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Notre-Dame d'Estours, la belle et la bête du Gévaudan

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Message par Lumen Jeu 7 Juil 2022 - 20:51

Notre-Dame d'Estours, la belle et la bête du Gévaudan

Pèlerins, randonneurs, touristes, si vous passez en Haute-Loire, ne manquez pas de rendre visite à Notre-Dame d’Estours, petite chapelle improbable, nichée au cœur d’une région splendide. Suivez le guide.

Notre-Dame d'Estours, la belle et la bête du Gévaudan Chapelles_destours_s.audras_-_rea_
La chapelle Notre-Dame d'Estours est située en plein milieu du Gévaudan, dans un lieu sauvage et difficile d'accès, au fond d'une gorge de la Seuge. - S.Audras - Rea


« Improbable : qui étonne par son caractère peu ordinaire », dit Le Robert. Parmi les innombrables églises et chapelles de France, certaines sont bâties en des lieux insolites, ou construites selon des architectures plutôt inattendues... Comme cette chapelle du Morbihan bâtie sous un énorme rocher, celle logée dans le tronc d’un vieux chêne normand, celle abritée dans une péniche à Conflans-Sainte-Honorine, celle du Père Doncœur, aumônier de la Grande Guerre, dans les carrières de Confrécourt, ou encore cette autre perchée en haut des montagnes à quelques dizaines de kilomètres du Puy-en-Velay, qui retient notre attention cette semaine.

Cette dernière, la chapelle Notre-Dame d’Estours, ne se donne pas au premier venu. Elle se mérite ! Deux chemins y mènent, à faire obligatoirement à pied. L’un vient de Prades, l’autre de Monistrol-d’Allier. C’est celui-ci que nous avons emprunté. Arrivé sur un chemin de terre, vous apercevez brusquement, à vos pieds, sa forme ramassée. Au fond d’une gorge tracée par la Seuge, elle couronne un éperon rocheux et vous tourne le dos, vous offrant sa toiture rose orange et son clocher-mur, typique de la région ; elle fait face à une statue de la Vierge, qui domine l’ensemble de sa silhouette blanche. Vous descendez un raidillon escarpé... et la voilà qui se dresse enfin devant vous. Sur la petite esplanade entre la statue et l’église, la vue est imprenable. D’un côté la Seuge qui serpente et va se jeter dans l’Allier ; de l’autre, au loin, les monts du Velay dans l’horizon bleuté. La nature - hêtres et pins essentiellement - est d’un vert dense, profond ; il a beaucoup plu depuis une semaine, ce que les agriculteurs de la région attendaient avec impatience tant la sécheresse menace. Il a plu à nouveau la nuit précédente, mais ce matin, dans un ciel d’été parsemé de nuages cotonneux blancs et gris, le soleil accepte de faire une apparition, illuminant l’herbe et les feuillages gorgés d’eau. La lumière est splendide. Une aubaine pour notre photographe, arrivé dès potron-minet, qui mitraille la chapelle sans relâche de son énorme objectif.



Notre-Dame d'Estours, la belle et la bête du Gévaudan Estours
Dans la chapelle d'Esrours, l'énorme pierre de l'autel, de forme demi-circulaire, était à l'origine la roue d'un ancien moulin, qui a été retravaillée.


C’est Raymond Ravat, habitant de Monistrol, où il est né, qui nous fait les honneurs des lieux. Connaissant la chapelle depuis son enfance, comme tout le monde ici, il s’est pris d’affection pour elle et veille dessus jalousement. Armé de son trousseau de clés, il nous fait entrer et commente chaque détail de sa voix grave et chantante. Tout a commencé au XIIIe siècle, quand se dressait sur cette butte le château des Tours qui appartenait au seigneur local. La chapelle, qui devait être un simple oratoire à l’époque, est tout ce qu’il en subsiste, le château ayant été détruit en 1537 lors des guerres de religion. « Au début, il n’y avait que le chœur, qui est la partie la plus ancienne, relate notre guide. Le reste a été rajouté par la suite, sans doute avec les pierres de l’ancien château, comme ça se faisait à l’époque. » En l’occurrence, des pierres volcaniques, brunes, que l’on trouve dans toute la région.

Nous nous approchons de l’autel, énorme pierre à demi-circulaire. « C’était la roue d’un ancien moulin. On l’a retravaillée pour en faire un autel », explique Raymond Ravat. Avec son côté rustique, il s’insère parfaitement dans le décor, on a l’impression qu’il est là depuis toujours. Deux crosses en bois, assez curieuses, sont appuyées sur le mur, de part et d’autre de l’autel ; au sommet de ces crosses, une petite sculpture représente une redoutable bête... et nous rappelle que nous sommes au cœur du Gévaudan. Ce qui nous ramène en plein XVIIIe siècle, entre 1764 et 1767, où une bête chien, loup, mélange des deux, on ne sut jamais  sema la terreur dans la région en tuant une centaine de personnes ; la légende et l’imagination populaire se sont mêlées à l’histoire, bien sûr, mais le souvenir en reste cuisant. Une procession fut organisée de Saugues à Notre-Dame d’Estours pour demander à cette dernière de protéger la population contre l’animal. En reconnaissance, un sculpteur local a confectionné ces deux crosses.

Une statue signalée par des meuglements

Et la Vierge ? Selon la tradition, elle apparut un jour à des petits bergers dans la montagne, leur disant qu’« elle voulait ici recevoir la louange de son peuple et lui accorder ses bienfaits ». L’historienne locale Valérie Pignol raconte : « Peu après, on dit que des vachers de Cubelles trouvèrent, dans la fente quasi inaccessible d’un rocher voisin dominant la Seuge, une statue de la Vierge, signalée par les meuglements persistants de bœufs, sur la rive opposée. On porta cette statue à l’église de Cubelles, puis à celle de Monistrol-d’Allier, puis de Saugues ; mais elle revenait toujours dans ces rochers, où l’on finit par lui construire un sanctuaire. »

Initialement, la chapelle abritait une très ancienne statue d’une Vierge à l’Enfant en bois polychrome, mais celle-ci a été transférée à l’église de Monistrol pour des raisons de sécurité. Habillée comme on l’était à l’époque dans les monastères de femmes en Auvergne, elle tient son fils sur ses genoux. « C’est une Vierge romane de majesté à l’allure hiératique, commente Valérie Pignol. La Vierge-prêtre offrant son Jésus au monde. »

Une procession de nuit aux flambeaux

En son absence, c’est une grande statue blanche, en face de la chapelle, qui monte la garde. Elle a été couronnée, par décision du Vatican, en 1908. « Cette décision n’a pas été prise au hasard, commente le Père Pierre Badon, curé de Langeac. C’est parce que la renommée du lieu est réelle. Il attire les pèlerins, les marcheurs, les simples touristes séduits par la beauté du site, et qui peuvent, l’été, profiter de la fraîcheur de la chapelle. » Simple curiosité ou attirance plus profonde ? « C’est le secret des cœurs... », résume le curé de la paroisse dont dépend Notre-Dame d’Estours.

Toujours est-il que la chapelle accueille chaque année de nombreux pèlerins, le premier dimanche de septembre, où l’on descend en procession la statue de Monistrol (en réalité une copie, pour préserver l’original du soleil et des intempéries) et le 8 du même mois, où l’on processionne la nuit, aux flambeaux, pour fêter la nativité de la Vierge. « Ces deux manifestations attirent beaucoup de monde, remarque le Père Badon. La dévotion de la population locale pour Notre-Dame d’Estours est réelle. »




Charles-Henri d'Andigné
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