De la morale en économie - article de la NEF - Journal catholique
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De la morale en économie - article de la NEF - Journal catholique
De la morale en économie
Après le confinement viennent les polémiques sur la gestion de la crise par le gouvernement : la gestion des frontières et des aéroports, les mesures de confinement, les recommandations sur l’usage des masques, le suivi de plus en plus serré des déplacements des personnes… D’autres questions ne manqueront pas de se faire jour sur la suppression discrète des stocks de masques, la réduction du personnel soignant dans les hôpitaux. Les grèves des urgentistes ne sont pas si loin. Souhaitons que ce débat ne soit pas utilisé pour éclipser le vrai débat qui devrait avoir lieu et qui concerne les politiques des cinquante dernières années qui ont amené notre pays à l’état de fragilité que nous connaissons.
Les stocks de masques ne sont qu’une illustration des politiques menées depuis longtemps motivées par des idéologies réductrices (déréglementation, libre marché mondial, délocalisations, flux tendus, zéro stocks, déréglementation financière, recherche sans scrupule de rendements financiers à court terme, etc.). Nombreux sont les domaines où notre pays a régressé : fabrication des biens de première nécessité à l’autre bout de la planète, flux tendus, zéro stock. La conséquence est un appauvrissement de nos économies, longtemps masqué par la croissance des dettes et les politiques accommodantes des banques centrales (planche à billets et découplage des marchés financiers de l’économie réelle). Pour ne parler que de la dette publique de la France, celle-ci est passée d’environ 65 % du PIB en 2007 à presque 100 % fin 2019. Le choc du confinement pourrait la faire approcher de 120 % du PIB à la fin 2020. Ce choc risque d’accélérer le processus déjà en cours et d’aviver les tensions sociales[1]. Les chiffres sont pires aux États-Unis[2].
Ne serait-il pas temps de remettre les choses à leur place et de ne plus suivre des idéologies simplistes prônées par des arrivistes bornés ? Non la vie économique ne se limite pas à la poursuite de l’intérêt individuel et à la concurrence, ni à la lutte des classes, ni à la transition énergétique, et encore moins à la théorie du genre… L’erreur fondamentale commise depuis longtemps est d’avoir voulu faire de l’économie une science indépendante de la morale, comme si la prospérité d’un peuple ne dépendait pas de sa qualité morale. On nous ainsi vendu la « science » économique marxiste, puis la « science » économique libérale. La mise en pratique de ces idéologies se révèle dévastatrice et inefficace sur le long terme, et le bricolage totalitaire de la Chine n’augure rien de bon.
Pour une société qui baigne dans le relativisme moral (« à chacun sa vérité »), il ne reste qu’à se soumettre à une idéologie, peu importe qu’elle soit mensongère[3]. L’économisme libéral a ainsi servi de cadre aux décisions des quarante dernières années jusqu’à l’absurde, teinté il est vrai de démagogie socialiste d’État Providence et adouci par les mirages de l’abondance de produits importés à bas coûts. Ce système n’est pas viable, mais nous pouvons faire confiance à nos élites pour nous en proposer un pire, en commençant par de fortes ponctions fiscales et un contrôle toujours plus drastique des vraies libertés.
Il est alors utile de rappeler ce qu’avait écrit André Piettre, en 1986 : « Il n’est pas de plus dangereuse erreur que de vouloir faire des sciences de l’homme des disciplines “indépendantes” de toute éthique, de toute philosophie, de toute finalité, au même titre que les sciences de la matière. Elles sont d’un “autre ordre”, comme disait Pascal. L’expérience, une fois de plus, le montre de mille façons : proclamer et pratiquer une économie “indépendante”, c’est mettre l’homme dans la dépendance d’une économie qui l’accapare tout entier. »[4]
En fait l’illusion d’une économie indépendante de la morale est simplement impossible. Chaque idéologie économique remplace la vraie morale par une vision réductrice de la réalité qui induit un moralisme aussi inique que rudimentaire. Nous avons ainsi connu des morales totalitaires de boucs émissaires (nazisme, communisme) pour lesquelles la fin justifie les moyens et qui ne reculent devant aucun crime pour imposer leur utopie. Le libéralisme contemporain cherche, lui, à établir un moralisme individualiste hédoniste qui n’aurait pour seule règle que la compétition exacerbée et une fausse liberté des plus forts. Outre la fragilisation des pays, cette utopie détruit le capital humain et même l’environnement. Pourquoi encore s’acharner et continuer le carnage ? S’il y a bien sûr un savoir économique, sa mise en œuvre est plus un art qui doit tenir compte de la réalité, plutôt qu’une « science » qui dicterait ses lois à toute activité humaine, jusqu’à par exemple promouvoir l’euthanasie pour raisons « économiques ». La pratique économique doit intégrer la morale objective, la loi naturelle inscrite au cœur de l’homme et accessible à sa raison. Cette loi naturelle correspond aux Dix Commandements. Fondée ainsi sur la vérité et la justice, elle permet une construction durable.
La question n’est pas de savoir si le gouvernement doit contrôler toute l’activité économique, ou au contraire s’abstenir de toute intervention. L’essentiel est qu’il place un cadre propice à la libre activité économique, tout en préservant le bien commun du pays[5]. Cela inclut par exemple la mise en place de droit de douane, et la protection des activités stratégiques[6] (agriculture, pharmacie, etc.), et la réglementation des activités financières, particulièrement la spéculation, mais tout cela en respectant la liberté de conscience et d’action des personnes, la liberté d’éducation, en protégeant les plus faibles, en défendant les familles. Un gouvernement qui n’est pas au service du bien commun est une bande de vauriens, avait déjà écrit Saint Augustin.
Pour sortir de cette impasse, trois bonnes nouvelles.
Première bonne nouvelle : nous ne sommes pas seuls ! La vérité métaphysique resplendit aujourd’hui comme jamais[7]. Nous savons que l’univers n’a pu se faire tout seul, plus nous avançons plus nous comprenons qu’il est fini dans l’espace et dans le temps. Il y a un Être nécessaire permanent qui ne change pas, le premier moteur comme l’écrivait Aristote. Nous avons donc été créés, nous ne sommes pas là par hasard. Ce qui laisse espérer que la vie humaine à une finalité, un sens.
Deuxième bonne nouvelle, l’homme est créé avec au fond de lui une aspiration au bonheur, à la vérité, au bien. Si Dieu l’a mise en nous, c’est pour qu’elle ne soit pas déçue. Dans la pensée classique, l’objectif de la morale est de nous guider vers le bonheur en nous indiquant la voie du bien. Le vrai bien rend heureux[8].
Troisième bonne nouvelle : les difficultés économiques peuvent être une occasion de se libérer du culte du veau d’or et des vices qui maintiennent les hommes captifs (en particulier avarice, envie, colère etc.). Retrouvons les vertus libératrices que sont la bonté, l’amour véritable, l’humilité, la franchise, le goût de la vérité, l’honneur, l’honnêteté, les véritables amitiés. Avec la disparition de la chimère individualiste, la famille et les communautés intermédiaires doivent redevenir les piliers de la société. Il est essentiel de cultiver la vérité : « Le sujet idéal du régime totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction, et la distinction entre vrai et faux n’existent pas. »[9]
La dérive totalitaire et la surveillance généralisée observées depuis quelques années sont les manifestations désespérées d’élites qui s’accrochent à leur pouvoir et ont perdu toute finalité autre que leur intérêt propre. Elles cherchent une fois de plus à imposer leur utopie par la force.
Pour aborder cette période difficile, les chrétiens peuvent s’appuyer sur la vertu d’Espérance :
« Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un… comme nous nous sommes un » (Jean 17, 21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne s’accomplit pleinement que par le don désintéressé de lui-même. »[10]
François Granier
[1] « Et si les salariés reprenaient leur liberté », François Granier, site de La Nef, 24 février 2020.
[2] Le nouvel empire des dettes, William Bonner et Addison Wiggin – Les belles lettres, 2010.
[3] Encyclique Foi et Raison, Jean-Paul II, 1998.
[4] Les chrétiens et le libéralisme, André Piettre, Editions France-Empire, 1986.
[5] Quadragesimo Anno, Pie XI, 1931.
[6] Small is beautiful. A study of Economics as if People Mattered, Ernst Schumacher, 1971.
[7] Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu, Claude Tresmontant, Editions du Seuil, 1973.
[8] « Liberté chérie », François Granier, site de La Nef, 27 mars 2020.
[9] Le totalitarisme, Hannah Arendt, 1951.
[10] Gaudium et Spes, §24.
LA NEF, le 18 mai 2020, exclusivité internet
Après le confinement viennent les polémiques sur la gestion de la crise par le gouvernement : la gestion des frontières et des aéroports, les mesures de confinement, les recommandations sur l’usage des masques, le suivi de plus en plus serré des déplacements des personnes… D’autres questions ne manqueront pas de se faire jour sur la suppression discrète des stocks de masques, la réduction du personnel soignant dans les hôpitaux. Les grèves des urgentistes ne sont pas si loin. Souhaitons que ce débat ne soit pas utilisé pour éclipser le vrai débat qui devrait avoir lieu et qui concerne les politiques des cinquante dernières années qui ont amené notre pays à l’état de fragilité que nous connaissons.
Les stocks de masques ne sont qu’une illustration des politiques menées depuis longtemps motivées par des idéologies réductrices (déréglementation, libre marché mondial, délocalisations, flux tendus, zéro stocks, déréglementation financière, recherche sans scrupule de rendements financiers à court terme, etc.). Nombreux sont les domaines où notre pays a régressé : fabrication des biens de première nécessité à l’autre bout de la planète, flux tendus, zéro stock. La conséquence est un appauvrissement de nos économies, longtemps masqué par la croissance des dettes et les politiques accommodantes des banques centrales (planche à billets et découplage des marchés financiers de l’économie réelle). Pour ne parler que de la dette publique de la France, celle-ci est passée d’environ 65 % du PIB en 2007 à presque 100 % fin 2019. Le choc du confinement pourrait la faire approcher de 120 % du PIB à la fin 2020. Ce choc risque d’accélérer le processus déjà en cours et d’aviver les tensions sociales[1]. Les chiffres sont pires aux États-Unis[2].
Ne serait-il pas temps de remettre les choses à leur place et de ne plus suivre des idéologies simplistes prônées par des arrivistes bornés ? Non la vie économique ne se limite pas à la poursuite de l’intérêt individuel et à la concurrence, ni à la lutte des classes, ni à la transition énergétique, et encore moins à la théorie du genre… L’erreur fondamentale commise depuis longtemps est d’avoir voulu faire de l’économie une science indépendante de la morale, comme si la prospérité d’un peuple ne dépendait pas de sa qualité morale. On nous ainsi vendu la « science » économique marxiste, puis la « science » économique libérale. La mise en pratique de ces idéologies se révèle dévastatrice et inefficace sur le long terme, et le bricolage totalitaire de la Chine n’augure rien de bon.
Pour une société qui baigne dans le relativisme moral (« à chacun sa vérité »), il ne reste qu’à se soumettre à une idéologie, peu importe qu’elle soit mensongère[3]. L’économisme libéral a ainsi servi de cadre aux décisions des quarante dernières années jusqu’à l’absurde, teinté il est vrai de démagogie socialiste d’État Providence et adouci par les mirages de l’abondance de produits importés à bas coûts. Ce système n’est pas viable, mais nous pouvons faire confiance à nos élites pour nous en proposer un pire, en commençant par de fortes ponctions fiscales et un contrôle toujours plus drastique des vraies libertés.
Il est alors utile de rappeler ce qu’avait écrit André Piettre, en 1986 : « Il n’est pas de plus dangereuse erreur que de vouloir faire des sciences de l’homme des disciplines “indépendantes” de toute éthique, de toute philosophie, de toute finalité, au même titre que les sciences de la matière. Elles sont d’un “autre ordre”, comme disait Pascal. L’expérience, une fois de plus, le montre de mille façons : proclamer et pratiquer une économie “indépendante”, c’est mettre l’homme dans la dépendance d’une économie qui l’accapare tout entier. »[4]
En fait l’illusion d’une économie indépendante de la morale est simplement impossible. Chaque idéologie économique remplace la vraie morale par une vision réductrice de la réalité qui induit un moralisme aussi inique que rudimentaire. Nous avons ainsi connu des morales totalitaires de boucs émissaires (nazisme, communisme) pour lesquelles la fin justifie les moyens et qui ne reculent devant aucun crime pour imposer leur utopie. Le libéralisme contemporain cherche, lui, à établir un moralisme individualiste hédoniste qui n’aurait pour seule règle que la compétition exacerbée et une fausse liberté des plus forts. Outre la fragilisation des pays, cette utopie détruit le capital humain et même l’environnement. Pourquoi encore s’acharner et continuer le carnage ? S’il y a bien sûr un savoir économique, sa mise en œuvre est plus un art qui doit tenir compte de la réalité, plutôt qu’une « science » qui dicterait ses lois à toute activité humaine, jusqu’à par exemple promouvoir l’euthanasie pour raisons « économiques ». La pratique économique doit intégrer la morale objective, la loi naturelle inscrite au cœur de l’homme et accessible à sa raison. Cette loi naturelle correspond aux Dix Commandements. Fondée ainsi sur la vérité et la justice, elle permet une construction durable.
La question n’est pas de savoir si le gouvernement doit contrôler toute l’activité économique, ou au contraire s’abstenir de toute intervention. L’essentiel est qu’il place un cadre propice à la libre activité économique, tout en préservant le bien commun du pays[5]. Cela inclut par exemple la mise en place de droit de douane, et la protection des activités stratégiques[6] (agriculture, pharmacie, etc.), et la réglementation des activités financières, particulièrement la spéculation, mais tout cela en respectant la liberté de conscience et d’action des personnes, la liberté d’éducation, en protégeant les plus faibles, en défendant les familles. Un gouvernement qui n’est pas au service du bien commun est une bande de vauriens, avait déjà écrit Saint Augustin.
Pour sortir de cette impasse, trois bonnes nouvelles.
Première bonne nouvelle : nous ne sommes pas seuls ! La vérité métaphysique resplendit aujourd’hui comme jamais[7]. Nous savons que l’univers n’a pu se faire tout seul, plus nous avançons plus nous comprenons qu’il est fini dans l’espace et dans le temps. Il y a un Être nécessaire permanent qui ne change pas, le premier moteur comme l’écrivait Aristote. Nous avons donc été créés, nous ne sommes pas là par hasard. Ce qui laisse espérer que la vie humaine à une finalité, un sens.
Deuxième bonne nouvelle, l’homme est créé avec au fond de lui une aspiration au bonheur, à la vérité, au bien. Si Dieu l’a mise en nous, c’est pour qu’elle ne soit pas déçue. Dans la pensée classique, l’objectif de la morale est de nous guider vers le bonheur en nous indiquant la voie du bien. Le vrai bien rend heureux[8].
Troisième bonne nouvelle : les difficultés économiques peuvent être une occasion de se libérer du culte du veau d’or et des vices qui maintiennent les hommes captifs (en particulier avarice, envie, colère etc.). Retrouvons les vertus libératrices que sont la bonté, l’amour véritable, l’humilité, la franchise, le goût de la vérité, l’honneur, l’honnêteté, les véritables amitiés. Avec la disparition de la chimère individualiste, la famille et les communautés intermédiaires doivent redevenir les piliers de la société. Il est essentiel de cultiver la vérité : « Le sujet idéal du régime totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais l’homme pour qui la distinction entre fait et fiction, et la distinction entre vrai et faux n’existent pas. »[9]
La dérive totalitaire et la surveillance généralisée observées depuis quelques années sont les manifestations désespérées d’élites qui s’accrochent à leur pouvoir et ont perdu toute finalité autre que leur intérêt propre. Elles cherchent une fois de plus à imposer leur utopie par la force.
Pour aborder cette période difficile, les chrétiens peuvent s’appuyer sur la vertu d’Espérance :
« Quand le Seigneur Jésus prie le Père pour que « tous soient un… comme nous nous sommes un » (Jean 17, 21-22), il ouvre des perspectives inaccessibles à la raison et il nous suggère qu’il y a une certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et dans l’amour. Cette ressemblance montre bien que l’homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne s’accomplit pleinement que par le don désintéressé de lui-même. »[10]
François Granier
[1] « Et si les salariés reprenaient leur liberté », François Granier, site de La Nef, 24 février 2020.
[2] Le nouvel empire des dettes, William Bonner et Addison Wiggin – Les belles lettres, 2010.
[3] Encyclique Foi et Raison, Jean-Paul II, 1998.
[4] Les chrétiens et le libéralisme, André Piettre, Editions France-Empire, 1986.
[5] Quadragesimo Anno, Pie XI, 1931.
[6] Small is beautiful. A study of Economics as if People Mattered, Ernst Schumacher, 1971.
[7] Comment se pose aujourd’hui le problème de l’existence de Dieu, Claude Tresmontant, Editions du Seuil, 1973.
[8] « Liberté chérie », François Granier, site de La Nef, 27 mars 2020.
[9] Le totalitarisme, Hannah Arendt, 1951.
[10] Gaudium et Spes, §24.
LA NEF, le 18 mai 2020, exclusivité internet
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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