MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
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MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
Rappel du premier message :
TABLE DES CHAPITRES
Avant-Propos de S. Bonaventure
PREMIÈRE PARTIE.
Pressante intercession des Anges en notre faveur.
Débat élevé entre la Miséricorde et la Justice , la Vérité et la Paix .
De la vie de la sainte Vierge et des sept demandes qu'elle adressait à Dieu.
De l'Incarnation de Jésus-Christ.
Comment la sainte Vierge visita sainte Élisabeth. — Origine des cantiques Magnificat
et Benedictus.
Comment Joseph forma le dessein de quitter Marie ; et comment Dieu permet
quelquefois que ses plus fidèles serviteurs soient éprouvés par la tribulation.
DEUXIÈME PARTIE
Naissance de Jésus-Christ, et autres choses relatives.
Circoncision et larmes de Jésus-Christ.
De l'Épiphanie ou de la Manifestation du Seigneur.
Séjour de Marie dans l'étable.
Purification de la sainte Vierge.
TROISIÈME PARTIE.
Fuite de Notre Seigneur en Égypte.
Notre Seigneur revient de l'Égypte.
Jésus demeure à Jérusalem.
De ce que fit Jésus depuis douze jusqu'à trente ans.
Baptême de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Jeûne et tentations de Jésus-Christ. Son retour près de sa Mère. — Quatre
moyens pour obtenir la pureté du cœur. — Plusieurs avantages de l'oraison.
Nécessité de combattre la gourmandise. — Pourquoi et pour qui Dieu fait des miracles.
QUATRIÈME PARTIE
Jésus ouvre dans la Synagogue le livre du prophète Isaïe.
De la vocation des Disciples.
L'eau changée en vin aux noces de Cana.
Sermon de Notre Seigneur sur la montagne. — Il parle d'abord de la pauvreté.
Jésus guérit le serviteur d'un centurion et le fils d'un officier.
Du paralytique descendu par le toit aux pieds de Jésus qui le guérit.
Guérison de la belle-mère de Simon .
Sommeil de Jésus dans la barque.
Le Seigneur ressuscite le Fils d'une veuve.
Résurrection d'une jeune fille et guérison de Marthe.
Conversion de Madeleine , et réflexions à ce sujet.
Saint Jean envoie ses Disciples à Jésus.
Mort de Jean-Baptiste.
Entretien de Jésus avec la Samaritaine.
On veut précipiter Jésus -Christ du haut d'une montagne.
Jésus guérit un homme dont la main était desséchée.
De la multiplication des pains , et comment Jésus pourvoit aux besoins de ceux qui l'aiment.
Notre Seigneur fuit lorsqu'on veut le faire roi. — Réflexions contre les honneurs du monde.
Comment Notre Seigneur pria sut la montagne , et après en être descendu et marcha sur la mer. Considérations sur la prière .
La Chananéenne.—Avec quelle fidélité nous sommes servis par nos Anges. Gardiens. — Citation remarquable.
Comment quelques-uns se scandalisèrent des paroles de Notre Seigneur.
Récompenses promises à ceux qui quittent tout.
Notre Seigneur demande à ses Disciples ce que l'on disait de lui.
Transfiguration de Notre Seigneur sur la montagne du Thabor.
Jésus chasse du Temple les vendeurs et les acheteurs.
De la piscine probatique, et en outre qu'il ne faut pas juger témérairement
ses frères.
Les Disciples de Jésus arrachent quelques épis ; et à cette occasion considérations sur la pauvreté.
CINQUIÈME PARTIE
Des différentes fonctions de Marthe et de Marie ; et en même temps de la contemplation , laquelle se divise en deux parties.
La vie active doit précéder la vie contemplative.
De la prédication ; puis de sept choses auxquelles il faut s'exercer avant que d'enseigner les autres.
Des exercices de la vie active. ( Non inclus)
Des exercices de la vie contemplative. (Non inclus)
Qu'il y a trois espèces de contemplation. ( Non inclus)
De la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ. ( Non inclus)
De la contemplation de la Cour céleste. ( Non Inclus)
De la contemplation de la divine Majesté , et de quatre manières de faire
cette contemplation. ( Non Inclus)
De quelle manière on doit se conduire dans la vie active. — Citation importante de saint Bernard. ( Non inclus)
De quelle manière il faut se conduire dans la vie contemplative. ( Non inclus)
De quatre obstacles à la contemplation. ( Non Inclus)
La vie contemplative l'emporte sur la vie active. (Non Inclus)
Trois motifs déterminent à revenir de la vie contemplative à la vie active. ( Non Inclus)
On prouve ensuite que la foi sans les œuvres est morte. ( Non Inclus)
Comment Notre Seigneur, sous la parabole des vignerons qui mettent à mort le fils de leur maître, annonce aux Juifs que l'Église sera transférée aux Gentils.
Comment les Pharisiens essayèrent de surprendre Jésus dans ses discours.
Guérison de l'aveugle de Jéricho ; diverses réflexions à ce sujet.
Comment Notre Seigneur entra dans la maison de Zachée.
Guérison de l'aveugle né.
Comment Notre Seigneur s'enfuit du Temple et se cacha lorsque les Juifs
voulurent le lapider.
Comment on voulut une seconde fois lapider Jésus.
Résurrection de Lazare.
Jésus maudit un figuier.
De la femme surprise en adultère.
Conspiration des Prêtres et des Pharisiens contre Jésus et sa fuite dans la ville d'Ephrem.
Retour de Jésus à Béthanie où Marie- Madeleine lui oignit les pieds.
Jésus monté sur un ânon fait son entrée à Jérusalem. — Motifs pour lesquels Jésus a trois fois répandu des larmes.
Notre Seigneur annonce à sa mère qu'il va bientôt mourir.
La cène de Notre Seigneur; puis de la table et de la manière dont il s'y mit avec ses Disciples. — De cinq
exemples de vertus donnés par Jésus-Christ dans la cène , et de cinq choses à méditer dans le discours
que Notre Seigneur fit après la cène.
SIXIÈME PARTIE
Méditations sur la Passion de Notre- Seigneur en général.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ avant matines.
Méditations sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de prime.
Méditation sur la Passion à l'heure de tierce.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de sexte.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de none.
Le cœur de Jésus est ouvert par la lance.
Méditation à l'heure de vêpres.
A l'heure de complies.
Méditation après complies.
SEPTIÈME PARTIE
Méditation sur ce que firent Marie et ses compagnes le jour du sabbat.
Méditation sur la descente de Notre- Seigneur Jésus-Christ aux enfers le jour du sabbat.
HUITIÈME PARTIE
De la Résurrection de Notre Seigneur, et comment il apparut d'abord à sa Mère le jour du Dimanche.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie viennent au sépulcre ; Pierre et Jean y accourent.
Apparition de Jésus aux trois Marie.
Jésus apparaît à Joseph, d'Arimathie, à St Jacques le Mineur et à Pierre.
Notre Seigneur après sa Résurrection va retrouver les saints Pères.
Apparition de Notre Seigneur à deux Disciples qui allaient à Emmaüs.
Notre Seigneur apparaît le jour de la Résurrection à tous les Disciples assemblés.
Huit jours après la Résurrection, Jésus apparaît à ses Disciples , Thomas étant avec eux.
Notre Seigneur apparaît à ses Disciples en Galilée.
Jésus apparaît à ses Disciples au bord de la mer de Tibériade.
De l'apparition de Notre Seigneur à plus de cinq cents frères réunis , et de quelques autres apparitions.
De l'Ascension de Notre Seigneur.
De l'envoi du Saint-Esprit. — Désir de la patrie céleste et de la mort qui peut nous y conduire.
Deux manières de méditer la vie de Jésus-Christ , l'une selon la chair, l'autre selon l'esprit.
De quelle manière il faut méditer la vie de Jésus-Christ, et conclusion de cet ouvrage.
MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE
PAR M. LEMAIRE-ESMANGARD,
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. Vers l`année 1300 en latin – traduction en français - Année 1851
AVANT-PROPOS DE SAINT BONAVENTURE,
Dans les panégyriques qui ont été faits des vertus et des mérites de sainte Cécile, on lit qu'elle portait constamment caché dans son sein l'Évangile de Jésus-Christ. Ce qui semble signifier qu'elle avait choisi dans l'Évangile quelques traits de la vie de Notre Seigneur plus propres à exciter sa piété, qu'elle les méditait nuit et jour avec une grande pureté et une grande droiture de cœur, avec une singulière et fervente attention, et que, reprenant et recommençant sans cesse ces Méditations, les ruminant doucement et les savourant avec délices en elle-même, elle les déposait au fond de son cœur. Je vous conseille d'en faire autant. Car je crois que , de tous les exercices de la vie spirituelle , cette pratique est la plus nécessaire , la plus utile et la plus capable de nous élever au plus haut degré de la perfection. En effet vous ne trouverez nulle part , aussi bien que dans la vie si pure et si parfaite de Jésus-Christ , les enseignements dont vous avez besoin pour vous prémunir contre les attraits des choses vaines et périssables, contre les tribulations (malheurs) et les adversités , et contre les dangers auxquels vous exposent les tentations de vos ennemis et vos propres passions.
Il est évident que la Méditation fréquente et habituelle de la vie de Jésus-Christ donne à notre âme une telle familiarité, une si grande confiance, un si parfait amour, qu'elle n'éprouve plus pour le reste que dégoûts et que mépris. Elle y puise en outre les lumières et les forces qui lui sont nécessaires pour faire ce qui lui est commandé et pour éviter ce qui lui est défendu. Je dis d'abord que la Méditation continuelle de la vie de Notre Seigneur fortifie et affermit notre âme contre l'attrait des choses vaines et périssables , comme on le voit dans ce que nous rapportions ci-dessus de sainte Cécile dont le cœur était si rempli des exemples de la vie de Jésus-Christ, qu'aucune chose vaine n'y pouvait pénétrer; ce qui fit qu'assistant un jour à l'une de ces cérémonies nuptiales où se trouvent tant de pompeuses vanités , le bruit des instruments ne put l'empêcher de rester constamment occupée de Dieu auquel elle adressait ces paroles : « Seigneur , conservez-moi la pureté du corps et du cœur, afin que je ne sois pas éternellement confondue. »
Secondement, la Méditation de la vie de Jésus-Christ fortifie contre les tribulations et les adversités , comme on le voit dans les Martyrs. Ce qui fait dire à saint Bernard : « C'est en pensant avec beaucoup de dévotion aux plaies de Jésus-Christ , c'est en s'y fixant par une continuelle Méditation que l'on puise la force de supporter les supplices. Là, le corps tout couvert de plaies, les entrailles déchirées par le fer , le Martyr tressaille d'allégresse comme sur un char de triomphe. Et où est donc l'âme de ce Martyr ? Dans les plaies de Jésus- Christ; oui, dans ses plaies ouvertes pour le recevoir. Si elle demeurait en elle-même, pensant à elle-même, assurément elle sentirait l'atteinte du fer , elle ne pourrait supporter la douleur, elle succomberait et trahirait sa foi. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Voilà pourquoi non-seulement les Martyrs , mais aussi les Confesseurs ont eu et ont encore tous les jours tant de patience dans leurs tribulations et leurs infirmités. Lisez la vie de saint François et celle de la vierge sainte Claire , votre Mère et votre guide , et vous pourrez voir comment , au milieu des tribulations , des peines et des infirmités les plus multipliées , ils se montrèrent non seulement patients, mais pleins de joie.
Les personnes qui vivent saintement vous offrent tous les jours le même spectacle ; ce qui vient de ce que leurs âmes n'étaient et ne sont , pour ainsi dire, pas unies à leur corps , mais à Jésus-Christ, par une pieuse méditation de sa vie. Je dis en troisième lieu que cette Méditation nous instruit si parfaitement de ce que nous devons faire, que nous n'avons à craindre ni les attaques de nos ennemis , ni les égarements de nos passions , et cela parce que cette pratique nous élève à la perfection de toutes les vertus.
Car où trouverait-on , aussi bien que dans la vie du Maître de toutes les vertus , des exemples et des leçons d'extrême pauvreté, de parfaite humilité , de profonde sagesse, d'oraison, de douceur, de patience, d'obéissance et de toutes les autres vertus ? Sur quoi saint Bernard dit ces courtes paroles : « C'est donc en vain que l'on travaille à acquérir les vertus , si l'on se flatte de les trouver autre part qu'en Celui qui en est le Maître. Sa doctrine est la source féconde de la sagesse , sa miséricorde le fondement de la Justice , sa vie le miroir de la tempérance et sa mort le signe glorieux de la force et du courage. »
Concluons donc de ce que dit saint Bernard que celui qui suit Jésus- Christ ne peut ni être trompé, ni s'égarer. En méditant souvent ses vertus, le désir ardent de les imiter et de les acquérir s'allume dans le cœur; bientôt la vertu brille en nous d'un si vif éclat que l'on semble revêtu de sa lumière et que l'on sait discerner la vérité de l'erreur. De là vient que plusieurs, quoiqu' ignorants et sans instruction, ont pénétré les plus grands mystères de Dieu.
Où pensez-vous que saint François ait puisé toutes les vertus qui abondaient en lui , une intelligence si éclairée des saintes Écritures, une si parfaite connaissance des ruses de nos ennemis et de celles de nos passions , sinon dans le commerce habituel qu'il entretenait par la méditation avec Jésus-Christ son divin Maître ? C'est parce qu'il s'était appliqué, avec tant d'ardeur, à se rendre semblable à Lui qu'il en devint comme la copie la plus vivante. Car il l'imitait le plus parfaitement qu'il le pouvait dans toutes les vertus. Et Jésus ayant enfin complété et perfectionné cette ressemblance par l'impression de ses sacrés stigmates, le transforma entièrement en lui-même.
Vous voyez donc à quelle élévation peut conduire la Méditation de la vie de Jésus-Christ; ajoutez encore qu'elle est comme un échelon qui nous aide à monter jusqu'aux degrés les plus sublimes de la contemplation , parce qu'on y trouve une onction qui, purifiant et élevant peu à peu notre âme, lui communique sur toute chose une science dont nous nous occuperons plus tard. Maintenant j'ai pensé à vous offrir ce traité comme une espèce d'introduction à la méditation de la vie de Jésus-Christ.
Mais j'aurais voulu que ce travail vous fût offert par une main plus habile et plus expérimentée ; car je reconnais mon incapacité, surtout en pareille matière. Toutefois pensant que, sur ce sujet , je ferais mieux de dire , bien ou mal, quelque chose que de garder entièrement le silence, je vais, quelle que soit mon impuissance, essayer de m'entretenir familièrement avec vous dans un langage simple et sans recherche, tant pour que vous puissiez mieux saisir ce que je vous dirai que pour vous porter à y chercher plutôt ce qui nourrit l'âme que ce qui charme l'oreille. Car ce n'est point à de belles phrases , mais à la méditation de la vie de Jésus-Christ qu'il faut ici s'attacher. Et je me sens encouragé par l'opinion de saint Jérôme dont voici les paroles : « Un langage simple et commun pénètre jusqu'au cœur; un discours élégant ne sert qu'à repaître l'oreille. »
Au reste , j'espère que , malgré ma faiblesse et votre inexpérience, je ne vous serai pas tout-à-fait inutile, et ce qui fortifie cette espérance , c'est que , si vous voulez vous appliquer assidument à ces méditations , Celui qui en est l'objet , Notre Seigneur, vous apprendra lui-même à les faire. Mais ne pensez pas que l'on puisse méditer ou que l'on ait écrit toutes les paroles ou toutes les actions de Jésus telles qu'il les a réellement dites ou faites. Toutefois je me propose, pour vous toucher davantage, de vous présenter
les choses comme si elles se passaient actuellement sous vos yeux, comme on peut croire qu'elles sont réellement arrivées ou qu'elles ont pu arriver , en se les figurant à l'aide de quelques représentations imaginaires que l'esprit conçoit de diverses manières.
Car il nous est permis de recourir aux différents moyens qui nous semblent les plus propres à faciliter la méditation, l'exposition et l'intelligence des saintes Écritures , pourvu cependant qu'il n'y ait rien de contraire à la vérité des faits , à la justice, à l'enseignement de l'Église, à la foi et aux bonnes mœurs. Lors donc que je vous dirai : « Jésus a ainsi parlé , Jésus a fait cela, » ou que j'entrerai dans quelqu'autres détails, si cela n'est pas dans l'Évangile, ne donnez pas plus de foi à mes paroles que n'en exige une pieuse méditation , c'est-à-dire recevez-les comme si je vous disais : « Pensez que Jésus a fait et dit cela , » et ainsi dans tous les cas semblables. Si donc vous voulez retirer quelque fruit de ces méditations, imaginez-vous que vous êtes aussi présente à ce qu'on vous rapporte avoir été dit ou fait par Notre Seigneur Jésus- Christ que si vous l'entendiez de vos oreilles et le voyiez de vos yeux, c'est-à-dire avec tous les sentiments affectueux, avec l'attention , la délicieuse émotion et le recueillement dont vous êtes capable, éloignant de vous tout autre soin , toute autre sollicitude. Je vous prie donc , ma chère Fille , de recevoir avec joie et de méditer avec encore plus de joie, de dévotion et d'empressement, ce travail que j'ai entrepris pour la gloire de Jésus-Christ , votre profit spirituel et ma propre utilité.
Il faudrait parler d'abord de l'Incarnation ; mais il m'a semblé que nous pouvions méditer quelques évènements qui se sont passés avant l'Incarnation , soit dans le Ciel à l'égard de Dieu et de ses saints Anges, soit sur la terre à l'égard de la très-glorieuse Vierge; et c'est aussi par-là que nous allons commencer.
LES MÉDITATIONS de la Vie DE JÉSUS-CHRIST.
(dimanche)
CHAPITRE I.
PRESSANTE INTERCESSION DES ANGES EN NOTRE FAVEUR.
Depuis très-longtemps , plus de cinq mille ans , le genre humain demeurait enseveli dans un abîme de misère; nul homme, à cause du péché d'Adam, ne pouvait s'élever à la céleste patrie. Touchés d'un si grand malheur et désirant réparer leurs propres désastres, les bienheureux Esprits angéliques, à l'approche de la plénitude des temps , rassemblés tous et prosternés devant le trône de l'Éternel , renouvelèrent avec plus de ferveur les instances que, tant de fois, ils avaient déjà faites et lui adressèrent les supplications suivantes : « Seigneur , votre Majesté sainte , pour manifester son infinie bonté, daigna former l'homme créature raisonnable dans le dessein de l'élever avec nous au séjour de votre gloire , et de réparer ainsi les pertes que nous ont fait éprouver la chute des mauvais Anges; mais, vous le voyez, voilà que tous périssent; nul ne peut se sauver, et, dans le cours de tant de siècles, tous les enfants d'Adam sont devenus la proie de nos ennemis. Ainsi, ce ne sont point nos légions ravagées , ce sont les abîmes de l'enfer qu'ils vont combler en foule. Pourquoi donc, Seigneur , les avez-vous créés ? Pourquoi livrer à la fureur des esprits immondes des âmes qui confessent votre nom (1)?
Et si jusqu'à présent votre justice l'a ainsi voulu , les jours de votre miséricorde ne sont-ils pas arrivés ? Si l'imprudence des premiers humains leur a fait transgresser votre sainte loi , votre miséricorde ne peut-elle pas tout réparer? Souvenez-vous que vous avez créé les hommes à votre image. Ouvrez avec bonté votre main et comblez-les de vos miséricordes. Comme les yeux des serviteurs fidèles s'attachent aux mains de leurs maîtres (2), ainsi les regards de vos enfants restent fixes sur vous jusqu'à ce que, touché de compassion , vous apportiez aux misères du genre humain un remède salutaire. »
(1) Psaume 73. — (2) Psaume 122.
CHAPITRE II.
DÉBAT ÉLEVÉ ENTRE LA MISÉRICORDE ET LA JUSTICE, LA VÉRITÉ ET LA PAIX.
Après cette prière , la Miséricorde et la Paix réunies pressaient le cœur du Père céleste de soulager tant de maux ; mais la Vérité et la Justice le poussaient en sens inverse. Aussi s'engagea-t-il entr'elles un grand débat que saint Bernard rapporte dans un long et admirable discours dont,' autant que je le pourrai, je vais brièvement retracer les principaux traits. Car j'ai dessein de citer fréquemment dans cet opuscule les délicieuses paroles de ce grand saint, en les abrégeant , pour l'ordinaire , afin d'éviter les longueurs. Or voici le sommaire de ce qu'il dit à ce sujet(l) :
La Miséricorde disait donc à Dieu : « Rejetterez- vous , Seigneur, vos enfants pour jamais, ou plutôt oublierez vous toujours de leur pardonner (2) ? » Et ces paroles, elle ne cessait de les répéter. Le Seigneur répondit :«Appelez vos sœurs qui, vous le savez, sont disposées à vous contredire et entendons-les à leur tour. » On les appela, et la Miséricorde commença ainsi : « Votre créature intelligente, l'homme est malheureux , et sa misère est si grande , qu'elle ne peut se passer de la bonté compatissante de son Dieu ; le jour du pardon est arrivé, bientôt il va passer. » La Vérité répliqua : « Seigneur , il faut accomplir la sentence que vous avez prononcée : qu'Adam meure tout entier avec tous ceux qu'il renfermait en lui-même au moment où sa main coupable osa toucher au fruit défendu. » La Miséricorde insista : « Seigneur , pourquoi m'avez-vous faite ? et la Vérité ignore-t-elle que vous m'anéantissez si vous ne pardonnez jamais ? » La Vérité dit au contraire : « Si le coupable échappe à votre sentence, votre Vérité périt aussi et cesse d'être éternelle. »
(I) Discours Ier. De Annuntiatione. — (2) Ps. 76.
La décision de la question fut alors remise au Fils de Dieu. La Vérité et la Miséricorde répétèrent devant lui les mêmes arguments, et la Vérité ajoutait : « Je confesse Seigneur, que la Miséricorde est animée d'un zèle louable , mais ce zèle n'est pas selon la justice, puisqu'elle aime mieux épargner le coupable que sa propre sœur. — Et vous, dit la Miséricorde, vous n'épargnez ni l'une ni l'autre, car l'excès de votre indignation contre le coupable vous conduit à sacrifier votre sœur avec lui ». Mais la Vérité alléguait avec non moins de force : « Seigneur, cet argument se tourne contre vous-même, et s'il triomphe , il est à craindre qu'il n'ait pour résultat d'anéantir la parole de votre Père. » La Paix dit à son tour : « Mettez fin à ces débats , ils sont peu convenables entre les Vertus. »
C'était là une grave discussion, solidement et fortement motivée de part et d'autre. On ne voyait pas comment la Miséricorde et la Vérité pourraient subsister à la fois à l'égard de l'homme. Le Roi traça son jugement qu'il donna à lire à la Paix alors plus rapprochée de lui; il était conçu en ces termes : « L'une de vous dit : Je suis anéantie si Adam n'est livré à la mort ; l'autre s'écrie : Je péris, s'il n'obtient grâce. Pour contenter l'une et l'autre , que la mort soit désormais un bien. » A ces paroles de la Sagesse suprême, on s'étonne et l'on consent universellement à ce qu'Adam subisse la mort en obtenant miséricorde.
Mais on demande comment cette mort, dont le seul nom fait frémir, pourra devenir un bien. Le roi répond, (1) : « La mort des pécheurs est très-mauvaise, mais la mort des saints est précieuse, et la porte de la vie (2). Que l'on me trouve un juste qui , sans être sujet à la mort, consente à mourir par charité pour ses frères, et alors ce juste triomphera de la puissance de la mort et ouvrira par elle un passage à ceux qu'il aura délivrés. »
(1) Ps.33. — (2) Ps. 113.
Cette décision satisfit les Vertus. « Mais, dirent-elles , où trouver un juste si charitable? » Alors la Vérité descendit de nouveau sur la terre, et la Miséricorde demeura dans le ciel ; car, dit le prophète, votre Miséricorde, Seigneur, remplit les Cieux et votre Vérité s'élève jusqu'aux nues (1).
La Vérité parcourt donc l'univers et n'y peut trouver un seul homme sans tache , pas même l'enfant qui vient de naître (2). De son côté, la Miséricorde explore soigneusement l'immensité des cieux , et n'y découvre personne qui eût assez de charité pour faire un si grand sacrifice; car nous sommes tous des serviteurs de Dieu, et lorsque nous faisons quelque bien, nous devons dire avec saint Luc : Nous ne sommes que des serviteurs inutiles (3) . Or, n'ayant pu trouver personne qui fût assez charitable pour donner sa vie afin de sauver des serviteurs inutiles (4), les deux Vertus se réunirent, au jour marqué devant le roi , plus inquiètes encore qu'elles ne l'étaient avant leur séparation. Voyant qu'elles n'avaient pas trouvé ce qu'elles désiraient, la Paix leur dit : Vous ne savez rien, vous ne pensez à rien (5). Il n'est pas d'homme qui fasse le bien , il n'y en a pas même un seul. Mais que celui qui nous propose une telle difficulté nous aide à la résoudre. Le Roi comprit ce vœu et dit : « Je me repens d'avoir fait l'homme (6); mais c'est moi qui expierai le crime de ma créature rebelle. Puis , ayant appelé l'archange Gabriel , il lui dit : Allez , dites à la fille de Sion : Voici que votre Roi vient à vous plein de douceur et de miséricorde (7). » Là finit le récit de saint Bernard.
(1) Ps. 35. — (2) Joh., 23. — {3) Saint Luc, 18. —
(4) Saint Jean., 18. — (5) Ps. 13. — (6) Genèse, 7. —
(7) Zach., 9.
Comprenez donc à quel danger nous a exposé et nous expose encore le péché, et combien il est difficile de trouver un remède à un si grand mal. Pour sortir d'embarras, les Vertus s'accordèrent à choisir spécialement la personne du Fils. Car d'un côté la Miséricorde et la Paix n'osaient en quelque sorte s'adresser à la personne du Père, dont la puissance leur paraissait trop redoutable; d'autre part, la Justice et la Vérité hésitaient de recourir au Saint-Esprit, à cause de sa bonté infinie ; la personne du Fils fut donc acceptée comme terme moyen entre ces deux extrêmes. Ce que je dis ici ne doit pas être pris au pied de la lettre, mais comme une approximation de ce qui s'est passé. Alors s'accomplirent ces paroles du prophète : La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées , la Justice et la Paix se sont embrassées (1). Et c'est ainsi que nous pouvons méditer ce qui s'est alors passé dans le ciel.
(1) Ps. 84
CHAPITRE III.
DE LA VIE DE LA SAINTE VIERGE ET DES SEPT DEMANDES QU'ELLE ADRESSAIT A DIEU.
Quant à la sainte Vierge , en qui s'opéra le mystère de l'Incarnation , nous pouvons méditer sa vie. Vous y verrez qu'à l'âge de trois ans , Marie fut, par ses parents, consacrée au temple, où elle demeura jusqu'à sa quatorzième année ; et si nous voulons savoir ce qu'elle y fit, nous pouvons l'apprendre par les révélations qu'elle en fit elle-même à l'une de ses plus fidèles servantes que l'on croit être Sainte Élisabeth (1), dont nous célébrons la fête avec tant de solennité. Entre autres détails, on y trouve ce qui suit : «Aussitôt, dit Marie, que mes parents m'eurent laissée dans le temple, je résolus intérieurement de considérer désormais Dieu comme mon père. Dans ma pieuse sollicitude , je cherchais souvent par quel moyen je pourrais plaire au Seigneur, et mériter ainsi qu'il daignât m'accorder sa grâce. A cet effet, je me fis instruire de la loi sainte de mon Dieu.
Mais , de tous les préceptes de la loi divine , mon cœur s'appliqua à garder particulièrement les trois suivants : 1° Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces. 2° Vous aimerez votre prochain comme vous-même. 3° Vous haïrez le démon , ( l`ange déchu) votre ennemi. J'eus toujours , dit Marie , ces trois préceptes présents à l'esprit, et avec eux, en même temps, l'intelligence des vertus qu'ils prescrivent. C'est ainsi, ma fille, que vous devez faire vous-même; car on ne peut avoir aucune vertu , si l'on n'aime Dieu de tout son cœur. Cet amour, en effet, est la source féconde de la grâce sans laquelle aucune vertu ne peut germer ni se conserver dans une âme, mais s'échappe bientôt comme une vapeur légère , si l'on ne hait souverainement ses ennemis , je veux dire les vices et les péchés. Ainsi, que celui qui veut obtenir et conserver la grâce , règle en lui, comme il convient, et cet amour et cette haine. Je veux donc que vous fassiez exactement ce que je faisais moi-même.
(1) Sainte Élisabeth de Hongrie. — Lisez la vie de cette grande sainte, si admirablement écrite par M. le comte de Montalembert.
Or , j'avais l'habitude de me lever au milieu de la nuit et d'aller me prosterner devant l'autel du temple; et là, avec tous les désirs, toute la volonté, toute l'ardeur dont j'étais capable , je demandais à celui qui peut tout, la grâce d'observer ces trois préceptes et tous les autres commandements de la loi , et , me tenant toujours au pied de l'autel , j'adressais au Seigneur les sept demandes suivantes. 1° Je lui demandais la grâce dont j'avais besoin pour accomplir ce précepte de charité qui consiste à l'aimer de tout son cœur, et le reste; 2° la grâce d'aimer le prochain comme Dieu le veut et l'entend, et de m'affectionner à tout ce qui lui plaît et qu'il aime; 3° je le conjurais de me faire détester et fuir tout ce qui lui déplaît; 4° je lui demandais l'humilité, la patience, la bonté, la douceur et toutes les vertus qui pourraient me rendre agréable à ses yeux ; 5° je le suppliais de me faire connaître le moment où viendrait cette Vierge bienheureuse qui devait engendrer le Fils de Dieu, de me conserver des yeux pour la voir, une langue pour la louer, des mains pour la servir, des pieds pour exécuter ses ordres, des genoux pour adorer le Fils de Dieu incarné dans son sein virginal ; 6° je lui demandais la grâce de me conformer aux ordres et aux dispositions du Grand-Prêtre préposé à la garde du temple; 7° enfin, je le priais de conserver, pour son service , le temple et tout son peuple. »
Ainsi parla Marie à la servante du Seigneur. Élisabeth lui dit : « 0 mon aimable souveraine, n'étiez-vous donc pas pleine de grâces et de vertus.» — «Sois convaincue , répondit la bienheureuse Vierge , que je me regardais comme aussi coupable, aussi méprisable et aussi indigne de la grâce de Dieu que toi-même; voilà pourquoi je sollicitais avec tant d'instance la grâce et les vertus. »
Marie me dit encore : « Tu crois peut-être , ma fille, que j'ai obtenu sans peine toutes les grâces dont j'ai été favorisée ; mais il n'en est pas ainsi. Je t'assure , au contraire, qu'à l'exception de la sanctification dont je fus prévenue dès ma Conception, je n'ai reçu de Dieu aucunes grâces, faveurs ou vertus sans les avoir sollicitées par de vives instances , de continuelles prières , d'ardents désirs, une profonde piété, des larmes m abondantes et de grandes mortifications , m'appliquant sans cesse, selon mes lumières et mon pouvoir, à ne dire ou penser que ce qui pouvait plaire au Seigneur. Sois assurée , ajouta-t-elle , que sans la prière et la mortification des sens , l'âme ne peut recevoir aucun écoulement de la grâce; mais quand nous avons offert à Dieu tout ce dont nous sommes capables dans notre indigence, il vient lui-même en notre âme, et l'enrichit de ses dons suréminents. L'âme semble alors défaillir en elle-même; elle oublie tout le passé , et ne se souvenant plus d'avoir fait ou dit rien qui puisse plaire au Seigneur, elle se croit encore plus vile et plus méprisable qu'elle ne le fut jamais. »
Là finissent les révélations de Marie sur sa vie. Mais saint Jérôme écrit sur le même sujet : « La bienheureuse Vierge avait ainsi réglé l'emploi de son temps ; depuis le matin jusqu'à la troisième heure elle vaquait uniquement à la prière ; elle s'occupait d'un travail extérieur depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure ; puis elle reprenait l'exercice de la prière qu'elle n'interrompait qu'à l'apparition de l'Ange, de la main duquel elle avait coutume de recevoir sa nourriture, et elle croissait en piété et en amour de Dieu. Aussi était-elle la première dans les saintes veilles , la plus instruite dans la connaissance de la Loi divine , la plus humble entre les humbles, la plus habile au chant des psaumes , la plus éminente en charité , la plus éclatante en pureté et la plus parfaite en toutes sortes de vertus : car sa constance était imperturbable, et quoiqu'elle s'efforçât tous les jours de s'élever à une plus haute perfection, la moindre agitation de l'âme ne parut jamais dans sou air ou dans ses paroles ; sa conversation était pleine de tant de grâces , qu'il était facile de connaître que Dieu réglait tous ses discours. Elle persévérait dans l'oraison et la méditation de la Loi de Dieu. Dans sa sollicitude pour ses compagnes , elle veillait à ce qu'aucune d'elles n'offensât Dieu dans ses paroles , à ce qu'aucune ne se livrât à une joie trop bruyante , à ce qu'aucune n'adressât à une autre des paroles de mépris ou d'orgueil. Elle bénissait Dieu en toute chose; et, pour ne point cesser de le faire, elle répondait aux salutations qu'on lui adressait : Rendons grâces à Dieu. Ainsi c'est à elle que remonte l'usage où sont tous les saints personnages de répondre, Deo gratias, à ceux qui les saluent. La nourriture qu'elle recevait de la main de l'Ange suffisait pour réparer ses forces , et elle distribuait aux pauvres les aliments que lui donnaient les Prêtres du Temple. Tous les jours, on voyait l'Ange du Seigneur s'entretenir avec elle avec autant de déférence qu'on en a à l'égard de la plus tendre sœur ou de la mère la plus chérie.»
Voilà tout ce que dit saint Jérôme. A l'âge de quatorze ans , la sainte Vierge Marie fut fiancée à Joseph , par l'inspiration de Dieu , puis elle revint à Nazareth ; vous trouverez les détails de ces circonstances dans la légende de sa Nativité. Voilà ce que nous pouvons méditer sur les évènements antérieurs à l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ: repassez-les souvent dans votre esprit et mettez-y vos délices, les gravant avec amour dans votre mémoire et les réduisant en pratique, car ils sont très-édifiants. Maintenant passons à l'Incarnation.
TABLE DES CHAPITRES
Avant-Propos de S. Bonaventure
PREMIÈRE PARTIE.
Pressante intercession des Anges en notre faveur.
Débat élevé entre la Miséricorde et la Justice , la Vérité et la Paix .
De la vie de la sainte Vierge et des sept demandes qu'elle adressait à Dieu.
De l'Incarnation de Jésus-Christ.
Comment la sainte Vierge visita sainte Élisabeth. — Origine des cantiques Magnificat
et Benedictus.
Comment Joseph forma le dessein de quitter Marie ; et comment Dieu permet
quelquefois que ses plus fidèles serviteurs soient éprouvés par la tribulation.
DEUXIÈME PARTIE
Naissance de Jésus-Christ, et autres choses relatives.
Circoncision et larmes de Jésus-Christ.
De l'Épiphanie ou de la Manifestation du Seigneur.
Séjour de Marie dans l'étable.
Purification de la sainte Vierge.
TROISIÈME PARTIE.
Fuite de Notre Seigneur en Égypte.
Notre Seigneur revient de l'Égypte.
Jésus demeure à Jérusalem.
De ce que fit Jésus depuis douze jusqu'à trente ans.
Baptême de Notre Seigneur Jésus-Christ.
Jeûne et tentations de Jésus-Christ. Son retour près de sa Mère. — Quatre
moyens pour obtenir la pureté du cœur. — Plusieurs avantages de l'oraison.
Nécessité de combattre la gourmandise. — Pourquoi et pour qui Dieu fait des miracles.
QUATRIÈME PARTIE
Jésus ouvre dans la Synagogue le livre du prophète Isaïe.
De la vocation des Disciples.
L'eau changée en vin aux noces de Cana.
Sermon de Notre Seigneur sur la montagne. — Il parle d'abord de la pauvreté.
Jésus guérit le serviteur d'un centurion et le fils d'un officier.
Du paralytique descendu par le toit aux pieds de Jésus qui le guérit.
Guérison de la belle-mère de Simon .
Sommeil de Jésus dans la barque.
Le Seigneur ressuscite le Fils d'une veuve.
Résurrection d'une jeune fille et guérison de Marthe.
Conversion de Madeleine , et réflexions à ce sujet.
Saint Jean envoie ses Disciples à Jésus.
Mort de Jean-Baptiste.
Entretien de Jésus avec la Samaritaine.
On veut précipiter Jésus -Christ du haut d'une montagne.
Jésus guérit un homme dont la main était desséchée.
De la multiplication des pains , et comment Jésus pourvoit aux besoins de ceux qui l'aiment.
Notre Seigneur fuit lorsqu'on veut le faire roi. — Réflexions contre les honneurs du monde.
Comment Notre Seigneur pria sut la montagne , et après en être descendu et marcha sur la mer. Considérations sur la prière .
La Chananéenne.—Avec quelle fidélité nous sommes servis par nos Anges. Gardiens. — Citation remarquable.
Comment quelques-uns se scandalisèrent des paroles de Notre Seigneur.
Récompenses promises à ceux qui quittent tout.
Notre Seigneur demande à ses Disciples ce que l'on disait de lui.
Transfiguration de Notre Seigneur sur la montagne du Thabor.
Jésus chasse du Temple les vendeurs et les acheteurs.
De la piscine probatique, et en outre qu'il ne faut pas juger témérairement
ses frères.
Les Disciples de Jésus arrachent quelques épis ; et à cette occasion considérations sur la pauvreté.
CINQUIÈME PARTIE
Des différentes fonctions de Marthe et de Marie ; et en même temps de la contemplation , laquelle se divise en deux parties.
La vie active doit précéder la vie contemplative.
De la prédication ; puis de sept choses auxquelles il faut s'exercer avant que d'enseigner les autres.
Des exercices de la vie active. ( Non inclus)
Des exercices de la vie contemplative. (Non inclus)
Qu'il y a trois espèces de contemplation. ( Non inclus)
De la contemplation de l'humanité de Jésus-Christ. ( Non inclus)
De la contemplation de la Cour céleste. ( Non Inclus)
De la contemplation de la divine Majesté , et de quatre manières de faire
cette contemplation. ( Non Inclus)
De quelle manière on doit se conduire dans la vie active. — Citation importante de saint Bernard. ( Non inclus)
De quelle manière il faut se conduire dans la vie contemplative. ( Non inclus)
De quatre obstacles à la contemplation. ( Non Inclus)
La vie contemplative l'emporte sur la vie active. (Non Inclus)
Trois motifs déterminent à revenir de la vie contemplative à la vie active. ( Non Inclus)
On prouve ensuite que la foi sans les œuvres est morte. ( Non Inclus)
Comment Notre Seigneur, sous la parabole des vignerons qui mettent à mort le fils de leur maître, annonce aux Juifs que l'Église sera transférée aux Gentils.
Comment les Pharisiens essayèrent de surprendre Jésus dans ses discours.
Guérison de l'aveugle de Jéricho ; diverses réflexions à ce sujet.
Comment Notre Seigneur entra dans la maison de Zachée.
Guérison de l'aveugle né.
Comment Notre Seigneur s'enfuit du Temple et se cacha lorsque les Juifs
voulurent le lapider.
Comment on voulut une seconde fois lapider Jésus.
Résurrection de Lazare.
Jésus maudit un figuier.
De la femme surprise en adultère.
Conspiration des Prêtres et des Pharisiens contre Jésus et sa fuite dans la ville d'Ephrem.
Retour de Jésus à Béthanie où Marie- Madeleine lui oignit les pieds.
Jésus monté sur un ânon fait son entrée à Jérusalem. — Motifs pour lesquels Jésus a trois fois répandu des larmes.
Notre Seigneur annonce à sa mère qu'il va bientôt mourir.
La cène de Notre Seigneur; puis de la table et de la manière dont il s'y mit avec ses Disciples. — De cinq
exemples de vertus donnés par Jésus-Christ dans la cène , et de cinq choses à méditer dans le discours
que Notre Seigneur fit après la cène.
SIXIÈME PARTIE
Méditations sur la Passion de Notre- Seigneur en général.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ avant matines.
Méditations sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de prime.
Méditation sur la Passion à l'heure de tierce.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de sexte.
Méditation sur la Passion de Jésus-Christ à l'heure de none.
Le cœur de Jésus est ouvert par la lance.
Méditation à l'heure de vêpres.
A l'heure de complies.
Méditation après complies.
SEPTIÈME PARTIE
Méditation sur ce que firent Marie et ses compagnes le jour du sabbat.
Méditation sur la descente de Notre- Seigneur Jésus-Christ aux enfers le jour du sabbat.
HUITIÈME PARTIE
De la Résurrection de Notre Seigneur, et comment il apparut d'abord à sa Mère le jour du Dimanche.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie viennent au sépulcre ; Pierre et Jean y accourent.
Apparition de Jésus aux trois Marie.
Jésus apparaît à Joseph, d'Arimathie, à St Jacques le Mineur et à Pierre.
Notre Seigneur après sa Résurrection va retrouver les saints Pères.
Apparition de Notre Seigneur à deux Disciples qui allaient à Emmaüs.
Notre Seigneur apparaît le jour de la Résurrection à tous les Disciples assemblés.
Huit jours après la Résurrection, Jésus apparaît à ses Disciples , Thomas étant avec eux.
Notre Seigneur apparaît à ses Disciples en Galilée.
Jésus apparaît à ses Disciples au bord de la mer de Tibériade.
De l'apparition de Notre Seigneur à plus de cinq cents frères réunis , et de quelques autres apparitions.
De l'Ascension de Notre Seigneur.
De l'envoi du Saint-Esprit. — Désir de la patrie céleste et de la mort qui peut nous y conduire.
Deux manières de méditer la vie de Jésus-Christ , l'une selon la chair, l'autre selon l'esprit.
De quelle manière il faut méditer la vie de Jésus-Christ, et conclusion de cet ouvrage.
MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE
PAR M. LEMAIRE-ESMANGARD,
ANCIEN ÉLÈVE DE L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE. Vers l`année 1300 en latin – traduction en français - Année 1851
AVANT-PROPOS DE SAINT BONAVENTURE,
Dans les panégyriques qui ont été faits des vertus et des mérites de sainte Cécile, on lit qu'elle portait constamment caché dans son sein l'Évangile de Jésus-Christ. Ce qui semble signifier qu'elle avait choisi dans l'Évangile quelques traits de la vie de Notre Seigneur plus propres à exciter sa piété, qu'elle les méditait nuit et jour avec une grande pureté et une grande droiture de cœur, avec une singulière et fervente attention, et que, reprenant et recommençant sans cesse ces Méditations, les ruminant doucement et les savourant avec délices en elle-même, elle les déposait au fond de son cœur. Je vous conseille d'en faire autant. Car je crois que , de tous les exercices de la vie spirituelle , cette pratique est la plus nécessaire , la plus utile et la plus capable de nous élever au plus haut degré de la perfection. En effet vous ne trouverez nulle part , aussi bien que dans la vie si pure et si parfaite de Jésus-Christ , les enseignements dont vous avez besoin pour vous prémunir contre les attraits des choses vaines et périssables, contre les tribulations (malheurs) et les adversités , et contre les dangers auxquels vous exposent les tentations de vos ennemis et vos propres passions.
Il est évident que la Méditation fréquente et habituelle de la vie de Jésus-Christ donne à notre âme une telle familiarité, une si grande confiance, un si parfait amour, qu'elle n'éprouve plus pour le reste que dégoûts et que mépris. Elle y puise en outre les lumières et les forces qui lui sont nécessaires pour faire ce qui lui est commandé et pour éviter ce qui lui est défendu. Je dis d'abord que la Méditation continuelle de la vie de Notre Seigneur fortifie et affermit notre âme contre l'attrait des choses vaines et périssables , comme on le voit dans ce que nous rapportions ci-dessus de sainte Cécile dont le cœur était si rempli des exemples de la vie de Jésus-Christ, qu'aucune chose vaine n'y pouvait pénétrer; ce qui fit qu'assistant un jour à l'une de ces cérémonies nuptiales où se trouvent tant de pompeuses vanités , le bruit des instruments ne put l'empêcher de rester constamment occupée de Dieu auquel elle adressait ces paroles : « Seigneur , conservez-moi la pureté du corps et du cœur, afin que je ne sois pas éternellement confondue. »
Secondement, la Méditation de la vie de Jésus-Christ fortifie contre les tribulations et les adversités , comme on le voit dans les Martyrs. Ce qui fait dire à saint Bernard : « C'est en pensant avec beaucoup de dévotion aux plaies de Jésus-Christ , c'est en s'y fixant par une continuelle Méditation que l'on puise la force de supporter les supplices. Là, le corps tout couvert de plaies, les entrailles déchirées par le fer , le Martyr tressaille d'allégresse comme sur un char de triomphe. Et où est donc l'âme de ce Martyr ? Dans les plaies de Jésus- Christ; oui, dans ses plaies ouvertes pour le recevoir. Si elle demeurait en elle-même, pensant à elle-même, assurément elle sentirait l'atteinte du fer , elle ne pourrait supporter la douleur, elle succomberait et trahirait sa foi. » Telles sont les paroles de saint Bernard.
Voilà pourquoi non-seulement les Martyrs , mais aussi les Confesseurs ont eu et ont encore tous les jours tant de patience dans leurs tribulations et leurs infirmités. Lisez la vie de saint François et celle de la vierge sainte Claire , votre Mère et votre guide , et vous pourrez voir comment , au milieu des tribulations , des peines et des infirmités les plus multipliées , ils se montrèrent non seulement patients, mais pleins de joie.
Les personnes qui vivent saintement vous offrent tous les jours le même spectacle ; ce qui vient de ce que leurs âmes n'étaient et ne sont , pour ainsi dire, pas unies à leur corps , mais à Jésus-Christ, par une pieuse méditation de sa vie. Je dis en troisième lieu que cette Méditation nous instruit si parfaitement de ce que nous devons faire, que nous n'avons à craindre ni les attaques de nos ennemis , ni les égarements de nos passions , et cela parce que cette pratique nous élève à la perfection de toutes les vertus.
Car où trouverait-on , aussi bien que dans la vie du Maître de toutes les vertus , des exemples et des leçons d'extrême pauvreté, de parfaite humilité , de profonde sagesse, d'oraison, de douceur, de patience, d'obéissance et de toutes les autres vertus ? Sur quoi saint Bernard dit ces courtes paroles : « C'est donc en vain que l'on travaille à acquérir les vertus , si l'on se flatte de les trouver autre part qu'en Celui qui en est le Maître. Sa doctrine est la source féconde de la sagesse , sa miséricorde le fondement de la Justice , sa vie le miroir de la tempérance et sa mort le signe glorieux de la force et du courage. »
Concluons donc de ce que dit saint Bernard que celui qui suit Jésus- Christ ne peut ni être trompé, ni s'égarer. En méditant souvent ses vertus, le désir ardent de les imiter et de les acquérir s'allume dans le cœur; bientôt la vertu brille en nous d'un si vif éclat que l'on semble revêtu de sa lumière et que l'on sait discerner la vérité de l'erreur. De là vient que plusieurs, quoiqu' ignorants et sans instruction, ont pénétré les plus grands mystères de Dieu.
Où pensez-vous que saint François ait puisé toutes les vertus qui abondaient en lui , une intelligence si éclairée des saintes Écritures, une si parfaite connaissance des ruses de nos ennemis et de celles de nos passions , sinon dans le commerce habituel qu'il entretenait par la méditation avec Jésus-Christ son divin Maître ? C'est parce qu'il s'était appliqué, avec tant d'ardeur, à se rendre semblable à Lui qu'il en devint comme la copie la plus vivante. Car il l'imitait le plus parfaitement qu'il le pouvait dans toutes les vertus. Et Jésus ayant enfin complété et perfectionné cette ressemblance par l'impression de ses sacrés stigmates, le transforma entièrement en lui-même.
Vous voyez donc à quelle élévation peut conduire la Méditation de la vie de Jésus-Christ; ajoutez encore qu'elle est comme un échelon qui nous aide à monter jusqu'aux degrés les plus sublimes de la contemplation , parce qu'on y trouve une onction qui, purifiant et élevant peu à peu notre âme, lui communique sur toute chose une science dont nous nous occuperons plus tard. Maintenant j'ai pensé à vous offrir ce traité comme une espèce d'introduction à la méditation de la vie de Jésus-Christ.
Mais j'aurais voulu que ce travail vous fût offert par une main plus habile et plus expérimentée ; car je reconnais mon incapacité, surtout en pareille matière. Toutefois pensant que, sur ce sujet , je ferais mieux de dire , bien ou mal, quelque chose que de garder entièrement le silence, je vais, quelle que soit mon impuissance, essayer de m'entretenir familièrement avec vous dans un langage simple et sans recherche, tant pour que vous puissiez mieux saisir ce que je vous dirai que pour vous porter à y chercher plutôt ce qui nourrit l'âme que ce qui charme l'oreille. Car ce n'est point à de belles phrases , mais à la méditation de la vie de Jésus-Christ qu'il faut ici s'attacher. Et je me sens encouragé par l'opinion de saint Jérôme dont voici les paroles : « Un langage simple et commun pénètre jusqu'au cœur; un discours élégant ne sert qu'à repaître l'oreille. »
Au reste , j'espère que , malgré ma faiblesse et votre inexpérience, je ne vous serai pas tout-à-fait inutile, et ce qui fortifie cette espérance , c'est que , si vous voulez vous appliquer assidument à ces méditations , Celui qui en est l'objet , Notre Seigneur, vous apprendra lui-même à les faire. Mais ne pensez pas que l'on puisse méditer ou que l'on ait écrit toutes les paroles ou toutes les actions de Jésus telles qu'il les a réellement dites ou faites. Toutefois je me propose, pour vous toucher davantage, de vous présenter
les choses comme si elles se passaient actuellement sous vos yeux, comme on peut croire qu'elles sont réellement arrivées ou qu'elles ont pu arriver , en se les figurant à l'aide de quelques représentations imaginaires que l'esprit conçoit de diverses manières.
Car il nous est permis de recourir aux différents moyens qui nous semblent les plus propres à faciliter la méditation, l'exposition et l'intelligence des saintes Écritures , pourvu cependant qu'il n'y ait rien de contraire à la vérité des faits , à la justice, à l'enseignement de l'Église, à la foi et aux bonnes mœurs. Lors donc que je vous dirai : « Jésus a ainsi parlé , Jésus a fait cela, » ou que j'entrerai dans quelqu'autres détails, si cela n'est pas dans l'Évangile, ne donnez pas plus de foi à mes paroles que n'en exige une pieuse méditation , c'est-à-dire recevez-les comme si je vous disais : « Pensez que Jésus a fait et dit cela , » et ainsi dans tous les cas semblables. Si donc vous voulez retirer quelque fruit de ces méditations, imaginez-vous que vous êtes aussi présente à ce qu'on vous rapporte avoir été dit ou fait par Notre Seigneur Jésus- Christ que si vous l'entendiez de vos oreilles et le voyiez de vos yeux, c'est-à-dire avec tous les sentiments affectueux, avec l'attention , la délicieuse émotion et le recueillement dont vous êtes capable, éloignant de vous tout autre soin , toute autre sollicitude. Je vous prie donc , ma chère Fille , de recevoir avec joie et de méditer avec encore plus de joie, de dévotion et d'empressement, ce travail que j'ai entrepris pour la gloire de Jésus-Christ , votre profit spirituel et ma propre utilité.
Il faudrait parler d'abord de l'Incarnation ; mais il m'a semblé que nous pouvions méditer quelques évènements qui se sont passés avant l'Incarnation , soit dans le Ciel à l'égard de Dieu et de ses saints Anges, soit sur la terre à l'égard de la très-glorieuse Vierge; et c'est aussi par-là que nous allons commencer.
LES MÉDITATIONS de la Vie DE JÉSUS-CHRIST.
(dimanche)
CHAPITRE I.
PRESSANTE INTERCESSION DES ANGES EN NOTRE FAVEUR.
Depuis très-longtemps , plus de cinq mille ans , le genre humain demeurait enseveli dans un abîme de misère; nul homme, à cause du péché d'Adam, ne pouvait s'élever à la céleste patrie. Touchés d'un si grand malheur et désirant réparer leurs propres désastres, les bienheureux Esprits angéliques, à l'approche de la plénitude des temps , rassemblés tous et prosternés devant le trône de l'Éternel , renouvelèrent avec plus de ferveur les instances que, tant de fois, ils avaient déjà faites et lui adressèrent les supplications suivantes : « Seigneur , votre Majesté sainte , pour manifester son infinie bonté, daigna former l'homme créature raisonnable dans le dessein de l'élever avec nous au séjour de votre gloire , et de réparer ainsi les pertes que nous ont fait éprouver la chute des mauvais Anges; mais, vous le voyez, voilà que tous périssent; nul ne peut se sauver, et, dans le cours de tant de siècles, tous les enfants d'Adam sont devenus la proie de nos ennemis. Ainsi, ce ne sont point nos légions ravagées , ce sont les abîmes de l'enfer qu'ils vont combler en foule. Pourquoi donc, Seigneur , les avez-vous créés ? Pourquoi livrer à la fureur des esprits immondes des âmes qui confessent votre nom (1)?
Et si jusqu'à présent votre justice l'a ainsi voulu , les jours de votre miséricorde ne sont-ils pas arrivés ? Si l'imprudence des premiers humains leur a fait transgresser votre sainte loi , votre miséricorde ne peut-elle pas tout réparer? Souvenez-vous que vous avez créé les hommes à votre image. Ouvrez avec bonté votre main et comblez-les de vos miséricordes. Comme les yeux des serviteurs fidèles s'attachent aux mains de leurs maîtres (2), ainsi les regards de vos enfants restent fixes sur vous jusqu'à ce que, touché de compassion , vous apportiez aux misères du genre humain un remède salutaire. »
(1) Psaume 73. — (2) Psaume 122.
CHAPITRE II.
DÉBAT ÉLEVÉ ENTRE LA MISÉRICORDE ET LA JUSTICE, LA VÉRITÉ ET LA PAIX.
Après cette prière , la Miséricorde et la Paix réunies pressaient le cœur du Père céleste de soulager tant de maux ; mais la Vérité et la Justice le poussaient en sens inverse. Aussi s'engagea-t-il entr'elles un grand débat que saint Bernard rapporte dans un long et admirable discours dont,' autant que je le pourrai, je vais brièvement retracer les principaux traits. Car j'ai dessein de citer fréquemment dans cet opuscule les délicieuses paroles de ce grand saint, en les abrégeant , pour l'ordinaire , afin d'éviter les longueurs. Or voici le sommaire de ce qu'il dit à ce sujet(l) :
La Miséricorde disait donc à Dieu : « Rejetterez- vous , Seigneur, vos enfants pour jamais, ou plutôt oublierez vous toujours de leur pardonner (2) ? » Et ces paroles, elle ne cessait de les répéter. Le Seigneur répondit :«Appelez vos sœurs qui, vous le savez, sont disposées à vous contredire et entendons-les à leur tour. » On les appela, et la Miséricorde commença ainsi : « Votre créature intelligente, l'homme est malheureux , et sa misère est si grande , qu'elle ne peut se passer de la bonté compatissante de son Dieu ; le jour du pardon est arrivé, bientôt il va passer. » La Vérité répliqua : « Seigneur , il faut accomplir la sentence que vous avez prononcée : qu'Adam meure tout entier avec tous ceux qu'il renfermait en lui-même au moment où sa main coupable osa toucher au fruit défendu. » La Miséricorde insista : « Seigneur , pourquoi m'avez-vous faite ? et la Vérité ignore-t-elle que vous m'anéantissez si vous ne pardonnez jamais ? » La Vérité dit au contraire : « Si le coupable échappe à votre sentence, votre Vérité périt aussi et cesse d'être éternelle. »
(I) Discours Ier. De Annuntiatione. — (2) Ps. 76.
La décision de la question fut alors remise au Fils de Dieu. La Vérité et la Miséricorde répétèrent devant lui les mêmes arguments, et la Vérité ajoutait : « Je confesse Seigneur, que la Miséricorde est animée d'un zèle louable , mais ce zèle n'est pas selon la justice, puisqu'elle aime mieux épargner le coupable que sa propre sœur. — Et vous, dit la Miséricorde, vous n'épargnez ni l'une ni l'autre, car l'excès de votre indignation contre le coupable vous conduit à sacrifier votre sœur avec lui ». Mais la Vérité alléguait avec non moins de force : « Seigneur, cet argument se tourne contre vous-même, et s'il triomphe , il est à craindre qu'il n'ait pour résultat d'anéantir la parole de votre Père. » La Paix dit à son tour : « Mettez fin à ces débats , ils sont peu convenables entre les Vertus. »
C'était là une grave discussion, solidement et fortement motivée de part et d'autre. On ne voyait pas comment la Miséricorde et la Vérité pourraient subsister à la fois à l'égard de l'homme. Le Roi traça son jugement qu'il donna à lire à la Paix alors plus rapprochée de lui; il était conçu en ces termes : « L'une de vous dit : Je suis anéantie si Adam n'est livré à la mort ; l'autre s'écrie : Je péris, s'il n'obtient grâce. Pour contenter l'une et l'autre , que la mort soit désormais un bien. » A ces paroles de la Sagesse suprême, on s'étonne et l'on consent universellement à ce qu'Adam subisse la mort en obtenant miséricorde.
Mais on demande comment cette mort, dont le seul nom fait frémir, pourra devenir un bien. Le roi répond, (1) : « La mort des pécheurs est très-mauvaise, mais la mort des saints est précieuse, et la porte de la vie (2). Que l'on me trouve un juste qui , sans être sujet à la mort, consente à mourir par charité pour ses frères, et alors ce juste triomphera de la puissance de la mort et ouvrira par elle un passage à ceux qu'il aura délivrés. »
(1) Ps.33. — (2) Ps. 113.
Cette décision satisfit les Vertus. « Mais, dirent-elles , où trouver un juste si charitable? » Alors la Vérité descendit de nouveau sur la terre, et la Miséricorde demeura dans le ciel ; car, dit le prophète, votre Miséricorde, Seigneur, remplit les Cieux et votre Vérité s'élève jusqu'aux nues (1).
La Vérité parcourt donc l'univers et n'y peut trouver un seul homme sans tache , pas même l'enfant qui vient de naître (2). De son côté, la Miséricorde explore soigneusement l'immensité des cieux , et n'y découvre personne qui eût assez de charité pour faire un si grand sacrifice; car nous sommes tous des serviteurs de Dieu, et lorsque nous faisons quelque bien, nous devons dire avec saint Luc : Nous ne sommes que des serviteurs inutiles (3) . Or, n'ayant pu trouver personne qui fût assez charitable pour donner sa vie afin de sauver des serviteurs inutiles (4), les deux Vertus se réunirent, au jour marqué devant le roi , plus inquiètes encore qu'elles ne l'étaient avant leur séparation. Voyant qu'elles n'avaient pas trouvé ce qu'elles désiraient, la Paix leur dit : Vous ne savez rien, vous ne pensez à rien (5). Il n'est pas d'homme qui fasse le bien , il n'y en a pas même un seul. Mais que celui qui nous propose une telle difficulté nous aide à la résoudre. Le Roi comprit ce vœu et dit : « Je me repens d'avoir fait l'homme (6); mais c'est moi qui expierai le crime de ma créature rebelle. Puis , ayant appelé l'archange Gabriel , il lui dit : Allez , dites à la fille de Sion : Voici que votre Roi vient à vous plein de douceur et de miséricorde (7). » Là finit le récit de saint Bernard.
(1) Ps. 35. — (2) Joh., 23. — {3) Saint Luc, 18. —
(4) Saint Jean., 18. — (5) Ps. 13. — (6) Genèse, 7. —
(7) Zach., 9.
Comprenez donc à quel danger nous a exposé et nous expose encore le péché, et combien il est difficile de trouver un remède à un si grand mal. Pour sortir d'embarras, les Vertus s'accordèrent à choisir spécialement la personne du Fils. Car d'un côté la Miséricorde et la Paix n'osaient en quelque sorte s'adresser à la personne du Père, dont la puissance leur paraissait trop redoutable; d'autre part, la Justice et la Vérité hésitaient de recourir au Saint-Esprit, à cause de sa bonté infinie ; la personne du Fils fut donc acceptée comme terme moyen entre ces deux extrêmes. Ce que je dis ici ne doit pas être pris au pied de la lettre, mais comme une approximation de ce qui s'est passé. Alors s'accomplirent ces paroles du prophète : La Miséricorde et la Vérité se sont rencontrées , la Justice et la Paix se sont embrassées (1). Et c'est ainsi que nous pouvons méditer ce qui s'est alors passé dans le ciel.
(1) Ps. 84
CHAPITRE III.
DE LA VIE DE LA SAINTE VIERGE ET DES SEPT DEMANDES QU'ELLE ADRESSAIT A DIEU.
Quant à la sainte Vierge , en qui s'opéra le mystère de l'Incarnation , nous pouvons méditer sa vie. Vous y verrez qu'à l'âge de trois ans , Marie fut, par ses parents, consacrée au temple, où elle demeura jusqu'à sa quatorzième année ; et si nous voulons savoir ce qu'elle y fit, nous pouvons l'apprendre par les révélations qu'elle en fit elle-même à l'une de ses plus fidèles servantes que l'on croit être Sainte Élisabeth (1), dont nous célébrons la fête avec tant de solennité. Entre autres détails, on y trouve ce qui suit : «Aussitôt, dit Marie, que mes parents m'eurent laissée dans le temple, je résolus intérieurement de considérer désormais Dieu comme mon père. Dans ma pieuse sollicitude , je cherchais souvent par quel moyen je pourrais plaire au Seigneur, et mériter ainsi qu'il daignât m'accorder sa grâce. A cet effet, je me fis instruire de la loi sainte de mon Dieu.
Mais , de tous les préceptes de la loi divine , mon cœur s'appliqua à garder particulièrement les trois suivants : 1° Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre esprit et de toutes vos forces. 2° Vous aimerez votre prochain comme vous-même. 3° Vous haïrez le démon , ( l`ange déchu) votre ennemi. J'eus toujours , dit Marie , ces trois préceptes présents à l'esprit, et avec eux, en même temps, l'intelligence des vertus qu'ils prescrivent. C'est ainsi, ma fille, que vous devez faire vous-même; car on ne peut avoir aucune vertu , si l'on n'aime Dieu de tout son cœur. Cet amour, en effet, est la source féconde de la grâce sans laquelle aucune vertu ne peut germer ni se conserver dans une âme, mais s'échappe bientôt comme une vapeur légère , si l'on ne hait souverainement ses ennemis , je veux dire les vices et les péchés. Ainsi, que celui qui veut obtenir et conserver la grâce , règle en lui, comme il convient, et cet amour et cette haine. Je veux donc que vous fassiez exactement ce que je faisais moi-même.
(1) Sainte Élisabeth de Hongrie. — Lisez la vie de cette grande sainte, si admirablement écrite par M. le comte de Montalembert.
Or , j'avais l'habitude de me lever au milieu de la nuit et d'aller me prosterner devant l'autel du temple; et là, avec tous les désirs, toute la volonté, toute l'ardeur dont j'étais capable , je demandais à celui qui peut tout, la grâce d'observer ces trois préceptes et tous les autres commandements de la loi , et , me tenant toujours au pied de l'autel , j'adressais au Seigneur les sept demandes suivantes. 1° Je lui demandais la grâce dont j'avais besoin pour accomplir ce précepte de charité qui consiste à l'aimer de tout son cœur, et le reste; 2° la grâce d'aimer le prochain comme Dieu le veut et l'entend, et de m'affectionner à tout ce qui lui plaît et qu'il aime; 3° je le conjurais de me faire détester et fuir tout ce qui lui déplaît; 4° je lui demandais l'humilité, la patience, la bonté, la douceur et toutes les vertus qui pourraient me rendre agréable à ses yeux ; 5° je le suppliais de me faire connaître le moment où viendrait cette Vierge bienheureuse qui devait engendrer le Fils de Dieu, de me conserver des yeux pour la voir, une langue pour la louer, des mains pour la servir, des pieds pour exécuter ses ordres, des genoux pour adorer le Fils de Dieu incarné dans son sein virginal ; 6° je lui demandais la grâce de me conformer aux ordres et aux dispositions du Grand-Prêtre préposé à la garde du temple; 7° enfin, je le priais de conserver, pour son service , le temple et tout son peuple. »
Ainsi parla Marie à la servante du Seigneur. Élisabeth lui dit : « 0 mon aimable souveraine, n'étiez-vous donc pas pleine de grâces et de vertus.» — «Sois convaincue , répondit la bienheureuse Vierge , que je me regardais comme aussi coupable, aussi méprisable et aussi indigne de la grâce de Dieu que toi-même; voilà pourquoi je sollicitais avec tant d'instance la grâce et les vertus. »
Marie me dit encore : « Tu crois peut-être , ma fille, que j'ai obtenu sans peine toutes les grâces dont j'ai été favorisée ; mais il n'en est pas ainsi. Je t'assure , au contraire, qu'à l'exception de la sanctification dont je fus prévenue dès ma Conception, je n'ai reçu de Dieu aucunes grâces, faveurs ou vertus sans les avoir sollicitées par de vives instances , de continuelles prières , d'ardents désirs, une profonde piété, des larmes m abondantes et de grandes mortifications , m'appliquant sans cesse, selon mes lumières et mon pouvoir, à ne dire ou penser que ce qui pouvait plaire au Seigneur. Sois assurée , ajouta-t-elle , que sans la prière et la mortification des sens , l'âme ne peut recevoir aucun écoulement de la grâce; mais quand nous avons offert à Dieu tout ce dont nous sommes capables dans notre indigence, il vient lui-même en notre âme, et l'enrichit de ses dons suréminents. L'âme semble alors défaillir en elle-même; elle oublie tout le passé , et ne se souvenant plus d'avoir fait ou dit rien qui puisse plaire au Seigneur, elle se croit encore plus vile et plus méprisable qu'elle ne le fut jamais. »
Là finissent les révélations de Marie sur sa vie. Mais saint Jérôme écrit sur le même sujet : « La bienheureuse Vierge avait ainsi réglé l'emploi de son temps ; depuis le matin jusqu'à la troisième heure elle vaquait uniquement à la prière ; elle s'occupait d'un travail extérieur depuis la troisième jusqu'à la neuvième heure ; puis elle reprenait l'exercice de la prière qu'elle n'interrompait qu'à l'apparition de l'Ange, de la main duquel elle avait coutume de recevoir sa nourriture, et elle croissait en piété et en amour de Dieu. Aussi était-elle la première dans les saintes veilles , la plus instruite dans la connaissance de la Loi divine , la plus humble entre les humbles, la plus habile au chant des psaumes , la plus éminente en charité , la plus éclatante en pureté et la plus parfaite en toutes sortes de vertus : car sa constance était imperturbable, et quoiqu'elle s'efforçât tous les jours de s'élever à une plus haute perfection, la moindre agitation de l'âme ne parut jamais dans sou air ou dans ses paroles ; sa conversation était pleine de tant de grâces , qu'il était facile de connaître que Dieu réglait tous ses discours. Elle persévérait dans l'oraison et la méditation de la Loi de Dieu. Dans sa sollicitude pour ses compagnes , elle veillait à ce qu'aucune d'elles n'offensât Dieu dans ses paroles , à ce qu'aucune ne se livrât à une joie trop bruyante , à ce qu'aucune n'adressât à une autre des paroles de mépris ou d'orgueil. Elle bénissait Dieu en toute chose; et, pour ne point cesser de le faire, elle répondait aux salutations qu'on lui adressait : Rendons grâces à Dieu. Ainsi c'est à elle que remonte l'usage où sont tous les saints personnages de répondre, Deo gratias, à ceux qui les saluent. La nourriture qu'elle recevait de la main de l'Ange suffisait pour réparer ses forces , et elle distribuait aux pauvres les aliments que lui donnaient les Prêtres du Temple. Tous les jours, on voyait l'Ange du Seigneur s'entretenir avec elle avec autant de déférence qu'on en a à l'égard de la plus tendre sœur ou de la mère la plus chérie.»
Voilà tout ce que dit saint Jérôme. A l'âge de quatorze ans , la sainte Vierge Marie fut fiancée à Joseph , par l'inspiration de Dieu , puis elle revint à Nazareth ; vous trouverez les détails de ces circonstances dans la légende de sa Nativité. Voilà ce que nous pouvons méditer sur les évènements antérieurs à l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ: repassez-les souvent dans votre esprit et mettez-y vos délices, les gravant avec amour dans votre mémoire et les réduisant en pratique, car ils sont très-édifiants. Maintenant passons à l'Incarnation.
Dernière édition par MichelT le Sam 12 Aoû 2017 - 14:08, édité 12 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXVI.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A l'HEURE DE PRIME.
Dans la matinée, les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple revinrent à Jésus et lui firent lier les mains derrière le dos, en lui disant : «Viens avec nous, brigand, viens écouter ta sentence ; on va mettre un terme à tes crimes, on va voir de quoi tu es capable. » Puis ils le conduisirent à Pilate, et Jésus les suivait comme un criminel, lui qui avait l'innocence d'un Agneau. Or, sa Mère, saint Jean et les saintes Femmes, qui étaient partis de grand matin pour le trouver , le rencontrèrent à la jonction de deux routes , et il serait impossible d'exprimer la douleur dont ils furent tous remplis , lorsqu'ils virent une si grande multitude le conduire avec tant d'indignité et d'injustice. Dans cette rencontre, la douleur fut excessive de part et d'autre. Car Notre Seigneur ne pût se défendre de compatir très-douloureusement à l'affliction dont ses amis, et surtout sa Mère, étaient accablés.
Il savait bien, en effet, que c'était à cause de lui que leurs âmes étaient remplies d'une douleur qui pouvait leur donner la mort. Considérez donc tout avec attention , ne négligez aucun détail , car tout ici est digne d'une grande et même d'une extrême compassion. On conduit Jésus à Pilate, et les saintes Femmes le suivent de loin parce qu'elles ne peuvent s'en approcher davantage. On porte alors contre lui plusieurs accusations et (1) Pilate l'envoie à Hérode. Hérode en eut une grande joie, parce qu'il souhaitait de lui voir faire quelques prodiges, mais il n'en put obtenir aucun miracle , pas même une seule parole. Il en conclut donc que c'était un insensé, le fit, par dérision, revêtir d'une robe blanche et le renvoya à Pilate. Ainsi, vous le voyez, il passa , aux yeux de toute cette Cour, non-seulement pour un malfaiteur , mais pour un insensé ; et Jésus souffrait tout cela avec patience.
Appliquez-vous encore à le considérer ici. Pendant qu'on le mène et qu'on le ramène , il marche modestement et les yeux baissés , il entend les cris , les insultes, les huées de la multitude, et il reçoit les coups de pierres et les souillures infectes des diverses immondices que peut-être on lance contre lui. Portez ensuite vos regards sur sa Mère et sur ses Disciples qui , après s'être arrêtés loin de lui , dans l'accablement d'une indicible douleur , se remettent en marche à sa suite.
(1) Luc, 23.
Or, après l'avoir ramené à Pilate , la canaille qui l'accompagnait, continue à l'accuser avec une infatigable insolence; mais Pilate , qui ne trouvait en lui aucune cause de condamnation , cherchait tous les moyens de le délivrer. Il dit donc aux Juifs : Je vais le renvoyer après l'avoir fait châtier. Quoi! Pilate, vous osez infliger un châtiment à votre souverain Seigneur! Vous ne savez ce que vous faites, car il ne mérite ni la flagellation ni la mort vous feriez bien mieux de travailler, comme il le désire, à vous corriger vous-même !
Or, Pilate fit cruellement flageller Jésus. On dépouille donc Notre Seigneur de ses vêtements , on l'attache à la colonne , on le flagelle de différentes manières. Un jeune homme plein de grâces , de modestie , (1) le plus beau des enfants des hommes est exposé à tous les regards dans un état de nudité; les fouets cruels destinés aux plus vils scélérats tombent sur la chair la plus innocente et la plus délicate , sur le corps le plus pur et le plus parfait. Ce corps modèle, la gloire de la nature humaine, est couvert de meurtrissures et de plaies. Un sang royal coule de toutes parts, on ajoute des meurtrissures a des meurtrissures, des plaies à des plaies, on les renouvelle, on les redouble jusqu'à ce que les bourreaux et leurs surveillants fatigués , aient reçu l'ordre de délier la victime.
Mais la colonne à laquelle elle fut attachée offre encore des traces de sang , suivant tous les récits historiques. Arrêtez-vous longtemps à contempler ce spectacle, et s'il ne vous émeut pas , il faut que vous ayez un cœur de pierre. Ce fut alors que s'accomplirent ces paroles du Prophète Isaïe : (2) Nous l'avons vu et il était méconnaissable , et nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme que Dieu humilie pour ses péchés.
(1) Psaume 44. — (2) Isaïe, 83.
O Seigneur Jésus ! quelles mains téméraires ont osé vous dépouiller ainsi ? Quelles mains plus hardies vous ont attaché à la colonne ? Enfin quelles mains plus audacieuses encore ont mis le comble au sacrilège en vous infligeant une flagellation si cruelle ? Mais , ô Soleil de justice, vous vous êtes couvert d'un nuage, et par la soustraction de votre lumière, vous avez produit les ténèbres et la puissance des ténèbres. Tous vos ennemis deviennent plus forts que vous-même. C'est votre amour , ce sont nos crimes qui vous réduisent à cette impuissance.
Maudits soient les péchés qui vous ont coûté si cher ! Dès que Notre Seigneur est détaché de la colonne , on le conduit tout nu, tout déchiré des coups de la flagellation, pour chercher dans la maison les vêtements que les bourreaux y avaient jetés ça et là. Considérez-le dans un tel état d'affliction et tout tremblant, car il faisait froid, ainsi que le remarque l'Évangile (1). Au moment où il allait reprendre ses vêtements, quelques-uns des plus impies parmi ses gardes s'y opposent , et disent à Pilate : « Seigneur , il s'est fait passer pour Roi, nous allons lui donner les vêtements et la couronne dus à une si haute Majesté. » Et, ayant pris un vieil et ignoble manteau de soie rouge, ils l'en revêtirent et lui mirent sur la tête une couronne d'épines. Observez-le donc dans tous ses mouvements et au milieu de ses douleurs , car il fait et supporte tout ce qu'on exige de lui. Il se laisse revêtir de pourpre, il porte sur la tête une couronne d'épines , il tient à la main un roseau , et lorsque , fléchissant le genou devant lui , on rend hommage à sa royauté , il garde le silence et souffre tout sans se plaindre. Voyez surtout avec une vive compassion comment, à chaque instant , on frappe avec le roseau sa tête toute couverte d'épines ; voyez son cou douloureusement affaissé sous le poids de ces affreuses violences.
(1) Jean., 18.
Car ces cruelles épines pénétraient profondément dans sa tête et la rendaient toute dégoûtante de sang. O misérables! qu'elle vous paraîtra terrible un jour, cette tête du Roi des Rois que vous osez maintenant maltraiter ! Car ils se moquaient alors de Jésus comme d'un homme qui a la prétention et non le pouvoir de régner sur les autres. Or, Jésus supporte tout, quoique la cruauté de ses ennemis soit extrême. Car ils ne se contentèrent pas de l'excès d'opprobres qu'il reçut lorsqu'ils l'exposèrent aux dérisions de la cohorte réunie tout entière autour de lui ; mais, après l'avoir ainsi bafoué, ils le firent sortir portant la couronne d'épines, revêtu du manteau d'écarlate pour le présenter publiquement à Pilate et à tout le peuple. Pour Dieu, voyez aussi comment Jésus se tient maintenant la tête baissée devant une foule immense qui vocifère et demande avec fureur qu'on le crucifie, et qui , se croyant plus sage que lui , met le comble à toutes les dérisions et à toutes les insultes qui lui ont été prodiguées. Voyez combien leur paraît extravagante sa conduite envers les Princes des Prêtres et les Pharisiens qui, après lui avoir fait subir un tel traitement, le conduisirent à une fin si misérable. Et c'est ainsi que Jésus était accablé tout à la fois de tourments, de douleurs et d'opprobres.
MÉDITATIONS SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A l'HEURE DE PRIME.
Dans la matinée, les Princes des Prêtres et les Anciens du peuple revinrent à Jésus et lui firent lier les mains derrière le dos, en lui disant : «Viens avec nous, brigand, viens écouter ta sentence ; on va mettre un terme à tes crimes, on va voir de quoi tu es capable. » Puis ils le conduisirent à Pilate, et Jésus les suivait comme un criminel, lui qui avait l'innocence d'un Agneau. Or, sa Mère, saint Jean et les saintes Femmes, qui étaient partis de grand matin pour le trouver , le rencontrèrent à la jonction de deux routes , et il serait impossible d'exprimer la douleur dont ils furent tous remplis , lorsqu'ils virent une si grande multitude le conduire avec tant d'indignité et d'injustice. Dans cette rencontre, la douleur fut excessive de part et d'autre. Car Notre Seigneur ne pût se défendre de compatir très-douloureusement à l'affliction dont ses amis, et surtout sa Mère, étaient accablés.
Il savait bien, en effet, que c'était à cause de lui que leurs âmes étaient remplies d'une douleur qui pouvait leur donner la mort. Considérez donc tout avec attention , ne négligez aucun détail , car tout ici est digne d'une grande et même d'une extrême compassion. On conduit Jésus à Pilate, et les saintes Femmes le suivent de loin parce qu'elles ne peuvent s'en approcher davantage. On porte alors contre lui plusieurs accusations et (1) Pilate l'envoie à Hérode. Hérode en eut une grande joie, parce qu'il souhaitait de lui voir faire quelques prodiges, mais il n'en put obtenir aucun miracle , pas même une seule parole. Il en conclut donc que c'était un insensé, le fit, par dérision, revêtir d'une robe blanche et le renvoya à Pilate. Ainsi, vous le voyez, il passa , aux yeux de toute cette Cour, non-seulement pour un malfaiteur , mais pour un insensé ; et Jésus souffrait tout cela avec patience.
Appliquez-vous encore à le considérer ici. Pendant qu'on le mène et qu'on le ramène , il marche modestement et les yeux baissés , il entend les cris , les insultes, les huées de la multitude, et il reçoit les coups de pierres et les souillures infectes des diverses immondices que peut-être on lance contre lui. Portez ensuite vos regards sur sa Mère et sur ses Disciples qui , après s'être arrêtés loin de lui , dans l'accablement d'une indicible douleur , se remettent en marche à sa suite.
(1) Luc, 23.
Or, après l'avoir ramené à Pilate , la canaille qui l'accompagnait, continue à l'accuser avec une infatigable insolence; mais Pilate , qui ne trouvait en lui aucune cause de condamnation , cherchait tous les moyens de le délivrer. Il dit donc aux Juifs : Je vais le renvoyer après l'avoir fait châtier. Quoi! Pilate, vous osez infliger un châtiment à votre souverain Seigneur! Vous ne savez ce que vous faites, car il ne mérite ni la flagellation ni la mort vous feriez bien mieux de travailler, comme il le désire, à vous corriger vous-même !
Or, Pilate fit cruellement flageller Jésus. On dépouille donc Notre Seigneur de ses vêtements , on l'attache à la colonne , on le flagelle de différentes manières. Un jeune homme plein de grâces , de modestie , (1) le plus beau des enfants des hommes est exposé à tous les regards dans un état de nudité; les fouets cruels destinés aux plus vils scélérats tombent sur la chair la plus innocente et la plus délicate , sur le corps le plus pur et le plus parfait. Ce corps modèle, la gloire de la nature humaine, est couvert de meurtrissures et de plaies. Un sang royal coule de toutes parts, on ajoute des meurtrissures a des meurtrissures, des plaies à des plaies, on les renouvelle, on les redouble jusqu'à ce que les bourreaux et leurs surveillants fatigués , aient reçu l'ordre de délier la victime.
Mais la colonne à laquelle elle fut attachée offre encore des traces de sang , suivant tous les récits historiques. Arrêtez-vous longtemps à contempler ce spectacle, et s'il ne vous émeut pas , il faut que vous ayez un cœur de pierre. Ce fut alors que s'accomplirent ces paroles du Prophète Isaïe : (2) Nous l'avons vu et il était méconnaissable , et nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme que Dieu humilie pour ses péchés.
(1) Psaume 44. — (2) Isaïe, 83.
O Seigneur Jésus ! quelles mains téméraires ont osé vous dépouiller ainsi ? Quelles mains plus hardies vous ont attaché à la colonne ? Enfin quelles mains plus audacieuses encore ont mis le comble au sacrilège en vous infligeant une flagellation si cruelle ? Mais , ô Soleil de justice, vous vous êtes couvert d'un nuage, et par la soustraction de votre lumière, vous avez produit les ténèbres et la puissance des ténèbres. Tous vos ennemis deviennent plus forts que vous-même. C'est votre amour , ce sont nos crimes qui vous réduisent à cette impuissance.
Maudits soient les péchés qui vous ont coûté si cher ! Dès que Notre Seigneur est détaché de la colonne , on le conduit tout nu, tout déchiré des coups de la flagellation, pour chercher dans la maison les vêtements que les bourreaux y avaient jetés ça et là. Considérez-le dans un tel état d'affliction et tout tremblant, car il faisait froid, ainsi que le remarque l'Évangile (1). Au moment où il allait reprendre ses vêtements, quelques-uns des plus impies parmi ses gardes s'y opposent , et disent à Pilate : « Seigneur , il s'est fait passer pour Roi, nous allons lui donner les vêtements et la couronne dus à une si haute Majesté. » Et, ayant pris un vieil et ignoble manteau de soie rouge, ils l'en revêtirent et lui mirent sur la tête une couronne d'épines. Observez-le donc dans tous ses mouvements et au milieu de ses douleurs , car il fait et supporte tout ce qu'on exige de lui. Il se laisse revêtir de pourpre, il porte sur la tête une couronne d'épines , il tient à la main un roseau , et lorsque , fléchissant le genou devant lui , on rend hommage à sa royauté , il garde le silence et souffre tout sans se plaindre. Voyez surtout avec une vive compassion comment, à chaque instant , on frappe avec le roseau sa tête toute couverte d'épines ; voyez son cou douloureusement affaissé sous le poids de ces affreuses violences.
(1) Jean., 18.
Car ces cruelles épines pénétraient profondément dans sa tête et la rendaient toute dégoûtante de sang. O misérables! qu'elle vous paraîtra terrible un jour, cette tête du Roi des Rois que vous osez maintenant maltraiter ! Car ils se moquaient alors de Jésus comme d'un homme qui a la prétention et non le pouvoir de régner sur les autres. Or, Jésus supporte tout, quoique la cruauté de ses ennemis soit extrême. Car ils ne se contentèrent pas de l'excès d'opprobres qu'il reçut lorsqu'ils l'exposèrent aux dérisions de la cohorte réunie tout entière autour de lui ; mais, après l'avoir ainsi bafoué, ils le firent sortir portant la couronne d'épines, revêtu du manteau d'écarlate pour le présenter publiquement à Pilate et à tout le peuple. Pour Dieu, voyez aussi comment Jésus se tient maintenant la tête baissée devant une foule immense qui vocifère et demande avec fureur qu'on le crucifie, et qui , se croyant plus sage que lui , met le comble à toutes les dérisions et à toutes les insultes qui lui ont été prodiguées. Voyez combien leur paraît extravagante sa conduite envers les Princes des Prêtres et les Pharisiens qui, après lui avoir fait subir un tel traitement, le conduisirent à une fin si misérable. Et c'est ainsi que Jésus était accablé tout à la fois de tourments, de douleurs et d'opprobres.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXVII.
MÉDITATION SUR LA PASSION A L'HEURE DE TIERCE.
Toute la multitude présente demande donc que Jésus soit crucifié, et Pilate ce misérable Juge, prononce une si injuste condamnation. Ils ne se souviennent ni de ses bienfaits ni de ses miracles, ils ne sont pas touchés de son innocence, et, les Princes des Prêtres , les Anciens, à la vue des tourments qu'ils lui ont déjà fait éprouver , loin de désavouer leur cruauté , s'applaudissent d'avoir si parfaitement accompli leurs mauvais desseins contre lui. Ils se moquent , ils se raillent de Celui qui est le Dieu véritable et éternel, ils hâtent sa mort avec impatience.
On le fait rentrer, ou lui ôte le manteau de pourpre , il reste tout nu devant eux, et on lui permet de reprendre ses vêtements. Arrêtez-vous ici ; considérez attentivement chacune des parties de son corps , et pour exciter en vous une compassion plus profonde , pour vous édifier aussi davantage, oubliez sa divinité et ne considérez que son humanité. Vous verrez un beau jeune homme , d'une haute distinction , plein d'innocence et des sentiments les plus affectueux qui, tout couvert de plaies, de sang et de meurtrissures , recueille çà et là ses vêtements étendus de tous côtés sur la terre , et , sous les yeux de ses ennemis qui le raillent, s'empresse, en rougissant par pudeur et par modestie, de s'en revêtir lui-même, comme s'il était le dernier des hommes, abandonné de Dieu , privé de tout secours.
Observez tout avec soin et votre cœur sera pénétré des sentiments de la plus tendre compassion ; car il ramasse tantôt une chose , tantôt une autre et s'en couvre devant eux. Revenez ensuite à sa divinité et considérez le Dieu éternel, immense, incompréhensible , la Majesté suprême revêtue de notre chair, se courbant, s'inclinant humblement vers la terre pour y ramasser des vêtements , et s'en couvrant enfin comme s'il était le dernier des hommes, ou plutôt, comme si, acheté à prix d'argent par les misérables qui le regardent , il était leur esclave , soumis à leur autorité , corrigé et châtié par eux pour quelque faute.
Contemplez-le encore avec la même attention pour admirer son humilité, et, après avoir de nouveau excité votre compassion par les mêmes considérations , vous pourrez le voir attaché à la colonne où il fut si horriblement flagellé. Aussitôt qu'il a repris ses vêtements, on le fait sortir pour ne pas différer sa mort davantage. Alors on charge ses épaules du bois sacré de la Croix que, malgré sa longueur, sa grosseur et son poids, le doux Agneau accepte et porte avec patience. On pense, d'après des récits historiques , que la Croix de Notre Seigneur avait quinze pieds de haut. Alors on le conduit , on presse sa marche, on le rassasie d'opprobres, ainsi que nous l'avons déjà dit à l'heure de Matines. Or, on fit sortir Jésus accompagné de deux voleurs. Voilà la société qu'on lui donne. O bon Jésus, de quel opprobre on vous couvre ! vos ennemis ne se contentent pas de vous assimiler à deux voleurs , ils veulent vous faire passer pour le plus coupable , puisqu'ils vous obligent à porter votre Croix , ce qu'ils n'exigent point de vos deux compagnons.
Ainsi non-seulement, comme le dit Isaïe : (1) Il a été mis au rang des scélérats , mais il a passé pour être le plus coupable entre les scélérats. Seigneur, votre patience est ineffable. Voyez donc ici Jésus , marchant tout courbé et tout essoufflé sous le poids de la Croix. Compatissez le plus qu'il vous sera possible à son sort , en le voyant réduit à une telle extrémité et exposé à de nouveaux outrages.
(1) Isaïe 53.
Comme sa Mère , dont la douleur était extrême , ne pouvait ni s'approcher de lui, ni le voir à cause de la foule qui l'en séparait , elle prit , avec ses compagnes et avec saint Jean , un chemin plus court pour s'avancer près de lui en devançant la multitude. Mais lorsque , au-delà de la porte de la ville , elle le rencontra à la jonction des deux routes, en voyant la Croix énorme dont il était chargé et qu'elle n'avait point d'abord aperçue , elle faillit mourir de douleur et resta muette devant son Fils qui , de son côté , ne put lui adresser une parole, parce qu'il était pressé d'avancer par ceux qui le conduisaient pour le crucifier.
Or, Notre Seigneur ayant continué sa marche se tourna peu après vers des femmes qui fondaient en larmes, et leur dit : (2) Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes , et le reste comme il est dit dans l'Évangile. On voit encore à ces deux endroits les restes des Églises qui y ont été élevées pour conserver le souvenir de ces deux évènements , ainsi que je l'ai appris de l'un de nos frères qui a visité les saints lieux , et qui m'a dit encore que la montagne du Calvaire, où Jésus fut crucifié, était aussi éloignée de la porte de la ville que notre couvent l'est de la porte Saint-Germain. D'où il faut conclure que Jésus eut à porter longtemps sa Croix. Après donc qu`il eut fait encore quelques pas, il se sentit si fatigué et si accablé que , ne pouvant porter la Croix plus loin , il fut forcé de déposer ce fardeau.
(1) Luc, 23.
Mais les monstres qui l'accompagnaient , ne voulant point différer sa mort de peur que Pilate , qui avait manifesté l'intention de le renvoyer , ne révoquât sa sentence, forcèrent un passant de porter la Croix de Jésus , et , l'en ayant ainsi déchargé , le conduisirent à la montagne du Calvaire, garrotté comme un voleur. Après tout ce que Jésus avait souffert pendant les heures de Matines , de Prime et de Tierce , ne vous semble- t-il pas que ses douleurs étaient assez cruelles , assez excessives sans ajouter le crucifiement à ces horreurs monstrueuses ? Certes , il y avait là , selon moi, de quoi exciter leur compassion; que dis-je? de quoi les pénétrer de la plus vive douleur. Je crois avoir épuisé maintenant tout ce qu'il y a à dire sur les trois heures dont je viens de parler. Voyons donc ce qui s'est passé au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire aux heures de Sexte et de None , puis nous nous occuperons de ce qui eut lieu après sa mort ou pendant les heures de Vêpres et de Complies.
MÉDITATION SUR LA PASSION A L'HEURE DE TIERCE.
Toute la multitude présente demande donc que Jésus soit crucifié, et Pilate ce misérable Juge, prononce une si injuste condamnation. Ils ne se souviennent ni de ses bienfaits ni de ses miracles, ils ne sont pas touchés de son innocence, et, les Princes des Prêtres , les Anciens, à la vue des tourments qu'ils lui ont déjà fait éprouver , loin de désavouer leur cruauté , s'applaudissent d'avoir si parfaitement accompli leurs mauvais desseins contre lui. Ils se moquent , ils se raillent de Celui qui est le Dieu véritable et éternel, ils hâtent sa mort avec impatience.
On le fait rentrer, ou lui ôte le manteau de pourpre , il reste tout nu devant eux, et on lui permet de reprendre ses vêtements. Arrêtez-vous ici ; considérez attentivement chacune des parties de son corps , et pour exciter en vous une compassion plus profonde , pour vous édifier aussi davantage, oubliez sa divinité et ne considérez que son humanité. Vous verrez un beau jeune homme , d'une haute distinction , plein d'innocence et des sentiments les plus affectueux qui, tout couvert de plaies, de sang et de meurtrissures , recueille çà et là ses vêtements étendus de tous côtés sur la terre , et , sous les yeux de ses ennemis qui le raillent, s'empresse, en rougissant par pudeur et par modestie, de s'en revêtir lui-même, comme s'il était le dernier des hommes, abandonné de Dieu , privé de tout secours.
Observez tout avec soin et votre cœur sera pénétré des sentiments de la plus tendre compassion ; car il ramasse tantôt une chose , tantôt une autre et s'en couvre devant eux. Revenez ensuite à sa divinité et considérez le Dieu éternel, immense, incompréhensible , la Majesté suprême revêtue de notre chair, se courbant, s'inclinant humblement vers la terre pour y ramasser des vêtements , et s'en couvrant enfin comme s'il était le dernier des hommes, ou plutôt, comme si, acheté à prix d'argent par les misérables qui le regardent , il était leur esclave , soumis à leur autorité , corrigé et châtié par eux pour quelque faute.
Contemplez-le encore avec la même attention pour admirer son humilité, et, après avoir de nouveau excité votre compassion par les mêmes considérations , vous pourrez le voir attaché à la colonne où il fut si horriblement flagellé. Aussitôt qu'il a repris ses vêtements, on le fait sortir pour ne pas différer sa mort davantage. Alors on charge ses épaules du bois sacré de la Croix que, malgré sa longueur, sa grosseur et son poids, le doux Agneau accepte et porte avec patience. On pense, d'après des récits historiques , que la Croix de Notre Seigneur avait quinze pieds de haut. Alors on le conduit , on presse sa marche, on le rassasie d'opprobres, ainsi que nous l'avons déjà dit à l'heure de Matines. Or, on fit sortir Jésus accompagné de deux voleurs. Voilà la société qu'on lui donne. O bon Jésus, de quel opprobre on vous couvre ! vos ennemis ne se contentent pas de vous assimiler à deux voleurs , ils veulent vous faire passer pour le plus coupable , puisqu'ils vous obligent à porter votre Croix , ce qu'ils n'exigent point de vos deux compagnons.
Ainsi non-seulement, comme le dit Isaïe : (1) Il a été mis au rang des scélérats , mais il a passé pour être le plus coupable entre les scélérats. Seigneur, votre patience est ineffable. Voyez donc ici Jésus , marchant tout courbé et tout essoufflé sous le poids de la Croix. Compatissez le plus qu'il vous sera possible à son sort , en le voyant réduit à une telle extrémité et exposé à de nouveaux outrages.
(1) Isaïe 53.
Comme sa Mère , dont la douleur était extrême , ne pouvait ni s'approcher de lui, ni le voir à cause de la foule qui l'en séparait , elle prit , avec ses compagnes et avec saint Jean , un chemin plus court pour s'avancer près de lui en devançant la multitude. Mais lorsque , au-delà de la porte de la ville , elle le rencontra à la jonction des deux routes, en voyant la Croix énorme dont il était chargé et qu'elle n'avait point d'abord aperçue , elle faillit mourir de douleur et resta muette devant son Fils qui , de son côté , ne put lui adresser une parole, parce qu'il était pressé d'avancer par ceux qui le conduisaient pour le crucifier.
Or, Notre Seigneur ayant continué sa marche se tourna peu après vers des femmes qui fondaient en larmes, et leur dit : (2) Filles de Jérusalem ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes , et le reste comme il est dit dans l'Évangile. On voit encore à ces deux endroits les restes des Églises qui y ont été élevées pour conserver le souvenir de ces deux évènements , ainsi que je l'ai appris de l'un de nos frères qui a visité les saints lieux , et qui m'a dit encore que la montagne du Calvaire, où Jésus fut crucifié, était aussi éloignée de la porte de la ville que notre couvent l'est de la porte Saint-Germain. D'où il faut conclure que Jésus eut à porter longtemps sa Croix. Après donc qu`il eut fait encore quelques pas, il se sentit si fatigué et si accablé que , ne pouvant porter la Croix plus loin , il fut forcé de déposer ce fardeau.
(1) Luc, 23.
Mais les monstres qui l'accompagnaient , ne voulant point différer sa mort de peur que Pilate , qui avait manifesté l'intention de le renvoyer , ne révoquât sa sentence, forcèrent un passant de porter la Croix de Jésus , et , l'en ayant ainsi déchargé , le conduisirent à la montagne du Calvaire, garrotté comme un voleur. Après tout ce que Jésus avait souffert pendant les heures de Matines , de Prime et de Tierce , ne vous semble- t-il pas que ses douleurs étaient assez cruelles , assez excessives sans ajouter le crucifiement à ces horreurs monstrueuses ? Certes , il y avait là , selon moi, de quoi exciter leur compassion; que dis-je? de quoi les pénétrer de la plus vive douleur. Je crois avoir épuisé maintenant tout ce qu'il y a à dire sur les trois heures dont je viens de parler. Voyons donc ce qui s'est passé au crucifiement et à la mort de Jésus-Christ, c'est-à-dire aux heures de Sexte et de None , puis nous nous occuperons de ce qui eut lieu après sa mort ou pendant les heures de Vêpres et de Complies.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXVIII.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE SEXTE.
Jésus , toujours conduit par ces scélérats , arriva enfin au Calvaire , lieu infect où vous pourrez voir d'atroces ouvriers s'occupant de toutes parts à d'horribles préparatifs. Or , représentez-vous vivement à l'esprit ces misérables , et considérez avec soin leurs dispositions contre votre souverain Maître, tout ce qui se dit , tout ce qui se fait , soit par lui , soit pour lui. Voyez donc en esprit les uns fixer la Croix dans la terre, les autres préparer les clous et les marteaux, ceux-ci apprêter l'échelle et les autres instruments , ceux-là régler tout ce que l'on doit faire, d'autres enfin ôter à Jésus ses vêtements. Le voilà encore une fois dépouillé , le voilà pour la troisième fois exposé aux regards de la multitude ; toutes les plaies sont rouvertes par ses vêtements collés à la chair.
Ce fut alors que, pour la première fois, la Mère de Jésus put contempler son Fils que l'on préparait comme un esclave à subir la mort la plus cruelle. Elle est profondément affligée et couverte de confusion en le voyant dans une entière nudité; car on ne lui avait pas même laissé les vêtements les plus indispensables à la pudeur.
Elle se hâte donc et s'approche de son Fils, elle le prend dans ses bras et lui fait une ceinture du voile qu'elle portait sur la tête. Oh! dans l'amertume dont son âme était alors remplie , je ne crois pas qu'elle ait pu adresser une seule parole à Jésus. S'il lui eût été possible de faire pour lui davantage , elle n'eût certainement point hésité; mais elle ne put rendre aucun autre service à son Fils ; car à l'instant même on l'arrache avec fureur de ses bras pour le traîner au pied de la Croix. Observez ici avec attention de quelle manière Jésus fut crucifié. Derrière la Croix on place une échelle au bras droit, au bras gauche une seconde échelle, sur les quelles montent deux scélérats avec des clous et des marteaux. On pose aussi par devant une troisième échelle , pour atteindre à la place où les pieds devaient être attachés.
Maintenant, observez bien tout ce qui va se passer. On oblige Notre Seigneur à monter à la Croix par cette petite échelle, et Jésus sans résister, sans contredire, fait humblement ce qu'on exige de lui. Lors donc que, parvenu au sommet de cette échelle , il peut atteindre la Croix , il se retourne, et le Roi des Rois ouvre ses bras , étend ses mains adorables , les élève et les présente à ses bourreaux. Il tourne ses regards vers le Ciel et dit à son Père : « Me voici, O mon Père , me voici ; car vous avez voulu que , pour l'amour et le salut du genre humain , je fusse humilié jusqu'à la mort de la Croix. J'y consens , je l'accepte et je m'offre à vous pour ceux que vous m'avez donnés et que vous m'avez commandé de regarder comme mes frères. Daignez aussi , ô mon Père , agréer cette offrande et , par amour pour moi , laissez-vous désormais fléchir. Purifiez , délivrez tous les hommes de leurs anciennes iniquités , je me sacrifie pour eux. »
Or, l'un des bourreaux qui était derrière, saisit la main droite de Jésus, et l'attache fortement à la Croix. Puis, celui qui était de l'autre côté , s'empare de la main gauche, la tire autant qu'il le peut, l'étend, y applique un autre clou qu'il frappe et fixe à la Croix; ils descendent en suite et mettent à l'écart les trois échelles. Notre Seigneur reste ainsi suspendu ; le poids de son corps l'entraînant en bas, il ne se soutient plus que par les clous dont ses mains sont percées. Alors accourt un troisième bourreau qui tire violemment Jésus par les pieds, et lorsqu'il est ainsi étendu , un quatrième enfonce impitoyablement un énorme clou dans ses pieds.
Toutefois quelques personnes croient que Jésus fut crucifié d'une autre manière , et que la Croix après avoir été étendue sur le sol en fût relevée et fixée en terre. Si ce mode de crucifiement vous intéresse davantage, voyez avec quelle insolence les bourreaux saisissent Jésus comme s'il était le dernier des scélérats , le renversent brutalement à terre sur la Croix , s'emparent de ses bras, et, après les y avoir violemment étendus, les y clouent impitoyablement. Remarquez qu'on en fit autant de ses pieds qui furent tirés aussi fortement que possible.
Notre Seigneur est donc- crucifié et son corps est sur la Croix dans une tension si violente que (1) l'on pourrait compter tous ses os , comme il s'en plaint par 1a bouche du Prophète. De tous côtés son sang adorable coule en longs ruisseaux des profondes plaies dont son corps est couvert. Et tous ses membres sont dans un tel état de gêne et de contrainte qu'il ne peut mouvoir que la tête. Trois clous supportent tout le poids de son corps; il souffre des douleurs excessives et les maux qu'il endure sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire ou penser.
(1) Psaume, 21.
Il est suspendu entre deux voleurs. De toutes parts les souffrances , de toutes parts des opprobres , de toutes parts des reproches cruels ; car on ne les lui épargne pas quelque horrible que soit sa situation. On le blasphème ; les uns disent : (1) Va! toi qui détruis le Temple de Dieu! d'autres : Il ne peut se sauver lui-même. On lui fait encore d'autres provocations : S'il est le Fils de Dieu qu'il descende de la Croix et nous croirons en lui. Les soldats qui le crucifièrent firent entre eux et sous ses yeux le partage de ses vêtements. Et tout se fait, tout se dit en présence de sa Mère désolée dont la vive compassion augmente infiniment les tourments de son Fils et réciproquement. Marie était attachée avec son Fils à la Croix . elle aurait préféré y mourir avec lui plutôt que de lui survivre. Ce ne sont partout qu'angoisses et que tourments; il était possible de les partager, il est impossible de les décrire.
Marie se tenait debout entre la Croix de Jésus et celle du bon larron; ses yeux étaient fixés sur son Fils; elle ressentait toutes ses douleurs et adressait à Dieu le Père cette ardente prière : « Dieu éternel, ô mon Père, vous avez voulu que mon Fils fût attaché à la Croix , il n'est plus temps de vous le redemander. Mais vous voyez à quelles extrémités il est maintenant réduit ; adoucissez , s'il vous plaît , ses tourments, j'ose vous en supplier. O mon Père, je vous recommande mon Fils.» Jésus de son côté priait tacitement son Père pour Marie et lui disait intérieurement : « Mon Père, vous voyez l'affliction de celle qui m'a porté dans son sein maternel. C'est moi qui dois être crucifié et non pas elle; cependant elle est avec moi sur la Croix. Je dois mourir sur la Croix, parce que je me suis chargé des péchés de tout mon peuple; mais ma mort doit suffire et ma Mère n'a rien à expier. Vous voyez sa désolation, elle est depuis hier accablée de douleur. Je vous supplie , ô mon Père, de lui en rendre le poids supportable . »
(2) Matthieu., 27.
Cependant avec la Mère de Jésus on voyait au pied de la Croix, saint Jean , Madeleine, la Mère de Jacques et Marie de Salomé toutes deux sœurs de Marie , et peut-être aussi d'autres saintes femmes qui, tous ensemble et spécialement Madeleine, répandaient des larmes abondantes sur la mort de leur Seigneur et de leur Maître bien-aimé dont rien ne pouvait les consoler. Ils pleuraient avec une vive compassion sur Jésus , sur Marie , sur eux-mêmes ; et leur douleur se ranimait avec leur compassion toutes les fois que de nouveaux outrages ou de nouveaux tourments étaient ajoutés à ceux qu'éprouvait déjà leur divin Maitre.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE SEXTE.
Jésus , toujours conduit par ces scélérats , arriva enfin au Calvaire , lieu infect où vous pourrez voir d'atroces ouvriers s'occupant de toutes parts à d'horribles préparatifs. Or , représentez-vous vivement à l'esprit ces misérables , et considérez avec soin leurs dispositions contre votre souverain Maître, tout ce qui se dit , tout ce qui se fait , soit par lui , soit pour lui. Voyez donc en esprit les uns fixer la Croix dans la terre, les autres préparer les clous et les marteaux, ceux-ci apprêter l'échelle et les autres instruments , ceux-là régler tout ce que l'on doit faire, d'autres enfin ôter à Jésus ses vêtements. Le voilà encore une fois dépouillé , le voilà pour la troisième fois exposé aux regards de la multitude ; toutes les plaies sont rouvertes par ses vêtements collés à la chair.
Ce fut alors que, pour la première fois, la Mère de Jésus put contempler son Fils que l'on préparait comme un esclave à subir la mort la plus cruelle. Elle est profondément affligée et couverte de confusion en le voyant dans une entière nudité; car on ne lui avait pas même laissé les vêtements les plus indispensables à la pudeur.
Elle se hâte donc et s'approche de son Fils, elle le prend dans ses bras et lui fait une ceinture du voile qu'elle portait sur la tête. Oh! dans l'amertume dont son âme était alors remplie , je ne crois pas qu'elle ait pu adresser une seule parole à Jésus. S'il lui eût été possible de faire pour lui davantage , elle n'eût certainement point hésité; mais elle ne put rendre aucun autre service à son Fils ; car à l'instant même on l'arrache avec fureur de ses bras pour le traîner au pied de la Croix. Observez ici avec attention de quelle manière Jésus fut crucifié. Derrière la Croix on place une échelle au bras droit, au bras gauche une seconde échelle, sur les quelles montent deux scélérats avec des clous et des marteaux. On pose aussi par devant une troisième échelle , pour atteindre à la place où les pieds devaient être attachés.
Maintenant, observez bien tout ce qui va se passer. On oblige Notre Seigneur à monter à la Croix par cette petite échelle, et Jésus sans résister, sans contredire, fait humblement ce qu'on exige de lui. Lors donc que, parvenu au sommet de cette échelle , il peut atteindre la Croix , il se retourne, et le Roi des Rois ouvre ses bras , étend ses mains adorables , les élève et les présente à ses bourreaux. Il tourne ses regards vers le Ciel et dit à son Père : « Me voici, O mon Père , me voici ; car vous avez voulu que , pour l'amour et le salut du genre humain , je fusse humilié jusqu'à la mort de la Croix. J'y consens , je l'accepte et je m'offre à vous pour ceux que vous m'avez donnés et que vous m'avez commandé de regarder comme mes frères. Daignez aussi , ô mon Père , agréer cette offrande et , par amour pour moi , laissez-vous désormais fléchir. Purifiez , délivrez tous les hommes de leurs anciennes iniquités , je me sacrifie pour eux. »
Or, l'un des bourreaux qui était derrière, saisit la main droite de Jésus, et l'attache fortement à la Croix. Puis, celui qui était de l'autre côté , s'empare de la main gauche, la tire autant qu'il le peut, l'étend, y applique un autre clou qu'il frappe et fixe à la Croix; ils descendent en suite et mettent à l'écart les trois échelles. Notre Seigneur reste ainsi suspendu ; le poids de son corps l'entraînant en bas, il ne se soutient plus que par les clous dont ses mains sont percées. Alors accourt un troisième bourreau qui tire violemment Jésus par les pieds, et lorsqu'il est ainsi étendu , un quatrième enfonce impitoyablement un énorme clou dans ses pieds.
Toutefois quelques personnes croient que Jésus fut crucifié d'une autre manière , et que la Croix après avoir été étendue sur le sol en fût relevée et fixée en terre. Si ce mode de crucifiement vous intéresse davantage, voyez avec quelle insolence les bourreaux saisissent Jésus comme s'il était le dernier des scélérats , le renversent brutalement à terre sur la Croix , s'emparent de ses bras, et, après les y avoir violemment étendus, les y clouent impitoyablement. Remarquez qu'on en fit autant de ses pieds qui furent tirés aussi fortement que possible.
Notre Seigneur est donc- crucifié et son corps est sur la Croix dans une tension si violente que (1) l'on pourrait compter tous ses os , comme il s'en plaint par 1a bouche du Prophète. De tous côtés son sang adorable coule en longs ruisseaux des profondes plaies dont son corps est couvert. Et tous ses membres sont dans un tel état de gêne et de contrainte qu'il ne peut mouvoir que la tête. Trois clous supportent tout le poids de son corps; il souffre des douleurs excessives et les maux qu'il endure sont au-dessus de tout ce que l'on peut dire ou penser.
(1) Psaume, 21.
Il est suspendu entre deux voleurs. De toutes parts les souffrances , de toutes parts des opprobres , de toutes parts des reproches cruels ; car on ne les lui épargne pas quelque horrible que soit sa situation. On le blasphème ; les uns disent : (1) Va! toi qui détruis le Temple de Dieu! d'autres : Il ne peut se sauver lui-même. On lui fait encore d'autres provocations : S'il est le Fils de Dieu qu'il descende de la Croix et nous croirons en lui. Les soldats qui le crucifièrent firent entre eux et sous ses yeux le partage de ses vêtements. Et tout se fait, tout se dit en présence de sa Mère désolée dont la vive compassion augmente infiniment les tourments de son Fils et réciproquement. Marie était attachée avec son Fils à la Croix . elle aurait préféré y mourir avec lui plutôt que de lui survivre. Ce ne sont partout qu'angoisses et que tourments; il était possible de les partager, il est impossible de les décrire.
Marie se tenait debout entre la Croix de Jésus et celle du bon larron; ses yeux étaient fixés sur son Fils; elle ressentait toutes ses douleurs et adressait à Dieu le Père cette ardente prière : « Dieu éternel, ô mon Père, vous avez voulu que mon Fils fût attaché à la Croix , il n'est plus temps de vous le redemander. Mais vous voyez à quelles extrémités il est maintenant réduit ; adoucissez , s'il vous plaît , ses tourments, j'ose vous en supplier. O mon Père, je vous recommande mon Fils.» Jésus de son côté priait tacitement son Père pour Marie et lui disait intérieurement : « Mon Père, vous voyez l'affliction de celle qui m'a porté dans son sein maternel. C'est moi qui dois être crucifié et non pas elle; cependant elle est avec moi sur la Croix. Je dois mourir sur la Croix, parce que je me suis chargé des péchés de tout mon peuple; mais ma mort doit suffire et ma Mère n'a rien à expier. Vous voyez sa désolation, elle est depuis hier accablée de douleur. Je vous supplie , ô mon Père, de lui en rendre le poids supportable . »
(2) Matthieu., 27.
Cependant avec la Mère de Jésus on voyait au pied de la Croix, saint Jean , Madeleine, la Mère de Jacques et Marie de Salomé toutes deux sœurs de Marie , et peut-être aussi d'autres saintes femmes qui, tous ensemble et spécialement Madeleine, répandaient des larmes abondantes sur la mort de leur Seigneur et de leur Maître bien-aimé dont rien ne pouvait les consoler. Ils pleuraient avec une vive compassion sur Jésus , sur Marie , sur eux-mêmes ; et leur douleur se ranimait avec leur compassion toutes les fois que de nouveaux outrages ou de nouveaux tourments étaient ajoutés à ceux qu'éprouvait déjà leur divin Maitre.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXIX.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE NONE.
Depuis le moment où Jésus-Christ fut suspendu à la Croix jusqu'à celui où il rendit l'esprit, il ne demeura point oisif, mais ses actions comme ses paroles étaient pour nous de salutaires instructions. Aussi fit-il entendre sept paroles mémorables que l'Évangile nous a conservées. La première fut une prière que, pendant l'acte même de son crucifiement, il fit en ces termes pour ses bourreaux : (1) Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font; paroles d'une prodigieuse patience, d'un amour excessif, d'une charité inexprimable! La seconde fut pour sa Mère quand il dit : (2) Femme, voilà votre Fils ; et à saint Jean : Voilà votre Mère, il ne l'appela pas sa Mère , de peur que cette expression n'augmentât sa douleur en excitant trop vivement sa tendresse.
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19.
La troisième fut adressée au voleur pénitent : (1) Vous serez, lui dit-il, aujourd'hui avec moi dans le Paradis. Voici la quatrième parole : Eli, Eli, lamma sabacthani? C'est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Comme s'il eût dit : Mon Père, vous avez tant aimé le monde que, pour lui, vous semblez m' abandonner entièrement. La cinquième parole fut celle-ci : (2) J'ai soif. Cette parole qui excita toute la compassion de sa Mère , des saintes femmes et de saint Jean, fut, au contraire, pour les ennemis de Jésus, le sujet d'une joie cruelle. Car, bien que cette parole pourrait s'entendre de la soif que Jésus avait du salut des âmes, cependant il est indubitable que Notre Seigneur ressentit réellement la soif, parce que l'effusion de son sang , en l'épuisant intérieurement, avait dû lui occasionner une extrême altération.
Et comme ses bourreaux ne savaient quels moyens employer pour le faire souffrir, ils saisirent avec empressement l'occasion d'un nouveau supplice. (3) Ils lui donnèrent donc à boire du vinaigre mêlé de fiel. Malheureuse obstination de la fureur qui les porta à faire tout le mal possible à leur victime ! La sixième parole fut : Tout est consommé; ce qui signifie : « Mon Père , mon obéissance à vos ordres a été complète. Si vous voulez quelque chose de plus , commandez à votre Fils; me voici prêt à faire ce que vous pourriez exiger encore ; (4) car mon cœur est préparé à tous les supplices. Mais tout ce qu'on a écrit de moi étant consommé , rappelez-moi maintenant à vous, mon Père , si cela vous est agréable. »
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19. — (3) Jean 19 — (4) Psal., 37.
Le Père céleste lui dit alors : « Venez, mon Fils bien-aimé , vous avez bien fait toutes choses, je veux mettre un terme à vos souffrances; venez, mon cœur et mes bras sont ouverts pour vous recevoir. » Et dès-lors Jésus commença à ressentir la défaillance ordinaire aux agonisants , ouvrant les yeux et bientôt les refermant, inclinant la tête tantôt d'un côté, tantôt d'un autre par l'affaiblissement progressif de toutes ses forces. Enfin Jésus pour la septième parole, dit en versant des larmes et jetant un grand cri : (1) Mon Père , je remets mon âme entre vos mains. Ayant dit ces mots et baissant la tête devant son Père comme pour le remercier de ce qu'il le rappelait à lui, il expira. Le Centurion qui était devant la Croix , entendant ce cri de Jésus mourant , se convertit et dit : (2) Cet homme était véritablement le Fils de Dieu. Il crut en lui parce qu'en effet les autres hommes ne peuvent crier en rendant le dernier soupir. Or ce cri fut si grand qu'il pénétra jusqu'au fond de l'enfer. Oh ! que devint alors l'âme de Marie ! qu'éprouva cette tendre Mère en voyant si péniblement Jésus défaillir, verser des pleurs et mourir? Pour moi , je crois que tant de douleurs et d'angoisses la firent tomber alors dans un état d'insensibilité, d'anéantissement , ou peut-être même d'agonie beaucoup plus cruel que celui où elle se trouva lorsqu'elle rencontra son Fils portant sa Croix.
(1) Luc, 23. — (2) Matt , 27.
Que faisaient en ce moment Madeleine , cette femme fidèle et chérie , saint Jean , le Disciple bien-aimé , et les deux autres sœurs de Marie? Mais , dans un tel état d'affliction , de douleur et d'amertume , que pouvaient-ils faire? D'intarissables larmes coulaient de leurs yeux. Jésus mort reste donc suspendu à la Croix. La foule s'écoule ; Marie abîmée de douleur, saint Jean et les autres femmes restent seuls. Ils vont s'asseoir au pied de la Croix, ils contemplent leur bien-aimé et demandent à Dieu de les aider à recouvrer le Corps de Jésus, afin de pouvoir l'ensevelir. Et vous , si vous avez bien examiné le Corps de Notre Seigneur, il vous est facile de reconnaître que , depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui , et que tous les membres de son Corps et tous ses sens ont eu leur douleur et leur supplice. Voilà donc, eu égard à mon incapacité et votre peu de savoir, tout ce que, pour le moment , il semble possible de dire sur ce qui se passa au crucifiement el à la mort de Jésus-Christ , pendant les heures de Sexte et de None. Quant à vous , ne négligez rien pour vous attacher à toutes ces choses avec la dévotion, l'exactitude et le soin dont vous êtes capable. Parlons maintenant de ce qui se passa après la Mort.
MÉDITATION SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST A L'HEURE DE NONE.
Depuis le moment où Jésus-Christ fut suspendu à la Croix jusqu'à celui où il rendit l'esprit, il ne demeura point oisif, mais ses actions comme ses paroles étaient pour nous de salutaires instructions. Aussi fit-il entendre sept paroles mémorables que l'Évangile nous a conservées. La première fut une prière que, pendant l'acte même de son crucifiement, il fit en ces termes pour ses bourreaux : (1) Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils font; paroles d'une prodigieuse patience, d'un amour excessif, d'une charité inexprimable! La seconde fut pour sa Mère quand il dit : (2) Femme, voilà votre Fils ; et à saint Jean : Voilà votre Mère, il ne l'appela pas sa Mère , de peur que cette expression n'augmentât sa douleur en excitant trop vivement sa tendresse.
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19.
La troisième fut adressée au voleur pénitent : (1) Vous serez, lui dit-il, aujourd'hui avec moi dans le Paradis. Voici la quatrième parole : Eli, Eli, lamma sabacthani? C'est-à-dire, mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné? Comme s'il eût dit : Mon Père, vous avez tant aimé le monde que, pour lui, vous semblez m' abandonner entièrement. La cinquième parole fut celle-ci : (2) J'ai soif. Cette parole qui excita toute la compassion de sa Mère , des saintes femmes et de saint Jean, fut, au contraire, pour les ennemis de Jésus, le sujet d'une joie cruelle. Car, bien que cette parole pourrait s'entendre de la soif que Jésus avait du salut des âmes, cependant il est indubitable que Notre Seigneur ressentit réellement la soif, parce que l'effusion de son sang , en l'épuisant intérieurement, avait dû lui occasionner une extrême altération.
Et comme ses bourreaux ne savaient quels moyens employer pour le faire souffrir, ils saisirent avec empressement l'occasion d'un nouveau supplice. (3) Ils lui donnèrent donc à boire du vinaigre mêlé de fiel. Malheureuse obstination de la fureur qui les porta à faire tout le mal possible à leur victime ! La sixième parole fut : Tout est consommé; ce qui signifie : « Mon Père , mon obéissance à vos ordres a été complète. Si vous voulez quelque chose de plus , commandez à votre Fils; me voici prêt à faire ce que vous pourriez exiger encore ; (4) car mon cœur est préparé à tous les supplices. Mais tout ce qu'on a écrit de moi étant consommé , rappelez-moi maintenant à vous, mon Père , si cela vous est agréable. »
(1) Luc, 23. — (2) Jean., 19. — (3) Jean 19 — (4) Psal., 37.
Le Père céleste lui dit alors : « Venez, mon Fils bien-aimé , vous avez bien fait toutes choses, je veux mettre un terme à vos souffrances; venez, mon cœur et mes bras sont ouverts pour vous recevoir. » Et dès-lors Jésus commença à ressentir la défaillance ordinaire aux agonisants , ouvrant les yeux et bientôt les refermant, inclinant la tête tantôt d'un côté, tantôt d'un autre par l'affaiblissement progressif de toutes ses forces. Enfin Jésus pour la septième parole, dit en versant des larmes et jetant un grand cri : (1) Mon Père , je remets mon âme entre vos mains. Ayant dit ces mots et baissant la tête devant son Père comme pour le remercier de ce qu'il le rappelait à lui, il expira. Le Centurion qui était devant la Croix , entendant ce cri de Jésus mourant , se convertit et dit : (2) Cet homme était véritablement le Fils de Dieu. Il crut en lui parce qu'en effet les autres hommes ne peuvent crier en rendant le dernier soupir. Or ce cri fut si grand qu'il pénétra jusqu'au fond de l'enfer. Oh ! que devint alors l'âme de Marie ! qu'éprouva cette tendre Mère en voyant si péniblement Jésus défaillir, verser des pleurs et mourir? Pour moi , je crois que tant de douleurs et d'angoisses la firent tomber alors dans un état d'insensibilité, d'anéantissement , ou peut-être même d'agonie beaucoup plus cruel que celui où elle se trouva lorsqu'elle rencontra son Fils portant sa Croix.
(1) Luc, 23. — (2) Matt , 27.
Que faisaient en ce moment Madeleine , cette femme fidèle et chérie , saint Jean , le Disciple bien-aimé , et les deux autres sœurs de Marie? Mais , dans un tel état d'affliction , de douleur et d'amertume , que pouvaient-ils faire? D'intarissables larmes coulaient de leurs yeux. Jésus mort reste donc suspendu à la Croix. La foule s'écoule ; Marie abîmée de douleur, saint Jean et les autres femmes restent seuls. Ils vont s'asseoir au pied de la Croix, ils contemplent leur bien-aimé et demandent à Dieu de les aider à recouvrer le Corps de Jésus, afin de pouvoir l'ensevelir. Et vous , si vous avez bien examiné le Corps de Notre Seigneur, il vous est facile de reconnaître que , depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, il n'y a rien de sain en lui , et que tous les membres de son Corps et tous ses sens ont eu leur douleur et leur supplice. Voilà donc, eu égard à mon incapacité et votre peu de savoir, tout ce que, pour le moment , il semble possible de dire sur ce qui se passa au crucifiement el à la mort de Jésus-Christ , pendant les heures de Sexte et de None. Quant à vous , ne négligez rien pour vous attacher à toutes ces choses avec la dévotion, l'exactitude et le soin dont vous êtes capable. Parlons maintenant de ce qui se passa après la Mort.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXX.
LE COEUR DE JÉSUS EST OUVERT PAR LA LANCE.
Pendant que la Mère de Jésus, notre digne Souveraine, saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie restaient assis à l'un des côtés de la Croix , les yeux presque continuellement fixés sur Notre Seigneur ainsi suspendu entre deux voleurs, dans un état si affreux de nudité, d'affaissement, de mort et d'abandon universel, voilà que plusieurs soldats armés se dirigeant de la ville vers ceux qui gardaient la Croix , venaient rompre les jambes aux trois crucifiés, pour leur donner la mort et les ensevelir, de peur que ces corps ne restassent attachés à la Croix le jour du Sabbat qui était une grande Fête.
Alors Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent , regardent , aperçoivent ces hommes armés et, ne sachant ce que cela peut être , leur douleur se renouvelle, leur crainte et leur terreur s'augmentent. Marie surtout est très effrayée, elle ne sait quel parti prendre , elle se tourne vers le corps inanimé de son Fils , et lui adresse ces paroles : « Mon Fils, mon cher Fils, pourquoi ces soldats reviennent-ils ici? que veulent-ils donc vous faire encore? Ne vous ont-ils pas ôté la vie? Mon Fils, je croyais que leur fureur était satisfaite ; mais je vois qu'ils veulent vous persécuter même après votre mort. Mon Fils, je ne sais que faire. Je n'ai pu vous préserver de la mort ; mais je vais me mettre à vos pieds et m' attacher à votre Croix. Priez, mon Fils, suppliez votre Père de leur inspirer pour vous quelque pitié; je ferai de mon côté tout ce qui sera en mon pouvoir. » Au même instant, Marie et les quatre autres allèrent en pleurant se placer devant la Croix de Jésus.
Or les soldats furieux s'approchent avec fracas et, voyant que les voleurs respirent encore, ils leur rompent les jambes , leur donnent ainsi la mort , les descendent de la Croix et se hâtent de les jeter dans une fosse préparée à cet effet. Puis comme ils s'avançaient vers Jésus, Marie, qui craignait qu'ils ne traitassent son Fils de la même manière, dans la douleur dont son âme était intérieurement percée , imagina de recourir à ses armes ordinaires , c'est-à-dire à l'humilité qui lui était si naturelle; alors.se prosternant à leurs pieds, les bras en croix, les yeux baignés de larmes, la voix entrecoupée par ses sanglots, elle leur adresse ces paroles : « Mes frères , je vous conjure , par le Dieu Très-Haut , de m'épargner en épargnant mon cher Fils. Car je suis la plus affligée des Mères; et vous savez, mes frères, que je ne vous ai jamais fait aucune peine, que je ne vous ai jamais offensés en aucune chose ; si mon Fils vous a paru un objet de contradiction, vous lui avez ôté la vie, et moi je suis prête à vous pardonner vos injures , vos offenses et jusqu'à la mort de mon Fils. Mais, du moins, accordez-moi une grâce, ne le touchez pas, afin que je puisse le déposer dans le tombeau, sans qu'aucun de ses os aient été brisés. Il est inutile de lui rompre les jambes, car vous voyez qu'il est déjà mort; en effet il y a une heure qu'il a rendu le dernier soupir. »
Saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie étaient à genoux avec elle et pleuraient très amèrement. Que faites-vous , ô Marie! vous vous jetez au pied de ces monstres, vous voulez attendrir ces cœurs de bronze, vous comptez sur la pitié de ces impitoyables, sur la piété de ces impies, sur l'humilité de ces orgueilleux? Ces hommes superbes abhorrent l'humilité ; vos efforts sont superflus. Cependant, insensible à ces prières et à ces supplications, l'un des soldats, nommé Longin, alors rempli d'orgueil et d'impiété, mais qui plus tard se convertit, fut martyr et devint un saint, brandissant de loin sa lance , ouvrit, par une large plaie, le côté droit de Jésus et il en coula du sang et de l'eau.
En ce moment la Mère de Jésus tomba à demi-morte entre les bras de Madeleine. Mais saint Jean exalté par l'excès de sa douleur, se pose hardiment devant eux et leur dit : « Hommes abominables, pourquoi cette infamie sacrilège; ne voyez-vous pas qu'il est mort? Voulez- vous aussi ôter la vie à sa malheureuse Mère? Retirez-vous, afin que nous puissions l'ensevelir. » A ces mots ils s'éloignèrent, Dieu l'ayant ainsi permis. Or Marie, reprenant ses sens , se relève comme si elle fût sortie d'un profond sommeil et demande ce qu'on a fait du corps de son Fils bien-aimé. On lui répond qu'il est encore là. Ensuite elle soupire profondément , demeure dans une grande anxiété d'esprit, et, voyant la nouvelle blessure de son Fils , elle succombe sous le poids d'une douleur mortelle.
Voyez combien de morts elle a souffertes aujourd'hui. Elle en a senti les atteintes tout autant de fois qu'un nouveau supplice était enduré par son Fils. Ainsi s'est bien accompli en elle ce que Siméon lui avait annoncé, lorsqu'il lui dit : (1) Votre âme sera percée d'un glaive de douleur. Mais en ce moment , la pointe de la lance a vraiment déchiré le corps du Fils et le cœur de la Mère. Or tous les amis de Jésus s'assoient de nouveau auprès de la Croix , ne sachant ce qu'ils doivent faire ; car il leur est impossible de descendre le Corps de la Croix et de lui donner la sépulture , les forces et les instruments nécessaires à ces opérations leur manquent à la fois.
(1) Luc, 2.
Ils n'osent se retirer en laissant le saint Corps dans cet état, et l'approche de la nuit ne leur permet pas de rester là plus longtemps. Vous voyez dans quelle perplexité ils se trouvent. O Dieu infiniment bon ! comment avez-vous permis à la tribulation d'accabler ainsi celle qui était votre bien aimée choisie entre mille , le miroir sans tache et la consolation des affligés? Ah ! le temps paraissait pourtant venu de la laisser un peu respirer.
LE COEUR DE JÉSUS EST OUVERT PAR LA LANCE.
Pendant que la Mère de Jésus, notre digne Souveraine, saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie restaient assis à l'un des côtés de la Croix , les yeux presque continuellement fixés sur Notre Seigneur ainsi suspendu entre deux voleurs, dans un état si affreux de nudité, d'affaissement, de mort et d'abandon universel, voilà que plusieurs soldats armés se dirigeant de la ville vers ceux qui gardaient la Croix , venaient rompre les jambes aux trois crucifiés, pour leur donner la mort et les ensevelir, de peur que ces corps ne restassent attachés à la Croix le jour du Sabbat qui était une grande Fête.
Alors Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent , regardent , aperçoivent ces hommes armés et, ne sachant ce que cela peut être , leur douleur se renouvelle, leur crainte et leur terreur s'augmentent. Marie surtout est très effrayée, elle ne sait quel parti prendre , elle se tourne vers le corps inanimé de son Fils , et lui adresse ces paroles : « Mon Fils, mon cher Fils, pourquoi ces soldats reviennent-ils ici? que veulent-ils donc vous faire encore? Ne vous ont-ils pas ôté la vie? Mon Fils, je croyais que leur fureur était satisfaite ; mais je vois qu'ils veulent vous persécuter même après votre mort. Mon Fils, je ne sais que faire. Je n'ai pu vous préserver de la mort ; mais je vais me mettre à vos pieds et m' attacher à votre Croix. Priez, mon Fils, suppliez votre Père de leur inspirer pour vous quelque pitié; je ferai de mon côté tout ce qui sera en mon pouvoir. » Au même instant, Marie et les quatre autres allèrent en pleurant se placer devant la Croix de Jésus.
Or les soldats furieux s'approchent avec fracas et, voyant que les voleurs respirent encore, ils leur rompent les jambes , leur donnent ainsi la mort , les descendent de la Croix et se hâtent de les jeter dans une fosse préparée à cet effet. Puis comme ils s'avançaient vers Jésus, Marie, qui craignait qu'ils ne traitassent son Fils de la même manière, dans la douleur dont son âme était intérieurement percée , imagina de recourir à ses armes ordinaires , c'est-à-dire à l'humilité qui lui était si naturelle; alors.se prosternant à leurs pieds, les bras en croix, les yeux baignés de larmes, la voix entrecoupée par ses sanglots, elle leur adresse ces paroles : « Mes frères , je vous conjure , par le Dieu Très-Haut , de m'épargner en épargnant mon cher Fils. Car je suis la plus affligée des Mères; et vous savez, mes frères, que je ne vous ai jamais fait aucune peine, que je ne vous ai jamais offensés en aucune chose ; si mon Fils vous a paru un objet de contradiction, vous lui avez ôté la vie, et moi je suis prête à vous pardonner vos injures , vos offenses et jusqu'à la mort de mon Fils. Mais, du moins, accordez-moi une grâce, ne le touchez pas, afin que je puisse le déposer dans le tombeau, sans qu'aucun de ses os aient été brisés. Il est inutile de lui rompre les jambes, car vous voyez qu'il est déjà mort; en effet il y a une heure qu'il a rendu le dernier soupir. »
Saint Jean , Madeleine et les deux sœurs de Marie étaient à genoux avec elle et pleuraient très amèrement. Que faites-vous , ô Marie! vous vous jetez au pied de ces monstres, vous voulez attendrir ces cœurs de bronze, vous comptez sur la pitié de ces impitoyables, sur la piété de ces impies, sur l'humilité de ces orgueilleux? Ces hommes superbes abhorrent l'humilité ; vos efforts sont superflus. Cependant, insensible à ces prières et à ces supplications, l'un des soldats, nommé Longin, alors rempli d'orgueil et d'impiété, mais qui plus tard se convertit, fut martyr et devint un saint, brandissant de loin sa lance , ouvrit, par une large plaie, le côté droit de Jésus et il en coula du sang et de l'eau.
En ce moment la Mère de Jésus tomba à demi-morte entre les bras de Madeleine. Mais saint Jean exalté par l'excès de sa douleur, se pose hardiment devant eux et leur dit : « Hommes abominables, pourquoi cette infamie sacrilège; ne voyez-vous pas qu'il est mort? Voulez- vous aussi ôter la vie à sa malheureuse Mère? Retirez-vous, afin que nous puissions l'ensevelir. » A ces mots ils s'éloignèrent, Dieu l'ayant ainsi permis. Or Marie, reprenant ses sens , se relève comme si elle fût sortie d'un profond sommeil et demande ce qu'on a fait du corps de son Fils bien-aimé. On lui répond qu'il est encore là. Ensuite elle soupire profondément , demeure dans une grande anxiété d'esprit, et, voyant la nouvelle blessure de son Fils , elle succombe sous le poids d'une douleur mortelle.
Voyez combien de morts elle a souffertes aujourd'hui. Elle en a senti les atteintes tout autant de fois qu'un nouveau supplice était enduré par son Fils. Ainsi s'est bien accompli en elle ce que Siméon lui avait annoncé, lorsqu'il lui dit : (1) Votre âme sera percée d'un glaive de douleur. Mais en ce moment , la pointe de la lance a vraiment déchiré le corps du Fils et le cœur de la Mère. Or tous les amis de Jésus s'assoient de nouveau auprès de la Croix , ne sachant ce qu'ils doivent faire ; car il leur est impossible de descendre le Corps de la Croix et de lui donner la sépulture , les forces et les instruments nécessaires à ces opérations leur manquent à la fois.
(1) Luc, 2.
Ils n'osent se retirer en laissant le saint Corps dans cet état, et l'approche de la nuit ne leur permet pas de rester là plus longtemps. Vous voyez dans quelle perplexité ils se trouvent. O Dieu infiniment bon ! comment avez-vous permis à la tribulation d'accabler ainsi celle qui était votre bien aimée choisie entre mille , le miroir sans tache et la consolation des affligés? Ah ! le temps paraissait pourtant venu de la laisser un peu respirer.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXI.
MÉDITATION A L'HEURE DE VÊPRES.
Or voici qu'ils voient encore venir à eux sur la route plusieurs hommes. C'étaient Joseph d'Arimathie et Nicodème qui, conduisant avec eux quelques autres personnes chargées des instruments nécessaires pour descendre le Corps de la Croix, venaient avec environ cent livres de myrrhe et d'aloès ensevelir le Corps du Seigneur. Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent aussitôt pleins d'une extrême frayeur. O Dieu , que d'afflictions dans un seul jour! Mais saint Jean dit après avoir promené ses regards sur ceux qui s'avançaient: « Je reconnais Joseph et Nicodème. » A ces mots Marie se ranime et s'écrie : Béni soit notre Dieu qui nous envoie ce secours; il s'est souvenu de nous et ne nous a point abandonnés. Mon Fils, allez au-devant d'eux. Saint Jean courut donc en toute hâte à leur rencontre et, dès qu'ils furent réunis , ils s'embrassèrent tous en pleurant , et ne purent pendant une grande heure s'entretenir ensemble à cause de leur tendre compassion, de leurs larmes abondantes et de leur excessive douleur.
Ensuite ils se dirigent vers la Croix. Joseph demande quels sont ceux qui sont avec Marie et ce que sont devenus les autres Disciples? Jean lui fait connaître les femmes qui sont près de Marie. Quant aux Disciples, il répond qu'il ne sait ce qu'ils sont devenus , parce qu'il n'en a vu là aucun aujourd'hui. Joseph s'informe aussi de ce qui s'est passé à l'égard du Seigneur; saint Jean lui en fait un récit circonstancié.
Dès qu'ils furent près d'arriver, ils s'agenouillèrent et adorèrent le Seigneur en pleurant. Puis ils s'approchèrent de Marie et de ses compagnes qui les reçurent avec respect, fléchissant le genou et s'inclinant profondément devant eux. Ils se prosternèrent aussi tout en pleurs devant ces saintes femmes et restèrent dans cet état pendant une heure entière. Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de ne pas oublier votre Maître, car il vous a beaucoup aimés, et j'avoue qu'à votre arrivée, j'ai cru voir briller une nouvelle lumière. Nous ne savions quel parti prendre; que Dieu vous récompense de votre charité. » Ils répondirent : «Nous gémissons de tout notre cœur sur les horribles outrages qui lui ont été faits. Car les impies ont prévalu contre le Juste ; nous l'eussions de grand coeur arraché à leur iniquité si cela nous eût été possible. Nous venons du moins rendre à Notre Seigneur et à notre Maître un bien faible service.»
S'étant relevés à ces mots , ils se préparent à descendre de la Croix le Corps de Jésus. Quant à vous, comme je vous l'ai déjà plusieurs foi? conseillé, observez avec beaucoup d'attention et de soin comment ils procédèrent à cette opération. Deux échelles sont placées à l'opposite, de l'un et de l'autre côté de la Croix. Joseph monte sur l'échelle à droite; il s'empresse de détacher le clou de la main du même côté. Mais cela est difficile, car ce clou gros et long est fortement fixé à la Croix , et il semble impossible de l'en détacher sans faire éprouver à la main de Notre Seigneur une forte compression. Mais on ne peut voir ici aucune violence, car c'est l'action d'un serviteur fidèle , et Jésus l'accepte tout entière. Dès que le clou est arraché, saint Jean fait signe à Joseph de le lui remettre pour ne pas le laisser voir à Marie. Ensuite Nicodème extrait le clou de la main gauche, et le donne pareillement à saint Jean. Puis il descend pour ôter le clou des pieds. Pendant ce temps Joseph soutenait le corps du Seigneur. Heureux Joseph qui mérita la faveur de presser ainsi entre ses bras le corps de son divin Maître!
Alors Marie prend respectueusement la main pendante de son Fils et l'applique contre son visage. Elle la considère, la baise en répandant beaucoup de larmes accompagnées de soupirs douloureux. Dès que ses pieds furent détachés, Joseph descend un peu, et tous ceux qui étaient au bas de la Croix reçoivent le corps de Jésus et le déposent à terre. Marie soutient sur son sein la tête et les épaules ; Madeleine s'empare des pieds où tant de grâces lui avaient autrefois été accordées ; les autres se rangent autour du Corps; tous expriment leurs douleurs par des cris et des gémissements ; car leur affliction est aussi amère que celle qu'on éprouve à la mort d'un fils unique.
MÉDITATION A L'HEURE DE VÊPRES.
Or voici qu'ils voient encore venir à eux sur la route plusieurs hommes. C'étaient Joseph d'Arimathie et Nicodème qui, conduisant avec eux quelques autres personnes chargées des instruments nécessaires pour descendre le Corps de la Croix, venaient avec environ cent livres de myrrhe et d'aloès ensevelir le Corps du Seigneur. Marie et ceux qui étaient avec elle se lèvent aussitôt pleins d'une extrême frayeur. O Dieu , que d'afflictions dans un seul jour! Mais saint Jean dit après avoir promené ses regards sur ceux qui s'avançaient: « Je reconnais Joseph et Nicodème. » A ces mots Marie se ranime et s'écrie : Béni soit notre Dieu qui nous envoie ce secours; il s'est souvenu de nous et ne nous a point abandonnés. Mon Fils, allez au-devant d'eux. Saint Jean courut donc en toute hâte à leur rencontre et, dès qu'ils furent réunis , ils s'embrassèrent tous en pleurant , et ne purent pendant une grande heure s'entretenir ensemble à cause de leur tendre compassion, de leurs larmes abondantes et de leur excessive douleur.
Ensuite ils se dirigent vers la Croix. Joseph demande quels sont ceux qui sont avec Marie et ce que sont devenus les autres Disciples? Jean lui fait connaître les femmes qui sont près de Marie. Quant aux Disciples, il répond qu'il ne sait ce qu'ils sont devenus , parce qu'il n'en a vu là aucun aujourd'hui. Joseph s'informe aussi de ce qui s'est passé à l'égard du Seigneur; saint Jean lui en fait un récit circonstancié.
Dès qu'ils furent près d'arriver, ils s'agenouillèrent et adorèrent le Seigneur en pleurant. Puis ils s'approchèrent de Marie et de ses compagnes qui les reçurent avec respect, fléchissant le genou et s'inclinant profondément devant eux. Ils se prosternèrent aussi tout en pleurs devant ces saintes femmes et restèrent dans cet état pendant une heure entière. Enfin Marie leur dit : « Vous faites bien de ne pas oublier votre Maître, car il vous a beaucoup aimés, et j'avoue qu'à votre arrivée, j'ai cru voir briller une nouvelle lumière. Nous ne savions quel parti prendre; que Dieu vous récompense de votre charité. » Ils répondirent : «Nous gémissons de tout notre cœur sur les horribles outrages qui lui ont été faits. Car les impies ont prévalu contre le Juste ; nous l'eussions de grand coeur arraché à leur iniquité si cela nous eût été possible. Nous venons du moins rendre à Notre Seigneur et à notre Maître un bien faible service.»
S'étant relevés à ces mots , ils se préparent à descendre de la Croix le Corps de Jésus. Quant à vous, comme je vous l'ai déjà plusieurs foi? conseillé, observez avec beaucoup d'attention et de soin comment ils procédèrent à cette opération. Deux échelles sont placées à l'opposite, de l'un et de l'autre côté de la Croix. Joseph monte sur l'échelle à droite; il s'empresse de détacher le clou de la main du même côté. Mais cela est difficile, car ce clou gros et long est fortement fixé à la Croix , et il semble impossible de l'en détacher sans faire éprouver à la main de Notre Seigneur une forte compression. Mais on ne peut voir ici aucune violence, car c'est l'action d'un serviteur fidèle , et Jésus l'accepte tout entière. Dès que le clou est arraché, saint Jean fait signe à Joseph de le lui remettre pour ne pas le laisser voir à Marie. Ensuite Nicodème extrait le clou de la main gauche, et le donne pareillement à saint Jean. Puis il descend pour ôter le clou des pieds. Pendant ce temps Joseph soutenait le corps du Seigneur. Heureux Joseph qui mérita la faveur de presser ainsi entre ses bras le corps de son divin Maître!
Alors Marie prend respectueusement la main pendante de son Fils et l'applique contre son visage. Elle la considère, la baise en répandant beaucoup de larmes accompagnées de soupirs douloureux. Dès que ses pieds furent détachés, Joseph descend un peu, et tous ceux qui étaient au bas de la Croix reçoivent le corps de Jésus et le déposent à terre. Marie soutient sur son sein la tête et les épaules ; Madeleine s'empare des pieds où tant de grâces lui avaient autrefois été accordées ; les autres se rangent autour du Corps; tous expriment leurs douleurs par des cris et des gémissements ; car leur affliction est aussi amère que celle qu'on éprouve à la mort d'un fils unique.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXII.
MEDITATIONS A L`HEURE DE COMPLIES
Peu après, la nuit s'approchant, Joseph prie Marie de lui permettre d'ensevelir le corps de Jésus et de le déposer dans le tombeau. Marie n'y pouvait consentir. « Mes amis, disait-elle, ne me privez pas sitôt de mon Fils, ou bien mettez-moi avec lui dans le même tombeau. » Alors d'intarissables larmes coulaient de ses yeux; elle considérait les plaies des mains et du côté de Jésus, s'arrêtant tantôt à l'une, tantôt à l'autre; elle portait ses regards sur le visage et sur la tête ; elle observait les nombreuses piqûres de la Couronne d'Épines, la dépilation de la barbe, cette face souillée de crachats et de sang, cette tête dépouillée de cheveux, et elle ne pouvait ni en détourner les yeux, ni suspendre ses pleurs.
On lit quelque part que Notre Seigneur, ainsi qu'il l'a révélé à une sainte Religieuse, fut dépouillé de ses cheveux et de sa barbe; mais les Évangélistes, en parlant de sa Passion, ne sont pas entrés dans tous les détails. Aussi je ne saurais constater par l'Écriture ni la réalité de ce dépouillement, ni la manière dont il s'opéra; quant à la dépilation de la barbe on ne peut en douter, car le Prophète Isaïe fait dire à Notre Seigneur : (1) J'ai abandonne mon corps à ceux qui le frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Et voilà pourquoi Marie était si attentive à observer ces circonstances et voulait les constater si exactement. Mais comme l'heure s'avançait, saint Jean dit à Marie: «Ma Mère, laissons faire Joseph et Nicodème, laissons-les ensevelir et déposer dans le tombeau le corps de Notre Seigneur; car un plus long retard pourrait les exposer aux calomnies des Juifs.»
(1) Isaïe, 50.
A ces mots, craignant de manquer de reconnaissance et de discrétion, se souvenant d'ailleurs qu'elle avait été confiée à saint Jean par son Fils, Marie ne résista pas plus longtemps, bénit le corps de Jésus et consentit à ce qu'on lui demandait. Alors Jean, Nicodème et quelques autres se mirent à l'ensevelir et à le ceindre de bandelettes , selon la coutume des Juifs. Marie, qui s'était réservé le soin d'envelopper la tête de son Fils, la tenait toujours appuyée sur son cœur ; Madeleine n'avait pas quitté ses pieds. Et dès qu'on eut tout disposé jusqu'à l'extrémité des jambes : « Je vous en prie, dit-elle, permettez-moi d'envelopper les pieds, car c'est là que j'ai obtenu miséricorde. » On la laissa faire et elle ne quitta plus les pieds de son divin Maitre. La douleur paraissait l'accabler, et ces pieds qu'elle avait autrefois arrosés des pleurs du repentir, elle les inonda alors d'une bien plus grande abondance de larmes de douleur et de compassion.
En voyant ces pieds si horriblement blessés , si douloureusement percés, si amaigris et si ensanglantés, elle ne cessait de pleurer avec beaucoup d'amertume. Car, suivant le témoignage de Celui qui est la Vérité, (1) elle a beaucoup aimé, et voilà pourquoi elle a beaucoup pleuré, surtout en rendant ce dernier service à son Maître et à son Seigneur, qu'elle voyait réduit à un tel anéantissement après tant de maux, une si cruelle flagellation, de si profondes blessures et une telle mort. Son âme était prête à se séparer de son corps, tant sa douleur était grande ; et il est facile de comprendre que, si cela lui eût été possible, elle eût bien volontiers rendu le dernier soupir aux pieds de son divin Maître. Rien ne pouvait la consoler; elle n'était point accoutumée à rendre à Jésus de pareils services ; celui-là est tout nouveau pour elle, c'est un dernier devoir dont elle s'acquitte , en gémissant au fond du cœur de ne pouvoir faire comme elle souhaiterait et comme il conviendrait. Car elle aurait voulu laver tout le corps, l'embaumer et l'envelopper.
(1) Luc, 7.
Mais le temps et le lieu ne le lui permettaient pas. En effet, elle ne pouvait faire plus, elle ne pouvait faire autre chose; elle fait tout ce qui lui est possible. Du moins, elle lave de ses larmes les pieds de Jésus, elle les essuie, les presse sur son cœur, les baise avec piété, les enveloppe , les entoure de bandelettes avec tout le soin , toutes les précautions dont elle est capable. Après ces préparatifs, tous les regards se tournent sur Marie qui doit les compléter, et tous recommencent leurs lamentations. Comprenant qu'on ne peut différer plus longtemps, Notre-Dame colle alors son visage sur celui de son bien- aimé Fils en disant : « O mon Fils ! c'est donc votre corps inanimé que je presse entre mes bras ; qu'il est cruel de me voir séparée de vous par la mort ! Notre union était si douce et si délicieuse! Nous n'avons manqué ni d'indulgence, ni de charité envers personne, et pourtant, O mon cher Fils, on vous a ôté la vie comme au plus coupable de tous les hommes? Je vous ai fidèlement servi et vous m'avez rendu services pour services; mais dans la lutte douloureuse qui a terminé vos jours, votre Père n'a voulu et moi je n'ai pu vous donner aucun secours. Vous vous êtes abandonné vous-même parce que vous aimiez les hommes et que vous vouliez les racheter. Quelque dure, quelque pénible que soit cette Rédemption, je m'en réjouis pourtant, puisqu'elle opère le salut du monde. Mais une mort si douloureuse me plonge dans une extrême affliction; car je sais qu'il n'y a en vous aucun péché et que c'est sans motifs que vous avez été livré à un supplice si cruel et si ignominieux. Les voilà donc rompus, ô mon Fils, les liens qui nous unissaient! il faut maintenant que je me sépare de vous. C'est donc moi, moi votre malheureuse Mère, qui aurai la douleur de vous conduire au tombeau. Mais, ensuite, que deviendrai-je? où porterai-je mes pas? comment pourrai-je vivre sans vous? je voudrais m'ensevelir avec vous, afin d'être partout où vous serez. Mais si je ne le puis de corps, je le ferai du moins en esprit; mon âme s'ensevelira avec vous dans le même tombeau, je vous l'abandonne et la remets entre vos mains. 0 mon Fils ! que cette séparation est amère ! »
Et elle baigne pour la seconde fois le visage de Jésus de larmes plus abondantes que celles dont Madeleine avait arrosé ses pieds. Ensuite elle essuie le visage de son Fils, dépose un baiser de Mère sur sa bouche et sur ses yeux, couvre sa tête d'un suaire, l'en enveloppe avec soin et le bénit une seconde fois. Alors tous ceux qui étaient présents se prosternent, l'adorent, baisent ses pieds , le prennent et le portent au sépulcre. Marie soutenait la tête et les épaules, Madeleine les pieds, les autres placés au milieu, portaient le corps.
Tout près du lieu où Jésus avait été crucifié, à une distance environ égale à la longueur de notre Église, il y avait un sépulcre. C'est là qu'à genoux, avec beaucoup de larmes, de sanglots et de soupirs, on le déposa respectueusement. Après quoi sa Mère le bénit encore, l'embrasse et reste étendue sur son Fils bien-aimé. Mais on la relève, et une grosse pierre ferme l'entrée du sépulcre. Bède nous apprend que ce sépulcre était rond, creusé dans un rocher, et d'une élévation telle, qu'un homme, en étendant la main, ne pourrait en toucher la voûte; l'entrée est située à l'Orient; au Nord, on voit, taillée dans la même pierre, sur une longueur de sept pieds, la place où fut mis le corps de Notre Seigneur.
MEDITATIONS A L`HEURE DE COMPLIES
Peu après, la nuit s'approchant, Joseph prie Marie de lui permettre d'ensevelir le corps de Jésus et de le déposer dans le tombeau. Marie n'y pouvait consentir. « Mes amis, disait-elle, ne me privez pas sitôt de mon Fils, ou bien mettez-moi avec lui dans le même tombeau. » Alors d'intarissables larmes coulaient de ses yeux; elle considérait les plaies des mains et du côté de Jésus, s'arrêtant tantôt à l'une, tantôt à l'autre; elle portait ses regards sur le visage et sur la tête ; elle observait les nombreuses piqûres de la Couronne d'Épines, la dépilation de la barbe, cette face souillée de crachats et de sang, cette tête dépouillée de cheveux, et elle ne pouvait ni en détourner les yeux, ni suspendre ses pleurs.
On lit quelque part que Notre Seigneur, ainsi qu'il l'a révélé à une sainte Religieuse, fut dépouillé de ses cheveux et de sa barbe; mais les Évangélistes, en parlant de sa Passion, ne sont pas entrés dans tous les détails. Aussi je ne saurais constater par l'Écriture ni la réalité de ce dépouillement, ni la manière dont il s'opéra; quant à la dépilation de la barbe on ne peut en douter, car le Prophète Isaïe fait dire à Notre Seigneur : (1) J'ai abandonne mon corps à ceux qui le frappaient, et mes joues à ceux qui m'arrachaient la barbe. Et voilà pourquoi Marie était si attentive à observer ces circonstances et voulait les constater si exactement. Mais comme l'heure s'avançait, saint Jean dit à Marie: «Ma Mère, laissons faire Joseph et Nicodème, laissons-les ensevelir et déposer dans le tombeau le corps de Notre Seigneur; car un plus long retard pourrait les exposer aux calomnies des Juifs.»
(1) Isaïe, 50.
A ces mots, craignant de manquer de reconnaissance et de discrétion, se souvenant d'ailleurs qu'elle avait été confiée à saint Jean par son Fils, Marie ne résista pas plus longtemps, bénit le corps de Jésus et consentit à ce qu'on lui demandait. Alors Jean, Nicodème et quelques autres se mirent à l'ensevelir et à le ceindre de bandelettes , selon la coutume des Juifs. Marie, qui s'était réservé le soin d'envelopper la tête de son Fils, la tenait toujours appuyée sur son cœur ; Madeleine n'avait pas quitté ses pieds. Et dès qu'on eut tout disposé jusqu'à l'extrémité des jambes : « Je vous en prie, dit-elle, permettez-moi d'envelopper les pieds, car c'est là que j'ai obtenu miséricorde. » On la laissa faire et elle ne quitta plus les pieds de son divin Maitre. La douleur paraissait l'accabler, et ces pieds qu'elle avait autrefois arrosés des pleurs du repentir, elle les inonda alors d'une bien plus grande abondance de larmes de douleur et de compassion.
En voyant ces pieds si horriblement blessés , si douloureusement percés, si amaigris et si ensanglantés, elle ne cessait de pleurer avec beaucoup d'amertume. Car, suivant le témoignage de Celui qui est la Vérité, (1) elle a beaucoup aimé, et voilà pourquoi elle a beaucoup pleuré, surtout en rendant ce dernier service à son Maître et à son Seigneur, qu'elle voyait réduit à un tel anéantissement après tant de maux, une si cruelle flagellation, de si profondes blessures et une telle mort. Son âme était prête à se séparer de son corps, tant sa douleur était grande ; et il est facile de comprendre que, si cela lui eût été possible, elle eût bien volontiers rendu le dernier soupir aux pieds de son divin Maître. Rien ne pouvait la consoler; elle n'était point accoutumée à rendre à Jésus de pareils services ; celui-là est tout nouveau pour elle, c'est un dernier devoir dont elle s'acquitte , en gémissant au fond du cœur de ne pouvoir faire comme elle souhaiterait et comme il conviendrait. Car elle aurait voulu laver tout le corps, l'embaumer et l'envelopper.
(1) Luc, 7.
Mais le temps et le lieu ne le lui permettaient pas. En effet, elle ne pouvait faire plus, elle ne pouvait faire autre chose; elle fait tout ce qui lui est possible. Du moins, elle lave de ses larmes les pieds de Jésus, elle les essuie, les presse sur son cœur, les baise avec piété, les enveloppe , les entoure de bandelettes avec tout le soin , toutes les précautions dont elle est capable. Après ces préparatifs, tous les regards se tournent sur Marie qui doit les compléter, et tous recommencent leurs lamentations. Comprenant qu'on ne peut différer plus longtemps, Notre-Dame colle alors son visage sur celui de son bien- aimé Fils en disant : « O mon Fils ! c'est donc votre corps inanimé que je presse entre mes bras ; qu'il est cruel de me voir séparée de vous par la mort ! Notre union était si douce et si délicieuse! Nous n'avons manqué ni d'indulgence, ni de charité envers personne, et pourtant, O mon cher Fils, on vous a ôté la vie comme au plus coupable de tous les hommes? Je vous ai fidèlement servi et vous m'avez rendu services pour services; mais dans la lutte douloureuse qui a terminé vos jours, votre Père n'a voulu et moi je n'ai pu vous donner aucun secours. Vous vous êtes abandonné vous-même parce que vous aimiez les hommes et que vous vouliez les racheter. Quelque dure, quelque pénible que soit cette Rédemption, je m'en réjouis pourtant, puisqu'elle opère le salut du monde. Mais une mort si douloureuse me plonge dans une extrême affliction; car je sais qu'il n'y a en vous aucun péché et que c'est sans motifs que vous avez été livré à un supplice si cruel et si ignominieux. Les voilà donc rompus, ô mon Fils, les liens qui nous unissaient! il faut maintenant que je me sépare de vous. C'est donc moi, moi votre malheureuse Mère, qui aurai la douleur de vous conduire au tombeau. Mais, ensuite, que deviendrai-je? où porterai-je mes pas? comment pourrai-je vivre sans vous? je voudrais m'ensevelir avec vous, afin d'être partout où vous serez. Mais si je ne le puis de corps, je le ferai du moins en esprit; mon âme s'ensevelira avec vous dans le même tombeau, je vous l'abandonne et la remets entre vos mains. 0 mon Fils ! que cette séparation est amère ! »
Et elle baigne pour la seconde fois le visage de Jésus de larmes plus abondantes que celles dont Madeleine avait arrosé ses pieds. Ensuite elle essuie le visage de son Fils, dépose un baiser de Mère sur sa bouche et sur ses yeux, couvre sa tête d'un suaire, l'en enveloppe avec soin et le bénit une seconde fois. Alors tous ceux qui étaient présents se prosternent, l'adorent, baisent ses pieds , le prennent et le portent au sépulcre. Marie soutenait la tête et les épaules, Madeleine les pieds, les autres placés au milieu, portaient le corps.
Tout près du lieu où Jésus avait été crucifié, à une distance environ égale à la longueur de notre Église, il y avait un sépulcre. C'est là qu'à genoux, avec beaucoup de larmes, de sanglots et de soupirs, on le déposa respectueusement. Après quoi sa Mère le bénit encore, l'embrasse et reste étendue sur son Fils bien-aimé. Mais on la relève, et une grosse pierre ferme l'entrée du sépulcre. Bède nous apprend que ce sépulcre était rond, creusé dans un rocher, et d'une élévation telle, qu'un homme, en étendant la main, ne pourrait en toucher la voûte; l'entrée est située à l'Orient; au Nord, on voit, taillée dans la même pierre, sur une longueur de sept pieds, la place où fut mis le corps de Notre Seigneur.
Dernière édition par MichelT le Dim 26 Mar 2017 - 18:50, édité 1 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXIII.
MÉDITATION APRÈS COMPLIES.
Après que Joseph eut ainsi achevé de rendre les derniers devoirs au Seigneur, voulant retourner à la ville, il dit à Marie : « Mon auguste Souveraine, je vous supplie, au nom de Dieu et par l'amour de Jésus votre Fils et mon divin Maître , de vouloir bien venir loger chez moi , car je sais que vous ne possédez pas de maison ; servez-vous donc de la mienne, comme si c'était la vôtre, parce que tout ce qui est à moi est à vous. » Nicodème fit aussi les mêmes offres.
Oh ! qui ne serait ici pénétré de la plus vive compassion ! La Reine du Ciel n'a pas où reposer sa tête, et les tristes jours de son veuvage, il faudra qu'elle les passe sous un toit étranger. Je dis les jours de son veuvage, car Notre Seigneur Jésus-Christ était pour elle un Fils, un époux, un père, une mère, tout son bien, et en le perdant, elle perdit à la fois ce qu'elle avait de plus cher au monde. Elle est véritablement veuve, abandonnée, sans asile. Elle s'incline alors humblement, remercie et répond que son Fils l'a confiée à saint Jean. Joseph et Nicodème renouvelant leurs instances, saint Jean leur dit qu'il se proposait de la conduire sur la montagne de Sion, dans la maison où Notre Seigneur avait le soir précédent fait la Cène avec ses Disciples, et que son intention était d`y fixer avec elle son domicile. Joseph et Nicodème saluèrent Marie et se retirèrent après avoir adoré Jésus dans son tombeau. L'Évangile (1) nous apprend que tous les autres demeurèrent assis auprès du sépulcre.
(1) Matth., 17.
La nuit approchait ; saint Jean dit à Marie : «II ne convient ni de rester plus longtemps ici, ni de retourner de nuit dans la ville ; si donc vous le permettez, ma Mère, nous allons nous retirer. » Marie se lève aussitôt, se jette à genoux, embrasse le sépulcre et dit en bénissant Jésus : « Mon Fils, je ne puis rester plus longtemps avec vous , je vous recommande à votre Père.» Puis, élevant ses regards vers le Ciel, elle dit avec une profonde émotion et en versant beaucoup de larmes : « Père éternel, je vous recommande mon Fils, ainsi que mon âme que je vous abandonne. »
Après quoi ils commencèrent à se retirer. Mais, lorsqu'on passa près de la Croix, Marie s'y agenouilla et l'adora en disant : « C'est là que mon Fils est mort, là que son précieux sang a été répandu. » Tous ceux qui accompagnaient Marie suivirent son exemple. Car vous pouvez bien penser qu'elle fut la première adoratrice de la Croix. Ensuite on s'achemina vers la ville. Marie se retournait souvent en chemin pour regarder derrière elle ; et quand on fut parvenu au point où l'on ne pouvait plus voir ni le sépulcre, ni la Croix, elle se retourna encore , les salua et s'agenouilla pour les adorer avec beaucoup de dévotion et de piété. Tout le monde en fit autant.
Quand on fut près de la ville, les sœurs de Marie lui mirent, ainsi qu'on le fait aux veuves, un voile qui lui couvrait presque tout le visage. Elles ouvraient la marche, puis Marie , couverte de son voile, s'avançait tristement entre Jean et Madeleine. Celle-ci qui avait le projet de prendre à l'entrée de la ville la route de sa maison et d'y amener tous ceux qui étaient avec elle prépara les choses en disant à Marie : « Venez, je vous en prie, dans notre maison , nous y serons mieux qu'ailleurs ; venez-y par amour pour mon divin Maître , car vous savez avec quel plaisir il y venait lui-même; regardez cette maison comme la vôtre; toute que je possède est à vous. »
Alors les larmes recommencèrent à couler. Mais comme Marie ne répondait rien et s'était tournée vers saint Jean , Madeleine invite aussi ce dernier qui lui répond : « Venez plutôt vous-même avec notre Mère, car il vaut mieux que nous allions à la montagne de Sion , et surtout après les refus que nous avons déjà fait à nos amis. » Madeleine répartit : « Vous savez bien que je suis disposée à la suivre partout où elle ira et à ne jamais l'abandonner. » On entre dans la ville, et alors toutes les filles et les femmes pieuses , dès qu'elles aperçoivent Marie , accourent à elle de toutes parts, l'accompagnent et la consolent en chemin en unissant des larmes abondantes à celles que répand la Mère de Jésus. Quelques hommes de bien touchés de compassion , ne pouvaient retenir leurs larmes et disaient en la voyant passer au milieu d'eux : « Il faut le reconnaître, une grande injustice a été commise aujourd'hui par nos Chefs contre le Fils de cette femme infortunée, et Dieu a fait en sa faveur des prodiges étonnants. Quel sujet de crainte pour les auteurs de ce crime. »
Arrivée à la maison qu'elle allait habiter, Marie , se tournant vers les femmes qui l'accompagnaient , les remercia et les salua avec beaucoup de gratitude. Celles-ci s'inclinèrent aussi, fléchirent les genoux et toutes commencèrent à donner des signes d'une profonde douleur. Marie entra dans la maison avec ses deux sœurs et Madeleine. Alors saint Jean , se tenant à la porte, invita toutes les personnes qui avaient suivi Marie à se retirer dans leur maison, parce qu'il était déjà tard, et, après les avoir remerciées , il ferma la porte. Alors la Mère de Jésus disait en promenant de tous côtés ses regards dans la maison : « Où êtes-vous, mon cher Fils? pourquoi ne vous vois-je point ici ? Jean , où est donc mon Fils ? Madeleine , où est donc le Père dont vous étiez si tendrement aimée? Et vous, mes sœurs, où est le Fils qui nous avait été donné ? Il est mort Celui qui était toute notre joie , notre douceur et la lumière de nos yeux ; il est mort au milieu des plus affreux tourments , vous le savez , et ce qui met le comble à ma douleur, c'est que, mourant tout couvert de plaies, dans les plus affreuses anxiétés , torturé par la soif, la contrainte, l'oppression et la violence, nous n'avons pu lui procurer le moindre soulagement; c'est qu'il a été , universellement abandonné, et que son Père, le Dieu tout-puissant, n'a pas voulu le secourir; et vous avez vu avec quelle rapidité tant de maux sont tombés sur lui. Quel homme, même parmi les plus scélérats, fut jamais condamné d'une manière si prompte et si foudroyante? 0 mon Fils, c'est hier soir qu'un perfide vous a livré, hier soir qu'on vous a arrêté ; c'est à la troisième heure de ce jour que l'on vous a condamné ; c'est à la sixième que l'on vous a attaché à la Croix où vous avez perdu la vie. 0 mon Fils, qu'il m'est pénible d'être séparée de vous et que le souvenir de votre mort ignominieuse est amer pour moi ! »
Enfin saint Jean la supplia de mettre fin à ses gémissements et essaya de la consoler. Pour vous , ma fille, si vous écoutez votre zèle, il vous suggèrera les moyens de soulager, de servir, de consoler ces cœurs affligés, et d'encourager Marie à prendre quelque nourriture afin d'exciter les autres à suivre son exemple , car ils sont encore tous à jeun . Vous les quitterez ensuite après que Marie et tous ceux qui sont avec elle vous auront donné leurs bénédictions.
MÉDITATION APRÈS COMPLIES.
Après que Joseph eut ainsi achevé de rendre les derniers devoirs au Seigneur, voulant retourner à la ville, il dit à Marie : « Mon auguste Souveraine, je vous supplie, au nom de Dieu et par l'amour de Jésus votre Fils et mon divin Maître , de vouloir bien venir loger chez moi , car je sais que vous ne possédez pas de maison ; servez-vous donc de la mienne, comme si c'était la vôtre, parce que tout ce qui est à moi est à vous. » Nicodème fit aussi les mêmes offres.
Oh ! qui ne serait ici pénétré de la plus vive compassion ! La Reine du Ciel n'a pas où reposer sa tête, et les tristes jours de son veuvage, il faudra qu'elle les passe sous un toit étranger. Je dis les jours de son veuvage, car Notre Seigneur Jésus-Christ était pour elle un Fils, un époux, un père, une mère, tout son bien, et en le perdant, elle perdit à la fois ce qu'elle avait de plus cher au monde. Elle est véritablement veuve, abandonnée, sans asile. Elle s'incline alors humblement, remercie et répond que son Fils l'a confiée à saint Jean. Joseph et Nicodème renouvelant leurs instances, saint Jean leur dit qu'il se proposait de la conduire sur la montagne de Sion, dans la maison où Notre Seigneur avait le soir précédent fait la Cène avec ses Disciples, et que son intention était d`y fixer avec elle son domicile. Joseph et Nicodème saluèrent Marie et se retirèrent après avoir adoré Jésus dans son tombeau. L'Évangile (1) nous apprend que tous les autres demeurèrent assis auprès du sépulcre.
(1) Matth., 17.
La nuit approchait ; saint Jean dit à Marie : «II ne convient ni de rester plus longtemps ici, ni de retourner de nuit dans la ville ; si donc vous le permettez, ma Mère, nous allons nous retirer. » Marie se lève aussitôt, se jette à genoux, embrasse le sépulcre et dit en bénissant Jésus : « Mon Fils, je ne puis rester plus longtemps avec vous , je vous recommande à votre Père.» Puis, élevant ses regards vers le Ciel, elle dit avec une profonde émotion et en versant beaucoup de larmes : « Père éternel, je vous recommande mon Fils, ainsi que mon âme que je vous abandonne. »
Après quoi ils commencèrent à se retirer. Mais, lorsqu'on passa près de la Croix, Marie s'y agenouilla et l'adora en disant : « C'est là que mon Fils est mort, là que son précieux sang a été répandu. » Tous ceux qui accompagnaient Marie suivirent son exemple. Car vous pouvez bien penser qu'elle fut la première adoratrice de la Croix. Ensuite on s'achemina vers la ville. Marie se retournait souvent en chemin pour regarder derrière elle ; et quand on fut parvenu au point où l'on ne pouvait plus voir ni le sépulcre, ni la Croix, elle se retourna encore , les salua et s'agenouilla pour les adorer avec beaucoup de dévotion et de piété. Tout le monde en fit autant.
Quand on fut près de la ville, les sœurs de Marie lui mirent, ainsi qu'on le fait aux veuves, un voile qui lui couvrait presque tout le visage. Elles ouvraient la marche, puis Marie , couverte de son voile, s'avançait tristement entre Jean et Madeleine. Celle-ci qui avait le projet de prendre à l'entrée de la ville la route de sa maison et d'y amener tous ceux qui étaient avec elle prépara les choses en disant à Marie : « Venez, je vous en prie, dans notre maison , nous y serons mieux qu'ailleurs ; venez-y par amour pour mon divin Maître , car vous savez avec quel plaisir il y venait lui-même; regardez cette maison comme la vôtre; toute que je possède est à vous. »
Alors les larmes recommencèrent à couler. Mais comme Marie ne répondait rien et s'était tournée vers saint Jean , Madeleine invite aussi ce dernier qui lui répond : « Venez plutôt vous-même avec notre Mère, car il vaut mieux que nous allions à la montagne de Sion , et surtout après les refus que nous avons déjà fait à nos amis. » Madeleine répartit : « Vous savez bien que je suis disposée à la suivre partout où elle ira et à ne jamais l'abandonner. » On entre dans la ville, et alors toutes les filles et les femmes pieuses , dès qu'elles aperçoivent Marie , accourent à elle de toutes parts, l'accompagnent et la consolent en chemin en unissant des larmes abondantes à celles que répand la Mère de Jésus. Quelques hommes de bien touchés de compassion , ne pouvaient retenir leurs larmes et disaient en la voyant passer au milieu d'eux : « Il faut le reconnaître, une grande injustice a été commise aujourd'hui par nos Chefs contre le Fils de cette femme infortunée, et Dieu a fait en sa faveur des prodiges étonnants. Quel sujet de crainte pour les auteurs de ce crime. »
Arrivée à la maison qu'elle allait habiter, Marie , se tournant vers les femmes qui l'accompagnaient , les remercia et les salua avec beaucoup de gratitude. Celles-ci s'inclinèrent aussi, fléchirent les genoux et toutes commencèrent à donner des signes d'une profonde douleur. Marie entra dans la maison avec ses deux sœurs et Madeleine. Alors saint Jean , se tenant à la porte, invita toutes les personnes qui avaient suivi Marie à se retirer dans leur maison, parce qu'il était déjà tard, et, après les avoir remerciées , il ferma la porte. Alors la Mère de Jésus disait en promenant de tous côtés ses regards dans la maison : « Où êtes-vous, mon cher Fils? pourquoi ne vous vois-je point ici ? Jean , où est donc mon Fils ? Madeleine , où est donc le Père dont vous étiez si tendrement aimée? Et vous, mes sœurs, où est le Fils qui nous avait été donné ? Il est mort Celui qui était toute notre joie , notre douceur et la lumière de nos yeux ; il est mort au milieu des plus affreux tourments , vous le savez , et ce qui met le comble à ma douleur, c'est que, mourant tout couvert de plaies, dans les plus affreuses anxiétés , torturé par la soif, la contrainte, l'oppression et la violence, nous n'avons pu lui procurer le moindre soulagement; c'est qu'il a été , universellement abandonné, et que son Père, le Dieu tout-puissant, n'a pas voulu le secourir; et vous avez vu avec quelle rapidité tant de maux sont tombés sur lui. Quel homme, même parmi les plus scélérats, fut jamais condamné d'une manière si prompte et si foudroyante? 0 mon Fils, c'est hier soir qu'un perfide vous a livré, hier soir qu'on vous a arrêté ; c'est à la troisième heure de ce jour que l'on vous a condamné ; c'est à la sixième que l'on vous a attaché à la Croix où vous avez perdu la vie. 0 mon Fils, qu'il m'est pénible d'être séparée de vous et que le souvenir de votre mort ignominieuse est amer pour moi ! »
Enfin saint Jean la supplia de mettre fin à ses gémissements et essaya de la consoler. Pour vous , ma fille, si vous écoutez votre zèle, il vous suggèrera les moyens de soulager, de servir, de consoler ces cœurs affligés, et d'encourager Marie à prendre quelque nourriture afin d'exciter les autres à suivre son exemple , car ils sont encore tous à jeun . Vous les quitterez ensuite après que Marie et tous ceux qui sont avec elle vous auront donné leurs bénédictions.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXIV.
MÉDITATIONS SUR CE QUE FIRENT MARIE ET SES COMPAGNES LE JOUR DU SABBAT
(jour du sabbat, ou samedi saint pour les Chrétiens.)
Or, pendant toute la matinée du Sabbat, Marie et ses compagnes, aussi tristes, aussi affligées , aussi désolées que des enfants qui ont perdu leur père , demeurent avec saint Jean à la maison dont les portes sont exactement fermées. Elles s'y tenaient assises toutes ensemble, en silence et dans le recueillement, jetant l'une sur l'autre quelques regards à la dérobée , comme ont coutume de le faire des personnes accablées par des peines et des calamités excessives.
Mais tout-à-coup on frappe à la porte et la crainte les saisit , parce qu'elles avaient perdu Celui qui faisait toute leur sûreté. Cependant saint Jean va à la porte, et ayant regardé qui était là, il reconnaît Simon et dit : « c'est Pierre. » « Ouvrez-lui , dit Marie. » Pierre entre, les yeux baissés, poussant de profonds soupirs et répandant des larmes. Alors ils se mirent tous à pleurer avec lui , et ils ne pouvaient lui adresser une parole, tant leur peine était grande. Ensuite arrivent successivement les autres Disciples versant aussi des pleurs. Enfin ils suspendent un moment leur douleur et commencent à s'entretenir de leur divin Maître. Pierre dit alors : « Je suis tout couvert de confusion , et je ne devrais ni ouvrir la bouche devant vous, ni me montrer aux yeux des hommes, après avoir abandonné et renié, comme je l'ai fait, le Maître qui m'avait tant aimé. » Les autres Disciples, les yeux pleins de larmes, joignant les mains, se reprochaient également d'avoir aussi abandonné un si aimable Maître.
Alors Marie prit la parole et dit : « Notre bon Maître , notre fidèle Pasteur n'est plus et nous laisse orphelins, mais j'ai la ferme espérance que nous le reverrons bientôt au milieu de nous; car vous connaissez tous la bonté de mon Fils et vous savez combien il vous aimait. Ne doutez donc pas qu'il ne vous accorde la grâce d'une parfaite réconciliation, et qu'il ne vous pardonne du fond du cœur toutes les offenses et toutes les fautes que vous vous reprochez. Au reste le Père céleste a permis à la fureur d'aller si loin, et à l'audace des méchants de tant prévaloir contre lui que , quand même vous ne l'eussiez point abandonné, il vous eût été impossible de le secourir; bannissez donc toute inquiétude. »
Pierre répondit à Marie : « Ce que vous dites est bien vrai ; car moi qui n'ai vu que les premières scènes de la Passion , j'en ai été si vivement touché dans la cour de Caïphe , qu'il m'eût été impossible de penser que je pusse jamais l'abandonner ; et cependant je l'ai renié et je ne me suis souvenu de ce qu'il m'avait prédit qu'au moment où il daigna jeter un regard sur moi. — Que vous avait-il donc prédit , demanda Madeleine? — Que je le renierais , répondit Pierre ; » et il rapporta tout ce qui s'était passé à ce sujet, ajoutant que Notre Seigneur, pendant la Cène, leur avait encore annoncé plusieurs autres choses relatives à sa Passion. Alors Marie dit : « Je voudrais bien connaître tout ce qu'il a dit et fait pendant la Cène. » Pierre fait un signe à Jean pour l'engager à répondre à cette question. Jean commence et rapporte tout ce qu'il sait à ce sujet. Ce récit conduisit les autres Disciples à se raconter mutuellement tout ce qu'ils savaient tant sur ce qui s'était passé dans la Cène que sur les autres actions de la vie de Jésus-Christ dont ils avaient été les témoins ; et c'est en s'entretenant ainsi de leur divin Maître qu'ils passent tout ce jour. Avec quelle attention ces intéressants détails étaient recueillis par Madeleine et surtout par Marie !
Combien de fois , en les entendant , la digne Mère de Jésus s'écria-t-elle pendant ce jour: Béni soit mon Fils Jésus ! Considérez attentivement ces saints personnages, et compatissez à la vive douleur, disons mieux, à l'extrême affliction dans laquelle ils restèrent plongés pendant toute cette journée. Quel spectacle, en effet, que de voir la Reine du Ciel et de la terre, les Princes de toutes les Églises et de tous les peuples , les Chefs de toute l'armée céleste renfermés ainsi tout tremblants dans une pauvre maison , ne voyant rien de mieux à faire pour se fortifier dans cette épreuve que de s'entretenir des paroles et des actions de leur Maître bien-aimé. Observez cependant que Marie conservait la paix et la tranquillité du cœur parce qu'elle avait une ferme espérance de la Résurrection de son Fils et qu'elle y persévéra inébranlablement, même pendant le jour du Sabbat; et c'est pour cela que ce jour lui est particulièrement consacré. Toutefois Marie ne pouvait goûter aucune consolation a cause de la mort de son cher Fils Jésus.
Or, vers le soir, après le coucher du soleil , moment auquel il était permis de travailler , Marie-Madeleine et l'autre Marie allèrent acheter des aromates pour en composer des parfums. Dès la fin du jour précédent, après la sépulture de Notre Seigneur, elles s'étaient déjà occupées de ces préparatifs depuis leur retour jusqu'au coucher du soleil , ensuite elles demeurèrent en repos. Car on devait garder le Sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu'à celui du jour suivant. Elles vont donc alors acheter des aromates. Considérez-les avec soin. Elles marchent tristement à la manière des veuves , elles entrent dans le magasin de quelque serviteur dévoué du Seigneur qui compatit à leur peine et satisfait de bon cœur à leur désir; elles demandent des aromates, choisissent les meilleurs autant qu'elles le peuvent , en paient le prix et reviennent préparer tout ce qu'il faut pour embaumer le corps de leur divin Maître.
Voyez donc attentivement avec quelle humilité , quelle dévotion, quel dévouement, quelle abondance de larmes et quels profonds soupirs elles s'occupent de ces soins. Elles les prennent sous les yeux de Marie et des Apôtres qui peut-être les partagent avec elles ; cela fait, on passa la nuit en silence. Voilà donc ce que l'on peut méditer le jour du Sabbat sur Marie , ses compagnes et les Disciples.
MÉDITATIONS SUR CE QUE FIRENT MARIE ET SES COMPAGNES LE JOUR DU SABBAT
(jour du sabbat, ou samedi saint pour les Chrétiens.)
Or, pendant toute la matinée du Sabbat, Marie et ses compagnes, aussi tristes, aussi affligées , aussi désolées que des enfants qui ont perdu leur père , demeurent avec saint Jean à la maison dont les portes sont exactement fermées. Elles s'y tenaient assises toutes ensemble, en silence et dans le recueillement, jetant l'une sur l'autre quelques regards à la dérobée , comme ont coutume de le faire des personnes accablées par des peines et des calamités excessives.
Mais tout-à-coup on frappe à la porte et la crainte les saisit , parce qu'elles avaient perdu Celui qui faisait toute leur sûreté. Cependant saint Jean va à la porte, et ayant regardé qui était là, il reconnaît Simon et dit : « c'est Pierre. » « Ouvrez-lui , dit Marie. » Pierre entre, les yeux baissés, poussant de profonds soupirs et répandant des larmes. Alors ils se mirent tous à pleurer avec lui , et ils ne pouvaient lui adresser une parole, tant leur peine était grande. Ensuite arrivent successivement les autres Disciples versant aussi des pleurs. Enfin ils suspendent un moment leur douleur et commencent à s'entretenir de leur divin Maître. Pierre dit alors : « Je suis tout couvert de confusion , et je ne devrais ni ouvrir la bouche devant vous, ni me montrer aux yeux des hommes, après avoir abandonné et renié, comme je l'ai fait, le Maître qui m'avait tant aimé. » Les autres Disciples, les yeux pleins de larmes, joignant les mains, se reprochaient également d'avoir aussi abandonné un si aimable Maître.
Alors Marie prit la parole et dit : « Notre bon Maître , notre fidèle Pasteur n'est plus et nous laisse orphelins, mais j'ai la ferme espérance que nous le reverrons bientôt au milieu de nous; car vous connaissez tous la bonté de mon Fils et vous savez combien il vous aimait. Ne doutez donc pas qu'il ne vous accorde la grâce d'une parfaite réconciliation, et qu'il ne vous pardonne du fond du cœur toutes les offenses et toutes les fautes que vous vous reprochez. Au reste le Père céleste a permis à la fureur d'aller si loin, et à l'audace des méchants de tant prévaloir contre lui que , quand même vous ne l'eussiez point abandonné, il vous eût été impossible de le secourir; bannissez donc toute inquiétude. »
Pierre répondit à Marie : « Ce que vous dites est bien vrai ; car moi qui n'ai vu que les premières scènes de la Passion , j'en ai été si vivement touché dans la cour de Caïphe , qu'il m'eût été impossible de penser que je pusse jamais l'abandonner ; et cependant je l'ai renié et je ne me suis souvenu de ce qu'il m'avait prédit qu'au moment où il daigna jeter un regard sur moi. — Que vous avait-il donc prédit , demanda Madeleine? — Que je le renierais , répondit Pierre ; » et il rapporta tout ce qui s'était passé à ce sujet, ajoutant que Notre Seigneur, pendant la Cène, leur avait encore annoncé plusieurs autres choses relatives à sa Passion. Alors Marie dit : « Je voudrais bien connaître tout ce qu'il a dit et fait pendant la Cène. » Pierre fait un signe à Jean pour l'engager à répondre à cette question. Jean commence et rapporte tout ce qu'il sait à ce sujet. Ce récit conduisit les autres Disciples à se raconter mutuellement tout ce qu'ils savaient tant sur ce qui s'était passé dans la Cène que sur les autres actions de la vie de Jésus-Christ dont ils avaient été les témoins ; et c'est en s'entretenant ainsi de leur divin Maître qu'ils passent tout ce jour. Avec quelle attention ces intéressants détails étaient recueillis par Madeleine et surtout par Marie !
Combien de fois , en les entendant , la digne Mère de Jésus s'écria-t-elle pendant ce jour: Béni soit mon Fils Jésus ! Considérez attentivement ces saints personnages, et compatissez à la vive douleur, disons mieux, à l'extrême affliction dans laquelle ils restèrent plongés pendant toute cette journée. Quel spectacle, en effet, que de voir la Reine du Ciel et de la terre, les Princes de toutes les Églises et de tous les peuples , les Chefs de toute l'armée céleste renfermés ainsi tout tremblants dans une pauvre maison , ne voyant rien de mieux à faire pour se fortifier dans cette épreuve que de s'entretenir des paroles et des actions de leur Maître bien-aimé. Observez cependant que Marie conservait la paix et la tranquillité du cœur parce qu'elle avait une ferme espérance de la Résurrection de son Fils et qu'elle y persévéra inébranlablement, même pendant le jour du Sabbat; et c'est pour cela que ce jour lui est particulièrement consacré. Toutefois Marie ne pouvait goûter aucune consolation a cause de la mort de son cher Fils Jésus.
Or, vers le soir, après le coucher du soleil , moment auquel il était permis de travailler , Marie-Madeleine et l'autre Marie allèrent acheter des aromates pour en composer des parfums. Dès la fin du jour précédent, après la sépulture de Notre Seigneur, elles s'étaient déjà occupées de ces préparatifs depuis leur retour jusqu'au coucher du soleil , ensuite elles demeurèrent en repos. Car on devait garder le Sabbat depuis le coucher du soleil du vendredi jusqu'à celui du jour suivant. Elles vont donc alors acheter des aromates. Considérez-les avec soin. Elles marchent tristement à la manière des veuves , elles entrent dans le magasin de quelque serviteur dévoué du Seigneur qui compatit à leur peine et satisfait de bon cœur à leur désir; elles demandent des aromates, choisissent les meilleurs autant qu'elles le peuvent , en paient le prix et reviennent préparer tout ce qu'il faut pour embaumer le corps de leur divin Maître.
Voyez donc attentivement avec quelle humilité , quelle dévotion, quel dévouement, quelle abondance de larmes et quels profonds soupirs elles s'occupent de ces soins. Elles les prennent sous les yeux de Marie et des Apôtres qui peut-être les partagent avec elles ; cela fait, on passa la nuit en silence. Voilà donc ce que l'on peut méditer le jour du Sabbat sur Marie , ses compagnes et les Disciples.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXV.
MÉDITATION SUR LA DESCENTE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
AUX ENFERS LE JOUR DU SABBAT.
Nous avons maintenant à considérer ce que Notre Seigneur a fait le jour du Sabbat. Aussitôt après sa mort, il descendit aux Enfers pour y visiter les saints Patriarches ( Abraham, Moise, ect) qui furent alors comblés de gloire ; car la gloire parfaite consiste à voir le Seigneur. Arrêtez-vous donc ici à contempler quel excès de bonté, de charité et d'humilité porta Jésus à descendre aux Enfers. Il pouvait , en effet , se contenter d'envoyer un Ange pour délivrer tous ses serviteurs et les lui présenter où il aurait voulu ; mais cela n'aurait satisfait ni son amour infini , ni son humilité. Aussi ce Roi de l'univers alla-t-il en personne les visiter non comme des sujets , mais comme des amis; et il demeura avec eux jusqu'au Dimanche un peu avant l'aurore. Réfléchissez sérieusement à toutes ces choses , admirez-les et tâchez de les imiter.
Or, à l'arrivée de Notre Seigneur, les saints Patriarches furent comblés de joie, remplis d'ineffables consolations , délivrés de toutes leurs peines, et ils entonnèrent en sa présence des Cantiques de louanges que vous pouvez méditer de la manière suivante.
Représentez-vous les saints Personnages revêtus de leurs corps comme ils le seront après leur résurrection; représentez-vous de même l'âme très-parfaite de Notre Seigneur. Dès que leurs pressentiments les eurent avertis de son bienheureux avènement, ils coururent avec joie au-devant de lui , s'encourageant réciproquement par ces paroles : Béni soit le Seigneur , le Dieu d'Israël , qui a daigné visiter et racheter son peuple , etc. — Levez la tête , car votre Rédempteur approche. — Levez-vous , levez-vous Jérusalem, rompez les liens de votre captivité; voilà le Sauveur qui vient briser vos chaînes. — Élevez-vous, portes éternelles, et laissez entrer le Roi de gloire.
Nous vous adorons , ô Christ, et nous vous bénissons , O Dieu qui nous avez tant aimés. Et se prosternant devant lui , ils l'adorèrent dans les transports de la joie et de l'allégresse. Mais considérez avec quels respects, quelle vive satisfaction et quel air de ravissement ils se tiennent devant lui, et font entendre en sa présence les paroles que nous venons de rapporter , et comment , jusqu'au point du jour du Dimanche , ils ne cessèrent de répéter dans les limbes ces Cantiques de louanges et de jubilation auxquels s'unissaient les joyeux concerts d'une multitude innombrable d'Anges qui habitaient avec eux ce séjour.
Alors Notre Seigneur sortant plein de joie des Enfers avec cette brillante escorte qu'il précède en triomphateur, les fait entrer dans le Paradis de délices. Mais après avoir agréablement passé quelque temps avec eux , avec Elie et Énoch qui le reconnurent, il leur dit : « Voici le moment de ressusciter mon corps, je retourne sur la terre, pour m'en revêtir de nouveau. » Tous alors se prosternent devant lui en disant : « Allez, O Roi de gloire, et revenez bientôt parmi nous, s'il vous plait, car nous désirons ardemment de contempler votre corps glorieux. »
Voilà donc ce qui , le jour du Sabbat , peut être la matière des méditations que vous ferez sur Notre Seigneur Jésus-Christ , sur sa sainte Mère, ses Disciples et les St. Patriarches. Mais comme, pour fixer uniquement votre esprit sur la Passion de Notre Seigneur, je vous en ai rapidement fait parcourir toutes les circonstances sans mêler à mon récit aucune citation , j'ai pensé qu'il convenait d'en produire maintenant quelques-unes, afin que la lecture de ces passages vous excitât à méditer avec plus de ferveur et de piété sur les sujets que je vous ai proposés. Voici donc quelques pensées que, suivant mon habitude, j'emprunte à saint Bernard. « (1) Vous devez consacrer toute votre vie à Jésus-Christ, parce qu'il a donné sa vie pour vous , et qu'il a supporté les plus affreux tourments, afin de vous arracher aux supplices éternels.
(1) Serm. 11 , sup. cant.
En effet, quand même il me serait donné de compter autant de jours qu'en obtiendront ensemble tous les enfants d'Adam , autant qu'il s'en écoulera jusqu'à la fin du monde, de pouvoir exécuter les travaux de tous les hommes qui ont vécu , qui vivent et qui vivront sur la terre, tout cela ne serait rien en comparaison de ce Corps qui est, même aux yeux des vertus célestes , si merveilleux et si admirable , soit par sa Conception du Saint-Esprit et sa Naissance de la Vierge Marie , soit par l'innocence de sa vie , la multitude de ses enseignements , l'éclat de ses miracles et la révélation des mystères renfermés dans ses Sacrements.
Autant donc les Cieux sont élevés au-dessus de la terre , autant la vie de Jésus-Christ est supérieure à la nôtre ; et cette vie , il l'a donnée pour nous. Et comme il n'y a aucune comparaison à faire entre le néant et l'être , il n'y a aussi aucune proportion entre notre vie et la sienne , puisqu'on ne peut rien ajouter ni à la dignité de l'une, ni à la misère de l'autre. Lors donc que je lui donne tout ce qui est en mon pouvoir, mon offrande n'est-elle pas, par rapport a lui , comme l'étoile est au soleil , la goutte d'eau à la mer, une petite pierre à une montagne , un simple grain à un énorme monceau de blé. »....
« (1) L'anéantissement de Jésus-Christ n'a point été ordinaire et limité; car il s'est anéanti jusqu'à la chair, jusqu'à la mort et la mort de la Croix. O abîme d'humilité , de bonté et de condescendance ! qui pourra jamais sonder ta profondeur ?
(1) Serm. 11, sup. cant.
Qui pourra concevoir que le Dieu de Majesté ait voulu être revêtu de notre chair , condamné à la mort et déshonoré par le supplice de la Croix ? Mais, pourrait-on dire, le Créateur n'a-t-il pu réparer son ouvrage sans recourir à de tels extrémités ? Il l'a pu sans doute , mais il a préféré prendre le moyen qui lui coûtait davantage , afin de ne laisser à l'homme aucune occasion de tomber dans le détestable et abominable vice de l'ingratitude. En effet, s'il s'est lassé dans les plus rudes travaux, c'était pour obliger l'homme à l'aimer davantage et pour que la difficulté de la Rédemption excitât la reconnaissance dans un cœur qu'une condition primitivement plus heureuse avait rendu moins dévoué à son bienfaiteur.
Car, que disait l'homme ingrat après sa création? Mon existence est, je l'avoue, un don purement gratuit, mais elle n'a coûté ni peine ni travail à l'auteur de mon être; (1) Dieu a dit une parole, et je suis sorti du néant comme les autres créatures. (2) Mais l'iniquité a été réduite au silence. O homme, n'est-il pas plus clair que le jour que Dieu s'est prodigué pour toi de toutes les manières ?
Maitre souverain, il s'est fait esclave ; riche, il s'est fait pauvre; Verbe éternel, il s'est fait chair; Fils de Dieu, il n'a pas dédaigné de se faire Fils de l'homme. Pour vous, n'oubliez pas que si vous avez été fait de rien , vous n'avez pas été racheté pour rien. Dieu en six jours a créé toutes choses , et vous êtes l'une de ces créatures. Mais il a passé trente années entières sur la terre pour opérer notre salut ! 0 combien il lui en a coûté pour supporter les nécessités de la chair et les tentations de l'ennemi du salut! N'a-t-il pas ajouté à ces maux , n'y a-t-il pas mis le comble par les horreurs de sa mort ? (3) Bon Jésus ! l'œuvre de ma Rédemption , calice amer que vous avez bu jusqu'à la lie, vous rend à mes yeux plus aimable que tout ce qu'il y a dans le monde.
(1) Psaume 140. — (2) Ps. 62. — (3) Serm. 20, sup. cant.
Ce bienfait vous donne à juste titre tous les droits à notre amour. Oui , voilà ce qui attire plus doucement notre dévotion , ce qui la commande plus impérieusement, ce qui en serre plus étroitement les liens, ce qui en imprime plus profondément en nous les sentiments. Car c'est par les plus rudes travaux que notre Sauveur a opéré notre Rédemption, et il en a beaucoup moins coûté à l'auteur de la nature pour la création de tout l'univers. Quand il a créé le monde, (1) il a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé : mais quand il a racheté l'homme, il a été contredit dans toutes ses paroles , censuré dans toutes ses actions , moqué dans tous ses tourments, outragé jusque dans sa mort. »
« (2) Pour comble de sa charité , Jésus-Christ s'est livré à la mort , il a tiré de la plaie de son côté de quoi satisfaire à la justice de son Père irrité ; et c'est ainsi qu'on a pu lui appliquer ce verset : (3) Le Seigneur est plein de miséricorde et la Rédemption qu'il nous a préparée est très-abondante. Oui , vraiment abondante, car ce ne sont point quelques gouttes , ce sont des torrents de sang qui ont coulé des cinq plaies de son corps. Qu'a-t-il dû faire pour vous qu'il n'ait pas fait réellement? Vous étiez aveugle, il vous a éclairé ; esclave, il a brisé vos fers; égaré, il vous a ramené dans la voie; coupable, il vous a réconcilié avec son Père. Qui de nous refuserait de courir de bon cœur et avec joie après celui qui nous délivre du péché, dissimule nos égarements, n'a vécu que pour nous enrichir de mérites , et n'est mort que pour nous obtenir les récompenses éternelles ? Qui peut s'excuser de ne pas courir à l'odeur de ses parfums , si ce n'est celui qui n'en a jamais senti la suavité ? Cependant cette odeur de vie s'est répandue sur toute la terre ; car , dit le Psalmiste : (1)
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 22, sup. cant. — (3) Ps. 129.
Les miséricordes du Seigneur ont rempli toute la terre, et elles sont au-dessus de toutes ses œuvres. Celui donc qui ne sent point cette odeur de vie répandue en tout lieu et qui ne court point après ses parfums , est déjà mort ou du moins atteint de corruption. »
Saint Bernard dit encore : « (2) L'Épouse ne rougit point d'avoir le teint noir, quand elle sait que cette couleur a précédemment été celle de son Époux. En effet, quelle gloire pour elle de lui ressembler en quelque chose! Il n'y a donc rien de plus glorieux que d'avoir part aux opprobres de Jésus-Christ. Ce qui a fait dire à l'Apôtre dans un saint transport : (3) A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'ignominie de la Croix est délicieuse pour celui qui, par reconnaissance, met ses délices en Jésus crucifié. C'est-là ce qu'il faut entendre par la noirceur du teint; mais c'est là aussi l'image et la ressemblance de Jésus-Christ. Interrogez Isaïe, et il vous tracera son portrait tel qu'il l'a vu en esprit ; car de quel autre a-t-il pu dire : Que (4) c'est un homme de douleur, qu'il sait ce que c'est que de souffrir; qu'il est sans éclat et sans beauté.
« De quel autre entend-il parler quand il ajoute : Nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme frappé de Dieu et humilié pour ses propres péchés; il a été couvert de plaies, il a été brisé, pour nos crimes et nous avons été guéris par ses meurtrissures ?
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 25., sup cant. — (3) Gal., 6. — (4) Isaïe, 33.
Enfin puis-je craindre de dire que Jésus est noir quand saint Paul a dit : Qu'il s'était fait le péché même. En effet , considérez-le indignement revêtu de pauvres haillons , meurtri de coups , souillé de crachats, couvert des ombres de la mort. Y avait-il donc au monde quelque chose de plus noir et de plus affreux que ce qui s'offrit aux yeux des spectateurs au moment où Jésus-Christ cloué sur la Croix, entre deux scélérats, provoquait la dérision des méchants et tout à la fois les larmes des fidèles , de sorte que l'unique objet des railleries et des insultes était précisément celui qui pouvait seul inspirer la terreur, qui seul méritait d'être honoré. »
« (1) Le rocher offre un asile au hérisson; et où les infirmes peuvent-ils trouver un lieu de repos plus sûr et plus inviolable que dans les plaies du Sauveur? Je m'y réfugie avec une sécurité proportionnée au pouvoir qu'il a de me sauver. Le monde frémit de rage, la chair me presse de son aiguillon, le démon me tend des pièges , mais je demeure inébranlable ; car je suis solidement établi sur la pierre ferme. J'ai commis une faute énorme; ma conscience en sera troublée, mais non pas désespérée, parce que je me
souviendrai des plaies de mon Sauveur; car il a été blessé pour nos iniquités. Y a-t-il donc un pécheur si exposé à périr que ne puisse sauver la mort de Jésus-Christ? Ces clous, ces plaies nous crient que Dieu est vraiment dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. La lance a transpercé son âme, pénétré jusqu'à son cœur, afin qu'il sache toujours compatir à toutes nos infirmités.
Les plaies de ce corps adorable nous découvrent les plus intimes secrets de son cœur, le profond mystère et (2) les entrailles de la miséricorde de notre Dieu par lesquelles ce Soleil levant est venu d'en haut nous visiter. Et, en effet , que peut-on voir à travers ses blessures, si ce n'est ses miséricordieuses entrailles? Et par quelles preuves plus éclatantes pouvez-vous , Seigneur, nous convaincre que vous êtes plein de bonté , de douceur et d'une miséricorde infinie? Car nul ne peut se montrer plus miséricordieux que Celui qui donne sa vie pour des coupables condamnés à la mort. »
Sermon 61 , super cant. — (2) Cant. Zach. Luc.
Saint Bernard dit encore autre part : « Méditez les douleurs de Jésus crucifié et voyez si toutes les parties de son corps ne plaident pas en votre faveur auprès de son Père. C'est pour vous que cette tête sacrée, hérissée d'un si grand nombre d'épines , est percée jusqu'au crâne , pendant qu'une pointe plus cruelle a pénétré jusqu'au cœur ; car, dit le Seigneur par un Prophète : Ce peuple m'a fait, de ses péchés, une couronne d'épines , pour épargner des douleurs à votre tête et des souvenirs trop pénibles à votre esprit ; les yeux de Jésus se sont obscurcis à sa mort , et ces deux luminaires qui éclairent le monde entier se sont éteints à ce moment suprême. Le voile de ténèbres qui couvrit alors ses yeux ne s'étendit-il pas aussi sur toute la terre , et ces deux luminaires ne s'éteignirent-ils point avec ceux de la nature? Or tout cela se fit afin que vos yeux se détournent des choses vaines pour ne pas les voir, et que, s'ils les voient , ils ne s'y attachent pas. Les oreilles de Jésus qui entendent répéter dans le Ciel : Saint, saint, saint est le Dieu des armées , entendent dire sur la terre: (1) Vous êtes possédé du démon; et vociférer : (2) Crucifiez-le, crucifiez-le.
(1) Jean, 7. — (2) Jean, 19.
Et pourquoi tout cela? Afin que vos oreilles ne soient jamais fermées aux cris de l'indigence, qu'elles ne s'ouvrent point aux discours inutiles, et qu'elles ne reçoivent jamais le poison de la détraction . Cette face adorable (1), cette face du plus beau des enfants des hommes est couverte de crachats, meurtrie de soufflets, condamnée à tous les outrages. Car voici ce qui est écrit au sujet de Jésus : (2) Ils se mirent à lui cracher au visage, à lui donner des soufflets et à se moquer de lui en disant : Prophétise et dis-nous qui t'a frappé? Pourquoi ces horribles traitements? Pour obtenir que la lumière céleste brille sur votre front, qu'en y éclatant elle y établisse une sainte assurance et qu'on puisse alors dire de vous : (3) Son visage est inaltérable.
Cette bouche sacrée organe de tant d'enseignements pour les Anges, de tant d'instructions pour les hommes , dont la parole puissante a opéré tant de prodiges , cette bouche est abreuvée de fiel et de vinaigre pour que la vôtre devienne l'organe de la vérité et de la justice , et publie les louanges de son Dieu. Ces mains puissantes qui ont fondé les Cieux, sont attachées à la Croix et cruellement percées de clous pour que les vôtres, en s'étendant vers l'indigent, vous autorisent à dire avec le Psalmiste : (4) Je tiens toujours mon âme entre mes mains. Or, ce que l'on tient dans les mains ne s'oublie pas aisément. Ainsi celui qui applique son âme à quelques bonnes œuvres ne l'a certainement pas mise en oubli.
(1) Ps. 44. — (2) Matt.,26. — (3) 1 Rois., 1. — (4) Ps. 118.
Ce Cœur adorable dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu est ouvert par la lance du soldat pour que le vôtre se purifie de ses coupables affections , qu` en se purifiant il se sanctifie et qu'en se sanctifiant il se conserve pour la vie éternelle. Ces saints pieds dont l'escabeau mérite nos adorations, parce qu'il est saint lui-même, sont cruellement percés et cloués à la Croix afin que les vôtres ne se précipitent pas dans la voie de l'iniquité, mais qu'ils courent dans celle des commandements du Seigneur. Que dirai-je encore? (1) Ils ont percé mes pieds et mes mains , ils ont compté tous mes os.
(1) Psaume 28.
Jésus a livré pour vous son corps et son âme , afin d'acheter et votre corps et votre âme ; en un mot , il s'est donné tout entier pour vous recouvrer tout entier. Sortez donc maintenant, O mon âme, de votre assoupissement et secouez la poussière dont vous êtes couverte , pour contempler cet homme admirable dont tous les traits se réfléchissent dans le Miroir du récit évangélique, comme s'il était réellement présent à vos yeux. Considérez, ô mon âme, quel est celui qui vient à vous avec la Majesté d'un Roi , et néanmoins tout couvert de l'ignominie due au dernier des esclaves. Il s'avance le front couronné, mais son diadème est un supplice et sa noble tête est déchirée de milles pointes aiguës. Il est couvert de la pourpre des Rois, mais elle lui attire plus de mépris que d'honneurs. Un sceptre est dans ses mains , mais il ne sert qu'à porter à cette tête auguste les coups les plus douloureux. Des soldats se prosternent devant lui pour l'adorer, ils proclament sa Royauté , et au même instant ils se relèvent pour couvrir de crachats le visage du plus aimable des enfants des hommes. Ils déchargent sur ses joues d'horribles soufflets et couvrent d'infamie ses épaules sacrées. Voyez, ô mon âme, combien de violences et d'insultes on prodigue, et de toutes les manières, à un tel personnage ! On lui commande de se courber sous le pesant fardeau de la Croix et de porter les insignes de son déshonneur. Parvenu au lieu du supplice, on l'abreuve de fiel et de vinaigre. On l'élève en Croix, et il s'écrie : (1) Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quel est donc Celui qui , au milieu de traitements si horribles, n'ouvre pas une seule fois la bouche pour adresser à ces tigres furieux quelques plaintes , quelques excuses , quelques menaces ou quelques malédictions, mais qui, après tant d'indignités , répand sur ses injustes persécuteurs des paroles de bénédictions que nul avant lui n'avait fait entendre?
(1) Luc, 23.
Connaissez-vous , O mon âme, quelqu'un de plus doux, de meilleur que cet homme admirable? Mais considérez-le a plus attentivement encore , et il vous paraîtra digne de la plus grande admiration et de la compassion la plus tendre. Voyez-le nu et déchiré, entre deux voleurs , ignominieusement fixé à la Croix par des clous , abreuvé de vinaigre sur ce lit de douleur, percé par la lance après sa mort et répandant à grands flots son sang par les cinq plaies de ses mains , de ses pieds et de son côté. Pleurez, mes yeux; et vous, 0 mon âme , laissez-vous attendrir de compassion sur les maux affreux dont est accablé le plus aimable des enfants des hommes , qui supporte tant de douleurs avec une si admirable mansuétude. »
« Seigneur très-saint , Père tout-puissant , du fond de votre sanctuaire et du haut du trône que vous occupez dans les Cieux , daignez abaisser vos regards sur la sainte et adorable victime que le grand Pontife de la loi nouvelle, Jésus-Christ votre Fils et Notre Seigneur, vous offre pour les péchés de ses frères et pardonnez-nous la multitude de nos offenses. Voici que la voix du sang de notre Frère Jésus est montée vers vous de la Croix en criant : J'ai été couronné de gloire et d'honneur. Assis à la droite de votre Majesté , il s'offre sans cesse devant vous en notre faveur, car il est notre frère et nous sommes une même chair avec lui. »
«Regardez, Seigneur, la face de votre Christ qui s'est montré obéissant jusqu'à la mort , et ne détournez jamais vos yeux des cicatrices de ses plaies , afin de vous souvenir sans cesse de la satisfaction surabondante qu'il vous a offerte pour nos péchés. Plaise à votre bonté, Seigneur, que le poids des iniquités par lesquelles nous avons provoqué votre indignation soit, dans la balance de votre justice, comparé à celui des maux affreux que votre Fils innocent a soufferts pour nous ! Oh ! alors , en considération de tant de souffrances, il vous paraîtra sûrement plus convenable et plus digne de vous de répandre sur nous les flots de vos miséricordes que d'en retenir l'abondante effusion en vue des péchés qui ont excité votre colère. Seigneur, notre Père, que toute langue vous bénisse de la bonté infinie qui vous a porté à ne pas épargner votre Fils unique- et bien-aimé , mais à le livrer pour nous à la mort , afin que nous eussions auprès de vous dans le Ciel un si digne et si fidèle avocat. »
Et vous , Seigneur Jésus , généreux zélateur de mon âme, quelle reconnaissance, quelles actions de grâces proportionnées à vos bienfaits puis-je vous offrir, moi qui ne suis qu'un homme , cendre , poussière et la plus indigne de vos créatures. En effet qu'avez-vous dû faire pour mon salut que vous n'ayez réellement opéré? Pour me retirer entièrement de l'abîme de tous les maux, vous vous êtes vous-même plongé tout entier dans une mer de douleurs dont les eaux amères ont pénétré jusqu'à votre âme. En vous livrant à la mort, vous avez perdu votre âme pour me rendre la mienne que j'avais perdue par le péché. J'ai contracté avec vous une double dette; car je vous suis redevable et de ce que j'ai reçu de vous et de ce que vous avez sacrifié pour moi; la vie même que je tiens de vous, vous me l'avez donnée deux fois, l'une par ma création, l'autre par ma rédemption.
Le sacrifice de cette même vie est le seul moyen que j'aie de m'acquitter exactement envers vous. Mais je ne sais ce que l'homme peut convenablement vous rendre pour le prix inestimable de votre âme livrée à tant de trouble et d'angoisse. En effet, quand il me serait possible de vous offrir le ciel , la terre et toutes leurs magnificences , tout cela n'aurait certainement aucune proportion avec ce que je vous dois. Mais c'est à vous, Seigneur, à me donner de quoi m'acquitter envers vous autant que je le dois et qu'il m'est possible. Je dois vous aimer de tout mon cœur, de tout mon esprit, de toute mon âme, de toutes mes forces. Je dois marcher sur vos traces , ô vous qui avez daigné mourir pour moi ; or , comment , sans votre secours , puis-je remplir ces obligations? Mon âme s'attache entièrement à vous , car elle ne peut absolument rien sans vous. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous connaissez maintenant tout ce que saint Bernard a , dans un style enchanteur qui lui est si familier, laisse échapper de plus suave et de plus touchant sur la Passion de Notre Seigneur. Ne recevez pas en vain cette grâce; mais plutôt, que ces paroles vous excitent à méditer fréquemment de tout votre cœur et de toutes ses affections la Passion de Notre Seigneur, parce qu'il est reconnu que cette méditation est bien préférable à toutes celles que l'on peut faire sur sa vie. Mais occupons-nous maintenant de sa Résurrection.
MÉDITATION SUR LA DESCENTE DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
AUX ENFERS LE JOUR DU SABBAT.
Nous avons maintenant à considérer ce que Notre Seigneur a fait le jour du Sabbat. Aussitôt après sa mort, il descendit aux Enfers pour y visiter les saints Patriarches ( Abraham, Moise, ect) qui furent alors comblés de gloire ; car la gloire parfaite consiste à voir le Seigneur. Arrêtez-vous donc ici à contempler quel excès de bonté, de charité et d'humilité porta Jésus à descendre aux Enfers. Il pouvait , en effet , se contenter d'envoyer un Ange pour délivrer tous ses serviteurs et les lui présenter où il aurait voulu ; mais cela n'aurait satisfait ni son amour infini , ni son humilité. Aussi ce Roi de l'univers alla-t-il en personne les visiter non comme des sujets , mais comme des amis; et il demeura avec eux jusqu'au Dimanche un peu avant l'aurore. Réfléchissez sérieusement à toutes ces choses , admirez-les et tâchez de les imiter.
Or, à l'arrivée de Notre Seigneur, les saints Patriarches furent comblés de joie, remplis d'ineffables consolations , délivrés de toutes leurs peines, et ils entonnèrent en sa présence des Cantiques de louanges que vous pouvez méditer de la manière suivante.
Représentez-vous les saints Personnages revêtus de leurs corps comme ils le seront après leur résurrection; représentez-vous de même l'âme très-parfaite de Notre Seigneur. Dès que leurs pressentiments les eurent avertis de son bienheureux avènement, ils coururent avec joie au-devant de lui , s'encourageant réciproquement par ces paroles : Béni soit le Seigneur , le Dieu d'Israël , qui a daigné visiter et racheter son peuple , etc. — Levez la tête , car votre Rédempteur approche. — Levez-vous , levez-vous Jérusalem, rompez les liens de votre captivité; voilà le Sauveur qui vient briser vos chaînes. — Élevez-vous, portes éternelles, et laissez entrer le Roi de gloire.
Nous vous adorons , ô Christ, et nous vous bénissons , O Dieu qui nous avez tant aimés. Et se prosternant devant lui , ils l'adorèrent dans les transports de la joie et de l'allégresse. Mais considérez avec quels respects, quelle vive satisfaction et quel air de ravissement ils se tiennent devant lui, et font entendre en sa présence les paroles que nous venons de rapporter , et comment , jusqu'au point du jour du Dimanche , ils ne cessèrent de répéter dans les limbes ces Cantiques de louanges et de jubilation auxquels s'unissaient les joyeux concerts d'une multitude innombrable d'Anges qui habitaient avec eux ce séjour.
Alors Notre Seigneur sortant plein de joie des Enfers avec cette brillante escorte qu'il précède en triomphateur, les fait entrer dans le Paradis de délices. Mais après avoir agréablement passé quelque temps avec eux , avec Elie et Énoch qui le reconnurent, il leur dit : « Voici le moment de ressusciter mon corps, je retourne sur la terre, pour m'en revêtir de nouveau. » Tous alors se prosternent devant lui en disant : « Allez, O Roi de gloire, et revenez bientôt parmi nous, s'il vous plait, car nous désirons ardemment de contempler votre corps glorieux. »
Voilà donc ce qui , le jour du Sabbat , peut être la matière des méditations que vous ferez sur Notre Seigneur Jésus-Christ , sur sa sainte Mère, ses Disciples et les St. Patriarches. Mais comme, pour fixer uniquement votre esprit sur la Passion de Notre Seigneur, je vous en ai rapidement fait parcourir toutes les circonstances sans mêler à mon récit aucune citation , j'ai pensé qu'il convenait d'en produire maintenant quelques-unes, afin que la lecture de ces passages vous excitât à méditer avec plus de ferveur et de piété sur les sujets que je vous ai proposés. Voici donc quelques pensées que, suivant mon habitude, j'emprunte à saint Bernard. « (1) Vous devez consacrer toute votre vie à Jésus-Christ, parce qu'il a donné sa vie pour vous , et qu'il a supporté les plus affreux tourments, afin de vous arracher aux supplices éternels.
(1) Serm. 11 , sup. cant.
En effet, quand même il me serait donné de compter autant de jours qu'en obtiendront ensemble tous les enfants d'Adam , autant qu'il s'en écoulera jusqu'à la fin du monde, de pouvoir exécuter les travaux de tous les hommes qui ont vécu , qui vivent et qui vivront sur la terre, tout cela ne serait rien en comparaison de ce Corps qui est, même aux yeux des vertus célestes , si merveilleux et si admirable , soit par sa Conception du Saint-Esprit et sa Naissance de la Vierge Marie , soit par l'innocence de sa vie , la multitude de ses enseignements , l'éclat de ses miracles et la révélation des mystères renfermés dans ses Sacrements.
Autant donc les Cieux sont élevés au-dessus de la terre , autant la vie de Jésus-Christ est supérieure à la nôtre ; et cette vie , il l'a donnée pour nous. Et comme il n'y a aucune comparaison à faire entre le néant et l'être , il n'y a aussi aucune proportion entre notre vie et la sienne , puisqu'on ne peut rien ajouter ni à la dignité de l'une, ni à la misère de l'autre. Lors donc que je lui donne tout ce qui est en mon pouvoir, mon offrande n'est-elle pas, par rapport a lui , comme l'étoile est au soleil , la goutte d'eau à la mer, une petite pierre à une montagne , un simple grain à un énorme monceau de blé. »....
« (1) L'anéantissement de Jésus-Christ n'a point été ordinaire et limité; car il s'est anéanti jusqu'à la chair, jusqu'à la mort et la mort de la Croix. O abîme d'humilité , de bonté et de condescendance ! qui pourra jamais sonder ta profondeur ?
(1) Serm. 11, sup. cant.
Qui pourra concevoir que le Dieu de Majesté ait voulu être revêtu de notre chair , condamné à la mort et déshonoré par le supplice de la Croix ? Mais, pourrait-on dire, le Créateur n'a-t-il pu réparer son ouvrage sans recourir à de tels extrémités ? Il l'a pu sans doute , mais il a préféré prendre le moyen qui lui coûtait davantage , afin de ne laisser à l'homme aucune occasion de tomber dans le détestable et abominable vice de l'ingratitude. En effet, s'il s'est lassé dans les plus rudes travaux, c'était pour obliger l'homme à l'aimer davantage et pour que la difficulté de la Rédemption excitât la reconnaissance dans un cœur qu'une condition primitivement plus heureuse avait rendu moins dévoué à son bienfaiteur.
Car, que disait l'homme ingrat après sa création? Mon existence est, je l'avoue, un don purement gratuit, mais elle n'a coûté ni peine ni travail à l'auteur de mon être; (1) Dieu a dit une parole, et je suis sorti du néant comme les autres créatures. (2) Mais l'iniquité a été réduite au silence. O homme, n'est-il pas plus clair que le jour que Dieu s'est prodigué pour toi de toutes les manières ?
Maitre souverain, il s'est fait esclave ; riche, il s'est fait pauvre; Verbe éternel, il s'est fait chair; Fils de Dieu, il n'a pas dédaigné de se faire Fils de l'homme. Pour vous, n'oubliez pas que si vous avez été fait de rien , vous n'avez pas été racheté pour rien. Dieu en six jours a créé toutes choses , et vous êtes l'une de ces créatures. Mais il a passé trente années entières sur la terre pour opérer notre salut ! 0 combien il lui en a coûté pour supporter les nécessités de la chair et les tentations de l'ennemi du salut! N'a-t-il pas ajouté à ces maux , n'y a-t-il pas mis le comble par les horreurs de sa mort ? (3) Bon Jésus ! l'œuvre de ma Rédemption , calice amer que vous avez bu jusqu'à la lie, vous rend à mes yeux plus aimable que tout ce qu'il y a dans le monde.
(1) Psaume 140. — (2) Ps. 62. — (3) Serm. 20, sup. cant.
Ce bienfait vous donne à juste titre tous les droits à notre amour. Oui , voilà ce qui attire plus doucement notre dévotion , ce qui la commande plus impérieusement, ce qui en serre plus étroitement les liens, ce qui en imprime plus profondément en nous les sentiments. Car c'est par les plus rudes travaux que notre Sauveur a opéré notre Rédemption, et il en a beaucoup moins coûté à l'auteur de la nature pour la création de tout l'univers. Quand il a créé le monde, (1) il a dit et tout a été fait; il a commandé et tout a été créé : mais quand il a racheté l'homme, il a été contredit dans toutes ses paroles , censuré dans toutes ses actions , moqué dans tous ses tourments, outragé jusque dans sa mort. »
« (2) Pour comble de sa charité , Jésus-Christ s'est livré à la mort , il a tiré de la plaie de son côté de quoi satisfaire à la justice de son Père irrité ; et c'est ainsi qu'on a pu lui appliquer ce verset : (3) Le Seigneur est plein de miséricorde et la Rédemption qu'il nous a préparée est très-abondante. Oui , vraiment abondante, car ce ne sont point quelques gouttes , ce sont des torrents de sang qui ont coulé des cinq plaies de son corps. Qu'a-t-il dû faire pour vous qu'il n'ait pas fait réellement? Vous étiez aveugle, il vous a éclairé ; esclave, il a brisé vos fers; égaré, il vous a ramené dans la voie; coupable, il vous a réconcilié avec son Père. Qui de nous refuserait de courir de bon cœur et avec joie après celui qui nous délivre du péché, dissimule nos égarements, n'a vécu que pour nous enrichir de mérites , et n'est mort que pour nous obtenir les récompenses éternelles ? Qui peut s'excuser de ne pas courir à l'odeur de ses parfums , si ce n'est celui qui n'en a jamais senti la suavité ? Cependant cette odeur de vie s'est répandue sur toute la terre ; car , dit le Psalmiste : (1)
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 22, sup. cant. — (3) Ps. 129.
Les miséricordes du Seigneur ont rempli toute la terre, et elles sont au-dessus de toutes ses œuvres. Celui donc qui ne sent point cette odeur de vie répandue en tout lieu et qui ne court point après ses parfums , est déjà mort ou du moins atteint de corruption. »
Saint Bernard dit encore : « (2) L'Épouse ne rougit point d'avoir le teint noir, quand elle sait que cette couleur a précédemment été celle de son Époux. En effet, quelle gloire pour elle de lui ressembler en quelque chose! Il n'y a donc rien de plus glorieux que d'avoir part aux opprobres de Jésus-Christ. Ce qui a fait dire à l'Apôtre dans un saint transport : (3) A Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu'en la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. L'ignominie de la Croix est délicieuse pour celui qui, par reconnaissance, met ses délices en Jésus crucifié. C'est-là ce qu'il faut entendre par la noirceur du teint; mais c'est là aussi l'image et la ressemblance de Jésus-Christ. Interrogez Isaïe, et il vous tracera son portrait tel qu'il l'a vu en esprit ; car de quel autre a-t-il pu dire : Que (4) c'est un homme de douleur, qu'il sait ce que c'est que de souffrir; qu'il est sans éclat et sans beauté.
« De quel autre entend-il parler quand il ajoute : Nous l'avons considéré comme un lépreux , comme un homme frappé de Dieu et humilié pour ses propres péchés; il a été couvert de plaies, il a été brisé, pour nos crimes et nous avons été guéris par ses meurtrissures ?
(1) Ps. 32. — (2) Serm. 25., sup cant. — (3) Gal., 6. — (4) Isaïe, 33.
Enfin puis-je craindre de dire que Jésus est noir quand saint Paul a dit : Qu'il s'était fait le péché même. En effet , considérez-le indignement revêtu de pauvres haillons , meurtri de coups , souillé de crachats, couvert des ombres de la mort. Y avait-il donc au monde quelque chose de plus noir et de plus affreux que ce qui s'offrit aux yeux des spectateurs au moment où Jésus-Christ cloué sur la Croix, entre deux scélérats, provoquait la dérision des méchants et tout à la fois les larmes des fidèles , de sorte que l'unique objet des railleries et des insultes était précisément celui qui pouvait seul inspirer la terreur, qui seul méritait d'être honoré. »
« (1) Le rocher offre un asile au hérisson; et où les infirmes peuvent-ils trouver un lieu de repos plus sûr et plus inviolable que dans les plaies du Sauveur? Je m'y réfugie avec une sécurité proportionnée au pouvoir qu'il a de me sauver. Le monde frémit de rage, la chair me presse de son aiguillon, le démon me tend des pièges , mais je demeure inébranlable ; car je suis solidement établi sur la pierre ferme. J'ai commis une faute énorme; ma conscience en sera troublée, mais non pas désespérée, parce que je me
souviendrai des plaies de mon Sauveur; car il a été blessé pour nos iniquités. Y a-t-il donc un pécheur si exposé à périr que ne puisse sauver la mort de Jésus-Christ? Ces clous, ces plaies nous crient que Dieu est vraiment dans Jésus-Christ se réconciliant le monde. La lance a transpercé son âme, pénétré jusqu'à son cœur, afin qu'il sache toujours compatir à toutes nos infirmités.
Les plaies de ce corps adorable nous découvrent les plus intimes secrets de son cœur, le profond mystère et (2) les entrailles de la miséricorde de notre Dieu par lesquelles ce Soleil levant est venu d'en haut nous visiter. Et, en effet , que peut-on voir à travers ses blessures, si ce n'est ses miséricordieuses entrailles? Et par quelles preuves plus éclatantes pouvez-vous , Seigneur, nous convaincre que vous êtes plein de bonté , de douceur et d'une miséricorde infinie? Car nul ne peut se montrer plus miséricordieux que Celui qui donne sa vie pour des coupables condamnés à la mort. »
Sermon 61 , super cant. — (2) Cant. Zach. Luc.
Saint Bernard dit encore autre part : « Méditez les douleurs de Jésus crucifié et voyez si toutes les parties de son corps ne plaident pas en votre faveur auprès de son Père. C'est pour vous que cette tête sacrée, hérissée d'un si grand nombre d'épines , est percée jusqu'au crâne , pendant qu'une pointe plus cruelle a pénétré jusqu'au cœur ; car, dit le Seigneur par un Prophète : Ce peuple m'a fait, de ses péchés, une couronne d'épines , pour épargner des douleurs à votre tête et des souvenirs trop pénibles à votre esprit ; les yeux de Jésus se sont obscurcis à sa mort , et ces deux luminaires qui éclairent le monde entier se sont éteints à ce moment suprême. Le voile de ténèbres qui couvrit alors ses yeux ne s'étendit-il pas aussi sur toute la terre , et ces deux luminaires ne s'éteignirent-ils point avec ceux de la nature? Or tout cela se fit afin que vos yeux se détournent des choses vaines pour ne pas les voir, et que, s'ils les voient , ils ne s'y attachent pas. Les oreilles de Jésus qui entendent répéter dans le Ciel : Saint, saint, saint est le Dieu des armées , entendent dire sur la terre: (1) Vous êtes possédé du démon; et vociférer : (2) Crucifiez-le, crucifiez-le.
(1) Jean, 7. — (2) Jean, 19.
Et pourquoi tout cela? Afin que vos oreilles ne soient jamais fermées aux cris de l'indigence, qu'elles ne s'ouvrent point aux discours inutiles, et qu'elles ne reçoivent jamais le poison de la détraction . Cette face adorable (1), cette face du plus beau des enfants des hommes est couverte de crachats, meurtrie de soufflets, condamnée à tous les outrages. Car voici ce qui est écrit au sujet de Jésus : (2) Ils se mirent à lui cracher au visage, à lui donner des soufflets et à se moquer de lui en disant : Prophétise et dis-nous qui t'a frappé? Pourquoi ces horribles traitements? Pour obtenir que la lumière céleste brille sur votre front, qu'en y éclatant elle y établisse une sainte assurance et qu'on puisse alors dire de vous : (3) Son visage est inaltérable.
Cette bouche sacrée organe de tant d'enseignements pour les Anges, de tant d'instructions pour les hommes , dont la parole puissante a opéré tant de prodiges , cette bouche est abreuvée de fiel et de vinaigre pour que la vôtre devienne l'organe de la vérité et de la justice , et publie les louanges de son Dieu. Ces mains puissantes qui ont fondé les Cieux, sont attachées à la Croix et cruellement percées de clous pour que les vôtres, en s'étendant vers l'indigent, vous autorisent à dire avec le Psalmiste : (4) Je tiens toujours mon âme entre mes mains. Or, ce que l'on tient dans les mains ne s'oublie pas aisément. Ainsi celui qui applique son âme à quelques bonnes œuvres ne l'a certainement pas mise en oubli.
(1) Ps. 44. — (2) Matt.,26. — (3) 1 Rois., 1. — (4) Ps. 118.
Ce Cœur adorable dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu est ouvert par la lance du soldat pour que le vôtre se purifie de ses coupables affections , qu` en se purifiant il se sanctifie et qu'en se sanctifiant il se conserve pour la vie éternelle. Ces saints pieds dont l'escabeau mérite nos adorations, parce qu'il est saint lui-même, sont cruellement percés et cloués à la Croix afin que les vôtres ne se précipitent pas dans la voie de l'iniquité, mais qu'ils courent dans celle des commandements du Seigneur. Que dirai-je encore? (1) Ils ont percé mes pieds et mes mains , ils ont compté tous mes os.
(1) Psaume 28.
Jésus a livré pour vous son corps et son âme , afin d'acheter et votre corps et votre âme ; en un mot , il s'est donné tout entier pour vous recouvrer tout entier. Sortez donc maintenant, O mon âme, de votre assoupissement et secouez la poussière dont vous êtes couverte , pour contempler cet homme admirable dont tous les traits se réfléchissent dans le Miroir du récit évangélique, comme s'il était réellement présent à vos yeux. Considérez, ô mon âme, quel est celui qui vient à vous avec la Majesté d'un Roi , et néanmoins tout couvert de l'ignominie due au dernier des esclaves. Il s'avance le front couronné, mais son diadème est un supplice et sa noble tête est déchirée de milles pointes aiguës. Il est couvert de la pourpre des Rois, mais elle lui attire plus de mépris que d'honneurs. Un sceptre est dans ses mains , mais il ne sert qu'à porter à cette tête auguste les coups les plus douloureux. Des soldats se prosternent devant lui pour l'adorer, ils proclament sa Royauté , et au même instant ils se relèvent pour couvrir de crachats le visage du plus aimable des enfants des hommes. Ils déchargent sur ses joues d'horribles soufflets et couvrent d'infamie ses épaules sacrées. Voyez, ô mon âme, combien de violences et d'insultes on prodigue, et de toutes les manières, à un tel personnage ! On lui commande de se courber sous le pesant fardeau de la Croix et de porter les insignes de son déshonneur. Parvenu au lieu du supplice, on l'abreuve de fiel et de vinaigre. On l'élève en Croix, et il s'écrie : (1) Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. Quel est donc Celui qui , au milieu de traitements si horribles, n'ouvre pas une seule fois la bouche pour adresser à ces tigres furieux quelques plaintes , quelques excuses , quelques menaces ou quelques malédictions, mais qui, après tant d'indignités , répand sur ses injustes persécuteurs des paroles de bénédictions que nul avant lui n'avait fait entendre?
(1) Luc, 23.
Connaissez-vous , O mon âme, quelqu'un de plus doux, de meilleur que cet homme admirable? Mais considérez-le a plus attentivement encore , et il vous paraîtra digne de la plus grande admiration et de la compassion la plus tendre. Voyez-le nu et déchiré, entre deux voleurs , ignominieusement fixé à la Croix par des clous , abreuvé de vinaigre sur ce lit de douleur, percé par la lance après sa mort et répandant à grands flots son sang par les cinq plaies de ses mains , de ses pieds et de son côté. Pleurez, mes yeux; et vous, 0 mon âme , laissez-vous attendrir de compassion sur les maux affreux dont est accablé le plus aimable des enfants des hommes , qui supporte tant de douleurs avec une si admirable mansuétude. »
« Seigneur très-saint , Père tout-puissant , du fond de votre sanctuaire et du haut du trône que vous occupez dans les Cieux , daignez abaisser vos regards sur la sainte et adorable victime que le grand Pontife de la loi nouvelle, Jésus-Christ votre Fils et Notre Seigneur, vous offre pour les péchés de ses frères et pardonnez-nous la multitude de nos offenses. Voici que la voix du sang de notre Frère Jésus est montée vers vous de la Croix en criant : J'ai été couronné de gloire et d'honneur. Assis à la droite de votre Majesté , il s'offre sans cesse devant vous en notre faveur, car il est notre frère et nous sommes une même chair avec lui. »
«Regardez, Seigneur, la face de votre Christ qui s'est montré obéissant jusqu'à la mort , et ne détournez jamais vos yeux des cicatrices de ses plaies , afin de vous souvenir sans cesse de la satisfaction surabondante qu'il vous a offerte pour nos péchés. Plaise à votre bonté, Seigneur, que le poids des iniquités par lesquelles nous avons provoqué votre indignation soit, dans la balance de votre justice, comparé à celui des maux affreux que votre Fils innocent a soufferts pour nous ! Oh ! alors , en considération de tant de souffrances, il vous paraîtra sûrement plus convenable et plus digne de vous de répandre sur nous les flots de vos miséricordes que d'en retenir l'abondante effusion en vue des péchés qui ont excité votre colère. Seigneur, notre Père, que toute langue vous bénisse de la bonté infinie qui vous a porté à ne pas épargner votre Fils unique- et bien-aimé , mais à le livrer pour nous à la mort , afin que nous eussions auprès de vous dans le Ciel un si digne et si fidèle avocat. »
Et vous , Seigneur Jésus , généreux zélateur de mon âme, quelle reconnaissance, quelles actions de grâces proportionnées à vos bienfaits puis-je vous offrir, moi qui ne suis qu'un homme , cendre , poussière et la plus indigne de vos créatures. En effet qu'avez-vous dû faire pour mon salut que vous n'ayez réellement opéré? Pour me retirer entièrement de l'abîme de tous les maux, vous vous êtes vous-même plongé tout entier dans une mer de douleurs dont les eaux amères ont pénétré jusqu'à votre âme. En vous livrant à la mort, vous avez perdu votre âme pour me rendre la mienne que j'avais perdue par le péché. J'ai contracté avec vous une double dette; car je vous suis redevable et de ce que j'ai reçu de vous et de ce que vous avez sacrifié pour moi; la vie même que je tiens de vous, vous me l'avez donnée deux fois, l'une par ma création, l'autre par ma rédemption.
Le sacrifice de cette même vie est le seul moyen que j'aie de m'acquitter exactement envers vous. Mais je ne sais ce que l'homme peut convenablement vous rendre pour le prix inestimable de votre âme livrée à tant de trouble et d'angoisse. En effet, quand il me serait possible de vous offrir le ciel , la terre et toutes leurs magnificences , tout cela n'aurait certainement aucune proportion avec ce que je vous dois. Mais c'est à vous, Seigneur, à me donner de quoi m'acquitter envers vous autant que je le dois et qu'il m'est possible. Je dois vous aimer de tout mon cœur, de tout mon esprit, de toute mon âme, de toutes mes forces. Je dois marcher sur vos traces , ô vous qui avez daigné mourir pour moi ; or , comment , sans votre secours , puis-je remplir ces obligations? Mon âme s'attache entièrement à vous , car elle ne peut absolument rien sans vous. » Tout ceci est de saint Bernard.
Vous connaissez maintenant tout ce que saint Bernard a , dans un style enchanteur qui lui est si familier, laisse échapper de plus suave et de plus touchant sur la Passion de Notre Seigneur. Ne recevez pas en vain cette grâce; mais plutôt, que ces paroles vous excitent à méditer fréquemment de tout votre cœur et de toutes ses affections la Passion de Notre Seigneur, parce qu'il est reconnu que cette méditation est bien préférable à toutes celles que l'on peut faire sur sa vie. Mais occupons-nous maintenant de sa Résurrection.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
(DIMANCHE.)
CHAPITRE LXXXVI.
DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE SEIGNEUR, ET COMMENT IL
APPARUT D'ABORD A SA MÈRE LE JOUR DU DIMANCHE.
Notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné d'une glorieuse multitude d'Esprits célestes, étant venu le Dimanche de grand matin au sépulcre, y reprit son corps très-saint ressuscité par sa propre puissance et sortit à l'instant du monument qu'il laissa fermé. Au même moment, c'est-à-dire à la pointe du jour, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, après en avoir demandé la permission à la sainte Vierge , partirent avec des aromates pour aller au sépulcre. Mais Notre-Dame demeura à la maison et fit cette prière : « Dieu de clémence, Père plein de bonté, vous le savez, mon Fils est mort, il a été attaché à la Croix entre deux voleurs, je l'ai enseveli de mes propres mains; mais, Seigneur, vous pouvez le ressusciter, et je supplie votre Majesté de le rendre à ma tendresse. Pourquoi tarde-t-il tant à venir me trouver? Rendez-le moi, je vous en conjure ; car, si je ne le vois, je ne puis goûter aucun repos. O mon cher Fils, qu'êtes-vous devenu? Que faites-vous? Qui vous retient loin de moi? Ne différez pas plus longtemps votre retour, je vous prie, car vous l'avez dit : (1) Je ressusciterai le troisième jour. Mon Fils , n'est-ce donc pas aujourd'hui ce troisième jour?»
(1) Matth., 27.
«Ce ne fut pas hier, mais avant-hier que se leva ce grand jour, ce jour plein d'amertume, ce jour de malheur et de mortelles angoisses, ce jour de ténèbres et d'obscurités, ce jour où votre mort nous sépara l'un de l'autre : c'est donc , mon Fils , aujourd'hui le troisième jour. Sortez du tombeau, ô vous qui êtes ma gloire et mon trésor, et revenez à moi. Tout mon désir est de vous revoir. Consolez par votre retour celle que votre éloignement a si douloureusement affligée. Revenez donc, mon bien-aimé. Venez , Seigneur Jésus , venez mon unique espérance , venez à moi , mon cher Fils ! »
Or, pendant qu'elle faisait cette prière que le charme de ses pleurs rendait encore plus touchante, voilà qu'apparaît tout-à-coup Notre Seigneur Jésus-Christ revêtu de vêtements d'une éclatante blancheur; la sérénité, une beauté ravissante, la gloire de sa résurrection, une douce joie éclatent sur son front, et il lui dit en se mettant tout près d'elle : « Je vous salue, ô ma sainte Mère. » Marie se retournant à l'instant : « Est-ce vous, lui dit-elle, mon Fils Jésus? » Et elle se prosterna pour l'adorer, « C'est moi-même, ô ma tendre Mère, dit Jésus; je suis ressuscité et me voici encore avec vous. » Tous deux alors se relèvent , et Marie , en répandant des larmes de joie, l'embrasse, colle son visage sur le sien, le presse fortement sur son cœur, s'abandonne entièrement entre les bras de son Fils , et Jésus la soutient avec joie.
Puis le Fils et la Mère s'étant assis, Marie observe avec attention le visage de Jésus et les cicatrices de ses mains, cherchant à s'assurer si toutes les parties de son corps n'avaient plus rien à souffrir. Jésus lui dit alors : « Ma respectable Mère, toutes les douleurs se sont éloignées de moi; j'ai vaincu la mort, la souffrance et tous les maux ; je suis désormais à l'abri de tous leurs traits. » Marie répondit : « Béni soit à jamais votre Père qui vous a rendu à mes vœux; que son nom soit loué , exalté et glorifié dans tous les siècles. » Ils prolongent un si doux et si consolant entretien, et font ensemble leur Pâque dans les transports de l'amour le plus délicieux. Jésus apprend alors à sa Mère comment il vient d'arracher son peuple à l'Enfer et tout ce qu'il a fait pendant ces trois jours. Voilà donc maintenant la Pâque par excellence.
CHAPITRE LXXXVII.
MARIE-MADELEINE ET LES DEUX AUTRES MARIE VIENNENT AU SÉPULCRE ;
PIERRE ET JEAN Y ACCOURENT.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie allaient, comme je l'ai dit, au sépulcre avec des parfums. Dès qu'elles sont hors des portes de la ville, elles rappellent à leur souvenir toutes les afflictions, toutes les souffrances de leur divin Maître, et à chaque endroit témoin de quelque action importante dont Jésus avait été la victime ou le héros, elles s'arrêtent quelques moments, fléchissent le genou, baisent la terre, puis exhalant quelques soupirs et quelques gémissements , elles disent : «C'est là que nous l'avons rencontré portant sa Croix, et qu'en le voyant sa Mère a failli mourir de douleur; ici il a adressé la parole aux femmes de Jérusalem ; là , dans son accablement , il a laissé tomber sa Croix et s'est un moment appuyé sur cette pierre; c'est ici que pour accélérer sa marche, ses bourreaux l'ont pressé avec tant d'inhumanité, tant de violence, et l'ont presque obligé de courir ; c'est là qu'on l'a dépouillé de ses vêtements et réduit à une entière nudité; c'est eu ce lieu qu'on l'a attaché à la Croix. » Et alors, poussant de grands cris et baignées de larmes, les trois Marie tombent la face contre terre, adorent et baisent la Croix encore toute rougie du sang précieux de Notre Seigneur.
Puis s'étant relevées et se dirigeant vers le sépulcre, elles se disaient entre elles : (1) Qui nous ôtera la pierre de l'entrée du sépulcre ? et levant les yeux elles virent la pierre renversée et dessus un Ange du Seigneur assis qui leur dit : Ne craignez point, et le reste ainsi qu'il est rapporté dans l'Évangile. Mais ces femmes, qui croyaient trouver là le corps de Notre Seigneur, se voyant trompées dans leur espérance et ne faisant aucune attention aux paroles de l'Ange, revinrent tout effrayées trouver les Disciples et leur dirent qu'on avait enlevé le corps de Jésus. Aussitôt Pierre et Jean courent au sépulcre. Considérez-les tous attentivement. Ces deux Apôtres courent au sépulcre; Madeleine et ses compagnes les suivent en courant ; tous courent avec empressement pour chercher leur Maître bien-aimé, l'ami de leur cœur, la vie de leur âme ; ils courent ; la fidélité, la ferveur, l'anxiété semblent leur donner des ailes. Ils arrivent au sépulcre, regardent attentivement et ne voyant au lieu du corps de Jésus que des linceuls et un suaire, ils se retirèrent. Ne leur refusez point votre compassion, car ils sont plongés dans une profonde douleur. Ils cherchent leur Maître et leurs recherches sont vaines ; et comme ils ne savent en quel lieu ils pourront le trouver, ils se retirent fort affligés et répandant des larmes.
(1) Matth., 28.
CHAPITRE LXXXVI.
DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE SEIGNEUR, ET COMMENT IL
APPARUT D'ABORD A SA MÈRE LE JOUR DU DIMANCHE.
Notre Seigneur Jésus-Christ, accompagné d'une glorieuse multitude d'Esprits célestes, étant venu le Dimanche de grand matin au sépulcre, y reprit son corps très-saint ressuscité par sa propre puissance et sortit à l'instant du monument qu'il laissa fermé. Au même moment, c'est-à-dire à la pointe du jour, Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé, après en avoir demandé la permission à la sainte Vierge , partirent avec des aromates pour aller au sépulcre. Mais Notre-Dame demeura à la maison et fit cette prière : « Dieu de clémence, Père plein de bonté, vous le savez, mon Fils est mort, il a été attaché à la Croix entre deux voleurs, je l'ai enseveli de mes propres mains; mais, Seigneur, vous pouvez le ressusciter, et je supplie votre Majesté de le rendre à ma tendresse. Pourquoi tarde-t-il tant à venir me trouver? Rendez-le moi, je vous en conjure ; car, si je ne le vois, je ne puis goûter aucun repos. O mon cher Fils, qu'êtes-vous devenu? Que faites-vous? Qui vous retient loin de moi? Ne différez pas plus longtemps votre retour, je vous prie, car vous l'avez dit : (1) Je ressusciterai le troisième jour. Mon Fils , n'est-ce donc pas aujourd'hui ce troisième jour?»
(1) Matth., 27.
«Ce ne fut pas hier, mais avant-hier que se leva ce grand jour, ce jour plein d'amertume, ce jour de malheur et de mortelles angoisses, ce jour de ténèbres et d'obscurités, ce jour où votre mort nous sépara l'un de l'autre : c'est donc , mon Fils , aujourd'hui le troisième jour. Sortez du tombeau, ô vous qui êtes ma gloire et mon trésor, et revenez à moi. Tout mon désir est de vous revoir. Consolez par votre retour celle que votre éloignement a si douloureusement affligée. Revenez donc, mon bien-aimé. Venez , Seigneur Jésus , venez mon unique espérance , venez à moi , mon cher Fils ! »
Or, pendant qu'elle faisait cette prière que le charme de ses pleurs rendait encore plus touchante, voilà qu'apparaît tout-à-coup Notre Seigneur Jésus-Christ revêtu de vêtements d'une éclatante blancheur; la sérénité, une beauté ravissante, la gloire de sa résurrection, une douce joie éclatent sur son front, et il lui dit en se mettant tout près d'elle : « Je vous salue, ô ma sainte Mère. » Marie se retournant à l'instant : « Est-ce vous, lui dit-elle, mon Fils Jésus? » Et elle se prosterna pour l'adorer, « C'est moi-même, ô ma tendre Mère, dit Jésus; je suis ressuscité et me voici encore avec vous. » Tous deux alors se relèvent , et Marie , en répandant des larmes de joie, l'embrasse, colle son visage sur le sien, le presse fortement sur son cœur, s'abandonne entièrement entre les bras de son Fils , et Jésus la soutient avec joie.
Puis le Fils et la Mère s'étant assis, Marie observe avec attention le visage de Jésus et les cicatrices de ses mains, cherchant à s'assurer si toutes les parties de son corps n'avaient plus rien à souffrir. Jésus lui dit alors : « Ma respectable Mère, toutes les douleurs se sont éloignées de moi; j'ai vaincu la mort, la souffrance et tous les maux ; je suis désormais à l'abri de tous leurs traits. » Marie répondit : « Béni soit à jamais votre Père qui vous a rendu à mes vœux; que son nom soit loué , exalté et glorifié dans tous les siècles. » Ils prolongent un si doux et si consolant entretien, et font ensemble leur Pâque dans les transports de l'amour le plus délicieux. Jésus apprend alors à sa Mère comment il vient d'arracher son peuple à l'Enfer et tout ce qu'il a fait pendant ces trois jours. Voilà donc maintenant la Pâque par excellence.
CHAPITRE LXXXVII.
MARIE-MADELEINE ET LES DEUX AUTRES MARIE VIENNENT AU SÉPULCRE ;
PIERRE ET JEAN Y ACCOURENT.
Marie-Madeleine et les deux autres Marie allaient, comme je l'ai dit, au sépulcre avec des parfums. Dès qu'elles sont hors des portes de la ville, elles rappellent à leur souvenir toutes les afflictions, toutes les souffrances de leur divin Maître, et à chaque endroit témoin de quelque action importante dont Jésus avait été la victime ou le héros, elles s'arrêtent quelques moments, fléchissent le genou, baisent la terre, puis exhalant quelques soupirs et quelques gémissements , elles disent : «C'est là que nous l'avons rencontré portant sa Croix, et qu'en le voyant sa Mère a failli mourir de douleur; ici il a adressé la parole aux femmes de Jérusalem ; là , dans son accablement , il a laissé tomber sa Croix et s'est un moment appuyé sur cette pierre; c'est ici que pour accélérer sa marche, ses bourreaux l'ont pressé avec tant d'inhumanité, tant de violence, et l'ont presque obligé de courir ; c'est là qu'on l'a dépouillé de ses vêtements et réduit à une entière nudité; c'est eu ce lieu qu'on l'a attaché à la Croix. » Et alors, poussant de grands cris et baignées de larmes, les trois Marie tombent la face contre terre, adorent et baisent la Croix encore toute rougie du sang précieux de Notre Seigneur.
Puis s'étant relevées et se dirigeant vers le sépulcre, elles se disaient entre elles : (1) Qui nous ôtera la pierre de l'entrée du sépulcre ? et levant les yeux elles virent la pierre renversée et dessus un Ange du Seigneur assis qui leur dit : Ne craignez point, et le reste ainsi qu'il est rapporté dans l'Évangile. Mais ces femmes, qui croyaient trouver là le corps de Notre Seigneur, se voyant trompées dans leur espérance et ne faisant aucune attention aux paroles de l'Ange, revinrent tout effrayées trouver les Disciples et leur dirent qu'on avait enlevé le corps de Jésus. Aussitôt Pierre et Jean courent au sépulcre. Considérez-les tous attentivement. Ces deux Apôtres courent au sépulcre; Madeleine et ses compagnes les suivent en courant ; tous courent avec empressement pour chercher leur Maître bien-aimé, l'ami de leur cœur, la vie de leur âme ; ils courent ; la fidélité, la ferveur, l'anxiété semblent leur donner des ailes. Ils arrivent au sépulcre, regardent attentivement et ne voyant au lieu du corps de Jésus que des linceuls et un suaire, ils se retirèrent. Ne leur refusez point votre compassion, car ils sont plongés dans une profonde douleur. Ils cherchent leur Maître et leurs recherches sont vaines ; et comme ils ne savent en quel lieu ils pourront le trouver, ils se retirent fort affligés et répandant des larmes.
(1) Matth., 28.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXVIII.
APPARITION DE JÉSUS AUX TROIS MARIE.
Or, les trois Marie qui étaient restées près du sépulcre, ayant regardé dans l'intérieur, y aperçurent deux Anges vêtus de blanc qui leur dirent : (1) Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Mais elles ne firent alors aucune attention à ces paroles et n'éprouvèrent aucune consolation de cette vision, parce que ce n'était pas des Anges, mais le Seigneur des Anges qu'elles cherchaient. Deux d'entre elles, effrayées et comme anéanties, s'éloignèrent un peu du sépulcre et s'assirent en pleurant. Quant a Madeleine, qui ne savait quel parti prendre, qui ne pouvait se passer de son bon Maître, ne le voyant point où elle avait espéré de le trouver et ignorant où elle irait le chercher, elle se tint hors du sépulcre en répandant des larmes. Et comme elle conservait toujours l'espoir de revoir Celui qui lui était si cher au lieu même où elle l'avait enseveli, elle regarda une seconde fois dans l'intérieur du sépulcre et vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : (2) Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Elle répondit : C'est qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
(1) Luc, 24. — (2) Jean., 20.
Remarquez un admirable effet de l'amour. Il n'y a pas longtemps qu'un Ange lui a annoncé que Jésus était ressuscité ; deux Anges lui ont dit ensuite qu'il était vivant, elle a tout oublié et répond : Je ne sais ce qu'il est devenu. C'est son amour qui lui fait tout oublier, parce que, dit Origène, (1) son âme n 'était plus où elle était elle-même, mais uniquement où était son Maître. Elle ne savait s'occuper, s'entretenir et parler que de lui. Mais pendant que, sans faire aucune attention aux Anges, Madeleine s'abandonnait ainsi à la douleur, son divin Maître ne pouvait retenir les transports de son amour pour elle. Aussi Notre Seigneur raconte tout cela à sa Mère et lui annonce qu'il veut aller consoler Madeleine.
Marie l'approuve beaucoup et lui dit : « Mon cher Fils, allez en paix lui donner des consolations, car elle a beaucoup d'amour pour vous et votre mort lui a fait verser bien des larmes ; mais n'oubliez pas de revenir bientôt près de moi. » Puis l'avant embrassé, elle le laissa partir. Il, alla donc au sépulcre, et trouvant Marie dans le jardin, il lui dit : Qui cherchez-vous ? pourquoi pleurez-vous ? Madeleine, qui ne le reconnaissait pas encore, répondit comme une personne dont la raison est troublée : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai.
Observez bien avec quel air affligé, suppliant et religieux elle le conjure de lui dire où est Celui qu'elle cherche; car elle avait toujours l'espérance d'apprendre quelque chose de nouveau sur son bien-aimé. Alors Notre Seigneur lui dit : Marie! Madeleine qui, en reconnaissant sa voix, semblait renaître à la vie, s'écrie avec une joie inexprimable: «Rabboni! c'est-à-dire, mon Maître ; c'est vous, Seigneur, que je cherchais; pourquoi vous êtes-vous si longtemps dérobé à mes regards? » Et elle se précipita à ses pieds qu'elle voulait embrasser. Mais Notre Seigneur , pour l'élever à la pensée des choses célestes et l'empêcher ainsi de le chercher sur la terre, lui dit : (2) Ne me touchez pas ; je ne suis pas encore monté vers mon Père , mais dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc.
(4) Orig., in divers, nom., 10. — (2) Jean., 20.
Puis il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit que je ressusciterais le troisième jour ? Pourquoi donc me cherchiez- vous encore dans le sépulcre? — Maître , répondit Marie , je vous dirai que votre Passion et votre mort si affreuses avaient rempli mon âme d'une telle douleur qu'ayant tout oublié , votre corps glacé par la mort et le lieu où je l'avais enseveli étaient les seules choses dont j'eusse conservé le souvenir, et c'est pour cela que dès le matin j'avais apporté ici ce parfum. Bénie soit votre miséricorde qui vous a porté à vous ressusciter et à revenir parmi nous. »
Jésus et Madeleine dont les cœurs étaient si unis goûtent ainsi pendant quelque temps la joie et le bonheur de se retrouver ensemble. Pourtant Madeleine examine attentivement Jésus , l'interroge sur tous les points et reçoit de lui les réponses les plus consolantes. Et c'est encore ici une grande Pâque (ou un grand passage de la douleur à la joie. )
Toutefois je ne puis me persuader que Madeleine, avant de quitter Jésus , ne lui ait pas familièrement baisé les pieds et les mains, quoiqu'il lui eût d'abord défendu de le toucher. Et si, dans sa sagesse, il crut devoir commencer par cette défense, ce fut ou parce qu'en même temps il découvrait à Madeleine les sentiments de son cœur à son égard , comme on l'explique ordinairement , ou parce qu'il voulait élever son esprit à la contemplation des choses du Ciel , ainsi que je l'ai déjà dit et que saint Bernard semble l'insinuer. En effet on peut croire pieusement qu'en la visitant avec tant d'amour et avant tous ceux dont il est parlé dans l'Évangile , Jésus lui accordait cette grâce privilégiée pour la consoler et non pour la jeter dans le trouble. La défense de le toucher ne fut donc point absolue, c'était un mystère d'amour.
Car Notre Seigneur n'a point d'inflexibilité , point de sévérité , surtout pour ceux qui l'aiment. Peu de temps après le Seigneur la quitta, en disant qu'il fallait qu'il allât visiter d'autres personnes. Presqu'attérée à ces mots, Madeleine, qui ne voulait plus se séparer de Jésus, lui dit : « Seigneur, à ce qu'il paraît, ce n'est plus avec nous que vous voulez désormais habiter comme par le passé. Du moins, je vous en conjure , ne m'oubliez pas ; souvenez-vous , Seigneur, de toutes les grâces dont vous m'avez favorisée ; souvenez-vous enfin, mon Dieu , de la familiarité et de la tendre affection dont vous m'avez honorée. Souvenez-vous de moi, Seigneur mon Dieu ! »
Et Jésus lui répondit : « Ne craignez rien, soyez confiante et fidèle ; car je serai toujours avec vous. » Puis, après que Notre Seigneur, en se retirant, lui eût donné sa bénédiction, Madeleine alla retrouver ses compagnes et leur raconta ce qui venait de se passer. Celles-ci joyeuses d'apprendre la Résurrection de Jésus-Christ, mais affligées de ne l'avoir pas encore vu , se retirent avec Madeleine. Pendant que ces trois femmes retournaient en semble à la ville , Jésus leur apparut et leur dit : Je vous salue. Elles furent alors remplies d'une joie inexprimable et se prosternèrent à ses pieds pour les embrasser. Ici donc, comme dans l'apparition à Madeleine, ces femmes cherchent Jésus , le voient , en reçoivent des paroles consolantes et font une grande Pâque.
Jésus leur dit encore : Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée; c'est là qu'ils me verront, comme je le leur ai prédit. Remarquez que Jésus donne à ses Disciples le nom de frère ; le Maître de l'humilité pouvait-il cesser de pratiquer cette vertu ? Quant à vous , si vous voulez avoir l'intelligence de ces mystères et en recevoir quelque consolation , souvenez-vous , ainsi que je vous l'ai dit plus haut, de vous représenter à l'esprit tous les lieux et tous les faits, comme si vous les voyiez réellement des yeux du corps; faites de même pour tout ce qui me reste encore à vous dire.
APPARITION DE JÉSUS AUX TROIS MARIE.
Or, les trois Marie qui étaient restées près du sépulcre, ayant regardé dans l'intérieur, y aperçurent deux Anges vêtus de blanc qui leur dirent : (1) Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Mais elles ne firent alors aucune attention à ces paroles et n'éprouvèrent aucune consolation de cette vision, parce que ce n'était pas des Anges, mais le Seigneur des Anges qu'elles cherchaient. Deux d'entre elles, effrayées et comme anéanties, s'éloignèrent un peu du sépulcre et s'assirent en pleurant. Quant a Madeleine, qui ne savait quel parti prendre, qui ne pouvait se passer de son bon Maître, ne le voyant point où elle avait espéré de le trouver et ignorant où elle irait le chercher, elle se tint hors du sépulcre en répandant des larmes. Et comme elle conservait toujours l'espoir de revoir Celui qui lui était si cher au lieu même où elle l'avait enseveli, elle regarda une seconde fois dans l'intérieur du sépulcre et vit les deux mêmes Anges assis qui lui dirent : (2) Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? Elle répondit : C'est qu'ils ont enlevé mon Seigneur, et je ne sais où ils l'ont mis.
(1) Luc, 24. — (2) Jean., 20.
Remarquez un admirable effet de l'amour. Il n'y a pas longtemps qu'un Ange lui a annoncé que Jésus était ressuscité ; deux Anges lui ont dit ensuite qu'il était vivant, elle a tout oublié et répond : Je ne sais ce qu'il est devenu. C'est son amour qui lui fait tout oublier, parce que, dit Origène, (1) son âme n 'était plus où elle était elle-même, mais uniquement où était son Maître. Elle ne savait s'occuper, s'entretenir et parler que de lui. Mais pendant que, sans faire aucune attention aux Anges, Madeleine s'abandonnait ainsi à la douleur, son divin Maître ne pouvait retenir les transports de son amour pour elle. Aussi Notre Seigneur raconte tout cela à sa Mère et lui annonce qu'il veut aller consoler Madeleine.
Marie l'approuve beaucoup et lui dit : « Mon cher Fils, allez en paix lui donner des consolations, car elle a beaucoup d'amour pour vous et votre mort lui a fait verser bien des larmes ; mais n'oubliez pas de revenir bientôt près de moi. » Puis l'avant embrassé, elle le laissa partir. Il, alla donc au sépulcre, et trouvant Marie dans le jardin, il lui dit : Qui cherchez-vous ? pourquoi pleurez-vous ? Madeleine, qui ne le reconnaissait pas encore, répondit comme une personne dont la raison est troublée : Seigneur, si c'est vous qui l'avez enlevé, dites-moi où vous l'avez mis et je l'emporterai.
Observez bien avec quel air affligé, suppliant et religieux elle le conjure de lui dire où est Celui qu'elle cherche; car elle avait toujours l'espérance d'apprendre quelque chose de nouveau sur son bien-aimé. Alors Notre Seigneur lui dit : Marie! Madeleine qui, en reconnaissant sa voix, semblait renaître à la vie, s'écrie avec une joie inexprimable: «Rabboni! c'est-à-dire, mon Maître ; c'est vous, Seigneur, que je cherchais; pourquoi vous êtes-vous si longtemps dérobé à mes regards? » Et elle se précipita à ses pieds qu'elle voulait embrasser. Mais Notre Seigneur , pour l'élever à la pensée des choses célestes et l'empêcher ainsi de le chercher sur la terre, lui dit : (2) Ne me touchez pas ; je ne suis pas encore monté vers mon Père , mais dites à mes frères : Je monte vers mon Père et votre Père, etc.
(4) Orig., in divers, nom., 10. — (2) Jean., 20.
Puis il ajouta : « Ne vous ai-je pas prédit que je ressusciterais le troisième jour ? Pourquoi donc me cherchiez- vous encore dans le sépulcre? — Maître , répondit Marie , je vous dirai que votre Passion et votre mort si affreuses avaient rempli mon âme d'une telle douleur qu'ayant tout oublié , votre corps glacé par la mort et le lieu où je l'avais enseveli étaient les seules choses dont j'eusse conservé le souvenir, et c'est pour cela que dès le matin j'avais apporté ici ce parfum. Bénie soit votre miséricorde qui vous a porté à vous ressusciter et à revenir parmi nous. »
Jésus et Madeleine dont les cœurs étaient si unis goûtent ainsi pendant quelque temps la joie et le bonheur de se retrouver ensemble. Pourtant Madeleine examine attentivement Jésus , l'interroge sur tous les points et reçoit de lui les réponses les plus consolantes. Et c'est encore ici une grande Pâque (ou un grand passage de la douleur à la joie. )
Toutefois je ne puis me persuader que Madeleine, avant de quitter Jésus , ne lui ait pas familièrement baisé les pieds et les mains, quoiqu'il lui eût d'abord défendu de le toucher. Et si, dans sa sagesse, il crut devoir commencer par cette défense, ce fut ou parce qu'en même temps il découvrait à Madeleine les sentiments de son cœur à son égard , comme on l'explique ordinairement , ou parce qu'il voulait élever son esprit à la contemplation des choses du Ciel , ainsi que je l'ai déjà dit et que saint Bernard semble l'insinuer. En effet on peut croire pieusement qu'en la visitant avec tant d'amour et avant tous ceux dont il est parlé dans l'Évangile , Jésus lui accordait cette grâce privilégiée pour la consoler et non pour la jeter dans le trouble. La défense de le toucher ne fut donc point absolue, c'était un mystère d'amour.
Car Notre Seigneur n'a point d'inflexibilité , point de sévérité , surtout pour ceux qui l'aiment. Peu de temps après le Seigneur la quitta, en disant qu'il fallait qu'il allât visiter d'autres personnes. Presqu'attérée à ces mots, Madeleine, qui ne voulait plus se séparer de Jésus, lui dit : « Seigneur, à ce qu'il paraît, ce n'est plus avec nous que vous voulez désormais habiter comme par le passé. Du moins, je vous en conjure , ne m'oubliez pas ; souvenez-vous , Seigneur, de toutes les grâces dont vous m'avez favorisée ; souvenez-vous enfin, mon Dieu , de la familiarité et de la tendre affection dont vous m'avez honorée. Souvenez-vous de moi, Seigneur mon Dieu ! »
Et Jésus lui répondit : « Ne craignez rien, soyez confiante et fidèle ; car je serai toujours avec vous. » Puis, après que Notre Seigneur, en se retirant, lui eût donné sa bénédiction, Madeleine alla retrouver ses compagnes et leur raconta ce qui venait de se passer. Celles-ci joyeuses d'apprendre la Résurrection de Jésus-Christ, mais affligées de ne l'avoir pas encore vu , se retirent avec Madeleine. Pendant que ces trois femmes retournaient en semble à la ville , Jésus leur apparut et leur dit : Je vous salue. Elles furent alors remplies d'une joie inexprimable et se prosternèrent à ses pieds pour les embrasser. Ici donc, comme dans l'apparition à Madeleine, ces femmes cherchent Jésus , le voient , en reçoivent des paroles consolantes et font une grande Pâque.
Jésus leur dit encore : Allez dire à mes frères qu'ils aillent en Galilée; c'est là qu'ils me verront, comme je le leur ai prédit. Remarquez que Jésus donne à ses Disciples le nom de frère ; le Maître de l'humilité pouvait-il cesser de pratiquer cette vertu ? Quant à vous , si vous voulez avoir l'intelligence de ces mystères et en recevoir quelque consolation , souvenez-vous , ainsi que je vous l'ai dit plus haut, de vous représenter à l'esprit tous les lieux et tous les faits, comme si vous les voyiez réellement des yeux du corps; faites de même pour tout ce qui me reste encore à vous dire.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXIX.
JÉSUS APPARAIT A JOSEPH d'ARIMATHIE, A SAINT JACQUES
LE MINEUR ET A PIERRE.
Ayant quitté les trois Marie, Notre Seigneur Jésus- Christ apparut à Joseph , par les soins duquel il avait été enseveli. C'était pour cela que les Juifs l'avait arrêté et renfermé dans une petite chambre bien scellée. Ils se proposaient même de le mettre à mort après le jour du Sabbat. Notre Seigneur se montra donc à lui, lui essuya, lui baisa le visage ; puis , sans briser les scellés , il le reporta chez lui. Jésus apparut aussi à saint Jacques le mineur qui avait fait vœu de ne pas manger avant d'avoir vu Notre Seigneur ressuscité. Jésus s'adressant à cet Apôtre et à ceux qui étaient avec lui , leur dit : Dressez la table. Ensuite prenant du pain, il le bénit et le donna à saint Jacques en disant : « Mangez maintenant , mon cher frère , car le Fils de l'homme est ressuscité. » Ce fait est rapporté par saint Jérôme (1).
(1) Hier. Lib. de Scrip. ecc, in Jac.
Or, au moment où Madeleine et ses compagnes, rentrées à la maison , disent aux Disciples que le Seigneur est ressuscité , Pierre affligé de ne pas encore avoir vu son divin Maître et ne pouvant modérer la vivacité de son amour, quitte à l'instant ces femmes et retourne seul au sépulcre, ne voyant pas d'autre lieu où il pût aller chercher Jésus. Pendant qu'il poursuivait son chemin , Notre Seigneur lui apparut et lui dit : « Simon , la paix soit avec vous. » Aussitôt Pierre , frappant sa poitrine , se jette tout en pleurs aux pieds de Jésus et lui dit : «Je suis bien coupable, je l'avoue; car je vous ai abandonné et renié plusieurs fois. » Puis il lui baisa les pieds.
Mais Notre Seigneur le relève, l'embrasse et lui dit: « Allez en paix, ne craignez rien , tous vos péchés vous sont remis; j'avais prévu votre faute et je vous l'ai prédite. Allez donc maintenant, affermissez vos frères et ayez vous-même confiance , car j'ai vaincu la mort , tous vos ennemis et tous vos adversaires.»
Ce fut donc encore une grande Pâque pour saint Pierre. Pendant que Notre Seigneur demeure et s'entretient ainsi avec son Apôtre, Pierre l'examine et observe tout avec attention. Puis , ayant reçu la bénédiction de son divin Maître, il retourne et raconte à Marie et aux autres Disciples tout ce qui vient de se passer. Or vous devez savoir que l'Évangile ne parle point de l'apparition que Notre Seigneur fit à sa Mère ; mais je l'ai rapportée et je l'ai même placée avant toutes les autres apparitions parce que l'Église la regarde comme certaine, ainsi que le prouve clairement une légende sur la résurrection de Notre Seigneur.
CHAPITRE LXXXX.
NOTRE SEIGNEUR APRÈS SA RÉSURRECTION VA RETROUVER LES SAINTS PÈRES.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ , après avoir quitté Simon-Pierre , n'avait pas encore , depuis sa Résurrection , visité les Saints Pères qu'il avait laissés dans le Paradis de délices, il vint les retrouver et s'avança vers eux revêtu d'une robe blanche et environné d'une multitude d'Anges.
Le voyant de loin s'approcher d'eux dans cet appareil de gloire, les Saints Pères furent remplis d'une joie inexprimable et le reçurent au bruit des acclamations , des cantiques de bénédictions et de louanges , s'écriant tous ensemble : Voici notre Roi; venez, courons tous au-devant de notre Sauveur, son règne commence et n'aura jamais de fin. Le jour éternel des Saints luit enfin pour nous ; venez tous, adorons ensemble le Seigneur. Et se prosternant à ses pieds , ils l'adorèrent. Puis, s'étant relevés et l'environnant avec une respectueuse allégresse, ils mirent le comble à leurs louanges en disant : Il est vainqueur le Lion de la tribu de Juda; notre chair brille déjà de l'éclat d'une jeunesse éternelle. En vous voyant, nous sommes remplis d'une sainte joie , vous répandez sur nous d'intarissables délices. Vous êtes ressuscité; nous nous réjouirons , nous tressaillerons de joie en vous qui êtes la gloire de votre peuple. Vous régnerez dans tous les siècles et votre empire s'étendra de génération en génération. Rien ne pourra nous séparer de vous, vous nous ressusciterez aussi, et nous exalterons le nom du Seigneur. Notre Précurseur est entré pour nous dans les Cieux , où il réside en qualité de Pontife éternel. Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans les transports d'une sainte joie. Voici le jour de notre Rédemption, le jour si longtemps attendu de notre réparation et de notre bonheur éternel. Aujourd'hui une douce rosée est descendue des deux, parce que, du haut de sa Croix , le Seigneur règne sur tout l'univers. Le Seigneur est monté sur son trône; la gloire est son vêtement, la force est la ceinture de ses reins. Chantez à l'Éternel un Cantique nouveau, parce qu'il a opéré des merveilles. C'est sa droite, c'est son bras saint qui nous ont sauvés pour sa gloire. Nous sommes maintenant son peuple et les brebis de son pâturage. Venez, adorons-le .
Vers le soir, Notre Seigneur dit aux saints Pères: « J'ai compassion de mes frères, parce qu'affligés et effrayés par ma mort, ils sont dispersés comme des brebis errantes et désirent ardemment de me revoir. Je vais donc m 'offrir à leurs regards pour les fortifier et les consoler ; après quoi je reviendrai au milieu de vous. » A ces mots les Saints Pères se prosternent en disant : « Qu'il nous soit fait selon votre parole. »
JÉSUS APPARAIT A JOSEPH d'ARIMATHIE, A SAINT JACQUES
LE MINEUR ET A PIERRE.
Ayant quitté les trois Marie, Notre Seigneur Jésus- Christ apparut à Joseph , par les soins duquel il avait été enseveli. C'était pour cela que les Juifs l'avait arrêté et renfermé dans une petite chambre bien scellée. Ils se proposaient même de le mettre à mort après le jour du Sabbat. Notre Seigneur se montra donc à lui, lui essuya, lui baisa le visage ; puis , sans briser les scellés , il le reporta chez lui. Jésus apparut aussi à saint Jacques le mineur qui avait fait vœu de ne pas manger avant d'avoir vu Notre Seigneur ressuscité. Jésus s'adressant à cet Apôtre et à ceux qui étaient avec lui , leur dit : Dressez la table. Ensuite prenant du pain, il le bénit et le donna à saint Jacques en disant : « Mangez maintenant , mon cher frère , car le Fils de l'homme est ressuscité. » Ce fait est rapporté par saint Jérôme (1).
(1) Hier. Lib. de Scrip. ecc, in Jac.
Or, au moment où Madeleine et ses compagnes, rentrées à la maison , disent aux Disciples que le Seigneur est ressuscité , Pierre affligé de ne pas encore avoir vu son divin Maître et ne pouvant modérer la vivacité de son amour, quitte à l'instant ces femmes et retourne seul au sépulcre, ne voyant pas d'autre lieu où il pût aller chercher Jésus. Pendant qu'il poursuivait son chemin , Notre Seigneur lui apparut et lui dit : « Simon , la paix soit avec vous. » Aussitôt Pierre , frappant sa poitrine , se jette tout en pleurs aux pieds de Jésus et lui dit : «Je suis bien coupable, je l'avoue; car je vous ai abandonné et renié plusieurs fois. » Puis il lui baisa les pieds.
Mais Notre Seigneur le relève, l'embrasse et lui dit: « Allez en paix, ne craignez rien , tous vos péchés vous sont remis; j'avais prévu votre faute et je vous l'ai prédite. Allez donc maintenant, affermissez vos frères et ayez vous-même confiance , car j'ai vaincu la mort , tous vos ennemis et tous vos adversaires.»
Ce fut donc encore une grande Pâque pour saint Pierre. Pendant que Notre Seigneur demeure et s'entretient ainsi avec son Apôtre, Pierre l'examine et observe tout avec attention. Puis , ayant reçu la bénédiction de son divin Maître, il retourne et raconte à Marie et aux autres Disciples tout ce qui vient de se passer. Or vous devez savoir que l'Évangile ne parle point de l'apparition que Notre Seigneur fit à sa Mère ; mais je l'ai rapportée et je l'ai même placée avant toutes les autres apparitions parce que l'Église la regarde comme certaine, ainsi que le prouve clairement une légende sur la résurrection de Notre Seigneur.
CHAPITRE LXXXX.
NOTRE SEIGNEUR APRÈS SA RÉSURRECTION VA RETROUVER LES SAINTS PÈRES.
Comme Notre Seigneur Jésus-Christ , après avoir quitté Simon-Pierre , n'avait pas encore , depuis sa Résurrection , visité les Saints Pères qu'il avait laissés dans le Paradis de délices, il vint les retrouver et s'avança vers eux revêtu d'une robe blanche et environné d'une multitude d'Anges.
Le voyant de loin s'approcher d'eux dans cet appareil de gloire, les Saints Pères furent remplis d'une joie inexprimable et le reçurent au bruit des acclamations , des cantiques de bénédictions et de louanges , s'écriant tous ensemble : Voici notre Roi; venez, courons tous au-devant de notre Sauveur, son règne commence et n'aura jamais de fin. Le jour éternel des Saints luit enfin pour nous ; venez tous, adorons ensemble le Seigneur. Et se prosternant à ses pieds , ils l'adorèrent. Puis, s'étant relevés et l'environnant avec une respectueuse allégresse, ils mirent le comble à leurs louanges en disant : Il est vainqueur le Lion de la tribu de Juda; notre chair brille déjà de l'éclat d'une jeunesse éternelle. En vous voyant, nous sommes remplis d'une sainte joie , vous répandez sur nous d'intarissables délices. Vous êtes ressuscité; nous nous réjouirons , nous tressaillerons de joie en vous qui êtes la gloire de votre peuple. Vous régnerez dans tous les siècles et votre empire s'étendra de génération en génération. Rien ne pourra nous séparer de vous, vous nous ressusciterez aussi, et nous exalterons le nom du Seigneur. Notre Précurseur est entré pour nous dans les Cieux , où il réside en qualité de Pontife éternel. Voici le jour que le Seigneur a fait, passons-le dans les transports d'une sainte joie. Voici le jour de notre Rédemption, le jour si longtemps attendu de notre réparation et de notre bonheur éternel. Aujourd'hui une douce rosée est descendue des deux, parce que, du haut de sa Croix , le Seigneur règne sur tout l'univers. Le Seigneur est monté sur son trône; la gloire est son vêtement, la force est la ceinture de ses reins. Chantez à l'Éternel un Cantique nouveau, parce qu'il a opéré des merveilles. C'est sa droite, c'est son bras saint qui nous ont sauvés pour sa gloire. Nous sommes maintenant son peuple et les brebis de son pâturage. Venez, adorons-le .
Vers le soir, Notre Seigneur dit aux saints Pères: « J'ai compassion de mes frères, parce qu'affligés et effrayés par ma mort, ils sont dispersés comme des brebis errantes et désirent ardemment de me revoir. Je vais donc m 'offrir à leurs regards pour les fortifier et les consoler ; après quoi je reviendrai au milieu de vous. » A ces mots les Saints Pères se prosternent en disant : « Qu'il nous soit fait selon votre parole. »
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXXI.
APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A DEUX DISCIPLES QUI ALLAIENT A EMMAUS.
Pendant que deux des Disciples de Notre Seigneur , qui avaient presque perdu l'espérance de sa Résurrection, s'avançaient fort affligés vers le bourg d'Emmaüs, s'entretenant en chemin de ce qui venait de se passer, Jésus vint les joindre sous la figure d'un voyageur et se mit à marcher avec eux , les interrogeant, leur répondant et leur donnant les plus utiles instructions rapportées dans l'Évangile. Enfin cédant à leurs instances , il entra avec eux et se manifesta à leurs yeux.
Or, arrêtez-vous ici pour considérer attentivement la bonté et l'indulgence de votre adorable Maître. Remarquez d'abord que son ardente charité ne peut consentir à laisser ainsi ses frères dans l'erreur et dans l'affliction. Ami sûr, compagnon fidèle, excellent Maître, il se joint à eux , leur demande la cause de leur tristesse et leur explique les Écritures, embrasant leurs cœurs comme le fer dans la fournaise , pour en extirper toute la rouille.
Et, c'est ainsi qu'il en agit spirituellement avec nous tous les jours. En effet si, dans nos irrésolutions , dans nos découragements, il nous arrive de parler de Jésus, aussitôt il vient à nous , il affermit , il éclaire notre cœur et l'embrase même du feu de son amour ; car , parler de Dieu est le meilleur remède contre de semblables maladies de l'âme. Ce qui fait dire au Prophète : (1) Vos paroles, Seigneur , sont plus douces à mon cœur que le miel ne l'est à ma bouche. Et encore : (2) Seigneur, vos paroles sont un feu consumant; elles ont embrasé d'amour le cœur de votre serviteur. Penser à Dieu produit aussi de semblables effets; ce qui fait dire au même Prophète : (3) Mon cœur s'est échauffé au-dedans de moi ; des flammes ardentes l'ont embrasé dans la méditation.
Jugez en second lieu de la bonté de Jésus, non pas seulement, comme je viens de le dire , par l'excès de son amour, mais encore par son profond abaissement. En effet voyez avec quelle humilité il daigne marcher eu leur compagnie; le Souverain de l'univers chemine avec ses serviteurs, comme aurait fait un de leurs égaux. Ne dirait-on pas qu'il s'est remis à la pratique élémentaire de l'humilité ? C'est un exemple que nous devons imiter. Mais une autre preuve de son humilité , c'est qu'il ne dédaigne pas des Disciples d'un ordre inférieur.
(1) Ps. 108. — (2) Ibid. — (3) Ps. 38.
Car ce n'étaient pas des Apôtres, mais quelques-uns des derniers Disciples de Jésus, et cependant il se joint familièrement à eux , voyage et s'entretient avec eux. Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux ; ce n'est qu'avec des hommes distingués par leur rang ou par leur fortune qu'ils consentent à s'entretenir et à voyager. On peut encore remarquer ici une troisième preuve de l'humilité de Jésus. Observez en effet la conduite des orgueilleux et vous verrez que ce n'est pas devant un petit nombre d'auditeurs qu'ils débitent leurs phrases ampoulées , tandis que c'est devant deux Disciples seulement que Notre Seigneur explique ses plus profonds mystères; il ne dédaigne point de parler devant un si petit auditoire, pas même devant une seule personne , comme on l'a vu précédemment dans son entretien avec la Samaritaine.
En troisième lieu , voyez comment , dans cette circonstance , Jésus fait éclater sa bonté en donnant à ses Disciples une leçon pratique de morale, en les ranimant et les consolant. Observez donc comment il feint de vouloir aller plus loin, afin qu'en leur donnant un plus grand désir de le conserver, ils l'invitent à demeurer et le retiennent parmi eux. Voyez ensuite avec quelle bonté il entre avec eux, prend du pain , et après l'avoir béni de ses mains très-saintes, le rompt, le leur présente, et se révèle à eux. Et tous les jours il en agit invisiblement de la même manière avec nous , car il veut que nous nous efforcions de le retenir par nos désirs, nos prières et de saintes méditations.
C'est pourquoi (1) Il faut toujours prier et ne jamais se lasser, comme il nous l'a recommandé et enseigné par son propre exemple , et cela afin de nous porter à nous acquitter avec soin des devoirs de la piété et de l'hospitalité, et de nous faire comprendre qu'il ne suffît pas de lire , ou d'écouler la parole de Dieu , mais qu'il faut la mettre en pratique. Vous pourrez trouver à ce sujet de plus amples instructions dans l'homélie que saint Grégoire a faite (2) sur l'Évangile que nous méditons.
(1) Luc, 17. — (2) S. Greg. hom. 23. In Evang.
Or, Notre Seigneur ne laissa pas longtemps les deux Disciples d'Emmaüs jouir du bonheur de sa présence, mais aussitôt qu'il leur eût présenté le pain, il s'évanouit à leurs yeux. Car il voulait faire goûter à ses autres Disciples une consolation que partagèrent en même temps les Disciples d'Emmaüs.
CHAPITRE LXXXXII.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT LE JOUR DE LA RÉSURRECTION A TOUS LES DISCIPLES ASSEMBLÉS.
Les deux Disciples dont nous venons de parler, revinrent donc sans délai à Jérusalem, et à l'exception de Thomas , qui était absent, ils trouvèrent tous les autres Disciples réunis , auxquels ils racontèrent ce qui venait de leur arriver. Ils apprirent en même temps que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à Simon.
Alors (1) Jésus se présente à eux, les portes étant fermées et leur dit : La paix soit avec vous. Aussitôt les Disciples se prosternent devant lui et , après s'être accusés de l'avoir si indignement abandonné , ils l'accueillent avec une grande joie. Le Seigneur leur dit alors :« Levez-vous, mes frères, tous vos péchés vous sont remis. » Il demeure donc familièrement au milieu d'eux, leur montre ses mains et son côté , leur ouvre l'esprit pour leur faire comprendre les Écritures et les convaincre de sa Résurrection. Il leur demande s'ils ont là quelque chose à manger, et mange devant eux un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Enfin (2) il souffle sur eux en disant: Recevez le Saint-Esprit.
(1) Luc, 24. — Jean., 20. — (2) Jean., 20.
Vous le voyez, toutes ces circonstances sont pleines de charme et de consolations. Aussi les Disciples, si effrayés naguères, sont-ils , en revoyant leur Maître, transportés d'une joie qui éclate en sa présence. Oh! qu'ils sont heureux de lui présenter ce poisson , ce rayon de miel ! Avec quel soin ils le servent, avec quel plaisir ils le contemplent ! Remarquez aussi que Marie était là , car les Disciples s'étaient réunis à elle. Voyez-la, contemplant toutes ces choses avec une inexprimable joie , s'asseyant familièrement auprès de son Fils, et lui prodiguant autant qu'elle le peut les soins les plus empressés . Notre Seigneur reçoit aussi volontiers tous les services qui lui viennent d'une main si chère et , devant ses Disciples, il rend à sa Mère les hommages les plus respectueux.
N'oubliez pas non plus Madeleine, l'Élève bien-aimée de Jésus , l'Apôtre des Apôtres. Considérez-la assise, suivant sa coutume , aux pieds de son Maître; voyez avec quelle attention elle écoute ses paroles , avec quelle joie , quelle profonde affection elle lui rend elle-même tous les services qui sont en son pouvoir. Oh ! quelle idée devons-nous concevoir de cette petite maison ! et qu'il nous serait doux d'y fixer notre demeure ! Pour peu que vous ayez de piété, ne trouvez- vous pas qu'il y eut encore là une grande Pâque ? Pour moi , je n'en puis douter. Mais Notre Seigneur resta alors peu de temps avec eux , parce que la nuit approchait. Néanmoins il est probable que pour l'obliger à prolonger un peu sa visite, ils le prièrent de ne pas se retirer si tôt. Ne pensez-vous pas que Madeleine, toujours assise à ses pieds , osait, avec une respectueuse confiance, l'empêcher de s'éloigner si vite en le retenant par ses vêtements ? Car Jésus était revêtu d'une robe éclatante de blancheur, ornement de sa gloire. En agissant ainsi , Madeleine n'était pas téméraire. Elle aimait tant! elle était si aimée ! Cela lui inspirait de la confiance, et cette confiance ne déplaisait pas au divin Maître. Notre Seigneur aime qu'on le retienne, comme nous l'avons vu ci-dessus dans l'apparition aux deux Disciples qui allaient à Emmaüs. Enfin Jésus , après avoir rendu ses devoirs à sa Mère et pris congé d'elle , les bénit tous et se retira.
Tous alors se prosternèrent à ses pieds et le supplièrent de revenir bientôt. Car, accoutumés par le passé à jouir si abondamment de la présence de leur divin Maître , ils avaient une faim et une soif ardente de le revoir et le rappelaient souvent par leurs désirs et par leurs soupirs. Vous venez de voir combien de fois aujourd'hui vous avez pu faire la Pâque; car toutes ces apparitions eurent lieu le jour de Pâques. Mais si vous n'avez pas assez compati aux douleurs de Jésus dans sa Passion , tout ce que je viens de rapporter aura peut-être plus frappé votre esprit que touché votre cœur ; car il me semble que si , en méditant les douleurs de la Passion , vous saviez y compatir et garder le recueillement de votre esprit au lieu de le partager en l'occupant aux inutilités, aux curiosités de ce monde , vous sentiriez à chaque fois les consolations de ces Pâques ou de ces apparitions de Jésus-Christ. Et cela pourrait même vous arriver tous les dimanches si , les vendredis et samedis, vous vous prépariez à recevoir ces grâces , en appliquant tout votre esprit à la Passion de Notre Seigneur; puisque, selon l'Apôtre : (1) Nous ne serons associes aux consolations de Jésus qu'autant que nous aurons pris part à ses souffrances.
(1) 2. Cor., 1
CHAPITRE LXXXXIII.
HUIT JOURS APRÈS LA RÉSURRECTION, JÉSUS APPARAÎT A SES DISCIPLES, THOMAS ÉTANT AVEC EUX.
Or, (1) huit jours après la Résurrection, Jésus apparut une seconde fois à ses Disciples, les portes du lieu ou ils étaient rassemblés étant fermées. Thomas , absent la première fois, était alors avec eux. Les autres Disciples lui ayant dit qu'ils avaient vu le Seigneur, Thomas répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous et si je ne mets mon doigt, et le reste, ainsi qu'on le voit dans l'Évangile, je ne le croirai pas. Le bon pasteur, toujours plein de sollicitude pour son petit troupeau, leur dit donc : La paix soit avec vous. Puis il dit à Thomas : Portez ici votre doigt, et regardez mes mains; approchez votre main, mettez-la sur mon côté, et ne soyez pas incrédule, mais fidèle. Alors Thomas, se jetant aux pieds de Jésus, toucha ses cicatrices en disant : Mon Seigneur et mon Dieu. Il ne vit que l'humanité de Jésus-Christ et crut à sa divinité. Ainsi que les autres Disciples l'avaient déjà fait, il s'accusa d'avoir abandonné son divin Maître.
(1) Jean, 20.
Mais Notre Seigneur lui dit en le relevant : « Ne craignez rien , tous vos péchés vous sont remis. » Au reste Dieu, par une sage économie de sa providence, permit le doute de Thomas parce qu'il devait être l'une des plus fortes preuves de la Résurrection de Notre Seigneur. Arrêtez donc ici vos regards sur Jésus et considérez la bonté, l'humilité, l'ardente charité qui, comme de coutume, éclatent en lui, lorsque, pour leur utilité et pour la nôtre, il daigne montrer ses plaies à Thomas et aux autres Disciples afin de bannir de leurs cœurs toute hésitation. Notre Seigneur a aussi voulu conserver les cicatrices de ses blessures pour trois motifs principaux : D'abord pour les présenter à ses Apôtres en témoignage de sa Résurrection ; ensuite pour les montrer à son Père, lorsqu'il veut désarmer sa colère et intercéder pour nous, car il est notre Avocat; et enfin pour les offrir aux regards des réprouvés au jour du Jugement.
Notre Seigneur Jésus-Christ resta donc quelque temps avec sa Mère et ses Disciples, et pendant qu'il leur parlait du royaume de Dieu, chacun d'eux, les yeux fixés sur ses traits éclatants d'allégresse et de beauté, écoutait avec ravissement les grandes choses dont il les entretenait. Observez avec soin les Disciples l'entourant de toutes parts; Marie se tenait plus familièrement près de lui et Madeleine toujours assise à ses pieds. Prenez ici respectueusement votre place, mais tenez-vous un peu loin, à moins que Jésus, par un sentiment de miséricorde, ne daigne vous faire appeler près de lui. Enfin Notre Seigneur dit à ses Disciples d'aller en Galilée sur la montagne appelée Thabor, et leur promet de s'y montrer à eux; puis il les quitte, après leur avoir donné sa bénédiction. Mais les Disciples, quoique merveilleusement fortifiés par la vue de leur divin Maître , n'en restèrent pas moins affamés , moins altérés de sa présence qu'ils l'étaient avant son apparition.
APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A DEUX DISCIPLES QUI ALLAIENT A EMMAUS.
Pendant que deux des Disciples de Notre Seigneur , qui avaient presque perdu l'espérance de sa Résurrection, s'avançaient fort affligés vers le bourg d'Emmaüs, s'entretenant en chemin de ce qui venait de se passer, Jésus vint les joindre sous la figure d'un voyageur et se mit à marcher avec eux , les interrogeant, leur répondant et leur donnant les plus utiles instructions rapportées dans l'Évangile. Enfin cédant à leurs instances , il entra avec eux et se manifesta à leurs yeux.
Or, arrêtez-vous ici pour considérer attentivement la bonté et l'indulgence de votre adorable Maître. Remarquez d'abord que son ardente charité ne peut consentir à laisser ainsi ses frères dans l'erreur et dans l'affliction. Ami sûr, compagnon fidèle, excellent Maître, il se joint à eux , leur demande la cause de leur tristesse et leur explique les Écritures, embrasant leurs cœurs comme le fer dans la fournaise , pour en extirper toute la rouille.
Et, c'est ainsi qu'il en agit spirituellement avec nous tous les jours. En effet si, dans nos irrésolutions , dans nos découragements, il nous arrive de parler de Jésus, aussitôt il vient à nous , il affermit , il éclaire notre cœur et l'embrase même du feu de son amour ; car , parler de Dieu est le meilleur remède contre de semblables maladies de l'âme. Ce qui fait dire au Prophète : (1) Vos paroles, Seigneur , sont plus douces à mon cœur que le miel ne l'est à ma bouche. Et encore : (2) Seigneur, vos paroles sont un feu consumant; elles ont embrasé d'amour le cœur de votre serviteur. Penser à Dieu produit aussi de semblables effets; ce qui fait dire au même Prophète : (3) Mon cœur s'est échauffé au-dedans de moi ; des flammes ardentes l'ont embrasé dans la méditation.
Jugez en second lieu de la bonté de Jésus, non pas seulement, comme je viens de le dire , par l'excès de son amour, mais encore par son profond abaissement. En effet voyez avec quelle humilité il daigne marcher eu leur compagnie; le Souverain de l'univers chemine avec ses serviteurs, comme aurait fait un de leurs égaux. Ne dirait-on pas qu'il s'est remis à la pratique élémentaire de l'humilité ? C'est un exemple que nous devons imiter. Mais une autre preuve de son humilité , c'est qu'il ne dédaigne pas des Disciples d'un ordre inférieur.
(1) Ps. 108. — (2) Ibid. — (3) Ps. 38.
Car ce n'étaient pas des Apôtres, mais quelques-uns des derniers Disciples de Jésus, et cependant il se joint familièrement à eux , voyage et s'entretient avec eux. Ce n'est pas ainsi qu'en agissent les orgueilleux ; ce n'est qu'avec des hommes distingués par leur rang ou par leur fortune qu'ils consentent à s'entretenir et à voyager. On peut encore remarquer ici une troisième preuve de l'humilité de Jésus. Observez en effet la conduite des orgueilleux et vous verrez que ce n'est pas devant un petit nombre d'auditeurs qu'ils débitent leurs phrases ampoulées , tandis que c'est devant deux Disciples seulement que Notre Seigneur explique ses plus profonds mystères; il ne dédaigne point de parler devant un si petit auditoire, pas même devant une seule personne , comme on l'a vu précédemment dans son entretien avec la Samaritaine.
En troisième lieu , voyez comment , dans cette circonstance , Jésus fait éclater sa bonté en donnant à ses Disciples une leçon pratique de morale, en les ranimant et les consolant. Observez donc comment il feint de vouloir aller plus loin, afin qu'en leur donnant un plus grand désir de le conserver, ils l'invitent à demeurer et le retiennent parmi eux. Voyez ensuite avec quelle bonté il entre avec eux, prend du pain , et après l'avoir béni de ses mains très-saintes, le rompt, le leur présente, et se révèle à eux. Et tous les jours il en agit invisiblement de la même manière avec nous , car il veut que nous nous efforcions de le retenir par nos désirs, nos prières et de saintes méditations.
C'est pourquoi (1) Il faut toujours prier et ne jamais se lasser, comme il nous l'a recommandé et enseigné par son propre exemple , et cela afin de nous porter à nous acquitter avec soin des devoirs de la piété et de l'hospitalité, et de nous faire comprendre qu'il ne suffît pas de lire , ou d'écouler la parole de Dieu , mais qu'il faut la mettre en pratique. Vous pourrez trouver à ce sujet de plus amples instructions dans l'homélie que saint Grégoire a faite (2) sur l'Évangile que nous méditons.
(1) Luc, 17. — (2) S. Greg. hom. 23. In Evang.
Or, Notre Seigneur ne laissa pas longtemps les deux Disciples d'Emmaüs jouir du bonheur de sa présence, mais aussitôt qu'il leur eût présenté le pain, il s'évanouit à leurs yeux. Car il voulait faire goûter à ses autres Disciples une consolation que partagèrent en même temps les Disciples d'Emmaüs.
CHAPITRE LXXXXII.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT LE JOUR DE LA RÉSURRECTION A TOUS LES DISCIPLES ASSEMBLÉS.
Les deux Disciples dont nous venons de parler, revinrent donc sans délai à Jérusalem, et à l'exception de Thomas , qui était absent, ils trouvèrent tous les autres Disciples réunis , auxquels ils racontèrent ce qui venait de leur arriver. Ils apprirent en même temps que le Seigneur était ressuscité et qu'il était apparu à Simon.
Alors (1) Jésus se présente à eux, les portes étant fermées et leur dit : La paix soit avec vous. Aussitôt les Disciples se prosternent devant lui et , après s'être accusés de l'avoir si indignement abandonné , ils l'accueillent avec une grande joie. Le Seigneur leur dit alors :« Levez-vous, mes frères, tous vos péchés vous sont remis. » Il demeure donc familièrement au milieu d'eux, leur montre ses mains et son côté , leur ouvre l'esprit pour leur faire comprendre les Écritures et les convaincre de sa Résurrection. Il leur demande s'ils ont là quelque chose à manger, et mange devant eux un morceau de poisson rôti et un rayon de miel. Enfin (2) il souffle sur eux en disant: Recevez le Saint-Esprit.
(1) Luc, 24. — Jean., 20. — (2) Jean., 20.
Vous le voyez, toutes ces circonstances sont pleines de charme et de consolations. Aussi les Disciples, si effrayés naguères, sont-ils , en revoyant leur Maître, transportés d'une joie qui éclate en sa présence. Oh! qu'ils sont heureux de lui présenter ce poisson , ce rayon de miel ! Avec quel soin ils le servent, avec quel plaisir ils le contemplent ! Remarquez aussi que Marie était là , car les Disciples s'étaient réunis à elle. Voyez-la, contemplant toutes ces choses avec une inexprimable joie , s'asseyant familièrement auprès de son Fils, et lui prodiguant autant qu'elle le peut les soins les plus empressés . Notre Seigneur reçoit aussi volontiers tous les services qui lui viennent d'une main si chère et , devant ses Disciples, il rend à sa Mère les hommages les plus respectueux.
N'oubliez pas non plus Madeleine, l'Élève bien-aimée de Jésus , l'Apôtre des Apôtres. Considérez-la assise, suivant sa coutume , aux pieds de son Maître; voyez avec quelle attention elle écoute ses paroles , avec quelle joie , quelle profonde affection elle lui rend elle-même tous les services qui sont en son pouvoir. Oh ! quelle idée devons-nous concevoir de cette petite maison ! et qu'il nous serait doux d'y fixer notre demeure ! Pour peu que vous ayez de piété, ne trouvez- vous pas qu'il y eut encore là une grande Pâque ? Pour moi , je n'en puis douter. Mais Notre Seigneur resta alors peu de temps avec eux , parce que la nuit approchait. Néanmoins il est probable que pour l'obliger à prolonger un peu sa visite, ils le prièrent de ne pas se retirer si tôt. Ne pensez-vous pas que Madeleine, toujours assise à ses pieds , osait, avec une respectueuse confiance, l'empêcher de s'éloigner si vite en le retenant par ses vêtements ? Car Jésus était revêtu d'une robe éclatante de blancheur, ornement de sa gloire. En agissant ainsi , Madeleine n'était pas téméraire. Elle aimait tant! elle était si aimée ! Cela lui inspirait de la confiance, et cette confiance ne déplaisait pas au divin Maître. Notre Seigneur aime qu'on le retienne, comme nous l'avons vu ci-dessus dans l'apparition aux deux Disciples qui allaient à Emmaüs. Enfin Jésus , après avoir rendu ses devoirs à sa Mère et pris congé d'elle , les bénit tous et se retira.
Tous alors se prosternèrent à ses pieds et le supplièrent de revenir bientôt. Car, accoutumés par le passé à jouir si abondamment de la présence de leur divin Maître , ils avaient une faim et une soif ardente de le revoir et le rappelaient souvent par leurs désirs et par leurs soupirs. Vous venez de voir combien de fois aujourd'hui vous avez pu faire la Pâque; car toutes ces apparitions eurent lieu le jour de Pâques. Mais si vous n'avez pas assez compati aux douleurs de Jésus dans sa Passion , tout ce que je viens de rapporter aura peut-être plus frappé votre esprit que touché votre cœur ; car il me semble que si , en méditant les douleurs de la Passion , vous saviez y compatir et garder le recueillement de votre esprit au lieu de le partager en l'occupant aux inutilités, aux curiosités de ce monde , vous sentiriez à chaque fois les consolations de ces Pâques ou de ces apparitions de Jésus-Christ. Et cela pourrait même vous arriver tous les dimanches si , les vendredis et samedis, vous vous prépariez à recevoir ces grâces , en appliquant tout votre esprit à la Passion de Notre Seigneur; puisque, selon l'Apôtre : (1) Nous ne serons associes aux consolations de Jésus qu'autant que nous aurons pris part à ses souffrances.
(1) 2. Cor., 1
CHAPITRE LXXXXIII.
HUIT JOURS APRÈS LA RÉSURRECTION, JÉSUS APPARAÎT A SES DISCIPLES, THOMAS ÉTANT AVEC EUX.
Or, (1) huit jours après la Résurrection, Jésus apparut une seconde fois à ses Disciples, les portes du lieu ou ils étaient rassemblés étant fermées. Thomas , absent la première fois, était alors avec eux. Les autres Disciples lui ayant dit qu'ils avaient vu le Seigneur, Thomas répondit : Si je ne vois dans ses mains la marque des clous et si je ne mets mon doigt, et le reste, ainsi qu'on le voit dans l'Évangile, je ne le croirai pas. Le bon pasteur, toujours plein de sollicitude pour son petit troupeau, leur dit donc : La paix soit avec vous. Puis il dit à Thomas : Portez ici votre doigt, et regardez mes mains; approchez votre main, mettez-la sur mon côté, et ne soyez pas incrédule, mais fidèle. Alors Thomas, se jetant aux pieds de Jésus, toucha ses cicatrices en disant : Mon Seigneur et mon Dieu. Il ne vit que l'humanité de Jésus-Christ et crut à sa divinité. Ainsi que les autres Disciples l'avaient déjà fait, il s'accusa d'avoir abandonné son divin Maître.
(1) Jean, 20.
Mais Notre Seigneur lui dit en le relevant : « Ne craignez rien , tous vos péchés vous sont remis. » Au reste Dieu, par une sage économie de sa providence, permit le doute de Thomas parce qu'il devait être l'une des plus fortes preuves de la Résurrection de Notre Seigneur. Arrêtez donc ici vos regards sur Jésus et considérez la bonté, l'humilité, l'ardente charité qui, comme de coutume, éclatent en lui, lorsque, pour leur utilité et pour la nôtre, il daigne montrer ses plaies à Thomas et aux autres Disciples afin de bannir de leurs cœurs toute hésitation. Notre Seigneur a aussi voulu conserver les cicatrices de ses blessures pour trois motifs principaux : D'abord pour les présenter à ses Apôtres en témoignage de sa Résurrection ; ensuite pour les montrer à son Père, lorsqu'il veut désarmer sa colère et intercéder pour nous, car il est notre Avocat; et enfin pour les offrir aux regards des réprouvés au jour du Jugement.
Notre Seigneur Jésus-Christ resta donc quelque temps avec sa Mère et ses Disciples, et pendant qu'il leur parlait du royaume de Dieu, chacun d'eux, les yeux fixés sur ses traits éclatants d'allégresse et de beauté, écoutait avec ravissement les grandes choses dont il les entretenait. Observez avec soin les Disciples l'entourant de toutes parts; Marie se tenait plus familièrement près de lui et Madeleine toujours assise à ses pieds. Prenez ici respectueusement votre place, mais tenez-vous un peu loin, à moins que Jésus, par un sentiment de miséricorde, ne daigne vous faire appeler près de lui. Enfin Notre Seigneur dit à ses Disciples d'aller en Galilée sur la montagne appelée Thabor, et leur promet de s'y montrer à eux; puis il les quitte, après leur avoir donné sa bénédiction. Mais les Disciples, quoique merveilleusement fortifiés par la vue de leur divin Maître , n'en restèrent pas moins affamés , moins altérés de sa présence qu'ils l'étaient avant son apparition.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXXIV.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT A SES DISCIPLES EN GALILÉE.
Les Disciples s'étant ensuite rendus au lieu indiqué par Jésus-Christ, (1) il leur apparut de nouveau en leur disant : Toute puissance m'a été donnée dans le Ciel et sur la terre. Allez donc, instruisez tous les peuples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; apprenez-leur à observer toutes les choses que je vous ai commandées, et assurez-vous que je suis toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles.
(1) Matth., 28.
En voyant Jésus, les Disciples l'adorent et sont heureux de se trouver avec lui. Considérez-les attentivement et pesez bien les paroles qui viennent de leur être adressées, car elles sont magnifiques. En effet, par ces paroles, Jésus leur fait connaître qu'il est le souverain de l'univers, il leur donne l'ordre d'instruire les nations, il établit la forme du Baptême, il les remplit d'une force et d'un courage à toute épreuve, en leur déclarant qu'il sera toujours avec eux. Voyez de quelles consolations il les comble, et quels éclatants témoignages il leur donne de sa charité! Jésus, ayant dit ces choses et béni ses Disciples , disparut de devant eux.
CHAPITRE LXXXXV.
JESUS APPARAÎT A SES DISCIPLES AU BORD DE LA MER DE TIBÉRIADE.
Les Disciples demeurèrent encore quelque temps dans la Galilée. Or, sept d'entre eux, étant une fois allés pêcher dans la mer de Tibériade, ne prirent rien pendant toute la nuit. Le matin étant venu, Notre Seigneur leur apparut encore et se tint sur le rivage. Observez bien tout ce qui va se passer ici, car tout y est plein d'intérêt. (1)Le Seigneur leur demande donc s'ils ont pris quelque chose, et sur leur réponse négative, il leur dit : Jetez le filet au côté droit de la barque et vous trouverez.
(1) Jean., 21.
Ils le jetèrent aussitôt et prirent une grande quantité de poisson. C'est pourquoi Jean dit à Pierre : C'est le Seigneur! Alors Pierre, qui était dépouillé de sa tunique , la remit et s'empressa d'aller à Jésus en se jetant à la mer ; les autres Disciples vinrent avec la barque. Étant descendus à terre, ils virent un poisson qu'on avait mis sur des charbons allumés et trouvèrent aussi du pain. Car Notre Seigneur leur avait préparé tout cela. Il fit aussi apporter et rôtir quelques-uns des poissons qu'ils avaient pris. Puis se mettant à table avec eux, ils firent ensemble sur le bord de la mer un repas ou plutôt un festin magnifique. Jésus, qui toujours fidèle à son humilité ordinaire , les servait alors, leur offrit du pain après l'avoir rompu, et il leur donna aussi du poisson.
Les sept Disciples pleins d'une respectueuse satisfaction, goûtent au fond de leurs cœurs le bonheur de se retrouver avec leur divin Maître, de manger avec lui et de pouvoir contempler cette beauté céleste l'objet des désirs de tous les Anges. Ils reçoivent de ses mains très saintes ces aliments délicieux qui réparent tout à la fois leurs forces spirituelles et corporelles. Oh! quel festin! Observez-en tous les détails et toutes les circonstances, et si vous le pouvez, prenez-y part avec les Disciples. Ne faites pas moins d'attention à ce qui se fit et se dit après le repas. Tout cela est aussi utile qu'intéressant. Or, après ce festin solennel, Notre Seigneur dit à Pierre : M`aimez-vous plus que ceux-ci? Pierre répondit : Seigneur, vous savez que je vous aime . Et Jésus lui dit : Paissez mes agneaux , etc. Et après l'avoir ainsi interrogé trois fois, Notre Seigneur lui confia son troupeau tout entier. Remarquez ici la bonté accoutumée, la charité, l'humilité de Jésus. Car on voit éclater sa sollicitude et son affection pour nos âmes dans les recommandations qu'il fait et qu'il réitère afin de les graver dans le cœur de son Apôtre.
Mais en outre Notre Seigneur annonça ensuite à Pierre de quelle manière il devait mourir, en lui disant : Lorsque vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous-même , etc., indiquant ainsi qu'il devait glorifier Dieu par le supplice de la Croix. Pierre ayant demandé ensuite, en montrant saint Jean: Et celui-ci, que deviendra-t-il ? Notre Seigneur répondit : Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ; comme s'il eût dit : Mon intention n'est pas qu'il me suive dans la voie douloureuse où j'ai marché, mais je veux que, passant ses jours dans la paix de la contemplation, il parvienne à une extrême vieillesse.
Cependant les autres Disciples conclurent de ses paroles que Jean ne devait pas mourir. Mais vivre toujours n'aurait pas été pour lui un grand avantage, puisqu'il vaut mieux mourir, afin d'être avec Jésus-Christ. Vous voyez combien de choses, et de choses importantes ont été dites et faites dans cette apparition. Après cela Notre Seigneur disparut de devant eux et, comme il l'avait déjà fait, il alla retrouver les saints Pères. Quant à ses Disciples, ils furent comblés de consolation et retournèrent ensuite à Jérusalem, etc.
NOTRE SEIGNEUR APPARAÎT A SES DISCIPLES EN GALILÉE.
Les Disciples s'étant ensuite rendus au lieu indiqué par Jésus-Christ, (1) il leur apparut de nouveau en leur disant : Toute puissance m'a été donnée dans le Ciel et sur la terre. Allez donc, instruisez tous les peuples, baptisez-les au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; apprenez-leur à observer toutes les choses que je vous ai commandées, et assurez-vous que je suis toujours avec vous jusqu'à la consommation des siècles.
(1) Matth., 28.
En voyant Jésus, les Disciples l'adorent et sont heureux de se trouver avec lui. Considérez-les attentivement et pesez bien les paroles qui viennent de leur être adressées, car elles sont magnifiques. En effet, par ces paroles, Jésus leur fait connaître qu'il est le souverain de l'univers, il leur donne l'ordre d'instruire les nations, il établit la forme du Baptême, il les remplit d'une force et d'un courage à toute épreuve, en leur déclarant qu'il sera toujours avec eux. Voyez de quelles consolations il les comble, et quels éclatants témoignages il leur donne de sa charité! Jésus, ayant dit ces choses et béni ses Disciples , disparut de devant eux.
CHAPITRE LXXXXV.
JESUS APPARAÎT A SES DISCIPLES AU BORD DE LA MER DE TIBÉRIADE.
Les Disciples demeurèrent encore quelque temps dans la Galilée. Or, sept d'entre eux, étant une fois allés pêcher dans la mer de Tibériade, ne prirent rien pendant toute la nuit. Le matin étant venu, Notre Seigneur leur apparut encore et se tint sur le rivage. Observez bien tout ce qui va se passer ici, car tout y est plein d'intérêt. (1)Le Seigneur leur demande donc s'ils ont pris quelque chose, et sur leur réponse négative, il leur dit : Jetez le filet au côté droit de la barque et vous trouverez.
(1) Jean., 21.
Ils le jetèrent aussitôt et prirent une grande quantité de poisson. C'est pourquoi Jean dit à Pierre : C'est le Seigneur! Alors Pierre, qui était dépouillé de sa tunique , la remit et s'empressa d'aller à Jésus en se jetant à la mer ; les autres Disciples vinrent avec la barque. Étant descendus à terre, ils virent un poisson qu'on avait mis sur des charbons allumés et trouvèrent aussi du pain. Car Notre Seigneur leur avait préparé tout cela. Il fit aussi apporter et rôtir quelques-uns des poissons qu'ils avaient pris. Puis se mettant à table avec eux, ils firent ensemble sur le bord de la mer un repas ou plutôt un festin magnifique. Jésus, qui toujours fidèle à son humilité ordinaire , les servait alors, leur offrit du pain après l'avoir rompu, et il leur donna aussi du poisson.
Les sept Disciples pleins d'une respectueuse satisfaction, goûtent au fond de leurs cœurs le bonheur de se retrouver avec leur divin Maître, de manger avec lui et de pouvoir contempler cette beauté céleste l'objet des désirs de tous les Anges. Ils reçoivent de ses mains très saintes ces aliments délicieux qui réparent tout à la fois leurs forces spirituelles et corporelles. Oh! quel festin! Observez-en tous les détails et toutes les circonstances, et si vous le pouvez, prenez-y part avec les Disciples. Ne faites pas moins d'attention à ce qui se fit et se dit après le repas. Tout cela est aussi utile qu'intéressant. Or, après ce festin solennel, Notre Seigneur dit à Pierre : M`aimez-vous plus que ceux-ci? Pierre répondit : Seigneur, vous savez que je vous aime . Et Jésus lui dit : Paissez mes agneaux , etc. Et après l'avoir ainsi interrogé trois fois, Notre Seigneur lui confia son troupeau tout entier. Remarquez ici la bonté accoutumée, la charité, l'humilité de Jésus. Car on voit éclater sa sollicitude et son affection pour nos âmes dans les recommandations qu'il fait et qu'il réitère afin de les graver dans le cœur de son Apôtre.
Mais en outre Notre Seigneur annonça ensuite à Pierre de quelle manière il devait mourir, en lui disant : Lorsque vous étiez jeune, vous vous ceigniez vous-même , etc., indiquant ainsi qu'il devait glorifier Dieu par le supplice de la Croix. Pierre ayant demandé ensuite, en montrant saint Jean: Et celui-ci, que deviendra-t-il ? Notre Seigneur répondit : Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ; comme s'il eût dit : Mon intention n'est pas qu'il me suive dans la voie douloureuse où j'ai marché, mais je veux que, passant ses jours dans la paix de la contemplation, il parvienne à une extrême vieillesse.
Cependant les autres Disciples conclurent de ses paroles que Jean ne devait pas mourir. Mais vivre toujours n'aurait pas été pour lui un grand avantage, puisqu'il vaut mieux mourir, afin d'être avec Jésus-Christ. Vous voyez combien de choses, et de choses importantes ont été dites et faites dans cette apparition. Après cela Notre Seigneur disparut de devant eux et, comme il l'avait déjà fait, il alla retrouver les saints Pères. Quant à ses Disciples, ils furent comblés de consolation et retournèrent ensuite à Jérusalem, etc.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXXVI.
DE L'APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A PLUS DE CINQ CENTS FRÈRES
RÉUNIS, ET DE QUELQUES AUTRES APPARITIONS.
Notre Seigneur apparut encore à plus de cinq cents frères réunis (1) , au témoignage de saint Paul ; mais en quel lieu et dans quel temps, l'Écriture ne le dit pas. Tout ce que l'on sait, c'est que notre bon Maître, s'étant placé au milieu d'eux, les entretint, leur parla du Royaume de Dieu et les remplit des plus douces consolations.
Voilà donc, depuis la Résurrection jusqu'à l'Ascension, douze apparitions de Notre Seigneur, lesquelles réunies à deux autres que nous allons rapporter en parlant de l'Ascension , font en tout quatorze apparitions. Mais vous devez savoir que l'Évangile n'en rapporte que dix ; car on n'y voit nulle part l'apparition faite à Marie, quoique ce soit une pieuse croyance. Quant à l'apparition à Joseph, il n'en est question que dans l'Évangile de Nicodème. (2) Saint Paul dans son Épître aux Corinthiens parle aussi de l'apparition à saint Jacques dont saint Jérôme fait également mention. Et enfin l'Apôtre saint Paul, dans l'Épître précitée, raconte l'apparition à cinq cents d'entre les frères.
(1) 1 Cor., 18. - (2) Ibid.
Les autres se trouvent dans l'Évangile. Mais vous pouvez penser qu'il y en eut encore plusieurs autres. Car il est vraisemblable que le bon Jésus visitait souvent sa Mère, ses Disciples et Madeleine son élève chérie, afin de rendre la force et la joie à des âmes que sa Passion avait remplies de tant d'affliction et de terreur. Et c'est aussi, ce semble, le sentiment de saint Augustin, qui parle ainsi du temps qui a suivi la Résurrection : « On n'a pas , dit-il , écrit tout ce qui s'est passé alors , parce que les visites de Jésus à ses Disciples étaient très-fréquentes. » Et peut-être même que les saints Pères, et surtout Abraham et David auxquels la promesse du Fils de Dieu fut particulièrement faite , venaient avec Jésus voir leur excellente Fille , Mère de Notre Seigneur, qui leur obtint à tous la grâce du salut et enfanta le Sauveur du monde.
Oh ! avec quelle joie ils la contemplaient, avec quel respect ils la saluaient , quelles bénédictions ils répandaient sur elle , quoiqu'ils fussent invisibles à ses yeux ! Vous pouvez encore observer ici , comme à l'ordinaire , la bonté , la charité , l'humilité habituelles de Notre Seigneur , vertus dont nous avons si souvent fait mention et qui éclatent dans toutes ses œuvres , surtout après le triomphe de sa glorieuse Résurrection , puisqu'il daigna encore vivre en pèlerin, pendant quarante jours, pour confirmer et fortifier ses Disciples.
En effet, après le cours de tant d'années, après tant de travaux et de douleurs, après une mort si ignominieuse et si cruelle, ce puissant vainqueur pouvait bien rentrer enfin dans sa gloire et confier à ses Anges le soin de confirmer et de fortifier ses Apôtres, suivant ses desseins éternels ; mais sa charité ne pouvant supporter cette séparation , il voulut demeurer personnellement avec eux , leur donnant , durant quarante jours, par ses apparitions, des preuves nombreuses de sa Résurrection, et les entretenant du royaume de Dieu. Ce n'est pas seulement pour ses Apôtres, c'est aussi pour nous qu'il a fait tout cela, et nous n'y pensons pas. Il nous a aimés d'un amour extrême, et nous restons froids et glacés près de ce feu dévorant dont les ardeurs devraient non-seulement nous échauffer, mais nous embraser entièrement. Mais, passons maintenant à l'Ascension.
DE L'APPARITION DE NOTRE SEIGNEUR A PLUS DE CINQ CENTS FRÈRES
RÉUNIS, ET DE QUELQUES AUTRES APPARITIONS.
Notre Seigneur apparut encore à plus de cinq cents frères réunis (1) , au témoignage de saint Paul ; mais en quel lieu et dans quel temps, l'Écriture ne le dit pas. Tout ce que l'on sait, c'est que notre bon Maître, s'étant placé au milieu d'eux, les entretint, leur parla du Royaume de Dieu et les remplit des plus douces consolations.
Voilà donc, depuis la Résurrection jusqu'à l'Ascension, douze apparitions de Notre Seigneur, lesquelles réunies à deux autres que nous allons rapporter en parlant de l'Ascension , font en tout quatorze apparitions. Mais vous devez savoir que l'Évangile n'en rapporte que dix ; car on n'y voit nulle part l'apparition faite à Marie, quoique ce soit une pieuse croyance. Quant à l'apparition à Joseph, il n'en est question que dans l'Évangile de Nicodème. (2) Saint Paul dans son Épître aux Corinthiens parle aussi de l'apparition à saint Jacques dont saint Jérôme fait également mention. Et enfin l'Apôtre saint Paul, dans l'Épître précitée, raconte l'apparition à cinq cents d'entre les frères.
(1) 1 Cor., 18. - (2) Ibid.
Les autres se trouvent dans l'Évangile. Mais vous pouvez penser qu'il y en eut encore plusieurs autres. Car il est vraisemblable que le bon Jésus visitait souvent sa Mère, ses Disciples et Madeleine son élève chérie, afin de rendre la force et la joie à des âmes que sa Passion avait remplies de tant d'affliction et de terreur. Et c'est aussi, ce semble, le sentiment de saint Augustin, qui parle ainsi du temps qui a suivi la Résurrection : « On n'a pas , dit-il , écrit tout ce qui s'est passé alors , parce que les visites de Jésus à ses Disciples étaient très-fréquentes. » Et peut-être même que les saints Pères, et surtout Abraham et David auxquels la promesse du Fils de Dieu fut particulièrement faite , venaient avec Jésus voir leur excellente Fille , Mère de Notre Seigneur, qui leur obtint à tous la grâce du salut et enfanta le Sauveur du monde.
Oh ! avec quelle joie ils la contemplaient, avec quel respect ils la saluaient , quelles bénédictions ils répandaient sur elle , quoiqu'ils fussent invisibles à ses yeux ! Vous pouvez encore observer ici , comme à l'ordinaire , la bonté , la charité , l'humilité habituelles de Notre Seigneur , vertus dont nous avons si souvent fait mention et qui éclatent dans toutes ses œuvres , surtout après le triomphe de sa glorieuse Résurrection , puisqu'il daigna encore vivre en pèlerin, pendant quarante jours, pour confirmer et fortifier ses Disciples.
En effet, après le cours de tant d'années, après tant de travaux et de douleurs, après une mort si ignominieuse et si cruelle, ce puissant vainqueur pouvait bien rentrer enfin dans sa gloire et confier à ses Anges le soin de confirmer et de fortifier ses Apôtres, suivant ses desseins éternels ; mais sa charité ne pouvant supporter cette séparation , il voulut demeurer personnellement avec eux , leur donnant , durant quarante jours, par ses apparitions, des preuves nombreuses de sa Résurrection, et les entretenant du royaume de Dieu. Ce n'est pas seulement pour ses Apôtres, c'est aussi pour nous qu'il a fait tout cela, et nous n'y pensons pas. Il nous a aimés d'un amour extrême, et nous restons froids et glacés près de ce feu dévorant dont les ardeurs devraient non-seulement nous échauffer, mais nous embraser entièrement. Mais, passons maintenant à l'Ascension.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXXVII.
DE L'ASCENSION DE NOTRE SEIGNEUR.
Je vais parler de l'Ascension de Notre Seigneur; recueillez-vous profondément, et si jusqu'à présent vous avez fait tous vos efforts pour écouter ses paroles et observer ses actions comme si vous en étiez réellement le témoin , faites plus encore en ce moment ; car cette solennité l'emporte sur toutes les autres, ainsi que je vais, clairement vous le montrer tout-à-l ‘heure. Du moins excitez-vous à une grande attention en pensant que Notre Seigneur, parvenu au terme de sa course en ce monde, va maintenant nous priver de sa présence corporelle.
Considérez donc avec plus de recueillement ses paroles et ses actions. Car une âme fidèle, au moment où son Époux, son Seigneur et son Dieu va s'éloigner d'elle, doit observer avec beaucoup de soin tout ce qu'il dit et tout ce qu'il fait , le graver plus profondément dans son cœur , se recommander à lui avec plus de dévotion et d'humilité et enfin se détacher entièrement de tout autre chose.
Or, le quarantième jour après sa Résurrection, Jésus sachant que le moment était venu de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens , il les aima jusqu'à la fin. Ayant donc pris avec lui les Saints Pères et les autres saintes âmes qui se trouvaient dans le Paradis terrestre, et n'y laissant qu'Elie et Énoch qui vivaient encore et qu'il bénit avant de les quitter, il vint au Mont Sion , apparut à ses Disciples rassemblés dans le Cénacle avec Marie et les autres saintes femmes et voulut , avant de les quitter, faire avec eux un dernier repas , mémorial touchant d'amour et de bonheur. Or, pendant qu'ils se livraient à la joie que leur inspirait ce dernier repas fait avec leur divin Maître , Notre Seigneur leur dit : Voici le moment où je dois retourner à celui qui m'a envoyé ; pour vous restez à Jérusalem jusqu'à ce que vous ayez été revêtu de la force d'en haut ; car sous peu de jours , ainsi que je vous l'ai promis , vous serez rempli du Saint-Esprit. Ensuite vous irez par tout le monde prêchant mon Évangile, baptisant ceux qui croiront, et vous me rendrez témoignage jusqu'aux extrémités de la terre. Il leur reprocha aussi leur incrédulité et surtout de n'avoir pas cru les témoins de sa Résurrection , c'est-à-dire les Anges.
Et pour leur adresser ce reproche, il choisit exprès le moment où il leur parlait de la prédication qu'ils devaient faire de son Évangile , comme s'il leur eût dit : L'obligation de croire au témoignage des Anges était bien plus grande pour vous , même avant que de m'avoir vu , qu'elle ne l'est pour les Gentils qui devront y croire sur la foi de votre prédication et ne me verront pas. Notre Seigneur, par ces reproches, voulait aussi leur faire connaître la faute qu'ils avaient commise, afin de les rendre plus humbles, et il leur apprenait en les quittant combien l'humilité est agréable à ses yeux, comme pour leur faire une recommandation spéciale de cette vertu. Les Disciples l'ayant ensuite interrogé sur ce qui devait arriver dans l'avenir, il refusa de satisfaire leur curiosité, parce que cela leur était inutile. Ils continuèrent donc à manger, à converser, à goûter en la présence de leur Maître une joie qui n'était troublée que par la pensée d'une séparation prochaine. Car ils avaient pour lui une affection si tendre qu'ils ne pouvaient sans émotion entendre parler de son départ.
Mais que dirai-je de sa Mère assise à table à ses côtés , de sa Mère qui l'aimait incomparablement plus que tous les autres? Ne pensez-vous pas qu'à l'annonce de ce départ , troublée par les tendres émotions de son amour maternel , Marie a penché sa tête sur Jésus et s'est reposée sur son sein ? En effet puisque saint Jean en agit ainsi dans la Cène , on est bien plus fondé à croire que Marie en fit autant en cette circonstance. Aussi dans une prière accompagnée de soupirs et de larmes, elle lui disait : «Mon Fils , si vous voulez vous éloigner d'ici, emmenez-moi avec vous. » Et Notre Seigneur lui disait pour la consoler : «Ma tendre Mère , je vous en conjure, ne vous affligez pas de mon départ, car je retourne à mon Père. Quant à vous, il faut que vous restiez encore quelque temps sur la terre pour confirmer ceux qui croient en moi , ensuite je reviendrai à vous et je vous ferai entrer dans ma gloire. »
Marie lui répondit: « Mon cher Fils, que votre volonté s'accomplisse; car je suis prête non-seulement à rester sur la terre , mais même à donner ma vie en faveur des âmes pour les quelles vous avez livré la vôtre; mais souvenez-vous de moi. » Or Jésus remplissait de consolation sa Mère, les Disciples, Madeleine et ses compagnes en leur disant : « Bannissez loin de vous le trouble et la crainte , je ne vous laisserai point orphelins ; je m'en vais, mais je reviendrai et je serai toujours avec vous. » Enfin il leur commanda d'aller sur la montagne des Oliviers , d'où il voulait remonter dans les Cieux. Et aussitôt il disparut de devant eux.
Sa Mère donc et tous ceux qui étaient réunis avec elle allèrent sans délai à la montagne indiquée , située à un mille de Jérusalem , où Notre Seigneur leur apparut de nouveau ; ce qui fait deux apparitions dans le même jour. Alors Jésus salue et embrasse sa Mère qui le presse tendrement contre son cœur. Les Disciples , Madeleine et tous les autres se prosternent et lui baisent les pieds avec attendrissement; Jésus relève ses Apôtres et les embrasse avec bonté. Fixez maintenant des yeux attentifs sur tous ces personnages et ne perdez rien de toute cette scène. Considérez aussi avec quel plaisir et quel respect les Saints Pères qui sont là présents, mais d'une manière invisible, contemplent Marie, et avec quelle tendre reconnaissance ils bénissent celle à laquelle ils sont redevables d'un si grand bienfait.
Observez encore quels regards ils jettent sur ces illustres athlètes, sur ces chefs de la divine armée que le Seigneur a choisis entre tant d'autres pour combattre et soumettre tout l'univers. Enfin, ayant ainsi accompli tous les mystères , Notre Seigneur Jésus-Christ s'éleva peu à peu au-dessus d'eux et monta au Ciel par sa propre vertu. Alors sa Mère et tous ceux qui étaient sur la montagne tombent la face contre terre. Marie s'écrie : « Mon Fils éternellement béni, souvenez-vous de moi. » Le départ de Jésus faisait couler ses larmes, mais en même temps, elle était pleine de joie en le voyant s'élever vers le Ciel. Les Disciples disaient de même : « Seigneur, nous avons tout quitté pour vous suivre, souvenez-vous aussi de nous. »
Pour Jésus , les mains élevées , le front serein et radieux , portant la couronne et les ornements d'un Roi, il était triomphalement emporté dans les Cieux; et les bénissant, il leur disait : « Montrez-vous fermes et courageux , car je serai toujours avec vous.» Or, en montant au Ciel, il menait après lui la glorieuse multitude des Pères et des Patriarches auxquels il ouvrait la route, comme l'avait dit (1) le Prophète Michée. Tout brillant de la blancheur des lis unie à l'éclat de la pourpre, resplendissant de gloire et d'allégresse, il les précédait, leur montrant la route , et les Justes de l'ancienne loi le suivaient avec ravissement et remplissaient l'air de leurs cantiques et de leurs acclamations, répétant sans cesse : Célébrons la gloire de notre Maître, il triomphe aujourd'hui de la mort. Son nom est le Seigneur. Que l'univers entier publie les miséricordes du Seigneur et les merveilles qu'il a opérées en faveur des enfants des hommes. Vous êtes béni Seigneur, notre Dieu, qui êtes le Sauveur de ceux qui mettent en vous leur espérance, qui remplissez votre peuple d'allégresse et comblez de joie tous vos élus. Que votre gloire , O mon Dieu , vous élève au-dessus de tous les Cieux. Élevez-vous , ô Dieu, au plus haut du Ciel et au-dessus de toute la terre pour délivrer ceux que vous honorez de votre amour.
(1) Mich., 1.
En montant aux Cieux , en nous en rendant l'accès facile , en nous faisant entrer dans le lieu du rafraîchissement , vous brisez dans votre Toute-Puissance les chaînes de vos serviteurs et vous mettez le comble à tous nos désirs. Nous entrerons donc en votre maison et nous chanterons des hymnes en présence de tous vos Anges. Gloire, louange et honneur vous soient à jamais rendus , Roi et Christ Rédempteur . Peuples de la terre, bénissez votre Dieu , chantés les louanges du Seigneur. Cependant saint Michel , préposé par Dieu à la garde du Paradis, précédant Jésus dans la pairie céleste, y avait annoncé la prochaine arrivée du Seigneur. Et voilà que tous les ordres des esprits célestes, successivement et suivant le rang de leur hiérarchie , se précipitent au-devant de lui ; il n'y en eut aucun qui ne s'empressât de venir à sa rencontre , et , se tenant inclinés en sa présence avec tout le respect dont ils étaient capables , ils l'accompagnaient au bruit des hymnes et d'ineffables cantiques. Car qui pourrait exprimer les chants et les acclamations qu'ils faisaient entendre. Tous ces Princes de la Cour céleste arrivèrent donc ensemble, répétant en chœur : Alléluia, alléluia, alléluia. Roi béni, qui venez au nom du Seigneur, nous célébrons votre triomphe par nos chants d'allégresse , alléluia , alléluia , alléluia.
Mais qui serait capable d'exprimer la vive satisfaction que tous les Esprits célestes et les saints Patriarches éprouvèrent réciproquement lorsqu'ils se rencontrèrent et se réunirent ensemble? Ces habitants du ciel, après avoir rendu leurs hommages au Seigneur et mis fin à leurs cantiques de louanges, disaient avec transport aux saints Pères : « Princes choisis entre tous les peuples, nous vous félicitons d'être enfin parvenus au séjour du bonheur, alléluia ; vous voilà donc pour toujours réunis à votre Dieu, alléluia; vous êtes élevés au comble de la gloire , alléluia; chantez les louanges de celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, alléluia, alléluia. » Et les saints Pères répondaient dans leur ravissement : « Princes de la cité de Dieu, alléluia; nos gardiens et nos protecteurs , alléluia ; que le bonheur et la paix soient toujours avec vous , alléluia ; célébrez aussi par vos cantiques la gloire de notre roi, alléluia. Tressaillez d'allégresse en présence du Dieu qui nous a secourus , alléluia, alléluia, alléluia. »
Ils se disaient aussi en se saluait les uns les autres : « Nous aurons donc le bonheur d'aller dans la maison du Seigneur, alléluia, alléluia; nous habiterons tous ensemble dans la sainte cité de Dieu, alléluia ; nous sommes les brebis des pâturages du Seigneur, franchissons les portes et les parvis de son Temple, alléluia ; en chantant des hymnes et des cantiques , alléluia ; car le Dieu des vertus est avec nous , alléluia; il nous a adoptés pour ses enfants, alléluia, alléluia. »
Vous voyez donc que les acclamations et les chants de joie étaient universels. En effet , selon le Prophète : (1) Dieu est monté au bruit des acclamations, le Seigneur est monté au son des instruments. Or, Notre Seigneur Jésus-Christ , pour la consolation de sa Mère et de ses Disciples , monta si visiblement au ciel qu'ils le suivirent des yeux autant que cela leur était possible ; mais une nuée le déroba à leur vue, et au même instant , il entra dans la patrie céleste avec tous les Anges et tous les saints Pères dont nous venons de parler. Car, dit encore le Prophète-Roi : (2) Vous montez sur les nues comme sur un char, vous volez sur les ailes des vents.
[1] Ps. 46. — (2) Ps. 103.
Or, ce qu'on appelle les ailes des vents ce sont leurs sommités, c'est-à-dire leurs parties antérieures les plus légères. Et dès que Jésus se fut caché dans une nuée, son Ascension fut encore plus rapide. Sa Mère, les Disciples , Marie , Madeleine et les autres saintes femmes restèrent donc à genoux et le regardèrent monter aux cieux aussi longtemps qu'il leur fut possible de l'apercevoir. Oh ! si la vue de Jésus montant si glorieusement au Ciel fut pour eux un spectacle ravissant, qu'aurait-ce donc été s'ils eussent pu voir et entendre les Esprits bienheureux et les âmes saintes l'accompagnant dans sa marche triomphale? Il est probable qu'un tel spectacle aurait transporté leurs âmes d'une joie si grande, qu'elles se seraient détachées de leur corps et se seraient aussi élancées dans les cieux. Et comme ils étaient ainsi attentifs à le regarder montant au ciel , deux Anges vêtus de blanc se présentèrent subitement à eux, et leur dirent : Hommes de Galilée , pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus qui, en se séparant de vous , s'est élevé dans le ciel , reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. Retournez donc à Jérusalem et attendez l'accomplissement de ce qu'il vous a promis.
Remarquez ici la sollicitude de Jésus pour ses Disciples. Car à peine l'ont-ils perdu de vue qu'il leur envoie deux Anges, pour ne pas les fatiguer par une trop longue attente et pour les fortifier , en entendant ces Esprits célestes rendre un témoignage si concordant avec l'idée qu'ils avaient eux-mêmes de l'ascension au ciel de leur divin Maître. Après ces paroles , Marie pria humblement les Anges de la recommander à son Fils. Ces Messagers célestes , s'inclinant profondément, se chargèrent avec empressement des ordres de leur Souveraine. Les Apôtres, Madeleine et tous les autres leur firent les mêmes prières; et dès que les Anges furent disparus , tous retournèrent à la ville sur le mont Sion où ils demeurèrent dans l'attente, ainsi que le Seigneur le leur avait commandé.
Or, Notre Seigneur Jésus-Christ , heureusement accompagné du magnifique et nombreux cortège que nous avons décrit précédemment, ouvrant lui-même les portes du Paradis fermées jusqu'alors à tous les hommes, les franchit en triomphe et, fléchissant le genou devant son Père, il lui dit d'un air satisfait : « Mon Père, je vous rends grâces de m'avoir fait triompher de tous nos adversaires. Nos amis gémissaient dans les liens de la captivité , je viens vous les présenter. Mais j'ai promis aux frères et aux Disciples que j'ai laissés dans le monde de leur envoyer le Saint-Esprit, je vous les recommande, ô mon Père , et vous prie d'accomplir la promesse que je leur ai faite. »
Alors le Père céleste le relève, le fait asseoir à sa droite et lui dit : «Objet éternel de mes bénédictions, Ô mon Fils , je vous ai donné puissance et juridiction sur toutes choses ; disposez donc comme vous l'entendrez de vos Disciples et de l'envoi du Saint-Esprit. » Tous les saints Pères et tous les Esprits bienheureux qui s'étaient prosternés pour adorer le Père céleste se relevèrent et recommencèrent devant lui leurs cantiques, leurs acclamations et leurs louanges.
Car, si après le passage de la mer Rouge, Moïse et les enfants d'Israël s'adressant à Dieu, lui dirent dans un saint cantique : Chantons des hymnes au Seigneur parce qu'il a fait éclater sa gloire, etc. ; si Marie, sœur de Moïse et prophétesse , avec toutes les femmes qui la suivaient , chantaient les louanges de Dieu et dansaient en sa présence au son de leurs tambours, avec combien plus d'allégresse les saints Pères devaient-ils célébrer le triomphe remporté sur tous leurs ennemis? De même si, pendant que le roi David transportait à Jérusalem l'arche du Seigneur, tout le peuple d'Israël faisait entendre de justes acclamations; si le Roi-Prophète unissait alors le son de sa harpe à la voix des chanteurs; si tous les chœurs louaient le Seigneur en s'accompagnant de la lyre et du tambour; si David enfin dansait de toutes ses forces en présence du Seigneur , quels transports d'allégresse devaient faire éclater ceux qui étaient alors si véritablement et si délicieusement entrés dans la joie du Seigneur?
Enfin si saint Jean , ainsi qu'il le dit dans l'Apocalypse, entendit dans le ciel les concerts de cent quarante-quatre mille joueurs de harpe qui s'accompagnaient de leurs instruments et chantaient comme un cantique nouveau devant le trône de Dieu et de l'Agneau, quelle que soit la joie dont le saint Apôtre cherche à nous donner l'idée , je pense que celle qui éclata dans le ciel le jour de l'Ascension fut bien supérieure. Ainsi donc, tous les habitants de cet heureux séjour font raisonner leurs instruments , tous sont dans le ravissement , tous sont dans la joie, tous entonnent des cantiques , tous sont transportés d'allégresse , tous font des acclamations , tous applaudissent , tous forment des chœurs de danse , tous font entendre des cris de réjouissance, tous sont enivrés et hors d'eux-mêmes.
C'est vraiment alors que le cantique de louange retentit dans la Jérusalem céleste et que de toutes parts toutes les bouches répètent : alléluia. Jamais, depuis l'origine du monde , on n'avait célébré dans le ciel une telle fête , ni une Pâque aussi solennelle , et on n'y verra rien de semblable avant le jour du jugement où tous les élus y entreront avec des corps glorieux. Et voilà pourquoi je vous ai dit d'abord que , tout bien considéré , cette solennité l'emporte sur toutes les autres. En effet , examinez-les toutes , et vous verrez que je n'exagère pas. L'Incarnation de Notre Seigneur est une grande Pâque et une Fête très-solennelle , çà été le principe de notre bonheur; mais ce bonheur n'a profité qu'à nous , et Jésus n'a pu y participer, puisqu'il était renfermé dans le sein virginal de Marie. C'est une grande Pâque que la fête de la Nativité; mais si elle est consolante par rapport à nous, elle doit nous faire répandre des larmes de compassion sur Jésus , puisqu'il ne vient au monde que pour souffrir un tel excès de pauvreté , d'anéantissement et d'indigence.
La Passion est également une grande fête pour nous , puisque par elle nos péchés ont été effacés ; « car, selon saint Grégoire , la vie ne nous aurait été d'aucune utilité sans la Rédemption. » Toutefois les tourments de Jésus-Christ ont été si cruels et sa mort a été si ignominieuse que la Rédemption elle-même ne peut jamais être ni pour lui ni pour nous un sujet de joie et de réjouissance. La Résurrection fut surtout une grande, solennelle et véritable Pâque tant pour Jésus-Christ que pour nous , puisqu'elle a procuré a ce Dieu sauveur le plus glorieux triomphe et à nous la plus heureuse justification. Ce jour mérite donc la plus grande vénération ; aussi est-ce de lui que , selon saint Augustin , l'Église dit dans ses chants : Voilà le jour que le Seigneur a fait , etc.
La fête que nous célébrons aujourd'hui l'emporte sur toutes les autres et cela peut se conclure de ce qui précède. En effet, ce jour de l'Ascension paraît plus grand et plus saint , parce que , même après la Résurrection , Notre Seigneur ne put encore quitter la terre, que les portes du paradis ne purent encore s'ouvrir, ni les Saints Patriarches être présentés au Père céleste , toutes choses qui ne s'accomplirent que le jour de l'Ascension. Et si vous y faites bien attention, tout ce que Dieu avait opéré jusque-là ne tendait qu'à cette unique fin sans laquelle toutes ses autres œuvres étaient imparfaites. En effet le Ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment sont faits pour l'homme, l'homme est créé pour posséder la gloire éternelle à laquelle jusqu'alors nul mortel, quelque juste qu'il fût , n'avait pu parvenir depuis le péché d'Adam. Vous voyez combien ce jour est grand et admirable.
Le jour de la Pentecôte est encore une très-grande Fête que l'Église célèbre avec beaucoup de solennité , et ce n'est pas sans raison , puisqu'en ce jour elle a reçu le Saint-Esprit, le plus grand de tous les dons de Dieu. Or, c'est encore à nous , et non à Jésus-Christ que ce présent a été fait. Mais le jour de l'Ascension est vraiment la Fête la plus solennelle de Notre Seigneur Jésus-Christ, parce que c'est en ce jour qu'il est allé s'asseoir à la droite de son Père et se reposer des fatigues de son pèlerinage en ce monde. C'est encore la Fête spéciale de tous les Esprits célestes, parce qu'ils reçoivent un accroissement de joie de la présence corporelle de Notre Seigneur que jusque-là ils n'avaient pu contempler au ciel dans son humanité, et parce qu'en ce jour les pertes qu'ils ont faites commencent à se réparer par l'introduction d'une si grande multitude de bienheureux, et c'est proprement aussi la Fête des illustres Patriarches et Prophètes et de toutes les saintes Ames qui, pour la première fois, firent aujourd'hui leur entrée dans la Patrie céleste.
Si donc nous célébrons le jour où quelque Saint a été admis dans le Ciel, combien devons-nous plus encore célébrer celui où tant de milliers de Saints, où le Saint des Saints sont entrés dans le séjour éternel. C'est également la Fête de Marie qui vit en ce jour son Fils , décoré du diadème royal , aller comme le Dieu vivant et véritable , s'asseoir au plus haut des cieux. Mais en même temps c'est aussi notre Fête particulière , puisqu'en ce jour la nature humaine a été exaltée dans le Ciel et parce qu'en outre, si Jésus-Christ ne s'y était élevé, nous n'aurions jamais pu recevoir le don du Saint-Esprit qui est à si juste titre l'objet principal de cette solennité. Et voilà pourquoi Jésus disait à ses Disciples : Il vous est avantageux que je m'en aille, car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous.
Mais à l'appui de ce que je viens de dire, voilà comment saint Bernard parle de ce jour dans son sermon sur l'Ascension de Notre Seigneur : «Cette Fête, mes chers Frères, est glorieuse. Car c'est la consommation et le complément de toutes les autres solennités; c'est l'heureuse conclusion de tout le pèlerinage de Jésus-Christ Fils du Dieu vivant. C'est avec raison que l'on a fait un jour de fête et d'allégresse de celui où le brillant flambeau de la cour céleste, le soleil de justice a daigné s'offrir à nos regards. Mais on doit se livrer aux transports d'une joie beaucoup plus grande encore le jour où Jésus déchirant le voile de la mortalité , inaugura avec tant d'allégresse les prémices de notre Résurrection. Cependant savez-vous ce que j'éprouve en ces Fêtes solennelles , en voyant que , jusqu'à présent, je suis retenu sur la terre? Je vous le déclare ici , ce lieu de mon exil ne me paraît pas beaucoup plus supportable que l'enfer. Enfin Jésus a dit : Si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous. Ne comprenez- vous donc pas que la solennité de ce jour renferme la consommation, fait connaître le fruit et perfectionne la grâce de toutes les autres solennités. Car, de même que Celui qui est né pour nous a tout fait pour nous , de même aussi , Celui qui est monté au Ciel pour nous , y fait tout pour nous. » Tout cela est de saint Bernard.
Vous voyez donc bien que cette Fête l'emporte sur toutes les autres , et qu'un cœur plein d'amour pour Notre Seigneur devra plus se réjouir en ce jour que dans tous les autres jours de l'année. Aussi Jésus disait-il à ses Disciples : Si vous m'aimiez , vous vous réjouiriez de ce que je retourne à mon Père. J'ai donc eu bien raison de dire qu'aucun jour n'a jamais été dans le Ciel aussi solennisé que celui de l'Ascension. Or, la joie et les réjouissances de cette Fête se prolongèrent jusqu'à la Pentecôte ; ce que l'on pourra méditer de la manière suivante. Notre Seigneur monta au Ciel à l'heure de Sexte, puisque c'était à l'heure de Tierce qu'il avait mangé d'abord avec ses Disciples; et quoique tous les habitants de la céleste patrie fussent remplis d'une inexprimable joie, cependant cette Fête fut particulièrement célébrée par les Anges depuis le premier jour jusqu'à Sexte du lendemain , et pendant ce temps Notre Seigneur leur montra quelque familiarité ou leur accorda quelques consolations spéciales. Le second jour la Fête fut célébrée par les Archanges , le troisième par les Principautés, le quatrième par les Puissances, le cinquième par les Vertus, le sixième par les Dominations , le septième par les Trônes , le huitième par les Chérubins et le neuvième par les Séraphins ; ce qui complète les neuf chœurs des Anges , de sorte que ces réjouissances durèrent jusqu'à Sexte de la veille de la Pentecôte. Et alors les Saints Pères à leur tour célébrèrent cette fête jusqu'à l'heure de Tierce du Dimanche de la Pentecôte.
CHAPITRE LXXXXVIII
DE l'ENVOI DU SAINT-ESPRIT. — DÉSIR DE LA PATRIE CÉLESTE
ET DE LA MORT QUI PEUT NOUS Y CONDUIRE.
Tout étant ainsi terminé, Jésus dit à son Père : « Mon Père, souvenez-vous de la promesse que j'ai faite à mes frères au sujet du Saint-Esprit. » « Mon Fils , répondit le Père céleste, votre promesse m'est très-agréable et voici le moment de l'accomplir. Dites donc au Saint- Esprit que nous le prions de descendre sur nos Disciples, de les remplir, de les consoler, de les fortifier , de les instruire et de les combler de grâces et de faveurs. » Aussitôt cette demande, l'Esprit-Saint , prenant la forme de langues de feu , se précipita, et descendit sur les cent-vingt Disciples alors réunis et les remplit tous d'une joie inexprimable.
Fortifiés, instruits, embrasés et éclairés par la grâce du Saint-Esprit, les Disciples parcourent le monde et le soumettent en grande partie. Cependant , même après la descente de l'Esprit-Saint, les habitants du Ciel continuèrent à chanter et ne cessent encore de répéter les louanges du Seigneur. Ils sont toujours dans la joie, célèbrent une Fête perpétuelle et ne font entendre que des actions de grâces et des Cantiques de louanges. Car il est écrit : (1) Heureux , Seigneur, ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans tous les siècles des siècles.
Hâtons-nous donc d'entrer dans ce séjour de paix où coule avec tant d'abondance et sans jamais se tarir un torrent de délices , et soupirons avec ardeur après notre patrie céleste. Ayons horreur des liens de ce corps misérable et corrompu, et ne faisons aucun cas des vains désirs par lesquels il s'efforce de nous enchaîner à ce monde et de nous tenir éloignés d'une si grande félicité. Répétons donc avec l'Apôtre : (2) Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et encore : (3) Tant que nous habitons dans ce corps , nous sommes éloignés du Seigneur. Et encore : (4) Je désire d'être délivré des liens du corps, pour être avec Jésus-Christ.
(1) Ps 83. — (2) Rom., 7. — (3) 1.Cor., S. — (4) Phil., 1.
Désirons donc la dissolution de notre corps et ne cessons de la demander au Seigneur , parce que nous ne pouvons l'opérer par nous-même sans danger pour notre salut. Disons encore : Mourons du moins au monde, à ses pompes et à ses concupiscences. Séparons-nous avec courage et persévérance de tout ce qui est périssable et de toutes les misérables , courtes et vaines satisfactions des choses visibles qui infectent et blessent nos âmes.
Élevons-nous en esprit avec le Seigneur, ou plutôt vers le Seigneur ; que notre conversation soit avec lui dans les Cieux , et qu'ainsi nous ne soyons pas tout-à-fait comme des Pèlerins et des étrangers , afin qu'au jour du dernier avènement, nous méritions d'être emportés dans les Cieux par le même Jésus-Christ Notre Seigneur qui est au-dessus de toutes choses , le Dieu béni et loué dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
DE L'ASCENSION DE NOTRE SEIGNEUR.
Je vais parler de l'Ascension de Notre Seigneur; recueillez-vous profondément, et si jusqu'à présent vous avez fait tous vos efforts pour écouter ses paroles et observer ses actions comme si vous en étiez réellement le témoin , faites plus encore en ce moment ; car cette solennité l'emporte sur toutes les autres, ainsi que je vais, clairement vous le montrer tout-à-l ‘heure. Du moins excitez-vous à une grande attention en pensant que Notre Seigneur, parvenu au terme de sa course en ce monde, va maintenant nous priver de sa présence corporelle.
Considérez donc avec plus de recueillement ses paroles et ses actions. Car une âme fidèle, au moment où son Époux, son Seigneur et son Dieu va s'éloigner d'elle, doit observer avec beaucoup de soin tout ce qu'il dit et tout ce qu'il fait , le graver plus profondément dans son cœur , se recommander à lui avec plus de dévotion et d'humilité et enfin se détacher entièrement de tout autre chose.
Or, le quarantième jour après sa Résurrection, Jésus sachant que le moment était venu de passer de ce monde à son Père, comme il avait aimé les siens , il les aima jusqu'à la fin. Ayant donc pris avec lui les Saints Pères et les autres saintes âmes qui se trouvaient dans le Paradis terrestre, et n'y laissant qu'Elie et Énoch qui vivaient encore et qu'il bénit avant de les quitter, il vint au Mont Sion , apparut à ses Disciples rassemblés dans le Cénacle avec Marie et les autres saintes femmes et voulut , avant de les quitter, faire avec eux un dernier repas , mémorial touchant d'amour et de bonheur. Or, pendant qu'ils se livraient à la joie que leur inspirait ce dernier repas fait avec leur divin Maître , Notre Seigneur leur dit : Voici le moment où je dois retourner à celui qui m'a envoyé ; pour vous restez à Jérusalem jusqu'à ce que vous ayez été revêtu de la force d'en haut ; car sous peu de jours , ainsi que je vous l'ai promis , vous serez rempli du Saint-Esprit. Ensuite vous irez par tout le monde prêchant mon Évangile, baptisant ceux qui croiront, et vous me rendrez témoignage jusqu'aux extrémités de la terre. Il leur reprocha aussi leur incrédulité et surtout de n'avoir pas cru les témoins de sa Résurrection , c'est-à-dire les Anges.
Et pour leur adresser ce reproche, il choisit exprès le moment où il leur parlait de la prédication qu'ils devaient faire de son Évangile , comme s'il leur eût dit : L'obligation de croire au témoignage des Anges était bien plus grande pour vous , même avant que de m'avoir vu , qu'elle ne l'est pour les Gentils qui devront y croire sur la foi de votre prédication et ne me verront pas. Notre Seigneur, par ces reproches, voulait aussi leur faire connaître la faute qu'ils avaient commise, afin de les rendre plus humbles, et il leur apprenait en les quittant combien l'humilité est agréable à ses yeux, comme pour leur faire une recommandation spéciale de cette vertu. Les Disciples l'ayant ensuite interrogé sur ce qui devait arriver dans l'avenir, il refusa de satisfaire leur curiosité, parce que cela leur était inutile. Ils continuèrent donc à manger, à converser, à goûter en la présence de leur Maître une joie qui n'était troublée que par la pensée d'une séparation prochaine. Car ils avaient pour lui une affection si tendre qu'ils ne pouvaient sans émotion entendre parler de son départ.
Mais que dirai-je de sa Mère assise à table à ses côtés , de sa Mère qui l'aimait incomparablement plus que tous les autres? Ne pensez-vous pas qu'à l'annonce de ce départ , troublée par les tendres émotions de son amour maternel , Marie a penché sa tête sur Jésus et s'est reposée sur son sein ? En effet puisque saint Jean en agit ainsi dans la Cène , on est bien plus fondé à croire que Marie en fit autant en cette circonstance. Aussi dans une prière accompagnée de soupirs et de larmes, elle lui disait : «Mon Fils , si vous voulez vous éloigner d'ici, emmenez-moi avec vous. » Et Notre Seigneur lui disait pour la consoler : «Ma tendre Mère , je vous en conjure, ne vous affligez pas de mon départ, car je retourne à mon Père. Quant à vous, il faut que vous restiez encore quelque temps sur la terre pour confirmer ceux qui croient en moi , ensuite je reviendrai à vous et je vous ferai entrer dans ma gloire. »
Marie lui répondit: « Mon cher Fils, que votre volonté s'accomplisse; car je suis prête non-seulement à rester sur la terre , mais même à donner ma vie en faveur des âmes pour les quelles vous avez livré la vôtre; mais souvenez-vous de moi. » Or Jésus remplissait de consolation sa Mère, les Disciples, Madeleine et ses compagnes en leur disant : « Bannissez loin de vous le trouble et la crainte , je ne vous laisserai point orphelins ; je m'en vais, mais je reviendrai et je serai toujours avec vous. » Enfin il leur commanda d'aller sur la montagne des Oliviers , d'où il voulait remonter dans les Cieux. Et aussitôt il disparut de devant eux.
Sa Mère donc et tous ceux qui étaient réunis avec elle allèrent sans délai à la montagne indiquée , située à un mille de Jérusalem , où Notre Seigneur leur apparut de nouveau ; ce qui fait deux apparitions dans le même jour. Alors Jésus salue et embrasse sa Mère qui le presse tendrement contre son cœur. Les Disciples , Madeleine et tous les autres se prosternent et lui baisent les pieds avec attendrissement; Jésus relève ses Apôtres et les embrasse avec bonté. Fixez maintenant des yeux attentifs sur tous ces personnages et ne perdez rien de toute cette scène. Considérez aussi avec quel plaisir et quel respect les Saints Pères qui sont là présents, mais d'une manière invisible, contemplent Marie, et avec quelle tendre reconnaissance ils bénissent celle à laquelle ils sont redevables d'un si grand bienfait.
Observez encore quels regards ils jettent sur ces illustres athlètes, sur ces chefs de la divine armée que le Seigneur a choisis entre tant d'autres pour combattre et soumettre tout l'univers. Enfin, ayant ainsi accompli tous les mystères , Notre Seigneur Jésus-Christ s'éleva peu à peu au-dessus d'eux et monta au Ciel par sa propre vertu. Alors sa Mère et tous ceux qui étaient sur la montagne tombent la face contre terre. Marie s'écrie : « Mon Fils éternellement béni, souvenez-vous de moi. » Le départ de Jésus faisait couler ses larmes, mais en même temps, elle était pleine de joie en le voyant s'élever vers le Ciel. Les Disciples disaient de même : « Seigneur, nous avons tout quitté pour vous suivre, souvenez-vous aussi de nous. »
Pour Jésus , les mains élevées , le front serein et radieux , portant la couronne et les ornements d'un Roi, il était triomphalement emporté dans les Cieux; et les bénissant, il leur disait : « Montrez-vous fermes et courageux , car je serai toujours avec vous.» Or, en montant au Ciel, il menait après lui la glorieuse multitude des Pères et des Patriarches auxquels il ouvrait la route, comme l'avait dit (1) le Prophète Michée. Tout brillant de la blancheur des lis unie à l'éclat de la pourpre, resplendissant de gloire et d'allégresse, il les précédait, leur montrant la route , et les Justes de l'ancienne loi le suivaient avec ravissement et remplissaient l'air de leurs cantiques et de leurs acclamations, répétant sans cesse : Célébrons la gloire de notre Maître, il triomphe aujourd'hui de la mort. Son nom est le Seigneur. Que l'univers entier publie les miséricordes du Seigneur et les merveilles qu'il a opérées en faveur des enfants des hommes. Vous êtes béni Seigneur, notre Dieu, qui êtes le Sauveur de ceux qui mettent en vous leur espérance, qui remplissez votre peuple d'allégresse et comblez de joie tous vos élus. Que votre gloire , O mon Dieu , vous élève au-dessus de tous les Cieux. Élevez-vous , ô Dieu, au plus haut du Ciel et au-dessus de toute la terre pour délivrer ceux que vous honorez de votre amour.
(1) Mich., 1.
En montant aux Cieux , en nous en rendant l'accès facile , en nous faisant entrer dans le lieu du rafraîchissement , vous brisez dans votre Toute-Puissance les chaînes de vos serviteurs et vous mettez le comble à tous nos désirs. Nous entrerons donc en votre maison et nous chanterons des hymnes en présence de tous vos Anges. Gloire, louange et honneur vous soient à jamais rendus , Roi et Christ Rédempteur . Peuples de la terre, bénissez votre Dieu , chantés les louanges du Seigneur. Cependant saint Michel , préposé par Dieu à la garde du Paradis, précédant Jésus dans la pairie céleste, y avait annoncé la prochaine arrivée du Seigneur. Et voilà que tous les ordres des esprits célestes, successivement et suivant le rang de leur hiérarchie , se précipitent au-devant de lui ; il n'y en eut aucun qui ne s'empressât de venir à sa rencontre , et , se tenant inclinés en sa présence avec tout le respect dont ils étaient capables , ils l'accompagnaient au bruit des hymnes et d'ineffables cantiques. Car qui pourrait exprimer les chants et les acclamations qu'ils faisaient entendre. Tous ces Princes de la Cour céleste arrivèrent donc ensemble, répétant en chœur : Alléluia, alléluia, alléluia. Roi béni, qui venez au nom du Seigneur, nous célébrons votre triomphe par nos chants d'allégresse , alléluia , alléluia , alléluia.
Mais qui serait capable d'exprimer la vive satisfaction que tous les Esprits célestes et les saints Patriarches éprouvèrent réciproquement lorsqu'ils se rencontrèrent et se réunirent ensemble? Ces habitants du ciel, après avoir rendu leurs hommages au Seigneur et mis fin à leurs cantiques de louanges, disaient avec transport aux saints Pères : « Princes choisis entre tous les peuples, nous vous félicitons d'être enfin parvenus au séjour du bonheur, alléluia ; vous voilà donc pour toujours réunis à votre Dieu, alléluia; vous êtes élevés au comble de la gloire , alléluia; chantez les louanges de celui qui est monté au-dessus de tous les cieux, alléluia, alléluia. » Et les saints Pères répondaient dans leur ravissement : « Princes de la cité de Dieu, alléluia; nos gardiens et nos protecteurs , alléluia ; que le bonheur et la paix soient toujours avec vous , alléluia ; célébrez aussi par vos cantiques la gloire de notre roi, alléluia. Tressaillez d'allégresse en présence du Dieu qui nous a secourus , alléluia, alléluia, alléluia. »
Ils se disaient aussi en se saluait les uns les autres : « Nous aurons donc le bonheur d'aller dans la maison du Seigneur, alléluia, alléluia; nous habiterons tous ensemble dans la sainte cité de Dieu, alléluia ; nous sommes les brebis des pâturages du Seigneur, franchissons les portes et les parvis de son Temple, alléluia ; en chantant des hymnes et des cantiques , alléluia ; car le Dieu des vertus est avec nous , alléluia; il nous a adoptés pour ses enfants, alléluia, alléluia. »
Vous voyez donc que les acclamations et les chants de joie étaient universels. En effet , selon le Prophète : (1) Dieu est monté au bruit des acclamations, le Seigneur est monté au son des instruments. Or, Notre Seigneur Jésus-Christ , pour la consolation de sa Mère et de ses Disciples , monta si visiblement au ciel qu'ils le suivirent des yeux autant que cela leur était possible ; mais une nuée le déroba à leur vue, et au même instant , il entra dans la patrie céleste avec tous les Anges et tous les saints Pères dont nous venons de parler. Car, dit encore le Prophète-Roi : (2) Vous montez sur les nues comme sur un char, vous volez sur les ailes des vents.
[1] Ps. 46. — (2) Ps. 103.
Or, ce qu'on appelle les ailes des vents ce sont leurs sommités, c'est-à-dire leurs parties antérieures les plus légères. Et dès que Jésus se fut caché dans une nuée, son Ascension fut encore plus rapide. Sa Mère, les Disciples , Marie , Madeleine et les autres saintes femmes restèrent donc à genoux et le regardèrent monter aux cieux aussi longtemps qu'il leur fut possible de l'apercevoir. Oh ! si la vue de Jésus montant si glorieusement au Ciel fut pour eux un spectacle ravissant, qu'aurait-ce donc été s'ils eussent pu voir et entendre les Esprits bienheureux et les âmes saintes l'accompagnant dans sa marche triomphale? Il est probable qu'un tel spectacle aurait transporté leurs âmes d'une joie si grande, qu'elles se seraient détachées de leur corps et se seraient aussi élancées dans les cieux. Et comme ils étaient ainsi attentifs à le regarder montant au ciel , deux Anges vêtus de blanc se présentèrent subitement à eux, et leur dirent : Hommes de Galilée , pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel? Ce Jésus qui, en se séparant de vous , s'est élevé dans le ciel , reviendra de la même manière que vous l'y avez vu monter. Retournez donc à Jérusalem et attendez l'accomplissement de ce qu'il vous a promis.
Remarquez ici la sollicitude de Jésus pour ses Disciples. Car à peine l'ont-ils perdu de vue qu'il leur envoie deux Anges, pour ne pas les fatiguer par une trop longue attente et pour les fortifier , en entendant ces Esprits célestes rendre un témoignage si concordant avec l'idée qu'ils avaient eux-mêmes de l'ascension au ciel de leur divin Maître. Après ces paroles , Marie pria humblement les Anges de la recommander à son Fils. Ces Messagers célestes , s'inclinant profondément, se chargèrent avec empressement des ordres de leur Souveraine. Les Apôtres, Madeleine et tous les autres leur firent les mêmes prières; et dès que les Anges furent disparus , tous retournèrent à la ville sur le mont Sion où ils demeurèrent dans l'attente, ainsi que le Seigneur le leur avait commandé.
Or, Notre Seigneur Jésus-Christ , heureusement accompagné du magnifique et nombreux cortège que nous avons décrit précédemment, ouvrant lui-même les portes du Paradis fermées jusqu'alors à tous les hommes, les franchit en triomphe et, fléchissant le genou devant son Père, il lui dit d'un air satisfait : « Mon Père, je vous rends grâces de m'avoir fait triompher de tous nos adversaires. Nos amis gémissaient dans les liens de la captivité , je viens vous les présenter. Mais j'ai promis aux frères et aux Disciples que j'ai laissés dans le monde de leur envoyer le Saint-Esprit, je vous les recommande, ô mon Père , et vous prie d'accomplir la promesse que je leur ai faite. »
Alors le Père céleste le relève, le fait asseoir à sa droite et lui dit : «Objet éternel de mes bénédictions, Ô mon Fils , je vous ai donné puissance et juridiction sur toutes choses ; disposez donc comme vous l'entendrez de vos Disciples et de l'envoi du Saint-Esprit. » Tous les saints Pères et tous les Esprits bienheureux qui s'étaient prosternés pour adorer le Père céleste se relevèrent et recommencèrent devant lui leurs cantiques, leurs acclamations et leurs louanges.
Car, si après le passage de la mer Rouge, Moïse et les enfants d'Israël s'adressant à Dieu, lui dirent dans un saint cantique : Chantons des hymnes au Seigneur parce qu'il a fait éclater sa gloire, etc. ; si Marie, sœur de Moïse et prophétesse , avec toutes les femmes qui la suivaient , chantaient les louanges de Dieu et dansaient en sa présence au son de leurs tambours, avec combien plus d'allégresse les saints Pères devaient-ils célébrer le triomphe remporté sur tous leurs ennemis? De même si, pendant que le roi David transportait à Jérusalem l'arche du Seigneur, tout le peuple d'Israël faisait entendre de justes acclamations; si le Roi-Prophète unissait alors le son de sa harpe à la voix des chanteurs; si tous les chœurs louaient le Seigneur en s'accompagnant de la lyre et du tambour; si David enfin dansait de toutes ses forces en présence du Seigneur , quels transports d'allégresse devaient faire éclater ceux qui étaient alors si véritablement et si délicieusement entrés dans la joie du Seigneur?
Enfin si saint Jean , ainsi qu'il le dit dans l'Apocalypse, entendit dans le ciel les concerts de cent quarante-quatre mille joueurs de harpe qui s'accompagnaient de leurs instruments et chantaient comme un cantique nouveau devant le trône de Dieu et de l'Agneau, quelle que soit la joie dont le saint Apôtre cherche à nous donner l'idée , je pense que celle qui éclata dans le ciel le jour de l'Ascension fut bien supérieure. Ainsi donc, tous les habitants de cet heureux séjour font raisonner leurs instruments , tous sont dans le ravissement , tous sont dans la joie, tous entonnent des cantiques , tous sont transportés d'allégresse , tous font des acclamations , tous applaudissent , tous forment des chœurs de danse , tous font entendre des cris de réjouissance, tous sont enivrés et hors d'eux-mêmes.
C'est vraiment alors que le cantique de louange retentit dans la Jérusalem céleste et que de toutes parts toutes les bouches répètent : alléluia. Jamais, depuis l'origine du monde , on n'avait célébré dans le ciel une telle fête , ni une Pâque aussi solennelle , et on n'y verra rien de semblable avant le jour du jugement où tous les élus y entreront avec des corps glorieux. Et voilà pourquoi je vous ai dit d'abord que , tout bien considéré , cette solennité l'emporte sur toutes les autres. En effet , examinez-les toutes , et vous verrez que je n'exagère pas. L'Incarnation de Notre Seigneur est une grande Pâque et une Fête très-solennelle , çà été le principe de notre bonheur; mais ce bonheur n'a profité qu'à nous , et Jésus n'a pu y participer, puisqu'il était renfermé dans le sein virginal de Marie. C'est une grande Pâque que la fête de la Nativité; mais si elle est consolante par rapport à nous, elle doit nous faire répandre des larmes de compassion sur Jésus , puisqu'il ne vient au monde que pour souffrir un tel excès de pauvreté , d'anéantissement et d'indigence.
La Passion est également une grande fête pour nous , puisque par elle nos péchés ont été effacés ; « car, selon saint Grégoire , la vie ne nous aurait été d'aucune utilité sans la Rédemption. » Toutefois les tourments de Jésus-Christ ont été si cruels et sa mort a été si ignominieuse que la Rédemption elle-même ne peut jamais être ni pour lui ni pour nous un sujet de joie et de réjouissance. La Résurrection fut surtout une grande, solennelle et véritable Pâque tant pour Jésus-Christ que pour nous , puisqu'elle a procuré a ce Dieu sauveur le plus glorieux triomphe et à nous la plus heureuse justification. Ce jour mérite donc la plus grande vénération ; aussi est-ce de lui que , selon saint Augustin , l'Église dit dans ses chants : Voilà le jour que le Seigneur a fait , etc.
La fête que nous célébrons aujourd'hui l'emporte sur toutes les autres et cela peut se conclure de ce qui précède. En effet, ce jour de l'Ascension paraît plus grand et plus saint , parce que , même après la Résurrection , Notre Seigneur ne put encore quitter la terre, que les portes du paradis ne purent encore s'ouvrir, ni les Saints Patriarches être présentés au Père céleste , toutes choses qui ne s'accomplirent que le jour de l'Ascension. Et si vous y faites bien attention, tout ce que Dieu avait opéré jusque-là ne tendait qu'à cette unique fin sans laquelle toutes ses autres œuvres étaient imparfaites. En effet le Ciel, la terre et tout ce qu'ils renferment sont faits pour l'homme, l'homme est créé pour posséder la gloire éternelle à laquelle jusqu'alors nul mortel, quelque juste qu'il fût , n'avait pu parvenir depuis le péché d'Adam. Vous voyez combien ce jour est grand et admirable.
Le jour de la Pentecôte est encore une très-grande Fête que l'Église célèbre avec beaucoup de solennité , et ce n'est pas sans raison , puisqu'en ce jour elle a reçu le Saint-Esprit, le plus grand de tous les dons de Dieu. Or, c'est encore à nous , et non à Jésus-Christ que ce présent a été fait. Mais le jour de l'Ascension est vraiment la Fête la plus solennelle de Notre Seigneur Jésus-Christ, parce que c'est en ce jour qu'il est allé s'asseoir à la droite de son Père et se reposer des fatigues de son pèlerinage en ce monde. C'est encore la Fête spéciale de tous les Esprits célestes, parce qu'ils reçoivent un accroissement de joie de la présence corporelle de Notre Seigneur que jusque-là ils n'avaient pu contempler au ciel dans son humanité, et parce qu'en ce jour les pertes qu'ils ont faites commencent à se réparer par l'introduction d'une si grande multitude de bienheureux, et c'est proprement aussi la Fête des illustres Patriarches et Prophètes et de toutes les saintes Ames qui, pour la première fois, firent aujourd'hui leur entrée dans la Patrie céleste.
Si donc nous célébrons le jour où quelque Saint a été admis dans le Ciel, combien devons-nous plus encore célébrer celui où tant de milliers de Saints, où le Saint des Saints sont entrés dans le séjour éternel. C'est également la Fête de Marie qui vit en ce jour son Fils , décoré du diadème royal , aller comme le Dieu vivant et véritable , s'asseoir au plus haut des cieux. Mais en même temps c'est aussi notre Fête particulière , puisqu'en ce jour la nature humaine a été exaltée dans le Ciel et parce qu'en outre, si Jésus-Christ ne s'y était élevé, nous n'aurions jamais pu recevoir le don du Saint-Esprit qui est à si juste titre l'objet principal de cette solennité. Et voilà pourquoi Jésus disait à ses Disciples : Il vous est avantageux que je m'en aille, car si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous.
Mais à l'appui de ce que je viens de dire, voilà comment saint Bernard parle de ce jour dans son sermon sur l'Ascension de Notre Seigneur : «Cette Fête, mes chers Frères, est glorieuse. Car c'est la consommation et le complément de toutes les autres solennités; c'est l'heureuse conclusion de tout le pèlerinage de Jésus-Christ Fils du Dieu vivant. C'est avec raison que l'on a fait un jour de fête et d'allégresse de celui où le brillant flambeau de la cour céleste, le soleil de justice a daigné s'offrir à nos regards. Mais on doit se livrer aux transports d'une joie beaucoup plus grande encore le jour où Jésus déchirant le voile de la mortalité , inaugura avec tant d'allégresse les prémices de notre Résurrection. Cependant savez-vous ce que j'éprouve en ces Fêtes solennelles , en voyant que , jusqu'à présent, je suis retenu sur la terre? Je vous le déclare ici , ce lieu de mon exil ne me paraît pas beaucoup plus supportable que l'enfer. Enfin Jésus a dit : Si je ne m'en vais point, le Consolateur ne viendra point à vous. Ne comprenez- vous donc pas que la solennité de ce jour renferme la consommation, fait connaître le fruit et perfectionne la grâce de toutes les autres solennités. Car, de même que Celui qui est né pour nous a tout fait pour nous , de même aussi , Celui qui est monté au Ciel pour nous , y fait tout pour nous. » Tout cela est de saint Bernard.
Vous voyez donc bien que cette Fête l'emporte sur toutes les autres , et qu'un cœur plein d'amour pour Notre Seigneur devra plus se réjouir en ce jour que dans tous les autres jours de l'année. Aussi Jésus disait-il à ses Disciples : Si vous m'aimiez , vous vous réjouiriez de ce que je retourne à mon Père. J'ai donc eu bien raison de dire qu'aucun jour n'a jamais été dans le Ciel aussi solennisé que celui de l'Ascension. Or, la joie et les réjouissances de cette Fête se prolongèrent jusqu'à la Pentecôte ; ce que l'on pourra méditer de la manière suivante. Notre Seigneur monta au Ciel à l'heure de Sexte, puisque c'était à l'heure de Tierce qu'il avait mangé d'abord avec ses Disciples; et quoique tous les habitants de la céleste patrie fussent remplis d'une inexprimable joie, cependant cette Fête fut particulièrement célébrée par les Anges depuis le premier jour jusqu'à Sexte du lendemain , et pendant ce temps Notre Seigneur leur montra quelque familiarité ou leur accorda quelques consolations spéciales. Le second jour la Fête fut célébrée par les Archanges , le troisième par les Principautés, le quatrième par les Puissances, le cinquième par les Vertus, le sixième par les Dominations , le septième par les Trônes , le huitième par les Chérubins et le neuvième par les Séraphins ; ce qui complète les neuf chœurs des Anges , de sorte que ces réjouissances durèrent jusqu'à Sexte de la veille de la Pentecôte. Et alors les Saints Pères à leur tour célébrèrent cette fête jusqu'à l'heure de Tierce du Dimanche de la Pentecôte.
CHAPITRE LXXXXVIII
DE l'ENVOI DU SAINT-ESPRIT. — DÉSIR DE LA PATRIE CÉLESTE
ET DE LA MORT QUI PEUT NOUS Y CONDUIRE.
Tout étant ainsi terminé, Jésus dit à son Père : « Mon Père, souvenez-vous de la promesse que j'ai faite à mes frères au sujet du Saint-Esprit. » « Mon Fils , répondit le Père céleste, votre promesse m'est très-agréable et voici le moment de l'accomplir. Dites donc au Saint- Esprit que nous le prions de descendre sur nos Disciples, de les remplir, de les consoler, de les fortifier , de les instruire et de les combler de grâces et de faveurs. » Aussitôt cette demande, l'Esprit-Saint , prenant la forme de langues de feu , se précipita, et descendit sur les cent-vingt Disciples alors réunis et les remplit tous d'une joie inexprimable.
Fortifiés, instruits, embrasés et éclairés par la grâce du Saint-Esprit, les Disciples parcourent le monde et le soumettent en grande partie. Cependant , même après la descente de l'Esprit-Saint, les habitants du Ciel continuèrent à chanter et ne cessent encore de répéter les louanges du Seigneur. Ils sont toujours dans la joie, célèbrent une Fête perpétuelle et ne font entendre que des actions de grâces et des Cantiques de louanges. Car il est écrit : (1) Heureux , Seigneur, ceux qui habitent dans votre maison, ils vous loueront dans tous les siècles des siècles.
Hâtons-nous donc d'entrer dans ce séjour de paix où coule avec tant d'abondance et sans jamais se tarir un torrent de délices , et soupirons avec ardeur après notre patrie céleste. Ayons horreur des liens de ce corps misérable et corrompu, et ne faisons aucun cas des vains désirs par lesquels il s'efforce de nous enchaîner à ce monde et de nous tenir éloignés d'une si grande félicité. Répétons donc avec l'Apôtre : (2) Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Et encore : (3) Tant que nous habitons dans ce corps , nous sommes éloignés du Seigneur. Et encore : (4) Je désire d'être délivré des liens du corps, pour être avec Jésus-Christ.
(1) Ps 83. — (2) Rom., 7. — (3) 1.Cor., S. — (4) Phil., 1.
Désirons donc la dissolution de notre corps et ne cessons de la demander au Seigneur , parce que nous ne pouvons l'opérer par nous-même sans danger pour notre salut. Disons encore : Mourons du moins au monde, à ses pompes et à ses concupiscences. Séparons-nous avec courage et persévérance de tout ce qui est périssable et de toutes les misérables , courtes et vaines satisfactions des choses visibles qui infectent et blessent nos âmes.
Élevons-nous en esprit avec le Seigneur, ou plutôt vers le Seigneur ; que notre conversation soit avec lui dans les Cieux , et qu'ainsi nous ne soyons pas tout-à-fait comme des Pèlerins et des étrangers , afin qu'au jour du dernier avènement, nous méritions d'être emportés dans les Cieux par le même Jésus-Christ Notre Seigneur qui est au-dessus de toutes choses , le Dieu béni et loué dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE LXXXXIX.
DEUX MANIÈRES DE MÉDITER LA VIE DE JÉSUS-CHRIST ;
L'UNE SELON LA CHAIR, L'AUTRE SELON l'ESPRIT.
Vous avez donc , ma chère Fille , dans ce qui précède, la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ mise , pour la plus grande partie , en Méditations. Je les ai préparées pour vous. Recevez-les respectueusement, de bon cœur et de bonne grâce, et ne négligez pas d'en faire habituellement usage avec toute la piété, la joie spirituelle et la sollicitude dont vous êtes capable; car c'est là votre voie et votre vie , c'est là le fondement sur lequel vous pourrez élever le grand édifice de votre sanctification.
Comme je vous l'ai dit dans plusieurs chapitres précédents , il faut commencer par là, si vous voulez vous élever à une plus haute spiritualité, parce que cette méditation de la vie de Jésus-Christ non-seulement nourrit par elle-même délicieusement notre âme, mais la prépare à une nourriture encore plus excellente. En effet elle nous rend en quelque sorte témoins oculaires des actions que Notre Seigneur a faites en sa chair ; mais quelque chose de plus sublime, c'est de les contempler des yeux de l'esprit, et la Méditation de sa vie est l'échelle mystérieuse par laquelle vous pourrez parvenir à cette sublimité. Mais, en attendant, il faut vous en tenir à la méthode que je vous ai indiquée , dont saint Bernard parle en ces termes :
(1) Pour moi je pense que le motif principal qui déterminé le Dieu invisible à se montrer sous une forme humaine, et à habiter parmi nous, ça été d'attirer d'abord à l'amour de son humanité toutes les affections des hommes charnels qui ne pouvaient rien aimer que selon la chair , et par ce moyen de les conduire ensuite graduellement à l'amour des choses spirituelles. Il indiquait à ses Disciples un plus haut degré d'amour quand il leur disait : (2) C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. En attendant qu'on s'élève à ce degré supérieur, la dévotion à l'humanité de Jésus-Christ doit faire la consolation de celui qui n'a pas encore reçu l'esprit vivifiant au degré où le possèdent ceux qui peuvent dire : (3) L'Esprit qui nous conduit , c'est celui de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et encore : (4) Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Car autrement, sans le Saint-Esprit possédé dans cette plénitude, il est impossible d'aimer Jésus, même selon la chair.
(1) Serm. 20, Sup. cant. — (2) Jean., 6. — (3) Thren, 4 (4) 2 Cor., 5.
Toutefois cette dévotion n'est parfaite que lorsque sa suavité , remplissant notre cœur, l'affranchit entièrement de toute affection aux objets charnels et le rend insensible à tous les attraits de la chair ; car voilà ce que c'est que d'aimer de tout son cœur. Si au contraire, je préfère à l'humanité de mon Sauveur quelque parent ou quelque plaisir selon la chair, et qu'en conséquence je remplisse moins fidèlement tout ce que Jésus , pendant sa vie mortelle , m'a enseigné par ses paroles et par ses exemples, n'est- il pas évident alors que je ne l'aime pas de tout mon cœur, puisque, par un malheureux partage, il semble qu'en donnant à son humanité une partie de mes affections , je réserve l'autre pour moi-même? Enfin Jésus-Christ a dit : (1) Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Pour résumer en peu de mots ma pensée, aimer Jésus de tout son cœur, c'est mettre l'amour de sa sainte humanité bien au-dessus de ce qui pourrait nous flatter le plus, soit dans nous-mêmes, soit dans les autres ; sans même en excepter la gloire de ce monde , parce que c'est une gloire selon la chair et qu'il n'y a que des hommes charnels qui puissent s'y attacher.
(1) Matth., 10.
Vous voyez donc ce qu'il y a encore de charnel dans l'espèce de Méditation que je vous propose , si on la compare à la Méditation purement spirituelle. Néanmoins ne prenez pas de là motif de diminuer votre dévotion à la première, mais plutôt de croître en ferveur pour vous élever à la sublimité de la seconde, à laquelle cependant vous ne parviendrez qu'en passant par la moins parfaite , qu'il faut également pratiquer avec beaucoup d'ardeur pour vous abîmer dans l'autre. Rien en effet n'est plus utile que cette méditation charnelle qui nous détache de la vie des sens , qui nous fait mépriser et vaincre le monde. En vous y exerçant de cette manière , vous affermirez votre volonté dans la pratique du bien , par une connaissance plus approfondie de toutes les vertus, et vous acquerrez la force de l'âme , ainsi que je vous l'ai dit dans l'avant-propos. Que cette espèce de méditation soit donc votre seule et unique occupation , votre repos , votre nourriture, votre étude.
Cet exercice non-seulement vous procurera les avantages dont je viens de parler, non-seulement vous élèvera par degré à la contemplation de la Patrie céleste et de la divine Majesté , mais il sera pour vous une source abondante et perpétuelle de consolations. Enfin , ceux mêmes qui peuvent s'élever à la plus sublime contemplation ne doivent pas , selon le lieu et selon le temps, abandonner la méditation ordinaire de la vie de Jésus-Christ ; autrement , il semblerait qu'ils la méprisent , ce qui ne viendrait que d'un orgueil excessif. Rappelez-vous donc ce que, dans le chapitre relatif à cette sorte de contemplation , je vous ai dit ci-dessus sur la méditation de l'humanité de Jésus-Christ que saint Bernard, le plus grand des contemplatifs, non-seulement n'a jamais abandonnée , mais qu'il affectionne et recommande au-dessus de tout , comme on le voit dans ses sermons sur ce sujet.
DEUX MANIÈRES DE MÉDITER LA VIE DE JÉSUS-CHRIST ;
L'UNE SELON LA CHAIR, L'AUTRE SELON l'ESPRIT.
Vous avez donc , ma chère Fille , dans ce qui précède, la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ mise , pour la plus grande partie , en Méditations. Je les ai préparées pour vous. Recevez-les respectueusement, de bon cœur et de bonne grâce, et ne négligez pas d'en faire habituellement usage avec toute la piété, la joie spirituelle et la sollicitude dont vous êtes capable; car c'est là votre voie et votre vie , c'est là le fondement sur lequel vous pourrez élever le grand édifice de votre sanctification.
Comme je vous l'ai dit dans plusieurs chapitres précédents , il faut commencer par là, si vous voulez vous élever à une plus haute spiritualité, parce que cette méditation de la vie de Jésus-Christ non-seulement nourrit par elle-même délicieusement notre âme, mais la prépare à une nourriture encore plus excellente. En effet elle nous rend en quelque sorte témoins oculaires des actions que Notre Seigneur a faites en sa chair ; mais quelque chose de plus sublime, c'est de les contempler des yeux de l'esprit, et la Méditation de sa vie est l'échelle mystérieuse par laquelle vous pourrez parvenir à cette sublimité. Mais, en attendant, il faut vous en tenir à la méthode que je vous ai indiquée , dont saint Bernard parle en ces termes :
(1) Pour moi je pense que le motif principal qui déterminé le Dieu invisible à se montrer sous une forme humaine, et à habiter parmi nous, ça été d'attirer d'abord à l'amour de son humanité toutes les affections des hommes charnels qui ne pouvaient rien aimer que selon la chair , et par ce moyen de les conduire ensuite graduellement à l'amour des choses spirituelles. Il indiquait à ses Disciples un plus haut degré d'amour quand il leur disait : (2) C'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien. En attendant qu'on s'élève à ce degré supérieur, la dévotion à l'humanité de Jésus-Christ doit faire la consolation de celui qui n'a pas encore reçu l'esprit vivifiant au degré où le possèdent ceux qui peuvent dire : (3) L'Esprit qui nous conduit , c'est celui de Notre Seigneur Jésus-Christ. Et encore : (4) Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte. Car autrement, sans le Saint-Esprit possédé dans cette plénitude, il est impossible d'aimer Jésus, même selon la chair.
(1) Serm. 20, Sup. cant. — (2) Jean., 6. — (3) Thren, 4 (4) 2 Cor., 5.
Toutefois cette dévotion n'est parfaite que lorsque sa suavité , remplissant notre cœur, l'affranchit entièrement de toute affection aux objets charnels et le rend insensible à tous les attraits de la chair ; car voilà ce que c'est que d'aimer de tout son cœur. Si au contraire, je préfère à l'humanité de mon Sauveur quelque parent ou quelque plaisir selon la chair, et qu'en conséquence je remplisse moins fidèlement tout ce que Jésus , pendant sa vie mortelle , m'a enseigné par ses paroles et par ses exemples, n'est- il pas évident alors que je ne l'aime pas de tout mon cœur, puisque, par un malheureux partage, il semble qu'en donnant à son humanité une partie de mes affections , je réserve l'autre pour moi-même? Enfin Jésus-Christ a dit : (1) Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi. Pour résumer en peu de mots ma pensée, aimer Jésus de tout son cœur, c'est mettre l'amour de sa sainte humanité bien au-dessus de ce qui pourrait nous flatter le plus, soit dans nous-mêmes, soit dans les autres ; sans même en excepter la gloire de ce monde , parce que c'est une gloire selon la chair et qu'il n'y a que des hommes charnels qui puissent s'y attacher.
(1) Matth., 10.
Vous voyez donc ce qu'il y a encore de charnel dans l'espèce de Méditation que je vous propose , si on la compare à la Méditation purement spirituelle. Néanmoins ne prenez pas de là motif de diminuer votre dévotion à la première, mais plutôt de croître en ferveur pour vous élever à la sublimité de la seconde, à laquelle cependant vous ne parviendrez qu'en passant par la moins parfaite , qu'il faut également pratiquer avec beaucoup d'ardeur pour vous abîmer dans l'autre. Rien en effet n'est plus utile que cette méditation charnelle qui nous détache de la vie des sens , qui nous fait mépriser et vaincre le monde. En vous y exerçant de cette manière , vous affermirez votre volonté dans la pratique du bien , par une connaissance plus approfondie de toutes les vertus, et vous acquerrez la force de l'âme , ainsi que je vous l'ai dit dans l'avant-propos. Que cette espèce de méditation soit donc votre seule et unique occupation , votre repos , votre nourriture, votre étude.
Cet exercice non-seulement vous procurera les avantages dont je viens de parler, non-seulement vous élèvera par degré à la contemplation de la Patrie céleste et de la divine Majesté , mais il sera pour vous une source abondante et perpétuelle de consolations. Enfin , ceux mêmes qui peuvent s'élever à la plus sublime contemplation ne doivent pas , selon le lieu et selon le temps, abandonner la méditation ordinaire de la vie de Jésus-Christ ; autrement , il semblerait qu'ils la méprisent , ce qui ne viendrait que d'un orgueil excessif. Rappelez-vous donc ce que, dans le chapitre relatif à cette sorte de contemplation , je vous ai dit ci-dessus sur la méditation de l'humanité de Jésus-Christ que saint Bernard, le plus grand des contemplatifs, non-seulement n'a jamais abandonnée , mais qu'il affectionne et recommande au-dessus de tout , comme on le voit dans ses sermons sur ce sujet.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: MÉDITATIONS SUR LA VIE JESUS-CHRIST TRADUITES DE SAINT BONAVENTURE - 14 eme siecle
CHAPITRE C.
DE QUELLE MANIERE IL FAUT MÉDITER LA VIE DE JÉSUS-CHRIST,
ET CONCLUSION DE CET OUVRAGE.
Maintenant, ma chère fille, je veux vous indiquer la méthode que vous devez suivre dans ces méditations; de de peur que , vous imaginant que vous devez vous élever à toutes les considérations , et parcourir tous les détails développés ci-dessus , vous ne preniez le parti de rejeter ce travail comme un fardeau trop accablant , surtout lorsque vous saurez que toutes ces méditations peuvent, selon moi, se faire dans l'espace d'une seule semaine. Sachez donc qu'il vous suffit de méditer une seule action, une seule parole que Notre Seigneur a faite ou dite lui-même, ou bien qui s'est faite ou dite à son occasion , conformément à l'histoire évangélique, en vous représentant toutes ces choses de même que si elles se passaient devant vous et à peu près comme l'esprit se figure naturellement les évènements dont il entend faire le récit.
Quant aux considérations morales et aux citations que , pour votre instruction , j'ai insérées dans cet ouvrage, il ne faut les méditer que si vous voyez au premier coup-d ’œil que cela peut vous conduire à l'amour pratique de quelque vertu, ou à la haine de quelque vice. Choisissez pour faire ces méditations un moment de tranquillité ; puis pendant le reste du jour vous pourrez étudier et graver avec soin dans votre mémoire les moralités et les citations. Elles vous seront extrêmement utiles ; car elles sont esprit et vie, et si belles que vous y pourrez puiser presque toutes les connaissances propres à vous élever à la plus parfaite spiritualité.
Partagez ces méditations de manière que , les commençant le lundi, vous alliez jusqu'à la fuite de Notre Seigneur en Égypte; vous laisserez là Notre Seigneur jusqu'au lendemain , et le mardi , l'accompagnant dans son retour, vous continuerez les méditations jusqu'à celle où il est dit que Jésus ouvrit dans la Synagogue le livre du Prophète Isaïe ; le mercredi vous irez de là jus qu'au chapitre où l'on traite des différentes fonctions de Marthe et de Marie; le jeudi vous reprendrez les méditations jusqu'à la Passion ; le vendredi et le samedi vous les pousserez jusqu'à la Résurrection; le Dimanche enfin vous méditerez la Résurrection, et vous continuerez jusqu'à la fin. Répétez cela toutes les semaines pour vous familiariser avec ces exercices , parce que plus vous les renouvellerez , plus vous les trouverez faciles et agréables.
Entretenez-vous volontiers avec Notre Seigneur Jésus-Christ et efforcez-vous de mettre constamment sa vie dans votre cœur, comme sainte Cécile plaçait l'Évangile sur le sien. Au reste, il est temps de terminer cet ouvrage non par mes propres paroles, mais par celles que j'emprunte à saint Bernard sur le sein duquel j'ai tant de fois cueilli de si brillantes fleurs pour vous les présenter.
Concluons au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, livre scellé, en l'honneur duquel tout ce livre a été fait. Or voici à ce sujet ce que saint Bernard dit sur ces paroles : Votre nom est comme une huile de parfum répandu : « (1) On n'en peut douter, il y a entre l'huile et le nom de l'Époux une certaine similitude; et ce n'est pas sans raison que le Saint-Esprit a comparé l'un à l'autre. Cette similitude je la trouve , si vous ne voyez rien de mieux , en trois propriétés de l'huile, qui sont d'éclairer, de nourrir et d'oindre. Elle entretient la flamme, nourrit la chair, adoucit la douleur; c'est une lumière, une nourriture, un remède. Remarquez aussi les mêmes propriétés dans le nom de l'Époux. Il éclaire celui qui l'entend prêcher, nourrit celui qui le médite, remplit de douceur et d'onction celui qui l'invoque. Mais parcourons ces effets l'un après l'autre.
(1) Serm. 23 , sup. cant.
Comment, je vous prie , la lumière de la foi s'est- elle répandue avec tant d'abondance et de promptitude dans tout l'univers , si ce n'est par la prédication du nom de Jésus ? N'est-ce pas en faisant briller à nos yeux l'éclat de ce nom que Dieu nous a appelés à son admirable lumière? Et quand nous sommes investis de ces brillantes clartés, quand par elles nous pouvons contempler les splendeurs de la lumière éternelle, n'est-ce pas avec raison que saint Paul nous dit: (1) Vous n'étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre Seigneur. Or le nom de Jésus n'est pas seulement une lumière , c'est encore une nourriture. Toutes les fois que vous le rappelez à votre souvenir, ne vous communique-t-il pas la force et la vigueur? Quoi de plus propre à nourrir l'âme dans la méditation? Qui peut aussi bien réparer les fatigues des sens , affermir les vertus , fortifier les inclinations honnêtes et vertueuses, entretenir les saintes affections? Tout aliment de l'âme est aride si cette huile ne le pénètre, est insipide si ce sel ne l'assaisonne. Tout écrit est sans goût pour moi , si je n'y trouve le nom de Jésus. Toute discussion , toute conférence est sans attrait , si l'on n'y prononce le nom de Jésus. Jésus est le miel de mes lèvres, la mélodie de mon oreille, la joie de mon cœur.
(1) Eph., 8.
Mais ce nom est aussi un remède. L'un de vous est-il attristé? Que Jésus vienne dans son cœur, que ce nom vole sur ses lèvres et à l'apparition de cette lumière , il verra tous les nuages se dissiper et la sérénité renaître. Un autre commet-il un crime ? est-il tenté dans son désespoir de recourir à la mort ? s'il invoque le nom de Jésus , ce nom de vie ne le fera- t-il pas bientôt soupirer après la vie? Quel homme à ce nom salutaire pourrait conserver encore l'endurcissement habituel du cœur, l'engourdissement et la paresse, quelque rancune secrète, la nonchalance et le découragement? Quel homme, lorsque la source de ses larmes est tarie , ne les laisse s'échapper avec plus d'abondance et couler avec plus de douceur dès qu'il a invoqué le nom de Jésus? Quel cœur effrayé et palpitant à la vue du péril, n'a pas recouvré la confiance et déposé la crainte en invoquant ce nom plein de puissance? Quel esprit agité et flottant dans le doute n'a pas , dites-moi , vu briller tout-à-coup la certitude à l'invocation de ce nom plein de lumière ?
Quel homme désespéré par le malheur n'a pas retrouvé tout son courage en entendant prononcer ce nom salutaire ? Ce sont là sans doute des langueurs , des maladies spirituelles, mais aussi en voilà le remède. Enfin, pour vous convaincre, écoutez ces paroles :(1) Invoquez-moi au jour de la tribulation, dit le Seigneur, je vous délivrerai , et vous rendrez gloire à mon nom. Rien d'aussi puissant que ce nom pour réprimer les emportements de la colère , faire tomber l'enflure de l'orgueil , guérir la plaie de l'envie , suspendre le cours des dérèglements, éteindre le feu des passions, tempérer la soif de l'avarice et éloigner toutes les tentations impures. En effet quand je prononce le nom de Jésus, je me représente un homme doux et humble de cœur, rempli de bonté , de sobriété , de chasteté , de miséricorde , enfin tout éclatant de la pureté et de la sainteté les plus éminentes , et en même temps je vois en lui un Dieu tout-puissant, qui me corrige par son exemple et me fortifie par son secours. Le nom de Jésus suffit pour me rappeler tout cela.
(1) Ps. 94.
J'emprunte à l'homme des exemples , au Tout-Puissant des secours; je me sers des exemples comme d'une espèce de médicament et de l'assistance pour en rendre la vertu plus pénétrante, et j'en compose un remède si excellent qu'aucun médecin n'en pourrait faire de semblable. Le nom de Jésus, voilà, ô mon âme, le vase précieux où vous trouverez toujours renfermé ce remède salutaire et toujours efficace contre toutes les maladies dont la pestilence pourrait vous atteindre. Tenez gravé dans votre cœur , tenez écrit dans votre main , ce nom si propre à diriger vers Jésus tous vos sentiments et toutes vos actions.
Jésus lui-même vous y invite. (1) Mettez-moi , dit-il dans un des Cantiques, comme un cachet sur votre cœur et comme un sceau sur votre bras. Mais il le répète encore ailleurs. Vous avez donc maintenant un remède contre les péchés dont vos mains et votre cœur pourraient se souiller. Vous avez donc dans le nom de Jésus , de quoi corriger vos actions les plus mauvaises , de quoi perfectionner les moins parfaites; vous avez aussi eu ce nom de quoi préserver vos sens de la corruption, de quoi les guérir s'ils en sont atteints. Saint Bernard dit ailleurs :
« (2) Seigneur Jésus! que vous êtes beau aux yeux de vos Anges , sous la forme de Dieu , au jour de votre Éternité, engendré avant l'aurore dans la splendeur des Saints , image resplendissante de la substance du Père, lumière éblouissante et toujours durable de la vie éternelle ! Mais aussi, ô le Dieu de mon cœur , quels attraits vous m'offrez dans l'état humilié où vous dérobez à nos regards votre beauté suprême !
(1) Cant., 8. — (2) Serm. 48, sup. cant.
Car plus vous vous êtes anéanti , plus , sous le voile de la chair, vous avez caché les rayons de votre indéfectible lumière ; plus ici-bas vous nous avez montré d'amour , plus votre charité a éclaté , plus votre grâce a rayonné à nos yeux. Que vous êtes brillante à votre lever , étoile de Jacob ! Quel est votre éclat, ô fleur sortie de la tige de Jessé ! Quelles douces clartés ont lui dans les ténèbres, ô Soleil levant , lorsque vous êtes venu d'en haut pour nous visiter ! Quels sujets d'admiration et d'étonnement sont, pour les Vertus mêmes des Cieux, votre Conception du Saint-Esprit , votre Naissance de la Vierge Marie , l'innocence de votre vie , la fécondité abondante de votre Doctrine , l'éclat de vos miracles, les mystérieuses révélations de vos Sacrements ! Quel éclat vous jetez , ô Soleil de justice, lorsqu'après votre repos , vous vous élancez tout radieux du sein de la terre ! Enfin que vous êtes ravissant , ô Roi de gloire , lorsque magnifiquement revêtu de la robe d'immortalité qui n'appartient qu'à vous, vous remontez au plus haut des Cieux ! Comment , à la vue de tant de merveilles, tous mes os ne s'écrieraient-ils pas : Seigneur, qui est semblable à vous ? Pour moi je crois que , lorsque l'Épouse des Cantiques disait : Que vous êtes beau , ô mon bien-aimé, que vous avez de grâces et de charmes ! c'est qu'elle avait admiré dans l'Époux céleste les attraits ravissants que nous venons d'esquisser , ou d'autres perfections semblables; mais en outre, c'est qu'indubitablement, elle avait contemplé quelques traits de cette beauté divine dont nous ne pouvons nous faire aucune idée et dont nous n'avons aucune expérience.
Voilà pourquoi elle a désigné , par une double exclamation , la beauté spéciale de l'une et de l'autre substance. » Ainsi s'exprime saint Bernard. Grâces soient rendues au Dieu qui vit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
FIN.
DE QUELLE MANIERE IL FAUT MÉDITER LA VIE DE JÉSUS-CHRIST,
ET CONCLUSION DE CET OUVRAGE.
Maintenant, ma chère fille, je veux vous indiquer la méthode que vous devez suivre dans ces méditations; de de peur que , vous imaginant que vous devez vous élever à toutes les considérations , et parcourir tous les détails développés ci-dessus , vous ne preniez le parti de rejeter ce travail comme un fardeau trop accablant , surtout lorsque vous saurez que toutes ces méditations peuvent, selon moi, se faire dans l'espace d'une seule semaine. Sachez donc qu'il vous suffit de méditer une seule action, une seule parole que Notre Seigneur a faite ou dite lui-même, ou bien qui s'est faite ou dite à son occasion , conformément à l'histoire évangélique, en vous représentant toutes ces choses de même que si elles se passaient devant vous et à peu près comme l'esprit se figure naturellement les évènements dont il entend faire le récit.
Quant aux considérations morales et aux citations que , pour votre instruction , j'ai insérées dans cet ouvrage, il ne faut les méditer que si vous voyez au premier coup-d ’œil que cela peut vous conduire à l'amour pratique de quelque vertu, ou à la haine de quelque vice. Choisissez pour faire ces méditations un moment de tranquillité ; puis pendant le reste du jour vous pourrez étudier et graver avec soin dans votre mémoire les moralités et les citations. Elles vous seront extrêmement utiles ; car elles sont esprit et vie, et si belles que vous y pourrez puiser presque toutes les connaissances propres à vous élever à la plus parfaite spiritualité.
Partagez ces méditations de manière que , les commençant le lundi, vous alliez jusqu'à la fuite de Notre Seigneur en Égypte; vous laisserez là Notre Seigneur jusqu'au lendemain , et le mardi , l'accompagnant dans son retour, vous continuerez les méditations jusqu'à celle où il est dit que Jésus ouvrit dans la Synagogue le livre du Prophète Isaïe ; le mercredi vous irez de là jus qu'au chapitre où l'on traite des différentes fonctions de Marthe et de Marie; le jeudi vous reprendrez les méditations jusqu'à la Passion ; le vendredi et le samedi vous les pousserez jusqu'à la Résurrection; le Dimanche enfin vous méditerez la Résurrection, et vous continuerez jusqu'à la fin. Répétez cela toutes les semaines pour vous familiariser avec ces exercices , parce que plus vous les renouvellerez , plus vous les trouverez faciles et agréables.
Entretenez-vous volontiers avec Notre Seigneur Jésus-Christ et efforcez-vous de mettre constamment sa vie dans votre cœur, comme sainte Cécile plaçait l'Évangile sur le sien. Au reste, il est temps de terminer cet ouvrage non par mes propres paroles, mais par celles que j'emprunte à saint Bernard sur le sein duquel j'ai tant de fois cueilli de si brillantes fleurs pour vous les présenter.
Concluons au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, livre scellé, en l'honneur duquel tout ce livre a été fait. Or voici à ce sujet ce que saint Bernard dit sur ces paroles : Votre nom est comme une huile de parfum répandu : « (1) On n'en peut douter, il y a entre l'huile et le nom de l'Époux une certaine similitude; et ce n'est pas sans raison que le Saint-Esprit a comparé l'un à l'autre. Cette similitude je la trouve , si vous ne voyez rien de mieux , en trois propriétés de l'huile, qui sont d'éclairer, de nourrir et d'oindre. Elle entretient la flamme, nourrit la chair, adoucit la douleur; c'est une lumière, une nourriture, un remède. Remarquez aussi les mêmes propriétés dans le nom de l'Époux. Il éclaire celui qui l'entend prêcher, nourrit celui qui le médite, remplit de douceur et d'onction celui qui l'invoque. Mais parcourons ces effets l'un après l'autre.
(1) Serm. 23 , sup. cant.
Comment, je vous prie , la lumière de la foi s'est- elle répandue avec tant d'abondance et de promptitude dans tout l'univers , si ce n'est par la prédication du nom de Jésus ? N'est-ce pas en faisant briller à nos yeux l'éclat de ce nom que Dieu nous a appelés à son admirable lumière? Et quand nous sommes investis de ces brillantes clartés, quand par elles nous pouvons contempler les splendeurs de la lumière éternelle, n'est-ce pas avec raison que saint Paul nous dit: (1) Vous n'étiez autrefois que ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière en Notre Seigneur. Or le nom de Jésus n'est pas seulement une lumière , c'est encore une nourriture. Toutes les fois que vous le rappelez à votre souvenir, ne vous communique-t-il pas la force et la vigueur? Quoi de plus propre à nourrir l'âme dans la méditation? Qui peut aussi bien réparer les fatigues des sens , affermir les vertus , fortifier les inclinations honnêtes et vertueuses, entretenir les saintes affections? Tout aliment de l'âme est aride si cette huile ne le pénètre, est insipide si ce sel ne l'assaisonne. Tout écrit est sans goût pour moi , si je n'y trouve le nom de Jésus. Toute discussion , toute conférence est sans attrait , si l'on n'y prononce le nom de Jésus. Jésus est le miel de mes lèvres, la mélodie de mon oreille, la joie de mon cœur.
(1) Eph., 8.
Mais ce nom est aussi un remède. L'un de vous est-il attristé? Que Jésus vienne dans son cœur, que ce nom vole sur ses lèvres et à l'apparition de cette lumière , il verra tous les nuages se dissiper et la sérénité renaître. Un autre commet-il un crime ? est-il tenté dans son désespoir de recourir à la mort ? s'il invoque le nom de Jésus , ce nom de vie ne le fera- t-il pas bientôt soupirer après la vie? Quel homme à ce nom salutaire pourrait conserver encore l'endurcissement habituel du cœur, l'engourdissement et la paresse, quelque rancune secrète, la nonchalance et le découragement? Quel homme, lorsque la source de ses larmes est tarie , ne les laisse s'échapper avec plus d'abondance et couler avec plus de douceur dès qu'il a invoqué le nom de Jésus? Quel cœur effrayé et palpitant à la vue du péril, n'a pas recouvré la confiance et déposé la crainte en invoquant ce nom plein de puissance? Quel esprit agité et flottant dans le doute n'a pas , dites-moi , vu briller tout-à-coup la certitude à l'invocation de ce nom plein de lumière ?
Quel homme désespéré par le malheur n'a pas retrouvé tout son courage en entendant prononcer ce nom salutaire ? Ce sont là sans doute des langueurs , des maladies spirituelles, mais aussi en voilà le remède. Enfin, pour vous convaincre, écoutez ces paroles :(1) Invoquez-moi au jour de la tribulation, dit le Seigneur, je vous délivrerai , et vous rendrez gloire à mon nom. Rien d'aussi puissant que ce nom pour réprimer les emportements de la colère , faire tomber l'enflure de l'orgueil , guérir la plaie de l'envie , suspendre le cours des dérèglements, éteindre le feu des passions, tempérer la soif de l'avarice et éloigner toutes les tentations impures. En effet quand je prononce le nom de Jésus, je me représente un homme doux et humble de cœur, rempli de bonté , de sobriété , de chasteté , de miséricorde , enfin tout éclatant de la pureté et de la sainteté les plus éminentes , et en même temps je vois en lui un Dieu tout-puissant, qui me corrige par son exemple et me fortifie par son secours. Le nom de Jésus suffit pour me rappeler tout cela.
(1) Ps. 94.
J'emprunte à l'homme des exemples , au Tout-Puissant des secours; je me sers des exemples comme d'une espèce de médicament et de l'assistance pour en rendre la vertu plus pénétrante, et j'en compose un remède si excellent qu'aucun médecin n'en pourrait faire de semblable. Le nom de Jésus, voilà, ô mon âme, le vase précieux où vous trouverez toujours renfermé ce remède salutaire et toujours efficace contre toutes les maladies dont la pestilence pourrait vous atteindre. Tenez gravé dans votre cœur , tenez écrit dans votre main , ce nom si propre à diriger vers Jésus tous vos sentiments et toutes vos actions.
Jésus lui-même vous y invite. (1) Mettez-moi , dit-il dans un des Cantiques, comme un cachet sur votre cœur et comme un sceau sur votre bras. Mais il le répète encore ailleurs. Vous avez donc maintenant un remède contre les péchés dont vos mains et votre cœur pourraient se souiller. Vous avez donc dans le nom de Jésus , de quoi corriger vos actions les plus mauvaises , de quoi perfectionner les moins parfaites; vous avez aussi eu ce nom de quoi préserver vos sens de la corruption, de quoi les guérir s'ils en sont atteints. Saint Bernard dit ailleurs :
« (2) Seigneur Jésus! que vous êtes beau aux yeux de vos Anges , sous la forme de Dieu , au jour de votre Éternité, engendré avant l'aurore dans la splendeur des Saints , image resplendissante de la substance du Père, lumière éblouissante et toujours durable de la vie éternelle ! Mais aussi, ô le Dieu de mon cœur , quels attraits vous m'offrez dans l'état humilié où vous dérobez à nos regards votre beauté suprême !
(1) Cant., 8. — (2) Serm. 48, sup. cant.
Car plus vous vous êtes anéanti , plus , sous le voile de la chair, vous avez caché les rayons de votre indéfectible lumière ; plus ici-bas vous nous avez montré d'amour , plus votre charité a éclaté , plus votre grâce a rayonné à nos yeux. Que vous êtes brillante à votre lever , étoile de Jacob ! Quel est votre éclat, ô fleur sortie de la tige de Jessé ! Quelles douces clartés ont lui dans les ténèbres, ô Soleil levant , lorsque vous êtes venu d'en haut pour nous visiter ! Quels sujets d'admiration et d'étonnement sont, pour les Vertus mêmes des Cieux, votre Conception du Saint-Esprit , votre Naissance de la Vierge Marie , l'innocence de votre vie , la fécondité abondante de votre Doctrine , l'éclat de vos miracles, les mystérieuses révélations de vos Sacrements ! Quel éclat vous jetez , ô Soleil de justice, lorsqu'après votre repos , vous vous élancez tout radieux du sein de la terre ! Enfin que vous êtes ravissant , ô Roi de gloire , lorsque magnifiquement revêtu de la robe d'immortalité qui n'appartient qu'à vous, vous remontez au plus haut des Cieux ! Comment , à la vue de tant de merveilles, tous mes os ne s'écrieraient-ils pas : Seigneur, qui est semblable à vous ? Pour moi je crois que , lorsque l'Épouse des Cantiques disait : Que vous êtes beau , ô mon bien-aimé, que vous avez de grâces et de charmes ! c'est qu'elle avait admiré dans l'Époux céleste les attraits ravissants que nous venons d'esquisser , ou d'autres perfections semblables; mais en outre, c'est qu'indubitablement, elle avait contemplé quelques traits de cette beauté divine dont nous ne pouvons nous faire aucune idée et dont nous n'avons aucune expérience.
Voilà pourquoi elle a désigné , par une double exclamation , la beauté spéciale de l'une et de l'autre substance. » Ainsi s'exprime saint Bernard. Grâces soient rendues au Dieu qui vit dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
FIN.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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