Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
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Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Par A. Béchard – source : La Lyre d`or – journal catholique – Ottawa - 1888
De tous les endroits que j'ai habités, ici et en dehors du pays, pas un ne me rappelle d'aussi beaux souvenirs que cette partie reculée du Canada, située en face du golfe dont
l'espace, vers l'est et le nord, n'est borné que par l'horizon. L'été et durant quatre mois de la belle saison, ce coin favori, cet enfant gâté de la Nature grande et sauvage, devient sans conteste l'endroit le plus charmant que Dieu ait créé pour réjouir l`oeil de l'homme. Chacun voudrait voir cette merveille de la création fantastique appelée le Rocher Percé ; on voudrait aller se promener, le soir, sur le promontoire qui fait face à ce rocher curieux, le Mont-Joli, lorsque la lune argenté de ses rayons la mer qui vient caresser de son doux murmure le pied de la falaise ; on voudrait faire l'ascension du mont Sainte-Anne, autre sentinelle qui se dresse en arrière du village et dont le sommet offre le point de vue le plus ravissant qu'il soit possible de désirer.
Le Rocher Percé en Gaspésie
La vue a partir du Mont Joli en Gaspésie
Vue sur le Saint-Laurent a partir du Mont St-Anne
Prologue
Il faut bien en convenir: nous sommes drôlement bâtis. Plusieurs d'entre nous ont visité l'Europe, parcouru les prairies du « Grand Nord-Ouest,» se sont assis sur les pics
les plus élevés des montagnes de la Californie et combien, parmi ces voyageurs en pays lointains, qui connaissent notre pays et peuvent en parler sciemment ? Peu, bien peu.
Combien de nos compatriotes qui ont vu Paris, Londres, etc. et qui ignorent à peu près où se trouve la Gaspésie? qui n'ont même jamais pensé à aller admirer ses beautés naturelles, si nombreuses, si grandes, si sublimes ! Combien ont voulu s'assurer par eux-mêmes des ressources que renferme la péninsule gaspésienne sous le rapport de l'agriculture, de la colonisation et des pêcheries Rien de plus beau, cependant, que de visiter nos campagnes durant la belle saison ; rien de plus agréable que de voyager sur les eaux de la Baie-des Chaleurs et d admirer, du pont du bateau, le panorama que présentent les paroisses échelonnées sur la rive canadienne! Si le lecteur veut bien me suivre, nous pourrons faire ce voyage ensemble, jouir ensemble des beautés sans nombre parsemées sur cette route, et remercier Dieu ensemble de nous avoir donné, pour notre héritage terrestre, un aussi beau pays.
Nous voilà sur le Polaris, non pas pour nous rendre au pôle, mais en deçà : à Lévis, où un convoi de l` Intercolonial nous attend pour nous transporter jusqu'à Campbelltown, à 105 lieues de Québec, ou 315 milles. Depuis quatre ans, le convoi ne suit plus la route de la Chaudière, sur la voie du Grand- Tronc. On part, comme ci-devant, de la gare de la pointe Lévis, puis, au lieu de se diriger vers l`Ouest, on va vers l'Est. On arrête, à un mille plus loin, à la première station située en face du débarcadère, là-même où se trouvait la salle Lauson. Après le temps d'arrêt nécessaire aux voyageurs et leurs bagages, on se remet en route sur les quais, sur le bord du fleuve et au pied des falaises de Lévis, qui, à certains endroits, surplombent, et dont la masse énorme et menaçante nous fait mieux sentir notre faiblesse et notre néant. La locomotive geint, tousse et nous traîne sur les hauteurs des paroisses de Lévis et Beaumont, d'où la vue s'étend sur le saut Montmorency, sur l'île d'Orléans, avec ses jolies paroisses, sur le fleuve et sur un de ces horizons que l'œil ne saurait se lasser d'admirer, et comme il y en a tant sous le beau ciel de notre pays.
Le Fleuve St-Laurent au sud de l`Ile d`Orléans près de la ville de Québec
L`ile d`Orléans
Nous venons d'apercevoir, à droite, sur le commencement des hauteurs, l'église de Saint- Joseph de Lévis, avec son couvent et son village coquet à demi caché dans un nid de verdure. C'est un de nos beaux villages canadiens. Nous saluons en passant le digne curé de cette ancienne paroisse : M. l'abbé Ed. Fafard, un camarade bien-aimé du collège de Sainte-Anne de la Pocatière. Avant d'être ici, il a été longtemps missionnaire de la côte de Gaspé, avec résidence à Douglastown.
La paroisse de Lévis a des registres qui remontent à 1679. Un des fils de Pierre Boucher, de mémoire vénérée, gouverneur des Trois-Rivières et fondateur de la paroisse de Boucherville, fut le premier curé de Lévis. Après avoir admiré à vol d'oiseau les beautés naturelles que l'oeil découvre des hauteurs de Lévis et de Beaumont, nous entrons dans une savane de quelques milles d'étendue ; nous traversons, au moyen d'un remblai solide, un fort joli petit lac, puis, deux minutes après, nous sommes à Saint-Charles. La gare est à l'extrémité nord-ouest du village.
En arrière de Saint-Charles, à deux lieues, est située la paroisse de Saint-Gervais. Aujourd'hui, Saint-Gervais est une grande et riche paroisse ayant pour curé M. Nérée
Gingras, ancien missionnaire de la Gaspésie et demeurant à Percé. Son souvenir vit encore parmi les pêcheurs gaspésiens. A l'est de Saint-Gervais, se trouve la paroisse de Saint-Raphaël, dont le curé, M. Paradis, est un enfant de Kamouraska. M. Paradis a reçu en partage des talents supérieurs unis à une grande humilité.
La locomotive nous entraîne rapidement vers Saint-Thomas de Montmagny. Nous passons à toute vapeur les stations de Saint-Michel, de Saint-Vallier, de Saint-François et de Saint-Pierre de la Rivière-du-Sud, la patrie des Blanchet. C'est à Saint-Michel que naissait, en 1803, le Canadien le plus richement doué de son époque : Augustin-Norbert Morin. Montmagny, qui rappelle le deuxième gouverneur de la Nouvelle-France, est un grand village agréablement situé à l'encoignure formée par la rivière Montmagny et par le fleuve Saint-Laurent. Cet endroit renferme les restes mortels d'un de nos Canadiens les plus éminents : c'est ici en effet que dort de son long sommeil Etienne-Pascal Taché.
La ville de Montmagny a l`intersection du fleuve St-Laurent et de la rivière Montmagny
M. Philippe-Aubert de Gaspé a placé ici une de ces scènes émouvantes qu'on ne se lasse jamais de lire : c'est, je le crois, la plus belle page de toutes les belles pages que sa plume facile a écrites ( Les Anciens Canadiens - Chapitre 5 - La débâcle des glaces de la rivière a Montmagny au printemps). Après Saint-Thomas viennent successivement les stations du cap Saint-Ignace, de l' Anse-à-Gilles, de l'Islet, des Trois-Saumons, de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Roch des Aulnaies, où les convois de grande vitesse n'arrêtent pas. Le cap Saint-Ignace possède, depuis plusieurs années, un prêtre qui fut et mon co-paroissien et mon camarade de collège à Sainte-Anne : M. Sirois, ce curé modèle, qui a fait ériger dans sa paroisse une des plus belles églises du pays.
Par A. Béchard – source : La Lyre d`or – journal catholique – Ottawa - 1888
De tous les endroits que j'ai habités, ici et en dehors du pays, pas un ne me rappelle d'aussi beaux souvenirs que cette partie reculée du Canada, située en face du golfe dont
l'espace, vers l'est et le nord, n'est borné que par l'horizon. L'été et durant quatre mois de la belle saison, ce coin favori, cet enfant gâté de la Nature grande et sauvage, devient sans conteste l'endroit le plus charmant que Dieu ait créé pour réjouir l`oeil de l'homme. Chacun voudrait voir cette merveille de la création fantastique appelée le Rocher Percé ; on voudrait aller se promener, le soir, sur le promontoire qui fait face à ce rocher curieux, le Mont-Joli, lorsque la lune argenté de ses rayons la mer qui vient caresser de son doux murmure le pied de la falaise ; on voudrait faire l'ascension du mont Sainte-Anne, autre sentinelle qui se dresse en arrière du village et dont le sommet offre le point de vue le plus ravissant qu'il soit possible de désirer.
Le Rocher Percé en Gaspésie
La vue a partir du Mont Joli en Gaspésie
Vue sur le Saint-Laurent a partir du Mont St-Anne
Prologue
Il faut bien en convenir: nous sommes drôlement bâtis. Plusieurs d'entre nous ont visité l'Europe, parcouru les prairies du « Grand Nord-Ouest,» se sont assis sur les pics
les plus élevés des montagnes de la Californie et combien, parmi ces voyageurs en pays lointains, qui connaissent notre pays et peuvent en parler sciemment ? Peu, bien peu.
Combien de nos compatriotes qui ont vu Paris, Londres, etc. et qui ignorent à peu près où se trouve la Gaspésie? qui n'ont même jamais pensé à aller admirer ses beautés naturelles, si nombreuses, si grandes, si sublimes ! Combien ont voulu s'assurer par eux-mêmes des ressources que renferme la péninsule gaspésienne sous le rapport de l'agriculture, de la colonisation et des pêcheries Rien de plus beau, cependant, que de visiter nos campagnes durant la belle saison ; rien de plus agréable que de voyager sur les eaux de la Baie-des Chaleurs et d admirer, du pont du bateau, le panorama que présentent les paroisses échelonnées sur la rive canadienne! Si le lecteur veut bien me suivre, nous pourrons faire ce voyage ensemble, jouir ensemble des beautés sans nombre parsemées sur cette route, et remercier Dieu ensemble de nous avoir donné, pour notre héritage terrestre, un aussi beau pays.
Nous voilà sur le Polaris, non pas pour nous rendre au pôle, mais en deçà : à Lévis, où un convoi de l` Intercolonial nous attend pour nous transporter jusqu'à Campbelltown, à 105 lieues de Québec, ou 315 milles. Depuis quatre ans, le convoi ne suit plus la route de la Chaudière, sur la voie du Grand- Tronc. On part, comme ci-devant, de la gare de la pointe Lévis, puis, au lieu de se diriger vers l`Ouest, on va vers l'Est. On arrête, à un mille plus loin, à la première station située en face du débarcadère, là-même où se trouvait la salle Lauson. Après le temps d'arrêt nécessaire aux voyageurs et leurs bagages, on se remet en route sur les quais, sur le bord du fleuve et au pied des falaises de Lévis, qui, à certains endroits, surplombent, et dont la masse énorme et menaçante nous fait mieux sentir notre faiblesse et notre néant. La locomotive geint, tousse et nous traîne sur les hauteurs des paroisses de Lévis et Beaumont, d'où la vue s'étend sur le saut Montmorency, sur l'île d'Orléans, avec ses jolies paroisses, sur le fleuve et sur un de ces horizons que l'œil ne saurait se lasser d'admirer, et comme il y en a tant sous le beau ciel de notre pays.
Le Fleuve St-Laurent au sud de l`Ile d`Orléans près de la ville de Québec
L`ile d`Orléans
Nous venons d'apercevoir, à droite, sur le commencement des hauteurs, l'église de Saint- Joseph de Lévis, avec son couvent et son village coquet à demi caché dans un nid de verdure. C'est un de nos beaux villages canadiens. Nous saluons en passant le digne curé de cette ancienne paroisse : M. l'abbé Ed. Fafard, un camarade bien-aimé du collège de Sainte-Anne de la Pocatière. Avant d'être ici, il a été longtemps missionnaire de la côte de Gaspé, avec résidence à Douglastown.
La paroisse de Lévis a des registres qui remontent à 1679. Un des fils de Pierre Boucher, de mémoire vénérée, gouverneur des Trois-Rivières et fondateur de la paroisse de Boucherville, fut le premier curé de Lévis. Après avoir admiré à vol d'oiseau les beautés naturelles que l'oeil découvre des hauteurs de Lévis et de Beaumont, nous entrons dans une savane de quelques milles d'étendue ; nous traversons, au moyen d'un remblai solide, un fort joli petit lac, puis, deux minutes après, nous sommes à Saint-Charles. La gare est à l'extrémité nord-ouest du village.
En arrière de Saint-Charles, à deux lieues, est située la paroisse de Saint-Gervais. Aujourd'hui, Saint-Gervais est une grande et riche paroisse ayant pour curé M. Nérée
Gingras, ancien missionnaire de la Gaspésie et demeurant à Percé. Son souvenir vit encore parmi les pêcheurs gaspésiens. A l'est de Saint-Gervais, se trouve la paroisse de Saint-Raphaël, dont le curé, M. Paradis, est un enfant de Kamouraska. M. Paradis a reçu en partage des talents supérieurs unis à une grande humilité.
La locomotive nous entraîne rapidement vers Saint-Thomas de Montmagny. Nous passons à toute vapeur les stations de Saint-Michel, de Saint-Vallier, de Saint-François et de Saint-Pierre de la Rivière-du-Sud, la patrie des Blanchet. C'est à Saint-Michel que naissait, en 1803, le Canadien le plus richement doué de son époque : Augustin-Norbert Morin. Montmagny, qui rappelle le deuxième gouverneur de la Nouvelle-France, est un grand village agréablement situé à l'encoignure formée par la rivière Montmagny et par le fleuve Saint-Laurent. Cet endroit renferme les restes mortels d'un de nos Canadiens les plus éminents : c'est ici en effet que dort de son long sommeil Etienne-Pascal Taché.
La ville de Montmagny a l`intersection du fleuve St-Laurent et de la rivière Montmagny
M. Philippe-Aubert de Gaspé a placé ici une de ces scènes émouvantes qu'on ne se lasse jamais de lire : c'est, je le crois, la plus belle page de toutes les belles pages que sa plume facile a écrites ( Les Anciens Canadiens - Chapitre 5 - La débâcle des glaces de la rivière a Montmagny au printemps). Après Saint-Thomas viennent successivement les stations du cap Saint-Ignace, de l' Anse-à-Gilles, de l'Islet, des Trois-Saumons, de Saint-Jean-Port-Joli et de Saint-Roch des Aulnaies, où les convois de grande vitesse n'arrêtent pas. Le cap Saint-Ignace possède, depuis plusieurs années, un prêtre qui fut et mon co-paroissien et mon camarade de collège à Sainte-Anne : M. Sirois, ce curé modèle, qui a fait ériger dans sa paroisse une des plus belles églises du pays.
Dernière édition par MichelT le Lun 25 Juil 2022 - 21:53, édité 6 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Le Village de l`Islet sur mer
Le fleuve St-Laurent prés de l`Islet sur mer
Au sud de cette paroisse, l'oeil découvre, assise au milieu du fleuve et semblable à une corbeille de verdure, l'Isle-aux-Grues, véritable Eden, à la belle saison, et qui a donné le jour à M. Painchaud, fondateur du collège de Sainte-Anne, à Mgr. Baillargeon, d'illustre et sainte mémoire, et à plusieurs autres compatriotes distingués.
Les oies blanches a l`Ile-aux-Grues en automne
L'Anse-à-Gilles et le cap Saint-Ignace sont deux endroits où la population est formée, pour un bon tiers, de Bernier. Elles y sont tellement nombreuses, les familles de ce nom, qu'on est obligé d'avoir recours à une foule de sur noms ou de sobriquets pour les distinguer entre elles. Le premier Bernier, dit Jean de Paris, et l'ancêtre de M. le curé Bernier, de Saint-Épiphane de Témiscouata, est venu au pays peu de temps après la fondation de Québec. Chose rare et remarquable, la terre défrichée par ce Jean de Paris, il y a comme deux siècles et trois quarts, n'a jamais sorti des mains de ses descendants en ligne directe : la possession en est passée de père en fils sans aucune interruption.
Cap St-Ignace au 19 eme siècle
Cap St-Ignace au bord du St-Laurent
Trois-Saumons est un endroit situé entre l'Islet et Saint- Jean- Port-Joli. Ce nom se trouve associé d'une manière inséparable à celui des de Gaspé, seigneurs, et leurs descendants. C'est là qu'était leur manoir, à une petite distance de la rivière des Trois-Saumons et du fleuve Saint-Laurent. Et Trois-Saumons avec son lac, ses légendes, ses histoires du bon vieux temps, tout cela est devenu familier à celui qui a lu les Mémoires de M. Philippe Aubert de Gaspé, le dernier des seigneurs de cette localité. Et quel est le Canadien qui n'a pas lu et relu ce charmant livre dû à la plume du vieux gentilhomme canadien?
M. Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871)
Roman les Anciens Canadiens publié en 1863
Saint-Jean-Port-Joli a pour curé M. Lagueux. Un de mes frères a reçu l'eau sainte du baptême dans l'église de cette paroisse. C'était du temps de M. Boissonneault, curé.
Un de mes camarades de collège a été seigneur de Saint-Roch des Aulnaies.
St-Jean-Port-Joli
St-Jean-Port-Joli - une tradition de sculpture sur bois
Le Fleuve St-Laurent vers St-Jean-Port-Joli avec les montagnes de Charlevoix a l`horizon
Sainte-Anne de la Pocatière est pour moi un souvenir du coeur. C'est là, dans cette institution dont vous apercevez le dôme dominant la montagne, que j'ai puisé mon éducation ; c'est là que j'ai ri de ce rire franc que l'on retrouve si rarement dans le monde ; c'est là que j'ai connu toutes les douceurs de l'amitié pure, franche et exempte de toute arrière-pensée, et L'amitié, charme de la vie, Peut seule du malheur alléger le fardeau. Je redis encore tous les noms de mes professeurs et de mes camarades, dont le plus grand nombre n'est déjà plus ! Cette paroisse compte un siècle et trois quarts d'existence régulière. C'est à Sainte-Anne que se publie, pour le plus grand bien de la classe agricole, la Gazette des Campagnes. Cette feuille fut fondée du temps que le collège avait l'avantage d'être dirigé par un prêtre doué d'un rare esprit d'entreprise : M. l'abbé F. Pilote, dont M. l'abbé Charles Trudelle fut le digne successeur. La Gazette, fondée par M. Pilote, passa, peu de temps après sa naissance, entre les mains de M. Firmin Proulx, homme de grand mérite caché sous une plus grande modestie.
St-Anne de la Pocatière
Dernière édition par MichelT le Lun 25 Juil 2022 - 21:53, édité 3 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Le convoi file toujours vers la Gaspésie et nous arrêtes la Rivière-Ouelle, autre paroisse remplie de souvenirs bien doux à celui qui écrit ces lignes. La Rivière-Ouelle possède un des anciens couvents établis en bas de Québec : il est sous la direction des filles de la soeur Bourgeoys. Voici la date de fondation de ces anciennes maisons d'éducation qui ont formé, « dans la côte du Sud,» tant de mères chrétiennes :
1°. Le couvent de la Sainte-Famille, sur l'île d'Orléans, fondé en 1686. On voit encore là une partie des murs et un escalier de la première maison sanctifié par la présence de la soeur Bourgeoys et de sa compagne, la sœur Barbier.
2°. Tient ensuite le couvent de Saint-François de la rivière du Sud, fondé en 1765, on cinq ans seulement après la cession du pays à l'Angleterre.
3°. Le couvent de la Rivière-Ouelle dont la date de fondation remonte à bien près de quatre-vingts ans : en 1809.
Le nom de Marguerite Bourgeoys, cette femme possédée de Dieu et venue dans la Nouvelle-France en 1653, restera comme un diamant dans l'écrin de nos annales religieuses. Elle fonda en 1659, à Montréal, la Congrégation de Notre-Dame, qui possède, aujourd'hui, comme 90 établissements et donne l'instruction à près de 25,000 jeunes filles.
St-Marguerite Bourgeoys a Ville-Marie (Montréal)
A droite de la station de la Rivière-Ouelle on voit l'église de Saint-Pacôme, jeune paroisse formée des concessions de la Rivière-Ouelle. Nous passons à toute vapeur la station de Saint-Philippe de Néri. Cette paroisse est formée d'un démembrement de la paroisse de Saint-Denis, formée elle-même, en 1840, de parties enlevées aux anciennes paroisses de la Rivière-Ouelle et de Kamouraska.
Saint-Denis a eu l'avantage d'avoir pour curé le plus grand orateur du pays : M. Quertier, que l'on a surnommé le Bridaine canadien. Saint-Pascal ! crie le serre-frein. Cette paroisse n'est pas fort ancienne, puis qu'elle ne date que de 1829. C'est ici que, pour la première fois, je recevais le pain des forts ( la Sainte Eucharistie). Beau jour, grand jour, qui fait époque dans la vie et dont le souvenir réjouit encore mon âme !
Kamouraska
Le fleuve St-Laurent près de Kamouraska
Il y a deux petites lieues entre les églises de Saint-Pascal et de Kamouraska, et le trajet se fait en bonne voiture pour la modique somme de 30 sous. Dirai-je, ici, que Kamouraska compte plus d'un siècle et demi d'existence (ses registres commencent avec l'année 1727); que le site de son village est, sinon le plus enchanteur, du moins un des plus attrayants que nous ayons sur les doux rives du Saint-Laurent? Inutile, je crois, de répéter une vérité si bien reconnue et attestée par des milliers de touristes qui, tous les ans, vont y passer la belle saison. Les stations de Sainte-Hélène et de Saint- André viennent après celle de Saint-Pascal. La première de ces deux paroisses a été formée du surplus de Saint-Pascal, et l'autre d'une partie de la paroisse de Saint-André, située sur le bord du fleuve.
Nous arrêtons quelques minutes à Saint- Alexandre et à Notre-Dame du Portage. Voici deux autres nouvelles paroisses qui se sont formées, la première de Saint-André, de
Kamouraska, et l'autre un peu de celle-ci et beaucoup de la paroisse de la Rivière-du-Loup. La Rivière-du-Loup forme, de ce côté, la dernière paroisse de l'archidiocèse de Québec.
Région de Rivière du Loup
Rivière du Loup en hiver
Un château dédiée aux traditions de Noel de tous les pays à Rivière du Loup
Traversier actuel de Rivière du Loup à St-Siméon
C'est une ville en herbe qui promet beaucoup: les constructions s'y élèvent comme par enchantement ; on y voit de fort jolies résidences ; les rues sont larges, propres et bordées d'arbres protégeant les citoyens contre les rayons du soleil. L'église nouvellement bâtie, le palais de justice, la résidence de M. Poirier, marchand, et plusieurs autres constructions sont de très belle apparence et feraient honneur â n'importe quelle ville. Les deux villages (celui d'en haut ou du Sault et celui d'en bas ou l`ancien) qui n'en formeront bientôt qu'un seul, tant on construit rapidement, ne sont séparés que par un mille de distance. Un trottoir large et bien entretenu mène le piéton de l'un à l'autre. Une rue propre et spacieuse sert aux voitures qui ne cessent de la parcourir. Dans cette procession de voitures, on remarque les équipages de quelques-uns des touristes, car la Rivière-du-Loup est une place d'eau à la mode, et la mode, si capricieuse et parfois si aveugle, ne s'est point trompée ici.
La Rivière-du-Loup se trouve déjà relié aux ports du Saguenay et de la rive nord du fleuve au moyen des bateaux de la Compagnie de navigation à vapeur du Saint-Laurent. De sorte qu'il ne manque plus rien, aujourd'hui, à ce beau village sous le rapport des communications rapides et faciles. Plus de trente marchands se partagent le commerce de la Rivière-du-Loup. Ce nombre est peut-être trop pour les besoins commerciaux de cette localité, et, déjà, quelques-uns de ces négociants on fait la culbute.
A une lieue de la Rivière-du-Loup se trouve la station de Cacouna, située dans une savane et à une lieue du village. Cacouna est une place d'eau fort recherchée. C'est un beau village entretenu avec une propreté remarquable et ayant vue sur le fleuve qui, ici, a déjà une largeur de plusieurs lieues.
Cacouna
La première de ces trois paroisses, Saint- Arsène, fut formée, en 1849, des concessions de Cacouna qui ne devint paroisse qu'en 1813. Les missionnaires qui desservaient Cacouna, avant son érection en paroisse, devaient venir de l'Isle- Verte érigée en 1715 ; puis, en 1852, on formait des concessions de l'Isle-Verte la paroisse de Saint-Eloi. L'ile située en face de cette paroisse et qui a donné à celle-ci son nom, porte, sur sa rive nord, un phare.
Trois-Pistoles
Il y a une quarantaine d'années, Trois-Pistoles avait deux églises : celle d'en bas et celle d'en haut. Chaque église avait ses partisans dont quelques-uns se sont ruinés à plaider comme de vrais Normands. M. Malo, longtemps curé de Bécancourt, où il est mort, était alors le curé des Trois-Pistoles, et Dieu seul sait toutes les tracasseries, toutes les peines que ces divisions ont causées à cet excellent prêtre.
Dernière édition par MichelT le Lun 8 Juil 2019 - 13:15, édité 1 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Nous arrêtons quelques minutes à Saint- Simon, paroisse voisine des Trois-Pistoles, et nous filons à toute vapeur vers le Bic, sans nous arrêter à Saint Fabien. Les deux paroisses de Saint-Simon et de Saint-Fabien ne sont pas susceptibles de beaucoup d'augmentation, resserrées comme elles le sont entre deux rangées de montagnes, dont les unes, celles qui bordent le fleuve, ont pris le nom de Murailles. La première de ces deux paroisses ne date que de 1838, et Saint-Fabien, de 1848. Avant cette époque, elles étaient desservies par le curé des Trois-Pistoles, dont la date d'érection remonte à 1713, ou par le curé de la paroisse de Rimouski, érigée en 1701.
Puis, avant ces deux dernières dates, il y avait les missionnaires suivant la côte, logeant comme ils le pouvaient, à la belle étoile, ou dans la cabane pauvre des pêcheurs ; et ces hommes courageux, armés seulement de la croix, qui faisait toute leur force, allaient ainsi jusqu'aux confins de l`Acadie. Le Père de la Brosse, mort à Tadoussac, fut un de ces héros chrétiens. J'ai vu avec vénération la signature de ce saint apôtre de notre pays sur quelques-uns des registres de la Baie-des-Chaleurs.
A cette époque reculée, que de fatigues, que de misères, que de souffrances ont endurées ces hérauts du Christ et de la Civilisation. Mais aussi, quelle récompense les attendait ! Au-delà des montagnes situées à notre droite, il y a de bonnes terres dont on a fait, en 1866, la paroisse de Saint-Mathieu. Sainte-Cécile du Bic est une paroisse de 38 ans d'existence. C'est un pays de montagnes offrant de très beaux points de vue : vous diriez un nid d'aigle perché sur des cimes altières. Des échancrures, taillées par la main puissante de la Nature, laissent entrevoir, par ci, par-là, un pan du grand fleuve roulant au pied de ces falaises. En été, surtout, le Bic est une charmante oasis pour l'homme des villes, pour celui du moins qui a des yeux faits pour comprendre les beautés pittoresques et accidentées de cette campagne canadienne ; car il y a, vous le savez, des gens si drôlement construits que l'on peut dire d'eux : « Oculos habent et non videbunt. » (Ils ont des yeux, et ne verront point).
Le Parc du Bic près de Rimouski
Le Parc du Bic près de Rimouski et le Fleuve St-Laurent
Le Bic en hiver
Quelques instants après notre départ du Bic, la voie suit la rive du fleuve, et de si près que, de votre siège et sans vous pencher, vous pouvez vous croire sur l'eau. A droite, une montagne de verdure, à gauche, la mer bornée par l'horizon, puis, pour rompre la monotonie, quelques îles s'offrent gracieuses à la vue. Quel spectacle magnifique ! Quel sujet pour le pinceau du peintre paysagiste !
Nous faisons un point d'arrêt à la station du Sacré-Coeur, toute jeune paroisse. Nous entrons en gare à Rimouski. . Il y a, dans ce monde, des hommes de bien qui ont l`avantage ou le désavantage (cela dépend des circonstances et des lieux) de demeurer incompris de quelques-uns. Ces hommes, cependant, le regard tourné vers Dieu, continuent leur mission et s'obstinent à combler de bienfaits ceux-là même qui ne savent pas apprécier leur mérite. Puis, lorsque la mort est venue paralyser la main du bienfaiteur, on voit apparaître la vérité sur le compte de celui qu'on a méconnu jusque-là, ou dont on a, en son vivant, amoindri les actes. Justice indigne et tardive, ingratitude des hommes.
Avant d'être élevé à la charge redoutable de l'épiscopat, dans un évêché nouveau et relativement pauvre comme l'était Rimouski, Mgr Langevin a été curé, et, là où il a passé, il a trace dans le champ du Seigneur un sillon large et profond, un sillon qui a porté des fruits abondants. On peut dire que, jeune prêtre, il avait déjà « la nostalgie de Dieu, » et que, devenu curé, il « s'outillait pour le service de l'Église, » suivant la belle expression de Mgr Piyramale.
Mgr Langevin a pris son vaste diocèse à l'état d'enfance : tout était à faire, à organiser, créer, surtout dans certaines parties trop éloignées de Québec. Et, dans l'espace de deux décades, qu'a-t-il fait?.... Pour avoir la réponse à cette question, il ne s'agit que d'ouvrir les yeux. Le diocèse de Rimouski est, de fait, justement considéré comme étant un des mieux administrés et cela jusque dans ses moindres détails. La comptabilité des fabriques se fait avec une exactitude scrupuleuse ; et, dans la plupart des paroisses, se tient un registre spécial où le curé consigne, au jour le jour, les principaux événements de sa localité. Ces cahiers réunis serviront, plus tard, à l'histoire de notre pays, et dans 50 ans, dans 100 ans d'ici, ces humbles registres d'aujourd'hui vaudront leur pesant d'or. Ils vaudront alors ce que valent maintenant les cahiers de la Nouvelle-France. C'est alors que la génération bénira la mémoire de l'évêque de Rimouski : justice tardive des hommes.
C'est lui et toujours lui, cet évêque infatigable, qui s'est placé, dans toutes les parties de son diocèse, à la tête du progrès bien entendu, le progrès sous le rapport de l'agriculture, de l'éducation et de l'industrie. A Rimouski, vous êtes dans le pays de la légende, cette douce poésie de l'Histoire. M . Joseph-Charles Taché, écrivain de première force et conteur charmant, en a écrit de fort belles : je vous renvoie à lui. Il y a ici un embranchement qui va de la ligne principale au quai, que vous voyez là-bas. C'est là que se débarquent les malles d'Europe, une fois la semaine.
La ville de Rimouski de nos jours
Le village de Rimouski, un des plus charmants du pays, est une place d'eau fort recherchée. On y trouve deux bons hôtels tenus par deux cousins : l'un, à l'extrémité est du village, par M. Amable Saint-Laurent, et porte le nom de Hôtel Saint-Laurent; l'autre, par M. François Saint-Laurent et sous le nom de : Hôtel de Rimouski, situé à l'ouest de l'église. L'église de Sainte-Flavie et son village sont situés à une lieue de la station, sur le bord du fleuve. Sainte-Flavie est une paroisse encore jeune : 38 ans d'existence seulement. A partir d'ici, nous nous éloignons à regret du fleuve, qui charme et repose si bien l'œil du voyageur. Nous allons droit vers le soleil levant.
Après nous être arrêtés quelques minutes à Saint-Octave et au Petit-Métis, nous passons, sans nous y arrêter, les haltes Tartigou et Saint-Moïse, puis nous sommes à Sayabec
(prononcez : Sébec.) Vient ensuite la halte appelée Amqui, que l'on prononce Ammecoui. De Saint-Octave à Amqui, distance de 39 milles, la route n'offre rien de remarquable : c'est un pays nouveau entouré de montagnes, et celles-ci n'ont rien de varié dans leur forme. C'est la partie la plus monotone de ce long parcours ; mais patience ! le paysage va bientôt changer, comme si une fée l'eût touché de sa baguette magique.
La ville d`Amqui
Nous voici sur les bords du lac Métapédiac, cette grande nappe d'eau qui dort au milieu des montagnes !
Au sein de ce lac immobile
Qui peint le ciel et les oiseaux,
Vous ne voyez qu'une eau tranquille ;
Moi, j'aperçois, sous les roseaux,
Une naïade fugitive.
Quant à moi, ayant moins de goût que Demoustier pour la mythologie, j'ai vu, en apercevant cette petite mer intérieure, la main puissante de Dieu. J'ai reconnu la même main en contemplant toutes ces montagnes couvertes de verdure et aux formes altières. Il est bien permis de s'extasier en présence de grandes villes, de leurs palais et de leurs merveilles; mais les montagnes qui entourent ce lac et qui font escorte à la rivière qu'il forme, jusqu'à la gare de Matapédiac, vous saisissent bien autrement l'Âme. Ces « pyramides de Dieu, » ce n'est qu'un grain de poussière de plus sur la terre : c'est l'oeuvre du Créateur, et ce travail gigantesque n'a rien coûté à sa main puissante.
« Mais, à ce grain de poussière, Dieu a donné une âme et cette âme, au milieu de cette nature vierge et primitive, est toute saisie de respect, toute en adoration, comme Moise dans le Sinaï : elle voit presque face à face l'immortel Seigneur qui a créé le monde.»
Plaignons sincèrement le voyageur qui peut n'avoir qu'un oeil indifférent pour les beautés au milieu desquelles nous passons et qui se déroulent sans cesse à nos yeux, avec variété de formes, sur un parcours de seize lieues. Ces beautés ne se décrivent pas : il faut les voir. La gare de Causapscal est à 13 milles de celle d'Amqui. C'est à peu près ici que le lac Matapédiac forme la rivière à laquelle il a donné son nom. Vous l'apercevez tantôt à droite, tantôt à gauche. La voie ferrée ne s'éloigne jamais beaucoup de ses bords. Vous pouvez presque toujours la voir courant, ici, peu profonde, sur un lit de galets ; plus loin, de venue plus profonde, vous diriez que, fatiguée de sa course à travers les montagnes, elle s'est endormie ; et là-bas, à un des nombreux coudes qu'elle forme, elle se cache un instant sous les roseaux avant de reprendre encore sa course au soleil.
Vient ensuite Mill Stream. Il y a une trentaine d'années, des colons de Rustico, sur l'île du Prince-Edouard, s'emparaient de la forêt, de ce coin de terre, pour former ce qui est devenu la grande paroisse de Saint-Alexis. Ce nom lui a été donné en souvenir de M. le grand-vicaire Alexis Mailloux, qui s'était grandement intéressé au sort malheureux de ces frères acadiens, ne pouvant plus vivre dans leur paroisse natale devenue trop petite pour leurs familles nombreuses. Les souffrances furent grandes dans les commencements de cette colonie : il y a eu, là, en face de la misère et de son hideux cortège, des actes héroïques de patience et de résignation que la religion seule peut produire. Le gouvernement canadien fit parvenir des secours à ces colons malheureux; la charité publique, au moyen de quêtes dans nos paroisses, n'oublia pas que, sur ce plateau entouré par les rivières Matapédiac et Ristigouche, vivait toute une population dévorée par la faim. La colonie fut sauvée.
Saint-Alexis de Matapédia vers 1895
Saint-Alexis de Matapédia
Aujourd'hui, les Acadiens de Saint-Alexis, auxquels se sont mêlés, depuis, quelques-uns de nos compatriotes, sont à l'abri du besoin. Ils vivent là heureux, à l'ombre du clocher, car l'Acadien, semblable sous ce rapport au Canadien, son frère, ne colonisera pas si on ne lui donne point, pour le guider, un prêtre et, avec le prêtre, un coin de terre bénit, où il doit dormir son long sommeil, à l'ombre de son église.
Je visitais, il y a neuf ans, ces descendants M. Smith était alors le curé de ces braves gens. Cet excellent prêtre, me montrait l'endroit où les premiers colons, venus pour abattre les premiers arbres, firent voir la foi qui anime la race acadienne. Du premier arbre abattu, l'on fit une croix brute, taillée à coups de hache. On planta ce signe de la Rédemption sur une petite éminence, puis ces hommes vigoureux, au teint hâlé, aux mains calleuses, se découvrirent respectueusement, se mirent à genoux et supplièrent le Dieu mort sur la croix de bénir leurs travaux. Quel beau tableau pour un peintre devait former ce groupe de paysans en prière an pied de cette croix !
Dix milles séparent Mill Stream de Matapédiac. Ici se trouve le confluent de la rivière de ce nom avec la Ristigouche. A votre droite, vous avez, maintenant, le Nouveau-Brunswick, et, à gauche, notre province de Québec. Matapédiac est un endroit de chasse et de pêche fort recherché. Encore 13 milles à faire et nous sommes à Campbellton
Campbellton est du côté du Nouveau-Brunswick. C'est un village qui doit toute son importance à l` Intercolonial et à sa position à la tête de la navigation de la Baie-des-Chaleurs.
La ville de Cambellton au Nouveau-Brunswick avec la rivière Restigouche et la province de Québec ( Gaspésie) de l`autre coté du pont
A Campbellton finit la rivière Ristigouche et commence la Baie-des-Chaleurs. De la station, il y a un embranchement qui transporte au quai de l'est les voyageurs et surtout les marchandises : la distance n'est que d'un demi-mille à peu près. C'est là que nous devions, le lendemain matin, prendre le bateau l` Amiral. Ce vapeur, très fort, très élégant et fort bien tenu, fait le trajet de Campbellton au Bassin-de-Gaspé (75 lieues à peu près) deux fois la semaine : le mercredi et le samedi. Le départ, de Campbellton, se fait à 5 heures du matin, lorsque la brume, avec laquelle il faut compter assez souvent, n'y met point d'empêchement.
Notre premier arrêt, après avoir quitté Campbellton, se fit à Dalhousie, sur la terre du Nouveau-Brunswick, à 13 milles en aval de Campbellton. Nous avons hâte d'arriver de l'autre côté de la Baie, pour y voir des villages gaspésiens avec leurs couleurs locales. Nous approchons de Tracadièche (Carleton), dont on aperçoit, du pont du bateau, le village rangé en demi-cercle, avec son église sur la côte, à une petite distance vers l'est. M. Blonin, vicaire forain de Mgr de Rimouski, demeure à Carleton, où il a charge des âmes de cette paroisse. Il est fort estimé de ses paroissiens au bonheur desquels il consacre tout ce que Dieu lui a donné.
Puis, avant ces deux dernières dates, il y avait les missionnaires suivant la côte, logeant comme ils le pouvaient, à la belle étoile, ou dans la cabane pauvre des pêcheurs ; et ces hommes courageux, armés seulement de la croix, qui faisait toute leur force, allaient ainsi jusqu'aux confins de l`Acadie. Le Père de la Brosse, mort à Tadoussac, fut un de ces héros chrétiens. J'ai vu avec vénération la signature de ce saint apôtre de notre pays sur quelques-uns des registres de la Baie-des-Chaleurs.
A cette époque reculée, que de fatigues, que de misères, que de souffrances ont endurées ces hérauts du Christ et de la Civilisation. Mais aussi, quelle récompense les attendait ! Au-delà des montagnes situées à notre droite, il y a de bonnes terres dont on a fait, en 1866, la paroisse de Saint-Mathieu. Sainte-Cécile du Bic est une paroisse de 38 ans d'existence. C'est un pays de montagnes offrant de très beaux points de vue : vous diriez un nid d'aigle perché sur des cimes altières. Des échancrures, taillées par la main puissante de la Nature, laissent entrevoir, par ci, par-là, un pan du grand fleuve roulant au pied de ces falaises. En été, surtout, le Bic est une charmante oasis pour l'homme des villes, pour celui du moins qui a des yeux faits pour comprendre les beautés pittoresques et accidentées de cette campagne canadienne ; car il y a, vous le savez, des gens si drôlement construits que l'on peut dire d'eux : « Oculos habent et non videbunt. » (Ils ont des yeux, et ne verront point).
Le Parc du Bic près de Rimouski
Le Parc du Bic près de Rimouski et le Fleuve St-Laurent
Le Bic en hiver
Quelques instants après notre départ du Bic, la voie suit la rive du fleuve, et de si près que, de votre siège et sans vous pencher, vous pouvez vous croire sur l'eau. A droite, une montagne de verdure, à gauche, la mer bornée par l'horizon, puis, pour rompre la monotonie, quelques îles s'offrent gracieuses à la vue. Quel spectacle magnifique ! Quel sujet pour le pinceau du peintre paysagiste !
Nous faisons un point d'arrêt à la station du Sacré-Coeur, toute jeune paroisse. Nous entrons en gare à Rimouski. . Il y a, dans ce monde, des hommes de bien qui ont l`avantage ou le désavantage (cela dépend des circonstances et des lieux) de demeurer incompris de quelques-uns. Ces hommes, cependant, le regard tourné vers Dieu, continuent leur mission et s'obstinent à combler de bienfaits ceux-là même qui ne savent pas apprécier leur mérite. Puis, lorsque la mort est venue paralyser la main du bienfaiteur, on voit apparaître la vérité sur le compte de celui qu'on a méconnu jusque-là, ou dont on a, en son vivant, amoindri les actes. Justice indigne et tardive, ingratitude des hommes.
Avant d'être élevé à la charge redoutable de l'épiscopat, dans un évêché nouveau et relativement pauvre comme l'était Rimouski, Mgr Langevin a été curé, et, là où il a passé, il a trace dans le champ du Seigneur un sillon large et profond, un sillon qui a porté des fruits abondants. On peut dire que, jeune prêtre, il avait déjà « la nostalgie de Dieu, » et que, devenu curé, il « s'outillait pour le service de l'Église, » suivant la belle expression de Mgr Piyramale.
Mgr Langevin a pris son vaste diocèse à l'état d'enfance : tout était à faire, à organiser, créer, surtout dans certaines parties trop éloignées de Québec. Et, dans l'espace de deux décades, qu'a-t-il fait?.... Pour avoir la réponse à cette question, il ne s'agit que d'ouvrir les yeux. Le diocèse de Rimouski est, de fait, justement considéré comme étant un des mieux administrés et cela jusque dans ses moindres détails. La comptabilité des fabriques se fait avec une exactitude scrupuleuse ; et, dans la plupart des paroisses, se tient un registre spécial où le curé consigne, au jour le jour, les principaux événements de sa localité. Ces cahiers réunis serviront, plus tard, à l'histoire de notre pays, et dans 50 ans, dans 100 ans d'ici, ces humbles registres d'aujourd'hui vaudront leur pesant d'or. Ils vaudront alors ce que valent maintenant les cahiers de la Nouvelle-France. C'est alors que la génération bénira la mémoire de l'évêque de Rimouski : justice tardive des hommes.
C'est lui et toujours lui, cet évêque infatigable, qui s'est placé, dans toutes les parties de son diocèse, à la tête du progrès bien entendu, le progrès sous le rapport de l'agriculture, de l'éducation et de l'industrie. A Rimouski, vous êtes dans le pays de la légende, cette douce poésie de l'Histoire. M . Joseph-Charles Taché, écrivain de première force et conteur charmant, en a écrit de fort belles : je vous renvoie à lui. Il y a ici un embranchement qui va de la ligne principale au quai, que vous voyez là-bas. C'est là que se débarquent les malles d'Europe, une fois la semaine.
La ville de Rimouski de nos jours
Le village de Rimouski, un des plus charmants du pays, est une place d'eau fort recherchée. On y trouve deux bons hôtels tenus par deux cousins : l'un, à l'extrémité est du village, par M. Amable Saint-Laurent, et porte le nom de Hôtel Saint-Laurent; l'autre, par M. François Saint-Laurent et sous le nom de : Hôtel de Rimouski, situé à l'ouest de l'église. L'église de Sainte-Flavie et son village sont situés à une lieue de la station, sur le bord du fleuve. Sainte-Flavie est une paroisse encore jeune : 38 ans d'existence seulement. A partir d'ici, nous nous éloignons à regret du fleuve, qui charme et repose si bien l'œil du voyageur. Nous allons droit vers le soleil levant.
Après nous être arrêtés quelques minutes à Saint-Octave et au Petit-Métis, nous passons, sans nous y arrêter, les haltes Tartigou et Saint-Moïse, puis nous sommes à Sayabec
(prononcez : Sébec.) Vient ensuite la halte appelée Amqui, que l'on prononce Ammecoui. De Saint-Octave à Amqui, distance de 39 milles, la route n'offre rien de remarquable : c'est un pays nouveau entouré de montagnes, et celles-ci n'ont rien de varié dans leur forme. C'est la partie la plus monotone de ce long parcours ; mais patience ! le paysage va bientôt changer, comme si une fée l'eût touché de sa baguette magique.
La ville d`Amqui
Nous voici sur les bords du lac Métapédiac, cette grande nappe d'eau qui dort au milieu des montagnes !
Au sein de ce lac immobile
Qui peint le ciel et les oiseaux,
Vous ne voyez qu'une eau tranquille ;
Moi, j'aperçois, sous les roseaux,
Une naïade fugitive.
Quant à moi, ayant moins de goût que Demoustier pour la mythologie, j'ai vu, en apercevant cette petite mer intérieure, la main puissante de Dieu. J'ai reconnu la même main en contemplant toutes ces montagnes couvertes de verdure et aux formes altières. Il est bien permis de s'extasier en présence de grandes villes, de leurs palais et de leurs merveilles; mais les montagnes qui entourent ce lac et qui font escorte à la rivière qu'il forme, jusqu'à la gare de Matapédiac, vous saisissent bien autrement l'Âme. Ces « pyramides de Dieu, » ce n'est qu'un grain de poussière de plus sur la terre : c'est l'oeuvre du Créateur, et ce travail gigantesque n'a rien coûté à sa main puissante.
« Mais, à ce grain de poussière, Dieu a donné une âme et cette âme, au milieu de cette nature vierge et primitive, est toute saisie de respect, toute en adoration, comme Moise dans le Sinaï : elle voit presque face à face l'immortel Seigneur qui a créé le monde.»
Plaignons sincèrement le voyageur qui peut n'avoir qu'un oeil indifférent pour les beautés au milieu desquelles nous passons et qui se déroulent sans cesse à nos yeux, avec variété de formes, sur un parcours de seize lieues. Ces beautés ne se décrivent pas : il faut les voir. La gare de Causapscal est à 13 milles de celle d'Amqui. C'est à peu près ici que le lac Matapédiac forme la rivière à laquelle il a donné son nom. Vous l'apercevez tantôt à droite, tantôt à gauche. La voie ferrée ne s'éloigne jamais beaucoup de ses bords. Vous pouvez presque toujours la voir courant, ici, peu profonde, sur un lit de galets ; plus loin, de venue plus profonde, vous diriez que, fatiguée de sa course à travers les montagnes, elle s'est endormie ; et là-bas, à un des nombreux coudes qu'elle forme, elle se cache un instant sous les roseaux avant de reprendre encore sa course au soleil.
Vient ensuite Mill Stream. Il y a une trentaine d'années, des colons de Rustico, sur l'île du Prince-Edouard, s'emparaient de la forêt, de ce coin de terre, pour former ce qui est devenu la grande paroisse de Saint-Alexis. Ce nom lui a été donné en souvenir de M. le grand-vicaire Alexis Mailloux, qui s'était grandement intéressé au sort malheureux de ces frères acadiens, ne pouvant plus vivre dans leur paroisse natale devenue trop petite pour leurs familles nombreuses. Les souffrances furent grandes dans les commencements de cette colonie : il y a eu, là, en face de la misère et de son hideux cortège, des actes héroïques de patience et de résignation que la religion seule peut produire. Le gouvernement canadien fit parvenir des secours à ces colons malheureux; la charité publique, au moyen de quêtes dans nos paroisses, n'oublia pas que, sur ce plateau entouré par les rivières Matapédiac et Ristigouche, vivait toute une population dévorée par la faim. La colonie fut sauvée.
Saint-Alexis de Matapédia vers 1895
Saint-Alexis de Matapédia
Aujourd'hui, les Acadiens de Saint-Alexis, auxquels se sont mêlés, depuis, quelques-uns de nos compatriotes, sont à l'abri du besoin. Ils vivent là heureux, à l'ombre du clocher, car l'Acadien, semblable sous ce rapport au Canadien, son frère, ne colonisera pas si on ne lui donne point, pour le guider, un prêtre et, avec le prêtre, un coin de terre bénit, où il doit dormir son long sommeil, à l'ombre de son église.
Je visitais, il y a neuf ans, ces descendants M. Smith était alors le curé de ces braves gens. Cet excellent prêtre, me montrait l'endroit où les premiers colons, venus pour abattre les premiers arbres, firent voir la foi qui anime la race acadienne. Du premier arbre abattu, l'on fit une croix brute, taillée à coups de hache. On planta ce signe de la Rédemption sur une petite éminence, puis ces hommes vigoureux, au teint hâlé, aux mains calleuses, se découvrirent respectueusement, se mirent à genoux et supplièrent le Dieu mort sur la croix de bénir leurs travaux. Quel beau tableau pour un peintre devait former ce groupe de paysans en prière an pied de cette croix !
Dix milles séparent Mill Stream de Matapédiac. Ici se trouve le confluent de la rivière de ce nom avec la Ristigouche. A votre droite, vous avez, maintenant, le Nouveau-Brunswick, et, à gauche, notre province de Québec. Matapédiac est un endroit de chasse et de pêche fort recherché. Encore 13 milles à faire et nous sommes à Campbellton
Campbellton est du côté du Nouveau-Brunswick. C'est un village qui doit toute son importance à l` Intercolonial et à sa position à la tête de la navigation de la Baie-des-Chaleurs.
La ville de Cambellton au Nouveau-Brunswick avec la rivière Restigouche et la province de Québec ( Gaspésie) de l`autre coté du pont
A Campbellton finit la rivière Ristigouche et commence la Baie-des-Chaleurs. De la station, il y a un embranchement qui transporte au quai de l'est les voyageurs et surtout les marchandises : la distance n'est que d'un demi-mille à peu près. C'est là que nous devions, le lendemain matin, prendre le bateau l` Amiral. Ce vapeur, très fort, très élégant et fort bien tenu, fait le trajet de Campbellton au Bassin-de-Gaspé (75 lieues à peu près) deux fois la semaine : le mercredi et le samedi. Le départ, de Campbellton, se fait à 5 heures du matin, lorsque la brume, avec laquelle il faut compter assez souvent, n'y met point d'empêchement.
Notre premier arrêt, après avoir quitté Campbellton, se fit à Dalhousie, sur la terre du Nouveau-Brunswick, à 13 milles en aval de Campbellton. Nous avons hâte d'arriver de l'autre côté de la Baie, pour y voir des villages gaspésiens avec leurs couleurs locales. Nous approchons de Tracadièche (Carleton), dont on aperçoit, du pont du bateau, le village rangé en demi-cercle, avec son église sur la côte, à une petite distance vers l'est. M. Blonin, vicaire forain de Mgr de Rimouski, demeure à Carleton, où il a charge des âmes de cette paroisse. Il est fort estimé de ses paroissiens au bonheur desquels il consacre tout ce que Dieu lui a donné.
Dernière édition par MichelT le Lun 25 Juil 2022 - 21:56, édité 4 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Carleton sur Mer en Gaspésie - sur la Baie des Chaleurs
Carleton possède un couvent où les jeunes filles font de bonnes études : c'est la seule maison d'éducation de ce genre que l'on trouve dans toute la Gaspésie. Outre les beautés naturelles de la baie de Tracadièche, qui font l'admiration du touriste, le colon, de bonnes terres, sur le des hauteurs couronnées de beaux bois. La paroisse de Maria, qui date de 1860 seulement, vient après Carleton, et elle ressemble au lendemain, c'est-à-dire qu'on y touche sans la voir : il faut dédoubler une longue pointe suivie d'une batture courant vers le large. Cette pointe, sentinelle avancée de Maria, nous en masque l'église et les maisons assises en demi-cercle autour de l'anse : c'est là que se trouve le village avec M. le curé Gagné (Jacob) et M. Lussier, ancien instituteur devenu, depuis plusieurs années déjà, inspecteur des écoles du comté de Bonaventure.
Les habitants de Maria s'occupent d'agriculture, et l'on trouve d'excellentes terres en arrière des hauteurs, qui sont la continuation des montagnes de Tracadièche. Cascapédiac est borné à l'est et à l'ouest par deux rivières du même nom : la Grande et la Petite Cascapédiac, ou la rivière de l'Est et la rivière de l'Ouest.
Cette paroisse est une des plus avancées sous le rapport de l'agriculture, et ses beautés naturelles attirent l'attention du voyageur. Il y a place ici pour plusieurs colons tout Ie long des deux rivières que j'ai nommées et dont vous apercevez l'embouchure du pont du bateau. Ces deux cours d'eau, qui enceignent amoureusement cette belle paroisse de leurs larges bras, sont remplis d'excellents poissons de différentes sortes.
Les Anglais ont nommé Cascapédiac New Richmond. La paroisse suivante doit son nom au poisson appelé capelan, abondant sur ses côtes. C'est la plus jeune paroisse du comté de Bonaventure après celle de Saint-Godefroy. Fondée l'année même où Mgr Langevin prenait possession de son diocèse, en 1867, elle marche à grands pas dans la voie des défrichements et de la colonisation, et elle sera, avant longtemps, à la tête de ses aînées, si rien ne vient entraver son essor.
New Richmond sur la Baie des Chaleurs
La paroisse de Capelan a eu pour premier curé M. Chrétien. On peut dire que M. Chrétien, qui fut tout dévoué aux intérêts de l'agriculture et de la colonisation, a été le fondateur de cette paroisse. Cette paroisse a des registres qui remontent à près d'un siècle, à 1791. C'est la plus ancienne paroisse de ce côté-ci de la Baie-des-Chaleurs ; elle est habitée, presque en entier, par des descendante d'Acadiens, qui ont conservé la foi catholique et l`ont transmise avec amour à leurs enfants.
Le village de Caplan sur la Baie des Chaleurs en Gaspésie
Routes anciennes en Gaspésie
New-Carlisle offre un joli coup d'oeil, et de la mer où nous le voyons maintenant, et du côté de la terre, où la vue n'a d'autre borne, sur la Baie, qu'une ligne bleuâtre noyée dans les eaux et formant la côte du Nouveau-Brunswick.
New Carlisle
Nous sommes à Paspébiac, un des endroits les plus pittoresque du comté. Voici, sur le banc célèbre de « Paspéya, » qui s'allonge dans la Baie, l'établissement principal de la maison Robin. A l'arrière-plan de Paspédiac, on trouve d'excellentes terres qui donneraient l'aisance à des centaines de familles ayant le goût de l'agriculture. L'existence de cette paroisse remonte à un demi-siècle à peu près ; mais ses archives renferment d'anciens registres déposés là par les missionnaires, et dans lesquels on peut voir, comme je l'ai vue, il y a neuf ans, la signature du R. P. de la Brosse.
Paspédiac
Paspédiac sur la Baie des Chaleurs
Les pêcheries de morue de la compagnie Robin de l`ile de Jersey a Paspédiac au 19 eme siècle.
Saint-Godefroy est à deux petites lieues de Paspébiac, allant vers l'est. C'est une paroisse (ci-devant une mission desservie par M. le curé Larivée) qui ne compte qu'une dizaine d'années d'existence. Toute jeune qu'elle est, cette paroisse avait déjà, il y a 8 ans, des concessions d'habitées. La pêche ne se faisant plus dans les eaux du comté de Bonaventure, les habitants ont dû tourner leurs regards vers la Nourrice par excellence du genre humain. On peut dire que la retraite de la morue de la Baie-des-Chaleurs a été un bonheur pour la population de ce comté, qui, sans cela, serait toujours demeurée pauvre.
Nous continuons d'admirer les paysages pittoresques et grandioses qui se déroulent, sans interruption, à nos regards enchantés. La Nature est le trône extérieur de la Majesté divine, a dit Buffon ; mais je crois que la main du Créateur a formé, sur tout ce littoral, des beautés, des magnificences d'un cachet unique, de ces splendeurs que l'on ne saurait oublier, que l'on aime toujours à revoir. Ces paysages peuvent, du moins, nous donner une idée des splendeurs célestes. Nous entrons à toute vapeur dans le port que l'on a nommé Daniel. C'est un joli hâvre sûr et à bon mouillage, entouré de hautes montagnes à formes variées. Port-Daniel eut un prêtre résident vers 1855.
Port Daniel
Port-Daniel, avant de devenir paroisse, était une mission desservie par les curés de Paspébiac, à six lieues d'ici. Nous dédoublons la pointe de l'est du port pour continuer notre route vers le Bassin-de- Gaspé. Nous passons l'Anse-aux-Gascons en partie cachée par les falaises de cette partie de la Baie. La pointe que voici maintenant, c'est la Pointe-au-Maquereau, la ligne de division entre les comtés de Bonaventure et de Gaspé, formant à eux deux le territoire Gaspésie. Géographiquement parlant, c'est ici que finit la Baie-des-Chaleurs et que commence le golfe Saint-Laurent.
La Pointe-à-Genièvre ( Newport de nos jours) forme la première paroisse de ce comté, et avant qu'il y eut un curé au Port-Daniel, c'était celui de la Grande-Rivière qui venait ici. La pêche à la morue commence à peu près à cet endroit ; mais elle n'est plus ce qu'elle était il y a 25 ou 30 ans.
Nous voici à Sainte- Adélaïde de Pabos, qui a été une mission du curé de la Grande-Rivière. Cette paroisse ne date que de 1864. Il y a comme neuf ans, M. A. Audet, aujourd'hui à Sainte-Félicité ( le Petit- Matane d'autrefois ), était le curé de Sainte-Adélaïde. Doué d'une âme aimante, affable, humain, jamais les malheureux n'ont trouvé ce prêtre insensible à leurs prières. Sa charité était tellement grande qu'il donnait tout et vivait comme il le pouvait, dans un état voisin de la misère ; mais cet état de gêne, qu'il s'imposait par amour des pauvres, tonnait son plus beau titre aux yeux de Celui qui récompense même un verre d'eau donné en son nom. Aussi, le souvenir de ce curé est gravé en lettres d'or, en caractères ineffaçables, dans le cœur de ces pauvres pêcheurs.
Le quai de Newport
Nous ne sommes plus qu'à trois ou quatre milles du village de la Grande-Rivière. Voyez-vous d'ici cette maison, là, sur le bord de la falaise, qui respire un grand air d'aisance et de propreté, qui rappelle les maisons coquettes de nos habitants à l'aise d'en bas de Quebec?... Le propriétaire île cette maison, des dépendances qui l'entourent et de la tenue défrichée jusqu'à perte de vue, est une leçon vivante pour les pêcheurs de la Grande-Rivière.
Venu de Kainotiraska, il y a comme vingt-quatre ans, M. Desjardins (c'est, le nom du propriétaire de ce bel immeuble que vous apercevez du pont du bateau) n'avait à son avoir que deux bras vigoureux, un grand amour des travaux des champs, beaucoup d'énergie et une nombreuse famille. Lui et les plus âgés de ses enfants se mirent à défricher cette nouvelle terre et à recommencer la vie. Au bout de dix ans, M. Desjardins était, lui et sa famille, a l'abri du besoin, et le prix de sa terre était déjà payé.
Grande-Rivière en Gaspésie
M. l'abbé Normandin est le curé de la Grande-Rivière et le vicaire forain de Mgr Langevin pour cette partie reculée de son diocèse. Ce prêtre a l'amour des âmes confiées à sa charge. Il voudrait les conduire toutes au but suprême de la vie : vers Dieu, et son zèle dans ce sens ne connaît point de borne. Si je ne croyais pas d'employer une expression trop profane, je dirais que, sous l'enveloppe de ce curé d'apparence froide, fermente une âme affamée de la gloire de Dieu et du bonheur de ses semblables.
M. Normandin est l'ami dévoué de la colonisation, dans sa paroisse. Dire ce qu'il a fait et ce qu'il fait tous les jours pour sa colonie de Saint-Isidore, dans les concessions, fondée par son prédécesseur immédiat, M. le curé Saucier, serait amoindrir, à ses yeux, son mérite. Ces hommes que l'amour du prochain inspire ressemblent aux avares qui n'aiment pas même que l'on parle de leurs trésors enfouis, de crainte d'éveiller l'attention des voleurs. Pour un motif plus élevé, les hommes de Dieu n'aiment pas, non plus, que les profanes parlent de leurs trésors amassés sous l'œil de Dieu seul, de crainte de se voir enlever une parcelle de leur mérite. Respectons leur motif et taisons-nous sur ce point.
La Grande-Rivière, depuis qu'on s'y occupe moins de pêche et plus d'agriculture, est devenue une des plus riches paroisses du comté de Gaspé : c'est aussi la plus populeuse. Nous nous dirigeons vers le Cap d'Espoir ou du Désespoir : les étymologistes ne sont point d'accord sur ces deux appellations. Nous passons, après avoir quitté le village de la Grande-Rivière, l'Anse-au-Loup, la rivière de la Brèche-à-Menon, la Montée, puis voilà le cap d'Espoir (je préfère cette appellation ) avec ses flancs rouges et son sommet couronné d'un phare. A un demi-mille du cap d'Espoir, ou voit l'église catholique de l'endroit, jeune paroisse d'une vingtaine d'années. Avant 1869. L` Cap ou l`Anse-du-Cap était une mission desservie par les curés de Percé.
Voici l'Anse-à-Beau-Fils, le Cap-Blanc, le Cap-Rouge, puis PERCÉ !
Sous le rapport historique, Percé est le Québec de la Gaspésie. C'est, de plus, l'endroit où le Créateur a jeté à pleines mains des beautés d'une nature sauvage, sublimes et uniques dans leurs genres. Il est passé ici plusieurs curés distingués par leur zèle et leurs vertus, entre autres M. Bossé, aujourd'hui Mgr Bossé.
Percé en Gaspésie
Le Golfe St-Laurent près de Percé en Gaspésie
Le Golfe St-Laurent près de Percé en Gaspésie
Arrêtons-nous ici un instant, et inclinons-nous devant ce nom et celui de ces missionnaires intrépides qui, sous sa direction éclairée, travaillent au salut des âmes sur la Côte du Nord, pays sans chemin, isolé et pauvre. Les noms de tous ces fiers missionnaires du Christ résumera, plus tard, presque toute l'histoire de cette Côte immense s'étendant depuis l'embouchure du Saguenay jusqu'au Labrador.
Le Portuguais Cortéréal, au lieu d'appeler cette terre, terra de laborador (terre de labour) l'aurait nommée, s'il eût pu lire dans l'avenir, la terre du dévouement sublime ; et il n'y a rien d'exagéré dans cette expression aux yeux de celui qui a visité la Côte du Nord et qui a pu voir par lui-même toutes les fatigues, toutes les misères auxquelles s'y soumettent avec joie ces missionnaires possédés de l'amour de Dieu et des âmes rachetées de son sang. Quand nous avons fait une aumône suivant nos moyens, pour le soutien de ces hommes sublimes, nous avons fait bien certainement une bonne œuvre ; mais que notre œuvre paraît infime, de peu de chose, quand on la compare (comme j'ai pu le faire moi même) à l'œuvre de Mgr. Bossé et de ses missionnaires !.. On ne peut s'empêcher de reconnaître, en face d'un aussi grand spectacle enfanté par l'amour du prochain, qu'il est des hommes qui semblent désignés pour jouer des rôles héroïques dans la vie ; leurs actions ont pris l'habitude de l'héroïsme, tout comme d'autres prennent l'habitude de l'égoïsme ; et ces hommes, dont le caractère est d'une autre trempe que celui de la moyenne de l'humanité, ce sont nos missionnaires qui, n'ayant d'autres armes que la croix et leur bréviaire, ont porté la parole divine sur toute l'étendue de ce vaste continent, sous la zone glaciale comme sous la zone torride.
Ces hommes affamés de l'amour de leurs semblables, se sont nommés Dolbeau, Jogues, Lalemant, de Laval, Marquette, Labrosse, de Quen, Provancher, Hébert, Racine, Faucher, Malo, etc. Aujourd'hui, ils se nomment Laflèche, Taché, Lacombe, Arnaud, Lacasse, Bossé, etc. ; et, dans cent ans d'ici, les noms de ces derniers auront passé à l'histoire avec cette auréole de dévouement et de sainteté qu'on accorde avec justice à leurs devanciers. Chose étrange au point de vue humain, mais nullement surprenant au point de vue de ces courageux missionnaires : on attend beaucoup d'eux, parce qu'ils n'ont jamais failli à leur tâche, surhumaine à nos yeux, mais toute naturelle à ces hommes de Dieu. Personne n'est surpris d'apprendre les grandes choses qu'ils ont accomplies ; personne n'est étonné de voir leur courage réel aux heures du danger. Tous ne comprennent pas la source où ils puisent cette force admirable ; mais tous s'étonneraient de ne pas la leur voir dans l'occasion.
Quelques-uns, mesurant à leur aune, ont pu lire : Ce sont des hommes vaniteux ; leur mobile est peut-être celui de la renommée. On ne s'est pas trompé : ces missionnaires, en effet, sont très vaniteux ; mais leur vanité est de ne pas paraître vains, travaillant comme ils le font sous le regard seul de Dieu, dans le silence, dans l'isolement, loin du bruit et seulement pour la gloire du Maître. Doués de bonnes facultés, ils cherchent toujours et sans cesse les moyens de les employer au service des autres ; ils ont des idées élevées sur la plupart des sujets, et ils ont la vanité de croire qu'ils pourront atteindre l'idéal qu'ils ont choisi comme type :le renoncement aux biens de la terre.
Ils sont intrépides dans le combat de tous les jours, contre la faim, la chaleur accablante, le froid rigoureux, la fatigue des longues marches forcées, soit à la raquette ou autrement ; et cette intrépidité, ils la trouvent, en partie, dans le vrai courage qui les anime, et, en partie aussi, dans ce noble sentiment du devoir qui les rend trop orgueilleux pour fuir ; mais, en somme, héroïques par tempérament et grâce à un singulier mélange d'orgueil, de force et de vertu chrétienne, ils accomplissent des actes réellement sublimes.
Ce sont presque toujours ce que l`on peut appeler des hommes remarquables, car leur vie laborieuse et leur influence légitime attirent l'attention par leur grandeur, et, souvent, quelque chose dans la simplicité de l'aspect de ces pauvres curés-voyageurs les distingue de la moyenne, à première vue. Telle est et telle fut, en quelques mots, la vanité des missionnaires de notre continent depuis bientôt trois siècles : et ceux d'aujourd'hui, s'inspirant aux mêmes sources que leur prédécesseurs, n'ont point dégénéré.
Dernière édition par MichelT le Mar 16 Juil 2019 - 12:28, édité 2 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Canada – Un voyage de Québec vers la Gaspésie a travers les paroisses au 19 eme siècle
Un Soir d'Été à Percé.
Si l'hiver est plus ennuyeux sur les bords du golfe que dans nos riantes campagnes d'en haut ; si nous sommes emprisonnés plus étroitement durant les cinq mois des frimas et des neiges, en revanche, nous avons la saison d'été plus belle, plus salubre qu'en aucun autre endroit de notre pays : nous avons l`air frais et pur de la mer ; et, tandis que nos frères québécois rôtissent sous un soleil brûlant, nous jouissons ici d'une température agréable qui, dans les plus grandes chaleurs, n'est jamais accablante. L'été, en un mot. semble vouloir nous faire oublier les ennuis de l'hiver, en étalant à nos regards les beautés de tous genres d'une nature pittoresque et grandiose.
La monotonie des longs jours de l'hiver commence à disparaître vers la fin d'avril. Les pêcheurs préparent déjà leurs agrès de poche ; on se hâte partout de faire les préparatifs du rude et si pénible métier de sillonner en tous sens les eaux de la mer pour tirer de son sein la subsistance de tant de familles.
Ici, l'on radoube les berges, on les calfate, on les flambe ; là, on fait les ailes de la berge, qui la feront voguer si rapidement et si lestement sous le souffle de la brise. On s'applique surtout à donner aux agrès toutes les proportions, toutes les conditions de vitesse, car si on allait se faire dépasser par les autres pêcheurs, en revenant des bancs ou eu y allant, quelle humiliation ! quelle honte ! et surtout quelle bordée de sarcasmes de la part des vainqueurs !
Plus loin, on répare les déchirures faites aux voiles par la tempête, l'automne précédent; puis on travaille aux filets, aux seines : on pose les tangons, etc. Enfin, partout règne une activité, une fièvre de travail, qui forme un contraste frappant avec les jours mornes et tranquilles des cinq mois de réclusion. Chaque arrivage nous amène des centaines de pêcheurs du district de Québec, des États-Unis et de l'Europe, etc. Quand l'hiver est fini et que la belle saison, la saison de l'abondance arrive. Déjà, l'on a pris quelques morues : la nouvelle s'en répand partout avec la rapidité de l'éclair, et tous les pêcheurs se lancent à l'envi sur la mer et vont lui demander la nourriture de leurs familles. C'est alors que Percé présente un aspect qu'on ne se lasse jamais d'admirer.
Mais il est un endroit entre autres où j'aime à aller souvent contempler le vaste et magnifique panorama qui, de là, se déroule, de toutes parts, aux regards de l'amateur de la Nature. Ce site avait été remarqué par les Français, les premiers pêcheurs de la Gaspésie, qui lui donnèrent le nom de Mont-Joli, qu'il porte encore. Ce joli mont forme un promontoire qui va s'élevant en amphithéâtre jusqu'à la hauteur de 125 pieds et présente à la mer ses flancs escarpés et taillés presque perpendiculairement. On gravit la pente un peu raide du Mont-Joli du côté de la terre, sur une lisière étroite qui s'élargit à mesure que l'on avance vers la mer, et cette lisière, la végétation la recouvre tous les printemps d'un riche tapis de verdure. Arrivé sur la crête, on se repose sur un plateau de forme elliptique et au milieu duquel on a planté une haute croix, qui étend ses bras sur les deux anses du village, comme pour les protéger.
C'est, assis au pied de cette croix, quand le soleil est au déclin de sa course diurne, qu'il fait bon de respirer l'air frais de l'océan que la brise de la mer nous apporte sur ses ailes. Quels beaux points de vue de tous côtés ! Comme on remercie Dieu d'avoir parsemé sous nos plis tant de beautés naturelles ; d'avoir créé pour sa créature toutes ces merveilles qui annonce sa toute-puissance et sa bonté !
Derrière moi, au couchant, se dresse le mont Sainte-Anne, cachant sa tête altière presque dans les nues. Le flanc exposé au veut, dont les rafales sont si violentes ici, est hérissé de sapins rabougris, tandis que l'autre côté est couvert de jeunes arbres verts ondoyant mollement sous l'haleine plus légère de la brise. D'ici, je vois l'église avec son clocher élancé : elle est située au pied même de la montagne et se dessine parfaitement sur le fond vert du versant qui regarde l'orient.
Le mont Sainte-Anne, qui termine la chaîne des Chic Chocs ou Notre-Dame, (ces monts font partie des Alléghanies ou Appalaches) est le baromètre que la Providence a mis là pour nos pêcheurs. Quand la cîme se rouvre de son bonnet, suivant leur belle expression, quand elle se cache dans un brouillard épais, la pluie et le mauvais temps ne sont pas loin, disent-ils, et ils se trompent rarement.
Un peu plus loin du mont Sainte-Anne, s'élancent vers les nues les hautes falaises et les pics aux mille formes fantastiques, qui se mirent dans l'eau diaphane de la mer. En certains endroits, leur base, miné par les vagues en furie, laissent voir, où et là, des grottes profondes. Ailleurs, ces falaises surplombent au-dessus des eaux d'une manière effrayante pour ceux qui sont au pied et qui ne peuvent s'empêcher de tressaillir en regardant ces masses énormes suspendues sur leurs têtes et menaçant de les engloutir dans l'abîme.
A droite, j'aperçois, de chaque bord du chemin tortueux qui conduit à la Baie-des- Chaleurs, les maisons coquettes du Cap Blanc et de l'Anse-du-Cap. A l'heure actuelle, ce chemin est rempli de voitures presque toutes traînées par des boeufs et charroyant sur les terres les têtes de morue entassées sur le rivage et qui forment un excellent engrais, sur tout pour les terrains humides. Chaque voiture est montée par une jeune Gaspésienne qui pour se faire oublier la marche lente de son indolent quadrupède, chante gaiement les chansons du pays.
Cependant, le soleil baisse sur l'horizon, et j'ai encore sous les yeux un ciel magnifique qui réfléchit ses dernières lueurs. Les deux anses, à gauche et à droite, sont remplies
d'hommes et de femmes, occupés à préparer la morue prise durant la journée. J'entends d'ici les gais propos, les ris bruyants qui montent jusqu'à moi. J'entends aussi les chansons normandes et bretonnes que chantent à pleine poitrine ceux qui vont tendre les filets au large pour la bouette du lendemain. Une multitude innombrable d'oiseaux, qui habitent la cime du Rocher-Percé, volent en tous sens autour et au-dessus de moi, s'ébattent, tournoient et remplissent l'air de leurs cris aigus.
Mais bientôt ce bruit confus s'apaise : le soleil a, depuis quelques instants, disparu derrière les montagnes. C'est l'heure où la Nature, un moment recueillie, entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit. Elle s'élève au Créateur du jour et de la nuit, et semble offrir à Dieu, dans un brillant langage de la Création le magnifique hommage. La lune sort et s'élève lentement du sein des eaux ; elle brille d'un éclat pur. La mer, agitée par les vents de terre, réfléchit son globe argenté et scintille sous ses rayons. Bientôt, je n'aperçois plus que ces flambeaux de la nuit que la main de Dieu a suspendus au-dessus de nos têtes, puis la mer se confondant avec la voûte azurée des cieux. Quelques pêcheurs attardés arrivent au port en chantant. Leurs berges, poussées par la brise de terre qui augmente, coulent rapidement sur l'eau et laissent derrière elles de gros bouillons phosphorescente, qui ressemblent à une traînée de feu qui pétille.
Fin
Si l'hiver est plus ennuyeux sur les bords du golfe que dans nos riantes campagnes d'en haut ; si nous sommes emprisonnés plus étroitement durant les cinq mois des frimas et des neiges, en revanche, nous avons la saison d'été plus belle, plus salubre qu'en aucun autre endroit de notre pays : nous avons l`air frais et pur de la mer ; et, tandis que nos frères québécois rôtissent sous un soleil brûlant, nous jouissons ici d'une température agréable qui, dans les plus grandes chaleurs, n'est jamais accablante. L'été, en un mot. semble vouloir nous faire oublier les ennuis de l'hiver, en étalant à nos regards les beautés de tous genres d'une nature pittoresque et grandiose.
La monotonie des longs jours de l'hiver commence à disparaître vers la fin d'avril. Les pêcheurs préparent déjà leurs agrès de poche ; on se hâte partout de faire les préparatifs du rude et si pénible métier de sillonner en tous sens les eaux de la mer pour tirer de son sein la subsistance de tant de familles.
Ici, l'on radoube les berges, on les calfate, on les flambe ; là, on fait les ailes de la berge, qui la feront voguer si rapidement et si lestement sous le souffle de la brise. On s'applique surtout à donner aux agrès toutes les proportions, toutes les conditions de vitesse, car si on allait se faire dépasser par les autres pêcheurs, en revenant des bancs ou eu y allant, quelle humiliation ! quelle honte ! et surtout quelle bordée de sarcasmes de la part des vainqueurs !
Plus loin, on répare les déchirures faites aux voiles par la tempête, l'automne précédent; puis on travaille aux filets, aux seines : on pose les tangons, etc. Enfin, partout règne une activité, une fièvre de travail, qui forme un contraste frappant avec les jours mornes et tranquilles des cinq mois de réclusion. Chaque arrivage nous amène des centaines de pêcheurs du district de Québec, des États-Unis et de l'Europe, etc. Quand l'hiver est fini et que la belle saison, la saison de l'abondance arrive. Déjà, l'on a pris quelques morues : la nouvelle s'en répand partout avec la rapidité de l'éclair, et tous les pêcheurs se lancent à l'envi sur la mer et vont lui demander la nourriture de leurs familles. C'est alors que Percé présente un aspect qu'on ne se lasse jamais d'admirer.
Mais il est un endroit entre autres où j'aime à aller souvent contempler le vaste et magnifique panorama qui, de là, se déroule, de toutes parts, aux regards de l'amateur de la Nature. Ce site avait été remarqué par les Français, les premiers pêcheurs de la Gaspésie, qui lui donnèrent le nom de Mont-Joli, qu'il porte encore. Ce joli mont forme un promontoire qui va s'élevant en amphithéâtre jusqu'à la hauteur de 125 pieds et présente à la mer ses flancs escarpés et taillés presque perpendiculairement. On gravit la pente un peu raide du Mont-Joli du côté de la terre, sur une lisière étroite qui s'élargit à mesure que l'on avance vers la mer, et cette lisière, la végétation la recouvre tous les printemps d'un riche tapis de verdure. Arrivé sur la crête, on se repose sur un plateau de forme elliptique et au milieu duquel on a planté une haute croix, qui étend ses bras sur les deux anses du village, comme pour les protéger.
C'est, assis au pied de cette croix, quand le soleil est au déclin de sa course diurne, qu'il fait bon de respirer l'air frais de l'océan que la brise de la mer nous apporte sur ses ailes. Quels beaux points de vue de tous côtés ! Comme on remercie Dieu d'avoir parsemé sous nos plis tant de beautés naturelles ; d'avoir créé pour sa créature toutes ces merveilles qui annonce sa toute-puissance et sa bonté !
Derrière moi, au couchant, se dresse le mont Sainte-Anne, cachant sa tête altière presque dans les nues. Le flanc exposé au veut, dont les rafales sont si violentes ici, est hérissé de sapins rabougris, tandis que l'autre côté est couvert de jeunes arbres verts ondoyant mollement sous l'haleine plus légère de la brise. D'ici, je vois l'église avec son clocher élancé : elle est située au pied même de la montagne et se dessine parfaitement sur le fond vert du versant qui regarde l'orient.
Le mont Sainte-Anne, qui termine la chaîne des Chic Chocs ou Notre-Dame, (ces monts font partie des Alléghanies ou Appalaches) est le baromètre que la Providence a mis là pour nos pêcheurs. Quand la cîme se rouvre de son bonnet, suivant leur belle expression, quand elle se cache dans un brouillard épais, la pluie et le mauvais temps ne sont pas loin, disent-ils, et ils se trompent rarement.
Un peu plus loin du mont Sainte-Anne, s'élancent vers les nues les hautes falaises et les pics aux mille formes fantastiques, qui se mirent dans l'eau diaphane de la mer. En certains endroits, leur base, miné par les vagues en furie, laissent voir, où et là, des grottes profondes. Ailleurs, ces falaises surplombent au-dessus des eaux d'une manière effrayante pour ceux qui sont au pied et qui ne peuvent s'empêcher de tressaillir en regardant ces masses énormes suspendues sur leurs têtes et menaçant de les engloutir dans l'abîme.
A droite, j'aperçois, de chaque bord du chemin tortueux qui conduit à la Baie-des- Chaleurs, les maisons coquettes du Cap Blanc et de l'Anse-du-Cap. A l'heure actuelle, ce chemin est rempli de voitures presque toutes traînées par des boeufs et charroyant sur les terres les têtes de morue entassées sur le rivage et qui forment un excellent engrais, sur tout pour les terrains humides. Chaque voiture est montée par une jeune Gaspésienne qui pour se faire oublier la marche lente de son indolent quadrupède, chante gaiement les chansons du pays.
Cependant, le soleil baisse sur l'horizon, et j'ai encore sous les yeux un ciel magnifique qui réfléchit ses dernières lueurs. Les deux anses, à gauche et à droite, sont remplies
d'hommes et de femmes, occupés à préparer la morue prise durant la journée. J'entends d'ici les gais propos, les ris bruyants qui montent jusqu'à moi. J'entends aussi les chansons normandes et bretonnes que chantent à pleine poitrine ceux qui vont tendre les filets au large pour la bouette du lendemain. Une multitude innombrable d'oiseaux, qui habitent la cime du Rocher-Percé, volent en tous sens autour et au-dessus de moi, s'ébattent, tournoient et remplissent l'air de leurs cris aigus.
Mais bientôt ce bruit confus s'apaise : le soleil a, depuis quelques instants, disparu derrière les montagnes. C'est l'heure où la Nature, un moment recueillie, entre la nuit qui tombe et le jour qui s'enfuit. Elle s'élève au Créateur du jour et de la nuit, et semble offrir à Dieu, dans un brillant langage de la Création le magnifique hommage. La lune sort et s'élève lentement du sein des eaux ; elle brille d'un éclat pur. La mer, agitée par les vents de terre, réfléchit son globe argenté et scintille sous ses rayons. Bientôt, je n'aperçois plus que ces flambeaux de la nuit que la main de Dieu a suspendus au-dessus de nos têtes, puis la mer se confondant avec la voûte azurée des cieux. Quelques pêcheurs attardés arrivent au port en chantant. Leurs berges, poussées par la brise de terre qui augmente, coulent rapidement sur l'eau et laissent derrière elles de gros bouillons phosphorescente, qui ressemblent à une traînée de feu qui pétille.
Fin
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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