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L’Etat chrétien et la doctrine de l’Eglise

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L’Etat chrétien et la doctrine de l’Eglise Empty L’Etat chrétien et la doctrine de l’Eglise

Message par MichelT Mer 19 Oct 2011 - 2:13

L’Etat chrétien et la doctrine de l’Eglise
Date de mise en ligne : 11 octobre 2006

Le concept d’Etat chrétien continue de susciter l’étonnement, voire la réprobation. Or, il ne s’agit pas d’une simple querelle de mots : c’est tout le contenu et la finalité de l’action des catholiques en politique qui est en cause.

La doctrine sociale de l’Eglise - qui donne les principes de toute action politique des catholiques - ne repose-t-elle pas non seulement sur la loi naturelle (fondement qui la rend accessible et applicable par tous les hommes de bonne volonté) mais aussi sur la Révélation ? Dans ces conditions, le caractère spécifiquement chrétien que doit revêtir l’action politique des catholiques n’est-il pas incontestable ?

Pour éclairer cette question, nous allons d’abord rappeler quel est le rôle de l’Etat, de quelle nature sont les relations entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel et quel est l’enseignement de l’encyclique "Quas primas".

Extrait de Permanences n°333

Quel est le rôle de l’Etat ? Quelle fin doit-il poursuivre ?

Pour déterminer si un Etat chrétien est une réalité possible et souhaitable, rappelons d’abord quel est le rôle de l’Etat [1].

Pour ce faire, nous nous appuierons sur le traité "De Regno" ou "De Regimine Principium" (vers 1267) que Saint Thomas d’Aquin consacra à la politique pour éclairer Hugues II de Lusignan, le jeune roi de Chypre qui l’avait interrogé.

Saint Thomas montre que, comme le navire est dirigé vers le port (fin externe) par le pilote, ainsi "l’office de celui qui gouverne sera non seulement de conserver intacte la chose en elle-même (la cité), mais en plus de la conduire à sa fin".

Quelle est donc cette fin de la société ? "Il faut porter le même jugement sur la fin de toute la multitude et sur celle de l’individu".

En effet, si cela n’était pas le cas, la fin de l’homme pris individuellement serait contraire à celle de la société, ou du moins contrariée par elle car l’homme serait tiraillé entre deux fins différentes. Ceci serait contraire à l’harmonie de l’homme [2] et à celle voulue et établie par Dieu entre l’ordre de la grâce et l’ordre de la nature. Mais c’est justement cet écartèlement de l’homme qui se produit pratiquement (d’où la détresse spirituelle et la fuite dans les sectes de beaucoup de nos concitoyens) quand l’Etat n’est pas chrétien et ignore la vraie fin humaine.

Or, nous dit le Docteur angélique, "si une telle fin, soit de l’homme, soit de la multitude, était corporelle, si c’était la vie et la santé du corps, elle regarderait la fonction du médecin. Si cette fin ultime était l’affluence des richesses, l’économe serait une sorte de roi de la multitude . Si le biende connaître la vérité était quelque chose de tel que la multitude puisse y atteindre, le roi aurait la fonction de docteur. Or il apparaît que la fin ultime d’une multitude rassemblée en société est de vivre selon la vertu. En effet, si les hommes s’assemblent, c’est pour mener ensemble une vie bonne, ce à quoi chacun vivant isolément ne pourrait parvenir. Or une vie bonne est une vie selon la vertu ; la vie vertueuse est donc la fin du rassemblement des hommes en société".

Puis Saint Thomas précise encore la finalité de la société : "Mais puisque l’homme, en vivant selon la vertu, est ordonné à une fin plus haute, qui consiste dans la jouissance de Dieu, comme nous l’avons déjà dit plus haut, il faut que la fin de la multitude soit la même que celle d’un seul homme. La fin ultime de la multitude rassemblée en société n’est donc pas [seulement] de vivre selon la vertu, mais, par la vertu, de parvenir à la jouissance de Dieu".

"Le bien commun temporel n’est donc [pas] autre que le vrai bien humain" [3]. En cette vie, toutefois, il s’agit d’une "participation imparfaite de la béatitude" [4].

Par conséquent, il ne suffit pas de définir le bien commun - nom par lequel on désigne cette fin de l’Etat - en disant qu’il intègre tous les biens qui, dans l’ordre temporel, concourent à cette béatitude (recherche de la sagesse par l’effort de la raison, acquisition des sciences pratiques et des vertus morales, création des biens matériels), et en premier lieu l’ordre public (sécurité intérieure et extérieure) nécessaire à l’obtention de ces biens. Il faut encore ajouter qu’il intègre ces biens en vue de la fin ultime de l’homme (son salut) [5].

La subordination de la fin de l’Etat à celle de l’Eglise

Toutefois, cette fin ultime étant hors de portée de l’homme, mais donnée par le don de la grâce, elle "n’appartient pas à un gouvernement humain [pouvoir temporel], mais à un gouvernement divin [Royauté du Christ sur ce monde]. Un gouvernement de ce genre revient donc à ce roi, qui est non seulement homme, mais encore Dieu, c’est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ (...). Donc le ministère de ce royaume, afin que le spirituel soit distingué du temporel, est confié non aux rois terrestres mais aux prêtres, et principalement au Grand Prêtre, successeur de Pierre, Vicaire du Christ, le Pontife Romain, auquel tous les rois de la terre doivent être soumis comme à Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même.Car à celui à qui revient la charge de la fin ultime, doivent être soumis ceux qui ont la charge des fins antécédentes, et ils doivent être dirigés par son imperium" [6].

Mais de même que "celui qui a la charge de la fin ultime, doit être placé au-dessus de ceux qui ont la charge des choses qui sont ordonnées à cette fin, et doit les diriger par son imperium, il devient manifeste d’après notre explication que le roi, comme il doit se soumettre à l’autorité et au gouvernement qui sont administrés par l’office du sacerdoce, doit de même être à la tête de toutes les fonctions humaines et les organiser par l’imperium de son gouvernement".

Ceci ne veut évidemment pas dire que le pape doit prendre la place des princes, de même que ce n’est pas au Prince de prendre celle du commerçant, du chef d’entreprise, du médecin ou de l’avocat, ni même de diriger leurs actions (comme on le voit faire trop souvent par l’Etat moderne hypertrophié). Au contraire, et de même que le Prince agit seulement pour coordonner toutes les activités en vue du bien commun (comme il est le seul à pouvoir le faire), de même seule l’Eglise peut et doit inspirer la conduite de l’Etat en vue du salut des âmes (dont elle a seule la charge et qu’elle a seule les moyens de procurer).

La conclusion de Saint Thomas en faveur de la nécessité du caractère chrétien de l’Etat [7], conformément à l’ordre des choses et à l’harmonie qui doit régner entre les réalités naturelles et surnaturelles (que Dieu a créées dans une unité et une continuité parfaites), ne fait donc aucun doute : "Parce que, donc, la fin de la vie que nous menons (...) est la béatitude céleste, il appartient, pour cette raison, à l’office de roi de procurer à la multitude une vie bonne, selon qu’il convient à l’obtention de la béatitude céleste ; c’est-à-dire qu’il doit prescrire ce qui conduit à cette béatitude céleste, et interdire, selon qu’il sera possible, ce qui y est contraire" [8].

Cette nécessité se comprend aisément. Seul un Etat chrétien - chrétien parce que le Prince est chrétien (il comprend et fait sienne la volonté de Dieu sur les hommes), chrétien parce que la pratique du pouvoir est conforme à l’enseignement de l’Evangile et de l’Eglise - peut (et donc doit) prendre en compte la fin ultime de l’homme - qui dépasse infiniment l’Etat - dans la recherche du bien commun.

Au contraire, l’Etat athée qui nous gouverne aujourd’hui non seulement ignore cette fin ultime (est-ce là vraiment une "docte ignorance", celle dont parle le R.P. Garrigues dans son livre "La politique du meilleur possible" ?), mais la combat sous l’emprise anti-catholique des idéologies franc-maçonne, libérale ou marxiste. Et ceci, alors même que ce sont parfois de soi-disant catholiques qui nous gouvernent, mais en refusant de tenir compte dans l’exercice de leur charge de cette fin ultime de l’homme que nous enseigne la Révélation, quand ils affirment : "Non à la loi morale qui serait au-dessus de la loi civile !".

Pour bien comprendre cette subordination des fins du pouvoir temporel à celles de l’Eglise

Donc, "la fin de la vie humaine et de la société est Dieu" [9]. "C’est pourquoi la pensée et la prudence politique ne peuvent faire abstraction de l’ordre surnaturel où Dieu a placé l’humanité, mais doivent puiser leur inspiration dans la Révélation même, pour laisser passage à la grâce de Dieu et ouvrir la cité à l’éternité" [10].

Seule l’Eglise, "Mère et maîtresse", "experte en humanité", peut donc inspirer infailliblement l’Etat dans la poursuite de cette fin.

Pour que la multitude mène une vie bonne, il faut selon Saint Thomas que trois conditions soient réunies :
"que la multitude soit établie dans l’unité de la paix",- "que la multitude unie par le lien de la paixsoit dirigée au bien-agir" (agir selon la vertu),- "que, par l’application du gouvernant, il y ait une quantité suffisante de choses nécessaires au bien-vivre".

Dans le "De Regno", Saint Thomas souligne que la principale de ces conditions est "d’agir selon la vertu ; car la vertu est ce par quoi on vit bien. L’autre, secondaire, et comme instrumentale, consiste dans la suffisance des biens corporels dont l’usage est nécessaire à l’acte de vertu".

Ceci souligne assez l’erreur de l’Etat moderne qui, à l’inverse de l’Etat chrétien, oublie les valeurs morales (alors que la démocratie se targue d’être le seul régime politique moralement acceptable) pour se consacrer exclusivement à la recherche du bien-être matériel.

La subordination des fins du pouvoir temporel (dont la fin est "une participation imparfaite à la béatitude") à celles du pouvoir spirituel ("la béatitude ultime" et parfaite) entraîne la subordination du pouvoir temporel au pouvoir spirituel.

Celle-ci découle aussi des deux infirmités de la politique : "elle ignore, par elle-même, la vraie fin ultime de l’homme et les chemins qui y conduisent, et doit s’y laisser guider par le Christ-Roi et ses représentants".- elle "ignore la déchéance de la nature humaine par le péché originel et est surtout incapable d’y remédier"."Aussi la politique doit-elle s’ouvrir à l’enseignement du magistère de l’Eglise catholique et à son action salutaire. Celle-ci lui apprendra la profondeur de la faiblesse humaine. Elle lui enseignera dans toute sa pureté cette loi naturelle qui est comme le code et le catéchisme de la vie bonne que la cité doit procurer. Enfin elle répandra parmi les hommes la grâce guérissante sans laquelle l’homme ne peut faire tout le bien qui lui est connaturel" [11].

Pourquoi cette subordination ? "C’est celle d’une fin intermédiaire, ayant sa consistance propre de fin, mais ordonnée elle-même à une fin meilleure et plus haute, la vision de Dieu par les êtres raisonnables" [12], à sa fin ultime, qui est la même que celle des personnes :

"Tant qu’il est dans cette vie mortelle, il y a pour l’homme un certain bien extrinsèque, à savoir l’ultime béatitude, qu’il attend après la mort dans la jouissance (fruition) de Dieu" [13].

Dieu n’est-il pas, au-dessus de tous les biens communs, le Bien commun par excellence, celui dont dépend le bien de tous les êtres ?

Cette subordination suppose une distinction sans séparation

La distinction des pouvoirs temporel et spirituel est spécifiquement chrétienne, d’abord en ce qu’elle a été enseignée par le Christ Lui-même et ensuite parce que la pratique politique des nations ne l’a effectivement rendue courante et habituelle que dans les Etats chrétiens.

Jean Daujat dans l’"Ordre social chrétien" (pp. 468-469)explique ce qu’est réellement cette distinction.

Dans la conduite de sa vie sur la terre, l’homme charnel est "soumis à deux pouvoirs souverains distincts l’un de l’autre, l’Etat en ce qui concerne les fins temporelles et l’Eglise en ce qui concerne les fins éternelles, la distinction et la souveraineté de ces deux pouvoirs interdisant à chacun d’empiéter sur le domaine de l’autre, donc interdisant à l’Etat d’intervenir dans le domaine de la vie intérieure des consciences et de la destination des hommes à la vie éternelle et interdisant à l’Eglise de se mêler de la conduite des affaires temporelles".

En effet, "c’est la même vie des hommes sur la terre qui est soumise à ces deux pouvoirs et cela réclame évidemment leur union sans confusion de leurs domaines distincts mais sans séparation. Tout le problème à traiter est de voir comment est possible cette union entre deux pouvoirs souverains, sans nuire en rien à la souveraineté de chacun d’eux ni à leur distinction. La solution ne peut être trouvée qu’à partir du moment où l’on reconnaît que les fins de l’Etat sont subordonnées aux fins de l’Eglise parce que tous les biens temporels sont subordonnés pour l’homme aux biens éternels". Le Christ nous prévient en effet : "A quoi servirait-il à un homme de gagner l’univers, au prix de son âme ?".

Jean Daujat explique ensuite comment bien comprendre cette subordination de l’Etat aux fins de l’Eglise : "Cette affirmation fondamentale n’entraîne nullement que l’Etat soit subordonné à l’Eglise [elle-même], car alors il ne serait pas souverain, mais, ce qui est tout différent, qu’en menant souverainement sa politique qui ne dépend que de lui seul, il le fasse de lui-même en subordonnant ses propres fins à celles de l’Eglise, ce qui suppose qu’il croie à la doctrine surnaturelle de l’homme. Cela veut dire que l’Etat, tout en étant appliqué au seul domaine temporel et par là indépendant de l’Eglise, doit être chrétien et mener une politique chrétienne, c’est-à-dire une politique éclairée par la foi".

En fait, on retrouve là - par analogie - toute la doctrine chrétienne de la liberté : de même que l’homme n’a le droit que de faire le bien, mais est appelé à le faire librement, de même l’Etat ne peut, faute de perdre sa légitimité, que se soumettre au bien éternel et surnaturel de l’homme, mais doit le faire librement, c’est-à-dire souverainement.

Contester cette nécessaire subordination de l’Etat aux fins éternelles, "... c’est oublier que l’Etat n’a pour but que d’assurer le bonheur des citoyens en faisant régner l’ordre et la justice dans la Cité, qu’il est créé pour eux et non eux pour lui, que la fin dernière de l’homme n’est pas d’assurer la puissance de l’Etat, mais de gagner la Vie éternelle" [14].

L’enseignement de "Quas Primas" sur la Royauté sociale du Christ

Sans parler explicitement de "l’Etat chrétien", Pie XI a exposé solennellement dans "Quas primas" son enseignement sur la "Royauté sociale" de Notre-Seigneur Jésus-Christ et rappelé la doctrine traditionnelle de l’Eglise sur l’Etat.

Dans cette encyclique datant de 1925, le Pape énonce tout d’abord : "non seulement ce déchaînement de malheurs a envahi l’univers parce que la plupart des hommes ont banni Jésus-Christ et sa foi sainte de leurs coutumes et de leur vie particulière comme de la société familiale et de l’Etat, mais encore l’espoir d’une paix durable entre les peuples ne brillera jamais tant que les individus et les Etats s’obstineront à rejeter l’autorité de notre Sauveur" [15].

Ensuite le Saint-Père rappelle que la Royauté du Christ est affirmée dans le Credo de Nicée : "Cujus regni non erit finis". C’est pourquoi il ordonne d’introduire dans la liturgie une fête spéciale en l’honneur du Christ-Roi.

Le Saint-Père rappelle alors que le Christ est appelé "Roi des intelligences humaines", "Roi des volontés humaines" et "Roi des coeurs". Il doit donc bien régner sur chaque homme en particulier comme peu de catholiques le contestent. Et il enseigne : "Il n’est personne qui ne le voie, le nom de roi et la puissance royale doivent être, au sens propre du mot, attribués au Christ-Homme ; c’est seulement en tant qu’homme que l’Ecriture dit qu’il a reçu du Père puissance, gloire et règne [16], puisque le Verbe de Dieu, consubstantiel au Père, ne peut pas ne pas avoir tout en commun avec le Père, et par conséquent l’empire souverain et absolu sur toute la création".

Voici le témoignage des Ecritures citées par le Pape Pie XI lui-même :

"Il recevra en héritage les nations et comme domaine les extrémités de la terre" (Ps. II) ; "Un enfant nous est né et un fils nous a été donné. L’empire a été posé sur ses épaules ; et on le nomme Admirable, Conseiller, Dieu, Fort, Père éternel, Prince de la paix. Son empire s’étendra et la paix n’aura point de fin ; il siégera sur le trône de David et possédera son royaume, il l’établira et l’affermira par le droit et la justice dès maintenant et pour toujours" (Is. IX 6-7)
"Tu enfanteras un fils. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père. Il régnera éternellement sur la maison de Jacob, et son règne n’aura pas de fin" (Luc I 32-33).
Le Christ lui-même affirme : "Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre" (Matth. XXVIII 18).
car "Il faut qu’il règne jusqu’à ce que, à la fin du monde, il jette tous ses ennemis sous les pieds du Dieu et du Père" (1 Cor. XV 25).

Bien sûr ce royaume n’est pas un royaume terrestre, fondé sur la puissance matérielle ; il est au contraire fondé sur l’amour, car le Christ s’est acquis un peuple, nous a rachetés au prix de sa croix : "cette royauté est surtout spirituelle et concerne principalement les choses spirituelles.(...) et le Christ Notre-Seigneur le confirme par sa manière d’agir".

Mais ceci n’empêche pas le pape d’enseigner plus loin que "les magistrats et les gouvernants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et de lui obéir ; (...) car sa royauté exige que l’Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens aussi bien dans la législation que dans la façon de rendre la justice et que dans la formation de la jeunesse à une doctrine saine et à une bonne discipline des moeurs".

Nous avons donc à mettre la puissance matérielle des nations, des Etats au service du Christ-Roi [17], car c’est seulement par notre intermédiaire que le Royaume du Christ peut s’étendre sur la terre. Laissons Pie XI nous rappeler la nature de cette royauté :
"Il est à peine nécessaire d’affirmer qu’elle consiste en un triple pouvoir, condition essentielle de toute véritable royauté. Les témoignages pris dans la Sainte Ecriture au sujet de la domination universelle de notre Rédempteur le prouvent amplement et il faut le croire de foi catholique : le Christ a certes été donné comme un Rédempteur qui a droit à la confiance des hommes, mais aussi comme un Législateur auquel ils doivent obéissance" (Concile de Trente, sess. VI, canon 1, 2). "Le pouvoir judiciaire qui lui fut attribué par le Père, Jésus l’affirme lui-même aux Juifs qui l’accusaient d’avoir violé le repos du sabbat par la guérison merveilleuse d’un paralytique : Le Père ne juge, en effet, personne, mais il a donné tout jugement au Fils (Jean V 22). Dans ce pouvoir, il faut aussi comprendre - car la chose ne peut se séparer du jugement - la faculté de récompenser ou de punir de son plein droit les hommes, même durant leur vie".
"De plus, le pouvoir exécutif doit être attribué au Christ puisque tous doivent obéir à son commandement, et cela, sous la menace faite aux rebelles de supplices que nul ne peut éviter".

Un enseignement traditionnel confirmé par Vatican II

Cet enseignement traditionnel de l’Eglise, le IIème Concile du Vatican l’a rappelé en affirmant [18] : "Aux laïcs reviennent en propre, quoique non exclusivement, les professions et les activités séculières. (...) C’est à leur conscience, préalablement formée, qu’il revient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre" [19], de même que le décret du Concile sur l’Apostolat des laïcs précise que "l’apostolat dans le milieu social s’efforce de pénétrer d’esprit chrétien la mentalité et les moeurs, les lois et les structures de la communauté où ils vivent" (n°13).

Voilà qui nous montre que le domaine politique et social ne peut être considéré comme ne relevant que de l’ordre naturel. En effet, comme l’enseigne Jean XXIII, "L’ordre propre aux communautés humaines est d’essence morale. En effet c’est un ordre qui a pour base la vérité, qui se réalise dans la justice, qui demande à être vivifié par l’amour et qui trouve dans la liberté un équilibre sans cesse rétabli et toujours plus humain".

La morale chrétienne ne s’arrête donc pas aux portes du politique et du social mais englobe toutes les activités humaines. Elle doit nous conduire à nous comporter non seulement "en" chrétiens mais aussi à agir "en tant que" chrétiens.

Les leçons de l’Histoire

Les événements historiques confirment largement cette doctrine.

En effet, chaque fois que l’Etat n’a pas été chrétien véritablement, il ne s’est pas seulement montré un adversaire de l’Eglise en tant qu’institution, mais il s’est surtout montré un adversaire déterminé de l’ordre naturel, des plus précieuses institutions humaines (notamment le mariage et la famille) comme de la vie humaine elle-même (la "culture de mort") et de sa dignité (esclavage, pornographie...).

Ainsi depuis plus de deux cents ans, bien loin d’être d’une réelle neutralité, l’Etat français s’est avéré foncièrement athée. Méprisant l’institution familiale (divorce) et limitant le plus possible l’influence de l’école catholique, il a créé (notamment sous la Troisième République) ou laissé se créer un climat culturel athée, individualiste et matérialiste, quand il n’est pas ouvertement immoral et scandaleux (cf. la marée d’érotisme et de pornographie dans la publicité, à la télévision ou sur le Minitel, le développement des jeux d’argent ou les attaques systématiques contre l’Eglise catholique).

Point de neutralité possible donc. L’Etat qui n’est pas chrétien est nécessairement au service d’une autre idéologie.

Le Christ lui-même n’affirme-til pas : "Qui n’est pas avec moi est contre moi. Qui n’amasse pas avec moi, dissipe" ?

Quel Etat chrétien pour aujourd’hui ?

Concrètement, il n’est nullement question de baptiser du nom de chrétien une réalité qui ne l’est pas, de se satisfaire d’une caricature d’Etat chrétien, d’un Etat nominalement et décorativement chrétien (selon la formule de Maritain), mais dont l’action politique serait contraire aux préceptes de l’Evangile, comme ce fut en partie le cas en France des institutions sclérosées du XVIIIè siècle.

Il ne s’agit pas non plus de bâtir ici-bas une cité catholique idéale, entièrement constituée de saints. Nous savons que, même dans un Etat chrétien, le bon grain et l’ivraie restent mêlés.

Il s’agit de rendre effectivement conformes à la loi naturelle et à la doctrine sociale de l’Eglise, les institutions, les lois et la culture et de les imprégner des valeurs évangéliques.

Rechercher l’instauration d’un Etat chrétien ne signifie nullement que l’on entend imposer un Etat chrétien à une population non chrétienne qui n’en veut pas. La société politique - comme toute société - est au contraire l’oeuvre des hommes qui la composent ; et aucune autorité politique ne peut gouverner durablement et légitimement sans l’adhésion (qui peut n’être qu’un consentement tacite) de ses sujets.

Il ne faudrait toutefois pas en conclure hâtivement qu’un Etat ne peut être chrétien que si la population est elle-même unanimement chrétienne. Il est courant dans l’histoire de l’Eglise que la conversion personnelle du Prince ait précédé celle du peuple.

Prenons le cas de Constantin le Grand. Lors de sa conversion, le paganisme était loin d’avoir disparu, et les chrétiens n’étaient pas encore majoritaires. Or, les populations restées païennes de l’empire n’ont pas refusé leur consentement à l’Empereur.

Il en est allé de même lors du baptême de Clovis.

D’ailleurs, le fait que toute la population ne soit pas chrétienne ne retire rien à la nécessité pour l’Etat de se soumettre au Christ, ni à la légitimité d’un gouvernement chrétien.

En effet, "Son empire [celui du Christ] ne s’étend pas seulement aux nations catholiques ou seulement à ceux qui, purifiés par le saint baptême, appartiennent de droit à l’Eglise, bien que des opinions erronées les aient dévoyés ou que le schisme les ait détachés de la charité ; il embrasse aussi tout ce qu’il existe d’hommes n’ayant pas la foi chrétienne, de sorte qu’en toute vérité l’universalité du genre humain est soumise à la puissance de Jésus-Christ" [20].

Et si on veut voir concrètement quelle serait alors la situation des non-catholiques au sein d’un Etat chrétien, nous pouvons considérer, par analogie, l’exemple que donnent tous les jours les écoles catholiques. Sans doute majoritaires sont les parents non-catholiques (voire juifs ou musulmans) ou du moins non-pratiquants à y inscrire leurs enfants. Ils le font sans éprouver l’inquiétude que leurs enfants pourraient y perdre leur liberté.

Il en va de même pour les citoyens : un Etat doté d’institutions chrétiennes n’imposera pas la foi à ceux qui n’en veulent pas, pas plus que la France de Louis XIV ne l’a imposée aux libertins. Au contraire, c’est sans doute l’Etat chrétien qui sera le plus attaché à respecter en l’homme sa liberté car il sait que Dieu a fait l’homme libre en vue de sa fin ultime, pour qu’il réponde par amour à l’amour de Dieu. Il n’y a donc aucune raison, parce que l’Etat se réfère à la doctrine de l’Eglise et même rend un culte public à Dieu, pour qu’il ne respecte pas l’entière liberté de conscience et la liberté religieuse de tous les citoyens.

En clair, il serait aussi illusoire d’attendre que tous soient chrétiens pour que le gouvernement le devienne, que contraire à la foi et à la charité d’imposer un Etat chrétien à une population (chrétienne ou non) qui n’en voudrait pas.

Ceci signifie que l’action missionnaire de l’Eglise est nécessaire à l’émergence d’un gouvernement chrétien, de la même manière qu’un gouvernement chrétien est de nature à faciliter grandement et à rendre plus fructueuse l’action missionnaire de l’Eglise.

On ne peut donc affirmer ni "Politique d’abord !", ni "Apostolat d’abord !", au sens où les deux actions sont également nécessaires et s’épaulent mutuellement.

A l’inverse, quand nous abandonnons l’idée d’Etat chrétien, quand nous acceptons que le croyant se comporte comme un agnostique dans la vie publique et politique, comme l’exigent de nous les ennemis de la foi sous prétexte de laïcité, nous oublions de travailler au salut des âmes et nous montrons infidèles à notre foi.

Et, quand de nombreux catholiques négligent ainsi, ou déclarent contraire au vrai bien, la nécessité de travailler à la conquête de l’Etat, ils ne rendent pas témoignage au Christ "qui est la voie, la vérité et la vie". Or, "A ceux qui m’auront rendu témoignage devant les hommes, je rendrai témoignage devant les Anges", nous a dit le Fils de l’Homme. N’est-ce pas le premier témoignage demandé aux laïcs - et notamment aux hommes d’Etat - que de travailler à forger des institutions chrétiennes ?

Ou alors n’est-elle pas vaine la prière que le Seigneur Lui-même nous apprit : "Que Votre Règne arrive !". Car nous savons bien qu’Il règnera à la fin des temps, quand ce monde aura passé ; nous aspirons à aller dans notre vraie patrie du Ciel, et nous savons avec certitude, dans la Foi et dans l’Espérance, que ce jour viendra ; nul besoin de prier pour cela.

Au contraire, si nous devons supplier Dieu en ces termes, c’est bien pour que Son Règne s’établisse maintenant dans les coeurs comme en ce monde, y compris dans les institutions publiques.

Enfin la restauration d’un ordre temporel chrétien, à laquelle nous devons travailler, ne signifie pas que l’on veuille rétablir à l’identique les institutions chrétiennes du passé. Il s’agit au contraire d’en faire naître de nouvelles, adaptées à notre temps et à nos conditions de vie.

C’est d’ailleurs dans le cadre de la vocation de la France qu’il nous faut comprendre la nécessité d’un Etat chrétien. Cette vocation, Saint Rémi l’a fixée dans son testament pour Clovis et ses successeurs (qui s’y montrèrent vaille que vaille fidèles pendant plus de 1000 ans) : "Pour l’honneur de la Sainte Eglise de Dieu et la défense des indigents".

Cette nécessité, l’Eglise l’a reconnue dès l’origine en sacrant les rois ; ce sacramental manifeste au plus haut point qu’il est à la fois possible et souhaitable de mettre en oeuvre une véritable politique chrétienne.

Faisons donc nôtres les appels du Saint-Père, appels qu’il n’a cessé de répéter depuis son élection : "N’ayez pas peur ! Ouvrez grandes les portes au Christ, à sa puissance salvatrice. Ouvrez les frontières des Etats, des systèmes économiques, des systèmes politiques, les vastes champs de la culture, de la civilisation et du développement. N’ayez pas peur !" [21].

[1] L’Etat, au sens d’autorité exerçant la fonction de gouvernement dans la société, garde les mêmes fins, attributs essentiels et devoirs que le Prince, autorité souveraine dans un Etat monarchique.

[2] L’homme est en effet un "animal social" par nature ; c’est-à-dire que sa nature comporte de vivre en société pour atteindre son plein développement. Il ne peut donc pas y avoir contradiction mais bien concordance entre les fins de l’homme pris individuellement et en société.

[3] In "La politique à l’école de Saint Thomas d’Aquin" du R.P. Louis-Marie de Blignières, "Sedes Sapientiae" n° 51, p. 6.

[4] Saint Thomas d’Aquin, cité par le R.P. Louis-Marie de Blignières : Ibidem p. 6.

[5] C’est d’ailleurs pourquoi on a pu dire à juste titre que le bien commun temporel des sociétés médiévales chrétiennes (non divisées de croyance) comprenait aussi la défense de la foi catholique.

[6] Cette soumission du pouvoir civil au pouvoir ecclésiastique quant à la fin ultime ne supprime pas la souveraineté du premier dans son ordre, car "l’ordre de la grâce ne détruit pas l’ordre de la nature" , comme le dit Saint Thomas.

[7] On peut noter que Saint Thomas explique à cet endroit : "Quelle est la voie qui conduit à la vraie béatitude, et quels en sont les obstacles, cela est connu par la loi divine dont l’enseignement relève de l’office sacerdotal, selon cette parole de Malachie(II,7) : "Les lèvres du prêtre garderont la science, et c’est de sa bouche que l’on recherchera la loi" (...) "afin qu’il apprenne à craindre le Seigneur son Dieu, et à garder ses paroles et ses ordonnances, qui sont prescrites dans cette loi" (Deutéronome , XVII, 18-19). Instruit donc par la loi divine, le roi doit veiller principalement à la manière dont la multitude qui lui est soumise mènera une vie bonne. Cet effort se divise en trois points : d’abord instituer une vie bonne dans la multitude qui lui est soumise ; deuxièmement, après l’avoir établie, la conserver ; troisièmement, l’ayant conservée, l’amener à une plus haute perfection".

[8] Saint Thomas dit encore ailleurs que le roi "doit, par ses lois et ses préceptes, par ses châtiments et ses récompenses, détourner de l’iniquité les hommes qui lui sont soumis, et les amener à des oeuvres vertueuses, en recevant son exemple de Dieu, qui a donné la loi aux hommes, récompensant ceux qui l’observent, châtiant ceux qui la transgressent".

[9] "Somme de théologie", III, q. 100, a. 6.

[10] In "La politique à l’école de Saint Thomas d’Aquin" du R.P. Louis-Marie de Blignières, "Sedes Sapientiae" n° 51, p. 14.

[11] Ibidem, pp. 16-17.

[12] Ibidem, p. 14.

[13] "De Regno", I, 15.

[14] "Laïcs dans la cité", Actes du Congrès de Lausanne 1966, Présidence du Baron de La Tournelle, p. 136.

[15] Souligné par "Permanences", comme dans la suite des citations de "Quas primas".

[16] Dan., VII 13-14.

[17] Cf. "Pour qu’Il règne" de Jean Ousset, Chapitre 2 : "Royauté, non de ce monde mais sur ce monde"

[18] "Gaudium et Spes", n°43, paragraphe 2

[19] souligné par "Permanences"

[20] Léon XIII dans "Annum Sacrum" (25 mai 1899), cité par Pie XI dans "Quas Primas"

[21] Discours du Pape Jean-Paul II lors de sont intronisation, le 16 octobre 1978

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MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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