Les Principaux dogmes de la Religion considérés dans leurs rapports avec l'ordre social - Canada 1861
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Les Principaux dogmes de la Religion considérés dans leurs rapports avec l'ordre social - Canada 1861
Les Principaux dogmes de la Religion considérés dans leurs rapports avec l'ordre social.
Lecture prononcée devant l`Union catholique le 23 novembre 1802,
par M J A. N. Provencher, Étudiant en Droit. ( Extraits)
Écho du cabinet de lecture paroissial du Bas-Canada - 1861
Un philosophe du dernier siècle a prononcé cette parole remarquable : «Chose admirable, dit-il, la religion Chrétienne qui semble n'avoir d’autre objet que la félicité de l'autre vie fait encore notre bonheur dans celle-ci.» On peut exprimer cette idée d'une manière plus absolue, et dire que le christianisme logique, ou le catholicisme, est seul capable de procurer notre félicité, même dans cette vie, de même qu'il a, lui seul, les moyens de nous assurer le salut dans l'autre.
Cette proposition reçoit également sa démonstration, soit qu'on l'examine à la lumière d'une saine philosophie, soit que, le flambeau de l'histoire à la main, nous passions en revue tous les peuples dont nous pouvons connaître les principes religieux et politiques. Les voies de l'erreur sont si nombreuses que des volumes suffiraient à peine, s'il fallait examiner l'une après l'autre, toutes les erreurs qui ont égaré l'esprit des hommes, soit avant, soit après la naissance du christianisme.
Cependant j'ai cru qu'il ne serait pas sans intérêt d'examiner quelques-uns des dogmes fondamentaux de notre religion, et les rapports directs qu'ils ont avec l'ordre social. En même temps, nous pourrons jeter un coup d'œil sur les figures les plus saillantes des hérésies qui, de temps en temps, sont venu entraver la marche glorieuse de l'Église catholique, guidant le monde vers les hautes destinées qui lui sont assignées.
J'aurai atteint le but que je ne me suis proposé, si l'on peut conclure de là, l'utilité qu'il y a de s'occuper de certaines études peut-être un peu négligées parmi nous. Dieu étant le type de tout qui existe, il faut rechercher en Lui, les lois qui régissent tous les êtres; Il doit être la source et le modèle de tous les rapports qui doivent exister entre toutes les intelligences, créées et incréées. Ceux qui entretiennent des idées erronées quant aux rapports de Dieu avec lui même et avec les créatures, ne sauraient que tomber dans l'erreur lorsqu'ils envisagent les rapports des créatures entr'elles.
Sur ce sujet là, le catholicisme seul nous a défini d'une manière précise, l'existence de Dieu, sa manière d'être, ses rapports nécessaires et contingents, en même temps qu'il nous a enseigné ce que nous devons à nous-mêmes, à nos semblables et à Dieu.
Toute intelligence étant active, cette activité doit se manifester par la connaissance et l'amour, et ces manifestations ne peuvent exister sans des relations avec d'autres intelligences, relations qui sont l'effet d'une société. Cette société étant nécessaire à Dieu qui est l'Intelligence Suprême, on doit trouver en lui les éléments de toute société, c'est-à-dire, la pluralité et la similitude. Il faut qu'il y ait en lui plusieurs intelligence également nécessaires, conséquemment également parfaites. En même temps, pour maintenir l'unité de Dieu, que nous enseignent la révélation et la raison, on doit admettre que ces intelligences que nous appelons Personnes, également parfaites, distinctes l'une de l'autre, ont néanmoins unies de manière à ne former qu'un seul et même Dieu.
C'est ainsi que l'église nous définit le dogme de la Trinité, et nous en fait voir la nécessité. Cette définition est nécessaire pour celle du dogme de l'Incarnation, dont le rapport parait plus immédiat avec l'existence de l'homme. Le Sauveur du monde, nous enseigne l'Église, est le fils de Dieu, Dieu lui-même, se faisant homme tout en restant Dieu, unissant les deux natures dans une même personne, de manière à relier l'homme à Dieu, à renouer la société qui avait été brisée par la première faute du premier homme. Par l'existence des deux natures, se trouve maintenue la distinction entre Dieu et l'homme, tandis que l'union de ces deux natures dans la même personne produit l'union entre l'homme et Dieu.
Ici se trouvent encore les éléments de toute société parfaite: pluralité et similitude. Les définitions du catholicisme sur la nature de l'homme, sa fin et les moyens qu'il a d'y parvenir ne sont pas moins claires ni moins rationnelles que celles qu'il nous donne sur la Divinité. Il nous enseigne que l'homme, créé à l'image de Dieu, dans un état de bonté relative, ne tarda pas à tomber, par l'effet d'une première faute. Aucune intelligence humaine ne pourra comprendre toute la grandeur du désordre entré dans le monde par cette funeste désobéissance. La condition de l'homme fut complètement changée dans son corps comme dans son âme.
En brisant la société qui l'unissait à Dieu, les liens qui soumettaient toute la nature à ses ordres se trouvèrent pareillement brisés; sa révolte contre Dieu entraina la révolte de la nature contre lui-même. Ce roi de l'univers, aux désirs de qui la nature devait gratuitement pourvoir, il est maintenant obligé de gagner son pain quotidien à la sueur de son front. Son intelligence obscurcie ne pouvait plus saisir ces grandes vérités dont elle devait cependant faire sa vie, et même lorsqu'elle parvenait à les connaître, même lorsqu'elle pouvait y puiser la règle de ses devoirs, sa volonté affaiblie n'avait pas la force de les pratiquer.
Si l'homme avait alors été abandonné à lui-même, il se serait infailliblement perdu dans le gouffre de l'erreur et des mauvaises passions dont il aurait bientôt descendu tous les degrés. Dieu ne le voulut pas. Par l'Incarnation de Jésus-Christ, l'homme fut de nouveau mis en société avec Dieu ; cette société est la manifestation, l'image de la société existant entre les Personnes Divines, comme elle se manifeste elle-même dans les diverses sociétés formées entre les créatures.
Ici se présente le plus grand problème que l'intelligence humaine puisse être appelé à résoudre, et de la solution duquel dépend cependant l'existence de la société : concilier dans leurs rapports et dans leur action mutuelle, la Toute-Puissance de Dieu et la liberté de l'homme, maintenir l'existence et l'action de la cause première, de celle qui est, des causes secondes qui existent, c'est-à-dire qui ont reçu l'existence de cette même cause première, sous la puissance de laquelle elles se meuvent, tout en conservant pleinement leur indépendance, jusqu'à pouvoir lutter contre cette cause souveraine, et même remporter la victoire, tandis que cependant la première n'abdique pas sa souveraineté et l'exerce toujours avec le même empire.
Il y a là un défilé qu'aucun homme, abandonné à ses propres lumières n'a pu franchir. La raison catholique seule nous a donné une solution satisfaisante, et mettant en rapport sans les mettre en contradiction ni les confondre, la cause première et les causes secondes, elle nous fait même voir que la liberté de l'homme est d'autant plus grande qu'il reste soumis à l'autorité de Dieu, et que cette autorité s'appesantit en proportion des efforts que l'homme fait pour y échapper.
Dieu, Être parfait de sa nature, ne pouvait mettre dans l'homme le principe du mal ; il ne pouvait non plus créer l'homme parfait, jusqu’à lors la créature et le créateur seraient égaux. Dieu donna à l'homme un entendement et une volonté imparfaits, c'est-à-dire sujets à l'erreur et au mal. Cette redoutable faculté que l'homme possède de choisir est précisément ce qui constitue son imperfection. Nous tombons souvent dans l'erreur à ce sujet, en confondant le libre arbitre avec la liberté, tandis que ces deux facultés n'existent que l`une aux dépens de l'autre.
Le libre arbitre n'est que la faculté de choisir, tandis que la liberté est l'effet combiné de l'entendement et de la volonté, de sorte que tout être doué de ces deux facultés est libre, et il est plus ou moins libre, suivant que ces facultés sont elles-mêmes plus ou moins parfaites.
L'entendement qui se manifeste par la connaissance et la volonté par l'amour, deux effets qui sont eux-mêmes cause de l'action, seraient parfaits s'ils étaient parfaitement libres, c'est-à-dire, suivant la définition qu'on peut donner de la liberté, si aucun obstacle ne s'opposait à leur développement vers leur fin. Or comme cette fin n'est que le vrai et le bien, le libre arbitre qui est pour l'homme la faculté de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, se trouve être en raison inverse de notre liberté, et par conséquent, si l'homme en était privé, il serait parfaitement libre, il connaîtrait le bien et le pratiqueraient d'une manière parfaite, par là même ils serait parfait.
Aussi l'Église en éclairant notre entendement par son préceptorat divin, et en fortifiant notre volonté par la grâce qu'elle nous dispense par le canal des sacrements qu'elle n pour mission d'administrer, augmente d'autant notre liberté.
Cependant le libre arbitre ne peut s'exercer en dehors de la Toute-Puissance de Dieu quoiqu'elle puisse lui être opposée. Nous sommes placés comme dans un cercle dont le centre et la circonférence seraient représentés par la divinité. La grâce nous attire vers le centre et, notre volonté aidant, nous pouvons l'atteindre et nous plonger dans le sein de Dieu, vers qui doivent graviter toutes les intelligences créées. Cependant nous pouvons nous opposer à cet effort de la grâce, mais alors en fuyant Dieu qui nous offre les dons de sa miséricorde, nous rencontrons Dieu armé de tous les châtiments de sa justice.
Nous sommes toujours soumis à la divinité, mais si notre soumission est volontaire, nous conservons notre pleine liberté ; si au contraire, nous nous révoltons contre lui, si nous voulons nous faire les esclaves de nos erreurs et de nos mauvaises passions, nous serons pareillement esclaves de Dieu. Ainsi notre soumission augmente notre liberté, et tous les efforts que nous faisons pour rompre cette dépendance nous crée de nouvelles chaînes. C'est en ce sens que St. Augustin prononça cette parole : «Tu veux fuir Dieu, dit-il, jette toi dans ses bras.»
Ces mystérieuses relations entre Dieu et l'homme se perpétuent encore aujourd'hui sous nos yeux, par la voie de l'église catholique, et si les passions de l'homme n'y mettaient obstacle, elles devaient pareillement avoir leur image dans les sociétés humaines qui, comme les autres sociétés, doivent avoir une économie telle que l'autorité et la liberté concourent à leur propre mutuel.
Pour cela le catholicisme avait constitué la société, non sur le droit qui, comme le dit le révérend Père Lacordaire, est la face égoïste des relations, et qui par conséquent, tend à la désunion, mais sur le devoir qu'en est la face généreuse et dévouée, qui est le principe sociable par excellence. Il avait sanctionné l'autorité en disant qu'elle venait de Dieu, et la liberté en disant qu'il fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.
L'individu dont le catholicisme avait détruit l'antagonisme des facultés, la famille dont il avait sanctifié l'union en l'élevant à la dignité de sacrement, la commune dont le lien était l'unité municipale et le même autel aux pieds duquel tous ses membres allaient s'agenouiller, l'état dont il rendait les guerres civiles et les révolutions impossibles, toutes ces unités et ces diversités s'unissaient harmonieusement, sans que les droits fussent confondus, en conservant l'union et la distinction, à l'image de l'église qui, elle-même n'est que la ressemblance de celle ineffable société des personnes divines s'unissant dans un amour infini.
Puis l'autorité de l'église planait au-dessus de toutes ces sociétés qui se réunissaient en elle par la soumission à une même foi, et par la participation aux mêmes sacrements, suivant le langage si simple et en même temps si juste du catéchisme. Du reste, que le catholicisme soit conforme à l'esprit Je société, c'est là une vérité qui a été comprise par tous ceux qui l'ont tant soit peu étudié, même par ses ennemis.
J'ai cité tout à l'heure Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau n'est pas moins explicite. Nos gouvernements modernes, dit-il, doivent incontestablement an christianisme leur plus solide autorité et leurs révolutions moins fréquentes. Il n'y a pas jusqu'à Proudhon, cet insulteur public de tout ce qu'il y a de juste et de saint qui n'ait payé son tribut d'hommages au catholicisme: les paroles suivantes sont précieuses à recueillir de la bouche d'un tel personnage . «Oh! combien le catholicisme, dit-il, s'est montré plus prudent, et comme il vous a surpassés tous, Saint-Simoniens, républicains, universitaires, économistes, dans la connaissance de l'homme et de la société. Le prêtre sait que notre vie n'est qu'un voyage, et que notre perfectionnement ne se peut réaliser ici-bas. L'homme que la religion a formé, content de savoir, de faire et d'obtenir ce qui suffit à sa destinée terrestre, ne peut jamais devenir un embarras pour le gouvernement. Il en serait plutôt le martyr! O Religion bien aimée faut-il qu'une bourgeoisie qui a tant besoin de toi te méconnaisse !»
De même que les dogmes catholiques sont éminemment conformes à l'esprit de société, de même leur négation entraîne directement la négation de cette même société. L'Intelligence Suprême, avons-nous dit, doit trouver en elle-même les principes d'une société parfaite. En niant le dogme de la Sainte Trinité, on est forcé d'admettre que Dieu a dû établir des rapports avec les intelligences créées. Ces rapports étant nécessaires, on arrive à la conséquence que l'existence de ces intelligences créées est elle-même nécessaire, et qu'elles sont parfaites, puisque tout être nécessaire est parfait, ce qui n'est rien autre chose que la théorie du Panthéisme, qui c’est le confluent de toutes les erreurs.
Le dogme de l'Incarnation est le principe de celui de la grâce, et en les niant, on arrive directement à une des conclusions de dilemme : ou l'homme, par l'effet d'une première faute s'est totalement séparé de la société de Dieu, a vu tous ses droits perdus pour toujours, et n'est devenu comptable que la justice divine, sans qu'il puisse jamais par lui-même se relever de son abaissement, ce qui nous plonge dans le fatalisme, ou d'un autre côté, soit que cette première faute n'ait pas eu lieu, soit qu'elle n'ait pas eu les effets qu'on lui attribue, l'homme est encore présentement en possession de tous les moyens de salut qu'il avait à la création, et de tous les éléments d'une perfectibilité indéfinie. Dans le premier cas, l'homme est sans liberté, sans spontanéité, sans activité propre ; dans le second cas, l'homme étant parfait, ne saurait tomber dans l'erreur, et ne saurait faire le mal.
Ainsi nous voyons que les erreurs sur les principes fondamentaux de notre croyance se réduisent à deux conséquences qui, toutes deux tiennent du Panthéisme: ou l'homme tombé dans le fatalisme, perd son existence propre et n'est qu'une manifestation de la Divinité qui agit par lui, et ne peut être ainsi régi par aucune loi puisque toute loi nécessite l'entendement et la volonté, ou l'homme est parfait, et n'est encore tenu d'obéir à aucune loi, puisque toute idée de loi comporte avec elle l'idée de hiérarchie, de supériorité, de pouvoir, et qu'il ne saurait y avoir ni hiérarchie, ni supériorité, ni pouvoir parmi des êtres également parfaits.
Les seules règles de sa conduite devront être celles qu'il possède dans sa nature, qui sont ses penchants, ses passions, toutes ses volontés. On voit au premier coup d'œil combien cette proposition est grosse de dangers pour la société. Il existe au fond du cœur de l'homme, un désir insatiable de bonheur. C'est là un sentiment que les plus beaux raisonnements ne parviendront pas à faire disparaître. L'homme est intimement convaincu qu'il est né pour le bonheur ; il le cherche de toutes ses forces, il en fait le mobile de toutes ses actions, sans autre régulateur que sa propre raison, cette vocation de l'homme au bonheur est le principe le plus subversif qu'il y ait pour les sociétés, et cependant elle existe.
Le catholicisme même a grandement contribué à son développement tout eu ne lui assurant son entière réalisation dans une autre vie. Malheureusement le Panthéisme lui donne le champ libre, sans frein comme sans guide. Cette destinée au bonheur devant à tout prix être satisfaite, si on la sépare de l'idée de l'Infini qui seul peut la remplir, on est obligé de lui accorder toute son expansion dans cette vie, il faut lui sacrifier l'ordre établi, la société, la religion. Chaque individu doit être dans une complète indépendance vis-à-vis de ses semblables comme il l'est vis-à-vis de son Dieu.
Quelques philosophes du dernier siècle ont essayé de concilier cet idée du bonheur de chaque individu avec l'ordre social, et cela par des moyens purement humains. Les solutions qu'ils ont cru les meilleures, et qu'ils n'ont pas craint de promulguer, montrent clairement combien la raison est exposée à de grands égarements lors qu'elle veut s'élever sur ses propres ailes, jusqu'à ces grandes questions qui nous intéressent à un si haut degré, et sur lesquelles la foi seule peut nous empêcher de nous égarer.
Les uns n'ont pas craint de nier au pauvre et au malheureux, tout droit au bonheur, puisqu'il ne pourra, exercer ce droit sans troubler les jouissances du riche et du puissant. Ils n'ont donné que le fait pour base de la société. Mais, répondront ces hommes dont ils ont voulu faire des parias, mais si ce fait est injuste, si nous avons autant de droit que nos supérieurs, pourquoi nous en priver ? Le droit ne peut-être sacrifié au droit, encore moins aux faits? Et les révolutions ont suivi ces paroles.
D'autres ont pris une autre voie : l'homme est né bon, ont-ils dit, mais il est dégradé, corrompu par la société. Donc, la société, étant contraire à la nature de l'homme doit être détruite. Il n'y a pas de raisonnement plus impie et plus blasphématoire que celui-là. Si la société est essentiellement mauvaise, il faut remonter à la source de la société pour trouver la première cause du mal, au Créateur lui-même, puisqu'il a créé la société avec l'homme.
Proudhon n'a pas reculé devant la dernière conséquence : se posant en face de Dieu comme autrefois Satan lui-même : Dieu, dit-il, est la cause du mal, le mal lui-même, et par conséquent tout homme a non seulement le droit, mais c'est un devoir pour lui de détruire en son esprit toute idée de la Divinité et de se soustraire à son empire, de même qu'à celui de la société.
Du reste le socialisme, dont il est le soldat le plus avancé, se croit la mission et le courage d'accomplir cette tâche. Panthéisme et socialisme, voilà les deux conséquences où sont arrivés tous ceux qui n'ont pas appuyé leurs principes sur l'enseignement de l'Église Catholique.
On pourrait peut être penser que ce sont là de vaines spéculations, capables tout au plus d'occuper les théologiens et les philosophes; mais que les peuples y sont complètement indifférents. L'histoire détromperait bien vite ceux qui seraient dans cette erreur; elle lui démontrerait que du cabinet du philosophe à la rue, suivant l'expression d'Auguste Nicolas, il n'y a qu'un pas bien vite franchi par les mauvaises passions.
Vous ferais-je une peinture du monde antique, de toutes ses injustices, de toutes ses corruptions ? Complètement absorbé dans l'activité divine, jouet de ces milliers de dieux
menteurs et voluptueux, l'homme n'avait d'autre loi que la force. Toutes les individualités étaient absorbées dans les puissances plus élevées. L'enfant, la femme et l'esclave n'avaient d'autre droit que les caprices du maître qui, lui-même était esclave de l'état, et sans droit vis-à-vis de lui.
La dignité humaine était si avilie qu'elle n'avait pas même la force d'une réaction morale contre l'injustice, et lorsqu'on forçait des milliers de victimes à s'entrégorger, pour le
plaisir de cette vile populace qui sacrifiait tout pour la table et le cirque, ces victimes se faisaient une gloire d'acclamer leurs tyrans, et mettaient tout leur bonheur à s'attirer les applaudissements qui devaient saluer leur assassinat. Heureusement le catholicisme parut. Il rétablit l'ordre et le droit sur la terre, et l'on vit régner dans le monde cette harmonie que lui seul pouvait établir entre Dieu et l'homme, et entre ce dernier et ses semblables. Depuis sa naissance, cependant, le catholicisme a vu plusieurs fois les hérésies lui disputer son empire. Il se présente ici un fait bien digne de remarque ; c'est que tous ceux qui ont levé l'étendard de la révolte contre le catholicisme, ont en même temps et expressément attaqué l'existence de la société civile.
Tous ont prêché l'abolition de la propriété, de la famille, de l'autorité. Dans notre siècle de grande tolérance, on s'étonne souvent de ce que l'autorité séculière d'alors imposait des obstacles matériels au développement des hérésies, et allait même jusqu'à punir ceux qui s'en rendaient coupables. Cependant il n'en pouvait être autrement. Lorsque les sociétés encore dans leur enfance étaient presqu'entièrement appuyées sur la religion, cette dernière ne pouvait être attaquée sans que celles-là en ressentissent fortement le contre-coup ; et lorsque surtout ces hérésiarques prêchaient hautement les conséquences sociales de leurs opinions religieuses il était impossible de leur laisser prendre un entier développement, à moins de permettre que le monde se replongeât dans le chaos du paganisme, d'où le catholicisme venait de le tirer.
Lecture prononcée devant l`Union catholique le 23 novembre 1802,
par M J A. N. Provencher, Étudiant en Droit. ( Extraits)
Écho du cabinet de lecture paroissial du Bas-Canada - 1861
Un philosophe du dernier siècle a prononcé cette parole remarquable : «Chose admirable, dit-il, la religion Chrétienne qui semble n'avoir d’autre objet que la félicité de l'autre vie fait encore notre bonheur dans celle-ci.» On peut exprimer cette idée d'une manière plus absolue, et dire que le christianisme logique, ou le catholicisme, est seul capable de procurer notre félicité, même dans cette vie, de même qu'il a, lui seul, les moyens de nous assurer le salut dans l'autre.
Cette proposition reçoit également sa démonstration, soit qu'on l'examine à la lumière d'une saine philosophie, soit que, le flambeau de l'histoire à la main, nous passions en revue tous les peuples dont nous pouvons connaître les principes religieux et politiques. Les voies de l'erreur sont si nombreuses que des volumes suffiraient à peine, s'il fallait examiner l'une après l'autre, toutes les erreurs qui ont égaré l'esprit des hommes, soit avant, soit après la naissance du christianisme.
Cependant j'ai cru qu'il ne serait pas sans intérêt d'examiner quelques-uns des dogmes fondamentaux de notre religion, et les rapports directs qu'ils ont avec l'ordre social. En même temps, nous pourrons jeter un coup d'œil sur les figures les plus saillantes des hérésies qui, de temps en temps, sont venu entraver la marche glorieuse de l'Église catholique, guidant le monde vers les hautes destinées qui lui sont assignées.
J'aurai atteint le but que je ne me suis proposé, si l'on peut conclure de là, l'utilité qu'il y a de s'occuper de certaines études peut-être un peu négligées parmi nous. Dieu étant le type de tout qui existe, il faut rechercher en Lui, les lois qui régissent tous les êtres; Il doit être la source et le modèle de tous les rapports qui doivent exister entre toutes les intelligences, créées et incréées. Ceux qui entretiennent des idées erronées quant aux rapports de Dieu avec lui même et avec les créatures, ne sauraient que tomber dans l'erreur lorsqu'ils envisagent les rapports des créatures entr'elles.
Sur ce sujet là, le catholicisme seul nous a défini d'une manière précise, l'existence de Dieu, sa manière d'être, ses rapports nécessaires et contingents, en même temps qu'il nous a enseigné ce que nous devons à nous-mêmes, à nos semblables et à Dieu.
Toute intelligence étant active, cette activité doit se manifester par la connaissance et l'amour, et ces manifestations ne peuvent exister sans des relations avec d'autres intelligences, relations qui sont l'effet d'une société. Cette société étant nécessaire à Dieu qui est l'Intelligence Suprême, on doit trouver en lui les éléments de toute société, c'est-à-dire, la pluralité et la similitude. Il faut qu'il y ait en lui plusieurs intelligence également nécessaires, conséquemment également parfaites. En même temps, pour maintenir l'unité de Dieu, que nous enseignent la révélation et la raison, on doit admettre que ces intelligences que nous appelons Personnes, également parfaites, distinctes l'une de l'autre, ont néanmoins unies de manière à ne former qu'un seul et même Dieu.
C'est ainsi que l'église nous définit le dogme de la Trinité, et nous en fait voir la nécessité. Cette définition est nécessaire pour celle du dogme de l'Incarnation, dont le rapport parait plus immédiat avec l'existence de l'homme. Le Sauveur du monde, nous enseigne l'Église, est le fils de Dieu, Dieu lui-même, se faisant homme tout en restant Dieu, unissant les deux natures dans une même personne, de manière à relier l'homme à Dieu, à renouer la société qui avait été brisée par la première faute du premier homme. Par l'existence des deux natures, se trouve maintenue la distinction entre Dieu et l'homme, tandis que l'union de ces deux natures dans la même personne produit l'union entre l'homme et Dieu.
Ici se trouvent encore les éléments de toute société parfaite: pluralité et similitude. Les définitions du catholicisme sur la nature de l'homme, sa fin et les moyens qu'il a d'y parvenir ne sont pas moins claires ni moins rationnelles que celles qu'il nous donne sur la Divinité. Il nous enseigne que l'homme, créé à l'image de Dieu, dans un état de bonté relative, ne tarda pas à tomber, par l'effet d'une première faute. Aucune intelligence humaine ne pourra comprendre toute la grandeur du désordre entré dans le monde par cette funeste désobéissance. La condition de l'homme fut complètement changée dans son corps comme dans son âme.
En brisant la société qui l'unissait à Dieu, les liens qui soumettaient toute la nature à ses ordres se trouvèrent pareillement brisés; sa révolte contre Dieu entraina la révolte de la nature contre lui-même. Ce roi de l'univers, aux désirs de qui la nature devait gratuitement pourvoir, il est maintenant obligé de gagner son pain quotidien à la sueur de son front. Son intelligence obscurcie ne pouvait plus saisir ces grandes vérités dont elle devait cependant faire sa vie, et même lorsqu'elle parvenait à les connaître, même lorsqu'elle pouvait y puiser la règle de ses devoirs, sa volonté affaiblie n'avait pas la force de les pratiquer.
Si l'homme avait alors été abandonné à lui-même, il se serait infailliblement perdu dans le gouffre de l'erreur et des mauvaises passions dont il aurait bientôt descendu tous les degrés. Dieu ne le voulut pas. Par l'Incarnation de Jésus-Christ, l'homme fut de nouveau mis en société avec Dieu ; cette société est la manifestation, l'image de la société existant entre les Personnes Divines, comme elle se manifeste elle-même dans les diverses sociétés formées entre les créatures.
Ici se présente le plus grand problème que l'intelligence humaine puisse être appelé à résoudre, et de la solution duquel dépend cependant l'existence de la société : concilier dans leurs rapports et dans leur action mutuelle, la Toute-Puissance de Dieu et la liberté de l'homme, maintenir l'existence et l'action de la cause première, de celle qui est, des causes secondes qui existent, c'est-à-dire qui ont reçu l'existence de cette même cause première, sous la puissance de laquelle elles se meuvent, tout en conservant pleinement leur indépendance, jusqu'à pouvoir lutter contre cette cause souveraine, et même remporter la victoire, tandis que cependant la première n'abdique pas sa souveraineté et l'exerce toujours avec le même empire.
Il y a là un défilé qu'aucun homme, abandonné à ses propres lumières n'a pu franchir. La raison catholique seule nous a donné une solution satisfaisante, et mettant en rapport sans les mettre en contradiction ni les confondre, la cause première et les causes secondes, elle nous fait même voir que la liberté de l'homme est d'autant plus grande qu'il reste soumis à l'autorité de Dieu, et que cette autorité s'appesantit en proportion des efforts que l'homme fait pour y échapper.
Dieu, Être parfait de sa nature, ne pouvait mettre dans l'homme le principe du mal ; il ne pouvait non plus créer l'homme parfait, jusqu’à lors la créature et le créateur seraient égaux. Dieu donna à l'homme un entendement et une volonté imparfaits, c'est-à-dire sujets à l'erreur et au mal. Cette redoutable faculté que l'homme possède de choisir est précisément ce qui constitue son imperfection. Nous tombons souvent dans l'erreur à ce sujet, en confondant le libre arbitre avec la liberté, tandis que ces deux facultés n'existent que l`une aux dépens de l'autre.
Le libre arbitre n'est que la faculté de choisir, tandis que la liberté est l'effet combiné de l'entendement et de la volonté, de sorte que tout être doué de ces deux facultés est libre, et il est plus ou moins libre, suivant que ces facultés sont elles-mêmes plus ou moins parfaites.
L'entendement qui se manifeste par la connaissance et la volonté par l'amour, deux effets qui sont eux-mêmes cause de l'action, seraient parfaits s'ils étaient parfaitement libres, c'est-à-dire, suivant la définition qu'on peut donner de la liberté, si aucun obstacle ne s'opposait à leur développement vers leur fin. Or comme cette fin n'est que le vrai et le bien, le libre arbitre qui est pour l'homme la faculté de choisir entre le vrai et le faux, entre le bien et le mal, se trouve être en raison inverse de notre liberté, et par conséquent, si l'homme en était privé, il serait parfaitement libre, il connaîtrait le bien et le pratiqueraient d'une manière parfaite, par là même ils serait parfait.
Aussi l'Église en éclairant notre entendement par son préceptorat divin, et en fortifiant notre volonté par la grâce qu'elle nous dispense par le canal des sacrements qu'elle n pour mission d'administrer, augmente d'autant notre liberté.
Cependant le libre arbitre ne peut s'exercer en dehors de la Toute-Puissance de Dieu quoiqu'elle puisse lui être opposée. Nous sommes placés comme dans un cercle dont le centre et la circonférence seraient représentés par la divinité. La grâce nous attire vers le centre et, notre volonté aidant, nous pouvons l'atteindre et nous plonger dans le sein de Dieu, vers qui doivent graviter toutes les intelligences créées. Cependant nous pouvons nous opposer à cet effort de la grâce, mais alors en fuyant Dieu qui nous offre les dons de sa miséricorde, nous rencontrons Dieu armé de tous les châtiments de sa justice.
Nous sommes toujours soumis à la divinité, mais si notre soumission est volontaire, nous conservons notre pleine liberté ; si au contraire, nous nous révoltons contre lui, si nous voulons nous faire les esclaves de nos erreurs et de nos mauvaises passions, nous serons pareillement esclaves de Dieu. Ainsi notre soumission augmente notre liberté, et tous les efforts que nous faisons pour rompre cette dépendance nous crée de nouvelles chaînes. C'est en ce sens que St. Augustin prononça cette parole : «Tu veux fuir Dieu, dit-il, jette toi dans ses bras.»
Ces mystérieuses relations entre Dieu et l'homme se perpétuent encore aujourd'hui sous nos yeux, par la voie de l'église catholique, et si les passions de l'homme n'y mettaient obstacle, elles devaient pareillement avoir leur image dans les sociétés humaines qui, comme les autres sociétés, doivent avoir une économie telle que l'autorité et la liberté concourent à leur propre mutuel.
Pour cela le catholicisme avait constitué la société, non sur le droit qui, comme le dit le révérend Père Lacordaire, est la face égoïste des relations, et qui par conséquent, tend à la désunion, mais sur le devoir qu'en est la face généreuse et dévouée, qui est le principe sociable par excellence. Il avait sanctionné l'autorité en disant qu'elle venait de Dieu, et la liberté en disant qu'il fallait obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.
L'individu dont le catholicisme avait détruit l'antagonisme des facultés, la famille dont il avait sanctifié l'union en l'élevant à la dignité de sacrement, la commune dont le lien était l'unité municipale et le même autel aux pieds duquel tous ses membres allaient s'agenouiller, l'état dont il rendait les guerres civiles et les révolutions impossibles, toutes ces unités et ces diversités s'unissaient harmonieusement, sans que les droits fussent confondus, en conservant l'union et la distinction, à l'image de l'église qui, elle-même n'est que la ressemblance de celle ineffable société des personnes divines s'unissant dans un amour infini.
Puis l'autorité de l'église planait au-dessus de toutes ces sociétés qui se réunissaient en elle par la soumission à une même foi, et par la participation aux mêmes sacrements, suivant le langage si simple et en même temps si juste du catéchisme. Du reste, que le catholicisme soit conforme à l'esprit Je société, c'est là une vérité qui a été comprise par tous ceux qui l'ont tant soit peu étudié, même par ses ennemis.
J'ai cité tout à l'heure Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau n'est pas moins explicite. Nos gouvernements modernes, dit-il, doivent incontestablement an christianisme leur plus solide autorité et leurs révolutions moins fréquentes. Il n'y a pas jusqu'à Proudhon, cet insulteur public de tout ce qu'il y a de juste et de saint qui n'ait payé son tribut d'hommages au catholicisme: les paroles suivantes sont précieuses à recueillir de la bouche d'un tel personnage . «Oh! combien le catholicisme, dit-il, s'est montré plus prudent, et comme il vous a surpassés tous, Saint-Simoniens, républicains, universitaires, économistes, dans la connaissance de l'homme et de la société. Le prêtre sait que notre vie n'est qu'un voyage, et que notre perfectionnement ne se peut réaliser ici-bas. L'homme que la religion a formé, content de savoir, de faire et d'obtenir ce qui suffit à sa destinée terrestre, ne peut jamais devenir un embarras pour le gouvernement. Il en serait plutôt le martyr! O Religion bien aimée faut-il qu'une bourgeoisie qui a tant besoin de toi te méconnaisse !»
De même que les dogmes catholiques sont éminemment conformes à l'esprit de société, de même leur négation entraîne directement la négation de cette même société. L'Intelligence Suprême, avons-nous dit, doit trouver en elle-même les principes d'une société parfaite. En niant le dogme de la Sainte Trinité, on est forcé d'admettre que Dieu a dû établir des rapports avec les intelligences créées. Ces rapports étant nécessaires, on arrive à la conséquence que l'existence de ces intelligences créées est elle-même nécessaire, et qu'elles sont parfaites, puisque tout être nécessaire est parfait, ce qui n'est rien autre chose que la théorie du Panthéisme, qui c’est le confluent de toutes les erreurs.
Le dogme de l'Incarnation est le principe de celui de la grâce, et en les niant, on arrive directement à une des conclusions de dilemme : ou l'homme, par l'effet d'une première faute s'est totalement séparé de la société de Dieu, a vu tous ses droits perdus pour toujours, et n'est devenu comptable que la justice divine, sans qu'il puisse jamais par lui-même se relever de son abaissement, ce qui nous plonge dans le fatalisme, ou d'un autre côté, soit que cette première faute n'ait pas eu lieu, soit qu'elle n'ait pas eu les effets qu'on lui attribue, l'homme est encore présentement en possession de tous les moyens de salut qu'il avait à la création, et de tous les éléments d'une perfectibilité indéfinie. Dans le premier cas, l'homme est sans liberté, sans spontanéité, sans activité propre ; dans le second cas, l'homme étant parfait, ne saurait tomber dans l'erreur, et ne saurait faire le mal.
Ainsi nous voyons que les erreurs sur les principes fondamentaux de notre croyance se réduisent à deux conséquences qui, toutes deux tiennent du Panthéisme: ou l'homme tombé dans le fatalisme, perd son existence propre et n'est qu'une manifestation de la Divinité qui agit par lui, et ne peut être ainsi régi par aucune loi puisque toute loi nécessite l'entendement et la volonté, ou l'homme est parfait, et n'est encore tenu d'obéir à aucune loi, puisque toute idée de loi comporte avec elle l'idée de hiérarchie, de supériorité, de pouvoir, et qu'il ne saurait y avoir ni hiérarchie, ni supériorité, ni pouvoir parmi des êtres également parfaits.
Les seules règles de sa conduite devront être celles qu'il possède dans sa nature, qui sont ses penchants, ses passions, toutes ses volontés. On voit au premier coup d'œil combien cette proposition est grosse de dangers pour la société. Il existe au fond du cœur de l'homme, un désir insatiable de bonheur. C'est là un sentiment que les plus beaux raisonnements ne parviendront pas à faire disparaître. L'homme est intimement convaincu qu'il est né pour le bonheur ; il le cherche de toutes ses forces, il en fait le mobile de toutes ses actions, sans autre régulateur que sa propre raison, cette vocation de l'homme au bonheur est le principe le plus subversif qu'il y ait pour les sociétés, et cependant elle existe.
Le catholicisme même a grandement contribué à son développement tout eu ne lui assurant son entière réalisation dans une autre vie. Malheureusement le Panthéisme lui donne le champ libre, sans frein comme sans guide. Cette destinée au bonheur devant à tout prix être satisfaite, si on la sépare de l'idée de l'Infini qui seul peut la remplir, on est obligé de lui accorder toute son expansion dans cette vie, il faut lui sacrifier l'ordre établi, la société, la religion. Chaque individu doit être dans une complète indépendance vis-à-vis de ses semblables comme il l'est vis-à-vis de son Dieu.
Quelques philosophes du dernier siècle ont essayé de concilier cet idée du bonheur de chaque individu avec l'ordre social, et cela par des moyens purement humains. Les solutions qu'ils ont cru les meilleures, et qu'ils n'ont pas craint de promulguer, montrent clairement combien la raison est exposée à de grands égarements lors qu'elle veut s'élever sur ses propres ailes, jusqu'à ces grandes questions qui nous intéressent à un si haut degré, et sur lesquelles la foi seule peut nous empêcher de nous égarer.
Les uns n'ont pas craint de nier au pauvre et au malheureux, tout droit au bonheur, puisqu'il ne pourra, exercer ce droit sans troubler les jouissances du riche et du puissant. Ils n'ont donné que le fait pour base de la société. Mais, répondront ces hommes dont ils ont voulu faire des parias, mais si ce fait est injuste, si nous avons autant de droit que nos supérieurs, pourquoi nous en priver ? Le droit ne peut-être sacrifié au droit, encore moins aux faits? Et les révolutions ont suivi ces paroles.
D'autres ont pris une autre voie : l'homme est né bon, ont-ils dit, mais il est dégradé, corrompu par la société. Donc, la société, étant contraire à la nature de l'homme doit être détruite. Il n'y a pas de raisonnement plus impie et plus blasphématoire que celui-là. Si la société est essentiellement mauvaise, il faut remonter à la source de la société pour trouver la première cause du mal, au Créateur lui-même, puisqu'il a créé la société avec l'homme.
Proudhon n'a pas reculé devant la dernière conséquence : se posant en face de Dieu comme autrefois Satan lui-même : Dieu, dit-il, est la cause du mal, le mal lui-même, et par conséquent tout homme a non seulement le droit, mais c'est un devoir pour lui de détruire en son esprit toute idée de la Divinité et de se soustraire à son empire, de même qu'à celui de la société.
Du reste le socialisme, dont il est le soldat le plus avancé, se croit la mission et le courage d'accomplir cette tâche. Panthéisme et socialisme, voilà les deux conséquences où sont arrivés tous ceux qui n'ont pas appuyé leurs principes sur l'enseignement de l'Église Catholique.
On pourrait peut être penser que ce sont là de vaines spéculations, capables tout au plus d'occuper les théologiens et les philosophes; mais que les peuples y sont complètement indifférents. L'histoire détromperait bien vite ceux qui seraient dans cette erreur; elle lui démontrerait que du cabinet du philosophe à la rue, suivant l'expression d'Auguste Nicolas, il n'y a qu'un pas bien vite franchi par les mauvaises passions.
Vous ferais-je une peinture du monde antique, de toutes ses injustices, de toutes ses corruptions ? Complètement absorbé dans l'activité divine, jouet de ces milliers de dieux
menteurs et voluptueux, l'homme n'avait d'autre loi que la force. Toutes les individualités étaient absorbées dans les puissances plus élevées. L'enfant, la femme et l'esclave n'avaient d'autre droit que les caprices du maître qui, lui-même était esclave de l'état, et sans droit vis-à-vis de lui.
La dignité humaine était si avilie qu'elle n'avait pas même la force d'une réaction morale contre l'injustice, et lorsqu'on forçait des milliers de victimes à s'entrégorger, pour le
plaisir de cette vile populace qui sacrifiait tout pour la table et le cirque, ces victimes se faisaient une gloire d'acclamer leurs tyrans, et mettaient tout leur bonheur à s'attirer les applaudissements qui devaient saluer leur assassinat. Heureusement le catholicisme parut. Il rétablit l'ordre et le droit sur la terre, et l'on vit régner dans le monde cette harmonie que lui seul pouvait établir entre Dieu et l'homme, et entre ce dernier et ses semblables. Depuis sa naissance, cependant, le catholicisme a vu plusieurs fois les hérésies lui disputer son empire. Il se présente ici un fait bien digne de remarque ; c'est que tous ceux qui ont levé l'étendard de la révolte contre le catholicisme, ont en même temps et expressément attaqué l'existence de la société civile.
Tous ont prêché l'abolition de la propriété, de la famille, de l'autorité. Dans notre siècle de grande tolérance, on s'étonne souvent de ce que l'autorité séculière d'alors imposait des obstacles matériels au développement des hérésies, et allait même jusqu'à punir ceux qui s'en rendaient coupables. Cependant il n'en pouvait être autrement. Lorsque les sociétés encore dans leur enfance étaient presqu'entièrement appuyées sur la religion, cette dernière ne pouvait être attaquée sans que celles-là en ressentissent fortement le contre-coup ; et lorsque surtout ces hérésiarques prêchaient hautement les conséquences sociales de leurs opinions religieuses il était impossible de leur laisser prendre un entier développement, à moins de permettre que le monde se replongeât dans le chaos du paganisme, d'où le catholicisme venait de le tirer.
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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