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Pourquoi le scoutisme français s’est-il divisé ?

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Message par Lumen Ven 17 Juin 2022 - 18:58

Pourquoi le scoutisme français s’est-il divisé ?

Scouts de France, Scouts d’Europe, Scouts Unitaires. Alors qu’ils sont tous issus du scoutisme de Baden-Powell, comment ces mouvements scouts se sont constitués ? Pourquoi le scoutisme a volé en éclats au milieu des années 60 ? Le père Yves Combeau, auteur de Toujours prêts, revient sur les origines de cette scission.

Pourquoi le scoutisme français s’est-il divisé ? Scoutisme_francais
De jeunes scouts se saluent, en juillet 1951 à Paris, avant de prendre un train
pour se rendre au septième Jamboree en Autriche. - AFP


Historien et frère dominicain, le père Yves Combeau nous a reçu dans son couvent à Paris à l'occasion de la sortie de son livre Toujours prêts, histoire du scoutisme catholique en France (Cerf). Scout, chef, puis aumônier chez les Scouts Unitaires de France, il nous explique en détail l’origine de la scission des mouvements du scoutisme catholique en France.

Quelle est l’origine de la réforme du mouvement des Scouts de France ?

Avant même sa création, le scoutisme catholique en France est marqué par différents courants et différentes sensibilités. Le mouvement des Scouts de France s’est stabilisé par la suite, mais toujours avec des voix qui pouvaient aller dans un sens ou dans l’autre. En 1950, par exemple, les Éclaireurs et les Routiers ont proposé deux projets très différents. Celui des Éclaireurs est d’éduquer le jeune en le plaçant, pour un temps, dans un univers hors du monde, celui du camp, qui lui permet de renouer avec lui-même, de revenir à sa vraie nature. Dans cet univers naturel, avec ses frères scouts, le jeune peut s’épanouir de façon authentique, tendre librement vers ce qu’il est dans le plan de Dieu, car il a été créé par et pour Dieu. Après quoi, l’appel entendu, le jeune est rendu au monde.  C’est ce que j’ai appelé la démarche d’exception, par opposition à la démarche d’intégration des Routiers. Le jeune routier, lui, doit s’intégrer dans les structures du monde qui l’entoure : les associations, la vie civique ou même politique, et il grandit par son action dans le monde. Cette démarche peut passer par un renoncement total ou partiel aux formes du scoutisme. Dès 1960, certains routiers ne portent déjà plus l’uniforme.

Cette réforme est aussi marquée par le contexte de l’époque.

La réforme du scoutisme a lieu en 1964. Pour l’Église, on est en plein dans le concile Vatican II, qui penche vers une démarche d’intégration ainsi que vers un aggiornamento avec la réforme liturgique. Pour le reste de la société, l’époque est marquée par un basculement social majeur dont le marqueur le plus visible sera mai 1968. On observe également une réforme scolaire qui passe par une séparation des âges en collège et lycée, par une promotion de la mixité, par une pédagogie qui ne veut plus être verticale, du maître à l’élève, mais horizontale : dans l’idéal, ce sont les pairs qui s’éduquent mutuellement. On assiste en fait à un véritable basculement anthropologique. Les années 1960 sont marquées par un idéal progressiste double. On croit en la transformation prométhéenne du monde et en l’idée que la société et l’homme lui-même sont en progrès constant. Dans une société de progrès, les bases peuvent incessamment être remises en question : l’éducation, les institutions, les convictions… On tend aussi vers une société libérale au sens propre, c’est-à-dire une société consensuelle d’égaux, illustrée par le modèle de la Great Society promue par Kennedy et Lyndon Johnson aux États-Unis.

Pourquoi la réforme a provoqué une scission ?

Tous ces facteurs conduisent les Scouts de France à modifier très profondément la pédagogie du mouvement. Des pédagogies sont mises en place en fonction de l’âge des jeunes. Les cadets vont s’appeler rangers et les aînés pionniers. On met également en place des pédagogies de pairs s’auto-éduquant avec la suppression de la relation hiérarchique et des patrouilles. Chez les rangers, cela prendra une forme extrême qu’on appellera plus tard l’auto-directivité : les chefs et cheftaines sont invités à ne pas agir ! Chez les pionniers, la démarche d’intégration est poussée très loin. Dans les deux cas, la pédagogie est façonnée en fonction de l’évolution sociale, parce que celle-ci façonne le jeune, alors que l’ancienne méthode postulait une nature stable du jeune, indépendamment du monde. Avec cette réforme, le mouvement veut toujours s’inspirer de Baden-Powell, il est toujours profondément catholique, mais il opère un changement profond d’anthropologie et donc de méthode.

La réforme c’est donc cela, le tout à la française, avec beaucoup d’idéologie. La réforme est rendue obligatoire. Immédiatement, une très grande partie des Scouts de France va refuser cette réforme. Elle ne comprend pas ce bouleversement, et surtout pas son caractère obligatoire. C’est à partir de là que s’effectue la division des mouvements.


La scission a-t-elle profité aux mouvements scouts français ?

Oui, et je pense que ça a été très difficile à admettre et que ça l’est toujours. Ce qu’il faut admettre, c’est que l’intuition initiale du scoutisme était assez large et que l’existence des différents mouvements permet de répondre aux attentes diverses de la population catholique française. Il n’y a pas une façon d’être catholique, il n’y a pas un seul ordre religieux, et de la même façon il n’y a pas une seule façon d’être scout. Je pense qu’on y a beaucoup gagné. Dans les pays où une forme unique s’est imposée, on voit que le scoutisme est, en réalité, affaibli. L’exemple le plus frappant est celui de la Grande-Bretagne. Au contraire, dans les pays où il existe une diversité des mouvements, le scoutisme est très vivace, comme en France ou en Belgique.

Cela dit, il faut garder un regard critique sur chacun des mouvements. Les SUF et les Scouts d’Europe sont très intéressants. Leurs pédagogies sont pratiquement identiques, surtout à l’âge des scouts et guides, mais leur positionnement social et ecclésial est assez différent. Quant aux Scouts et Guides de France, leur pédagogie est mûre, intelligente, mais je pense que leur positionnement religieux pose beaucoup de questions, et que le qualificatif de « catholique » à leur sujet peut au moins être interrogé.


Les différences entre les mouvements SUF et Europe peuvent sembler ténues : comment pourrait-on les différencier ?

Ces deux mouvements ont deux sensibilités différentes. L’association des Guides et Scouts d’Europe s’est constituée sur un consensus d’apports assez différents. On y reconnaît un modèle de société hiérarchique avec des structures extrêmement fortes : pour les Europe, plus une société est ordonnée, plus elle approche de sa perfection. Le mouvement s’est aussi constitué d’une façon comparable aux congrégations nouvelles, notamment aux mouvements charismatiques : un engagement affectif, pour la vie, dans un mouvement qui est à lui seul comme un microcosme de la Chrétienté, presque une société idéale. En tant que tel, le mouvement peut prendre des positions ecclésiales et civiques. Et il ne faut pas oublier une identité européenne très réelle.

Le mouvement des Scouts unitaires de France est né d’une réflexion assez longue sur ce que peut être le scoutisme unitaire, le scoutisme d’avant la réforme, vécu aujourd’hui. On le dépouille de ce qui est accessoire et on garde l’essentiel, les bases pédagogiques appuyées sur les constantes anthropologiques et enrichies par une longue pratique. A partir de là, on construit un mouvement qui n’est ni une institution ni un projet social et ecclésial comme l’association des scouts d’Europe. Non pas que le SUF adulte ne se préoccupe pas de ces questions, mais il ne s’en préoccupe pas en tant que membre du mouvement. Le mouvement n’est qu’un instrument au service du jeune. Cependant, dans les deux cas, SUF et Europe, l’objectif est le même, et c’est l’objectif catholique : la sainteté.


Vous dites dans votre livre que la crise du scoutisme a eu lieu en même temps que la crise de l’Eglise. Pensez-vous que le regain que vit le scoutisme aujourd’hui est en lien avec un renouveau de l’Eglise ?

La croissance observée aujourd’hui dans les mouvements est sûrement liée au regain de l’Église. Le scoutisme catholique ne peut pas vivre sans une union profonde avec l’Église. Une Église en crise équivaut à un scoutisme en mauvais état. Sur le terrain, l’Église institutionnelle, l’épiscopat et les aumôniers ont parfois eu du mal à comprendre les buts et les moyens du scoutisme. C’est particulièrement vrai au moment du concile, pas forcément pour des raisons liées au concile lui-même, mais cela a donné lieu à un abandon du scoutisme par incompréhension ou réprobation de sa méthode. Réciproquement, un groupe bien intégré dans sa paroisse ou son école ne peut que s’en porter bien.

Le mouvement des Scouts et Guides de France aujourd’hui est-il totalement à l’opposé de ce qu’il était à l’origine ?

Aujourd’hui le mouvement des Scouts et Guides de France incarne une des options qui avait été envisagées à l’origine, qui a été repoussée, puis qui est revenue par étapes. Il se définit comme un mouvement d’éducation populaire ouvert à tous, sans distinction d’appartenance religieuse ; il veut former des citoyens et citoyennes par une démarche d’intégration. Ce qu’il intègre de chrétien dans sa démarche, c’est l’apport de valeurs chrétiennes : l’attention aux plus petits, aux marginaux, l’envie d’aller vers une citoyenneté fraternelle. C’est un programme que je trouve très beau et que le mouvement met en œuvre avec beaucoup de courage, surtout dans les milieux populaires. La question que je pose ensuite est : qu’en est-il de l’évangélisation des jeunes confiés au mouvement ? Particulièrement si le groupe est constitué en majorité d’enfants non catholiques ? Être catholique, ce n’est pas qu’une question de valeurs ; c’est une question de foi. Est catholique ce qui vise le Christ.

Quels conseils donneriez-vous à des familles ou des jeunes qui veulent choisir leur mouvement scout et ne savent pas comment faire ?

Cela dépend du projet de chaque famille. Généralement les familles vont au plus évident, au groupe qui est à côté de chez eux. Il faut se donner un peu plus de mal, participer à une fête de groupe, proposer à l’enfant de passer quelques mois pour savoir ce qu’il en retient, lire les revues des mouvements. Rapidement, une ambiance, une sensibilité, des convictions se dégagent, dans lesquelles les parents peuvent se reconnaître.




Anne-Charlotte Phan
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Lumen
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Date d'inscription : 09/11/2021
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