Les illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande
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Les illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande
Les illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande
René Le Forestier
Publié en 1915, ce livre demeure un ouvrage de référence sur les Illuminés de Bavière, et il est d'autant plus précieux que beaucoup de documents auxquels l'auteur a eu accès ont disparu depuis les deux guerres mondiales. Il sera particulièrement utile à ceux qui s'intéressent à l'illuminisme et au martinisme du XVIIIe siècle, dans la mesure où il évoque également l'histoire de la Stricte Observance Templière et celle des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte.
Texte de la brochure de présentation du livre :
« La société secrète, appelée Ordre des Illuminés, fondée en 1776 par un professeur bavarois, fit des prosélytes dans toute l'Allemagne et jusqu'en Hongrie, et inscrivit sur ses listes des noms célèbres comme ceux de Goethe et de Herder. Elle tenta de conquérir les loges allemandes ou de les gouverner en secret. On lui a attribué une influence décisive sur la Révolution française, et la police napoléonienne la crut digne de son attention. L'auteur, en s'appuyant sur des documents inédits consultés dans les archives de la Maison royale de Bavière, dans celles de la loge Ernest au Compas de Gotha et aux Archives nationales, a écrit l'histoire complète et détaillée de cette association jusqu'à présent mal connue. Les chapitres qu'il a consacrés à la franc-maçonnerie allemande racontent la vie pittoresque de cette société depuis ses origines jusqu'en 1780 ; le lecteur y trouvera, à côté de l'analyse des principaux rites et de renseignements sur les loges françaises, autrichiennes, suédoises et polonaises, le portrait des différents personnages qui conduisirent souvent les Frères sur les voies aventureuses de l'alchimie et de l'occultisme. L'ouvrage contient des planches documentaires d'après des originaux datant du XVIIIe siècle. »
Comentaire de Bibliotheca esoterica de Dorbon :
« Ouvrage définitif sur les fameux Illuminés [ ... ]. – Ayant eu entre les mains tous les papiers confisqués au cours des persécutions de 1786 contre l'Ordre, et les documents autrefois possédés tant par Bode, qui y joua un rôle important, que par l'écrivain Becker, notre auteur a pu se faire un historique complet de l'Ordre des Illuminés, leur genèse, leurs idées primitives, leurs doctrines politiques et religieuses, leurs buts et l'influence qu'ils eurent sur les événements contemporains et en particulier sur la Révolution française. – Bien des chapitres seraient à citer dans ce livre qui éclaire la vie occulte de toute une époque : mentionnons seulement ceux relatifs au Testament philosophique de Weishaupt ; à la Légende de l'illuminisme; aux émissaires de l'Ordre en France ; aux aveux de Cagliostro ; au voyage de Mirabeau en Prusse ; à Bode et au Convent des Philalètes en 1787, visite au cours de laquelle Bode convertit à l'illuminisme le duc d'Orléans, grand maître de l'Ordre maçonnique, Fauchet, Mounier, Bailly, Condorcet, La Fayette, etc. ; aux Rose-Croix de Bavière ; aux rapports de l'illuminisme et de la franc-maçonnerie avec la Révolution française ; aux prolongements de l'Ordre sous Napoléon sous forme d'associations d'étudiants ; aux critiques des divers historiens, Robison, Barruel, Lombard de Langres, le P. Deschamps, etc. – Devenu très rare. »
Archè, Milan, Paris, 2001, 729 p. ISBN : 88-7252-233-1
René Le Forestier
Publié en 1915, ce livre demeure un ouvrage de référence sur les Illuminés de Bavière, et il est d'autant plus précieux que beaucoup de documents auxquels l'auteur a eu accès ont disparu depuis les deux guerres mondiales. Il sera particulièrement utile à ceux qui s'intéressent à l'illuminisme et au martinisme du XVIIIe siècle, dans la mesure où il évoque également l'histoire de la Stricte Observance Templière et celle des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte.
Texte de la brochure de présentation du livre :
« La société secrète, appelée Ordre des Illuminés, fondée en 1776 par un professeur bavarois, fit des prosélytes dans toute l'Allemagne et jusqu'en Hongrie, et inscrivit sur ses listes des noms célèbres comme ceux de Goethe et de Herder. Elle tenta de conquérir les loges allemandes ou de les gouverner en secret. On lui a attribué une influence décisive sur la Révolution française, et la police napoléonienne la crut digne de son attention. L'auteur, en s'appuyant sur des documents inédits consultés dans les archives de la Maison royale de Bavière, dans celles de la loge Ernest au Compas de Gotha et aux Archives nationales, a écrit l'histoire complète et détaillée de cette association jusqu'à présent mal connue. Les chapitres qu'il a consacrés à la franc-maçonnerie allemande racontent la vie pittoresque de cette société depuis ses origines jusqu'en 1780 ; le lecteur y trouvera, à côté de l'analyse des principaux rites et de renseignements sur les loges françaises, autrichiennes, suédoises et polonaises, le portrait des différents personnages qui conduisirent souvent les Frères sur les voies aventureuses de l'alchimie et de l'occultisme. L'ouvrage contient des planches documentaires d'après des originaux datant du XVIIIe siècle. »
Comentaire de Bibliotheca esoterica de Dorbon :
« Ouvrage définitif sur les fameux Illuminés [ ... ]. – Ayant eu entre les mains tous les papiers confisqués au cours des persécutions de 1786 contre l'Ordre, et les documents autrefois possédés tant par Bode, qui y joua un rôle important, que par l'écrivain Becker, notre auteur a pu se faire un historique complet de l'Ordre des Illuminés, leur genèse, leurs idées primitives, leurs doctrines politiques et religieuses, leurs buts et l'influence qu'ils eurent sur les événements contemporains et en particulier sur la Révolution française. – Bien des chapitres seraient à citer dans ce livre qui éclaire la vie occulte de toute une époque : mentionnons seulement ceux relatifs au Testament philosophique de Weishaupt ; à la Légende de l'illuminisme; aux émissaires de l'Ordre en France ; aux aveux de Cagliostro ; au voyage de Mirabeau en Prusse ; à Bode et au Convent des Philalètes en 1787, visite au cours de laquelle Bode convertit à l'illuminisme le duc d'Orléans, grand maître de l'Ordre maçonnique, Fauchet, Mounier, Bailly, Condorcet, La Fayette, etc. ; aux Rose-Croix de Bavière ; aux rapports de l'illuminisme et de la franc-maçonnerie avec la Révolution française ; aux prolongements de l'Ordre sous Napoléon sous forme d'associations d'étudiants ; aux critiques des divers historiens, Robison, Barruel, Lombard de Langres, le P. Deschamps, etc. – Devenu très rare. »
Archè, Milan, Paris, 2001, 729 p. ISBN : 88-7252-233-1
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
Re: Les illuminés de Bavière et la Franc-Maçonnerie allemande
Illuminati - Les illuminés de Bavière
Quel est donc ce mystérieux groupe occulte qui a tant suscité de fantasmes et qui n’a apparemment pas fini de fasciner, puisque Dan Brown le met en scène dans son ouvrage « Anges et Démons » ?
Le terme Illuminati désigne une société secrète fondée par Adam Weishaupt. Né en 1748 à Ingolstadt, cité universitaire dont le célèbre collège jésuite devint, après le concile de Trente, le foyer le plus actif de la Contre-Réforme en Bavière. Le jeune Adam est un enfant puis un jeune homme précoce : à vingt ans, il se voit attribuer la chaire de droit canonique de l’université de sa ville natale. Mais déçu par l’apport des Lumières, il nourrit l’ambition d’une vaste réforme culturelle dont la société allemande a selon lui le plus grand besoin. Le 1er mai 1776 il érige l’Ordo Illuminati Germaniae ou Orden der Illuminaten - l’Ordre ultra-secret des Illuminés dits « de Bavière » en raison de son lieu de fondation. Jusqu’en 1778, l’Ordre ne compte que deux membres : son fondateur et un de ses étudiants, du nom de Massenhausen. Le recrutement se fera progressivement, par affiliation strictement individuelle, afin de préserver le caractère occulte de la société.
Pourquoi cette insistance sur le caractère secret ?
A. Weishaupt entendait fonder une Loge ésotérique ; or le principe de l’arcane, c’est-à-dire du secret jalousement gardé, fait partie des caractéristiques essentielles de l’ésotérisme. Une autre raison, plus psychologique, vient s’ajouter aux motivations de notre fondateur : le secret qui lie solennellement les membres de la Loge, assure davantage leur unité que la doctrine qu’ils s’engagent par serment à ne jamais divulguer. De plus une société « secrète » procure à ses membres un sentiment de supériorité qui est un atout précieux pour la pérennité de l’organisation. Les écoles secrètes se plaisent d’ailleurs à revendiquer des origines imaginaires fort anciennes s’appuyant sur des arbres généalogiques fantaisistes ne mentionnant que des personnages appartenant à l’élite. Dans le Code Da Vinci, Dan Brown respecte cette règle dans la présentation de « l’arbre généalogique » fictif des Maîtres du fameux Prieuré de Sion.
Le secret prévalait dans les relations des Iluminati avec le monde externe comme dans les relations internes. L’Ordre était partagé en treize grades, répartis en deux classes : l’édifice inférieur et l’édifice supérieur. Chaque classe et chaque grade étaient strictement cloisonnés avec interdiction très sévère de communiquer les « secrets » d’un niveau supérieur aux membres d’un grade inférieur. Les membres d’un même grade ne connaissaient d’ailleurs que leurs compagnons les plus proches et ignoraient l’identité des échelons supérieurs de la hiérarchie.
Le « nomen mysticum » - le nom « mystique » reçu lors de l’initiation, les signes, mots et attouchements de reconnaissance, augmentaient encore l’aspect « mystérieux » de la société. Ce genre de pratiques n’est d’ailleurs pas propre aux Illuminati : on les retrouve dans la plupart des Ordres ésotériques.
Adam Weishaupt avait cependant poussé le vice jusqu’à instituer une hiérarchie parallèle, qui avait pour mission d’espionner non seulement les profanes, mais aussi les membres de l’Ordre quel que fut leur grade ou leur fonction. Ce système organisé de délation créait une atmosphère de soupçon et de complot qui entretenait une émulation d’intransigeance en faveur de la « cause commune ».
Et quelle était donc cette « cause » entourée d’un tel secret ?
On ne l’apprit qu’à la dissolution de l’Ordre, en mars 1785. Outre la liste des adhérents, les perquisitions dans la demeure de A. Weishaupt permirent aux enquêteurs de découvrir des documents explicitant les visées des Illuminati. En quelques mots, leur but était de libérer l’homme - et par là la société - de tout asservissement à la morale, à la religion ou à la propriété. Après avoir déconstruit les fondements de l’ancienne structuration sociale, ils se proposaient d’édifier une société sans classe, sans inégalité, sans hiérarchie. Etonnant projet pour une société secrète on ne peut plus pyramidale ! Le lien s’impose avec les utopies politiques et sociales qui apparaîtront bientôt sous la poussée de Babeuf, mais aussi Bakounine, et indirectement Trotski et Lénine. Précurseur de l’idéal anarchiste, Weishaupt se considérait comme le « Spartacus » (c’était son nomen mysticum) des temps modernes, chargé de renverser les pouvoirs politiques et religieux. Son mot d’ordre était : « Tout détruire et le plus vite possible » : les régimes monarchiques, l’Eglise catholique, les distinctions nobiliaires, bref : tout l’ordre ancien, afin d’instaurer, fût-ce par la force, des régimes « démocratiques », en Allemagne d’abord, puis dans les autres Etats.
Cet Ordre a-t-il connu une certaine notoriété ?
Je me contenterai de citer quelques membres : le duc Charles-Auguste, Goethe, Herder, le duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha, le duc Ferdinand de Brunswick. Mais ces notables ignoraient probablement tout des finalités de l’Ordre, qui n’étaient révélées que très progressivement à mesure que les membres s’élevaient dans la hiérarchie. Ajoutons que c’était la « tête » - entendons le Grand Maître de l’Ordre et lui seul - qui pouvait appeler un membre à franchir un échelon de l’échelle initiatique. La présence de ces hauts personnages politique est d’autant plus paradoxale, qu’ils étaient les premiers visés par le complot anarchiste de Weishaupt.
Jouissant de tels appuis, comment se fait-il que l’Ordre ait été dissous ?
La structure de l’Ordre trahit les tendances paranoïaques de A. Weishaupt, tendances qui rendaient les relations avec son entourage particulièrement difficiles. Il se brouilla avec ses plus fidèles collaborateurs, le juge Zwack et le baron von Knigge ; il éveilla la méfiance de la Loge franc-maçonne de stricte observance qu’il s’était affiliée en vue de noyauter la franc-maçonnerie. Pourtant ce ne fut pas par une dénonciation, mais par un coup de foudre – au sens météorologique du terme - qui allait permettre que soit dévoilé le complot secret. Un prêtre défroqué, homme de confiance du Grand Maître, fut en effet foudroyé au cours d’un orage, alors qu’il transportait en Saxe des dossiers secrets. C’est l’enquête de routine qui permit à la police bavaroise de découvrir la conspiration.
Quelle fut la postérité des Illuminati ?
Weishaupt meurt à Gotha le 18 novembre 1830, mais l’ombre de l’Ordre qu’il a fondé va longtemps encore planer sur l’Europe, avant d’émigrer aux Etats-Unis où elle va « s’incarner » dans de nouvelles loges « très secrètes ». Il est très difficile - voire impossible - de faire le tri entre les faits historiques et la fiction en ce qui concerne la postérité des Illuminati. L’ouvrage de l’Abbé Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1797-1798) va contribuer à la mythologisation des Illuminés de Bavière, accusés d’avoir préparé, suscité et organisé la Révolution française. De là naîtra la théorie du complot maçonnique - ou judéo-maçonnique - qui donnera naissance dans les années 1920, à la diffusion du fameux « Protocole des sages de Sion ».
Il n’en reste pas moins qu’un doute subsiste, et subsistera sans doute toujours. Selon Serge Hutin, spécialiste de l’ésotérisme occidental, les Illuminati n’auraient été que la résurgence bavaroise d’une machination à l’échelle européenne [1]. Il maintient la thèse d’une influence des Illuminati - qui auraient donc « survécu » à leur dissolution officielle - sur l’évolution de la Révolution française, particulièrement la radicalisation soudaine de l’été 1792. Toujours selon S. Hutin, l’Ordre aurait par la suite joué la carte Bonaparte, qui aurait été accueilli au grade supérieur de la Loge. Dans ses Mémoires rédigées à Sainte Hélène, l’empereur ferait le récit de cette intronisation. Les Illuminés lui auraient par la suite retiré leur soutien, lorsqu’il préféra la couronne au chapeau, symbole du pouvoir dans l’Ordre.
Il faut signaler aussi les travaux du Père Régimbal, au Canada, qui au siècle dernier dénonça vigoureusement les complots d’associations secrètes, qu’il considère comme des résurgences actuelles des Illuminati.
L’antichristianisme des Illuminés était-il réel ou fait-il partie de ce mythe ?
Il est probable que les Illuminati, dont la prétention était de réformer une société allemande dite « chrétienne », ont effectivement pris une orientation hostile à la chrétienté et à l’Eglise. Il suffit de relire leurs objectifs pour s’en rendre compte.
De plus dans l’Allemagne de l’époque - comme dans d’autres Etats d’Europe - l’instauration d’un nouvel ordre social semblait aller nécessairement de pair avec la destruction non seulement de l’ancien régime politique, mais aussi de la religion catholique, associée aux pouvoirs à abattre pour instaurer une société égalitariste. Ajoutons que derrière cet antichristianisme se profile en Allemagne la restauration de l’antique religion germanique préchrétienne, que l’Eglise aurait en vain tenté d’éradiquer. Nous aurons à revenir sur l’anticatholicisme virulent de l’aryosophisme qui se développera quelques années plus tard dans le contexte du mouvement pangermaniste.
Père Joseph-Marie Verlinde
[1] S. HUTIN, L’ésotérisme de l’histoire, Diffusion rosicrucienne
Quel est donc ce mystérieux groupe occulte qui a tant suscité de fantasmes et qui n’a apparemment pas fini de fasciner, puisque Dan Brown le met en scène dans son ouvrage « Anges et Démons » ?
Le terme Illuminati désigne une société secrète fondée par Adam Weishaupt. Né en 1748 à Ingolstadt, cité universitaire dont le célèbre collège jésuite devint, après le concile de Trente, le foyer le plus actif de la Contre-Réforme en Bavière. Le jeune Adam est un enfant puis un jeune homme précoce : à vingt ans, il se voit attribuer la chaire de droit canonique de l’université de sa ville natale. Mais déçu par l’apport des Lumières, il nourrit l’ambition d’une vaste réforme culturelle dont la société allemande a selon lui le plus grand besoin. Le 1er mai 1776 il érige l’Ordo Illuminati Germaniae ou Orden der Illuminaten - l’Ordre ultra-secret des Illuminés dits « de Bavière » en raison de son lieu de fondation. Jusqu’en 1778, l’Ordre ne compte que deux membres : son fondateur et un de ses étudiants, du nom de Massenhausen. Le recrutement se fera progressivement, par affiliation strictement individuelle, afin de préserver le caractère occulte de la société.
Pourquoi cette insistance sur le caractère secret ?
A. Weishaupt entendait fonder une Loge ésotérique ; or le principe de l’arcane, c’est-à-dire du secret jalousement gardé, fait partie des caractéristiques essentielles de l’ésotérisme. Une autre raison, plus psychologique, vient s’ajouter aux motivations de notre fondateur : le secret qui lie solennellement les membres de la Loge, assure davantage leur unité que la doctrine qu’ils s’engagent par serment à ne jamais divulguer. De plus une société « secrète » procure à ses membres un sentiment de supériorité qui est un atout précieux pour la pérennité de l’organisation. Les écoles secrètes se plaisent d’ailleurs à revendiquer des origines imaginaires fort anciennes s’appuyant sur des arbres généalogiques fantaisistes ne mentionnant que des personnages appartenant à l’élite. Dans le Code Da Vinci, Dan Brown respecte cette règle dans la présentation de « l’arbre généalogique » fictif des Maîtres du fameux Prieuré de Sion.
Le secret prévalait dans les relations des Iluminati avec le monde externe comme dans les relations internes. L’Ordre était partagé en treize grades, répartis en deux classes : l’édifice inférieur et l’édifice supérieur. Chaque classe et chaque grade étaient strictement cloisonnés avec interdiction très sévère de communiquer les « secrets » d’un niveau supérieur aux membres d’un grade inférieur. Les membres d’un même grade ne connaissaient d’ailleurs que leurs compagnons les plus proches et ignoraient l’identité des échelons supérieurs de la hiérarchie.
Le « nomen mysticum » - le nom « mystique » reçu lors de l’initiation, les signes, mots et attouchements de reconnaissance, augmentaient encore l’aspect « mystérieux » de la société. Ce genre de pratiques n’est d’ailleurs pas propre aux Illuminati : on les retrouve dans la plupart des Ordres ésotériques.
Adam Weishaupt avait cependant poussé le vice jusqu’à instituer une hiérarchie parallèle, qui avait pour mission d’espionner non seulement les profanes, mais aussi les membres de l’Ordre quel que fut leur grade ou leur fonction. Ce système organisé de délation créait une atmosphère de soupçon et de complot qui entretenait une émulation d’intransigeance en faveur de la « cause commune ».
Et quelle était donc cette « cause » entourée d’un tel secret ?
On ne l’apprit qu’à la dissolution de l’Ordre, en mars 1785. Outre la liste des adhérents, les perquisitions dans la demeure de A. Weishaupt permirent aux enquêteurs de découvrir des documents explicitant les visées des Illuminati. En quelques mots, leur but était de libérer l’homme - et par là la société - de tout asservissement à la morale, à la religion ou à la propriété. Après avoir déconstruit les fondements de l’ancienne structuration sociale, ils se proposaient d’édifier une société sans classe, sans inégalité, sans hiérarchie. Etonnant projet pour une société secrète on ne peut plus pyramidale ! Le lien s’impose avec les utopies politiques et sociales qui apparaîtront bientôt sous la poussée de Babeuf, mais aussi Bakounine, et indirectement Trotski et Lénine. Précurseur de l’idéal anarchiste, Weishaupt se considérait comme le « Spartacus » (c’était son nomen mysticum) des temps modernes, chargé de renverser les pouvoirs politiques et religieux. Son mot d’ordre était : « Tout détruire et le plus vite possible » : les régimes monarchiques, l’Eglise catholique, les distinctions nobiliaires, bref : tout l’ordre ancien, afin d’instaurer, fût-ce par la force, des régimes « démocratiques », en Allemagne d’abord, puis dans les autres Etats.
Cet Ordre a-t-il connu une certaine notoriété ?
Je me contenterai de citer quelques membres : le duc Charles-Auguste, Goethe, Herder, le duc Ernest II de Saxe-Cobourg-Gotha, le duc Ferdinand de Brunswick. Mais ces notables ignoraient probablement tout des finalités de l’Ordre, qui n’étaient révélées que très progressivement à mesure que les membres s’élevaient dans la hiérarchie. Ajoutons que c’était la « tête » - entendons le Grand Maître de l’Ordre et lui seul - qui pouvait appeler un membre à franchir un échelon de l’échelle initiatique. La présence de ces hauts personnages politique est d’autant plus paradoxale, qu’ils étaient les premiers visés par le complot anarchiste de Weishaupt.
Jouissant de tels appuis, comment se fait-il que l’Ordre ait été dissous ?
La structure de l’Ordre trahit les tendances paranoïaques de A. Weishaupt, tendances qui rendaient les relations avec son entourage particulièrement difficiles. Il se brouilla avec ses plus fidèles collaborateurs, le juge Zwack et le baron von Knigge ; il éveilla la méfiance de la Loge franc-maçonne de stricte observance qu’il s’était affiliée en vue de noyauter la franc-maçonnerie. Pourtant ce ne fut pas par une dénonciation, mais par un coup de foudre – au sens météorologique du terme - qui allait permettre que soit dévoilé le complot secret. Un prêtre défroqué, homme de confiance du Grand Maître, fut en effet foudroyé au cours d’un orage, alors qu’il transportait en Saxe des dossiers secrets. C’est l’enquête de routine qui permit à la police bavaroise de découvrir la conspiration.
Quelle fut la postérité des Illuminati ?
Weishaupt meurt à Gotha le 18 novembre 1830, mais l’ombre de l’Ordre qu’il a fondé va longtemps encore planer sur l’Europe, avant d’émigrer aux Etats-Unis où elle va « s’incarner » dans de nouvelles loges « très secrètes ». Il est très difficile - voire impossible - de faire le tri entre les faits historiques et la fiction en ce qui concerne la postérité des Illuminati. L’ouvrage de l’Abbé Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1797-1798) va contribuer à la mythologisation des Illuminés de Bavière, accusés d’avoir préparé, suscité et organisé la Révolution française. De là naîtra la théorie du complot maçonnique - ou judéo-maçonnique - qui donnera naissance dans les années 1920, à la diffusion du fameux « Protocole des sages de Sion ».
Il n’en reste pas moins qu’un doute subsiste, et subsistera sans doute toujours. Selon Serge Hutin, spécialiste de l’ésotérisme occidental, les Illuminati n’auraient été que la résurgence bavaroise d’une machination à l’échelle européenne [1]. Il maintient la thèse d’une influence des Illuminati - qui auraient donc « survécu » à leur dissolution officielle - sur l’évolution de la Révolution française, particulièrement la radicalisation soudaine de l’été 1792. Toujours selon S. Hutin, l’Ordre aurait par la suite joué la carte Bonaparte, qui aurait été accueilli au grade supérieur de la Loge. Dans ses Mémoires rédigées à Sainte Hélène, l’empereur ferait le récit de cette intronisation. Les Illuminés lui auraient par la suite retiré leur soutien, lorsqu’il préféra la couronne au chapeau, symbole du pouvoir dans l’Ordre.
Il faut signaler aussi les travaux du Père Régimbal, au Canada, qui au siècle dernier dénonça vigoureusement les complots d’associations secrètes, qu’il considère comme des résurgences actuelles des Illuminati.
L’antichristianisme des Illuminés était-il réel ou fait-il partie de ce mythe ?
Il est probable que les Illuminati, dont la prétention était de réformer une société allemande dite « chrétienne », ont effectivement pris une orientation hostile à la chrétienté et à l’Eglise. Il suffit de relire leurs objectifs pour s’en rendre compte.
De plus dans l’Allemagne de l’époque - comme dans d’autres Etats d’Europe - l’instauration d’un nouvel ordre social semblait aller nécessairement de pair avec la destruction non seulement de l’ancien régime politique, mais aussi de la religion catholique, associée aux pouvoirs à abattre pour instaurer une société égalitariste. Ajoutons que derrière cet antichristianisme se profile en Allemagne la restauration de l’antique religion germanique préchrétienne, que l’Eglise aurait en vain tenté d’éradiquer. Nous aurons à revenir sur l’anticatholicisme virulent de l’aryosophisme qui se développera quelques années plus tard dans le contexte du mouvement pangermaniste.
Père Joseph-Marie Verlinde
[1] S. HUTIN, L’ésotérisme de l’histoire, Diffusion rosicrucienne
MichelT- Date d'inscription : 06/02/2010
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