Saint Étienne roi apostolique de Hongrie - comment la Hongrie est devenue un pays chrétien
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Saint Étienne roi apostolique de Hongrie - comment la Hongrie est devenue un pays chrétien
Saint Étienne roi apostolique de Hongrie
Par E. HORN de l`Académie française - 1899
(Extraits)
INTRODUCTION.
«Tirée par une force mystérieuse de son vieux nid caché au fond de l`Asie, cette nation a obéit a une puissance supérieure qui l`a choisie, guidée, élevée et en a fait la forteresse la plus solide, la plus inébranlable de la chrétienté. Ils étaient nés des héros ces combattants à qui une bravoure terrifiante joignaient une piété édifiante, qui remportèrent des victoires tenant du miracle et, pendant des siècles, soutinrent et protégèrent les peuples chrétiens. » Ainsi s'exprimait le savant cardinal Baronius, en parlant du peuple magyar. Ce peuple, comme du reste tous les peuples, avait un rôle historique à remplir, une mission providentielle à accomplir. Il s'en est acquitté noblement, à la façon des peuples chrétiens, en faisant progresser le royaume de Dieu sur la terre et en offrant sa vie pour défendre les progrès déjà obtenus. Pendant cette période médiévale, si longtemps méconnue, ce peuple chevaleresque faisait de son corps un rempart qu'il opposa, d'abord aux Tartares, en suite aux Osmanlis. S'élançant à la bataille en prononçant le nom de Marie et en brandissant l'étendard de la Patrona Hungariœ, il empêcha les disciples de Mahomet de pénétrer dans le centre de l'Europe. Il s'était donné le mandat de sauver la chrétienté et il ne faillit pas à sa mission.
Notre-Dame en patronne de la Hongrie - Patrona Hungariae
Pour accomplir cette mission, il puisait son énergie dans la foi. Cette foi, son premier roi la lui avait apportée et il avait su la faire pénétrer si profondément dans le cœur de son peuple que bientôt l'amour de Dieu et l'amour de la patrie ne firent plus qu'un même sentiment, mais noble sentiment qui inspira des actes héroïques. Le roi Étienne fut l'apôtre de la Hongrie, et en même temps qu'il faisait connaître à son peuple la vraie foi, il lui donnait une Constitution politique assurant à la religion catholique la première place, celle qu'elle occupe encore aujourd'hui. Ce fut ainsi que l'Église trouva dans la nation le point d'appui nécessaire à l'œuvre que la Providence lui assignait, tandis que l'État trouva dans l'Église le facteur indispensable à son développement normal. Placé entre l’empire d`orient et l’empire d`occident, Étienne sut éviter les dangers qui le menaçait des deux côtés a la fois; il repoussa énergiquement la protection de l`empereur d`Allemagne et fonda un royaume indépendant, de plus obéissant à une inspiration divine il s`écarta de l`empire romain d`Orient et se tourna vers Rome pour demander au successeur de St-Pierre la consécration de ses travaux. Il obtint avec la couronne royale le titre de roi catholique apostolique et plus tard les souverains pontifes désignèrent l`État hongrois sous le nom d`archiregnum. Pour commémorer le neuf centième anniversaire du sacre de son premier roi, la postérité reconnaissante érige un monument à saint Étienne et quand, en 1900, cette statue colossale dressera sa fière silhouette devant l'église de Notre-Dame, à Buda, on aura une preuve de plus que le peuple magyar vénère son passé dont il comprend la grandeur.
Paris, le 15 août 1898, En la fête de l'Assomption.
Église Notre-Dame de l`Assomption de Budapest avec le monument à St-Étienne (en hongrois : Nagyboldogasszony Főplébánia)
CHAPITRE PREMIER
ORIGINE DES MAGYARS
Attila plane sur les origines des Magyars. « Flagellum Dei» (Le fléau de Dieu) tel était le nom sous lequel des peuples effrayés désignaient celui qui, sous la prière d`un saint Pape renonçait a ses conquêtes et a la gloire, donnait a ses soldats l`ordre de replier les tentes, et, se mettant a leur tête, reprenait la route de sa patrie, sans avoir accompli le rêve ou son ambition lui avait fait entrevoir l`apogée de la gloire. Prendre d`assaut la ville sainte, pénétrer dans Rome devait être pour Attila le couronnement de sa carrière militaire, il y renonça, et tandis que l`Histoire se borne à reconnaitre la modération du grand conquérant, la tradition nous en explique les motifs.
La grande migration des peuples du cinquième siècle entraîna vers l'Europe de nombreuses tribus qui, jusqu'alors, avaient vécu en Asie. Les Huns formaient la partie la plus importante de la migration. Six chefs avaient été élus : Béla, Kewe, Kadischa, Attila, Buda et Rewa. Selon l'usage, un sabre, teint de sang, avait été brandi par un crieur public dans tous les campements, promené dans le pays entier, et le crieur avait par intervalle psalmodié la formule : « Voix de Dieu et du peuple magyar ! que tout homme armé soit présent tel jour, en tel lieu, au conseil de la communauté », et cet appel, compris de tous, avait fourni un contingent considérable de guerriers. Les Huns se mettent en route : attirés a Tarkok-Welg par Théodoric, ils sont vaincus; cet échec ne les décourage pas, car bientôt, ils prennent leur revanche dans le défilé du mont Cettius situé non loin de Vindobona (Vienne en Autriche actuelle), l`armée des Romains et des Germains est mise en déroute. Mais Kewe a péri a Tarnok-Welg; Béla, Kadischa et Rewa ont été tués au Mont Cettius, il ne reste plus que deux cheſs : Attila et Buda, les deux frères.
Les Huns envahissent l`Europe au 5 eme siècle
Les Huns élèvent Attila sur le pavois et le proclament roi. Son royaume est si grand, qu'il abandonne à son frère le gouvernement de tous les pays situés à l'est de la Tisza ; il se réserve tout ce qu'il a déjà conquis à l'ouest de ce fleuve et ce que le succès de ses armes lui donnera encore. Sa victoire du Mont Cettius a rempli de crainte les rois de Germanie, qui viennent lui rendre hommage. Encore une fois, il cède aux suggestions perfides de Théodoric ( roi des Ostrogoths en Germanie) qui veut le lancer dans des expéditions aventureuses et il entreprend la conquête des Gaules. On connaît les différentes phases et les péripéties de cette expédition; obligé de quitter la Gaule, Attila parcourt la Frise, le Danemark, la Lithuanie et revient au Danube par la Thuringe. Son retour est marqué par une tragédie sanglante qui rappelle celle qui s'était déroulée bien des siècles auparavant, lors de la fondation de Rome. Buda a déplacé la borne servant de limite entre son gouvernement et celui de son frère; il a fait plus, ne tenant aucun compte des ordres d'Attila qui voulait que Sicambrie portât son nom, il lui a donné le sien, et l'endroit où s'élève le camp des Huns s'appelle Budavár, forteresse de Buda( près de Budapest en Hongrie actuelle). Attila, irrité de cette attitude, traite son frère en rebelle et le tue. Mais les Huns, que cet acte n'effraie pas, continuent à donner le nom de Budavár à la ville qui s'appelle aujourd'hui O-Buda.
Invasions des Huns en Gaule, en Italie et en Grèce a la chute de l`empire romain au 5 eme siècle et empire d`Attila
Une partie de l'Europe orientale est soumise au roi des Huns. Il a choisi pour emblème un épervier couronné ; l'oiseau est brodé sur son drapeau, peint sur son bouclier et il restera le signe de ralliement des Magyars jusqu'à l'avènement de saint Étienne. « Turul » est son nom dans la vieille langue hongroise et il continue à porter ce nom dans la poésie populaire pour personnifier Attila. Son arrière-petit-fils, celui qui le rattachera à saint Étienne, est qualifié par la tradition d'enfant de Turul.
Le Turul hongrois - un épervier
Attila organise son vaste domaine; il y établit un service de surveillance; les crieurs sont postés à distance de la porté de la voix humaine et se transmettent les nouvelles, les faits et gestes du roi des Huns sont ainsi connus. L`ambition de Attila était d`écraser l`empire romain. Il décida la conquête de l`Italie et se met en marche avec avec une armée puissante. C'est Dieu lui-même qui ordonne à celui que la terreur des vaincus a surnommé le fléau de Dieu, le maillet du monde, de respecter les tombeaux des premiers apôtres. Pendant la nuit qui devait précéder la rencontre du guerrier et du pape, un ange du ciel apparut à Attila et lui dit : « Écoute, voici ce que le Seigneur Dieu, Jésus-Christ, te commande : N'entre pas avec ta colère dans la cité sainte où reposent les corps de mes apôtres, arrête-toi ici et retourne sur tes pas... Pour prix de ta soumission, je te promets qu'un jour viendra où ta génération visitera Rome en toute humilité, et un de tes descendants y recevra une couronne qui durera éternellement » (Chronica Hungarorum.) Cette couronne promise, au cinquième siècle, à Attila, sous le pontificat de Léon le Saint, fut celle que le pape Sylvestre II, après l'avoir comblée de grâces et de bénédictions, envoya en l'an mille au duc Étienne et qui est devenue la Sainte Couronne, le Palladium de la Hongrie.
Attila ne survécut que peu de temps a son expédition d`Italie. Peu après son enterrement, les deux fils d`Attila – Chaba et Aladarius tirent l`épée pour se disputer la possession de l`empire. Pendant quinze jours les combattants ne cessent de s`affronter avec fureur. Aladarius est vainqueur mais il succombe peu après de ses blessures tandis que son frère Chaba vaincu se réfugie avec les débris de son armée, comprenant encore 15,000 Huns chez son grand-père à Constantinople (capitale de l`empire romain d`Orient – Istanboul en Turquie de nos jours). L`empereur Honorius l`accueille fort bien et pour le retenir à sa cour, lui fait des offres magnifiques. Le fils du Hun ne se laisse pas tenter, il sait qu`il a un autre aïeux en Asie au pays des Mogers et c`est qu'il veut retourner, au milieu de sa famille et de sa nation pour qu'elles l'aident à châtier les Germains de leur perfidie. Il quitte bientôt la Grèce, arrive au pays des Mogers où il retrouve son grand-père, l'aide à gouverner sa tribu, lui succède et, fondant une famille, continue la branche directe des descendants d'Attila jusqu'à Almos, père d'Arpád. Ses fils gardent précieusement le souvenir de la gloire d'Attila et ne laissent pas s'effacer, chez leurs compagnons d'armes, la pensée de reconquérir le royaume que les Germains et les Slaves leur ont enlevé.
Ces traditions furent d'autant plus fidèlement conservées et facilement transmises que les Huns possédaient une poésie nationale; c'est Priscus, le rhéteur byzantin, qui nous l'apprend; il fit partie de l'ambassade envoyée, en 448 ap J.C., par l'empereur grec, Théodose II, à Attila ; on lui doit quelques renseignements sur les mœurs des Huns et la description de la cour de leur roi qui avait établi sa fastueuse résidence à Jászberény (Hongrie); cet endroit porta longtemps le nom d'Etelvár (fort d'Etel ou d'Attila). Au moment de l'introduction du christianisme en Hongrie, la poésie traditionnelle subit, du fait de clercs mieux intentionnés que documentés, une double transformation; pour la concilier avec le culte nouveau, le fond dut subir quelques altérations, tandis que la forme elle-même se modifiait par le passage d'une poésie libre en une chronique écrite en latin. Les clercs relièrent d'abord les Huns aux origines du genre humain. Les chefs de tribus Gog et Magog descendaient de Japhet; Moger, roi de Scythie, fut le père de la race des Mogers ou Magyars et, à travers une longue suite de patriarches, on parvint sans peine au roi des Huns, Attila, ancêtre d'Arpád.
Quand, à la dynastie d'Arpád, succédèrent les princes de la Maison d'Anjou, les traditions hunniques ne furent pas combattues; tout au contraire, Louis le Grand fit compulser les manuscrits relatifs aux origines de la nation hongroise et s'enthousiasma pour les chants traditionnels de sa nouvelle patrie. Les deux derniers héros de la chevalerie chrétienne, Jean Hunyady et son fils, le roi Mátyás, s'inspiraient des chants magyars où brillait le nom du roi des Huns. Et quand le vainqueur des Turcs, le seul qui ait fait reculer Mahomet II, fut placé à la tête d'une croisade préparée par la chrétienté, son peuple, à l'étonnement de l'Europe, acclama le nouveau Croisé, le roi Mátyás, un second Attila.
Mais tous les Huns n'ont pas accompagné Chaba en Asie ; 3.000 guerriers échappés à la lutte fratricide de Budavár se sont réfugiés au milieu des montagnes abruptes des Carpathes; des forêts séculaires couvrent ces montagnes et ont donné leur nom à la contrée, Erdélyország (Transylvanie, « pays des forêts). Les défilés infranchissables que forme la chaîne des Carpathes au sud, offrent aux guerriers huns une retraite sûre. Néanmoins, pour échapper à la vengeance des Germains qui veulent exterminer la race de ceux qui les ont vaincus autrefois, ils changent de nom et prennent celui de Sicules. Ils partagent leur territoire en plusieurs districts qu'ils nomment Sièges (En hongrois Szék, d'où Székely, Sicule.); le chef de chaque Siège est choisi par le peuple, comme du reste les autres fonctionnaires qu'il a sous ses ordres. Tous les hommes sont soldats et élisent leurs chefs.
Montagnes des Carpathes - Transylvanie, « pays des forêts» - refuge d`une partie des huns
Plusieurs fois dans le courant de l'année, les habitants de chaque Siège se réunissent pour examiner les actes accomplis par leurs mandataires. Ils choisissent les juges chargés de rendre la justice. Surgit-il une question intéressant la tribu entière, les vieillards seuls discutent tandis que les jeunes gens les écoutent en se tenant debout, le sabre nu à la main. Ainsi s'administraient les Sicules dès le cinquième siècle et il est permis de supposer que cette organisation existait déjà à l'époque où ils habitaient encore sous les tentes. Plus tard, le roi Étienne laissa subsister l'administration par Sièges et en contemplant aujourd'hui ces institutions qui ont treize siècles d'existence, on est amené à constater que le peuple qui a su établir de si bonne heure cet équilibre du pouvoir, devait avoir alors un développement fort avancé. Luttant toujours, les Sicules réussissent à conserver leur indépendance; leur nombre augmente, les traditions se transmettent et les descendants des compagnons d'Attila, les yeux sans cesse tournés vers l'Asie, attendent les descendants de leurs anciens compagnons d'armes pour les aider à reprendre possession du royaume d'Attila.
De même, en Asie, les générations se sont succédé au pays des Magyars et Eleud, fils d'Ugek, fils d'Ed, fils de Chaba, fils d'Attila, de la race de Turu, est le chef de la tribu. Mais, dit la tradition, un profond chagrin l'accable, il n'a pas d'héritier; sa femme Emés, n'est pas moins triste que lui. Une nuit, elle voit en songe lui apparaître le « Turul », l'emblème d'Attila; l'épervier plane d'abord au-dessus d'elle, puis s'abaisse, en repliant ses ailes, et vient dormir à côté d'elle. Emés rêve que son sein se brise et qu'il en sort un torrent qui couvre le monde. Aussi, quand, quelques mois plus tard, elle donne le jour à un fils, le nomme-t-elle Almos, c'est-à-dire enfant du rêve, ou bien aussi enfant sanctifié. Ce mythe de l'incarnation d'Attila dans son petit-fils Almos est bien conforme aux idées d'un peuple oriental. L`enfant du rêve est sanctifié, destiné à faire souche de rois chrétiens et de saints, se développe d`une manière remarquable. Brave, généreux, juste, il possède de plus une intelligence rare, car quoiqu`il soit païen, le Saint-Esprit est avec lui. Il se marie et a un fils, Arpad. Il semble posséder tout ce qu`il peut souhaiter pour être heureux mais une pensée l'obsède, le pousse à quitter sa terre natale, il veut revoir les pays que son ancêtre Attila a conquis; longtemps il lutte; enfin obéissant à la voix secrète qui l'anime, il convoque ses compagnons; six chefs de tribus se présentent suivis d'innombrables guerriers.
Plus de 20,000 hommes armés accompagnent les sept chefs, les hommes sont à cheval, tandis que les femmes et les enfants suivent dans les chariots. Cette immense caravane s`avance dans un ordre parfait, l`obéissance au chef est absolue aussi la discipline n`est-elle pas difficile à maintenir et le temps ne passe pas en vaines discussions. Almos conduit son armée a travers les steppes. Évitant les villes et il est interdit de toucher a quoi que ce soit qu`ait produit le labeur de l`homme, il ne permet que la chasse et la pêche.
Un fleuve barre t`il la route, les Magyars prennent des outres faites de peaux de bêtes et traversent l`eau. Ils approchent du Dniépers (Fleuve de Biélorussie et Ukraine actuelle), les Russes qui habitent la ville de Kiev apprennent que les Magyars ont à leur tête Almos, un descendant d`Attila, a qui ils payaient jadis tribut, ils ferment les portes de leur ville et appellent à leur secours les Koumans, leurs voisins. La bataille s'engage, l'ardeur est grande, mais les Russes poussent des cris féroces qui étonnent un moment les Magyars. Leur chef Almos les rassemble, la lutte continue avec plus de fureur jusqu'au moment où les Russes et les Koumans prennent la fuite. La ville ouvre ses portes et les habitants vont à la rencontre d'Almos, les mains chargées de présents. Ils lui promettent un tribut annuel de 10,000 marcs et le prient de ne pas demeurer dans leur pays, mais d'aller vers l'occident, au delà de la Forêt des Neiges, dans l'ancien royaume d'Attila; ils vantent la fertilité du pays où les Slaves, les Bulgares, les Valaques jouissent sans trouble de ce qui appartient aux Magyars. Reprendre possession de l'héritage de ses ancêtres, c'est bien là le but que poursuit Almos; il ne s'arrête pas longtemps pour jouir de la victoire et il continue sa route; il traverse la Lodomérie et entre en Galicie où il fait halte, recevant partout des hommages et des présents.
Il s'engage dans la Forêt des Neiges où bientôt il rencontre des voyageurs parlant la langue des Hongrois. Ce sont des Sicules qui, ayant appris que les descendants de Chaba s'avancent vers le pays de leurs ancêtres, ont quitté leurs montagnes de Transylvanie pour aller souhaiter la bienvenue à ceux qu'ils ont toujours attendus. Les Magyars pénètrent en Pannonie; (Ancienne région de l’ Europe centrale , dont le territoire est occupé de nos jours par la Hongrie , l’ Autriche orientale, la Croatie septentrionale,) ils foulent le sol du pays qui a été le royaume d'Attila, et pour célébrer ce grand événement, ils organisent des réjouissances qui durent quatre jours.
Retrouver l'ancienne patrie, y conduire son peuple, telle était la mission de l'enfant du rêve. Aussi lorsqu'Almos voit devant lui le vaste territoire de la Pannonie, il loue « le Dieu des Magyars », se recueille et montrant à ses compagnons la terre promise qui s'étend à leurs pieds, il leur parle en ces termes : « Voici votre patrie, nous avons franchi nos frontières, nous ne devons notre pays qu'à Dieu et à notre épée. N'ayez confiance qu'en Dieu et en votre épée, car eux seuls assureront votre liberté et celle de votre patrie. Dorénavant, il vous faut de la force et du courage, vous les possédez. Je me retire tranquille ; vous, marchez en avant ». Puis se tournant vers son fils, il ajoute : « Et toi, mon fils, que le Ciel a appelé à conduire tes compagnons, sois un juge équitable, sois grand, sois généreux; dans la main d'un prince, le peuple est une cire molle, malheur à celui qui n'en fait pas des hommes». Du consentement de tous, Almos remet le commandement à son fils Arpád. Sa tâche ainsi accomplie, il meurt, et, de même que sa naissance, sa mort est entourée de circonstances mystérieuses. Comme Moïse, il a tiré son peuple de la terre d'exil et l'a conduit vers la terre promise, mais plus heureux que le législateur d'Israël, il ne voit pas seulement la terre promise, il y pénètre et reçoit la soumission des peuples qui l'occupaient.
La vérité historique se confond ici avec la tradition nationale, et le fond poétique de cette tradition n'en a que plus de grandeur. Élevé sur le pavois, Arpád est proclamé duc des Hongrois. Pour continuer l'œuvre paternelle, il doit achever l'occupation de tout le pays; aussi envoie t-il un homme intelligent, Kusid, fils de Kund, pour explorer les plaines de la Pannonie. Kusid parvient au bord du Danube, il descend vers le fleuve et remplit d'eau sa gourde; en traversant une plaine, il prend une poignée de terre qu'il met dans son sac, avec différentes herbes cueillies dans la prairie. Muni de ces échantillons, il retourne vers les Carpathes pour rejoindre l'armée et raconter ce qu'il a vu. Arpád est satisfait de son récit ; il appelle sur les produits que lui remet Kusid, et qu'il regarde comme les symboles de la conquête, la bénédiction divine, et versant l'eau dans la corne qui lui sert à boire, il la répand solennellement sur la terre en invoquant trois fois le nom de Dieu et les Magyars répètent d'une seule voix : « Dieu ! Dieu! Dieu! »
Ayant ainsi pris possession du pays, Arpád s'avance et entre triomphalement dans la ville de Sicambrie où il retrouve les palais abandonnés de puis la mort d'Attila. Il ordonne de grandes réjouissances pour fêter sa victoire, l' « Aldomâs », ou festin, dure vingt jours. Des troupeaux de chevaux blancs sont consacrés par les prêtres et mangés par les Magyars, depuis les chefs jusqu'aux derniers soldats. Les chanteurs, s'accompagnant d'un instrument assez semblable à la lyre et appelé « koboz », glorifient les ancêtres et rappellent leurs hauts faits; des jongleurs et des danseurs égayent les repas de leurs jeux.
A partir de cette époque, le pays conquis par les Magyars prend le nom de Hongrie et les indigènes appellent leur patrie Magyarország, Magyarie. Arpád règne à ce moment, en l`an 896 Ap J.C. sur une population de cent mille Magyars dont le cinquième environ est en état de porter les armes. Au moment où Arpád reprit possession de la Pannonie, il ne restait guère de trace du christianisme, qui cependant y avait fait quelques fugitives apparitions. Tudum, le khan des Avares, vaincu par Charlemagne, s'était engagé à se faire chrétien, et avait reçu le baptême, en l`an 796. Mais ses guerriers ne suivirent pas son exemple. La guerre avait dépeuplé le pays et l'empereur remplaça les indigènes par des Allemands et des Slaves qui se fixèrent en Pannonie ; quelques églises, humbles constructions en bois, furent alors élevées. Plus tard, un décret de Louis le Débonnaire (roi des Francs) rattacha la chrétienté de Pannonie à l'archevêché de Salzbourg dont le titulaire, en 797, était Arno; c'est de cette époque que date le couvent de Saint Hippolyte.
Tout en travaillant à l'affermissement de la puissance de son peuple, le duc veut en même temps donner une base solide au nouvel État. Il convoque tous les chefs à une assemblée qui se tient à Puszta Szer, près des rives de la Tisza. Cette assemblée est considérée comme la première Diète hongroise ; longtemps encore, les Magyars ne se réunirent qu'en plein air, et les plaines du Rákos, dont le nom évoque le souvenir de tant d'événements chers au cœur du patriote, virent souvent se dérouler le spectacle magnifique de tous les représentants du pays acclamant une noble idée, jurant de défendre la patrie envers et contre tous.
Puszta Szer, près des rives de la Tisza - une grande plaine ou les Magyars tenaient une assemblée politique pour le gouvernement du pays vers l`an 896 Ap J.C.
Pendant vingt jours, on délibéra et à l'Assemblée de Puszta-Szer furent élaborées les premières bases d'une organisation à laquelle le roi Étienne devait donner tout son développement; ce fut là que les Magyars commencèrent à s'assurer les privilèges politiques et les libertés dont ils jouissent encore : ils fondèrent une monarchie élective en même temps qu'héréditaire et, malgré les vicissitudes, les désastres, les luttes contre l'absolutisme qui mirent souvent la Hongrie au bord de l'abîme, ils ont pu pendant cette longue période de mille ans, dont ils célébraient la commémoration en 1896, maintenir plein air, et les plaines du Rákos, dont le nom évoque le souvenir de tant d'événements chers au coeur du patriote, virent souvent se dérouler le spectacle magnifique de tous les représentants du pays acclamant une noble idée, jurant de défendre la patrie envers et contre tous.
Pendant vingt jours, on délibéra et à l'Assemblée de Puszta-Szer furent élaborées les premières bases d'une organisation à laquelle le roi Étienne devait donner tout son développement; ce fut là que les Magyars commencèrent à s'assurer les privilèges politiques et les libertés dont ils jouissent encore ( la Hongrie a été contrôlée par les communistes de 1945 à 1990 – tombant sous la domination soviétique a la fin de la seconde guerre mondiale): ils fondèrent une monarchie élective en même temps qu'héréditaire et, malgré les vicissitudes, les désastres, les luttes contre l'absolutisme qui mirent souvent la Hongrie au bord de l'abîme, ils ont pu pendant cette longue période de mille ans, maintenir presque toujours ferme leur devise : Nihil de nobis sine nos.
Le territoire fut divisé en deux parts égales dont l`une fut attribuée au duc et a sa famille; l`autre fut partagée entre les chefs qui se chargèrent de pourvoir a l`établissement des guerriers qui avaient combattus sous leurs ordres. Ce fut le berceau de la noblesse hongroise. Lorsque Arpad mourut en l`an 907 Ap J.C après avoir gouverné pendant 20 ans les Magyars, la tristesse fut grande, et cent ans plus tard, lorsque ses descendants eurent introduit le christianisme en Hongrie, une église dédiée a la vierge Marie marqua la place ou reposait les cendres du fondateur de l`état Magyar.
La poésie populaire a été pour les Hongrois plus qu'un jeu d'esprit, plus qu'une distraction, elle a servi à la transmission des traditions nationales, et plus tard on consulta les poèmes, les épopées et les chansons pour y retrouver les origines des institutions politiques, de la loi civile, des coutumes, ect. Le peuple entier était poète, il chantait ses propres vers ou répétait ceux des troubadours, ou rapsodes, en s'accompagnant de la « koboz »; chaque grande famille avait ses annales poétiques où elle puisait l'héroïsme en s'enthousiasmant au récit des hauts faits de ses ancêtres, tandis que le peuple y suivait le développement de son esprit guerrier.
Mais ces premiers monuments de la poésie nationale ne sont pas parvenus jusqu'à nous; ils disparurent plus facilement et plus rapidement que les statues des idoles qui, au temps d'Arpád, servaient souvent de bornes-frontières. La conversion des Magyars au christianisme nécessita l'introduction de la langue latine dans les chants liturgiques; une lutte sourde s'engagea et, peu à peu, les hymnes religieuses prirent la place des chants patriotiques; cependant les Hongrois convertis ne renonçaient pas volontiers à leurs traditions nationales, le génie magyar cédait aux impressions sans y être asservi.
Obligés de chanter en latin, les nouveaux chrétiens surent introduire dans les chants pacifiques de l'Église leur esprit national, leurs idées belliqueuses. Elles y triomphaient même à tel point qu'à l'Assemblée de 1111 ou 1112, à Esztergom, le roi Kálmán se vit obligé de rappeler les poètes à une plus juste compréhension du chant liturgique et l'archevêque décida que désormais les hymnes seraient soumises à la censure. Ladislas IV dut prendre des mesures analogues. Les premiers chants religieux chrétiens furent traduits ou imités du latin, ils venaient en grande partie du Bréviaire romain ; quelques-uns ont été conservés dans le Batthyány Hymnarium, composé par un auteur protestant et retrouvé dans la bibliothèque de Gyula-Fehérvár.
Il ne faudrait pas croire pourtant que les chroniques sur l'époque de la conversion des Magyars font défaut. Un demi-siècle après la mort du premier roi chrétien, l'évêque Chartvicius écrivait pour le roi Kálmán les Gesta Hungarorum; c'est là que se trouve mentionné le lien mystérieux qui relie Attila à saint Etienne.
La Chronique du Notaire anonyme du roi Béla est également une source à laquelle les historiens ont largement puisé; elle fixe la tradition au moment de la transformation provoquée par l'introduction du christianisme. L'auteur de cette Chronique a su se servir des poésies nationales, mais il n'en a usé qu'avec circonspection, c'est un historiographe et en même temps un critique d'une certaine valeur. Étant déjà chanoine d'Esztergom, il avait quitté son pays pour se rendre à Paris et suivre les cours de l'Université. A son retour, il devint chancelier du roi Béla III et mourut évêque de Transylvanie.
La plus importante des « Chroniques » de cette époque est incontestablement celle de Simon Kézai ; elle a servi de modèle aux chroniqueurs hongrois jusqu'au milieu du quinzième siècle. Dans ses Gesta Hungarorum, l'auteur laisse à l'écart les vieilles chansons nationales toujours empreintes de paganisme ; il entreprend une lutte qui s'est du reste continuée à travers les siècles : il défend ses compatriotes des attaques que la mauvaise foi et la terreur inspiraient aux écrivains allemands. Son amour pour sa patrie ne l'entraîne pourtant à aucune exagération et ses œuvres sont empreintes d'un impartialité rare qui leur donne une grande valeur; les traditions se rapportant à Attila et aux Huns sont traitées avec assez d'ampleur pour permettre de se rendre compte de la période héroïque précédant l'époque historique. Ses Gesta Hungarorum sont divisés en deux livres. Les documents authentiques ne font donc pas défaut et c'est aux sources mêmes que l'on peut puiser pour parler du roi saint Étienne et de son peuple.
Les Magyars possédaient un développement intellectuel fort remarquable : on en a une preuve éclatante dans la Constitution dont ils posèrent les bases à Puszta-Szer. Dès le quatrième siècle, ils possédaient une écriture particulière, et lorsqu'après de longues pérégrinations, ils se fixèrent en Pannonie, leur langue était formée. Elle était riche en termes de guerre et d'agriculture ; la vie politique et la vie intellectuelle possédaient de nombreuses expressions ; la vie de famille connaissait des appellations qui font encore défaut aujourd'hui dans d'autres langues; les formes grammaticales ont peu varié depuis cette époque et le plus ancien monument de la langue magyare, un fragment d'oraison funèbre, est fort compréhensible aujourd'hui.
Les Magyars étaient guerriers comme tous les peuples du moyen âge; ils avaient une vaillance et une discipline que les écrivains impartiaux se sont plu à reconnaître; leur intrépidité causa quelquefois un effroi légitime, car ils pillaient et ils saccageaient les villes, mais jamais, même au milieu des plus grandes violences, un Magyar n'outrageait la pudeur d'une femme. Du reste la vie de famille était patriarcale et l'épouse « feleség », dont le nom n'a pas changé, était non l'esclave, mais la compagne, l'égale de l'homme. Le Magyar n'avait jamais qu'une femme et chez lui, dans sa demeure, ou à la guerre, sous la tente, il la respectait toujours. Devenue veuve, l'épouse entrait en possession de tous les droits de son mari.
A une âme chevaleresque, le Hongrois joint un sentiment inné de la justice et son immense amour de la liberté lui fit respecter celle des peuples qu'il eut à combattre. Loin d'agir en conquérant et de considérer les vaincus comme des esclaves, il les traitait en compagnons, et les autochtones qui ne résistèrent pas aux fils des Huns, revenant prendre possession des terres occupées autrefois par leurs ancêtres, ne furent pas opprimés; ils entrèrent de plein droit dans la société des conquérants; les nouveaux concitoyens combattaient-ils pour leur nouvelle patrie, immédiatement on leur accordait tous les privilèges et toutes les prérogatives des guerriers magyars. Cette générosité naturelle s'est du reste toujours conservée intacte chez les Hongrois. Observateurs stricts de la foi jurée et des traités conclus, ils ne se départaient pas de ce principe, même quand on les y provoquait. Et c'est bien au peuple magyar que peut s'appliquer la définition de Léon le Philosophe : un peuple noble et fier.
Doué d'une vive intelligence, d'une compréhension rapide, d'une énergie indomptable, le robuste guerrier du temps de l'invasion devait, dans le cours des siècles, devenir le féal chevalier de la chrétienté. Son ardent amour de la patrie qui lui faisait dire, non sans orgueil : « Extra Hungariam non est vita et si est vita non est ita », devait lui inspirer des prodiges de valeur; confondant en un même amour Dieu, la patrie et la liberté, il s'attribua la mission de sauver la chrétienté et n'y faillit jamais ; faisant de son corps un rempart infranchissable, il sut empêcher le Croissant (l`islam) de pénétrer en Occident.
Encore païen dix siècles après la venue du Messie, le peuple hongrois avait pourtant un sentiment religieux très profond. Il était monothéiste, il croyait à un Dieu unique, créateur de l'univers et père de l'humanité. Au chef Arpád avait succédé son fils Zsolt. Les Hongrois, accoutumés à la vie agitée du guerrier, ne renonçaient pas facilement à leurs habitudes séculaires; ils partaient volontiers en guerre et les pays voisins eurent plus d'une fois à supporter les conséquences de leurs expéditions au-delà des frontières. Cependant les souverains des pays qui touchaient la Pannonie faisaient souvent appel a leur bravoure et ce fut ainsi que, cédant aux instances du duc Conrad, ils prirent part a la bataille d`Augsbourg; trahis par leur perfide allié, ils furent vaincus et cette défaite leur fit une profonde impression.
la suite bientôt
Par E. HORN de l`Académie française - 1899
(Extraits)
INTRODUCTION.
«Tirée par une force mystérieuse de son vieux nid caché au fond de l`Asie, cette nation a obéit a une puissance supérieure qui l`a choisie, guidée, élevée et en a fait la forteresse la plus solide, la plus inébranlable de la chrétienté. Ils étaient nés des héros ces combattants à qui une bravoure terrifiante joignaient une piété édifiante, qui remportèrent des victoires tenant du miracle et, pendant des siècles, soutinrent et protégèrent les peuples chrétiens. » Ainsi s'exprimait le savant cardinal Baronius, en parlant du peuple magyar. Ce peuple, comme du reste tous les peuples, avait un rôle historique à remplir, une mission providentielle à accomplir. Il s'en est acquitté noblement, à la façon des peuples chrétiens, en faisant progresser le royaume de Dieu sur la terre et en offrant sa vie pour défendre les progrès déjà obtenus. Pendant cette période médiévale, si longtemps méconnue, ce peuple chevaleresque faisait de son corps un rempart qu'il opposa, d'abord aux Tartares, en suite aux Osmanlis. S'élançant à la bataille en prononçant le nom de Marie et en brandissant l'étendard de la Patrona Hungariœ, il empêcha les disciples de Mahomet de pénétrer dans le centre de l'Europe. Il s'était donné le mandat de sauver la chrétienté et il ne faillit pas à sa mission.
Notre-Dame en patronne de la Hongrie - Patrona Hungariae
Pour accomplir cette mission, il puisait son énergie dans la foi. Cette foi, son premier roi la lui avait apportée et il avait su la faire pénétrer si profondément dans le cœur de son peuple que bientôt l'amour de Dieu et l'amour de la patrie ne firent plus qu'un même sentiment, mais noble sentiment qui inspira des actes héroïques. Le roi Étienne fut l'apôtre de la Hongrie, et en même temps qu'il faisait connaître à son peuple la vraie foi, il lui donnait une Constitution politique assurant à la religion catholique la première place, celle qu'elle occupe encore aujourd'hui. Ce fut ainsi que l'Église trouva dans la nation le point d'appui nécessaire à l'œuvre que la Providence lui assignait, tandis que l'État trouva dans l'Église le facteur indispensable à son développement normal. Placé entre l’empire d`orient et l’empire d`occident, Étienne sut éviter les dangers qui le menaçait des deux côtés a la fois; il repoussa énergiquement la protection de l`empereur d`Allemagne et fonda un royaume indépendant, de plus obéissant à une inspiration divine il s`écarta de l`empire romain d`Orient et se tourna vers Rome pour demander au successeur de St-Pierre la consécration de ses travaux. Il obtint avec la couronne royale le titre de roi catholique apostolique et plus tard les souverains pontifes désignèrent l`État hongrois sous le nom d`archiregnum. Pour commémorer le neuf centième anniversaire du sacre de son premier roi, la postérité reconnaissante érige un monument à saint Étienne et quand, en 1900, cette statue colossale dressera sa fière silhouette devant l'église de Notre-Dame, à Buda, on aura une preuve de plus que le peuple magyar vénère son passé dont il comprend la grandeur.
Paris, le 15 août 1898, En la fête de l'Assomption.
Église Notre-Dame de l`Assomption de Budapest avec le monument à St-Étienne (en hongrois : Nagyboldogasszony Főplébánia)
CHAPITRE PREMIER
ORIGINE DES MAGYARS
Attila plane sur les origines des Magyars. « Flagellum Dei» (Le fléau de Dieu) tel était le nom sous lequel des peuples effrayés désignaient celui qui, sous la prière d`un saint Pape renonçait a ses conquêtes et a la gloire, donnait a ses soldats l`ordre de replier les tentes, et, se mettant a leur tête, reprenait la route de sa patrie, sans avoir accompli le rêve ou son ambition lui avait fait entrevoir l`apogée de la gloire. Prendre d`assaut la ville sainte, pénétrer dans Rome devait être pour Attila le couronnement de sa carrière militaire, il y renonça, et tandis que l`Histoire se borne à reconnaitre la modération du grand conquérant, la tradition nous en explique les motifs.
La grande migration des peuples du cinquième siècle entraîna vers l'Europe de nombreuses tribus qui, jusqu'alors, avaient vécu en Asie. Les Huns formaient la partie la plus importante de la migration. Six chefs avaient été élus : Béla, Kewe, Kadischa, Attila, Buda et Rewa. Selon l'usage, un sabre, teint de sang, avait été brandi par un crieur public dans tous les campements, promené dans le pays entier, et le crieur avait par intervalle psalmodié la formule : « Voix de Dieu et du peuple magyar ! que tout homme armé soit présent tel jour, en tel lieu, au conseil de la communauté », et cet appel, compris de tous, avait fourni un contingent considérable de guerriers. Les Huns se mettent en route : attirés a Tarkok-Welg par Théodoric, ils sont vaincus; cet échec ne les décourage pas, car bientôt, ils prennent leur revanche dans le défilé du mont Cettius situé non loin de Vindobona (Vienne en Autriche actuelle), l`armée des Romains et des Germains est mise en déroute. Mais Kewe a péri a Tarnok-Welg; Béla, Kadischa et Rewa ont été tués au Mont Cettius, il ne reste plus que deux cheſs : Attila et Buda, les deux frères.
Les Huns envahissent l`Europe au 5 eme siècle
Les Huns élèvent Attila sur le pavois et le proclament roi. Son royaume est si grand, qu'il abandonne à son frère le gouvernement de tous les pays situés à l'est de la Tisza ; il se réserve tout ce qu'il a déjà conquis à l'ouest de ce fleuve et ce que le succès de ses armes lui donnera encore. Sa victoire du Mont Cettius a rempli de crainte les rois de Germanie, qui viennent lui rendre hommage. Encore une fois, il cède aux suggestions perfides de Théodoric ( roi des Ostrogoths en Germanie) qui veut le lancer dans des expéditions aventureuses et il entreprend la conquête des Gaules. On connaît les différentes phases et les péripéties de cette expédition; obligé de quitter la Gaule, Attila parcourt la Frise, le Danemark, la Lithuanie et revient au Danube par la Thuringe. Son retour est marqué par une tragédie sanglante qui rappelle celle qui s'était déroulée bien des siècles auparavant, lors de la fondation de Rome. Buda a déplacé la borne servant de limite entre son gouvernement et celui de son frère; il a fait plus, ne tenant aucun compte des ordres d'Attila qui voulait que Sicambrie portât son nom, il lui a donné le sien, et l'endroit où s'élève le camp des Huns s'appelle Budavár, forteresse de Buda( près de Budapest en Hongrie actuelle). Attila, irrité de cette attitude, traite son frère en rebelle et le tue. Mais les Huns, que cet acte n'effraie pas, continuent à donner le nom de Budavár à la ville qui s'appelle aujourd'hui O-Buda.
Invasions des Huns en Gaule, en Italie et en Grèce a la chute de l`empire romain au 5 eme siècle et empire d`Attila
Une partie de l'Europe orientale est soumise au roi des Huns. Il a choisi pour emblème un épervier couronné ; l'oiseau est brodé sur son drapeau, peint sur son bouclier et il restera le signe de ralliement des Magyars jusqu'à l'avènement de saint Étienne. « Turul » est son nom dans la vieille langue hongroise et il continue à porter ce nom dans la poésie populaire pour personnifier Attila. Son arrière-petit-fils, celui qui le rattachera à saint Étienne, est qualifié par la tradition d'enfant de Turul.
Le Turul hongrois - un épervier
Attila organise son vaste domaine; il y établit un service de surveillance; les crieurs sont postés à distance de la porté de la voix humaine et se transmettent les nouvelles, les faits et gestes du roi des Huns sont ainsi connus. L`ambition de Attila était d`écraser l`empire romain. Il décida la conquête de l`Italie et se met en marche avec avec une armée puissante. C'est Dieu lui-même qui ordonne à celui que la terreur des vaincus a surnommé le fléau de Dieu, le maillet du monde, de respecter les tombeaux des premiers apôtres. Pendant la nuit qui devait précéder la rencontre du guerrier et du pape, un ange du ciel apparut à Attila et lui dit : « Écoute, voici ce que le Seigneur Dieu, Jésus-Christ, te commande : N'entre pas avec ta colère dans la cité sainte où reposent les corps de mes apôtres, arrête-toi ici et retourne sur tes pas... Pour prix de ta soumission, je te promets qu'un jour viendra où ta génération visitera Rome en toute humilité, et un de tes descendants y recevra une couronne qui durera éternellement » (Chronica Hungarorum.) Cette couronne promise, au cinquième siècle, à Attila, sous le pontificat de Léon le Saint, fut celle que le pape Sylvestre II, après l'avoir comblée de grâces et de bénédictions, envoya en l'an mille au duc Étienne et qui est devenue la Sainte Couronne, le Palladium de la Hongrie.
Attila ne survécut que peu de temps a son expédition d`Italie. Peu après son enterrement, les deux fils d`Attila – Chaba et Aladarius tirent l`épée pour se disputer la possession de l`empire. Pendant quinze jours les combattants ne cessent de s`affronter avec fureur. Aladarius est vainqueur mais il succombe peu après de ses blessures tandis que son frère Chaba vaincu se réfugie avec les débris de son armée, comprenant encore 15,000 Huns chez son grand-père à Constantinople (capitale de l`empire romain d`Orient – Istanboul en Turquie de nos jours). L`empereur Honorius l`accueille fort bien et pour le retenir à sa cour, lui fait des offres magnifiques. Le fils du Hun ne se laisse pas tenter, il sait qu`il a un autre aïeux en Asie au pays des Mogers et c`est qu'il veut retourner, au milieu de sa famille et de sa nation pour qu'elles l'aident à châtier les Germains de leur perfidie. Il quitte bientôt la Grèce, arrive au pays des Mogers où il retrouve son grand-père, l'aide à gouverner sa tribu, lui succède et, fondant une famille, continue la branche directe des descendants d'Attila jusqu'à Almos, père d'Arpád. Ses fils gardent précieusement le souvenir de la gloire d'Attila et ne laissent pas s'effacer, chez leurs compagnons d'armes, la pensée de reconquérir le royaume que les Germains et les Slaves leur ont enlevé.
Ces traditions furent d'autant plus fidèlement conservées et facilement transmises que les Huns possédaient une poésie nationale; c'est Priscus, le rhéteur byzantin, qui nous l'apprend; il fit partie de l'ambassade envoyée, en 448 ap J.C., par l'empereur grec, Théodose II, à Attila ; on lui doit quelques renseignements sur les mœurs des Huns et la description de la cour de leur roi qui avait établi sa fastueuse résidence à Jászberény (Hongrie); cet endroit porta longtemps le nom d'Etelvár (fort d'Etel ou d'Attila). Au moment de l'introduction du christianisme en Hongrie, la poésie traditionnelle subit, du fait de clercs mieux intentionnés que documentés, une double transformation; pour la concilier avec le culte nouveau, le fond dut subir quelques altérations, tandis que la forme elle-même se modifiait par le passage d'une poésie libre en une chronique écrite en latin. Les clercs relièrent d'abord les Huns aux origines du genre humain. Les chefs de tribus Gog et Magog descendaient de Japhet; Moger, roi de Scythie, fut le père de la race des Mogers ou Magyars et, à travers une longue suite de patriarches, on parvint sans peine au roi des Huns, Attila, ancêtre d'Arpád.
Quand, à la dynastie d'Arpád, succédèrent les princes de la Maison d'Anjou, les traditions hunniques ne furent pas combattues; tout au contraire, Louis le Grand fit compulser les manuscrits relatifs aux origines de la nation hongroise et s'enthousiasma pour les chants traditionnels de sa nouvelle patrie. Les deux derniers héros de la chevalerie chrétienne, Jean Hunyady et son fils, le roi Mátyás, s'inspiraient des chants magyars où brillait le nom du roi des Huns. Et quand le vainqueur des Turcs, le seul qui ait fait reculer Mahomet II, fut placé à la tête d'une croisade préparée par la chrétienté, son peuple, à l'étonnement de l'Europe, acclama le nouveau Croisé, le roi Mátyás, un second Attila.
Mais tous les Huns n'ont pas accompagné Chaba en Asie ; 3.000 guerriers échappés à la lutte fratricide de Budavár se sont réfugiés au milieu des montagnes abruptes des Carpathes; des forêts séculaires couvrent ces montagnes et ont donné leur nom à la contrée, Erdélyország (Transylvanie, « pays des forêts). Les défilés infranchissables que forme la chaîne des Carpathes au sud, offrent aux guerriers huns une retraite sûre. Néanmoins, pour échapper à la vengeance des Germains qui veulent exterminer la race de ceux qui les ont vaincus autrefois, ils changent de nom et prennent celui de Sicules. Ils partagent leur territoire en plusieurs districts qu'ils nomment Sièges (En hongrois Szék, d'où Székely, Sicule.); le chef de chaque Siège est choisi par le peuple, comme du reste les autres fonctionnaires qu'il a sous ses ordres. Tous les hommes sont soldats et élisent leurs chefs.
Montagnes des Carpathes - Transylvanie, « pays des forêts» - refuge d`une partie des huns
Plusieurs fois dans le courant de l'année, les habitants de chaque Siège se réunissent pour examiner les actes accomplis par leurs mandataires. Ils choisissent les juges chargés de rendre la justice. Surgit-il une question intéressant la tribu entière, les vieillards seuls discutent tandis que les jeunes gens les écoutent en se tenant debout, le sabre nu à la main. Ainsi s'administraient les Sicules dès le cinquième siècle et il est permis de supposer que cette organisation existait déjà à l'époque où ils habitaient encore sous les tentes. Plus tard, le roi Étienne laissa subsister l'administration par Sièges et en contemplant aujourd'hui ces institutions qui ont treize siècles d'existence, on est amené à constater que le peuple qui a su établir de si bonne heure cet équilibre du pouvoir, devait avoir alors un développement fort avancé. Luttant toujours, les Sicules réussissent à conserver leur indépendance; leur nombre augmente, les traditions se transmettent et les descendants des compagnons d'Attila, les yeux sans cesse tournés vers l'Asie, attendent les descendants de leurs anciens compagnons d'armes pour les aider à reprendre possession du royaume d'Attila.
De même, en Asie, les générations se sont succédé au pays des Magyars et Eleud, fils d'Ugek, fils d'Ed, fils de Chaba, fils d'Attila, de la race de Turu, est le chef de la tribu. Mais, dit la tradition, un profond chagrin l'accable, il n'a pas d'héritier; sa femme Emés, n'est pas moins triste que lui. Une nuit, elle voit en songe lui apparaître le « Turul », l'emblème d'Attila; l'épervier plane d'abord au-dessus d'elle, puis s'abaisse, en repliant ses ailes, et vient dormir à côté d'elle. Emés rêve que son sein se brise et qu'il en sort un torrent qui couvre le monde. Aussi, quand, quelques mois plus tard, elle donne le jour à un fils, le nomme-t-elle Almos, c'est-à-dire enfant du rêve, ou bien aussi enfant sanctifié. Ce mythe de l'incarnation d'Attila dans son petit-fils Almos est bien conforme aux idées d'un peuple oriental. L`enfant du rêve est sanctifié, destiné à faire souche de rois chrétiens et de saints, se développe d`une manière remarquable. Brave, généreux, juste, il possède de plus une intelligence rare, car quoiqu`il soit païen, le Saint-Esprit est avec lui. Il se marie et a un fils, Arpad. Il semble posséder tout ce qu`il peut souhaiter pour être heureux mais une pensée l'obsède, le pousse à quitter sa terre natale, il veut revoir les pays que son ancêtre Attila a conquis; longtemps il lutte; enfin obéissant à la voix secrète qui l'anime, il convoque ses compagnons; six chefs de tribus se présentent suivis d'innombrables guerriers.
Plus de 20,000 hommes armés accompagnent les sept chefs, les hommes sont à cheval, tandis que les femmes et les enfants suivent dans les chariots. Cette immense caravane s`avance dans un ordre parfait, l`obéissance au chef est absolue aussi la discipline n`est-elle pas difficile à maintenir et le temps ne passe pas en vaines discussions. Almos conduit son armée a travers les steppes. Évitant les villes et il est interdit de toucher a quoi que ce soit qu`ait produit le labeur de l`homme, il ne permet que la chasse et la pêche.
Un fleuve barre t`il la route, les Magyars prennent des outres faites de peaux de bêtes et traversent l`eau. Ils approchent du Dniépers (Fleuve de Biélorussie et Ukraine actuelle), les Russes qui habitent la ville de Kiev apprennent que les Magyars ont à leur tête Almos, un descendant d`Attila, a qui ils payaient jadis tribut, ils ferment les portes de leur ville et appellent à leur secours les Koumans, leurs voisins. La bataille s'engage, l'ardeur est grande, mais les Russes poussent des cris féroces qui étonnent un moment les Magyars. Leur chef Almos les rassemble, la lutte continue avec plus de fureur jusqu'au moment où les Russes et les Koumans prennent la fuite. La ville ouvre ses portes et les habitants vont à la rencontre d'Almos, les mains chargées de présents. Ils lui promettent un tribut annuel de 10,000 marcs et le prient de ne pas demeurer dans leur pays, mais d'aller vers l'occident, au delà de la Forêt des Neiges, dans l'ancien royaume d'Attila; ils vantent la fertilité du pays où les Slaves, les Bulgares, les Valaques jouissent sans trouble de ce qui appartient aux Magyars. Reprendre possession de l'héritage de ses ancêtres, c'est bien là le but que poursuit Almos; il ne s'arrête pas longtemps pour jouir de la victoire et il continue sa route; il traverse la Lodomérie et entre en Galicie où il fait halte, recevant partout des hommages et des présents.
Il s'engage dans la Forêt des Neiges où bientôt il rencontre des voyageurs parlant la langue des Hongrois. Ce sont des Sicules qui, ayant appris que les descendants de Chaba s'avancent vers le pays de leurs ancêtres, ont quitté leurs montagnes de Transylvanie pour aller souhaiter la bienvenue à ceux qu'ils ont toujours attendus. Les Magyars pénètrent en Pannonie; (Ancienne région de l’ Europe centrale , dont le territoire est occupé de nos jours par la Hongrie , l’ Autriche orientale, la Croatie septentrionale,) ils foulent le sol du pays qui a été le royaume d'Attila, et pour célébrer ce grand événement, ils organisent des réjouissances qui durent quatre jours.
Retrouver l'ancienne patrie, y conduire son peuple, telle était la mission de l'enfant du rêve. Aussi lorsqu'Almos voit devant lui le vaste territoire de la Pannonie, il loue « le Dieu des Magyars », se recueille et montrant à ses compagnons la terre promise qui s'étend à leurs pieds, il leur parle en ces termes : « Voici votre patrie, nous avons franchi nos frontières, nous ne devons notre pays qu'à Dieu et à notre épée. N'ayez confiance qu'en Dieu et en votre épée, car eux seuls assureront votre liberté et celle de votre patrie. Dorénavant, il vous faut de la force et du courage, vous les possédez. Je me retire tranquille ; vous, marchez en avant ». Puis se tournant vers son fils, il ajoute : « Et toi, mon fils, que le Ciel a appelé à conduire tes compagnons, sois un juge équitable, sois grand, sois généreux; dans la main d'un prince, le peuple est une cire molle, malheur à celui qui n'en fait pas des hommes». Du consentement de tous, Almos remet le commandement à son fils Arpád. Sa tâche ainsi accomplie, il meurt, et, de même que sa naissance, sa mort est entourée de circonstances mystérieuses. Comme Moïse, il a tiré son peuple de la terre d'exil et l'a conduit vers la terre promise, mais plus heureux que le législateur d'Israël, il ne voit pas seulement la terre promise, il y pénètre et reçoit la soumission des peuples qui l'occupaient.
La vérité historique se confond ici avec la tradition nationale, et le fond poétique de cette tradition n'en a que plus de grandeur. Élevé sur le pavois, Arpád est proclamé duc des Hongrois. Pour continuer l'œuvre paternelle, il doit achever l'occupation de tout le pays; aussi envoie t-il un homme intelligent, Kusid, fils de Kund, pour explorer les plaines de la Pannonie. Kusid parvient au bord du Danube, il descend vers le fleuve et remplit d'eau sa gourde; en traversant une plaine, il prend une poignée de terre qu'il met dans son sac, avec différentes herbes cueillies dans la prairie. Muni de ces échantillons, il retourne vers les Carpathes pour rejoindre l'armée et raconter ce qu'il a vu. Arpád est satisfait de son récit ; il appelle sur les produits que lui remet Kusid, et qu'il regarde comme les symboles de la conquête, la bénédiction divine, et versant l'eau dans la corne qui lui sert à boire, il la répand solennellement sur la terre en invoquant trois fois le nom de Dieu et les Magyars répètent d'une seule voix : « Dieu ! Dieu! Dieu! »
Ayant ainsi pris possession du pays, Arpád s'avance et entre triomphalement dans la ville de Sicambrie où il retrouve les palais abandonnés de puis la mort d'Attila. Il ordonne de grandes réjouissances pour fêter sa victoire, l' « Aldomâs », ou festin, dure vingt jours. Des troupeaux de chevaux blancs sont consacrés par les prêtres et mangés par les Magyars, depuis les chefs jusqu'aux derniers soldats. Les chanteurs, s'accompagnant d'un instrument assez semblable à la lyre et appelé « koboz », glorifient les ancêtres et rappellent leurs hauts faits; des jongleurs et des danseurs égayent les repas de leurs jeux.
A partir de cette époque, le pays conquis par les Magyars prend le nom de Hongrie et les indigènes appellent leur patrie Magyarország, Magyarie. Arpád règne à ce moment, en l`an 896 Ap J.C. sur une population de cent mille Magyars dont le cinquième environ est en état de porter les armes. Au moment où Arpád reprit possession de la Pannonie, il ne restait guère de trace du christianisme, qui cependant y avait fait quelques fugitives apparitions. Tudum, le khan des Avares, vaincu par Charlemagne, s'était engagé à se faire chrétien, et avait reçu le baptême, en l`an 796. Mais ses guerriers ne suivirent pas son exemple. La guerre avait dépeuplé le pays et l'empereur remplaça les indigènes par des Allemands et des Slaves qui se fixèrent en Pannonie ; quelques églises, humbles constructions en bois, furent alors élevées. Plus tard, un décret de Louis le Débonnaire (roi des Francs) rattacha la chrétienté de Pannonie à l'archevêché de Salzbourg dont le titulaire, en 797, était Arno; c'est de cette époque que date le couvent de Saint Hippolyte.
Tout en travaillant à l'affermissement de la puissance de son peuple, le duc veut en même temps donner une base solide au nouvel État. Il convoque tous les chefs à une assemblée qui se tient à Puszta Szer, près des rives de la Tisza. Cette assemblée est considérée comme la première Diète hongroise ; longtemps encore, les Magyars ne se réunirent qu'en plein air, et les plaines du Rákos, dont le nom évoque le souvenir de tant d'événements chers au cœur du patriote, virent souvent se dérouler le spectacle magnifique de tous les représentants du pays acclamant une noble idée, jurant de défendre la patrie envers et contre tous.
Puszta Szer, près des rives de la Tisza - une grande plaine ou les Magyars tenaient une assemblée politique pour le gouvernement du pays vers l`an 896 Ap J.C.
Pendant vingt jours, on délibéra et à l'Assemblée de Puszta-Szer furent élaborées les premières bases d'une organisation à laquelle le roi Étienne devait donner tout son développement; ce fut là que les Magyars commencèrent à s'assurer les privilèges politiques et les libertés dont ils jouissent encore : ils fondèrent une monarchie élective en même temps qu'héréditaire et, malgré les vicissitudes, les désastres, les luttes contre l'absolutisme qui mirent souvent la Hongrie au bord de l'abîme, ils ont pu pendant cette longue période de mille ans, dont ils célébraient la commémoration en 1896, maintenir plein air, et les plaines du Rákos, dont le nom évoque le souvenir de tant d'événements chers au coeur du patriote, virent souvent se dérouler le spectacle magnifique de tous les représentants du pays acclamant une noble idée, jurant de défendre la patrie envers et contre tous.
Pendant vingt jours, on délibéra et à l'Assemblée de Puszta-Szer furent élaborées les premières bases d'une organisation à laquelle le roi Étienne devait donner tout son développement; ce fut là que les Magyars commencèrent à s'assurer les privilèges politiques et les libertés dont ils jouissent encore ( la Hongrie a été contrôlée par les communistes de 1945 à 1990 – tombant sous la domination soviétique a la fin de la seconde guerre mondiale): ils fondèrent une monarchie élective en même temps qu'héréditaire et, malgré les vicissitudes, les désastres, les luttes contre l'absolutisme qui mirent souvent la Hongrie au bord de l'abîme, ils ont pu pendant cette longue période de mille ans, maintenir presque toujours ferme leur devise : Nihil de nobis sine nos.
Le territoire fut divisé en deux parts égales dont l`une fut attribuée au duc et a sa famille; l`autre fut partagée entre les chefs qui se chargèrent de pourvoir a l`établissement des guerriers qui avaient combattus sous leurs ordres. Ce fut le berceau de la noblesse hongroise. Lorsque Arpad mourut en l`an 907 Ap J.C après avoir gouverné pendant 20 ans les Magyars, la tristesse fut grande, et cent ans plus tard, lorsque ses descendants eurent introduit le christianisme en Hongrie, une église dédiée a la vierge Marie marqua la place ou reposait les cendres du fondateur de l`état Magyar.
La poésie populaire a été pour les Hongrois plus qu'un jeu d'esprit, plus qu'une distraction, elle a servi à la transmission des traditions nationales, et plus tard on consulta les poèmes, les épopées et les chansons pour y retrouver les origines des institutions politiques, de la loi civile, des coutumes, ect. Le peuple entier était poète, il chantait ses propres vers ou répétait ceux des troubadours, ou rapsodes, en s'accompagnant de la « koboz »; chaque grande famille avait ses annales poétiques où elle puisait l'héroïsme en s'enthousiasmant au récit des hauts faits de ses ancêtres, tandis que le peuple y suivait le développement de son esprit guerrier.
Mais ces premiers monuments de la poésie nationale ne sont pas parvenus jusqu'à nous; ils disparurent plus facilement et plus rapidement que les statues des idoles qui, au temps d'Arpád, servaient souvent de bornes-frontières. La conversion des Magyars au christianisme nécessita l'introduction de la langue latine dans les chants liturgiques; une lutte sourde s'engagea et, peu à peu, les hymnes religieuses prirent la place des chants patriotiques; cependant les Hongrois convertis ne renonçaient pas volontiers à leurs traditions nationales, le génie magyar cédait aux impressions sans y être asservi.
Obligés de chanter en latin, les nouveaux chrétiens surent introduire dans les chants pacifiques de l'Église leur esprit national, leurs idées belliqueuses. Elles y triomphaient même à tel point qu'à l'Assemblée de 1111 ou 1112, à Esztergom, le roi Kálmán se vit obligé de rappeler les poètes à une plus juste compréhension du chant liturgique et l'archevêque décida que désormais les hymnes seraient soumises à la censure. Ladislas IV dut prendre des mesures analogues. Les premiers chants religieux chrétiens furent traduits ou imités du latin, ils venaient en grande partie du Bréviaire romain ; quelques-uns ont été conservés dans le Batthyány Hymnarium, composé par un auteur protestant et retrouvé dans la bibliothèque de Gyula-Fehérvár.
Il ne faudrait pas croire pourtant que les chroniques sur l'époque de la conversion des Magyars font défaut. Un demi-siècle après la mort du premier roi chrétien, l'évêque Chartvicius écrivait pour le roi Kálmán les Gesta Hungarorum; c'est là que se trouve mentionné le lien mystérieux qui relie Attila à saint Etienne.
La Chronique du Notaire anonyme du roi Béla est également une source à laquelle les historiens ont largement puisé; elle fixe la tradition au moment de la transformation provoquée par l'introduction du christianisme. L'auteur de cette Chronique a su se servir des poésies nationales, mais il n'en a usé qu'avec circonspection, c'est un historiographe et en même temps un critique d'une certaine valeur. Étant déjà chanoine d'Esztergom, il avait quitté son pays pour se rendre à Paris et suivre les cours de l'Université. A son retour, il devint chancelier du roi Béla III et mourut évêque de Transylvanie.
La plus importante des « Chroniques » de cette époque est incontestablement celle de Simon Kézai ; elle a servi de modèle aux chroniqueurs hongrois jusqu'au milieu du quinzième siècle. Dans ses Gesta Hungarorum, l'auteur laisse à l'écart les vieilles chansons nationales toujours empreintes de paganisme ; il entreprend une lutte qui s'est du reste continuée à travers les siècles : il défend ses compatriotes des attaques que la mauvaise foi et la terreur inspiraient aux écrivains allemands. Son amour pour sa patrie ne l'entraîne pourtant à aucune exagération et ses œuvres sont empreintes d'un impartialité rare qui leur donne une grande valeur; les traditions se rapportant à Attila et aux Huns sont traitées avec assez d'ampleur pour permettre de se rendre compte de la période héroïque précédant l'époque historique. Ses Gesta Hungarorum sont divisés en deux livres. Les documents authentiques ne font donc pas défaut et c'est aux sources mêmes que l'on peut puiser pour parler du roi saint Étienne et de son peuple.
Les Magyars possédaient un développement intellectuel fort remarquable : on en a une preuve éclatante dans la Constitution dont ils posèrent les bases à Puszta-Szer. Dès le quatrième siècle, ils possédaient une écriture particulière, et lorsqu'après de longues pérégrinations, ils se fixèrent en Pannonie, leur langue était formée. Elle était riche en termes de guerre et d'agriculture ; la vie politique et la vie intellectuelle possédaient de nombreuses expressions ; la vie de famille connaissait des appellations qui font encore défaut aujourd'hui dans d'autres langues; les formes grammaticales ont peu varié depuis cette époque et le plus ancien monument de la langue magyare, un fragment d'oraison funèbre, est fort compréhensible aujourd'hui.
Les Magyars étaient guerriers comme tous les peuples du moyen âge; ils avaient une vaillance et une discipline que les écrivains impartiaux se sont plu à reconnaître; leur intrépidité causa quelquefois un effroi légitime, car ils pillaient et ils saccageaient les villes, mais jamais, même au milieu des plus grandes violences, un Magyar n'outrageait la pudeur d'une femme. Du reste la vie de famille était patriarcale et l'épouse « feleség », dont le nom n'a pas changé, était non l'esclave, mais la compagne, l'égale de l'homme. Le Magyar n'avait jamais qu'une femme et chez lui, dans sa demeure, ou à la guerre, sous la tente, il la respectait toujours. Devenue veuve, l'épouse entrait en possession de tous les droits de son mari.
A une âme chevaleresque, le Hongrois joint un sentiment inné de la justice et son immense amour de la liberté lui fit respecter celle des peuples qu'il eut à combattre. Loin d'agir en conquérant et de considérer les vaincus comme des esclaves, il les traitait en compagnons, et les autochtones qui ne résistèrent pas aux fils des Huns, revenant prendre possession des terres occupées autrefois par leurs ancêtres, ne furent pas opprimés; ils entrèrent de plein droit dans la société des conquérants; les nouveaux concitoyens combattaient-ils pour leur nouvelle patrie, immédiatement on leur accordait tous les privilèges et toutes les prérogatives des guerriers magyars. Cette générosité naturelle s'est du reste toujours conservée intacte chez les Hongrois. Observateurs stricts de la foi jurée et des traités conclus, ils ne se départaient pas de ce principe, même quand on les y provoquait. Et c'est bien au peuple magyar que peut s'appliquer la définition de Léon le Philosophe : un peuple noble et fier.
Doué d'une vive intelligence, d'une compréhension rapide, d'une énergie indomptable, le robuste guerrier du temps de l'invasion devait, dans le cours des siècles, devenir le féal chevalier de la chrétienté. Son ardent amour de la patrie qui lui faisait dire, non sans orgueil : « Extra Hungariam non est vita et si est vita non est ita », devait lui inspirer des prodiges de valeur; confondant en un même amour Dieu, la patrie et la liberté, il s'attribua la mission de sauver la chrétienté et n'y faillit jamais ; faisant de son corps un rempart infranchissable, il sut empêcher le Croissant (l`islam) de pénétrer en Occident.
Encore païen dix siècles après la venue du Messie, le peuple hongrois avait pourtant un sentiment religieux très profond. Il était monothéiste, il croyait à un Dieu unique, créateur de l'univers et père de l'humanité. Au chef Arpád avait succédé son fils Zsolt. Les Hongrois, accoutumés à la vie agitée du guerrier, ne renonçaient pas facilement à leurs habitudes séculaires; ils partaient volontiers en guerre et les pays voisins eurent plus d'une fois à supporter les conséquences de leurs expéditions au-delà des frontières. Cependant les souverains des pays qui touchaient la Pannonie faisaient souvent appel a leur bravoure et ce fut ainsi que, cédant aux instances du duc Conrad, ils prirent part a la bataille d`Augsbourg; trahis par leur perfide allié, ils furent vaincus et cette défaite leur fit une profonde impression.
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Dernière édition par MichelT le Ven 31 Juil 2020 - 11:36, édité 6 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Saint Étienne roi apostolique de Hongrie - comment la Hongrie est devenue un pays chrétien
Se croyant invincibles, l`humiliation infligée à leur orgueil leur fut d`autant plus sensible et leur suggéra de salutaires réflexion pourtant, en 968, ils furent obligés de suivre Szvatoszlav, prince russe, avec qui ils avaient conclu une alliance défensive ; ils allèrent jusqu'à Drinapoly où une bataille fut livrée ; le sort des armes leur fut contraire et dès lors ils renoncèrent pour toujours aux incursions. Le duc Taksony, successeur de Zsolt, son père, comprenait que les peuples qui avaient souffert des incursions des Magyars pourraient un jour s'unir et menacer l'existence de son peuple ; il interdit donc sévèrement toute tentative d'incursion et dirigea ses efforts vers un seul but : la défense des frontières. De toutes leurs expéditions à l'étranger, les Magyars avaient rapporté des notions variées que leur désir de s'instruire leur avait fait s'assimiler. Les nombreux prisonniers qu'ils avaient ramenés en Hongrie les avaient initiés aux usages de leurs pays, et, lentement, ils se laissaient pénétrer par la civilisation occidentale.
Geiza, qui succéda, en 972, à Taksony, continua son œuvre. D'un esprit subtil, il avait une grande expérience des hommes et des choses. Il saisit le danger que courrait la Hongrie si elle entrait en lutte avec les pays voisins qui s'étaient alliés à l'Allemagne devenue ainsi toute-puissante ; il convoqua donc les grands du royaume et les guerriers, et leur démontra la nécessité de vivre en paix avec l'Allemagne. Tandis que son père gouvernait, Geiza avait par couru le pays et s'était arrêté quelque temps à la cour de Gyula, duc de Transylvanie. Pendant le séjour qu'il y fit, il vit de près ce qu'était le christianisme, car le catholicisme grec avait pénétré en Transylvanie et s'y était même lentement propagé; le jeune duc comprit que l'Europe civilisée et chrétienne ne tolérerait pas toujours au milieu d'elle un peuple qui ne renonçait ni à ses habitudes asiatiques ni à son paganisme.
Les germes déposés dans son esprit par le prince transylvain ne devaient pas être perdus, ils se développèrent, grâce surtout à la bienfaisante influence qu'exerça sur lui plus tard la fille de Gyula, car le prince éprouvant une vive sympathie pour le jeune duc n'avait pas hésité à lui confier le bonheur de sa fille Sarolta. La nouvelle souveraine des Magyars n'était pas une frêle et timide jeune fille. Sa beauté vraiment remarquable lui avait fait donner le surnom de Beleknegini qui signifiait en slavon : belle princesse. Amazone énergique, elle domptait sans frein et sans selle les chevaux les plus rétifs; elle vidait les coupes écumantes et se jetait dans la bataille où sa vaillance égalait celle du plus brave des guerriers. Cette virilité ne déplaisait pas aux Magyars qui, après avoir admiré son courage, rendirent hommage à son intelligence.
Car en Hongrie, comme en Gaule quelques siècles auparavant, ce fut l'épouse chrétienne qui amena l'époux païen à la vraie foi, et Sarolta fut pour Geiza ce que Clotilde avait été pour Clovis. Sa beauté, et aussi son énergie, qui savait à l'occasion se transformer en intelligente fermeté, lui donnèrent une grande puissance sur son époux. Elle usa de cette influence pour l'amener à la religion chrétienne qu'elle pratiquait. Sa tâche fut facilitée par les heureuses dispositions du duc; pendant le temps de ses fiançailles, il avait eu plus d'un entretien avec son futur beau-père et sa perspicacité lui avait permis de comprendre la justesse et la sagacité des conseils donnés par le prince Gyula au sujet de la conversion du peuple dont il allait devenir le chef; du reste ses sentiments l'inclinaient vers le christianisme dont la beauté et la grandeur avaient frappé son esprit.
Aussi laissait-il une grande liberté à Sarolta qui fit élever des églises et attira des ecclésiastiques en Hongrie. Cette initiative accordée à la vaillante amazone n'était pas chose rare à cette époque ; pendant que les princes et les chevaliers guerroyaient, les femmes, restées dans les châteaux, gouvernaient, tempérant par leur bienveillante intervention ce que les décisions des seigneurs avaient souvent de trop rude. On disait de Sarolta qu'elle tenait en sa main et le duc et le pays — BRUNo, Vita S. Adalberti - s'il en fut vraiment ainsi, tous deux n'eurent qu'à se louer de la pression que sa main exerça, ils lui durent de connaître les bienfaits de la vraie religion.
Tout du reste semblait concourir à conduire le duc vers le christianisme : la Bohême connaissait l'Évangile depuis quelques dizaines d'années et était chrétienne ; Miczisláv, prince de Pologne, s'était également converti au christianisme. Depuis leur accession à la religion du Christ, ces pays n'avaient plus eu à subir d'invasions allemandes. Geiza sentait toute l'importance de cette sécurité, mais il lui sembla que pour l'obtenir les princes avaient quelque peu abdiqué leur liberté. Sans en avoir fait ses vassaux, l'empereur d'Allemagne avait su, à l'occasion, leur imposer son arbitrage et augmenter ainsi son prestige. Il est fort probable qu'il nourrissait des projets analogues à l'égard de la Hongrie ; il fonda de nouveaux duchés sur la frontière de l'Ostmark et de la Carinthie pour avoir un point d'appui et faciliter la pénétration d'ecclésiastiques allemands et, au besoin, de soldats, en Hongrie.
Du reste, dès qu'il avait appris la mort du duc Taksony, Othon le Grand avait envoyé un mandataire vers Geiza dont il connaissait les sentiments pacifiques. Il lui avait délégué Bruno, évêque de Verdun; une lettre de l'évêque de Salzbourg, Piligrim, à Bruno nous apprend que des hommes, des chevaux et tout l'argent nécessaire étaient tenus à la disposition de l'évêque de Verdun, à la frontière de Hongrie pour lui permettre d'accomplir avec autant de rapidité que possible la conversion du duc et de son peuple.
L'évêque de Verdun ne rencontra pas d'obstacles sur sa route et pénétra en Hongrie ; il fut en cela plus heureux qu'Emerammus, prêtre de Poitiers qui, vers l'an 650, voulut aller évangéliser les peuples habitant la Pannonie. Arrivé à Ratisbonne, il y fut retenu par le duc Théodore, qui lui démontra, sous de fallacieux prétextes, l'inutilité de sa mission dans ce lointain pays. Le duc allemand tenait à conserver comme alliés éventuels les Huns, encore païens, tandis qu'il redoutait les Huns convertis, qui se fussent peut-être unis contre lui aux Francs déjà chrétiens.
On manque de renseignements précis sur le séjour de l'évêque de Verdun en Hongrie, mais il est probable que ses efforts furent couronnés d'un certain succès, car l'année suivante, le duc Geiza envoyait un représentant à l'empereur Othon qui assistait solennellement aux fêtes de Pâques à Quedlinbourg, au milieu d'un grand concours de seigneurs étrangers, grecs, romains, danois, bulgares, russes, etc., etc.
Quedlinbourg ou Quedlinburg en Saxe Allemande – un accord sur l`évangélisation de la Hongrie est signé vers l`an 973.
L'envoyé hongrois n'avait pas eu pour seule mission de rehausser l'éclat des fêtes par sa présence, puisque ce fut pendant son séjour à Quedlinbourg qu'il conclut un traité avec l'empereur; par ce traité, le duc des Magyars s'engageait à laisser entrer en Hongrie des prêtres et des moines, de plus il leur assurait aide et protection. Quelques semaines plus tard, Othon le Grand mourait à Magdebourg; le pacte subsistait, mais ses conséquences se trouvèrent modifiées par les événements : l'empereur eût certainement voulu exécuter à la lettre les clauses du traité et mener rapidement l'œuvre de la conversion, sans tenir compte que la tolérance des Hongrois, si grande fût-elle, ne se laisserait pas imposer, manu militari, une nouvelle croyance. L'Allemagne n'intervint donc pas directement, mais l'évêque Piligrim n'en déploya que plus de zèle, il attachait une grande importance à opérer lui-même la conversion des Magyars; il espérait que son évêché de Salzbourg serait alors transformé en archevêché ayant la Hongrie sous sa dépendance; aussi s'efforça-t-il d'éloigner le moine Wolfgang, le premier missionnaire qui eût pénétré en Hongrie, où il avait opéré de nombreuses conversions et frayé les voies à ceux qui le suivirent .
Néanmoins l'œuvre de l'évangélisation faisait de rapides progrès, car au jour de Noël de l'an 973 Ap J.C. le duc Geiza s'agenouilla et l'eau régénératrice coula sur son front. Son exemple entraîna un grand nombre de seigneurs et ce fut avec un sentiment de fierté bien légitime que l'évêque Piligrim écrivit au pape, Benoît VII, qu'il venait de rendre à Jésus-Christ, par la purification du baptême, 5.000 nobles hongrois des deux sexes. Saint Remi, après la bataille de Tolbiac, n'avait baptisé que 3.000 païens,(francs) l'exemple du duc Geiza produisit donc une impression plus profonde que celle causée par le baptême de Clovis, à Reims. Piligrim ajoutait encore : « Païens et chrétiens vivent aujourd'hui en si grande concorde et familiarité que ces paroles du prophète Isaïe semblent s'accomplir sous mes yeux : le loup et l'agneau brouteront ensemble au pâturage; le lion et le bœuf mangeront à la même paille ».
Peut-être ne faut-il pas prendre à la lettre les récits de l'évêque Piligrim ; l'exemple du chef avait pu entraîner un grand nombre de guerriers, qui, peu versés dans les questions religieuses, se rendaient tout au plus compte que la nouvelle religion n'était pas en contradiction trop vive avec leurs croyances primitives. Des troubles éclatant en Allemagne firent subir un léger temps d'arrêt aux progrès que faisait la propagation du christianisme en Hongrie. A la mort d'Othon I, Henri de Bavière se révolta contre le nouvel empereur, Othon II. Le duc Geiza prit parti pour Henri de Bavière, tandis que Piligrim restait du côté du plus fort. Il conclut même une alliance avec Léopold de Babenberg et prit part à ses luttes contre la Hongrie pour favoriser l'agrandissement du duché d'Autriche.
Ces agissements déplurent aux Magyars, qui, confondant tous les Allemands dans une même antipathie, ne voulurent plus tolérer la présence des missionnaires germaniques dans leur pays. D'autre part, Piligrim, qui avait acquis la conviction que l'évêché de Salzbourg ne serait pas érigé en archevêché se retira, son zèle pour la conversion des Magyars avait disparu. Pourtant d'autres prêtres, venus de l'Italie et qu'aucun intérêt terrestre ne préoccupait, que de mesquines discussions ne pouvaient détourner de leur but, continuèrent la conquête des âmes et poursuivirent l'œuvre commencée; leur persévérance fut récompensée par de nombreuses conversions. Ce fut vers cette époque que les regards d'Adalbert, évêque de Prague, se tournèrent vers la Hongrie et que le prélat se rendit auprès du duc Geiza.
Issu d'une famille noble, Adalbert avait été voué dès son enfance à la Vierge Marie ; ardent et enthousiaste, il était à peine âgé de vingt-sept ans lorsqu'il fut appelé à l'épiscopat et placé à la tête de l'Église de Bohême; son zèle d'apôtre lui faisait désirer de voir partout s'établir le royaume de Dieu, ses pensées, toujours dirigées vers ce but, l'empêchaient parfois de voir ce qui se passait autour de lui et, au lieu de chercher à connaître les âmes simples et naïves qu'il lui eût été si facile d'amener à Dieu, il ne vit dans les rudes guerriers tchèques que la férocité des mœurs barbares. Il quitta son évêché et se rendit à Rome où il obtint du pape la permission de se retirer dans un cloître ; il espérait y trouver des êtres pénétrés comme lui de l'esprit du Christ et qu'il se plaignait de n'avoir pas rencontrés dans un pays à peine évangélisé. Pendant cinq années, il soumit son esprit à la méditation et son corps à la mortification. Après cette retraite, il comprit enfin que son devoir l'appelait ailleurs et il alla reprendre possession de son siège épiscopal.
Mais le séjour qu'il fit à Prague fut de courte durée; bientôt son attention fut attirée par les premières lueurs que le christianisme jetait en Hongrie; il vit sans doute dans le peuple magyar des hommes répondant mieux à son idéal, car il décida de leur consacrer ses forces. Il fut reçu avec empressement et reconnaissance à la cour du duc Geiza et les religieux qu'il amenait avec lui y furent bientôt appréciés. Ce cordial accueil empêcha de s'aggraver le malentendu que les dissentiments de Geiza avec l'empereur d'Allemagne avaient fait surgir; les Allemands, mal intentionnés, voulaient faire croire que la Hongrie repoussait le christianisme, tandis qu'au contraire Geiza ne mettait aucun obstacle à son développement; il voulait bien la Hongrie chrétienne, mais avant tout, il la voulait libre du joug allemand.
« Le temps marqué par les décrets de Dieu est arrivé » dit l'évêque Chartvicius. La vaillante Sarolta est en proie au chagrin, elle n'a pas encore de fils. Il fait nuit et ses regrets troublent son repos. A peine est-elle endormie qu'un jeune homme lui apparaît en rêve, il est d'une beauté resplendissante et porte le surplis du diacre. Il s'approche doucement de Sarolta et lui dit : « Femme, aie confiance en Dieu. Tu mettras au monde un fils qui le premier, en Hongrie, portera la couronne royale, couronne qui sera d'une durée infinie. Tu lui donneras mon nom . - Qui donc êtes-vous ? demande Sarolta. — «Je suis, réponds l'apparition, le proto-martyr Stephanus, ( le diacre et martyr Saint-Étienne) le premier qui versa son sang en témoignage pour le Christ».
Quelques mois plus tard Sarolta donnait le jour à un fils qui reçut au baptême le nom de Stephanus, Étienne - Istvan en hongrois. L'évêque de Prague l'instruisit « en le considérant comme un enfant envoyé du ciel, un présent sacré, et il grandit dans la piété, la charité, la crainte du Seigneur, et l'amour de Dieu». Étienne est l'enfant de la femme forte et l'enfant du rêve comme Almos. Nous retrouvons ici une contrepartie de l'histoire d'Emés, avec une différence de formes en rapport avec la différence des religions : Almos est une incarnation païenne d'Attila ; Étienne est l'enfant de la promesse de Dieu, le petit fils couronné que l'ange montrait dans le lointain au roi des Huns comme le prix de son obéissance.
Peu d'années après la naissance d'Étienne, Sarolta mourut laissant à son époux le soin de continuer l'œuvre qu'elle avait commencée et à son fils, la gloire de la terminer. Elle aussi avait considéré son fils comme « un envoyé du ciel » et la vaillante amazone s'était faite tendre mère pour veiller sur la frêle créature. De bonne heure, elle inculqua des sentiments religieux à son fils et elle eut la satisfaction de le voir, tout jeune encore, se distinguer de ses compagnons d'âge par une tendre piété qui bientôt se transforma en une foi robuste que rien ne devait jamais ébranler. Geiza regretta la vaillante compagne qui avait exercé sur lui une si salutaire influence; cependant son veuvage ne fut pas de longue durée, car bientôt il épousait Adelhaïde, la jeune sœur de Miciszláv, roi de Pologne.
Continuant à obéir à l'impulsion que lui avait donnée Sarolta, Geiza travailla au développement du christianisme; il comprit que son peuple avait besoin d'employer les loisirs que la paix lui donnait, il appela des moines qui défrichèrent la terre et enseignèrent l'agriculture à ce peuple nomade; sur les terres que le duc leur avait attribuées, ils plantèrent de la vigne; ils introduisirent l'élevage des abeilles et surent mettre en valeur les terres fertiles de la Hongrie.
Az erdélyi udvar zenéje - Ars Musica - Képek a magyar zene történetéből - La musique de la cour de Transylvanie - Ars Musica - Images de l'histoire de la musique hongroise
Plus tard, saint Étienne, pour reconnaître les services que le clergé avait rendus au pays, lui attribua un dixième sur toutes les récoltes. Malgré son caractère conciliant, Geiza dut parfois sévir contre son peuple, mais il le fit sans grande fermeté; vers la fin de son règne, quelques seigneurs, à qui l'introduction de la nouvelle religion avait déplu, se soulevèrent; le duc ne se sentit-il pas assez puissant pour réprimer cette tentative de révolte par la force, ou bien ne voulut-il pas user de rigueur contre les seigneurs de crainte qu'ils ne fissent re tomber leur colère sur son fils ? toujours est-il que non seulement il ne sévit pas, mais encore il les laissa offrir des sacrifices à leur ancien dieu, et prit part lui même à ces cérémonies. Cette attitude lui attira des reproches de l'évêque de Prague, Adalbert. Il manquait d'énergie, mais il était néanmoins fort bien disposé à l'égard de l'Évangile, il avait décidé son frère Michel et son fils Vazul à recevoir le baptême de la main d'Adalbert; et plus tard, sur le conseil de l'évêque, il fonda le monastère de Saint-Martin, sur le mont Pannonien, pour y établir les fils de Saint-Benoît, venus du Mont-Cassin.
L'abbaye bénédictine de Pannonhalma (hongrois : Pannonhalmi Bencés Főapátság) est située dans le comitat de Győr-Moson-Sopron en Hongrie. En 996, le Prince Géza demande à des bénédictins de fonder un monastère sur la colline de Pannonhalma, lieu de naissance de Saint Martin, évêque de Tours. Ils procèdent alors à l’évangélisation des Magyars.
Quand Adalbert quitta la Hongrie, il confia la direction du nouveau couvent à son ancien maître et ami, Astrik, qui en fut le premier Supérieur. L'évêque de Prague, qui avait été l'un des premiers propagateurs du christianisme en Hongrie, ne devait plus revoir le pays où il avait trouvé l'idéal tant cherché. Il se rendit en Bohême, et de là chez les Borussiens (Prusse païenne a l`époque) où bientôt il cueillit les palmes du martyre.
Le duc Geiza pensa qu'il n'aurait pas la force nécessaire pour amener son peuple à la connaissance du vrai Dieu. Cependant loin de se laisser décourager, il fit tous ses efforts pour faciliter à son fils et successeur l'achèvement de l'oeuvre commencée. Dès ses premières années, Étienne avait été confié à Adalbert; en peu de temps, l'enfant s'était approprié toutes les connaissances enseignées à cette époque; la lecture, l'écriture, la grammaire furent un jeu pour lui; les auteurs latins, profanes et religieux, lui furent de bonne heure familiers; il s'enthousiasma aux récits des hauts faits des guerriers, il connut les actions glorieuses de ses ancêtres et se promit d'être digne d'eux. Mais en même temps que l'histoire des grands conquérants impressionnait son esprit, il fut initié à l'histoire des grands pacificateurs, et son âme s'enflamma en apprenant à connaître ces missionnaires et ces prédicateurs qui, par leur foi, gagnaient des couronnes plus éclatantes que celles des rois.
Sérieux et grave, on dit qu'on ne le vit jamais sourire, Étienne comprit de bonne heure quel rôle la Providence lui réservait; les Magyars ayant reconquis définitivement la patrie de leurs ancêtres, il ne pouvait être un nouvel Arpád, mais il se promit de ressembler à ces grands monarques qui avaient donné à leurs peuples les bienfaits d'une religion civilisatrice. Il joignait à un esprit ouvert à toutes les grandes choses, un coeur tendre, mais sa bonté n'excluait pas la fermeté et il donna maintes preuves d'une inébranlable énergie. A son amour pour sa patrie s'allia, dès son adolescence, une tendance vers un idéal s'élevant fort au-dessus des conceptions de cette époque. L'évêque Adalbert, qui avait enfin rencontré dans le fils de la pieuse amazone le terrain qu'il cherchait, développa les sentiments chrétiens du futur roi, et ses enseignements, joints aux dons naturels d'Étienne, en firent un grand homme, en même temps qu'un grand saint.
Aussi, lorsqu'obéissant aux lois de la Constitution établie à Puszta-Szer, le duc Geiza assembla les seigneurs pour leur soumettre le choix qu'il avait fait de son fils pour successeur, ne rencontra-t-il pas d'opposition. La dignité de duc et de chef revenait au plus méritant à choisir dans la famille d'Arpád; Étienne fut jugé digne de succéder à son père; il fut acclamé par les chefs et par les grands assemblés; il fut élevé sur le pavois et jura, comme l'avait fait Arpád, en brandissant son sabre vers les quatre points cardinaux, de défendre le pays de quelque côté qu'on l'attaquât. Geiza n'était pas fort âgé, mais brisé et usé par les luttes; pourtant avant de quitter le pouvoir, il avait préparé le mariage de son successeur. Donner à son fils une épouse comme l'avait été pour lui Sarolta, était un de ses plus chers projets; il songea à la soeur du duc Henri, le descendant de ces princes allemands contre qui les Hongrois s'étaient si souvent battus; Geiza lui-même avait pris part à ces luttes, mais la paix régnait et les ennemis d'autrefois s'étaient sincèrement réconciliés. Dans la pensée du duc magyar, cette union devait non seulement cimenter la paix, mais encore contribuer au développement du christianisme en Hongrie.
Le duc Henri fit bon accueil à la demande du duc Geiza, il y entrevoyait un gage de paix avec ce peuple toujours indompté, dont l'amour pour la guerre et aussi la vaillance faisaient un voisin redoutable ; il ne lui déplaisait pas non plus de voir sa soeur épouser ce jeune homme, dont les qualités lui étaient déjà connues. Fervent chrétien, Henri pensa que sa soeur Gizela pourrait contribuer pour sa part au développement de la religion dans son pays d'adoption. Et quoique Wolfgang, évêque de Ratisbonne (Regensburg en Allemagne), eût prédit à la jeune duchesse qu'elle porterait un jour la couronne royale, son frère se contenta pour elle d'une couronne ducale; il ne savait pas qu'elle ne devait être que transitoire.
Mais avant de pouvoir rendre une réponse définitive au duc Geiza, la cour allemande eut à vaincre la résistance de la pieuse Gerberga, soeur aînée de Gizela et Supérieure du couvent de Gandersheim. Quand on lui fit part de la décision qui venait d'être prise au sujet du mariage de sa jeune soeur, elle leva les bras au ciel et protesta avec énergie contre ce projet. « Est-il possible, s'écria-t-elle, de donner, comme épouse, la petite-fille de l'empereur Henri au chef d'un peuple barbare, d'une horde de guerriers , et peut-on exposer la vie, l'âme, le bonheur éternel de la jeune princesse pour satisfaire de mesquines raisons politiques ? »
A la cour allemande régnait un esprit chrétien, l'empereur Othon avait été instruit par Gerbert, tandis que sa mère, Théophanie, lui inspirait le goût des lettres grecques. Le duc Henri et sa soeur Gizela étaient animés des mêmes sentiments et ils ne pouvaient prendre une décision contraire à leurs principes religieux : cela eût dû suffire pour inspirer confiance à Gerberga, mais elle ne voulait rien entendre ; on eut beau lui expliquer que le duc Étienne était bon chrétien, qu'il avait promis de convertir son peuple à la foi du Christ, qu'il emploierait même la force pour bannir de son pays le paganisme, aucun argument ne parvenait à vaincre son obstination. On lui proposa enfin de faire venir le duc magyar pour qu'elle se rendît compte elle-même du caractère du fiancé de sa soeur. Elle consentit à cette entrevue, espérant bien qu'elle tournerait à la confusion d'Étienne. Entouré de magnats et de nombreux chevaliers allemands, le duc se présenta devant la redoutable Supérieure. Sa prestance militaire, son attitude fière, mais exempte de tout dédain, son maintien grave, plurent à la religieuse ; il s'inclina respectueusement et sut si bien lui présenter sa requête, qu'il gagna immédiatement sa sympathie. Pourtant cela ne suffisait pas, et avant de donner son consentement, Gerberga tenta encore une épreuve. Le duc Étienne était impatient de voir sa fiancée, la religieuse retarda l'entrevue, puis au cours d'une promenade dans le parc, au moment où le jeune homme ne s'y attendait pas, elle lui montra la duchesse Gizela agenouillée devant une image du Sauveur. La Supérieure pensait qu'Étienne était trop peu chrétien pour se laisser arrêter par ce spectacle et que la fougue de la jeunesse l'emportant, il commettrait quelque maladresse, aussi quel ne fut pas son étonnement quand elle vit le jeune Magyar s'avancer lentement vers sa fiancée, se désarmer, s'incliner devant l'image du Sauveur et rester en prière tant que dura la méditation de Gizela dont il ne voulait pas troubler le recueillement, peut-être prolongé à dessein.
Gisèle de Bavière (985-1060) - Gizela est la femme de Saint-Étienne
L'opposition de Gerberga était vaincue ; le mariage eut lieu, en l'an 995, au milieu de grandes fêtes et en présence de l'empereur. Le duc Étienne, emmenant sa jeune femme, reprit la route de ses États ; de nombreux seigneurs allemands l'accompagnèrent, quittant leur pays pour se fixer en Hongrie. Élevée au milieu d'une famille profondément chrétienne, la jeune Gizela envisageait avec bonheur la mission que le Ciel semblait lui réserver. Elle n'eût pas à jouer le même rôle que Sarolta, mais son influence pour être moins décisive n'en fut pas moins bienfaisante, et nous aurons à revenir sur la part qu'elle prit aux travaux apostoliques de son époux. Dans l'union du duc hongrois avec la descendante des empereurs romains, on vit une preuve que la Hongrie se rapprochait des nations occidentales et qu'elle voulait entrer dans le concert des puissances chrétiennes de l'Europe. Avec la mort du duc Geiza , survenue deux ans plus tard, après un règne de vingt-cinq années, se termine l'épopée magyare; la période de la tradition proprement dite est close, nous quittons les temps héroïques pour pénétrer dans la période historique.
CHAPITRE DEUXIÈME
LA SAINTE COURONNE
« Si Dieu est avec moi, qui peut être contre moi ? » Telles étaient les paroles que le roi Étienne le Saint devait prononcer dans une circonstance dramatique de son existence. Cette confiance en Dieu, il l'avait eue dès son adolescence, et elle n'avait été qu'en augmentant, ferme et inébranlable, elle lui donna la force d'accomplir la mission que la Providence lui avait assignée; il se mit à l'oeuvre sans la moindre hésitation et animé de vues sages et réfléchies, il sut amener tous les Magyars à professer le christianisme et à pratiquer le culte chrétien. Et cependant connaissant les résistances que son père avait rencontrées, il prévoyait que d`innombrables obstacles surgiraient devant lui quand il voudrait bannir le paganisme de son duché; il savait que ses guerriers, fiers de leurs aïeux, fiers aussi de leur propre passé, ne laisseraient pas volontiers toucher a leur œuvre, car pour eux, bannir le culte professé par leurs pères, renoncer a leur passé c'était renier le patrimoine familial, c'était attenter à la gloire des ancêtres.
Le jeune duc connaissait les sentiments qui animaient son peuple; il avait pénétré l'âme du Magyar et il savait que les hommes de sa race possédaient cette sorte de fierté, fréquente chez les peuples anciens, qui consiste à obéir non à l'homme, mais à la loi, et encore à la loi qu'on a faite soi-même et dont on a librement accepté le joug; ils n'obéiraient donc pas à des lois qu'on leur imposerait par la force. La persuasion pouvait donner d'autres résultats et comme le duc Étienne voulait être le pasteur, en même temps que le chef de son peuple, il usa de ce moyen pacifique. Les Hongrois avaient renoncé aux guerres offensives, leur dernier duc, Geiza, avait compris la nécessité de la paix avec les pays voisins pour assurer le libre développement de la religion chrétienne; son fils était également convaincu de l'utilité de la paix pour la réalisation de ses projets et il fit quelques concessions pour vivre en bons termes avec les puissances voisines; cependant il prit plusieurs fois les armes, mais ce fut surtout pour réprimer les révoltes du paganisme. Son père avait commencé la transformation d'un peuple presque encore nomade en une nation; Étienne avait à coeur de faire cette nation grande et puis sante; il créa la nationalité hongroise, il fut le fondateur du royaume catholique, apostolique de Hongrie.
Saint-Étienne - roi de Hongrie - (975-1038 Ap J.C.) - En anglais - Saint-Stephen - en Hongrois - Saint-Istvan
La fondation de ce royaume, qui devait résister aux plus rudes épreuves et toujours renaître plus brillant, est intimement liée au développement du christianisme en Pannonie. Malgré la piété et le zèle de Sarolta, malgré la bonne volonté et les efforts de Geiza, malgré la prédication et le dévouement des missionnaires, la religion du vrai Dieu n'avait encore fait, à la mort du dernier duc, que relativement peu de prosélytes. Quelques seigneurs l'avaient acceptée, mais sans être pénétrés de son esprit. S'ils admettaient volontiers l'existence de ce Dieu que les missionnaires leur disaient tout-puissant, c'est que cette toute-puissance pouvait être plus grande que celle de leur ancien dieu et favoriser davantage leurs entreprises.
Pour le peuple, au contraire, pour la foule des malheureux et des opprimés, la toute-puissance de Dieu avait moins d'attrait, ce qui leur plut dans les enseignements de l'Évangile, ce fut le principe d'égalité. Entendre affirmer que devant Dieu, le seigneur ne comptait pas plus que le paysan et que le Sauveur était venu pour tous les hommes, qu'il était mort aussi bien pour racheter les petits et les humbles que pour sauver les grands et les puissants, étaient des pensées consolantes qui ne pouvaient manquer de faire adopter la religion enseignant ces réconfortantes vérités. Mais ce qui devait faciliter l'accession des Magyars au catholicisme, ce fut la pureté absolue de leur vie de famille. Pour obéir à la nouvelle loi, il ne leur fallait pas renoncer à des moeurs qui, chez d'autres peuples, formaient la base même de l'existence. Généreux de nature, ils comprirent et admirent le pardon; la charité leur fut facile, elle était dans leur coeur, tandis que leur tolérance innée leur permit de supporter ceux qui pratiquaient une autre religion qu'eux, puis de l'adopter lorsqu'ils se furent convaincus que pour embrasser la foi du Christ, ils n'aliéneraient pas leur liberté, cette liberté si chère aux Magyars qu'un auteur français a pu écrire : « J'ai fouillé jusqu'au fond l'âme hongroise et j'y ai trouvé ce grand mot : liberté ».
Au début, les nouveaux convertis répétaient Je crois en Dieu, Notre Père, comme une formule enchanteresse, semblable aux paroles magiques que proféraient leurs anciens sacrificateurs. Les missionnaires et les prédicateurs leur paraissaient être une espèce supérieure de tâltos qui, comme eux, servaient d'intermédiaires entre la divinité et les
hommes. La dévotion envers les saints ne leur semblait pas fort différente du culte qu'ils rendaient à leurs idoles. Aux cérémonies chrétiennes se mêlèrent des réminiscences du paganisme. Mais n'en fut-il pas ainsi un peu partout et l'Église ne dut-elle pas lutter longtemps avant de triompher complètement de la persistance de certaines traditions païennes dans ses cérémonies? Un des obstacles les plus importants à l'adoption rapide de la vraie foi par les Magyars, c'est qu'elle leur fut apportée par des étrangers.
Les missionnaires étaient pour la plupart d'origine allemande ou italienne, ils parlaient d'une religion nouvelle dans une langue étrangère et ils célébraient leurs offices dans une langue inconnue : le peuple ne les comprenait pas. Mais quelques années s'étaient à peine écoulées que les apôtres les plus zélés s'étaient approprié la langue du peuple
qu'ils voulaient convertir; ils eurent bientôt des disciples qui, pénétrés de leur doctrine et enflammés d'une ardeur de néophyte, prêchèrent, en hongrois, l'Évangile à leurs compatriotes. Nombreuses furent les conversions qu'ils suscitèrent et la propagation de la religion fit des progrès constants. Le duc Etienne était opposé à toute mesure de violence; il apaisa par sa douceur les velléités de résistance des grands; ses décisions, qu'il ne prenait qu'après de longues réflexions et non sans avoir consulté ceux qui avaient sa confiance, étaient toujours empreintes d'une si grande équité que les plus mal intentionnés finissaient par être obligés de reconnaître l'esprit de justice qui les avait inspirées.
Nombreuses furent les conversions qu'ils suscitèrent et la propagation de la religion fit des progrès constants. Le duc Etienne était opposé à toute mesure de violence; il apaisa par sa douceur les velléités de résistance des grands; ses décisions, qu'il ne prenait qu'après de longues réflexions et non sans avoir consulté ceux qui avaient sa confiance, étaient toujours empreintes d'une si grande équité que les plus mal intentionnés finissaient par être obligés de reconnaître l'esprit de justice qui les avait inspirées. Quand le duc pensa que le terrain était suffisamment préparé, il rendit une Ordonnance prescrivant aux chefs, aux guerriers et à tout le peuple de recevoir le baptême et d'abandonner à jamais les pratiques de l'ancien culte. De grandes faveurs étaient accordées aux prisonniers de guerre et aux serfs qui se faisaient baptiser; le duc Étienne libéra une partie des serfs de ses domaines; ceux des seigneurs furent pour la plupart rachetés et tous trouvèrent à s'occuper aux travaux des champs. Ces mesures, tempérées cependant par bien des ménagements, ne pouvaient manquer de provoquer l'irritation des grands qui voyaient leurs intérêts menacés par ces innovations.
Le roi Saint-Étienne et sa femme la duchesse Gisèle de Bavière (985-1060)
Parmi les mécontents se trouvait l'un des plus puissants seigneurs du pays, Koppány, comte de Sumegh, descendant de la famille d'Arpád. Il attira autour de lui tous ceux à qui les projets du duc Étienne déplaisaient, surtout parce qu'ils croyaient y voir une menace pour leur nationalité en même temps qu'un péril pour leur indépendance. Après quelques délibérations, il fut décidé qu'on attaquerait Étienne et qu'on essaierait de le renverser; car le doute n'était plus possible, sous la suprématie du chef Étienne, la nouvelle religion grandirait, les droits du duc se développeraient, empiétant sur ceux des autres chefs et la religion des ancêtres serait à tout jamais bannie du pays.
Cependant, avant de commencer la guerre, Koppány fit une tentative de rapprochement dictée, non par l'esprit de conciliation ou par son attachement au culte des ancêtres,
mais par les sentiments que lui inspirait la veuve du duc Geiza dont il demanda la main. La duchesse Adelhaïde était encore jeune et d'une beauté remarquable; peut-être se fût-elle laissé tenter par le séduisant mirage du pouvoir, mais avant tout, elle était chrétienne, et sa foi lui était chère; elle y puisa la force de résister à toutes les brillantes séductions, repoussa l'offre de Koppány, préférant aux jouissances douteuses du pouvoir, les joies plus sûres et plus douces de la fidélité à la mémoire de son époux et à la continuation de son oeuvre.
Ce refus irrite Koppány, il lance un dernier appel à ses partisans et soulève la Hongrie transdanubienne ; les mécontents se réunissent dans les environs de Somogy, brandissant l'étendard de la révolte. Les troupes fort nombreuses — le paganisme comptait encore bien des adhérents — se mettent en route, brûlant, pillant sans pitié tout ce qu'elles rencontrent sur leur passage. Le duc comprend que c'en est fait de son autorité et de l'établissement de la religion, s'il laisse la révolte faire le moindre progrès. Il faut une répression sévère qui décourage à tout jamais les partisans du paganisme. Les seigneurs sont convoqués, ils amènent leurs guerriers et les serfs libérés sont appelés à faire partie de l'armée. Étienne, avant de se mettre en route, fait voeu, s'il remporte la victoire, d'offrir au couvent de Pannonhalma une large part des biens de Koppány et de ses partisans. L'armée chrétienne s'avance à travers la forêt de Bakony et le duc Étienne y fait camper ses troupes; devant la tente ducale est placée la lance de saint Maurice, dans laquelle est enchâssé un clou de la vraie croix; la possession de cette précieuse relique inspire au duc Étienne une grande confiance, il espère, il est même convaincu qu'elle lui assurera la victoire.
Il sait faire pénétrer ce sentiment dans l'esprit de ses guerriers, il les exhorte à se préparer au combat par la prière et le jeûne. Il leur distribue les drapeaux sur la soie desquels la duchesse Gizela a brodé les images de saint George et de saint Martin et il leur rappelle les grandes victoires remportées par les guerriers, grâce à la protection de ces glorieux patrons à qui il recommande les troupes magyares. Mais avant de livrer la bataille, il restait au duc Étienne une étape à franchir, celle qui allait faire de lui le parfait combattant chrétien, un chevalier. Il avait passé la veillée des armes dans la prière. Dès l'aube, les troupes sont sur pied et entourent, bannières déployées, un autel érigé sur une éminence. L'épée que le nouveau chevalier va ceindre est déposée sur l'autel, près du livre des Évangiles. Le prêtre, vraisemblablement Astrik, monte à l'autel, bénit les insignes de la chevalerie et commence le sacrifice de la messe. Après l'Évangile, les chefs Hunt et Pázmány procèdent à l`onction de l'épée; puis agenouillé au bas de l'autel, le nouveau chevalier répète, avec le prêtre, le Credo, il le fait avec une conviction profonde et l'on sent que, pour lui, ce n'est pas une vaine formalité qui vient de s'accomplir; il a été armé chevalier pour la gloire de Dieu et de la Vierge Marie, et il consacrera sa vie à cette noble tâche sans jamais y faillir.
Ce n'est pas en son âme seulement que l'impression a été profonde, tous les combattants ont été pénétrés de la grandeur de la scène dont ils ont été témoins. Elle leur a inspiré une confiance invincible et quand le signal du départ sera donné, ils s'élanceront en avant aux cris de : Pour Dieu, pour la Foi. L'aile droite de l'armée est sous le commandement de Hermann de Nurnberg, l'aile gauche est confiée à Tibold de Tannenburg, le centre est sous les ordres de Wenzellin, comte de Vasserburg, Hunt et Pázmány sont aux côtés du duc Étienne qui tient, en sa main droite, la lance de saint Maurice. Il s'agenouille, toute l'armée s'incline et les prêtres bénissent ces combattants qui offrent leur vie pour la défense de la foi.
Le signal est donné, l'armée s'avance et bientôt la rencontre a lieu, le premier choc est terrible, car tous les combattants luttent pour leur idéal, les guerriers d'Étienne veulent faire triompher le nom du Christ, mais les compagnons de Koppány veulent conserver le dieu de leurs ancêtres, ils ont à cœur de maintenir les traditions séculaires. Aussi la bataille est-elle ardente, acharnée, longtemps indécise ; à un moment, la victoire paraît pencher en faveur de Koppány, il croit la tenir et, ivre de joie, il se jette au plus vif de la mêlée pour exciter encore ses troupes, mais il se trouve en face de Wenzellin; une lutte s'engage entre les deux chefs, tous deux y font preuve de courage, enfin Wenzellin, d'un formidable coup de sabre, fait mourir son adversaire, l'armée chrétienne pousse des cris de victoire, l'armée païenne se sent perdue, les combattants reculent et s'enfuient. Mais le duc Étienne sait se montrer magnanime ; il défend de poursuivre les vaincus, car, dit-il, ils appartiennent à la même famille que les vainqueurs et il espère que la défaite qu'ils viennent de subir leur servira de leçon.
Étienne ne voulut pas, comme Saül, s'enrichir des dépouilles des Amalécites; il ne préleva sur tout le butin que la part qu'il avait promise au couvent de Pannonhalma. La victoire inspira aux rebelles une crainte salutaire et l'autorité du chef s'en trouva accrue. Étienne profita du calme qui régnait pour se consacrer à son oeuvre de prédilection. Animé d'un véritable zèle d'apôtre, il expliquait l'Évangile aux seigneurs qui l'entouraient, mais il ne dédaignait pas pour cela les humbles et les petits qu'il voulait amener à Dieu. Ce descendant de guerriers était épris de civilisation, de cette civilisation qui alors était le christianisme ; il voyait en lui la lumière qui doit éclairer le monde et il ne devait reculer devant aucun effort pour l'assurer à son peuple et la répandre dans son pays. Aidé par quelques auxiliaires qui secondaient admirablement son ardeur, Étienne fonda des couvents et fit construire des églises, celle de Veszprèm était remarquable par le luxe de sa décoration. Les livres étaient encore rares et peu nombreux, cependant le duc savait s`en procurer assez pour pourvoir toutes les églises; il est vrai que certaines chapelles ne possédaient qu`un exemplaire unique; aussi un chroniqueur de cette époque mentionne le don de quarante volumes, fait au couvent de Pècs, comme un acte de générosité digne de louange. Il était entendu que les moines en feraient de nombreuses copies que l`on envoyait ensuite aux églises.
Sa vaillante épouse le secondait selon ses moyens; elle brodait de ses propres mains les ornements sacerdotaux nécessaire a la célébration des offices. La chasuble brodée offerte à l'église Notre-Dame, à Székesfehérvár, est conservée au Musée de Vienne, tandis que l'ornement destiné au pape Jean XIX est actuellement à Metz. Le duc Geiza avait voulu son duché chrétien, mais en même temps affranchi de l'influence allemande ; son fils voulait son peuple catholique, mais libre même d'une apparence de soumission à la domination teutonne. Pendant que le catholicisme romain pénétrait en Hongrie par le nord et surtout par l'ouest, le catholicisme grec, venant de Constantinople, rencontrait des adhérents au sud de la Hongrie. Trop ignorant encore des choses religieuses, le peuple ne pouvait rien comprendre aux discussions théologiques et il adoptait le christianisme sans se préoccuper des nuances. Le duc Étienne, lui, comprit la différence qu'il y avait entre Rome et Constantinople et il se rallia à Rome.
Si par malheur, le duc Étienne avait choisi le schisme, la Hongrie aurait peut-être subi un jour la domination ottomane (turque), et qui sait si elle n'eût pas échangé son catholicisme sans chef contre l'islamisme tout-puissant ? Qui eût alors, au treizième siècle, opposé une barrière infranchissable aux hordes sauvages des Tartars? Qui eût, deux siècles plus tard, arrêté les « blasphémateurs du nom de Jésus » ? qui eût empêché les Turcs de pénétrer en Allemagne et de franchir les Alpes ? Les Magyars, féaux chevaliers de la chrétienté, ont formé un rempart invincible à l'invasion et ils empêchèrent les Ottomans (Turcs musulmans) de dépasser Vienne (Autriche). Aussi un historien français a-t-il pu dire sans exagération : « Quand donc paierons-nous notre dette de reconnaissance à ce peuple béni, sauveur de l'Occident » (Michelet)? Car « pour les Occidentaux ce qui doit dominer, c'est la reconnaissance des services que la Hongrie a rendus à la civilisation en mettant son corps au travers du chemin de la Barbarie». Lors de l'avènement du duc Étienne, le monastère de Cluny ( en France) attirait tous les regards par les réformes qu'il introduisait dans la vie religieuse ; le monde admirait les vertus des moines et leur vie remplie par le travail, on les prit volontiers pour modèle et leur exemple ne contribua pas peu au rétablissement de la discipline dans le clergé séculier. On mit un terme aux déprédations dont les biens de l'Église avaient été l'objet; les évêques furent rappelés à une plus stricte observation des devoirs de leur charge, les prêtres durent adopter une vie plus conforme aux règles canoniques.
Le duc Étienne avait entendu parler du monastère de Cluny (en France) et il est établi qu'il échangea plusieurs messages avec le Supérieur des Bénédictins de la célèbre abbaye et qu'il lui envoya des présents. De même, il fut en rapport avec le Supérieur du couvent du Mont-Cassin (Italie) à qui il offrit des présents d'une grande valeur. Il cherchait à s'entourer de lumières et il consulta les hommes remarquables de l'époque pour s'instruire sur la manière d'organiser le christianisme parmi son peuple. L'évêque Adalbert, qui avait été chargé de former le coeur et l'esprit du jeune duc Étienne, était étranger, mais cette circonstance n'avait exercé aucune influence sur son élève qui resta profondément magyar; sa nationalité lui était chère et il voulait que la conversion de son peuple ne coûtât rien à son patriotisme.
Ses travaux apostoliques commençaient à être connus en dehors des frontières du pays et attiraient des missionnaires qui espéraient faire en Hongrie de nombreux prosélytes; la mort glorieuse du martyre hantait l'esprit de quelques-uns, mais cette attente fut déçue, car partout ils furent accueillis avec une sympathie qui facilita considérablement leur mission sans les exposer au moindre danger. Grâce aux mesures édictées par le duc Étienne, le clergé ne tarda pas à se recruter parmi les Hongrois, il devint national et occupa bientôt une situation qui le mettait au-dessus du clergé des autres pays. Les évêchés étaient fondés, mais il restait à les pourvoir de titulaires et Étienne attachait une grande importance à ce que l'épiscopat magyar relevât directement du Saint-Siège, sans passer par l'intermédiaire des évêques allemands ou de l'archevêque de Salzbourg. Il espérait obtenir du pape la nomination d'Astrik comme archevêque métropolitain de Strigonie, il pourrait alors choisir les évêques que le nouvel archevêque sacrerait, et ainsi serait assurée l'existence du clergé hongrois en même temps que son autonomie.
Esztergom était la ville natale d'Étienne, mais cette raison ne fut pas la seule qui le décida à y fixer sa résidence; sa situation à l'extrémité occidentale du pays avait influencé son choix, car il aimait et cherchait à se rapprocher des pays plus avancés. Il voulut faire d'Esztergom la capitale religieuse de la Hongrie, il y réussit et, aujourd'hui encore, on pourrait la nommer la Rome hongroise.
Cathédrale Saint-Adalbert a Esztergom en Hongrie
Aux yeux du chef des Magyars, le titre de duc était insuffisant pour lui permettre de traiter sur le pied d'égalité avec les souverains voisins et pour faire admettre son pays parmi les puissances chrétiennes. Il savait que plus un chef est puissant, plus il inspire de respect; aussi, dès qu'il eut compris ce que pouvait devenir son peuple, forma-t-il le projet de fonder un royaume. Peut-être même fut-il question de ce projet au moment de son mariage avec la fille de l'archiduc de Bavière, mais il n'est resté nulle trace de ces pourparlers. Au moyen âge régnait l'idée que Dieu avait donné le gouvernement de la chrétienté à deux souverains, au pape pour les besoins spirituels, à l'empereur, pour les besoins temporels; eux seuls pouvaient disposer du pouvoir et en quelque sorte donner l'investiture. Le duché de Pologne, qui allait être érigé en royaume, en est un exemple. Le duc Chrobri Boleszláv savait qu'il ne pouvait obtenir que de l'empire et du Saint-Siège la couronne qu'il ambitionnait; il avait donc accepté la suzeraineté de l'Allemagne et le pape faisait préparer la couronne qu'il destinait au futur roi du Nord.
Cette suzeraineté, le duc Étienne ne voulait pas l'accepter et à aucun prix il ne l'eût subie. Il ne voulait pas non plus ériger de sa propre initiative son duché en royaume, car il voulait que cette transformation, ou plutôt cette élévation, eût tout le prestige dont elle pouvait être entourée, et il savait que l'Église seule pouvait l'opérer ainsi en lui donnant, en même temps, la consécration religieuse. Dans la pensée des hommes de cette époque, la couronne, conférée par le représentant de Dieu, était plus qu'un vain emblème, elle donnait à celui qui la recevait un caractère religieux. La reconnaissance d'un royaume par le pape unissait d'une façon indissoluble le principe politique et le principe religieux, elle créait des droits et des devoirs nouveaux, elle donnait au roi le droit de s'occuper des choses religieuses, mais en même temps elle lui imposait le devoir de défendre l'Église. Le duc des Magyars n'ignorait pas quelles responsabilités il allait assumer, mais il voulait une couronne royale et il ne voulait la tenir que du souverain pontife seul.
Grégoire V occupait le trône pontifical, il appartenait non-seulement a la famille impériale, mais encore il devait la tiare à Othon III (empereur du St-Empire Romain Germanique – Allemagne). Il était donc inutile à Étienne de tenter des démarches tant que les choses seraient en cet état. Othon III n`aurait pas plus permis un royaume indépendant de l`Allemagne que Grégoire V n`eut accordé une couronne royale contre la volonté de son protecteur impérial. Aussi le duc Étienne, tout en saisissant fort bien l'importance qu'aurait, pour le développement du christianisme, l'approbation par le Saint-Siège des mesures qu'il avait prises, ne voulait-il rien hâter. Il avait consulté son beau-frère, Henri de Bavière, et pris l'avis du prieur Astrik. Ce dernier, qui avait vécu quelque temps à Rome, avec l'évêque Adalbert, était au courant de ce qui se passait dans la Ville Éternelle, il put donc donner de bons conseils au duc Étienne qui les suivit, quoiqu'ils missent sa patience à une rude épreuve.
Sans se laisser décourager, le duc Étienne attendant que les circonstances devinssent plus favorables, continuait à organiser la future Église de Hongrie, partageant le pays en un certain nombre de provinces qui deviendraient des évêchés, les dotant de terres et de revenus, fondant des couvents, appelant des religieux qui répondaient avec empressements aux désirs du duc, leur assurant toute liberté et des avantages matériels considérables. Les églises et les chapelles semblaient sortir du sol fécond de la Hongrie que le sang des martyrs n'avait pourtant pas arrosés. Henri de Bavière avait fait partie de l'expédition impériale en Italie, on ne peut douter qu'il entre tint Othon de la situation de la Hongrie et il est certain qu'à Rome, il plaida la cause de son beau-frère qu'il aimait beaucoup. Il vit aussi Gerbert, évêque de Ravenne (Italie), et lui exposa ce qu'avait déjà fait le duc Étienne pour la conversion du peuple magyar et ce qu'il se proposait encore de faire pour la propagation et pour l'établissement définitif du christianisme. Ces faits n'étaient pas inconnus de Gerbert, qui avait l'habitude d'observer ce qui se passait et était fort au courant de tous les événements qui se produisaient en Europe. Grégoire V mourut en 999 Ap J.C. et son successeur fut le moine d'Aurillac, l'évêque Gerbert, qui prit le nom de Sylvestre II. L'archiduc de Bavière était encore à Rome au moment de l'élévation de Gerbert au trône pontifical.
Le nouveau pape se préoccupait beaucoup de la conversion des peuples païens et y attachait une grande importance; mais tout en la désirant, tout en y contribuant le plus largement possible, il apportait un grand soin à ne pas attenter à l'indépendance des peuples qui adoptaient l'Évangile; aussi, malgré la reconnaissance qu'il pouvait devoir à l'empereur, ne voulait-il pas créer de nouveaux vassaux à l'Allemagne. Les projets dont l`Archiduc de Bavière (Allemagne) avait entretenu l`évêque Gerbert devaient plaire au Pape Sylvestre II, et, lorsqu’en l`an 1000 Étienne envoya solennellement le supérieur du couvent de Pannonhalma, Astrik, à Rome les voies étaient préparées. Astrik avait pour mission d`exposer au Pape ce qu`avait fait le duc Étienne pour la conversion des Magyars et pour le développement du christianisme. En moins de trois ans, le peuple avait embrassé la foi nouvelle, le pays était prêt a recevoir les dignitaires de l`Église, les évêchés étaient fondés et dotés, le duc était prêt a en fonder de nouveaux, il priait donc le Saint-Père, par l`intermédiaire de son envoyé, de recevoir la Hongrie, nouvellement convertie, au nombre des États chrétiens, de lui donner sa bénédiction apostolique, d`approuver les évêchés, de confirmer les évêques nommés et en même temps d`agréer qu`il prit la qualité de roi et qu`il en portât les insignes afin de donner plus d`autorité a tout ce qu`il réglerait pour l`honneur de Dieu ainsi que pour la propagation de la foi et de la religion chrétienne.
Danses de Hongrie
Geiza, qui succéda, en 972, à Taksony, continua son œuvre. D'un esprit subtil, il avait une grande expérience des hommes et des choses. Il saisit le danger que courrait la Hongrie si elle entrait en lutte avec les pays voisins qui s'étaient alliés à l'Allemagne devenue ainsi toute-puissante ; il convoqua donc les grands du royaume et les guerriers, et leur démontra la nécessité de vivre en paix avec l'Allemagne. Tandis que son père gouvernait, Geiza avait par couru le pays et s'était arrêté quelque temps à la cour de Gyula, duc de Transylvanie. Pendant le séjour qu'il y fit, il vit de près ce qu'était le christianisme, car le catholicisme grec avait pénétré en Transylvanie et s'y était même lentement propagé; le jeune duc comprit que l'Europe civilisée et chrétienne ne tolérerait pas toujours au milieu d'elle un peuple qui ne renonçait ni à ses habitudes asiatiques ni à son paganisme.
Les germes déposés dans son esprit par le prince transylvain ne devaient pas être perdus, ils se développèrent, grâce surtout à la bienfaisante influence qu'exerça sur lui plus tard la fille de Gyula, car le prince éprouvant une vive sympathie pour le jeune duc n'avait pas hésité à lui confier le bonheur de sa fille Sarolta. La nouvelle souveraine des Magyars n'était pas une frêle et timide jeune fille. Sa beauté vraiment remarquable lui avait fait donner le surnom de Beleknegini qui signifiait en slavon : belle princesse. Amazone énergique, elle domptait sans frein et sans selle les chevaux les plus rétifs; elle vidait les coupes écumantes et se jetait dans la bataille où sa vaillance égalait celle du plus brave des guerriers. Cette virilité ne déplaisait pas aux Magyars qui, après avoir admiré son courage, rendirent hommage à son intelligence.
Car en Hongrie, comme en Gaule quelques siècles auparavant, ce fut l'épouse chrétienne qui amena l'époux païen à la vraie foi, et Sarolta fut pour Geiza ce que Clotilde avait été pour Clovis. Sa beauté, et aussi son énergie, qui savait à l'occasion se transformer en intelligente fermeté, lui donnèrent une grande puissance sur son époux. Elle usa de cette influence pour l'amener à la religion chrétienne qu'elle pratiquait. Sa tâche fut facilitée par les heureuses dispositions du duc; pendant le temps de ses fiançailles, il avait eu plus d'un entretien avec son futur beau-père et sa perspicacité lui avait permis de comprendre la justesse et la sagacité des conseils donnés par le prince Gyula au sujet de la conversion du peuple dont il allait devenir le chef; du reste ses sentiments l'inclinaient vers le christianisme dont la beauté et la grandeur avaient frappé son esprit.
Aussi laissait-il une grande liberté à Sarolta qui fit élever des églises et attira des ecclésiastiques en Hongrie. Cette initiative accordée à la vaillante amazone n'était pas chose rare à cette époque ; pendant que les princes et les chevaliers guerroyaient, les femmes, restées dans les châteaux, gouvernaient, tempérant par leur bienveillante intervention ce que les décisions des seigneurs avaient souvent de trop rude. On disait de Sarolta qu'elle tenait en sa main et le duc et le pays — BRUNo, Vita S. Adalberti - s'il en fut vraiment ainsi, tous deux n'eurent qu'à se louer de la pression que sa main exerça, ils lui durent de connaître les bienfaits de la vraie religion.
Tout du reste semblait concourir à conduire le duc vers le christianisme : la Bohême connaissait l'Évangile depuis quelques dizaines d'années et était chrétienne ; Miczisláv, prince de Pologne, s'était également converti au christianisme. Depuis leur accession à la religion du Christ, ces pays n'avaient plus eu à subir d'invasions allemandes. Geiza sentait toute l'importance de cette sécurité, mais il lui sembla que pour l'obtenir les princes avaient quelque peu abdiqué leur liberté. Sans en avoir fait ses vassaux, l'empereur d'Allemagne avait su, à l'occasion, leur imposer son arbitrage et augmenter ainsi son prestige. Il est fort probable qu'il nourrissait des projets analogues à l'égard de la Hongrie ; il fonda de nouveaux duchés sur la frontière de l'Ostmark et de la Carinthie pour avoir un point d'appui et faciliter la pénétration d'ecclésiastiques allemands et, au besoin, de soldats, en Hongrie.
Du reste, dès qu'il avait appris la mort du duc Taksony, Othon le Grand avait envoyé un mandataire vers Geiza dont il connaissait les sentiments pacifiques. Il lui avait délégué Bruno, évêque de Verdun; une lettre de l'évêque de Salzbourg, Piligrim, à Bruno nous apprend que des hommes, des chevaux et tout l'argent nécessaire étaient tenus à la disposition de l'évêque de Verdun, à la frontière de Hongrie pour lui permettre d'accomplir avec autant de rapidité que possible la conversion du duc et de son peuple.
L'évêque de Verdun ne rencontra pas d'obstacles sur sa route et pénétra en Hongrie ; il fut en cela plus heureux qu'Emerammus, prêtre de Poitiers qui, vers l'an 650, voulut aller évangéliser les peuples habitant la Pannonie. Arrivé à Ratisbonne, il y fut retenu par le duc Théodore, qui lui démontra, sous de fallacieux prétextes, l'inutilité de sa mission dans ce lointain pays. Le duc allemand tenait à conserver comme alliés éventuels les Huns, encore païens, tandis qu'il redoutait les Huns convertis, qui se fussent peut-être unis contre lui aux Francs déjà chrétiens.
On manque de renseignements précis sur le séjour de l'évêque de Verdun en Hongrie, mais il est probable que ses efforts furent couronnés d'un certain succès, car l'année suivante, le duc Geiza envoyait un représentant à l'empereur Othon qui assistait solennellement aux fêtes de Pâques à Quedlinbourg, au milieu d'un grand concours de seigneurs étrangers, grecs, romains, danois, bulgares, russes, etc., etc.
Quedlinbourg ou Quedlinburg en Saxe Allemande – un accord sur l`évangélisation de la Hongrie est signé vers l`an 973.
L'envoyé hongrois n'avait pas eu pour seule mission de rehausser l'éclat des fêtes par sa présence, puisque ce fut pendant son séjour à Quedlinbourg qu'il conclut un traité avec l'empereur; par ce traité, le duc des Magyars s'engageait à laisser entrer en Hongrie des prêtres et des moines, de plus il leur assurait aide et protection. Quelques semaines plus tard, Othon le Grand mourait à Magdebourg; le pacte subsistait, mais ses conséquences se trouvèrent modifiées par les événements : l'empereur eût certainement voulu exécuter à la lettre les clauses du traité et mener rapidement l'œuvre de la conversion, sans tenir compte que la tolérance des Hongrois, si grande fût-elle, ne se laisserait pas imposer, manu militari, une nouvelle croyance. L'Allemagne n'intervint donc pas directement, mais l'évêque Piligrim n'en déploya que plus de zèle, il attachait une grande importance à opérer lui-même la conversion des Magyars; il espérait que son évêché de Salzbourg serait alors transformé en archevêché ayant la Hongrie sous sa dépendance; aussi s'efforça-t-il d'éloigner le moine Wolfgang, le premier missionnaire qui eût pénétré en Hongrie, où il avait opéré de nombreuses conversions et frayé les voies à ceux qui le suivirent .
Néanmoins l'œuvre de l'évangélisation faisait de rapides progrès, car au jour de Noël de l'an 973 Ap J.C. le duc Geiza s'agenouilla et l'eau régénératrice coula sur son front. Son exemple entraîna un grand nombre de seigneurs et ce fut avec un sentiment de fierté bien légitime que l'évêque Piligrim écrivit au pape, Benoît VII, qu'il venait de rendre à Jésus-Christ, par la purification du baptême, 5.000 nobles hongrois des deux sexes. Saint Remi, après la bataille de Tolbiac, n'avait baptisé que 3.000 païens,(francs) l'exemple du duc Geiza produisit donc une impression plus profonde que celle causée par le baptême de Clovis, à Reims. Piligrim ajoutait encore : « Païens et chrétiens vivent aujourd'hui en si grande concorde et familiarité que ces paroles du prophète Isaïe semblent s'accomplir sous mes yeux : le loup et l'agneau brouteront ensemble au pâturage; le lion et le bœuf mangeront à la même paille ».
Peut-être ne faut-il pas prendre à la lettre les récits de l'évêque Piligrim ; l'exemple du chef avait pu entraîner un grand nombre de guerriers, qui, peu versés dans les questions religieuses, se rendaient tout au plus compte que la nouvelle religion n'était pas en contradiction trop vive avec leurs croyances primitives. Des troubles éclatant en Allemagne firent subir un léger temps d'arrêt aux progrès que faisait la propagation du christianisme en Hongrie. A la mort d'Othon I, Henri de Bavière se révolta contre le nouvel empereur, Othon II. Le duc Geiza prit parti pour Henri de Bavière, tandis que Piligrim restait du côté du plus fort. Il conclut même une alliance avec Léopold de Babenberg et prit part à ses luttes contre la Hongrie pour favoriser l'agrandissement du duché d'Autriche.
Ces agissements déplurent aux Magyars, qui, confondant tous les Allemands dans une même antipathie, ne voulurent plus tolérer la présence des missionnaires germaniques dans leur pays. D'autre part, Piligrim, qui avait acquis la conviction que l'évêché de Salzbourg ne serait pas érigé en archevêché se retira, son zèle pour la conversion des Magyars avait disparu. Pourtant d'autres prêtres, venus de l'Italie et qu'aucun intérêt terrestre ne préoccupait, que de mesquines discussions ne pouvaient détourner de leur but, continuèrent la conquête des âmes et poursuivirent l'œuvre commencée; leur persévérance fut récompensée par de nombreuses conversions. Ce fut vers cette époque que les regards d'Adalbert, évêque de Prague, se tournèrent vers la Hongrie et que le prélat se rendit auprès du duc Geiza.
Issu d'une famille noble, Adalbert avait été voué dès son enfance à la Vierge Marie ; ardent et enthousiaste, il était à peine âgé de vingt-sept ans lorsqu'il fut appelé à l'épiscopat et placé à la tête de l'Église de Bohême; son zèle d'apôtre lui faisait désirer de voir partout s'établir le royaume de Dieu, ses pensées, toujours dirigées vers ce but, l'empêchaient parfois de voir ce qui se passait autour de lui et, au lieu de chercher à connaître les âmes simples et naïves qu'il lui eût été si facile d'amener à Dieu, il ne vit dans les rudes guerriers tchèques que la férocité des mœurs barbares. Il quitta son évêché et se rendit à Rome où il obtint du pape la permission de se retirer dans un cloître ; il espérait y trouver des êtres pénétrés comme lui de l'esprit du Christ et qu'il se plaignait de n'avoir pas rencontrés dans un pays à peine évangélisé. Pendant cinq années, il soumit son esprit à la méditation et son corps à la mortification. Après cette retraite, il comprit enfin que son devoir l'appelait ailleurs et il alla reprendre possession de son siège épiscopal.
Mais le séjour qu'il fit à Prague fut de courte durée; bientôt son attention fut attirée par les premières lueurs que le christianisme jetait en Hongrie; il vit sans doute dans le peuple magyar des hommes répondant mieux à son idéal, car il décida de leur consacrer ses forces. Il fut reçu avec empressement et reconnaissance à la cour du duc Geiza et les religieux qu'il amenait avec lui y furent bientôt appréciés. Ce cordial accueil empêcha de s'aggraver le malentendu que les dissentiments de Geiza avec l'empereur d'Allemagne avaient fait surgir; les Allemands, mal intentionnés, voulaient faire croire que la Hongrie repoussait le christianisme, tandis qu'au contraire Geiza ne mettait aucun obstacle à son développement; il voulait bien la Hongrie chrétienne, mais avant tout, il la voulait libre du joug allemand.
« Le temps marqué par les décrets de Dieu est arrivé » dit l'évêque Chartvicius. La vaillante Sarolta est en proie au chagrin, elle n'a pas encore de fils. Il fait nuit et ses regrets troublent son repos. A peine est-elle endormie qu'un jeune homme lui apparaît en rêve, il est d'une beauté resplendissante et porte le surplis du diacre. Il s'approche doucement de Sarolta et lui dit : « Femme, aie confiance en Dieu. Tu mettras au monde un fils qui le premier, en Hongrie, portera la couronne royale, couronne qui sera d'une durée infinie. Tu lui donneras mon nom . - Qui donc êtes-vous ? demande Sarolta. — «Je suis, réponds l'apparition, le proto-martyr Stephanus, ( le diacre et martyr Saint-Étienne) le premier qui versa son sang en témoignage pour le Christ».
Quelques mois plus tard Sarolta donnait le jour à un fils qui reçut au baptême le nom de Stephanus, Étienne - Istvan en hongrois. L'évêque de Prague l'instruisit « en le considérant comme un enfant envoyé du ciel, un présent sacré, et il grandit dans la piété, la charité, la crainte du Seigneur, et l'amour de Dieu». Étienne est l'enfant de la femme forte et l'enfant du rêve comme Almos. Nous retrouvons ici une contrepartie de l'histoire d'Emés, avec une différence de formes en rapport avec la différence des religions : Almos est une incarnation païenne d'Attila ; Étienne est l'enfant de la promesse de Dieu, le petit fils couronné que l'ange montrait dans le lointain au roi des Huns comme le prix de son obéissance.
Peu d'années après la naissance d'Étienne, Sarolta mourut laissant à son époux le soin de continuer l'œuvre qu'elle avait commencée et à son fils, la gloire de la terminer. Elle aussi avait considéré son fils comme « un envoyé du ciel » et la vaillante amazone s'était faite tendre mère pour veiller sur la frêle créature. De bonne heure, elle inculqua des sentiments religieux à son fils et elle eut la satisfaction de le voir, tout jeune encore, se distinguer de ses compagnons d'âge par une tendre piété qui bientôt se transforma en une foi robuste que rien ne devait jamais ébranler. Geiza regretta la vaillante compagne qui avait exercé sur lui une si salutaire influence; cependant son veuvage ne fut pas de longue durée, car bientôt il épousait Adelhaïde, la jeune sœur de Miciszláv, roi de Pologne.
Continuant à obéir à l'impulsion que lui avait donnée Sarolta, Geiza travailla au développement du christianisme; il comprit que son peuple avait besoin d'employer les loisirs que la paix lui donnait, il appela des moines qui défrichèrent la terre et enseignèrent l'agriculture à ce peuple nomade; sur les terres que le duc leur avait attribuées, ils plantèrent de la vigne; ils introduisirent l'élevage des abeilles et surent mettre en valeur les terres fertiles de la Hongrie.
Az erdélyi udvar zenéje - Ars Musica - Képek a magyar zene történetéből - La musique de la cour de Transylvanie - Ars Musica - Images de l'histoire de la musique hongroise
Plus tard, saint Étienne, pour reconnaître les services que le clergé avait rendus au pays, lui attribua un dixième sur toutes les récoltes. Malgré son caractère conciliant, Geiza dut parfois sévir contre son peuple, mais il le fit sans grande fermeté; vers la fin de son règne, quelques seigneurs, à qui l'introduction de la nouvelle religion avait déplu, se soulevèrent; le duc ne se sentit-il pas assez puissant pour réprimer cette tentative de révolte par la force, ou bien ne voulut-il pas user de rigueur contre les seigneurs de crainte qu'ils ne fissent re tomber leur colère sur son fils ? toujours est-il que non seulement il ne sévit pas, mais encore il les laissa offrir des sacrifices à leur ancien dieu, et prit part lui même à ces cérémonies. Cette attitude lui attira des reproches de l'évêque de Prague, Adalbert. Il manquait d'énergie, mais il était néanmoins fort bien disposé à l'égard de l'Évangile, il avait décidé son frère Michel et son fils Vazul à recevoir le baptême de la main d'Adalbert; et plus tard, sur le conseil de l'évêque, il fonda le monastère de Saint-Martin, sur le mont Pannonien, pour y établir les fils de Saint-Benoît, venus du Mont-Cassin.
L'abbaye bénédictine de Pannonhalma (hongrois : Pannonhalmi Bencés Főapátság) est située dans le comitat de Győr-Moson-Sopron en Hongrie. En 996, le Prince Géza demande à des bénédictins de fonder un monastère sur la colline de Pannonhalma, lieu de naissance de Saint Martin, évêque de Tours. Ils procèdent alors à l’évangélisation des Magyars.
Quand Adalbert quitta la Hongrie, il confia la direction du nouveau couvent à son ancien maître et ami, Astrik, qui en fut le premier Supérieur. L'évêque de Prague, qui avait été l'un des premiers propagateurs du christianisme en Hongrie, ne devait plus revoir le pays où il avait trouvé l'idéal tant cherché. Il se rendit en Bohême, et de là chez les Borussiens (Prusse païenne a l`époque) où bientôt il cueillit les palmes du martyre.
Le duc Geiza pensa qu'il n'aurait pas la force nécessaire pour amener son peuple à la connaissance du vrai Dieu. Cependant loin de se laisser décourager, il fit tous ses efforts pour faciliter à son fils et successeur l'achèvement de l'oeuvre commencée. Dès ses premières années, Étienne avait été confié à Adalbert; en peu de temps, l'enfant s'était approprié toutes les connaissances enseignées à cette époque; la lecture, l'écriture, la grammaire furent un jeu pour lui; les auteurs latins, profanes et religieux, lui furent de bonne heure familiers; il s'enthousiasma aux récits des hauts faits des guerriers, il connut les actions glorieuses de ses ancêtres et se promit d'être digne d'eux. Mais en même temps que l'histoire des grands conquérants impressionnait son esprit, il fut initié à l'histoire des grands pacificateurs, et son âme s'enflamma en apprenant à connaître ces missionnaires et ces prédicateurs qui, par leur foi, gagnaient des couronnes plus éclatantes que celles des rois.
Sérieux et grave, on dit qu'on ne le vit jamais sourire, Étienne comprit de bonne heure quel rôle la Providence lui réservait; les Magyars ayant reconquis définitivement la patrie de leurs ancêtres, il ne pouvait être un nouvel Arpád, mais il se promit de ressembler à ces grands monarques qui avaient donné à leurs peuples les bienfaits d'une religion civilisatrice. Il joignait à un esprit ouvert à toutes les grandes choses, un coeur tendre, mais sa bonté n'excluait pas la fermeté et il donna maintes preuves d'une inébranlable énergie. A son amour pour sa patrie s'allia, dès son adolescence, une tendance vers un idéal s'élevant fort au-dessus des conceptions de cette époque. L'évêque Adalbert, qui avait enfin rencontré dans le fils de la pieuse amazone le terrain qu'il cherchait, développa les sentiments chrétiens du futur roi, et ses enseignements, joints aux dons naturels d'Étienne, en firent un grand homme, en même temps qu'un grand saint.
Aussi, lorsqu'obéissant aux lois de la Constitution établie à Puszta-Szer, le duc Geiza assembla les seigneurs pour leur soumettre le choix qu'il avait fait de son fils pour successeur, ne rencontra-t-il pas d'opposition. La dignité de duc et de chef revenait au plus méritant à choisir dans la famille d'Arpád; Étienne fut jugé digne de succéder à son père; il fut acclamé par les chefs et par les grands assemblés; il fut élevé sur le pavois et jura, comme l'avait fait Arpád, en brandissant son sabre vers les quatre points cardinaux, de défendre le pays de quelque côté qu'on l'attaquât. Geiza n'était pas fort âgé, mais brisé et usé par les luttes; pourtant avant de quitter le pouvoir, il avait préparé le mariage de son successeur. Donner à son fils une épouse comme l'avait été pour lui Sarolta, était un de ses plus chers projets; il songea à la soeur du duc Henri, le descendant de ces princes allemands contre qui les Hongrois s'étaient si souvent battus; Geiza lui-même avait pris part à ces luttes, mais la paix régnait et les ennemis d'autrefois s'étaient sincèrement réconciliés. Dans la pensée du duc magyar, cette union devait non seulement cimenter la paix, mais encore contribuer au développement du christianisme en Hongrie.
Le duc Henri fit bon accueil à la demande du duc Geiza, il y entrevoyait un gage de paix avec ce peuple toujours indompté, dont l'amour pour la guerre et aussi la vaillance faisaient un voisin redoutable ; il ne lui déplaisait pas non plus de voir sa soeur épouser ce jeune homme, dont les qualités lui étaient déjà connues. Fervent chrétien, Henri pensa que sa soeur Gizela pourrait contribuer pour sa part au développement de la religion dans son pays d'adoption. Et quoique Wolfgang, évêque de Ratisbonne (Regensburg en Allemagne), eût prédit à la jeune duchesse qu'elle porterait un jour la couronne royale, son frère se contenta pour elle d'une couronne ducale; il ne savait pas qu'elle ne devait être que transitoire.
Mais avant de pouvoir rendre une réponse définitive au duc Geiza, la cour allemande eut à vaincre la résistance de la pieuse Gerberga, soeur aînée de Gizela et Supérieure du couvent de Gandersheim. Quand on lui fit part de la décision qui venait d'être prise au sujet du mariage de sa jeune soeur, elle leva les bras au ciel et protesta avec énergie contre ce projet. « Est-il possible, s'écria-t-elle, de donner, comme épouse, la petite-fille de l'empereur Henri au chef d'un peuple barbare, d'une horde de guerriers , et peut-on exposer la vie, l'âme, le bonheur éternel de la jeune princesse pour satisfaire de mesquines raisons politiques ? »
A la cour allemande régnait un esprit chrétien, l'empereur Othon avait été instruit par Gerbert, tandis que sa mère, Théophanie, lui inspirait le goût des lettres grecques. Le duc Henri et sa soeur Gizela étaient animés des mêmes sentiments et ils ne pouvaient prendre une décision contraire à leurs principes religieux : cela eût dû suffire pour inspirer confiance à Gerberga, mais elle ne voulait rien entendre ; on eut beau lui expliquer que le duc Étienne était bon chrétien, qu'il avait promis de convertir son peuple à la foi du Christ, qu'il emploierait même la force pour bannir de son pays le paganisme, aucun argument ne parvenait à vaincre son obstination. On lui proposa enfin de faire venir le duc magyar pour qu'elle se rendît compte elle-même du caractère du fiancé de sa soeur. Elle consentit à cette entrevue, espérant bien qu'elle tournerait à la confusion d'Étienne. Entouré de magnats et de nombreux chevaliers allemands, le duc se présenta devant la redoutable Supérieure. Sa prestance militaire, son attitude fière, mais exempte de tout dédain, son maintien grave, plurent à la religieuse ; il s'inclina respectueusement et sut si bien lui présenter sa requête, qu'il gagna immédiatement sa sympathie. Pourtant cela ne suffisait pas, et avant de donner son consentement, Gerberga tenta encore une épreuve. Le duc Étienne était impatient de voir sa fiancée, la religieuse retarda l'entrevue, puis au cours d'une promenade dans le parc, au moment où le jeune homme ne s'y attendait pas, elle lui montra la duchesse Gizela agenouillée devant une image du Sauveur. La Supérieure pensait qu'Étienne était trop peu chrétien pour se laisser arrêter par ce spectacle et que la fougue de la jeunesse l'emportant, il commettrait quelque maladresse, aussi quel ne fut pas son étonnement quand elle vit le jeune Magyar s'avancer lentement vers sa fiancée, se désarmer, s'incliner devant l'image du Sauveur et rester en prière tant que dura la méditation de Gizela dont il ne voulait pas troubler le recueillement, peut-être prolongé à dessein.
Gisèle de Bavière (985-1060) - Gizela est la femme de Saint-Étienne
L'opposition de Gerberga était vaincue ; le mariage eut lieu, en l'an 995, au milieu de grandes fêtes et en présence de l'empereur. Le duc Étienne, emmenant sa jeune femme, reprit la route de ses États ; de nombreux seigneurs allemands l'accompagnèrent, quittant leur pays pour se fixer en Hongrie. Élevée au milieu d'une famille profondément chrétienne, la jeune Gizela envisageait avec bonheur la mission que le Ciel semblait lui réserver. Elle n'eût pas à jouer le même rôle que Sarolta, mais son influence pour être moins décisive n'en fut pas moins bienfaisante, et nous aurons à revenir sur la part qu'elle prit aux travaux apostoliques de son époux. Dans l'union du duc hongrois avec la descendante des empereurs romains, on vit une preuve que la Hongrie se rapprochait des nations occidentales et qu'elle voulait entrer dans le concert des puissances chrétiennes de l'Europe. Avec la mort du duc Geiza , survenue deux ans plus tard, après un règne de vingt-cinq années, se termine l'épopée magyare; la période de la tradition proprement dite est close, nous quittons les temps héroïques pour pénétrer dans la période historique.
CHAPITRE DEUXIÈME
LA SAINTE COURONNE
« Si Dieu est avec moi, qui peut être contre moi ? » Telles étaient les paroles que le roi Étienne le Saint devait prononcer dans une circonstance dramatique de son existence. Cette confiance en Dieu, il l'avait eue dès son adolescence, et elle n'avait été qu'en augmentant, ferme et inébranlable, elle lui donna la force d'accomplir la mission que la Providence lui avait assignée; il se mit à l'oeuvre sans la moindre hésitation et animé de vues sages et réfléchies, il sut amener tous les Magyars à professer le christianisme et à pratiquer le culte chrétien. Et cependant connaissant les résistances que son père avait rencontrées, il prévoyait que d`innombrables obstacles surgiraient devant lui quand il voudrait bannir le paganisme de son duché; il savait que ses guerriers, fiers de leurs aïeux, fiers aussi de leur propre passé, ne laisseraient pas volontiers toucher a leur œuvre, car pour eux, bannir le culte professé par leurs pères, renoncer a leur passé c'était renier le patrimoine familial, c'était attenter à la gloire des ancêtres.
Le jeune duc connaissait les sentiments qui animaient son peuple; il avait pénétré l'âme du Magyar et il savait que les hommes de sa race possédaient cette sorte de fierté, fréquente chez les peuples anciens, qui consiste à obéir non à l'homme, mais à la loi, et encore à la loi qu'on a faite soi-même et dont on a librement accepté le joug; ils n'obéiraient donc pas à des lois qu'on leur imposerait par la force. La persuasion pouvait donner d'autres résultats et comme le duc Étienne voulait être le pasteur, en même temps que le chef de son peuple, il usa de ce moyen pacifique. Les Hongrois avaient renoncé aux guerres offensives, leur dernier duc, Geiza, avait compris la nécessité de la paix avec les pays voisins pour assurer le libre développement de la religion chrétienne; son fils était également convaincu de l'utilité de la paix pour la réalisation de ses projets et il fit quelques concessions pour vivre en bons termes avec les puissances voisines; cependant il prit plusieurs fois les armes, mais ce fut surtout pour réprimer les révoltes du paganisme. Son père avait commencé la transformation d'un peuple presque encore nomade en une nation; Étienne avait à coeur de faire cette nation grande et puis sante; il créa la nationalité hongroise, il fut le fondateur du royaume catholique, apostolique de Hongrie.
Saint-Étienne - roi de Hongrie - (975-1038 Ap J.C.) - En anglais - Saint-Stephen - en Hongrois - Saint-Istvan
La fondation de ce royaume, qui devait résister aux plus rudes épreuves et toujours renaître plus brillant, est intimement liée au développement du christianisme en Pannonie. Malgré la piété et le zèle de Sarolta, malgré la bonne volonté et les efforts de Geiza, malgré la prédication et le dévouement des missionnaires, la religion du vrai Dieu n'avait encore fait, à la mort du dernier duc, que relativement peu de prosélytes. Quelques seigneurs l'avaient acceptée, mais sans être pénétrés de son esprit. S'ils admettaient volontiers l'existence de ce Dieu que les missionnaires leur disaient tout-puissant, c'est que cette toute-puissance pouvait être plus grande que celle de leur ancien dieu et favoriser davantage leurs entreprises.
Pour le peuple, au contraire, pour la foule des malheureux et des opprimés, la toute-puissance de Dieu avait moins d'attrait, ce qui leur plut dans les enseignements de l'Évangile, ce fut le principe d'égalité. Entendre affirmer que devant Dieu, le seigneur ne comptait pas plus que le paysan et que le Sauveur était venu pour tous les hommes, qu'il était mort aussi bien pour racheter les petits et les humbles que pour sauver les grands et les puissants, étaient des pensées consolantes qui ne pouvaient manquer de faire adopter la religion enseignant ces réconfortantes vérités. Mais ce qui devait faciliter l'accession des Magyars au catholicisme, ce fut la pureté absolue de leur vie de famille. Pour obéir à la nouvelle loi, il ne leur fallait pas renoncer à des moeurs qui, chez d'autres peuples, formaient la base même de l'existence. Généreux de nature, ils comprirent et admirent le pardon; la charité leur fut facile, elle était dans leur coeur, tandis que leur tolérance innée leur permit de supporter ceux qui pratiquaient une autre religion qu'eux, puis de l'adopter lorsqu'ils se furent convaincus que pour embrasser la foi du Christ, ils n'aliéneraient pas leur liberté, cette liberté si chère aux Magyars qu'un auteur français a pu écrire : « J'ai fouillé jusqu'au fond l'âme hongroise et j'y ai trouvé ce grand mot : liberté ».
Au début, les nouveaux convertis répétaient Je crois en Dieu, Notre Père, comme une formule enchanteresse, semblable aux paroles magiques que proféraient leurs anciens sacrificateurs. Les missionnaires et les prédicateurs leur paraissaient être une espèce supérieure de tâltos qui, comme eux, servaient d'intermédiaires entre la divinité et les
hommes. La dévotion envers les saints ne leur semblait pas fort différente du culte qu'ils rendaient à leurs idoles. Aux cérémonies chrétiennes se mêlèrent des réminiscences du paganisme. Mais n'en fut-il pas ainsi un peu partout et l'Église ne dut-elle pas lutter longtemps avant de triompher complètement de la persistance de certaines traditions païennes dans ses cérémonies? Un des obstacles les plus importants à l'adoption rapide de la vraie foi par les Magyars, c'est qu'elle leur fut apportée par des étrangers.
Les missionnaires étaient pour la plupart d'origine allemande ou italienne, ils parlaient d'une religion nouvelle dans une langue étrangère et ils célébraient leurs offices dans une langue inconnue : le peuple ne les comprenait pas. Mais quelques années s'étaient à peine écoulées que les apôtres les plus zélés s'étaient approprié la langue du peuple
qu'ils voulaient convertir; ils eurent bientôt des disciples qui, pénétrés de leur doctrine et enflammés d'une ardeur de néophyte, prêchèrent, en hongrois, l'Évangile à leurs compatriotes. Nombreuses furent les conversions qu'ils suscitèrent et la propagation de la religion fit des progrès constants. Le duc Etienne était opposé à toute mesure de violence; il apaisa par sa douceur les velléités de résistance des grands; ses décisions, qu'il ne prenait qu'après de longues réflexions et non sans avoir consulté ceux qui avaient sa confiance, étaient toujours empreintes d'une si grande équité que les plus mal intentionnés finissaient par être obligés de reconnaître l'esprit de justice qui les avait inspirées.
Nombreuses furent les conversions qu'ils suscitèrent et la propagation de la religion fit des progrès constants. Le duc Etienne était opposé à toute mesure de violence; il apaisa par sa douceur les velléités de résistance des grands; ses décisions, qu'il ne prenait qu'après de longues réflexions et non sans avoir consulté ceux qui avaient sa confiance, étaient toujours empreintes d'une si grande équité que les plus mal intentionnés finissaient par être obligés de reconnaître l'esprit de justice qui les avait inspirées. Quand le duc pensa que le terrain était suffisamment préparé, il rendit une Ordonnance prescrivant aux chefs, aux guerriers et à tout le peuple de recevoir le baptême et d'abandonner à jamais les pratiques de l'ancien culte. De grandes faveurs étaient accordées aux prisonniers de guerre et aux serfs qui se faisaient baptiser; le duc Étienne libéra une partie des serfs de ses domaines; ceux des seigneurs furent pour la plupart rachetés et tous trouvèrent à s'occuper aux travaux des champs. Ces mesures, tempérées cependant par bien des ménagements, ne pouvaient manquer de provoquer l'irritation des grands qui voyaient leurs intérêts menacés par ces innovations.
Le roi Saint-Étienne et sa femme la duchesse Gisèle de Bavière (985-1060)
Parmi les mécontents se trouvait l'un des plus puissants seigneurs du pays, Koppány, comte de Sumegh, descendant de la famille d'Arpád. Il attira autour de lui tous ceux à qui les projets du duc Étienne déplaisaient, surtout parce qu'ils croyaient y voir une menace pour leur nationalité en même temps qu'un péril pour leur indépendance. Après quelques délibérations, il fut décidé qu'on attaquerait Étienne et qu'on essaierait de le renverser; car le doute n'était plus possible, sous la suprématie du chef Étienne, la nouvelle religion grandirait, les droits du duc se développeraient, empiétant sur ceux des autres chefs et la religion des ancêtres serait à tout jamais bannie du pays.
Cependant, avant de commencer la guerre, Koppány fit une tentative de rapprochement dictée, non par l'esprit de conciliation ou par son attachement au culte des ancêtres,
mais par les sentiments que lui inspirait la veuve du duc Geiza dont il demanda la main. La duchesse Adelhaïde était encore jeune et d'une beauté remarquable; peut-être se fût-elle laissé tenter par le séduisant mirage du pouvoir, mais avant tout, elle était chrétienne, et sa foi lui était chère; elle y puisa la force de résister à toutes les brillantes séductions, repoussa l'offre de Koppány, préférant aux jouissances douteuses du pouvoir, les joies plus sûres et plus douces de la fidélité à la mémoire de son époux et à la continuation de son oeuvre.
Ce refus irrite Koppány, il lance un dernier appel à ses partisans et soulève la Hongrie transdanubienne ; les mécontents se réunissent dans les environs de Somogy, brandissant l'étendard de la révolte. Les troupes fort nombreuses — le paganisme comptait encore bien des adhérents — se mettent en route, brûlant, pillant sans pitié tout ce qu'elles rencontrent sur leur passage. Le duc comprend que c'en est fait de son autorité et de l'établissement de la religion, s'il laisse la révolte faire le moindre progrès. Il faut une répression sévère qui décourage à tout jamais les partisans du paganisme. Les seigneurs sont convoqués, ils amènent leurs guerriers et les serfs libérés sont appelés à faire partie de l'armée. Étienne, avant de se mettre en route, fait voeu, s'il remporte la victoire, d'offrir au couvent de Pannonhalma une large part des biens de Koppány et de ses partisans. L'armée chrétienne s'avance à travers la forêt de Bakony et le duc Étienne y fait camper ses troupes; devant la tente ducale est placée la lance de saint Maurice, dans laquelle est enchâssé un clou de la vraie croix; la possession de cette précieuse relique inspire au duc Étienne une grande confiance, il espère, il est même convaincu qu'elle lui assurera la victoire.
Il sait faire pénétrer ce sentiment dans l'esprit de ses guerriers, il les exhorte à se préparer au combat par la prière et le jeûne. Il leur distribue les drapeaux sur la soie desquels la duchesse Gizela a brodé les images de saint George et de saint Martin et il leur rappelle les grandes victoires remportées par les guerriers, grâce à la protection de ces glorieux patrons à qui il recommande les troupes magyares. Mais avant de livrer la bataille, il restait au duc Étienne une étape à franchir, celle qui allait faire de lui le parfait combattant chrétien, un chevalier. Il avait passé la veillée des armes dans la prière. Dès l'aube, les troupes sont sur pied et entourent, bannières déployées, un autel érigé sur une éminence. L'épée que le nouveau chevalier va ceindre est déposée sur l'autel, près du livre des Évangiles. Le prêtre, vraisemblablement Astrik, monte à l'autel, bénit les insignes de la chevalerie et commence le sacrifice de la messe. Après l'Évangile, les chefs Hunt et Pázmány procèdent à l`onction de l'épée; puis agenouillé au bas de l'autel, le nouveau chevalier répète, avec le prêtre, le Credo, il le fait avec une conviction profonde et l'on sent que, pour lui, ce n'est pas une vaine formalité qui vient de s'accomplir; il a été armé chevalier pour la gloire de Dieu et de la Vierge Marie, et il consacrera sa vie à cette noble tâche sans jamais y faillir.
Ce n'est pas en son âme seulement que l'impression a été profonde, tous les combattants ont été pénétrés de la grandeur de la scène dont ils ont été témoins. Elle leur a inspiré une confiance invincible et quand le signal du départ sera donné, ils s'élanceront en avant aux cris de : Pour Dieu, pour la Foi. L'aile droite de l'armée est sous le commandement de Hermann de Nurnberg, l'aile gauche est confiée à Tibold de Tannenburg, le centre est sous les ordres de Wenzellin, comte de Vasserburg, Hunt et Pázmány sont aux côtés du duc Étienne qui tient, en sa main droite, la lance de saint Maurice. Il s'agenouille, toute l'armée s'incline et les prêtres bénissent ces combattants qui offrent leur vie pour la défense de la foi.
Le signal est donné, l'armée s'avance et bientôt la rencontre a lieu, le premier choc est terrible, car tous les combattants luttent pour leur idéal, les guerriers d'Étienne veulent faire triompher le nom du Christ, mais les compagnons de Koppány veulent conserver le dieu de leurs ancêtres, ils ont à cœur de maintenir les traditions séculaires. Aussi la bataille est-elle ardente, acharnée, longtemps indécise ; à un moment, la victoire paraît pencher en faveur de Koppány, il croit la tenir et, ivre de joie, il se jette au plus vif de la mêlée pour exciter encore ses troupes, mais il se trouve en face de Wenzellin; une lutte s'engage entre les deux chefs, tous deux y font preuve de courage, enfin Wenzellin, d'un formidable coup de sabre, fait mourir son adversaire, l'armée chrétienne pousse des cris de victoire, l'armée païenne se sent perdue, les combattants reculent et s'enfuient. Mais le duc Étienne sait se montrer magnanime ; il défend de poursuivre les vaincus, car, dit-il, ils appartiennent à la même famille que les vainqueurs et il espère que la défaite qu'ils viennent de subir leur servira de leçon.
Étienne ne voulut pas, comme Saül, s'enrichir des dépouilles des Amalécites; il ne préleva sur tout le butin que la part qu'il avait promise au couvent de Pannonhalma. La victoire inspira aux rebelles une crainte salutaire et l'autorité du chef s'en trouva accrue. Étienne profita du calme qui régnait pour se consacrer à son oeuvre de prédilection. Animé d'un véritable zèle d'apôtre, il expliquait l'Évangile aux seigneurs qui l'entouraient, mais il ne dédaignait pas pour cela les humbles et les petits qu'il voulait amener à Dieu. Ce descendant de guerriers était épris de civilisation, de cette civilisation qui alors était le christianisme ; il voyait en lui la lumière qui doit éclairer le monde et il ne devait reculer devant aucun effort pour l'assurer à son peuple et la répandre dans son pays. Aidé par quelques auxiliaires qui secondaient admirablement son ardeur, Étienne fonda des couvents et fit construire des églises, celle de Veszprèm était remarquable par le luxe de sa décoration. Les livres étaient encore rares et peu nombreux, cependant le duc savait s`en procurer assez pour pourvoir toutes les églises; il est vrai que certaines chapelles ne possédaient qu`un exemplaire unique; aussi un chroniqueur de cette époque mentionne le don de quarante volumes, fait au couvent de Pècs, comme un acte de générosité digne de louange. Il était entendu que les moines en feraient de nombreuses copies que l`on envoyait ensuite aux églises.
Sa vaillante épouse le secondait selon ses moyens; elle brodait de ses propres mains les ornements sacerdotaux nécessaire a la célébration des offices. La chasuble brodée offerte à l'église Notre-Dame, à Székesfehérvár, est conservée au Musée de Vienne, tandis que l'ornement destiné au pape Jean XIX est actuellement à Metz. Le duc Geiza avait voulu son duché chrétien, mais en même temps affranchi de l'influence allemande ; son fils voulait son peuple catholique, mais libre même d'une apparence de soumission à la domination teutonne. Pendant que le catholicisme romain pénétrait en Hongrie par le nord et surtout par l'ouest, le catholicisme grec, venant de Constantinople, rencontrait des adhérents au sud de la Hongrie. Trop ignorant encore des choses religieuses, le peuple ne pouvait rien comprendre aux discussions théologiques et il adoptait le christianisme sans se préoccuper des nuances. Le duc Étienne, lui, comprit la différence qu'il y avait entre Rome et Constantinople et il se rallia à Rome.
Si par malheur, le duc Étienne avait choisi le schisme, la Hongrie aurait peut-être subi un jour la domination ottomane (turque), et qui sait si elle n'eût pas échangé son catholicisme sans chef contre l'islamisme tout-puissant ? Qui eût alors, au treizième siècle, opposé une barrière infranchissable aux hordes sauvages des Tartars? Qui eût, deux siècles plus tard, arrêté les « blasphémateurs du nom de Jésus » ? qui eût empêché les Turcs de pénétrer en Allemagne et de franchir les Alpes ? Les Magyars, féaux chevaliers de la chrétienté, ont formé un rempart invincible à l'invasion et ils empêchèrent les Ottomans (Turcs musulmans) de dépasser Vienne (Autriche). Aussi un historien français a-t-il pu dire sans exagération : « Quand donc paierons-nous notre dette de reconnaissance à ce peuple béni, sauveur de l'Occident » (Michelet)? Car « pour les Occidentaux ce qui doit dominer, c'est la reconnaissance des services que la Hongrie a rendus à la civilisation en mettant son corps au travers du chemin de la Barbarie». Lors de l'avènement du duc Étienne, le monastère de Cluny ( en France) attirait tous les regards par les réformes qu'il introduisait dans la vie religieuse ; le monde admirait les vertus des moines et leur vie remplie par le travail, on les prit volontiers pour modèle et leur exemple ne contribua pas peu au rétablissement de la discipline dans le clergé séculier. On mit un terme aux déprédations dont les biens de l'Église avaient été l'objet; les évêques furent rappelés à une plus stricte observation des devoirs de leur charge, les prêtres durent adopter une vie plus conforme aux règles canoniques.
Le duc Étienne avait entendu parler du monastère de Cluny (en France) et il est établi qu'il échangea plusieurs messages avec le Supérieur des Bénédictins de la célèbre abbaye et qu'il lui envoya des présents. De même, il fut en rapport avec le Supérieur du couvent du Mont-Cassin (Italie) à qui il offrit des présents d'une grande valeur. Il cherchait à s'entourer de lumières et il consulta les hommes remarquables de l'époque pour s'instruire sur la manière d'organiser le christianisme parmi son peuple. L'évêque Adalbert, qui avait été chargé de former le coeur et l'esprit du jeune duc Étienne, était étranger, mais cette circonstance n'avait exercé aucune influence sur son élève qui resta profondément magyar; sa nationalité lui était chère et il voulait que la conversion de son peuple ne coûtât rien à son patriotisme.
Ses travaux apostoliques commençaient à être connus en dehors des frontières du pays et attiraient des missionnaires qui espéraient faire en Hongrie de nombreux prosélytes; la mort glorieuse du martyre hantait l'esprit de quelques-uns, mais cette attente fut déçue, car partout ils furent accueillis avec une sympathie qui facilita considérablement leur mission sans les exposer au moindre danger. Grâce aux mesures édictées par le duc Étienne, le clergé ne tarda pas à se recruter parmi les Hongrois, il devint national et occupa bientôt une situation qui le mettait au-dessus du clergé des autres pays. Les évêchés étaient fondés, mais il restait à les pourvoir de titulaires et Étienne attachait une grande importance à ce que l'épiscopat magyar relevât directement du Saint-Siège, sans passer par l'intermédiaire des évêques allemands ou de l'archevêque de Salzbourg. Il espérait obtenir du pape la nomination d'Astrik comme archevêque métropolitain de Strigonie, il pourrait alors choisir les évêques que le nouvel archevêque sacrerait, et ainsi serait assurée l'existence du clergé hongrois en même temps que son autonomie.
Esztergom était la ville natale d'Étienne, mais cette raison ne fut pas la seule qui le décida à y fixer sa résidence; sa situation à l'extrémité occidentale du pays avait influencé son choix, car il aimait et cherchait à se rapprocher des pays plus avancés. Il voulut faire d'Esztergom la capitale religieuse de la Hongrie, il y réussit et, aujourd'hui encore, on pourrait la nommer la Rome hongroise.
Cathédrale Saint-Adalbert a Esztergom en Hongrie
Aux yeux du chef des Magyars, le titre de duc était insuffisant pour lui permettre de traiter sur le pied d'égalité avec les souverains voisins et pour faire admettre son pays parmi les puissances chrétiennes. Il savait que plus un chef est puissant, plus il inspire de respect; aussi, dès qu'il eut compris ce que pouvait devenir son peuple, forma-t-il le projet de fonder un royaume. Peut-être même fut-il question de ce projet au moment de son mariage avec la fille de l'archiduc de Bavière, mais il n'est resté nulle trace de ces pourparlers. Au moyen âge régnait l'idée que Dieu avait donné le gouvernement de la chrétienté à deux souverains, au pape pour les besoins spirituels, à l'empereur, pour les besoins temporels; eux seuls pouvaient disposer du pouvoir et en quelque sorte donner l'investiture. Le duché de Pologne, qui allait être érigé en royaume, en est un exemple. Le duc Chrobri Boleszláv savait qu'il ne pouvait obtenir que de l'empire et du Saint-Siège la couronne qu'il ambitionnait; il avait donc accepté la suzeraineté de l'Allemagne et le pape faisait préparer la couronne qu'il destinait au futur roi du Nord.
Cette suzeraineté, le duc Étienne ne voulait pas l'accepter et à aucun prix il ne l'eût subie. Il ne voulait pas non plus ériger de sa propre initiative son duché en royaume, car il voulait que cette transformation, ou plutôt cette élévation, eût tout le prestige dont elle pouvait être entourée, et il savait que l'Église seule pouvait l'opérer ainsi en lui donnant, en même temps, la consécration religieuse. Dans la pensée des hommes de cette époque, la couronne, conférée par le représentant de Dieu, était plus qu'un vain emblème, elle donnait à celui qui la recevait un caractère religieux. La reconnaissance d'un royaume par le pape unissait d'une façon indissoluble le principe politique et le principe religieux, elle créait des droits et des devoirs nouveaux, elle donnait au roi le droit de s'occuper des choses religieuses, mais en même temps elle lui imposait le devoir de défendre l'Église. Le duc des Magyars n'ignorait pas quelles responsabilités il allait assumer, mais il voulait une couronne royale et il ne voulait la tenir que du souverain pontife seul.
Grégoire V occupait le trône pontifical, il appartenait non-seulement a la famille impériale, mais encore il devait la tiare à Othon III (empereur du St-Empire Romain Germanique – Allemagne). Il était donc inutile à Étienne de tenter des démarches tant que les choses seraient en cet état. Othon III n`aurait pas plus permis un royaume indépendant de l`Allemagne que Grégoire V n`eut accordé une couronne royale contre la volonté de son protecteur impérial. Aussi le duc Étienne, tout en saisissant fort bien l'importance qu'aurait, pour le développement du christianisme, l'approbation par le Saint-Siège des mesures qu'il avait prises, ne voulait-il rien hâter. Il avait consulté son beau-frère, Henri de Bavière, et pris l'avis du prieur Astrik. Ce dernier, qui avait vécu quelque temps à Rome, avec l'évêque Adalbert, était au courant de ce qui se passait dans la Ville Éternelle, il put donc donner de bons conseils au duc Étienne qui les suivit, quoiqu'ils missent sa patience à une rude épreuve.
Sans se laisser décourager, le duc Étienne attendant que les circonstances devinssent plus favorables, continuait à organiser la future Église de Hongrie, partageant le pays en un certain nombre de provinces qui deviendraient des évêchés, les dotant de terres et de revenus, fondant des couvents, appelant des religieux qui répondaient avec empressements aux désirs du duc, leur assurant toute liberté et des avantages matériels considérables. Les églises et les chapelles semblaient sortir du sol fécond de la Hongrie que le sang des martyrs n'avait pourtant pas arrosés. Henri de Bavière avait fait partie de l'expédition impériale en Italie, on ne peut douter qu'il entre tint Othon de la situation de la Hongrie et il est certain qu'à Rome, il plaida la cause de son beau-frère qu'il aimait beaucoup. Il vit aussi Gerbert, évêque de Ravenne (Italie), et lui exposa ce qu'avait déjà fait le duc Étienne pour la conversion du peuple magyar et ce qu'il se proposait encore de faire pour la propagation et pour l'établissement définitif du christianisme. Ces faits n'étaient pas inconnus de Gerbert, qui avait l'habitude d'observer ce qui se passait et était fort au courant de tous les événements qui se produisaient en Europe. Grégoire V mourut en 999 Ap J.C. et son successeur fut le moine d'Aurillac, l'évêque Gerbert, qui prit le nom de Sylvestre II. L'archiduc de Bavière était encore à Rome au moment de l'élévation de Gerbert au trône pontifical.
Le nouveau pape se préoccupait beaucoup de la conversion des peuples païens et y attachait une grande importance; mais tout en la désirant, tout en y contribuant le plus largement possible, il apportait un grand soin à ne pas attenter à l'indépendance des peuples qui adoptaient l'Évangile; aussi, malgré la reconnaissance qu'il pouvait devoir à l'empereur, ne voulait-il pas créer de nouveaux vassaux à l'Allemagne. Les projets dont l`Archiduc de Bavière (Allemagne) avait entretenu l`évêque Gerbert devaient plaire au Pape Sylvestre II, et, lorsqu’en l`an 1000 Étienne envoya solennellement le supérieur du couvent de Pannonhalma, Astrik, à Rome les voies étaient préparées. Astrik avait pour mission d`exposer au Pape ce qu`avait fait le duc Étienne pour la conversion des Magyars et pour le développement du christianisme. En moins de trois ans, le peuple avait embrassé la foi nouvelle, le pays était prêt a recevoir les dignitaires de l`Église, les évêchés étaient fondés et dotés, le duc était prêt a en fonder de nouveaux, il priait donc le Saint-Père, par l`intermédiaire de son envoyé, de recevoir la Hongrie, nouvellement convertie, au nombre des États chrétiens, de lui donner sa bénédiction apostolique, d`approuver les évêchés, de confirmer les évêques nommés et en même temps d`agréer qu`il prit la qualité de roi et qu`il en portât les insignes afin de donner plus d`autorité a tout ce qu`il réglerait pour l`honneur de Dieu ainsi que pour la propagation de la foi et de la religion chrétienne.
Danses de Hongrie
Dernière édition par MichelT le Dim 28 Juin 2020 - 1:24, édité 1 fois
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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Re: Saint Étienne roi apostolique de Hongrie - comment la Hongrie est devenue un pays chrétien
Même sans y être conduit par un songe, le pape Sylvestre II eût accordé au duc Étienne la couronne que sollicitait son ambassadeur. Sa perspicacité et son sens profond des choses de la politique lui permettaient de saisir ce que la demande du duc des Hongrois avait de légitime et de fondé; grâce à une intuition remarquable, il se rendit compte des conséquences que pourrait avoir pour la chrétienté la fondation d'un nouveau royaume catholique à l'est de l'Europe. Aussi accorda-t-il sans hésitation tout ce que demandait Astrik : l'investiture royale et la confirmation de toutes les mesures que le duc avait prises pour l'organisation ecclésiastique de la Hongrie.
Outre le titre de roi, il décerna au duc Étienne le titre d'apôtre, et à la couronne, il joignit la croix apostolique, semblable à celle des nonces et des légats. Le Saint-Siège accordait ainsi au premier roi de Hongrie, le droit de représenter le pape dans ses États et par conséquent d'y organiser les diocèses, de distribuer les bénéfices et d'en choisir les titulaires. Les successeurs du roi Étienne placèrent la croix apostolique dans leurs armes et, avec la dénomination d'apôtres, conservèrent la puissance apostolique. A la fin du onzième siècle, saint Ladislas et Kálmán le Bibliophile, son successeur, exercèrent dans toute sa plénitude ce droit que le pape Grégoire VII venait de confirmer. Le Saint-Siège essaya, au douzième siècle, d'amener Béla III à renoncer à quelques-unes des prérogatives accordées par Sylvestre II, mais le roi de Hongrie, tout en restant plein de déférence à l'égard de la Cour de Rome, ne voulut abandonner aucun de ses droits ; il voulait conserver à l'Église hongroise l'indépendance que ses ancêtres lui avaient acquise.
Lorsque l'invasion des Mongols eut ruiné la Hongrie, Béla IV dut songer à la réorganisation de son royaume; il le fit sur les mêmes bases que l'avait établi le roiÉtienne. Quelques évêques prétendirent alors ne tenir leurs titres et leurs droits que du Saint-Siège, le roi protesta et Innocent IV enjoignit aux prélats hongrois de se soumettre aux constitutions anciennes. Les rois de la famille d'Arpád qui succédèrent à Béla IV continuèrent à défendre l'autorité apostolique qui leur avait été conférée.
Invasions des Mongols en Hongrie en 1237 Ap J.C.
Les princes d'Anjou, malgré ce qu'ils pouvaient devoir à Rome, ne laissèrent pas attenter aux privilèges religieux légués par leurs prédécesseurs, et Sigismond fit confirmer, en 1414, au concile de Constance, le titre de légat perpétuel du roi de Hongrie, en même temps que l'indépendance de l'Église magyare. Le roi de Hongrie porte aujourd'hui encore, dans les actes officiels, le titre de Roi Apostolique.
Ainsi qu'on vient de le voir, le nouveau royaume ne fut pas seulement traité par Sylvestre II sur le même pied que les autres puissances chrétiennes de l'Europe, que la France, que l'Allemagne, mais encore le Saint-Siège lui accordait des faveurs qu'aucun autre peuple n'avait obtenues. Et malgré ces rares prérogatives, la Hongrie n'aliéna nullement son indépendance; l'Allemagne n'avait fait aucune opposition à l'érection du duché en royaume, l'évêque de Salzbourg avait renoncé à son rêve de devenir le métropolitain des évêques hongrois et d'imposer son autorité à la nouvelle Église magyare.
On avait compris à Rome que la Hongrie ne serait tout à fait catholique que si elle restait absolument libre, et les historiens allemands commettent une erreur lorsqu'ils disent que le duc Étienne obtint la couronne royale de Sylvestre II « sur les conseils et par la grâce d'Othon III ». Du reste, la lettre remise, en même temps que les insignes de la royauté, par le pape à l'envoyé du duc Étienne, prouve que l'empire d'Allemagne ne fut pour rien dans la fondation du royaume de Hongrie.
Pour les Magyars, la Sainte Couronne n'est pas un simple emblème, c'est la royauté elle-même ;elle n'appartient pas à celui qui en est possesseur, elle reste la propriété du peuple; elle est, comme nous l'avons dit, le palladium sacré de la nationalité hongroise. Quoique pendant trois siècles la royauté semble héréditaire, elle ne l'est pas dans le sens absolu du mot; les Hongrois restent fidèles au serment de leurs ancêtres, ils choisissent pour souverain « un membre de la famille d'Almos ». Mais cette élection ne suffit pas, d'après le droit nouveau, c'est une préparation à la royauté, le couronnement seul fait les rois. « Non est rex nisi coronatus.»
Les décrets d'un roi élu, mais non couronné, étaient sans valeur, ils n'acquéraient force de loi que si le roi les sanctionnait après son couronnement. Si l'élu mourait avant d'être couronné, ses actes étaient considérés comme nuls et son nom ne figurait pas sur la liste des rois. Quand plus tard l'Église, ayant des différends avec les rois de Hongrie et la noblesse, essaya de transporter à une autre couronne les bénédictions attachées à la Sainte Couronne, ce fut toujours sans résultat. Le peuple n'avait foi qu'en la couronne de saint Étienne. On essaya même une fois d'en composer une avec les reliques du saint roi, on la posa sur la tête du nouveau monarque, mais son imposition ne fit pas un roi. Aussi les reines qui n'exerçaient pas le pouvoir étaient-elles couronnées sur l'épaule droite. Marie d'Anjou, fille de Louis le Grand, qui fut couronnée roi de Hongrie exerça effectivement le pouvoir royal.
La constitution politique hongroise donna à la Sainte Couronne une juridiction spéciale, elle avait des officiers chargés de veiller sur elle comme sur le plus précieux dépôt. Enfermée dans un triple coffre en fer, la Sainte Couronne était déposée à Buda, dans une partie de l'église du château qui était munie d'une porte solide, constamment surveillée. Ces mesures prouvent quelle importance on attachait à la conservation de l'emblème de la royauté ; cependant ces précautions ne l'empêchèrent pas d'être exposé à plus d'une vicissitude. Un prétendant parvint un jour à s'emparer de la Sainte Couronne et l'égara en chemin..... En 1440, Élisabeth voulant défendre les droits de son fils, Ladislas le Posthume, contre le roi de Pologne mit la Sainte Couronne en gage chez un de ses parents, Frédéric III, empereur d'Allemagne, pour se procurer les ressources qui lui manquaient.
Par suite du refus de Frédéric de restituer la couronne, une guerre acharnée s'engagea entre lui et le roi Mátyás Corvin; enfin un traité fut conclu et la couronne rendue à la Hongrie. Un écrivain contemporain raconte que lorsque le roi la ramena de Vienne, les Hongrois voulurent traîner, avec des rubans et des guirlandes, le carrosse qui la renfermait, et que les paysans accoururent des points les plus éloignés du royaume pour la reconnaître et se prosterner devant elle. Après le désastre de Mohács, lorsque Soliman envahit la Hongrie, l'empereur Ferdinand voulut enlever la couronne de Visegrád ; mais les gardiens s'y refusèrent, sans un décret de la Diète. Leur excès de zèle fit perdre un temps précieux, pendant ces discussions, les Turcs pénétrèrent dans la forteresse et s'emparèrent de la couronne dont ils firent cadeau à Szapolyai, qui la restitua à Ferdinand lorsque la paix fut signée.
La Sainte Couronne Royale de Hongrie
Le fils de Marie-Thérèse, Joseph II, dont les Hongrois avaient sauvé le trône impérial, mit tout en oeuvre pour s'emparer de la Sainte Couronne, qui se trouvait alors au château de Presbourg ; sous le prétexte qu'il voulait établir une faculté de théologie dans le château, il donna l'ordre aux duumvirs d'envoyer la couronne à Vienne. On protesta contre cet acte arbitraire, mais en vain ; un second ordre, comme Joseph II savait en donner, brisa toute résistance. Le palladium de la Hongrie lui fut en levé et transporté en Autriche. La nation protesta encore, elle s'opposa aux innovations de l'empereur roi, qui comprit enfin qu'il fallait compter avec la volonté d'un peuple énergique et il lui restitua les emblèmes royaux. La Sainte Couronne fut rapportée, en 1790, au château de Buda et saluée par une salve de cinq cents coups de canon. Pendant que le canon tonnait encore, Joseph II rendait le dernier soupir.
N'ayant pas été couronné roi de Hongrie, il ne compte pas parmi ses souverains légitimes. Depuis le commencement du dix-neuvième siècle, la couronne subit encore plusieurs changements de résidence; au moment des guerres de Napoléon I, elle fut transportée à Munkács, puis à Buda et à Éger, pour revenir enfin à Buda; la guerre pour l'Indépendance l'exposa à de nouveaux périls; elle fut transportée à Debreczen et de là, à Orsova, mais les derniers combattants qui l'y avaient apportée ne voulurent pas qu'elle quittât le sol de la patrie. Avant de prendre le chemin de l'exil, ils cherchèrent un endroit favorable pour la mettre à l'abri; leur choix tomba sur un rocher, au pied du mont Alion, dans la vallée qu'arrose la Czerna avant de se jeter dans le Danube.
Ce ne fut qu'en 1853 qu'on la retrouva ; elle fut ramenée par un bateau spécial à Vienne et transportée ensuite à Buda où elle est maintenant conservée. Le roi de Hongrie, François-Joseph, a fait ériger une chapelle au pied du mont Alion et une plaque de marbre blanc marque l'endroit précis où la Sainte Couronne reposa. Quelques historiens ont constaté que chaque fois que, par un événement quelconque, la Sainte Couronne n'a plus été en la possession des Magyars, la vie politique a paru suspendue chez la nation. Dès qu'Astrik fut de retour, le duc Étienne fixa la date de son couronnement; il choisit un jour cher à son coeur, celui de l'Assomption de la Vierge Marie. La cérémonie eut lieu à Esztergom, le 15 août de l'an 1001. Le roi Étienne et la reine Gizela furent couronnés avec toute la pompe que les Hongrois d'alors savaient déjà déployer et à laquelle s'ajouta la solennité des consécrations religieuses. L'onction sainte dont le représentant de l'Église marquait le front du nouveau roi faisait descendre en lui la délégation divine du pouvoir; le roi sacré devenait, de par Dieu, le chef de l'État, mais, en même temps aussi, le père du peuple. Car, dans l'esprit de l'Église, le sacre n'était pas une reconnaissance de la puissance royale sur le peuple, c'était surtout une consécration de l'union indissoluble formée entre le peuple et son roi. Aussi, lorsque le prélat consécrateur, avant de poser la couronne sur la tête du nouveau roi, consulte par trois fois les assistants et le peuple, se trouve-t-il d'accord avec les anciennes traditions politiques et les droits des Magyars. Cette consultation du peuple, dans la cérémonie du couronnement, est une réminiscence des usages pratiqués autrefois pour l'élection des chefs et dans aucun pays peut-être ne s'est trouvée plus justifiée la maxime : Omnis potestas a Deo per populum.
LES COMBATS DE SAINT ÉTIENNE.
Plus d'une fois, le roi Étienne dut interrompre ses travaux d'apôtre pour brandir le sabre de ses ancêtres ; il le fit à regret, non pas qu'il manquât de courage ou de vaillance, ses historiographes mentionnent son intrépidité et sa bravoure, mais il redoutait la guerre à cause des maux qu'elle occasionne. Aussi pendant son long règne ne le vit on entreprendre ni guerre de conquête ni guerre offensive, il ne consentit à prendre les armes que pour protéger la religion ou pour défendre les frontières de son pays.
Le paganisme essayait encore de redresser la tête, il avait des partisans assez nombreux pour lui laisser croire que la lutte ne serait pas vaine; il faisait appel aux sentiments patriotiques des Magyars et leur montrait dans les missionnaires des étrangers, des intrus qui venaient médire du dieu national et cherchaient à détruire tout ce que vénéraient les ancêtres.
L'esprit de la vraie foi n'avait pas encore touché tous les coeurs ni jeté d'assez profondes racines dans les âmes pour que même les convertis restassent insensibles aux appels de leurs anciens compagnons d'armes. L'orgueil y était pour quelque chose, car ils n'avaient pas admis sans un vif mécontentement, ce prélèvement du dixième sur leurs récoltes; il leur semblait qu'on leur infligeait une humiliation qui pouvait les abaisser aux yeux de leurs serviteurs. Aussi lorsque Gyula, duc de Transylvanie et parent du roi leva l`étendard de la révolte, vit-il les païens venir se ranger sous sa bannière; d`assez nombreux mécontents augmentèrent le nombre des rebelles et Guyla se crut assez fort pour tenir tête au roi de Hongrie. Étienne, toujours conciliant, fit des représentations au duc de Transylvanie pour l`engager à se convertir au catholicisme romain et à déposer les armes. Le duc ne voulut rien entendre, il refusa de se convertir et ne consentit pas davantage à reconnaître la Constitution dont le roi venait de jeter les premiers fondements.
Tout au contraire, ne trouvant pas assez nombreux les Hongrois mécontents réunis autour de lui, il s`allia au prince des Petchenègues ( un peuple nomade d`origine turque), Kean et envahit la Hongrie, ravageant et pillant sans pitié. Le roi, comme au moment de la révolte de Koppány, vit qu`il ne pouvait user d`indulgence, on l`eut prise pour de la faiblesse, il convoqua donc ses guerriers et se mit en route pour combattre les révoltés. Il les joignit et une bataille décisive s'engagea. Gyula fut fait prisonnier avec ses deux fils. Étienne confia le gouvernement de la Transylvanie au voïvode Zoltán et, pour favoriser le développement du christianisme, fonda l'évêché de Gyula-Fehérvár; en même temps, il fit construire un vaste monument destiné à loger le chapitre de la nouvelle cathédrale.
Le roi traita ses prisonniers avec beaucoup de douceur; cette clémence toucha le coeur du rebelle et lui fit faire de salutaires réflexions qui l'amenèrent à une juste compréhension de sa situation; il manifesta le désir d'adopter le catholicisme de Rome et reçut le baptême en même temps que ses deux fils. Cédant alors aux instantes sollicitations de l'épouse de Gyula, Étienne lui rendit la liberté et, voulant lui témoigner la confiance que lui inspirait sa soumission, le nomma gouverneur de Székesfe hérvár; il n'eut, du reste, pas à regretter cet acte de générosité. Cette lutte du premier roi des Hongrois contre le dernier duc des Magyars mit fin à toutes les révoltes et tant que vécut Étienne le Saint, le paganisme ne releva plus la tête. Mais la défaite de Gyula n'avait pas découragé ses alliés, les Petchénègues, peuplade barbare que Kean continuait à commander. Ils harcelaient les habitants de la Transylvanie, pillant, saccageant quand l'occasion s'en présentait. En l'année 1003, le roi prit le parti de mettre fin à cette cause de troubles et de désordres; les Petchénègues s'étaient réfugiés dans les montagnes, les troupes hongroises les y poursuivirent et les forcèrent au combat. La bataille fut sanglante, Kean tomba enfin mortellement blessé et les Petchénègues, pris de panique, s'enfuirent, laissant aux mains des Hongrois leurs tentes et leurs bagages renfermant les trésors enlevés en Grèce. Le roi décida que ces trésors seraient employés à la construction des églises de Buda et de Székesfehérvár.
La mort de leur chef n'arrêta pas longtemps les Petchénègues, toujours prêts à se battre et toujours avides de pillages et de rapines. Les richesses de la Grèce les attiraient souvent, mais ils ne dédaignaient pas non plus le butin qu'ils pouvaient faire en Hongrie. Ce fut ainsi qu'en 1026, ils envahirent de nouveau le pays, en pénétrant par le défilé de Törcsvár. Cette incursion des Petchénègues a donné lieu à un incident dont les historiens nous ont transmis le récit. Le roi Étienne était à l'ouest du pays cherchant au milieu du calme de la nature quelques instants de repos, son corps et son esprit en éprouvaient le besoin, après tant de travaux que ses ancêtres n'avaient pas pratiqués et auxquels l'hérédité ne l'avait pas préparé.
Il venait à peine de céder au sommeil, quand il vit en songe les Petchénègues envahissant la Hongrie ; d'une voix forte que ceux qui l'entouraient entendirent fort bien, il s'écria : « Que venez-vous faire ici ? pourquoi voulez-vous détruire la sainte Église, pourquoi voulez-vous anéantir le troupeau du grand Pasteur ? Fuyez au loin ! Dieu m'a confié la garde et la défense de saint Martin (Par ces paroles, le roi faisait sans doute allusion au Mont de Pannonie, où naquit saint Martin et, par extension, à la Pannonie tout entière.) qui ne tolérera pas que vous détruisiez son patrimoine ! » Ayant prononcé ces paroles, le roi s'éveilla et appela l'homme d'armes qui gardait toujours l'entrée de sa tente, prêt à exécuter ses ordres ; mais l'ayant regardé, Étienne le renvoya en disant : « Je ne puis te confier cette mission, fais venir un autre soldat qui me sera plus fidèle. » Le second homme d'armes ne fut pas trouvé meilleur et au troisième seulement, le roi dit : « Pars, et va sans t'arrêter trouver le comte de Transylvanie, dis-lui de rassembler ses troupes et d'être sur ses gardes, car l'ennemi va envahir le pays. »
L'envoyé ne perdit pas un instant, sautant sur un rapide coursier qu'il échangeait contre un autre aussi souvent que possible, il traversa la Hongrie et arriva bientôt en Transylvanie où il transmit au comte l'ordre dont il était chargé. Les troupes furent bientôt rassemblées, mais déjà les Petchénègues avaient envahi le pays et ce fut près de Fehérvár que la rencontre des combattants eut lieu. Les Hongrois, quoique à peine préparés, remportèrent la victoire après une lutte sanglante ; beaucoup de morts jonchèrent le champ de bataille et les vainqueurs firent de nombreux prisonniers. La nouvelle de cette victoire parvint rapidement au roi Étienne, qui en remercia la Providence et en reporta tout le mérite au véritable vainqueur, à Dieu même. Quelques siècles plus tard, l'immortel Hunyady ayant remporté une victoire décisive sur les Ottomans, ne voulut pas non plus avoir l'honneur de ce triomphe, il en attribua tout le mérite à son véritable auteur, au Dieu des armées que ses troupes avaient invoqué à genoux. Il ordonna, par un décret, que pendant trois jours, non seulement les combattants, mais encore les habitants de la Transylvanie adresseraient des actions de grâce «au véritable vainqueur, au vainqueur céleste.»
SAINT ÉTIENNE ET SAINT IMRE
SAINT IMRE - ou Saint Emeric de Hongrie (1006 a 1031)
Des nombreux enfants que le Ciel avait accordés aux pieux souverains de la Hongrie, un seul, l'archiduc Imre, dépassa l'enfance, et encore pour être fauché dans la fleur de la jeunesse, emportant dans la tombe tout le bonheur de son père, toutes les espérances du peuple, qui attendait de lui la continuation des oeuvres de saint Étienne. Dès sa plus tendre enfance le jeune Imre avait manifesté une piété remarquable. Il tenait de son père une foi vive, ardente, que l`exemple et les exhortations de sa mère, la pieuse Gizela n`avaient fait que développer. Les exercices religieux qu`elle lui avait appris à pratiquer au cour de la journée ne suffisaient pas à sa ferveur et on le voyait quelquefois, alors que tous reposaient autour de lui, se relever au milieu de la nuit pour chanter les louanges du Seigneur ou demander pardon à Dieu de ses fautes.
A une piété rare chez un enfant, le jeune archiduc joignait un caractère vif qui n'excluait pas la sensibilité. Son bon coeur était bien connu des pauvres, qui avaient souvent recours à son intervention, car ils savaient que les souverains ne refusaient rien à leur fils quand, ses petites mains jointes et le regard suppliant, il les implorait en leur faveur. Souvent ses reparties enfantines étaient empreintes de tant d'esprit ou de profondeur que son entourage en était confondu, aussi le roi aimait-il à emmener son fils dans ses voyages à travers la Hongrie, surtout lorsqu'il devait visiter des monastères, et ce fut ainsi qu'Imre, alors âgé de sept ans, l'accompagna un jour qu'il se rendait à l'abbaye de Pannonhalma. Le char royal gravissait lentement les chemins abrupts qui mènent au sommet du mont Pannonien, les religieux, avertis de l'arrivée du roi, avaient quitté le couvent et venaient à sa rencontre, bannière déployée; les deux cortèges n'avançaient pas assez vite au gré du jeune Imre, impatient d'embrasser les bons moines qu'il aimait beaucoup, aussi quitta-t-il son père pour courir à leur rencontre.
Bientôt le roi le rejoignit et remarqua, non sans surprise, que l'enfant embrassait certains religieux une fois, d'autres, deux fois, d'autres encore, trois fois, mais à un Bénédictin, nommé Maurice, il donna sept baisers. Curieux de connaître la raison des préférences de son fils, le roi lui demanda pourquoi il agissait ainsi : Je ne sais, répondit le jeune Imre; mais c'est Dieu qui m'a inspiré la pensée de donner aux religieux d'autant plus de baisers qu'ils ont plus de ferveur et une foi plus vive. Cette réponse ne fit qu'augmenter la curiosité du roi en y ajoutant encore le légitime désir de se rendre compte si vraiment son fils avait obéi à une inspiration divine lui permettant de juger du degré de piété des religieux. Il suivit d'un regard attentif tous les faits et gestes des moines, et la nuit, alors que les Bénédictins, prosternés devant les différents autels, attendaient en méditant que l'aube fût venue, le roi se rendit auprès de chacun d'eux et leur adressa la parole à tour de rôle. Malgré la règle qui leur imposait le silence pendant leurs méditations, les religieux interrompirent leurs prières pour répondre au roi ; mais parvenu au moine qui avait reçu sept baisers, le roi n'obtint aucune réponse, ses appels réitérés ne parvinrent pas à distraire le pieux Maurice qui continua impassible ses oraisons, quand enfin il les eut terminées, il se leva et dit au souverain qui était resté là : — Je ne pouvais quitter le service du Roi des Cieux pour satisfaire un roi de la terre.
Le lendemain, le roi feignit de se plaindre au Supérieur du manque de respect du religieux, il l'accusa même de plusieurs méfaits dont il le savait innocent; le Bénédictin ainsi faussement accusé ne se défendait pas : courbant la tête, il acceptait, en toute humilité, l'épreuve que Dieu lui envoyait. Le Supérieur se disposait à lui appliquer dans toute sa rigueur le châtiment que méritaient les fautes dénoncées par le roi, quand il vit le souverain se jeter dans les bras du moine silencieux et l'embrasser en disant : — Mon fils avait raison, tu es bien le plus parfait des religieux. Il me faut des évêques comme toi. Le religieux se prosterna devant le roi, le suppliant de ne pas lui imposer cet honneur ; mais Étienne savait trop le bien que pourrait faire comme, évêque un religieux de cette valeur pour ne pas appeler à l'épiscopat celui que Dieu avait paru lui dé signer, et Maurice fut nommé évêque de Pécs. Le roi ressentit de cet incident une profonde émotion, car il y reconnaissait la manifestation de la volonté de Dieu en faveur de son fils, il voyait en Imre un élu du Seigneur qui pourrait un jour lui succéder et parfaire son oeuvre. Ce fut l'évêque Maurice qui bientôt attira l'attention du roi sur le Bénédictin Gellért, que des circonstances particulières avaient amené en Hongrie et qui allait devenir le précepteur du jeune archiduc.
Sa piété, son éloquence, ses grandes qualités lui valurent de bonne heure la charge de prieur, mais bientôt il résigna ses fonctions pour faire un voyage en Terre Sainte. La Providence en avait sans doute décidé autrement, car à peine Gellért était-il embarqué qu'une tempête éclata et le navire fut jeté sur la côte dalmate. Le pèlerin, recueilli au couvent de Saint-Martin, érigé non loin de la mer, y retrouva d'anciens condisciples. Il passa dans cette retraite le temps du Carême. En la quittant, il se rendit auprès du pieux Maurice, devenu évêque de Pécs, qui essaya de le faire renoncer à son voyage en Palestine, lui démontrant que sa mission était plutôt d'évangéliser la Hongrie. Entre temps, le Supérieur du monastère de Pécsvár vint chez l'évêque Maurice, il vit Gellért, se rendit compte de sa valeur et, joignant ses conseils aux instances de son hôte, décida le Bénédictin à renoncer pour le moment au pèlerinage projeté. A l'occasion d'une fête de la sainte Vierge, il l'emmena à Székesfehérvár où le roi et la reine, entourés de la cour, avaient l'habitude d'assister aux cérémonies religieuses. Gellért prononça un sermon qui fit sur les assistants une impression si profonde que personne ne se lassait d'admirer, non seulement l'éloquence de l'ancien prieur, mais encore la transcendance de ses pensées et l'élévation de ses sentiments. Les souverains en furent profondément émus. Étienne manda le prédicateur et, après l'avoir longuement entretenu, lui donna la marque de la plus grande confiance qu'il pouvait témoigner à quel qu'un : il le chargea du soin d'instruire son fils, l'archiduc Imre. Sa confiance ne fut pas trompée, Gellért fit d'Imre un prince modèle que l'Église plaça sur ses autels.
Le roi fit installer son fils et son précepteur dans un château pour que tous deux pussent vivre loin du bruit et des distractions du monde ; cette disposition plut beaucoup à l'enfant. Gellért trouva en Imre un élève docile qui s'appropria rapidement les connaissances nécessaires alors à un prince. Mais en même temps que son pieux précepteur lui inculquait les principes de la science, il lui ouvrait aussi les arcanes de la connaissance de Dieu ; il lui apprenait à n'estimer les biens de la terre qu'à leur juste valeur et lui expliquait l'inanité de la gloire terrestre ; il lui enseignait le maniement des armes que la foi donne aux chrétiens : la prière, l'aumône, le jeûne, et lui démontrait que le roi le plus puissant de la terre est, avant toute chose, le serviteur de Dieu.
L'âme du jeune prince s'enthousiasmait à ces enseignements qui répondaient si bien aux aspirations de son coeur. Quand Gellért eut terminé l'éducation du jeune archiduc, il supplia le roi de le laisser se retirer dans la forêt de Bakony où il voulait vivre dans la solitude en se livrant à la prière et à la méditation. Il y passa sept années et, pour l'obliger à quitter sa retraite, le roi le nomma évêque de Csanád. La renommée de sainteté du pieux ermite s'était répandue, et quand il fit son entrée dans sa ville épiscopale, le peuple se précipita sur son passage, riches et pauvres voulaient recevoir le baptême de la main de Gellért. Le várispán lui-même amena de nombreux habitants qui tous voulaient se convertir. Parmi les dix Bénédictins qui se trouvaient à l'évêché, sept connaissaient la langue magyare et instruisaient le peuple dans sa langue maternelle. Les progrès du christianisme furent rapides dans la contrée de Csanád; les nouveaux convertis se trouvaient si heureux qu'ils cherchaient toutes les occasions de prouver leur reconnaissance à Dieu et à son ministre. Gellért leur inspirait une si vive admiration qu'elle ne tarda pas à se manifester d'une manière effective; trente nouveaux chrétiens lui amenèrent leurs fils en le priant de les instruire pour les consacrer ensuite au service du Seigneur. Cette démarche spontanée plut à l'évêque qui accueillit avec bienveillance les jeunes gens qu'on lui présentait et les fit instruire sous sa direction. Telle est l'origine du premier séminaire en Hongrie. Les prêtres qui en sortirent furent destinés au clergé séculier.
A l'occasion de la fête de saint Jean, une députation de cent personnes vint trouver l'évêque pour le prier de bénir un emplacement destiné à la construction d'une église. Gellért, touché du zèle des fidèles, acquiesça avec empressement à leur désir et de plus, les invita tous à sa table. En se retirant, ses invités lui offrirent de nombreux présents; les hommes, des tapis, des chevaux, des boeufs; les femmes, des bijoux, des chaînes d'or, etc. « Mais vous ai-je invités pour que vous vous dépouilliez de vos trésors ? dit l'évêque, je ne vous ai demandé que d'écouter la parole de Dieu ! » Tous les assistants lui répondirent : « Saint Père, tu as dit que comme l'eau éteint le feu, de même l'aumône efface le péché. Accepte donc ce que nous t'offrons, au nom du Christ à la vie de qui tu nous as fait naître. »
Voici les Conseils que le roi avait rédigés pour son fils et que le jeune archiduc avait accueillis avec la plus grande déférence. Ils donnent la notion précise des principes du saint roi et de sa manière d'envisager les devoirs et les obligations d'un chef d'État; nous en citerons quelques fragments :
Tout d'abord, le roi établit ce principe, bien libéral pour l'époque, que chaque pays doit vivre selon ses propres lois et chaque peuple conserver ses usages. Il insiste ensuite sur l'importance des grands exemples légués par les ancêtres et dont le souvenir doit se perpétuer de génération en génération. De même qu'il avait établi l'hérédité dans la famille d'Arpád, de même, il avait décidé que nul ne pourrait porter la couronne royale s'il n'appartenait à la religion catholique, apostolique, romaine. Aussi dit-il à son fils :
« Avant tout, je te conseille et je t'ordonne de veiller avec soin et vigilance sur la foi catholique, c'est, dans notre pays, une plante nouvelle qui réclame des précautions infinies; par nos prières incessantes, nous avons obtenu de Dieu la grâce de la voir fleurir, il ne faut pas que par ton inertie ou ton irréflexion, elle soit endommagée ou détruite. De jour en jour, l'Église doit progresser, et, à aucun prix, tu ne dois lui laisser subir le plus petit amoindrissement, la plus légère dépréciation; plus l'Église sera grande et puissante, plus ta couronne sera glorieuse, ta vie heureuse. Si tu rencontres des hommes qui attaquent l'Église et mettent en doute les vérités de la religion, considère-les comme des serviteurs infidèles, éloigne-toi d'eux pour que l'on ne puisse pas supposer que tu penses comme eux et que tu te révoltes contre Dieu.
Les évêques sont les ornements du trône, ils doivent occuper la troisième place dans les institutions du Royaume. Considère-les mon cher fils, comme tes supérieurs, vieille sur eux comme la lumière de tes yeux. Si tu es en bon rapport avec eux, tu n`auras a redouter aucun ennemi, et si eux veillent sur toi, tu peux être tranquille car leurs prières sont agréables à Dieu qui les a placé sur la terre pour être les surveillants des âmes. Ils sont les dispensateurs des sacrements, ils représentent la dignité de l`Église. Un autre ornement du trône est formé par les seigneurs et les chevaliers, leurs courage leur vaillance, leur force et, en même temps, leur noblesse, leur courtoisie en font une des bases puissantes du royaume; ils sont les défenseurs de la patrie, les gardiens de ses frontières et de plus, mon cher fils, ils sont les frères de ton père. Ne les nomme pas tes serviteurs, ils combattent pour toi, mais ne servent pas. Gouverne-les sans orgueil et sans jalousie, sois doux envers eux et que ton esprit n'oublie jamais que tous les hommes sont égaux. Sois pacifique et l'on te nommera héroïque : si tu es orgueilleux, présomptueux, si tu cherches à humilier les seigneurs, ils sauront amoindrir ta dignité, et ton royaume passera à un autre.»
Le roi Étienne termine ses recommandations par une exhortation suprême, il enjoint son fils d`accorder toujours à la religion la place d`honneur qui lui revient dans tout pays chrétien.
« Je te conseille, te commande de veiller avec vigilance sur la foi; accomplis de bonnes actions car sans actes la foi ne vit pas; il faut que tu serves d'exemple aux peuples que Dieu t'a confiés, et il faut que l'Église puisse te nommer véritablement son fils. Prie, mon cher fils, car la prière efface le péché et nous garde des mauvaises pensées; prie pour obtenir la sagesse et la bonté. Si tu as l'âme mauvaise et si tu n'es pas miséricordieux, tu porteras vainement le titre de roi, on te nommera tyran. C'est pourquoi, je te prie, mon fils bien aimé, joie de mon cœur, espoir de ton futur royaume, sois bon envers tous, non seulement envers tes parents, tes princes, tes chefs d'armée, mais encore envers tes voisins, tes inférieurs, et surtout envers les étrangers qui viennent à toi. Sois pitoyable à tous ceux qui ont souffert de l'abus de la force. Sois patient avec les grands et surtout avec les pauvres, les malheureux. Enfin, sois fort pour que le bonheur ne t'enorgueillisse pas et que le malheur ne te décourage pas. Sois humble pour que Dieu t'élève et t'accorde les vertus qui forment la couronne royale. »
L`Archiduc était apte à comprendre les conseils de son père et il eut été capable de les appliquer, mais Dieu ne le permit pas, une mort prématurée l`ayant enlevé aux espérances de tout un peuple.
FONDATIONS DE SAINT ÉTIENNE
Budapest - Hongrie
Le duc Étienne n'avait pas eu besoin de l'expérience de longues années pour comprendre l'importance du rôle que les religieux étaient appelés à exercer en Hongrie pour la propagation de la foi. Il considérait les monastères comme les piliers de la religion qu'il voulait faire connaître à ses peuples, aussi la fondation de nombreux couvents fut-elle une de ses œuvres de prédilection. Ce fut aussi le roi de Hongrie qui fonda l'archevêché d'Esztergom et les dix évêchés de Kalocsa, Veszprém, Pécs, Bács, Györ, Nagyvárad, Eger, Vácz, Gyula-Fehérvár et Csanád. La construction et la dotation des églises étaient prévues par la Constitution, ce qui n'empêcha pas le pieux monarque de se préoccuper avec un zèle touchant de l'érection de quelques-uns de ces édifices superbes destinés à la gloire de Dieu et sur tout à la gloire de la Vierge Marie; nous ne citerons que quelques-unes des églises construites sur les ordres et les indications du roi.
Sur une colline, non loin de l'Herculia des Romains, le duc Étienne avait fait construire une forteresse, le roi voulut y joindre une église ; bientôt une magnifique cathédrale y dressa la fière silhouette de ses quatre tours et Székesfehérvár devint le siège de la cour royale. Cette église était destinée à la sépulture des rois de Hongrie et Étienne en surveilla l'édification avec un soin jaloux. Il avait fait venir des artistes de la Grèce, de l'Italie et aussi de l'Allemagne. L'église que le roi fit ériger en l'honneur de son patron, saint Étienne, premier martyr, fut plus tard convertie en église paroissiale sous le nom d'Ecclesia S. Stephani in Piscina.
L'église d'Esztergom fut construite avec une somptuosité aussi grande et dotée avec une munificence égale. D'autres édifices, tout aussi luxueusement décorés, s'élevèrent sur le sol de la Hongrie, malheureusement on en retrouve peu de traces, car les terribles invasions des Ottomans (turcs) achevèrent de détruire ce que les hordes sauvages de Gengis-Khan avaient épargné. Là où les circonstances ne permettaient pas d'ériger de splendides monuments, on se contentait, en attendant, d'humbles constructions en bois, couvertes de roseaux et décorées de peintures naïves, retraçant les mystères de la religion. L'église de Marosvár, élevée en l'honneur de saint George, renfermait un autel magnifique dédié à la Vierge Marie; sur un ordre formel du roi, deux prêtres âgés devaient aller, d'heure en heure, encenser cet autel, à l'aide d'un fort bel encensoir en argent qui ne pouvait être employé qu'à cet usage. En Transylvanie, le roi fit construire l'église Saint-Michel ; elle fut érigée, dit-on, sur l'emplacement d'un temple païen. Les murs primitifs ont été détruits et l'église actuelle fut reconstruite par Hunyady.
Outre dix évêchés, saint Étienne fonda douze chapitres, soixante basiliques, plus de cent monastères, d'innombrables hôpitaux pour les malades, des hôtelleries pour les pèlerins, etc. Mais l'activité du roi et son zèle ne s'arrêtaient pas à la limite de ses États; de même qu'il accueillait cordialement les étrangers, de même il voulait que son peuple trouvât bon accueil au dehors et, pour le lui assurer, il fonda des couvents dans d'autres pays. Selon les usages du temps, ces couvents recevaient les voyageurs et les malades.
L'assurance de trouver partout bon gîte et affable réception encouragea les Hongrois à voyager, c'était là ce que voulait le roi, il savait que son peuple avait tout à gagner au contact de nations plus civilisées et il espérait aussi que les pèlerinages à Rome et en Terre Sainte affermiraient sa Foi. Il choisit Ravenne (Regensburg en Allemagne), où la vie politique et religieuse était alors fort intense, pour y fonder un couvent; les religieux qui y résidaient devaient recevoir avec empressement les voyageurs qui se rendaient à Rome pour visiter les tombeaux des apôtres et rendre hommage au successeur de saint Pierre.
Quoique les archives du Vatican concernant la Hongrie aux onzième, douzième et treizième siècles aient été détruites par le feu, on sait que les rapports de saint Étienne et de ses successeurs avec le Saint Siège ont été fréquents et les vestiges de quelques monuments attestent du soin que prit le fondateur de la monarchie hongroise pour faciliter à ses sujets le séjour dans la Ville Éternelle. Sur le mont Cœlius, il fit construire une maison destinée à loger les représentants qu'il envoyait lui-même au pape ; sur le portail de la chapelle, on lisait encore beaucoup plus tard : « Ecclesia hospitalis S. Stephani regis Ungarorum »; une hôtellerie y était annexée pour recevoir les pèlerins hongrois, elle fut restaurée au quinzième siècle par un magnat magyar.
Dès que la Gaule avait connu le christianisme, elle avait voué un culte à la Vierge et était bientôt devenue le royaume de Marie, regnum Galliae, regnum Mariae; cependant, il fallut arriver au dix septième siècle et attendre le concours de circonstances particulières pour que le roi de France consacrât solennellement son royaume à la Mère de Dieu. La Hongrie fit des progrès plus rapides dans la dévotion à Marie. Elle n'attendit pas l'élan imprimé par saint Bernard à cette belle croyance, elle n'eut pas besoin de l'établissement du Rosaire par saint Dominique, ni de la prédication du dogme de l'Immaculée Conception par les Franciscains pour se consacrer à la Vierge Marie et la choisir pour Patronne. Ce fut peu de temps après l'an mille que le roi Étienne lui offrit son royaume et Notre Grande Dame devint la Patrona Hungariœ. Le roi Ladislas le Saint, qui mourut en 1095, confirma la décision prise par le roi Étienne.
Toujours éprise d'idéal, l'âme magyare avait trouvé un aliment dans l'une des conceptions les plus poétiques qu'offre la foi catholique. Partout, en Hongrie, dans les églises et dans les chapelles, dans l'humble chaumière et dans le palais fastueux l`'image de la Vierge est, tout à la fois, un ornement et un objet de vénération. Ce fut en son honneur que le roi Étienne fit ériger les premières églises qui se dressèrent sur le sol de la Hongrie, à Esztergom, à Székesfehérvár, à Györ, à Kalocsa et son royaume devint bientôt le Regnum Marianum.
Fin.
Tokaj - Hongrie - vignobles
Outre le titre de roi, il décerna au duc Étienne le titre d'apôtre, et à la couronne, il joignit la croix apostolique, semblable à celle des nonces et des légats. Le Saint-Siège accordait ainsi au premier roi de Hongrie, le droit de représenter le pape dans ses États et par conséquent d'y organiser les diocèses, de distribuer les bénéfices et d'en choisir les titulaires. Les successeurs du roi Étienne placèrent la croix apostolique dans leurs armes et, avec la dénomination d'apôtres, conservèrent la puissance apostolique. A la fin du onzième siècle, saint Ladislas et Kálmán le Bibliophile, son successeur, exercèrent dans toute sa plénitude ce droit que le pape Grégoire VII venait de confirmer. Le Saint-Siège essaya, au douzième siècle, d'amener Béla III à renoncer à quelques-unes des prérogatives accordées par Sylvestre II, mais le roi de Hongrie, tout en restant plein de déférence à l'égard de la Cour de Rome, ne voulut abandonner aucun de ses droits ; il voulait conserver à l'Église hongroise l'indépendance que ses ancêtres lui avaient acquise.
Lorsque l'invasion des Mongols eut ruiné la Hongrie, Béla IV dut songer à la réorganisation de son royaume; il le fit sur les mêmes bases que l'avait établi le roiÉtienne. Quelques évêques prétendirent alors ne tenir leurs titres et leurs droits que du Saint-Siège, le roi protesta et Innocent IV enjoignit aux prélats hongrois de se soumettre aux constitutions anciennes. Les rois de la famille d'Arpád qui succédèrent à Béla IV continuèrent à défendre l'autorité apostolique qui leur avait été conférée.
Invasions des Mongols en Hongrie en 1237 Ap J.C.
Les princes d'Anjou, malgré ce qu'ils pouvaient devoir à Rome, ne laissèrent pas attenter aux privilèges religieux légués par leurs prédécesseurs, et Sigismond fit confirmer, en 1414, au concile de Constance, le titre de légat perpétuel du roi de Hongrie, en même temps que l'indépendance de l'Église magyare. Le roi de Hongrie porte aujourd'hui encore, dans les actes officiels, le titre de Roi Apostolique.
Ainsi qu'on vient de le voir, le nouveau royaume ne fut pas seulement traité par Sylvestre II sur le même pied que les autres puissances chrétiennes de l'Europe, que la France, que l'Allemagne, mais encore le Saint-Siège lui accordait des faveurs qu'aucun autre peuple n'avait obtenues. Et malgré ces rares prérogatives, la Hongrie n'aliéna nullement son indépendance; l'Allemagne n'avait fait aucune opposition à l'érection du duché en royaume, l'évêque de Salzbourg avait renoncé à son rêve de devenir le métropolitain des évêques hongrois et d'imposer son autorité à la nouvelle Église magyare.
On avait compris à Rome que la Hongrie ne serait tout à fait catholique que si elle restait absolument libre, et les historiens allemands commettent une erreur lorsqu'ils disent que le duc Étienne obtint la couronne royale de Sylvestre II « sur les conseils et par la grâce d'Othon III ». Du reste, la lettre remise, en même temps que les insignes de la royauté, par le pape à l'envoyé du duc Étienne, prouve que l'empire d'Allemagne ne fut pour rien dans la fondation du royaume de Hongrie.
Pour les Magyars, la Sainte Couronne n'est pas un simple emblème, c'est la royauté elle-même ;elle n'appartient pas à celui qui en est possesseur, elle reste la propriété du peuple; elle est, comme nous l'avons dit, le palladium sacré de la nationalité hongroise. Quoique pendant trois siècles la royauté semble héréditaire, elle ne l'est pas dans le sens absolu du mot; les Hongrois restent fidèles au serment de leurs ancêtres, ils choisissent pour souverain « un membre de la famille d'Almos ». Mais cette élection ne suffit pas, d'après le droit nouveau, c'est une préparation à la royauté, le couronnement seul fait les rois. « Non est rex nisi coronatus.»
Les décrets d'un roi élu, mais non couronné, étaient sans valeur, ils n'acquéraient force de loi que si le roi les sanctionnait après son couronnement. Si l'élu mourait avant d'être couronné, ses actes étaient considérés comme nuls et son nom ne figurait pas sur la liste des rois. Quand plus tard l'Église, ayant des différends avec les rois de Hongrie et la noblesse, essaya de transporter à une autre couronne les bénédictions attachées à la Sainte Couronne, ce fut toujours sans résultat. Le peuple n'avait foi qu'en la couronne de saint Étienne. On essaya même une fois d'en composer une avec les reliques du saint roi, on la posa sur la tête du nouveau monarque, mais son imposition ne fit pas un roi. Aussi les reines qui n'exerçaient pas le pouvoir étaient-elles couronnées sur l'épaule droite. Marie d'Anjou, fille de Louis le Grand, qui fut couronnée roi de Hongrie exerça effectivement le pouvoir royal.
La constitution politique hongroise donna à la Sainte Couronne une juridiction spéciale, elle avait des officiers chargés de veiller sur elle comme sur le plus précieux dépôt. Enfermée dans un triple coffre en fer, la Sainte Couronne était déposée à Buda, dans une partie de l'église du château qui était munie d'une porte solide, constamment surveillée. Ces mesures prouvent quelle importance on attachait à la conservation de l'emblème de la royauté ; cependant ces précautions ne l'empêchèrent pas d'être exposé à plus d'une vicissitude. Un prétendant parvint un jour à s'emparer de la Sainte Couronne et l'égara en chemin..... En 1440, Élisabeth voulant défendre les droits de son fils, Ladislas le Posthume, contre le roi de Pologne mit la Sainte Couronne en gage chez un de ses parents, Frédéric III, empereur d'Allemagne, pour se procurer les ressources qui lui manquaient.
Par suite du refus de Frédéric de restituer la couronne, une guerre acharnée s'engagea entre lui et le roi Mátyás Corvin; enfin un traité fut conclu et la couronne rendue à la Hongrie. Un écrivain contemporain raconte que lorsque le roi la ramena de Vienne, les Hongrois voulurent traîner, avec des rubans et des guirlandes, le carrosse qui la renfermait, et que les paysans accoururent des points les plus éloignés du royaume pour la reconnaître et se prosterner devant elle. Après le désastre de Mohács, lorsque Soliman envahit la Hongrie, l'empereur Ferdinand voulut enlever la couronne de Visegrád ; mais les gardiens s'y refusèrent, sans un décret de la Diète. Leur excès de zèle fit perdre un temps précieux, pendant ces discussions, les Turcs pénétrèrent dans la forteresse et s'emparèrent de la couronne dont ils firent cadeau à Szapolyai, qui la restitua à Ferdinand lorsque la paix fut signée.
La Sainte Couronne Royale de Hongrie
Le fils de Marie-Thérèse, Joseph II, dont les Hongrois avaient sauvé le trône impérial, mit tout en oeuvre pour s'emparer de la Sainte Couronne, qui se trouvait alors au château de Presbourg ; sous le prétexte qu'il voulait établir une faculté de théologie dans le château, il donna l'ordre aux duumvirs d'envoyer la couronne à Vienne. On protesta contre cet acte arbitraire, mais en vain ; un second ordre, comme Joseph II savait en donner, brisa toute résistance. Le palladium de la Hongrie lui fut en levé et transporté en Autriche. La nation protesta encore, elle s'opposa aux innovations de l'empereur roi, qui comprit enfin qu'il fallait compter avec la volonté d'un peuple énergique et il lui restitua les emblèmes royaux. La Sainte Couronne fut rapportée, en 1790, au château de Buda et saluée par une salve de cinq cents coups de canon. Pendant que le canon tonnait encore, Joseph II rendait le dernier soupir.
N'ayant pas été couronné roi de Hongrie, il ne compte pas parmi ses souverains légitimes. Depuis le commencement du dix-neuvième siècle, la couronne subit encore plusieurs changements de résidence; au moment des guerres de Napoléon I, elle fut transportée à Munkács, puis à Buda et à Éger, pour revenir enfin à Buda; la guerre pour l'Indépendance l'exposa à de nouveaux périls; elle fut transportée à Debreczen et de là, à Orsova, mais les derniers combattants qui l'y avaient apportée ne voulurent pas qu'elle quittât le sol de la patrie. Avant de prendre le chemin de l'exil, ils cherchèrent un endroit favorable pour la mettre à l'abri; leur choix tomba sur un rocher, au pied du mont Alion, dans la vallée qu'arrose la Czerna avant de se jeter dans le Danube.
Ce ne fut qu'en 1853 qu'on la retrouva ; elle fut ramenée par un bateau spécial à Vienne et transportée ensuite à Buda où elle est maintenant conservée. Le roi de Hongrie, François-Joseph, a fait ériger une chapelle au pied du mont Alion et une plaque de marbre blanc marque l'endroit précis où la Sainte Couronne reposa. Quelques historiens ont constaté que chaque fois que, par un événement quelconque, la Sainte Couronne n'a plus été en la possession des Magyars, la vie politique a paru suspendue chez la nation. Dès qu'Astrik fut de retour, le duc Étienne fixa la date de son couronnement; il choisit un jour cher à son coeur, celui de l'Assomption de la Vierge Marie. La cérémonie eut lieu à Esztergom, le 15 août de l'an 1001. Le roi Étienne et la reine Gizela furent couronnés avec toute la pompe que les Hongrois d'alors savaient déjà déployer et à laquelle s'ajouta la solennité des consécrations religieuses. L'onction sainte dont le représentant de l'Église marquait le front du nouveau roi faisait descendre en lui la délégation divine du pouvoir; le roi sacré devenait, de par Dieu, le chef de l'État, mais, en même temps aussi, le père du peuple. Car, dans l'esprit de l'Église, le sacre n'était pas une reconnaissance de la puissance royale sur le peuple, c'était surtout une consécration de l'union indissoluble formée entre le peuple et son roi. Aussi, lorsque le prélat consécrateur, avant de poser la couronne sur la tête du nouveau roi, consulte par trois fois les assistants et le peuple, se trouve-t-il d'accord avec les anciennes traditions politiques et les droits des Magyars. Cette consultation du peuple, dans la cérémonie du couronnement, est une réminiscence des usages pratiqués autrefois pour l'élection des chefs et dans aucun pays peut-être ne s'est trouvée plus justifiée la maxime : Omnis potestas a Deo per populum.
LES COMBATS DE SAINT ÉTIENNE.
Plus d'une fois, le roi Étienne dut interrompre ses travaux d'apôtre pour brandir le sabre de ses ancêtres ; il le fit à regret, non pas qu'il manquât de courage ou de vaillance, ses historiographes mentionnent son intrépidité et sa bravoure, mais il redoutait la guerre à cause des maux qu'elle occasionne. Aussi pendant son long règne ne le vit on entreprendre ni guerre de conquête ni guerre offensive, il ne consentit à prendre les armes que pour protéger la religion ou pour défendre les frontières de son pays.
Le paganisme essayait encore de redresser la tête, il avait des partisans assez nombreux pour lui laisser croire que la lutte ne serait pas vaine; il faisait appel aux sentiments patriotiques des Magyars et leur montrait dans les missionnaires des étrangers, des intrus qui venaient médire du dieu national et cherchaient à détruire tout ce que vénéraient les ancêtres.
L'esprit de la vraie foi n'avait pas encore touché tous les coeurs ni jeté d'assez profondes racines dans les âmes pour que même les convertis restassent insensibles aux appels de leurs anciens compagnons d'armes. L'orgueil y était pour quelque chose, car ils n'avaient pas admis sans un vif mécontentement, ce prélèvement du dixième sur leurs récoltes; il leur semblait qu'on leur infligeait une humiliation qui pouvait les abaisser aux yeux de leurs serviteurs. Aussi lorsque Gyula, duc de Transylvanie et parent du roi leva l`étendard de la révolte, vit-il les païens venir se ranger sous sa bannière; d`assez nombreux mécontents augmentèrent le nombre des rebelles et Guyla se crut assez fort pour tenir tête au roi de Hongrie. Étienne, toujours conciliant, fit des représentations au duc de Transylvanie pour l`engager à se convertir au catholicisme romain et à déposer les armes. Le duc ne voulut rien entendre, il refusa de se convertir et ne consentit pas davantage à reconnaître la Constitution dont le roi venait de jeter les premiers fondements.
Tout au contraire, ne trouvant pas assez nombreux les Hongrois mécontents réunis autour de lui, il s`allia au prince des Petchenègues ( un peuple nomade d`origine turque), Kean et envahit la Hongrie, ravageant et pillant sans pitié. Le roi, comme au moment de la révolte de Koppány, vit qu`il ne pouvait user d`indulgence, on l`eut prise pour de la faiblesse, il convoqua donc ses guerriers et se mit en route pour combattre les révoltés. Il les joignit et une bataille décisive s'engagea. Gyula fut fait prisonnier avec ses deux fils. Étienne confia le gouvernement de la Transylvanie au voïvode Zoltán et, pour favoriser le développement du christianisme, fonda l'évêché de Gyula-Fehérvár; en même temps, il fit construire un vaste monument destiné à loger le chapitre de la nouvelle cathédrale.
Le roi traita ses prisonniers avec beaucoup de douceur; cette clémence toucha le coeur du rebelle et lui fit faire de salutaires réflexions qui l'amenèrent à une juste compréhension de sa situation; il manifesta le désir d'adopter le catholicisme de Rome et reçut le baptême en même temps que ses deux fils. Cédant alors aux instantes sollicitations de l'épouse de Gyula, Étienne lui rendit la liberté et, voulant lui témoigner la confiance que lui inspirait sa soumission, le nomma gouverneur de Székesfe hérvár; il n'eut, du reste, pas à regretter cet acte de générosité. Cette lutte du premier roi des Hongrois contre le dernier duc des Magyars mit fin à toutes les révoltes et tant que vécut Étienne le Saint, le paganisme ne releva plus la tête. Mais la défaite de Gyula n'avait pas découragé ses alliés, les Petchénègues, peuplade barbare que Kean continuait à commander. Ils harcelaient les habitants de la Transylvanie, pillant, saccageant quand l'occasion s'en présentait. En l'année 1003, le roi prit le parti de mettre fin à cette cause de troubles et de désordres; les Petchénègues s'étaient réfugiés dans les montagnes, les troupes hongroises les y poursuivirent et les forcèrent au combat. La bataille fut sanglante, Kean tomba enfin mortellement blessé et les Petchénègues, pris de panique, s'enfuirent, laissant aux mains des Hongrois leurs tentes et leurs bagages renfermant les trésors enlevés en Grèce. Le roi décida que ces trésors seraient employés à la construction des églises de Buda et de Székesfehérvár.
La mort de leur chef n'arrêta pas longtemps les Petchénègues, toujours prêts à se battre et toujours avides de pillages et de rapines. Les richesses de la Grèce les attiraient souvent, mais ils ne dédaignaient pas non plus le butin qu'ils pouvaient faire en Hongrie. Ce fut ainsi qu'en 1026, ils envahirent de nouveau le pays, en pénétrant par le défilé de Törcsvár. Cette incursion des Petchénègues a donné lieu à un incident dont les historiens nous ont transmis le récit. Le roi Étienne était à l'ouest du pays cherchant au milieu du calme de la nature quelques instants de repos, son corps et son esprit en éprouvaient le besoin, après tant de travaux que ses ancêtres n'avaient pas pratiqués et auxquels l'hérédité ne l'avait pas préparé.
Il venait à peine de céder au sommeil, quand il vit en songe les Petchénègues envahissant la Hongrie ; d'une voix forte que ceux qui l'entouraient entendirent fort bien, il s'écria : « Que venez-vous faire ici ? pourquoi voulez-vous détruire la sainte Église, pourquoi voulez-vous anéantir le troupeau du grand Pasteur ? Fuyez au loin ! Dieu m'a confié la garde et la défense de saint Martin (Par ces paroles, le roi faisait sans doute allusion au Mont de Pannonie, où naquit saint Martin et, par extension, à la Pannonie tout entière.) qui ne tolérera pas que vous détruisiez son patrimoine ! » Ayant prononcé ces paroles, le roi s'éveilla et appela l'homme d'armes qui gardait toujours l'entrée de sa tente, prêt à exécuter ses ordres ; mais l'ayant regardé, Étienne le renvoya en disant : « Je ne puis te confier cette mission, fais venir un autre soldat qui me sera plus fidèle. » Le second homme d'armes ne fut pas trouvé meilleur et au troisième seulement, le roi dit : « Pars, et va sans t'arrêter trouver le comte de Transylvanie, dis-lui de rassembler ses troupes et d'être sur ses gardes, car l'ennemi va envahir le pays. »
L'envoyé ne perdit pas un instant, sautant sur un rapide coursier qu'il échangeait contre un autre aussi souvent que possible, il traversa la Hongrie et arriva bientôt en Transylvanie où il transmit au comte l'ordre dont il était chargé. Les troupes furent bientôt rassemblées, mais déjà les Petchénègues avaient envahi le pays et ce fut près de Fehérvár que la rencontre des combattants eut lieu. Les Hongrois, quoique à peine préparés, remportèrent la victoire après une lutte sanglante ; beaucoup de morts jonchèrent le champ de bataille et les vainqueurs firent de nombreux prisonniers. La nouvelle de cette victoire parvint rapidement au roi Étienne, qui en remercia la Providence et en reporta tout le mérite au véritable vainqueur, à Dieu même. Quelques siècles plus tard, l'immortel Hunyady ayant remporté une victoire décisive sur les Ottomans, ne voulut pas non plus avoir l'honneur de ce triomphe, il en attribua tout le mérite à son véritable auteur, au Dieu des armées que ses troupes avaient invoqué à genoux. Il ordonna, par un décret, que pendant trois jours, non seulement les combattants, mais encore les habitants de la Transylvanie adresseraient des actions de grâce «au véritable vainqueur, au vainqueur céleste.»
SAINT ÉTIENNE ET SAINT IMRE
SAINT IMRE - ou Saint Emeric de Hongrie (1006 a 1031)
Des nombreux enfants que le Ciel avait accordés aux pieux souverains de la Hongrie, un seul, l'archiduc Imre, dépassa l'enfance, et encore pour être fauché dans la fleur de la jeunesse, emportant dans la tombe tout le bonheur de son père, toutes les espérances du peuple, qui attendait de lui la continuation des oeuvres de saint Étienne. Dès sa plus tendre enfance le jeune Imre avait manifesté une piété remarquable. Il tenait de son père une foi vive, ardente, que l`exemple et les exhortations de sa mère, la pieuse Gizela n`avaient fait que développer. Les exercices religieux qu`elle lui avait appris à pratiquer au cour de la journée ne suffisaient pas à sa ferveur et on le voyait quelquefois, alors que tous reposaient autour de lui, se relever au milieu de la nuit pour chanter les louanges du Seigneur ou demander pardon à Dieu de ses fautes.
A une piété rare chez un enfant, le jeune archiduc joignait un caractère vif qui n'excluait pas la sensibilité. Son bon coeur était bien connu des pauvres, qui avaient souvent recours à son intervention, car ils savaient que les souverains ne refusaient rien à leur fils quand, ses petites mains jointes et le regard suppliant, il les implorait en leur faveur. Souvent ses reparties enfantines étaient empreintes de tant d'esprit ou de profondeur que son entourage en était confondu, aussi le roi aimait-il à emmener son fils dans ses voyages à travers la Hongrie, surtout lorsqu'il devait visiter des monastères, et ce fut ainsi qu'Imre, alors âgé de sept ans, l'accompagna un jour qu'il se rendait à l'abbaye de Pannonhalma. Le char royal gravissait lentement les chemins abrupts qui mènent au sommet du mont Pannonien, les religieux, avertis de l'arrivée du roi, avaient quitté le couvent et venaient à sa rencontre, bannière déployée; les deux cortèges n'avançaient pas assez vite au gré du jeune Imre, impatient d'embrasser les bons moines qu'il aimait beaucoup, aussi quitta-t-il son père pour courir à leur rencontre.
Bientôt le roi le rejoignit et remarqua, non sans surprise, que l'enfant embrassait certains religieux une fois, d'autres, deux fois, d'autres encore, trois fois, mais à un Bénédictin, nommé Maurice, il donna sept baisers. Curieux de connaître la raison des préférences de son fils, le roi lui demanda pourquoi il agissait ainsi : Je ne sais, répondit le jeune Imre; mais c'est Dieu qui m'a inspiré la pensée de donner aux religieux d'autant plus de baisers qu'ils ont plus de ferveur et une foi plus vive. Cette réponse ne fit qu'augmenter la curiosité du roi en y ajoutant encore le légitime désir de se rendre compte si vraiment son fils avait obéi à une inspiration divine lui permettant de juger du degré de piété des religieux. Il suivit d'un regard attentif tous les faits et gestes des moines, et la nuit, alors que les Bénédictins, prosternés devant les différents autels, attendaient en méditant que l'aube fût venue, le roi se rendit auprès de chacun d'eux et leur adressa la parole à tour de rôle. Malgré la règle qui leur imposait le silence pendant leurs méditations, les religieux interrompirent leurs prières pour répondre au roi ; mais parvenu au moine qui avait reçu sept baisers, le roi n'obtint aucune réponse, ses appels réitérés ne parvinrent pas à distraire le pieux Maurice qui continua impassible ses oraisons, quand enfin il les eut terminées, il se leva et dit au souverain qui était resté là : — Je ne pouvais quitter le service du Roi des Cieux pour satisfaire un roi de la terre.
Le lendemain, le roi feignit de se plaindre au Supérieur du manque de respect du religieux, il l'accusa même de plusieurs méfaits dont il le savait innocent; le Bénédictin ainsi faussement accusé ne se défendait pas : courbant la tête, il acceptait, en toute humilité, l'épreuve que Dieu lui envoyait. Le Supérieur se disposait à lui appliquer dans toute sa rigueur le châtiment que méritaient les fautes dénoncées par le roi, quand il vit le souverain se jeter dans les bras du moine silencieux et l'embrasser en disant : — Mon fils avait raison, tu es bien le plus parfait des religieux. Il me faut des évêques comme toi. Le religieux se prosterna devant le roi, le suppliant de ne pas lui imposer cet honneur ; mais Étienne savait trop le bien que pourrait faire comme, évêque un religieux de cette valeur pour ne pas appeler à l'épiscopat celui que Dieu avait paru lui dé signer, et Maurice fut nommé évêque de Pécs. Le roi ressentit de cet incident une profonde émotion, car il y reconnaissait la manifestation de la volonté de Dieu en faveur de son fils, il voyait en Imre un élu du Seigneur qui pourrait un jour lui succéder et parfaire son oeuvre. Ce fut l'évêque Maurice qui bientôt attira l'attention du roi sur le Bénédictin Gellért, que des circonstances particulières avaient amené en Hongrie et qui allait devenir le précepteur du jeune archiduc.
Sa piété, son éloquence, ses grandes qualités lui valurent de bonne heure la charge de prieur, mais bientôt il résigna ses fonctions pour faire un voyage en Terre Sainte. La Providence en avait sans doute décidé autrement, car à peine Gellért était-il embarqué qu'une tempête éclata et le navire fut jeté sur la côte dalmate. Le pèlerin, recueilli au couvent de Saint-Martin, érigé non loin de la mer, y retrouva d'anciens condisciples. Il passa dans cette retraite le temps du Carême. En la quittant, il se rendit auprès du pieux Maurice, devenu évêque de Pécs, qui essaya de le faire renoncer à son voyage en Palestine, lui démontrant que sa mission était plutôt d'évangéliser la Hongrie. Entre temps, le Supérieur du monastère de Pécsvár vint chez l'évêque Maurice, il vit Gellért, se rendit compte de sa valeur et, joignant ses conseils aux instances de son hôte, décida le Bénédictin à renoncer pour le moment au pèlerinage projeté. A l'occasion d'une fête de la sainte Vierge, il l'emmena à Székesfehérvár où le roi et la reine, entourés de la cour, avaient l'habitude d'assister aux cérémonies religieuses. Gellért prononça un sermon qui fit sur les assistants une impression si profonde que personne ne se lassait d'admirer, non seulement l'éloquence de l'ancien prieur, mais encore la transcendance de ses pensées et l'élévation de ses sentiments. Les souverains en furent profondément émus. Étienne manda le prédicateur et, après l'avoir longuement entretenu, lui donna la marque de la plus grande confiance qu'il pouvait témoigner à quel qu'un : il le chargea du soin d'instruire son fils, l'archiduc Imre. Sa confiance ne fut pas trompée, Gellért fit d'Imre un prince modèle que l'Église plaça sur ses autels.
Le roi fit installer son fils et son précepteur dans un château pour que tous deux pussent vivre loin du bruit et des distractions du monde ; cette disposition plut beaucoup à l'enfant. Gellért trouva en Imre un élève docile qui s'appropria rapidement les connaissances nécessaires alors à un prince. Mais en même temps que son pieux précepteur lui inculquait les principes de la science, il lui ouvrait aussi les arcanes de la connaissance de Dieu ; il lui apprenait à n'estimer les biens de la terre qu'à leur juste valeur et lui expliquait l'inanité de la gloire terrestre ; il lui enseignait le maniement des armes que la foi donne aux chrétiens : la prière, l'aumône, le jeûne, et lui démontrait que le roi le plus puissant de la terre est, avant toute chose, le serviteur de Dieu.
L'âme du jeune prince s'enthousiasmait à ces enseignements qui répondaient si bien aux aspirations de son coeur. Quand Gellért eut terminé l'éducation du jeune archiduc, il supplia le roi de le laisser se retirer dans la forêt de Bakony où il voulait vivre dans la solitude en se livrant à la prière et à la méditation. Il y passa sept années et, pour l'obliger à quitter sa retraite, le roi le nomma évêque de Csanád. La renommée de sainteté du pieux ermite s'était répandue, et quand il fit son entrée dans sa ville épiscopale, le peuple se précipita sur son passage, riches et pauvres voulaient recevoir le baptême de la main de Gellért. Le várispán lui-même amena de nombreux habitants qui tous voulaient se convertir. Parmi les dix Bénédictins qui se trouvaient à l'évêché, sept connaissaient la langue magyare et instruisaient le peuple dans sa langue maternelle. Les progrès du christianisme furent rapides dans la contrée de Csanád; les nouveaux convertis se trouvaient si heureux qu'ils cherchaient toutes les occasions de prouver leur reconnaissance à Dieu et à son ministre. Gellért leur inspirait une si vive admiration qu'elle ne tarda pas à se manifester d'une manière effective; trente nouveaux chrétiens lui amenèrent leurs fils en le priant de les instruire pour les consacrer ensuite au service du Seigneur. Cette démarche spontanée plut à l'évêque qui accueillit avec bienveillance les jeunes gens qu'on lui présentait et les fit instruire sous sa direction. Telle est l'origine du premier séminaire en Hongrie. Les prêtres qui en sortirent furent destinés au clergé séculier.
A l'occasion de la fête de saint Jean, une députation de cent personnes vint trouver l'évêque pour le prier de bénir un emplacement destiné à la construction d'une église. Gellért, touché du zèle des fidèles, acquiesça avec empressement à leur désir et de plus, les invita tous à sa table. En se retirant, ses invités lui offrirent de nombreux présents; les hommes, des tapis, des chevaux, des boeufs; les femmes, des bijoux, des chaînes d'or, etc. « Mais vous ai-je invités pour que vous vous dépouilliez de vos trésors ? dit l'évêque, je ne vous ai demandé que d'écouter la parole de Dieu ! » Tous les assistants lui répondirent : « Saint Père, tu as dit que comme l'eau éteint le feu, de même l'aumône efface le péché. Accepte donc ce que nous t'offrons, au nom du Christ à la vie de qui tu nous as fait naître. »
Voici les Conseils que le roi avait rédigés pour son fils et que le jeune archiduc avait accueillis avec la plus grande déférence. Ils donnent la notion précise des principes du saint roi et de sa manière d'envisager les devoirs et les obligations d'un chef d'État; nous en citerons quelques fragments :
Tout d'abord, le roi établit ce principe, bien libéral pour l'époque, que chaque pays doit vivre selon ses propres lois et chaque peuple conserver ses usages. Il insiste ensuite sur l'importance des grands exemples légués par les ancêtres et dont le souvenir doit se perpétuer de génération en génération. De même qu'il avait établi l'hérédité dans la famille d'Arpád, de même, il avait décidé que nul ne pourrait porter la couronne royale s'il n'appartenait à la religion catholique, apostolique, romaine. Aussi dit-il à son fils :
« Avant tout, je te conseille et je t'ordonne de veiller avec soin et vigilance sur la foi catholique, c'est, dans notre pays, une plante nouvelle qui réclame des précautions infinies; par nos prières incessantes, nous avons obtenu de Dieu la grâce de la voir fleurir, il ne faut pas que par ton inertie ou ton irréflexion, elle soit endommagée ou détruite. De jour en jour, l'Église doit progresser, et, à aucun prix, tu ne dois lui laisser subir le plus petit amoindrissement, la plus légère dépréciation; plus l'Église sera grande et puissante, plus ta couronne sera glorieuse, ta vie heureuse. Si tu rencontres des hommes qui attaquent l'Église et mettent en doute les vérités de la religion, considère-les comme des serviteurs infidèles, éloigne-toi d'eux pour que l'on ne puisse pas supposer que tu penses comme eux et que tu te révoltes contre Dieu.
Les évêques sont les ornements du trône, ils doivent occuper la troisième place dans les institutions du Royaume. Considère-les mon cher fils, comme tes supérieurs, vieille sur eux comme la lumière de tes yeux. Si tu es en bon rapport avec eux, tu n`auras a redouter aucun ennemi, et si eux veillent sur toi, tu peux être tranquille car leurs prières sont agréables à Dieu qui les a placé sur la terre pour être les surveillants des âmes. Ils sont les dispensateurs des sacrements, ils représentent la dignité de l`Église. Un autre ornement du trône est formé par les seigneurs et les chevaliers, leurs courage leur vaillance, leur force et, en même temps, leur noblesse, leur courtoisie en font une des bases puissantes du royaume; ils sont les défenseurs de la patrie, les gardiens de ses frontières et de plus, mon cher fils, ils sont les frères de ton père. Ne les nomme pas tes serviteurs, ils combattent pour toi, mais ne servent pas. Gouverne-les sans orgueil et sans jalousie, sois doux envers eux et que ton esprit n'oublie jamais que tous les hommes sont égaux. Sois pacifique et l'on te nommera héroïque : si tu es orgueilleux, présomptueux, si tu cherches à humilier les seigneurs, ils sauront amoindrir ta dignité, et ton royaume passera à un autre.»
Le roi Étienne termine ses recommandations par une exhortation suprême, il enjoint son fils d`accorder toujours à la religion la place d`honneur qui lui revient dans tout pays chrétien.
« Je te conseille, te commande de veiller avec vigilance sur la foi; accomplis de bonnes actions car sans actes la foi ne vit pas; il faut que tu serves d'exemple aux peuples que Dieu t'a confiés, et il faut que l'Église puisse te nommer véritablement son fils. Prie, mon cher fils, car la prière efface le péché et nous garde des mauvaises pensées; prie pour obtenir la sagesse et la bonté. Si tu as l'âme mauvaise et si tu n'es pas miséricordieux, tu porteras vainement le titre de roi, on te nommera tyran. C'est pourquoi, je te prie, mon fils bien aimé, joie de mon cœur, espoir de ton futur royaume, sois bon envers tous, non seulement envers tes parents, tes princes, tes chefs d'armée, mais encore envers tes voisins, tes inférieurs, et surtout envers les étrangers qui viennent à toi. Sois pitoyable à tous ceux qui ont souffert de l'abus de la force. Sois patient avec les grands et surtout avec les pauvres, les malheureux. Enfin, sois fort pour que le bonheur ne t'enorgueillisse pas et que le malheur ne te décourage pas. Sois humble pour que Dieu t'élève et t'accorde les vertus qui forment la couronne royale. »
L`Archiduc était apte à comprendre les conseils de son père et il eut été capable de les appliquer, mais Dieu ne le permit pas, une mort prématurée l`ayant enlevé aux espérances de tout un peuple.
FONDATIONS DE SAINT ÉTIENNE
Budapest - Hongrie
Le duc Étienne n'avait pas eu besoin de l'expérience de longues années pour comprendre l'importance du rôle que les religieux étaient appelés à exercer en Hongrie pour la propagation de la foi. Il considérait les monastères comme les piliers de la religion qu'il voulait faire connaître à ses peuples, aussi la fondation de nombreux couvents fut-elle une de ses œuvres de prédilection. Ce fut aussi le roi de Hongrie qui fonda l'archevêché d'Esztergom et les dix évêchés de Kalocsa, Veszprém, Pécs, Bács, Györ, Nagyvárad, Eger, Vácz, Gyula-Fehérvár et Csanád. La construction et la dotation des églises étaient prévues par la Constitution, ce qui n'empêcha pas le pieux monarque de se préoccuper avec un zèle touchant de l'érection de quelques-uns de ces édifices superbes destinés à la gloire de Dieu et sur tout à la gloire de la Vierge Marie; nous ne citerons que quelques-unes des églises construites sur les ordres et les indications du roi.
Sur une colline, non loin de l'Herculia des Romains, le duc Étienne avait fait construire une forteresse, le roi voulut y joindre une église ; bientôt une magnifique cathédrale y dressa la fière silhouette de ses quatre tours et Székesfehérvár devint le siège de la cour royale. Cette église était destinée à la sépulture des rois de Hongrie et Étienne en surveilla l'édification avec un soin jaloux. Il avait fait venir des artistes de la Grèce, de l'Italie et aussi de l'Allemagne. L'église que le roi fit ériger en l'honneur de son patron, saint Étienne, premier martyr, fut plus tard convertie en église paroissiale sous le nom d'Ecclesia S. Stephani in Piscina.
L'église d'Esztergom fut construite avec une somptuosité aussi grande et dotée avec une munificence égale. D'autres édifices, tout aussi luxueusement décorés, s'élevèrent sur le sol de la Hongrie, malheureusement on en retrouve peu de traces, car les terribles invasions des Ottomans (turcs) achevèrent de détruire ce que les hordes sauvages de Gengis-Khan avaient épargné. Là où les circonstances ne permettaient pas d'ériger de splendides monuments, on se contentait, en attendant, d'humbles constructions en bois, couvertes de roseaux et décorées de peintures naïves, retraçant les mystères de la religion. L'église de Marosvár, élevée en l'honneur de saint George, renfermait un autel magnifique dédié à la Vierge Marie; sur un ordre formel du roi, deux prêtres âgés devaient aller, d'heure en heure, encenser cet autel, à l'aide d'un fort bel encensoir en argent qui ne pouvait être employé qu'à cet usage. En Transylvanie, le roi fit construire l'église Saint-Michel ; elle fut érigée, dit-on, sur l'emplacement d'un temple païen. Les murs primitifs ont été détruits et l'église actuelle fut reconstruite par Hunyady.
Outre dix évêchés, saint Étienne fonda douze chapitres, soixante basiliques, plus de cent monastères, d'innombrables hôpitaux pour les malades, des hôtelleries pour les pèlerins, etc. Mais l'activité du roi et son zèle ne s'arrêtaient pas à la limite de ses États; de même qu'il accueillait cordialement les étrangers, de même il voulait que son peuple trouvât bon accueil au dehors et, pour le lui assurer, il fonda des couvents dans d'autres pays. Selon les usages du temps, ces couvents recevaient les voyageurs et les malades.
L'assurance de trouver partout bon gîte et affable réception encouragea les Hongrois à voyager, c'était là ce que voulait le roi, il savait que son peuple avait tout à gagner au contact de nations plus civilisées et il espérait aussi que les pèlerinages à Rome et en Terre Sainte affermiraient sa Foi. Il choisit Ravenne (Regensburg en Allemagne), où la vie politique et religieuse était alors fort intense, pour y fonder un couvent; les religieux qui y résidaient devaient recevoir avec empressement les voyageurs qui se rendaient à Rome pour visiter les tombeaux des apôtres et rendre hommage au successeur de saint Pierre.
Quoique les archives du Vatican concernant la Hongrie aux onzième, douzième et treizième siècles aient été détruites par le feu, on sait que les rapports de saint Étienne et de ses successeurs avec le Saint Siège ont été fréquents et les vestiges de quelques monuments attestent du soin que prit le fondateur de la monarchie hongroise pour faciliter à ses sujets le séjour dans la Ville Éternelle. Sur le mont Cœlius, il fit construire une maison destinée à loger les représentants qu'il envoyait lui-même au pape ; sur le portail de la chapelle, on lisait encore beaucoup plus tard : « Ecclesia hospitalis S. Stephani regis Ungarorum »; une hôtellerie y était annexée pour recevoir les pèlerins hongrois, elle fut restaurée au quinzième siècle par un magnat magyar.
Dès que la Gaule avait connu le christianisme, elle avait voué un culte à la Vierge et était bientôt devenue le royaume de Marie, regnum Galliae, regnum Mariae; cependant, il fallut arriver au dix septième siècle et attendre le concours de circonstances particulières pour que le roi de France consacrât solennellement son royaume à la Mère de Dieu. La Hongrie fit des progrès plus rapides dans la dévotion à Marie. Elle n'attendit pas l'élan imprimé par saint Bernard à cette belle croyance, elle n'eut pas besoin de l'établissement du Rosaire par saint Dominique, ni de la prédication du dogme de l'Immaculée Conception par les Franciscains pour se consacrer à la Vierge Marie et la choisir pour Patronne. Ce fut peu de temps après l'an mille que le roi Étienne lui offrit son royaume et Notre Grande Dame devint la Patrona Hungariœ. Le roi Ladislas le Saint, qui mourut en 1095, confirma la décision prise par le roi Étienne.
Toujours éprise d'idéal, l'âme magyare avait trouvé un aliment dans l'une des conceptions les plus poétiques qu'offre la foi catholique. Partout, en Hongrie, dans les églises et dans les chapelles, dans l'humble chaumière et dans le palais fastueux l`'image de la Vierge est, tout à la fois, un ornement et un objet de vénération. Ce fut en son honneur que le roi Étienne fit ériger les premières églises qui se dressèrent sur le sol de la Hongrie, à Esztergom, à Székesfehérvár, à Györ, à Kalocsa et son royaume devint bientôt le Regnum Marianum.
Fin.
Tokaj - Hongrie - vignobles
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Malchiel et Lumen aiment ce message
Re: Saint Étienne roi apostolique de Hongrie - comment la Hongrie est devenue un pays chrétien
Merci de ce texte hautement intéressant. Sur Archive.org j'ai pu télécharger l'intégralité de Saint Étienne roi apostolique de Hongrie (par E. HORN de l`Académie française - 1899) au format ePub, pour le lire dans le confort de ma tablette. Saint Étienne, saint patron de la Hongrie et fêté par l'Église catholique le 16 août, est un monarque chrétien qui a levé l'[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] du Christ et gouverné son royaume par la grâce de Dieu.
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