémorations particulières par une commémoration générale.
Ainsi qu'une mère reine de tendresse, la religion a la Toussaint; réuni tous ses enfants pour les fêter ensemble devant le trône de Dieu; dans sa justice, elle amène devant le grand rémunérateur, et devant les hommages des hommes, tous ceux qui ont mérité gloire et récompense. En cette solennité de la Toussaint, l'Église qui est sur la terre donne la main à l'Église qui est au ciel; et la communion des saints qui jouissent de l'éternel bonheur et des justes qui y aspirent est révélée comme une grande consolation, comme un puissant encouragement.
Ceux qui habitent encore la vallée de larmes prennent courage en pensant que c'est à travers les chagrins et les pleurs que leurs devanciers sont parvenus au repos céleste, et ils se disent : Ils ont été comme nous, soyons comme eux. Pour bien parler de la fête de tous les saints, il faudrait pouvoir peindre leur gloire, leur félicité, leurs extases sans fin. Et comment faire? ce que l'œil n'a pas aperçu, ce que l'oreille n'a pas ouï, ce qui n'est jamais entré dans le cœur de l'homme, ne peut être décrit.
Tout ce que nous pouvons dire avec Bossuet, c'est que pour rendre les saints heureux Dieu n'emploiera pas sa puissance ordinaire ; il fera plus : il étendra son bras, il ne s'attachera plus à la nature des choses, il ne prendra plus loi que de sa puissance et de son amour ; il ira chercher dans le fond de l'âme l'endroit par où elle sera plus capable de félicité ; la joie y entrera avec abondance et l'inondera de délices.
Jacques Bénigne Bossuet évêque de Meaux en France (1698)
Les élus seront tellement embellis des présents de Dieu, qu'à peine l'éternité leur suffira-t-elle pour se reconnaître. Est-ce là ce corps autrefois sujet à tant d'infirmités? Est-ce là cette âme qui avait des facultés si bornées? Notre âme, dans cette chair mortelle, ne peut rien rencontrer qui la satisfasse ; elle est d'une humeur difficile, elle trouve à redire à tout. Quelle joie pour elle d'avoir enfin rencontré un bien infini, une beauté accomplie qui arrête à jamais toutes ses affections, sans que son ravissement puisse être troublé ou interrompu par le moindre désir!
Dieu est la lumière qui éclaire les saints ; Dieu est la gloire qui les environne ; Dieu est le plaisir qui les transporte; Dieu est la vie qui les anime; Dieu est l'éternité qui les établit dans un glorieux repos. Dans la céleste Jérusalem, il n'y aura pas d'erreur, parce qu'on y verra Dieu; il n'y aura pas de douleur, parce qu'on y jouira de Dieu ; il n'y aura pas de crainte ni d'inquiétude, parce qu'on y reposera en Dieu.
Fête de tous les Saints
J'entasserais bien d'autres citations du grand orateur, car Bossuet s'est plu à parler de la gloire des élus; mais je m'arrête, car je trouve qu'un des meilleurs moyens de faire concevoir les délices du ciel, c'est de montrer les misères de la terre. Là-haut, un océan de bonheur! ici-bas, quelques petites goutes de joie. Sur la terre, dit l'Ecclésiaste, on ne sourit qu`en tremblant. Ici-bas, nous pensons nous reposer, et cependant le temps nous enlève, et nous sommes la proie de notre propre durée.
Qui de nous ne désire pas le repos? Et celui qui agit dans sa maison, et celui qui travaille à la campagne, et celui qui navigue sur les mers, et celui qui négocie sur la terre, et celui qui sert dans les armées, et celui qui s'intrigue et s'empresse dans les cours : tous aspirent de loin au repos. Tout homme sensé se destine un lieu de retraite et de repos ; lieu qu'il regarde de loin comme un port dans lequel il se jettera quand il sera poussé par les vents contraires.
Mais cet asile que vous vous préparez contre la fortune est encore de son ressort ; et, si loin que vous étendiez votre prévoyance, jamais vous n'égalerai sa bizarreries ; vous penserez vous être muni d'un côté, la ruine vous viendra de l'autre ; vous aurez tout assuré aux environs, l'édifice fondra tout à coup par le fondement; si le fondement est solide, un coup de foudre viendra d'en haut qui renversera tout de fond en comble.
Je veux dire simplement, et sans figure, que les malheurs ici-bas nous assaillent et nous pénètrent par trop d'endroits, pour pouvoir être prévus et arrêtés de toutes parts. Il n'y a rien sur la terre où nous mettions notre appui, enfants, amis, dignités, emplois, qui non-seulement ne puisse manquer, mais encore ne puisse nous tourner en une amertume infinie ; et nous serions trop novices dans l'histoire de la vie humaine si nous avions encore besoin qu'on nous prouvât cette vérité.
Voilà comme Bossuet peignait devant Louis le Grand la misère du bonheur du monde, et il n'avait trouvé la terre si pauvre que parce qu'il venait de regarder la félicité des élus! Quand, d'un soleil radieux, vous reportez vos yeux sur les objets qui vous environnent, ils vous semblent tous obscurs.
L'Église, dans la solennité de la Toussaint, veut nous faire envier le ciel ; c'est donc bien, ce jour-là, de nous faire prendre en dégoût le lieu de notre exil. Nous n'aimons jamais tant la patrie que lorsque le bannissement nous est dur! Avant d'en venir à établir une fête commune à tous les saints, l'Église a eu des fêtes pour les différents ordres des habitants du ciel, soit dans le rang qu'ils tiennent là-haut, soit dans la condition qu'ils ont eue sur la terre.
Ainsi, l'Église orientale célèbre encore aujourd'hui la fête de tous les saints de l'Ancien Testament, c'est-à-dire de tous les justes qui ont précédé la venue du Messie. L'office s'en fait le dimanche qui précède Noël. Celle de tous les apôtres s'est faite longtemps le 1 mai ; la fête de tous les disciples, le 15 juillet. Celle de tous les martyrs a eu aussi son jour fixé. La solennité en honneur des pères du désert avait été établie le vendredi de la Quinquagésime.
Le premier qui fit solenniser, dans Rome, la fête de tous les saints, fut le pape Grégoire III, qui siégeait sur la chaire de saint Pierre en 731. Le pape Grégoire IV étant venu en France vers l'année 835, exhorta Louis le Débonnaire à faire célébrer la grande commémoration des saints par tous ses États, ce qui fut exécuté le 1" novembre. C'est depuis ce temps que la Toussaint est devenue la fête de l'automne, la fête qui clôt les beaux jours, la fête voisine de la mort.
Le roi de France Louis le Pieux ( le débonnaire) - vers l`an 835.
C'est ce jour-là, pendant que les vents sifflent autour des vieilles églises, et que les feuilles des forêts sont emportées par le souffle qui annonce l'hiver, que la religion, dans ses sanctuaires, chante cette hymne à tous les saints : Nous, mortels, nous nous assemblons avec joie pour chanter les palmes et les couronnes que vous avez gagnées, ô saints habitants du ciel , au prix de tant de luttes et de si rudes travaux ! Nous, revêtus de misères, nous vous célébrons, vous que le Tout-Puissant a revêtus de gloire. Nous, qui mangeons le pain du travail et des larmes, nous vous célébrons, vous qui ne vivez que d'amour et de vérité, et qui buvez dans des coupes d'or les eaux vives des sources sacrées Vous, qui étiez humbles sur la terre, nous vous voyons aujourd'hui mêlés aux saints vieillards qui mettent leurs diadèmes de gloire aux pieds du Roi des rois. 0 vous qui avez été nos frères, soyez-le encore dans le ciel ! Nous sommes pauvres, chétifs et vêtus de misère, et vous, vous portez des robes éclatantes, blanchies dans le sang de l'Agneau; mais ne détournez pas vos regards de vos frères d'ici-bas!
Quand les voûtes des cathédrales et des églises des hameaux entendent chanter ces poétiques paroles, les jours commencent à raccourcir et la nuit à descendre de bonne heure ; aussi le salut de la Toussaint se célébrerait dans les ombres, si ce n'était beaucoup de cierges qui brûlent sur l'autel.
La Toussaint en Pologne
La Toussaint est la dernière fête que l'on chôme dans les châteaux; après sa solennité, on pense à revenir dans les villes. Alors la campagne devient triste pour ceux qui n'aiment que la verdure, les fleurs et les ciels sans nuages. Alors les feuilles séchées tombent, tombent comme des illusions qui s'en vont. Alors de grandes rumeurs s'élèvent au milieu des nuits et font rêver tristement. Mais dans ce deuil il y a encore grand attrait pour les hommes qui ont vieilli et souffert. Les fêtes fleuries du printemps vont à la jeunesse ; notre fête, à nous, c'est celle qui touche à la journée des morts.
Depuis le péché d'Adam , et par suite de ce péché, depuis la malédiction qui alors tomba sur l'homme et sur toute sa postérité, la naissance des enfants d'Ève n'est plus que leur entrée dans une vallée de larmes, dans une terre de misère, dans une région de douleurs, de ténèbres et de mort.
Aussi l'Église catholique, cette inspirée de Dieu, n'a pour la naissance temporelle ni cérémonies saintes, ni accents d'allégresse, ni cantiques de joie. Pour elle, la vraie naissance c'est celle du baptême, celle qui nous fait enfants de Dieu, membres du Christ et héritiers du ciel , c'est celle par laquelle nous passons de la mort du péché à la vie de la grâce. C'est encore celle par laquelle les saints, sortant de ce monde, entrent dans la vie véritable, dans cette vie sans fin où il n'y aura plus ni souffrances, ni mort.
Le dernier soupir du juste, le jour pour lui si beau où, secouant les chaînes de notre mortalité, il s'élance dans le sein de Dieu, voilà ce que l'Église appelle son jour natal, natalis, le jour de sa naissance à l'éternelle vie des cieux, le jour de son entrée dans la sainte Sion, dans la cité permanente. Et voilà aussi pourquoi elle n'honore généralement dans la vie des saints que le jour de leur mort.
Cependant, trois fois chaque année elle nous appelle près d'un berceau; mais, hâtons-nous de dire que ces berceaux autour desquels la joie nous réunit, le péché ne les souille point, le démon (l`ange déchu) n'y fait point sentir son souffle empoisonné. A Noël, dans la saison des neiges, des glaces et des souffrances du pauvre, c'est auprès du berceau divin de l`étable de Bethléem, près du berceau de l'Emmanuel Fils de Dieu dans l'éternité, et fils de l'homme dans le temps, que l'Église rassemble la multitude de ses enfants.
Plus tard, dans les plus longs jours de l'été, quand les moissons sont déjà jaunies par l'été, quand elles tombent déjà sous le tranchant de la faucille, les cloches retentissent ; c'est la nativité de Jean le précurseur, du prophète, de l'ange du nouveau Testament, du plus grand des enfants des femmes, de celui dont Dieu a fait dire qu'un jour la multitude se réjouira de sa naissance.
Aujourd'hui que l'été a dépouillé nos champs et séché les feuilles de nos arbres, au moment où la vigne va nous donner son fruit, et que la Providence fait mûrir sur nos coteaux le vin du sacrifice, les cloches s'agitent encore, et c'est encore une naissance que notre foi va honorer, c'est celle de Marie, celle de l'enfant incomparable que Dieu destine à devenir la mère du Saint des saints. Mais auprès du berceau de ce saint par excellence, si je vois de la pauvreté, de l'abandon, du dénuement, je vois aussi de pieux bergers en adoration, je vois des anges environnés d'un éclat tout céleste, je vois des rois, des mages venus de l'Orient avec l'or, l'encens et la myrrhe.
Près du berceau de Jean-Baptiste se groupent à la fois et un archange qui est un des esprits assistants devant Dieu, et un saint Zacharie de la race d'Abia, la plus excellente des races lévitiques, et une sainte Élisabeth de la tribu d'Aaron, aussi distinguée, dans la tribu de Lévi que la tribu de Lévi était elle-même élevée parmi les tribus d'Israël.
L'apparition soudaine de l'ange Gabriel au côté droit de l'autel, alors que Zacharie exerçait la plus pure des fonctions sacerdotales en faisant brûler l'encens sur l'autel des parfums, l'émotion de tout un peuple qui attend avec anxiété, avec inquiétude, que le sacrificateur ait achevé son auguste et sacré ministère, le trouble dont est saisi Zacharie à la vue de l'ange, les promesses de cet ange, les hautes et sublimes destinées réservées au fils qu'il annonce, la punition du vieillard qui perd l'usage de la parole, et qui reste muet parce qu'il n'avait pas sur-le-champ ajouté foi à ce que lui annonçait le messager de Dieu, la conception miraculeuse d'une femme âgée et regardée généralement comme stérile, le tressaillement de Jean-Baptiste dans le sein de sa mère à la voix de Marie, l'affluence des voisins, des parents, qui accourent en foule pour recevoir dans leurs bras l'enfant d'Élisabeth, la joie, l'admiration et les exclamations de tous, les cris : Que pensez-vous que sera cet enfant, car la main du Seigneur est visiblement avec lui, le miracle qui rend soudainement à Zacharie et la parole et l'ouïe, et le cantique de ce sacrificateur touchant le règne du Christ, qui déjà était venu, et qui bientôt allait paraître ; toutes ces circonstances extraordinaires, merveilleuses , relèvent, rehaussent et ennoblissent singulièrement le berceau et la naissance de saint Jean.
Mais, rien de tout cela ne se voit à la naissance de Marie. Elle a été, il est vrai, annoncée dès le commencement comme devant écraser la tête du serpent; elle a été, il est vrai, figurée en mille manières. Ève, Sara, Débora, Judith, Esther, la mère de Salomon, l'épouse des Cantiques, et l'arche d'alliance faite d'un bois incorruptible et revêtue d'un or pur au dedans et au dehors, et la colombe de Noé portant le rameau d'olivier, symbole de la paix et de la fin du déluge, et le buisson ardent qui brûle sans se consumer, et le faible et léger nuage qui, petit dans le principe comme le pied d'un homme, produit ensuite une grande pluie ; toutes ces figures, et beaucoup d'autres, étaient l'annonce et l'emblème de la Vierge à laquelle était réservé l'honneur de concevoir et d'enfanter sans cesser d'être vierge.
St-Anne et St-Joachim a la naissance de la St-Vierge Marie
Oui , s'écrie avec son esprit et sa grâce accoutumée l'éloquent abbé de Clairvaux, « c'est elle que figurait cette verge sacerdotale d'Aaron qui fleurit sans avoir de racines, cette toison de Gédéon que la rosée trempa seule au milieu d'une aire sèche, cette porte orientale que vit Ézéchiel et qui jamais n'avait été ouverte pour personne. C'est elle enfin qu'Isaïe surtout annonçait tantôt comme le rejeton qui devait sortir de la tige de Jessé, tantôt et plus clairement encore comme la vierge qui devait enfanter.»
L'Ancien Testament est plein d'elle! et pourtant, quand elle paraît, rien de plus caché que son berceau, rien de plus obscur que sa naissance, rien de plus inconnu que le jour, que le lieu où elle vint au monde. Aucune des circonstances qui accompagnèrent sa naissance ne nous a été révélée. Le nom même de ses parents ne nous est pas certainement connu.
L'Évangile se tait sur eux. Et pourquoi ce silence ? pourquoi cette mystérieuse obscurité? Ah ! c'est qu'il entrait dans les desseins adorables de Dieu que tout fût humble, modeste dans la naissance, dans la vie comme dans la mort de Marie. On ne la voit paraître dans l'histoire évangélique que là ou elle est en rapport direct et immédiat avec le Christ, dans l'incarnation, dans la Visitation, dans la naissance du Sauveur, dans la fuite en Égypte, à Cana et sur le Calvaire.
C'était une fleur qui ne devait s'épanouir qu'à l'ombre, une perle qui devait être déposée sur notre terre sans que les hommes sussent ni par qui ni comment, un astre qui ne devait se faire apercevoir, briller et resplendir, que lorsqu'il serait mis en rapport avec le soleil. Dans cette existence à part, tout est grand et tout est humble.
Et pourtant nous entendons l'Église s'écrier aujourd'hui : Quelle est celte enfant qui s'avance radieuse comme l'aurore naissante, belle comme la lune, éblouissante comme le soleil , terrible et redoutable comme une armée en bataille? Mais cette beauté, cette force, sont tout intérieures.
L'éclat de la fille du Roi est tout entier dans les vertus, dans les grâces qui ornent son âme. Rien de plus poétique que les noms que l'Église donne à la Vierge, rien de plus ingénieux que les emblèmes sous lesquels l'Église envisage, honore et salue la Vierge. Dans le style de la liturgie, qui est celui de la Bible, Marie est le temple bâti en l'honneur du Très-Haut, le trône du sage Salomon, la ville de la vérité, la montagne sacrée, la montagne du Dieu des armées; Marie est le miroir de la justice, le siège de la sagesse, le vaisseau d'honneur et de choix; Marie est la rose mystique et le lis parmi les épines ; elle est aussi la tour d'ivoire, la maison d'or, l'étoile du matin et la porte du ciel.
Et, en effet, la Sainte Vierge est tout cela pour les chrétiens. Écoutons les chants de l'Église au jour de la Nativité de cette Vierge bien-aimée ; voici l'hymne du matin : Céleste aurore, mère et fille tout à la fois du Soleil de justice, qu'il est beau, qu'il est heureux pour nous le jour que votre naissance fait éclore !
« Ce divin Soleil vous revêt de sa lumière, la lune est sous vos pieds, et sur votre tête auguste brille une couronne de douze étoiles. Les chœurs des anges, tous les esprits bienheureux forment votre cortège, et l'Esprit saint par lequel vous devenez mère vous environne de toute sa divinité. Telle qu'une armée puissante, vous êtes, Vierge sainte, la terreur de nos ennemis, et Dieu, en vous couvrant de son ombre, vous rend formidable à tout l'enfer. Vous écrasez la tête du serpent qui nous avait infectés de son poison ; désormais sa rage est impuissante; il ne se relèvera pas du coup mortel dont vous l'avez, frappé. »
Et à la messe : « Qu'heureux est le jour de votre naissance, ô Vierge qui devez enfanter un Dieu sauveur! jour tant désiré de nos pères, tu brilles, enfin sur nous! Nous gémissions dans une nuit profonde. Voici l'aurore qui nous amène le vrai Soleil! 0 Marie! que tous les peuples vous proclament bienheureuse ! Qu'ils vous appellent l'arche de la nouvelle alliance; le temple que doit remplir toute la Divinité, la nouvelle Ève qui réparera avec avantage le mal que nous fit la première. Ève rendit ses enfants esclaves du démon ; par vous nous renaissons enfants de Dieu ; Ève fut la cause de notre mort, et vous nous donnez le salut. »
Il y a près de douze cents ans que cette fête se célèbre solennellement dans l'Église romaine, puisqu'en l`an 688 le pape Serge avait lui-même désigné les homélies et les litanies qu'on y devait dire, et qu'il la mit au nombre des quatre fêtes de la Vierge auxquelles il ordonnait que la procession des fidèles partirait de l'église de Saint-Adrien pour aller faire la station et l'office à celle de Sainte-Marie.
En France, la Nativité de la Sainte Vierge fut longtemps appelée Angevine, parce que la ville d'Angers fut une des premières du royaume qui la célébra. Les habitants de l'Anjou ont conservé une grande dévotion à la Sainte Vierge, et aucune loi, aucun concordat n'ont pu les empêcher de chômer ses fêtes ; dans l'Anjou, comme dans le Poitou, comme dans la Bretagne, les soldats des armées catholiques et royales allaient affronter les balles républicaines avec le sacré cœur de Jésus sur la poitrine et le chapelet au cou.
L'obligation de la chômer paraît aussi établie dès le dixième siècle en Angleterre, où elle s'est maintenue avec grande solennité jusqu'au temps du schisme. Les protestants l'ont retranchée de leur liturgie ; mais ils en ont retenu le nom dans leur calendrier réformé. En Orient, saint Jean de Damas disait dans le huitième siècle: « Peuples, accourez; accourez, hommes de tout âge, de toute langue, de toute condition et de tous les pays du monde. Célébrons tous avec joie l'heureux jour où commence notre félicité ; célébrons avec des transports d'amour la naissance de la Mère de Dieu qui, par son Fils, a procuré le rétablissement du genre humain Aujourd'hui naît une vierge qui sera la porte céleste par laquelle le Très-Haut, le Dieu-Homme entrera dans le monde. Aujourd'hui s'élève de la tige de Jessé un rejeton qui produira, par la vertu d'en haut, cette divine fleur qui sera le salut des hommes. »
Jetons donc, jetons des fleurs sur le berceau de Marie.... Et vous, belle fleur de Jessé, jetez, jetez à votre tour vos racines en nos coeurs : In electis mitte radices.
29 – La Fête des St-Anges ( 29 septembre)
Laissez votre esprit prendre son essor, laissez-le aller aussi haut qu'il est donné à l'âme humaine de s'élever : laissez-le sortir du cercle des temps, laissez-le franchir les limites des siècles, et s'élancer par-dessus tous les mondes pour se trouver face à face avec Dieu, avant la création ; et cet esprit, porté sur les ailes que la religion lui prête, verra Jéhovah, l'Éternel Seigneur, entouré d'ANGES, alors que ni la terre ni l'homme n'existaient encore.
Notre imagination ne peut se figurer Dieu seul assis dans son éternité ; et à ce Roi des siècles, à ce Tout-Puissant, à cet Éternel, nous voulons voir une cour dans les régions inconnues où il avait établi son trône avant que la matière eût été tirée du néant. Entre Dieu et l'homme, entre le ciel et la terre, la distance, la séparation eût été trop grande; il fallait, dans cet espace, des êtres intermédiaires, inférieurs à Dieu, mais supérieurs aux fils d'Adam. Ces êtres, ce sont les anges, serviteurs et messagers du Très-Haut.
Ces êtres célestes, d'une nature supérieure à la nôtre, devaient cependant prouver que toute créature est imparfaite, et que Dieu s'est réservé la perfection; eux ont péché avant l'homme ; admis tout près du Créateur, chargés de l'exécution de ses volontés, porteurs de ses ordres, ils se sont trop enorgueillis de leur origine; et, dans le
délire de leur superbe, aux instigations de Lucifer, le plus beau, le premier des anges, ils se sont révoltés.
Les anges rebelles chassés du Paradis
C'est de leur désobéissance que date l'enfer; avant elle, il n'existait pas de lieu de punition et de tourments, pas de région de larmes et de désespoir. C'est la colère du Tout-Puissant contre les anges rebelles qui a creusé l'abîme, et qui y a allumé le feu inextinguible.
Des anges déchus avec les damnés dans les enfers - source: L`Enfer de Dante
Si le ciel avait été sans rébellion, la terre eût été sans péché : car c'est un ange tombé qui est venu tenter Ève... Ève et Adam, innocents et purs, parés de leur beauté primitive, conversaient avec les messagers de Dieu. Et rien ne nous défend de croire que ces esprits qui approchaient du Créateur, qui en connaissaient la puissance, la bonté et la gloire, n'aient les premiers enseigné à l'homme l'excellence de Dieu.
Adam et Ève chassés du Paradis terrestre
On dispute, dit don Calmet, sur le temps de la création des anges ; les uns croient qu'ils ont été créés en même temps que le ciel, et que Moïse les a compris sous le nom de ciel , en disant : Au commencement Dieu créa le ciel; d'autres ont conjecturé qu'il avait voulu les exprimer sous le nom de la lumière, que Dieu créa le premier jour; d'autres, enfin, ont prétendu qu'ils avaient été créés avant le monde sensible, et Job semble favoriser cette opinion en disant: « Où étiez-vous quand je posai les fondements de la terre..., et que tous les enfants de Dieu étaient dans des transports de joie?»
Les Hébreux croient que Dieu créa ces esprits le second jour, et que ce sont les anges qu'il consulta quand il dit : Faisons l'homme à notre image et ressemblance. Les Juifs cabalistes donnent pour précepteurs aux patriarches certains anges, qu'ils désignent par leurs noms.
Par exemple , ils disent que le précepteur d'Adam s'appelait Raziel; celui de Sem, Jéphiel; celui d'Abraham, Zédéckiel; celui d'Isaac, Raphaël; celui de Jacob, Séliel; celui de Joseph, Gabriel; celui de Moïse, Mêlatron ou Métator, comme qui dirait celui qui marque le camp; celui d'Elie, Malushiel; et celui de David, Cerviel.
De tous ces noms, nous n'en voyons que deux rapportés dans la sainte Bible : Raphaël, dont parle Tobie, et Gabriel, cité par Daniel. Ce prophète a aussi mentionné Michel; et dans le quatrième l'ivre d'Esdras, on trouve Uriel et Jérémiel. Dans le Nouveau Testament, nous ne lisons que deux noms d'archanges : Gabriel et Michel; Gabriel qui salue Marie pleine de grâce , et Michel qui terrasse Lucifer, et qui referme sur lui le puits de l'abîme.
Des prophètes qui ont eu des visions du ciel et qui en ont aperçu la gloire , nous disent que les neuf chœurs des anges se tiennent debout devant l'Éternel : Stantes ante thronum Dei. Saint Jean a vu des millions et des milliers de milliers d'esprits célestes chantant et adorant Dieu, prosternés autour de l'Agneau. Le Roi des rois , le Seigneur des seigneurs , a choisi dans ces milices du ciel des protecteurs pour chaque empire et pour chaque royaume de la terre.
Et, chose admirable! le petit enfant qui naît à son ange gardien , comme le puissant monarque ; tout ce qui a une âme rachetée par le sang de Jésus-Christ a droit à être gardé par un de ces esprits ailés. Le Créateur leur a dit : Vous veillerez sur les jours de l'homme qui espère en moi , vous le défendrez des flèches de l'ennemi, et vous détournerez les fléaux de sa demeure.
Dans les chemins mauvais de la vie, vous le porterez dans vos mains, pour que son pied ne heurte pas contre la pierre. Vous serez à côté de lui dans les batailles, et à côté de sa couche pendant la nuit, pour éloigner le démon qui rôde comme un loup dévorant , cherchant sa proie à dévorer.
Les anges sont employés là-haut à chanter les louanges de Dieu ; ici-bas à garder, à conduire les hommes. Au ciel , couronnés de fleurs, immortelles, vêtus de splendeur, rayonnant de gloire, ils tiennent leurs harpes d'or dans d'harmonieux concerts ; dans la vallée de larmes , amis invisibles, mais vigilants, ils sont sans cesse près de nous, et, par des paroles que la conscience seule entend, nous détournent des mauvais sentiers que Satan voudrait nous faire suivre.
Au ciel, ils sont à côté du trône du Tout-Puissant; sur la terre, à côté du berceau d'un nouveau-né, ou près du lit d'un chrétien qui meurt : car Dieu, qui leur a commandé de veiller sur l'enfant qui entre dans la vie, leur a aussi ordonné de lui ramener l'âme chrétienne qui part à la voix du prêtre.
Ces princes du céleste royaume ne sont pas seulement occupés à conduire chacun de nous à travers les mille écueils du monde ; mais encore, comme je l'écrivais tout à l'heure, il y a parmi eux de grands gardiens des empires, des archanges placés près des trônes par le Roi des rois, puissante: sentinelles qui veillent à la garde des États. Ainsi nous voyons, dans l'Écriture sainte, que Michel était le gardien d’Israël ; dans notre propre histoire, nous apprenons que la foi et la piété de nos devanciers ont mis la France sous la protection de l'archange vainqueur de Lucifer, et de nos jours nous avons eu la preuve que Michel protégeait toujours notre pays.
Et dans l'immensité, dans ces champs de l'infini qui détendent au-dessus de notre terre, les globes qui étincèlent la nuit comme les flambeaux du firmament, ces mondes inconnus de notre monde ont, n'en doutons pas de célestes conducteurs. Quand Dieu a des joies ou des calamités à annoncer aux hommes, ce sont les anges qui deviennent ses messagers. Et quand de grands repentirs crient vers le Seigneur, les anges deviennent aussi messagers des hommes, et ce sont eux qui portent nos prières et nos larmes aux pieds du Seigneur courroucé.
La mystérieuse échelle que Jacob a vue alors qu'il était endormi sur la pierre de Béthel n'a point été brisée; elle existe toujours avec ses milliers d'anges qui montent et qui descendent; ce chemin qui unit la terreau ciel, ce chemin de la prière n'est pas devenu infréquenté, et les yeux de la foi y voient toujours les envoyés de Dieu et les gardiens des hommes.
L'Église a fixé la fête de l'archange Michel et de tous les saints anges au 29 septembre. Voici ce que nous lisons dans un vieux livre sur cette solennité : Daniel, le prophète aimé de Dieu, est le premier qui ait vu le puissant chef des milices du ciel, arrivant à son secours pour combattre contre le prince des Perses. Saint Jude l'appelle archange. Saint Jean l'évangéliste décrit un combat entre Michel et le démon (l`ange déchu), et nous fait voir Satan terrassé par le céleste soldat du Seigneur.
Le nom de Michel signifie qui est comme Dieu. A l'égard de Gabriel, le même prophète Daniel nous apprend que cet ange vint à lui dans le temps qu'il cherchait l'intelligence d'une vision. Gabriel le toucha de sa main, et lui fit comprendre ce qu'il avait vu. Quatorze ans après, le même archange vola vers lui et lui expliqua les soixante-dix semaines d'années ( qui faisaient 490 ans), au bout desquelles devait paraître le Messie.
Quelque temps avant la naissance de saint Jean-Baptiste, Gabriel apparut au prêtre Zacharie et lui prédit que sa femme Élisabeth, quoique stérile, aurait un fils nommé Jean. Et il ajouta ces paroles : Je suis Gabriel, toujours présent devant Dieu.
Sept mois plus tard, le même envoyé de Dieu apparut à la vierge Marie, pour lui annoncer le grand mystère de l'incarnation. Quant à Raphaël, on lit dans le livre de Tobie que cet ange fut le conducteur de ce saint jeune homme dans le voyage qu'il avait entrepris par l'ordre de son père; il le garantit, dans le trajet, d'un monstrueux poisson, et lui fit épouser Sara; il lui enseigna les moyens de se préserver du démon de l`ange déchu), qui avait tué les premiers maris de Sara. De retour sous le toit du père de Tobie, il rendit la vue au vieillard, et, prêt à remonter au ciel, il dit à ses hôtes : Je suis Raphaël, un des sept qui veillent sans cesse devant le trône de l'éternel Seigneur.
Comme l'Écriture sainte nous fait comprendre qu'il y a des milliers d'anges, sans en nommer d'autres que Michel, Gabriel et Raphaël, l'Église a cru pouvoir distribuer par classes cette milice d'en haut, et elle en a fait neuf chœurs ou neuf ordres hiérarchiques, selon la dénomination qu'ils ont dans la Bible.
Les chérubins sont les premiers dont il est parlé; on voit, dans le livre de la Genèse, que Dieu mit des chérubins, armés d'une épée flamboyante, à l'entrée du Paradis terrestre , pour empêcher les fils d'Adam d'y rentrer. Dans le livre de l` Exode, le Seigneur fait mettre deux figures de chérubins sur l'arche d'alliance. Les séraphins sont nommés dans les visions d'Isaïe. C'est un de ces esprits qui vint toucher et purifier ses lèvres avec un charbon ardent.
Les trônes, les dominations, les puissances, les vertus, sont les divers noms de dignité dont l'apôtre saint Paul a caractérisé les esprits célestes, à raison de leurs différents ministères, et c'est particulièrement lors qu'il dit que Dieu, ressuscitant Jésus-Christ d'entre les morts, l'a fait asseoir à sa droite dans les cieux, bien au-dessus de toutes les puissances, de toutes les vertus et de toutes les dominations.
Les archanges sont le huitième ordre. Saint Paul, parlant du jugement dernier, dit que le signal de résurrection sera donné par la voix et par la trompette de l'archange, qui volera au-dessus de tous les tombeaux. Les anges composent la neuvième classe. Selon la sentiment commun, on croit que c'est de cet ordre que Dieu tire ceux qu'il commet à la garde de chacun de nous. Sur plusieurs points du monde, les hommes ont conservé le souvenir d'apparitions de l'archange Michel, et deux grands monuments, subsistants encore aujourd'hui, attestent les miraculeuses visions que les peuples ont eues de ce chef des cohortes du ciel.
Le château Saint-Ange à Rome, bâti vers l'an 610 par le pape Boniface IV, sur le môle Adrien, à l'endroit même où l'archange avait apparu, et l'abbaye du mont Saint-Michel, élevée sur un rocher qui sort des flots, près des côtes de Bretagne et de Normandie. Saint Aubert, évêque d'Avranches, homme d'une haute vertu, obtint une vision du grand archange, sur le rocher dont la tète s'élève au-dessus des vagues comme la tombe d'un géant, à l'endroit que de nombreux naufrages avaient fait nommer le Péril des mers.
Michel lui apparut, et désigna ce lieu comme lui étant agréable pour être vénéré. L'idolâtrie avait souillé ce roc : les druides y avaient fait couler le sang humain, et Jupiter y avait eu un temple ; il fallait que ce lieu fût purifié par la religion du Christ. Sigebert rapporte cette apparition à l'an 709. Saint Aubert, qui avait une dévotion particulière à l'archange vainqueur de Satan, se hâta de planter une croix de bois sur le rocher,..,, Bientôt une chapelle remplaça le simple signe du salut, et une magnifique abbaye succéda au modeste oratoire; de sorte qu'après quelques années, des voix de religieux mêlaient le chant des hymnes au bruit constant des flots qui frappaient la roche solitaire, et sur le faîte de l'édifice, bâti par des saints et gardé par des chevaliers, s'est vue pendant bien des siècles une colossale statue dorée de l'archange, avec ses ailes déployées, avec sa lance flamboyante, touchant du bout du pied le pinacle le plus élevé du monastère. La grande figure avait l'air de planer dans le ciel, et de bien loin les vaisseaux qui passaient dans ces parages saluaient Saint-Michel du péril de la mer.
Richard I, duc de Normandie, remplaça par des chanoines les ermites que saint Aubert avait fait venir prier sur le rocher ; puis, après ces chanoines, des moines de Saint-Benoît habitèrent la belle abbaye, merveille d'architecture, magnifique et sauvage retraite que les âmes élevées devaient aimer quand la religion et la chevalerie en avaient la garde
Le mont Saint-Michel a été longtemps le but de nombreux et illustres pèlerinages; plusieurs de nos rois y sont venus. Louis XI porta la dévotion plus loin que ses prédécesseurs, et y institua, en 1469, l'ordre de Saint-Michel, qui fut respecté en France comme le premier des ordres militaires jusqu'à l'institution de celui du Saint-Esprit, créé par le roi Henri III.
Les Grecs et les Orientaux font une fête particulière de saint Gabriel. Saint Raphaël est particulièrement honoré en Espagne. En France, les trois grands archanges ont leur fête confondue avec celle des autres esprits célestes. L'Église la célèbre le 29 septembre. De nos jours, saint Michel a fait voir qu'il avait pour agréable la journée qui lui est consacrée, et l'a marquée par un bienfait Oh ! que ce puissant patron de la France étende sa lance protectrice sur tous ceux qui sont nés le jour de sa fête , et qu'il soit en aide à ceux qui ont été mis sous son invocation !
30 – La Fête de St-Denis et ses compagnons Rustique et Éleuthère. (octobre)
Voilà des noms mêlés aux vieilles annales de France: la mémoire de ceux qui les ont portés sera éternelle, car si les archives du royaume perdaient les récits qui ont été faits de saint Denis, de sainte Geneviève et de saint Louis, leur histoire vivrait encore, parce que la religion s'est chargée de la perpétuer parmi les chrétiens.
Et quand il n'y a plus de livres, les traditions qu'elle a enseignées vont toujours. Les siècles , dans leurs tourmentes, dans leur incessante marche, dérangent, bouleversent et emportent des souvenirs historiques et profanes. Mais les annales sur lesquelles le catholicisme a mis la main ne sont point enlevées dans les tempêtes, ne sont point perdues dans la longue suite des âges : le sceau apposé par la religion à ces souvenirs les maintient perpétuels.
Il y a bien des noms de conquérants que la gloire a voulu garder, bien de puissants monarques qui ont fait de grandes choses et dont les peuples ne savent seulement pas les noms. Cependant, pour se perpétuer dans la mémoire de leurs nations, ces rois avaient élevé des monuments , et sur le marbre et le bronze avaient fait inscrire les faits et gestes de leurs règnes. Tout cela a été perdu, tandis que le souvenir de trois missionnaires envoyés de Rome pour prêcher la foi dans les Gaules est conservé et vivra toujours.
Dieu donne à ses saints quelque chose de son immortalité. C'est une opinion commune en France que parmi les missionnaires qui vinrent prêcher aux premiers Français la loi de Jésus-Christ, saint Denis fut celui qui porta le plus loin le flambeau de l'Évangile. Après avoir fait plusieurs éclatantes conversions sur sa route, après avoir prêché avec succès à Arles, il arriva à Paris, à la Lutèce, que les Romains avaient imprégnée de leurs vices et de leur idolâtrie.
Lutèce ( Paris) a l`époque Gallo-Romaine
Alors la ville française était loin de s'étendre comme elle fait de nos jours. En ce temps son enceinte était resserrée entre les deux bras de la Seine, et se bornait à cet espace nommé la Cité, C'est dans ce vieux cœur de Paris que la parole chrétienne s'est d'abord fait entendre Depuis, que de bruits divers ont retenti là où s'était élevée la voix de notre premier apôtre ! Et cependant ses paroles n'ont point été oubliées : le Dieu qu'il adorait, nous l'adorons, et là où il avait planté des croix de bois, se voient aujourd'hui des églises. Les enseignements et les miracles de Denis et de ses compagnons Rustique et Éleuthère ont été reproduits par de naïves sculptures, et la pierre s'est chargée, comme nos vieilles chroniques, de redire au peuple la vie et la mort des trois martyrs.
Denis savait le beau langage et de Rome et d'Athènes ; son éloquence était reconnue parmi les hommes de son temps. Mais ce n'est pas au miel de sa parole qu'il faut attribuer les nombreuses conversions qu'il opérait chaque jour. Non, l'éloquence humaine la plus fleurie, la plus étudiée, la plus habile, n'aurait pu persuader à nos ancêtres, fils des Francs et des Gaulois, qu'il valait mieux vivre en paix que de gagner des batailles; qu'il fallait être doux et humbles et savoir pardonner : les idées de fierté, de gloire, de rancune étaient trop enracinées dans les cœurs de nos rudes devanciers, pour qu'une voix humaine les en chassât. Il fallait pour rendre humbles les orgueilleux, pour rendre humains les cruels, il fallait la voix de Dieu. Dieu parla donc par la bouche de son apôtre.
Le nombre des chrétiens augmentant partout où Denis prêchait la nouvelle loi, les adorateurs de Jupiter et de Vénus, de Mars et d'Apollon, prirent ombrage du saint missionnaire et le firent arrêter, alors que Maximilien Hercule était empereur.
Denis, Rustique, Éleuthère, furent amenés devant le gouverneur Fescennius, que d'autres appellent Sisinnius.
« Sacrifiez à nos dieux immortels! leur cria le Romain.
— Nous adorons Jésus-Christ ; nous ne pouvons sacrifier à vos idoles.
— La mort vous attend si vous n'obéissez aux ordres de César.
— Nous désobéissons à César pour obéir à Dieu.
— Vous allez à l'instant être mis à mort.
— Nous allons à l'instant être reçus dans le ciel. »
St-Denis et ses compagnons arrêtés par les Romains.
Confessant ainsi Jésus-Christ, les trois apôtres furent jetés dans un cachot, et, selon une tradition, ce cachot est devenu une église et a été appelée, dans la suite des temps, Saint-Denis-de-la-Chartre. Après de longues tortures, le proconsul fit trancher la tête aux trois chrétiens, et ordonna que leurs corps, privés de sépulture, fussent abandonnés aux oiseaux du ciel et aux bêtes des bois qui vivent de cadavres. Mais une femme chrétienne, qui avait de l'or à répandre, trouva le moyen de s'emparer des corps des martyrs, et les fit enterrer à six milles de la ville, dans un village que l'ont croit être Saint-Denis-de-l' Estrée, et que l'on appelait alors Catheuil. Plus tard les chrétiens, à la voix d'une bergère renommée pour sa piété et qui paissait ses moutons dans les environs de Paris (sainte Geneviève), élevèrent une église à saint Denis et à ses compagnons sur le lieu même de sa sépulture. Cette église, où s'opéraient beaucoup de miracles, fut enrichie et ornée des largesses de Dagobert.
Martyre de St-Denis et de ses compagnons a Paris
Des extrémités du royaume, la foule chrétienne venait en pèlerinage à Saint-Denis. Dans les procès, on y venait aussi faire serment sur la châsse des saints pour déclarer la vérité que l'on ne pouvait découvrir par les voies ordinaires. Une fois un parjure osa lever la main sur les saintes reliques, et comme sa bouche jurait à faux, il tomba et mourut à l'instant dans d'affreuses souffrances. « Le tombeau du patron de la France, dit un historien, était décoré de choses très-riches et très-précieuses; l'or et les pierreries y reluisaient avec magnificence. »
Ce sépulcre était un monument bâti en forme de tour, ou plutôt un faisceau de tours. Saint Eloi prit plaisir à l'enrichir, et saint Ouen assure que de ses jours l'église aimée de Dagobert était une merveille de la terre, un vraie portrait du paradis. La piété de Dagobert fit exhumer les corps saints des trois martyrs et les fit transporter en grande et magnifique pompe à la nouvelle abbaye. Depuis cette translation des reliques de saint Denis et de ses glorieux compagnons, les murs de l'antique église ont vu bien de splendides cérémonies : à elle les grandeurs de la mort, à elle les royales funérailles! C'est à la garde du premier apôtre de la France que sont confiées les cendres des rois français.
Aujourd'hui, quand une capitale est menacée par l'ennemi, vous voyez une grande agitation autour du palais de la banque; on charge de lingots d'or et d'argent les chariots de l'État : le siècle emporte son Dieu. Autrefois , quand les nations barbares, quand les terribles Normands serraient de leur immense cercle de fer une cité chrétienne, alors il y avait aussi un grand émoi dans la ville ; mais c'était aux églises que le peuple effrayé se portait. Les trésors qu'il s'occupait, en ces moments de terreur, de soustraire à l'ennemi, c'étaient les reliques de ses saints, la châsse bénite du patron du pays : dans la pensée de la foule chrétienne, ce soin passait avant tous les autres.
En 859, dit un vieux moine chroniqueur, les hommes des épouvantements, les féroces Normands, vinrent faire leurs ravages en France ; la terre s'émut sous leurs
pieds et trembla. Alors les religieux de l'abbaye furent aussi saisis de crainte, et, prenant sur leur dos les reliques de leur saint patron, cheminèrent en grande hâte vers
Nogent-sur-Seine.
Les hommes du Nord, ayant pris goût au beau pays de France, revinrent en l'an de grâce 887, et derechef les reliquaires de l'abbaye furent emportés ; mais cette
fois, ce fut à la ville de Reims qu'ils furent donnés en garde.
Oh ! il y avait dans cet amour pour les choses sacrées des autels, dans cet empressement à les soustraire aux mains des profanateurs, quelque chose de touchant! Le
patron d'un pays devenait comme le père de tous, et pour racheter les ossements de leur protecteur, les chrétiens de ces temps primitifs auraient donné tout leur or.
Parmi les hommes de France qui vénéraient le plus saint Denis, il faut mettre avant tous les autres nos anciens rois. Ils venaient souvent avec les chevaliers et les grands de leur royaume s'agenouiller sur les dalles, au-dessus des caveaux où ils devaient dormir un jour; et quand une guerre éclatait, c'était à la royale abbaye qu'ils accouraient chercher l'oriflamme ; puis, après que Dieu avait béni leurs armes, c'était encore à l'autel de saint Denis qu'ils revenaient appendre l'étendard victorieux Et alors que le conquérant, vaincu à son tour par la mort, gisait dans les régions funèbres, deux choses se voyaient au-dessus de ses cendres : l'image du patron de la France, et la noble bannière qu'un ange avait apportée du ciel.
La fête de saint Denis a toujours été célébrée, dans le royaume très-chrétien, avec beaucoup de solennité; dans plusieurs diocèses, elle était chômée comme fête d'obligation. Aujourd'hui de grands changements sont survenus en toutes choses, et la face du monde a été renouvelée : des puissants sont tombés, des petits se sont élevés, des empires ont croulé, des États nouveaux ont surgi au soleil ; et dans la vieille église de Dagobert, c'est aujourd'hui comme par le passé : on y prie encore Saint-Denis, et sur les tombes restaurées des rois on chante toujours l'office des trépassés.
Cependant, il y a quarante ans, « il s'était élevé un vent de la colère autour de l'édifice de la mort. Les flots des peuples ont été poussés sur lui. Les majestés des tombeaux ont été outragées; des enfants ont été vus jouant avec les os des puissants monarques. Et sous la main des sacrilèges, et sous le marteau, la hache et les pics de fer, tout semblait détruit; mais dans le ciel, le patron que nos pères s'étaient choisi intercédait pour la France, et l'église mise sous son invocation a été relevée de ses ruines. Un grand guerrier a fait chercher, ramasser les cendres des rois que dans les jours de tourmente et de vertige on avait jetées à l'entour de la sainte abbaye.
Les débris d'ossements ont été remis sous le marbre et le granit des caveaux funéraires. Et aujourd'hui encore, au jour où j'écris cette page, il me semble voir saint Denis, quittant la glorieuse place qu`il occupe dans le ciel, se prosterner devant le trône de l'Éternel et demander à Dieu qu'un vieux roi, fils de saint Louis, mort sur la terre d'exil tout chargé d'années, de vertus et de malheurs, puisse venir dormir dans le royal enfeu de sa famille, entre ses frères et son fils. On le voit, des souvenirs de la patrie se rattachent au nom de l'apôtre des Gaules. Nos valeureux ancêtres avaient pris pour cri de guerre : MONTJOIE ET SAINT DENIS! Et les prêtres qui ont succédé aux religieux de la noble abbaye répètent aujourd'hui le même nom, en priant sur les tombes des reines et des rois.
31 – La Toussaint ( 1 novembre)
Voici venu le mois des vents et des tourmentes, le mois où le souffle précurseur de l'hiver emporte les feuilles des arbres, comme le temps a emporté nos beaux jours. Pendant le cours de l'année, la religion, de distance en distance, a répandu des fêtes parmi nos journées de travail, commodes repos, comme des oasis dans le désert, pour le chrétien fatigué. Pendant les mois écoulés, chaque mystère a eu sa solennité chaque saint sa commémoration.
La naissance du Sauveur, sa présentation au temple, sa circoncision, son épiphanie, sa passion, sa mort, sa résurrection, son ascension, ont été célébrées. La descente du Saint-Esprit, la Fête-Dieu, l'Annonciation, la Nativité, la Conception, la Visitation, l'Assomption de la Sainte Vierge, ont vu se succéder leurs anniversaires avec les mois qui se suivaient...
Musique chrétienne
Offertoire pour la Toussaint pour Harpe - Charles Camille Saint-Saëns
Eh bien! toutes ces journées consacrées et bénites ne sont point encore assez pour le catholicisme : il a voulu d'autres solennités que celles des mystères, et, après avoir cherché dans ses annales, après avoir passé en revue tous les mérites, toutes les vertus, toutes les souffrances des saints, il a mis chaque jour de l'année sous la protection spéciale d'un habitant du ciel; et comme l`année est loin d'avoir autant de jours que les cieux ont d'élus, il a couronné toutes les commémorations particulières par une commémoration générale.
Ainsi qu'une mère reine de tendresse, la religion a la Toussaint; réuni tous ses enfants pour les fêter ensemble devant le trône de Dieu; dans sa justice, elle amène devant le grand rémunérateur, et devant les hommages des hommes, tous ceux qui ont mérité gloire et récompense. En cette solennité de la Toussaint, l'Église qui est sur la terre donne la main à l'Église qui est au ciel; et la communion des saints qui jouissent de l'éternel bonheur et des justes qui y aspirent est révélée comme une grande consolation, comme un puissant encouragement.
Ceux qui habitent encore la vallée de larmes prennent courage en pensant que c'est à travers les chagrins et les pleurs que leurs devanciers sont parvenus au repos céleste, et ils se disent : Ils ont été comme nous, soyons comme eux. Pour bien parler de la fête de tous les saints, il faudrait pouvoir peindre leur gloire, leur félicité, leurs extases sans fin. Et comment faire? ce que l'œil n'a pas aperçu, ce que l'oreille n'a pas ouï, ce qui n'est jamais entré dans le cœur de l'homme, ne peut être décrit.
Tout ce que nous pouvons dire avec Bossuet, c'est que pour rendre les saints heureux Dieu n'emploiera pas sa puissance ordinaire ; il fera plus : il étendra son bras, il ne s'attachera plus à la nature des choses, il ne prendra plus loi que de sa puissance et de son amour ; il ira chercher dans le fond de l'âme l'endroit par où elle sera plus capable de félicité ; la joie y entrera avec abondance et l'inondera de délices.
Jacques Bénigne Bossuet évêque de Meaux en France (1698)
Les élus seront tellement embellis des présents de Dieu, qu'à peine l'éternité leur suffira-t-elle pour se reconnaître. Est-ce là ce corps autrefois sujet à tant d'infirmités? Est-ce là cette âme qui avait des facultés si bornées? Notre âme, dans cette chair mortelle, ne peut rien rencontrer qui la satisfasse ; elle est d'une humeur difficile, elle trouve à redire à tout. Quelle joie pour elle d'avoir enfin rencontré un bien infini, une beauté accomplie qui arrête à jamais toutes ses affections, sans que son ravissement puisse être troublé ou interrompu par le moindre désir!
Dieu est la lumière qui éclaire les saints ; Dieu est la gloire qui les environne ; Dieu est le plaisir qui les transporte; Dieu est la vie qui les anime; Dieu est l'éternité qui les établit dans un glorieux repos. Dans la céleste Jérusalem, il n'y aura pas d'erreur, parce qu'on y verra Dieu; il n'y aura pas de douleur, parce qu'on y jouira de Dieu ; il n'y aura pas de crainte ni d'inquiétude, parce qu'on y reposera en Dieu.
Fête de tous les Saints
J'entasserais bien d'autres citations du grand orateur, car Bossuet s'est plu à parler de la gloire des élus; mais je m'arrête, car je trouve qu'un des meilleurs moyens de faire concevoir les délices du ciel, c'est de montrer les misères de la terre. Là-haut, un océan de bonheur! ici-bas, quelques petites goutes de joie. Sur la terre, dit l'Ecclésiaste, on ne sourit qu`en tremblant. Ici-bas, nous pensons nous reposer, et cependant le temps nous enlève, et nous sommes la proie de notre propre durée.
Qui de nous ne désire pas le repos? Et celui qui agit dans sa maison, et celui qui travaille à la campagne, et celui qui navigue sur les mers, et celui qui négocie sur la terre, et celui qui sert dans les armées, et celui qui s'intrigue et s'empresse dans les cours : tous aspirent de loin au repos. Tout homme sensé se destine un lieu de retraite et de repos ; lieu qu'il regarde de loin comme un port dans lequel il se jettera quand il sera poussé par les vents contraires.
Mais cet asile que vous vous préparez contre la fortune est encore de son ressort ; et, si loin que vous étendiez votre prévoyance, jamais vous n'égalerai sa bizarreries ; vous penserez vous être muni d'un côté, la ruine vous viendra de l'autre ; vous aurez tout assuré aux environs, l'édifice fondra tout à coup par le fondement; si le fondement est solide, un coup de foudre viendra d'en haut qui renversera tout de fond en comble.
Je veux dire simplement, et sans figure, que les malheurs ici-bas nous assaillent et nous pénètrent par trop d'endroits, pour pouvoir être prévus et arrêtés de toutes parts. Il n'y a rien sur la terre où nous mettions notre appui, enfants, amis, dignités, emplois, qui non-seulement ne puisse manquer, mais encore ne puisse nous tourner en une amertume infinie ; et nous serions trop novices dans l'histoire de la vie humaine si nous avions encore besoin qu'on nous prouvât cette vérité.
Voilà comme Bossuet peignait devant Louis le Grand la misère du bonheur du monde, et il n'avait trouvé la terre si pauvre que parce qu'il venait de regarder la félicité des élus! Quand, d'un soleil radieux, vous reportez vos yeux sur les objets qui vous environnent, ils vous semblent tous obscurs.
L'Église, dans la solennité de la Toussaint, veut nous faire envier le ciel ; c'est donc bien, ce jour-là, de nous faire prendre en dégoût le lieu de notre exil. Nous n'aimons jamais tant la patrie que lorsque le bannissement nous est dur! Avant d'en venir à établir une fête commune à tous les saints, l'Église a eu des fêtes pour les différents ordres des habitants du ciel, soit dans le rang qu'ils tiennent là-haut, soit dans la condition qu'ils ont eue sur la terre.
Ainsi, l'Église orientale célèbre encore aujourd'hui la fête de tous les saints de l'Ancien Testament, c'est-à-dire de tous les justes qui ont précédé la venue du Messie. L'office s'en fait le dimanche qui précède Noël. Celle de tous les apôtres s'est faite longtemps le 1 mai ; la fête de tous les disciples, le 15 juillet. Celle de tous les martyrs a eu aussi son jour fixé. La solennité en honneur des pères du désert avait été établie le vendredi de la Quinquagésime.
Le premier qui fit solenniser, dans Rome, la fête de tous les saints, fut le pape Grégoire III, qui siégeait sur la chaire de saint Pierre en 731. Le pape Grégoire IV étant venu en France vers l'année 835, exhorta Louis le Débonnaire à faire célébrer la grande commémoration des saints par tous ses États, ce qui fut exécuté le 1" novembre. C'est depuis ce temps que la Toussaint est devenue la fête de l'automne, la fête qui clôt les beaux jours, la fête voisine de la mort.
Le roi de France Louis le Pieux ( le débonnaire) - vers l`an 835.
C'est ce jour-là, pendant que les vents sifflent autour des vieilles églises, et que les feuilles des forêts sont emportées par le souffle qui annonce l'hiver, que la religion, dans ses sanctuaires, chante cette hymne à tous les saints : Nous, mortels, nous nous assemblons avec joie pour chanter les palmes et les couronnes que vous avez gagnées, ô saints habitants du ciel , au prix de tant de luttes et de si rudes travaux ! Nous, revêtus de misères, nous vous célébrons, vous que le Tout-Puissant a revêtus de gloire. Nous, qui mangeons le pain du travail et des larmes, nous vous célébrons, vous qui ne vivez que d'amour et de vérité, et qui buvez dans des coupes d'or les eaux vives des sources sacrées Vous, qui étiez humbles sur la terre, nous vous voyons aujourd'hui mêlés aux saints vieillards qui mettent leurs diadèmes de gloire aux pieds du Roi des rois. 0 vous qui avez été nos frères, soyez-le encore dans le ciel ! Nous sommes pauvres, chétifs et vêtus de misère, et vous, vous portez des robes éclatantes, blanchies dans le sang de l'Agneau; mais ne détournez pas vos regards de vos frères d'ici-bas!
Quand les voûtes des cathédrales et des églises des hameaux entendent chanter ces poétiques paroles, les jours commencent à raccourcir et la nuit à descendre de bonne heure ; aussi le salut de la Toussaint se célébrerait dans les ombres, si ce n'était beaucoup de cierges qui brûlent sur l'autel.
La Toussaint en Pologne
La Toussaint est la dernière fête que l'on chôme dans les châteaux; après sa solennité, on pense à revenir dans les villes. Alors la campagne devient triste pour ceux qui n'aiment que la verdure, les fleurs et les ciels sans nuages. Alors les feuilles séchées tombent, tombent comme des illusions qui s'en vont. Alors de grandes rumeurs s'élèvent au milieu des nuits et font rêver tristement. Mais dans ce deuil il y a encore grand attrait pour les hommes qui ont vieilli et souffert. Les fêtes fleuries du printemps vont à la jeunesse ; notre fête, à nous, c'est celle qui touche à la journée des morts.
Dernière édition par MichelT le Ven 29 Déc 2017 - 18:47, édité 17 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
32 – Le Jour des Morts ( 2 novembre)
La religion , non satisfaite de donner des prières et des bénédictions à chaque cercueil, a couronné les choses de l'autre vie par une cérémonie générale, où elle réunit la mémoire des innombrables habitants du sépulcre; vaste communauté des morts, où le grand est couché auprès du petit; république de parfaite égalité, où l'on n'entre point sans ôter son casque et sa couronne, pour passer par la porte abaissée du tombeau.
Dans ce jour solennel, où l'on célèbre les funérailles de la famille entière d'Adam, l'âme mêle ses tribulations pour les anciens morts aux peines qu'elle ressent pour ses amis nouvellement perdus. Le chagrin prend, par cette union , quelque chose de souverainement beau, comme une moderne douleur prend le caractère antique quand celui qui l'exprime a nourri son génie des vieilles traditions d'Homère. La religion seule était capable d'élargir assez le coeur de l'homme pour qu'il pût contenir des soupirs et des amours égaux en nombre à la multitude qu'il avait à honorer.
Le soir de la Toussaint, pendant que chaque famille, de retour des offices, reste rassemblée devant le foyer domestique, qui a repris sa flamme et sa douce chaleur, on entend descendre des tours et clochers, et se mêler au premier silence de la nuit, des tintements funéraires. C'est la voix des trépassés qui demandent que les vivants prient pour eux.
Cette voix de fer, comme dit Shakespeare, tombe d'en haut sur ceux qui s'en vont chercher des distractions, des spectacles et des plaisirs; elle tombe sur tous, donnant des pensées graves à ceux qui ne voudraient que rire et folâtrer : car, voyez-vous, cette fête des morts n'est pas comme les autres fêtes ; il y a des esprits qui ne veulent ni de Noël, ni de Pâques, qui ne croient ni à la naissance, ni à la résurrection du Christ ; mais qui sont bien forcés de croire à la mort de leur mère, de leur père..., de leurs enfants, peut-être!... Alors, la cloche du jour des trépassés leur dit quelque chose, et tout bas ils avouent que le catholicisme a des solennités qui parlent au coeur.
Admirez quelle connaissance la religion a du cœur humain ! Elle a voulu faire prier ses enfants pour le, morts; mais, pour qu'à la vue de tant de cercueils la tristesse et la douleur n'absorbassent pas trop leurs Ames, elle a montré les rayons du ciel à côté des ombres du sépulcre, la résurrection auprès de la mort.
Le jour de la fête de tous les saints, elle n'a parlé que du bonheur des élus, que de leurs délices sans fin, que de leur gloire, afin que, le lendemain, nous priassions avec plus de ferveur, avec plus d'instances, pour que le Dieu des vivants et des morts donne à notre père, à notre mère, à nos amis, ce repos et cette félicité que l'orateur sacré nous a fait entrevoir.
Figurez-vous donc un jour des morts sans un reflet du ciel! 0 Dieu! que tout y serait noir et lugubre! Cercueil, destruction, pourriture, voilà ce qui viendrait à l'esprit, ce qui saisirait le coeur, quand oh serait rassemblé pour penser à ses parents, à ses amis morts; on reculerait épouvanté; car on ne verrait que vers et corruption. L'encens de cette cruelle fête ne serait que la puanteur du sépulcre ; ses cierges , que les torches des funérailles; ses chants, que des plaintes, et ses hymnes que des gémissements.
Dieu, qui a fait le coeur de l'homme, en connaît la faiblesse, en conçoit les terreurs: aussi quand il veut, pour notre bien, que nous songions à la mort, il fait tomber sur elle quelques lueurs de sa gloire; quand il nous commande de venir prier près des tombeaux, il fait descendre dans les régions funèbres deux filles des cieux, la foi et l'espérance; et ces saintes enchanteresses nous disent là des paroles si douces, que la terreur nous abandonne; et au lieu des épouvantements de la mort, nous ressentons un calme, une paix, qui consolent; à travers nos pleurs, nous voyons de beaux anges emportant sur leurs ailes les âmes délivrées de nos amis...; et dans le profond silence qui s'étend sur toutes les tombes, si un mot nous arrive, c'est celui de résurrection!
Jamais on ne nous a autant montré, enseigné la puissance de la prière et l'excellence de notre grand sacrifice, qu'auprès des autels tendus de deuil ; auprès du cercueil, l'Église a voulu nous faire voir la prière plus forte que la mort. C'est sur le corps glacé de notre mère, sur les restes de notre vieux père, sur les jeunes cadavres de nos enfants, sur la cendre de nos amis , que le christianisme nous dit : N'ayez pas peur, nolite timere ; la tombe, c'est le berceau de l'immortalité; levez la tête, regardez : vos amis, vos enfants, votre père, votre mère, n'ont laissé ici-bas que leurs dépouilles, que leurs vêtements usés; ils avaient eu foi dans le Christ, et le Christ, c'est la résurrection et la vie...
Admirable! mille fois admirable la religion qui console ainsi ! Sois donc bénie par tous les hommes, ô sainte foi catholique! c'est toi seule qui peux crier sur les tombeaux:
O mort! où est ta victoire?
0 mort! où est ton aiguillon?
C'est toi qui donnes à nos affections, à nos amitiés , une durée qui s'allonge par de là la vie; c'est toi qui renoues les liens que les années et les maladies avaient voulu rompre; c'est toi qui concèdes aux enfants le pouvoir de racheter du purgatoire les âmes de leurs pères et de leurs mères, et aux parents la puissance de donner une seconde fois la vie à leurs enfants. Pendant que le pauvre mendiant a vécu ses mauvais jours, pendant qu'il a souffert et gémi, qui a le mieux secouru ses douleurs, consolé ses souffrances?... Oh! nous le savons tous : c'est la religion.
Eh bien ! quand le mendiant aura fait son temps de misère ; quand son cadavre sans suaire et sans cercueil sera gisant sur la paille, qui viendra le garder comme un cadavre de roi? encore la religion.
Car, voyez-vous :
« Chez les anciens, les restes du pauvre ou de l'esclave étaient abandonnés presque sans honneurs; parmi nous, le ministre des autels est obligé de veiller au cercueil du villageois comme au catafalque du monarque. L'indigent de l'Évangile, en exhalant son dernier soupir, devient soudain (chose sublime!) un être auguste et sacré... A peine le mendiant qui languissait à nos portes, objet de nos dégoûts et de nos mépris , a-t-il quitté cette vie, que la religion nous force à nous incliner devant lui. Elle nous rappelle à une égalité formidable, ou plutôt elle nous commande de respecter un juste racheté par le sang de Jésus-Christ, et qui, d'une condition obscure et misérable, vient de monter à un trône céleste.
C'est ainsi que le grand nom de chrétien met tout de niveau dans la mort, et l'orgueil du plus puissant potentat ne peut arracher à la religion d'autre prière que celle-là même qu'elle offre pour le dernier manant de la cité.
Sous la croix de marbre qui étend ses bras sur les restes du riche, sous la croix de bois noir qui protège la fosse de gazon du simple villageois, le religion, quand, est venu le jour des morts, fait entendre les mêmes paroles. Écoutez : Bienheureux sont ceux qui dorment dans le Seigneur!
Le Seigneur parlera, et les morts entendront la voix du fils de Dieu. Celui qui écoute sa parole et qui croit en lui est passé de la mort à la vie. L'heure vient, et tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix ; et ceux qui auront bien fait sortiront pour ressusciter à la vie ; et ceux qui auront mal fait sortiront pour ressusciter a leur condamnation.
Quand cette heure dernière sera arrivée, heure à laquelle Dieu a résolu de réveiller les élus de leur sommeil, une voix sortira du trône et de la propre bouche du fils de Dieu, qui ordonnera aux morts de revivre : « Os arides! os desséchés! écoutez la parole du Seigneur! Ossa arida, audite verbum Domini! »
Au son de cette voix toute-puissante qui se fera entendre en un moment de l'orient jusqu'à l'occident, et du septentrion jusqu'au midi , les corps gisants, les os desséchés, la cendre et la poussière froide et insensible, seront émus dans le creux de leurs tombeaux.
Toute la nature commencera à se remuer, et la mer, et la terre, et les abymes, se prépareront à rendre leurs morts, qu'on croyait qu'ils avaient engloutis comme leur proie, mais qu'ils avaient seulement reçus comme dépôt, pour le remettre fidèlement au premier ordre : car Jésus, qui aime les siens jusqu'à la fin, prendra soin de ramasser, de toutes les parties du monde , leurs restes toujours précieux devant lui. Une faut pas s'étonner d'un si merveilleux soin, c'est de lui qu'il est écrit qu'il porte tout l'univers par sa parole très-efficace.
Toute la vaste étendue de la terre et les profondeurs des mers, et toute l'immensité du monde, ne sont qu'un point devant ses yeux; il soutient de son doigt les fondements de la terre; l'univers entier est sous sa main. Et lui, qui a bien su trouver nos corps dans le néant même, d'où il les a tirés par sa parole, ne les laissera pas échapper à sa puissance au milieu de ses créatures; car cette matière de nos corps n'est pas moins à lui pour avoir changé de nom et de forme. Ainsi, il saura bien ramasser les restes dispersés de nos corps qui lui sont toujours chers, parce qu'il les a une fois unis à une âme qui est son image. En quelque coin de l'univers que la loi des changements ait jeté nos restes, il les gardera; et quand la violence de la mort les aurait poussés jusqu'au néant, Dieu ne les aurait pas perdus pour cela : Car il appelle ce qui n'est pas avec la même facilité que ce qui est. Et Tertullien a raison de dire que le néant est à lui.
Je le demande avec orgueil, y a-t-il sous le soleil un culte qui sache aussi bien consoler de la mort que le catholicisme? Eh! non, il n'y en a pas. Sans doute d'autres religions que la nôtre commandent de croire à la résurrection des corps; mais voilà tout; elles ne disent point que les vivants peuvent hâter le bonheur des morts. Tandis que nous, catholiques, avec nos prières, avec notre grand sacrifice d'expiation, nous délivrons les âmes de ceux que nous pleurons. L'amitié d'un protestant ne peut rien pour son ami mort; l'amitié d'un catholique ne s'arrête point au marbre de la tombe : elle remue , pour ainsi dire, la terre qu'on a jetée sur les cercueils, pour délivrer l'ami qu'elle regrette. Nous l'avons déjà dit, avec notre croyance, nous prolongeons nos affections en dépit de la mort.
Aussi, le jour des trépassés est une des fêtes que le peuple comprend le mieux. Dans nos églises autour du catafalque, dans les cimetières parmi les monuments somptueux et les fosses où poussent les longues herbes et les mauves bleues, on le voit prier avec une tristesse mêlée d`espérance... Et comment l'espérance ne descendrait elle pas dans nos coeurs, quand nous demandons la paix et le repos pour nos proches, pour nos amis, passés de vie à trépas?
Dans les admirables prières de l'Église, tantôt ce sont des cris de douleur, tantôt des cris d'espoir ; la mort se plaint, se réjouit, tremble, se rassure, gémit et supplie :
« Le jour qu'ils ont rendu l'esprit, ils retournent à leur terre originelle, et toutes leurs vaines pensées périssent. 0 mon Dieu ! ne vous souvenez ni des fautes de ma jeunesse, ni de mes ignorances ! 0 Dieu ! cessez de m'affliger, puisque mes jours ne sont que néant ! Lorsque vous me chercherez le matin, vous ne me trouverez plus. La vie m'est lourde à porter ; la vie m'est pleine d'ennuis ; je m'abandonne aux regrets. Seigneur, vos jours sont-ils comme les jours des hommes mortels, et vos années éternelles comme nos passagères années ?
Pourquoi, Seigneur, détournez-vous votre visage et me traitez-vous comme votre ennemi? Devez-vous déployer votre puissance contre une feuille que le vent emporte, contre une feuille séchée! L'homme né de la femme vit peu de temps, et il est rempli de beaucoup de misères ; il est comme une ombre qui ne demeure jamais dans un même état. Mes jours sont passés, toutes mes pensées sont évanouies, toutes les espérances de mon coeur dissipées... Je dis au sépulcre : Vous serez mon père ; et aux vers, vous serez ma mère et mes sœurs.»
Une voix dit : Mes jours se sont évanouis comme la fumée, mes os sont tombés en poudre.
Une autre voix répond : Mes jours ont décliné comme l'ombre.
« Qu'est-ce que la vie ? demande le prêtre. La foule répond : Une petite vapeur.
« Les morts se sont endormis dans la poussière. Ils ressusciteront tous comme ils étaient. Ils se réveilleront. Oui, glorieux dans le Seigneur. Heureux ceux qui dorment dans le Seigneur ; car leurs bonnes œuvres les suivent, et dans le sein de Dieu ils se reposent de tous leurs travaux ! Du fond de l'abîme, nous crions vers vous, ô Seigneur ! Seigneur, écoutez notre voix ! Si vous comptez toutes nos iniquités, oh ! qui pourra soutenir votre jugement ? Mais la miséricorde est grande entre vos mains ; — Seigneur, soyez-nous miséricordieux; depuis le matin jusqu'au soir Israël espère en vous !
Ou une grande partialité m'aveugle, ou jamais la tristesse et la crainte, la douleur et l'espoir, n'ont eu de paroles plus saisissantes que celles de ces prières des morts.
— Il y a là plus que la tristesse de la terre, plus que les plaintes des vivants. —Aux voix qui gémissent dans le monde, — les voix de ceux qui n'y sont plus se mêlent et sortent du silence des tombes pour ce grand concert de larmes et de regrets.
Et du haut de la chaire, c'est le grand orateur de la mort qui parle : À la fin des siècles, tout le genre humain se lèvera comme une seule moisson. Mais, en attendant, il faut mourir et être assujetti à la corruption : car nous portons une chair de péché, chargée d'infirmités et de maladies. Allez dans les hôpitaux en ce triste jour, pour y contempler le spectacle de l'infirmité humaine : là, vous verrez en combien de sortes la maladie se joue de nos corps.
Là elle étend , là elle retire, là elle relâche, là elle engourdit , là elle cloue un corps perclus et immobile , là le secoue tout entier par le tremblement : pitoyable variété! diversité surprenante! Chrétiens, c'est la maladie qui se joue comme il lui plaît de nos corps, que le péché a abandonnés a ses cruelles bizarreries.
0 homme! considère le peu que tu es , regarde le peu que tu vaux ; viens apprendre la liste funeste des maux dont ta faiblesse est menacée. Et la fortune, pour être également outrageuse, ne se rend pas moins féconde en événements fâcheux. Le secours qu'on donne à nos corps est l'image du grand secours que leur donnera un jour Jésus-Christ en les affranchissant tout à fait. Mais, en attendant, il faut qu'ils tombent pour qu'ils soient renouvelés. Ils ne laisseront à la terre que leur mortalité et leur corruption ; il faut que ce corps soit détruit jusqu'à la poussière ; la chair changera de nature, le corps prendra un autre nom; même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps. La chair deviendra un je ne sais quoi, qui n'a plus de nom dans aucune langue ; tant il est vrai que tout meurt en eux, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ces malheureux restes : Post totum ignobililatis elogium caducae in originem terrant, et cadaveris nomen, et de isto quoque nomine periturae in nullum
indè jam nomen, in omnis vocabuli mortem .
David, Job, Tertullien, Bossuet, Chateaubriand, m'ont fourni les paroles avec lesquelles j'ai écrit sur la journée des morts. Si j'en appelais aux souvenirs de chacun de nous, je serais sûr d'émouvoir encore : car, parmi ceux qui liront ces pages, presque tous ont mené le deuil autour d'un tombeau; presque tous ont dit les prières des agonisants près d'un lit de moribond ; presque tous ont vu l' enlief d'un cercueil, ont récité le De profundis sous la voûte mortuaire du trépassé ; presque tous ont entendu les pelletées de terre tomber, et résonner si lugubres sur les planches de la bière; mais nous n'évoquerons point de si torturantes réminiscences : le jour des morts ne doit pas être un jour d'épouvante, mais un jour d'espérance et presque de consolation.
Musique chrétienne: Michel Richard Delalande - De Profundis
L'Église, dès son origine, a toujours prié pour ses enfants morts ; elle, qui connaissait les miséricordes du Seigneur, ne cessait d'offrir, pour les trépassés, le sacrifice qui rachète les âmes et qui leur ouvre les portes du ciel; mais saint Odilon, abbé de Cluny, a été un des premiers à établir une commémoration générale pour tous les fidèles, et pour cette solennité il choisit le lendemain de la fête de tous les saints.
En peu de temps, on vit adopter et pratiquer cette observation dans toute l'Église d'Occident par l'autorité du siège apostolique. Bientôt après, on la mit au nombre des fêtes dont l'observation est de précepte parmi le peuple et le clergé. Cette fête de regrets, de souvenirs et de prières, était déjà toute commune en Angleterre au commencement du treizième siècle, comme il paraît par le concile d'Oxford, tenu l'an 1222. Elle y est au rang des solennités de seconde classe.
Elle a été ordonnée comme de précepte pour la ville et le diocèse de Paris, par l'évêque Eustache du Bellay, dans ses statuts de l'an 1557. Maintenant, cette commémoration des morts est établie et enracinée dans les moeurs des peuples, et les hommes oublieraient bien des fêtes avant celle-là. Il y a dans cette pensée, que la prière pour nos amis morts peut assurer leur éternel bonheur, un si grand attrait, une si forte consolation, que nous avons vu des protestants attirés à la religion catholique par cette seule idée.
J'ai connu un luthérien que notre croyance du purgatoire a rendu catholique. Il avait perdu un frère chéri au milieu d'une fête, et il se souvenait sans cesse, pour tourmenter son coeur, de ce passage si brusque d'une orgie au cercueil ; son âme avait besoin d'être rassurée ; il savait toute la pureté qu'il faut pour le ciel, et, dans son culte, il ne trouvait pas de lieu intermédiaire entre les parvis célestes et les profondeurs de l'abîme. Avec sa religion, il lui fallait croire qu'aussitôt le dernier soupir exhalé, le jugement de Dieu était accompli ; jugement subit, instantané, irrévocable. Oh! alors ses frayeurs devenaient de déchirantes angoisses ! Il n'avait plus de repos! . . .
Ses jours étaient sans distraction, ses nuits sans sommeil, ses pensées sans espérances; il dépérissait à vue d'oeil, et lui aussi penchait vers la tombe, vers la tombe de son frère, qu'il devait partager comme un lit de famille. On lui ordonna de voyager ; mais lui se disait : Je n'aurai pas le temps d'aller loin, je mourrai dans une hôtellerie, soigné par des mercenaires étrangers..., et quand j'aurai fermé mes yeux, on sera obligé de chercher dans mes papiers le nom du voyageur qui vient de s'arrêter pour toujours, et qui n'a plus besoin que d'un gîte au cimetière.
Ses amis se joignirent à son médecin, et le jeune Ecossais vint sur le continent. Je me trouvai sur le même vaisseau que lui, et bientôt nous eûmes lié conversation ensemble et bien des points de contact nous lièrent. Quand nous fûmes débarqués, nous logeâmes dans le même hôtel ; au bout de quelques jours, il me révéla ce qui avait répandu tant de tristesse sur ses jeunes années, la mort de son frère, et ses inquiétudes sur les destinées éternelles d'un être tant aimé l... Ah I me dit-il un jour des morts, par amour pour mon frère je vais adopter votre rite!... Oh! quand je pourrai prier pour mon frère, je respirerai, je vivrai pour demander chaque jour du bonheur dans le Ciel pour celui que j'ai tant chéri sur la terre!...
Votre culte fait que l'on peut encore s'entr'aider après la mort; vos prières ôtent au sépulcre son terrible silence. Vous, vous conversez encore avec ceux qui sont partis de la vie ; vous, vous avez connu la faiblesse humaine, cette faiblesse qui n'est pas le crime, mais qui n'est pas la pureté; et entre les limites du ciel et de l'enfer, Dieu vous a révélé un lieu d'expiation. Mon frère y est peut-être ; je me fais catholique pour l'en délivrer, pour me consoler ici-bas, me soulager de ce poids qui m'oppresse; ce poids, je ne l'aurai plus quand je pourrai prier.
La prière, c'est la respiration de l'âme, surtout près des tombeaux ; là, les choses de la mort, la terre tombant sur le cercueil , le marbre scellé pesant sur le trépassé , les vers, la corruption venant, malgré tous nos efforts, malgré les châsses de bois de chêne et de plomb, dévorer le peu qui nous reste de nos proches et de nos amis ; toutes ces choses briseraient le coeur. Mais la prière soulève ces poids écrasants de dessus nos âmes, et les fait respirer.
Camille Saint Saëns Messe de Requiem, Op. 54 (1878)
La prière est comme une rosée qui reverdit le bonheur et qui rend plus douce la prospérité. La prière est comme une blanche aurore qui se lève sur nos chagrins pour en dissiper les ténèbres et pour faire voir le ciel aux yeux noyés de larmes. Aussi la religion l'a mêlée à toutes ses fêtes, et dans l'année chrétienne elle monte sans cesse vers Dieu avec les mérites des bonnes œuvres et la fumée de l'encens.
33 – La Dédidace de l`Église ( novembre)
Du moment où les hommes ont eu la pensée d'élever des temples au Roi du ciel, ils ont dû vouloir consacrer ces demeures, destinées à recevoir sous leurs voûtes ce lui qui s'assied sur les nuées. Avant que Dieu daignât descendre sur un autel d'or et de marbre, il a fallu que le marbre et l'or fussent mieux que de la matière ; pour les purifier et sanctifier, la religion fut tout d'abord invoquée ; elle seule, par sa consécration, était capable d'agrandir assez nos églises pour que le Tout-Puissant, créateur de l'univers, pût y faire sa résidence.
Quand elle met sa main sur le front de l'enfant qui vient de naître, quand elle verse l'eau du baptême sur sa tête, elle le purifie de la souillure originelle. Quand l'homme est prêt à quitter la vie, elle lui donne l'huile des mourants, et l'âme chrétienne qui va partir est consacrée pour les régions d'outre-tombe. Eh bien, aussi, quand elle touche la pierre de nos temples avec son saint-chrême, elle la rend assez sainte pour que la sainteté même puisse s'y asseoir.
Esprit éternel, immense, incompréhensible, Dieu ne peut, à bien parler, que demeurer en lui-même; lui seul est son lieu, son monde, son trône, son temple. Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi, disait Jésus- Christ. Les hommes auraient donc pu se contenter de ce beau temple que l'Éternel s'était bâti lui-même l'univers; pour autel, les globes lumineux qui brillent au firmament; pour étendue, l'infini. Mais la pensée humaine se serait égarée dans les espaces sans bornes, et Dieu, se mesurant à notre faiblesse, a bien voulu venir habiter les maisons que nous lui avons bâties.
Il était digne de sa bonté de se rabaisser jusqu'à prendre une habitation parmi nous; consentant par son incarnation à devenir notre frère, il a voulu se rapprocher de nous; et, pour mieux entendre nos demandes et pour être plus proche de nos douleurs, il n'a pas eu peur de notre vallée de larmes.
La première habitation que l'Éternel Seigneur eut parmi les hommes, fut le Tabernacle, le saint des saints du désert, cette tente portative, sous laquelle Dieu ne dédaignait pas de venir partager, pour ainsi dire, la vie voyageuse de son peuple. Pour nous mieux assurer que Dieu avait pour agréable cette demeure au milieu d'Israël, nous le voyons lui-même, dans les livres saints, tracer à Moïse toutes les proportions, toutes les dispositions de son tabernacle.
Roi, législateur, guide d'un peuple voyageur, Dieu consent à descendre sous la tente, jusqu'au moment où ce peuple aura conquis l'héritage promis à ses pères. Alors il aura un plus digne sanctuaire, et la montagne de Sion sera signalée par les anges comme le lieu le plus agréable au Seigneur. David, à qui cette révélation sera faite, voudra élever cette somptueuse demeure; mais cette gloire ira à son fils, et tous les siècles rediront la magnificence de ce temple, la merveille des hommes.
Tout ce que la nature a de plus précieux est employé à cette vaste construction, par son étendue, ses péristyles et ses parvis, semblable à une ville. La pierre et le marbre, le cèdre et l'ivoire, le porphyre et le jaspe, l'argent et l'or, se touchent, se portent, se mêlent, s'unissent, s'entr'aident pour sa décoration; ce n'est pas le ciel, mais c'est ce qu'il y a de plus beau sous le ciel.
Quand Salomon eut achevé son œuvre, quand rien ne manqua plus à la beauté du temple, le roi d'Israël, plein de confiance dans le Seigneur, assembla les douze tribus pour la solennelle dédicace de la maison du Seigneur. Pour rendre cette cérémonie plus auguste, le fils de David choisit le huitième jour du septième mois de l'année sainte, qui était le premier de l'année civile, et qui correspond à notre mois d'octobre. La dédicace dura sept jours, et quand ces sept journées de saintes réjouissances furent passées, la fête des tabernacles commença, de manière que tout Israël demeura à Jérusalem et dans les campagnes environnantes pendant quinze jours. Jamais le Seigneur n'avait répandu tant de joie, tant de gloire, tant de bonheur sur son peuple.
Depuis le 8 jusqu'au 22 du septième mois, Salomon fit venir près de lui tous les anciens, tous les princes des tribus, pour conférer avec eux du cérémonial de la sainte journée. Les prêtres et les lévites portèrent dans le temple tous les présents, toutes les richesses que le roi David avait destinés à l'embellissement de la demeure de Dieu.
Parmi ces objets consacrés se voyaient l'armure et l'épée de Goliath et la fronde du berger; et lorsque tous les vases, tous les ornements nécessaires aux sacrifices furent placés près des autels; quand les piscines et la mer d'airain furent remplies d'eau pour les ablutions des sacrificateurs; lorsque les parfums, l'encens, la myrrhe, l'aloès, le cinnamome, furent déposés à côté de l'autel à treillage d'or; quand les victimes furent amenées sur les dalles que leur sang devait rougir ; quand l'immense multitude fut rangée sur les marches de marbre et sous les portiques, alors entra l'arche d'alliance, le trône de l'Éternel.
Et à mesure que l'arche, respectueusement portée par les prêtres, avançait sous les voûtes étincelantes d'or, les victimes tombaient immolées. Vingt-deux mille bœufs, cent vingt mille moutons, ou hosties pacifiques, furent offerts en sacrifice. L'arche étant parvenue au milieu de l'encens et des holocaustes jusqu'au saint des saints, tout à coup une nuée lumineuse emplit tout l'espace du temple ; cette nuée était si rayonnante de la gloire du ciel, que les yeux des hommes ne pouvaient en supporter l'éclat miraculeux.
Salomon se prosterna la face contre terre, et tout son peuple l'imita. Les prêtres eux-mêmes, éblouis de tant de splendeur, furent obligés de suspendre les sacrifices. Alors, au milieu du grand et religieux silence qui régnait dans le temple, Salomon, se relevant et se tournant vers le sanctuaire, pria Dieu à haute voix, le suppliant d'avoir pour agréable la maison qu'il lui avait bâtie, de la bénir, et d'exaucer les prières qui s'en élèveraient.
Après cette prière, le jeune roi, le plus beau, le plus sage entre tous les hommes couronnés, étendit les mains sur son peuple et le bénit. Dans la nuit qui suivit cette magnifique dédicace, le Seigneur apparut en songe à Salomon, et lui dit : « Fils de David, j'ai exaucé ta prière, et j'ai choisi le temple que tu m'as bâti pour en faire ma maison de sacrifice ; mes yeux seront ouverts et mes oreilles attentives à la prière de celui qui m'invoquera en ce lieu... »
Ces paroles, que le Seigneur Dieu d'Israël a fait entendre à Salomon, nous pourrions les sculpter, les graver sur toutes les portes de nos églises, dont le temple de Jérusalem n'était, en quelque sorte, que le péristyle. Sans doute cette merveille des merveilles, ce chef d'œuvre de Hyram et du plus savant et du plus habile de tous les rois, était digne des regards de Dieu. Mais la plus modeste de nos églises doit être plus chère à l'Éternel que le temple de Sion . Dans nos sanctuaires, il y a plus que l'arche d'alliance, il y a le Fils de Dieu lui-même, l'objet des éternelles complaisances du Père, assis au plus haut des cieux.
Dans nos églises, tout est digne de méditation, rien d'y doit être indifférent ou chrétien; de tous les objets muets qui décorent leur intérieur, il s'élève une voix pour ceux qui savent réfléchir. Cette corde qui pend sous le porche, c'est le conducteur avec lequel la main indifférente du sacristain ou du sonneur répand la joie ou la tristesse dans la contrée; avec elle il va réveiller, jusque dans les hauteurs de la tour ou de la flèche, la cloche qui sommeillait silencieuse.
Alors, d'après l'impulsion qu'elle reçoit, elle élève sa voix sonore ; tantôt lente et vibrant par trois fois, au milieu des lueurs naissantes du crépuscule, elle sonne I'Angélus..., et cette première voix de la terre, ce premier soupir après le repos de la nuit, dit à ceux qui ont dormi sous des tentures de soie, et à celui qui a couché sur la dure : « Voici le jour qui commence, élève ton âme à Dieu! »
Et quand la lumière s'éteint, quand les ombres descendent du ciel, elle dit encore : « Voici venir l'heure du repos, voici venir la nuit avec toutes ses étoiles; homme fatigué, réjouis-toi, et bénis celui que tu as prié ce matin. A solis ortu usque ad occasum laudabile nomen Domini.
Cette cloche, donnée à la paroisse par ses anciens seigneurs, est toute couverte d'armoiries et de noms titrés. Cette cloche est très-noble et très-bénite, baptisée comme un chrétien. Haut et puissant seigneur a été son parrain ; haute et puissante dame a été sa marraine ; et quand une pauvre femme vient de mettre au jour un pauvre enfant, la cloche sonne joyeuse, pour dire les transports ineffables de la mère, pour dire à tous : Un enfant nous est né.
Et quand le vieillard n'a plus que de lentes pulsations, quand sa vie s'en va seconde par seconde, la cloche n'a plus que de lents tintements, comme les soupirs entre coupés de l'agonisant. La religion mêle ainsi sa voix d'airain à toutes nos émotions, à toutes nos joies, à toutes nos prières, à toutes nos alarmes, à toutes nos douleurs ; elle chante sur nos berceaux, crie dans les dangers, dans les incendies, dans les inondations, et gémit quand nous allons mourir.
La cloche est aimée de toute la paroisse ; les fidèles sont fiers et orgueilleux de sa taille et des sons pleins qu'elle jette au loin; et puis elle leur est chère, parce qu'elle a annoncé tous les événements de leurs familles; c'est pour eux comme une vieille amie qui sait tout ce qui les concerne ; ils l'aiment tant dans les campagnes, qu'ils lui croient la puissance de chasser ces démons qui errent lu nuit parmi les nuages, et de détourner le tonnerre quand il menace leurs maisons et leurs granges.
Oh ! je suis comme ces simples paysans, j'aime ma cloche natale, ma mère l'a aimée avant moi!... Et vous, habitants des grandes cités, n'aimez-vous pas ces belles et majestueuses volées, ces sonneries harmonieuses, qui, dans vos solennités, semblent des voix du ciel pour voua appeler aux autels de Dieu?
Tout à côté, attaché à un des piliers du porche, Voici le Bénitier ; l'homme qui marche aujourd'hui dans toute la force de l'âge et de la santé y trempe le doigt et se signe d'eau bénite. — Quand il sera étendu sur son lit de mort, le prêtre l'en aspergera pour laver les souillures de sa vie, pour éloigner de son chevet les esprits malfaisants... Et quand, un peu plus tard, il sera gisant dans son cercueil et descendu dans sa fosse, un peu de cette eau, qu'il prend aujourd'hui sans y trop penser, tombera sur lui avec les larmes de ses enfants et de ses proches ! Memento, homo, quia pulvis es!
Et cette piscine de pierre, placée devant ce tableau de saint Jean répandant l'eau du Jourdain sur la tête du Christ, ce sont les fonts baptismaux. C'est là que l'on nous apporte tous, c'est pour être amenés là que nous faisons notre première absence d'auprès de notre mère. . . ; c'est pour venir là que la garde ou la nourrice nous a enlevés de notre berceau, avec toutes ces dentelles dont l'orgueil maternel nous a déjà couverts; — c'est pour venir là que notre parrain et notre marraine ont pris ces habits de fête, ces gros bouquets, ces boîtes de dragées, et ces gants blancs...
C'est pour que son fils soit apporté là, que la mère indigente a ôté de dessus elle un des haillons qui la recouvrent sur le peu de paille qu'elle a eue pour accoucher ! . . Et toute misérable, toute défaillante, elle a souri en voyant que son nouveau-né va être fait chrétien... Et elle a dit au voisin et à la voisine qui ont bien voulu nommer son enfant : Rapportez-le-moi vite, que je le réchauffe sur mon sein.
Comme si tous les hommes devaient être heureux, il y a toujours plus ou moins de joie à leur baptême ; ce sont les mères qui ont inventé cette joie-là !.. . Ont-elles eu raison? en vérité, je ne sais. Car enfin, de ces fonts baptismaux, tous apprendront-ils à marcher pour aller vers le bonheur?
En voici, petits anges de la terre, qui, encore tout mouillés de l'eau de leur baptême, vont prendre leur volée vers le ciel, et que le vent de la mort ravira à leurs mères comme des fleurs encore humides de la rosée du matin ! Et ceux qui sont destinés à grandir, à vieillir, ne sera ce que de la félicité qu'ils trouveront entre la pierre de la sainte piscine et la pierre de la tombe? Parmi ceux-là, n'y en aura-t-il pas qui s'écrieront : « Maudite soit la nuit où j'ai été conçu ! Maudit soit le jour où je suis né !
Pourquoi la vie a-t-elle été donnée à celui qui est dans l'amertume du cœur? La religion qui ne trompe pas, elle, fait entendre à ceux qui apportent un enfant aux eaux du baptême, qu'il y aura pour le chrétien de l'amertume dans la vie : dès son premier jour, elle lui met du sel sur les lèvres, comme pour lui faire pressentir que tout ne sera pas douceur dans l'avenir ; elle lui montre encore qu'il lui faudra de la force dans le chemin qu'il va avoir à parcourir, et pour cela, elle lui donne l'onction d'huile et de saint-chrême, qui fortifie... Une autre fois, le chrétien recevra encore cette onction ; aujourd'hui c'est à l'arrivée, demain ce sera au départ.
Oh ! vous voyez bien, il y a beaucoup à réfléchir devant des fonts baptismaux ! C'est la première borne milliaire du chemin, bon ou mauvais, qui s'allongera devant nous. Pas loin de la piscine sacrée, voici la chapelle des saints anges. C'est là où les enfants qui ont atteint l'âge de raison viennent apprendre le catéchisme. C'est sur ce bancs de bois que s'asseyent et les riches et les pauvres ; c'est là la première école de la bonne et vraie égalité, de l'égalité chrétienne. . . Pour que la terre ne fût pas attristée, déchirée par les divisions et les haines, pour qu'elle ne fût pas souillée par les vices, pour qu'elle ne fût pas arrosée de larmes et de sang, il ne faudrait qu'une chose : c'est que les hommes se souvinssent toujours du petit livre qui leur a été enseigné sur ces bancs.
C'est tout à côté de cette chapelle, où le prêtre a appris aux enfants leurs devoirs, qu'il va s'asseoir pour écouter l'aveu de leurs fautes. Voici le confessionnal. Je ne puis passer outre sans me souvenir de la paix qu'on y trouve, sans regretter l'innocence qu'on s'y fait. Que d'hommes, tout courbés sous le poids de l'or, tout vêtus de pourpre, ont cherché par toute la terre un peu de paix pour leur cœur, et qui n'ont pu en trouver que là!
La fortune leur avait jeté à pleines mains tous ses dons, le monde tous ses honneurs; le hasard leur avait départi sa force et la santé ; et cependant la vie leur était lourde; ils la portaient comme un fardeau ; ils sont venus s'agenouiller là, et en fouillant dans leur mémoire, dans les replis de leur âme, en relevant ce qui était caché comme un crocodile au fond du puits des Apulaches, ils ont obtenu à l'instant ce que leurs recherches à travers toutes les régions de la terre n'avaient pu leur faire avoir, le premier, le plus enviable des biens, le calme de la conscience.
De par le monde, il y a encore de jeunes et de vieux esprits forts qui vont sourire des pensées que m'inspire la vue d'un confessionnal. Armés à la Voltaire ou à la Jean-Jacques Rousseau, ils vont me lancer les traits acérés du ridicule, et les vieilles redites de l'impiété... Mais, dans leur injustice, ils ne me rappelleront pas tout ce que Jean-Jacques et Voltaire ont dit sur la confession. Rousseau s'écrie quelque part : « Que de restitutions, que de réparations ne fait-elle pas faire chez les catholiques ! »
Voltaire dit à son tour : « La confession est une chose très-excellente, un frein au crime, inventé dans l'antiquité la plus reculée : on se confessait dans la célébration de tous les anciens mystères; nous avons sanctifié cette sage coutume : elle est très-bonne pour engager les cœurs ulcérés de haine à pardonner.
Ce que nous préférons aux paroles de nos philosophes pour faire aimer la confession, c'est notre expérience à tous ; souvenons-nous du bonheur que le prêtre nous a donné quand il nous a dit : Mon enfant, allez en paix et ne péchez plus!... Oh! dans ce peu de mots, il y avait plus de paix que dans tous les discours des hommes. . . Sans la confession, dit Chateaubriand, sans cette institution salutaire, le coupable tomberait dans le désespoir. Dans quel sein déchargerait-il le poids de son cœur?
Serait-ce dans celui d'un ami? Eh! qui peut compter sur l'amitié des hommes? Prendra-t-il les déserts pour confidents? Les déserts retentissent toujours, pour le crime, du bruit de ces trompettes que le parricide Néron croyait ouïr autour du tombeau de sa mère. Quand la nature et les hommes sont impitoyables, il est bien touchant de trouver un Dieu prêt à pardonner ; il n'appartient qu'à la religion chrétienne d'avoir fait deux sœurs de l'innocence et du repentir.
0 vous, jeunes gens qui lirez les lignes que j'écris aujourd'hui pour vous, je ne sais quels succès, quelles joies, quels bonheurs vous sont réservés dans le monde. Je ne sais si votre amabilité, vos talents, vous feront briller bien plus que tous vos compagnons. Je ne sais si votre savoir doit vous placer plus haut que tous vos émules ; je ne sais si les arts, la science ou le génie vous gardent de leurs couronnes.
Mais je sais une chose ; c'est que, si un de ces bonheurs ou si tous ces bonheurs ensemble vous sont réservés, le jour où vous serez tout entourés d'hommages, tout étourdis de louanges, tout enivrés d'encens, tout palpitants de gloire , ce jour-là vous serez moins heureux que l'homme qui, après avoir été coupable et bourrelé de remords, se relève du confessionnal ! . . . Oh ! alors il trouverait des anges sur la route, et pourrait leur dire : Anges, je suis votre frère.
Mais, en nous éloignant de la porte de l'église, nous avons oublié ce qui est placé dans la tribune du porche : les orgues. On a beau vieillir, on n'oublie pas les puissants, les saisissants accords des orgues que l'on a entendus dans son enfance, alors que notre mère nous conduisait aux grandes solennités ou de Pâques ou de Noël.
Oh! que j'aime mieux les sons graves, aériens, majestueux des orgues, que tous les orchestres que la musique moderne amène maintenant dans nos églises!... Ces musiciens avec leurs violons, leurs basses, leurs contrebasses, leurs clarinettes et leurs trombones, me font rêver l'Opéra ; les orgues seules me font rêver le Ciel! Lequel d'entre nous n'a senti tout son cœur inondé de suaves et ineffables délices, alors qu'après l'Hosanna du Sanctus, les voix fortes des chantres venant à cesser, au milieu des nuages d'encens, au milieu du silence qui précède l'Élévation, l'orgue s'est mis à chanter son hymne, à soupirer avec ses notes les plus douces, les plus célestes, un 0 salutaris hostia?
En vérité, l'homme qui resterait sans émotion à pareil moment, à semblable harmonie, je n'envierais pas son amitié! Maintenant, me voici en face de la chaire... : il y a encore là bien des pensées qui nous viennent. Connaissez-vous de plus belle tribune que celle-là? En connaissez-vous une d'où l'on parle de plus haut? Une où l'on soit plus en droit de faire retentir les mots de liberté et d'indépendance? une où, comme là, on puisse, sans manquer de respect, donner des enseignements aux peuples et aux rois? Démosthène à Athènes, Cicéron à Rome, n'ont pu avoir, n'ont pas eu à leur usage les puissantes paroles qui appartiennent, dans nos églises, au dernier curé de campagne.
Et du haut de cette chaire, à nos Chrysostômes de village, à nos Bossuets champêtres, il ne faut pas, pour toucher et remuer fortement la multitude qui les écoute, il ne faut pas de grands événements, des catastrophes, des coups de foudre du destin ; eh ! mon Dieu, non ! l'Évangile à la main, ils font trembler le riche et espérer le pauvre, exaltent l'humilité et terrassent l'orgueil!
J'ai entendu des hommes d'État, à leur tribune de marbre, agiter des questions de vie et de mort pour les empires; sans doute, leur éloquence était saisissante alors..., mais, en vérité, il lui manquait ce qui ne manque pas à l'éloquence sacrée. Un ministre parle à une nation : Le prêtre parle à toutes les nations. Un ministre s'occupe des intérêts d'un moment : Le prêtre se voue aux intérêts de l'éternité. Un ministre s'appuie du nom du roi : Le prêtre s'appuie du nom de Dieu. De cette chaire, dont le dôme, surmonté de la croix, est porté par deux anges, que de consolations sont découlées ! . . .
Que de fois la misère, la douleur, la souffrance, auront été attentives autour de cette sainte tribune! Que de fois elles auront senti l'espérance leur venir comme la rosée qui fait reverdir les plantes desséchées..., alors que le vieux curé, avec ses cheveux blancs, leur aura répété . « Mes enfants, mes chers enfants, j'ai été jeune, et me voilà vieux; mais, en vérité, je vous le dis, je n'ai pas encore vu le juste abandonné ni délaissé du Seigneur...»
En face de la chaire, cette petite chapelle plus ornée que les autres, et dont les murs noircis d'encens sont couverts d'un grand nombre de peintures d'ex-voto , c'est celle de NOTRE-DAME-DE-BON-SECOURS... Oh! combien de lampes et de cierges brûlent devant son autel !
Que de bouquets blancs brillants de paillettes, de boules de verre et de nœuds d'argent, déposés aux pieds de la statue! Que de chapelets avec leurs médailles bénites, que de scapulaires appendus aux deux colonnes qui en cadrent ces tableaux, où l'on voit un frêle navire battu des vagues, frappé de la foudre..., et miraculeusement sauvé par Marie, Etoile des mers, apparaissant radieuse sur les nuées, et calmant la tempête par un sourire d'elle et de son divin Fils!
Certes, les fidèles vont s'agenouiller devant le maître autel, qui reluit de marbre et de dorures, et qui a, de chaque côté de son tabernacle, deux beaux anges adorateurs; mais ses degrés sont moins usés par la prière que ceux de l'autel de Notre-Dame-de-Bon-Secours; car nous nous sentons si peu de chose en face de la grandeur de Dieu, que nous éprouvons le besoin de chercher un intermédiaire plus rapproché de notre faiblesse. Les femmes surtout viennent prier la Vierge; on dirait qu'elles craignent la majesté du Tout-Puissant, et qu'elles aiment mieux s'adresser à une mère ; dans leur simplicité, une mère leur semble devoir mieux les comprendre; aussi elles viennent en foule à l'autel de Marie !
Tout près de cet autel, on a placé un tronc pour les malheureux. Soyez tranquille, celui-là ne chômera ni de liards, ni de sous, ni même de pièces blanches! Comme à cette chapelle on vient demander beaucoup, on donne beaucoup ; comme on dit à la Consolatrice des affligés : secourez-moi, on secourt les autres. L'aumône et la prière sont deux sœurs qui se tiennent par la main...
Voilà que nous avons parcouru la longueur de l'église. . . ; nous voici presque sous la lampe qui ne s'éteint jamais; lampe sacrée que je me suis pris quelquefois à envier! En effet, sainte destinée que la sienne! Allumée devant l'autel, elle brûle devant l'autel ; les vents du dehors no tourmentent point sa flamme; en dirait une âme loin du souffle des passions..
Cette lampe est un symbole de l'amour de Dieu pour les hommes ; elle veille toujours ; comme une étoile tombée du firmament, elle brille dans la nuit pour redire la bonté de Jésus-Christ, pendant que ses sœurs, restées dans les plaines d'azur, racontent la puissance du Très- Haut!...
Souvent quand je voyage la nuit, et qu'en passant dans un village je viens à apercevoir, à travers les vitraux de l'église, la lueur de la lampe du sanctuaire, je me dis : les hommes peuvent dormir, la religion veille. Et c'est vrai : que la nuit soit sans lune et sans étoiles, que les vents et l'orage grondent dans l'obscurité, que la neige tombe sur le noir des ténèbres, que le givre glace les étangs et fasse craquer la terre du chemin; si un malade meurt, si un impie se convertit, si un adolescent s'en va d'auprès de sa mère, c'est proche de l'église, à la porte du curé, que l'on vient frapper d'abord. Et puis, à la lueur de cette lampe dont nous parlions tout à l'heure, le prêtre monte à l'autel, et y prend, pour le moribond qui le demande, le pain de la vie.
Cette porte, toute sculptée et tout ornée de moulures gothiques, conduit à la sacristie... C'est là qu'est le trésor de l'église, son calice, son saint ciboire, son ostensoir de vermeil, ses chapes d'étoffes de Lyon, à grands bouquets et à franges d'or; sa croix d'argent, ses encensoirs, ses bannières et son dais de velours rouge, dais que nous aimons tant à voir à la Fête-Dieu balancer ses panaches au-dessus des têtes de la foule. C'est aussi dans la sacristie que se signent et les baptêmes et les mariages. Autrefois, on avait établi ainsi les choses; on avait voulu que la religion fût vraiment comme une mère, et qu'elle prît part à tous les événements de la famille
Cette balustrade qui sépare le sanctuaire de la nef, et à laquelle est attachée une nappe de fin lin, c'est la table sainte; c'est là que les chrétiens s'agenouillent au divin banquet; c'est là que les anges qui veillent sur nous nous envient : car le grand mystère ne s'est point opéré pour eux. Là, que d'émotions, que de souvenirs vous viennent en foule ! Et ce grand jour de la première communion , ce jour où l'on devrait mourir tout de suite pour être reçu par les esprits célestes , et la mémoire de notre mère que nous avons vue, prosternée sur cette marche de pierre, priant pour ses enfants!... Toutes ces réminiscences montent au cœur et le font battre vivement; l'esprit, se reportant en arrière, évoque les années écoulées... Oh! que de calme, que de paix dans les années de foi , d'innocence et de ferveur ! Et depuis que nous nous sommes échappés de dessous l'aile du Seigneur, depuis que nous avons repoussé le souvenir de la première communion, comme pensée gênante, qui pourra compter les inquiétudes qui ont, ainsi que des glaives acérés, transpercé nos âmes?
Pour cette grande journée de la première communion. Que de soins, que de peines le vieux curé a pris dans la chapelle du catéchisme ! que de sainte ténacité il lui a fallu pour faire entrer dans les mobiles intelligences des enfants les hautes et graves vérités de la religion!... Et puis, quand la fin de ses travaux est arrivée, quand les jeunes chrétiens ont été jugés dignes, et parleur pureté, et par leur instruction, de venir s'agenouiller à la table où le pain des forts est donné , alors les prêtres de la paroisse ont eu un autre soin : ç'a été de solliciter la charité des fidèles, pour que les enfants des pauvres ne fussent pas vêtus des haillons de la misère au plus grand jour de leur vie.
Dans nos campagnes bretonnes, chaque enfant porte à la procession de la première communion un drapeau de mousseline ou de percale blanche, et rien n'est plus pittoresque à voir à travers la verdure des champs que tous ces étendards déployés et flottant à la brise. Dans le sanctuaire, pour qui ces deux prie-Dieu avec ces deux coussins et cette espèce de pompe? Un vieux couple , après cinquante ans d'union , va venir célébrer la cinquantaine devant l'autel du Dieu d'Abraham et de Jacob. Habitants de la paroisse, tous deux ont été baptisés sous les voûtes de l'église que nous explorons; tous deux, beaux de jeunesse, y ont été mariés il y a un demi-siècle; maintenant, tous deux, chargés de vertus et d'années, reviennent au même Dieu, Dieu d'Isaac et de Rachel, lui dire : « Seigneur, bénissez-nous encore une fois ! »
Pensant à ces deux vieux époux , moi, je prie, et je dis: « 0 vous, mon Dieu, qui ne voulez pas que l'on désunisse ce que vous avez uni, accordez-leur encore quelques années de bonheur, mais appelez-les à vous le même jour, ne séparez pas ce qui a été si longtemps uni .»
Dans un coin obscur, non loin de la sacristie, est relégué le matériel de la mort ; le catafalque qui sert aux morts opulents, et le cercueil commun qui porte à la fosse le malheureux dont les enfants sont si pauvres, qu'ils n'ont pu acheter quatre mauvaises planches de sapin pour leur défunt père!... Oh! que cette misère de la tombe me fait mal! et qu'il y a loin des pensées qui me serrent le cœur maintenant, à celles que j'avais tout à l'heure! mais je ne les repousse pas; elles sont venues à la fin de mon exploration, comme la mort au bout de la vie C'est dans l'ordre J'ai parcouru toute l'église, que l'on dédie à Dieu, et l'on a pu voir combien tout ce qui s'y trouve était digne d'être consacré par la religion. Rien de ce que je viens de passer en revue n'est inutile ; tout y rappelle des souvenirs graves, tout y donne des enseignements sérieux; la vie du chrétien tout entière est là, entre la piscine des fonts baptismaux et la chapelle des trépassés.
Le catholicisme a donc bien fait de rendre saintes toutes ces choses qui avoisinent l'autel de Dieu et qui lient ensemble tous les jours de l'homme. Avant de réunir ses enfants dans le ciel , dit un pieux écrivain, Dieu veut les rassembler ici-bas dans des temples. Une impression secrète et naturelle de vénération, que chacun porte au fond de son cœur pour la Divinité, a introduit chez tous les peuples, même parmi ceux qui avaient oublié le Dieu vivant et véritable, l'usage de consacrer les temples, de séparer ces édifices de l'usage commun et vulgaire, pour les dédier spécialement à la majesté suprême, pour lui en approprier la possession de la manière la plus solennelle.
Dans tous les lieux et dans tous les temps, on a regardé comme des sacrilèges et des impies ceux qui profanaient ces lieux consacrés à la Divinité. Il n'est plus nécessaire, comme jadis, ajoute le même auteur, d'aller chercher au loin l'unique temple où Dieu voulait recevoir les sacrifices et le culte public de son peuple; le juif éloigné de Jérusalem ne pouvait, souvent, que par de longs voyages se procurer la consolation de paraître à longs intervalles devant l'autel de son Dieu ; nous, au contraire, enfants de la promesse, peuple privilégié, nous trouvons partout la maison de prière.
Celui qui aime le temple du Seigneur et qui y vient méditer la loi, dit l'Écriture, ressemble à un arbre placé par la main de la nature sur le bord d'un ruisseau; son feuillage est toujours frais, le soleil le féconde sans le dessécher, ses fleurs ne se fanent pas, et ses fruits sont pleins de saveur; la rosée du ciel ne tombe sur lui que pour nourrir ses racines et entretenir sa verdure toujours fraîche : ainsi prospère le juste sur la terre ; il fleurit comme le palmier dans la maison de Dieu!
Le jour de la Dédicace, l'Église chante dans ses offices : « Que ce lieu est terrible, que ce lieu est saint! C'est ici la maison de Dieu et la porte du ciel ! Le Seigneur, roi des cieux, est véritablement dans ce lieu-ci. Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des armées ! Mon âme languit et se consume du désir d'entrer dans la maison du Seigneur. Dieu, qui écoutes les anges dans le ciel, sois attentif à la prière des hommes qui viendront t'implorer ici.»
Puis, à l'épître, on lit cette vision : « En ces jours-là, je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui, venant de Dieu, descendait du ciel, assise sur des nuages ; elle était parée comme une épouse pour son époux Et j'entendis une grande voix qui disait : « Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes , et il demeurera avec eux, et ils seront son peuple; Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus. Les pleurs, les cris et les travaux cesseront, parce que ce qui a précédé sera passé; et celui qui était assis sur le trône, dit : Je m'en vais faire toutes choses nouvelles.»
Voici l'évangile qui commande le respect dans le lieu saint : « En ce temps-là , Jésus étant entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et chacun demandait : Quel est celui-ci? Le peuple disait : C'est Jésus le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée. Jésus entra dans le temple de Dieu, et en chassa tous ceux qui y vendaient et qui y achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des pigeons, et il leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée la maison de prière, et vous en avez fait une, caverne de voleurs.»
En même temps, des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. « Mais les princes des prêtres et les docteurs de la loi, voyant les miracles qu'il avait faits, et les enfants qui priaient dans le temple : Hosannah au fils de David ! en furent indignés, et ils lui dirent : Entendez-vous ce que crient ces enfants? Oui, leur répondit Jésus , c'est de la bouche des enfant et de ceux qui sont à la mamelle que vous avez tiré la louange la plus parfaite.» Et, les laissant, il sortit de la ville et alla à Béthanie.
La religion , non satisfaite de donner des prières et des bénédictions à chaque cercueil, a couronné les choses de l'autre vie par une cérémonie générale, où elle réunit la mémoire des innombrables habitants du sépulcre; vaste communauté des morts, où le grand est couché auprès du petit; république de parfaite égalité, où l'on n'entre point sans ôter son casque et sa couronne, pour passer par la porte abaissée du tombeau.
Dans ce jour solennel, où l'on célèbre les funérailles de la famille entière d'Adam, l'âme mêle ses tribulations pour les anciens morts aux peines qu'elle ressent pour ses amis nouvellement perdus. Le chagrin prend, par cette union , quelque chose de souverainement beau, comme une moderne douleur prend le caractère antique quand celui qui l'exprime a nourri son génie des vieilles traditions d'Homère. La religion seule était capable d'élargir assez le coeur de l'homme pour qu'il pût contenir des soupirs et des amours égaux en nombre à la multitude qu'il avait à honorer.
Le soir de la Toussaint, pendant que chaque famille, de retour des offices, reste rassemblée devant le foyer domestique, qui a repris sa flamme et sa douce chaleur, on entend descendre des tours et clochers, et se mêler au premier silence de la nuit, des tintements funéraires. C'est la voix des trépassés qui demandent que les vivants prient pour eux.
Cette voix de fer, comme dit Shakespeare, tombe d'en haut sur ceux qui s'en vont chercher des distractions, des spectacles et des plaisirs; elle tombe sur tous, donnant des pensées graves à ceux qui ne voudraient que rire et folâtrer : car, voyez-vous, cette fête des morts n'est pas comme les autres fêtes ; il y a des esprits qui ne veulent ni de Noël, ni de Pâques, qui ne croient ni à la naissance, ni à la résurrection du Christ ; mais qui sont bien forcés de croire à la mort de leur mère, de leur père..., de leurs enfants, peut-être!... Alors, la cloche du jour des trépassés leur dit quelque chose, et tout bas ils avouent que le catholicisme a des solennités qui parlent au coeur.
Admirez quelle connaissance la religion a du cœur humain ! Elle a voulu faire prier ses enfants pour le, morts; mais, pour qu'à la vue de tant de cercueils la tristesse et la douleur n'absorbassent pas trop leurs Ames, elle a montré les rayons du ciel à côté des ombres du sépulcre, la résurrection auprès de la mort.
Le jour de la fête de tous les saints, elle n'a parlé que du bonheur des élus, que de leurs délices sans fin, que de leur gloire, afin que, le lendemain, nous priassions avec plus de ferveur, avec plus d'instances, pour que le Dieu des vivants et des morts donne à notre père, à notre mère, à nos amis, ce repos et cette félicité que l'orateur sacré nous a fait entrevoir.
Figurez-vous donc un jour des morts sans un reflet du ciel! 0 Dieu! que tout y serait noir et lugubre! Cercueil, destruction, pourriture, voilà ce qui viendrait à l'esprit, ce qui saisirait le coeur, quand oh serait rassemblé pour penser à ses parents, à ses amis morts; on reculerait épouvanté; car on ne verrait que vers et corruption. L'encens de cette cruelle fête ne serait que la puanteur du sépulcre ; ses cierges , que les torches des funérailles; ses chants, que des plaintes, et ses hymnes que des gémissements.
Dieu, qui a fait le coeur de l'homme, en connaît la faiblesse, en conçoit les terreurs: aussi quand il veut, pour notre bien, que nous songions à la mort, il fait tomber sur elle quelques lueurs de sa gloire; quand il nous commande de venir prier près des tombeaux, il fait descendre dans les régions funèbres deux filles des cieux, la foi et l'espérance; et ces saintes enchanteresses nous disent là des paroles si douces, que la terreur nous abandonne; et au lieu des épouvantements de la mort, nous ressentons un calme, une paix, qui consolent; à travers nos pleurs, nous voyons de beaux anges emportant sur leurs ailes les âmes délivrées de nos amis...; et dans le profond silence qui s'étend sur toutes les tombes, si un mot nous arrive, c'est celui de résurrection!
Jamais on ne nous a autant montré, enseigné la puissance de la prière et l'excellence de notre grand sacrifice, qu'auprès des autels tendus de deuil ; auprès du cercueil, l'Église a voulu nous faire voir la prière plus forte que la mort. C'est sur le corps glacé de notre mère, sur les restes de notre vieux père, sur les jeunes cadavres de nos enfants, sur la cendre de nos amis , que le christianisme nous dit : N'ayez pas peur, nolite timere ; la tombe, c'est le berceau de l'immortalité; levez la tête, regardez : vos amis, vos enfants, votre père, votre mère, n'ont laissé ici-bas que leurs dépouilles, que leurs vêtements usés; ils avaient eu foi dans le Christ, et le Christ, c'est la résurrection et la vie...
Admirable! mille fois admirable la religion qui console ainsi ! Sois donc bénie par tous les hommes, ô sainte foi catholique! c'est toi seule qui peux crier sur les tombeaux:
O mort! où est ta victoire?
0 mort! où est ton aiguillon?
C'est toi qui donnes à nos affections, à nos amitiés , une durée qui s'allonge par de là la vie; c'est toi qui renoues les liens que les années et les maladies avaient voulu rompre; c'est toi qui concèdes aux enfants le pouvoir de racheter du purgatoire les âmes de leurs pères et de leurs mères, et aux parents la puissance de donner une seconde fois la vie à leurs enfants. Pendant que le pauvre mendiant a vécu ses mauvais jours, pendant qu'il a souffert et gémi, qui a le mieux secouru ses douleurs, consolé ses souffrances?... Oh! nous le savons tous : c'est la religion.
Eh bien ! quand le mendiant aura fait son temps de misère ; quand son cadavre sans suaire et sans cercueil sera gisant sur la paille, qui viendra le garder comme un cadavre de roi? encore la religion.
Car, voyez-vous :
« Chez les anciens, les restes du pauvre ou de l'esclave étaient abandonnés presque sans honneurs; parmi nous, le ministre des autels est obligé de veiller au cercueil du villageois comme au catafalque du monarque. L'indigent de l'Évangile, en exhalant son dernier soupir, devient soudain (chose sublime!) un être auguste et sacré... A peine le mendiant qui languissait à nos portes, objet de nos dégoûts et de nos mépris , a-t-il quitté cette vie, que la religion nous force à nous incliner devant lui. Elle nous rappelle à une égalité formidable, ou plutôt elle nous commande de respecter un juste racheté par le sang de Jésus-Christ, et qui, d'une condition obscure et misérable, vient de monter à un trône céleste.
C'est ainsi que le grand nom de chrétien met tout de niveau dans la mort, et l'orgueil du plus puissant potentat ne peut arracher à la religion d'autre prière que celle-là même qu'elle offre pour le dernier manant de la cité.
Sous la croix de marbre qui étend ses bras sur les restes du riche, sous la croix de bois noir qui protège la fosse de gazon du simple villageois, le religion, quand, est venu le jour des morts, fait entendre les mêmes paroles. Écoutez : Bienheureux sont ceux qui dorment dans le Seigneur!
Le Seigneur parlera, et les morts entendront la voix du fils de Dieu. Celui qui écoute sa parole et qui croit en lui est passé de la mort à la vie. L'heure vient, et tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront sa voix ; et ceux qui auront bien fait sortiront pour ressusciter à la vie ; et ceux qui auront mal fait sortiront pour ressusciter a leur condamnation.
Quand cette heure dernière sera arrivée, heure à laquelle Dieu a résolu de réveiller les élus de leur sommeil, une voix sortira du trône et de la propre bouche du fils de Dieu, qui ordonnera aux morts de revivre : « Os arides! os desséchés! écoutez la parole du Seigneur! Ossa arida, audite verbum Domini! »
Au son de cette voix toute-puissante qui se fera entendre en un moment de l'orient jusqu'à l'occident, et du septentrion jusqu'au midi , les corps gisants, les os desséchés, la cendre et la poussière froide et insensible, seront émus dans le creux de leurs tombeaux.
Toute la nature commencera à se remuer, et la mer, et la terre, et les abymes, se prépareront à rendre leurs morts, qu'on croyait qu'ils avaient engloutis comme leur proie, mais qu'ils avaient seulement reçus comme dépôt, pour le remettre fidèlement au premier ordre : car Jésus, qui aime les siens jusqu'à la fin, prendra soin de ramasser, de toutes les parties du monde , leurs restes toujours précieux devant lui. Une faut pas s'étonner d'un si merveilleux soin, c'est de lui qu'il est écrit qu'il porte tout l'univers par sa parole très-efficace.
Toute la vaste étendue de la terre et les profondeurs des mers, et toute l'immensité du monde, ne sont qu'un point devant ses yeux; il soutient de son doigt les fondements de la terre; l'univers entier est sous sa main. Et lui, qui a bien su trouver nos corps dans le néant même, d'où il les a tirés par sa parole, ne les laissera pas échapper à sa puissance au milieu de ses créatures; car cette matière de nos corps n'est pas moins à lui pour avoir changé de nom et de forme. Ainsi, il saura bien ramasser les restes dispersés de nos corps qui lui sont toujours chers, parce qu'il les a une fois unis à une âme qui est son image. En quelque coin de l'univers que la loi des changements ait jeté nos restes, il les gardera; et quand la violence de la mort les aurait poussés jusqu'au néant, Dieu ne les aurait pas perdus pour cela : Car il appelle ce qui n'est pas avec la même facilité que ce qui est. Et Tertullien a raison de dire que le néant est à lui.
Je le demande avec orgueil, y a-t-il sous le soleil un culte qui sache aussi bien consoler de la mort que le catholicisme? Eh! non, il n'y en a pas. Sans doute d'autres religions que la nôtre commandent de croire à la résurrection des corps; mais voilà tout; elles ne disent point que les vivants peuvent hâter le bonheur des morts. Tandis que nous, catholiques, avec nos prières, avec notre grand sacrifice d'expiation, nous délivrons les âmes de ceux que nous pleurons. L'amitié d'un protestant ne peut rien pour son ami mort; l'amitié d'un catholique ne s'arrête point au marbre de la tombe : elle remue , pour ainsi dire, la terre qu'on a jetée sur les cercueils, pour délivrer l'ami qu'elle regrette. Nous l'avons déjà dit, avec notre croyance, nous prolongeons nos affections en dépit de la mort.
Aussi, le jour des trépassés est une des fêtes que le peuple comprend le mieux. Dans nos églises autour du catafalque, dans les cimetières parmi les monuments somptueux et les fosses où poussent les longues herbes et les mauves bleues, on le voit prier avec une tristesse mêlée d`espérance... Et comment l'espérance ne descendrait elle pas dans nos coeurs, quand nous demandons la paix et le repos pour nos proches, pour nos amis, passés de vie à trépas?
Dans les admirables prières de l'Église, tantôt ce sont des cris de douleur, tantôt des cris d'espoir ; la mort se plaint, se réjouit, tremble, se rassure, gémit et supplie :
« Le jour qu'ils ont rendu l'esprit, ils retournent à leur terre originelle, et toutes leurs vaines pensées périssent. 0 mon Dieu ! ne vous souvenez ni des fautes de ma jeunesse, ni de mes ignorances ! 0 Dieu ! cessez de m'affliger, puisque mes jours ne sont que néant ! Lorsque vous me chercherez le matin, vous ne me trouverez plus. La vie m'est lourde à porter ; la vie m'est pleine d'ennuis ; je m'abandonne aux regrets. Seigneur, vos jours sont-ils comme les jours des hommes mortels, et vos années éternelles comme nos passagères années ?
Pourquoi, Seigneur, détournez-vous votre visage et me traitez-vous comme votre ennemi? Devez-vous déployer votre puissance contre une feuille que le vent emporte, contre une feuille séchée! L'homme né de la femme vit peu de temps, et il est rempli de beaucoup de misères ; il est comme une ombre qui ne demeure jamais dans un même état. Mes jours sont passés, toutes mes pensées sont évanouies, toutes les espérances de mon coeur dissipées... Je dis au sépulcre : Vous serez mon père ; et aux vers, vous serez ma mère et mes sœurs.»
Une voix dit : Mes jours se sont évanouis comme la fumée, mes os sont tombés en poudre.
Une autre voix répond : Mes jours ont décliné comme l'ombre.
« Qu'est-ce que la vie ? demande le prêtre. La foule répond : Une petite vapeur.
« Les morts se sont endormis dans la poussière. Ils ressusciteront tous comme ils étaient. Ils se réveilleront. Oui, glorieux dans le Seigneur. Heureux ceux qui dorment dans le Seigneur ; car leurs bonnes œuvres les suivent, et dans le sein de Dieu ils se reposent de tous leurs travaux ! Du fond de l'abîme, nous crions vers vous, ô Seigneur ! Seigneur, écoutez notre voix ! Si vous comptez toutes nos iniquités, oh ! qui pourra soutenir votre jugement ? Mais la miséricorde est grande entre vos mains ; — Seigneur, soyez-nous miséricordieux; depuis le matin jusqu'au soir Israël espère en vous !
Ou une grande partialité m'aveugle, ou jamais la tristesse et la crainte, la douleur et l'espoir, n'ont eu de paroles plus saisissantes que celles de ces prières des morts.
— Il y a là plus que la tristesse de la terre, plus que les plaintes des vivants. —Aux voix qui gémissent dans le monde, — les voix de ceux qui n'y sont plus se mêlent et sortent du silence des tombes pour ce grand concert de larmes et de regrets.
Et du haut de la chaire, c'est le grand orateur de la mort qui parle : À la fin des siècles, tout le genre humain se lèvera comme une seule moisson. Mais, en attendant, il faut mourir et être assujetti à la corruption : car nous portons une chair de péché, chargée d'infirmités et de maladies. Allez dans les hôpitaux en ce triste jour, pour y contempler le spectacle de l'infirmité humaine : là, vous verrez en combien de sortes la maladie se joue de nos corps.
Là elle étend , là elle retire, là elle relâche, là elle engourdit , là elle cloue un corps perclus et immobile , là le secoue tout entier par le tremblement : pitoyable variété! diversité surprenante! Chrétiens, c'est la maladie qui se joue comme il lui plaît de nos corps, que le péché a abandonnés a ses cruelles bizarreries.
0 homme! considère le peu que tu es , regarde le peu que tu vaux ; viens apprendre la liste funeste des maux dont ta faiblesse est menacée. Et la fortune, pour être également outrageuse, ne se rend pas moins féconde en événements fâcheux. Le secours qu'on donne à nos corps est l'image du grand secours que leur donnera un jour Jésus-Christ en les affranchissant tout à fait. Mais, en attendant, il faut qu'ils tombent pour qu'ils soient renouvelés. Ils ne laisseront à la terre que leur mortalité et leur corruption ; il faut que ce corps soit détruit jusqu'à la poussière ; la chair changera de nature, le corps prendra un autre nom; même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps. La chair deviendra un je ne sais quoi, qui n'a plus de nom dans aucune langue ; tant il est vrai que tout meurt en eux, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ces malheureux restes : Post totum ignobililatis elogium caducae in originem terrant, et cadaveris nomen, et de isto quoque nomine periturae in nullum
indè jam nomen, in omnis vocabuli mortem .
David, Job, Tertullien, Bossuet, Chateaubriand, m'ont fourni les paroles avec lesquelles j'ai écrit sur la journée des morts. Si j'en appelais aux souvenirs de chacun de nous, je serais sûr d'émouvoir encore : car, parmi ceux qui liront ces pages, presque tous ont mené le deuil autour d'un tombeau; presque tous ont dit les prières des agonisants près d'un lit de moribond ; presque tous ont vu l' enlief d'un cercueil, ont récité le De profundis sous la voûte mortuaire du trépassé ; presque tous ont entendu les pelletées de terre tomber, et résonner si lugubres sur les planches de la bière; mais nous n'évoquerons point de si torturantes réminiscences : le jour des morts ne doit pas être un jour d'épouvante, mais un jour d'espérance et presque de consolation.
Musique chrétienne: Michel Richard Delalande - De Profundis
L'Église, dès son origine, a toujours prié pour ses enfants morts ; elle, qui connaissait les miséricordes du Seigneur, ne cessait d'offrir, pour les trépassés, le sacrifice qui rachète les âmes et qui leur ouvre les portes du ciel; mais saint Odilon, abbé de Cluny, a été un des premiers à établir une commémoration générale pour tous les fidèles, et pour cette solennité il choisit le lendemain de la fête de tous les saints.
En peu de temps, on vit adopter et pratiquer cette observation dans toute l'Église d'Occident par l'autorité du siège apostolique. Bientôt après, on la mit au nombre des fêtes dont l'observation est de précepte parmi le peuple et le clergé. Cette fête de regrets, de souvenirs et de prières, était déjà toute commune en Angleterre au commencement du treizième siècle, comme il paraît par le concile d'Oxford, tenu l'an 1222. Elle y est au rang des solennités de seconde classe.
Elle a été ordonnée comme de précepte pour la ville et le diocèse de Paris, par l'évêque Eustache du Bellay, dans ses statuts de l'an 1557. Maintenant, cette commémoration des morts est établie et enracinée dans les moeurs des peuples, et les hommes oublieraient bien des fêtes avant celle-là. Il y a dans cette pensée, que la prière pour nos amis morts peut assurer leur éternel bonheur, un si grand attrait, une si forte consolation, que nous avons vu des protestants attirés à la religion catholique par cette seule idée.
J'ai connu un luthérien que notre croyance du purgatoire a rendu catholique. Il avait perdu un frère chéri au milieu d'une fête, et il se souvenait sans cesse, pour tourmenter son coeur, de ce passage si brusque d'une orgie au cercueil ; son âme avait besoin d'être rassurée ; il savait toute la pureté qu'il faut pour le ciel, et, dans son culte, il ne trouvait pas de lieu intermédiaire entre les parvis célestes et les profondeurs de l'abîme. Avec sa religion, il lui fallait croire qu'aussitôt le dernier soupir exhalé, le jugement de Dieu était accompli ; jugement subit, instantané, irrévocable. Oh! alors ses frayeurs devenaient de déchirantes angoisses ! Il n'avait plus de repos! . . .
Ses jours étaient sans distraction, ses nuits sans sommeil, ses pensées sans espérances; il dépérissait à vue d'oeil, et lui aussi penchait vers la tombe, vers la tombe de son frère, qu'il devait partager comme un lit de famille. On lui ordonna de voyager ; mais lui se disait : Je n'aurai pas le temps d'aller loin, je mourrai dans une hôtellerie, soigné par des mercenaires étrangers..., et quand j'aurai fermé mes yeux, on sera obligé de chercher dans mes papiers le nom du voyageur qui vient de s'arrêter pour toujours, et qui n'a plus besoin que d'un gîte au cimetière.
Ses amis se joignirent à son médecin, et le jeune Ecossais vint sur le continent. Je me trouvai sur le même vaisseau que lui, et bientôt nous eûmes lié conversation ensemble et bien des points de contact nous lièrent. Quand nous fûmes débarqués, nous logeâmes dans le même hôtel ; au bout de quelques jours, il me révéla ce qui avait répandu tant de tristesse sur ses jeunes années, la mort de son frère, et ses inquiétudes sur les destinées éternelles d'un être tant aimé l... Ah I me dit-il un jour des morts, par amour pour mon frère je vais adopter votre rite!... Oh! quand je pourrai prier pour mon frère, je respirerai, je vivrai pour demander chaque jour du bonheur dans le Ciel pour celui que j'ai tant chéri sur la terre!...
Votre culte fait que l'on peut encore s'entr'aider après la mort; vos prières ôtent au sépulcre son terrible silence. Vous, vous conversez encore avec ceux qui sont partis de la vie ; vous, vous avez connu la faiblesse humaine, cette faiblesse qui n'est pas le crime, mais qui n'est pas la pureté; et entre les limites du ciel et de l'enfer, Dieu vous a révélé un lieu d'expiation. Mon frère y est peut-être ; je me fais catholique pour l'en délivrer, pour me consoler ici-bas, me soulager de ce poids qui m'oppresse; ce poids, je ne l'aurai plus quand je pourrai prier.
La prière, c'est la respiration de l'âme, surtout près des tombeaux ; là, les choses de la mort, la terre tombant sur le cercueil , le marbre scellé pesant sur le trépassé , les vers, la corruption venant, malgré tous nos efforts, malgré les châsses de bois de chêne et de plomb, dévorer le peu qui nous reste de nos proches et de nos amis ; toutes ces choses briseraient le coeur. Mais la prière soulève ces poids écrasants de dessus nos âmes, et les fait respirer.
Camille Saint Saëns Messe de Requiem, Op. 54 (1878)
La prière est comme une rosée qui reverdit le bonheur et qui rend plus douce la prospérité. La prière est comme une blanche aurore qui se lève sur nos chagrins pour en dissiper les ténèbres et pour faire voir le ciel aux yeux noyés de larmes. Aussi la religion l'a mêlée à toutes ses fêtes, et dans l'année chrétienne elle monte sans cesse vers Dieu avec les mérites des bonnes œuvres et la fumée de l'encens.
33 – La Dédidace de l`Église ( novembre)
Du moment où les hommes ont eu la pensée d'élever des temples au Roi du ciel, ils ont dû vouloir consacrer ces demeures, destinées à recevoir sous leurs voûtes ce lui qui s'assied sur les nuées. Avant que Dieu daignât descendre sur un autel d'or et de marbre, il a fallu que le marbre et l'or fussent mieux que de la matière ; pour les purifier et sanctifier, la religion fut tout d'abord invoquée ; elle seule, par sa consécration, était capable d'agrandir assez nos églises pour que le Tout-Puissant, créateur de l'univers, pût y faire sa résidence.
Quand elle met sa main sur le front de l'enfant qui vient de naître, quand elle verse l'eau du baptême sur sa tête, elle le purifie de la souillure originelle. Quand l'homme est prêt à quitter la vie, elle lui donne l'huile des mourants, et l'âme chrétienne qui va partir est consacrée pour les régions d'outre-tombe. Eh bien, aussi, quand elle touche la pierre de nos temples avec son saint-chrême, elle la rend assez sainte pour que la sainteté même puisse s'y asseoir.
Esprit éternel, immense, incompréhensible, Dieu ne peut, à bien parler, que demeurer en lui-même; lui seul est son lieu, son monde, son trône, son temple. Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi, disait Jésus- Christ. Les hommes auraient donc pu se contenter de ce beau temple que l'Éternel s'était bâti lui-même l'univers; pour autel, les globes lumineux qui brillent au firmament; pour étendue, l'infini. Mais la pensée humaine se serait égarée dans les espaces sans bornes, et Dieu, se mesurant à notre faiblesse, a bien voulu venir habiter les maisons que nous lui avons bâties.
Il était digne de sa bonté de se rabaisser jusqu'à prendre une habitation parmi nous; consentant par son incarnation à devenir notre frère, il a voulu se rapprocher de nous; et, pour mieux entendre nos demandes et pour être plus proche de nos douleurs, il n'a pas eu peur de notre vallée de larmes.
La première habitation que l'Éternel Seigneur eut parmi les hommes, fut le Tabernacle, le saint des saints du désert, cette tente portative, sous laquelle Dieu ne dédaignait pas de venir partager, pour ainsi dire, la vie voyageuse de son peuple. Pour nous mieux assurer que Dieu avait pour agréable cette demeure au milieu d'Israël, nous le voyons lui-même, dans les livres saints, tracer à Moïse toutes les proportions, toutes les dispositions de son tabernacle.
Roi, législateur, guide d'un peuple voyageur, Dieu consent à descendre sous la tente, jusqu'au moment où ce peuple aura conquis l'héritage promis à ses pères. Alors il aura un plus digne sanctuaire, et la montagne de Sion sera signalée par les anges comme le lieu le plus agréable au Seigneur. David, à qui cette révélation sera faite, voudra élever cette somptueuse demeure; mais cette gloire ira à son fils, et tous les siècles rediront la magnificence de ce temple, la merveille des hommes.
Tout ce que la nature a de plus précieux est employé à cette vaste construction, par son étendue, ses péristyles et ses parvis, semblable à une ville. La pierre et le marbre, le cèdre et l'ivoire, le porphyre et le jaspe, l'argent et l'or, se touchent, se portent, se mêlent, s'unissent, s'entr'aident pour sa décoration; ce n'est pas le ciel, mais c'est ce qu'il y a de plus beau sous le ciel.
Quand Salomon eut achevé son œuvre, quand rien ne manqua plus à la beauté du temple, le roi d'Israël, plein de confiance dans le Seigneur, assembla les douze tribus pour la solennelle dédicace de la maison du Seigneur. Pour rendre cette cérémonie plus auguste, le fils de David choisit le huitième jour du septième mois de l'année sainte, qui était le premier de l'année civile, et qui correspond à notre mois d'octobre. La dédicace dura sept jours, et quand ces sept journées de saintes réjouissances furent passées, la fête des tabernacles commença, de manière que tout Israël demeura à Jérusalem et dans les campagnes environnantes pendant quinze jours. Jamais le Seigneur n'avait répandu tant de joie, tant de gloire, tant de bonheur sur son peuple.
Depuis le 8 jusqu'au 22 du septième mois, Salomon fit venir près de lui tous les anciens, tous les princes des tribus, pour conférer avec eux du cérémonial de la sainte journée. Les prêtres et les lévites portèrent dans le temple tous les présents, toutes les richesses que le roi David avait destinés à l'embellissement de la demeure de Dieu.
Parmi ces objets consacrés se voyaient l'armure et l'épée de Goliath et la fronde du berger; et lorsque tous les vases, tous les ornements nécessaires aux sacrifices furent placés près des autels; quand les piscines et la mer d'airain furent remplies d'eau pour les ablutions des sacrificateurs; lorsque les parfums, l'encens, la myrrhe, l'aloès, le cinnamome, furent déposés à côté de l'autel à treillage d'or; quand les victimes furent amenées sur les dalles que leur sang devait rougir ; quand l'immense multitude fut rangée sur les marches de marbre et sous les portiques, alors entra l'arche d'alliance, le trône de l'Éternel.
Et à mesure que l'arche, respectueusement portée par les prêtres, avançait sous les voûtes étincelantes d'or, les victimes tombaient immolées. Vingt-deux mille bœufs, cent vingt mille moutons, ou hosties pacifiques, furent offerts en sacrifice. L'arche étant parvenue au milieu de l'encens et des holocaustes jusqu'au saint des saints, tout à coup une nuée lumineuse emplit tout l'espace du temple ; cette nuée était si rayonnante de la gloire du ciel, que les yeux des hommes ne pouvaient en supporter l'éclat miraculeux.
Salomon se prosterna la face contre terre, et tout son peuple l'imita. Les prêtres eux-mêmes, éblouis de tant de splendeur, furent obligés de suspendre les sacrifices. Alors, au milieu du grand et religieux silence qui régnait dans le temple, Salomon, se relevant et se tournant vers le sanctuaire, pria Dieu à haute voix, le suppliant d'avoir pour agréable la maison qu'il lui avait bâtie, de la bénir, et d'exaucer les prières qui s'en élèveraient.
Après cette prière, le jeune roi, le plus beau, le plus sage entre tous les hommes couronnés, étendit les mains sur son peuple et le bénit. Dans la nuit qui suivit cette magnifique dédicace, le Seigneur apparut en songe à Salomon, et lui dit : « Fils de David, j'ai exaucé ta prière, et j'ai choisi le temple que tu m'as bâti pour en faire ma maison de sacrifice ; mes yeux seront ouverts et mes oreilles attentives à la prière de celui qui m'invoquera en ce lieu... »
Ces paroles, que le Seigneur Dieu d'Israël a fait entendre à Salomon, nous pourrions les sculpter, les graver sur toutes les portes de nos églises, dont le temple de Jérusalem n'était, en quelque sorte, que le péristyle. Sans doute cette merveille des merveilles, ce chef d'œuvre de Hyram et du plus savant et du plus habile de tous les rois, était digne des regards de Dieu. Mais la plus modeste de nos églises doit être plus chère à l'Éternel que le temple de Sion . Dans nos sanctuaires, il y a plus que l'arche d'alliance, il y a le Fils de Dieu lui-même, l'objet des éternelles complaisances du Père, assis au plus haut des cieux.
Dans nos églises, tout est digne de méditation, rien d'y doit être indifférent ou chrétien; de tous les objets muets qui décorent leur intérieur, il s'élève une voix pour ceux qui savent réfléchir. Cette corde qui pend sous le porche, c'est le conducteur avec lequel la main indifférente du sacristain ou du sonneur répand la joie ou la tristesse dans la contrée; avec elle il va réveiller, jusque dans les hauteurs de la tour ou de la flèche, la cloche qui sommeillait silencieuse.
Alors, d'après l'impulsion qu'elle reçoit, elle élève sa voix sonore ; tantôt lente et vibrant par trois fois, au milieu des lueurs naissantes du crépuscule, elle sonne I'Angélus..., et cette première voix de la terre, ce premier soupir après le repos de la nuit, dit à ceux qui ont dormi sous des tentures de soie, et à celui qui a couché sur la dure : « Voici le jour qui commence, élève ton âme à Dieu! »
Et quand la lumière s'éteint, quand les ombres descendent du ciel, elle dit encore : « Voici venir l'heure du repos, voici venir la nuit avec toutes ses étoiles; homme fatigué, réjouis-toi, et bénis celui que tu as prié ce matin. A solis ortu usque ad occasum laudabile nomen Domini.
Cette cloche, donnée à la paroisse par ses anciens seigneurs, est toute couverte d'armoiries et de noms titrés. Cette cloche est très-noble et très-bénite, baptisée comme un chrétien. Haut et puissant seigneur a été son parrain ; haute et puissante dame a été sa marraine ; et quand une pauvre femme vient de mettre au jour un pauvre enfant, la cloche sonne joyeuse, pour dire les transports ineffables de la mère, pour dire à tous : Un enfant nous est né.
Et quand le vieillard n'a plus que de lentes pulsations, quand sa vie s'en va seconde par seconde, la cloche n'a plus que de lents tintements, comme les soupirs entre coupés de l'agonisant. La religion mêle ainsi sa voix d'airain à toutes nos émotions, à toutes nos joies, à toutes nos prières, à toutes nos alarmes, à toutes nos douleurs ; elle chante sur nos berceaux, crie dans les dangers, dans les incendies, dans les inondations, et gémit quand nous allons mourir.
La cloche est aimée de toute la paroisse ; les fidèles sont fiers et orgueilleux de sa taille et des sons pleins qu'elle jette au loin; et puis elle leur est chère, parce qu'elle a annoncé tous les événements de leurs familles; c'est pour eux comme une vieille amie qui sait tout ce qui les concerne ; ils l'aiment tant dans les campagnes, qu'ils lui croient la puissance de chasser ces démons qui errent lu nuit parmi les nuages, et de détourner le tonnerre quand il menace leurs maisons et leurs granges.
Oh ! je suis comme ces simples paysans, j'aime ma cloche natale, ma mère l'a aimée avant moi!... Et vous, habitants des grandes cités, n'aimez-vous pas ces belles et majestueuses volées, ces sonneries harmonieuses, qui, dans vos solennités, semblent des voix du ciel pour voua appeler aux autels de Dieu?
Tout à côté, attaché à un des piliers du porche, Voici le Bénitier ; l'homme qui marche aujourd'hui dans toute la force de l'âge et de la santé y trempe le doigt et se signe d'eau bénite. — Quand il sera étendu sur son lit de mort, le prêtre l'en aspergera pour laver les souillures de sa vie, pour éloigner de son chevet les esprits malfaisants... Et quand, un peu plus tard, il sera gisant dans son cercueil et descendu dans sa fosse, un peu de cette eau, qu'il prend aujourd'hui sans y trop penser, tombera sur lui avec les larmes de ses enfants et de ses proches ! Memento, homo, quia pulvis es!
Et cette piscine de pierre, placée devant ce tableau de saint Jean répandant l'eau du Jourdain sur la tête du Christ, ce sont les fonts baptismaux. C'est là que l'on nous apporte tous, c'est pour être amenés là que nous faisons notre première absence d'auprès de notre mère. . . ; c'est pour venir là que la garde ou la nourrice nous a enlevés de notre berceau, avec toutes ces dentelles dont l'orgueil maternel nous a déjà couverts; — c'est pour venir là que notre parrain et notre marraine ont pris ces habits de fête, ces gros bouquets, ces boîtes de dragées, et ces gants blancs...
C'est pour que son fils soit apporté là, que la mère indigente a ôté de dessus elle un des haillons qui la recouvrent sur le peu de paille qu'elle a eue pour accoucher ! . . Et toute misérable, toute défaillante, elle a souri en voyant que son nouveau-né va être fait chrétien... Et elle a dit au voisin et à la voisine qui ont bien voulu nommer son enfant : Rapportez-le-moi vite, que je le réchauffe sur mon sein.
Comme si tous les hommes devaient être heureux, il y a toujours plus ou moins de joie à leur baptême ; ce sont les mères qui ont inventé cette joie-là !.. . Ont-elles eu raison? en vérité, je ne sais. Car enfin, de ces fonts baptismaux, tous apprendront-ils à marcher pour aller vers le bonheur?
En voici, petits anges de la terre, qui, encore tout mouillés de l'eau de leur baptême, vont prendre leur volée vers le ciel, et que le vent de la mort ravira à leurs mères comme des fleurs encore humides de la rosée du matin ! Et ceux qui sont destinés à grandir, à vieillir, ne sera ce que de la félicité qu'ils trouveront entre la pierre de la sainte piscine et la pierre de la tombe? Parmi ceux-là, n'y en aura-t-il pas qui s'écrieront : « Maudite soit la nuit où j'ai été conçu ! Maudit soit le jour où je suis né !
Pourquoi la vie a-t-elle été donnée à celui qui est dans l'amertume du cœur? La religion qui ne trompe pas, elle, fait entendre à ceux qui apportent un enfant aux eaux du baptême, qu'il y aura pour le chrétien de l'amertume dans la vie : dès son premier jour, elle lui met du sel sur les lèvres, comme pour lui faire pressentir que tout ne sera pas douceur dans l'avenir ; elle lui montre encore qu'il lui faudra de la force dans le chemin qu'il va avoir à parcourir, et pour cela, elle lui donne l'onction d'huile et de saint-chrême, qui fortifie... Une autre fois, le chrétien recevra encore cette onction ; aujourd'hui c'est à l'arrivée, demain ce sera au départ.
Oh ! vous voyez bien, il y a beaucoup à réfléchir devant des fonts baptismaux ! C'est la première borne milliaire du chemin, bon ou mauvais, qui s'allongera devant nous. Pas loin de la piscine sacrée, voici la chapelle des saints anges. C'est là où les enfants qui ont atteint l'âge de raison viennent apprendre le catéchisme. C'est sur ce bancs de bois que s'asseyent et les riches et les pauvres ; c'est là la première école de la bonne et vraie égalité, de l'égalité chrétienne. . . Pour que la terre ne fût pas attristée, déchirée par les divisions et les haines, pour qu'elle ne fût pas souillée par les vices, pour qu'elle ne fût pas arrosée de larmes et de sang, il ne faudrait qu'une chose : c'est que les hommes se souvinssent toujours du petit livre qui leur a été enseigné sur ces bancs.
C'est tout à côté de cette chapelle, où le prêtre a appris aux enfants leurs devoirs, qu'il va s'asseoir pour écouter l'aveu de leurs fautes. Voici le confessionnal. Je ne puis passer outre sans me souvenir de la paix qu'on y trouve, sans regretter l'innocence qu'on s'y fait. Que d'hommes, tout courbés sous le poids de l'or, tout vêtus de pourpre, ont cherché par toute la terre un peu de paix pour leur cœur, et qui n'ont pu en trouver que là!
La fortune leur avait jeté à pleines mains tous ses dons, le monde tous ses honneurs; le hasard leur avait départi sa force et la santé ; et cependant la vie leur était lourde; ils la portaient comme un fardeau ; ils sont venus s'agenouiller là, et en fouillant dans leur mémoire, dans les replis de leur âme, en relevant ce qui était caché comme un crocodile au fond du puits des Apulaches, ils ont obtenu à l'instant ce que leurs recherches à travers toutes les régions de la terre n'avaient pu leur faire avoir, le premier, le plus enviable des biens, le calme de la conscience.
De par le monde, il y a encore de jeunes et de vieux esprits forts qui vont sourire des pensées que m'inspire la vue d'un confessionnal. Armés à la Voltaire ou à la Jean-Jacques Rousseau, ils vont me lancer les traits acérés du ridicule, et les vieilles redites de l'impiété... Mais, dans leur injustice, ils ne me rappelleront pas tout ce que Jean-Jacques et Voltaire ont dit sur la confession. Rousseau s'écrie quelque part : « Que de restitutions, que de réparations ne fait-elle pas faire chez les catholiques ! »
Voltaire dit à son tour : « La confession est une chose très-excellente, un frein au crime, inventé dans l'antiquité la plus reculée : on se confessait dans la célébration de tous les anciens mystères; nous avons sanctifié cette sage coutume : elle est très-bonne pour engager les cœurs ulcérés de haine à pardonner.
Ce que nous préférons aux paroles de nos philosophes pour faire aimer la confession, c'est notre expérience à tous ; souvenons-nous du bonheur que le prêtre nous a donné quand il nous a dit : Mon enfant, allez en paix et ne péchez plus!... Oh! dans ce peu de mots, il y avait plus de paix que dans tous les discours des hommes. . . Sans la confession, dit Chateaubriand, sans cette institution salutaire, le coupable tomberait dans le désespoir. Dans quel sein déchargerait-il le poids de son cœur?
Serait-ce dans celui d'un ami? Eh! qui peut compter sur l'amitié des hommes? Prendra-t-il les déserts pour confidents? Les déserts retentissent toujours, pour le crime, du bruit de ces trompettes que le parricide Néron croyait ouïr autour du tombeau de sa mère. Quand la nature et les hommes sont impitoyables, il est bien touchant de trouver un Dieu prêt à pardonner ; il n'appartient qu'à la religion chrétienne d'avoir fait deux sœurs de l'innocence et du repentir.
0 vous, jeunes gens qui lirez les lignes que j'écris aujourd'hui pour vous, je ne sais quels succès, quelles joies, quels bonheurs vous sont réservés dans le monde. Je ne sais si votre amabilité, vos talents, vous feront briller bien plus que tous vos compagnons. Je ne sais si votre savoir doit vous placer plus haut que tous vos émules ; je ne sais si les arts, la science ou le génie vous gardent de leurs couronnes.
Mais je sais une chose ; c'est que, si un de ces bonheurs ou si tous ces bonheurs ensemble vous sont réservés, le jour où vous serez tout entourés d'hommages, tout étourdis de louanges, tout enivrés d'encens, tout palpitants de gloire , ce jour-là vous serez moins heureux que l'homme qui, après avoir été coupable et bourrelé de remords, se relève du confessionnal ! . . . Oh ! alors il trouverait des anges sur la route, et pourrait leur dire : Anges, je suis votre frère.
Mais, en nous éloignant de la porte de l'église, nous avons oublié ce qui est placé dans la tribune du porche : les orgues. On a beau vieillir, on n'oublie pas les puissants, les saisissants accords des orgues que l'on a entendus dans son enfance, alors que notre mère nous conduisait aux grandes solennités ou de Pâques ou de Noël.
Oh! que j'aime mieux les sons graves, aériens, majestueux des orgues, que tous les orchestres que la musique moderne amène maintenant dans nos églises!... Ces musiciens avec leurs violons, leurs basses, leurs contrebasses, leurs clarinettes et leurs trombones, me font rêver l'Opéra ; les orgues seules me font rêver le Ciel! Lequel d'entre nous n'a senti tout son cœur inondé de suaves et ineffables délices, alors qu'après l'Hosanna du Sanctus, les voix fortes des chantres venant à cesser, au milieu des nuages d'encens, au milieu du silence qui précède l'Élévation, l'orgue s'est mis à chanter son hymne, à soupirer avec ses notes les plus douces, les plus célestes, un 0 salutaris hostia?
En vérité, l'homme qui resterait sans émotion à pareil moment, à semblable harmonie, je n'envierais pas son amitié! Maintenant, me voici en face de la chaire... : il y a encore là bien des pensées qui nous viennent. Connaissez-vous de plus belle tribune que celle-là? En connaissez-vous une d'où l'on parle de plus haut? Une où l'on soit plus en droit de faire retentir les mots de liberté et d'indépendance? une où, comme là, on puisse, sans manquer de respect, donner des enseignements aux peuples et aux rois? Démosthène à Athènes, Cicéron à Rome, n'ont pu avoir, n'ont pas eu à leur usage les puissantes paroles qui appartiennent, dans nos églises, au dernier curé de campagne.
Et du haut de cette chaire, à nos Chrysostômes de village, à nos Bossuets champêtres, il ne faut pas, pour toucher et remuer fortement la multitude qui les écoute, il ne faut pas de grands événements, des catastrophes, des coups de foudre du destin ; eh ! mon Dieu, non ! l'Évangile à la main, ils font trembler le riche et espérer le pauvre, exaltent l'humilité et terrassent l'orgueil!
J'ai entendu des hommes d'État, à leur tribune de marbre, agiter des questions de vie et de mort pour les empires; sans doute, leur éloquence était saisissante alors..., mais, en vérité, il lui manquait ce qui ne manque pas à l'éloquence sacrée. Un ministre parle à une nation : Le prêtre parle à toutes les nations. Un ministre s'occupe des intérêts d'un moment : Le prêtre se voue aux intérêts de l'éternité. Un ministre s'appuie du nom du roi : Le prêtre s'appuie du nom de Dieu. De cette chaire, dont le dôme, surmonté de la croix, est porté par deux anges, que de consolations sont découlées ! . . .
Que de fois la misère, la douleur, la souffrance, auront été attentives autour de cette sainte tribune! Que de fois elles auront senti l'espérance leur venir comme la rosée qui fait reverdir les plantes desséchées..., alors que le vieux curé, avec ses cheveux blancs, leur aura répété . « Mes enfants, mes chers enfants, j'ai été jeune, et me voilà vieux; mais, en vérité, je vous le dis, je n'ai pas encore vu le juste abandonné ni délaissé du Seigneur...»
En face de la chaire, cette petite chapelle plus ornée que les autres, et dont les murs noircis d'encens sont couverts d'un grand nombre de peintures d'ex-voto , c'est celle de NOTRE-DAME-DE-BON-SECOURS... Oh! combien de lampes et de cierges brûlent devant son autel !
Que de bouquets blancs brillants de paillettes, de boules de verre et de nœuds d'argent, déposés aux pieds de la statue! Que de chapelets avec leurs médailles bénites, que de scapulaires appendus aux deux colonnes qui en cadrent ces tableaux, où l'on voit un frêle navire battu des vagues, frappé de la foudre..., et miraculeusement sauvé par Marie, Etoile des mers, apparaissant radieuse sur les nuées, et calmant la tempête par un sourire d'elle et de son divin Fils!
Certes, les fidèles vont s'agenouiller devant le maître autel, qui reluit de marbre et de dorures, et qui a, de chaque côté de son tabernacle, deux beaux anges adorateurs; mais ses degrés sont moins usés par la prière que ceux de l'autel de Notre-Dame-de-Bon-Secours; car nous nous sentons si peu de chose en face de la grandeur de Dieu, que nous éprouvons le besoin de chercher un intermédiaire plus rapproché de notre faiblesse. Les femmes surtout viennent prier la Vierge; on dirait qu'elles craignent la majesté du Tout-Puissant, et qu'elles aiment mieux s'adresser à une mère ; dans leur simplicité, une mère leur semble devoir mieux les comprendre; aussi elles viennent en foule à l'autel de Marie !
Tout près de cet autel, on a placé un tronc pour les malheureux. Soyez tranquille, celui-là ne chômera ni de liards, ni de sous, ni même de pièces blanches! Comme à cette chapelle on vient demander beaucoup, on donne beaucoup ; comme on dit à la Consolatrice des affligés : secourez-moi, on secourt les autres. L'aumône et la prière sont deux sœurs qui se tiennent par la main...
Voilà que nous avons parcouru la longueur de l'église. . . ; nous voici presque sous la lampe qui ne s'éteint jamais; lampe sacrée que je me suis pris quelquefois à envier! En effet, sainte destinée que la sienne! Allumée devant l'autel, elle brûle devant l'autel ; les vents du dehors no tourmentent point sa flamme; en dirait une âme loin du souffle des passions..
Cette lampe est un symbole de l'amour de Dieu pour les hommes ; elle veille toujours ; comme une étoile tombée du firmament, elle brille dans la nuit pour redire la bonté de Jésus-Christ, pendant que ses sœurs, restées dans les plaines d'azur, racontent la puissance du Très- Haut!...
Souvent quand je voyage la nuit, et qu'en passant dans un village je viens à apercevoir, à travers les vitraux de l'église, la lueur de la lampe du sanctuaire, je me dis : les hommes peuvent dormir, la religion veille. Et c'est vrai : que la nuit soit sans lune et sans étoiles, que les vents et l'orage grondent dans l'obscurité, que la neige tombe sur le noir des ténèbres, que le givre glace les étangs et fasse craquer la terre du chemin; si un malade meurt, si un impie se convertit, si un adolescent s'en va d'auprès de sa mère, c'est proche de l'église, à la porte du curé, que l'on vient frapper d'abord. Et puis, à la lueur de cette lampe dont nous parlions tout à l'heure, le prêtre monte à l'autel, et y prend, pour le moribond qui le demande, le pain de la vie.
Cette porte, toute sculptée et tout ornée de moulures gothiques, conduit à la sacristie... C'est là qu'est le trésor de l'église, son calice, son saint ciboire, son ostensoir de vermeil, ses chapes d'étoffes de Lyon, à grands bouquets et à franges d'or; sa croix d'argent, ses encensoirs, ses bannières et son dais de velours rouge, dais que nous aimons tant à voir à la Fête-Dieu balancer ses panaches au-dessus des têtes de la foule. C'est aussi dans la sacristie que se signent et les baptêmes et les mariages. Autrefois, on avait établi ainsi les choses; on avait voulu que la religion fût vraiment comme une mère, et qu'elle prît part à tous les événements de la famille
Cette balustrade qui sépare le sanctuaire de la nef, et à laquelle est attachée une nappe de fin lin, c'est la table sainte; c'est là que les chrétiens s'agenouillent au divin banquet; c'est là que les anges qui veillent sur nous nous envient : car le grand mystère ne s'est point opéré pour eux. Là, que d'émotions, que de souvenirs vous viennent en foule ! Et ce grand jour de la première communion , ce jour où l'on devrait mourir tout de suite pour être reçu par les esprits célestes , et la mémoire de notre mère que nous avons vue, prosternée sur cette marche de pierre, priant pour ses enfants!... Toutes ces réminiscences montent au cœur et le font battre vivement; l'esprit, se reportant en arrière, évoque les années écoulées... Oh! que de calme, que de paix dans les années de foi , d'innocence et de ferveur ! Et depuis que nous nous sommes échappés de dessous l'aile du Seigneur, depuis que nous avons repoussé le souvenir de la première communion, comme pensée gênante, qui pourra compter les inquiétudes qui ont, ainsi que des glaives acérés, transpercé nos âmes?
Pour cette grande journée de la première communion. Que de soins, que de peines le vieux curé a pris dans la chapelle du catéchisme ! que de sainte ténacité il lui a fallu pour faire entrer dans les mobiles intelligences des enfants les hautes et graves vérités de la religion!... Et puis, quand la fin de ses travaux est arrivée, quand les jeunes chrétiens ont été jugés dignes, et parleur pureté, et par leur instruction, de venir s'agenouiller à la table où le pain des forts est donné , alors les prêtres de la paroisse ont eu un autre soin : ç'a été de solliciter la charité des fidèles, pour que les enfants des pauvres ne fussent pas vêtus des haillons de la misère au plus grand jour de leur vie.
Dans nos campagnes bretonnes, chaque enfant porte à la procession de la première communion un drapeau de mousseline ou de percale blanche, et rien n'est plus pittoresque à voir à travers la verdure des champs que tous ces étendards déployés et flottant à la brise. Dans le sanctuaire, pour qui ces deux prie-Dieu avec ces deux coussins et cette espèce de pompe? Un vieux couple , après cinquante ans d'union , va venir célébrer la cinquantaine devant l'autel du Dieu d'Abraham et de Jacob. Habitants de la paroisse, tous deux ont été baptisés sous les voûtes de l'église que nous explorons; tous deux, beaux de jeunesse, y ont été mariés il y a un demi-siècle; maintenant, tous deux, chargés de vertus et d'années, reviennent au même Dieu, Dieu d'Isaac et de Rachel, lui dire : « Seigneur, bénissez-nous encore une fois ! »
Pensant à ces deux vieux époux , moi, je prie, et je dis: « 0 vous, mon Dieu, qui ne voulez pas que l'on désunisse ce que vous avez uni, accordez-leur encore quelques années de bonheur, mais appelez-les à vous le même jour, ne séparez pas ce qui a été si longtemps uni .»
Dans un coin obscur, non loin de la sacristie, est relégué le matériel de la mort ; le catafalque qui sert aux morts opulents, et le cercueil commun qui porte à la fosse le malheureux dont les enfants sont si pauvres, qu'ils n'ont pu acheter quatre mauvaises planches de sapin pour leur défunt père!... Oh! que cette misère de la tombe me fait mal! et qu'il y a loin des pensées qui me serrent le cœur maintenant, à celles que j'avais tout à l'heure! mais je ne les repousse pas; elles sont venues à la fin de mon exploration, comme la mort au bout de la vie C'est dans l'ordre J'ai parcouru toute l'église, que l'on dédie à Dieu, et l'on a pu voir combien tout ce qui s'y trouve était digne d'être consacré par la religion. Rien de ce que je viens de passer en revue n'est inutile ; tout y rappelle des souvenirs graves, tout y donne des enseignements sérieux; la vie du chrétien tout entière est là, entre la piscine des fonts baptismaux et la chapelle des trépassés.
Le catholicisme a donc bien fait de rendre saintes toutes ces choses qui avoisinent l'autel de Dieu et qui lient ensemble tous les jours de l'homme. Avant de réunir ses enfants dans le ciel , dit un pieux écrivain, Dieu veut les rassembler ici-bas dans des temples. Une impression secrète et naturelle de vénération, que chacun porte au fond de son cœur pour la Divinité, a introduit chez tous les peuples, même parmi ceux qui avaient oublié le Dieu vivant et véritable, l'usage de consacrer les temples, de séparer ces édifices de l'usage commun et vulgaire, pour les dédier spécialement à la majesté suprême, pour lui en approprier la possession de la manière la plus solennelle.
Dans tous les lieux et dans tous les temps, on a regardé comme des sacrilèges et des impies ceux qui profanaient ces lieux consacrés à la Divinité. Il n'est plus nécessaire, comme jadis, ajoute le même auteur, d'aller chercher au loin l'unique temple où Dieu voulait recevoir les sacrifices et le culte public de son peuple; le juif éloigné de Jérusalem ne pouvait, souvent, que par de longs voyages se procurer la consolation de paraître à longs intervalles devant l'autel de son Dieu ; nous, au contraire, enfants de la promesse, peuple privilégié, nous trouvons partout la maison de prière.
Celui qui aime le temple du Seigneur et qui y vient méditer la loi, dit l'Écriture, ressemble à un arbre placé par la main de la nature sur le bord d'un ruisseau; son feuillage est toujours frais, le soleil le féconde sans le dessécher, ses fleurs ne se fanent pas, et ses fruits sont pleins de saveur; la rosée du ciel ne tombe sur lui que pour nourrir ses racines et entretenir sa verdure toujours fraîche : ainsi prospère le juste sur la terre ; il fleurit comme le palmier dans la maison de Dieu!
Le jour de la Dédicace, l'Église chante dans ses offices : « Que ce lieu est terrible, que ce lieu est saint! C'est ici la maison de Dieu et la porte du ciel ! Le Seigneur, roi des cieux, est véritablement dans ce lieu-ci. Que vos tabernacles sont aimables, ô Seigneur des armées ! Mon âme languit et se consume du désir d'entrer dans la maison du Seigneur. Dieu, qui écoutes les anges dans le ciel, sois attentif à la prière des hommes qui viendront t'implorer ici.»
Puis, à l'épître, on lit cette vision : « En ces jours-là, je vis la ville sainte, la nouvelle Jérusalem, qui, venant de Dieu, descendait du ciel, assise sur des nuages ; elle était parée comme une épouse pour son époux Et j'entendis une grande voix qui disait : « Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes , et il demeurera avec eux, et ils seront son peuple; Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et la mort ne sera plus. Les pleurs, les cris et les travaux cesseront, parce que ce qui a précédé sera passé; et celui qui était assis sur le trône, dit : Je m'en vais faire toutes choses nouvelles.»
Voici l'évangile qui commande le respect dans le lieu saint : « En ce temps-là , Jésus étant entré dans Jérusalem, toute la ville fut émue, et chacun demandait : Quel est celui-ci? Le peuple disait : C'est Jésus le prophète, Jésus de Nazareth en Galilée. Jésus entra dans le temple de Dieu, et en chassa tous ceux qui y vendaient et qui y achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des pigeons, et il leur dit : « Il est écrit : Ma maison sera appelée la maison de prière, et vous en avez fait une, caverne de voleurs.»
En même temps, des aveugles et des boiteux vinrent à lui dans le temple, et il les guérit. « Mais les princes des prêtres et les docteurs de la loi, voyant les miracles qu'il avait faits, et les enfants qui priaient dans le temple : Hosannah au fils de David ! en furent indignés, et ils lui dirent : Entendez-vous ce que crient ces enfants? Oui, leur répondit Jésus , c'est de la bouche des enfant et de ceux qui sont à la mamelle que vous avez tiré la louange la plus parfaite.» Et, les laissant, il sortit de la ville et alla à Béthanie.
Dernière édition par MichelT le Dim 31 Déc 2017 - 13:28, édité 5 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Tableau poétique des fêtes chrétiennes - Vicomte Walsh - 1843 - (Images et Musique chrétienne)
34 – L`Immaculée-Conception ( 8 décembre)
Nous sommes entrés dans l'Avent, c'est-à-dire dans cette sainte et heureuse avenue à l'extrémité de laquelle le regard réjoui du fidèle aperçoit Bethléem, et l'étable. et la crèche, et l'Enfant-Dieu, et Marie, et Joseph, et les anges, et les bergers, et les mages venus d'Orient.
Les prêtres, les diacre?, les sous-diacres, les choristes, les autels même ont revêtu leurs ornements violets. Cette couleur va bien alors aux pensées de la foi, aux sentiments chrétiens. Le violet est un demi-deuil ; or, dans la tristesse de l'Église il y a toujours de la joie, parce qu'il y a toujours de l'espérance. -Le violet sied bien à l'Avent, comme il sied bien au carême; il sied bien à l'Avent, placé entre l'année qui fuit et l'année qui arrive, entre les fautes du passé et les bénédictions qu'apporte l'avenir. Le violet sied bien à l'Avent, dont les quatre semaines figurent les quatre mille ans de ténèbres et de révélations, de crimes et d'espérances qui suivirent la chute d'Adam et qui précédèrent la venue du grand libérateur. Derrière, l'iniquité; mais devant, le salut; derrière, les ombres; mais devant, un jour plein, un jour brillant de tout l'éclat du soleil éternel. Rien n'est brusqué dans la nature ; rien n'est brusqué non plus dans la religion, cette nature, ou si l'on veut ce règne des intelligences. Tout a sa transition ménagée, douce et amie de l'œil.
Avant l'apparition, avant le lever éclatant du géant des deux visibles, nous avons un crépuscule gui n'est ni l'immaculée conception. la nuit ni le jour, ni l'ombre ni la lumière, mais qui dispose à celle-ci. Avant Noël, avant cette fête où nous avons vu paraître celui qui vient d'en haut, répandre ses feux divins sur les hommes assis dans la mort, nous avons à saluer, nous avons à célébrer l'heureux moment où commença l'ère de la rédemption , le premier jour que fit le Ciel pour la délivrance de la terre et pour l'allégresse des hommes.
Oh ! de même que l'instant où le malade passe de la douleur à la santé, où le prisonnier passe du cachot à la liberté et même seulement à l'espoir de la liberté, est pour ces êtres souffrants un instant mille fois béni, de même devait être cher et précieux aux fidèles l'instant où fut formée dans le sein de sa mère la tige de Jessé destinée à porter le salut d'Israël. Et voilà, pour l'incrédule comme pour le croyant, l'explication la plus simple et la plus naturelle de la fête du 8 décembre.
L`arbre de Jessé
Job, dans son désespoir, s'écriait : « Malheur à la nuit où il a été dit: Un homme vient d'être conçu! » Et nous, enfants de Dieu, frères du Christ, fils par adoption de Marie, ne devons-nous pas nous écrier, dans un sentiment bien contraire : «Bénie et à jamais bénie l'heure où une mère a été donnée aux hommes, une protectrice à la terre et une reine au ciel ! »
Après avoir lu et étudié tout ce qui a été écrit sur l'institution de la fête de l`Immaculée Conception, on demeure convaincu que c'est en Orient qu'elle a commencé. Elle y était d'obligation dans le onzième siècle. Mais alors cette contrée favorisée du Ciel était l'Orient au moral comme au physique, dans l'ordre de la foi, de la science , de la piété comme dans celui de la nature. Que de flots de lumière ne répandit-il pas sur toute l'Église catholique
Maintenant, que l'Orient est pâle! comme ses feux sont éteints! comme ses rayons sont brisés! Que sont devenus ses Origène, ses Basile, ses Grégoire, ses Athanase? Que sont devenus tous ces astres qui peuplaient le ciel de l'Église? Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé? Ah! c'est qu'il a été écrit : «Je transporterai d'un point à l'autre, d'une contrée à une autre, le flambeau de la vérité. La région qu'éclairait une grande lumière sera plongée dans les ténèbres, et celle qui était enveloppée d'une nuit épaisse resplendira d'un vif éclat. »
En Occident, la fête de l'Immaculée Conception fut, selon Baronius et selon Benoît XIV, instituée d'abord en Angleterre, par Anselme, archevêque de Cantorbéry, l'an 1150. D'autres prétendent qu'il faut attribuer l'origine de cette solennité à l'Église de Naples, qui l'aurait célébrée dès le neuvième siècle. Enfin des écrivains normands assurent que c'est à l'abbaye du Bec, dans la riche et verte Neustrie, que cette fête a pris naissance, tandis que l'Église de Lyon en revendique l'honneur. Il y a dans l'institution de cette solennité tant de sagesse et de convenance, que chaque peuple de la chrétienté croit avoir été le premier à célébrer cette belle fête. Nous avons vu de nos jours un archevêque selon le cœur de Dieu, monseigneur de Quélen, archevêque de Paris, pour mettre cette solennité catholique à l'abri des changements et des tracasseries du pouvoir temporel , fixer, avec l'agrément de la cour de Rome, sa célébration au second dimanche de l'Avent.
St-Anselme, Archevêque de Cantorbéry aurait institué la fête de l`Immaculée-Conception vers l`an 1150 en Angleterre.
Agir ainsi, c'était continuer la pensée de Renoulf d'Humblières, l'un de ses plus saints prédécesseurs, qui, vers la fin du treizième siècle, avait institué cette fête dans le diocèse de Paris. Fidèle aux traditions de son Église, le grand archevêque que nous avons vu monter au ciel, des ruines de son palais, comme Louis XVI y est monté par les degrés de l'échafaud, ce prélat fort et invincible, dont le caractère et la vie reflètent sous tant de rapports le caractère et la vie de saint Jean Chrysostôme et de saint Ambroise de Milan, Louis-Hyacinthe de Quélen, le Borromée et le Belzunce du choléra, a attaché aussi son nom, et cela par plus d'un acte, à la pieuse croyance de l'immaculée conception; car peu avant sa mort, autorisé en cela par le chef de l'Église, il ajouta aux litanies de la très sainte Vierge l'invocation qui consacre et salue la conception sans tache, Virgo sine labe concepta!
Litanies de la St-Vierge - Marc Antoine Charpentier (1643-1704)
Ah ! puisse ce pontife des mauvais jours être maintenant près du trône de celle dont la pureté et la beauté ravissent les immortels. De l'autre côté des monts pyrénéens, l'Espagne était mise depuis longtemps par ses puissants monarques sous la protection de la Vierge immaculée.: rois, princes, chevaliers, reines, princesses et peuple voulaient avoir pour protectrice auprès de Dieu une Vierge sans tache.
Il y a peu d'années, n'avons-nous pas vu un descendant de saint Ferdinand placer son armée sous l'étendard bénit de Notre-Dame-des-Douleurs? Ah ! que la Vierge divine qui apaise les tempêtes de l'Océan jette un regard de pitié sur cette malheureuse Espagne, qui se tord, qui se consume, qui se dévore dans de sanglantes convulsions! Du haut des nuages, qu'elle se penche vers ceux qui pleurent, qu'elle verse sur les plaies et les blessures le baume qui guérit, qu'elle prenne les exilés par la main et qu'elle daigne les reconduire au pays natal!
Parmi toutes les créatures appelées du néant par la voix puissante de Dieu, qu'il soit reconnu par toutes les nations de la terre qu'il y en a une, une seule, qui dès le matin de son premier jour, dès l'aurore de sa vie, dès le commencement de ses voies et dès le premier moment de sa merveilleuse existence, a toujours été sans tache, sans souillure , pure comme le lis , blanche comme la neige, toujours, toujours immaculée!
Oui, la femme unique et choisie de toute éternité qui devait concourir avec Dieu même à notre rédemption, la fille par excellence de Dieu le Père, la mère bien-aimée du Verbe fait chair, l'épouse mystique du Saint-Esprit devait recevoir la grâce en même temps que l'être, la sainteté avec la vie. Celle dont il avait été prédit et annoncé dès l'origine qu'elle écraserait sous son pied vainqueur la tête du serpent ne devait pas être mordue même au talon par la dent venimeuse de ce reptile maudit; elle ne devait pas être flétrie même dans sa conception par l'haleine empestée de celui qui fut homicide dès le principe. ( L`ange déchu)
La St-Vierge écrasant la tête du serpent antique
Et telle est la prérogative que l'Église honore en ce jour dans la Vierge bénie entre toutes les femmes. Suivant le sentiment commun, Marie fut conçue sans péché. Aurore du soleil de justice, toujours elle fut sans ombre et sans le plus léger nuage ; arche de la nouvelle alliance, Marie eut toujours devant Dieu l'éclat de l'or le plus pur; rose mystique, lis des vallées, jamais le venin du serpent ne lui imprima de souillure, et de toutes les créatures, la Sainte Vierge est la seule, comme le dit saint Augustin, à laquelle on ne doive point penser quand il est question de péché.
Ce qui est pur, ce qui est sans souillure et sans tache a toujours éveillé le sentiment poétique que Dieu a laissé tomber du ciel dans quelques âmes privilégiées ; aussi les louanges, les vers, les hymnes en l'honneur de la Reine des vierges datent de loin. En 1070, on ne se contenta pas, en Normandie, de célébrer la fête dont il s'agit ; il s'y établit encore plusieurs associations particulières en l'honneur de la Conception.
La plus connue comme lu plus célèbre fut érigée dans la paroisse de Saint- Jean, à Rouen. Jean de Bayeux, archevêque de cette ville, la confirma. En 1486, il se forma dans la même Église une nouvelle société qui s'incorpora à la première. Les associés conçurent le projet d'une espèce d'académie où l'on couronnerait les poètes qui auraient composé les meilleures pièces sur la pureté de la conception de la Sainte Vierge. Alors plusieurs gens de lettres entrèrent dans la compagnie pour l'aider de leurs lumières et juger les poésies qui lui seraient soumises et présentées. Les assemblées où se faisait le couronnement se tinrent près de trente ans dans l'église de Saint-Jean. Mais elle se trouva trop petite pour contenir tous ceux qui s'y rendaient ce jour-là.
On chercha en 1515 un emplacement plus vaste et plus commode ; on choisit le cloître des Carmes, que l'on agrandit pour cet effet. Le nouveau bâtiment prit le nom de Palinod, qu'il porte encore aujourd'hui. Palinod, ou chant réitéré, vient du refrain qu'on employait dans les chants royaux et dans les ballades. C'était aussi une des dénominations de la société littéraire qui venait de se fixer en ce lieu. Elle prenait encore le nom de Puy, à cause de la tribune où se lisaient les pièces couronnées et celles qui avaient approché du prix. Cet exemple fut suivi par l'Université de Caen, qui eut aussi un Peq de Palinods, formé en tout sur le modèle de celui de Rouen.
Ces deux académies furent longtemps les seules qu'il y eût en Normandie et même dans le royaume, si l'on en excepte celle des Jeux floraux de Toulouse. Ce sujet plein de poésie religieuse a souvent bien inspiré les poètes. Écoutons M. Charles Brugnot.
HYMNE A LA VIERGE.
Oleum effusum nomen tuum.
Canl. cantic.
Ses traits mystérieux sont couverts de longs voiles,
Un cercle lumineux d'étoiles
Brille autour de son front, comme au sein d'un ciel pur;
Sa robé flottante d'azur
Se déroule à longs plis sur d'éclatants nuages,
Et la Vierge sacrée, aux genoux de son fils,
Vers le Christ élevant ses regards attendris,
Dépose à ses pieds les hommages
Du juste et du simple de cœur,
La prière du soir, les douleurs matinales
Avec les larmes du pécheur.
Écoutez quelles voix célèbrent ses louanges!
Les martyrs ont saisi leur luth harmonieux.
El des jeunes enfants le chœur mélodieux
Entoure la Reine des anges.
Salut! trois fois salut à ta sainte beauté!
Le ciel s'émeut de joie au son de ta parole ;
Ton souris est de miel, et ton regard console
Le pécheur attriste
Tu fus, blanche colombe, enlevée à la terre
Où tu vis sur la croix ton Fils et ton Sauveur,
Où dès lors sur ton front s'empreignit d'une mère
L'immortelle douleur.
Un souvenir pensif semble attrister encore
Tes yeux brillant des feux de l'immortalité,
Comme l'humide fleur que la lune décore
D'un rayon argenté.
Tu souffris, et tu plains les souffrances humaines;
L'enfance au cœur joyeux, et l'homme aux jours flétris,
N'ont jamais répandu ni vœux ni larmes vaines
A tes genoux bénis.
Regarde ces élus dont le chœur t'environne;
Tous sont sauvés par loi, tous célèbrent ton nom ;
Les vierges à tes pieds déposent la couronne
Que tu mis sur leur front.
Les mères, de pudeur et d'amour rayonnantes,
A la Mère du Christ présentent leurs enfants;
Le martyr tend vers toi ses palmes verdoyantes
Et ses bras triomphants!
Salut! trois fois salut! Vierge, reine des anges!
Porte du paradis, recours des malheureux!
Le ciel ne saurait dire, en ses douces louanges,
Tes noms délicieux !
Poètes du monde, voyez comme la religion inspire! Ces vers ne sont-ils pas comme un parfum répandu.
Voici maintenant l'hymne de l'Église : « Vierge dont nulle tache n'a terni la pureté, Vierge toute belle et pleine de grâce, rose sans épines, vous rayonnez de toutes les vertus. Mille dons vous embellissent; radieuse aurore, vous annoncez le soleil à la terre, vous venez mettre un terme à notre deuil. Digne rejeton de Jessé, fontaine scellée d'un sceau divin ; jardin d'Éden, fermé à l'homme et au serpent, et ouvert à Dieu seul ; vous êtes la Vierge qui devez enfanter la vie.
Nouvelle Ève, vous réparez le mal que nous a fait la compagne d'Adam ; vous tuez le serpent perfide, et vous concevrez en vous l'auteur même de la vie. Au Créateur de l'univers vous donnerez un corps, au Dieu qui vous nourrit vous donnerez, ô Marie! Votre lait virginal. 0 Vierge conçue pour nous! ô Mère ornée de tant de dons, ne nous refusez pas votre appui tutélaire. »
L`Annonciation
Dieu se plait à choisir parmi les faibles des âmes pures pour accomplir ses desseins ; le cèdre est à lui, et il prend le roseau. C'est ainsi qu'il confond les orgueilleux : il les laisse dans la superbe opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, et prend par la main une femme ou un enfant pour accomplir de grandes choses. C'est ainsi que le Très-Haut déploya, comme nous dit l'Écriture, la force de son bras. En choisissant la femme pour opérer d'éclatants prodiges, Débora, Judith, Esther, pour sauver les Juifs opprimés, Marie bienheureuse entre toutes les femmes, pour coopérer au salut du genre humain, et dans notre propre histoire, la bergère de Nanterre et la Vierge de Domremy pour faire reculer et chasser du pays les Huns, les Vandales et les Anglais.
C'est une pieuse religieuse de la ville de Liège qui a fait établir la plus belle, la plus poétique, la plus sainte de nos fêtes, celle de la Fête-Dieu. Eh bien! de nos jours, une autre fille de la solitude,, une humble sœur de charité a aussi contribué à rétablir parmi nous, dans tout son lustre, la fête de l'immaculée Conception. C'était vers la fin de l'année 1830, année fatale dont trois jours avaient chassé du sol de France trois générations de rois. Le trône antique de Charlemagne et de saint Louis et de Henri IV venait encore une fois de crouler sous la royauté... L'autel avait tremblé, les temples avaient senti des oscillations menaçantes; on parlait, il nous en souvient, de prédictions sinistres.
Le glaive de la vengeance divine paraissait à plusieurs levé sur nos coupables têtes, et la hache des hommes semblait prête à briser encore les tabernacles sacrés. L'impiété croyait son jour venu et battait des mains. Déjà plusieurs fêtes chères à la dévotion des populations catholiques de France avaient cessé d'être ostensiblement célébrées ; les fêtes de la Vierge surtout, son immaculée Conception, sa Nativité, sa Purification et l'Annonciation étaient rentrées parmi les jours obscurs de l'année.
Un de ces jours de fêtes supprimées par la loi du 8 décembre, une fille de Saint-Vincent-de-Paul, fatiguée comme Tobie des œuvres de la charité, était venue se reposer, par la prière, du poids qui pesait sur son âme. Agenouillée dans la chapelle de la maison-mère de la Congrégation, rue du Bac, elle implorait Dieu et la Sainte Vierge, et versait devant l'autel les tristesses et les amertumes de son âme.
Voir rayer des jours solennels ceux que la piété de nos pères avait consacrés à la Mère de Dieu, était pour la pieuse sœur de Saint-Vincent-de-Paul une source de larmes. « Ahl disait-elle, si Marie n'est plus la patronne de la France, que deviendra notre malheureuse patrie? »
Tout à coup, je ne sais quoi d'inconnu se passe dans la chapelle ; un frémissement, un bruit vague comme celui que feraient les ailes des anges et des archanges, est entendu de la sœur Sainte-Anne; ses yeux sont subitement frappés d'une lumière plus vive et en même temps plus douce que celle du plus beau jour. Des parfums comme la terre n'en a pas dans la saison des fleurs, semblent descendre du ciel ; d'ineffables délices inondent l'âme de la fervente chrétienne, et à travers des larmes comme elle n'en a jamais connu, elle voit des rayons éclatants briller sur le côté gauche de l'autel. Ils y annonçaient une miraculeuse apparition de la bienheureuse Mère de Dieu.
Dans cette vision, la sœur de charité reconnut la vierge telle que les peintres l'ont souvent représentée, debout, les pieds posés sur un globe entouré de nuages, les bras tombant vers la terre, les mains ouvertes; de ses mains partent des jets de lumière céleste ; sa tête, un peu penchée en avant, semble écouter les prières des hommes; une couronne d'étoiles brille sur son front virginal.
« Tu reconnais, dit la voix d'un ange à la fille de Saint-Vincent-de-Paul, tu reconnais la Reine du ciel ; les rayons qui partent de ses mains sont le symbole des grâces qu'elle obtient aux hommes. » Puis la sœur de charité voit écrits en caractères brillants : « 0 Marie , conçue sans péché , priez pour nous qui avons recours à vous. »
Révéler ce que la sœur Sainte-Anne ressentit dans ce moment, c'est ce qu'elle-même n'eût pu dire, c'est ce qu'éprouva Paul sur le chemin de Damas et ce qu'éprouva depuis un autre enfant d'Abraham, Marie-Alphonse Ratisbonne, dans la chapelle de Ara Coeli ; c'est ce que nulle langue humaine ne peut redire.
La voix qui avait déjà parlé continua ainsi : « Servante de Dieu et des pauvres, fille aimée de Marie , ta charité , ta piété t'ont fait trouver grâce à ses yeux ; elle te commande de faire frapper une médaille qui représente fidèlement la vision qui t'a été accordée. Cette médaille, indulgenciée et bénite, sera comme un bouclier pour ceux qui la porteront et qui prieront comme tu viens de prier, qui diront comme toi : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »
Après ces mots, la voix fit silence, et tout disparut. Quelques heures après la vision, sœur Sainte-Anne alla tout révéler à son confesseur, qui lui conseilla l'humilité, lui disant : « Ma fille, craignez de prendre l'ombre pour la vérité. Vous êtes le jouet de vos propres pensées. Qui êtes-vous, pauvre pécheresse, pour vous croire favorisée de grâces extraordinaires, pour vous croire l'organe des volontés du Ciel? L'orgueil est bien près de semblables illusions, et l'orgueil c'est la chute et l'abîme. Ma fille, soyez humble.»
Sœur Sainte-Anne s'humilia profondément et suivit les conseils prudents du prêtre qui dirigeait sa conscience ; mais malgré tous ses efforts, elle ne put se défendre de la grâce qui lui descendait du ciel.
Apparition de la rue du Bac a Paris
Six mois après la première vision, elle en eut une seconde, puis une troisième. A chacune des apparitions, la pieuse et scrupuleuse fille allait tout de suite révéler à son confesseur ce que ses yeux avaient vu, ce que son oreille avait entendu, ce que son cœur avait ressenti, et toujours le saint prêtre lui recommandait l'humilité et la défiance d'elle-même.
A la troisième vision, sœur Sainte-Anne avait entendu la voix d'en haut lui dire ces paroles : « Fille de Saint-Vincent-de-Paul, va de nouveau trouver ton confesseur. Je te l'annonce, il n'ajoutera pas encore à ta révélation une foi pleine et entière ; mais, à la fin, il craindra d'offenser celle qu'il honore aussi. Dans ses scrupules et ses craintes, il ira consulter son chef, le chef de l'Église de Paris, dont la dévotion à la Sainte Vierge est connue de toute la France. Le prélat, éclairé d'en haut et inspiré d'ailleurs par sa piété filiale pour Marie conçue sans péché, donnera son approbation ; la médaille sera frappée, et une multitude d'âmes lui devront des grâces signalées et même leur entrée au ciel. »
Ainsi parla l'esprit céleste, et tout disparut encore. Mais comme la voix l'avait prédit, le pieux archevêque approuva la médaille en l'honneur de l'Immaculée Conception suivant le modèle indiqué par la fille de Saint- Vincent-de-Paul. Et aujourd'hui elle est répandue par millions sur toutes les parties du globe. Elle s'est multipliée comme les feuilles dans la forêt, comme la poussière dans nos champs ; elle traverse les mers sur le cœur du matelot, sur celui du vieux capitaine comme sur la poitrine brûlante du jeune enseigne de vaisseau ; elle est même devenue un ornement de luxe pour les femmes des infidèles, et on voit les musulmans s'en faire des pendants d'oreilles.
En Europe et surtout en France, les mères l'attachent au cou de la jeune villageoise que ses travaux appellent dans les champs, dans les prés, dans les bois, et au cou du conscrit qui part incertain de revoir son père, sa mère, ses frères, ses sœurs et le clocher de son hameau; les épouses l'appendent au cou de leurs maris lorsqu'ils prennent en main le bâton de voyage, et l'on a vu plus d'une mère la presser avec toute l'ardeur de la joie la plus vive sur les lèvres d'un fils mourant.
Dieu seul sait combien cette médaille en a sauvé et en sauvera et sur terre et sur mer. Que de grâces temporelles lui auront été dues ! Mais les grâces spirituelles dont elle aura été la source seront incalculables : le malade, l'agonisant, la femme en travail, le pèlerin, le nautonier, le soldat, le prince, le roi, le berger, auront éprouvé la puissance, nous dirions de ce divin talisman si ce mot n'était pas profane. Oui , et dans cette rapide et prodigieuse multiplication, je vois l'intervention d'un pouvoir surnaturel. Oui, aussi bien dans l'ancien que dans le nouveau monde, sous le soleil de France, d'Espagne et d'Italie, par delà la grande muraille de la Chine comme sous la tente de l'Arabe et dans la cabane du Lapon, depuis les îles d'Hyères jusqu'aux îles Marquises, Sandwich et Gambier.
Partout on lit et on répète en levant les yeux vers le ciel : « O Marie conçue sans péché , priez pour nous qui avons recours à vous !»
35 – La fête de St-Geneviève ( 26 novembre et 3 janvier)
Le voyageur arrivant à Paris voit de loin les clochers et les tours, les colonnes et les arcs de triomphe, les obélisques et les dômes dominer les habitations vulgaires. Parmi ces édifices qui s'élèvent vers la nue comme de nobles pensées qui aspirent au ciel, il y a un dôme plus haut que tous les autres. A qui est-il dédié? Est-ce à un puissant monarque, à un conquérant, à un vainqueur de nations?
Non, ce dôme, avec toutes ses colonnes, avec sa majestueuse hauteur, n'a point été conçu, n'a point été porté vers les nuages pour perpétuer la gloire d'un grand de ce monde ; c'est à une jeune fille, à une pauvre bergère qu'est adressé ce grand et magnifique hommage transformé en merveille. Des hommes qui ont tenu l'épée, la lance et le sceptre n'ont pu parvenir à établir leur mémoire durable parmi les peuples; et voilà qu'une fille des champs, qui n'a tenu que la houlette et la quenouille, traverse les siècles.
inoubliée !
Et comment Geneviève de Nanterre a-t-elle acquis tant de gloire? C'est qu'elle a eu beaucoup d'humilité. Le Dieu qui est puissant l'a regardée du haut du ciel, et ayant vu qu'elle était douce et humble, il a opéré en elle de grandes choses. Quelques chroniqueurs ont cru rehausser le nom de Geneviève en écrivant qu'elle était fille du seigneur de Nanterre, à trois lieues de Paris. La tradition la plus généralement répandue nous la fait voir filant sa quenouille dans les champs en gardant son troupeau, et j'aime bien mieux cette dernière version. Quand je vois Dieu choisir les petits et les faibles, je me réjouis toujours.
St-Geneviève, vierge chrétienne
Dans la longueur des jours, Geneviève, au milieu de ses brebis et de ses agneaux, levait les yeux au ciel ; son cœur montait avec son regard, et la jeune fille alors se sentait embrasée d'amour pour le Dieu qui avait créé le ciel avec ses infinis espaces et la terre avec sa beauté ; le livre où elle apprenait à louer le Créateur, c'était la nature.
Oh ! comme les louanges de Dieu devaient êtres douces à entendre, sortant d'une bouche si pure ! Ceux qui ont écrit la vie de la vierge de Nanterre racontent que bien
souvent les anges s'arrêtaient et repliaient leurs ailes pour écouter la fille des champs, et quand ils avaient entendu ses ardentes prières, ses cantiques inspirés, quand
ils avaient vu son regard si plein d'amour pour Dieu, ils se disaient : « Elle sera bientôt notre sœur. »
Un jour, saint Germain, évêque d'Auxerre, qui se rendait en Angleterre pour y soutenir la foi, passant dans les campagnes de Nanterre, y rencontra Geneviève: Elle était alors agenouillée devant une croix rustique. Quand sa prière fut terminée, le saint évêque entra en conversation avec elle, et trouva dans ses paroles tant de foi et tant d'amour, tant de raison et tant de piété, qu'il vit soudain dans l'avenir la sainteté de cette jeune fille et ses hautes destinées. « Mon enfant, lui dit le vieillard, vous êtes trop pure pour ne pas vous séparer des hommes.
— Je me suis donnée à Dieu, répondit Geneviève.
— «Je vous en bénis, ma fille, répliqua saint Germain; et pour que vous vous souveniez de votre voeu, voici une médaille bénite. Gardez-la ; elle vous rappellera que vous
êtes l'épouse de Jésus-Christ. »
St-Geneviève enfant
Depuis ce jour, la fille de Nanterre porta constamment cette médaille, et par elle opéra plusieurs guérisons miraculeuses. Le père et la mère de Geneviève étant morts, la vierge
vouée à Dieu vint demeurer à Paris, chez la femme qui l'avait tenue sur les fonts de baptême. Dans le tumulte de la ville, elle regrettait souvent le calme et la paix de la campagne. Pour les âmes pieuses, le silence et la retraite ont tant de consolations ! La solitude, c'est comme un sentier écarté qui conduit vers Dieu. Mais la sainte, n'ayant plus de troupeaux à conduire dans les champs, passait ses journées occupées du travail de ses mains, et, regrettant la vie du hameau, se soumettait sans murmure au nouveau genre de vie qu'il lui fallait adopter. De bonne heure la sainte avait appris que la soumission et l'obéissance sont plus agréables au Seigneur que les plus riches offrandes. A cette douceur, à cette obéissance, Geneviève joignait de constantes prières et de grandes mortifications; ce corps si frêle, si chaste et si pur se macérait par les jeûnes et le cilice.
Aussi elle faillit mourir. Dans les visions du ciel qu'elle avait pendant sa maladie , elle se réjouissait , car elle croyait toucher au terme de son exil ; mais le jour de délivrance n'était pas venu : Dieu se plaît à éprouver ceux qu'il aime. Geneviève, si pieuse et si pleine de candeur, fut calomniée , accusée d'hypocrisie et de sortilèges. L'ange méconnu n'en loua pas moins Dieu. Aux méchancetés, aux mensonges des hommes, Geneviève n'opposa que de la patience et un redoublement de prière. Les épreuves, le malheur, ne faisaient que rendre sa piété plus fervente : ainsi l'arbre qui donne le baume ne répand jamais autant de parfums que lorsque l'orage agite, secoue et tourmente ses branches.
St-Geneviève priant pour Paris
La calomnie dure quelquefois plus que la vie de ses victimes. Quelquefois cette fille du mensonge et de l'envie tue ceux après lesquels elle s'est acharnée comme un de ces vampires qui ne se détachent des corps des mourants et des morts que lorsqu'il n'y a plus une goutte de sang à sucer. Mais Geneviève vit s'user et mourir les bruits injurieux que l'enfer avait suscités contre elle. Et le peuple, qui pendant quelque temps avait écouté la voix des méchants, tomba à genoux devant la sainte, confessant la pureté de la vierge et racontant ses miracles. Cette admiration pour Geneviève devint telle , que plusieurs femmes, parmi lesquelles on distinguait des personnes de haut rang, se firent ses disciples et quittèrent les somptuosités de la fortune pour vivre sous le même toit qu'elle.
Alors on avait reconnu qu'elle attirait la grâce, qu'elle la faisait descendre du ciel comme une céleste rosée, et pour en recevoir quelques gouttes, on se pressait autour de la bien-aimée de Dieu. Tout à coup, dans Paris effrayé un bruit sinistre retentit : « Attila! Attila! Voici venir le grand fléau de Dieu ! l'exécuteur des vengeances du Seigneur ! » Et quand les populations entendaient ces sinistres paroles, elles se mettaient à trembler, comme tremblent les feuilles des forêts alors que le vent s'élève; et les plus vaillants se disaient : « A quoi nous serviront nos framées et nos javelots contre un monstre sorti de l'abîme, contre Moloch fait homme?» Et les femmes se racontaient que des villes, pour fléchir l'infatigable destructeur, avaient envoyé au-devant de lui des députations de petits enfants, espérant que leur grâce et leur innocence pourraient toucher le roi barbare ; mais que celui-ci , préférant leurs cris de mort aux chants qu'on leur avait appris pour le désarmer, avait ordonné qu'on tuât du glaive ces jeunes ambassadeurs, qui étaient venus lui crier grâce et miséricorde, et lui apporter des fleurs et des clefs d'argent dans des bassins d'or.
Les Huns
L'enceinte de Paris était devenue trop petite, tant les habitants du dehors, saisis de peur, y arrivaient en nombre, et ceux qui venaient de loin ajoutaient encore aux épouvantes par leurs récits.. Beaucoup assuraient qu'Attila se nourrissait de chair humaine, et que chaque nuit un démon venait sous sa tente lui tracer ses plans de campagne, lui dire où il y avait beaucoup de sang à répandre, beaucoup d'autels à piller, de vierges à outrager, de richesses à conquérir et de victoires à remporter.
De toutes ces exagérations, de toutes ces sinistres rumeurs, il était né un effroi général, un de ces effrois qui glacent et qui énervent toute une nation. Paris en était là, tremblant comme une femme, quand Geneviève se mit à parcourir les rues, une croix à la main et l'espérance dans le regard : « Debout! criait-elle, debout! Voici venir le fléau de Dieu! Hommes vaillants et forts, où sont vos framées? Debout ! Regardez du haut des murailles : ne voyez-vous pas briller leurs lances? On dirait une forêt de feu qui marche. Debout! hommes vaillants et forts; debout! voici Attila ! D'où vient que vos bras restent sans mouvement? d'où vient que les lames de vos épées ne lancent pas d'éclairs? d'où vient que vos murailles ne se hérissent pas de lances? Avez-vous peur, hommes de Paris? Hommes de Paris, vous êtes chrétiens, et vous tremblez! Honte! honte sur vous! Moi, faible femme, je ne tremble pas ; je ne tremble pas, parce que Dieu est avec moi, parce que je tiens sa croix comme le meilleur étendard. Hommes de Paris, priez avec moi. Votre Dieu est le Dieu des armées ; implorons-le ensemble. Quelque fois le courage s'enfuit du camp; on le retrouve au pied des autels. Chrétiens, priez et levez-vous Attila aura peur de vous et de la croix ! »
Geneviève, en parlant ainsi, ramena au cœur de Paris ce qui sauve les nations : la foi, l'espérance et le courage; Attila, dans sa marche, s'arrêta : le torrent aux flots de fer rebroussa tout à coup. L'envoyé des colères divines s'était vu, dans un songe, vaincu par une bergère, qui, le touchant du bout de sa houlette, lui disait, comme Dieu a dit à la mer : Tu n'iras pas plus loin. Quand le peuple vit s'accomplir la prédiction de la sainte, quand le fléau de Dieu ne poussa plus ses nations armées vers le cœur de la France, le nom de Geneviève fut porté aux nues par l'enthousiasme et la reconnaissance.
Ce qui augmenta encore la vénération que l'on avait pour elle, c'est que saint Germain ordonna, en mourant, qu'on portât de sa part à la fille de Nanterre quelques petits présents, et des choses bénites qu'on appelait eulogies. Geneviève était alors grandement respectée de tout le monde ; rois et princes, riches et pauvres, nobles et menu peuple, tous la vénéraient. Dieu avait récompensé sa vertu du don des miracles, et on venait de toutes parts implorer son secours. Saint Siméon Stylite, ce solitaire du pilier, au milieu des sables, écrivit à la sainte de Paris pour se recommander à ses prières. Enfin, remplie de mérites, elle mourut étant âgée de quatre-vingt-neuf ans, et son corps fut inhumé, avec grands honneurs, dans l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, sur une des hauteurs de Paris.
Il y a des gloires qui s'éteignent avec la vie ; celle de Geneviève n'était pas de cette nature ; comme elle lui était venue du ciel, elle ne fit que croître, en partant d'une tombe... Un roi assis, puissant dans son palais, ne fait pas lever autant de foule qu'un saint couché dans sa châsse. Le lieu béni où Geneviève avait été enterrée devint l'endroit le plus visité de Paris, et bientôt la voûte de la chapelle où la fille des champs reposait n'eut plus assez d'espace pour les lampes d'or et d'argent que l'on y appendait, et qu'on faisait brûler en son honneur.
Dans cette église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, commencée par Clovis I an 507, qui existe encore et qui est, sans contredit, un des plus gracieux monuments de Paris, on chantait nuit et jour les louanges de Dieu sur la tombe de la sainte, et la dévotion envers la bienheureuse Geneviève y était devenue si grande, que les noms de saint Pierre et de saint Paul se détachèrent des murs bâtis par Clovis, et que celui de la vierge, patronne des Parisiens, les remplaça.
Dans un siècle où l'on bâtissait peu d'églises, sous Louis XV, alors que le philosophisme régnait dans toute son aride sécheresse, le pouvoir eut la pensée d'élever un grand et somptueux monument à l'humble fille de Nanterre. Le quartier de Paris qui domine tous les autres fut choisi, et des architectes de grand renom appelés ; pendant plus de vingt ans, pendant que les adeptes de Voltaire répandaient dans le monde que le catholicisme avait fait son temps, et que l'infâme allait être écrasé, plus de deux mille ouvriers travaillaient au temple, dont les murs, modelés sur ceux de la Grèce et de Rome, grandissaient pour porter dans les nuages le dôme aux cent colonnes.
N'était-ce pas là un étrange spectacle pour le dix-huitième siècle? Alors que l'esprit du temps se faisait si orgueilleux, qu'il ne voulait plus se courber devant Dieu, voilà qu'au milieu de ce peuple d'incrédules, une mer veille se construit et s'achève ; et qui dominera ce bel édifice? la croix. Et qui sera vénéré dans ce temple? Une vierge chrétienne Geneviève de Nanterre!
Depuis, nous le savons, Dieu et la sainte ont été chassés de ce beau sanctuaire, et l'on a fait de la magnifique église un magasin de tombeaux, et comme pour que l'on ne doutât plus que c'était bien là le temple du matérialisme, on a renversé la croix qui en couronnait la haute coupole, et ainsi déshérité les morts du signe de rédemption et d'espérance. Ce n'est pas tout : sur le fronton de leur Panthéon, les hommes qui crient partout que le catholicisme va voir finir son influence ont fait sculpter l'image de Jean-Jacques Rousseau et celle de Voltaire, qui ne désignait Notre-Seigneur Jésus-Christ que par le nom d'infâme. Ce sacrilège de pierre, autorisé par le pouvoir actuel, existe encore. Mais ceci, voyez-vous, passera : la folie des peuples ne dure pas toujours, et dès qu'un instant lucide leur revient, ils courent se mettre à l'abri de la croix.
Dans toutes les grandes calamités, les Parisiens d'autrefois promenaient dans leurs rues désolées la châsse de sainte Geneviève, et la sainte obtenait souvent que la santé et le bonheur vinssent aux lieux où l'on avait porté ses reliques. Quand la châsse vénérée sortait de l'église, le recueillement était grand dans Paris; car la tradition avait appris au peuple que ce premier reliquaire, porté en grande pompe sur les remparts de la ville assiégée par les terribles Normands, avait fait tomber l'épouvante au camp des ennemis, et que cette miraculeuse terreur avait délivré Paris
St-Geneviève ravitaille la ville de Paris
On se souvenait aussi que, du temps de Louis le Gros, un terrible fléau, le mal des ardents ,avait dû sa cessation à la vierge du hameau de Nanterre ; on ne pouvait oublier ce bienfait, car une fête avait été établie, et se célébrait chaque année, le 26 novembre, dans toutes les églises de Paris, en mémoire de ce miracle. Dans ces derniers temps, pendant les jours du choléra, alors que le gouvernement croyait pouvoir se passer de l'aide de Dieu pour vaincre le terrible fléau, la châsse da sainte Geneviève ne fut pas portée par les rues de Paris , mais un grand nombre de fidèles se rendaient à l'église de Saint-Etienne-du-Mont, et là entouraient de prières, de cierges et d'encens la tombe de granit de la patronne de nos pères... Enfin, ce roi des épouvantements, après avoir peuplé nos cimetières, s'éloigna pour aller s'abattre sur d'autres contrées. Les prières des justes ont sauvé alors ceux qui avaient honte de prier, et, malgré l'ingratitude de beaucoup envers elle. Geneviève, du haut des cieux, a étendu sa houlette protectrice sur la ville qu'elle était accoutumée à défendre. Gloire à Dieu! Reconnaissance à elle.
FIN
Nous sommes entrés dans l'Avent, c'est-à-dire dans cette sainte et heureuse avenue à l'extrémité de laquelle le regard réjoui du fidèle aperçoit Bethléem, et l'étable. et la crèche, et l'Enfant-Dieu, et Marie, et Joseph, et les anges, et les bergers, et les mages venus d'Orient.
Les prêtres, les diacre?, les sous-diacres, les choristes, les autels même ont revêtu leurs ornements violets. Cette couleur va bien alors aux pensées de la foi, aux sentiments chrétiens. Le violet est un demi-deuil ; or, dans la tristesse de l'Église il y a toujours de la joie, parce qu'il y a toujours de l'espérance. -Le violet sied bien à l'Avent, comme il sied bien au carême; il sied bien à l'Avent, placé entre l'année qui fuit et l'année qui arrive, entre les fautes du passé et les bénédictions qu'apporte l'avenir. Le violet sied bien à l'Avent, dont les quatre semaines figurent les quatre mille ans de ténèbres et de révélations, de crimes et d'espérances qui suivirent la chute d'Adam et qui précédèrent la venue du grand libérateur. Derrière, l'iniquité; mais devant, le salut; derrière, les ombres; mais devant, un jour plein, un jour brillant de tout l'éclat du soleil éternel. Rien n'est brusqué dans la nature ; rien n'est brusqué non plus dans la religion, cette nature, ou si l'on veut ce règne des intelligences. Tout a sa transition ménagée, douce et amie de l'œil.
Avant l'apparition, avant le lever éclatant du géant des deux visibles, nous avons un crépuscule gui n'est ni l'immaculée conception. la nuit ni le jour, ni l'ombre ni la lumière, mais qui dispose à celle-ci. Avant Noël, avant cette fête où nous avons vu paraître celui qui vient d'en haut, répandre ses feux divins sur les hommes assis dans la mort, nous avons à saluer, nous avons à célébrer l'heureux moment où commença l'ère de la rédemption , le premier jour que fit le Ciel pour la délivrance de la terre et pour l'allégresse des hommes.
Oh ! de même que l'instant où le malade passe de la douleur à la santé, où le prisonnier passe du cachot à la liberté et même seulement à l'espoir de la liberté, est pour ces êtres souffrants un instant mille fois béni, de même devait être cher et précieux aux fidèles l'instant où fut formée dans le sein de sa mère la tige de Jessé destinée à porter le salut d'Israël. Et voilà, pour l'incrédule comme pour le croyant, l'explication la plus simple et la plus naturelle de la fête du 8 décembre.
L`arbre de Jessé
Job, dans son désespoir, s'écriait : « Malheur à la nuit où il a été dit: Un homme vient d'être conçu! » Et nous, enfants de Dieu, frères du Christ, fils par adoption de Marie, ne devons-nous pas nous écrier, dans un sentiment bien contraire : «Bénie et à jamais bénie l'heure où une mère a été donnée aux hommes, une protectrice à la terre et une reine au ciel ! »
Après avoir lu et étudié tout ce qui a été écrit sur l'institution de la fête de l`Immaculée Conception, on demeure convaincu que c'est en Orient qu'elle a commencé. Elle y était d'obligation dans le onzième siècle. Mais alors cette contrée favorisée du Ciel était l'Orient au moral comme au physique, dans l'ordre de la foi, de la science , de la piété comme dans celui de la nature. Que de flots de lumière ne répandit-il pas sur toute l'Église catholique
Maintenant, que l'Orient est pâle! comme ses feux sont éteints! comme ses rayons sont brisés! Que sont devenus ses Origène, ses Basile, ses Grégoire, ses Athanase? Que sont devenus tous ces astres qui peuplaient le ciel de l'Église? Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé? Ah! c'est qu'il a été écrit : «Je transporterai d'un point à l'autre, d'une contrée à une autre, le flambeau de la vérité. La région qu'éclairait une grande lumière sera plongée dans les ténèbres, et celle qui était enveloppée d'une nuit épaisse resplendira d'un vif éclat. »
En Occident, la fête de l'Immaculée Conception fut, selon Baronius et selon Benoît XIV, instituée d'abord en Angleterre, par Anselme, archevêque de Cantorbéry, l'an 1150. D'autres prétendent qu'il faut attribuer l'origine de cette solennité à l'Église de Naples, qui l'aurait célébrée dès le neuvième siècle. Enfin des écrivains normands assurent que c'est à l'abbaye du Bec, dans la riche et verte Neustrie, que cette fête a pris naissance, tandis que l'Église de Lyon en revendique l'honneur. Il y a dans l'institution de cette solennité tant de sagesse et de convenance, que chaque peuple de la chrétienté croit avoir été le premier à célébrer cette belle fête. Nous avons vu de nos jours un archevêque selon le cœur de Dieu, monseigneur de Quélen, archevêque de Paris, pour mettre cette solennité catholique à l'abri des changements et des tracasseries du pouvoir temporel , fixer, avec l'agrément de la cour de Rome, sa célébration au second dimanche de l'Avent.
St-Anselme, Archevêque de Cantorbéry aurait institué la fête de l`Immaculée-Conception vers l`an 1150 en Angleterre.
Agir ainsi, c'était continuer la pensée de Renoulf d'Humblières, l'un de ses plus saints prédécesseurs, qui, vers la fin du treizième siècle, avait institué cette fête dans le diocèse de Paris. Fidèle aux traditions de son Église, le grand archevêque que nous avons vu monter au ciel, des ruines de son palais, comme Louis XVI y est monté par les degrés de l'échafaud, ce prélat fort et invincible, dont le caractère et la vie reflètent sous tant de rapports le caractère et la vie de saint Jean Chrysostôme et de saint Ambroise de Milan, Louis-Hyacinthe de Quélen, le Borromée et le Belzunce du choléra, a attaché aussi son nom, et cela par plus d'un acte, à la pieuse croyance de l'immaculée conception; car peu avant sa mort, autorisé en cela par le chef de l'Église, il ajouta aux litanies de la très sainte Vierge l'invocation qui consacre et salue la conception sans tache, Virgo sine labe concepta!
Litanies de la St-Vierge - Marc Antoine Charpentier (1643-1704)
Ah ! puisse ce pontife des mauvais jours être maintenant près du trône de celle dont la pureté et la beauté ravissent les immortels. De l'autre côté des monts pyrénéens, l'Espagne était mise depuis longtemps par ses puissants monarques sous la protection de la Vierge immaculée.: rois, princes, chevaliers, reines, princesses et peuple voulaient avoir pour protectrice auprès de Dieu une Vierge sans tache.
Il y a peu d'années, n'avons-nous pas vu un descendant de saint Ferdinand placer son armée sous l'étendard bénit de Notre-Dame-des-Douleurs? Ah ! que la Vierge divine qui apaise les tempêtes de l'Océan jette un regard de pitié sur cette malheureuse Espagne, qui se tord, qui se consume, qui se dévore dans de sanglantes convulsions! Du haut des nuages, qu'elle se penche vers ceux qui pleurent, qu'elle verse sur les plaies et les blessures le baume qui guérit, qu'elle prenne les exilés par la main et qu'elle daigne les reconduire au pays natal!
Parmi toutes les créatures appelées du néant par la voix puissante de Dieu, qu'il soit reconnu par toutes les nations de la terre qu'il y en a une, une seule, qui dès le matin de son premier jour, dès l'aurore de sa vie, dès le commencement de ses voies et dès le premier moment de sa merveilleuse existence, a toujours été sans tache, sans souillure , pure comme le lis , blanche comme la neige, toujours, toujours immaculée!
Oui, la femme unique et choisie de toute éternité qui devait concourir avec Dieu même à notre rédemption, la fille par excellence de Dieu le Père, la mère bien-aimée du Verbe fait chair, l'épouse mystique du Saint-Esprit devait recevoir la grâce en même temps que l'être, la sainteté avec la vie. Celle dont il avait été prédit et annoncé dès l'origine qu'elle écraserait sous son pied vainqueur la tête du serpent ne devait pas être mordue même au talon par la dent venimeuse de ce reptile maudit; elle ne devait pas être flétrie même dans sa conception par l'haleine empestée de celui qui fut homicide dès le principe. ( L`ange déchu)
La St-Vierge écrasant la tête du serpent antique
Et telle est la prérogative que l'Église honore en ce jour dans la Vierge bénie entre toutes les femmes. Suivant le sentiment commun, Marie fut conçue sans péché. Aurore du soleil de justice, toujours elle fut sans ombre et sans le plus léger nuage ; arche de la nouvelle alliance, Marie eut toujours devant Dieu l'éclat de l'or le plus pur; rose mystique, lis des vallées, jamais le venin du serpent ne lui imprima de souillure, et de toutes les créatures, la Sainte Vierge est la seule, comme le dit saint Augustin, à laquelle on ne doive point penser quand il est question de péché.
Ce qui est pur, ce qui est sans souillure et sans tache a toujours éveillé le sentiment poétique que Dieu a laissé tomber du ciel dans quelques âmes privilégiées ; aussi les louanges, les vers, les hymnes en l'honneur de la Reine des vierges datent de loin. En 1070, on ne se contenta pas, en Normandie, de célébrer la fête dont il s'agit ; il s'y établit encore plusieurs associations particulières en l'honneur de la Conception.
La plus connue comme lu plus célèbre fut érigée dans la paroisse de Saint- Jean, à Rouen. Jean de Bayeux, archevêque de cette ville, la confirma. En 1486, il se forma dans la même Église une nouvelle société qui s'incorpora à la première. Les associés conçurent le projet d'une espèce d'académie où l'on couronnerait les poètes qui auraient composé les meilleures pièces sur la pureté de la conception de la Sainte Vierge. Alors plusieurs gens de lettres entrèrent dans la compagnie pour l'aider de leurs lumières et juger les poésies qui lui seraient soumises et présentées. Les assemblées où se faisait le couronnement se tinrent près de trente ans dans l'église de Saint-Jean. Mais elle se trouva trop petite pour contenir tous ceux qui s'y rendaient ce jour-là.
On chercha en 1515 un emplacement plus vaste et plus commode ; on choisit le cloître des Carmes, que l'on agrandit pour cet effet. Le nouveau bâtiment prit le nom de Palinod, qu'il porte encore aujourd'hui. Palinod, ou chant réitéré, vient du refrain qu'on employait dans les chants royaux et dans les ballades. C'était aussi une des dénominations de la société littéraire qui venait de se fixer en ce lieu. Elle prenait encore le nom de Puy, à cause de la tribune où se lisaient les pièces couronnées et celles qui avaient approché du prix. Cet exemple fut suivi par l'Université de Caen, qui eut aussi un Peq de Palinods, formé en tout sur le modèle de celui de Rouen.
Ces deux académies furent longtemps les seules qu'il y eût en Normandie et même dans le royaume, si l'on en excepte celle des Jeux floraux de Toulouse. Ce sujet plein de poésie religieuse a souvent bien inspiré les poètes. Écoutons M. Charles Brugnot.
HYMNE A LA VIERGE.
Oleum effusum nomen tuum.
Canl. cantic.
Ses traits mystérieux sont couverts de longs voiles,
Un cercle lumineux d'étoiles
Brille autour de son front, comme au sein d'un ciel pur;
Sa robé flottante d'azur
Se déroule à longs plis sur d'éclatants nuages,
Et la Vierge sacrée, aux genoux de son fils,
Vers le Christ élevant ses regards attendris,
Dépose à ses pieds les hommages
Du juste et du simple de cœur,
La prière du soir, les douleurs matinales
Avec les larmes du pécheur.
Écoutez quelles voix célèbrent ses louanges!
Les martyrs ont saisi leur luth harmonieux.
El des jeunes enfants le chœur mélodieux
Entoure la Reine des anges.
Salut! trois fois salut à ta sainte beauté!
Le ciel s'émeut de joie au son de ta parole ;
Ton souris est de miel, et ton regard console
Le pécheur attriste
Tu fus, blanche colombe, enlevée à la terre
Où tu vis sur la croix ton Fils et ton Sauveur,
Où dès lors sur ton front s'empreignit d'une mère
L'immortelle douleur.
Un souvenir pensif semble attrister encore
Tes yeux brillant des feux de l'immortalité,
Comme l'humide fleur que la lune décore
D'un rayon argenté.
Tu souffris, et tu plains les souffrances humaines;
L'enfance au cœur joyeux, et l'homme aux jours flétris,
N'ont jamais répandu ni vœux ni larmes vaines
A tes genoux bénis.
Regarde ces élus dont le chœur t'environne;
Tous sont sauvés par loi, tous célèbrent ton nom ;
Les vierges à tes pieds déposent la couronne
Que tu mis sur leur front.
Les mères, de pudeur et d'amour rayonnantes,
A la Mère du Christ présentent leurs enfants;
Le martyr tend vers toi ses palmes verdoyantes
Et ses bras triomphants!
Salut! trois fois salut! Vierge, reine des anges!
Porte du paradis, recours des malheureux!
Le ciel ne saurait dire, en ses douces louanges,
Tes noms délicieux !
Poètes du monde, voyez comme la religion inspire! Ces vers ne sont-ils pas comme un parfum répandu.
Voici maintenant l'hymne de l'Église : « Vierge dont nulle tache n'a terni la pureté, Vierge toute belle et pleine de grâce, rose sans épines, vous rayonnez de toutes les vertus. Mille dons vous embellissent; radieuse aurore, vous annoncez le soleil à la terre, vous venez mettre un terme à notre deuil. Digne rejeton de Jessé, fontaine scellée d'un sceau divin ; jardin d'Éden, fermé à l'homme et au serpent, et ouvert à Dieu seul ; vous êtes la Vierge qui devez enfanter la vie.
Nouvelle Ève, vous réparez le mal que nous a fait la compagne d'Adam ; vous tuez le serpent perfide, et vous concevrez en vous l'auteur même de la vie. Au Créateur de l'univers vous donnerez un corps, au Dieu qui vous nourrit vous donnerez, ô Marie! Votre lait virginal. 0 Vierge conçue pour nous! ô Mère ornée de tant de dons, ne nous refusez pas votre appui tutélaire. »
L`Annonciation
Dieu se plait à choisir parmi les faibles des âmes pures pour accomplir ses desseins ; le cèdre est à lui, et il prend le roseau. C'est ainsi qu'il confond les orgueilleux : il les laisse dans la superbe opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, et prend par la main une femme ou un enfant pour accomplir de grandes choses. C'est ainsi que le Très-Haut déploya, comme nous dit l'Écriture, la force de son bras. En choisissant la femme pour opérer d'éclatants prodiges, Débora, Judith, Esther, pour sauver les Juifs opprimés, Marie bienheureuse entre toutes les femmes, pour coopérer au salut du genre humain, et dans notre propre histoire, la bergère de Nanterre et la Vierge de Domremy pour faire reculer et chasser du pays les Huns, les Vandales et les Anglais.
C'est une pieuse religieuse de la ville de Liège qui a fait établir la plus belle, la plus poétique, la plus sainte de nos fêtes, celle de la Fête-Dieu. Eh bien! de nos jours, une autre fille de la solitude,, une humble sœur de charité a aussi contribué à rétablir parmi nous, dans tout son lustre, la fête de l'immaculée Conception. C'était vers la fin de l'année 1830, année fatale dont trois jours avaient chassé du sol de France trois générations de rois. Le trône antique de Charlemagne et de saint Louis et de Henri IV venait encore une fois de crouler sous la royauté... L'autel avait tremblé, les temples avaient senti des oscillations menaçantes; on parlait, il nous en souvient, de prédictions sinistres.
Le glaive de la vengeance divine paraissait à plusieurs levé sur nos coupables têtes, et la hache des hommes semblait prête à briser encore les tabernacles sacrés. L'impiété croyait son jour venu et battait des mains. Déjà plusieurs fêtes chères à la dévotion des populations catholiques de France avaient cessé d'être ostensiblement célébrées ; les fêtes de la Vierge surtout, son immaculée Conception, sa Nativité, sa Purification et l'Annonciation étaient rentrées parmi les jours obscurs de l'année.
Un de ces jours de fêtes supprimées par la loi du 8 décembre, une fille de Saint-Vincent-de-Paul, fatiguée comme Tobie des œuvres de la charité, était venue se reposer, par la prière, du poids qui pesait sur son âme. Agenouillée dans la chapelle de la maison-mère de la Congrégation, rue du Bac, elle implorait Dieu et la Sainte Vierge, et versait devant l'autel les tristesses et les amertumes de son âme.
Voir rayer des jours solennels ceux que la piété de nos pères avait consacrés à la Mère de Dieu, était pour la pieuse sœur de Saint-Vincent-de-Paul une source de larmes. « Ahl disait-elle, si Marie n'est plus la patronne de la France, que deviendra notre malheureuse patrie? »
Tout à coup, je ne sais quoi d'inconnu se passe dans la chapelle ; un frémissement, un bruit vague comme celui que feraient les ailes des anges et des archanges, est entendu de la sœur Sainte-Anne; ses yeux sont subitement frappés d'une lumière plus vive et en même temps plus douce que celle du plus beau jour. Des parfums comme la terre n'en a pas dans la saison des fleurs, semblent descendre du ciel ; d'ineffables délices inondent l'âme de la fervente chrétienne, et à travers des larmes comme elle n'en a jamais connu, elle voit des rayons éclatants briller sur le côté gauche de l'autel. Ils y annonçaient une miraculeuse apparition de la bienheureuse Mère de Dieu.
Dans cette vision, la sœur de charité reconnut la vierge telle que les peintres l'ont souvent représentée, debout, les pieds posés sur un globe entouré de nuages, les bras tombant vers la terre, les mains ouvertes; de ses mains partent des jets de lumière céleste ; sa tête, un peu penchée en avant, semble écouter les prières des hommes; une couronne d'étoiles brille sur son front virginal.
« Tu reconnais, dit la voix d'un ange à la fille de Saint-Vincent-de-Paul, tu reconnais la Reine du ciel ; les rayons qui partent de ses mains sont le symbole des grâces qu'elle obtient aux hommes. » Puis la sœur de charité voit écrits en caractères brillants : « 0 Marie , conçue sans péché , priez pour nous qui avons recours à vous. »
Révéler ce que la sœur Sainte-Anne ressentit dans ce moment, c'est ce qu'elle-même n'eût pu dire, c'est ce qu'éprouva Paul sur le chemin de Damas et ce qu'éprouva depuis un autre enfant d'Abraham, Marie-Alphonse Ratisbonne, dans la chapelle de Ara Coeli ; c'est ce que nulle langue humaine ne peut redire.
La voix qui avait déjà parlé continua ainsi : « Servante de Dieu et des pauvres, fille aimée de Marie , ta charité , ta piété t'ont fait trouver grâce à ses yeux ; elle te commande de faire frapper une médaille qui représente fidèlement la vision qui t'a été accordée. Cette médaille, indulgenciée et bénite, sera comme un bouclier pour ceux qui la porteront et qui prieront comme tu viens de prier, qui diront comme toi : « O Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. »
Après ces mots, la voix fit silence, et tout disparut. Quelques heures après la vision, sœur Sainte-Anne alla tout révéler à son confesseur, qui lui conseilla l'humilité, lui disant : « Ma fille, craignez de prendre l'ombre pour la vérité. Vous êtes le jouet de vos propres pensées. Qui êtes-vous, pauvre pécheresse, pour vous croire favorisée de grâces extraordinaires, pour vous croire l'organe des volontés du Ciel? L'orgueil est bien près de semblables illusions, et l'orgueil c'est la chute et l'abîme. Ma fille, soyez humble.»
Sœur Sainte-Anne s'humilia profondément et suivit les conseils prudents du prêtre qui dirigeait sa conscience ; mais malgré tous ses efforts, elle ne put se défendre de la grâce qui lui descendait du ciel.
Apparition de la rue du Bac a Paris
Six mois après la première vision, elle en eut une seconde, puis une troisième. A chacune des apparitions, la pieuse et scrupuleuse fille allait tout de suite révéler à son confesseur ce que ses yeux avaient vu, ce que son oreille avait entendu, ce que son cœur avait ressenti, et toujours le saint prêtre lui recommandait l'humilité et la défiance d'elle-même.
A la troisième vision, sœur Sainte-Anne avait entendu la voix d'en haut lui dire ces paroles : « Fille de Saint-Vincent-de-Paul, va de nouveau trouver ton confesseur. Je te l'annonce, il n'ajoutera pas encore à ta révélation une foi pleine et entière ; mais, à la fin, il craindra d'offenser celle qu'il honore aussi. Dans ses scrupules et ses craintes, il ira consulter son chef, le chef de l'Église de Paris, dont la dévotion à la Sainte Vierge est connue de toute la France. Le prélat, éclairé d'en haut et inspiré d'ailleurs par sa piété filiale pour Marie conçue sans péché, donnera son approbation ; la médaille sera frappée, et une multitude d'âmes lui devront des grâces signalées et même leur entrée au ciel. »
Ainsi parla l'esprit céleste, et tout disparut encore. Mais comme la voix l'avait prédit, le pieux archevêque approuva la médaille en l'honneur de l'Immaculée Conception suivant le modèle indiqué par la fille de Saint- Vincent-de-Paul. Et aujourd'hui elle est répandue par millions sur toutes les parties du globe. Elle s'est multipliée comme les feuilles dans la forêt, comme la poussière dans nos champs ; elle traverse les mers sur le cœur du matelot, sur celui du vieux capitaine comme sur la poitrine brûlante du jeune enseigne de vaisseau ; elle est même devenue un ornement de luxe pour les femmes des infidèles, et on voit les musulmans s'en faire des pendants d'oreilles.
En Europe et surtout en France, les mères l'attachent au cou de la jeune villageoise que ses travaux appellent dans les champs, dans les prés, dans les bois, et au cou du conscrit qui part incertain de revoir son père, sa mère, ses frères, ses sœurs et le clocher de son hameau; les épouses l'appendent au cou de leurs maris lorsqu'ils prennent en main le bâton de voyage, et l'on a vu plus d'une mère la presser avec toute l'ardeur de la joie la plus vive sur les lèvres d'un fils mourant.
Dieu seul sait combien cette médaille en a sauvé et en sauvera et sur terre et sur mer. Que de grâces temporelles lui auront été dues ! Mais les grâces spirituelles dont elle aura été la source seront incalculables : le malade, l'agonisant, la femme en travail, le pèlerin, le nautonier, le soldat, le prince, le roi, le berger, auront éprouvé la puissance, nous dirions de ce divin talisman si ce mot n'était pas profane. Oui , et dans cette rapide et prodigieuse multiplication, je vois l'intervention d'un pouvoir surnaturel. Oui, aussi bien dans l'ancien que dans le nouveau monde, sous le soleil de France, d'Espagne et d'Italie, par delà la grande muraille de la Chine comme sous la tente de l'Arabe et dans la cabane du Lapon, depuis les îles d'Hyères jusqu'aux îles Marquises, Sandwich et Gambier.
Partout on lit et on répète en levant les yeux vers le ciel : « O Marie conçue sans péché , priez pour nous qui avons recours à vous !»
35 – La fête de St-Geneviève ( 26 novembre et 3 janvier)
Le voyageur arrivant à Paris voit de loin les clochers et les tours, les colonnes et les arcs de triomphe, les obélisques et les dômes dominer les habitations vulgaires. Parmi ces édifices qui s'élèvent vers la nue comme de nobles pensées qui aspirent au ciel, il y a un dôme plus haut que tous les autres. A qui est-il dédié? Est-ce à un puissant monarque, à un conquérant, à un vainqueur de nations?
Non, ce dôme, avec toutes ses colonnes, avec sa majestueuse hauteur, n'a point été conçu, n'a point été porté vers les nuages pour perpétuer la gloire d'un grand de ce monde ; c'est à une jeune fille, à une pauvre bergère qu'est adressé ce grand et magnifique hommage transformé en merveille. Des hommes qui ont tenu l'épée, la lance et le sceptre n'ont pu parvenir à établir leur mémoire durable parmi les peuples; et voilà qu'une fille des champs, qui n'a tenu que la houlette et la quenouille, traverse les siècles.
inoubliée !
Et comment Geneviève de Nanterre a-t-elle acquis tant de gloire? C'est qu'elle a eu beaucoup d'humilité. Le Dieu qui est puissant l'a regardée du haut du ciel, et ayant vu qu'elle était douce et humble, il a opéré en elle de grandes choses. Quelques chroniqueurs ont cru rehausser le nom de Geneviève en écrivant qu'elle était fille du seigneur de Nanterre, à trois lieues de Paris. La tradition la plus généralement répandue nous la fait voir filant sa quenouille dans les champs en gardant son troupeau, et j'aime bien mieux cette dernière version. Quand je vois Dieu choisir les petits et les faibles, je me réjouis toujours.
St-Geneviève, vierge chrétienne
Dans la longueur des jours, Geneviève, au milieu de ses brebis et de ses agneaux, levait les yeux au ciel ; son cœur montait avec son regard, et la jeune fille alors se sentait embrasée d'amour pour le Dieu qui avait créé le ciel avec ses infinis espaces et la terre avec sa beauté ; le livre où elle apprenait à louer le Créateur, c'était la nature.
Oh ! comme les louanges de Dieu devaient êtres douces à entendre, sortant d'une bouche si pure ! Ceux qui ont écrit la vie de la vierge de Nanterre racontent que bien
souvent les anges s'arrêtaient et repliaient leurs ailes pour écouter la fille des champs, et quand ils avaient entendu ses ardentes prières, ses cantiques inspirés, quand
ils avaient vu son regard si plein d'amour pour Dieu, ils se disaient : « Elle sera bientôt notre sœur. »
Un jour, saint Germain, évêque d'Auxerre, qui se rendait en Angleterre pour y soutenir la foi, passant dans les campagnes de Nanterre, y rencontra Geneviève: Elle était alors agenouillée devant une croix rustique. Quand sa prière fut terminée, le saint évêque entra en conversation avec elle, et trouva dans ses paroles tant de foi et tant d'amour, tant de raison et tant de piété, qu'il vit soudain dans l'avenir la sainteté de cette jeune fille et ses hautes destinées. « Mon enfant, lui dit le vieillard, vous êtes trop pure pour ne pas vous séparer des hommes.
— Je me suis donnée à Dieu, répondit Geneviève.
— «Je vous en bénis, ma fille, répliqua saint Germain; et pour que vous vous souveniez de votre voeu, voici une médaille bénite. Gardez-la ; elle vous rappellera que vous
êtes l'épouse de Jésus-Christ. »
St-Geneviève enfant
Depuis ce jour, la fille de Nanterre porta constamment cette médaille, et par elle opéra plusieurs guérisons miraculeuses. Le père et la mère de Geneviève étant morts, la vierge
vouée à Dieu vint demeurer à Paris, chez la femme qui l'avait tenue sur les fonts de baptême. Dans le tumulte de la ville, elle regrettait souvent le calme et la paix de la campagne. Pour les âmes pieuses, le silence et la retraite ont tant de consolations ! La solitude, c'est comme un sentier écarté qui conduit vers Dieu. Mais la sainte, n'ayant plus de troupeaux à conduire dans les champs, passait ses journées occupées du travail de ses mains, et, regrettant la vie du hameau, se soumettait sans murmure au nouveau genre de vie qu'il lui fallait adopter. De bonne heure la sainte avait appris que la soumission et l'obéissance sont plus agréables au Seigneur que les plus riches offrandes. A cette douceur, à cette obéissance, Geneviève joignait de constantes prières et de grandes mortifications; ce corps si frêle, si chaste et si pur se macérait par les jeûnes et le cilice.
Aussi elle faillit mourir. Dans les visions du ciel qu'elle avait pendant sa maladie , elle se réjouissait , car elle croyait toucher au terme de son exil ; mais le jour de délivrance n'était pas venu : Dieu se plaît à éprouver ceux qu'il aime. Geneviève, si pieuse et si pleine de candeur, fut calomniée , accusée d'hypocrisie et de sortilèges. L'ange méconnu n'en loua pas moins Dieu. Aux méchancetés, aux mensonges des hommes, Geneviève n'opposa que de la patience et un redoublement de prière. Les épreuves, le malheur, ne faisaient que rendre sa piété plus fervente : ainsi l'arbre qui donne le baume ne répand jamais autant de parfums que lorsque l'orage agite, secoue et tourmente ses branches.
St-Geneviève priant pour Paris
La calomnie dure quelquefois plus que la vie de ses victimes. Quelquefois cette fille du mensonge et de l'envie tue ceux après lesquels elle s'est acharnée comme un de ces vampires qui ne se détachent des corps des mourants et des morts que lorsqu'il n'y a plus une goutte de sang à sucer. Mais Geneviève vit s'user et mourir les bruits injurieux que l'enfer avait suscités contre elle. Et le peuple, qui pendant quelque temps avait écouté la voix des méchants, tomba à genoux devant la sainte, confessant la pureté de la vierge et racontant ses miracles. Cette admiration pour Geneviève devint telle , que plusieurs femmes, parmi lesquelles on distinguait des personnes de haut rang, se firent ses disciples et quittèrent les somptuosités de la fortune pour vivre sous le même toit qu'elle.
Alors on avait reconnu qu'elle attirait la grâce, qu'elle la faisait descendre du ciel comme une céleste rosée, et pour en recevoir quelques gouttes, on se pressait autour de la bien-aimée de Dieu. Tout à coup, dans Paris effrayé un bruit sinistre retentit : « Attila! Attila! Voici venir le grand fléau de Dieu ! l'exécuteur des vengeances du Seigneur ! » Et quand les populations entendaient ces sinistres paroles, elles se mettaient à trembler, comme tremblent les feuilles des forêts alors que le vent s'élève; et les plus vaillants se disaient : « A quoi nous serviront nos framées et nos javelots contre un monstre sorti de l'abîme, contre Moloch fait homme?» Et les femmes se racontaient que des villes, pour fléchir l'infatigable destructeur, avaient envoyé au-devant de lui des députations de petits enfants, espérant que leur grâce et leur innocence pourraient toucher le roi barbare ; mais que celui-ci , préférant leurs cris de mort aux chants qu'on leur avait appris pour le désarmer, avait ordonné qu'on tuât du glaive ces jeunes ambassadeurs, qui étaient venus lui crier grâce et miséricorde, et lui apporter des fleurs et des clefs d'argent dans des bassins d'or.
Les Huns
L'enceinte de Paris était devenue trop petite, tant les habitants du dehors, saisis de peur, y arrivaient en nombre, et ceux qui venaient de loin ajoutaient encore aux épouvantes par leurs récits.. Beaucoup assuraient qu'Attila se nourrissait de chair humaine, et que chaque nuit un démon venait sous sa tente lui tracer ses plans de campagne, lui dire où il y avait beaucoup de sang à répandre, beaucoup d'autels à piller, de vierges à outrager, de richesses à conquérir et de victoires à remporter.
De toutes ces exagérations, de toutes ces sinistres rumeurs, il était né un effroi général, un de ces effrois qui glacent et qui énervent toute une nation. Paris en était là, tremblant comme une femme, quand Geneviève se mit à parcourir les rues, une croix à la main et l'espérance dans le regard : « Debout! criait-elle, debout! Voici venir le fléau de Dieu! Hommes vaillants et forts, où sont vos framées? Debout ! Regardez du haut des murailles : ne voyez-vous pas briller leurs lances? On dirait une forêt de feu qui marche. Debout! hommes vaillants et forts; debout! voici Attila ! D'où vient que vos bras restent sans mouvement? d'où vient que les lames de vos épées ne lancent pas d'éclairs? d'où vient que vos murailles ne se hérissent pas de lances? Avez-vous peur, hommes de Paris? Hommes de Paris, vous êtes chrétiens, et vous tremblez! Honte! honte sur vous! Moi, faible femme, je ne tremble pas ; je ne tremble pas, parce que Dieu est avec moi, parce que je tiens sa croix comme le meilleur étendard. Hommes de Paris, priez avec moi. Votre Dieu est le Dieu des armées ; implorons-le ensemble. Quelque fois le courage s'enfuit du camp; on le retrouve au pied des autels. Chrétiens, priez et levez-vous Attila aura peur de vous et de la croix ! »
Geneviève, en parlant ainsi, ramena au cœur de Paris ce qui sauve les nations : la foi, l'espérance et le courage; Attila, dans sa marche, s'arrêta : le torrent aux flots de fer rebroussa tout à coup. L'envoyé des colères divines s'était vu, dans un songe, vaincu par une bergère, qui, le touchant du bout de sa houlette, lui disait, comme Dieu a dit à la mer : Tu n'iras pas plus loin. Quand le peuple vit s'accomplir la prédiction de la sainte, quand le fléau de Dieu ne poussa plus ses nations armées vers le cœur de la France, le nom de Geneviève fut porté aux nues par l'enthousiasme et la reconnaissance.
Ce qui augmenta encore la vénération que l'on avait pour elle, c'est que saint Germain ordonna, en mourant, qu'on portât de sa part à la fille de Nanterre quelques petits présents, et des choses bénites qu'on appelait eulogies. Geneviève était alors grandement respectée de tout le monde ; rois et princes, riches et pauvres, nobles et menu peuple, tous la vénéraient. Dieu avait récompensé sa vertu du don des miracles, et on venait de toutes parts implorer son secours. Saint Siméon Stylite, ce solitaire du pilier, au milieu des sables, écrivit à la sainte de Paris pour se recommander à ses prières. Enfin, remplie de mérites, elle mourut étant âgée de quatre-vingt-neuf ans, et son corps fut inhumé, avec grands honneurs, dans l'église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, sur une des hauteurs de Paris.
Il y a des gloires qui s'éteignent avec la vie ; celle de Geneviève n'était pas de cette nature ; comme elle lui était venue du ciel, elle ne fit que croître, en partant d'une tombe... Un roi assis, puissant dans son palais, ne fait pas lever autant de foule qu'un saint couché dans sa châsse. Le lieu béni où Geneviève avait été enterrée devint l'endroit le plus visité de Paris, et bientôt la voûte de la chapelle où la fille des champs reposait n'eut plus assez d'espace pour les lampes d'or et d'argent que l'on y appendait, et qu'on faisait brûler en son honneur.
Dans cette église de Saint-Pierre et de Saint-Paul, commencée par Clovis I an 507, qui existe encore et qui est, sans contredit, un des plus gracieux monuments de Paris, on chantait nuit et jour les louanges de Dieu sur la tombe de la sainte, et la dévotion envers la bienheureuse Geneviève y était devenue si grande, que les noms de saint Pierre et de saint Paul se détachèrent des murs bâtis par Clovis, et que celui de la vierge, patronne des Parisiens, les remplaça.
Dans un siècle où l'on bâtissait peu d'églises, sous Louis XV, alors que le philosophisme régnait dans toute son aride sécheresse, le pouvoir eut la pensée d'élever un grand et somptueux monument à l'humble fille de Nanterre. Le quartier de Paris qui domine tous les autres fut choisi, et des architectes de grand renom appelés ; pendant plus de vingt ans, pendant que les adeptes de Voltaire répandaient dans le monde que le catholicisme avait fait son temps, et que l'infâme allait être écrasé, plus de deux mille ouvriers travaillaient au temple, dont les murs, modelés sur ceux de la Grèce et de Rome, grandissaient pour porter dans les nuages le dôme aux cent colonnes.
N'était-ce pas là un étrange spectacle pour le dix-huitième siècle? Alors que l'esprit du temps se faisait si orgueilleux, qu'il ne voulait plus se courber devant Dieu, voilà qu'au milieu de ce peuple d'incrédules, une mer veille se construit et s'achève ; et qui dominera ce bel édifice? la croix. Et qui sera vénéré dans ce temple? Une vierge chrétienne Geneviève de Nanterre!
Depuis, nous le savons, Dieu et la sainte ont été chassés de ce beau sanctuaire, et l'on a fait de la magnifique église un magasin de tombeaux, et comme pour que l'on ne doutât plus que c'était bien là le temple du matérialisme, on a renversé la croix qui en couronnait la haute coupole, et ainsi déshérité les morts du signe de rédemption et d'espérance. Ce n'est pas tout : sur le fronton de leur Panthéon, les hommes qui crient partout que le catholicisme va voir finir son influence ont fait sculpter l'image de Jean-Jacques Rousseau et celle de Voltaire, qui ne désignait Notre-Seigneur Jésus-Christ que par le nom d'infâme. Ce sacrilège de pierre, autorisé par le pouvoir actuel, existe encore. Mais ceci, voyez-vous, passera : la folie des peuples ne dure pas toujours, et dès qu'un instant lucide leur revient, ils courent se mettre à l'abri de la croix.
Dans toutes les grandes calamités, les Parisiens d'autrefois promenaient dans leurs rues désolées la châsse de sainte Geneviève, et la sainte obtenait souvent que la santé et le bonheur vinssent aux lieux où l'on avait porté ses reliques. Quand la châsse vénérée sortait de l'église, le recueillement était grand dans Paris; car la tradition avait appris au peuple que ce premier reliquaire, porté en grande pompe sur les remparts de la ville assiégée par les terribles Normands, avait fait tomber l'épouvante au camp des ennemis, et que cette miraculeuse terreur avait délivré Paris
St-Geneviève ravitaille la ville de Paris
On se souvenait aussi que, du temps de Louis le Gros, un terrible fléau, le mal des ardents ,avait dû sa cessation à la vierge du hameau de Nanterre ; on ne pouvait oublier ce bienfait, car une fête avait été établie, et se célébrait chaque année, le 26 novembre, dans toutes les églises de Paris, en mémoire de ce miracle. Dans ces derniers temps, pendant les jours du choléra, alors que le gouvernement croyait pouvoir se passer de l'aide de Dieu pour vaincre le terrible fléau, la châsse da sainte Geneviève ne fut pas portée par les rues de Paris , mais un grand nombre de fidèles se rendaient à l'église de Saint-Etienne-du-Mont, et là entouraient de prières, de cierges et d'encens la tombe de granit de la patronne de nos pères... Enfin, ce roi des épouvantements, après avoir peuplé nos cimetières, s'éloigna pour aller s'abattre sur d'autres contrées. Les prières des justes ont sauvé alors ceux qui avaient honte de prier, et, malgré l'ingratitude de beaucoup envers elle. Geneviève, du haut des cieux, a étendu sa houlette protectrice sur la ville qu'elle était accoutumée à défendre. Gloire à Dieu! Reconnaissance à elle.
FIN
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Sujets similaires
» La Toussaint - 1 novembre 2024 - Tableau Poétique des fêtes chrétiennes (Images et Musique) - Vicomte Walsh
» Le Dimanche - (Image et Musique) - Tableau Poétique des Fêtes Chrétienne – Vicomte Walsh 19 ème siècle
» ŒUVRES CHRÉTIENNES DES FAMILLES ROYALES DE FRANCE - (Images et Musique)- année 1870
» TABLEAU POÉTIQUE DES SACREMENTS EN GÉNÉRAL. Vicomte Walsh – 1852
» La Sainte Vierge Marie - La Foi et les Œuvres volume 3 – Vicomte Walsh 19 eme siècle
» Le Dimanche - (Image et Musique) - Tableau Poétique des Fêtes Chrétienne – Vicomte Walsh 19 ème siècle
» ŒUVRES CHRÉTIENNES DES FAMILLES ROYALES DE FRANCE - (Images et Musique)- année 1870
» TABLEAU POÉTIQUE DES SACREMENTS EN GÉNÉRAL. Vicomte Walsh – 1852
» La Sainte Vierge Marie - La Foi et les Œuvres volume 3 – Vicomte Walsh 19 eme siècle
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum