Enseignements de l'Église
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Enseignements de l'Église
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N.B. Si une personne désire émettre un commentaire, une critique ou une suggestion, il serait préférable de la poster sous "Annonces et Suggestions" ou tout autre fil, et ce, afin d'éviter de "briser" la continuité des posts mis en ligne. Merci de votre compréhension et de votre collaboration.
Introduction aux enseignements de l'Église
Pour cette introduction, j'ai pensé qu'il serait utile présenter certaines définitions concernant la provenance de ceux-ci:
EXHORTATION APOSTOLIQUE
Une exhortation apostolique est un texte voisin de l'encyclique, par son esprit et ses destinataires. À la différence de l'encyclique, l'exhortation plaide toujours pour inciter à s'engager dans telle ou telle activité, ou pour prendre une voie particulière.
L'exhortation apostolique est qualifiée de exhortation apostolique post-synodale quand elle est publiée à la suite d'un synode épiscopal réunissant les évêques des différentes parties du monde. Dans ce cas, l'exhortation apostolique traduit la conclusion du pape sur le thème du synode et la vision commune qui s'en est dégagée.
S'ils n'ont pas la valeur juridique d'une encyclique, ces actes pontificaux sont rendus publics sur une base régulière.
ENCYCLIQUE
Une encyclique (en latin encyclia, de l'adjectif grec ἐγκύκλιος / enkuklios d'après κύκλος / kuklos, « cercle ») est une lettre adressée par le pape à tous les évêques, et parfois également à l'ensemble des fidèles. C'est une lettre « circulaire ».
Une encyclique se rattache à la mission d'enseignement du pape. Elle est destinée à exposer à ses destinataires la position officielle de l'Église catholique sur un thème précis. Le plus souvent, celui-ci se situe hors des questions d'actualité, ce qui donne à l'enseignement une portée générale et relativement permanente. Cependant, l'opportunité de traiter un thème particulier est souvent appréciée en fonction de l'état du monde ; et les encycliques comportent parfois des mises en garde plus précises, voire des condamnations spécifiques.
Tout en étant formellement destinée aux évêques, la lettre s'adresse en pratique à tous les fidèles, confiés à l'enseignement de leur évêque respectif, et présente un intérêt pour toute personne intéressée par la position de l'Église. Néanmoins, sauf mention contraire, l'encyclique n'engage pas l'infaillibilité pontificale : un fidèle reste libre de ne pas suivre cet enseignement si sa conscience le lui dicte, tout en restant dans l'Église.
LETTRE APOSTOLIQUE
Une lettre apostolique est une forme d'exhortation apostolique rédigée en s'adressant à un destinataire particulier et non à l'ensemble des évêques (comme le fait une exhortation apostolique ou une encyclique). Le pape publie ainsi une lettre ouverte d'intérêt général pour l'Église.
CONSTITUTION APOSTOLIQUE
En diplomatique vaticane, une constitution apostolique (du latin constitutio apostolica) est un acte émanant du pape. Le terme constitution correspond ici à un sens large, et désigne un texte équivalent à une loi dans le domaine civil. Le qualificatif apostolique signifie simplement qu'elle est issue du siège apostolique : une constitution apostolique est une loi que le pape promulgue au titre de son autorité de gouvernement général sur l'Église.
N.B. Si une personne désire émettre un commentaire, une critique ou une suggestion, il serait préférable de la poster sous "Annonces et Suggestions" ou tout autre fil, et ce, afin d'éviter de "briser" la continuité des posts mis en ligne. Merci de votre compréhension et de votre collaboration.
Introduction aux enseignements de l'Église
Pour cette introduction, j'ai pensé qu'il serait utile présenter certaines définitions concernant la provenance de ceux-ci:
EXHORTATION APOSTOLIQUE
Une exhortation apostolique est un texte voisin de l'encyclique, par son esprit et ses destinataires. À la différence de l'encyclique, l'exhortation plaide toujours pour inciter à s'engager dans telle ou telle activité, ou pour prendre une voie particulière.
L'exhortation apostolique est qualifiée de exhortation apostolique post-synodale quand elle est publiée à la suite d'un synode épiscopal réunissant les évêques des différentes parties du monde. Dans ce cas, l'exhortation apostolique traduit la conclusion du pape sur le thème du synode et la vision commune qui s'en est dégagée.
S'ils n'ont pas la valeur juridique d'une encyclique, ces actes pontificaux sont rendus publics sur une base régulière.
ENCYCLIQUE
Une encyclique (en latin encyclia, de l'adjectif grec ἐγκύκλιος / enkuklios d'après κύκλος / kuklos, « cercle ») est une lettre adressée par le pape à tous les évêques, et parfois également à l'ensemble des fidèles. C'est une lettre « circulaire ».
Une encyclique se rattache à la mission d'enseignement du pape. Elle est destinée à exposer à ses destinataires la position officielle de l'Église catholique sur un thème précis. Le plus souvent, celui-ci se situe hors des questions d'actualité, ce qui donne à l'enseignement une portée générale et relativement permanente. Cependant, l'opportunité de traiter un thème particulier est souvent appréciée en fonction de l'état du monde ; et les encycliques comportent parfois des mises en garde plus précises, voire des condamnations spécifiques.
Tout en étant formellement destinée aux évêques, la lettre s'adresse en pratique à tous les fidèles, confiés à l'enseignement de leur évêque respectif, et présente un intérêt pour toute personne intéressée par la position de l'Église. Néanmoins, sauf mention contraire, l'encyclique n'engage pas l'infaillibilité pontificale : un fidèle reste libre de ne pas suivre cet enseignement si sa conscience le lui dicte, tout en restant dans l'Église.
LETTRE APOSTOLIQUE
Une lettre apostolique est une forme d'exhortation apostolique rédigée en s'adressant à un destinataire particulier et non à l'ensemble des évêques (comme le fait une exhortation apostolique ou une encyclique). Le pape publie ainsi une lettre ouverte d'intérêt général pour l'Église.
CONSTITUTION APOSTOLIQUE
En diplomatique vaticane, une constitution apostolique (du latin constitutio apostolica) est un acte émanant du pape. Le terme constitution correspond ici à un sens large, et désigne un texte équivalent à une loi dans le domaine civil. Le qualificatif apostolique signifie simplement qu'elle est issue du siège apostolique : une constitution apostolique est une loi que le pape promulgue au titre de son autorité de gouvernement général sur l'Église.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
6. Nous lisons que dans l'ancien Testament il se trouva deux arches: celle du déluge et celle de l'alliance. Il en est trois autres dans le nouveau Testament. La première est celle de l'Église; la seconde, celle de la grâce; la troisième, celle de la sagesse. Bien que la première de l'antique loi, servît de type à la première de la nouvelle alliance, et la seconde à la deuxième, la troisième diffère de toutes les autres et l'emporte sur elles et ne peut leur être entièrement comparée. L'arche de Noé représenta l'arche de l'Église : l'arche d'alliance fut l'image de l'arche de la grâce, c'est-à-dire de la sainteté de Marie.
Par arche de sagesse nous entendons l'humanité très-sainte de Jésus-Christ. C'est avec raison qu'il faut l'appeler arche de sagesse ; en elle sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse (Cor. II. 3), en elle a habité corporellement toute la plénitude de la divinité.
L'arche de Noé signifia aussi l'arche de la grâce, c'est-à-dire l'excellence de Marie. De même que par l'une, tous ont échappé au déluge, de même par Marie tous évitent le naufrage du péché. Pour tuer la mort, Noé fabriqua l'une : afin de racheter le genre humain, Jésus (qui est notre paix et notre repos) s'est préparé l'autre.
Par l'une, huit âmes seulement sont sauvées : par l'autre toutes (car cette universalité est exprimée par le nombre huit) sont appelées à la vie éternelle. L'une fut construite en cent ans ; en faute se trouva la perfection de toutes les vertus. L'une fut bâtie de bois équarris, l'autre fut formée de vertus consommées. La première était portée au dessus des eaux du déluge, la seconde ne ressentit l'atteinte d'aucun vice.
7. Il y a trois sortes de déluges. L'inondation des eaux constitue. le premier, les ravages des vices forment le second, et le troisième résulte des souffrances amenées par les tribulations. Le premier est un déluge d'eaux, le second, de fautes, le troisième, de calamités.
Les hommes succombent dans le premier, les vertus, dans le second, les voluptés, dans le troisième. On souffre d'abord le premier de ces déluges, ensuite le pécheur est plongé dans l'abîme des châtiments, et dans le troisième il est jeté dans les flammes de l'enfer. Et ainsi l'enfer commence ici et s'achève ailleurs, quand l'âme est attirée par le vice, et la chair par les supplices.
Par l'arche de l'Église nous échappons au premier déluge, par l'arche de la grâce au second, par l'arche de la sagesse au troisième. L'arche de l'Église produit, en effet, l'extinction des vices, celle de la grâce répare les vertus, et celle de la sagesse procure la jouissance au souvenir du bien. Dans l'Église on confesse les péchés, cette confession en fait recevoir la rémission et éteint les vices: ensuite le pardon reçu, la grâce survenant, les vertus sont mises dans l'âme.
Vient ensuite la perfection de la justice : et après elle, la contemplation des secrets célestes. On trouve en cette dernière une certaine suavité céleste, et ensuite une douleur intérieure et un amour parfait et constant du souverain bien.
8. Il existe donc un triple déluge : d'iniquités, d'adversités et de calamités. Le prophète Nahum dit du premier : « Par le déluge qu'il fera passer, il produira la consommation (Nahum. 1. 8).» Comme si l'on disait : si le déluge des vices vient à fondre sur ces hommes, ne désespérez point d'eux . parce que je ferai abonder la grâce sur ceux sur qui je permets à l'injustice de se répandre. De là vient qu'il est dit par le Prophète : « je vous ai aimé d'une affection éternelle, aussi je vous ai attiré, ayant pitié de vous (Jerem. XXXI. 3). » Le déluge viendra donc d'abord, et ensuite le Seigneur réalisera la consommation; car le Seigneur permet que ses élus soient affligés et humiliés, pour un temps, par des chiites sans nombre et par les attaques des vices, écartant ainsi de leur coeur tout mouvement d'orgueil : ensuite, il se met à les élever, nourrissant ainsi en leur âtre une charité parfaite.
D'où cette parole du Prophète : « tu viendras jusques à Babylone et là, tu seras délivré, là ; le Seigneur t'arrachera des mains de tes ennemis (Mich. IV. 40). » Et cette expression d'Isaïe : « pour un point insignifiant je t'ai abandonné, je te ramènerai dans de grandes miséricordes (Isa. LIV. 7) . »
Quand le déluge aura passé, le Seigneur opèrera donc la consommation : parce qu'il arrache avec force du fond des vices ses amis qu'il place au faîte des vertus et qu'il illumine du rayon de la contemplation. Du second, il est dit au Cantique des cantiques : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité, les fleuves ne la couvriront pas (Cant. VIII. 7). »
Aussi par la bouche du Psalmiste il est: dit de ceux qui sont brisés pat l'adversité et succombent aux tentations : « Dans le déluge des grandes eaux, ils ne se rapprocheront pas de lui (Psalm. XXXI. 6). » Le Seigneur arrache aussi les siens à ce déluge, selon cet enseignement de l'Apôtre : « C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut parvenir au royaume de Dieu (Act. XIV, 21). » Et encore « Dieu est fidèle, il ne souffrira pas que vous soyez tentés au dessus de vos forces, mais il vous fera tirer profit de l'épreuve, afin que vous la puissiez bien supporter (I. Cor. X. 13). » Osée dit aussi : « Dans leur tribulation, ils se levèrent vers moi dès le matin (Os. XI. 6). » Et le Psalmiste : « Nombreuses sont les tribulations des justes, le Seigneur les délivrera de toutes (Psalm. XXXIII. 20). » On lit au livre de Job relativement au troisième : « La misère fondra sur lui comme l’eau, la tempête s'abattra sur lui durant la nuit (Job. XXVII. 20). Le premier déluge est donc celui des vices , vient ensuite celui des tribulations, et enfin celui de la misère et des ténèbres.
Le premier est celui du péché, le second, celui du monde, le troisième, celui de l'enfer. Les attraits qui réjouissent sont les poissons du premier, les envies mauvaises, ceux du second, et les tourments éternels, ceux du troisième. Aussi dans l'Évangile, il est dit des bons pécheurs qui foulent aux pieds les vices, qui surmontent les tentations, et évitent les supplices sans fin : « Ils choisirent les bons dans leurs vases, et ils jetèrent dehors les mauvais (Matth. XIII. 48).» Remercions donc l'arche de grâce, parce que, par elle, c'est-à-dire par Marie et son Fils, nous avons échappé à l'un et l'autre naufrage.
9. L'arche de l'alliance fournit aussi un type de la sainte mère de Dieu. C'est Bézéléel qui a construit la première (Exod. XXXVI. 1); c'est Emmanuel quia formé l'autre. Bézéléel eut Oliab pour compagnon dans son travail : et la Vierge des vierges fut créée, choisie, préservée, préparée et ornée par le Saint Esprit et son Fils tout puissant. Bézéléel signifie ombre de Dieu, Oliab veut dire ma protection : le premier est une figure du Saint Esprit, l'autre, celle du Fils de Dieu.
De l'un on dit à Marie lors de la conception de son très-heureux enfant : «La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc. I, 35). « Il fut dit aussi à Joseph : « Ne crains point de prendre Marie pour ton épouse : Car ce qui a été formé en elle est du Saint Esprit (Matth. I, 20). »
L'autre crie à son Père dans le Psaume: "Protégez-moi contre le visage des impies qui m'ont affligé (Ps. XVI, 9). » Et encore «Vous êtes mon protecteur depuis ma sortie du sein de ma mère (Ps. XXI, 11). » Et encore : « Je suis devenu pour plusieurs une sorte de prodige, vous êtes un secours puissant (Ps. LXX, 7). »
Bézéléel donc construisit avec son compagnon l'arche du Testament : et la sainte Trinité sanctifia aussi la Vierge, elle la consacra comme un temple très-auguste, elle se la prépara comme une demeure très-pure, et elle l'orna par avance comme un lit nuptial sur lequel l'Époux, le plus beau des enfants des hommes, se reposerait avant de paraître en public.
Le Père, en effet, ne put être absent du lieu où il voulut que le Salut Esprit et le Fils agissent d'un commun accord. Tout ce que fait le Père, le Fils l'opère semblablement. Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne produit que ce qu'il voit produire au Père (Jean. V, 19). Nous lisons aussi au livre des Psaumes touchant le Saint Esprit : « C'est par la parole de Dieu que les cieux ont été affermis, et c'est du souffle de sa bouche que vient toute leur beauté (Ps. XXXII, 6).»
L'Apôtre aussi parle de la sorte des trois personnages : « De lui, par lui, en lui sont toutes choses : à lui la gloire (Rom. XI, 36).» Dans cette consécration de la sainte Vierge, le Père donna l'éclat, le Fils l’humilité, le Saint Esprit la charité. Le Père fit jaillir la lumière de la raison, le Fils versa la cendre de l'humiliation, et le Saint Esprit répandit l'huile de la dilection. Le Père la puissance, le Fils la sagesse, le Saint Esprit la grâce de toutes les vertus.
Le Père le pouvoir contre le péché, le Fils l'humilité contre le monde, le Saint Esprit la charité envers Dieu et son prochain. Le Fils la mortification de la chair, le Saint Esprit la componction, le Père la contemplation des choses célestes. Le Fils lui apprit à opérer les choses divines, le saint Esprit à aimer et à être aimée, le Père à contempler les vérités célestes. Le Fils l'instruit, le saint Esprit l'élève, le Père la perfectionne. Le Fils la purifie, le Saint Esprit la pacifie, le Père la comble d'honneurs.
En tenant ce langage, je ne divise pas les oeuvres ou les dons de la Trinité, j'assure au contraire avec certitude qu'elles sont inséparables. De même que l'unité se trouve dans son essence, pareillement l'identité est dans ses opérations.
10. L'arche d'alliance fut faite de bois de Sethim, et Marie fut tirée du peuple juif, peuple couvert d'épines, rude et aride, épineux par ses péchés de détraction, rude par ses superstitions, aride parce qu'il était dépourvu de l'onction de la grâce divine.
Aussi il tressa une couronne d'épines pour son roi, et il brûla de rage contre lui, comme le feu qui pétille en consumant des ronces. Séthim, en effet, signifie épines. Dans un autre sens, Eve fut une épine, Marie une rose. Eve fut véritablement une épine, elle piqua son mari jusqu à lui donner la mort, et elle plongea dans le cour de tous ses enfants l'aiguillon du péché.
D'où vient ce langage, de l'Apôtre : « Par un homme, le péché est entré en ce monde, et la mort, à la suite du péché : et elle a ainsi pénétré en tous (Rom. V, 12). » Les saints Pères furent des bois bien que desséchés à la racine de l'arbre, ayant néanmoins une confiance très-assurée dans l'arrivée du Sauveur; ils habitaient en ce monde, semblables à des voyageurs et à des étrangers, n'ayant rien et possédant tout. (II Cor. VI, 10)
Ils châtiaient leurs corps avec ses vices et ses concupiscences, ils allaient pleurant et jetant leurs semences (Ps. CXXV, 6). Aussi l’un d'eux s'exprime ainsi : « je me suis retourné dans mon chagrin, tandis que l'épine pénètre dans mon coeur (Ps.XXXI. 4). » Pour faire éclater sa gloire et pour renverser la sagesse humaine, Dieu a daigné naître d'une femme vierge, issue de la tige épineuse des Pères, prendre un corps afin de devenir semblable à l'homme, de guérir le contraire par son contraire, d'arracher l'épine vénéneuse et de déchirer avec puissance la cédule de condamnation du péché.
Par ce sexe féminin l'humilité se montre avec éclat, la gloire et la majesté d'une vierge nous vient en- aide et la grâce chasse le péché. Eve fut donc une épine et Marie une rose : Eve une épine en blessant, Marie une rose en adoucissant les sentiments de tous les hommes. Eve épine en donnant à tous la mort : Marie rose en rendant à tous le salut. Du jus de l'écorce de l'épine on fait une sorte d'encre : de votre esprit charnel naît le flux de la concupiscence qui, péché actuel dans Adam et Eve, transmet dans leur postérité le péché originel.
C'est de lui que l'Apôtre s'écrie : « la lettre tue, l'esprit vivifie (II Cor. III, 6). » Comme s'il disait : « Par un homme la mort, et par un homme la résurrection : et de même que tous périssent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ (I Cor. XV, 22). »
Marie fut une rose blanche par la virginité, rouge par la charité: blanche quant au corps, rouge quant à l'âme; blanche par la pratique de la vertu, rouge par son triomphe sur les vices ; blanche par la pureté de ses affections, rouge par la mortification de la chair, blanche par l'amour de Dieu, rouge par sa compatissante à l'égard du prochain.
11. L'arche fut faite de bois de Séthim; on y plaça l'encensoir, la manne et la verge (Exod. XXV). Parce que, bien que Marie tirât son origine des anciens pères, viciée par le péché, mais néanmoins, choisie avec prédilection par le Saint-Esprit, et préservée de souillure, nous enfanta un homme-Dieu.
L'encensoir signifie la chair sacrée du Sauveur, on dit qu'elle est d'or, parce qu'elle ne souffrit aucune honte, car elle appartient à l'agneau sans tache, qui n'a pas commis le péché, à la bouche, en qui la ruse ne s'est point trouvée (Pi. II, 22 ), et dont le Prophète a prononcé cet oracle. « Voici mon enfant choisi, j'ai posé en lui mon esprit (Matt. XII, 48). »
Les charbons de l'encensoir, sont les oeuvres de Jésus-Christ. Les charbons sont parfois éteints, et parfois enflammés; parce que, dans la personne de notre Sauveur, tantôt c'était l'humanité qui souffrait ses propres faiblesses, tantôt la divinité qui opérait ses oeuvres éclatantes.
Le feu dans le charbon, c'est la divinité sainte dans l'œuvre. Le feu dans les braises, c'est l'indice évident qui en révélait la présence. Jésus est charbon mort, lorsqu'il est couché dans la crèche, braise enflammée, lorsqu'il chasse les démons, charbon, quand il fuit en Égypte, braise, lorsqu'il chasse du temple les acheteurs et les vendeurs de colombes. Charbon, quand il dort sur la barque; braise, quand il commande aux vents et à la mer, charbon, soumis à ses parents; braise, rassasiant quatre mille hommes de sept pains; charbon, demandant à boire, au puits de Jacob, braise, rendant auprès de Jéricho la vue à l'aveugle et guérissant le lépreux.
Il était braise éteinte, quand le démon le tentait; braise enflammée quand les anges le servaient. Éteint, quand le disciple le trahissait, ardent, quand il guérissait le fils du chef. Éteint devant le président, ardent, près du lac de Tibériade. Éteint quand Hérode se moquait de lui brûlant, lorsqu'il ressuscitait glorieusement les morts. Éteint, quand on lui offrait à boire du vinaigre mêlé de fiel, ardent, lorsqu'il guérissait les dix lépreux. Étouffé, quand il se cachait aux regards des Juifs, étouffé, lorsqu'il prenait ses repas avec les publicains et les pécheurs. Ardent, lorsqu'il marchait sur les eaux, lorsqu'il réjouissait les convives en changeant l'eau en vin.
Éteint, quand il était dans les langes, brûlant, quand il faisait ses miracles éclatants. Éteint, devant les tribunaux du président, ardent. dans la fille de la Chananéenne. Éteint, sur la croix, brûlant sur la montagne. Les braises éteintes étaient donc les oeuvres de l'humanité, et les braises enflammées, les miracles de la divinité.
Par arche de sagesse nous entendons l'humanité très-sainte de Jésus-Christ. C'est avec raison qu'il faut l'appeler arche de sagesse ; en elle sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse (Cor. II. 3), en elle a habité corporellement toute la plénitude de la divinité.
L'arche de Noé signifia aussi l'arche de la grâce, c'est-à-dire l'excellence de Marie. De même que par l'une, tous ont échappé au déluge, de même par Marie tous évitent le naufrage du péché. Pour tuer la mort, Noé fabriqua l'une : afin de racheter le genre humain, Jésus (qui est notre paix et notre repos) s'est préparé l'autre.
Par l'une, huit âmes seulement sont sauvées : par l'autre toutes (car cette universalité est exprimée par le nombre huit) sont appelées à la vie éternelle. L'une fut construite en cent ans ; en faute se trouva la perfection de toutes les vertus. L'une fut bâtie de bois équarris, l'autre fut formée de vertus consommées. La première était portée au dessus des eaux du déluge, la seconde ne ressentit l'atteinte d'aucun vice.
7. Il y a trois sortes de déluges. L'inondation des eaux constitue. le premier, les ravages des vices forment le second, et le troisième résulte des souffrances amenées par les tribulations. Le premier est un déluge d'eaux, le second, de fautes, le troisième, de calamités.
Les hommes succombent dans le premier, les vertus, dans le second, les voluptés, dans le troisième. On souffre d'abord le premier de ces déluges, ensuite le pécheur est plongé dans l'abîme des châtiments, et dans le troisième il est jeté dans les flammes de l'enfer. Et ainsi l'enfer commence ici et s'achève ailleurs, quand l'âme est attirée par le vice, et la chair par les supplices.
Par l'arche de l'Église nous échappons au premier déluge, par l'arche de la grâce au second, par l'arche de la sagesse au troisième. L'arche de l'Église produit, en effet, l'extinction des vices, celle de la grâce répare les vertus, et celle de la sagesse procure la jouissance au souvenir du bien. Dans l'Église on confesse les péchés, cette confession en fait recevoir la rémission et éteint les vices: ensuite le pardon reçu, la grâce survenant, les vertus sont mises dans l'âme.
Vient ensuite la perfection de la justice : et après elle, la contemplation des secrets célestes. On trouve en cette dernière une certaine suavité céleste, et ensuite une douleur intérieure et un amour parfait et constant du souverain bien.
8. Il existe donc un triple déluge : d'iniquités, d'adversités et de calamités. Le prophète Nahum dit du premier : « Par le déluge qu'il fera passer, il produira la consommation (Nahum. 1. 8).» Comme si l'on disait : si le déluge des vices vient à fondre sur ces hommes, ne désespérez point d'eux . parce que je ferai abonder la grâce sur ceux sur qui je permets à l'injustice de se répandre. De là vient qu'il est dit par le Prophète : « je vous ai aimé d'une affection éternelle, aussi je vous ai attiré, ayant pitié de vous (Jerem. XXXI. 3). » Le déluge viendra donc d'abord, et ensuite le Seigneur réalisera la consommation; car le Seigneur permet que ses élus soient affligés et humiliés, pour un temps, par des chiites sans nombre et par les attaques des vices, écartant ainsi de leur coeur tout mouvement d'orgueil : ensuite, il se met à les élever, nourrissant ainsi en leur âtre une charité parfaite.
D'où cette parole du Prophète : « tu viendras jusques à Babylone et là, tu seras délivré, là ; le Seigneur t'arrachera des mains de tes ennemis (Mich. IV. 40). » Et cette expression d'Isaïe : « pour un point insignifiant je t'ai abandonné, je te ramènerai dans de grandes miséricordes (Isa. LIV. 7) . »
Quand le déluge aura passé, le Seigneur opèrera donc la consommation : parce qu'il arrache avec force du fond des vices ses amis qu'il place au faîte des vertus et qu'il illumine du rayon de la contemplation. Du second, il est dit au Cantique des cantiques : « Les grandes eaux n'ont pu éteindre la charité, les fleuves ne la couvriront pas (Cant. VIII. 7). »
Aussi par la bouche du Psalmiste il est: dit de ceux qui sont brisés pat l'adversité et succombent aux tentations : « Dans le déluge des grandes eaux, ils ne se rapprocheront pas de lui (Psalm. XXXI. 6). » Le Seigneur arrache aussi les siens à ce déluge, selon cet enseignement de l'Apôtre : « C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut parvenir au royaume de Dieu (Act. XIV, 21). » Et encore « Dieu est fidèle, il ne souffrira pas que vous soyez tentés au dessus de vos forces, mais il vous fera tirer profit de l'épreuve, afin que vous la puissiez bien supporter (I. Cor. X. 13). » Osée dit aussi : « Dans leur tribulation, ils se levèrent vers moi dès le matin (Os. XI. 6). » Et le Psalmiste : « Nombreuses sont les tribulations des justes, le Seigneur les délivrera de toutes (Psalm. XXXIII. 20). » On lit au livre de Job relativement au troisième : « La misère fondra sur lui comme l’eau, la tempête s'abattra sur lui durant la nuit (Job. XXVII. 20). Le premier déluge est donc celui des vices , vient ensuite celui des tribulations, et enfin celui de la misère et des ténèbres.
Le premier est celui du péché, le second, celui du monde, le troisième, celui de l'enfer. Les attraits qui réjouissent sont les poissons du premier, les envies mauvaises, ceux du second, et les tourments éternels, ceux du troisième. Aussi dans l'Évangile, il est dit des bons pécheurs qui foulent aux pieds les vices, qui surmontent les tentations, et évitent les supplices sans fin : « Ils choisirent les bons dans leurs vases, et ils jetèrent dehors les mauvais (Matth. XIII. 48).» Remercions donc l'arche de grâce, parce que, par elle, c'est-à-dire par Marie et son Fils, nous avons échappé à l'un et l'autre naufrage.
9. L'arche de l'alliance fournit aussi un type de la sainte mère de Dieu. C'est Bézéléel qui a construit la première (Exod. XXXVI. 1); c'est Emmanuel quia formé l'autre. Bézéléel eut Oliab pour compagnon dans son travail : et la Vierge des vierges fut créée, choisie, préservée, préparée et ornée par le Saint Esprit et son Fils tout puissant. Bézéléel signifie ombre de Dieu, Oliab veut dire ma protection : le premier est une figure du Saint Esprit, l'autre, celle du Fils de Dieu.
De l'un on dit à Marie lors de la conception de son très-heureux enfant : «La vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Luc. I, 35). « Il fut dit aussi à Joseph : « Ne crains point de prendre Marie pour ton épouse : Car ce qui a été formé en elle est du Saint Esprit (Matth. I, 20). »
L'autre crie à son Père dans le Psaume: "Protégez-moi contre le visage des impies qui m'ont affligé (Ps. XVI, 9). » Et encore «Vous êtes mon protecteur depuis ma sortie du sein de ma mère (Ps. XXI, 11). » Et encore : « Je suis devenu pour plusieurs une sorte de prodige, vous êtes un secours puissant (Ps. LXX, 7). »
Bézéléel donc construisit avec son compagnon l'arche du Testament : et la sainte Trinité sanctifia aussi la Vierge, elle la consacra comme un temple très-auguste, elle se la prépara comme une demeure très-pure, et elle l'orna par avance comme un lit nuptial sur lequel l'Époux, le plus beau des enfants des hommes, se reposerait avant de paraître en public.
Le Père, en effet, ne put être absent du lieu où il voulut que le Salut Esprit et le Fils agissent d'un commun accord. Tout ce que fait le Père, le Fils l'opère semblablement. Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne produit que ce qu'il voit produire au Père (Jean. V, 19). Nous lisons aussi au livre des Psaumes touchant le Saint Esprit : « C'est par la parole de Dieu que les cieux ont été affermis, et c'est du souffle de sa bouche que vient toute leur beauté (Ps. XXXII, 6).»
L'Apôtre aussi parle de la sorte des trois personnages : « De lui, par lui, en lui sont toutes choses : à lui la gloire (Rom. XI, 36).» Dans cette consécration de la sainte Vierge, le Père donna l'éclat, le Fils l’humilité, le Saint Esprit la charité. Le Père fit jaillir la lumière de la raison, le Fils versa la cendre de l'humiliation, et le Saint Esprit répandit l'huile de la dilection. Le Père la puissance, le Fils la sagesse, le Saint Esprit la grâce de toutes les vertus.
Le Père le pouvoir contre le péché, le Fils l'humilité contre le monde, le Saint Esprit la charité envers Dieu et son prochain. Le Fils la mortification de la chair, le Saint Esprit la componction, le Père la contemplation des choses célestes. Le Fils lui apprit à opérer les choses divines, le saint Esprit à aimer et à être aimée, le Père à contempler les vérités célestes. Le Fils l'instruit, le saint Esprit l'élève, le Père la perfectionne. Le Fils la purifie, le Saint Esprit la pacifie, le Père la comble d'honneurs.
En tenant ce langage, je ne divise pas les oeuvres ou les dons de la Trinité, j'assure au contraire avec certitude qu'elles sont inséparables. De même que l'unité se trouve dans son essence, pareillement l'identité est dans ses opérations.
10. L'arche d'alliance fut faite de bois de Sethim, et Marie fut tirée du peuple juif, peuple couvert d'épines, rude et aride, épineux par ses péchés de détraction, rude par ses superstitions, aride parce qu'il était dépourvu de l'onction de la grâce divine.
Aussi il tressa une couronne d'épines pour son roi, et il brûla de rage contre lui, comme le feu qui pétille en consumant des ronces. Séthim, en effet, signifie épines. Dans un autre sens, Eve fut une épine, Marie une rose. Eve fut véritablement une épine, elle piqua son mari jusqu à lui donner la mort, et elle plongea dans le cour de tous ses enfants l'aiguillon du péché.
D'où vient ce langage, de l'Apôtre : « Par un homme, le péché est entré en ce monde, et la mort, à la suite du péché : et elle a ainsi pénétré en tous (Rom. V, 12). » Les saints Pères furent des bois bien que desséchés à la racine de l'arbre, ayant néanmoins une confiance très-assurée dans l'arrivée du Sauveur; ils habitaient en ce monde, semblables à des voyageurs et à des étrangers, n'ayant rien et possédant tout. (II Cor. VI, 10)
Ils châtiaient leurs corps avec ses vices et ses concupiscences, ils allaient pleurant et jetant leurs semences (Ps. CXXV, 6). Aussi l’un d'eux s'exprime ainsi : « je me suis retourné dans mon chagrin, tandis que l'épine pénètre dans mon coeur (Ps.XXXI. 4). » Pour faire éclater sa gloire et pour renverser la sagesse humaine, Dieu a daigné naître d'une femme vierge, issue de la tige épineuse des Pères, prendre un corps afin de devenir semblable à l'homme, de guérir le contraire par son contraire, d'arracher l'épine vénéneuse et de déchirer avec puissance la cédule de condamnation du péché.
Par ce sexe féminin l'humilité se montre avec éclat, la gloire et la majesté d'une vierge nous vient en- aide et la grâce chasse le péché. Eve fut donc une épine et Marie une rose : Eve une épine en blessant, Marie une rose en adoucissant les sentiments de tous les hommes. Eve épine en donnant à tous la mort : Marie rose en rendant à tous le salut. Du jus de l'écorce de l'épine on fait une sorte d'encre : de votre esprit charnel naît le flux de la concupiscence qui, péché actuel dans Adam et Eve, transmet dans leur postérité le péché originel.
C'est de lui que l'Apôtre s'écrie : « la lettre tue, l'esprit vivifie (II Cor. III, 6). » Comme s'il disait : « Par un homme la mort, et par un homme la résurrection : et de même que tous périssent en Adam, ainsi tous seront vivifiés en Jésus-Christ (I Cor. XV, 22). »
Marie fut une rose blanche par la virginité, rouge par la charité: blanche quant au corps, rouge quant à l'âme; blanche par la pratique de la vertu, rouge par son triomphe sur les vices ; blanche par la pureté de ses affections, rouge par la mortification de la chair, blanche par l'amour de Dieu, rouge par sa compatissante à l'égard du prochain.
11. L'arche fut faite de bois de Séthim; on y plaça l'encensoir, la manne et la verge (Exod. XXV). Parce que, bien que Marie tirât son origine des anciens pères, viciée par le péché, mais néanmoins, choisie avec prédilection par le Saint-Esprit, et préservée de souillure, nous enfanta un homme-Dieu.
L'encensoir signifie la chair sacrée du Sauveur, on dit qu'elle est d'or, parce qu'elle ne souffrit aucune honte, car elle appartient à l'agneau sans tache, qui n'a pas commis le péché, à la bouche, en qui la ruse ne s'est point trouvée (Pi. II, 22 ), et dont le Prophète a prononcé cet oracle. « Voici mon enfant choisi, j'ai posé en lui mon esprit (Matt. XII, 48). »
Les charbons de l'encensoir, sont les oeuvres de Jésus-Christ. Les charbons sont parfois éteints, et parfois enflammés; parce que, dans la personne de notre Sauveur, tantôt c'était l'humanité qui souffrait ses propres faiblesses, tantôt la divinité qui opérait ses oeuvres éclatantes.
Le feu dans le charbon, c'est la divinité sainte dans l'œuvre. Le feu dans les braises, c'est l'indice évident qui en révélait la présence. Jésus est charbon mort, lorsqu'il est couché dans la crèche, braise enflammée, lorsqu'il chasse les démons, charbon, quand il fuit en Égypte, braise, lorsqu'il chasse du temple les acheteurs et les vendeurs de colombes. Charbon, quand il dort sur la barque; braise, quand il commande aux vents et à la mer, charbon, soumis à ses parents; braise, rassasiant quatre mille hommes de sept pains; charbon, demandant à boire, au puits de Jacob, braise, rendant auprès de Jéricho la vue à l'aveugle et guérissant le lépreux.
Il était braise éteinte, quand le démon le tentait; braise enflammée quand les anges le servaient. Éteint, quand le disciple le trahissait, ardent, quand il guérissait le fils du chef. Éteint devant le président, ardent, près du lac de Tibériade. Éteint quand Hérode se moquait de lui brûlant, lorsqu'il ressuscitait glorieusement les morts. Éteint, quand on lui offrait à boire du vinaigre mêlé de fiel, ardent, lorsqu'il guérissait les dix lépreux. Étouffé, quand il se cachait aux regards des Juifs, étouffé, lorsqu'il prenait ses repas avec les publicains et les pécheurs. Ardent, lorsqu'il marchait sur les eaux, lorsqu'il réjouissait les convives en changeant l'eau en vin.
Éteint, quand il était dans les langes, brûlant, quand il faisait ses miracles éclatants. Éteint, devant les tribunaux du président, ardent. dans la fille de la Chananéenne. Éteint, sur la croix, brûlant sur la montagne. Les braises éteintes étaient donc les oeuvres de l'humanité, et les braises enflammées, les miracles de la divinité.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
Cet opuscule parut d'abord, d'après une copie de Léonor Foy, homme savant, chanoine de l'insigne Église de Beauvais. Comme celui de Saint-Victor de Paris, il marque pour auteur saint Bernard. Charles Sacci, docteur de Paris, au XVe siècle, attribue à saint Bernard un livre sur la passion et la résurrection du Seigneur, qui parait être celui-ci. Entre autres raisons, la différence de style montre assez qu'il ne vient pas du saint Docteur.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
1. « Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre roi qui vient vers vous plein de douceur et assis sur le fils d'une ânesse (Juan. XII, 10).» Venez, Seigneur Jésus, venez, le chéri de toutes les nations, parce que mon âme a dormi à cause du chagrin que lui a causé votre mort et lorsque mes yeux ont langui dans l'absence de votre lumière; levez-vous, aimable soleil, afin que l'homme aille à son travail et vaque à ses occupations jusqu'au soir, et gagne non la nourriture qui périt, mais bien celle qui demeure pour la vie éternelle.
« Ne craignez pas, fille de Sion.» Ce sont les faibles qui craignent. Vous êtes encore une fille, parce que vous avez peur; vous n'êtes pas encore enfant. de Jérusalem, mais de Sion, c'est-à-dire, de celle qui regarde. Apprenez donc à contempler. « Ne craignez point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de votre oeil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière; de même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. «
Mais ne craignez point, fille de Sion, voici que votre roi vous arrive. » Le soleil s'élève sur vous, il vous protégera, il vous éclairera et vous conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière. « Il vous arrive plein de mansuétude.
Il veut que vous soyez comme lui; adoucissez-vous afin de porter son joug, afin qu'il s'assoit sur vous comme sur une monture ou sur l’animal fils de la bête de somme. Et quelle est cette monture? Cette créature qui est appelée et femme et vierge, parce qu'elle est tirée de l'homme. Et quel est cet animal ? L'homme. Et comment est-il son fils ? Parce qu'en premier lieu ne se place point ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, ensuite vient ce qui est spirituel. (I Cor. XV, 46).
Le roi pacifique est assis d'abord sur l'ânesse et ensuite sur l'animal issu d'elle. La chair est d'abord domptée, afin d'être apte à se plier au joug. Le poulain naît ensuite, il est nourri, il se fortifie, afin de pouvoir porter son cavalier. Et pourquoi le fils d'une bête de somme? Parce que la femme est soumise au mari, et que l'homme est le chef de la femme. Et néanmoins, il est fils d'une bête de somme, parce que l'homme existe par la femme qui l'enfantera dans la douleur. Que le roi de mansuétude soit porté sur l'un et sur l'autre, lui qui produit la paix, afin qu'ils ne luttent pas entr'eux.
2. Il vient vers vous, et vous n'allez pas à lui. Sortez de la terre de votre chair, de la parenté de votre esprit et de la maison, c'est-à-dire du souvenir de votre père. Votre père est un Amorrhéen et votre mère, une Céthéenne. Oubliez ce père, et alors le roi désirera votre beauté. L'éclat de votre beauté est vif, si vous entendez, si vous regardez, si vous prêtez l'oreille. Vous entendez par l'obéissance, vous voyez par l'intelligence, vous inclinez l'oreille par l'humilité.
Cette beauté, toute cette gloire est au dedans, sous les franges d'or ; c'est cette grâce que le roi, plein de mansuétude, désire en vous. Sortez donc de la cité, car j'ai vu, dit le Psalmiste « l'iniquité et la contradiction dans la cité (Psal. LIV. 10). » Sortez avec les enfants des Hébreux, qui s'avancent simplement à la rencontre du Seigneur. Étendez sur le chemin des rameaux d'olivier, afin d'entourer ses pieds des oeuvres de miséricorde.
Prenez les feuilles de palmier, afin de triompher des princes des ténèbres. Qu'il n'y ait rien en vous qui n'aille vers lui: il ne faut laisser pas même un ongle dans la maison de Pharaon. Que votre main, que votre coeur et votre langue chantent : « Hosanna dans les hauteurs! »
Cet opuscule parut d'abord, d'après une copie de Léonor Foy, homme savant, chanoine de l'insigne Église de Beauvais. Comme celui de Saint-Victor de Paris, il marque pour auteur saint Bernard. Charles Sacci, docteur de Paris, au XVe siècle, attribue à saint Bernard un livre sur la passion et la résurrection du Seigneur, qui parait être celui-ci. Entre autres raisons, la différence de style montre assez qu'il ne vient pas du saint Docteur.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
1. « Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre roi qui vient vers vous plein de douceur et assis sur le fils d'une ânesse (Juan. XII, 10).» Venez, Seigneur Jésus, venez, le chéri de toutes les nations, parce que mon âme a dormi à cause du chagrin que lui a causé votre mort et lorsque mes yeux ont langui dans l'absence de votre lumière; levez-vous, aimable soleil, afin que l'homme aille à son travail et vaque à ses occupations jusqu'au soir, et gagne non la nourriture qui périt, mais bien celle qui demeure pour la vie éternelle.
« Ne craignez pas, fille de Sion.» Ce sont les faibles qui craignent. Vous êtes encore une fille, parce que vous avez peur; vous n'êtes pas encore enfant. de Jérusalem, mais de Sion, c'est-à-dire, de celle qui regarde. Apprenez donc à contempler. « Ne craignez point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de votre oeil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière; de même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. «
Mais ne craignez point, fille de Sion, voici que votre roi vous arrive. » Le soleil s'élève sur vous, il vous protégera, il vous éclairera et vous conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière. « Il vous arrive plein de mansuétude.
Il veut que vous soyez comme lui; adoucissez-vous afin de porter son joug, afin qu'il s'assoit sur vous comme sur une monture ou sur l’animal fils de la bête de somme. Et quelle est cette monture? Cette créature qui est appelée et femme et vierge, parce qu'elle est tirée de l'homme. Et quel est cet animal ? L'homme. Et comment est-il son fils ? Parce qu'en premier lieu ne se place point ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, ensuite vient ce qui est spirituel. (I Cor. XV, 46).
Le roi pacifique est assis d'abord sur l'ânesse et ensuite sur l'animal issu d'elle. La chair est d'abord domptée, afin d'être apte à se plier au joug. Le poulain naît ensuite, il est nourri, il se fortifie, afin de pouvoir porter son cavalier. Et pourquoi le fils d'une bête de somme? Parce que la femme est soumise au mari, et que l'homme est le chef de la femme. Et néanmoins, il est fils d'une bête de somme, parce que l'homme existe par la femme qui l'enfantera dans la douleur. Que le roi de mansuétude soit porté sur l'un et sur l'autre, lui qui produit la paix, afin qu'ils ne luttent pas entr'eux.
2. Il vient vers vous, et vous n'allez pas à lui. Sortez de la terre de votre chair, de la parenté de votre esprit et de la maison, c'est-à-dire du souvenir de votre père. Votre père est un Amorrhéen et votre mère, une Céthéenne. Oubliez ce père, et alors le roi désirera votre beauté. L'éclat de votre beauté est vif, si vous entendez, si vous regardez, si vous prêtez l'oreille. Vous entendez par l'obéissance, vous voyez par l'intelligence, vous inclinez l'oreille par l'humilité.
Cette beauté, toute cette gloire est au dedans, sous les franges d'or ; c'est cette grâce que le roi, plein de mansuétude, désire en vous. Sortez donc de la cité, car j'ai vu, dit le Psalmiste « l'iniquité et la contradiction dans la cité (Psal. LIV. 10). » Sortez avec les enfants des Hébreux, qui s'avancent simplement à la rencontre du Seigneur. Étendez sur le chemin des rameaux d'olivier, afin d'entourer ses pieds des oeuvres de miséricorde.
Prenez les feuilles de palmier, afin de triompher des princes des ténèbres. Qu'il n'y ait rien en vous qui n'aille vers lui: il ne faut laisser pas même un ongle dans la maison de Pharaon. Que votre main, que votre coeur et votre langue chantent : « Hosanna dans les hauteurs! »
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.
3. Vous avez vu, Seigneur, l'affliction de votre peuple dans l'Égypte; vous avez abaissé vos cieux, et vous êtes descendu pour nous délivrer. J'ai goûté un léger repos, qui m'a débarrassé un moment des oeuvres pénibles des ténèbres, sous le poids desquelles le cruel exacteur de Pharaon écrasait mon âme, et déjà la préparation de votre sabbat a réjoui mon âme.
Cependant, je ne suis point parvenu jusqu'au sommet, point élevé où je verrai plus parfaitement les pustules et les taches qui défigurent mon visage , et offensent grandement vos yeux quand même je me laverais de nitre et me couvrirai de l'herbe de borith, je suis souillé de mes iniquités. Et maintenant, Seigneur, les jours de votre passion devraient nous presser davantage que les officiers de Pharaon, parce que dans les oeuvres que vous opérez, se trouvent la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit; et nous dormons tandis que vous priez pour nous, parce que nos yeux sont appesantis par le sommeil.
Secouez-nous pour nous réveiller et pour nous faire prier, afin de ne pas entrer en tentation, parce que la tribulation est fort près de nous. Que notre oeil est prompt à se fermer pour ne pas vous voir, que notre pied glisse vite en cette mer immense, aux bras étendus, où se trouvent des reptiles sans nombre! Par les fantômes qu'ils font paraître dans le sommeil, ils se jouent de l'âme qui y prête son attention, et l'attirent dans le sein de la mer, d'où elle ne peut pas facilement regagner les régions supérieures, si vous ne tendez la main du haut du ciel, pour nous tirer de ces vagues profondes.
Excitez-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec vous. Qui est-ce qui veille une heure avec vous? Vous vous êtes éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et vous êtes plongé dans une agonie cruelle, de sorte que votre sang découle jusqu'à terre. Vous vous êtes bien éloigné de nous, parce que la pierre s'est détachée de la montagne sans la main de l'homme; la pierre a été lancée, et a frappé Goliath à la tête, et la statue à la base.
4. Ce jet vous a écarté de nous : parce que vous êtes entré comme notre précurseur, jusque dans l'intérieur du voile, où vous intercédez sans relâche auprès de votre Père en notre faveur. Plaise au ciel qu'une goutte du sang qui coule dans votre agonie arrive jusqu'à notre terre, que notre coeur s'ouvre pour la boire, et qu'elle crie vers vous et avec vous vers votre Père, plus éloquemment que le sang d'Abel.
Qui est, Seigneur, qui veille une heure avec vous ? Même dans le ciel, il ne se fit qu'un silence de demi-heure : combien moins sur la terre veillerons-nous avec vous une heure? Que de fois revenez-vous vers nous et nous trouvez-vous endormis?
Et cependant, dans votre bonté, vous nous éveillez, et vous retirez une seconde et troisième fois, redisant les mêmes paroles. A peine êtes-vous parti, que le sommeil nous gagne de nouveau; nous ne pouvons veiller que tant que vous êtes avec nous et nous réveillez. Vous venez à la seconde et troisième veille : bienheureux le serviteur que vous trouvez alors éveillé.
Il n'est point fait mention de la première, ni de la quatrième, parce que le premier âge n'a pas la force de veiller, et le dernier n'a pas l’espoir de prolonger son sommeil. Et que signifie cette circonstance, Seigneur, que, revenant pour la troisième fois, vous accordez la permission de dormir? « Dormez à présent, dites-vous, et reposez-vous (Marc. XIV. 41). » Est-ce que vous permettez un sommeil où l'on se repose et que vous défendez celui qui appesantit les yeux ? Il en est ainsi. Celui qui veille en vous dort et se tait suavement, et se repose en son sommeil : celui qui dort sans vous, est semblable à un homme ivre dans le sommeil de la nuit est fortement agité. « Mon âme est triste jusqu'à la mort (Matth. XXVI. 38).
L'âme triste est celle qui attend les angoisses de la mort. Qui sait s'il ira à la gauche oit à la droite? Qui connaît ce qu'il aura à répondre aux accusations qui seront portées contre lui, lorsque le juge parlera comme une personne qui enfante ? Aussi que l'âme triste devienne semblable au pélican de la solitude qui fuit la ville et les conversations sanglantes des méchants, et pâlit dans la retraite; ou que, comparable au hibou, elle cherche dans les murailles de l'Écriture sa nourriture toute la nuit, et qu'elle s'envole à côté du passereau qui veille sur le toit, et chante à la venue du voleur.
5. Ou bien ne voyez-vous pas Judas : il ne dort pas, lui? Comme l'avarice a les yeux éveillés, comme elle parcourt la terre? Sa main ne s'arrête pas, son pied ne se lasse point et elle entasse des trésors de colère pour le jour du courroux du Seigneur. Et cependant Simon dort, Jacques et Jean dorment aussi. Pourquoi?
Parce qu'ils ne font pas attention à ce qui va bientôt arriver. La grandeur du danger écarte le sommeil. Pierre dormit-il dans le parvis? Dormirent-ils les disciples qui s'enfuirent après avoir abandonné leur maître ? Le jeune homme dormit-il, lorsqu'on le saisit et qu'il s'échappa nu, laissant son manteau entre les mains de ceux qui le tenaient? Et cependant, il faisait froid car Pierre se chauffait. La grandeur du péril fait oublier le sommeil, le froid et la faim.
Éveillez-vous enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui vous excite. Pensez au tourment que vous subirez à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle vous attend, chaque jour, vous vous approchez d'elle, et vous n'y faites pas attention. Voyez comment la mort vous crucifie. Le corps se raidit, les jambes s'étendent, les mains et les bras fléchissent, la poitrine est haletante, la tête tombe languissamment, les lèvres se souillent d'écume, les yeux se couvrent de brouillards et le visage de sueur, il se contracte horriblement et devient pâle comme une urne .
Voilà la croix qui vous attend; je ne sais si la mort est plus douce dans un lit mou ou sur une croix cruelle. La différence, c'est que la croix abrège la douleur. Ce que nous voyons, ce que nous sentons est peu de chose en comparaison de ce que l'âme éprouve au dedans. Le sentiment abandonne vite le corps, l'âme emporte vite sa mort avec elle.
3. Vous avez vu, Seigneur, l'affliction de votre peuple dans l'Égypte; vous avez abaissé vos cieux, et vous êtes descendu pour nous délivrer. J'ai goûté un léger repos, qui m'a débarrassé un moment des oeuvres pénibles des ténèbres, sous le poids desquelles le cruel exacteur de Pharaon écrasait mon âme, et déjà la préparation de votre sabbat a réjoui mon âme.
Cependant, je ne suis point parvenu jusqu'au sommet, point élevé où je verrai plus parfaitement les pustules et les taches qui défigurent mon visage , et offensent grandement vos yeux quand même je me laverais de nitre et me couvrirai de l'herbe de borith, je suis souillé de mes iniquités. Et maintenant, Seigneur, les jours de votre passion devraient nous presser davantage que les officiers de Pharaon, parce que dans les oeuvres que vous opérez, se trouvent la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit; et nous dormons tandis que vous priez pour nous, parce que nos yeux sont appesantis par le sommeil.
Secouez-nous pour nous réveiller et pour nous faire prier, afin de ne pas entrer en tentation, parce que la tribulation est fort près de nous. Que notre oeil est prompt à se fermer pour ne pas vous voir, que notre pied glisse vite en cette mer immense, aux bras étendus, où se trouvent des reptiles sans nombre! Par les fantômes qu'ils font paraître dans le sommeil, ils se jouent de l'âme qui y prête son attention, et l'attirent dans le sein de la mer, d'où elle ne peut pas facilement regagner les régions supérieures, si vous ne tendez la main du haut du ciel, pour nous tirer de ces vagues profondes.
Excitez-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec vous. Qui est-ce qui veille une heure avec vous? Vous vous êtes éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et vous êtes plongé dans une agonie cruelle, de sorte que votre sang découle jusqu'à terre. Vous vous êtes bien éloigné de nous, parce que la pierre s'est détachée de la montagne sans la main de l'homme; la pierre a été lancée, et a frappé Goliath à la tête, et la statue à la base.
4. Ce jet vous a écarté de nous : parce que vous êtes entré comme notre précurseur, jusque dans l'intérieur du voile, où vous intercédez sans relâche auprès de votre Père en notre faveur. Plaise au ciel qu'une goutte du sang qui coule dans votre agonie arrive jusqu'à notre terre, que notre coeur s'ouvre pour la boire, et qu'elle crie vers vous et avec vous vers votre Père, plus éloquemment que le sang d'Abel.
Qui est, Seigneur, qui veille une heure avec vous ? Même dans le ciel, il ne se fit qu'un silence de demi-heure : combien moins sur la terre veillerons-nous avec vous une heure? Que de fois revenez-vous vers nous et nous trouvez-vous endormis?
Et cependant, dans votre bonté, vous nous éveillez, et vous retirez une seconde et troisième fois, redisant les mêmes paroles. A peine êtes-vous parti, que le sommeil nous gagne de nouveau; nous ne pouvons veiller que tant que vous êtes avec nous et nous réveillez. Vous venez à la seconde et troisième veille : bienheureux le serviteur que vous trouvez alors éveillé.
Il n'est point fait mention de la première, ni de la quatrième, parce que le premier âge n'a pas la force de veiller, et le dernier n'a pas l’espoir de prolonger son sommeil. Et que signifie cette circonstance, Seigneur, que, revenant pour la troisième fois, vous accordez la permission de dormir? « Dormez à présent, dites-vous, et reposez-vous (Marc. XIV. 41). » Est-ce que vous permettez un sommeil où l'on se repose et que vous défendez celui qui appesantit les yeux ? Il en est ainsi. Celui qui veille en vous dort et se tait suavement, et se repose en son sommeil : celui qui dort sans vous, est semblable à un homme ivre dans le sommeil de la nuit est fortement agité. « Mon âme est triste jusqu'à la mort (Matth. XXVI. 38).
L'âme triste est celle qui attend les angoisses de la mort. Qui sait s'il ira à la gauche oit à la droite? Qui connaît ce qu'il aura à répondre aux accusations qui seront portées contre lui, lorsque le juge parlera comme une personne qui enfante ? Aussi que l'âme triste devienne semblable au pélican de la solitude qui fuit la ville et les conversations sanglantes des méchants, et pâlit dans la retraite; ou que, comparable au hibou, elle cherche dans les murailles de l'Écriture sa nourriture toute la nuit, et qu'elle s'envole à côté du passereau qui veille sur le toit, et chante à la venue du voleur.
5. Ou bien ne voyez-vous pas Judas : il ne dort pas, lui? Comme l'avarice a les yeux éveillés, comme elle parcourt la terre? Sa main ne s'arrête pas, son pied ne se lasse point et elle entasse des trésors de colère pour le jour du courroux du Seigneur. Et cependant Simon dort, Jacques et Jean dorment aussi. Pourquoi?
Parce qu'ils ne font pas attention à ce qui va bientôt arriver. La grandeur du danger écarte le sommeil. Pierre dormit-il dans le parvis? Dormirent-ils les disciples qui s'enfuirent après avoir abandonné leur maître ? Le jeune homme dormit-il, lorsqu'on le saisit et qu'il s'échappa nu, laissant son manteau entre les mains de ceux qui le tenaient? Et cependant, il faisait froid car Pierre se chauffait. La grandeur du péril fait oublier le sommeil, le froid et la faim.
Éveillez-vous enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui vous excite. Pensez au tourment que vous subirez à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle vous attend, chaque jour, vous vous approchez d'elle, et vous n'y faites pas attention. Voyez comment la mort vous crucifie. Le corps se raidit, les jambes s'étendent, les mains et les bras fléchissent, la poitrine est haletante, la tête tombe languissamment, les lèvres se souillent d'écume, les yeux se couvrent de brouillards et le visage de sueur, il se contracte horriblement et devient pâle comme une urne .
Voilà la croix qui vous attend; je ne sais si la mort est plus douce dans un lit mou ou sur une croix cruelle. La différence, c'est que la croix abrège la douleur. Ce que nous voyons, ce que nous sentons est peu de chose en comparaison de ce que l'âme éprouve au dedans. Le sentiment abandonne vite le corps, l'âme emporte vite sa mort avec elle.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.
6. Quand les animaux marchaient, à côté d'eux marchaient aussi les roues (Ezech. I, 19). Si notre vie avançait, la roue de la Sainte Écriture avancerait pareillement avec nous : mais parce que nous trébuchons dans les marais et à travers les rochers, ces roues nous suivent avec peine.
On célèbre la passion du Seigneur, et nous nous livrons à la volupté. Jésus nous crie du haut de la croit : « O vous tous qui passez par le chemin, prêtez votre attention, et dites s'il est une douleur comme la mienne.» Et personne n'écoute, personne ne le console, personne ne répond. « J'ai soif, dit-il. De quoi avez-vous soif, Seigneur? La soif vous fait donc plus souffrir que la croix? vous ne dites rien de la croix, et vous vous plaignez de la soif?
« J'ai soif (Jean. XIX, 28). » De quoi avez-vous soif? De votre foi, de votre salut, et de votre joie; l'état de vos âmes m'occupe davantage que celui de mon corps. « O vous tous qui passez par le chemin, examinez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur? » Contemplez ma douleur, afin d'y voir votre propre douleur. Ce que je souffre est l'image de ce que vous souffrez. Ce que vous apercevez en mon corps, voyez si vous ne le portez ras en votre coeur. Vous passez de vous à moi, revenez de moi en vous, et voyez si en vous il ne s'y trouve pas une douleur semblable à la mienne .
« Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous (Luc. XXIII, 28). » Cette douleur de votre âme, à côté de laquelle vous passez sans la remarquer, mérite plus vos larmes que la mienne. Car c'est à cause le vos crimes que j'ai été frappé. Voilà, ô bon Jésus, ce que voua nous criez du haut de votre croix, sinon par vos paroles, du moins par les circonstances. Que vous répondrai-je, que dirai-je, ou que vous rendrai-je? Vous avez donc fait de votre corps le miroir de mon âme.
J'ignorerais les hontes, les terreurs et les attaques incessantes de Satan, si je ne voyais l'art de votre médecine guérir des maux semblables et peser dans une balance, d'un côté votre souffrance, de l'autre mon iniquité. Vous avez livré votre corps à ceux qui le frappaient, est tendu vos joues à ceux qui les déchiraient, vous n'avez pas détourné votre visage des crachats qui y tombaient, afin que les soufflets que vous avez reçus écartent ceux que j'ai à recevoir, que ses coups soient reçus par les vôtres et que les opprobres qui vous ont assailli éloignent de moi l'opprobre qui ne cessera jamais.
Voilà les bandelettes très pures de votre chair dont vous vous êtes servi pour bander mes blessures, ô miséricordieux Samaritain, avant de me placer sur votre monture et de me conduire dans l'hôtellerie : parce que vous avez porté vous-même nos langueurs et souffert nos douleurs, nous guérissant par vos fatigues.
6. Quand les animaux marchaient, à côté d'eux marchaient aussi les roues (Ezech. I, 19). Si notre vie avançait, la roue de la Sainte Écriture avancerait pareillement avec nous : mais parce que nous trébuchons dans les marais et à travers les rochers, ces roues nous suivent avec peine.
On célèbre la passion du Seigneur, et nous nous livrons à la volupté. Jésus nous crie du haut de la croit : « O vous tous qui passez par le chemin, prêtez votre attention, et dites s'il est une douleur comme la mienne.» Et personne n'écoute, personne ne le console, personne ne répond. « J'ai soif, dit-il. De quoi avez-vous soif, Seigneur? La soif vous fait donc plus souffrir que la croix? vous ne dites rien de la croix, et vous vous plaignez de la soif?
« J'ai soif (Jean. XIX, 28). » De quoi avez-vous soif? De votre foi, de votre salut, et de votre joie; l'état de vos âmes m'occupe davantage que celui de mon corps. « O vous tous qui passez par le chemin, examinez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur? » Contemplez ma douleur, afin d'y voir votre propre douleur. Ce que je souffre est l'image de ce que vous souffrez. Ce que vous apercevez en mon corps, voyez si vous ne le portez ras en votre coeur. Vous passez de vous à moi, revenez de moi en vous, et voyez si en vous il ne s'y trouve pas une douleur semblable à la mienne .
« Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous (Luc. XXIII, 28). » Cette douleur de votre âme, à côté de laquelle vous passez sans la remarquer, mérite plus vos larmes que la mienne. Car c'est à cause le vos crimes que j'ai été frappé. Voilà, ô bon Jésus, ce que voua nous criez du haut de votre croix, sinon par vos paroles, du moins par les circonstances. Que vous répondrai-je, que dirai-je, ou que vous rendrai-je? Vous avez donc fait de votre corps le miroir de mon âme.
J'ignorerais les hontes, les terreurs et les attaques incessantes de Satan, si je ne voyais l'art de votre médecine guérir des maux semblables et peser dans une balance, d'un côté votre souffrance, de l'autre mon iniquité. Vous avez livré votre corps à ceux qui le frappaient, est tendu vos joues à ceux qui les déchiraient, vous n'avez pas détourné votre visage des crachats qui y tombaient, afin que les soufflets que vous avez reçus écartent ceux que j'ai à recevoir, que ses coups soient reçus par les vôtres et que les opprobres qui vous ont assailli éloignent de moi l'opprobre qui ne cessera jamais.
Voilà les bandelettes très pures de votre chair dont vous vous êtes servi pour bander mes blessures, ô miséricordieux Samaritain, avant de me placer sur votre monture et de me conduire dans l'hôtellerie : parce que vous avez porté vous-même nos langueurs et souffert nos douleurs, nous guérissant par vos fatigues.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.
7. Dans la maison du prince des prêtres, Jésus est souffleté après qu'on lui a voilé la face, parce que le chrétien est souffleté dans la maison de sa conscience quand l'esprit est frappé d'aveuglement.
Ce que Jésus souffre publiquement, je le souffre en secret; les traitements qu'il reçoit au dehors des ministres de Caïphe, je les reçois au dedans des serviteurs de Satan : les pécheurs, en effet, on frappé sur mon dos, ils m'ont voilé la face, ils ont attaché mon visage à la terre, ils ont fait une enclume de mon dos et y ont frappé à coups redoublés.
Mais je suis encore retenu dans la maison où la jeune fille meurt et est ressuscitée. Car c'est là aussi où Pierre nia. « O homme, je ne suis pas un disciple. « Je regarde l'homme, je ne regarde pas Dieu; je crains l'homme, je ne crains pas le Seigneur, dont je nie la vérité. Est-ce qu'en prononçant ces paroles, saint Pierre ne vous semble pas avoir la face voilée ? Aussi il fut souffleté une troisième fois, parce qu'il nia une troisième fois. Et saint Paul pria à trois reprises le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan qui le souffletait.
Ces deux apôtres furent donc trois fois souffletés, trois fois ils firent naufrage, l'un intérieurement, l'autre extérieurement. Satan eût voulu, s'il en avait eu licence, cribler saint Pierre, comme le froment, jusqu'à ce qu'il eût détaché de lui toute moelle de foi. Mais, s'écrie le Seigneur, « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Luc. XXII, 32). »
Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait? Assurément: mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très-bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous; bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! «Et sortit» Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit.
Quand il alla dehors, d'où sortait-il? De la maison du Christ, de la maison des fidèles ; mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église, et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent en affirmant; mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu.
L'amertume des pleurs fut le voile qui empêcha les yeux de voir. Jésus-Christ est donc souffleté dans la maison de Caïphe, parce que Pierre est souffleté; et les coups que Pierre reçut au dedans de lui de la part de Satan, le Christ les reçut au dehors de la part des ministres de Satan. Remarquez donc et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur. Examinez qui souffrit le plus d'opprobres : Le Christ dans son corps ou Pierre dans sa conscience? Mais allons chez Pilate.
MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.
CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.
CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.
CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.
CHAPITRE VI. De la confession du larron et éloges de la sainte croix.
CHAPITRE VII. Du péché de Judas et de son désespoir.
CHAPITRE VIII. De l'ouverture du côté de Jésus.
CHAPITRE IX. De la sépulture du Seigneur.
CHAPITRE X. De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ.
CHAPITRE XI. De l'enlèvement de la pierre, de l'apparition des anges et de la résurrection de Jésus-Christ.
CHAPITRE XII. De l'apparition de Jésus-Christ aux disciples qui allaient à Emmaüs.
CHAPITRE XIII. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir l'intelligence de la Sainte Ecriture.
CHAPITRE XIV. Les trois chefs de cinquante hommes envoyés à Élie, allégoriquement comparés à la capture des cent-cinquante poissons.
CHAPITRE XV. De la dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et de la vision qu'elle eut.
CHAPITRE XVI. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir les vertus.
MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
Cet opuscule parut d'abord, d'après une copie de Léonor Foy, homme savant, chanoine de l'insigne Église de Beauvais. Comme celui de Saint-Victor de Paris, il marque pour auteur saint Bernard. Charles Sacci, docteur de Paris, au XVe siècle, attribue à saint Bernard un livre sur la passion et la résurrection du Seigneur, qui parait être celui-ci. Entre autres raisons, la différence de style montre assez qu'il ne vient pas du saint Docteur.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
1. « Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre roi qui vient vers vous plein de douceur et assis sur le fils d'une ânesse (Juan. XII, 10).» Venez, Seigneur Jésus, venez, le chéri de toutes les nations, parce que mon âme a dormi à cause du chagrin que lui a causé votre mort et lorsque mes yeux ont langui dans l'absence de votre lumière; levez-vous, aimable soleil, afin que l'homme aille à son travail et vaque à ses occupations jusqu'au soir, et gagne non la nourriture qui périt, mais bien celle qui demeure pour la vie éternelle. « Ne craignez pas, fille de Sion.» Ce sont les faibles qui craignent. Vous êtes encore une fille, parce que vous avez peur; vous n'êtes pas encore enfant. de Jérusalem, mais de Sion, c'est-à-dire, de celle qui regarde. Apprenez donc à contempler. « Ne craignez point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de votre oeil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière; de même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. « Mais ne craignez point, fille de Sion, voici que votre roi vous arrive. » Le soleil s'élève sur vous, il vous protégera, il vous éclairera et vous conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière. « Il vous arrive plein de mansuétude. Il veut que vous soyez comme lui; adoucissez-vous afin de porter son joug, afin qu'il s'asseoie sur vous comme sur une monture ou sur l’animal fils de la bête de somme. Et quelle est cette monture? Cette créature qui est appelée et femme et vierge, parce qu'elle est tirée de l'homme. Et quel est cet animal ? L'homme. Et comment est-il son fils ? Parce qu'en premier lieu ne se place point ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, ensuite vient ce qui est spirituel. (I Cor. XV, 46). Le roi pacifique est assis d'abord sur l'ânesse et ensuite sur l'animal issu d'elle. La chair est d'abord domptée, afin d'être apte à se plier au joug. Le poulain naît ensuite, il est nourri, il se fortifie, afin de pouvoir porter son cavalier. Et pourquoi le fils d'une bête de somme? Parce que la femme est soumise au mari, et que l'homme est le chef de la femme. Et néanmoins, il est fils d'une bête de somme, parce que l'homme existe par la femme qui l'enfantera dans la douleur. Que le roi de mansuétude soit porté sur l'un et sur l'autre, lui qui produit la paix, afin qu'ils ne luttent pas entr'eux.
2. Il vient vers vous, et vous n'allez pas à lui. Sortez de la terre de votre chair, de la parenté de votre esprit et de la maison, c'est-à-dire du souvenir de votre père. Votre père est un Amorrhéen et votre mère, une Céthéenne. Oubliez ce père, et alors le roi désirera votre beauté. L'éclat de votre beauté est vif, si vous entendez, si vous regardez, si vous prêtez l'oreille. Vous entendez par l'obéissance, vous voyez par l'intelligence, vous inclinez l'oreille par l'humilité. Cette beauté, toute cette gloire est au dedans, sous les franges d'or ; c'est cette grâce que le roi, plein de mansuétude, désire en vous. Sortez donc de la cité, car j'ai vu, dit le Psalmiste « l'iniquité et la contradiction dans la cité (Psal. LIV. 10). » Sortez avec les enfants des Hébreux, qui s'avancent simplement à la rencontre du Seigneur. Etendez sur le chemin des rameaux d'olivier, afin d'entourer ses pieds des oeuvres de miséricorde. Prenez les feuilles de palmier, afin de triompher des princes des ténèbres. Qu'il n'y ait rien en vous qui n'aille vers lui: il ne faut laisser pas même un ongle dans la maison de Pharaon. Que votre main, que votre coeur et votre langue chantent : « Hosanna dans les hauteurs ! »
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CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.
3. Vous avez vu, Seigneur, l'affliction de votre peuple dans l'Égypte; vous avez abaissé vos cieux, et vous êtes descendu pour nous délivrer. J'ai goûté un léger repos, qui m'a débarrassé un moment des oeuvres pénibles des ténèbres, sous le poids desquelles le cruel exacteur de Pharaon écrasait mon âme, et déjà la préparation de votre sabbat a réjoui mon âme. Cependant, je ne suis point parvenu jusqu'au sommet, point élevé où je verrai plus parfaitement les pustules et les taches qui défigurent mon visage , et offensent grandement vos yeux quand même je me laverais de nitre et me couvrirai de l'herbe de borith, je suis souillé de mes iniquités. Et maintenant, Seigneur, les jours de votre passion devraient nous presser davantage que les officiers de Pharaon, parce que dans les oeuvres que vous opérez, se trouvent la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit; et nous dormons tandis que vous priez pour nous, parce que nos yeux sont appesantis par le sommeil. Secouez-nous pour nous réveiller et pour nous faire prier, afin de ne pas entrer en tentation, parce que la tribulation est fort près de nous. Que notre oeil est prompt à se fermer pour ne pas vous voir, que notre pied glisse vite en cette mer immense, aux bras étendus, où se trouvent des reptiles sans nombre! Par les fantômes qu'ils font paraître dans le sommeil, ils se jouent de l'âme qui y prête son attention, et l'attirent dans le sein de la mer, d'où elle ne peut pas facilement regagner les régions supérieures, si vous ne tendez la main du haut du ciel, pour nous tirer de ces vagues profondes. Excitez-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec vous. Qui est-ce qui veille une heure avec vous? Vous vous êtes éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et vous êtes plongé dans une agonie cruelle, de sorte que votre sang découle jusqu'à terre. Vous vous êtes bien éloigné de nous, parce que la pierre s'est détachée de la montagne sans la main de l'homme; la pierre a été lancée, et a frappé Goliath à la tête, et la statue à la base.
4. Ce jet vous a écarté de nous : parce que vous êtes entré comme notre précurseur, jusque dans l'intérieur du voile, où vous intercédez sans relâche auprès de votre Père en notre faveur. Plaise au ciel qu'une goûte du sang qui coule dans votre agonie arrive jusqu'à notre terre, que notre coeur s'ouvre pour la boire, et qu'elle crie vers vous et avec vous vers votre Père, plus éloquemment que le sang d'Abel. Qui est, Seigneur, qui veille une heure avec vous ? Môme dans le ciel, il ne se fit qu'un silence de demi-heure : combien moins sur la terre veillerons-nous avec vous une heure? Que de fois revenez-vous vers nous et nous trouvez-vous en4prmis? Et cependant, dans votre bonté, vous nous éveillez, et vous retirez une seconde et troisième fois, redisant les mêmes paroles. A peine êtes-vous parti, que le sommeil nous gagne de nouveau; nous ne pouvons veiller que tant que vous êtes avec nous et nous réveillez. Vous venez à la seconde et troisième veille : bienheureux le serviteur que vous trouvez alors éveillé. Il n'est point fait mention de la première, ni de la quatrième, parce que le premier âge n'a pas la force de veiller, et le dernier n'a pas l’espoir de prolonger son sommeil. Et que signifie cette circonstance, Seigneur, que, revenant pour la troisième fois, vous accordez la permission de dormir? « Dormez à présent, dites-vous, et reposez-vous (Marc. XIV. 41). » Est-ce que vous permettez un sommeil où l'on se repose et que vous défendez celui qui appesantit les peux ? Il en est ainsi. Celui qui veille en vous dort et se tait suavement, et se repose en son sommeil : celui qui dort sans vous, est semblable à un homme ivre dans le sommeil de la nuit est fortement agité. « Mon âme est triste jusqu'à la mort (Matth. XXVI. 38). L'âme triste est celle qui attend les angoisses de la mort. Qui sait s'il ira à la gauche oit à la droite? Qui connaît ce qu'il aura à répondre aux accusations qui seront portées contre lui, lorsque le juge parlera comme une personne qui enfante ? Aussi que l'âme triste devienne semblable au pélican de la solitude qui fuit la ville et les conversations sanglantes des méchants, et pâlit dans la retraite; ou que, comparable au hibou, elle cherche dans les murailles de l'Écriture sa nourriture toute la nuit, et qu'elle s'envole à côté du passereau qui veille sur le toit, et chante à la venue du voleur.
5. Ou bien ne voyez-vous pas Judas : il ne dort pas, lui? Comme l'avarice a les yeux éveillés, comme elle parcourt la terre? Sa main ne s'arrête pas, son pied ne se lasse point et elle entasse des trésors de colère pour le jour du courroux du Seigneur. Et cependant Simon dort, Jacques et Jean dorment aussi. Pourquoi ? parce qu'ils ne font pas attention à ce qui va bientôt arriver. La grandeur du danger écarte le sommeil. Pierre dormit-il dans le parvis? Dormirent-ils les disciples qui s'enfuirent après avoir abandonné leur maître ? Le jeune homme dormit-il, lorsqu'on le saisit et qu'il s'échappa nu, laissant son manteau entre les mains de ceux qui le tenaient? Et cependant, il faisait froid car Pierre se chauffait. La grandeur du péril fait oublier le sommeil, le froid et la faim. Éveillez-vous enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui vous excite. Pensez au tourment que vous subirez à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle vous attend, chaque jour, vous vous approchez d'elle, et vous n'y faites pas attention. Voyez comment la mort vous crucifie. Le corps se raidit, les jambes s'étendent, les mains et les bras fléchissent, la poitrine est haletante, la tête tombe languissamment, les lèvres se souillent d'écume, les yeux se couvrent de brouillards et le visage de sueur, il se contracte horriblement et devient pâle comme une urne . Voilà la croix qui vous attend; je ne sais si la mort est plus douce dans un lit mou ou sur une croix cruelle. La différence, c'est que la croix abrège la douleur. Ce que nous voyons, ce que nous sentons est peu de chose en comparaison de ce que l'âme éprouve au dedans. Le sentiment abandonne vite le corps, l'âme emporte vite sa mort avec elle.
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CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.
6. Quand les animaux marchaient, à côté d'eux marchaient aussi les roues (Ezech. I, 19). Si notre vie avançait, la roue de la Sainte-Écriture avancerait pareillement avec nous : mais parce que nous trébuchons dans les marais et à travers les rochers, ces roues nous suivent avec peine. On célèbre la passion du Seigneur, et nous nous livrons à la volupté. Jésus nous crie du haut de la croit : « O vous tous qui passez par le chemin, prêtez votre attention, et dites s'il est une douleur comme la mienne (Thren. 1, 12). » Et personne n'écoute, personne ne le console, personne ne répond. « J'ai soif, dit-il. De quoi avez-vous soif, Seigneur? La soif vous fait donc plus souffrir que la croix? vous ne dites rien de la croix, et vous vous plaignez de la soif? « J'ai soif (Joan. XIX, 28). » De quoi avez-vous soif? De votre foi, de votre salut, et de votre joie; l'état de vos âmes m'occupe davantage que celui de mon corps. « O vous tous qui passez par le chemin, examinez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur? » Contemplez ma douleur, afin d'y voir votre propre douleur. Ce que je souffre est l'image de ce que vous souffrez. Ce que vous apercevez en mon corps, voyez si vous ne le portez ras en votre coeur. Vous passez de vous à moi, revenez de moi en vous, et voyez si en vous il ne s'y trouve pas une douleur semblable à la mienne . « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous (Luc. XXIII, 28). » Cette douleur de votre âme, à côté de laquelle vous passez sans la remarquer, mérite plus vos larmes que la mienne. Car c'est à cause le vos crimes que j'ai été frappé. Voilà, ô bon Jésus, ce que voua nous criez du haut de votre croix, sinon par vos paroles, du moins par les circonstances. Que vous répondrai-je, que dirai-je, ou que vous rendrai-je? Vous avez donc fait de votre corps le miroir de mon âme. J'ignorerais les hontes, les terreurs et les attaques incessantes de Satan, si je ne voyais l'art de votre médecine guérir des maux semblables et peser dans une balance, d'un côté votre souffrance, de l'autre mon iniquité. Vous avez livré votre corps à ceux qui le frappaient, est tendu vos joues à ceux qui les déchiraient, vous n'avez pas détourné votre visage des crachats qui y tombaient, afin que les soufflets que vous avez reçus écartent ceux que j'ai à recevoir, que ses coups soient reçus par les vôtres et que les opprobres qui vous ont assailli éloignent de moi l'opprobre qui ne cessera jamais. Voilà les bandelettes très-pures de votre chair dont vous vous êtes servi pour bander mes blessures, ô miséricordieux Samaritain, avant de me placer sur votre monture et de me conduire dans l'hôtellerie : parce que vous avez porté vous-même nos langueurs et souffert nos douleurs, nous guérissant par vos fatigues.
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CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.
7. Dans la maison du prince des prêtres, Jésus est souffleté après qu'on lui a voilé la face, parce que le chrétien est souffleté dans la maison de sa conscience quand l'esprit est frappé d'aveuglement. Ce que Jésus souffre publiquement, je le souffre en secret; les traitements qu'il reçoit au dehors des ministres de Caïphe, je les reçois au dedans des serviteurs de Satan : les pécheurs, en effet, on frappé sur mon dos, ils m'ont voilé la face, ils ont attaché mon visage à la terre, ils ont fait une enclume de mon dos et y ont frappé à coups redoublés. Mais je suis encore retenu dans la maison où la jeune fille meurt et est ressuscitée. Car c'est là aussi où Pierre nia. « O homme, je ne suis pas un disciple. « Je regarde l'homme, je ne regarde pas Dieu; je crains l'homme, je ne crains pas le Seigneur, dont je nie la vérité. Est-ce qu'en prononçant ces paroles, saint Pierre ne vous semble pas avoir la face voilée ? Aussi il fut souffleté une troisième fois, parce qu'il nia une troisième fois. Et saint Paul pria àtrois reprises le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan qui le souffletait. Ces deux apôtres furent donc trois fois souffletés, trois fois ils firent naufrage, l'un intérieurement, l'autre extérieurement. Satan eût voulu, s'il en avait eu licence, cribler saint Pierre, comme le froment, jusqu'à ce qu'il eût détaché de lui toute moëlle de foi. Mais, s'écrie le Seigneur, « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Luc. XXII, 32). » Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait? Assurément: mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très-bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous; bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! «Et sortit» Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit. Quand il alla dehors, d'où sortait-il? De la maison du Christ, de la maison des fidèles ; mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église , et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent en affirmant; mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu. L'amertume des pleurs fut le voile qui empêcha les yeux de voir. Jésus-Christ est donc souffleté dans la maison de Caïphe, parce que Pierre est souffleté; et les coups que Pierre reçut au dedans de lui de la part de Satan, le Christ les reçut au dehors de la part des ministres de Satan. Remarquez donc et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur. Examinez qui souffrit le plus d'opprobres : Le Christ dans son corps ou Pierre dans sa conscience? Mais allons chez Pilate.
CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.
8. Le matin venu, Jésus est conduit chargé de chaînes chez Pilate. Tant que le péché est caché, c'est la nuit; dès qu'il commence à se manifester, c'est le matin. Il est alors lié par les princes des prêtres et livré à Pilate, c'est-à-dire aux princes des ténèbres, personnages que l'Apôtre ordonne de livrer à Satan, pour la mort de la chair (I Cor. V, 5).
Le jeune homme est porté de sa maison à la porte de la cité, à Pilate, assis sur son tribunal. C'était aux portes des villes que se faisaient les jugements. Pilate, après l'avoir arrêté, le flagella. Souvent quand la faute est découverte, elle perd toute retenue par l'impudence des pécheurs. Les hontes s'augmentent, les châtiments se multiplient. Car « les punitions des pécheurs sont nombreuses (Psal. XXXI, 10). » Ce sont des coups de ce genre que Pharaon faisait tomber sur les enfants d'Israël.
9. Ensuite, il est livré aux soldats, pour leur servir de jouet. Voilà la méchanceté des puissances célestes. Voyez l'enchaînement de ces circonstances malheureuses. Les princes des prêtres le livrent au prince des ténèbres qui, après l'avoir fait passer sous les fouets, le livra à ses soldats pour être insulté davantage et pour être crucifié en dernier lieu.
Après la croix, il n'y a plus de supplice, parce que le péché finit à la mort. Mais aux approches de la fin, le pécheur est plus fatigué des illusions du Démon. Le dépouillant, en effet, de tout l'éclat du nom chrétien qui l'entoure comme un habit, on lui donne, comme pour vêtement royal, une chlamyde de pourpre, c'est-à-dire une étoffe mêlée de sang, parce qu'à cause des souffrances sanglantes de sa vie, plusieurs l'entourent et l’honorent.
Aussi, tressant une couronne d'épines, on la place sur sa tête, comme sur ce qui a été volé aux pauvres, on y met les richesses qui piquent comme des épines, et on élève son chef au-dessus du royaume de l’orgueil. L'argent réclame pour lui ces paroles que profère d'ordinaire la Sagesse : « Par moi les rois règnent, et les législateurs rendent de sages décrets (Prov. VIII, 15). » Où est l'argent, là est le roi, là est la loi, là la foule des clients. On place aussi un roseau dans sa main. La puissance et l'empire des impies est, en effet, un roseau agité par le vent ; le règne du Christ est au contraire une verge de fer.
C'est à juste titre que le roseau est placé dans la main droite, parce que leur main droite est une droite d'iniquité. Ce qui suit est plus clair que le jour; en fléchissant le genou, les personnages de cette trempe insultent plutôt qu'ils ne rendent hommage. « Salut, roi des Juifs (Matth. XXVII, 29. » Et crachant sur lui leurs insultes par ces éloges dérisoires « le pécheur, en effet, est loué dans les désirs de son âme (Psal. X, 3), et l'impie est béni » ils prirent un roseau et ils se mirent à lui frapper la tête. De tels chefs donnent à leurs soldats le pouvoir de nuire et de dévorer les pauvres, ce qui retombe entièrement sur celui dont ils protègent l'autorité.
C'est là la troisième mort. lorsque l'homme corrompu est assis dans la chaire de pestilence. Avant d'éprouver en dernier lieu le supplice de la croix, l'âme malheureuse subit ces morts, et, ce qui est plus triste, elle se réjouit de ces opprobres, comme s'ils étaient de grands honneurs ; et chaque jour, elle est conduite à la croix, montant elle-même l'instrument de son supplice.
10. Mais que veut dire ce détail, qu'après toutes ces insultes le Sauveur est dépouillé de ce manteau et recouvert de ses propres vêtements? Si ce n'est que souvent le superbe Adam, allant par les souffrances de la chair, jusques aux portes de la mort, déposant son orgueil, revient à la considération de sa pourriture, et y trouve, grâce à la miséricorde divine, des fruits de pénitence, ou bien il est brisé par l'effet d'un redoutable jugement, d'une double contrition.
Ainsi, Hérode brillant de l'éclat de ses habits royaux, acclamé par tout le peuple avec plus d'enthousiasme qu'il en fallait, fut bientôt frappé par l'ange; dépouillé de son manteau, il reprit ses habits ordinaires. et mourut rongé de vers. Fut-il justement joué ?
« Salut roi des Juifs.» Pourquoi la terre et la cendre s'enorgueillissent elles ? Pourquoi tirer vanité d'un habit qui brille ? « Sous vous, s'étendra la teigne, et les vers seront votre habit (Isa. XIV, 11). » Voilà votre vêtement. Ceux qui vous ont mis sur les épaules une chlamyde de pourpre se sont moqués de vous. C'est ainsi qu'Antiochus et Hérode, l'ennemi de l'enfant Dieu nouvellement né, ayant déposé les habits étrangers, périrent recouverts des leurs, je veux dire des vers.
7. Dans la maison du prince des prêtres, Jésus est souffleté après qu'on lui a voilé la face, parce que le chrétien est souffleté dans la maison de sa conscience quand l'esprit est frappé d'aveuglement.
Ce que Jésus souffre publiquement, je le souffre en secret; les traitements qu'il reçoit au dehors des ministres de Caïphe, je les reçois au dedans des serviteurs de Satan : les pécheurs, en effet, on frappé sur mon dos, ils m'ont voilé la face, ils ont attaché mon visage à la terre, ils ont fait une enclume de mon dos et y ont frappé à coups redoublés.
Mais je suis encore retenu dans la maison où la jeune fille meurt et est ressuscitée. Car c'est là aussi où Pierre nia. « O homme, je ne suis pas un disciple. « Je regarde l'homme, je ne regarde pas Dieu; je crains l'homme, je ne crains pas le Seigneur, dont je nie la vérité. Est-ce qu'en prononçant ces paroles, saint Pierre ne vous semble pas avoir la face voilée ? Aussi il fut souffleté une troisième fois, parce qu'il nia une troisième fois. Et saint Paul pria à trois reprises le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan qui le souffletait.
Ces deux apôtres furent donc trois fois souffletés, trois fois ils firent naufrage, l'un intérieurement, l'autre extérieurement. Satan eût voulu, s'il en avait eu licence, cribler saint Pierre, comme le froment, jusqu'à ce qu'il eût détaché de lui toute moelle de foi. Mais, s'écrie le Seigneur, « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Luc. XXII, 32). »
Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait? Assurément: mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très-bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous; bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! «Et sortit» Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit.
Quand il alla dehors, d'où sortait-il? De la maison du Christ, de la maison des fidèles ; mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église, et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent en affirmant; mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu.
L'amertume des pleurs fut le voile qui empêcha les yeux de voir. Jésus-Christ est donc souffleté dans la maison de Caïphe, parce que Pierre est souffleté; et les coups que Pierre reçut au dedans de lui de la part de Satan, le Christ les reçut au dehors de la part des ministres de Satan. Remarquez donc et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur. Examinez qui souffrit le plus d'opprobres : Le Christ dans son corps ou Pierre dans sa conscience? Mais allons chez Pilate.
MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.
CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.
CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.
CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.
CHAPITRE VI. De la confession du larron et éloges de la sainte croix.
CHAPITRE VII. Du péché de Judas et de son désespoir.
CHAPITRE VIII. De l'ouverture du côté de Jésus.
CHAPITRE IX. De la sépulture du Seigneur.
CHAPITRE X. De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ.
CHAPITRE XI. De l'enlèvement de la pierre, de l'apparition des anges et de la résurrection de Jésus-Christ.
CHAPITRE XII. De l'apparition de Jésus-Christ aux disciples qui allaient à Emmaüs.
CHAPITRE XIII. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir l'intelligence de la Sainte Ecriture.
CHAPITRE XIV. Les trois chefs de cinquante hommes envoyés à Élie, allégoriquement comparés à la capture des cent-cinquante poissons.
CHAPITRE XV. De la dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et de la vision qu'elle eut.
CHAPITRE XVI. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir les vertus.
MÉDITATION SUR LA PASSION ET LA RÉSURRECTION DU SEIGNEUR.
Cet opuscule parut d'abord, d'après une copie de Léonor Foy, homme savant, chanoine de l'insigne Église de Beauvais. Comme celui de Saint-Victor de Paris, il marque pour auteur saint Bernard. Charles Sacci, docteur de Paris, au XVe siècle, attribue à saint Bernard un livre sur la passion et la résurrection du Seigneur, qui parait être celui-ci. Entre autres raisons, la différence de style montre assez qu'il ne vient pas du saint Docteur.
CHAPITRE I. De l'entrée triomphante de Jésus-Christ à Jérusalem.
1. « Ne craignez pas, fille de Sion, voici votre roi qui vient vers vous plein de douceur et assis sur le fils d'une ânesse (Juan. XII, 10).» Venez, Seigneur Jésus, venez, le chéri de toutes les nations, parce que mon âme a dormi à cause du chagrin que lui a causé votre mort et lorsque mes yeux ont langui dans l'absence de votre lumière; levez-vous, aimable soleil, afin que l'homme aille à son travail et vaque à ses occupations jusqu'au soir, et gagne non la nourriture qui périt, mais bien celle qui demeure pour la vie éternelle. « Ne craignez pas, fille de Sion.» Ce sont les faibles qui craignent. Vous êtes encore une fille, parce que vous avez peur; vous n'êtes pas encore enfant. de Jérusalem, mais de Sion, c'est-à-dire, de celle qui regarde. Apprenez donc à contempler. « Ne craignez point » parce que la crainte trouble l'œil. Une paupière joyeuse regarde et perçoit nettement. La foi est la pupille de votre oeil. De même que la pupille est la partie la plus délicate de l'œil, au point que si les paupières ne la protègent sans relâche et avec soin, elle est blessée par le moindre brin de poussière; de même rien n'est plus vite troublé que la foi, si elle n'est entourée d'une garde vigilante. « Mais ne craignez point, fille de Sion, voici que votre roi vous arrive. » Le soleil s'élève sur vous, il vous protégera, il vous éclairera et vous conduira au séjour où il ne se trouve aucune poussière. « Il vous arrive plein de mansuétude. Il veut que vous soyez comme lui; adoucissez-vous afin de porter son joug, afin qu'il s'asseoie sur vous comme sur une monture ou sur l’animal fils de la bête de somme. Et quelle est cette monture? Cette créature qui est appelée et femme et vierge, parce qu'elle est tirée de l'homme. Et quel est cet animal ? L'homme. Et comment est-il son fils ? Parce qu'en premier lieu ne se place point ce qui est spirituel, mais ce qui est animal, ensuite vient ce qui est spirituel. (I Cor. XV, 46). Le roi pacifique est assis d'abord sur l'ânesse et ensuite sur l'animal issu d'elle. La chair est d'abord domptée, afin d'être apte à se plier au joug. Le poulain naît ensuite, il est nourri, il se fortifie, afin de pouvoir porter son cavalier. Et pourquoi le fils d'une bête de somme? Parce que la femme est soumise au mari, et que l'homme est le chef de la femme. Et néanmoins, il est fils d'une bête de somme, parce que l'homme existe par la femme qui l'enfantera dans la douleur. Que le roi de mansuétude soit porté sur l'un et sur l'autre, lui qui produit la paix, afin qu'ils ne luttent pas entr'eux.
2. Il vient vers vous, et vous n'allez pas à lui. Sortez de la terre de votre chair, de la parenté de votre esprit et de la maison, c'est-à-dire du souvenir de votre père. Votre père est un Amorrhéen et votre mère, une Céthéenne. Oubliez ce père, et alors le roi désirera votre beauté. L'éclat de votre beauté est vif, si vous entendez, si vous regardez, si vous prêtez l'oreille. Vous entendez par l'obéissance, vous voyez par l'intelligence, vous inclinez l'oreille par l'humilité. Cette beauté, toute cette gloire est au dedans, sous les franges d'or ; c'est cette grâce que le roi, plein de mansuétude, désire en vous. Sortez donc de la cité, car j'ai vu, dit le Psalmiste « l'iniquité et la contradiction dans la cité (Psal. LIV. 10). » Sortez avec les enfants des Hébreux, qui s'avancent simplement à la rencontre du Seigneur. Etendez sur le chemin des rameaux d'olivier, afin d'entourer ses pieds des oeuvres de miséricorde. Prenez les feuilles de palmier, afin de triompher des princes des ténèbres. Qu'il n'y ait rien en vous qui n'aille vers lui: il ne faut laisser pas même un ongle dans la maison de Pharaon. Que votre main, que votre coeur et votre langue chantent : « Hosanna dans les hauteurs ! »
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CHAPITRE II. De la prière et de la sueur au jardin, et du sommeil des disciples.
3. Vous avez vu, Seigneur, l'affliction de votre peuple dans l'Égypte; vous avez abaissé vos cieux, et vous êtes descendu pour nous délivrer. J'ai goûté un léger repos, qui m'a débarrassé un moment des oeuvres pénibles des ténèbres, sous le poids desquelles le cruel exacteur de Pharaon écrasait mon âme, et déjà la préparation de votre sabbat a réjoui mon âme. Cependant, je ne suis point parvenu jusqu'au sommet, point élevé où je verrai plus parfaitement les pustules et les taches qui défigurent mon visage , et offensent grandement vos yeux quand même je me laverais de nitre et me couvrirai de l'herbe de borith, je suis souillé de mes iniquités. Et maintenant, Seigneur, les jours de votre passion devraient nous presser davantage que les officiers de Pharaon, parce que dans les oeuvres que vous opérez, se trouvent la justice, la paix et la joie dans le Saint-Esprit; et nous dormons tandis que vous priez pour nous, parce que nos yeux sont appesantis par le sommeil. Secouez-nous pour nous réveiller et pour nous faire prier, afin de ne pas entrer en tentation, parce que la tribulation est fort près de nous. Que notre oeil est prompt à se fermer pour ne pas vous voir, que notre pied glisse vite en cette mer immense, aux bras étendus, où se trouvent des reptiles sans nombre! Par les fantômes qu'ils font paraître dans le sommeil, ils se jouent de l'âme qui y prête son attention, et l'attirent dans le sein de la mer, d'où elle ne peut pas facilement regagner les régions supérieures, si vous ne tendez la main du haut du ciel, pour nous tirer de ces vagues profondes. Excitez-nous, Seigneur, afin que nous nous réveillons et prions au moins une heure avec vous. Qui est-ce qui veille une heure avec vous? Vous vous êtes éloigné de nous de la distance mesurée par un jet de pierre, et vous êtes plongé dans une agonie cruelle, de sorte que votre sang découle jusqu'à terre. Vous vous êtes bien éloigné de nous, parce que la pierre s'est détachée de la montagne sans la main de l'homme; la pierre a été lancée, et a frappé Goliath à la tête, et la statue à la base.
4. Ce jet vous a écarté de nous : parce que vous êtes entré comme notre précurseur, jusque dans l'intérieur du voile, où vous intercédez sans relâche auprès de votre Père en notre faveur. Plaise au ciel qu'une goûte du sang qui coule dans votre agonie arrive jusqu'à notre terre, que notre coeur s'ouvre pour la boire, et qu'elle crie vers vous et avec vous vers votre Père, plus éloquemment que le sang d'Abel. Qui est, Seigneur, qui veille une heure avec vous ? Môme dans le ciel, il ne se fit qu'un silence de demi-heure : combien moins sur la terre veillerons-nous avec vous une heure? Que de fois revenez-vous vers nous et nous trouvez-vous en4prmis? Et cependant, dans votre bonté, vous nous éveillez, et vous retirez une seconde et troisième fois, redisant les mêmes paroles. A peine êtes-vous parti, que le sommeil nous gagne de nouveau; nous ne pouvons veiller que tant que vous êtes avec nous et nous réveillez. Vous venez à la seconde et troisième veille : bienheureux le serviteur que vous trouvez alors éveillé. Il n'est point fait mention de la première, ni de la quatrième, parce que le premier âge n'a pas la force de veiller, et le dernier n'a pas l’espoir de prolonger son sommeil. Et que signifie cette circonstance, Seigneur, que, revenant pour la troisième fois, vous accordez la permission de dormir? « Dormez à présent, dites-vous, et reposez-vous (Marc. XIV. 41). » Est-ce que vous permettez un sommeil où l'on se repose et que vous défendez celui qui appesantit les peux ? Il en est ainsi. Celui qui veille en vous dort et se tait suavement, et se repose en son sommeil : celui qui dort sans vous, est semblable à un homme ivre dans le sommeil de la nuit est fortement agité. « Mon âme est triste jusqu'à la mort (Matth. XXVI. 38). L'âme triste est celle qui attend les angoisses de la mort. Qui sait s'il ira à la gauche oit à la droite? Qui connaît ce qu'il aura à répondre aux accusations qui seront portées contre lui, lorsque le juge parlera comme une personne qui enfante ? Aussi que l'âme triste devienne semblable au pélican de la solitude qui fuit la ville et les conversations sanglantes des méchants, et pâlit dans la retraite; ou que, comparable au hibou, elle cherche dans les murailles de l'Écriture sa nourriture toute la nuit, et qu'elle s'envole à côté du passereau qui veille sur le toit, et chante à la venue du voleur.
5. Ou bien ne voyez-vous pas Judas : il ne dort pas, lui? Comme l'avarice a les yeux éveillés, comme elle parcourt la terre? Sa main ne s'arrête pas, son pied ne se lasse point et elle entasse des trésors de colère pour le jour du courroux du Seigneur. Et cependant Simon dort, Jacques et Jean dorment aussi. Pourquoi ? parce qu'ils ne font pas attention à ce qui va bientôt arriver. La grandeur du danger écarte le sommeil. Pierre dormit-il dans le parvis? Dormirent-ils les disciples qui s'enfuirent après avoir abandonné leur maître ? Le jeune homme dormit-il, lorsqu'on le saisit et qu'il s'échappa nu, laissant son manteau entre les mains de ceux qui le tenaient? Et cependant, il faisait froid car Pierre se chauffait. La grandeur du péril fait oublier le sommeil, le froid et la faim. Éveillez-vous enfin, âme malheureuse, si ce n'est pas l'amour, que ce soit au moins la crainte qui vous excite. Pensez au tourment que vous subirez à la mort. Nulle croix n'est plus cruelle que la mort. La mort, dis-je, est la plus dure des croix, elle vous attend, chaque jour, vous vous approchez d'elle, et vous n'y faites pas attention. Voyez comment la mort vous crucifie. Le corps se raidit, les jambes s'étendent, les mains et les bras fléchissent, la poitrine est haletante, la tête tombe languissamment, les lèvres se souillent d'écume, les yeux se couvrent de brouillards et le visage de sueur, il se contracte horriblement et devient pâle comme une urne . Voilà la croix qui vous attend; je ne sais si la mort est plus douce dans un lit mou ou sur une croix cruelle. La différence, c'est que la croix abrège la douleur. Ce que nous voyons, ce que nous sentons est peu de chose en comparaison de ce que l'âme éprouve au dedans. Le sentiment abandonne vite le corps, l'âme emporte vite sa mort avec elle.
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CHAPITRE III. De l'insensibilité des hommes à l'égard de la passion de Jésus-Christ.
6. Quand les animaux marchaient, à côté d'eux marchaient aussi les roues (Ezech. I, 19). Si notre vie avançait, la roue de la Sainte-Écriture avancerait pareillement avec nous : mais parce que nous trébuchons dans les marais et à travers les rochers, ces roues nous suivent avec peine. On célèbre la passion du Seigneur, et nous nous livrons à la volupté. Jésus nous crie du haut de la croit : « O vous tous qui passez par le chemin, prêtez votre attention, et dites s'il est une douleur comme la mienne (Thren. 1, 12). » Et personne n'écoute, personne ne le console, personne ne répond. « J'ai soif, dit-il. De quoi avez-vous soif, Seigneur? La soif vous fait donc plus souffrir que la croix? vous ne dites rien de la croix, et vous vous plaignez de la soif? « J'ai soif (Joan. XIX, 28). » De quoi avez-vous soif? De votre foi, de votre salut, et de votre joie; l'état de vos âmes m'occupe davantage que celui de mon corps. « O vous tous qui passez par le chemin, examinez et voyez s'il est une douleur comparable à ma douleur? » Contemplez ma douleur, afin d'y voir votre propre douleur. Ce que je souffre est l'image de ce que vous souffrez. Ce que vous apercevez en mon corps, voyez si vous ne le portez ras en votre coeur. Vous passez de vous à moi, revenez de moi en vous, et voyez si en vous il ne s'y trouve pas une douleur semblable à la mienne . « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem, mais pleurez sur vous (Luc. XXIII, 28). » Cette douleur de votre âme, à côté de laquelle vous passez sans la remarquer, mérite plus vos larmes que la mienne. Car c'est à cause le vos crimes que j'ai été frappé. Voilà, ô bon Jésus, ce que voua nous criez du haut de votre croix, sinon par vos paroles, du moins par les circonstances. Que vous répondrai-je, que dirai-je, ou que vous rendrai-je? Vous avez donc fait de votre corps le miroir de mon âme. J'ignorerais les hontes, les terreurs et les attaques incessantes de Satan, si je ne voyais l'art de votre médecine guérir des maux semblables et peser dans une balance, d'un côté votre souffrance, de l'autre mon iniquité. Vous avez livré votre corps à ceux qui le frappaient, est tendu vos joues à ceux qui les déchiraient, vous n'avez pas détourné votre visage des crachats qui y tombaient, afin que les soufflets que vous avez reçus écartent ceux que j'ai à recevoir, que ses coups soient reçus par les vôtres et que les opprobres qui vous ont assailli éloignent de moi l'opprobre qui ne cessera jamais. Voilà les bandelettes très-pures de votre chair dont vous vous êtes servi pour bander mes blessures, ô miséricordieux Samaritain, avant de me placer sur votre monture et de me conduire dans l'hôtellerie : parce que vous avez porté vous-même nos langueurs et souffert nos douleurs, nous guérissant par vos fatigues.
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CHAPITRE IV. Des soufflets donnés à Jésus-Christ et du reniement de saint Pierre.
7. Dans la maison du prince des prêtres, Jésus est souffleté après qu'on lui a voilé la face, parce que le chrétien est souffleté dans la maison de sa conscience quand l'esprit est frappé d'aveuglement. Ce que Jésus souffre publiquement, je le souffre en secret; les traitements qu'il reçoit au dehors des ministres de Caïphe, je les reçois au dedans des serviteurs de Satan : les pécheurs, en effet, on frappé sur mon dos, ils m'ont voilé la face, ils ont attaché mon visage à la terre, ils ont fait une enclume de mon dos et y ont frappé à coups redoublés. Mais je suis encore retenu dans la maison où la jeune fille meurt et est ressuscitée. Car c'est là aussi où Pierre nia. « O homme, je ne suis pas un disciple. « Je regarde l'homme, je ne regarde pas Dieu; je crains l'homme, je ne crains pas le Seigneur, dont je nie la vérité. Est-ce qu'en prononçant ces paroles, saint Pierre ne vous semble pas avoir la face voilée ? Aussi il fut souffleté une troisième fois, parce qu'il nia une troisième fois. Et saint Paul pria àtrois reprises le Seigneur d'éloigner de lui l'ange de Satan qui le souffletait. Ces deux apôtres furent donc trois fois souffletés, trois fois ils firent naufrage, l'un intérieurement, l'autre extérieurement. Satan eût voulu, s'il en avait eu licence, cribler saint Pierre, comme le froment, jusqu'à ce qu'il eût détaché de lui toute moëlle de foi. Mais, s'écrie le Seigneur, « Pierre, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (Luc. XXII, 32). » Aussi Jésus-Christ le regarda, « et étant sorti, il pleura amèrement. » Le visage de Pierre fut couvert d'un voile jusqu'à ce que Jésus-Christ le regardât. Ne le regardait-il pas auparavant lorsqu'il le reniait? Assurément: mais Pierre ne regardait pas Jésus-Christ qui avait les yeux sur lui, parce que sa face était voilée. Aussi, comme le dit très-bien un autre Évangéliste : « Pierre se ressouvint. » Le souvenir de Pierre fut le regard du Christ. Quand vous vous rappelez votre péché, le Christ jette les yeux sur vous; bien plus, le voile étant enlevé, vous voyez Jésus-Christ ! «Et sortit» Il niait par la raison qu'il voulait être dedans. Et cependant, quand il eut nié, il sortit. Quand il alla dehors, d'où sortait-il? De la maison du Christ, de la maison des fidèles ; mais dès qu'il sortit de la maison de Caïphe, il fut introduit dans la maison du Christ. Combien en est-il aujourd'hui qui disent : nous sommes de la maison de Jésus-Christ, nous sommes de la maison de l'Église , et en réalité, ils sont de la maison de Caïphe, c'est-à-dire de l'hypocrisie. Le péché que Pierre commit en niant, ils le commettent en affirmant; mais si par la confession ils ne sortent au dehors et ne pleurent amèrement, ils n'entrent pas dans l'Église de Dieu. L'amertume des pleurs fut le voile qui empêcha les yeux de voir. Jésus-Christ est donc souffleté dans la maison de Caïphe, parce que Pierre est souffleté; et les coups que Pierre reçut au dedans de lui de la part de Satan, le Christ les reçut au dehors de la part des ministres de Satan. Remarquez donc et voyez s'il est une douleur pareille à ma douleur. Examinez qui souffrit le plus d'opprobres : Le Christ dans son corps ou Pierre dans sa conscience? Mais allons chez Pilate.
CHAPITRE V. Des questions de Pilate, de la flagellation de Jésus- Christ, et des insultes de la part des soldats.
8. Le matin venu, Jésus est conduit chargé de chaînes chez Pilate. Tant que le péché est caché, c'est la nuit; dès qu'il commence à se manifester, c'est le matin. Il est alors lié par les princes des prêtres et livré à Pilate, c'est-à-dire aux princes des ténèbres, personnages que l'Apôtre ordonne de livrer à Satan, pour la mort de la chair (I Cor. V, 5).
Le jeune homme est porté de sa maison à la porte de la cité, à Pilate, assis sur son tribunal. C'était aux portes des villes que se faisaient les jugements. Pilate, après l'avoir arrêté, le flagella. Souvent quand la faute est découverte, elle perd toute retenue par l'impudence des pécheurs. Les hontes s'augmentent, les châtiments se multiplient. Car « les punitions des pécheurs sont nombreuses (Psal. XXXI, 10). » Ce sont des coups de ce genre que Pharaon faisait tomber sur les enfants d'Israël.
9. Ensuite, il est livré aux soldats, pour leur servir de jouet. Voilà la méchanceté des puissances célestes. Voyez l'enchaînement de ces circonstances malheureuses. Les princes des prêtres le livrent au prince des ténèbres qui, après l'avoir fait passer sous les fouets, le livra à ses soldats pour être insulté davantage et pour être crucifié en dernier lieu.
Après la croix, il n'y a plus de supplice, parce que le péché finit à la mort. Mais aux approches de la fin, le pécheur est plus fatigué des illusions du Démon. Le dépouillant, en effet, de tout l'éclat du nom chrétien qui l'entoure comme un habit, on lui donne, comme pour vêtement royal, une chlamyde de pourpre, c'est-à-dire une étoffe mêlée de sang, parce qu'à cause des souffrances sanglantes de sa vie, plusieurs l'entourent et l’honorent.
Aussi, tressant une couronne d'épines, on la place sur sa tête, comme sur ce qui a été volé aux pauvres, on y met les richesses qui piquent comme des épines, et on élève son chef au-dessus du royaume de l’orgueil. L'argent réclame pour lui ces paroles que profère d'ordinaire la Sagesse : « Par moi les rois règnent, et les législateurs rendent de sages décrets (Prov. VIII, 15). » Où est l'argent, là est le roi, là est la loi, là la foule des clients. On place aussi un roseau dans sa main. La puissance et l'empire des impies est, en effet, un roseau agité par le vent ; le règne du Christ est au contraire une verge de fer.
C'est à juste titre que le roseau est placé dans la main droite, parce que leur main droite est une droite d'iniquité. Ce qui suit est plus clair que le jour; en fléchissant le genou, les personnages de cette trempe insultent plutôt qu'ils ne rendent hommage. « Salut, roi des Juifs (Matth. XXVII, 29. » Et crachant sur lui leurs insultes par ces éloges dérisoires « le pécheur, en effet, est loué dans les désirs de son âme (Psal. X, 3), et l'impie est béni » ils prirent un roseau et ils se mirent à lui frapper la tête. De tels chefs donnent à leurs soldats le pouvoir de nuire et de dévorer les pauvres, ce qui retombe entièrement sur celui dont ils protègent l'autorité.
C'est là la troisième mort. lorsque l'homme corrompu est assis dans la chaire de pestilence. Avant d'éprouver en dernier lieu le supplice de la croix, l'âme malheureuse subit ces morts, et, ce qui est plus triste, elle se réjouit de ces opprobres, comme s'ils étaient de grands honneurs ; et chaque jour, elle est conduite à la croix, montant elle-même l'instrument de son supplice.
10. Mais que veut dire ce détail, qu'après toutes ces insultes le Sauveur est dépouillé de ce manteau et recouvert de ses propres vêtements? Si ce n'est que souvent le superbe Adam, allant par les souffrances de la chair, jusques aux portes de la mort, déposant son orgueil, revient à la considération de sa pourriture, et y trouve, grâce à la miséricorde divine, des fruits de pénitence, ou bien il est brisé par l'effet d'un redoutable jugement, d'une double contrition.
Ainsi, Hérode brillant de l'éclat de ses habits royaux, acclamé par tout le peuple avec plus d'enthousiasme qu'il en fallait, fut bientôt frappé par l'ange; dépouillé de son manteau, il reprit ses habits ordinaires. et mourut rongé de vers. Fut-il justement joué ?
« Salut roi des Juifs.» Pourquoi la terre et la cendre s'enorgueillissent elles ? Pourquoi tirer vanité d'un habit qui brille ? « Sous vous, s'étendra la teigne, et les vers seront votre habit (Isa. XIV, 11). » Voilà votre vêtement. Ceux qui vous ont mis sur les épaules une chlamyde de pourpre se sont moqués de vous. C'est ainsi qu'Antiochus et Hérode, l'ennemi de l'enfant Dieu nouvellement né, ayant déposé les habits étrangers, périrent recouverts des leurs, je veux dire des vers.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE VI. De la confession du larron et éloges de la sainte croix.
11. Rentre enfin dans ton coeur, ô vieil Adam, vois en quel lieu et comment t'a cherché et trouvé le nouvel Adam. Il t'a montré dans sou corps les ignominies de ton âme. Ce ne fut pas assez pour lui de courir après toi, qui le fuyais, par la voie des soufflets, des fouets, et par de nouvelles moqueries, en criant et gémissant. Arrivé au dernier supplice, il te trouva et te saisit rendant presque l'âme.
Que représente ce larron, sinon Adam? Depuis que, dans le paradis, il commit sur lui-même le premier des homicides, coupable, il fuit les regards du Christ, et se cache, jusqu'à ce que, saisi au moment de la mort de Jésus sur la croix, et arrivé au bout de sa course, il ne put ni échapper ni se cacher davantage. Là, saisi par vous, ô bon Jésus, il avoua sa faute et en accepta volontiers le châtiment. Car vous l'avertissiez de n'avoir pas en horreur la souffrance qu'il vous voyait supporter avec lui. Il fut, dans tout ce monde, lui seul qui s'attachât à vous, et aussi il fut le seul de tout ce monde qui entrât avec vous dans le Paradis, où il fut établi non plus gardien de cet heureux séjour, mais concitoyen et habitant de la maison de Dieu, de telle sorte, qu'il n'en peut plus tomber. O bienheureux larron, ou plutôt, non plus larron, mais martyr et confesseur ! Il rendit volontaire ce qui était nécessaire, il changea la peine en gloire, et la croix en triomphe. Et vous, ô très heureux confesseur et martyr, dans la stérilité qui frappait tout le monde, le Christ recueillit les restes de la foi.
Les disciples fuyaient, Pierre reniait, et vous étiez heureux d'être le compagnon du Seigneur en sa passion. Sur la croix vous fûtes Pierre, et dans la maison de Caïphe, Pierre devient larron. Car Pierre fut larron tout le temps qu'il nia au dehors le Christ caché au dedans ; aussi vous avez précédé Pierre dans le paradis, parce que, sur la croix, votre chef et votre conducteur vous embrassa dans son amour, et au jour même où il entra au ciel, il vous y introduisit avec lui, comme son fidèle et glorieux compagnon.
12. Je suis pauvre et mendiant, Seigneur, et boiteux dès le ventre de ma mère : voici que je suis assis à la porte de votre temple appelée «précieuse, » sans pouvoir, sans vouloir y entrer; mais bien plutôt, dans la privation de mes biens, je mendie au dehors la nourriture de ma chair, les fausses images des hommes marquées sur le bronze, lieu malheureux où je ramasse le talent de l'iniquité, et où je me charge de lourds fardeaux.
Et voici la neuvième heure de la prière. Pierre et Jean, vos apôtres, montent au temple pour y prier : et moi je suis attaché à la terre et à la boue, je goûte la vanité et les choses d'ici bas; et tandis que les autres entrent, je reste dehors, ne cherchant point avec eux ce qui est de votre Père, mais les biens que mes premiers parents, qui me placent tous les jours en ce lieu, ont malheureusement désiré.
Et voici la neuvième heure de la prière. Le jour baisse, la nuit approche : quand je me lèverai, au point du jour, je ne trouverai dans mes mains rien de ce que je mendie. C'est la neuvième heure de la prière. C'est à ce moment que vous avez prié, suspendu sur la croix; vous avez prié en inclinant la tète, criant d'une voix forte, et rendant l'âme. Vous avez prié en courbant la tête en esprit d'humilité, jetant un cri dans votre très-haute et très-vive affection de Père pour nous.
En ce grand cri, Seigneur, vous avez rendu l'âme, et avez emporté avec vous le même sentiment d'affection que vous aviez pour nous: et je crois que vous l'avez encore dans votre coeur, parce que votre charité ne sait pas se refroidir. C'était la neuvième heure de la prière. Et pourquoi la neuvième? « Parce que vers la neuvième heure les ténèbres se firent (Matth. XXVII, 45). » Il fallait chasser l'horreur de l'obscurité qui avait couvert la face de la terre; il fallait repousser la nuit qui avait commencé à se faire depuis l'heure où vous vous mites à vous promener après midi. Dès lors, vous n'avez cessé de crier : « où est Adam (Gen. III, 9)?
Marchant à la poursuite de celui qui fuyait devant vous et se cachait autant qu'il pouvait. Il fut éconduit du paradis de volupté, et il arriva jusqu'au juste châtiment de son péché. Nous avons reçu la peine que nous méritions, mais celui-ci qu'a-t-il fait? » O Adam, que tu as proféré tard cette parole: je viens de vous trouver le premier! « Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi en paradis (Luc. XXIII, 43). » Aussi, c'est la neuvième heure du jour. A la neuvième, il pria, car à la onzième il entra dans le paradis. Voilà pourquoi le boiteux n'entrait pas dans le temple, parce qu'il n'était pas arrivé à la dixième génération. Mais Pierre lui dit: « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (Act. III, 6). » Vous êtes vraiment les montagnes vers lesquelles j'ai levé les yeux, pour implorer le secours. Mon secours vient du Seigneur, parce qu'il a été dit : au nom de Jésus, lève-toi et marche. Dans la parole de Jésus, vous lancez le filet; en la parole de Jésus, vous faites lever les boiteux; en la parole de Jésus, vous rendez solides ses jambes et les bases des plantes de ses pieds.
Quelles sont ces bases? La foi et la crainte. Quelles sont ces plantes? L'espérance et la charité. Aussi, c'est avec raison que Pierre et Jean montaient ensemble : l’un représentait la foi, l'autre la charité. Ils marchaient vers votre temple, Seigneur, pour prier avec vous, afin d'entrer en votre société, dans le paradis de votre sanctuaire, parce qu'à votre mort, a été déchiré le voile qui était sur la face de Moïse. Mais ils ne veulent pas entrer seuls, parce que vous n'êtes pas entré vous-même sans compagnon dans le paradis. Vous amenez le larron, vos disciples amènent le perclus : mais le larron n'est pas déjà dans le paradis, le perclus n'est pas déjà dans le temple. Car comment est-il boiteux celui qui se tient d'aplomb, qui marche, bondit et glorifie le Seigneur? Ou bien encore, comment est-il un larron celui qui est avec Jésus dans le paradis. « Le méchant n'habitera pas à vos côtés (Psal. V, 6). »
Il était larron lorsqu'il était caché avant sa confession, il est devenu juste après sa prière. Quelle prière a-t-il faite? « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous viendrez dans votre royaume. »
13. O grande foi, ô grande espérance, ô grande charité! Il prie pour l'avenir et non pour le présent. Il ne demande pas à être descendu de la croix, il veut être placé dans le royaume du Christ. Qu'est-ce autre chose que de dire, je désire être dissous et aller avec Jésus-Christ. Je ne sais ce que saint Paul a demandé de plus que ce larron. « Souvenez-vous de moi. » O coeur contrit et humilié! que peut-il solliciter de moindre ou de plus humble, si non que le Seigneur daignât se souvenir de lui? «
Souvenez-vous de moi. » De qui? De moi, si indigne, si pécheur. Je connais mon iniquité, et mon péché est contre moi : je suis confus de lever les yeux vers vous. C'est contre vous seul que j'ai péché ; vous seul pouvez m'en délivrer. J'ai fait le mal en votre présence, quand j'ai voulu me dérober à vos regards. Je suis le larron de mon âme : J'ai voulu dérober à la connaissance des autres l'homicide que j'ai commis, mais j'ai accompli le mal sous vos yeux.
Souvenez-vous de moi, ayez pitié de moi. C'est avec raison que j'en suis arrivé à ce degré de misère, moi qui ai abandonné le bonheur que vous me faisiez goûter. J'étais riche, et voici combien je suis devenu pauvre. Je pouvais manger et me délecter 'de tous les fruits des arbres du paradis, et voici que je souffre et que je meurs sur ce bois. «Souvenez-vous de moi. » Je vous avais oublié, mais vous, après vous être irrité, vous vous rappellerez votre miséricorde. Ayez pitié de moi selon toute son étendue. Je vois en vous une miséricorde qui est grande et qui est vôtre, c'est-à-dire qu'elle vous appartient, c'est elle qui vous a fait descendre et prendre une misère semblable à la mienne. Je subis un juste châtiment, mais vous, quel mal avez-vous commis? Je vous vois souffrir une peine comme la mienne, lorsque par la sainteté de votre vie vous êtes si différent de moi : vous n'avez pu me suivra plus loin.
D'où êtes-vous venu? Vous êtes parti du sommet des cieux. Vous êtes sorti, le plus beau des enfants des hommes, du sein d'une vierge, et vous êtes suspendu avec moi sur une croix! Qui vous y a conduit? Votre seule miséricorde : ayez pitié de moi, ô Dieu, selon cette grande miséricorde. Vous êtes Dieu, et non point seulement un homme. Vous êtes Dieu, je suis homme, je suis votre travail que vous avez formé à votre image et à votre ressemblance. O Dieu, prenez pitié de votre image. Mais à quoi connaîtrai-je que vous avez compassion de moi? En ce que j'aperçois en vous mon image, et que vous souffrez les mêmes peines que moi. Que me reste-t-il, sinon d'avoir confiance? qui pourrait jamais désespérer d'une miséricorde si grande?
«Souvenez-vous donc de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume." Vous rentrez dans votre empire, vous avez accompli votre oeuvre, vous êtes descendu pour m'y ramener avec vous. Je désire aller en votre société, et dans cette pensée, je ne crains pas la mort la plus cruelle, je n'en rougis pas. Comment craindrai-je là où je vous vois à mes côtés? Quand bien même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai pas les maux, parce que vous êtes avec moi. Comment rougirais-je d'un opprobre que je vous vois porter, vous qui êtes le Seigneur du ciel? Celui qui rougira de vous ou de vos paroles, vous rougirez de lui, quand vous apparaîtrez en votre majesté, en l'éclat divin de votre Père et en la société des saints anges. « Qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi (Luc. XIV, 27). » Voilà ce que vous avez dit. Qui aura honte de ces paroles, vous aurez honte de lui. En effet, qui rougit de votre croix, rougit de votre gloire.
Pour moi, à Dieu ne plaise que je nie réjouisse en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ, mon Seigneur. La croix est votre gloire, elle est votre empire. Voici que votre puissance est sur votre épaule, vous portez votre croix, vous portez ce qui vous porte. Qui porte votre croix porte votre gloire. Qui porte votre gloire, vous porte vous-même. L'instrument qui vous porte, vous le tenez sur votre épaule, parce que votre puissance est sur votre épaule. Ceux donc qui vous portent sont votre empire, vous régnez en eux, ô le plus grand des rois. Mais comment ou en quel lieu portez-vous cette principauté? Sur votre épaule. Votre épaule est haute, elle est forte, elle atteint jusqu'à la bouche du Père qui vous confesse, au dessus de toute principauté, de tout pouvoir et de toute vertu. C'est là que vous ramenez la centième brebis, c'est là que vous ramenez Joseph.
14. Marche donc en sûreté, Joseph, douce brebis du Seigneur, le Christ te porte sur son épaule; cette épaule est forte, ne crains pas. Elle est haute, ne regarde pas en bas, « nul, mettant la main à la charrue et regardant en arrière, n'est apte au royaume de Dieu (Luc. IX, 62).» Un joug suave est sur les enfants d'Adam, depuis le jour de leur naissance jusqu'à celui où ils rentrent dans le sein de la mère de tous. Tant que je suis fils du vieil Adam, je porte un joug pesant; si j'étais fils du nouvel Adam, je porterais un joug léger. Quel est le pesant fardeau? Un talent de plomb. Et quel est le fardeau léger? La croix de Jésus-Christ. Le premier, ainsi qu'il est écrit, s'enfonce dans les eaux agitées ; celle-ci nage sur les flots; chose merveilleuse. Rien n'est plus effrayant pour les hommes que de porter la croix.
Pourquoi la craignent-ils? Parce qu'ils sont larrons ; s'ils n'étaient pas larrons, ils ne la redouteraient pas. Donc, celui qui craint un larron, comment est-il larron, dites-vous? Écoutez Jésus-Christ : « Pour vous, » s'écrie-t-il, « vous en avez fait une caverne de voleurs (Matt. XXI, 13). Le temple de Dieu est saint, c'est vous qui êtes ce temple (I Cor. III, 17). » Les hommes font donc d'eux-mêmes une caverne de voleurs. Ils égorgent les hommes, et les entraînent en leurs repaires. Quel plus grand homicide que celui par lequel l’homme se détruit lui-même. Tuer le corps ou tuer l'âme, quel est le plus grand crime?
Toutes les fois que l'homme tue l'âme, autant de fois il commet l'homicide en lui-même ! Chaque péché qu'il commet volontairement et de propos délibéré, que fait-il autre chose que s'égorger soi-même ? «Quiconque prendra le glaive périra par le glaive (Matth. XXVI, 52) » Le glaive de l'âme c'est le péché, le péché est la mort de l'âme. Celui qui, par la délibération, prend cette épée comme à la main, c'est-à-dire a le péché pour agréable, porte le premier la main sur lui, il se tue lui-même le premier.
«Que leur glaive, » dit le psaume, « entre dans leurs coeurs (Psal. XXXVI, 15). » Il ne suffit pas aux pécheurs de se tuer une fois et de se reposer ensuite ; mille et mille fois ils portent sur eux leurs mains cruelles, et les pieds de ces hommes sanguinaires et rusés sont prompts à verser le sang. Comment disons-nous rusés ? Parce qu'ils entassent dans leurs cavernes les cadavres des morts, et les couvrent sous un monceau de terre, pour les dérober à leur vue et à celle des autres. Ils ne veillent pas les apercevoir, de crainte que ces dépouilles mortelles corrompues ne leur inspirent de l'horreur, ou ne les infectent ; ils ne veulent point qu'on les aperçoive dans la crainte que, découverts comme larrons et homicides, ils ne soient traînés au supplice.
De tous les tourments, quel est celui dont l'horreur est comparable à celle de la croix? Aussi les larrons la redoutent; la croix venge les crimes, elle châtie les impies, dans une juste balance, elle punit les coupables d'un côté, et récompense de l'autre les innocents. Aussi, effroyable pour les impies, elle est pour les justes gracieuse par dessus tous les arbres du paradis. Le Christ eut-il peur de la croix? Saint Pierre la craignit-il? Et saint André? Bien plus, cet apôtre la désira. « Le Seigneur s'élança comme un géant pour fournir sa carrière (Psal. XVII, 6). J'ai désiré d'un grand désir, de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir (Luc. XXII, 15). » Il mangea la Pâque avec ses disciples, il mangea la Pâque lorsqu'il souffrit, lorsqu'il passa de ce monde à son Père. « Pour moi, » disait-il, « j'ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas; ma nourriture c'est de faire la volonté de mon Père (Joan. IV, 34), et la volonté de mon Père, c'est que je boive son calice. »
15. Il mangea donc sur la croix et but, il fut enivré et s'endormit, et Cham, le fils maudit, se moqua de sa nudité. Mais les autres enfants couvrirent de leur manteau le mystère de ce très-profond sommeil. Car Dieu envoya le sommeil sur Adam, il enleva une de ses côtes, en forma une femme, et l'amena à Adam.
C'est chose manifeste que Jésus dormit et sommeilla, et que, de son côté, tous les jours est nourrie, édifiée l'Église, qui lui est amenée des extrémités de la terre, afin de trôner, reine, à sa droite, couverte d'or et entourée d'une belle variété. Il mangea donc la Pâque, parce qu'il monta sur l'arbre et en cueillit les fruits. « Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Joan. XII, 32). »
Quoi, tout? le ciel, la terre et les enfers. Il attira à lui son Père, parce que son cri entra en sa présence, et pénétra dans ses oreilles, et la terre fut ébranlée, les rochers se fendirent, les sépulcres furent ouverts, parce qu'ils entendirent la voix du Fils de Dieu.
Ainsi le médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Christ, Jésus, placé entre le ciel et la terre, mangeait la Pâque, il cueillait de tous côtés les fruits de l'arbre, il les recevait en son corps, parce que tout convergeait vers l'arbre de vie qui était au milieu du paradis. Le glaive qui interdisait le passage était rentré dans le fourreau. Qui donc craindra désormais la croix ? Véritablement, celui qui la redoute montre qu'il est larron. A la croix, pend tout fruit de vie, parce qu'elle est l'arbre de vie, placé au milieu du Paradis ; elle est la hauteur et la largeur, la sublimité et la profondeur; elle réunit et récompense les bons, elle disperse et réprouve les méchants. Elle est la consolation de ceux qui sont tristes, le rassasiement de ceux qui ont faim, et la gloire des parfaits. Je puis parcourir, Seigneur, le ciel et la terre, la terre et la mer, et je ne vous trouverai jamais que sur la croix; c'est là que vous dormez, là que vous prenez votre nourriture, là que vous vous reposez à l'heure de midi. La croix est votre foi, la charité est sa largeur, la longanimité sa longueur, l'espérance sa hauteur la crainte, sa profondeur. C'est sur cette croix que vous trouve quiconque vous rencontre. Sur cette croix, l'âme est suspendue au dessus de la terre, et cueille de l'arbre de vie, les fruits les plus doux. Sur cette croix, attachée à son Seigneur, elle chante suavement : « C'est vous qui m'accueillez, vous qui êtes ma gloire, et qui exaltez ma tête (Psal. III, 4). »
De celui qui vous cherche, nul ne vous rencontre que celui qui est crucifié. O croix glorieuse, prenez racine en moi, afin que je monte sur vos rameaux sacrés.
11. Rentre enfin dans ton coeur, ô vieil Adam, vois en quel lieu et comment t'a cherché et trouvé le nouvel Adam. Il t'a montré dans sou corps les ignominies de ton âme. Ce ne fut pas assez pour lui de courir après toi, qui le fuyais, par la voie des soufflets, des fouets, et par de nouvelles moqueries, en criant et gémissant. Arrivé au dernier supplice, il te trouva et te saisit rendant presque l'âme.
Que représente ce larron, sinon Adam? Depuis que, dans le paradis, il commit sur lui-même le premier des homicides, coupable, il fuit les regards du Christ, et se cache, jusqu'à ce que, saisi au moment de la mort de Jésus sur la croix, et arrivé au bout de sa course, il ne put ni échapper ni se cacher davantage. Là, saisi par vous, ô bon Jésus, il avoua sa faute et en accepta volontiers le châtiment. Car vous l'avertissiez de n'avoir pas en horreur la souffrance qu'il vous voyait supporter avec lui. Il fut, dans tout ce monde, lui seul qui s'attachât à vous, et aussi il fut le seul de tout ce monde qui entrât avec vous dans le Paradis, où il fut établi non plus gardien de cet heureux séjour, mais concitoyen et habitant de la maison de Dieu, de telle sorte, qu'il n'en peut plus tomber. O bienheureux larron, ou plutôt, non plus larron, mais martyr et confesseur ! Il rendit volontaire ce qui était nécessaire, il changea la peine en gloire, et la croix en triomphe. Et vous, ô très heureux confesseur et martyr, dans la stérilité qui frappait tout le monde, le Christ recueillit les restes de la foi.
Les disciples fuyaient, Pierre reniait, et vous étiez heureux d'être le compagnon du Seigneur en sa passion. Sur la croix vous fûtes Pierre, et dans la maison de Caïphe, Pierre devient larron. Car Pierre fut larron tout le temps qu'il nia au dehors le Christ caché au dedans ; aussi vous avez précédé Pierre dans le paradis, parce que, sur la croix, votre chef et votre conducteur vous embrassa dans son amour, et au jour même où il entra au ciel, il vous y introduisit avec lui, comme son fidèle et glorieux compagnon.
12. Je suis pauvre et mendiant, Seigneur, et boiteux dès le ventre de ma mère : voici que je suis assis à la porte de votre temple appelée «précieuse, » sans pouvoir, sans vouloir y entrer; mais bien plutôt, dans la privation de mes biens, je mendie au dehors la nourriture de ma chair, les fausses images des hommes marquées sur le bronze, lieu malheureux où je ramasse le talent de l'iniquité, et où je me charge de lourds fardeaux.
Et voici la neuvième heure de la prière. Pierre et Jean, vos apôtres, montent au temple pour y prier : et moi je suis attaché à la terre et à la boue, je goûte la vanité et les choses d'ici bas; et tandis que les autres entrent, je reste dehors, ne cherchant point avec eux ce qui est de votre Père, mais les biens que mes premiers parents, qui me placent tous les jours en ce lieu, ont malheureusement désiré.
Et voici la neuvième heure de la prière. Le jour baisse, la nuit approche : quand je me lèverai, au point du jour, je ne trouverai dans mes mains rien de ce que je mendie. C'est la neuvième heure de la prière. C'est à ce moment que vous avez prié, suspendu sur la croix; vous avez prié en inclinant la tète, criant d'une voix forte, et rendant l'âme. Vous avez prié en courbant la tête en esprit d'humilité, jetant un cri dans votre très-haute et très-vive affection de Père pour nous.
En ce grand cri, Seigneur, vous avez rendu l'âme, et avez emporté avec vous le même sentiment d'affection que vous aviez pour nous: et je crois que vous l'avez encore dans votre coeur, parce que votre charité ne sait pas se refroidir. C'était la neuvième heure de la prière. Et pourquoi la neuvième? « Parce que vers la neuvième heure les ténèbres se firent (Matth. XXVII, 45). » Il fallait chasser l'horreur de l'obscurité qui avait couvert la face de la terre; il fallait repousser la nuit qui avait commencé à se faire depuis l'heure où vous vous mites à vous promener après midi. Dès lors, vous n'avez cessé de crier : « où est Adam (Gen. III, 9)?
Marchant à la poursuite de celui qui fuyait devant vous et se cachait autant qu'il pouvait. Il fut éconduit du paradis de volupté, et il arriva jusqu'au juste châtiment de son péché. Nous avons reçu la peine que nous méritions, mais celui-ci qu'a-t-il fait? » O Adam, que tu as proféré tard cette parole: je viens de vous trouver le premier! « Je te le dis en vérité, aujourd'hui tu seras avec moi en paradis (Luc. XXIII, 43). » Aussi, c'est la neuvième heure du jour. A la neuvième, il pria, car à la onzième il entra dans le paradis. Voilà pourquoi le boiteux n'entrait pas dans le temple, parce qu'il n'était pas arrivé à la dixième génération. Mais Pierre lui dit: « Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche (Act. III, 6). » Vous êtes vraiment les montagnes vers lesquelles j'ai levé les yeux, pour implorer le secours. Mon secours vient du Seigneur, parce qu'il a été dit : au nom de Jésus, lève-toi et marche. Dans la parole de Jésus, vous lancez le filet; en la parole de Jésus, vous faites lever les boiteux; en la parole de Jésus, vous rendez solides ses jambes et les bases des plantes de ses pieds.
Quelles sont ces bases? La foi et la crainte. Quelles sont ces plantes? L'espérance et la charité. Aussi, c'est avec raison que Pierre et Jean montaient ensemble : l’un représentait la foi, l'autre la charité. Ils marchaient vers votre temple, Seigneur, pour prier avec vous, afin d'entrer en votre société, dans le paradis de votre sanctuaire, parce qu'à votre mort, a été déchiré le voile qui était sur la face de Moïse. Mais ils ne veulent pas entrer seuls, parce que vous n'êtes pas entré vous-même sans compagnon dans le paradis. Vous amenez le larron, vos disciples amènent le perclus : mais le larron n'est pas déjà dans le paradis, le perclus n'est pas déjà dans le temple. Car comment est-il boiteux celui qui se tient d'aplomb, qui marche, bondit et glorifie le Seigneur? Ou bien encore, comment est-il un larron celui qui est avec Jésus dans le paradis. « Le méchant n'habitera pas à vos côtés (Psal. V, 6). »
Il était larron lorsqu'il était caché avant sa confession, il est devenu juste après sa prière. Quelle prière a-t-il faite? « Souvenez-vous de moi, Seigneur, quand vous viendrez dans votre royaume. »
13. O grande foi, ô grande espérance, ô grande charité! Il prie pour l'avenir et non pour le présent. Il ne demande pas à être descendu de la croix, il veut être placé dans le royaume du Christ. Qu'est-ce autre chose que de dire, je désire être dissous et aller avec Jésus-Christ. Je ne sais ce que saint Paul a demandé de plus que ce larron. « Souvenez-vous de moi. » O coeur contrit et humilié! que peut-il solliciter de moindre ou de plus humble, si non que le Seigneur daignât se souvenir de lui? «
Souvenez-vous de moi. » De qui? De moi, si indigne, si pécheur. Je connais mon iniquité, et mon péché est contre moi : je suis confus de lever les yeux vers vous. C'est contre vous seul que j'ai péché ; vous seul pouvez m'en délivrer. J'ai fait le mal en votre présence, quand j'ai voulu me dérober à vos regards. Je suis le larron de mon âme : J'ai voulu dérober à la connaissance des autres l'homicide que j'ai commis, mais j'ai accompli le mal sous vos yeux.
Souvenez-vous de moi, ayez pitié de moi. C'est avec raison que j'en suis arrivé à ce degré de misère, moi qui ai abandonné le bonheur que vous me faisiez goûter. J'étais riche, et voici combien je suis devenu pauvre. Je pouvais manger et me délecter 'de tous les fruits des arbres du paradis, et voici que je souffre et que je meurs sur ce bois. «Souvenez-vous de moi. » Je vous avais oublié, mais vous, après vous être irrité, vous vous rappellerez votre miséricorde. Ayez pitié de moi selon toute son étendue. Je vois en vous une miséricorde qui est grande et qui est vôtre, c'est-à-dire qu'elle vous appartient, c'est elle qui vous a fait descendre et prendre une misère semblable à la mienne. Je subis un juste châtiment, mais vous, quel mal avez-vous commis? Je vous vois souffrir une peine comme la mienne, lorsque par la sainteté de votre vie vous êtes si différent de moi : vous n'avez pu me suivra plus loin.
D'où êtes-vous venu? Vous êtes parti du sommet des cieux. Vous êtes sorti, le plus beau des enfants des hommes, du sein d'une vierge, et vous êtes suspendu avec moi sur une croix! Qui vous y a conduit? Votre seule miséricorde : ayez pitié de moi, ô Dieu, selon cette grande miséricorde. Vous êtes Dieu, et non point seulement un homme. Vous êtes Dieu, je suis homme, je suis votre travail que vous avez formé à votre image et à votre ressemblance. O Dieu, prenez pitié de votre image. Mais à quoi connaîtrai-je que vous avez compassion de moi? En ce que j'aperçois en vous mon image, et que vous souffrez les mêmes peines que moi. Que me reste-t-il, sinon d'avoir confiance? qui pourrait jamais désespérer d'une miséricorde si grande?
«Souvenez-vous donc de moi, lorsque vous serez entré dans votre royaume." Vous rentrez dans votre empire, vous avez accompli votre oeuvre, vous êtes descendu pour m'y ramener avec vous. Je désire aller en votre société, et dans cette pensée, je ne crains pas la mort la plus cruelle, je n'en rougis pas. Comment craindrai-je là où je vous vois à mes côtés? Quand bien même je marcherais au milieu des ombres de la mort, je ne craindrai pas les maux, parce que vous êtes avec moi. Comment rougirais-je d'un opprobre que je vous vois porter, vous qui êtes le Seigneur du ciel? Celui qui rougira de vous ou de vos paroles, vous rougirez de lui, quand vous apparaîtrez en votre majesté, en l'éclat divin de votre Père et en la société des saints anges. « Qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, n'est pas digne de moi (Luc. XIV, 27). » Voilà ce que vous avez dit. Qui aura honte de ces paroles, vous aurez honte de lui. En effet, qui rougit de votre croix, rougit de votre gloire.
Pour moi, à Dieu ne plaise que je nie réjouisse en autre chose qu'en la croix de Jésus-Christ, mon Seigneur. La croix est votre gloire, elle est votre empire. Voici que votre puissance est sur votre épaule, vous portez votre croix, vous portez ce qui vous porte. Qui porte votre croix porte votre gloire. Qui porte votre gloire, vous porte vous-même. L'instrument qui vous porte, vous le tenez sur votre épaule, parce que votre puissance est sur votre épaule. Ceux donc qui vous portent sont votre empire, vous régnez en eux, ô le plus grand des rois. Mais comment ou en quel lieu portez-vous cette principauté? Sur votre épaule. Votre épaule est haute, elle est forte, elle atteint jusqu'à la bouche du Père qui vous confesse, au dessus de toute principauté, de tout pouvoir et de toute vertu. C'est là que vous ramenez la centième brebis, c'est là que vous ramenez Joseph.
14. Marche donc en sûreté, Joseph, douce brebis du Seigneur, le Christ te porte sur son épaule; cette épaule est forte, ne crains pas. Elle est haute, ne regarde pas en bas, « nul, mettant la main à la charrue et regardant en arrière, n'est apte au royaume de Dieu (Luc. IX, 62).» Un joug suave est sur les enfants d'Adam, depuis le jour de leur naissance jusqu'à celui où ils rentrent dans le sein de la mère de tous. Tant que je suis fils du vieil Adam, je porte un joug pesant; si j'étais fils du nouvel Adam, je porterais un joug léger. Quel est le pesant fardeau? Un talent de plomb. Et quel est le fardeau léger? La croix de Jésus-Christ. Le premier, ainsi qu'il est écrit, s'enfonce dans les eaux agitées ; celle-ci nage sur les flots; chose merveilleuse. Rien n'est plus effrayant pour les hommes que de porter la croix.
Pourquoi la craignent-ils? Parce qu'ils sont larrons ; s'ils n'étaient pas larrons, ils ne la redouteraient pas. Donc, celui qui craint un larron, comment est-il larron, dites-vous? Écoutez Jésus-Christ : « Pour vous, » s'écrie-t-il, « vous en avez fait une caverne de voleurs (Matt. XXI, 13). Le temple de Dieu est saint, c'est vous qui êtes ce temple (I Cor. III, 17). » Les hommes font donc d'eux-mêmes une caverne de voleurs. Ils égorgent les hommes, et les entraînent en leurs repaires. Quel plus grand homicide que celui par lequel l’homme se détruit lui-même. Tuer le corps ou tuer l'âme, quel est le plus grand crime?
Toutes les fois que l'homme tue l'âme, autant de fois il commet l'homicide en lui-même ! Chaque péché qu'il commet volontairement et de propos délibéré, que fait-il autre chose que s'égorger soi-même ? «Quiconque prendra le glaive périra par le glaive (Matth. XXVI, 52) » Le glaive de l'âme c'est le péché, le péché est la mort de l'âme. Celui qui, par la délibération, prend cette épée comme à la main, c'est-à-dire a le péché pour agréable, porte le premier la main sur lui, il se tue lui-même le premier.
«Que leur glaive, » dit le psaume, « entre dans leurs coeurs (Psal. XXXVI, 15). » Il ne suffit pas aux pécheurs de se tuer une fois et de se reposer ensuite ; mille et mille fois ils portent sur eux leurs mains cruelles, et les pieds de ces hommes sanguinaires et rusés sont prompts à verser le sang. Comment disons-nous rusés ? Parce qu'ils entassent dans leurs cavernes les cadavres des morts, et les couvrent sous un monceau de terre, pour les dérober à leur vue et à celle des autres. Ils ne veillent pas les apercevoir, de crainte que ces dépouilles mortelles corrompues ne leur inspirent de l'horreur, ou ne les infectent ; ils ne veulent point qu'on les aperçoive dans la crainte que, découverts comme larrons et homicides, ils ne soient traînés au supplice.
De tous les tourments, quel est celui dont l'horreur est comparable à celle de la croix? Aussi les larrons la redoutent; la croix venge les crimes, elle châtie les impies, dans une juste balance, elle punit les coupables d'un côté, et récompense de l'autre les innocents. Aussi, effroyable pour les impies, elle est pour les justes gracieuse par dessus tous les arbres du paradis. Le Christ eut-il peur de la croix? Saint Pierre la craignit-il? Et saint André? Bien plus, cet apôtre la désira. « Le Seigneur s'élança comme un géant pour fournir sa carrière (Psal. XVII, 6). J'ai désiré d'un grand désir, de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir (Luc. XXII, 15). » Il mangea la Pâque avec ses disciples, il mangea la Pâque lorsqu'il souffrit, lorsqu'il passa de ce monde à son Père. « Pour moi, » disait-il, « j'ai à prendre une nourriture que vous ne connaissez pas; ma nourriture c'est de faire la volonté de mon Père (Joan. IV, 34), et la volonté de mon Père, c'est que je boive son calice. »
15. Il mangea donc sur la croix et but, il fut enivré et s'endormit, et Cham, le fils maudit, se moqua de sa nudité. Mais les autres enfants couvrirent de leur manteau le mystère de ce très-profond sommeil. Car Dieu envoya le sommeil sur Adam, il enleva une de ses côtes, en forma une femme, et l'amena à Adam.
C'est chose manifeste que Jésus dormit et sommeilla, et que, de son côté, tous les jours est nourrie, édifiée l'Église, qui lui est amenée des extrémités de la terre, afin de trôner, reine, à sa droite, couverte d'or et entourée d'une belle variété. Il mangea donc la Pâque, parce qu'il monta sur l'arbre et en cueillit les fruits. « Quand j'aurai été élevé de terre, j'attirerai tout à moi (Joan. XII, 32). »
Quoi, tout? le ciel, la terre et les enfers. Il attira à lui son Père, parce que son cri entra en sa présence, et pénétra dans ses oreilles, et la terre fut ébranlée, les rochers se fendirent, les sépulcres furent ouverts, parce qu'ils entendirent la voix du Fils de Dieu.
Ainsi le médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Christ, Jésus, placé entre le ciel et la terre, mangeait la Pâque, il cueillait de tous côtés les fruits de l'arbre, il les recevait en son corps, parce que tout convergeait vers l'arbre de vie qui était au milieu du paradis. Le glaive qui interdisait le passage était rentré dans le fourreau. Qui donc craindra désormais la croix ? Véritablement, celui qui la redoute montre qu'il est larron. A la croix, pend tout fruit de vie, parce qu'elle est l'arbre de vie, placé au milieu du Paradis ; elle est la hauteur et la largeur, la sublimité et la profondeur; elle réunit et récompense les bons, elle disperse et réprouve les méchants. Elle est la consolation de ceux qui sont tristes, le rassasiement de ceux qui ont faim, et la gloire des parfaits. Je puis parcourir, Seigneur, le ciel et la terre, la terre et la mer, et je ne vous trouverai jamais que sur la croix; c'est là que vous dormez, là que vous prenez votre nourriture, là que vous vous reposez à l'heure de midi. La croix est votre foi, la charité est sa largeur, la longanimité sa longueur, l'espérance sa hauteur la crainte, sa profondeur. C'est sur cette croix que vous trouve quiconque vous rencontre. Sur cette croix, l'âme est suspendue au dessus de la terre, et cueille de l'arbre de vie, les fruits les plus doux. Sur cette croix, attachée à son Seigneur, elle chante suavement : « C'est vous qui m'accueillez, vous qui êtes ma gloire, et qui exaltez ma tête (Psal. III, 4). »
De celui qui vous cherche, nul ne vous rencontre que celui qui est crucifié. O croix glorieuse, prenez racine en moi, afin que je monte sur vos rameaux sacrés.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE VII. Du péché de Judas et de son désespoir.
16. Mais en quel lieu fut crucifié le Sauveur? Sur le Calvaire. Bienheureuse place où est plantée la croix; endroit bien d'épouillé puisqu'il est recouvert d'une telle verdure. C'est vers cette calvitie que marchait Elisée : « Marche, chauve , marche, chauve (IV Reg. II , 23). » Voyez si notre Élisée n'est pas chauve lui aussi. « Le Fils de l'homme, » dit-il, « n'a pas où reposer sa tête (Luc. IX, 58). » Voilà à quel point il est chauve, il n'a pas où reposer sa tête ; il est chauve, parce que son royaume n'est pas de ce monde; il est chauve, parce que tous ses disciples l'ont abandonné.
Quels sont les cheveux, sinon les disciples qui sont tous comptés. La croix est donc dressée sur le calvaire. « Parce que les filles de Sion ont marché le cou tendu, et les yeux faisant des signes, le Seigneur dépouillera leur tête (Isa. III, 16). » Qu'il rende chauves ceux qui marchent dans leurs péchés. Qu'il dépouille, dis-je, la tête des filles de Sion, et qu'il en fasse un calvaire, et que la croix, gloire du Christ, s'érige là où l'orgueil avait fixé son siège.
« Dilate ta calvitie comme l’aigle, (Mich. I, 16). » L'aigle dépouillé de ses plumes, jouit en contemplant le soleil en face. Aussi, plus l'âme se dépouille , plus purement entre en elle la véritable lumière. Ceux qui nourrissent leur chevelure s'attirent les reproches d'aveuglement et de pesanteur. Absalon perdit la vue de cette bienheureuse lumière, parce que sa chevelure pesait. Il ne la coupait qu'une fois par an, et ses cheveux pesaient deux cents sicles du poids public, aussi il mourut pendu à un arbre, par les cheveux. Absalon, « paix de son père, » c'est Jésus, et quiconque est, dans la paix, un sujet de grande amertume pour l'auteur de ses jours. « Maître, je vous salue, (Matth. XXVI, 49). » Par ces mots et par ce baiser il portait la paix à son Père. Ils le bénissaient de bouche, mais leur coeur le maudissait. « L'homme de ma paix, » s'écrie-t-il, « en qui j'avais placé mon espérance, qui mangeait mon pain, etc. (Psal. XL, 10). » Il y en a un, et ils sont plusieurs.
Voici Absalon, voici Judas, voici la troupe de Satan. Mais comment nourrissait-il sa chevelure? Il était voleur, et il portait la bourse; cette chevelure lui pesait, et il fut tondu une fois dans l'année, lorsqu'il rapporta une fois les trente pièces d'argent et les jeta dans le temple, monnaie sacrilège qu'il avait pesée deux cents sicles, ce qui est le nombre des impurs, au poids public, et non au poids du sanctuaire.
Car touché de pénitence il pesa beaucoup son crime. «J'ai péché en livrant le sang du juste. » Chacun de ces mots est plein de poids, mais du poids public et non du poids du sanctuaire, parce qu’il rougit plus de la honte que de sa conscience, parce qu'il pesa plus son péché que la miséricorde de Dieu. Voici les poids du sanctuaire. « J'ai péché, j'ai fait le mal devant vous, détruisez mon iniquité (Psalm. I,.) » D'un côté, je reconnais ma faute, de l'autre, je considère votre grande miséricorde. « Ayez pitié de moi, ô Dieu. » Voici le poids public : « Mon péché est trop grand, » s'écrie Caïn, «pour que j'en obtienne le pardon (Gen. IV, 13). » Il rapporta donc les trente pièces d'argent, et les jeta dans le temple. Voyez quel grand cas il en faisait. Il ne les jeta pas sur du fumier, mais dans le temple, cela veut dire que c'était à des dieux d'or et d'argent qu'il s'était consacré comme un temple. L'avarice est, en effet, le culte des idoles, et elle aveugle les yeux des sages.
17. Le malheureux! voilà comment il fut aveuglé ! Il aima mieux périr lui-même, que de voir perdre ses deniers; il jeta l'argent dans le temple et se pendit : il aimait ses héritiers qui viendraient recueillir cette somme, et qui même la mettraient en réserve dans leur bourse. Il la jeta dans le temple et alla se suspendre à un lacet. Depuis longtemps déjà, il s'était éloigné du Christ, et s'était mis dans les pièges de l'avarice; mais ce qu'il avait fait en secret éclata aux yeux de tous.
Le genre de châtiment découvrit le genre de faute, parce que l'homme sera puni par ce qui aura été l'instrument de son péché. Une fois pendu, ses entrailles se répandirent, son ventre était plein, il ne put tenir, il se rompit par le milieu, là où était le siège de Satan. Ce vase de honte se brisa donc, parce qu'il n'était pas de ceux que la fournaise a éprouvés. C'est pourquoi il n'eut point de place dans le champ du potier, dans le lieu de la sépulture des étrangers, mais comme un vase qui se brise et tombe comme une dissolution » «Et toutes ses entrailles furent répandues (Act. I. 18).
Les entrailles de l'avare sont l'or et l'argent, elles se répandent et se perdent, mais les hommes de miséricorde sont recueillis. Judas est encore pendu, Absalon est encore retenu en l'air, par la chevelure, et l'animal qui le portait a passé. Ne soyez point semblable au cheval et au mulet, parce que le monde passe avec sa concupiscence. La chevelure qui tient Absalon suspendu est la racine de tous les maux : là où elle aura germé, toutes sortes de fautes abonderont comme une épaisse chevelure.
Produit par le croisement du cheval et de l'âne, le mulet représente l'esprit double qui montre au dehors ce qu'il ne porte pas au dedans. Tel était Juda, tel Absalon. Au dehors, la piété, au dedans, la malice, c'est double iniquité. Le cheval est manifestement fougueux , l'âne marche simplement, le mulet, malicieux et rusé, jette à terre son cavalier inattentif.
16. Mais en quel lieu fut crucifié le Sauveur? Sur le Calvaire. Bienheureuse place où est plantée la croix; endroit bien d'épouillé puisqu'il est recouvert d'une telle verdure. C'est vers cette calvitie que marchait Elisée : « Marche, chauve , marche, chauve (IV Reg. II , 23). » Voyez si notre Élisée n'est pas chauve lui aussi. « Le Fils de l'homme, » dit-il, « n'a pas où reposer sa tête (Luc. IX, 58). » Voilà à quel point il est chauve, il n'a pas où reposer sa tête ; il est chauve, parce que son royaume n'est pas de ce monde; il est chauve, parce que tous ses disciples l'ont abandonné.
Quels sont les cheveux, sinon les disciples qui sont tous comptés. La croix est donc dressée sur le calvaire. « Parce que les filles de Sion ont marché le cou tendu, et les yeux faisant des signes, le Seigneur dépouillera leur tête (Isa. III, 16). » Qu'il rende chauves ceux qui marchent dans leurs péchés. Qu'il dépouille, dis-je, la tête des filles de Sion, et qu'il en fasse un calvaire, et que la croix, gloire du Christ, s'érige là où l'orgueil avait fixé son siège.
« Dilate ta calvitie comme l’aigle, (Mich. I, 16). » L'aigle dépouillé de ses plumes, jouit en contemplant le soleil en face. Aussi, plus l'âme se dépouille , plus purement entre en elle la véritable lumière. Ceux qui nourrissent leur chevelure s'attirent les reproches d'aveuglement et de pesanteur. Absalon perdit la vue de cette bienheureuse lumière, parce que sa chevelure pesait. Il ne la coupait qu'une fois par an, et ses cheveux pesaient deux cents sicles du poids public, aussi il mourut pendu à un arbre, par les cheveux. Absalon, « paix de son père, » c'est Jésus, et quiconque est, dans la paix, un sujet de grande amertume pour l'auteur de ses jours. « Maître, je vous salue, (Matth. XXVI, 49). » Par ces mots et par ce baiser il portait la paix à son Père. Ils le bénissaient de bouche, mais leur coeur le maudissait. « L'homme de ma paix, » s'écrie-t-il, « en qui j'avais placé mon espérance, qui mangeait mon pain, etc. (Psal. XL, 10). » Il y en a un, et ils sont plusieurs.
Voici Absalon, voici Judas, voici la troupe de Satan. Mais comment nourrissait-il sa chevelure? Il était voleur, et il portait la bourse; cette chevelure lui pesait, et il fut tondu une fois dans l'année, lorsqu'il rapporta une fois les trente pièces d'argent et les jeta dans le temple, monnaie sacrilège qu'il avait pesée deux cents sicles, ce qui est le nombre des impurs, au poids public, et non au poids du sanctuaire.
Car touché de pénitence il pesa beaucoup son crime. «J'ai péché en livrant le sang du juste. » Chacun de ces mots est plein de poids, mais du poids public et non du poids du sanctuaire, parce qu’il rougit plus de la honte que de sa conscience, parce qu'il pesa plus son péché que la miséricorde de Dieu. Voici les poids du sanctuaire. « J'ai péché, j'ai fait le mal devant vous, détruisez mon iniquité (Psalm. I,.) » D'un côté, je reconnais ma faute, de l'autre, je considère votre grande miséricorde. « Ayez pitié de moi, ô Dieu. » Voici le poids public : « Mon péché est trop grand, » s'écrie Caïn, «pour que j'en obtienne le pardon (Gen. IV, 13). » Il rapporta donc les trente pièces d'argent, et les jeta dans le temple. Voyez quel grand cas il en faisait. Il ne les jeta pas sur du fumier, mais dans le temple, cela veut dire que c'était à des dieux d'or et d'argent qu'il s'était consacré comme un temple. L'avarice est, en effet, le culte des idoles, et elle aveugle les yeux des sages.
17. Le malheureux! voilà comment il fut aveuglé ! Il aima mieux périr lui-même, que de voir perdre ses deniers; il jeta l'argent dans le temple et se pendit : il aimait ses héritiers qui viendraient recueillir cette somme, et qui même la mettraient en réserve dans leur bourse. Il la jeta dans le temple et alla se suspendre à un lacet. Depuis longtemps déjà, il s'était éloigné du Christ, et s'était mis dans les pièges de l'avarice; mais ce qu'il avait fait en secret éclata aux yeux de tous.
Le genre de châtiment découvrit le genre de faute, parce que l'homme sera puni par ce qui aura été l'instrument de son péché. Une fois pendu, ses entrailles se répandirent, son ventre était plein, il ne put tenir, il se rompit par le milieu, là où était le siège de Satan. Ce vase de honte se brisa donc, parce qu'il n'était pas de ceux que la fournaise a éprouvés. C'est pourquoi il n'eut point de place dans le champ du potier, dans le lieu de la sépulture des étrangers, mais comme un vase qui se brise et tombe comme une dissolution » «Et toutes ses entrailles furent répandues (Act. I. 18).
Les entrailles de l'avare sont l'or et l'argent, elles se répandent et se perdent, mais les hommes de miséricorde sont recueillis. Judas est encore pendu, Absalon est encore retenu en l'air, par la chevelure, et l'animal qui le portait a passé. Ne soyez point semblable au cheval et au mulet, parce que le monde passe avec sa concupiscence. La chevelure qui tient Absalon suspendu est la racine de tous les maux : là où elle aura germé, toutes sortes de fautes abonderont comme une épaisse chevelure.
Produit par le croisement du cheval et de l'âne, le mulet représente l'esprit double qui montre au dehors ce qu'il ne porte pas au dedans. Tel était Juda, tel Absalon. Au dehors, la piété, au dedans, la malice, c'est double iniquité. Le cheval est manifestement fougueux , l'âne marche simplement, le mulet, malicieux et rusé, jette à terre son cavalier inattentif.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE VIII. De l'ouverture du côté de Jésus.
18. Ouvrez-nous, Seigneur, ouvrez-nous l'entrée de votre côté, qui est pratiquée dans votre arche, afin de nous introduire avec les animaux purs, sept par sept. Car vous êtes le véritable Noé que lieu le Père trouva juste devant lui. « Voici mon fils bien-aimé, dit-il en lui j'ai mis mes complaisances (Matth. III, 17). » Vous connaissez vos brebis, et elle vous connaissent parce qu'elles sont des animaux purs choisis sept par sept, au moyen de la grâce septiforme et des sept oeuvres de miséricorde ; ils sont arrivés au sabbat par le sabbat et ont mérité d'atteindre à l'octave, qui est le nombre que sauva l'arche.
Faites-nous entrer par l'ouverture de votre côté, ouverture qui est la foi de l'Église, et fermez cette porte par dehors, jusqu'à ce que l'iniquité passe et que, le déluge fini, vous nous ouvriez derechef l'ouverture, non plus de la foi, mais de l'espérance, contre l'ouverture qui fut montrée au prophète Ezéchiel dans l'édifice placé sur la montagne. (Ezech. XL). En attendant, vous avez néanmoins une fenêtre dans l'arche, fenêtre par laquelle votre bien-aimé passe la main et excite sa colombe. « Levez-vous, mou amie, ma beauté, ma colombe, et venez (Cant. II, 13). » Et lorsqu'elle vole après vous, afin de vous saisir, vous vous échappez, et vous montez sur les Chérubins, volant sur les ailes des vents, afin que le pied de cette colombe ne trouve rien de solide hors de vous, pour se fixer, si elle ne revient vers l'arche, et qu'alors, la recevant dans votre main, vous la replaciez dans son gite. Il vaut mieux, en effet, attendre dans le port de la foi, que de tomber dans les eaux infranchissables du déluge, et d'y être submergé en voulant trop vous poursuivre. Car les eaux qui jaillissent du côté droit du temple, mesurées à mille pas, viennent jusqu'au talon; après mille autre pas, elles arrivent jusqu'aux genoux, et après mille autres, elles atteignent jusqu'aux reins. Mais après mille autres pas encore, le fleuve croît et gonfle au point qu'on ne peut plus le franchir, et qu'il faut revenir en arrière pour trouver la solidité du rivage.
Ainsi les saints animaux allaient et revenaient : et la colombe, n'ayant point où poser son pied, retourna vers l'arche. Pour le corbeau, une fois lâché, il ne sut pas revenir, parce que, ne parcourant pas le monde d'un oeil simple, il fut pris dans le déluge de la vanité. Et avec raison. Qu'y a-t-il de commun entre la colombe et le corbeau ? Entre le blanc le noir ? Entre Judas et Jean? Entre le Christ et Bélial ? Et cependant le Christ est assis entre Judas et Jean, il est crucifié entre un larron élu et un larron réprouvé, et Noé se trouve entre le corbeau et la colombe, Mais une fois dehors, le corbeau ne revient pas, parce que Judas pendu en l'air fut englouti.
19. Mais que veut dire, Seigneur, ce mot, l'un des soldats, s'il ne désigne peut-être celui à qui le sort fit gagner votre tunique sans couture? C'est là l'image de l'unité des fidèles qui combat pour vous seul, et qui, par la prédication, comme par une lance, ouvrit votre côté. « Car la parole de Dieu est vive et efficace, elle est plias incisive qu'un glaive à deux tranchants (Hebr. VI,12). » Elle est cette lance qu'Habacuc appelle « lance éblouissante (Hab. III, 11). » C'est elle que David enleva avec une outre d'eau de la tête de Saül son ennemi, qui dormait, parce que les discours de la sagesse sont ôtés avec la grâce aux orgueilleux, aux envieux et aux négligents. Mais le fils de Sarvie voulut en percer une fois Saül qui dormait, afin de n'avoir pas à y revenir; David l'en empêcha dans sa bonté.
Si la patience de Dieu miséricordieux et longanime n'attendait pas le pécheur négligent et dédaigneux, le glaive de Satan, le percerait une fois, c'est-à-dire pour toujours. Car Satan désire, dans sa malice, que celui qui dort ne se relève plus. Mais David compatissant crie souvent an haut d'une cime éloignée : « Ne répondras-tu pas, Abner ? (I Reg. XXVI, 14). » O très-doux David, vous rendez aux pécheurs le bien pour le mal, vous les avertissez, vous les attendez longtemps, afin qu'ils vous répondent une fois pour mille. Votre voix leur parait importune, parce que vous troublez leur sommeil inquiet. Qui êtes-vous, disent-il, vous qui criez et qui fatiguez le roi ?
Au bruit de vos reproches, Seigneur, se sont endormis ceux qui étaient montés sur des chevaux, et leur conducteur ne vient pas les éveiller jusqu'à ce qu'ils soient précipités dans les abîmes. Car le roi des impies, l’orgueil, dort dans l'ombre, au milieu des joncs, dans les lieux humides, et les ombres protègent son ombre (Job. XL, 15). » C'est l'arbre qui protégeait Saül. « Pourquoi troublez-vous le roi, leur dit-il ?»Quelquefois, cependant, à la voix de David, le coeur superbe est touché, mais cette impression ne va pas jusqu'à le corriger. Saül, orgueilleux, est touché des très-humbles paroles que lui adresse David : « Qui poursuivez-vous, ô roi d'Israël, qui poursuivez-vous? Un chien mort de la vermine, comme une perdrix sur les montagnes. » Ce n'est pas sans cause que David se compare à un chien mort, ou à de la vermine. Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort : en effet un chien qui vit pour Dieu, et mort au monde, est préférable à un lion superbe et réprouvé, mort à Dieu, et vivant pour le monde.
Le petit animal que fait pulluler la vermine pique et saute : aussi le juste, qui est humble, attaque avec confiance les vices des hommes charnels et bondit sur les cimes des montagnes, où il a un refuge très-assuré, et où il ne craint point la perdrix adultère que poursuivit Élie, et qui fait périr Jean-Baptiste.
18. Ouvrez-nous, Seigneur, ouvrez-nous l'entrée de votre côté, qui est pratiquée dans votre arche, afin de nous introduire avec les animaux purs, sept par sept. Car vous êtes le véritable Noé que lieu le Père trouva juste devant lui. « Voici mon fils bien-aimé, dit-il en lui j'ai mis mes complaisances (Matth. III, 17). » Vous connaissez vos brebis, et elle vous connaissent parce qu'elles sont des animaux purs choisis sept par sept, au moyen de la grâce septiforme et des sept oeuvres de miséricorde ; ils sont arrivés au sabbat par le sabbat et ont mérité d'atteindre à l'octave, qui est le nombre que sauva l'arche.
Faites-nous entrer par l'ouverture de votre côté, ouverture qui est la foi de l'Église, et fermez cette porte par dehors, jusqu'à ce que l'iniquité passe et que, le déluge fini, vous nous ouvriez derechef l'ouverture, non plus de la foi, mais de l'espérance, contre l'ouverture qui fut montrée au prophète Ezéchiel dans l'édifice placé sur la montagne. (Ezech. XL). En attendant, vous avez néanmoins une fenêtre dans l'arche, fenêtre par laquelle votre bien-aimé passe la main et excite sa colombe. « Levez-vous, mou amie, ma beauté, ma colombe, et venez (Cant. II, 13). » Et lorsqu'elle vole après vous, afin de vous saisir, vous vous échappez, et vous montez sur les Chérubins, volant sur les ailes des vents, afin que le pied de cette colombe ne trouve rien de solide hors de vous, pour se fixer, si elle ne revient vers l'arche, et qu'alors, la recevant dans votre main, vous la replaciez dans son gite. Il vaut mieux, en effet, attendre dans le port de la foi, que de tomber dans les eaux infranchissables du déluge, et d'y être submergé en voulant trop vous poursuivre. Car les eaux qui jaillissent du côté droit du temple, mesurées à mille pas, viennent jusqu'au talon; après mille autre pas, elles arrivent jusqu'aux genoux, et après mille autres, elles atteignent jusqu'aux reins. Mais après mille autres pas encore, le fleuve croît et gonfle au point qu'on ne peut plus le franchir, et qu'il faut revenir en arrière pour trouver la solidité du rivage.
Ainsi les saints animaux allaient et revenaient : et la colombe, n'ayant point où poser son pied, retourna vers l'arche. Pour le corbeau, une fois lâché, il ne sut pas revenir, parce que, ne parcourant pas le monde d'un oeil simple, il fut pris dans le déluge de la vanité. Et avec raison. Qu'y a-t-il de commun entre la colombe et le corbeau ? Entre le blanc le noir ? Entre Judas et Jean? Entre le Christ et Bélial ? Et cependant le Christ est assis entre Judas et Jean, il est crucifié entre un larron élu et un larron réprouvé, et Noé se trouve entre le corbeau et la colombe, Mais une fois dehors, le corbeau ne revient pas, parce que Judas pendu en l'air fut englouti.
19. Mais que veut dire, Seigneur, ce mot, l'un des soldats, s'il ne désigne peut-être celui à qui le sort fit gagner votre tunique sans couture? C'est là l'image de l'unité des fidèles qui combat pour vous seul, et qui, par la prédication, comme par une lance, ouvrit votre côté. « Car la parole de Dieu est vive et efficace, elle est plias incisive qu'un glaive à deux tranchants (Hebr. VI,12). » Elle est cette lance qu'Habacuc appelle « lance éblouissante (Hab. III, 11). » C'est elle que David enleva avec une outre d'eau de la tête de Saül son ennemi, qui dormait, parce que les discours de la sagesse sont ôtés avec la grâce aux orgueilleux, aux envieux et aux négligents. Mais le fils de Sarvie voulut en percer une fois Saül qui dormait, afin de n'avoir pas à y revenir; David l'en empêcha dans sa bonté.
Si la patience de Dieu miséricordieux et longanime n'attendait pas le pécheur négligent et dédaigneux, le glaive de Satan, le percerait une fois, c'est-à-dire pour toujours. Car Satan désire, dans sa malice, que celui qui dort ne se relève plus. Mais David compatissant crie souvent an haut d'une cime éloignée : « Ne répondras-tu pas, Abner ? (I Reg. XXVI, 14). » O très-doux David, vous rendez aux pécheurs le bien pour le mal, vous les avertissez, vous les attendez longtemps, afin qu'ils vous répondent une fois pour mille. Votre voix leur parait importune, parce que vous troublez leur sommeil inquiet. Qui êtes-vous, disent-il, vous qui criez et qui fatiguez le roi ?
Au bruit de vos reproches, Seigneur, se sont endormis ceux qui étaient montés sur des chevaux, et leur conducteur ne vient pas les éveiller jusqu'à ce qu'ils soient précipités dans les abîmes. Car le roi des impies, l’orgueil, dort dans l'ombre, au milieu des joncs, dans les lieux humides, et les ombres protègent son ombre (Job. XL, 15). » C'est l'arbre qui protégeait Saül. « Pourquoi troublez-vous le roi, leur dit-il ?»Quelquefois, cependant, à la voix de David, le coeur superbe est touché, mais cette impression ne va pas jusqu'à le corriger. Saül, orgueilleux, est touché des très-humbles paroles que lui adresse David : « Qui poursuivez-vous, ô roi d'Israël, qui poursuivez-vous? Un chien mort de la vermine, comme une perdrix sur les montagnes. » Ce n'est pas sans cause que David se compare à un chien mort, ou à de la vermine. Un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort : en effet un chien qui vit pour Dieu, et mort au monde, est préférable à un lion superbe et réprouvé, mort à Dieu, et vivant pour le monde.
Le petit animal que fait pulluler la vermine pique et saute : aussi le juste, qui est humble, attaque avec confiance les vices des hommes charnels et bondit sur les cimes des montagnes, où il a un refuge très-assuré, et où il ne craint point la perdrix adultère que poursuivit Élie, et qui fait périr Jean-Baptiste.
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE IX. De la sépulture du Seigneur.
20. Accordez-moi, Seigneur, une place dans la terre des vivants, dans le lieu de la sépulture des étrangers, dans ce champ d'Hacheldamach (terrain rocheux situé près du Golgotha où l'on creusait des sépultures), qui a été acheté du prix infiniment précieux de votre sang.
C'est là que sont ensevelis tous nos pères qui furent étrangers et pèlerins sur cette terre. Là, Abraham ensevelit, dans une double caverne, Sara sa belle épouse. Mais pourquoi ne voulut-il pas accepter gratuitement le champ où elle se trouvait, ni ensevelir son mort dans l'un des principaux sépulcres du pays ?
Parce qu'il croyait qu'en dehors du prix du Sang de Jésus-Christ il ne pourrait pas se saurer gratuitement lui-même, et qu'il ne crut pas chose bonne d'habiter dans les sépulcres fétides du monde. « Ensevelissez votre mort dans nos sépulcres choisis. (Gon. XXIII, 6), » lui dit-on. Le monde a des sépulcres choisis, ces hommes que l'élévation de l'orgueil ou le luxe de la superstition signalent à l'attention. Toute l'Égypte est pleine de tombeaux; il n'y avait pas une maison où ne se trouvât quelque mort. Dans le désert, les enfants d'Israël désiraient ces tombeaux.
« Manquait-il de tombeaux en Égypte, » disaient-ils en murmurant, « pour laisser dans le désert nos cadavres nus et sans sépulture ? ( Exod. XIV. 11. ) Le très-saint patriarche ne voulut pas ensevelir son mort dans des sépulcres de ce genre. Où le mit-il ? Dans une double caverne, où reposent, dans un sommeil contemplatif, l’espoir des bonnes oeuvres et l'amour sacré. Car c'est là aussi qu'est déposé le corps de Lia. Sara donc et Lia sont cachées dans une double grotte.
La première, stérile, enfanta ensuite dans sa vieillesse un seul enfant Lia, après avoir mis au monde six fils, cessa d'enfanter, si ce n'est qu'en dernier lieu elle donna le jour à une fille qui fut l'ignominie d'une sainte race. Chose étrange ! De la femme qui eut six fils, on dit qu'elle cessa d'enfanter, et de celle qui n'en eut qu'un, on ne rappelle rien de semblable. C'est que la vie active a un terme, la contemplative enfante toujours.
L'une enfanta dans la douleur, l'autre, dans la joie. Et cependant toutes les deux sont ensevelies dans le même champ. Car Rachel fut mise en terre près de Bethléem, sous le chêne de la croix(N.B. allusion à la Nativité). Ce qui veut dire qu'elle est assise aux pieds de Jésus, afin que, toujours féconde, elle donne ses fruits de la maison du pain. Sara donc et Rachel ne cesseront pas d'enfanter. Lia, après avoir donné la vie à six fils, ou cessera d'enfanter ou n'aura qu'une fille.
C'est la volupté charnelle qui, sous prétexte de discrétion, nuit souvent à la vie active. Si cependant elle est vraiment veuve, elle sera sauvée, non par l'enfantement d'une fille, mais par celui de ses fils. C'est pourquoi les nobles patriarches sont ensevelis avec leurs épouses dans une double caverne.
Comme des étrangers et des pèlerins, ils habitèrent sous des tentes : aussi ils possédèrent, eux et leur postérité, par droit d'héritage, la sépulture des étrangers.
21. Mais que signifie que Jacob, cet antique patriarche, supérieur aux autres par l'opulence, la douceur et la gloire, fut enseveli au même lieu, par Joseph son fils ? La charité parfaite est représentée par ce vieillard, c'est par elle que le père est enseveli par le fils, ou mieux avec sou fils, selon ce qu'il dit lui-même : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons en lui et nous y ferons notre demeure (Joan. XV). »
Voilà la sépulture glorieuse et suave du Père, de l'ancien des jours qui place en lui-même ceux qui l'aiment et les cache dans le secret de sa force, loin de l'agitation des hommes. C'est là aussi que les ossements de Joseph, souvenir de notre Sauveur, sont rapportés chaque jour par les enfants d'Israël.
Car les restes de ce saint patriarche ne furent pas laissés en Égypte, parce qu'il avait horreur des sépulcres blanchis et pleins de pourriture. (Exo. XIII. 19). Et Dieu ensevelit Moïse, mais jusqu'à ce jour l'homme n'a pas trouvé son sépulcre. (Deuter. XXXIV. 6. ) Qui pourrait parvenir à la cime de la montagne sur laquelle il monta, au milieu d'une nuée, et où il resta quarante jours et quarante nuits, voyant et étudiant l'exemplaire du tabernacle fait par le Seigneur et non par l'homme?
Aussi, jusqu'à ce jour, Moïse, quand on le lit , a un voile sur le visage, pour que l'homme mortel ne découvre pas son tombeau. Dans le même champ du sang, la race glorieuse des rois a pris place ; tous ces princes sont dans le sépulcre de leurs pères à Jérusalem; c'est là qu'éclatent avec gloire et la vision des prophètes et la vertu guerrière des Macchabées.
22. Que l'on compare maintenant, si l'on veut, à cette sépulture des étrangers cette glorieuse tour de Babel: si glorieuse dans les anciens empires des Chaldéens orgueilleux. Qu'y trouve-t-on de semblable à la sépulture dont nous parlons ? Là une langue se partage en plusieurs; ici, cinq villes d'Égypte ne parlent pas le langage de cette contrée, mais l'une d'elle se nomme «la ville du soleil. » C'est du haut de cette tour de Babel que fut précipitée Jézabel la prostituée, la mère des fornications, l'adoratrice des idoles, l'ouvrière de l'avarice : et quand on voulut l'ensevelir, parce qu'elle était fille du roi, on ne trouva que son crâne et l'extrémité de ses mains, et la muraille couverte de son sang.
Telle est la sépulture des impies, tel est leur digne sort; il ne reste d'eux que l'extrémité des mains, c'est-à-dire les derniers vestiges de leurs oeuvres, et le crâne qui avait été le siège de l'orgueil, dépouillé de la gloire de sa chevelure : car « j'ai vu l'impie exalté et élevé comme les cèdres du Liban; je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus. Psalm. XXXVI. 35). »
Voilà le crâne de Jézabel qui était parée comme une prostituée, et qui avait fardé ses yeux. Le front de l'orgueil a été dépouillé de ses ornements; personne ne daigne le regarder, personne, si ce n'est celui qui voudra abhorrer son crime, laver ses mains dans le sang du pécheur et, semblable à un cheval rapide et puissant, fouler sous ses pieds et broyer cette prostituée, renversée à terre, et s'éloigner ensuite.
Et la muraille a gardé la marque du sang pour épouvanter les hommes sanguinaires et astucieux qui, dans leur avarice, lapident l'humble Naboth. Mais les chiens impurs, amateurs des cadavres, s'incorporent ces chairs de fornication, et lèchent conséquemment le sang qui en est sorti : parce qu'ayant partagé la passion mauvaise, ils seront associés à la vengeance. Il y a d'autres chiens qui paraissent « pour les ennemis de la part du Seigneur (Psalm. LXVII. 44), » animaux vigilants qui éprouvent la faim de la justice et qui rôdent dans la cité, non de Babylone, mais de l'Église, et qui mangent et ensevelissent dans leur corps tout ce qu'ils rencontrent de mis à mort par les vices.
Mais malheur à ceux que les oiseaux, c'est-à-dire les démons qui volent dans le vide, dévorent morts hors de la ville : tels furent Achithophel et Absalon, Jézabel et Judas : ils reçurent en vain leur âme et ils la rendirent aussi en vain.
23. Mais retournons au champ Hacheldemach, pour admirer et désirer, plutôt la gloire des bienheureuses demeures, parce que la mémoire des impies périra avec fracas, la mémoire des justes vivra éternellement de ce nombre furent Joseph qui était décurion, homme juste et bon, et Nicodème qui, autrefois ministre de la nuit, mais actuellement ministre du jour, portait, pour embaumer le Seigneur, un mélange de myrrhe et d'aloès du poids d'environ cent livres.
Voilà les disciples que Jésus désire pour l'ensevelir; il veut qu'ils arrachent avec audace son corps de la puissance des ténèbres, et le réclament pour eux, afin que chacun sache le posséder dans la sainteté et le respect, le liant par les lois de la chasteté et les lois de la discipline, le préservant des vers par un mélange de myrrhe et d'aloès.
Ce sont là des substances amères, mais qui écartent la corruption : parce que le châtiment infligé à la chair est fatigant, mais sans ce remède ni l'esprit ni la chair ne peuvent être conservés incorruptibles. « D'un poids d'environ cent livres (Joan. XIX, 39). » Ô mesure bonne et entassée! Assurément il faut tenir la balance entre le corps et l'âme par une discrétion très-exercée, en sorte que chaque partie ait ce qu'il lui faut et que la paix et l'égalité exercent entre la chair et l'esprit, tellement qu'on observe la mesure et qu'on ne s'écarte pas de la perfection.
Voilà les cent livres environ, qui gardent, sain et entier dans le sépulcre des fidèles, le corps de Jésus-Christ. Voilà les soixante guerriers qui entourent le lit de Salomon, tenant tous des glaives à la main et tous très exercés à la guerre. Votre lit, ô Jésus, plus que celui de Salomon, est votre sépulcre; au jour de votre Sabbat, vous vous y êtes reposé de tout le travail que vous aviez fait.
Votre monument funèbre est dans un jardin, il est nouveau et taillé dans la pierre : parce que l'âme fidèle, votre amie, est un « jardin fermé (Cant. IV, 12), » et chaque jour elle se renouvelle dans votre connaissance; elle se fortifie sur la pierre solide de votre amour, s'ensevelissant avec vous dans l'homme intérieur, dans le secret de votre couche.
C'est là que veillent autour de vous soixante guerriers choisis parmi les plus forts d'Israël, âmes d'élite en qui les oeuvres de six jours et les bonnes actions se trouvent très-parfaitement accomplies, et qui, par ce nombre six et dix, conservent en eux l'expression de la fidélité à la loi et la ressemblance avec vous.
20. Accordez-moi, Seigneur, une place dans la terre des vivants, dans le lieu de la sépulture des étrangers, dans ce champ d'Hacheldamach (terrain rocheux situé près du Golgotha où l'on creusait des sépultures), qui a été acheté du prix infiniment précieux de votre sang.
C'est là que sont ensevelis tous nos pères qui furent étrangers et pèlerins sur cette terre. Là, Abraham ensevelit, dans une double caverne, Sara sa belle épouse. Mais pourquoi ne voulut-il pas accepter gratuitement le champ où elle se trouvait, ni ensevelir son mort dans l'un des principaux sépulcres du pays ?
Parce qu'il croyait qu'en dehors du prix du Sang de Jésus-Christ il ne pourrait pas se saurer gratuitement lui-même, et qu'il ne crut pas chose bonne d'habiter dans les sépulcres fétides du monde. « Ensevelissez votre mort dans nos sépulcres choisis. (Gon. XXIII, 6), » lui dit-on. Le monde a des sépulcres choisis, ces hommes que l'élévation de l'orgueil ou le luxe de la superstition signalent à l'attention. Toute l'Égypte est pleine de tombeaux; il n'y avait pas une maison où ne se trouvât quelque mort. Dans le désert, les enfants d'Israël désiraient ces tombeaux.
« Manquait-il de tombeaux en Égypte, » disaient-ils en murmurant, « pour laisser dans le désert nos cadavres nus et sans sépulture ? ( Exod. XIV. 11. ) Le très-saint patriarche ne voulut pas ensevelir son mort dans des sépulcres de ce genre. Où le mit-il ? Dans une double caverne, où reposent, dans un sommeil contemplatif, l’espoir des bonnes oeuvres et l'amour sacré. Car c'est là aussi qu'est déposé le corps de Lia. Sara donc et Lia sont cachées dans une double grotte.
La première, stérile, enfanta ensuite dans sa vieillesse un seul enfant Lia, après avoir mis au monde six fils, cessa d'enfanter, si ce n'est qu'en dernier lieu elle donna le jour à une fille qui fut l'ignominie d'une sainte race. Chose étrange ! De la femme qui eut six fils, on dit qu'elle cessa d'enfanter, et de celle qui n'en eut qu'un, on ne rappelle rien de semblable. C'est que la vie active a un terme, la contemplative enfante toujours.
L'une enfanta dans la douleur, l'autre, dans la joie. Et cependant toutes les deux sont ensevelies dans le même champ. Car Rachel fut mise en terre près de Bethléem, sous le chêne de la croix(N.B. allusion à la Nativité). Ce qui veut dire qu'elle est assise aux pieds de Jésus, afin que, toujours féconde, elle donne ses fruits de la maison du pain. Sara donc et Rachel ne cesseront pas d'enfanter. Lia, après avoir donné la vie à six fils, ou cessera d'enfanter ou n'aura qu'une fille.
C'est la volupté charnelle qui, sous prétexte de discrétion, nuit souvent à la vie active. Si cependant elle est vraiment veuve, elle sera sauvée, non par l'enfantement d'une fille, mais par celui de ses fils. C'est pourquoi les nobles patriarches sont ensevelis avec leurs épouses dans une double caverne.
Comme des étrangers et des pèlerins, ils habitèrent sous des tentes : aussi ils possédèrent, eux et leur postérité, par droit d'héritage, la sépulture des étrangers.
21. Mais que signifie que Jacob, cet antique patriarche, supérieur aux autres par l'opulence, la douceur et la gloire, fut enseveli au même lieu, par Joseph son fils ? La charité parfaite est représentée par ce vieillard, c'est par elle que le père est enseveli par le fils, ou mieux avec sou fils, selon ce qu'il dit lui-même : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons en lui et nous y ferons notre demeure (Joan. XV). »
Voilà la sépulture glorieuse et suave du Père, de l'ancien des jours qui place en lui-même ceux qui l'aiment et les cache dans le secret de sa force, loin de l'agitation des hommes. C'est là aussi que les ossements de Joseph, souvenir de notre Sauveur, sont rapportés chaque jour par les enfants d'Israël.
Car les restes de ce saint patriarche ne furent pas laissés en Égypte, parce qu'il avait horreur des sépulcres blanchis et pleins de pourriture. (Exo. XIII. 19). Et Dieu ensevelit Moïse, mais jusqu'à ce jour l'homme n'a pas trouvé son sépulcre. (Deuter. XXXIV. 6. ) Qui pourrait parvenir à la cime de la montagne sur laquelle il monta, au milieu d'une nuée, et où il resta quarante jours et quarante nuits, voyant et étudiant l'exemplaire du tabernacle fait par le Seigneur et non par l'homme?
Aussi, jusqu'à ce jour, Moïse, quand on le lit , a un voile sur le visage, pour que l'homme mortel ne découvre pas son tombeau. Dans le même champ du sang, la race glorieuse des rois a pris place ; tous ces princes sont dans le sépulcre de leurs pères à Jérusalem; c'est là qu'éclatent avec gloire et la vision des prophètes et la vertu guerrière des Macchabées.
22. Que l'on compare maintenant, si l'on veut, à cette sépulture des étrangers cette glorieuse tour de Babel: si glorieuse dans les anciens empires des Chaldéens orgueilleux. Qu'y trouve-t-on de semblable à la sépulture dont nous parlons ? Là une langue se partage en plusieurs; ici, cinq villes d'Égypte ne parlent pas le langage de cette contrée, mais l'une d'elle se nomme «la ville du soleil. » C'est du haut de cette tour de Babel que fut précipitée Jézabel la prostituée, la mère des fornications, l'adoratrice des idoles, l'ouvrière de l'avarice : et quand on voulut l'ensevelir, parce qu'elle était fille du roi, on ne trouva que son crâne et l'extrémité de ses mains, et la muraille couverte de son sang.
Telle est la sépulture des impies, tel est leur digne sort; il ne reste d'eux que l'extrémité des mains, c'est-à-dire les derniers vestiges de leurs oeuvres, et le crâne qui avait été le siège de l'orgueil, dépouillé de la gloire de sa chevelure : car « j'ai vu l'impie exalté et élevé comme les cèdres du Liban; je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus. Psalm. XXXVI. 35). »
Voilà le crâne de Jézabel qui était parée comme une prostituée, et qui avait fardé ses yeux. Le front de l'orgueil a été dépouillé de ses ornements; personne ne daigne le regarder, personne, si ce n'est celui qui voudra abhorrer son crime, laver ses mains dans le sang du pécheur et, semblable à un cheval rapide et puissant, fouler sous ses pieds et broyer cette prostituée, renversée à terre, et s'éloigner ensuite.
Et la muraille a gardé la marque du sang pour épouvanter les hommes sanguinaires et astucieux qui, dans leur avarice, lapident l'humble Naboth. Mais les chiens impurs, amateurs des cadavres, s'incorporent ces chairs de fornication, et lèchent conséquemment le sang qui en est sorti : parce qu'ayant partagé la passion mauvaise, ils seront associés à la vengeance. Il y a d'autres chiens qui paraissent « pour les ennemis de la part du Seigneur (Psalm. LXVII. 44), » animaux vigilants qui éprouvent la faim de la justice et qui rôdent dans la cité, non de Babylone, mais de l'Église, et qui mangent et ensevelissent dans leur corps tout ce qu'ils rencontrent de mis à mort par les vices.
Mais malheur à ceux que les oiseaux, c'est-à-dire les démons qui volent dans le vide, dévorent morts hors de la ville : tels furent Achithophel et Absalon, Jézabel et Judas : ils reçurent en vain leur âme et ils la rendirent aussi en vain.
23. Mais retournons au champ Hacheldemach, pour admirer et désirer, plutôt la gloire des bienheureuses demeures, parce que la mémoire des impies périra avec fracas, la mémoire des justes vivra éternellement de ce nombre furent Joseph qui était décurion, homme juste et bon, et Nicodème qui, autrefois ministre de la nuit, mais actuellement ministre du jour, portait, pour embaumer le Seigneur, un mélange de myrrhe et d'aloès du poids d'environ cent livres.
Voilà les disciples que Jésus désire pour l'ensevelir; il veut qu'ils arrachent avec audace son corps de la puissance des ténèbres, et le réclament pour eux, afin que chacun sache le posséder dans la sainteté et le respect, le liant par les lois de la chasteté et les lois de la discipline, le préservant des vers par un mélange de myrrhe et d'aloès.
Ce sont là des substances amères, mais qui écartent la corruption : parce que le châtiment infligé à la chair est fatigant, mais sans ce remède ni l'esprit ni la chair ne peuvent être conservés incorruptibles. « D'un poids d'environ cent livres (Joan. XIX, 39). » Ô mesure bonne et entassée! Assurément il faut tenir la balance entre le corps et l'âme par une discrétion très-exercée, en sorte que chaque partie ait ce qu'il lui faut et que la paix et l'égalité exercent entre la chair et l'esprit, tellement qu'on observe la mesure et qu'on ne s'écarte pas de la perfection.
Voilà les cent livres environ, qui gardent, sain et entier dans le sépulcre des fidèles, le corps de Jésus-Christ. Voilà les soixante guerriers qui entourent le lit de Salomon, tenant tous des glaives à la main et tous très exercés à la guerre. Votre lit, ô Jésus, plus que celui de Salomon, est votre sépulcre; au jour de votre Sabbat, vous vous y êtes reposé de tout le travail que vous aviez fait.
Votre monument funèbre est dans un jardin, il est nouveau et taillé dans la pierre : parce que l'âme fidèle, votre amie, est un « jardin fermé (Cant. IV, 12), » et chaque jour elle se renouvelle dans votre connaissance; elle se fortifie sur la pierre solide de votre amour, s'ensevelissant avec vous dans l'homme intérieur, dans le secret de votre couche.
C'est là que veillent autour de vous soixante guerriers choisis parmi les plus forts d'Israël, âmes d'élite en qui les oeuvres de six jours et les bonnes actions se trouvent très-parfaitement accomplies, et qui, par ce nombre six et dix, conservent en eux l'expression de la fidélité à la loi et la ressemblance avec vous.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE X. De la garde des soldats autour du sépulcre de Jésus-Christ.
24. Ils vous gardent mieux que la vigilance trompeuse des impies, parce qu'ils sont très habiles dans le combat, et qu'ils savent repousser non seulement les attraits de la chair, mais encore les puissances de l'air et les craintes de la nuit. Ces soldats qui, semblables à des hommes ivres, entourent votre sépulcre, furent saisis de terreur là où il n'y avait pas à craindre, parce que la puissance des ténèbres ne supportant pas la lumière à l'annonce de la vie, ils devinrent comme morts.
Ce ne sont donc point les enfants de la nuit qui vous gardent, ce sont les enfants du jour. Aux uns, l'éclat dont vous brillez inspire une terreur qui les fait fuir loin de vous ; aux autres, une joie qui les attire vers vous. « Quand nous dormions, » disent-ils, « ses disciples sont venus et ont volé son corps (Matth. XXVIII, 13). » O menteurs ! vous avez dit la vérité, mais l'iniquité s'est menti à elle-même. Des hommes qui dorment ne peuvent pas garder le Christ : ceux qui dès le matin veilleront pour moi me trouveront.
En dormant, que voyez-vous, sinon des rêves ? Voici que vous avez dans les mains des sommes considérables si cela vous est possible, gardez-les, dans la crainte que les voleurs ne viennent vous les enlever. Car les disciples de Jésus-Christ garderont leurs trésors. Chacun s'applique à conserver ce qu'il aime. Certainement, Mikal, aimait David plus que Saül son père, aussi elle le fit descendre par une fenêtre et lui sauva la vie ( 1 Samuel 19,12). Qu'est-ce que cela veut dire? Mikal, fille de Saül, autrefois fille de l'orgueil, après avoir été unie à David, si plein de grâces, se met à haïr son père.
Âme généreuse à qui s'appliquent ces paroles du Psaume : « Écoute, ma fille, et vois, prête l'oreille, et oublie la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté (Ps. XLIV, 11). » Aussi, elle fit échapper David par une fenêtre. Par cette fenêtre, entendez celle où passe la main du bien-aimé. Par cette ouverture il est sauvé par son amie, et va vers son amie, c'est-à-dire vers l'âme elle-même; elle est cachée dans l'homme intérieur, où elle vit en sûreté et est ignorée des méchants.
Car elle s'est cachée et est sortie du temple de la perfidie. Parce que, tandis que David joue de la harpe devant Saül, pour faire éloigner de lui l'esprit mauvais envoyé par le Seigneur, cet impie s'efforce de le percer et de le fixer à la muraille. Mais David évite le coup : que veut dire ce détail que le javelot est fiché dans le mur, sinon que la grâce de Jésus-Christ se retirant, l'esprit endurci est percé du trait de sa malice ? Et le roi des ténèbres, Saül, qui déteste-t-il davantage encore aujourd'hui que David son gendre ? C'est pourquoi, en l'absence de ce dernier, il prend sa fille qu'il lui avait donnée en mariage, et la donne à un autre mari sans noblesse : mais quand ce guerrier reviendra, et occupera le trône, il la réclamera parce qu il l'avait obtenue au prix de la chair de deux cents Philistins, retranchant d'elle les souillures de l'esprit aussi bien que celles de la chair.
25. Malheur aux pécheurs qui entourent votre sépulcre, Seigneur, parce que vous vous éloignez d'eux et ils ne vous trouvent pas dans votre lit agréable et fleuri, mais plutôt ils trébuchent contre une statue entourée des ténèbres de leur coeur, ils ont à leur tête une peau de chèvre, et un souvenir infect de leurs péchés.
Bienheureux celui qui veille à côté de votre monument, afin de vous garder, et qui lutte à l'aurore avec l'ange de la résurrection, ne le lâchant que lorsqu'il a appris quelque chose de son nom qui est admirable, afin de changer le titre de Jacob en celui d'Israël, et de faire lever le soleil de justice sur l’âme, de suite après qu'elle a reçu le coup du glaive de douleur.
24. Ils vous gardent mieux que la vigilance trompeuse des impies, parce qu'ils sont très habiles dans le combat, et qu'ils savent repousser non seulement les attraits de la chair, mais encore les puissances de l'air et les craintes de la nuit. Ces soldats qui, semblables à des hommes ivres, entourent votre sépulcre, furent saisis de terreur là où il n'y avait pas à craindre, parce que la puissance des ténèbres ne supportant pas la lumière à l'annonce de la vie, ils devinrent comme morts.
Ce ne sont donc point les enfants de la nuit qui vous gardent, ce sont les enfants du jour. Aux uns, l'éclat dont vous brillez inspire une terreur qui les fait fuir loin de vous ; aux autres, une joie qui les attire vers vous. « Quand nous dormions, » disent-ils, « ses disciples sont venus et ont volé son corps (Matth. XXVIII, 13). » O menteurs ! vous avez dit la vérité, mais l'iniquité s'est menti à elle-même. Des hommes qui dorment ne peuvent pas garder le Christ : ceux qui dès le matin veilleront pour moi me trouveront.
En dormant, que voyez-vous, sinon des rêves ? Voici que vous avez dans les mains des sommes considérables si cela vous est possible, gardez-les, dans la crainte que les voleurs ne viennent vous les enlever. Car les disciples de Jésus-Christ garderont leurs trésors. Chacun s'applique à conserver ce qu'il aime. Certainement, Mikal, aimait David plus que Saül son père, aussi elle le fit descendre par une fenêtre et lui sauva la vie ( 1 Samuel 19,12). Qu'est-ce que cela veut dire? Mikal, fille de Saül, autrefois fille de l'orgueil, après avoir été unie à David, si plein de grâces, se met à haïr son père.
Âme généreuse à qui s'appliquent ces paroles du Psaume : « Écoute, ma fille, et vois, prête l'oreille, et oublie la maison de ton père, et le roi désirera ta beauté (Ps. XLIV, 11). » Aussi, elle fit échapper David par une fenêtre. Par cette fenêtre, entendez celle où passe la main du bien-aimé. Par cette ouverture il est sauvé par son amie, et va vers son amie, c'est-à-dire vers l'âme elle-même; elle est cachée dans l'homme intérieur, où elle vit en sûreté et est ignorée des méchants.
Car elle s'est cachée et est sortie du temple de la perfidie. Parce que, tandis que David joue de la harpe devant Saül, pour faire éloigner de lui l'esprit mauvais envoyé par le Seigneur, cet impie s'efforce de le percer et de le fixer à la muraille. Mais David évite le coup : que veut dire ce détail que le javelot est fiché dans le mur, sinon que la grâce de Jésus-Christ se retirant, l'esprit endurci est percé du trait de sa malice ? Et le roi des ténèbres, Saül, qui déteste-t-il davantage encore aujourd'hui que David son gendre ? C'est pourquoi, en l'absence de ce dernier, il prend sa fille qu'il lui avait donnée en mariage, et la donne à un autre mari sans noblesse : mais quand ce guerrier reviendra, et occupera le trône, il la réclamera parce qu il l'avait obtenue au prix de la chair de deux cents Philistins, retranchant d'elle les souillures de l'esprit aussi bien que celles de la chair.
25. Malheur aux pécheurs qui entourent votre sépulcre, Seigneur, parce que vous vous éloignez d'eux et ils ne vous trouvent pas dans votre lit agréable et fleuri, mais plutôt ils trébuchent contre une statue entourée des ténèbres de leur coeur, ils ont à leur tête une peau de chèvre, et un souvenir infect de leurs péchés.
Bienheureux celui qui veille à côté de votre monument, afin de vous garder, et qui lutte à l'aurore avec l'ange de la résurrection, ne le lâchant que lorsqu'il a appris quelque chose de son nom qui est admirable, afin de changer le titre de Jacob en celui d'Israël, et de faire lever le soleil de justice sur l’âme, de suite après qu'elle a reçu le coup du glaive de douleur.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE XI. De l'enlèvement de la pierre, de l'apparition des anges et de la résurrection de Jésus-Christ.
26. "Qui nous écartera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre, (Marc. XVI. 3)." L'ouverture de mon esprit est fermée, Seigneur, la pierre de cette vie mortelle pèse lourdement sur mon intelligence, je suis surchargé du poids de mes iniquités, les forces humaines ne peuvent en aucune manière l'écarter, si votre parole toute-puissante, si l'ange du conseil ne viennent détruire cette muraille d'iniquité, et nous ouvrir le sens, afin que nous comprenions les Écritures et que nous voyons, placés devant nous, les linges, témoignages très-assurés de votre résurrection et du corps humain que nous avez pris.
Qui pourra, muni de votre secours, en sentir les réalités divines, goûtera par avance quelque chose de la gloire et de la résurrection que vous avez préparée pour ceux qui vous aiment et dont vous avez ramassé les prémices en votre sein, l'offrant sans relâche à votre Père, après l'avoir consumée par le feu du Saint-Esprit.
Et l'ange qui annonçait une joie si considérable, qui fit rouler la pierre, et effraya les méchants, défendit avec beaucoup de douceur aux saintes âmes de craindre ; cet ange, dis-je, rendit témoignage à la bienheureuse résurrection, non point seulement, par ses paroles, mais encore par son aspect, son habit et ses actes. Car il enleva la pierre et s'assit dessus, cette pierre qui est encore roulée sur nous, et écrase notre visage. Ce qui a lieu aussi, sans nul doute, dans la première résurrection qui est celle de l'âme, en sorte que, par un heureux retour, l’esprit s'assujettit ce fardeau d'iniquité, et prend en main, comme juge et maître, la conduite de son intérieur.
27. Que voir dans cette blancheur de neige, dans cette beauté des habits, sinon la chasteté froide et très pure de notre corps, qui rend hommage et soumission à la chasteté angélique qui règne en elle Or, son aspect intérieur, là où a été imprimée la lumière de votre visage, est terrible et brillant comme l'éclair : terrible, pour terrasser et effrayer les ennemis de l'âme, brillant, afin de se montrer toujours entouré de justice à vos yeux, ô vous qui êtes la véritable lumière.
Telle était la face de Moïse lorsqu'il venait de converser avec vous, elle était lumineuse et redoutable, munie de cornes pour combattre les adversaires, et entourée d'une splendeur que ne pouvaient supporter les yeux charnels. Et maintenant, Seigneur, nous savons, et nous nous en réjouissons, que vous êtes vraiment ressuscité d'entre les morts, et vous êtes grandement éloigné de nous autres, vivant encore dans cette région de mort, parce que vous êtes monté au ciel, sur vos chevaux de feu et sur votre char de flammes, multiple comme dix mille.
Cependant votre manteau est tombé vers nous, et est resté parmi nous jusqu'à ce jour, c'est-à-dire les linges de votre corps, qui nous font éprouver, dans le temps opportun, le secours de votre puissance, et produisent en nous votre double esprit qui est vous, et nous font aimer Dieu et le prochain. Les douleurs de la mort nous ont assaillis, et les torrents de l'iniquité nous ont ébranlés, le vêtement de notre mortalité nous a entourés, vêtement plein de vers qui me rongent constamment et ne dorment jamais, tourments avant-coureurs de cette extrême douleur qui vient sur nous, comme un guerrier armé, et qui s'efforce de nous anéantir, si nous ne sommes pas sur nos gardes.
Et même, quel est l'homme assez vigilant pour en soutenir la terreur? Cependant,que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, il faut certainement la soutenir, il faut la traverser. Mais n'oubliez pas le manteau d'Élie : sans lui les eaux du torrent ne se partageront pas. Car il est d'autres torrents, torrents d'iniquités, l'océan de mes péchés, qui m'entraînent, et plût au ciel qu'il me troublassent de telle sorte, que je crierais avec douleur : « Mon père, mon père, ô char d'Israël et son conducteur (IV Reg. XIII. 14)».
Mais ils me troublent et me privent de la lumière de mes yeux, en sorte que je ne puis voir le très bon Élie, lorsqu'il est ravi à mon amour. Si je le voyais, assurément son double esprit viendrait sur moi et je crierais: « Mon Père, mon Père ! Dieu a envoyé, dit l'Apôtre, l'esprit de son Fils dans nos coeurs, esprit criant, Père (Gal. IV. 6) ! » Le double esprit crie deux fois : « Mon Père! mon Père. » O Père qui m'avez créé, ô Père qui m'avez recréé, ô mon Père, ô mon Père, ô cri plein d'affection ! Char d'Israël et son conducteur, qui portez et régissez, soutenez et gouvernez. Qui? Israël qui croit en vous, qui soupire après vous.
Voici que vous avez disparu, et votre Élisée ne vous verra plus. Il a gardé cependant en souvenir de votre manteau, afin que sa vue adoucisse en l'augmentant la douleur de votre absence, et l'augmente en l'adoucissant.
28. « Prenez ceci en mémoire de moi », dit le Sauveur (Luc. XXII. 19). C'est le sacrement de votre corps que nous prenons en souvenir de vous, jusqu'à ce que vous veniez. Votre manteau, c'est votre chair, dont vous vous êtes revêtu pour venir vers nous, en laquelle vous vous êtes caché aux méchants et vous vous êtes montré à vos amis fidèles jusqu'à ce jour. Sous ce manteau, se voile votre force, force prodigieuse, ô redoutable Samson; vous n'en avez pas dérobé en dernier lieu le secret, même à celle que vous aimiez sans qu'elle vous aimât, afin de la changer d'ennemie qu'elle était en amie. Cette femme qui ne vous aimait pas et qui vous poursuivait, vous l'avez chérie à un tel point que, pour son amour, votre sagesse devenait folie et votre force, faiblesse.
«Mais ce qui est insensé, selon Dieu, est plus sage, et ce qui est faible est plus fort que tous les hommes. (1 Cor. I. 25). » Parce qu'en vous sacrifiant vous-même aux yeux de votre Père, et en mourant par un effet de votre puissance, vous avez ébranlé les princes des ténèbres et brisé leur pouvoir, et votre croix est devenue un scandale pour les Juifs, une folie pour les gentils, mais, pour ceux qui croient, la force et la sagesse de Dieu.
26. "Qui nous écartera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre, (Marc. XVI. 3)." L'ouverture de mon esprit est fermée, Seigneur, la pierre de cette vie mortelle pèse lourdement sur mon intelligence, je suis surchargé du poids de mes iniquités, les forces humaines ne peuvent en aucune manière l'écarter, si votre parole toute-puissante, si l'ange du conseil ne viennent détruire cette muraille d'iniquité, et nous ouvrir le sens, afin que nous comprenions les Écritures et que nous voyons, placés devant nous, les linges, témoignages très-assurés de votre résurrection et du corps humain que nous avez pris.
Qui pourra, muni de votre secours, en sentir les réalités divines, goûtera par avance quelque chose de la gloire et de la résurrection que vous avez préparée pour ceux qui vous aiment et dont vous avez ramassé les prémices en votre sein, l'offrant sans relâche à votre Père, après l'avoir consumée par le feu du Saint-Esprit.
Et l'ange qui annonçait une joie si considérable, qui fit rouler la pierre, et effraya les méchants, défendit avec beaucoup de douceur aux saintes âmes de craindre ; cet ange, dis-je, rendit témoignage à la bienheureuse résurrection, non point seulement, par ses paroles, mais encore par son aspect, son habit et ses actes. Car il enleva la pierre et s'assit dessus, cette pierre qui est encore roulée sur nous, et écrase notre visage. Ce qui a lieu aussi, sans nul doute, dans la première résurrection qui est celle de l'âme, en sorte que, par un heureux retour, l’esprit s'assujettit ce fardeau d'iniquité, et prend en main, comme juge et maître, la conduite de son intérieur.
27. Que voir dans cette blancheur de neige, dans cette beauté des habits, sinon la chasteté froide et très pure de notre corps, qui rend hommage et soumission à la chasteté angélique qui règne en elle Or, son aspect intérieur, là où a été imprimée la lumière de votre visage, est terrible et brillant comme l'éclair : terrible, pour terrasser et effrayer les ennemis de l'âme, brillant, afin de se montrer toujours entouré de justice à vos yeux, ô vous qui êtes la véritable lumière.
Telle était la face de Moïse lorsqu'il venait de converser avec vous, elle était lumineuse et redoutable, munie de cornes pour combattre les adversaires, et entourée d'une splendeur que ne pouvaient supporter les yeux charnels. Et maintenant, Seigneur, nous savons, et nous nous en réjouissons, que vous êtes vraiment ressuscité d'entre les morts, et vous êtes grandement éloigné de nous autres, vivant encore dans cette région de mort, parce que vous êtes monté au ciel, sur vos chevaux de feu et sur votre char de flammes, multiple comme dix mille.
Cependant votre manteau est tombé vers nous, et est resté parmi nous jusqu'à ce jour, c'est-à-dire les linges de votre corps, qui nous font éprouver, dans le temps opportun, le secours de votre puissance, et produisent en nous votre double esprit qui est vous, et nous font aimer Dieu et le prochain. Les douleurs de la mort nous ont assaillis, et les torrents de l'iniquité nous ont ébranlés, le vêtement de notre mortalité nous a entourés, vêtement plein de vers qui me rongent constamment et ne dorment jamais, tourments avant-coureurs de cette extrême douleur qui vient sur nous, comme un guerrier armé, et qui s'efforce de nous anéantir, si nous ne sommes pas sur nos gardes.
Et même, quel est l'homme assez vigilant pour en soutenir la terreur? Cependant,que nous le voulions, que nous ne le voulions pas, il faut certainement la soutenir, il faut la traverser. Mais n'oubliez pas le manteau d'Élie : sans lui les eaux du torrent ne se partageront pas. Car il est d'autres torrents, torrents d'iniquités, l'océan de mes péchés, qui m'entraînent, et plût au ciel qu'il me troublassent de telle sorte, que je crierais avec douleur : « Mon père, mon père, ô char d'Israël et son conducteur (IV Reg. XIII. 14)».
Mais ils me troublent et me privent de la lumière de mes yeux, en sorte que je ne puis voir le très bon Élie, lorsqu'il est ravi à mon amour. Si je le voyais, assurément son double esprit viendrait sur moi et je crierais: « Mon Père, mon Père ! Dieu a envoyé, dit l'Apôtre, l'esprit de son Fils dans nos coeurs, esprit criant, Père (Gal. IV. 6) ! » Le double esprit crie deux fois : « Mon Père! mon Père. » O Père qui m'avez créé, ô Père qui m'avez recréé, ô mon Père, ô mon Père, ô cri plein d'affection ! Char d'Israël et son conducteur, qui portez et régissez, soutenez et gouvernez. Qui? Israël qui croit en vous, qui soupire après vous.
Voici que vous avez disparu, et votre Élisée ne vous verra plus. Il a gardé cependant en souvenir de votre manteau, afin que sa vue adoucisse en l'augmentant la douleur de votre absence, et l'augmente en l'adoucissant.
28. « Prenez ceci en mémoire de moi », dit le Sauveur (Luc. XXII. 19). C'est le sacrement de votre corps que nous prenons en souvenir de vous, jusqu'à ce que vous veniez. Votre manteau, c'est votre chair, dont vous vous êtes revêtu pour venir vers nous, en laquelle vous vous êtes caché aux méchants et vous vous êtes montré à vos amis fidèles jusqu'à ce jour. Sous ce manteau, se voile votre force, force prodigieuse, ô redoutable Samson; vous n'en avez pas dérobé en dernier lieu le secret, même à celle que vous aimiez sans qu'elle vous aimât, afin de la changer d'ennemie qu'elle était en amie. Cette femme qui ne vous aimait pas et qui vous poursuivait, vous l'avez chérie à un tel point que, pour son amour, votre sagesse devenait folie et votre force, faiblesse.
«Mais ce qui est insensé, selon Dieu, est plus sage, et ce qui est faible est plus fort que tous les hommes. (1 Cor. I. 25). » Parce qu'en vous sacrifiant vous-même aux yeux de votre Père, et en mourant par un effet de votre puissance, vous avez ébranlé les princes des ténèbres et brisé leur pouvoir, et votre croix est devenue un scandale pour les Juifs, une folie pour les gentils, mais, pour ceux qui croient, la force et la sagesse de Dieu.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE XIV. Les trois chefs de cinquante hommes envoyés à Élie, allégoriquement comparés à la capture des cent-cinquante poissons.
33. Élie se tenait sur le haut d'une montagne, et on lui envoie un premier capitaine de cinquante hommes qui est consumé par le feu, un second qui eut le même sort, et un troisième qui fut épargné à cause de son humilité et de son respect. Voilà un vase, mais vide, parce qu'ainsi envisagé, il sonne plutôt la cruauté. Qu'on le garnisse d'huile, et ce son rude s'arrêtera.
Quel est cet Élie se tenant sur la cime de la montagne, si ce n'est vous, Seigneur Jésus, qui êtes à côté de votre Père dans les hauteurs? Se présente à vous le premier chef que le monde désolé d'une grande sécheresse vous envoie; cet homme vous crie « Homme de Dieu, descends de la montagne
(I Rois. I. 9, traduction Vulgate). » Le monde connaît, en effet, qu'il ne peut être sauvé sans vous. Homme-Dieu, et Dieu-Homme, laissez-vous attendrir par l'homme que vous cherchez, et descendez vers lui. Descendez de la montagne. Nul ne peut approcher de vous, si vous ne vous approchez de lui ; nul ne peut s'élever vers vous, si vous ne descendez vers lui « Homme de Dieu descendez de la montagne. »
Vous êtes le mont élevé au dessus de tous les autres ayez compassion de nous et venez dans cette vallée de larmes. « Si je suis homme de Dieu, dit Élie, que le feu du ciel descende, etc.
Je suis venu porter le feu sur la terre (Luc. XII. 49). » Je veux qu'il s'enflamme, qu'il te dévore toi et tes cinquante hommes. Je vous en supplie, Seigneur, que ce feu tombe sur moi et qu'il consume en moi le vieil homme avec ses actes. Voilà le premier capitaine que brûle votre feu, et le fait s'abstenir de toute oeuvre servile.
Le second, c'est la vie active qui a un terme, et qui d'un sabbat, passe à un autre. Tous les jours votre flamme en fait un holocauste. Dans le premier cinquantenaire, le bouc est calciné, dans le second le bélier est brûlé. Le troisième, qui est celui de la résurrection ou de la contemplation, n'a pas de fin; avec Élie, il luit toujours. Aussi on lit dans l'Évangile un passage bien analogue concernant les cent cinquante trois poissons qui furent tous réduits en un seul que 7 disciples virent griller sur les charbons ardents, et qu'ils mangèrent avec Jésus, qui fut le huitième. (Joan. XXI. 9 traduction Vulgate).
34. Ce nombre lui-même de cent cinquante que forment les trois chefs des troupes de cinquante hommes et les sept disciples indique le repos dans la concorde, et chaque groupe de cinquante tend à l'unité, comme les sept disciples tendent à l'octave qui est Jésus-Christ, et tous se couronnent en un seul chiffre, or, de même que le Christ et tous les élus sont un corps, un pain, un homme ou un poisson, de même le démon avec tous les réprouvés est un seul corps, et un seul ennemi. « C'est un grand aigle aux grandes ailes etc. » (Ezech. XVII. 3).
« Un aigle » à cause de sa grande perspicacité d'oiseau ; « grand » à cause de la hauteur de son orgueil ; « aux grandes ailes » qui tiennent à lui et qui l'élèvent dans les airs, ce qui signifie les puissances des malins esprits, les pères des hommes, longtemps asservis aux membres, et dont le démon se sert pour combattre contre les bons. Longtemps asservis, parce qu'ils se montrent encore aujourd'hui, et subsistent jusqu'à la fin du siècle, suivant leur chef orgueilleux : plein de plumes, de toutes sortes d'habiletés pour tromper, et de bigarrures, pour qu'il donne aux mêmes artifices des formes variées pour séduire les âmes.
« Il viendra au Liban, non à l'âme séculière et blanchie par les mérites de la foi et de la bonne conduite. « Il a enlevé la moëlle du cèdre. » Cèdre incorruptible, hauteur de l'espérance, dont la charité est la moëlle, que le démon s'attache particulièrement à renverser. Il enlève le sommet de ses feuilles, c'est-à-dire qu'il éloigne de l'amour de Dieu les paroles de la sagesse qui sont excellentes, pour les transporter dans la terre de Sennaar, c'est-à-dire de la puanteur, ce qui indique la vaine gloire.
33. Élie se tenait sur le haut d'une montagne, et on lui envoie un premier capitaine de cinquante hommes qui est consumé par le feu, un second qui eut le même sort, et un troisième qui fut épargné à cause de son humilité et de son respect. Voilà un vase, mais vide, parce qu'ainsi envisagé, il sonne plutôt la cruauté. Qu'on le garnisse d'huile, et ce son rude s'arrêtera.
Quel est cet Élie se tenant sur la cime de la montagne, si ce n'est vous, Seigneur Jésus, qui êtes à côté de votre Père dans les hauteurs? Se présente à vous le premier chef que le monde désolé d'une grande sécheresse vous envoie; cet homme vous crie « Homme de Dieu, descends de la montagne
(I Rois. I. 9, traduction Vulgate). » Le monde connaît, en effet, qu'il ne peut être sauvé sans vous. Homme-Dieu, et Dieu-Homme, laissez-vous attendrir par l'homme que vous cherchez, et descendez vers lui. Descendez de la montagne. Nul ne peut approcher de vous, si vous ne vous approchez de lui ; nul ne peut s'élever vers vous, si vous ne descendez vers lui « Homme de Dieu descendez de la montagne. »
Vous êtes le mont élevé au dessus de tous les autres ayez compassion de nous et venez dans cette vallée de larmes. « Si je suis homme de Dieu, dit Élie, que le feu du ciel descende, etc.
Je suis venu porter le feu sur la terre (Luc. XII. 49). » Je veux qu'il s'enflamme, qu'il te dévore toi et tes cinquante hommes. Je vous en supplie, Seigneur, que ce feu tombe sur moi et qu'il consume en moi le vieil homme avec ses actes. Voilà le premier capitaine que brûle votre feu, et le fait s'abstenir de toute oeuvre servile.
Le second, c'est la vie active qui a un terme, et qui d'un sabbat, passe à un autre. Tous les jours votre flamme en fait un holocauste. Dans le premier cinquantenaire, le bouc est calciné, dans le second le bélier est brûlé. Le troisième, qui est celui de la résurrection ou de la contemplation, n'a pas de fin; avec Élie, il luit toujours. Aussi on lit dans l'Évangile un passage bien analogue concernant les cent cinquante trois poissons qui furent tous réduits en un seul que 7 disciples virent griller sur les charbons ardents, et qu'ils mangèrent avec Jésus, qui fut le huitième. (Joan. XXI. 9 traduction Vulgate).
34. Ce nombre lui-même de cent cinquante que forment les trois chefs des troupes de cinquante hommes et les sept disciples indique le repos dans la concorde, et chaque groupe de cinquante tend à l'unité, comme les sept disciples tendent à l'octave qui est Jésus-Christ, et tous se couronnent en un seul chiffre, or, de même que le Christ et tous les élus sont un corps, un pain, un homme ou un poisson, de même le démon avec tous les réprouvés est un seul corps, et un seul ennemi. « C'est un grand aigle aux grandes ailes etc. » (Ezech. XVII. 3).
« Un aigle » à cause de sa grande perspicacité d'oiseau ; « grand » à cause de la hauteur de son orgueil ; « aux grandes ailes » qui tiennent à lui et qui l'élèvent dans les airs, ce qui signifie les puissances des malins esprits, les pères des hommes, longtemps asservis aux membres, et dont le démon se sert pour combattre contre les bons. Longtemps asservis, parce qu'ils se montrent encore aujourd'hui, et subsistent jusqu'à la fin du siècle, suivant leur chef orgueilleux : plein de plumes, de toutes sortes d'habiletés pour tromper, et de bigarrures, pour qu'il donne aux mêmes artifices des formes variées pour séduire les âmes.
« Il viendra au Liban, non à l'âme séculière et blanchie par les mérites de la foi et de la bonne conduite. « Il a enlevé la moëlle du cèdre. » Cèdre incorruptible, hauteur de l'espérance, dont la charité est la moëlle, que le démon s'attache particulièrement à renverser. Il enlève le sommet de ses feuilles, c'est-à-dire qu'il éloigne de l'amour de Dieu les paroles de la sagesse qui sont excellentes, pour les transporter dans la terre de Sennaar, c'est-à-dire de la puanteur, ce qui indique la vaine gloire.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE XV. De la dévotion de Marie Madeleine pour aller à la recherche de Jésus-Christ, et de la vision qu'elle eut.
35. « En ce jour-là le Seigneur sifflera à la mouche qui est à l'extrémité des fleuves d'Égypte, et à l'abeille qui se trouve en la terre d'Assur (Isa. VII, 18.). » Sifflez aussi, Seigneur, à mon âme pécheresse, à cette mouche impure : que votre esprit bon la conduise par une voie droite, afin que j'aille à la terre promise, montueuse et élevée, qui est arrosée des eaux qui découlent de ses cimes et qui attend la pluie du ciel, à la différence de la terre d'Égypte qu'un fleuve, débordant de la terre, couvre dans toute son étendue.
Car il n'y a pas de montagne, il n'y a pas d'obstacle qui arrête les concupiscences de l'Égypte ; mais telles qu'elles bouillonnent d'un esprit terrestre, elles se répandent sans retard sur la surface abaissée de l'âme, pour l'inonder.
36. Le fleuve de l'Égypte a sept branches à son embouchure, qui viennent toutes d'une seule source, c'est-à-dire de l'orgueil. La dernière représente la luxure de la chair qui produit les mouches, toujours amies de ce qui est immonde: la grâce surabondante ne méprise pas ce petit animal, mais elle siffle et l'appelle de l'extrémité des fleuves et le réunit à l'abeille qui était dans la terre d'Assur, afin qu'ensemble, elles se reposent au bord des torrents qui coulent dans les vallées, dans les trous des pierres, dans tous les taillis et dans toutes les gorges.
L'abeille est vierge, mais tant qu'elle reste dans la terre d'Assur, c'est-à-dire de l'orgueil, elle ne peut produire le miel : dans la terre promise seule, coulent le lait et le miel. Donc, au souffle de la grâce, la mouche et l'abeille accourent, et se reposent ensemble dans les torrents des vallées. Au bord de ces torrents, ces animaux sont purifiés, l'abeille de la tache de l'orgueil, et la mouche de celle de la luxure. Les torrents des vallées sont la règle de l'humilité.
Pourquoi, les torrents ? Parce que si pour corriger les vices, on éprouve quelque tristesse et quelque fatigue, tout cela passe vite. Aussi « lorsque la femme enfante, elle ressent de la tristesse (Joan. XVI. 21). Le travail, en effet, se change en amour, l'ennui en désir, et l'amertume en douceur, et ainsi des torrents des vallées on va aux cavernes des rochers. Les pierres très-fermes et très-solides dans la foi sont les Pères en leurs souffrances, comme dans leurs modèles la mouche et l'abeille se reposent, semblables à des colombes qui y bâtissent leurs nids.
Aussi, leur main ne s'arrête pas, leur pied ne connaît pas le repos, mais constamment en fonction dans ce taillis de toutes sortes de biens, elles arrivent enfin aux ouvertures de la contemplation.
37. Ce sont là vos oeuvres, ô Seigneur Jésus, parce qu'elles sont extrêmement bonnes. C'est ainsi que vous avez sifflé en appelant Marie Madeleine, de qui vous avez chassé non pas un, mais sept fleuves. Voyez comment elle se reposa dans les torrents des vallées ; elle entra dans la salle où l'on mangeait, elle courut aux pieds de Jésus, et les arrosa d'un torrent de larmes : pour laver les pieds de son maître elle ne porte d'autre eau que celte que renferment ses yeux, pour linges. elle emploie ses cheveux. Et alors, quand son affection s'enflamme davantage, et, qu'inondée de larmes, ce sentiment, semblable à un charbon, s'échauffe plus fortement, vous verriez cette généreuse créature imprimer des baisers sans nombre et insatiables sur ces pieds sacrés; et vous sentiriez toute la maison embaumée de l'odeur du parfum répandu.
Que faisait-elle sinon se reposer dans les torrents des vallées, d'où sortaient des fleuves de grâces si nombreux et si abondants ? Aussi, après que beaucoup de péchés lui furent remis parce qu'elle avait beaucoup aimé, elle demeurait auprès de Jésus le long de ces rives débordantes; tandis que Marthe sa soeur se livrait à de occupations multipliées. Pourquoi faire mention de ce devoir d'ensevelissement du Seigneur qu'elle remplissait par avance, des pieds montant vers la tête pour l'oindre, lorsque le disciple, sépulcre fétide d'avarice, frémissait à sa vue, ne pouvant supporter le parfum qu'exhalait cette piété ? Le Christ mourant, un amour si ardent ne peut mourir avec lui: les hommes, c'est-à-dire les apôtres fuyaient et se cachaient, et cette femme intrépide se tenait auprès du tombeau et pleurait ; elle n'avait plus en vie celui qu'elle aimait, et mort, elle brûlait d'affection pour lui.
Le corps avait disparu, elle ne pouvait se retirer du sépulcre. Plus il était dérobé à ses yeux et à ses mains, plus son âme volait à sa recherche ; si cela avait été possible, par racheter ce corps sacré, elle aurait rempli le monument de ses larmes. « Elle se tenait debout et pleurait, » dit l’Écriture, c'est tout ce qui lui restait de vous. Le corps avait disparu, mais qui lui enlèvera le bonheur de pleurer ? Ne vous retenez pas, ô âme noble, pleurez sans vous reposer, jusqu'à ce que vous trouviez le Seigneur qui vous est ravi et qui est ressuscité.
Courbez-vous encore et encore, regardez bien souvent la place vide où avait été placé votre bien-aimé. Cet endroit vous excite toujours davantage à pleurer, en vous rappelant l'absence de celui que vous cherchez.
38. Elle vit, dit le texte sacré, « deux anges habillés de blanc et assis l'un à la tête, l'autre aux pieds, à l'endroit où avait été déposé le corps de Jésus. « Femme, pourquoi pleurez-vous, » lui disent-ils, « Qui cherchez-vous ? ( Jean XX. 11 ). » Vous saviez parfaitement, ô saints anges, pourquoi elle pleurait, et qui elle cherchait. Pourquoi, en lui rappelant ce souvenir, provoquez-vous encore ses larmes ?
Mais la joie d'une consolation inattendue était sur le point de se faire sentir, ainsi que toute la force de la douleur et de la tristesse se déploie. « En se retournant elle vit Jésus debout, et elle ne savait point que c'était Jésus. » O doux et délicieux spectacle de piété ! Celui que l'on cherche et que l'on désire, se cache et se montre. Il se cache pour être cherché avec plus d'ardeur, pour être trouvé avec plus de joie, pour être gardé avec plus de sollicitude, pour être retenu avec plus de force, jusqu'à ce qu'il soit introduit pour y rester dans la demeure de l'amour.
C'est ainsi que la sagesse joue dans l'univers, et ses délices sont de se trouver parmi les enfants des hommes. « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Vous tenez celui que vous cherchez, et vous ne le savez pas ? Vous avez ici la joie véritable et éternelle, et vous pleurez ? Vous possédez au dedans celui après qui vous courez au dehors. Véritablement, vous êtes au tombeau pleurant au dehors: votre esprit est mon sépulcre.
Je n'y suis pas mort, vivant je me repose à jamais : votre esprit est mon jardin. Vous avez eu raison de le penser, je suis jardinier. Je suis le second Adam, je travaille et je garde mon paradis. Vos fleurs sont votre piété, votre désir est mon travail vous m'avez au dedans de vous et vous ne le savez pas, Voilà pourquoi vous me cherchez au dehors. Voici que je me montrerai à l'extérieur pour vous ramener à l'intérieur et pour vous faire rencontrer au dedans ce que vous poursuivez au dehors. « Marie. » je vous connais par votre nom, apprenez à me connaître par la foi.
« Rabboni, c'est-à-dire maître, ce qui veut dire : apprenez-nous à vous chercher, enseignez-moi à vous toucher et à vous oindre. « Ne me touchez pas» comme un homme, comme jadis vous m'avez touché et oint comme mortel. « Je ne suis pas encore monté vers mon Père, » encore vous ne m'avez pas cru égal, coéternel et consubstantiel à lui. Croyez cette vérité et vous m'avez touché. Vous voyez un homme, ainsi vous ne croyez pas, attendu qu'on ne croit pas, ce que l'on voit.
Vous ne voyez pas la divinité, Croyez et vous la verrez. En croyant, vous me toucherez, comme cette femme qui toucha la frange de mon vêtement et fut guérie de suite. Pourquoi ? Parce que par sa foi elle me toucha. Touchez-moi de cette façon, cherchez-moi de ces regards, courant de ces pieds rapides vers moi; je ne suis pas éloigné de vous . Je suis un Dieu qui se rapproche, je suis la parole dans votre bouche et dans votre coeur. Quoi de plus proche pour l'homme que son coeur ? C'est là que me rencontrent tous ceux qui me trouvent, car tout ce qui se voit est du dehors. Ce sont mes oeuvres, mais oeuvres passagères, mais oeuvres caduques. C'est pourtant moi qui leur ai donné l'être, qui habite dans les coeurs très retirés et très pieux.
35. « En ce jour-là le Seigneur sifflera à la mouche qui est à l'extrémité des fleuves d'Égypte, et à l'abeille qui se trouve en la terre d'Assur (Isa. VII, 18.). » Sifflez aussi, Seigneur, à mon âme pécheresse, à cette mouche impure : que votre esprit bon la conduise par une voie droite, afin que j'aille à la terre promise, montueuse et élevée, qui est arrosée des eaux qui découlent de ses cimes et qui attend la pluie du ciel, à la différence de la terre d'Égypte qu'un fleuve, débordant de la terre, couvre dans toute son étendue.
Car il n'y a pas de montagne, il n'y a pas d'obstacle qui arrête les concupiscences de l'Égypte ; mais telles qu'elles bouillonnent d'un esprit terrestre, elles se répandent sans retard sur la surface abaissée de l'âme, pour l'inonder.
36. Le fleuve de l'Égypte a sept branches à son embouchure, qui viennent toutes d'une seule source, c'est-à-dire de l'orgueil. La dernière représente la luxure de la chair qui produit les mouches, toujours amies de ce qui est immonde: la grâce surabondante ne méprise pas ce petit animal, mais elle siffle et l'appelle de l'extrémité des fleuves et le réunit à l'abeille qui était dans la terre d'Assur, afin qu'ensemble, elles se reposent au bord des torrents qui coulent dans les vallées, dans les trous des pierres, dans tous les taillis et dans toutes les gorges.
L'abeille est vierge, mais tant qu'elle reste dans la terre d'Assur, c'est-à-dire de l'orgueil, elle ne peut produire le miel : dans la terre promise seule, coulent le lait et le miel. Donc, au souffle de la grâce, la mouche et l'abeille accourent, et se reposent ensemble dans les torrents des vallées. Au bord de ces torrents, ces animaux sont purifiés, l'abeille de la tache de l'orgueil, et la mouche de celle de la luxure. Les torrents des vallées sont la règle de l'humilité.
Pourquoi, les torrents ? Parce que si pour corriger les vices, on éprouve quelque tristesse et quelque fatigue, tout cela passe vite. Aussi « lorsque la femme enfante, elle ressent de la tristesse (Joan. XVI. 21). Le travail, en effet, se change en amour, l'ennui en désir, et l'amertume en douceur, et ainsi des torrents des vallées on va aux cavernes des rochers. Les pierres très-fermes et très-solides dans la foi sont les Pères en leurs souffrances, comme dans leurs modèles la mouche et l'abeille se reposent, semblables à des colombes qui y bâtissent leurs nids.
Aussi, leur main ne s'arrête pas, leur pied ne connaît pas le repos, mais constamment en fonction dans ce taillis de toutes sortes de biens, elles arrivent enfin aux ouvertures de la contemplation.
37. Ce sont là vos oeuvres, ô Seigneur Jésus, parce qu'elles sont extrêmement bonnes. C'est ainsi que vous avez sifflé en appelant Marie Madeleine, de qui vous avez chassé non pas un, mais sept fleuves. Voyez comment elle se reposa dans les torrents des vallées ; elle entra dans la salle où l'on mangeait, elle courut aux pieds de Jésus, et les arrosa d'un torrent de larmes : pour laver les pieds de son maître elle ne porte d'autre eau que celte que renferment ses yeux, pour linges. elle emploie ses cheveux. Et alors, quand son affection s'enflamme davantage, et, qu'inondée de larmes, ce sentiment, semblable à un charbon, s'échauffe plus fortement, vous verriez cette généreuse créature imprimer des baisers sans nombre et insatiables sur ces pieds sacrés; et vous sentiriez toute la maison embaumée de l'odeur du parfum répandu.
Que faisait-elle sinon se reposer dans les torrents des vallées, d'où sortaient des fleuves de grâces si nombreux et si abondants ? Aussi, après que beaucoup de péchés lui furent remis parce qu'elle avait beaucoup aimé, elle demeurait auprès de Jésus le long de ces rives débordantes; tandis que Marthe sa soeur se livrait à de occupations multipliées. Pourquoi faire mention de ce devoir d'ensevelissement du Seigneur qu'elle remplissait par avance, des pieds montant vers la tête pour l'oindre, lorsque le disciple, sépulcre fétide d'avarice, frémissait à sa vue, ne pouvant supporter le parfum qu'exhalait cette piété ? Le Christ mourant, un amour si ardent ne peut mourir avec lui: les hommes, c'est-à-dire les apôtres fuyaient et se cachaient, et cette femme intrépide se tenait auprès du tombeau et pleurait ; elle n'avait plus en vie celui qu'elle aimait, et mort, elle brûlait d'affection pour lui.
Le corps avait disparu, elle ne pouvait se retirer du sépulcre. Plus il était dérobé à ses yeux et à ses mains, plus son âme volait à sa recherche ; si cela avait été possible, par racheter ce corps sacré, elle aurait rempli le monument de ses larmes. « Elle se tenait debout et pleurait, » dit l’Écriture, c'est tout ce qui lui restait de vous. Le corps avait disparu, mais qui lui enlèvera le bonheur de pleurer ? Ne vous retenez pas, ô âme noble, pleurez sans vous reposer, jusqu'à ce que vous trouviez le Seigneur qui vous est ravi et qui est ressuscité.
Courbez-vous encore et encore, regardez bien souvent la place vide où avait été placé votre bien-aimé. Cet endroit vous excite toujours davantage à pleurer, en vous rappelant l'absence de celui que vous cherchez.
38. Elle vit, dit le texte sacré, « deux anges habillés de blanc et assis l'un à la tête, l'autre aux pieds, à l'endroit où avait été déposé le corps de Jésus. « Femme, pourquoi pleurez-vous, » lui disent-ils, « Qui cherchez-vous ? ( Jean XX. 11 ). » Vous saviez parfaitement, ô saints anges, pourquoi elle pleurait, et qui elle cherchait. Pourquoi, en lui rappelant ce souvenir, provoquez-vous encore ses larmes ?
Mais la joie d'une consolation inattendue était sur le point de se faire sentir, ainsi que toute la force de la douleur et de la tristesse se déploie. « En se retournant elle vit Jésus debout, et elle ne savait point que c'était Jésus. » O doux et délicieux spectacle de piété ! Celui que l'on cherche et que l'on désire, se cache et se montre. Il se cache pour être cherché avec plus d'ardeur, pour être trouvé avec plus de joie, pour être gardé avec plus de sollicitude, pour être retenu avec plus de force, jusqu'à ce qu'il soit introduit pour y rester dans la demeure de l'amour.
C'est ainsi que la sagesse joue dans l'univers, et ses délices sont de se trouver parmi les enfants des hommes. « Femme, pourquoi pleurez-vous ? Qui cherchez-vous ? » Vous tenez celui que vous cherchez, et vous ne le savez pas ? Vous avez ici la joie véritable et éternelle, et vous pleurez ? Vous possédez au dedans celui après qui vous courez au dehors. Véritablement, vous êtes au tombeau pleurant au dehors: votre esprit est mon sépulcre.
Je n'y suis pas mort, vivant je me repose à jamais : votre esprit est mon jardin. Vous avez eu raison de le penser, je suis jardinier. Je suis le second Adam, je travaille et je garde mon paradis. Vos fleurs sont votre piété, votre désir est mon travail vous m'avez au dedans de vous et vous ne le savez pas, Voilà pourquoi vous me cherchez au dehors. Voici que je me montrerai à l'extérieur pour vous ramener à l'intérieur et pour vous faire rencontrer au dedans ce que vous poursuivez au dehors. « Marie. » je vous connais par votre nom, apprenez à me connaître par la foi.
« Rabboni, c'est-à-dire maître, ce qui veut dire : apprenez-nous à vous chercher, enseignez-moi à vous toucher et à vous oindre. « Ne me touchez pas» comme un homme, comme jadis vous m'avez touché et oint comme mortel. « Je ne suis pas encore monté vers mon Père, » encore vous ne m'avez pas cru égal, coéternel et consubstantiel à lui. Croyez cette vérité et vous m'avez touché. Vous voyez un homme, ainsi vous ne croyez pas, attendu qu'on ne croit pas, ce que l'on voit.
Vous ne voyez pas la divinité, Croyez et vous la verrez. En croyant, vous me toucherez, comme cette femme qui toucha la frange de mon vêtement et fut guérie de suite. Pourquoi ? Parce que par sa foi elle me toucha. Touchez-moi de cette façon, cherchez-moi de ces regards, courant de ces pieds rapides vers moi; je ne suis pas éloigné de vous . Je suis un Dieu qui se rapproche, je suis la parole dans votre bouche et dans votre coeur. Quoi de plus proche pour l'homme que son coeur ? C'est là que me rencontrent tous ceux qui me trouvent, car tout ce qui se voit est du dehors. Ce sont mes oeuvres, mais oeuvres passagères, mais oeuvres caduques. C'est pourtant moi qui leur ai donné l'être, qui habite dans les coeurs très retirés et très pieux.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE XVI. Pieuse élévation vers Jésus-Christ pour obtenir les vertus.
39. Toute puissance vous a été donnée, Seigneur Jésus, au ciel et sur la terre, grand roi, roi des vertus, parce que vous avez été obéissant à la volonté de votre Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Voici que votre majesté a été élevée au dessus des cieux, et que tout a été mis sous vos pieds.
David, à Hébron, a régné d'abord sept ans sur Juda et ensuite il a été oint roi de tout Israël et il a occupé le trône trente-trois ans. O véritable David, lorsque vous étiez oint à Hébron, comme roi de Juda seulement, Saül, le roi de l'orgueil était déjà mort parmi eux, sans quoi si le péché vivait et dominait sur leurs âmes, ils ne vous diraient pas : « vous êtes notre bouche et notre chair. » Qui peut être à la fois membre de Jésus-Christ et membre d'une prostituée? Quelle relation existe-t-il entre Jésus et Bélial ? « Voici, disaient-ils, que nous sommes votre bouche et votre chair, » Mais hier et avant-hier, lorsque Saül était notre roi : vous supportiez avec grande patience des vases de colère propres à être brisés, et vous marchiez à notre tête, nous excitant à la guerre contre nos vices, vous nous délivriez de l'asservissement, indigne de nous, qui nous faisait les esclaves des pécheurs.
Aussi Juda, le premier, qui veut dire confession, vous oint pour roi dans Hébron, à la mort de Saül; il se souvient de vos bienfaits, et, avouant son erreur, il passe de ces péchés vers vous, ô roi de justice. Vous régnez sept ans sur Juda dans Hébron, parce que vous leur rendez sept fois plus, et, après les avoir purifiés des sept vices que commandait Saül, vous les réformez par le sépulcre, don de vos vertus.
Ensuite, votre royauté s'établit à Jérusalem et s'étend sur tout Israël, parce qu’après la confession les gens étant éclairés, on arrive à la vision de la paix, où vous avez votre demeure. C'est la montagne que vous avez indiquée à vos disciples, leur faisant dire de se rendre en Galilée pour vous y voir et vous y adorer après votre résurrection : parce que Dieu, votre Dieu vous avait déjà parfuma par dessus tous vos compagnons de l'onction de l'allégresse, pour être le premier né des morts et le premier des roi de la terre.
40. Or, vous régnez à Jérusalem trente-trois ans. Le nombre trente renferme trois décades, une décade représente la loi qui est composée de dix préceptes,et ce nombre, trois fois répété, marque le triple progrès de l’âme qui observe la volonté du Seigneur, en vivant, en méditant et en l'aimant.
Du premier progrès il est dit. « Je louerai mon Dieu durant ma vie (Ps. XLV. 4). «Du second : » Votre loi est le sujet de ma méditation. «Du troisième,» combien j'ai aimé votre loi, Seigneur (Ps. XVIII. 97 ) !»
Les trois unités qui sont au dessus de trente indiquent quelques contemplatifs excellents, qui, par la pureté de la conscience, par la plénitude de la sagesse et la perfection de la charité, se rapprochent davantage de la souveraine Trinité. C'est là aussi le nombre des vaillants qui sont dans votre armée, ô très-puissant guerrier, dont néanmoins les plus remarquables n'atteignent ni à votre sagesse, ni à votre force, « car qui sera l'égal du Seigneur dans les nuages, qui sera semblable à Dieu parmi les enfants de Dieu?) » Vous êtes ce tendre petit ver, né virginalement dans le bois; par votre humilité et votre charité vous triomphez de toute dureté; chef de la milice, dans un seul mouvement impétueux de votre esprit, vous tuez huit cent ennemis. Qui est fort comme vous, miséricordieux comme vous, qui avez pleuré sur Jérusalem, et avez été dans le deuil en voyant tomber ceux qui vous combattaient.
Et maintenant vous vous lamentez sur Saül et sur Jonathan son fils, qui meurent tous les jours, sur les monts Gelboë. Si vous ne souffriez pas, vous ne crieriez point du haut du ciel : » Saul, Saul pourquoi me persécutes-tu ( 1 Rois. IX. 4 ) Que représente Saul, sinon les prélats orgueilleux dans votre Église, qui croient dominer de toutes les épaules et de toute la tête le reste du peuple ?
Que représente Jonathan, sinon ces jeunes gens dociles et à l'esprit orné, qui, dépravés par les exemples et les discours des anciens, ne peuvent se livrer avec David aux élans de leur amitié qu'en cachette, et qu'en se défiant des pièges de ceux qui les attaquent et les tournent en dérision.
41. C'est donc avec raison, ô bon David, que vous pleurez sur Saül et sur Jonathan son fils : ils ne seraient pas à pleurer, s'ils devaient succomber avec gloire : mais ils sont morts sur les montagnes de Gelboë, qui vont en descendant dans les profondeurs; la rosée de la grâce, la pluie de la doctrine ne viendront plus sur leurs cimes, parce que le bouclier des forts y a été, jeté, le bouclier de Saül.
L'espoir en la protection divine est le bouclier des forts ; c'est par son moyen qu'on repousse les traits enflammés du Démon, traits dont Saül fut gravement blessé, au point qu'il se tua de désespoir. Le bouclier de Saül, c'est la confiance en sa propre vertu, il ne peut résister aux coups des incirconcis. « Malheur à ceux qui ont perdu la force de résister. (Ecc. II, 16). » Voilà le bouclier des vaillants, « et maudit celui qui place son espoir dans l'homme (Jérém. XVII. 5) »
Voilà celui de Saül. Il sera comme les bruyères dans le désert, parce que ni la rosée, ni la pluie ne viendront sur vous, ô montagnes de Gelboë. Comment les forts sont-ils tombés ? Car, s'ils étaient forts, comment sont-ils tombés ? et s'ils sont tombés, étaient-ils forts? Que le sage ne se glorifie pas en sa sagesse, ni le vaillant en sa vaillance, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur; que celui qui est debout, veille pour ne point tomber.
Fussent-ils plus rapides que des aigles, volant dans la promptitude de leur intelligence au dessus des contemplatifs ; fussent-ils plus forts que des lions, surpassant, par la force de leurs travaux, les véritables prédicateurs, si, présumant d'eux-mêmes , ils laissent s'échapper de leurs bras le bouclier du salut, ils tomberont devant leurs ennemis.
Quant à celui qui met sa confiance dans le Seigneur, semblable au mont Sion, rien ne l'ébranlera jamais. Mais Saül aimera mieux tomber sur sa lance que de s'appuyer sur le Seigneur : aussi le roseau de l'Égypte lui perça la main. Son javelot, son conducteur, qui conduisait le char de son arrogance, lui donna la mort. «Je savais, » dit-il, « qu'il ne pouvait pas vivre (II Rois. I, 10) ; l'obstination de l'orgueilleux ne sait pas s'humilier, afin de pouvoir vivre.
Ordonnez, ô roi, très équitable David, ordonnez à votre serviteur, c'est-à-dire à l'esprit de pure discrétion, de faire périr cet Amalécite porteur des armes de Saül, qui ose encore chaque jour mettre la main sur le Christ du Seigneur.
39. Toute puissance vous a été donnée, Seigneur Jésus, au ciel et sur la terre, grand roi, roi des vertus, parce que vous avez été obéissant à la volonté de votre Père jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Voici que votre majesté a été élevée au dessus des cieux, et que tout a été mis sous vos pieds.
David, à Hébron, a régné d'abord sept ans sur Juda et ensuite il a été oint roi de tout Israël et il a occupé le trône trente-trois ans. O véritable David, lorsque vous étiez oint à Hébron, comme roi de Juda seulement, Saül, le roi de l'orgueil était déjà mort parmi eux, sans quoi si le péché vivait et dominait sur leurs âmes, ils ne vous diraient pas : « vous êtes notre bouche et notre chair. » Qui peut être à la fois membre de Jésus-Christ et membre d'une prostituée? Quelle relation existe-t-il entre Jésus et Bélial ? « Voici, disaient-ils, que nous sommes votre bouche et votre chair, » Mais hier et avant-hier, lorsque Saül était notre roi : vous supportiez avec grande patience des vases de colère propres à être brisés, et vous marchiez à notre tête, nous excitant à la guerre contre nos vices, vous nous délivriez de l'asservissement, indigne de nous, qui nous faisait les esclaves des pécheurs.
Aussi Juda, le premier, qui veut dire confession, vous oint pour roi dans Hébron, à la mort de Saül; il se souvient de vos bienfaits, et, avouant son erreur, il passe de ces péchés vers vous, ô roi de justice. Vous régnez sept ans sur Juda dans Hébron, parce que vous leur rendez sept fois plus, et, après les avoir purifiés des sept vices que commandait Saül, vous les réformez par le sépulcre, don de vos vertus.
Ensuite, votre royauté s'établit à Jérusalem et s'étend sur tout Israël, parce qu’après la confession les gens étant éclairés, on arrive à la vision de la paix, où vous avez votre demeure. C'est la montagne que vous avez indiquée à vos disciples, leur faisant dire de se rendre en Galilée pour vous y voir et vous y adorer après votre résurrection : parce que Dieu, votre Dieu vous avait déjà parfuma par dessus tous vos compagnons de l'onction de l'allégresse, pour être le premier né des morts et le premier des roi de la terre.
40. Or, vous régnez à Jérusalem trente-trois ans. Le nombre trente renferme trois décades, une décade représente la loi qui est composée de dix préceptes,et ce nombre, trois fois répété, marque le triple progrès de l’âme qui observe la volonté du Seigneur, en vivant, en méditant et en l'aimant.
Du premier progrès il est dit. « Je louerai mon Dieu durant ma vie (Ps. XLV. 4). «Du second : » Votre loi est le sujet de ma méditation. «Du troisième,» combien j'ai aimé votre loi, Seigneur (Ps. XVIII. 97 ) !»
Les trois unités qui sont au dessus de trente indiquent quelques contemplatifs excellents, qui, par la pureté de la conscience, par la plénitude de la sagesse et la perfection de la charité, se rapprochent davantage de la souveraine Trinité. C'est là aussi le nombre des vaillants qui sont dans votre armée, ô très-puissant guerrier, dont néanmoins les plus remarquables n'atteignent ni à votre sagesse, ni à votre force, « car qui sera l'égal du Seigneur dans les nuages, qui sera semblable à Dieu parmi les enfants de Dieu?) » Vous êtes ce tendre petit ver, né virginalement dans le bois; par votre humilité et votre charité vous triomphez de toute dureté; chef de la milice, dans un seul mouvement impétueux de votre esprit, vous tuez huit cent ennemis. Qui est fort comme vous, miséricordieux comme vous, qui avez pleuré sur Jérusalem, et avez été dans le deuil en voyant tomber ceux qui vous combattaient.
Et maintenant vous vous lamentez sur Saül et sur Jonathan son fils, qui meurent tous les jours, sur les monts Gelboë. Si vous ne souffriez pas, vous ne crieriez point du haut du ciel : » Saul, Saul pourquoi me persécutes-tu ( 1 Rois. IX. 4 ) Que représente Saul, sinon les prélats orgueilleux dans votre Église, qui croient dominer de toutes les épaules et de toute la tête le reste du peuple ?
Que représente Jonathan, sinon ces jeunes gens dociles et à l'esprit orné, qui, dépravés par les exemples et les discours des anciens, ne peuvent se livrer avec David aux élans de leur amitié qu'en cachette, et qu'en se défiant des pièges de ceux qui les attaquent et les tournent en dérision.
41. C'est donc avec raison, ô bon David, que vous pleurez sur Saül et sur Jonathan son fils : ils ne seraient pas à pleurer, s'ils devaient succomber avec gloire : mais ils sont morts sur les montagnes de Gelboë, qui vont en descendant dans les profondeurs; la rosée de la grâce, la pluie de la doctrine ne viendront plus sur leurs cimes, parce que le bouclier des forts y a été, jeté, le bouclier de Saül.
L'espoir en la protection divine est le bouclier des forts ; c'est par son moyen qu'on repousse les traits enflammés du Démon, traits dont Saül fut gravement blessé, au point qu'il se tua de désespoir. Le bouclier de Saül, c'est la confiance en sa propre vertu, il ne peut résister aux coups des incirconcis. « Malheur à ceux qui ont perdu la force de résister. (Ecc. II, 16). » Voilà le bouclier des vaillants, « et maudit celui qui place son espoir dans l'homme (Jérém. XVII. 5) »
Voilà celui de Saül. Il sera comme les bruyères dans le désert, parce que ni la rosée, ni la pluie ne viendront sur vous, ô montagnes de Gelboë. Comment les forts sont-ils tombés ? Car, s'ils étaient forts, comment sont-ils tombés ? et s'ils sont tombés, étaient-ils forts? Que le sage ne se glorifie pas en sa sagesse, ni le vaillant en sa vaillance, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur; que celui qui est debout, veille pour ne point tomber.
Fussent-ils plus rapides que des aigles, volant dans la promptitude de leur intelligence au dessus des contemplatifs ; fussent-ils plus forts que des lions, surpassant, par la force de leurs travaux, les véritables prédicateurs, si, présumant d'eux-mêmes , ils laissent s'échapper de leurs bras le bouclier du salut, ils tomberont devant leurs ennemis.
Quant à celui qui met sa confiance dans le Seigneur, semblable au mont Sion, rien ne l'ébranlera jamais. Mais Saül aimera mieux tomber sur sa lance que de s'appuyer sur le Seigneur : aussi le roseau de l'Égypte lui perça la main. Son javelot, son conducteur, qui conduisait le char de son arrogance, lui donna la mort. «Je savais, » dit-il, « qu'il ne pouvait pas vivre (II Rois. I, 10) ; l'obstination de l'orgueilleux ne sait pas s'humilier, afin de pouvoir vivre.
Ordonnez, ô roi, très équitable David, ordonnez à votre serviteur, c'est-à-dire à l'esprit de pure discrétion, de faire périr cet Amalécite porteur des armes de Saül, qui ose encore chaque jour mettre la main sur le Christ du Seigneur.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
Les purifications passives ou les épreuves intérieures (source: Fraternité Saint-Pierre)
Sommaire
1 Introduction
2 La purification passive des sens
2.1 La nécessité de cette purification
2.2 Description psychologique de la purification passive des sens
2.3 Comment expliquer cet état, quelle est sa cause ?
Introduction
En parlant de la mortification ou purification active que nous devons nous imposer à nous-mêmes, nous avons dit qu’elle est nécessaire pour quatre grands motifs principaux :
1° pour corriger ce qu’il y a de déréglé dans les suites du péché originel qui subsistent dans le baptisé,
2° pour détruire les suites de nos péchés personnels et réparer l’offense faite à Dieu,
3° pour empêcher notre « activité naturelle » de s’égarer en se développant au détriment de la vie de la grâce, et en perdant de vue l’élévation infinie de notre fin surnaturelle,
4° enfin pour imiter Jésus crucifié et travailler avec lui au salut des âmes.
Ce quatrième motif nous est indiqué par Notre-Seigneur lui-même, lorsqu’il nous dit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix chaque jour et me suive» Saint Luc, en rapportant ces paroles, remarque que Jésus, en les disant, « s’adressait à tous ».
Il ne suffit pas en effet de se mortifier soi-même, il faut encore patiemment porter la croix que Dieu nous envoie, pour nous purifier, pour nous marquer à l’effigie du Sauveur et continuer en un sens, avec Lui, par Lui et en Lui, le mystère de la rédemption, qui dure jusqu’à la fin des temps.
Ce que le langage chrétien appelle la croix par analogie avec les souffrances et la mort de Notre-Seigneur, ce sont les peines quotidiennes physiques et morales qui naissent de nos rapports avec le monde extérieur et avec nos semblables, mais surtout ce sont les souffrances plus directement envoyées par Dieu, pour nous rendre plus semblables au Christ Jésus, qui dut être « obéissant jusqu’à la mort de la Croix » pour le rachat de l’humanité.
« Sicut mandatum dedit mihi Pater, sic facio. J’agis selon le commandement que mon Père m’a donné » (Jean, XIV, 31). C’est jusque-là que tout chrétien, chacun selon sa condition, doit suivre le divin Maître.
La nécessité de la croix s’impose en effet à nous pour deux raisons principales. La première, c’est que nous portons en nous les racines d’un mal souvent plus profond que nous ne pensons, et nous ne savons pas assez où se trouvent en nous ces germes de mort.
Même lorsque nous nous sommes modifiés et avons fait de sérieux efforts pour être réguliers et fervents, il reste en nous beaucoup de défauts inconscients, qui sont autant de formes de l’égoïsme dans les choses mêmes de la piété, de l’étude, de l’apostolat : empressement naturel, sensualité spirituelle, orgueil spirituel ou intellectuel, jugement propre, volonté propre, qui empêchent le règne de Dieu de s’établir profondément en nous et qui nous éloignent de l’union divine.
Quelle distance entre la régularité même accompagnée d’une certaine ferveur et la véritable sainteté ! Cette distance est comblée par la croix patiemment portée par amour. Le Seigneur sait mieux que nous où est notre mal ; il nous envoie des messagers, qui viennent nous dire, pas toujours très charitablement, nos vérités et nous toucher au point le plus délicat.
Il vient lui-même, lorsqu’il est nécessaire, porter le fer et le feu dans nos plaies, pour arracher ou brûler les principes de corruption qui nous empêchent d’être la vivante image de son Fils.
La deuxième raison, pour laquelle la croix s’impose à nous, a un rapport plus intime encore avec nos deux grands modèles : Jésus et Marie n’avaient pas besoin d’être purifiés, mais ils durent souffrir pour notre rédemption.
En cela encore il faut les imiter. Dans la mesure où nous devenons plus intimement unis à Notre-Seigneur, nous devons lui être associés dans son œuvre rédemptrice, et le principal moyen dont il s’est servi lui-même pour racheter le monde, c’est la Croix, manifestation suprême de son amour pour son Père et pour nous.
Par suite, et la vie de tous les saints nous le montre, la nécessité de la croix est proportionnelle à la purification dont les âmes ont besoin et au degré d’union au Christ Jésus, de vie apostolique et réparatrice, auquel Dieu veut efficacement les conduire.
Certaines âmes, restées parfaitement innocentes depuis l’enfance, ont moins besoin de purification ; d’autres, quoique déjà très pures, vivent au milieu de souffrances presque continuelles, parce que Notre-Seigneur les appelle à une perfection incomparablement plus haute que celle dont se contentent beaucoup de chrétiens facilement satisfaits.
Plus Dieu nous aime, plus les croix qu’il nous envoie sont pesantes et plus elles ressemblent à celle du Christ Jésus et de sa sainte Mère.
Pour porter patiemment sa croix, il faut en avoir l’intelligence, voir où elle tend ; il faut la porter en lumière, par amour pour Notre-Seigneur. Pour cela il convient de connaître les différentes manières dont Dieu éprouve généralement les âmes.
Il y a les croix qui ont pour but de purifier notre sensibilité, de la soumettre à l’esprit : elles sont fréquentes, communes à beaucoup, surtout aux commençants.
Puis il y a les croix de l’esprit, qui ont pour but de le surnaturaliser de plus en plus, de le soumettre pleinement à Dieu : elles sont le partage du petit nombre, des âmes déjà avancées.
Il convient de parler de ces deux genres d’épreuves, appelées souvent par les auteurs spirituels purifications passives des sens et purifications passives de l’esprit, de déterminer ce qu’il y a en chacune d’essentiel et quelles sont les épreuves concomitantes.
On verra ainsi pourquoi cette double purification passive est nécessaire, pour arriver à la pleine perfection de la vie chrétienne.
Sommaire
1 Introduction
2 La purification passive des sens
2.1 La nécessité de cette purification
2.2 Description psychologique de la purification passive des sens
2.3 Comment expliquer cet état, quelle est sa cause ?
Introduction
En parlant de la mortification ou purification active que nous devons nous imposer à nous-mêmes, nous avons dit qu’elle est nécessaire pour quatre grands motifs principaux :
1° pour corriger ce qu’il y a de déréglé dans les suites du péché originel qui subsistent dans le baptisé,
2° pour détruire les suites de nos péchés personnels et réparer l’offense faite à Dieu,
3° pour empêcher notre « activité naturelle » de s’égarer en se développant au détriment de la vie de la grâce, et en perdant de vue l’élévation infinie de notre fin surnaturelle,
4° enfin pour imiter Jésus crucifié et travailler avec lui au salut des âmes.
Ce quatrième motif nous est indiqué par Notre-Seigneur lui-même, lorsqu’il nous dit : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il se renonce lui-même, qu’il porte sa croix chaque jour et me suive» Saint Luc, en rapportant ces paroles, remarque que Jésus, en les disant, « s’adressait à tous ».
Il ne suffit pas en effet de se mortifier soi-même, il faut encore patiemment porter la croix que Dieu nous envoie, pour nous purifier, pour nous marquer à l’effigie du Sauveur et continuer en un sens, avec Lui, par Lui et en Lui, le mystère de la rédemption, qui dure jusqu’à la fin des temps.
Ce que le langage chrétien appelle la croix par analogie avec les souffrances et la mort de Notre-Seigneur, ce sont les peines quotidiennes physiques et morales qui naissent de nos rapports avec le monde extérieur et avec nos semblables, mais surtout ce sont les souffrances plus directement envoyées par Dieu, pour nous rendre plus semblables au Christ Jésus, qui dut être « obéissant jusqu’à la mort de la Croix » pour le rachat de l’humanité.
« Sicut mandatum dedit mihi Pater, sic facio. J’agis selon le commandement que mon Père m’a donné » (Jean, XIV, 31). C’est jusque-là que tout chrétien, chacun selon sa condition, doit suivre le divin Maître.
La nécessité de la croix s’impose en effet à nous pour deux raisons principales. La première, c’est que nous portons en nous les racines d’un mal souvent plus profond que nous ne pensons, et nous ne savons pas assez où se trouvent en nous ces germes de mort.
Même lorsque nous nous sommes modifiés et avons fait de sérieux efforts pour être réguliers et fervents, il reste en nous beaucoup de défauts inconscients, qui sont autant de formes de l’égoïsme dans les choses mêmes de la piété, de l’étude, de l’apostolat : empressement naturel, sensualité spirituelle, orgueil spirituel ou intellectuel, jugement propre, volonté propre, qui empêchent le règne de Dieu de s’établir profondément en nous et qui nous éloignent de l’union divine.
Quelle distance entre la régularité même accompagnée d’une certaine ferveur et la véritable sainteté ! Cette distance est comblée par la croix patiemment portée par amour. Le Seigneur sait mieux que nous où est notre mal ; il nous envoie des messagers, qui viennent nous dire, pas toujours très charitablement, nos vérités et nous toucher au point le plus délicat.
Il vient lui-même, lorsqu’il est nécessaire, porter le fer et le feu dans nos plaies, pour arracher ou brûler les principes de corruption qui nous empêchent d’être la vivante image de son Fils.
La deuxième raison, pour laquelle la croix s’impose à nous, a un rapport plus intime encore avec nos deux grands modèles : Jésus et Marie n’avaient pas besoin d’être purifiés, mais ils durent souffrir pour notre rédemption.
En cela encore il faut les imiter. Dans la mesure où nous devenons plus intimement unis à Notre-Seigneur, nous devons lui être associés dans son œuvre rédemptrice, et le principal moyen dont il s’est servi lui-même pour racheter le monde, c’est la Croix, manifestation suprême de son amour pour son Père et pour nous.
Par suite, et la vie de tous les saints nous le montre, la nécessité de la croix est proportionnelle à la purification dont les âmes ont besoin et au degré d’union au Christ Jésus, de vie apostolique et réparatrice, auquel Dieu veut efficacement les conduire.
Certaines âmes, restées parfaitement innocentes depuis l’enfance, ont moins besoin de purification ; d’autres, quoique déjà très pures, vivent au milieu de souffrances presque continuelles, parce que Notre-Seigneur les appelle à une perfection incomparablement plus haute que celle dont se contentent beaucoup de chrétiens facilement satisfaits.
Plus Dieu nous aime, plus les croix qu’il nous envoie sont pesantes et plus elles ressemblent à celle du Christ Jésus et de sa sainte Mère.
Pour porter patiemment sa croix, il faut en avoir l’intelligence, voir où elle tend ; il faut la porter en lumière, par amour pour Notre-Seigneur. Pour cela il convient de connaître les différentes manières dont Dieu éprouve généralement les âmes.
Il y a les croix qui ont pour but de purifier notre sensibilité, de la soumettre à l’esprit : elles sont fréquentes, communes à beaucoup, surtout aux commençants.
Puis il y a les croix de l’esprit, qui ont pour but de le surnaturaliser de plus en plus, de le soumettre pleinement à Dieu : elles sont le partage du petit nombre, des âmes déjà avancées.
Il convient de parler de ces deux genres d’épreuves, appelées souvent par les auteurs spirituels purifications passives des sens et purifications passives de l’esprit, de déterminer ce qu’il y a en chacune d’essentiel et quelles sont les épreuves concomitantes.
On verra ainsi pourquoi cette double purification passive est nécessaire, pour arriver à la pleine perfection de la vie chrétienne.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
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Re: Enseignements de l'Église
La purification passive des sens
Pour procéder avec ordre dans l’étude de ce sujet, nous verrons
1° la nécessité de cette purification
2° sa description psychologique
3° son explication théologique par les causes qui la produisent
4° les règles de direction appropriées à cet état
5° les autres épreuves qui assez généralement l’accompagnent
6° enfin à quel moment cette purification passive des sens se produit-elle normalement ? Est-ce à l’entrée de la voie illuminative ou notablement plus tard ?
La nécessité de cette purification
La nécessité de cette purification
Cette nécessité s’impose, comme le montre saint Jean de la Croix, Nuit obscure, (l. I, c. II à IX), à cause des imperfections spirituelles des commençants, qui peuvent se ramener à l’orgueil spirituel, à la sensualité spirituelle et à la paresse spirituelle. On trouve ici comme une transposition des sept péchés capitaux ; il y a autant de déviations de la vie spirituelle, mais ces déviations se ramènent aux trois principales que nous venons de dire.
Saint Jean de la Croix considère presque exclusivement le trouble qu’elles apportent dans nos rapports avec Dieu, mais elles ne nuisent pas moins à nos rapports avec le prochain, et à l’apostolat dont nous pouvons être chargés.
On s’attache immodérément aux consolations sensibles dans la piété ; on les recherche pour elles-mêmes, en oubliant qu’elles ne sont pas une fin, mais un moyen ; on préfère le goût des choses spirituelles à leur pureté. Il y a là de la gourmandise spirituelle, qui, lorsqu’elle n’est pas satisfaite, engendre l’impatience, puis la paresse spirituelle, ou le dégoût du travail de la sanctification, dès qu’il s’agit d’avancer par la « voie étroite ». Les anciens ont beaucoup parlé de cette paresse et de ce dégoût qu’ils appelaient acedia. (cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 35).
Si de nouveau les choses vont à souhait, on se prévaut par orgueil de sa perfection, on juge sévèrement les autres, on se pose en maître, alors qu’on n’est encore qu’un pauvre disciple.
Cet orgueil spirituel, dit saint Jean de la Croix (Nuit obscure, l. I, c. 2), porte les commençants à fuir les Maîtres qui n’approuvent pas leur esprit, « ils finissent même par leur porter rancune ». Ils se mettent en quête d’un guide favorable à leurs goûts, recherchent son intimité, lui confessent leurs fautes de façon à ne pas se diminuer, « ils finissent par s’excuser au lieu de s’accuser. Il y a aussi le confesseur spécial pour les mauvais cas, l’autre restant réservé à la confidence exclusive du bien, pour qu’il garde une excellente opinion de son pénitent » (ibid.).
Cette hypocrisie signalée par saint Jean de la Croix chez les commençants, qui ont besoin de subir la purification passive des sens, montre bien que, pour lui, ce sont des commençants au sens où ce mot est généralement entendu, et l’on voit par là qu’il faut prendre à la lettre et selon le sens courant des termes ce qu’il dit (Nuit obscure, l. I, c. 8) : « la purification passive des sens est commune, elle se produit chez le grand nombre des commençants ». Nous ne saurions donc admettre, comme on l’a prétendu, que les commençants, dont il est ici parlé, sont déjà arrivés à la vie unitive ordinaire par la purification active, et qu’ils ne méritent ce nom qu’à un point de vue très spécial, en tant qu’ils débutent non dans la vie intérieure, mais dans les voies passives, considérées comme plus ou moins extraordinaires, en dehors de la voie normale.
Les défauts dont vient de parler saint Jean de Croix montrent bien qu’il s’agit de vrais commençants ; ce n’est pas là une terminologie spéciale, c’est la terminologie traditionnelle, mais prise dans son sens plein et non amoindri, pour parler surtout à des âmes qui ont la vocation contemplative ou à celles appelées à l’apostolat qui est le rayonnement de la contemplation.
A ces défauts s’en ajoutent beaucoup d’autres, que saint Jean de la Croix note à peine, car il ne considère guère, nous l’avons dit, que nos rapports avec Dieu et pour ainsi dire pas la répercussion de ces défauts dans l’étude et l’apostolat. Il est facile de le compléter sur ce point.
En se livrant à l’étude, les commençants (et aussi les attardés, qui sont manifestement très nombreux) y mettent souvent plus de curiosité que d’amour de la vérité, et comme ils méconnaissent le prix de celle-ci, ils ne prennent pas assez de précautions contre l’erreur.
Il n’est pas rare qu’ils s’exagèrent beaucoup leur valeur personnelle et ils s’irritent si elle semble méconnue. Ils dénigrent par jalousie et envient ceux, parfois mieux doués et plus désintéressés, qui travaillent à côté d’eux. Ils empêchent par là leur bonne influence, dont dépend peut-être l’avancement ou même la persévérance de plusieurs.
Ils peuvent nuire gravement ainsi au bien commun, sans en avoir très nettement conscience. Jusque dans les milieux religieux, l’activité intellectuelle manifestée par les livres et les revues, même et parfois surtout lorsqu’elle se déclare purement objective, est souvent faussée par mille petites passions et intrigues qui travaillent contre la vérité, lorsque celle-ci est formulée par quelqu’un qui a eu le malheur de déplaire.
De là que de conflits irritants, où il n’y a assez souvent qu’une bonne foi bien relative, si l’on considère les exigences de la perfection.
De même si l’on se donne à l’apostolat, on y apporte beaucoup d’empressement naturel, de recherche personnelle, on se fait centre, on attire inconsciemment les âmes à soi, ou au groupe dont on fait partie, au lieu de les attirer à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et survienne l’épreuve, on se lamente et on se laisse plus ou moins aller au découragement.
Si l’on voulait noter toutes les nuances des sept péchés capitaux, à ce niveau de l’activité humaine, chez les commençants ou chez les âmes attardées, qui sont le grand nombre, on n’en aurait jamais fini.
Tout cela montre la nécessité d’une purification profonde. Sans doute la mortification extérieure et surtout intérieure, que nous devons nous imposer à nous-mêmes, peut corriger plusieurs de ces défauts, mais elle ne suffit pas à extirper complètement leurs racines qui pénètrent en quelque sorte jusqu’au fond de nos facultés.
II y a là des restes du péché (reliquiæ peccati), qui imprègnent pour ainsi dire notre tempérament et notre caractère ; nous n’en avons guère conscience, mais le prochain le voit et parfois en souffre beaucoup, sans rien dire. « De ces défauts, dit saint Jean de la Croix (Nuit obscure, l. I, c. 3), l’âme n’arrive pas à se débarrasser complètement avant que Dieu ne la place dans la Purification passive de la Nuit obscure, dont nous allons nous occuper.
Il convient pourtant que, dans la mesure de ses forces, elle s’applique par son activité propre à se purifier et à se perfectionner ; c’est ainsi qu’elle méritera la grâce de la cure divine, par laquelle Dieu guérit toutes les misères qui échappent à la volonté personnelle. Car ne l’oublions pas, malgré toute sa générosité, l’âme ne peut arriver à se purifier complètement ; elle ne peut se rendre apte le moins du monde à l’union dans la perfection de l’amour de Dieu. Il faut que Dieu y mette la main lui-même et purifie l’âme dans ce feu obscur pour elle, selon le mode et la manière que nous expliquerons ci-après.
Bien plus, pour remédier aux défauts des « avancés», il faudra plus tard une autre purification passive, beaucoup plus douloureuse, mais féconde à proportion, celle de l’esprit (cf. Nuit obscure, l. II, c. 1 et 2).
Pour procéder avec ordre dans l’étude de ce sujet, nous verrons
1° la nécessité de cette purification
2° sa description psychologique
3° son explication théologique par les causes qui la produisent
4° les règles de direction appropriées à cet état
5° les autres épreuves qui assez généralement l’accompagnent
6° enfin à quel moment cette purification passive des sens se produit-elle normalement ? Est-ce à l’entrée de la voie illuminative ou notablement plus tard ?
La nécessité de cette purification
La nécessité de cette purification
Cette nécessité s’impose, comme le montre saint Jean de la Croix, Nuit obscure, (l. I, c. II à IX), à cause des imperfections spirituelles des commençants, qui peuvent se ramener à l’orgueil spirituel, à la sensualité spirituelle et à la paresse spirituelle. On trouve ici comme une transposition des sept péchés capitaux ; il y a autant de déviations de la vie spirituelle, mais ces déviations se ramènent aux trois principales que nous venons de dire.
Saint Jean de la Croix considère presque exclusivement le trouble qu’elles apportent dans nos rapports avec Dieu, mais elles ne nuisent pas moins à nos rapports avec le prochain, et à l’apostolat dont nous pouvons être chargés.
On s’attache immodérément aux consolations sensibles dans la piété ; on les recherche pour elles-mêmes, en oubliant qu’elles ne sont pas une fin, mais un moyen ; on préfère le goût des choses spirituelles à leur pureté. Il y a là de la gourmandise spirituelle, qui, lorsqu’elle n’est pas satisfaite, engendre l’impatience, puis la paresse spirituelle, ou le dégoût du travail de la sanctification, dès qu’il s’agit d’avancer par la « voie étroite ». Les anciens ont beaucoup parlé de cette paresse et de ce dégoût qu’ils appelaient acedia. (cf. S. Thomas, IIa IIae, q. 35).
Si de nouveau les choses vont à souhait, on se prévaut par orgueil de sa perfection, on juge sévèrement les autres, on se pose en maître, alors qu’on n’est encore qu’un pauvre disciple.
Cet orgueil spirituel, dit saint Jean de la Croix (Nuit obscure, l. I, c. 2), porte les commençants à fuir les Maîtres qui n’approuvent pas leur esprit, « ils finissent même par leur porter rancune ». Ils se mettent en quête d’un guide favorable à leurs goûts, recherchent son intimité, lui confessent leurs fautes de façon à ne pas se diminuer, « ils finissent par s’excuser au lieu de s’accuser. Il y a aussi le confesseur spécial pour les mauvais cas, l’autre restant réservé à la confidence exclusive du bien, pour qu’il garde une excellente opinion de son pénitent » (ibid.).
Cette hypocrisie signalée par saint Jean de la Croix chez les commençants, qui ont besoin de subir la purification passive des sens, montre bien que, pour lui, ce sont des commençants au sens où ce mot est généralement entendu, et l’on voit par là qu’il faut prendre à la lettre et selon le sens courant des termes ce qu’il dit (Nuit obscure, l. I, c. 8) : « la purification passive des sens est commune, elle se produit chez le grand nombre des commençants ». Nous ne saurions donc admettre, comme on l’a prétendu, que les commençants, dont il est ici parlé, sont déjà arrivés à la vie unitive ordinaire par la purification active, et qu’ils ne méritent ce nom qu’à un point de vue très spécial, en tant qu’ils débutent non dans la vie intérieure, mais dans les voies passives, considérées comme plus ou moins extraordinaires, en dehors de la voie normale.
Les défauts dont vient de parler saint Jean de Croix montrent bien qu’il s’agit de vrais commençants ; ce n’est pas là une terminologie spéciale, c’est la terminologie traditionnelle, mais prise dans son sens plein et non amoindri, pour parler surtout à des âmes qui ont la vocation contemplative ou à celles appelées à l’apostolat qui est le rayonnement de la contemplation.
A ces défauts s’en ajoutent beaucoup d’autres, que saint Jean de la Croix note à peine, car il ne considère guère, nous l’avons dit, que nos rapports avec Dieu et pour ainsi dire pas la répercussion de ces défauts dans l’étude et l’apostolat. Il est facile de le compléter sur ce point.
En se livrant à l’étude, les commençants (et aussi les attardés, qui sont manifestement très nombreux) y mettent souvent plus de curiosité que d’amour de la vérité, et comme ils méconnaissent le prix de celle-ci, ils ne prennent pas assez de précautions contre l’erreur.
Il n’est pas rare qu’ils s’exagèrent beaucoup leur valeur personnelle et ils s’irritent si elle semble méconnue. Ils dénigrent par jalousie et envient ceux, parfois mieux doués et plus désintéressés, qui travaillent à côté d’eux. Ils empêchent par là leur bonne influence, dont dépend peut-être l’avancement ou même la persévérance de plusieurs.
Ils peuvent nuire gravement ainsi au bien commun, sans en avoir très nettement conscience. Jusque dans les milieux religieux, l’activité intellectuelle manifestée par les livres et les revues, même et parfois surtout lorsqu’elle se déclare purement objective, est souvent faussée par mille petites passions et intrigues qui travaillent contre la vérité, lorsque celle-ci est formulée par quelqu’un qui a eu le malheur de déplaire.
De là que de conflits irritants, où il n’y a assez souvent qu’une bonne foi bien relative, si l’on considère les exigences de la perfection.
De même si l’on se donne à l’apostolat, on y apporte beaucoup d’empressement naturel, de recherche personnelle, on se fait centre, on attire inconsciemment les âmes à soi, ou au groupe dont on fait partie, au lieu de les attirer à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et survienne l’épreuve, on se lamente et on se laisse plus ou moins aller au découragement.
Si l’on voulait noter toutes les nuances des sept péchés capitaux, à ce niveau de l’activité humaine, chez les commençants ou chez les âmes attardées, qui sont le grand nombre, on n’en aurait jamais fini.
Tout cela montre la nécessité d’une purification profonde. Sans doute la mortification extérieure et surtout intérieure, que nous devons nous imposer à nous-mêmes, peut corriger plusieurs de ces défauts, mais elle ne suffit pas à extirper complètement leurs racines qui pénètrent en quelque sorte jusqu’au fond de nos facultés.
II y a là des restes du péché (reliquiæ peccati), qui imprègnent pour ainsi dire notre tempérament et notre caractère ; nous n’en avons guère conscience, mais le prochain le voit et parfois en souffre beaucoup, sans rien dire. « De ces défauts, dit saint Jean de la Croix (Nuit obscure, l. I, c. 3), l’âme n’arrive pas à se débarrasser complètement avant que Dieu ne la place dans la Purification passive de la Nuit obscure, dont nous allons nous occuper.
Il convient pourtant que, dans la mesure de ses forces, elle s’applique par son activité propre à se purifier et à se perfectionner ; c’est ainsi qu’elle méritera la grâce de la cure divine, par laquelle Dieu guérit toutes les misères qui échappent à la volonté personnelle. Car ne l’oublions pas, malgré toute sa générosité, l’âme ne peut arriver à se purifier complètement ; elle ne peut se rendre apte le moins du monde à l’union dans la perfection de l’amour de Dieu. Il faut que Dieu y mette la main lui-même et purifie l’âme dans ce feu obscur pour elle, selon le mode et la manière que nous expliquerons ci-après.
Bien plus, pour remédier aux défauts des « avancés», il faudra plus tard une autre purification passive, beaucoup plus douloureuse, mais féconde à proportion, celle de l’esprit (cf. Nuit obscure, l. II, c. 1 et 2).
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
Description psychologique de la purification passive des sens
Plusieurs auteurs, dans la description de cet état, insistent surtout sur son aspect négatif : la perte de toute dévotion sensible et la grande difficulté de la méditation discursive ; on a alors l’impression d’un recul plutôt que d’un progrès ; ils ne mettent pas assez en relief ce qu’il y a de positif et de principal en cette nuit des sens : un vif désir de Dieu, qui manifeste le début de la contemplation infuse, l’entrée dans une voie nouvelle.
On dit communément, et c’est bien vrai : Dans cet état de purification passive des sens, l’âme éprouve une aridité complète de la sensibilité pendant l’oraison et les divers exercices de piété ; rien de ce qui s’offre à sa méditation, dans les livres qu’elle aimait, ne l’attire plus ; ces choses n’ont plus de goût pour elle ; elle trouve partout sécheresse et stérilité. Avec cela elle a l’impression d’être dans les ténèbres et le froid la pénètre, comme si le soleil, qui éclaire et réchauffe l’esprit, s’était retiré.
Quelquefois cette aridité si pénible engendre un certain dégoût des choses spirituelles et même une sorte de désolation, dans les âmes surtout qui ont reçu auparavant de grandes consolations sensibles et qui ont un tempérament porté à la tristesse. L’on devient à charge à soi-même, selon la parole du livre de Job, VII, 20 : « factus sum mihimetipsi gravis » ; il n’y a plus d’élan ni pour prier ni pour travailler, et l’on sent pourtant combien la prière serait nécessaire. On se demande si cette aridité est de la tiédeur, si elle vient de quelque faute dont on n’aurait pas eu nettement conscience, d’une certaine présomption par exemple qu’on aurait prise pour du zèle.
Plusieurs veulent nous persuader, si nous les consultons, que c’est de la mélancolie, et qu’il faut recourir aux remèdes appropriés, prendre de l’exercice, faire diversion, se donner aux œuvres extérieures.
Les auteurs ajoutent d’ordinaire : Cependant cette aridité de la sensibilité est seulement la privation de la dévotion accidentelle et non pas de la dévotion substantielle, qui consiste dans la volonté de se donner généreusement au service de Dieu. Les sens et l’imagination restent comme dans le vide, la sensibilité ne trouve plus de saveur à rien et ressent comme du dégoût en toutes choses, mais ce n’est là qu’un dégoût involontaire, il n’atteint pas la volonté, qui est aussi supérieure à la sensibilité que l’intelligence dépasse les sens et l’imagination.
Tout cela est vrai, mais il faut considérer plus attentivement la nature et la cause de cette aridité ou sécheresse de la sensibilité, pour la bien distinguer de la paresse spirituelle, acedia, qui est la privation de la dévotion substantielle elle-même, et qui devient un dégoût des choses spirituelles aussi coupable qu’il est volontaire, sinon en lui-même, au moins dans la négligence qui le fait naître.
La confusion de la nuit des sens avec la paresse spirituelle serait une très grave erreur spéculative et pratique, qui conduirait tout droit au quiétisme.
Pour bien établir cette distinction, il faut revenir à la description de la nuit passive des sens que nous a laissée saint Jean de la Croix, qui approfondit beaucoup sur ce point la doctrine de saint Grégoire le Grand, déjà développée au moyen âge par Hugues de Saint-Victor, puis par Tauler.
Et il faut, avec ces maîtres, insister sur l’aspect positif de cet état de purification, c’est-à-dire sur le vif désir de Dieu et de la perfection, plus encore que sur les notes négatives d’aridité et de difficulté à méditer. Il s’agit en effet ici d’un grand progrès de l’âme, dû à un travail profond de la grâce en elle, et c’est évidemment cette activité divine et la passivité qui en résulte qui sont l’élément principal de cet état, bien qu’il se manifeste surtout au premier abord par les notes négatives de sécheresse et de quasi-impossibilité de méditer.
Voyons donc la description donnée par saint Jean de la Croix, Nuit obscure, (l. I, c. 9), en mettant en relief ce qu’il y a en elle de plus foncier, de plus positif et de plus divin, pour ne pas en rester aux apparences négatives, mais aller à la réalité surnaturelle produite par Dieu.
Selon saint Jean de la Croix cet état se manifeste par trois signes principaux déjà notés par Tauler. Voici comment il s’exprime dans la Nuit obscure, (l. I, c. 9):
« Premier signe : Si l’on ne trouve ni goût ni consolation dans les choses divines, il faut que le même vide se manifeste vis-à-vis de n’importe quelle chose créée. En effet, comme Dieu met l’âme dans la Nuit obscure pour tarir et purifier l’appétit sensitif, il ne lui permettra pas de trouver de la saveur en n’importe quoi.
Dans ce cas il devient probable que la sécheresse n’a pas son origine dans le péché ou dans une imperfection récente. S’il en était ainsi, la nature inclinerait à se satisfaire en cherchant une chose distincte de Dieu... Il se peut pourtant qu’une complète inappétence des choses d’en haut ou d’ici-bas provienne soit d’une indisposition, soit d’une tristesse naturelle, d’où il peut résulter qu’on n’a de goût pour rien ; c’est pourquoi il est nécessaire qu’à ce premier signe s’adjoigne le second que voici.
« Le second signe permettant de croire à l’existence de la Nuit de la purification consiste à garder ordinairement le souvenir de Dieu, avec une sollicitude et un souci pénible. On craint de ne pas le servir, d’aller à reculons, et cela à cause du manque de saveur dans les choses divines.
Par là on voit que l’insensibilité et la sécheresse ne proviennent pas du relâchement et de la tiédeur ; car le propre de la tiédeur est de n’avoir aucune sollicitude intérieure pour les choses divines... ; elle est relâchée quant à la volonté et à l’intelligence, elle ne se soucie pas de servir Dieu. Au contraire, la sécheresse purificatrice porte en elle une sollicitude ininterrompue ; elle est inquiète et peinée de ne pas se donner comme il faut au service du Seigneur. Il se peut qu’il s’y adjoigne de la mélancolie ou quelque humeur fâcheuse, ...mais il n’en résulte pas un obstacle à l’effet purifiant de l’appétit, ...caractérisé par le vif désir de servir Dieu.
Tant que ce désir subsiste, la partie sensitive a beau être déprimée, languissante et molle pour l’action, à cause du manque d’attrait, l’esprit n’en reste pas moins prompt et vigoureux. »
Saint Jean de la Croix insiste sur le caractère positif de ce second signe : « En effet, dit-il, la cause de cette sécheresse se trouve en ce que Dieu fait le transfert des biens et des forces du sens à l’esprit, et comme ni le sens ni la force naturelle ne peuvent s’assimiler ce qui est purement spirituel, ils restent sans aliment et par là secs et vides.
La partie sensitive n’est en aucune façon organisée pour recevoir ce qui est de pur esprit... Comme l’esprit reçoit tout l’aliment, il est plus vigilant et plus soucieux qu’auparavant dans son désir de ne manquer en rien à Dieu, et s’il n’éprouve pas tout d’abord la saveur et la délectation spirituelles mais plutôt l’aridité et l’ennui, cela tient à la nouveauté de ce changement... Le palais spirituel n’est encore ni disposé, ni accoutumé au goût nouveau qui est très subtil, et cela ne se fera que progressivement.
« Ceux que Dieu mène ainsi par les solitudes du désert ressemblent aux enfants d’Israël. Quand pour la première fois il commence à leur envoyer l’aliment céleste réunissant toutes les saveurs et où chacun, dit l’Écriture, trouvait celle qu’il préférait, ces Israélites n’en regrettent pas moins les viandes ou les oignons dont ils se nourrissaient en Égypte. »
On a aussi comparé cet état à ce qu’est la période de la dentition chez les enfants ; à ce moment en effet ils sont sevrés, on ne leur donne plus le lait, mais les dents commencent à pousser et non sans souffrance pour eux.
Cet état fait au premier abord l’impression d’une perte plutôt que d’un gain ; et cependant les dents, qui se forment ainsi, vont permettre de prendre une nourriture plus forte, dont l’enfant, habitué à la douceur du lait, ne percevra pas tout de suite la saveur. Il a besoin maintenant de ce nouvel aliment, il s’y habituera ; il en est de même au point de vue spirituel.
C’est pourquoi saint Jean de la Croix ajoute : « La substance de cet aliment (spirituel) est un commencement d’obscure et sèche contemplation, qui demeure cachée et secrète à celui-là même qui en est favorisé.
D’ordinaire, ensemble avec cette aridité et ce vide, qu’elle produit dans le sens, elle pousse l’âme au désir de l’isolement et de la quiétude, de façon que la pensée ne s’applique plus à aucun objet particulier et n’en éprouve plus l’envie. Arrivés à cet état, si les spirituels savaient se tenir en paix... ils se rendraient compte de leur très délicate nutrition intérieure.
Elle est en effet si délicate, que presque toujours l’âme, qui en a envie, ou s’applique à l’éprouver, ne la sent plus, parce que, comme je l’ai dit, cette nutrition n’agit que dans la paix et l’oubli absolus de l’âme. Elle est semblable à l’air qui s’échappe de la main, quand on la ferme pour le retenir... Et en effet, Dieu met l’âme de telle manière en cet état et la conduit par un chemin si particulier, que si elle veut opérer par ses puissances, selon son habileté propre, elle fait plutôt obstacle qu’elle ne contribue à ce que Dieu opère en elle... Elle trouble la paix intérieure et entrave l’œuvre divine. Celle-ci s’accomplit dans l’esprit, pendant que la sécheresse règne sur les sens. »
« Un troisième signe naît de là pour nous convaincre qu’il s’agit de la purification des sens. C’est l’incapacité de méditer quand on veut s’y livrer comme on avait coutume, en recourant au sens de l’imagination. L’effort reste sans résultat. La raison en est que Dieu commence alors à se communiquer, non plus par le sens, comme avant, au moyen du raisonnement, qui évoquait et classait les connaissances, mais au moyen du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif et où Dieu se communique en acte de simple contemplation. »
Saint Jean de la Croix note, au sujet de ce troisième signe, que cette incapacité de méditer d’une façon discursive « n’a nullement sa cause dans quelque humeur naturelle. S’il en était ainsi, au moment où cette humeur se dissipe, l’âme pourrait rentrer par un simple effort dans la pratique antérieure et les puissances retrouveraient leurs appuis.
Et c’est ce qui n’arrive point quand il s’agit de la purification de l’appétit ; une fois que l’âme y est entrée, l’impuissance de discourir au moyen des puissances ne fait qu’augmenter. Il est vrai pourtant qu’au début cette continuité n’est pas toujours régulière ».
Dans la Montée du Carmel, (l. II, c. 11 et 12), saint Jean de la Croix, sans suivre absolument le même ordre, avait déjà exposé ces trois signes, pour indiquer à quel moment il convient de passer de la méditation discursive à la contemplation, et déjà il s’agissait de la contemplation infuse, car il est dit de la contemplation qu’elle est « une connaissance opérée et reçue en nous... et parfois si délicate que l’âme ne la remarque pas » ; « En cet état, Dieu se communique à l’âme restant passive, comme la lumière à quelqu’un qui tient les yeux ouverts et ne fait rien pour la recevoir.
Et pour l’âme, recevoir ainsi la lumière infuse surnaturellement, c’est tout comprendre en restant passive. » L’état dont il est ici parlé n’est pas différent de celui décrit dans Nuit obscure.
On voit donc que si cet état est manifesté par deux notes négatives : l’aridité ou la privation de toute consolation sensible, et la difficulté ou quasi-impossibilité de méditer, ce qu’il y a en lui de plus important est l’élément positif : la contemplation infuse initiale et le vif désir de Dieu qu’elle fait naître en nous.
Bien plus, l’aridité de la sensibilité et la difficulté de méditer proviennent précisément de ce que la grâce prend une forme nouvelle, purement spirituelle, supérieure aux sens et au discours de la raison qui se sert de l’imagination. On croirait au premier abord que la manière dont Dieu nous purifie consiste surtout à nous enlever quelque chose, la grâce sensible ; en réalité il nous donne beaucoup plus qu’auparavant ; loin de soustraire sa grâce, il la donne beaucoup plus abondante, mais sous une forme supérieure, trop élevée pour que les sens puissent en savourer quelque chose. Nous allons le mieux comprendre en cherchant quelle est la cause de cet état.
Plusieurs auteurs, dans la description de cet état, insistent surtout sur son aspect négatif : la perte de toute dévotion sensible et la grande difficulté de la méditation discursive ; on a alors l’impression d’un recul plutôt que d’un progrès ; ils ne mettent pas assez en relief ce qu’il y a de positif et de principal en cette nuit des sens : un vif désir de Dieu, qui manifeste le début de la contemplation infuse, l’entrée dans une voie nouvelle.
On dit communément, et c’est bien vrai : Dans cet état de purification passive des sens, l’âme éprouve une aridité complète de la sensibilité pendant l’oraison et les divers exercices de piété ; rien de ce qui s’offre à sa méditation, dans les livres qu’elle aimait, ne l’attire plus ; ces choses n’ont plus de goût pour elle ; elle trouve partout sécheresse et stérilité. Avec cela elle a l’impression d’être dans les ténèbres et le froid la pénètre, comme si le soleil, qui éclaire et réchauffe l’esprit, s’était retiré.
Quelquefois cette aridité si pénible engendre un certain dégoût des choses spirituelles et même une sorte de désolation, dans les âmes surtout qui ont reçu auparavant de grandes consolations sensibles et qui ont un tempérament porté à la tristesse. L’on devient à charge à soi-même, selon la parole du livre de Job, VII, 20 : « factus sum mihimetipsi gravis » ; il n’y a plus d’élan ni pour prier ni pour travailler, et l’on sent pourtant combien la prière serait nécessaire. On se demande si cette aridité est de la tiédeur, si elle vient de quelque faute dont on n’aurait pas eu nettement conscience, d’une certaine présomption par exemple qu’on aurait prise pour du zèle.
Plusieurs veulent nous persuader, si nous les consultons, que c’est de la mélancolie, et qu’il faut recourir aux remèdes appropriés, prendre de l’exercice, faire diversion, se donner aux œuvres extérieures.
Les auteurs ajoutent d’ordinaire : Cependant cette aridité de la sensibilité est seulement la privation de la dévotion accidentelle et non pas de la dévotion substantielle, qui consiste dans la volonté de se donner généreusement au service de Dieu. Les sens et l’imagination restent comme dans le vide, la sensibilité ne trouve plus de saveur à rien et ressent comme du dégoût en toutes choses, mais ce n’est là qu’un dégoût involontaire, il n’atteint pas la volonté, qui est aussi supérieure à la sensibilité que l’intelligence dépasse les sens et l’imagination.
Tout cela est vrai, mais il faut considérer plus attentivement la nature et la cause de cette aridité ou sécheresse de la sensibilité, pour la bien distinguer de la paresse spirituelle, acedia, qui est la privation de la dévotion substantielle elle-même, et qui devient un dégoût des choses spirituelles aussi coupable qu’il est volontaire, sinon en lui-même, au moins dans la négligence qui le fait naître.
La confusion de la nuit des sens avec la paresse spirituelle serait une très grave erreur spéculative et pratique, qui conduirait tout droit au quiétisme.
Pour bien établir cette distinction, il faut revenir à la description de la nuit passive des sens que nous a laissée saint Jean de la Croix, qui approfondit beaucoup sur ce point la doctrine de saint Grégoire le Grand, déjà développée au moyen âge par Hugues de Saint-Victor, puis par Tauler.
Et il faut, avec ces maîtres, insister sur l’aspect positif de cet état de purification, c’est-à-dire sur le vif désir de Dieu et de la perfection, plus encore que sur les notes négatives d’aridité et de difficulté à méditer. Il s’agit en effet ici d’un grand progrès de l’âme, dû à un travail profond de la grâce en elle, et c’est évidemment cette activité divine et la passivité qui en résulte qui sont l’élément principal de cet état, bien qu’il se manifeste surtout au premier abord par les notes négatives de sécheresse et de quasi-impossibilité de méditer.
Voyons donc la description donnée par saint Jean de la Croix, Nuit obscure, (l. I, c. 9), en mettant en relief ce qu’il y a en elle de plus foncier, de plus positif et de plus divin, pour ne pas en rester aux apparences négatives, mais aller à la réalité surnaturelle produite par Dieu.
Selon saint Jean de la Croix cet état se manifeste par trois signes principaux déjà notés par Tauler. Voici comment il s’exprime dans la Nuit obscure, (l. I, c. 9):
« Premier signe : Si l’on ne trouve ni goût ni consolation dans les choses divines, il faut que le même vide se manifeste vis-à-vis de n’importe quelle chose créée. En effet, comme Dieu met l’âme dans la Nuit obscure pour tarir et purifier l’appétit sensitif, il ne lui permettra pas de trouver de la saveur en n’importe quoi.
Dans ce cas il devient probable que la sécheresse n’a pas son origine dans le péché ou dans une imperfection récente. S’il en était ainsi, la nature inclinerait à se satisfaire en cherchant une chose distincte de Dieu... Il se peut pourtant qu’une complète inappétence des choses d’en haut ou d’ici-bas provienne soit d’une indisposition, soit d’une tristesse naturelle, d’où il peut résulter qu’on n’a de goût pour rien ; c’est pourquoi il est nécessaire qu’à ce premier signe s’adjoigne le second que voici.
« Le second signe permettant de croire à l’existence de la Nuit de la purification consiste à garder ordinairement le souvenir de Dieu, avec une sollicitude et un souci pénible. On craint de ne pas le servir, d’aller à reculons, et cela à cause du manque de saveur dans les choses divines.
Par là on voit que l’insensibilité et la sécheresse ne proviennent pas du relâchement et de la tiédeur ; car le propre de la tiédeur est de n’avoir aucune sollicitude intérieure pour les choses divines... ; elle est relâchée quant à la volonté et à l’intelligence, elle ne se soucie pas de servir Dieu. Au contraire, la sécheresse purificatrice porte en elle une sollicitude ininterrompue ; elle est inquiète et peinée de ne pas se donner comme il faut au service du Seigneur. Il se peut qu’il s’y adjoigne de la mélancolie ou quelque humeur fâcheuse, ...mais il n’en résulte pas un obstacle à l’effet purifiant de l’appétit, ...caractérisé par le vif désir de servir Dieu.
Tant que ce désir subsiste, la partie sensitive a beau être déprimée, languissante et molle pour l’action, à cause du manque d’attrait, l’esprit n’en reste pas moins prompt et vigoureux. »
Saint Jean de la Croix insiste sur le caractère positif de ce second signe : « En effet, dit-il, la cause de cette sécheresse se trouve en ce que Dieu fait le transfert des biens et des forces du sens à l’esprit, et comme ni le sens ni la force naturelle ne peuvent s’assimiler ce qui est purement spirituel, ils restent sans aliment et par là secs et vides.
La partie sensitive n’est en aucune façon organisée pour recevoir ce qui est de pur esprit... Comme l’esprit reçoit tout l’aliment, il est plus vigilant et plus soucieux qu’auparavant dans son désir de ne manquer en rien à Dieu, et s’il n’éprouve pas tout d’abord la saveur et la délectation spirituelles mais plutôt l’aridité et l’ennui, cela tient à la nouveauté de ce changement... Le palais spirituel n’est encore ni disposé, ni accoutumé au goût nouveau qui est très subtil, et cela ne se fera que progressivement.
« Ceux que Dieu mène ainsi par les solitudes du désert ressemblent aux enfants d’Israël. Quand pour la première fois il commence à leur envoyer l’aliment céleste réunissant toutes les saveurs et où chacun, dit l’Écriture, trouvait celle qu’il préférait, ces Israélites n’en regrettent pas moins les viandes ou les oignons dont ils se nourrissaient en Égypte. »
On a aussi comparé cet état à ce qu’est la période de la dentition chez les enfants ; à ce moment en effet ils sont sevrés, on ne leur donne plus le lait, mais les dents commencent à pousser et non sans souffrance pour eux.
Cet état fait au premier abord l’impression d’une perte plutôt que d’un gain ; et cependant les dents, qui se forment ainsi, vont permettre de prendre une nourriture plus forte, dont l’enfant, habitué à la douceur du lait, ne percevra pas tout de suite la saveur. Il a besoin maintenant de ce nouvel aliment, il s’y habituera ; il en est de même au point de vue spirituel.
C’est pourquoi saint Jean de la Croix ajoute : « La substance de cet aliment (spirituel) est un commencement d’obscure et sèche contemplation, qui demeure cachée et secrète à celui-là même qui en est favorisé.
D’ordinaire, ensemble avec cette aridité et ce vide, qu’elle produit dans le sens, elle pousse l’âme au désir de l’isolement et de la quiétude, de façon que la pensée ne s’applique plus à aucun objet particulier et n’en éprouve plus l’envie. Arrivés à cet état, si les spirituels savaient se tenir en paix... ils se rendraient compte de leur très délicate nutrition intérieure.
Elle est en effet si délicate, que presque toujours l’âme, qui en a envie, ou s’applique à l’éprouver, ne la sent plus, parce que, comme je l’ai dit, cette nutrition n’agit que dans la paix et l’oubli absolus de l’âme. Elle est semblable à l’air qui s’échappe de la main, quand on la ferme pour le retenir... Et en effet, Dieu met l’âme de telle manière en cet état et la conduit par un chemin si particulier, que si elle veut opérer par ses puissances, selon son habileté propre, elle fait plutôt obstacle qu’elle ne contribue à ce que Dieu opère en elle... Elle trouble la paix intérieure et entrave l’œuvre divine. Celle-ci s’accomplit dans l’esprit, pendant que la sécheresse règne sur les sens. »
« Un troisième signe naît de là pour nous convaincre qu’il s’agit de la purification des sens. C’est l’incapacité de méditer quand on veut s’y livrer comme on avait coutume, en recourant au sens de l’imagination. L’effort reste sans résultat. La raison en est que Dieu commence alors à se communiquer, non plus par le sens, comme avant, au moyen du raisonnement, qui évoquait et classait les connaissances, mais au moyen du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif et où Dieu se communique en acte de simple contemplation. »
Saint Jean de la Croix note, au sujet de ce troisième signe, que cette incapacité de méditer d’une façon discursive « n’a nullement sa cause dans quelque humeur naturelle. S’il en était ainsi, au moment où cette humeur se dissipe, l’âme pourrait rentrer par un simple effort dans la pratique antérieure et les puissances retrouveraient leurs appuis.
Et c’est ce qui n’arrive point quand il s’agit de la purification de l’appétit ; une fois que l’âme y est entrée, l’impuissance de discourir au moyen des puissances ne fait qu’augmenter. Il est vrai pourtant qu’au début cette continuité n’est pas toujours régulière ».
Dans la Montée du Carmel, (l. II, c. 11 et 12), saint Jean de la Croix, sans suivre absolument le même ordre, avait déjà exposé ces trois signes, pour indiquer à quel moment il convient de passer de la méditation discursive à la contemplation, et déjà il s’agissait de la contemplation infuse, car il est dit de la contemplation qu’elle est « une connaissance opérée et reçue en nous... et parfois si délicate que l’âme ne la remarque pas » ; « En cet état, Dieu se communique à l’âme restant passive, comme la lumière à quelqu’un qui tient les yeux ouverts et ne fait rien pour la recevoir.
Et pour l’âme, recevoir ainsi la lumière infuse surnaturellement, c’est tout comprendre en restant passive. » L’état dont il est ici parlé n’est pas différent de celui décrit dans Nuit obscure.
On voit donc que si cet état est manifesté par deux notes négatives : l’aridité ou la privation de toute consolation sensible, et la difficulté ou quasi-impossibilité de méditer, ce qu’il y a en lui de plus important est l’élément positif : la contemplation infuse initiale et le vif désir de Dieu qu’elle fait naître en nous.
Bien plus, l’aridité de la sensibilité et la difficulté de méditer proviennent précisément de ce que la grâce prend une forme nouvelle, purement spirituelle, supérieure aux sens et au discours de la raison qui se sert de l’imagination. On croirait au premier abord que la manière dont Dieu nous purifie consiste surtout à nous enlever quelque chose, la grâce sensible ; en réalité il nous donne beaucoup plus qu’auparavant ; loin de soustraire sa grâce, il la donne beaucoup plus abondante, mais sous une forme supérieure, trop élevée pour que les sens puissent en savourer quelque chose. Nous allons le mieux comprendre en cherchant quelle est la cause de cet état.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
Comment expliquer cet état, quelle est sa cause ?
Plusieurs auteurs l’expliquent surtout par la privation de la grâce sensible, à laquelle le commençant s’attacherait trop, par gourmandise spirituelle ; il convient de l’en sevrer, comme l’a noté l’auteur de la Nuit obscure. Cela est vrai, mais ce n’est pas, nous venons de le dire, ce qu’il y a ici de principal. Le caractère, foncier à noter est le commencement de contemplation infuse, dû à une intervention habituelle et déjà assez manifeste des dons du Saint-Esprit. Les textes déjà cités de saint Jean de la Croix, où il explique les trois signes, le montrent clairement.
Le premier signe est, avons-nous dit, que l’âme ne trouve plus aucune consolation dans les choses créées, ni dans les choses divines présentées d’une manière sensible. Il y a là un effet du don de science qui nous fait connaître comme expérimentalement le vide des choses créées et leur impuissance radicale à nous manifester la vie intime de Dieu.
La science en effet diffère de la sagesse en ce qu’elle connaît les choses non par leur cause suprême, mais par leur cause prochaine, inférieure ; or ce qui dans le monde et en nous ne provient pas de la cause suprême, c’est le péché comme tel, l’imperfection de nos actes, notre indigence, notre infirmité ; tout cela relève uniquement des causes créées défectibles et déficientes. C’est pourquoi saint Augustin et saint Thomas rattachent au don de science la sainte tristesse dont parle Jésus dans la béatitude des larmes.
Les larmes de la contrition viennent de la science de la gravité du péché et du néant des créatures. « Ceux qui pleurent ainsi, dit saint Augustin, ce sont ceux qui savent par quels maux ils ont été vaincus, pour les avoir désirés comme des biens. »
« Le don de science, dit aussi saint Thomas, nous fait juger comme il faut des créatures », il nous montre combien est insensé celui qui cherche en elles le souverain bien, alors que souvent elles sont pour nous une occasion de nous détourner de Dieu.
Dans l’Ancien Testament le livre de l’Ecclésiaste ne cesse de montrer la vanité et la misère de toutes les choses humaines : richesses péniblement acquises, joies profanes, sagesse humaine : « vanité des vanités, tout est vanité », hormis aimer Dieu et le servir : « Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours mauvais... avant que la poussière redevienne ce qu’elle était, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné... crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là le tout de l’homme.
Car Dieu citera en jugement sur tout ce qui est caché, toute œuvre, soit bonne, soit mauvaise » (Ecclésiaste, XII, 1-14). Ce sens profond de la vanité des choses créées, dès qu’on ne les ordonne plus à Dieu, à le connaître, à l’aimer, à le servir, pénètre toutes les pages de l’Imitation, par exemple: « Sans moi l’amitié est stérile et dure peu » et : « Ne lisez jamais pour paraître plus savant ou plus sage ».
Ruysbroeck dit de même : « La science divine nous enseignera à ne point avoir de présomption, à ne mettre notre joie ni dans les choses caduques, ni dans nos œuvres, mais à avoir déplaisir de nous-mêmes, comme de serviteurs inutiles et de créatures infirmes en toutes choses... Bienheureux ceux qui portent cette affliction, car ils seront consolés dans le royaume éternel de Dieu. » Ruysbroeck note aussi les rapports des dons du Saint-Esprit avec la purification passive des sens, lorsqu’il écrit : « La première venue du Christ exerce son influence et son action sur la partie inférieure de l’homme, afin qu’elle soit pleinement purifiée, relevée, enflammée et entraînée vers l’intérieur.
Cette impulsion intime de Dieu répand des dons ou les retranche, enrichit ou appauvrit, réjouit ou désole, excite ou laisse dans l’abandon, réchauffe ou glace. Et tous ces dons ou influences contraires défient toute expression en langue quelconque. » Ces grâces se rattachent manifestement à la purification passive des sens. C’est là qu’on commence vraiment à connaître par expérience le vide des choses créées et à voir vraiment que notre fin ultime ne peut être qu’en Dieu. Il y a là une influence manifeste et profonde du don de science.
Il y a aussi une influence non moins évidente des dons de crainte et de force, comme le montre le second signe indiqué plus haut : « Dans cette sécheresse purificatrice, l’âme craint de n’être pas fidèle, d’aller à reculons ; …mais tant que subsiste, avec cette crainte, le vif désir de servir Dieu, la partie sensitive a beau être déprimée, languissante et molle pour l’action, à cause du manque d’attrait, l’esprit n’en reste pas moins prompt et vigoureux » (S. Jean de la Croix, Nuit obscure, l. I, c. 9).
Sans aucun doute il y a là un effet du don de crainte, ou crainte filiale du péché, qui grandit avec le progrès de la charité, tandis que la crainte servile ou du châtiment diminue. C’est sous l’influence de ce don de crainte que l’âme résiste aux tentations contre la chasteté et contre la patience, qui accompagnent souvent cette purification passive des sens.
Elle redit la parole du Ps. CXVIII, 120 : « Confige timore tuo carnes meas – Transperce mes chairs de ta crainte, car je redoute tes jugements. » Ce don de crainte, selon saint Augustin, correspond à la béatitude des pauvres, car celui qui craint Dieu ne s’enorgueillit pas, ne cherche pas les honneurs, ni les richesses, mais au contraire, par une inspiration spéciale, il aime la pauvreté, la vie cachée, où il devient plus semblable au Sauveur.
« Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! » Ils ont déjà dans cette pauvreté une participation de la suprême richesse.
En même temps se fait sentir ici l’influence du don de force, dans le vif désir de servir Dieu, malgré la sécheresse, les tentations, et toutes les difficultés qui peuvent surgir. Ce don correspond en effet, selon saint Augustin et saint Thomas, à la quatrième béatitude : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. » La correspondance est évidente : « Il est en effet très difficile, dit saint Thomas, non seulement d’accomplir avec persévérance les actions vertueuses, appelées œuvres de justice, mais de les faire, avec ce désir insatiable, qui est la faim et la soif de la justice. »
Le don de force doit venir aider ici les vertus de patience et de longanimité ; autrement, au milieu des nombreuses difficultés, traverses et contradictions qui se présentent, on ne garderait pas le vif désir de la perfection ; l’enthousiasme sensible s’éteint vite comme un feu de paille, il en faut un autre d’ordre tout spirituel que Dieu seul peut produire en nous.
L’Imitation dit à ce sujet : « Si vous portez votre croix de bon cœur, elle-même vous portera vers le terme désiré..., plus la chair est affligée, brisée, plus l’esprit est fortifié intérieurement par la grâce... Ce n’est point là la vertu de l’homme, mais la grâce de Jésus-Christ qui opère si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu’elle abhorre et fuit naturellement, elle l’embrasse et l’aime par la ferveur de l’esprit. »
« Le don de force, dit Ruysbroeck, permet alors de dominer joies et peines, gains et pertes, espérance et souci de choses terrestres, toute sorte d’intermédiaire en un mot et de multiplicité. De cette façon l’homme devient libre et affranchi de toute créature... Aussi ne se laisse-t-il pas engloutir dans l’affection sensible, ni dans l’avidité de consolation, de douceur ou d’aucun don divin, non plus que dans le repos et la paix de son cœur. Mais il veut dépasser tous dons et consolations, pour trouver celui qu’il aime. »
Enfin quel don du Saint-Esprit nous manifeste le troisième signe, qui est la grande difficulté qu’on éprouve alors à se livrer à la méditation discursive ? Il y a ici l’influence certaine du don d’intelligence comme principe de la contemplation infuse initiale. Saint Jean de la Croix dit en effet, nous l’avons vu, en expliquant ce troisième signe : « La raison de cette incapacité de méditer est que Dieu commence à se communiquer, non plus par le sens, comme avant, au moyen du raisonnement, qui évoquait et classait les connaissances, mais au moyen du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif, et où Dieu se communique en acte de simple contemplation. »
Il y a là en effet « un commencement d’obscure et sèche contemplation, qui demeure cachée et secrète à celui-là même qui en est favorisé ». « Cette oeuvre étant spirituelle et subtile ne se réalise que dans la paix, avec délicatesse ; elle est secrète, réparatrice, pacifique et très étrangère à tous les goûts antérieurs qui étaient perceptibles et sensibles ».
Il y a là une influence manifeste du don d’intelligence uni à celui de piété. Ruysbroeck dit à ce sujet : « Le premier rayonnement du don d’intelligence crée dans l’esprit la simplicité. Et cette simplicité est toute baignée d’une clarté remarquable, tout comme l’atmosphère par la lumière du soleil ; car la grâce de Dieu, qui est le fondement de tous les dons, habite essentiellement notre intellect possible comme une lumière simple, et sous l’action de cette lumière notre esprit est fixé, éclairé d’une manière simple... ; ainsi il acquiert la ressemblance avec Dieu...
D’autre part l’unité de l’essence divine a pour propriété d’attirer tout ce qui lui ressemble... Cependant il semble parfois à l’homme juste qu’il n’aime point Dieu vraiment et qu’il ne trouve pas en lui son repos. Mais ce sentiment même vient de l’amour : car c’est parce qu’il veut aimer au-delà de son pouvoir, que cet homme croit demeurer en deçà.»
Saint Thomas avait dit avant ces grands mystiques : « Le don d’intelligence a une action purificatrice ; il purifie l’esprit en l’élevant au-dessus des images sensibles et des erreurs, pour que nous ne prenions pas les mystères de Dieu, qui nous sont révélés, d’une façon toute matérielle ou dans le sens pervers des hérétiques. »
Par là ce don nous fait pénétrer simplement mais profondément les mystères de la foi, en nous faisant atteindre par les figures la réalité divine figurée et par la lettre l’esprit qui la vivifie. L’influence purificatrice de ce don est beaucoup plus profonde dans la nuit de l’esprit, mais il s’exerce déjà assez manifestement dans celle des sens.
De plus, saint Thomas dit après Denys : « Pour que l’âme arrive à l’uniformité de la contemplation (symbolisée par l’uniformité du mouvement circulaire sans principe ni fin), il faut qu’elle soit délivrée d’une double difformité (difformitas, privatio uniformitatis), de celle qui vient de la diversité des choses extérieures sensibles... et de celle du raisonnement ou de la pensée discursive ; ce qui a lieu lorsque ses opérations se ramènent à la simple contemplation de la vérité intelligible. »
Saint Augustin avait parlé de même, bien souvent, notamment dans le livre I de Quantitate animae, c. 33, où il décrit sept degrés de vie :
1° la vie végétative,
2° la vie sensitive,
3° la connaissance des choses humaines et des différentes sciences,
4° la vie de la vraie vertu,
5° la tranquillité de l’âme qui provient des vertus solides lorsque celles-ci règnent sur les passions,
6° l’entrée dans la lumière spirituelle supérieure,
7° la contemplation et l’union à Dieu.
Déjà dans le quatrième degré est décrite la purification (purgationis negotium) nécessaire pour que l’âme arrive à la vraie vertu et comprenne pratiquement combien elle dépasse le corps et tout l’univers physique. Il faut, dit-il, dans ce travail si difficile de sa purification, in opere tam difficili mundationis suae, que l’âme mette toute sa confiance en Dieu pour résister à toutes les tentations qui se présentent alors et pour persévérer. Plus elle avance, plus elle voit combien elle est encore loin de la véritable pureté du cœur, mais finalement par le secours de Dieu elle se laisse de plus en plus vivifier par lui.
La doctrine de saint Jean de la Croix et celle de Ruysbroeck s’harmonisent admirablement sur ce point, comme sur tant d’autres, avec l’enseignement de saint Augustin, et de saint Thomas.
Telle est, croyons-nous, selon ces grands maîtres la description psychologique et l’explication théologique de cet état, qui paraît être d’abord une perte plutôt qu’un gain, la soustraction des grâces sensibles, mais qui en réalité est le commencement de la contemplation infuse, le seuil de la vie mystique.
Il nous reste à voir quelles règles de direction conviennent ici, quels sont les effets de cette purification passive, quelles sont aussi les épreuves qui généralement l’accompagnent, enfin à quel moment du progrès spirituel elle apparaît normalement. Serait-ce seulement dans le cours de la voie unitive, comme certains semblent le penser, ou au début de la voie illuminative ? Question qui n’est pas sans importance et sur laquelle il convient de recueillir très attentivement l’enseignement des plus grands Maîtres.
La voie illuminative n’est-elle pas pour eux celle dans laquelle notre esprit se dégage de plus en plus des sens et du raisonnement, pour se porter très simplement sous une illumination spéciale du Saint-Esprit, vers la contemplation des choses divines, contemplation qui doit être, avec la charité, comme l’âme de notre vie intérieure et de notre apostolat ?
Rome, Angelico.
Plusieurs auteurs l’expliquent surtout par la privation de la grâce sensible, à laquelle le commençant s’attacherait trop, par gourmandise spirituelle ; il convient de l’en sevrer, comme l’a noté l’auteur de la Nuit obscure. Cela est vrai, mais ce n’est pas, nous venons de le dire, ce qu’il y a ici de principal. Le caractère, foncier à noter est le commencement de contemplation infuse, dû à une intervention habituelle et déjà assez manifeste des dons du Saint-Esprit. Les textes déjà cités de saint Jean de la Croix, où il explique les trois signes, le montrent clairement.
Le premier signe est, avons-nous dit, que l’âme ne trouve plus aucune consolation dans les choses créées, ni dans les choses divines présentées d’une manière sensible. Il y a là un effet du don de science qui nous fait connaître comme expérimentalement le vide des choses créées et leur impuissance radicale à nous manifester la vie intime de Dieu.
La science en effet diffère de la sagesse en ce qu’elle connaît les choses non par leur cause suprême, mais par leur cause prochaine, inférieure ; or ce qui dans le monde et en nous ne provient pas de la cause suprême, c’est le péché comme tel, l’imperfection de nos actes, notre indigence, notre infirmité ; tout cela relève uniquement des causes créées défectibles et déficientes. C’est pourquoi saint Augustin et saint Thomas rattachent au don de science la sainte tristesse dont parle Jésus dans la béatitude des larmes.
Les larmes de la contrition viennent de la science de la gravité du péché et du néant des créatures. « Ceux qui pleurent ainsi, dit saint Augustin, ce sont ceux qui savent par quels maux ils ont été vaincus, pour les avoir désirés comme des biens. »
« Le don de science, dit aussi saint Thomas, nous fait juger comme il faut des créatures », il nous montre combien est insensé celui qui cherche en elles le souverain bien, alors que souvent elles sont pour nous une occasion de nous détourner de Dieu.
Dans l’Ancien Testament le livre de l’Ecclésiaste ne cesse de montrer la vanité et la misère de toutes les choses humaines : richesses péniblement acquises, joies profanes, sagesse humaine : « vanité des vanités, tout est vanité », hormis aimer Dieu et le servir : « Souviens-toi de ton Créateur aux jours de ta jeunesse, avant que viennent les jours mauvais... avant que la poussière redevienne ce qu’elle était, et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné... crains Dieu et observe ses commandements, car c’est là le tout de l’homme.
Car Dieu citera en jugement sur tout ce qui est caché, toute œuvre, soit bonne, soit mauvaise » (Ecclésiaste, XII, 1-14). Ce sens profond de la vanité des choses créées, dès qu’on ne les ordonne plus à Dieu, à le connaître, à l’aimer, à le servir, pénètre toutes les pages de l’Imitation, par exemple: « Sans moi l’amitié est stérile et dure peu » et : « Ne lisez jamais pour paraître plus savant ou plus sage ».
Ruysbroeck dit de même : « La science divine nous enseignera à ne point avoir de présomption, à ne mettre notre joie ni dans les choses caduques, ni dans nos œuvres, mais à avoir déplaisir de nous-mêmes, comme de serviteurs inutiles et de créatures infirmes en toutes choses... Bienheureux ceux qui portent cette affliction, car ils seront consolés dans le royaume éternel de Dieu. » Ruysbroeck note aussi les rapports des dons du Saint-Esprit avec la purification passive des sens, lorsqu’il écrit : « La première venue du Christ exerce son influence et son action sur la partie inférieure de l’homme, afin qu’elle soit pleinement purifiée, relevée, enflammée et entraînée vers l’intérieur.
Cette impulsion intime de Dieu répand des dons ou les retranche, enrichit ou appauvrit, réjouit ou désole, excite ou laisse dans l’abandon, réchauffe ou glace. Et tous ces dons ou influences contraires défient toute expression en langue quelconque. » Ces grâces se rattachent manifestement à la purification passive des sens. C’est là qu’on commence vraiment à connaître par expérience le vide des choses créées et à voir vraiment que notre fin ultime ne peut être qu’en Dieu. Il y a là une influence manifeste et profonde du don de science.
Il y a aussi une influence non moins évidente des dons de crainte et de force, comme le montre le second signe indiqué plus haut : « Dans cette sécheresse purificatrice, l’âme craint de n’être pas fidèle, d’aller à reculons ; …mais tant que subsiste, avec cette crainte, le vif désir de servir Dieu, la partie sensitive a beau être déprimée, languissante et molle pour l’action, à cause du manque d’attrait, l’esprit n’en reste pas moins prompt et vigoureux » (S. Jean de la Croix, Nuit obscure, l. I, c. 9).
Sans aucun doute il y a là un effet du don de crainte, ou crainte filiale du péché, qui grandit avec le progrès de la charité, tandis que la crainte servile ou du châtiment diminue. C’est sous l’influence de ce don de crainte que l’âme résiste aux tentations contre la chasteté et contre la patience, qui accompagnent souvent cette purification passive des sens.
Elle redit la parole du Ps. CXVIII, 120 : « Confige timore tuo carnes meas – Transperce mes chairs de ta crainte, car je redoute tes jugements. » Ce don de crainte, selon saint Augustin, correspond à la béatitude des pauvres, car celui qui craint Dieu ne s’enorgueillit pas, ne cherche pas les honneurs, ni les richesses, mais au contraire, par une inspiration spéciale, il aime la pauvreté, la vie cachée, où il devient plus semblable au Sauveur.
« Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ! » Ils ont déjà dans cette pauvreté une participation de la suprême richesse.
En même temps se fait sentir ici l’influence du don de force, dans le vif désir de servir Dieu, malgré la sécheresse, les tentations, et toutes les difficultés qui peuvent surgir. Ce don correspond en effet, selon saint Augustin et saint Thomas, à la quatrième béatitude : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés. » La correspondance est évidente : « Il est en effet très difficile, dit saint Thomas, non seulement d’accomplir avec persévérance les actions vertueuses, appelées œuvres de justice, mais de les faire, avec ce désir insatiable, qui est la faim et la soif de la justice. »
Le don de force doit venir aider ici les vertus de patience et de longanimité ; autrement, au milieu des nombreuses difficultés, traverses et contradictions qui se présentent, on ne garderait pas le vif désir de la perfection ; l’enthousiasme sensible s’éteint vite comme un feu de paille, il en faut un autre d’ordre tout spirituel que Dieu seul peut produire en nous.
L’Imitation dit à ce sujet : « Si vous portez votre croix de bon cœur, elle-même vous portera vers le terme désiré..., plus la chair est affligée, brisée, plus l’esprit est fortifié intérieurement par la grâce... Ce n’est point là la vertu de l’homme, mais la grâce de Jésus-Christ qui opère si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu’elle abhorre et fuit naturellement, elle l’embrasse et l’aime par la ferveur de l’esprit. »
« Le don de force, dit Ruysbroeck, permet alors de dominer joies et peines, gains et pertes, espérance et souci de choses terrestres, toute sorte d’intermédiaire en un mot et de multiplicité. De cette façon l’homme devient libre et affranchi de toute créature... Aussi ne se laisse-t-il pas engloutir dans l’affection sensible, ni dans l’avidité de consolation, de douceur ou d’aucun don divin, non plus que dans le repos et la paix de son cœur. Mais il veut dépasser tous dons et consolations, pour trouver celui qu’il aime. »
Enfin quel don du Saint-Esprit nous manifeste le troisième signe, qui est la grande difficulté qu’on éprouve alors à se livrer à la méditation discursive ? Il y a ici l’influence certaine du don d’intelligence comme principe de la contemplation infuse initiale. Saint Jean de la Croix dit en effet, nous l’avons vu, en expliquant ce troisième signe : « La raison de cette incapacité de méditer est que Dieu commence à se communiquer, non plus par le sens, comme avant, au moyen du raisonnement, qui évoquait et classait les connaissances, mais au moyen du pur esprit qui ignore l’enchaînement discursif, et où Dieu se communique en acte de simple contemplation. »
Il y a là en effet « un commencement d’obscure et sèche contemplation, qui demeure cachée et secrète à celui-là même qui en est favorisé ». « Cette oeuvre étant spirituelle et subtile ne se réalise que dans la paix, avec délicatesse ; elle est secrète, réparatrice, pacifique et très étrangère à tous les goûts antérieurs qui étaient perceptibles et sensibles ».
Il y a là une influence manifeste du don d’intelligence uni à celui de piété. Ruysbroeck dit à ce sujet : « Le premier rayonnement du don d’intelligence crée dans l’esprit la simplicité. Et cette simplicité est toute baignée d’une clarté remarquable, tout comme l’atmosphère par la lumière du soleil ; car la grâce de Dieu, qui est le fondement de tous les dons, habite essentiellement notre intellect possible comme une lumière simple, et sous l’action de cette lumière notre esprit est fixé, éclairé d’une manière simple... ; ainsi il acquiert la ressemblance avec Dieu...
D’autre part l’unité de l’essence divine a pour propriété d’attirer tout ce qui lui ressemble... Cependant il semble parfois à l’homme juste qu’il n’aime point Dieu vraiment et qu’il ne trouve pas en lui son repos. Mais ce sentiment même vient de l’amour : car c’est parce qu’il veut aimer au-delà de son pouvoir, que cet homme croit demeurer en deçà.»
Saint Thomas avait dit avant ces grands mystiques : « Le don d’intelligence a une action purificatrice ; il purifie l’esprit en l’élevant au-dessus des images sensibles et des erreurs, pour que nous ne prenions pas les mystères de Dieu, qui nous sont révélés, d’une façon toute matérielle ou dans le sens pervers des hérétiques. »
Par là ce don nous fait pénétrer simplement mais profondément les mystères de la foi, en nous faisant atteindre par les figures la réalité divine figurée et par la lettre l’esprit qui la vivifie. L’influence purificatrice de ce don est beaucoup plus profonde dans la nuit de l’esprit, mais il s’exerce déjà assez manifestement dans celle des sens.
De plus, saint Thomas dit après Denys : « Pour que l’âme arrive à l’uniformité de la contemplation (symbolisée par l’uniformité du mouvement circulaire sans principe ni fin), il faut qu’elle soit délivrée d’une double difformité (difformitas, privatio uniformitatis), de celle qui vient de la diversité des choses extérieures sensibles... et de celle du raisonnement ou de la pensée discursive ; ce qui a lieu lorsque ses opérations se ramènent à la simple contemplation de la vérité intelligible. »
Saint Augustin avait parlé de même, bien souvent, notamment dans le livre I de Quantitate animae, c. 33, où il décrit sept degrés de vie :
1° la vie végétative,
2° la vie sensitive,
3° la connaissance des choses humaines et des différentes sciences,
4° la vie de la vraie vertu,
5° la tranquillité de l’âme qui provient des vertus solides lorsque celles-ci règnent sur les passions,
6° l’entrée dans la lumière spirituelle supérieure,
7° la contemplation et l’union à Dieu.
Déjà dans le quatrième degré est décrite la purification (purgationis negotium) nécessaire pour que l’âme arrive à la vraie vertu et comprenne pratiquement combien elle dépasse le corps et tout l’univers physique. Il faut, dit-il, dans ce travail si difficile de sa purification, in opere tam difficili mundationis suae, que l’âme mette toute sa confiance en Dieu pour résister à toutes les tentations qui se présentent alors et pour persévérer. Plus elle avance, plus elle voit combien elle est encore loin de la véritable pureté du cœur, mais finalement par le secours de Dieu elle se laisse de plus en plus vivifier par lui.
La doctrine de saint Jean de la Croix et celle de Ruysbroeck s’harmonisent admirablement sur ce point, comme sur tant d’autres, avec l’enseignement de saint Augustin, et de saint Thomas.
Telle est, croyons-nous, selon ces grands maîtres la description psychologique et l’explication théologique de cet état, qui paraît être d’abord une perte plutôt qu’un gain, la soustraction des grâces sensibles, mais qui en réalité est le commencement de la contemplation infuse, le seuil de la vie mystique.
Il nous reste à voir quelles règles de direction conviennent ici, quels sont les effets de cette purification passive, quelles sont aussi les épreuves qui généralement l’accompagnent, enfin à quel moment du progrès spirituel elle apparaît normalement. Serait-ce seulement dans le cours de la voie unitive, comme certains semblent le penser, ou au début de la voie illuminative ? Question qui n’est pas sans importance et sur laquelle il convient de recueillir très attentivement l’enseignement des plus grands Maîtres.
La voie illuminative n’est-elle pas pour eux celle dans laquelle notre esprit se dégage de plus en plus des sens et du raisonnement, pour se porter très simplement sous une illumination spéciale du Saint-Esprit, vers la contemplation des choses divines, contemplation qui doit être, avec la charité, comme l’âme de notre vie intérieure et de notre apostolat ?
Rome, Angelico.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
Le Grand Moyen de la Prière par
Saint Alphonse-Marie de Liguori
Docteur de l'Église catholique pour obtenir le salut éternel et toutes les grâces que nous désirons de Dieu.
OEUVRE THÉOLOGIQUE ET ASCÉTIQUE
de grande utilité pour toute catégorie de personnes
DIVISÉE EN DEUX PARTIES.
Dans la première Partie on traite de la nécessité,
de l'efficacité et des conditions de la prière.
Dans la deuxième Partie on démontre
que la grâce de la prière est donnée à tous,
et on y traitera du mode d' agir ordinaire de la grâce
TABLE DES MATIÈRES
Dédicace à Jésus et à Marie
PREMIÈRE PARTIE
Introduction
I. Nécessité de la prière
II. Efficacité de la prière
III. Conditions de la prière
1. L'humilité avec laquelle on doit prier
2. La confiance avec laquelle nous devons prier
3. La persévérance requise dans la prière
DEUXIÈME PARTIE
I. Dieu veut le salut de tous.
A cause de cela, Jésus Christ est mort pour les sauver tous
II. À tous, Dieu donne les grâces nécessaires :
à tous les justes, pour observer les commandements ;
à tous les pécheurs, pour se convertir .
III. Exposé et réfutation du système de Jansénius
fondé sur la délectation relativement victorieuse
IV. Dieu donne à tous la grâce de prier, s'ils le veulent.
Il ne faut pour prier que la grâce suffisante.
Celle-ci est donnée à tous
PRIÈRES
Prière pour obtenir la persévérance finale
Prière à Jésus Christ pour obtenir son saint amour
Prière pour obtenir la confiance dans les mérites
de Jésus Christ et dans l'intercession de Marie
Prière pour obtenir la grâce de toujours prier
Prière à faire tous les jours pour obtenir les grâces nécessaires au salut
Pensées et oraisons jaculatoires
DÉDICACE À JÉSUS ET À MARIE
Ô Verbe incarné, vous avez versé votre sang et sacrifié votre vie pour donner à nos prières, comme vous l'avez promis, une valeur telle qu'elles peuvent obtenir tout ce que nous demandons, et nous, ô Dieu, nous
sommes si négligents quant à notre salut que nous ne voulons même pas vous demander les grâces dont nous avons besoin. Vous, avec ce grand
moyen de la prière, vous nous avez donné pour nous sauver la clé de tous vos trésors divins, et nous, en ne priant pas, nous choisissons de rester
misérables comme nous sommes. Ah ! Seigneur,
éclairez-nous et faites-nous comprendre toute la valeur, auprès de votre Père Éternel, des
supplications faites en votre nom et par vos mérites. Je vous dédie ce petit livre. Bénissez-le et faites que tous ceux qui l'auront entre les mains aient le
désir de toujours prier et s'efforcent d'en enflammer aussi les autres, afin qu'ils mettent à profit ce grand moyen de leur salut.
À vous aussi, Marie, grande Mère de Dieu, je recommande ce petit livre. Apportez-lui votre soutien et obtenez à tous ceux qui le liront l'esprit de prière et la pensée de recourir, toujours et dans tous leurs besoins, à votre Fils et à vous-même. Vous qui êtes la dispensatrice des grâces, qui êtes la Mère de la Miséricorde, incapable de laisser insatisfait aucun de ceux qui se recommandent à vous, vous qui êtes, au contraire, la Vierge Puissante, celle qui pour ses serviteurs obtient de Dieu autant qu'elle demande.
PREMIÈRE PARTIE
INTRODUCTION QU'IL FAUT LIRE
« J' ai fait paraître divers ouvrages de spiritualité. Mais j' estime n'avoir rien composé de plus utile que ce petit livre où je parle de la prière, moyen
indispensable et sûr d'obtenir le salut éternel et toutes les grâces dont nous avons besoin. Je n'en ai pas la possibilité, mais si je le pouvais, je voudrais
imprimer autant d'exemplaires de ce livre qu'il se trouve de fidèles vivants sur la terre et les distribuer à chacun d'eux, afin que tous comprennent la
nécessité où nous sommes tous de prier pour nous sauver. »
Je dis cela parce que je vois d'une part cette nécessité absolue de la prière tellement inculquée par toutes les Saintes Écritures et tous les Saints Pères ; et que je vois, au contraire, les chrétiens se préoccuper bien peu d'utiliser ce grand moyen de leur salut. Et ce qui m'afflige le plus c'est de voir que les prédicateurs et confesseurs se soucient peu d'en parler à leurs auditeurs et à leurs pénitents, et je constate que même les livres spirituels qui sont aujourd'hui entre les mains des fidèles n'en parlent pas assez non plus.
Alors que tous les prédicateurs et confesseurs ne devraient pourtant rien conseiller avec plus de soin et de conviction que la prière. Certes ils recommandent
bien aux âmes tant de bons moyens pour rester dans la grâce de Dieu : la fuite des occasions, la fréquentation des sacrements, la résistance aux
tentations, l'écoute de la Parole de Dieu, la méditation des vérités éternelles et autres moyens qui sont tous, sans aucun doute, très utiles, mais à quoi servent, je vous le demande, les méditations et tous les autres exercices indiqués par les maîtres spirituels sans la prière, alors que le Seigneur a déclaré qu'il ne veut accorder ses grâces qu'à ceux qui prient ? « Demandez
et vous recevrez ! ». Sans la prière, selon la conduite ordinaire de la Providence, toutes nos méditations, résolutions et promesses resteront inutiles. Si nous ne prions pas, nous serons toujours infidèles à toutes les lumières reçues de Dieu et à toutes les promesses que nous aurons faites.
La raison en est que, pour faire à chaque instant le bien, pour vaincre les tentations, pratiquer les vertus, bref pour observer les commandements et conseils divins, il ne suffit pas des lumières reçues, ni des réflexions faites et des résolutions prises, mais il y faut de plus le secours actuel de Dieu.
Or, ce secours actuel, comme nous le verrons, Dieu ne l'accorde qu'à ceux qui prient et qui prient avec persévérance. Les lumières reçues, les réflexions
faites et les résolutions prises servent à ceci que dans les dangers et tentations de manquer à la loi de Dieu, nous recourions actuellement à la prière et obtenions la grâce qui nous préserve du péché, tandis que, si alors nous négligions de prier, nous serions perdus.
J'ai voulu, cher lecteur, vous révéler d'emblée ma pensée sur ce que je vais écrire, en sorte que vous rendiez grâce au Seigneur qui, par ce petit livre,
vous offre la grâce d'une réflexion plus approfondie sur l'importance de ce grand moyen de la Prière, puisque tous ceux qui font leur salut (s'agissant
des adultes) ne se sauvent ordinairement que par cet unique moyen. C'est pourquoi je dis : rendez grâce à Dieu, car c'est une grande miséricorde qu'il fait de donner lumière et grâce pour prier. J'espère que vous, frère bien-aimé, après avoir lu ce petit livre, vous ne négligerez plus désormais de recourir toujours à Dieu par la prière, quand vous serez tenté de l'offenser.
Si jamais, de par le passé, votre conscience s'est trouvée chargée de nombreux péchés, reconnaissez que telle en fut la raison : la négligence à prier, à chercher près de Dieu le secours pour résister aux tentations qui vous assaillaient.. Je vous prie donc de lire et relire attentivement cet ouvrage, non parce que c'est mon oeuvre mais parce que c'est un moyen
que le Seigneur vous offre pour votre salut éternel et qu'il vous donne à comprendre par là, d'une manière toute spéciale, qu'il veut vous sauver.
Après l'avoir lu, je vous prie de le faire lire à d'autres (selon que vous le pourrez), amis ou relations, avec qui vous aurez l'occasion de parler. Maintenant commençons au nom du Seigneur !
L'Apôtre Paul écrivait à Timothée : « Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces... »
( 1 Tm 2, 1 ). Saint Thomas explique que la prière est proprement l'élévation de l'âme vers Dieu. Quand la prière demande des choses précises, on l'appelle justement demande; si elle vise des choses indéterminées (comme par exemple lorsque nous disons : Seigneur, viens à mon aide), on l'appelle supplication. Quant à l'obsécration, c'est une pieuse adjuration ou objurgation pour obtenir la grâce, comme quand nous disons : « Par ta Croix et ta Passion, délivre-nous, Seigneur ! » Enfin, l'Action de grâces est le remerciement pour les bienfaits reçus. «
Par quoi, dit saint Thomas, nous méritons d'en recevoir de plus grands ». Au sens restreint, dit le saint Docteur, la prière est le recours à Dieu, mais pris en général, elle inclut tous les autres aspects que nous venons d' indiquer, et c' est ainsi que nous l'entendrons chaque fois que nous emploierons par la suite ce mot de prière.
Pour nous affectionner vraiment à ce grand moyen de notre salut qu'est la Prière, il faut avant tout considérer combien elle nous est nécessaire et combien elle est efficace pour nous obtenir de Dieu les grâces que nous désirons, si nous savons les demander comme il faut. Nous parlerons donc, dans cette première partie, de la nécessité et de la valeur de la prière, et puis des conditions pour qu'elle soit efficace auprès de Dieu. Ensuite, dans la seconde partie, nous démontrerons que la grâce de la Prière est donnée à tous ; nous traiterons là aussi de la manière ordinaire dont agit la grâce.
Saint Alphonse-Marie de Liguori
Docteur de l'Église catholique pour obtenir le salut éternel et toutes les grâces que nous désirons de Dieu.
OEUVRE THÉOLOGIQUE ET ASCÉTIQUE
de grande utilité pour toute catégorie de personnes
DIVISÉE EN DEUX PARTIES.
Dans la première Partie on traite de la nécessité,
de l'efficacité et des conditions de la prière.
Dans la deuxième Partie on démontre
que la grâce de la prière est donnée à tous,
et on y traitera du mode d' agir ordinaire de la grâce
TABLE DES MATIÈRES
Dédicace à Jésus et à Marie
PREMIÈRE PARTIE
Introduction
I. Nécessité de la prière
II. Efficacité de la prière
III. Conditions de la prière
1. L'humilité avec laquelle on doit prier
2. La confiance avec laquelle nous devons prier
3. La persévérance requise dans la prière
DEUXIÈME PARTIE
I. Dieu veut le salut de tous.
A cause de cela, Jésus Christ est mort pour les sauver tous
II. À tous, Dieu donne les grâces nécessaires :
à tous les justes, pour observer les commandements ;
à tous les pécheurs, pour se convertir .
III. Exposé et réfutation du système de Jansénius
fondé sur la délectation relativement victorieuse
IV. Dieu donne à tous la grâce de prier, s'ils le veulent.
Il ne faut pour prier que la grâce suffisante.
Celle-ci est donnée à tous
Prière pour obtenir la persévérance finale
Prière à Jésus Christ pour obtenir son saint amour
Prière pour obtenir la confiance dans les mérites
de Jésus Christ et dans l'intercession de Marie
Prière pour obtenir la grâce de toujours prier
Prière à faire tous les jours pour obtenir les grâces nécessaires au salut
Pensées et oraisons jaculatoires
DÉDICACE À JÉSUS ET À MARIE
Ô Verbe incarné, vous avez versé votre sang et sacrifié votre vie pour donner à nos prières, comme vous l'avez promis, une valeur telle qu'elles peuvent obtenir tout ce que nous demandons, et nous, ô Dieu, nous
sommes si négligents quant à notre salut que nous ne voulons même pas vous demander les grâces dont nous avons besoin. Vous, avec ce grand
moyen de la prière, vous nous avez donné pour nous sauver la clé de tous vos trésors divins, et nous, en ne priant pas, nous choisissons de rester
misérables comme nous sommes. Ah ! Seigneur,
éclairez-nous et faites-nous comprendre toute la valeur, auprès de votre Père Éternel, des
supplications faites en votre nom et par vos mérites. Je vous dédie ce petit livre. Bénissez-le et faites que tous ceux qui l'auront entre les mains aient le
désir de toujours prier et s'efforcent d'en enflammer aussi les autres, afin qu'ils mettent à profit ce grand moyen de leur salut.
À vous aussi, Marie, grande Mère de Dieu, je recommande ce petit livre. Apportez-lui votre soutien et obtenez à tous ceux qui le liront l'esprit de prière et la pensée de recourir, toujours et dans tous leurs besoins, à votre Fils et à vous-même. Vous qui êtes la dispensatrice des grâces, qui êtes la Mère de la Miséricorde, incapable de laisser insatisfait aucun de ceux qui se recommandent à vous, vous qui êtes, au contraire, la Vierge Puissante, celle qui pour ses serviteurs obtient de Dieu autant qu'elle demande.
AU VERBE INCARNÉ
JÉSUS CHRIST,
BIEN-AIMÉ DU PÈRE ÉTERNEL,
BÉNI DU SEIGNEUR,
AUTEUR DE LA VIE,
ROI DE GLOIRE,
SAUVEUR DU MONDE,
ESPÉRANCE DES NATIONS,
DÉSIR DES COLLINES ÉTERNELLES,
PAIN DU CIEL,
JUGE UNIVERSEL,
MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES,
MAÎTRE DES VERTUS,
AGNEAU SANS TACHE,
HOMME DES DOULEURS
PRÊTRE ÉTERNEL ET VICTIME D'AMOUR,
ESPÉRANCE DES PÉCHEURS,
SOURCE DES GRÂCES,
BON PASTEUR,
AMOUREUX DES ÂMES,
ALPHONSE, PÉCHEUR, CONSACRE CET OUVRAGE.JÉSUS CHRIST,
BIEN-AIMÉ DU PÈRE ÉTERNEL,
BÉNI DU SEIGNEUR,
AUTEUR DE LA VIE,
ROI DE GLOIRE,
SAUVEUR DU MONDE,
ESPÉRANCE DES NATIONS,
DÉSIR DES COLLINES ÉTERNELLES,
PAIN DU CIEL,
JUGE UNIVERSEL,
MÉDIATEUR ENTRE DIEU ET LES HOMMES,
MAÎTRE DES VERTUS,
AGNEAU SANS TACHE,
HOMME DES DOULEURS
PRÊTRE ÉTERNEL ET VICTIME D'AMOUR,
ESPÉRANCE DES PÉCHEURS,
SOURCE DES GRÂCES,
BON PASTEUR,
AMOUREUX DES ÂMES,
PREMIÈRE PARTIE
INTRODUCTION QU'IL FAUT LIRE
« J' ai fait paraître divers ouvrages de spiritualité. Mais j' estime n'avoir rien composé de plus utile que ce petit livre où je parle de la prière, moyen
indispensable et sûr d'obtenir le salut éternel et toutes les grâces dont nous avons besoin. Je n'en ai pas la possibilité, mais si je le pouvais, je voudrais
imprimer autant d'exemplaires de ce livre qu'il se trouve de fidèles vivants sur la terre et les distribuer à chacun d'eux, afin que tous comprennent la
nécessité où nous sommes tous de prier pour nous sauver. »
Je dis cela parce que je vois d'une part cette nécessité absolue de la prière tellement inculquée par toutes les Saintes Écritures et tous les Saints Pères ; et que je vois, au contraire, les chrétiens se préoccuper bien peu d'utiliser ce grand moyen de leur salut. Et ce qui m'afflige le plus c'est de voir que les prédicateurs et confesseurs se soucient peu d'en parler à leurs auditeurs et à leurs pénitents, et je constate que même les livres spirituels qui sont aujourd'hui entre les mains des fidèles n'en parlent pas assez non plus.
Alors que tous les prédicateurs et confesseurs ne devraient pourtant rien conseiller avec plus de soin et de conviction que la prière. Certes ils recommandent
bien aux âmes tant de bons moyens pour rester dans la grâce de Dieu : la fuite des occasions, la fréquentation des sacrements, la résistance aux
tentations, l'écoute de la Parole de Dieu, la méditation des vérités éternelles et autres moyens qui sont tous, sans aucun doute, très utiles, mais à quoi servent, je vous le demande, les méditations et tous les autres exercices indiqués par les maîtres spirituels sans la prière, alors que le Seigneur a déclaré qu'il ne veut accorder ses grâces qu'à ceux qui prient ? « Demandez
et vous recevrez ! ». Sans la prière, selon la conduite ordinaire de la Providence, toutes nos méditations, résolutions et promesses resteront inutiles. Si nous ne prions pas, nous serons toujours infidèles à toutes les lumières reçues de Dieu et à toutes les promesses que nous aurons faites.
La raison en est que, pour faire à chaque instant le bien, pour vaincre les tentations, pratiquer les vertus, bref pour observer les commandements et conseils divins, il ne suffit pas des lumières reçues, ni des réflexions faites et des résolutions prises, mais il y faut de plus le secours actuel de Dieu.
Or, ce secours actuel, comme nous le verrons, Dieu ne l'accorde qu'à ceux qui prient et qui prient avec persévérance. Les lumières reçues, les réflexions
faites et les résolutions prises servent à ceci que dans les dangers et tentations de manquer à la loi de Dieu, nous recourions actuellement à la prière et obtenions la grâce qui nous préserve du péché, tandis que, si alors nous négligions de prier, nous serions perdus.
J'ai voulu, cher lecteur, vous révéler d'emblée ma pensée sur ce que je vais écrire, en sorte que vous rendiez grâce au Seigneur qui, par ce petit livre,
vous offre la grâce d'une réflexion plus approfondie sur l'importance de ce grand moyen de la Prière, puisque tous ceux qui font leur salut (s'agissant
des adultes) ne se sauvent ordinairement que par cet unique moyen. C'est pourquoi je dis : rendez grâce à Dieu, car c'est une grande miséricorde qu'il fait de donner lumière et grâce pour prier. J'espère que vous, frère bien-aimé, après avoir lu ce petit livre, vous ne négligerez plus désormais de recourir toujours à Dieu par la prière, quand vous serez tenté de l'offenser.
Si jamais, de par le passé, votre conscience s'est trouvée chargée de nombreux péchés, reconnaissez que telle en fut la raison : la négligence à prier, à chercher près de Dieu le secours pour résister aux tentations qui vous assaillaient.. Je vous prie donc de lire et relire attentivement cet ouvrage, non parce que c'est mon oeuvre mais parce que c'est un moyen
que le Seigneur vous offre pour votre salut éternel et qu'il vous donne à comprendre par là, d'une manière toute spéciale, qu'il veut vous sauver.
Après l'avoir lu, je vous prie de le faire lire à d'autres (selon que vous le pourrez), amis ou relations, avec qui vous aurez l'occasion de parler. Maintenant commençons au nom du Seigneur !
L'Apôtre Paul écrivait à Timothée : « Je recommande donc, avant tout, qu'on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces... »
( 1 Tm 2, 1 ). Saint Thomas explique que la prière est proprement l'élévation de l'âme vers Dieu. Quand la prière demande des choses précises, on l'appelle justement demande; si elle vise des choses indéterminées (comme par exemple lorsque nous disons : Seigneur, viens à mon aide), on l'appelle supplication. Quant à l'obsécration, c'est une pieuse adjuration ou objurgation pour obtenir la grâce, comme quand nous disons : « Par ta Croix et ta Passion, délivre-nous, Seigneur ! » Enfin, l'Action de grâces est le remerciement pour les bienfaits reçus. «
Par quoi, dit saint Thomas, nous méritons d'en recevoir de plus grands ». Au sens restreint, dit le saint Docteur, la prière est le recours à Dieu, mais pris en général, elle inclut tous les autres aspects que nous venons d' indiquer, et c' est ainsi que nous l'entendrons chaque fois que nous emploierons par la suite ce mot de prière.
Pour nous affectionner vraiment à ce grand moyen de notre salut qu'est la Prière, il faut avant tout considérer combien elle nous est nécessaire et combien elle est efficace pour nous obtenir de Dieu les grâces que nous désirons, si nous savons les demander comme il faut. Nous parlerons donc, dans cette première partie, de la nécessité et de la valeur de la prière, et puis des conditions pour qu'elle soit efficace auprès de Dieu. Ensuite, dans la seconde partie, nous démontrerons que la grâce de la Prière est donnée à tous ; nous traiterons là aussi de la manière ordinaire dont agit la grâce.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE I
NÉCESSITÉ DE LA PRIÈRE
Ce fut déjà une erreur des Pélagiens de prétendre que la prière n'est pas nécessaire pour parvenir au salut. L'impie Pélage, leur maître, disait que : «
L'homme ne se perd que pour autant qu'il néglige d'apprendre les vérités qu'il est nécessaire de connaître ». Mais chose curieuse, disait saint
Augustin, « Pélage dispute de tout plutôt que de la prière »n Pélage voulait traiter de tout, sauf de la prière qui est l'unique moyen, comme le pensait et
l'enseignait le saint Docteur, d' acquérir la science des saints, selon ce que saint Jacques écrivait : « Si l'un de vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu ; il donne à tous généreusement, sans récriminer ». (Jc 1,5).
Les textes de la Sainte Écriture, qui nous montrent la nécessité où nous sommes de prier, si nous voulons assurer notre salut sont trop clairs : « Il leur fallait prier sans cesse, et ne pas se décourager»
(Lc 18,1). « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26, 41). « Demandez et l'on vous
donnera » (Mt 7, 7).
Ces termes : « Il faut, Priez, Demandez », selon l'opinion commune des théologiens, impliquent un commandement, une obligation. Pour Wiclef, ces termes n'étaient pas à entendre de la prière
mais uniquement de la nécessité des bonnes oeuvres. D'après lui, prier n'était rien d'autre que bien agir. Ce fut là de sa part une erreur et il fut
condamné expressément par l'Église.
Aussi le savant Léonard Lessius a-t-il écrit qu'on ne pouvait nier sans errer dans la foi que la prière soit nécessaire aux adultes pour faire leur salut, car il est évident que, selon les Saintes Écritures, la prière est l'unique moyen d'obtenir les secours nécessaires au
salut : « Il faut, dit-il, tenir comme de foi, que la prière est nécessaire aux adultes pour leur salut, ainsi qu'il ressort des Saintes Écritures, parce que la
prière est le moyen sans lequel on ne peut obtenir le secours nécessaire au salut »
La raison en est claire. Sans le secours de la grâce nous ne pouvons faire aucun bien : « Hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Saint
Augustin note à propos de cette phrase que Jésus n'a pas dit : « Vous ne pouvez rien parfaire, mais rien faire »3. Notre Sauveur nous donne ainsi à entendre que, sans la grâce, nous ne pouvons même pas commencer à faire le bien. L'Apôtre Paul va jusqu'à écrire que de nous-mêmes nous ne pouvons même pas en avoir le désir : « Et si nous avons tant d'assurance devant Dieu grâce au Christ, ce n'est pas à cause d'une capacité personnelle dont nous pourrions nous attribuer le mérite. Notre capacité vient de Dieu » (2 Co 3, 5).
Si donc nous ne pouvons même pas penser au bien, encore moins pouvons-nous le désirer. Beaucoup d'autres textes de la Sainte Écriture expriment la même idée : « C'est le même Dieu qui opère tout en
tous » ( 1 Co 12,6). « Je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ez 36, 27). Aussi saint Léon ler
a-t-il pu écrire : « L'homme ne fait aucun bien sans que Dieu lui donne de le faire ». Nous ne faisons aucun bien en dehors de celui que Dieu nous fait
réaliser par sa grâce. Aussi le Concile de Trente a-t-il déclaré dans sa sixième Session, can.3 : « Si quelqu'un dit que, sans l'inspiration prévenante et l'aide du Saint-Esprit, l'homme peut croire, espérer, aimer, ou se repentir comme il faut, pour que la grâce de la justification lui soit accordée, qu'il soit
anathème ».
L'Auteur de l'Ouvrage Imparfait dit, à propos des animaux, que le Seigneur a donné aux uns la faculté de courir, à d'autres des griffes, à d'autres des
ailes, pour qu' ils puissent ainsi préserver leur vie, mais ensuite il a formé l'homme de telle manière que Dieu seul soit toute sa force. Ainsi l'homme est de fait complètement incapable d' assurer par lui-même son salut, parce que Dieu a voulu que tout ce que l'homme a et peut avoir, il le reçoive du seul secours de sa grâce.
Mais, ce secours de la grâce, le Seigneur, selon sa Providence ordinaire, ne l'accorde qu'à ceux qui prient, selon la célèbre formule de Gennade : « Nous
croyons que personne n' aspire au salut sans y être appelé par Dieu ; aucun appelé ne fait concrètement son salut sans y être aidé par Dieu ; personne
n'obtient cette aide si ce n'est pas la prière »''. Si donc sans le secours de la grâce nous ne pouvons rien ; si, par ailleurs, Dieu ne donne ordinairement
ce secours qu'à ceux qui prient, n'est-il pas clair, en conséquence, que la prière nous est absolument nécessaire pour le salut ? Il est vrai que les
premières grâces qui nous viennent sans aucune coopération de notre part, comme l'appel à la foi ou à la pénitence, Dieu les accorde, selon saint
Augustin, même à ceux qui ne prient pas, mais le saint n'en tient pas moins pour certain que les autres grâces (spécialement le don de la persévérance)
ne sont accordées qu'à ceux qui prient : « Il y a des grâces, cela est certain, que Dieu a préparées à ceux-là mêmes qui ne les demandent pas, comme le
commencement de la foi, mais d'autres qu'il réserve à ceux qui les demandent comme la persévérance finale ».
De là vient que les théologiens enseignent communément avec saint Basile, saint Jean Chrysostome, Clément d'Alexandrie et d'autres, comme le même saint Augustin, que la prière est nécessaire aux adultes, non seulement de nécessité de « précepte », comme nous l'avons vu, mais de nécessité de « moyens ». Cela veut dire que, selon la providence ordinaire, il est impossible qu'un fidèle, sans se recommander à Dieu et sans lui demander les grâces nécessaires au salut, puisse se sauver. Saint Thomas enseigne la même chose : « Après le baptême, pour que l' homme entre au ciel, la prière continuelle lui est nécessaire. Sans doute, par le baptême, les péchés sont remis ; pourtant, il reste le foyer de concupiscence qui nous combat à l'intérieur, et le monde et les démons qui luttent contre nous de l'extérieur ».
La raison donc qui convainc, selon le Docteur Angélique, où nous sommes de prier, la voici en
bref : Pour faire notre salut nous devons lutter et vaincre ; « L'athlète ne reçoit la couronne que s'il a lutté selon les règles » (2 Tm 2, 5). Mais, sans le
secours divin, nous sommes incapables de résister aux attaques d'ennemis si nombreux et si puissants. Or, ce secours divin ne s'obtient que par la prière.
Donc, sans la prière pas de salut possible. Que la prière soit l'unique moyen ordinaire de recevoir les grâces de Dieu, le même saint Docteur le confirme
plus nettement encore dans un autre passage : selon lui toutes les grâces que le Seigneur a résolu éternellement de nous accorder, il ne veut nous les
donner que par la prière. Saint Grégoire écrit de même : « Par leurs demandes les hommes méritent de recevoir ce que le Dieu tout-puissant a dès toujours résolu de leur donner ». Ce n'est pas, dit saint Thomas qu'il soit nécessaire de prier afin que Dieu connaisse nos besoins, mais afin que nous
comprenions, nous, la nécessité où nous sommes de recourir à Dieu pour recevoir de lui les secours nécessaires à notre salut, et qu'ainsi nous le
reconnaissions comme l'unique auteur de tous nos biens.
Ce sont les paroles de saint Thomas : « C'est pour nous faire entendre à nous-mêmes qu'en pareil cas on doit recourir au secours de Dieu », « et nous faire
reconnaître en Lui l'auteur de nos biens ». De même que le Seigneur a fixé que nous nous procurions du pain en semant du blé, et du vin en plantant des vignes, ainsi a-t-il voulu que nous recevions par le moyen de la prière les grâces nécessaires au salut : « Demandez et l'on vous donnera, cherchez et
vous trouverez » (Mt 7,7). Bref, nous ne sommes que de pauvres mendiants, qui n' avons rien d' autre que ce que Dieu nous donne en aumône : « Je ne suis qu'un pauvre et un mendiant » (Ps 40 (39) 18). Le Seigneur, dit saint Augustin, désire et veut nous dispenser ses grâces, mais il ne veut les donner qu'à ceux qui les lui demandent : « Dieu veut donner, mais il ne donne qu'à celui qui demande ». N'a-t-il pas affirmé : « Demandez et l'on vous donnera ? » Oui, cherchez et vous recevrez ! Donc, conclut sainte
Thérèse, qui ne cherche pas ne reçoit pas. Comme la sève est nécessaire pour que les plantes vivent et ne se dessèchent pas, ainsi dit saint Jean Chrysostome, la prière est nécessaire à notre salut.
Ce même saint dit ailleurs : Comme l'âme donne la vie au corps, ainsi la prière maintient l'âme en vie : « De même que le corps ne peut vivre sans l' âme, ainsi sans la prière l'âme est morte et sent mauvais ». « Elle sent mauvais », parce que celui qui néglige de se recommander à Dieu commence aussitôt à puer le péché. La prière est aussi appelée nourriture de l'âme ; parce que le corps ne peut se soutenir sans nourriture, et de même, dit saint Augustin, l'âme ne peut se conserver en vie sans la prière. « De même que le corps se nourrit d'aliments, ainsi l'homme se nourrit de prières ». Toutes ces comparaisons
employées par les Saints Pères nous montrent bien l'absolue nécessité où nous sommes tous, selon eux, de prier pour faire notre salut. La prière est en outre l'arme la plus nécessaire pour nous défendre contre nos ennemis ; celui qui n'y recourt pas, dit saint Thomas, est perdu. Adam est tombé, assure le saint Docteur, parce qu'il ne s'est pas recommandé à Dieu au moment de la tentation : « Il a péché parce qu'il n'eut pas recours au secours divin ». Parlant des Anges rebelles, Gélase écrit de même : « Recevant la
grâce de Dieu, c'est en vain qu'ils l'ont reçue, car ne priant pas ils ne purent tenir bon ».
Saint Charles Borromée observe dans une de ses Lettres Pastorales, qu'entre tous les moyens que Jésus Christ nous a recommandés dans l'Évangile, il a donné la première place à la prière ; en cela il a voulu
que son Église et sa Religion se distinguent des Sectes ; il a voulu qu'on l'appelle spécialement « Maison de Prière » : « Ma maison sera appelée une
maison de prière » (Mt 21, 13). Le saint évêque conclut dans sa Lettre : « Toutes les vertus trouvent dans la prière leur origine, leur croissance et leur couronnement ». Si bien que dans les ténèbres, les misères et les dangers dans lesquels nous nous trouvons, nous n'avons pas d'autre ressource pour fonder nos espérances, que de lever les yeux vers Dieu et, par nos prières, d'implorer de sa miséricorde notre salut. « Nous, nous ne savons que faire, disait le roi Josaphat, aussi est-ce sur toi que se portent nos regards » (2 Ch. 20, 12). C'était aussi la façon d'agir du roi David : Il ne voyait aucun autre moyen, pour ne pas être la proie de ses ennemis, que de prier sans cesse le Seigneur de le délivrer de leurs pièges : « Mes yeux sont fixés sur Yahvé car il tire mes pieds du lacet » (Ps 25 (24), 15).
Aussi ne faisait-il que prier en disant : « Tourne-toi vers moi, pitié pour moi, solitaire et malheureux que je
suis » (Ps 25 (24), 16). « Je t'appelle, sauve-moi afin que j'observe tes commandements » (Ps 119 ( 118), 146). Seigneur, tourne tes yeux vers moi, aie pitié de moi et sauve-moi : de moi-même je ne peux rien et je n'ai personne en-dehors de toi qui puisse m'aider ! Et, de fait, comment pourrions-nous jamais résister aux attaques de nos multiples ennemis et observer les commandements de Dieu, spécialement après le péché de notre premier père, Adam, qui nous a rendus si faibles et si infirmes, si nous n'avions pas la prière, grâce à laquelle nous pouvons demander au Seigneur la lumière et la force suffisante pour les observer ? Luther proféra un blasphème lorsqu' il dit qu'après le péché d'Adam, l'observation de la loi de
Dieu est devenue absolument impossible aux hommes.
Jansénius disait, de son côté, que l' accomplissement de certains préceptes était impossible même aux justes, eu égard à leurs forces actuelles. Sa proposition, aurait pu, à la rigueur, s'entendre dans un sens acceptable mais elle fut avec raison
condamnée par l'Église compte tenu de ce qu'il ajoutait : « Il leur manque aussi la grâce qui rend possible de les accomplir ». "Il est vrai", dit saint
Augustin, "que l'homme, par suite de sa faiblesse, ne peut observer certains commandements avec ses forces présentes et avec la grâce ordinaire ou
commune à. tous, mais il peut fort bien obtenir par la prière le secours plus puissant nécessaire pour les observer. Dieu, bien sûr, ne commande pas l'impossible, mais par ses commandements, il nous engage à faire notre possible et à le prier pour ce qui dépasse nos possibilités et il t'aide à pouvoir».
Ce texte du saint est célèbre ; il fut adopté par le Concile de Trente qui en fit un dogme de foi. Et le saint Docteur, pour répondre à la question :
comment l'homme peut-il faire ce qu'il ne peut pas, ajoute aussitôt : « Voyons maintenant (pourquoi) grâce à un remède, il pourra accomplir ce dont un défaut de nature le rend incapable ». Il veut dire que nous trouvons dans la prière un remède à notre faiblesse : car lorsque nous prions, Dieu nous donne la force de faire ce que de nous-mêmes nous ne pourrions pas. Il n'est pas croyable, continue saint Augustin, que le Seigneur ait voulu nous imposer d'observer la loi et qu'ensuite il nous ait imposé une loi impossible. Aussi, ajoute le saint, lorsque Dieu nous fait prendre conscience de notre impuissance à observer tous ces préceptes, il nous avertit de faire les choses faciles avec la grâce ordinaire qu'il nous donne, et puis les choses difficiles avec le secours plus puissant que nous pouvons obtenir par le moyen de la prière : « D'où cette croyance très solide que le Dieu juste et bon n' a pas pu nous prescrire des choses impossibles. Par là, on nous rappelle et ce que
nous avons à faire dans les choses faciles et ce que nous avons à demander dans les choses difficiles ».
Mais, objectera quelqu'un, pourquoi Dieu nous
a-t-il imposé des choses au-dessus de nos forces ? Précisément, répond le saint, pour que nous nous appliquions à obtenir par la prière le secours
nécessaire pour faire ce que de nous-mêmes nous ne pouvons pas : « Mais justement, il nous ordonne des choses dont nous ne sommes pas capables, pour que nous sachions ce que nous devons lui demander ». Et ailleurs : « La loi nous a été donnée pour que nous demandions la grâce ; la grâce nous est donnée pour que nous observions la loi ». La loi ne peut pas être
observée sans la grâce et Dieu a donné la loi précisément pour que nous le suppliions sans cesse de nous accorder la grâce nécessaire. Il dit ailleurs : « La loi est bonne, si on l'utilise comme il faut. Mais qu'est-ce qu'utiliser la loi comme il faut ? ». Et il répond : « La loi fait connaître le mal et chercher le
secours divin pour la guérison ». La loi doit donc nous servir, dit saint Augustin, mais à quoi ? A nous faire prendre conscience par son impossibilité même de notre impuissance à l'observer, afin que nous demandions alors par la prière le secours de Dieu qui remédie à notre faiblesse. Saint Bernard écrit de même : « Mais qui sommes-nous et quelle est notre vaillance, pour pouvoir résister à de si multiples tentations ?
C'est précisément à cette prise de conscience que Dieu cherchait à nous amener...pour que, en constatant notre déficience et en sachant qu'il n'est pour nous point d'autre secours, nous nous précipitions en toute humilité vers sa miséricorde ». Le Seigneur sait combien la nécessité de la prière nous est utile pour nous maintenir dans l'humilité et exercer notre confiance ; c'est pourquoi il permet que nous assaillent des ennemis que nous ne pouvons
pas vaincre par nos propres forces, afin que, par la prière, nous obtenions de sa miséricorde le secours pour résister. Notons tout particulièrement que
personne ne peut maîtriser les tentations impures de la chair, s'il ne se recommande à Dieu, quand il est tenté. Cette ennemie-là est si terrible que,
lorsqu'elle nous attaque, elle nous enlève presque toute lumière ; elle nous fait oublier toutes les méditations et les bonnes résolutions ; elle nous fait
mépriser même les vérités de la foi et presque perdre toute crainte des châtiments divins. Il faut dire qu'elle s'allie au penchant naturel qui nous incline avec une extrême violence aux plaisirs des sens.
Alors qui ne recourt pas à Dieu est perdu. La seule défense contre cette tentation, c'est la prière, dit saint Grégoire de Nysse : « La prière est la sauvegarde de la pureté ». Salomon l'avait déjà dit : « Comprenant que je ne pourrais devenir
possesseur de la Sagesse (continence) que si Dieu me la donnait... Je m'adressai au Seigneur et le priai » (Sg 8, 21 ). La chasteté est une vertu que nous n'avons pas la force de pratiquer, si Dieu ne nous l'accorde pas, et Dieu ne la donne qu' à ceux qui la lui demandent. Mais celui qui la demande l'obtiendra certainement. C'est pourquoi saint Thomas enseigne par avance contre Jansénius : nous ne devons pas dire que la vertu de chasteté ou tout autre commandement nous est impossible, car bien que nous ne puissions pas l'observer par nos propres forces, nous le pouvons cependant avec l'aide
de Dieu : « Ce que nous pouvons avec l'aide de Dieu, ne nous est pas absolument impossible ». Ne dites pas, il semble déraisonnable de commander à un boiteux de marcher droit. Non, répond saint Augustin, ce n'est pas déraisonnable, à condition de lui donner le moyen de se procurer le remède qui va corriger son infirmité ; par conséquent, s'il continue à
marcher de travers, c'est de sa faute : « Il a été prescrit à l'homme de marcher droit, afin que, lorsqu'il aura vu clairement son incapacité à le faire, il demande le remède, celui qui guérit la claudication du péché ».
Bref, dit le même saint Docteur, il ne saura jamais bien vivre, celui qui ne saura pas bien prier : « Celui-là sait bien vivre, qui sait bien prier ». Au contraire, saint François d'Assise disait qu'on ne peut jamais espérer voir aucun bon fruit d'une âme sans la prière. C'est donc à tort qu'ils cherchent des excuses, ces pécheurs qui disent : Nous n' avons pas la force de résister aux tentations. Mais réplique saint Jacques, si vous n'avez pas cette force, pourquoi ne la demandez-vous pas ? Vous ne l'avez pas parce que vous ne cherchez pas à l'avoir :
« Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas » (Jc 4, 2). Il est bien certain que nous sommes trop faibles pour repousser les assauts
de nos ennemis, mais il est également certain que Dieu est fidèle, comme dit l'Apôtre Paul, et il ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos
forces : « Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d'en sortir et
la force de la supporter » ( 1 Co 10, 13).
Primasius commente : « Par le secours de sa grâce Dieu vous rendra capables de résister à la tentation».
Nous sommes faibles, mais Dieu est fort. Quand nous lui demandons du secours il nous communique sa force. Alors, nous pourrons tout, comme le promettait très justement le même Apôtre Paul : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4, 13). Celui qui tombe n'a donc pas d'excuse, dit saint Jean Chrysostome, parce qu'il néglige de prier; s'il avait prié, il n'aurait pas été vaincu par ses ennemis : « Celui-là n'aura pas d'excuse qui n'aura pas voulu vaincre l'ennemi, puisqu'il a cessé de prier ». Un doute survient ici : Est-il nécessaire de recourir aussi à l'intercession des saints pour obtenir les grâces de Dieu ? Pour autant qu'on veuille dire qu'il soit permis et utile d'invoquer les saints comme intercesseurs pour nous obtenir, par les mérites de Jésus Christ, ce que nous ne sommes pas dignes d'obtenir à cause de nos démérites, telle est bien, comme l'a déclaré le Concile de Trente, la doctrine de l'Église : « Il est bon et utile de les (saints) invoquer humblement et, pour obtenir des bienfaits de Dieu par son Fils Notre Seigneur Jésus Christ..., de recourir à leurs prières, à leur aide et à leur assistance ».
L'impie Calvin condamnait cette invocation des saints, mais de façon très arbitraire. Il est licite et profitable d'appeler à notre secours les saints vivants et de les supplier de nous assister de leurs prières. Ainsi faisait le prophète Baruch qui disait : « Priez aussi pour nous le Seigneur notre Dieu » (Ba 1, 13). Ainsi faisait aussi saint Paul : « Frères, priez, vous aussi, pour nous » ( 1 Th 5, 25). Dieu lui-même voulut que les amis de Job se recommandent aux prières de celui-ci afin que par ses mérites le Seigneur leur soit favorable : « Allez vers mon serviteur Job... Mon serviteur Job priera pour vous. J'aurai égard à lui et ne vous infligerai pas ma disgrâce » (Jb 42, 8). Si donc il est permis de se
recommander aux vivants, pourquoi ne le serait-il pas d'invoquer les saints qui, de plus près encore, jouissent de l'intimité de Dieu dans le ciel ? Ce n'est pas déroger à l'honneur que l'on doit à Dieu mais le redoubler, comme le fait d' honorer le roi non seulement dans sa personne mais aussi dans ses
serviteurs. Aussi saint Thomas juge-t-il qu'il est bon de recourir à de nombreux saints : « Parce qu'on obtient quelquefois par les prières de plusieurs ce que l'on n'obtient pas par la prière d'un seul ». Si quelqu'un objecte : Mais à quoi sert de recourir aux saints pour qu'ils prient pour nous, alors qu'ils le font déjà pour tous ceux qui en sont dignes ? Le même saint Docteur répond que tel ne serait pas déjà digne que les saints prient pour lui, « qui le devient du fait qu'il recourt à un saint avec dévotion ». Autre sujet
de controverse : Y a-t-il lieu de se recommander aux âmes du Purgatoire ?
Certains répondent qu'elles ne peuvent pas prier pour nous. Ils s' appuient sur l'autorité de saint Thomas pour qui ces âmes, se purifiant au milieu des
souffrances, nous sont inférieures et, de ce fait, elles ne sont point « intercesseurs, mais bien plutôt des gens pour qui l'on prie ». Cependant beaucoup d'autres docteurs, tels que Bellarmin, Sylvius, le Cardinal Gotti, etc... affirment le contraire comme très probable : on doit pieusement croire que Dieu leur fait connaître nos prières afin que ces saintes âmes prient pour nous, en sorte qu'il se fasse entre elles et nous un bel échange de charité : nous prions pour elles et elles prient pour nous. Ce qu'a écrit le
Docteur Angélique, à savoir qu'elles ne sont pas en situation de prier, n'est pas absolument contraire à cette dernière opinion, comme le font remarquer
Sylvius et Gotti : autre chose, en effet, est de ne pas être à même de prier par situation et autre chose de ne pas pouvoir prier.
Ces saintes âmes ne sont pas habilitées à prier de par leur situation, c'est vrai, parce que, comme dit
saint Thomas, elles sont là en train de souffrir, elles sont inférieures à nous et elles ont besoin au plus vite de nos prières. Elles peuvent pourtant fort bien prier pour nous parce que ce sont des âmes amies de Dieu. Si un père qui aime tendrement son fils le tient enfermé pour le punir de quelque faute, ce fils n'est plus alors en situation de prier pour lui-même, mais pourquoi ne pourrait-il pas prier pour les autres et espérer obtenir ce qu'il demande en vertu de l'affection que lui porte son père ? De même les âmes du Purgatoire sont très aimées de Dieu et confirmées en grâce. Rien ne peut leur interdire de prier pour nous. L'Église, c'est vrai, n'a pas coutume de les invoquer et d'implorer leur intercession, parce qu'ordinairement elles ne connaissent pas nos demandes. Mais l'on peut croire pieusement (comme on l'a dit) que le Seigneur leur fait connaître nos prières. Alors, elles qui sont remplies de charité, ne manquent certainement pas de prier pour nous.
Quand sainte Catherine de Bologne désirait quelque grâce, elle recourait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait vite exaucée. Elle certifiait que beaucoup de grâces qu'elle n'avait pas obtenues par l'intercession des saints, elle les avait ensuite reçues par l'intercession des âmes du Purgatoire. Que l'on me
permette de faire une digression au bénéfice de ces saintes âmes. Si nous voulons obtenir le secours de leurs prières, il est bon que nous-mêmes nous nous efforcions de les secourir par nos prières et nos oeuvres.
J'ai dit : Il est bon, mais il faut ajouter que c'est là une obligation chrétienne : la charité nous demande, en effet, de secourir le prochain chaque fois qu' il a besoin d'être aidé et que nous pouvons le faire sans que cela nous pèse beaucoup. Or, il est certain que les âmes du Purgatoire sont aussi notre prochain. Bien
qu'elles ne soient plus en ce monde, elles continuent pourtant de faire partie de la communion des Saints. « Car les âmes des justes à la mort, dit saint
Augustin, ne sont pas séparées de l'Église ». Saint Thomas le déclare encore plus clairement : la charité qui est due aux défunts passés à l'autre vie en état
de grâce est une extension de cette charité que nous devons à notre prochain d'ici-bas : « Le lien de la charité qui unit entre eux les membres de l'Église, n'embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ». Nous devons donc secourir, dans toute la mesure du possible, ces saintes âmes : elles sont aussi notre prochain : et même leurs besoins étant encore plus grands que ceux de notre prochain d'ici-bas, il semble donc que, sous ce rapport, soit encore plus grand notre devoir de leur venir en aide. Or, en quelle nécessité se retrouvent ces saintes prisonnières ? Il est certain que leurs peines sont immenses. Le feu qui les consume, dit saint Augustin, est plus douloureux que toutes les souffrances qui nous puissent affliger en cette vie. « Plus douloureux est ce feu que tout ce que l'on peut avoir à souffrir en cette vie ». Saint Thomas est du même avis et il ajoute que ce feu est identique à celui de l' Enfer. « C'est par le même feu qu' est tourmenté le damné et purifié l'élu ».
Ceci concerne la peine du sens, mais beaucoup plus
grande encore est la peine du dam, c'est-à-dire la privation de la vue de Dieu pour ses saintes épouses. Non seulement l'amour naturel mais aussi l'amour
surnaturel, dont elles brûlent pour Dieu, poussent ces âmes avec une grande force à vouloir s'unir à leur souverain bien. S'en voyant empêchées par leurs
fautes, elles en éprouvent une douleur très amère. Si elles pouvaient mourir, elles en mourraient à chaque instant. Selon saint Jean Chrysostome, cette privation de Dieu les fait souffrir infiniment plus que la peine du sens : « Mille feux de l'enfer réunis ne feraient pas autant souffrir que la seule peine
du dam ». Ces saintes épouses préféreraient donc endurer tout autre supplice plutôt que d'être privées, un seul instant, de cette union tant désirée avec Dieu. C'est pourquoi , dit le Docteur Angélique, la souffrance du Purgatoire surpasse toutes les douleurs de cette vie : « Il faut que la peine du
Purgatoire excède toute peine de cette vie ». Denis le Chartreux rapporte qu'un défunt, ressuscité par l'intercession de saint Jérôme, dit à saint Cyrille
de Jérusalem que tous les tourments de cette terre ne sont que soulagement et délices à côté de la plus petite peine du Purgatoire : « Si l'on compare tous
les tourments du monde à la plus petite peine du Purgatoire, ce sont des consolations ». Et il ajoute : « Si quelqu'un avait éprouvé ces souffrances, il
préférerait endurer plutôt toutes les peines du monde, subies ou à subir par les hommes jusqu'au jugement dernier, que d'être soumis un seul jour à la
plus petite des peines du Purgatoire. Ce qui fait dire à saint Cyrille que ces peines sont les mêmes que celles de l'Enfer quant à leur intensité, la seule
différence étant qu'elles ne sont pas éternelles. Les douleurs de ces âmes sont donc très grandes. D'autre part, elles ne peuvent pas se soulager
elles-mêmes.
Comme le dit Job : « Il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction » (Jb 36, 8). Ces saintes Reines sont déjà destinées à entrer dans le Royaume mais leur prise de possession est différée jusqu'au terme de leur purification. Elles ne peuvent pas réussir par elles-mêmes (au moins pleinement, si l'on veut accorder crédit à certains docteurs, selon qui ces âmes peuvent tout de même par leurs prières obtenir quelque soulagement) à se libérer de leurs chaînes, tant qu'elles n'ont pas pleinement satisfait à la justice divine. Un moine cistercien dit un jour, depuis le Purgatoire, au sacristain de son monastère: « Aidez-moi par vos prières, je vous en supplie, parce que de moi-même je ne peux rien obtenir ». Cela est conforme au mot de saint Bonaventure :
« Leur état de mendicité les empêche de se libérer », c'est-à-dire que ces âmes sont si pauvres qu'elles
n'ont pas de quoi acquitter leurs dettes. Par contre, il est certain et même de foi que nous pouvons soulager ces saintes âmes par nos suffrages personnels et surtout par les prières recommandées dans l'Église.. Je ne sais donc pas comment on peut excuser de péché celui qui néglige de les secourir tout au moins par ses prières. Si nous ne nous y décidons pas par devoir, que ce soit au moins à cause du plaisir que nous procurons à Jésus Christ : c'est avec joie qu'il nous voit nous appliquer à libérer ces chères âmes pour qu' il les ait avec lui en Paradis. Faisons-le aussi à cause des grands mérites que nous pouvons acquérir par notre acte de charité à leur égard ; en retour, elles nous sont très reconnaissantes et apprécient le grand bienfait que nous leur accordons, en les soulageant de leurs peines et en leur obtenant d'anticiper leur entrée dans la Gloire. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles ne manqueront pas de prier pour nous. Si le Seigneur
promet sa miséricorde à ceux qui se montrent miséricordieux envers leur prochain : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde »
(Mt 5, 7).
Ils ont bonne raison d'espérer leur salut ceux qui s'appliquent à aider ces saintes âmes si affligées et si chères à Dieu. Jonathan, après avoir sauvé les Hébreux par sa victoire sur les ennemis fut condamné à mort par son père Saül pour avoir goûté du miel malgré sa défense, le peuple se présenta devant le roi et cria : « Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a
opéré cette grande victoire en Israël ? » (1 S 14, 45). Ainsi devons-nous justement espérer que, si l'un d'entre nous obtient par ses prières qu'une âme sorte du Purgatoire et entre au Paradis, cette âme dira à Dieu : Seigneur, ne permettez pas que se perde celui qui m'a délivrée des tourments ! Et si Saül accorda la vie à Jonathan à cause des supplications du peuple, Dieu ne refusera pas le salut éternel à ce fidèle à cause des prières d'une âme, qui est son épouse. Bien plus, selon saint Augustin : Ceux qui auront, en cette vie, le plus secouru ces saintes âmes, Dieu fera en sorte, s'ils vont au Purgatoire, qu'ils soient davantage secourus par d'autres. Observons ici qu'en pratique c'est un puissant suffrage en faveur des âmes du Purgatoire que d'entendre la messe pour elles et de les y recommander à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ : « Père éternel, je vous
offre ce sacrifice du Corps et du Sang de Jésus Christ, avec toutes les souffrances qu'il a endurées durant sa vie et à sa mort ; et par les mérites de
sa Passion, je vous recommande les âmes du Purgatoire, particulièrement etc... » Et c'est aussi un acte de grande charité que de recommander aussi en
même temps les âmes de tous les agonisants.
La question que nous nous sommes posée à propos des âmes du Purgatoire - à savoir si elles peuvent ou non prier pour nous et donc s'il est avantageux
ou non de faire appel à leurs prières - ne se pose certainement pas pour les saints. On ne peut douter, en effet, qu'il ne soit très utile de recourir à leur
intercession quand il s'agit de saints canonisés et qui jouissent déjà de la vision de Dieu. Croire que l'Église peut se tromper dans la canonisation des saints ne peut être exempt de faute ou d'hérésie, d'après saint Bonaventure, Bellarmin et d'autres, ou tout au moins d'une erreur proche de l'hérésie, d'après Suarez, Azor, Gotti, etc. En effet, dans la canonisation des saints tout spécialement, ainsi que l'enseigne le Docteur Angélique, le Souverain Pontife est guidé par l'inspiration infaillible du Saint Esprit.
Mais revenons au doute formulé plus haut : est-il de surcroît obligatoire de recourir à l'intercession des saints ? Je ne veux pas entreprendre de trancher
ce cas mais je ne peux omettre d'exposer l'opinion du Docteur Angélique. En plusieurs endroits cités plus haut et spécialement dans le Livre des Sentences, il tient pour certain que chacun est obligé de prier. En effet, affirme-t-il, on ne peut obtenir de Dieu les grâces nécessaires au salut autrement qu'en les demandant : « Chacun est tenu de prier par le fait même qu'il doit se procurer les biens spirituels,
lesquels ne sont donnés que de source divine : on ne peut donc les obtenir autrement qu'en les demandant à Dieu ». Puis, dans un autre passage du même livre, le saint pose précisément la question : « Est-ce que nous devons prier les saints d'intercéder pour nous. Pour bien faire comprendre sa pensée, il nous faut citer le texte entier de sa réponse : « C'est une loi établie par Dieu, selon Denys, que les êtres les plus
éloignés de Dieu soient ramenés à lui par les plus proches. Or, les saints du ciel sont toujours près de Dieu ; nous, au contraire, aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur ; ils doivent donc nous servir d'intermédiaires. Ils jouent ce rôle lorsque la divine bonté se répand sur nous par eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin.
Ainsi donc, de même que c'est par le suffrage des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur nous, c' est par eux que nous devons remonter à Dieu
pour en recevoir de nouveaux bienfaits. C'est pour cette raison que nous constituons les saints nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos
médiateurs lorsque nous leur demandons de prier pour nous ». Notons ces mots : « C'est une loi établie par Dieu » et aussi les derniers : « De même
que c'est par le suffrage des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur nous, c'est par eux que nous devons remonter à Dieu pour en recevoir de nouveaux bienfaits ». Ainsi donc, d'après saint Thomas, l'ordre de la loi divine exige que nous, mortels, nous fassions notre salut par l'intermédiaire
des saints en recevant par eux les secours nécessaires. A l'objection qu'il se fait : Ne semble-t-il pas superflu de recourir aux saints, vu que Dieu est
infiniment plus qu'eux miséricordieux et porté à nous exaucer ?, le Docteur Angélique répond : Dieu l' a voulu ainsi, non par un défaut de sa clémence mais pour conserver l'ordre exact, universellement établi, d'agir par les causes secondes : « Ce n'est pas par un défaut de sa miséricorde, dit-il, mais pour que l'ordre établi soit respecté dans les choses ».
S'appuyant sur l'autorité de saint Thomas, le Continuateur de Tournely écrit avec Sylvius :
Bien que l'on ne doive prier que Dieu comme Auteur des grâces, nous sommes néanmoins tenus de recourir également à l'intercession des Saints,
pour respecter l'ordre que le Seigneur a établi quant à notre salut, à savoir que les inférieurs fassent leur salut en implorant l'aide des supérieurs : « Nous sommes tenus par la loi naturelle d'observer cet ordre que Dieu a établi ; Dieu a fixé que les inférieurs parviendraient au salut en implorant l'aide des supérieurs ».
S'il en est ainsi des saints, à plus forte raison doit-il en être ainsi de l'intercession de la Divine Mère, dont les prières valent certainement auprès de Dieu plus que celles de tout le Paradis. Selon saint Thomas les saints peuvent sauver beaucoup d'âmes en proportion des mérites avec lesquels ils se sont acquis la grâce, mais Jésus Christ ainsi que sa mère ont mérité une si grande grâce qu'ils peuvent sauver tous les hommes : « Si un saint a une telle abondance de grâce qu'elle peut suffire au salut de beaucoup, c'est déjà une grande chose. S'il avait une
telle abondance de grâce qu'elle suffise au salut de tous, ce serait le maximum : tel est le cas de Jésus Christ et de la Bienheureuse Vierge ». Saint Bernard a dit de Marie : « Que par toi nous ayons accès auprès du Fils, ô bénie qui nous apportes la grâce, qui enfantes la vie, qui es mère du salut : que par toi, il nous accueille Celui qui par toi nous a été donné (Is 9, 5) ». Ce qui revient à dire : de même que nous n'avons accès au Père que par le Fils,
médiateur de justice, de même nous n' avons accès au Fils que par sa Mère, Médiatrice de grâce, qui nous obtient par son intercession les biens que
Jésus Christ nous a mérités. Le même saint Bernard en conclut, dans un autre passage, que Marie a reçu de Dieu deux plénitudes de grâce : la première, l'Incarnation du Verbe éternel fait homme dans son chaste sein ; la seconde, la plénitude des grâces que nous recevons de Dieu par l'intermédiaire de cette divine Mère. Le saint ajoute : « Il a déposé en elle la
plénitude de tout bien ; ainsi sommes-nous capables de comprendre que tout ce qu'il peut y avoir en nous, d'espérance, de grâce, de salut, émane de
celle qui monte (Ct 8, 5), inondée de délices. C'est elle le jardin de délices que le divin aquilon, survenant soudain, n' a pas seulement effleuré de son
souffle, mais traversé avec violence pour que se répandent partout les effluves de ses aromates (Ct 4, 12-16) - autrement dit les dons de la grâce-».
Ainsi tous les bienfaits qui nous viennent du Seigneur nous les recevons tous par l'intercession de Marie." Et pourquoi cela ? Parce que, nous répond toujours saint Bernard, ainsi Dieu l'a voulu : « Telle est la volonté de Celui qui a voulu que nous ayons tout par Marie ».
Mais la raison la plus spécifique, nous la trouvons chez saint Augustin : Marie mérite à bon droit d'être appelée notre Mère parce qu'elle a coopéré par sa charité à nous faire naître, nous fidèles, à la vie de la grâce, comme membres de notre Chef Jésus Christ : « Mais elle l'est (Mère) de toute évidence de ses membres - et nous en sommes - car elle a coopéré par la charité, à la naissance dans l'Église, des fidèles qui sont les membres de ce Chef ». De même que Marie a coopéré par sa charité à la naissance
spirituelle des fidèles, ainsi Dieu a voulu qu'elle coopère par son intercession à leur faire acquérir la vie de la grâce en ce monde et la vie de la gloire dans
l'autre.
C'est pourquoi la sainte Église la fait saluer en des termes exceptionnels et inouïs de Vie, Douceur et Espérance : « Notre Vie, notre Douceur et notre Espérance, Salut ! » Saint Bernard nous exhorte donc à recourir sans cesse à cette divine Mère, parce que ses prières sont certainement exaucées par son Fils : « Recours à Marie... Je n'hésite pas à
l'affirmer : elle aussi sera exaucée en raison de son humble et libre soumission. Oui, le Fils exaucera sa Mère... Petits enfants, voilà l'échelle des pécheurs, voilà ma plus grande assurance, voilà toute la raison de mon espérance ». Le saint l'appelle Échelle, parce que, dans une échelle, on n'arrive au troisième échelon qu'en mettant d'abord le pied sur le second, et on n'arrive au second qu'en mettant le pied sur le premier ; de même, on n'arrive à Dieu que par Jésus Christ, et on n'arrive à Jésus Christ que par Marie. Il la nomme ensuite toute mon assurance et la raison de mon Espérance, parce que, affirme-t-il, Dieu veut que toutes ses grâces passent par les mains de Marie. Et de conclure : toutes les grâces que nous désirons, nous devons les demander par Marie ; elle nous obtient tout ce que nous voulons et ses prières ne peuvent pas être repoussées : « Recherchons la
grâce et recherchons-la par Marie, car ce qu'elle cherche, elle le trouve (Mt 7, 7) et ne saurait en être privée ». Saint Ephrem parle dans le même sens: « Nous n'avons pas d'autre confiance que celle qui nous vient de toi, ô Vierge très fidèle ». Pareillement saint Ildephonse : « Tous les biens que la Suprême Majesté a fixé de leur accorder, elle a décidé de les remettre entre tes mains. A toi ont été confiés
les trésors et splendeurs de la grâce ». Saint Germain : « Si tu nous abandonnes, ô Vie des chrétiens, que deviendrons-nous ? ». Saint Pierre
Damien : « En tes mains sont tous les trésors des miséricordes de Dieu ». Saint Antonin : « Celui qui demande sans Marie essaie de voler sans ailes ».
Saint Bernardin de Sienne : « Tu es la dispensatrice de toutes les grâces ; notre salut est dans ta main ». Il soutient ailleurs que non seulement toutes
les grâces nous viennent de Marie, mais qu' à partir du moment où la Bienheureuse Vierge devint Mère de Dieu, elle acquit une certaine juridiction sur toutes les grâces que nous recevons. « Par la Vierge Marie,
les grâces vitales partant de la tête qui est le Christ sont diffusées dans tout son corps mystique.
A partir du moment où la Vierge Mère conçut le Verbe de Dieu, elle obtint pour ainsi dire une certaine juridiction sur toutes les interventions du Saint Esprit en ce monde : personne n'obtient de Dieu la moindre grâce qui ne soit distribuée par sa pieuse Mère ». Et il conclut : « Tous les dons, vertus et grâces, sont donc dispensés par ses mains, à qui elle veut, quand elle veut et comme elle veut ». Saint Bonaventure écrit de même : « Comme la nature divine tout entière était présente en Marie, je ne crains pas de dire que celle-ci a obtenu une certaine juridiction dans toutes les distributions de grâces, et de son sein coulent, comme d'un océan de la divinité, les fleuves de toutes les grâces ». Beaucoup de théologiens, s'appuyant sur l'autorité de ces saints, ont donc défendu avec piété et à bon droit qu'aucune grâce ne nous est dispensée sinon par l'intercession de Marie. Telle est l'opinion de Vega, Mendoza, Paciucchelli, Segneri, Poiré, Crasset, et de beaucoup d'autres auteurs, ainsi que du savant Père Noël Alexandre qui a écrit : « Dieu veut que nous attendions de lui tous les biens par l'intercession très puissante de la Vierge Mère, quand nous l'invoquons comme il convient ». Et il avance à l'appui de son opinion le texte de saint Bernard cité plus haut :
« Telle est la volonté de Celui qui a voulu que nous ayons tout par Marie ». Le Père Contenson, commentant les paroles que Jésus adressa du haut de la Croix à saint Jean : « Voici ta Mère », a cette glose : « C'est comme s'il disait : Personne n'aura part à mon sang sinon par l'intercession de ma Mère. Mes plaies sont les sources des grâces, mais les ruisseaux n'en parviennent à personne sinon par le canal de Marie. Jean, mon disciple, dans la mesure où tu l'aimeras tu seras aimé de moi ». S'il est agréable à Dieu que nous recourions aux saints, à plus forte raison lui est-il agréable que nous recourions à l'intercession de Marie, afin qu'elle supplée par son mérite à notre indignité, comme le dit saint Anselme : « Afin que la dignité de l'intercesseur compense notre pauvreté. Nous
adresser à la Vierge, ce n' est donc pas nous défier de la miséricorde de Dieu mais redouter notre propre indignité ».
Cette dignité de Marie, saint Thomas la dit presqu'infinie : « La bienheureuse Vierge, selon qu'elle est Mère de Dieu, a en quelque sorte une dignité infinie ». On a donc raison de dire que les prières de Marie sont plus puissantes auprès de Dieu que les prières de tout le Paradis réuni.
Terminons ce premier point par une brève conclusion de tout ce que nous
avons dit : celui qui prie se sauve certainement ; celui qui ne prie pas se
damne certainement. Tous les élus du ciel, en dehors des enfants, se sont
sauvés par la prière. Tous les damnés se sont perdus pour n'avoir pas prié.
S'ils avaient prié, ils ne se seraient pas perdus. C'est et ce sera toujours leur
plus grand désespoir dans l'enfer : avoir pu se sauver avec tant de facilité en
demandant à Dieu ses grâces et n'être plus à même, les pauvres malheureux,
de le faire maintenant !
NÉCESSITÉ DE LA PRIÈRE
Ce fut déjà une erreur des Pélagiens de prétendre que la prière n'est pas nécessaire pour parvenir au salut. L'impie Pélage, leur maître, disait que : «
L'homme ne se perd que pour autant qu'il néglige d'apprendre les vérités qu'il est nécessaire de connaître ». Mais chose curieuse, disait saint
Augustin, « Pélage dispute de tout plutôt que de la prière »n Pélage voulait traiter de tout, sauf de la prière qui est l'unique moyen, comme le pensait et
l'enseignait le saint Docteur, d' acquérir la science des saints, selon ce que saint Jacques écrivait : « Si l'un de vous manque de sagesse, qu'il la demande à Dieu ; il donne à tous généreusement, sans récriminer ». (Jc 1,5).
Les textes de la Sainte Écriture, qui nous montrent la nécessité où nous sommes de prier, si nous voulons assurer notre salut sont trop clairs : « Il leur fallait prier sans cesse, et ne pas se décourager»
(Lc 18,1). « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26, 41). « Demandez et l'on vous
donnera » (Mt 7, 7).
Ces termes : « Il faut, Priez, Demandez », selon l'opinion commune des théologiens, impliquent un commandement, une obligation. Pour Wiclef, ces termes n'étaient pas à entendre de la prière
mais uniquement de la nécessité des bonnes oeuvres. D'après lui, prier n'était rien d'autre que bien agir. Ce fut là de sa part une erreur et il fut
condamné expressément par l'Église.
Aussi le savant Léonard Lessius a-t-il écrit qu'on ne pouvait nier sans errer dans la foi que la prière soit nécessaire aux adultes pour faire leur salut, car il est évident que, selon les Saintes Écritures, la prière est l'unique moyen d'obtenir les secours nécessaires au
salut : « Il faut, dit-il, tenir comme de foi, que la prière est nécessaire aux adultes pour leur salut, ainsi qu'il ressort des Saintes Écritures, parce que la
prière est le moyen sans lequel on ne peut obtenir le secours nécessaire au salut »
La raison en est claire. Sans le secours de la grâce nous ne pouvons faire aucun bien : « Hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15, 5). Saint
Augustin note à propos de cette phrase que Jésus n'a pas dit : « Vous ne pouvez rien parfaire, mais rien faire »3. Notre Sauveur nous donne ainsi à entendre que, sans la grâce, nous ne pouvons même pas commencer à faire le bien. L'Apôtre Paul va jusqu'à écrire que de nous-mêmes nous ne pouvons même pas en avoir le désir : « Et si nous avons tant d'assurance devant Dieu grâce au Christ, ce n'est pas à cause d'une capacité personnelle dont nous pourrions nous attribuer le mérite. Notre capacité vient de Dieu » (2 Co 3, 5).
Si donc nous ne pouvons même pas penser au bien, encore moins pouvons-nous le désirer. Beaucoup d'autres textes de la Sainte Écriture expriment la même idée : « C'est le même Dieu qui opère tout en
tous » ( 1 Co 12,6). « Je ferai que vous marchiez selon mes lois et que vous observiez et pratiquiez mes coutumes » (Ez 36, 27). Aussi saint Léon ler
a-t-il pu écrire : « L'homme ne fait aucun bien sans que Dieu lui donne de le faire ». Nous ne faisons aucun bien en dehors de celui que Dieu nous fait
réaliser par sa grâce. Aussi le Concile de Trente a-t-il déclaré dans sa sixième Session, can.3 : « Si quelqu'un dit que, sans l'inspiration prévenante et l'aide du Saint-Esprit, l'homme peut croire, espérer, aimer, ou se repentir comme il faut, pour que la grâce de la justification lui soit accordée, qu'il soit
anathème ».
L'Auteur de l'Ouvrage Imparfait dit, à propos des animaux, que le Seigneur a donné aux uns la faculté de courir, à d'autres des griffes, à d'autres des
ailes, pour qu' ils puissent ainsi préserver leur vie, mais ensuite il a formé l'homme de telle manière que Dieu seul soit toute sa force. Ainsi l'homme est de fait complètement incapable d' assurer par lui-même son salut, parce que Dieu a voulu que tout ce que l'homme a et peut avoir, il le reçoive du seul secours de sa grâce.
Mais, ce secours de la grâce, le Seigneur, selon sa Providence ordinaire, ne l'accorde qu'à ceux qui prient, selon la célèbre formule de Gennade : « Nous
croyons que personne n' aspire au salut sans y être appelé par Dieu ; aucun appelé ne fait concrètement son salut sans y être aidé par Dieu ; personne
n'obtient cette aide si ce n'est pas la prière »''. Si donc sans le secours de la grâce nous ne pouvons rien ; si, par ailleurs, Dieu ne donne ordinairement
ce secours qu'à ceux qui prient, n'est-il pas clair, en conséquence, que la prière nous est absolument nécessaire pour le salut ? Il est vrai que les
premières grâces qui nous viennent sans aucune coopération de notre part, comme l'appel à la foi ou à la pénitence, Dieu les accorde, selon saint
Augustin, même à ceux qui ne prient pas, mais le saint n'en tient pas moins pour certain que les autres grâces (spécialement le don de la persévérance)
ne sont accordées qu'à ceux qui prient : « Il y a des grâces, cela est certain, que Dieu a préparées à ceux-là mêmes qui ne les demandent pas, comme le
commencement de la foi, mais d'autres qu'il réserve à ceux qui les demandent comme la persévérance finale ».
De là vient que les théologiens enseignent communément avec saint Basile, saint Jean Chrysostome, Clément d'Alexandrie et d'autres, comme le même saint Augustin, que la prière est nécessaire aux adultes, non seulement de nécessité de « précepte », comme nous l'avons vu, mais de nécessité de « moyens ». Cela veut dire que, selon la providence ordinaire, il est impossible qu'un fidèle, sans se recommander à Dieu et sans lui demander les grâces nécessaires au salut, puisse se sauver. Saint Thomas enseigne la même chose : « Après le baptême, pour que l' homme entre au ciel, la prière continuelle lui est nécessaire. Sans doute, par le baptême, les péchés sont remis ; pourtant, il reste le foyer de concupiscence qui nous combat à l'intérieur, et le monde et les démons qui luttent contre nous de l'extérieur ».
La raison donc qui convainc, selon le Docteur Angélique, où nous sommes de prier, la voici en
bref : Pour faire notre salut nous devons lutter et vaincre ; « L'athlète ne reçoit la couronne que s'il a lutté selon les règles » (2 Tm 2, 5). Mais, sans le
secours divin, nous sommes incapables de résister aux attaques d'ennemis si nombreux et si puissants. Or, ce secours divin ne s'obtient que par la prière.
Donc, sans la prière pas de salut possible. Que la prière soit l'unique moyen ordinaire de recevoir les grâces de Dieu, le même saint Docteur le confirme
plus nettement encore dans un autre passage : selon lui toutes les grâces que le Seigneur a résolu éternellement de nous accorder, il ne veut nous les
donner que par la prière. Saint Grégoire écrit de même : « Par leurs demandes les hommes méritent de recevoir ce que le Dieu tout-puissant a dès toujours résolu de leur donner ». Ce n'est pas, dit saint Thomas qu'il soit nécessaire de prier afin que Dieu connaisse nos besoins, mais afin que nous
comprenions, nous, la nécessité où nous sommes de recourir à Dieu pour recevoir de lui les secours nécessaires à notre salut, et qu'ainsi nous le
reconnaissions comme l'unique auteur de tous nos biens.
Ce sont les paroles de saint Thomas : « C'est pour nous faire entendre à nous-mêmes qu'en pareil cas on doit recourir au secours de Dieu », « et nous faire
reconnaître en Lui l'auteur de nos biens ». De même que le Seigneur a fixé que nous nous procurions du pain en semant du blé, et du vin en plantant des vignes, ainsi a-t-il voulu que nous recevions par le moyen de la prière les grâces nécessaires au salut : « Demandez et l'on vous donnera, cherchez et
vous trouverez » (Mt 7,7). Bref, nous ne sommes que de pauvres mendiants, qui n' avons rien d' autre que ce que Dieu nous donne en aumône : « Je ne suis qu'un pauvre et un mendiant » (Ps 40 (39) 18). Le Seigneur, dit saint Augustin, désire et veut nous dispenser ses grâces, mais il ne veut les donner qu'à ceux qui les lui demandent : « Dieu veut donner, mais il ne donne qu'à celui qui demande ». N'a-t-il pas affirmé : « Demandez et l'on vous donnera ? » Oui, cherchez et vous recevrez ! Donc, conclut sainte
Thérèse, qui ne cherche pas ne reçoit pas. Comme la sève est nécessaire pour que les plantes vivent et ne se dessèchent pas, ainsi dit saint Jean Chrysostome, la prière est nécessaire à notre salut.
Ce même saint dit ailleurs : Comme l'âme donne la vie au corps, ainsi la prière maintient l'âme en vie : « De même que le corps ne peut vivre sans l' âme, ainsi sans la prière l'âme est morte et sent mauvais ». « Elle sent mauvais », parce que celui qui néglige de se recommander à Dieu commence aussitôt à puer le péché. La prière est aussi appelée nourriture de l'âme ; parce que le corps ne peut se soutenir sans nourriture, et de même, dit saint Augustin, l'âme ne peut se conserver en vie sans la prière. « De même que le corps se nourrit d'aliments, ainsi l'homme se nourrit de prières ». Toutes ces comparaisons
employées par les Saints Pères nous montrent bien l'absolue nécessité où nous sommes tous, selon eux, de prier pour faire notre salut. La prière est en outre l'arme la plus nécessaire pour nous défendre contre nos ennemis ; celui qui n'y recourt pas, dit saint Thomas, est perdu. Adam est tombé, assure le saint Docteur, parce qu'il ne s'est pas recommandé à Dieu au moment de la tentation : « Il a péché parce qu'il n'eut pas recours au secours divin ». Parlant des Anges rebelles, Gélase écrit de même : « Recevant la
grâce de Dieu, c'est en vain qu'ils l'ont reçue, car ne priant pas ils ne purent tenir bon ».
Saint Charles Borromée observe dans une de ses Lettres Pastorales, qu'entre tous les moyens que Jésus Christ nous a recommandés dans l'Évangile, il a donné la première place à la prière ; en cela il a voulu
que son Église et sa Religion se distinguent des Sectes ; il a voulu qu'on l'appelle spécialement « Maison de Prière » : « Ma maison sera appelée une
maison de prière » (Mt 21, 13). Le saint évêque conclut dans sa Lettre : « Toutes les vertus trouvent dans la prière leur origine, leur croissance et leur couronnement ». Si bien que dans les ténèbres, les misères et les dangers dans lesquels nous nous trouvons, nous n'avons pas d'autre ressource pour fonder nos espérances, que de lever les yeux vers Dieu et, par nos prières, d'implorer de sa miséricorde notre salut. « Nous, nous ne savons que faire, disait le roi Josaphat, aussi est-ce sur toi que se portent nos regards » (2 Ch. 20, 12). C'était aussi la façon d'agir du roi David : Il ne voyait aucun autre moyen, pour ne pas être la proie de ses ennemis, que de prier sans cesse le Seigneur de le délivrer de leurs pièges : « Mes yeux sont fixés sur Yahvé car il tire mes pieds du lacet » (Ps 25 (24), 15).
Aussi ne faisait-il que prier en disant : « Tourne-toi vers moi, pitié pour moi, solitaire et malheureux que je
suis » (Ps 25 (24), 16). « Je t'appelle, sauve-moi afin que j'observe tes commandements » (Ps 119 ( 118), 146). Seigneur, tourne tes yeux vers moi, aie pitié de moi et sauve-moi : de moi-même je ne peux rien et je n'ai personne en-dehors de toi qui puisse m'aider ! Et, de fait, comment pourrions-nous jamais résister aux attaques de nos multiples ennemis et observer les commandements de Dieu, spécialement après le péché de notre premier père, Adam, qui nous a rendus si faibles et si infirmes, si nous n'avions pas la prière, grâce à laquelle nous pouvons demander au Seigneur la lumière et la force suffisante pour les observer ? Luther proféra un blasphème lorsqu' il dit qu'après le péché d'Adam, l'observation de la loi de
Dieu est devenue absolument impossible aux hommes.
Jansénius disait, de son côté, que l' accomplissement de certains préceptes était impossible même aux justes, eu égard à leurs forces actuelles. Sa proposition, aurait pu, à la rigueur, s'entendre dans un sens acceptable mais elle fut avec raison
condamnée par l'Église compte tenu de ce qu'il ajoutait : « Il leur manque aussi la grâce qui rend possible de les accomplir ». "Il est vrai", dit saint
Augustin, "que l'homme, par suite de sa faiblesse, ne peut observer certains commandements avec ses forces présentes et avec la grâce ordinaire ou
commune à. tous, mais il peut fort bien obtenir par la prière le secours plus puissant nécessaire pour les observer. Dieu, bien sûr, ne commande pas l'impossible, mais par ses commandements, il nous engage à faire notre possible et à le prier pour ce qui dépasse nos possibilités et il t'aide à pouvoir».
Ce texte du saint est célèbre ; il fut adopté par le Concile de Trente qui en fit un dogme de foi. Et le saint Docteur, pour répondre à la question :
comment l'homme peut-il faire ce qu'il ne peut pas, ajoute aussitôt : « Voyons maintenant (pourquoi) grâce à un remède, il pourra accomplir ce dont un défaut de nature le rend incapable ». Il veut dire que nous trouvons dans la prière un remède à notre faiblesse : car lorsque nous prions, Dieu nous donne la force de faire ce que de nous-mêmes nous ne pourrions pas. Il n'est pas croyable, continue saint Augustin, que le Seigneur ait voulu nous imposer d'observer la loi et qu'ensuite il nous ait imposé une loi impossible. Aussi, ajoute le saint, lorsque Dieu nous fait prendre conscience de notre impuissance à observer tous ces préceptes, il nous avertit de faire les choses faciles avec la grâce ordinaire qu'il nous donne, et puis les choses difficiles avec le secours plus puissant que nous pouvons obtenir par le moyen de la prière : « D'où cette croyance très solide que le Dieu juste et bon n' a pas pu nous prescrire des choses impossibles. Par là, on nous rappelle et ce que
nous avons à faire dans les choses faciles et ce que nous avons à demander dans les choses difficiles ».
Mais, objectera quelqu'un, pourquoi Dieu nous
a-t-il imposé des choses au-dessus de nos forces ? Précisément, répond le saint, pour que nous nous appliquions à obtenir par la prière le secours
nécessaire pour faire ce que de nous-mêmes nous ne pouvons pas : « Mais justement, il nous ordonne des choses dont nous ne sommes pas capables, pour que nous sachions ce que nous devons lui demander ». Et ailleurs : « La loi nous a été donnée pour que nous demandions la grâce ; la grâce nous est donnée pour que nous observions la loi ». La loi ne peut pas être
observée sans la grâce et Dieu a donné la loi précisément pour que nous le suppliions sans cesse de nous accorder la grâce nécessaire. Il dit ailleurs : « La loi est bonne, si on l'utilise comme il faut. Mais qu'est-ce qu'utiliser la loi comme il faut ? ». Et il répond : « La loi fait connaître le mal et chercher le
secours divin pour la guérison ». La loi doit donc nous servir, dit saint Augustin, mais à quoi ? A nous faire prendre conscience par son impossibilité même de notre impuissance à l'observer, afin que nous demandions alors par la prière le secours de Dieu qui remédie à notre faiblesse. Saint Bernard écrit de même : « Mais qui sommes-nous et quelle est notre vaillance, pour pouvoir résister à de si multiples tentations ?
C'est précisément à cette prise de conscience que Dieu cherchait à nous amener...pour que, en constatant notre déficience et en sachant qu'il n'est pour nous point d'autre secours, nous nous précipitions en toute humilité vers sa miséricorde ». Le Seigneur sait combien la nécessité de la prière nous est utile pour nous maintenir dans l'humilité et exercer notre confiance ; c'est pourquoi il permet que nous assaillent des ennemis que nous ne pouvons
pas vaincre par nos propres forces, afin que, par la prière, nous obtenions de sa miséricorde le secours pour résister. Notons tout particulièrement que
personne ne peut maîtriser les tentations impures de la chair, s'il ne se recommande à Dieu, quand il est tenté. Cette ennemie-là est si terrible que,
lorsqu'elle nous attaque, elle nous enlève presque toute lumière ; elle nous fait oublier toutes les méditations et les bonnes résolutions ; elle nous fait
mépriser même les vérités de la foi et presque perdre toute crainte des châtiments divins. Il faut dire qu'elle s'allie au penchant naturel qui nous incline avec une extrême violence aux plaisirs des sens.
Alors qui ne recourt pas à Dieu est perdu. La seule défense contre cette tentation, c'est la prière, dit saint Grégoire de Nysse : « La prière est la sauvegarde de la pureté ». Salomon l'avait déjà dit : « Comprenant que je ne pourrais devenir
possesseur de la Sagesse (continence) que si Dieu me la donnait... Je m'adressai au Seigneur et le priai » (Sg 8, 21 ). La chasteté est une vertu que nous n'avons pas la force de pratiquer, si Dieu ne nous l'accorde pas, et Dieu ne la donne qu' à ceux qui la lui demandent. Mais celui qui la demande l'obtiendra certainement. C'est pourquoi saint Thomas enseigne par avance contre Jansénius : nous ne devons pas dire que la vertu de chasteté ou tout autre commandement nous est impossible, car bien que nous ne puissions pas l'observer par nos propres forces, nous le pouvons cependant avec l'aide
de Dieu : « Ce que nous pouvons avec l'aide de Dieu, ne nous est pas absolument impossible ». Ne dites pas, il semble déraisonnable de commander à un boiteux de marcher droit. Non, répond saint Augustin, ce n'est pas déraisonnable, à condition de lui donner le moyen de se procurer le remède qui va corriger son infirmité ; par conséquent, s'il continue à
marcher de travers, c'est de sa faute : « Il a été prescrit à l'homme de marcher droit, afin que, lorsqu'il aura vu clairement son incapacité à le faire, il demande le remède, celui qui guérit la claudication du péché ».
Bref, dit le même saint Docteur, il ne saura jamais bien vivre, celui qui ne saura pas bien prier : « Celui-là sait bien vivre, qui sait bien prier ». Au contraire, saint François d'Assise disait qu'on ne peut jamais espérer voir aucun bon fruit d'une âme sans la prière. C'est donc à tort qu'ils cherchent des excuses, ces pécheurs qui disent : Nous n' avons pas la force de résister aux tentations. Mais réplique saint Jacques, si vous n'avez pas cette force, pourquoi ne la demandez-vous pas ? Vous ne l'avez pas parce que vous ne cherchez pas à l'avoir :
« Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas » (Jc 4, 2). Il est bien certain que nous sommes trop faibles pour repousser les assauts
de nos ennemis, mais il est également certain que Dieu est fidèle, comme dit l'Apôtre Paul, et il ne permet pas que nous soyons tentés au-delà de nos
forces : « Dieu est fidèle ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais avec la tentation, il vous donnera le moyen d'en sortir et
la force de la supporter » ( 1 Co 10, 13).
Primasius commente : « Par le secours de sa grâce Dieu vous rendra capables de résister à la tentation».
Nous sommes faibles, mais Dieu est fort. Quand nous lui demandons du secours il nous communique sa force. Alors, nous pourrons tout, comme le promettait très justement le même Apôtre Paul : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4, 13). Celui qui tombe n'a donc pas d'excuse, dit saint Jean Chrysostome, parce qu'il néglige de prier; s'il avait prié, il n'aurait pas été vaincu par ses ennemis : « Celui-là n'aura pas d'excuse qui n'aura pas voulu vaincre l'ennemi, puisqu'il a cessé de prier ». Un doute survient ici : Est-il nécessaire de recourir aussi à l'intercession des saints pour obtenir les grâces de Dieu ? Pour autant qu'on veuille dire qu'il soit permis et utile d'invoquer les saints comme intercesseurs pour nous obtenir, par les mérites de Jésus Christ, ce que nous ne sommes pas dignes d'obtenir à cause de nos démérites, telle est bien, comme l'a déclaré le Concile de Trente, la doctrine de l'Église : « Il est bon et utile de les (saints) invoquer humblement et, pour obtenir des bienfaits de Dieu par son Fils Notre Seigneur Jésus Christ..., de recourir à leurs prières, à leur aide et à leur assistance ».
L'impie Calvin condamnait cette invocation des saints, mais de façon très arbitraire. Il est licite et profitable d'appeler à notre secours les saints vivants et de les supplier de nous assister de leurs prières. Ainsi faisait le prophète Baruch qui disait : « Priez aussi pour nous le Seigneur notre Dieu » (Ba 1, 13). Ainsi faisait aussi saint Paul : « Frères, priez, vous aussi, pour nous » ( 1 Th 5, 25). Dieu lui-même voulut que les amis de Job se recommandent aux prières de celui-ci afin que par ses mérites le Seigneur leur soit favorable : « Allez vers mon serviteur Job... Mon serviteur Job priera pour vous. J'aurai égard à lui et ne vous infligerai pas ma disgrâce » (Jb 42, 8). Si donc il est permis de se
recommander aux vivants, pourquoi ne le serait-il pas d'invoquer les saints qui, de plus près encore, jouissent de l'intimité de Dieu dans le ciel ? Ce n'est pas déroger à l'honneur que l'on doit à Dieu mais le redoubler, comme le fait d' honorer le roi non seulement dans sa personne mais aussi dans ses
serviteurs. Aussi saint Thomas juge-t-il qu'il est bon de recourir à de nombreux saints : « Parce qu'on obtient quelquefois par les prières de plusieurs ce que l'on n'obtient pas par la prière d'un seul ». Si quelqu'un objecte : Mais à quoi sert de recourir aux saints pour qu'ils prient pour nous, alors qu'ils le font déjà pour tous ceux qui en sont dignes ? Le même saint Docteur répond que tel ne serait pas déjà digne que les saints prient pour lui, « qui le devient du fait qu'il recourt à un saint avec dévotion ». Autre sujet
de controverse : Y a-t-il lieu de se recommander aux âmes du Purgatoire ?
Certains répondent qu'elles ne peuvent pas prier pour nous. Ils s' appuient sur l'autorité de saint Thomas pour qui ces âmes, se purifiant au milieu des
souffrances, nous sont inférieures et, de ce fait, elles ne sont point « intercesseurs, mais bien plutôt des gens pour qui l'on prie ». Cependant beaucoup d'autres docteurs, tels que Bellarmin, Sylvius, le Cardinal Gotti, etc... affirment le contraire comme très probable : on doit pieusement croire que Dieu leur fait connaître nos prières afin que ces saintes âmes prient pour nous, en sorte qu'il se fasse entre elles et nous un bel échange de charité : nous prions pour elles et elles prient pour nous. Ce qu'a écrit le
Docteur Angélique, à savoir qu'elles ne sont pas en situation de prier, n'est pas absolument contraire à cette dernière opinion, comme le font remarquer
Sylvius et Gotti : autre chose, en effet, est de ne pas être à même de prier par situation et autre chose de ne pas pouvoir prier.
Ces saintes âmes ne sont pas habilitées à prier de par leur situation, c'est vrai, parce que, comme dit
saint Thomas, elles sont là en train de souffrir, elles sont inférieures à nous et elles ont besoin au plus vite de nos prières. Elles peuvent pourtant fort bien prier pour nous parce que ce sont des âmes amies de Dieu. Si un père qui aime tendrement son fils le tient enfermé pour le punir de quelque faute, ce fils n'est plus alors en situation de prier pour lui-même, mais pourquoi ne pourrait-il pas prier pour les autres et espérer obtenir ce qu'il demande en vertu de l'affection que lui porte son père ? De même les âmes du Purgatoire sont très aimées de Dieu et confirmées en grâce. Rien ne peut leur interdire de prier pour nous. L'Église, c'est vrai, n'a pas coutume de les invoquer et d'implorer leur intercession, parce qu'ordinairement elles ne connaissent pas nos demandes. Mais l'on peut croire pieusement (comme on l'a dit) que le Seigneur leur fait connaître nos prières. Alors, elles qui sont remplies de charité, ne manquent certainement pas de prier pour nous.
Quand sainte Catherine de Bologne désirait quelque grâce, elle recourait aux âmes du Purgatoire, et elle se voyait vite exaucée. Elle certifiait que beaucoup de grâces qu'elle n'avait pas obtenues par l'intercession des saints, elle les avait ensuite reçues par l'intercession des âmes du Purgatoire. Que l'on me
permette de faire une digression au bénéfice de ces saintes âmes. Si nous voulons obtenir le secours de leurs prières, il est bon que nous-mêmes nous nous efforcions de les secourir par nos prières et nos oeuvres.
J'ai dit : Il est bon, mais il faut ajouter que c'est là une obligation chrétienne : la charité nous demande, en effet, de secourir le prochain chaque fois qu' il a besoin d'être aidé et que nous pouvons le faire sans que cela nous pèse beaucoup. Or, il est certain que les âmes du Purgatoire sont aussi notre prochain. Bien
qu'elles ne soient plus en ce monde, elles continuent pourtant de faire partie de la communion des Saints. « Car les âmes des justes à la mort, dit saint
Augustin, ne sont pas séparées de l'Église ». Saint Thomas le déclare encore plus clairement : la charité qui est due aux défunts passés à l'autre vie en état
de grâce est une extension de cette charité que nous devons à notre prochain d'ici-bas : « Le lien de la charité qui unit entre eux les membres de l'Église, n'embrasse pas seulement les vivants, mais aussi les morts qui ont quitté ce monde en état de charité ». Nous devons donc secourir, dans toute la mesure du possible, ces saintes âmes : elles sont aussi notre prochain : et même leurs besoins étant encore plus grands que ceux de notre prochain d'ici-bas, il semble donc que, sous ce rapport, soit encore plus grand notre devoir de leur venir en aide. Or, en quelle nécessité se retrouvent ces saintes prisonnières ? Il est certain que leurs peines sont immenses. Le feu qui les consume, dit saint Augustin, est plus douloureux que toutes les souffrances qui nous puissent affliger en cette vie. « Plus douloureux est ce feu que tout ce que l'on peut avoir à souffrir en cette vie ». Saint Thomas est du même avis et il ajoute que ce feu est identique à celui de l' Enfer. « C'est par le même feu qu' est tourmenté le damné et purifié l'élu ».
Ceci concerne la peine du sens, mais beaucoup plus
grande encore est la peine du dam, c'est-à-dire la privation de la vue de Dieu pour ses saintes épouses. Non seulement l'amour naturel mais aussi l'amour
surnaturel, dont elles brûlent pour Dieu, poussent ces âmes avec une grande force à vouloir s'unir à leur souverain bien. S'en voyant empêchées par leurs
fautes, elles en éprouvent une douleur très amère. Si elles pouvaient mourir, elles en mourraient à chaque instant. Selon saint Jean Chrysostome, cette privation de Dieu les fait souffrir infiniment plus que la peine du sens : « Mille feux de l'enfer réunis ne feraient pas autant souffrir que la seule peine
du dam ». Ces saintes épouses préféreraient donc endurer tout autre supplice plutôt que d'être privées, un seul instant, de cette union tant désirée avec Dieu. C'est pourquoi , dit le Docteur Angélique, la souffrance du Purgatoire surpasse toutes les douleurs de cette vie : « Il faut que la peine du
Purgatoire excède toute peine de cette vie ». Denis le Chartreux rapporte qu'un défunt, ressuscité par l'intercession de saint Jérôme, dit à saint Cyrille
de Jérusalem que tous les tourments de cette terre ne sont que soulagement et délices à côté de la plus petite peine du Purgatoire : « Si l'on compare tous
les tourments du monde à la plus petite peine du Purgatoire, ce sont des consolations ». Et il ajoute : « Si quelqu'un avait éprouvé ces souffrances, il
préférerait endurer plutôt toutes les peines du monde, subies ou à subir par les hommes jusqu'au jugement dernier, que d'être soumis un seul jour à la
plus petite des peines du Purgatoire. Ce qui fait dire à saint Cyrille que ces peines sont les mêmes que celles de l'Enfer quant à leur intensité, la seule
différence étant qu'elles ne sont pas éternelles. Les douleurs de ces âmes sont donc très grandes. D'autre part, elles ne peuvent pas se soulager
elles-mêmes.
Comme le dit Job : « Il les lie avec des chaînes, ils sont pris dans les liens de l'affliction » (Jb 36, 8). Ces saintes Reines sont déjà destinées à entrer dans le Royaume mais leur prise de possession est différée jusqu'au terme de leur purification. Elles ne peuvent pas réussir par elles-mêmes (au moins pleinement, si l'on veut accorder crédit à certains docteurs, selon qui ces âmes peuvent tout de même par leurs prières obtenir quelque soulagement) à se libérer de leurs chaînes, tant qu'elles n'ont pas pleinement satisfait à la justice divine. Un moine cistercien dit un jour, depuis le Purgatoire, au sacristain de son monastère: « Aidez-moi par vos prières, je vous en supplie, parce que de moi-même je ne peux rien obtenir ». Cela est conforme au mot de saint Bonaventure :
« Leur état de mendicité les empêche de se libérer », c'est-à-dire que ces âmes sont si pauvres qu'elles
n'ont pas de quoi acquitter leurs dettes. Par contre, il est certain et même de foi que nous pouvons soulager ces saintes âmes par nos suffrages personnels et surtout par les prières recommandées dans l'Église.. Je ne sais donc pas comment on peut excuser de péché celui qui néglige de les secourir tout au moins par ses prières. Si nous ne nous y décidons pas par devoir, que ce soit au moins à cause du plaisir que nous procurons à Jésus Christ : c'est avec joie qu'il nous voit nous appliquer à libérer ces chères âmes pour qu' il les ait avec lui en Paradis. Faisons-le aussi à cause des grands mérites que nous pouvons acquérir par notre acte de charité à leur égard ; en retour, elles nous sont très reconnaissantes et apprécient le grand bienfait que nous leur accordons, en les soulageant de leurs peines et en leur obtenant d'anticiper leur entrée dans la Gloire. Lorsqu'elles y seront parvenues, elles ne manqueront pas de prier pour nous. Si le Seigneur
promet sa miséricorde à ceux qui se montrent miséricordieux envers leur prochain : « Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde »
(Mt 5, 7).
Ils ont bonne raison d'espérer leur salut ceux qui s'appliquent à aider ces saintes âmes si affligées et si chères à Dieu. Jonathan, après avoir sauvé les Hébreux par sa victoire sur les ennemis fut condamné à mort par son père Saül pour avoir goûté du miel malgré sa défense, le peuple se présenta devant le roi et cria : « Est-ce que Jonathan va mourir, lui qui a
opéré cette grande victoire en Israël ? » (1 S 14, 45). Ainsi devons-nous justement espérer que, si l'un d'entre nous obtient par ses prières qu'une âme sorte du Purgatoire et entre au Paradis, cette âme dira à Dieu : Seigneur, ne permettez pas que se perde celui qui m'a délivrée des tourments ! Et si Saül accorda la vie à Jonathan à cause des supplications du peuple, Dieu ne refusera pas le salut éternel à ce fidèle à cause des prières d'une âme, qui est son épouse. Bien plus, selon saint Augustin : Ceux qui auront, en cette vie, le plus secouru ces saintes âmes, Dieu fera en sorte, s'ils vont au Purgatoire, qu'ils soient davantage secourus par d'autres. Observons ici qu'en pratique c'est un puissant suffrage en faveur des âmes du Purgatoire que d'entendre la messe pour elles et de les y recommander à Dieu par les mérites de la passion de Jésus Christ : « Père éternel, je vous
offre ce sacrifice du Corps et du Sang de Jésus Christ, avec toutes les souffrances qu'il a endurées durant sa vie et à sa mort ; et par les mérites de
sa Passion, je vous recommande les âmes du Purgatoire, particulièrement etc... » Et c'est aussi un acte de grande charité que de recommander aussi en
même temps les âmes de tous les agonisants.
La question que nous nous sommes posée à propos des âmes du Purgatoire - à savoir si elles peuvent ou non prier pour nous et donc s'il est avantageux
ou non de faire appel à leurs prières - ne se pose certainement pas pour les saints. On ne peut douter, en effet, qu'il ne soit très utile de recourir à leur
intercession quand il s'agit de saints canonisés et qui jouissent déjà de la vision de Dieu. Croire que l'Église peut se tromper dans la canonisation des saints ne peut être exempt de faute ou d'hérésie, d'après saint Bonaventure, Bellarmin et d'autres, ou tout au moins d'une erreur proche de l'hérésie, d'après Suarez, Azor, Gotti, etc. En effet, dans la canonisation des saints tout spécialement, ainsi que l'enseigne le Docteur Angélique, le Souverain Pontife est guidé par l'inspiration infaillible du Saint Esprit.
Mais revenons au doute formulé plus haut : est-il de surcroît obligatoire de recourir à l'intercession des saints ? Je ne veux pas entreprendre de trancher
ce cas mais je ne peux omettre d'exposer l'opinion du Docteur Angélique. En plusieurs endroits cités plus haut et spécialement dans le Livre des Sentences, il tient pour certain que chacun est obligé de prier. En effet, affirme-t-il, on ne peut obtenir de Dieu les grâces nécessaires au salut autrement qu'en les demandant : « Chacun est tenu de prier par le fait même qu'il doit se procurer les biens spirituels,
lesquels ne sont donnés que de source divine : on ne peut donc les obtenir autrement qu'en les demandant à Dieu ». Puis, dans un autre passage du même livre, le saint pose précisément la question : « Est-ce que nous devons prier les saints d'intercéder pour nous. Pour bien faire comprendre sa pensée, il nous faut citer le texte entier de sa réponse : « C'est une loi établie par Dieu, selon Denys, que les êtres les plus
éloignés de Dieu soient ramenés à lui par les plus proches. Or, les saints du ciel sont toujours près de Dieu ; nous, au contraire, aussi longtemps que nous habitons dans ce corps, nous sommes loin du Seigneur ; ils doivent donc nous servir d'intermédiaires. Ils jouent ce rôle lorsque la divine bonté se répand sur nous par eux ; et notre réponse doit suivre le même chemin.
Ainsi donc, de même que c'est par le suffrage des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur nous, c' est par eux que nous devons remonter à Dieu
pour en recevoir de nouveaux bienfaits. C'est pour cette raison que nous constituons les saints nos intercesseurs auprès de Dieu et comme nos
médiateurs lorsque nous leur demandons de prier pour nous ». Notons ces mots : « C'est une loi établie par Dieu » et aussi les derniers : « De même
que c'est par le suffrage des saints que les bienfaits de Dieu descendent sur nous, c'est par eux que nous devons remonter à Dieu pour en recevoir de nouveaux bienfaits ». Ainsi donc, d'après saint Thomas, l'ordre de la loi divine exige que nous, mortels, nous fassions notre salut par l'intermédiaire
des saints en recevant par eux les secours nécessaires. A l'objection qu'il se fait : Ne semble-t-il pas superflu de recourir aux saints, vu que Dieu est
infiniment plus qu'eux miséricordieux et porté à nous exaucer ?, le Docteur Angélique répond : Dieu l' a voulu ainsi, non par un défaut de sa clémence mais pour conserver l'ordre exact, universellement établi, d'agir par les causes secondes : « Ce n'est pas par un défaut de sa miséricorde, dit-il, mais pour que l'ordre établi soit respecté dans les choses ».
S'appuyant sur l'autorité de saint Thomas, le Continuateur de Tournely écrit avec Sylvius :
Bien que l'on ne doive prier que Dieu comme Auteur des grâces, nous sommes néanmoins tenus de recourir également à l'intercession des Saints,
pour respecter l'ordre que le Seigneur a établi quant à notre salut, à savoir que les inférieurs fassent leur salut en implorant l'aide des supérieurs : « Nous sommes tenus par la loi naturelle d'observer cet ordre que Dieu a établi ; Dieu a fixé que les inférieurs parviendraient au salut en implorant l'aide des supérieurs ».
S'il en est ainsi des saints, à plus forte raison doit-il en être ainsi de l'intercession de la Divine Mère, dont les prières valent certainement auprès de Dieu plus que celles de tout le Paradis. Selon saint Thomas les saints peuvent sauver beaucoup d'âmes en proportion des mérites avec lesquels ils se sont acquis la grâce, mais Jésus Christ ainsi que sa mère ont mérité une si grande grâce qu'ils peuvent sauver tous les hommes : « Si un saint a une telle abondance de grâce qu'elle peut suffire au salut de beaucoup, c'est déjà une grande chose. S'il avait une
telle abondance de grâce qu'elle suffise au salut de tous, ce serait le maximum : tel est le cas de Jésus Christ et de la Bienheureuse Vierge ». Saint Bernard a dit de Marie : « Que par toi nous ayons accès auprès du Fils, ô bénie qui nous apportes la grâce, qui enfantes la vie, qui es mère du salut : que par toi, il nous accueille Celui qui par toi nous a été donné (Is 9, 5) ». Ce qui revient à dire : de même que nous n'avons accès au Père que par le Fils,
médiateur de justice, de même nous n' avons accès au Fils que par sa Mère, Médiatrice de grâce, qui nous obtient par son intercession les biens que
Jésus Christ nous a mérités. Le même saint Bernard en conclut, dans un autre passage, que Marie a reçu de Dieu deux plénitudes de grâce : la première, l'Incarnation du Verbe éternel fait homme dans son chaste sein ; la seconde, la plénitude des grâces que nous recevons de Dieu par l'intermédiaire de cette divine Mère. Le saint ajoute : « Il a déposé en elle la
plénitude de tout bien ; ainsi sommes-nous capables de comprendre que tout ce qu'il peut y avoir en nous, d'espérance, de grâce, de salut, émane de
celle qui monte (Ct 8, 5), inondée de délices. C'est elle le jardin de délices que le divin aquilon, survenant soudain, n' a pas seulement effleuré de son
souffle, mais traversé avec violence pour que se répandent partout les effluves de ses aromates (Ct 4, 12-16) - autrement dit les dons de la grâce-».
Ainsi tous les bienfaits qui nous viennent du Seigneur nous les recevons tous par l'intercession de Marie." Et pourquoi cela ? Parce que, nous répond toujours saint Bernard, ainsi Dieu l'a voulu : « Telle est la volonté de Celui qui a voulu que nous ayons tout par Marie ».
Mais la raison la plus spécifique, nous la trouvons chez saint Augustin : Marie mérite à bon droit d'être appelée notre Mère parce qu'elle a coopéré par sa charité à nous faire naître, nous fidèles, à la vie de la grâce, comme membres de notre Chef Jésus Christ : « Mais elle l'est (Mère) de toute évidence de ses membres - et nous en sommes - car elle a coopéré par la charité, à la naissance dans l'Église, des fidèles qui sont les membres de ce Chef ». De même que Marie a coopéré par sa charité à la naissance
spirituelle des fidèles, ainsi Dieu a voulu qu'elle coopère par son intercession à leur faire acquérir la vie de la grâce en ce monde et la vie de la gloire dans
l'autre.
C'est pourquoi la sainte Église la fait saluer en des termes exceptionnels et inouïs de Vie, Douceur et Espérance : « Notre Vie, notre Douceur et notre Espérance, Salut ! » Saint Bernard nous exhorte donc à recourir sans cesse à cette divine Mère, parce que ses prières sont certainement exaucées par son Fils : « Recours à Marie... Je n'hésite pas à
l'affirmer : elle aussi sera exaucée en raison de son humble et libre soumission. Oui, le Fils exaucera sa Mère... Petits enfants, voilà l'échelle des pécheurs, voilà ma plus grande assurance, voilà toute la raison de mon espérance ». Le saint l'appelle Échelle, parce que, dans une échelle, on n'arrive au troisième échelon qu'en mettant d'abord le pied sur le second, et on n'arrive au second qu'en mettant le pied sur le premier ; de même, on n'arrive à Dieu que par Jésus Christ, et on n'arrive à Jésus Christ que par Marie. Il la nomme ensuite toute mon assurance et la raison de mon Espérance, parce que, affirme-t-il, Dieu veut que toutes ses grâces passent par les mains de Marie. Et de conclure : toutes les grâces que nous désirons, nous devons les demander par Marie ; elle nous obtient tout ce que nous voulons et ses prières ne peuvent pas être repoussées : « Recherchons la
grâce et recherchons-la par Marie, car ce qu'elle cherche, elle le trouve (Mt 7, 7) et ne saurait en être privée ». Saint Ephrem parle dans le même sens: « Nous n'avons pas d'autre confiance que celle qui nous vient de toi, ô Vierge très fidèle ». Pareillement saint Ildephonse : « Tous les biens que la Suprême Majesté a fixé de leur accorder, elle a décidé de les remettre entre tes mains. A toi ont été confiés
les trésors et splendeurs de la grâce ». Saint Germain : « Si tu nous abandonnes, ô Vie des chrétiens, que deviendrons-nous ? ». Saint Pierre
Damien : « En tes mains sont tous les trésors des miséricordes de Dieu ». Saint Antonin : « Celui qui demande sans Marie essaie de voler sans ailes ».
Saint Bernardin de Sienne : « Tu es la dispensatrice de toutes les grâces ; notre salut est dans ta main ». Il soutient ailleurs que non seulement toutes
les grâces nous viennent de Marie, mais qu' à partir du moment où la Bienheureuse Vierge devint Mère de Dieu, elle acquit une certaine juridiction sur toutes les grâces que nous recevons. « Par la Vierge Marie,
les grâces vitales partant de la tête qui est le Christ sont diffusées dans tout son corps mystique.
A partir du moment où la Vierge Mère conçut le Verbe de Dieu, elle obtint pour ainsi dire une certaine juridiction sur toutes les interventions du Saint Esprit en ce monde : personne n'obtient de Dieu la moindre grâce qui ne soit distribuée par sa pieuse Mère ». Et il conclut : « Tous les dons, vertus et grâces, sont donc dispensés par ses mains, à qui elle veut, quand elle veut et comme elle veut ». Saint Bonaventure écrit de même : « Comme la nature divine tout entière était présente en Marie, je ne crains pas de dire que celle-ci a obtenu une certaine juridiction dans toutes les distributions de grâces, et de son sein coulent, comme d'un océan de la divinité, les fleuves de toutes les grâces ». Beaucoup de théologiens, s'appuyant sur l'autorité de ces saints, ont donc défendu avec piété et à bon droit qu'aucune grâce ne nous est dispensée sinon par l'intercession de Marie. Telle est l'opinion de Vega, Mendoza, Paciucchelli, Segneri, Poiré, Crasset, et de beaucoup d'autres auteurs, ainsi que du savant Père Noël Alexandre qui a écrit : « Dieu veut que nous attendions de lui tous les biens par l'intercession très puissante de la Vierge Mère, quand nous l'invoquons comme il convient ». Et il avance à l'appui de son opinion le texte de saint Bernard cité plus haut :
« Telle est la volonté de Celui qui a voulu que nous ayons tout par Marie ». Le Père Contenson, commentant les paroles que Jésus adressa du haut de la Croix à saint Jean : « Voici ta Mère », a cette glose : « C'est comme s'il disait : Personne n'aura part à mon sang sinon par l'intercession de ma Mère. Mes plaies sont les sources des grâces, mais les ruisseaux n'en parviennent à personne sinon par le canal de Marie. Jean, mon disciple, dans la mesure où tu l'aimeras tu seras aimé de moi ». S'il est agréable à Dieu que nous recourions aux saints, à plus forte raison lui est-il agréable que nous recourions à l'intercession de Marie, afin qu'elle supplée par son mérite à notre indignité, comme le dit saint Anselme : « Afin que la dignité de l'intercesseur compense notre pauvreté. Nous
adresser à la Vierge, ce n' est donc pas nous défier de la miséricorde de Dieu mais redouter notre propre indignité ».
Cette dignité de Marie, saint Thomas la dit presqu'infinie : « La bienheureuse Vierge, selon qu'elle est Mère de Dieu, a en quelque sorte une dignité infinie ». On a donc raison de dire que les prières de Marie sont plus puissantes auprès de Dieu que les prières de tout le Paradis réuni.
Terminons ce premier point par une brève conclusion de tout ce que nous
avons dit : celui qui prie se sauve certainement ; celui qui ne prie pas se
damne certainement. Tous les élus du ciel, en dehors des enfants, se sont
sauvés par la prière. Tous les damnés se sont perdus pour n'avoir pas prié.
S'ils avaient prié, ils ne se seraient pas perdus. C'est et ce sera toujours leur
plus grand désespoir dans l'enfer : avoir pu se sauver avec tant de facilité en
demandant à Dieu ses grâces et n'être plus à même, les pauvres malheureux,
de le faire maintenant !
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
EFFICACITÉ DE LA PRIÈRE
Nos prières sont si chères à Dieu qu'il a chargé les anges de les lui présenter, dès que nous les lui adressons ; « Les anges, dit saint Hilaire, président aux prières des fidèles et ils les offrent chaque jour à Dieu ». Telle est précisément la sainte fumée d'encens, c'est-à-dire les prières des saints, que saint Jean vit monter vers le Seigneur, offertes par les mains des anges (Ap 8, 3-4). Au chapitre 5, le saint Apôtre écrit encore que les prières des saints sont comme des coupes d'or, remplies de parfums suaves et très agréables à Dieu. Mais, pour mieux comprendre l'efficacité des prières près de Dieu, il suffit de lire dans les Saintes Écritures, dans l'Ancien
et dans le Nouveau Testament, les innombrables promesses faites par Dieu à ceux qui le prient : «Invoque-moi et je te répondrai » (Jr 33, 3). « Invoque-moi, je te délivrerai » (Ps 50 (49), 15).
« Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira » (Mt 7, 7). « Combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui l'en prient » (Mt 7, 11).
» Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve» {Lc 1 l,10). « Si deux d'entre vous, sur terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père » (Mt 18, 19). « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu, et cela vous sera accordé » (Mc, 1 l, 24). « Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai » (Jn 14, 14). « Si vous demeurez en moi... demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez » (Jn 15, 7). « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (Jn 16, 23).
Il y a mille autres textes semblables que, pour faire bref, nous omettons. Dieu nous veut sauvés, mais il veut, pour notre plus grand bien, que nous le soyons en vainqueurs. Nous avons à mener ici-bas une guerre continuelle, et pour faire notre salut nous devons lutter et vaincre : « Personne ne pourra être couronné sans être vainqueur » dit saint Jean Chrysostome. Nous sommes très faibles, les ennemis
sont nombreux et puissants. Comment pourrons-nous faire front et les dominer ? Prenons courage et que
chacun dise comme l'Apôtre Paul : « Je puis tout en Celui qui me rend fort » (Ph 4, 13).
Nous pourrons tout par la prière. Le Seigneur nous donnera par elle cette force que nous n' avons pas. Théodoret a écrit que la prière est toute puissante : « Elle est seule, mais elle peut tout ». Saint Bonaventure considère que la prière nous permet
d'acquérir tous les biens et d'échapper à tous les maux : « Par elle on obtient tout bien, par elle on est délivré de tout mal ». Saint Laurent Justinien estime que, par la prière, nous nous bâtissons une tour solide où nous serons en sûreté, à l'abri de tous les pièges et de toutes les violences des ennemis : « Par l'exercice de la prière l'homme se construit une forteresse ». Les puissances de l'Enfer sont fortes mais, dit saint Bernard, la prière est plus forte que tous les démons : « La prière l'emporte sur tous les démons ». Oui, parce que la prière nous obtient le secours de Dieu qui surpasse toutes les puissances créées. David s'encourageait lui-même au milieu de ses craintes : « J'invoque Yahvé, digne de louange et je suis sauvé de mes ennemis » (Ps 18 (17), 4). En un
mot, dit saint Jean Chrysostome : « La prière est une armure, une protection, un port et un trésor ». La prière est une armure capable de résister à tous les assauts des démons ; elle est une protection qui nous met à l'abri de tous les dangers ; elle est un port où nous pouvons chercher refuge dans les tempêtes ; elle est en même temps un trésor qui nous comble de tous les biens.
Dieu, sachant le grand avantage qui résulte pour nous de la nécessité de la prière, permet (comme nous l'avons dit au chapitre ler) que nous soyons assaillis par des ennemis, afin que nous lui demandions le secours qu'il nous offre et qu' il nous promet. Mais, autant il aime nous voir recourir à lui dans les dangers, autant il déteste nous voir négliger la prière. Saint Bonaventure emploie cette comparaison : le roi accuserait de trahison le capitaine qui, assiégé dans une place forte, ne l'appellerait pas à son aide : « Il serait considéré comme traître s'il n'attendait pas du secours de la part du roi ». De même, Dieu se juge trahi par celui qui, assailli par les tentations, ne recourt pas à lui pour obtenir de l'aide. Le Seigneur désire au contraire et attend qu'on lui demande cette aide pour l'accorder abondamment. C'est bien ce que déclara Isaïe, quand il dit de la part de Dieu au roi Achaz, qu'il ait à demander un signe pour être sûr du secours du Seigneur : « Demande un signe à Yahvé ton Dieu » (Is '7, 11). « Je ne demanderai rien, répondit le roi impie, je ne tenterai pas Yahvé » (Is 7, 12). Non, je ne veux pas le demander parce que je ne veux pas tenter Dieu. Pourquoi fit-il une telle réponse ? parce qu'il se fiait à ses propres forces pour vaincre les ennemis sans l'aide de Dieu. Mais le prophète lui en fit le reproche : « Écoutez donc, maison de David, est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes que vous lassiez aussi mon Dieu ?» (Is 7, 13).
Que nous signifiait-il par là ? Que c'est blesser Dieu et lui faire injure de ne pas lui demander les grâces
qu'il nous offre. « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28). Mes pauvres enfants, dit le Sauveur, vous êtes assaillis par les ennemis, vous êtes accablés sous le poids de vos péchés ; ne perdez pas courage, recourez à moi par la prière, et je vous donnerai la force de résister, je porterai remède à tous vos maux. Il dit ailleurs par la bouche d'Isaïe :
« Allons ! Discutons ! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront » (Is l, 18). Oui, recourez à moi et, bien que vos consciences soient très souillées, ne manquez pas de venir ! Et je vous permets de me blâmer (pour ainsi dire) si, lorsque vous aurez eu recours à moi, ma grâce ne vous rend pas blancs comme neige. Qu'est-ce que la prière ? Écoutons saint Jean Chrysostome : « La prière est l'ancre du salut, le trésor des pauvres... la guérison des
maladies, la gardienne de la santé ». Oui, la prière est une ancre de salut pour qui est menacé de faire naufrage ; elle est un trésor immense de richesses pour le pauvre ; elle est un remède très efficace pour le malade ; elle est une protection sûre pour qui veut rester en bonne santé. Que fait la prière ? Ecoutons saint Laurent Justinien : « Elle apaise Dieu, exauce les souhaits, triomphe des adversaires et change les humains ». La prière apaise la colère de Dieu, il pardonne à qui le prie avec humilité ; elle obtient par grâce tout ce que l'on demande ; elle
vient à bout de toutes les forces ennemies, et, en somme, change les humains d'aveugles en
clairvoyants, de faibles en forts, de pécheurs en saints.
Qui a besoin de lumière, qu'il la demande à Dieu, elle lui sera donnée ! Aussitôt que j'ai eu recours au Seigneur, dit Salomon, il m'a communiqué la Sagesse: « J'ai prié et la Sagesse m'a été donnée » (Sg 7, 7). Qui a besoin de force, qu' il la demande à Dieu et elle lui sera donnée : « Dès que j'ai eu ouvert la bouche pour prier, dit David, j'ai reçu le secours du Seigneur : J'ouvre large ma bouche et j'ai attiré l'esprit... o (Ps 119 (118), 131). Comment les saints martyrs ont-ils eu assez de force pour braver les tyrans, sinon par la prière qui leur a donné le courage de surmonter les tourments et d'affronter la mort ?
En vérité, dit saint Jean Chrysostome, qui se munit de cette arme puissante de la prière, « ignore la mort, se détache de la terre, pénètre dans le ciel et vit avec Dieu ». Il ne tombe pas dans le péché ; il ne s' attache pas à la terre ; il établit déjà sa demeure dans le ciel et il commence à jouir dès cette vie de la conversation avec Dieu. Alors à quoi bon s'inquiéter et dire : Qui sait si Dieu me donnera la grâce efficace et la persévérance ? « N'entretenez aucun souci ; mais en tout besoin recourez à l'oraison et à la prière, pénétrées d'action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu » (Ph 4, 6). À quoi sert, dit l'Apôtre Paul, de vous embarrasser dans ces
angoisses et ces anxiétés ?
Chassez loin de vous toutes ces préoccupations qui ne servent qu'à vous faire perdre la confiance et à vous rendre plus tièdes et plus lâches pour marcher sur la route du salut ! Priez, demandez sans cesse, adressez à Dieu vos prières, remerciez-le toujours des promesses qu'il vous a faites de vous accorder les dons après lesquels vous soupirez (à condition que vous les lui demandiez), la grâce efficace, la persévérance, le salut et tout ce que vous désirez. Le Seigneur vous a jetés dans la bataille pour y lutter contre des ennemis puissants, mais il est fidèle à ses promesses et il ne permet pas que nous soyons attaqués plus que nous ne pouvons résister : « Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés
au-delà de vos forces » (1 Co 10, 13). Il est fidèle parce qu'il secourt sur le champ qui l'invoque.
Le savant Cardinal Gotti écrit : Le Seigneur n'est pas tenu d'accorder toujours une grâce égale à la tentation ; mais, quand nous sommes tentés et que nous recourons à lui, il est obligé de nous fournir, au moyen de la grâce (qu'il tient toute prête et offre à tous), la force suffisante pour résister : « Lorsque nous sommes tentés et que nous recourons à lui, Dieu est tenu de nous donner, au moyen de la grâce préparée et offerte, les forces suffisantes qui nous permettront de résister effectivement. Nous pouvons tout, en effet, en celui qui nous fortifie par la grâce, si nous le lui demandons humblement ». Nous n'avons donc pas d'excuse si nous nous faisons vaincre par
la tentation. Nous ne sommes vaincus que par notre faute : c'est que nous n'avons pas assez prié ! Par la prière on triomphe fort bien de tous les pièges et de toutes les attaques des ennemis : « Par la prière, tout ce qui pourrait nous nuire est mis en fuite » écrit saint Augustin.
Pour saint Bernardin de Sienne : la prière est une ambassadrice fidèle, bien connue du roi du ciel, admise à entrer jusque dans ses appartements. Par
son insistance, elle amène l'esprit miséricordieux du roi à nous accorder tous les secours dont nous avons besoin, nous pauvres malheureux, qui
gémissons au milieu de tant de combats et de misères, en cette vallée de larmes : « La prière est une ambassadrice très fidèle, connue du roi, habituée
à entrer dans sa chambre, à fléchir son esprit miséricordieux et à obtenir du secours pour ceux qui sont en danger ». Isaïe nous affirme également :
Quand le Seigneur entend nos prières, il est aussitôt touché de compassion à notre égard ; il ne nous laisse pas beaucoup pleurer, mais il répond à
l'instant même et nous accorde tout ce que nous lui demandons : « Tu n'auras plus à pleurer car il va te faire grâce à cause du cri que tu pousses ; dès qu'il l'entendra, il te répondra » (Is 30, 19). Dans un autre endroit le Seigneur parle par la bouche de Jérémie ; il se plaint de nous en ces termes : « Ai je été un désert pour Israël, ou une terre ténébreuse ? Pourquoi mon peuple a-t-il dit : nous vagabondons, nous n'irons plus à toi ? (Jr 2, 31). Pourquoi, demande le Seigneur, dites-vous que vous ne voulez plus recourir à moi ? Peut-être ma miséricorde est-elle pour vous une terre stérile qui ne sait plus vous donner aucun fruit de grâce ? Ou une terre en sommeil qui ne produit que des fruits très tardifs ?
Notre Seigneur tout aimant veut nous signifier par là qu'il ne manque jamais d'exaucer et sans retard nos prières. Il veut aussi blâmer ceux qui négligent de le prier, par crainte de n'être pas exaucés.
Si Dieu nous admettait à lui présenter nos requêtes une fois par mois, ce serait déjà une grande faveur. Les rois de la terre ne donnent que de rares
audiences dans l'année, tandis que Dieu reçoit à tout moment. Saint Jean Chrysostome écrit que Dieu se tient toujours prêt à écouter nos prières. Il n'arrive jamais qu'il n'exauce pas ceux qui le prient, quand ils le font comme il faut : « Dieu est toujours prêt à écouter le voix de ses serviteurs ; jamais il n'a fait la sourde oreille quand on l'a appelé comme il faut ».
Il dit ailleurs : quand nous prions, avant même que nous ayons fini de lui exposer nos demandes, déjà il nous exauce : « On obtient toujours, alors même que l'on est encore en train de demander ». Nous en avons reçu la promesse de Dieu lui-même : « Ils parleront encore que j'aurai déjà entendu » (Is 65, 24). Le Seigneur, dit David, se tient près de tous ceux qui le prient, pour leur être agréable, les exaucer et les sauver : « Proche est Yahvé de
ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité » (c'est-à-dire comme il faut). « Le désir de ceux qui le craignent, il le fait, il entend leur cri et les sauve » (Ps 145(144), 18-19). Moïse s'en félicitait : « Quelle est en effet la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que Yahvé notre
Dieu l'est de nous chaque fois que nous l'invoquons » (Dt 4, 7).
Les dieux païens restaient sourds à ceux qui les invoquaient parce qu'ils n'étaient que de pauvres créatures impuissantes ; mais notre Dieu tout puissant n'est pas sourd à nos prières ; il se tient près de ceux qui le prient, prompt à accorder
toutes les grâces qu'on lui demande : « Alors mes ennemis reculeront le jour où j'appelle. Je le sais, Dieu est pour moi » (Ps 56(55) 10). Seigneur, mon
Dieu, disait le Psalmiste, j'ai reconnu que vous êtes toute Bonté et Miséricorde, en voyant que, chaque fois que je recours à vous, vous me secourez aussitôt. Nous sommes dépourvus de tout mais, si nous prions, nous ne sommes plus pauvres. Si nous sommes pauvres, Dieu est riche, et Dieu est extrêmement libéral, dit l'Apôtre Paul, envers ceux qui l'appellent au secours : « Riche envers tous ceux qui l'invoquent » (Rm 10, 12).
Saint Augustin nous exhorte ainsi : Puisque nous avons à faire à un Seigneur d'une infinie puissance et richesse, ne lui demandons pas des choses
insignifiantes et sans valeur mais quelque chose de précieux : « C'est le Tout-Puissant que vous sollicitez, demandez-lui quelque chose de grand ! ».
Si quelqu'un demandait au roi une simple pièce de monnaie, un sou, ne semble-t-il pas qu'il lui ferait injure ? À l'inverse, nous faisons honneur à Dieu, à sa miséricorde et à sa libéralité, lorsque, malgré notre misère et notre indignité, nous sollicitons de lui de grandes faveurs, sûrs de sa bonté et de sa fidélité, lui qui a promis d'accorder à ceux qui le prient toutes les grâces demandées : « Demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez ! » (Jn 15, 7).
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait : Le Seigneur se sent si honoré et éprouve une telle consolation lorsque nous lui demandons ses grâces, qu'il nous remercie en quelque sorte de lui offrir ainsi l'occasion de nous gratifier et de satisfaire le désir qu'il a de nous faire du bien à tous. Soyons même persuadés que lorsque nous sollicitons des grâces, le Seigneur nous donne toujours plus que nous demandons. « Si l'un de vous manque de sagesse qu'il la demande à Dieu, il donne à tous généreusement et sans récriminer » (Jc 1, 5). Saint Jacques s'exprime ainsi pour bien nous indiquer que Dieu n'est pas avare de ses biens, comme le sont les hommes. Quand ceux-ci font des aumônes, alors même qu'ils sont riches, pieux et généreux, ils ont toujours les doigts un peu crochus et ils donnent le plus souvent moins qu'on ne leur demande : leur richesse, en effet, est toujours limitée, et plus ils donnent, moins il leur reste.
Mais, quand on le prie, Dieu donne ses biens
avec générosité, avec une main largement ouverte, et toujours plus qu'on ne lui demande : sa richesse, en effet, est infinie et, plus il donne, plus il lui
reste à donner : « Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent » (Ps 86{85), 5). Vous, mon Dieu, s'écriait David, vous
n'êtes que trop généreux et trop bon avec ceux qui vous invoquent. Vos miséricordes à leur égard sont toutes surabondantes : elles surpassent leurs
demandes.
À ceci nous devons donc accorder toute notre attention : prier avec confiance, dans la certitude que s'ouvriront ainsi pour nous tous les trésors
du ciel : « Appliquons-nous-y, dit saint Jean Chrysostome, et nous verrons pour nous s'ouvrir le ciel ». La prière est un trésor : qui prie le plus, plus en a sa part. Saint Bonaventure assure : Chaque fois que l'on recourt pieusement à Dieu par la prière, on gagne des biens infiniment plus précieux que le
monde entier : « On gagne chaque jour par la prière dévote plus que la valeur du monde entier ». Certaines âmes dévotes consacrent beaucoup de
temps à lire et à méditer mais peu de temps à prier. La lecture spirituelle, la méditation des vérités éternelles sont certainement très utiles mais, dit saint
Augustin, la prière est de beaucoup plus utile. Par la lecture et la méditation nous comprenons quels sont nos devoirs mais par la prière nous obtenons la grâce de les remplir : « Il vaut mieux prier que lire ; par la lecture nous apprenons ce que nous devons faire ; par la prière, nous recevons ce que nous demandons ». A quoi bon savoir ce que nous sommes tenus de faire et puis ne pas le faire, sinon à nous rendre plus coupables envers Dieu ? Lisons et méditons autant que nous voulons ; nous n'en accomplirons pas
pour autant nos obligations si nous ne demandons pas à Dieu le secours nécessaire.
Aussi, fait remarquer saint Isidore, c'est surtout lorsque nous sommes occupés à prier et à demander à Dieu ses grâces que le démon se donne le plus de mal pour nous distraire par la pensée des affaires temporelles : « C'est surtout lorsque le diable voit quelqu'un en train de prier qu'il lui met le plus des idées dans la tête ». Pourquoi cela ? Parce que l'ennemi voit que nous ne gagnons jamais davantage les trésors du ciel que lorsque nous prions. Le meilleur fruit de l'oraison mentale, c'est qu'on y demande à Dieu les grâces nécessaires pour la persévérance et le salut éternel. C'est pour ce
motif surtout que l'oraison mentale est nécessaire à l' âme pour se maintenir dans la grâce de Dieu. En effet, si durant la méditation l'on ne songe pas à
demander les secours indispensables à la persévérance, on ne le fera pas à un autre moment ; on ne pensera pas, en dehors de la méditation, à la
nécessité de les demander. En revanche, celui qui fait chaque jour sa méditation verra clairement les besoins de son âme, les dangers où il se trouve, la nécessité de prier ; il priera et ainsi obtiendra les grâces qui lui permettront de persévérer et de faire son salut.
Le Père Paul Segneri faisait cet aveu : au début, dans sa méditation, il s'employait plus à exprimer ses
sentiments qu'à prier; mais il comprit par la suite la nécessité et l'immense utilité de la prière ; dès lors, dans ses longues oraisons mentales il s'appliqua
surtout à prier. « Comme le petit de l'hirondelle, je crierai », disait le pieux roi Ezéchias (Is 38, 14). Les petits des hirondelles ne font que crier, pour
réclamer à leur mère secours et nourriture. C'est ainsi que nous devons tous faire : si nous voulons garder la vie de la grâce, il nous faut crier sans cesse, demandant secours à Dieu pour éviter la mort du péché et pour progresser dans son saint amour. Le Père Rodriguez rapporte : Les Anciens Pères, qui
furent nos premiers maîtres spirituels, tinrent un jour conseil entre eux pour examiner quel était l'exercice le plus utile et le plus nécessaire pour le salut
éternel. Ils conclurent que c'était de répéter fréquemment la brève invocation de David :
« Seigneur, viens à mon aide ». Celui qui veut assurer son salut, écrit Cassien, doit faire de même et répéter sans cesse : Mon Dieu, aide-moi ! Mon Dieu, aide-moi ! Nous devons lancer cet appel, le matin, dès notre réveil, et continuer ensuite dans toutes nos nécessités et dans toutes nos occupations spirituelles et temporelles, plus spécialement quand nous tourmente quelque tentation ou passion.
Pour saint Bonaventure, une courte prière nous vaut parfois la grâce plus vite que beaucoup d' autres bonnes oeuvres : « On obtient quelquefois plus vite par une courte prière ce que l'on n'obtiendrait que difficilement par de bonnes oeuvres ». Saint Ambroise
ajoute : Avant même d'avoir fini, celui qui prie est déjà exaucé parce que prier et recevoir, c'est tout un. « Celui qui demande à Dieu reçoit au moment
même de sa prière ; car demander à Dieu est déjà recevoir ». Saint Jean Chrysostome a pu écrire : « Rien n'est plus puissant qu'un homme qui prie »
parce qu'il participe à la puissance de Dieu. Pour arriver à la perfection, disait saint Bernard, il faut la méditation et la prière : la méditation nous aide
à comprendre ce qui nous fait défaut, et par la prière nous la recevons : « Progressons par la méditation et la prière ; car la méditation enseigne ce qui nous manque et la prière obtient que ce manque soit comblé ».
Bref, sans la prière, il est très difficile et même impossible, ainsi que nous l'avons vu, de faire son salut, selon la providence ordinaire de Dieu ; mais,
par la prière, ce salut devient assuré et très facile. Il n'est pas nécessaire pour cela d'aller sacrifier notre vie chez les Infidèles ni de se retirer dans le désert
et s'y nourrir d'herbes. Qu'avons-nous à dire ? « Mon Dieu, aide-moi ; Seigneur, assiste-moi ; Aie pitié de moi » ! Est-il rien de plus facile ? Ce peu suffira à nous sauver, si nous sommes attentifs à le faire. Saint Laurent Justinien nous exhorte spécialement à nous efforcer de prier, au moins au début de chaque action : « Il faut s'efforcer de mettre une prière tout au moins au début de chaque action ». Cassien nous assure : les anciens Pères conseillaient surtout de lancer vers Dieu de brèves mais fréquentes invocations.
Que personne, disait saint Bernard, ne fasse peu de cas de sa prière car Dieu en fait grand cas : il nous donne alors ce que nous sollicitons ou quelque chose de plus utile pour nous : « Nul d'entre vous, frères, ne doit faire peu de cas de sa prière. Car je vous le dis : Celui à qui nous l'adressons est loin, lui, d'en faire peu de cas... ou bien il nous donne ce que nous
demandons (cf. Jn 16, 23) ou bien il a en vue pour nous quelque chose de plus utile ». Nous devons bien comprendre que, si nous ne prions pas, nous sommes inexcusables, parce que la grâce de la prière est accordée à chacun ; nous avons toujours la possibilité de prier, chaque fois que nous le voulons.
David disait de lui-même : « Que je chante un cantique, une prière au Dieu de ma vie, je dirai à mon Dieu, tu es mon refuge » (Ps 42(41), 9-10). Nous
parlerons plus longuement de ce point dans la deuxième partie. J'y montrerai de façon claire que Dieu donne à tous la grâce de prier ; on peut ainsi, par la prière, obtenir tous les secours, et même en abondance, pour observer la loi de Dieu et persévérer jusqu'à la mort. Je me contente de dire
pour le moment que, si nous ne faisons pas notre salut, ce sera entièrement de notre faute, et pour la seule raison que nous n' aurons pas prié !
Nos prières sont si chères à Dieu qu'il a chargé les anges de les lui présenter, dès que nous les lui adressons ; « Les anges, dit saint Hilaire, président aux prières des fidèles et ils les offrent chaque jour à Dieu ». Telle est précisément la sainte fumée d'encens, c'est-à-dire les prières des saints, que saint Jean vit monter vers le Seigneur, offertes par les mains des anges (Ap 8, 3-4). Au chapitre 5, le saint Apôtre écrit encore que les prières des saints sont comme des coupes d'or, remplies de parfums suaves et très agréables à Dieu. Mais, pour mieux comprendre l'efficacité des prières près de Dieu, il suffit de lire dans les Saintes Écritures, dans l'Ancien
et dans le Nouveau Testament, les innombrables promesses faites par Dieu à ceux qui le prient : «Invoque-moi et je te répondrai » (Jr 33, 3). « Invoque-moi, je te délivrerai » (Ps 50 (49), 15).
« Demandez et l'on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; frappez et l'on vous ouvrira » (Mt 7, 7). « Combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui l'en prient » (Mt 7, 11).
» Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve» {Lc 1 l,10). « Si deux d'entre vous, sur terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé par mon Père » (Mt 18, 19). « Tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu, et cela vous sera accordé » (Mc, 1 l, 24). « Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai » (Jn 14, 14). « Si vous demeurez en moi... demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez » (Jn 15, 7). « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (Jn 16, 23).
Il y a mille autres textes semblables que, pour faire bref, nous omettons. Dieu nous veut sauvés, mais il veut, pour notre plus grand bien, que nous le soyons en vainqueurs. Nous avons à mener ici-bas une guerre continuelle, et pour faire notre salut nous devons lutter et vaincre : « Personne ne pourra être couronné sans être vainqueur » dit saint Jean Chrysostome. Nous sommes très faibles, les ennemis
sont nombreux et puissants. Comment pourrons-nous faire front et les dominer ? Prenons courage et que
chacun dise comme l'Apôtre Paul : « Je puis tout en Celui qui me rend fort » (Ph 4, 13).
Nous pourrons tout par la prière. Le Seigneur nous donnera par elle cette force que nous n' avons pas. Théodoret a écrit que la prière est toute puissante : « Elle est seule, mais elle peut tout ». Saint Bonaventure considère que la prière nous permet
d'acquérir tous les biens et d'échapper à tous les maux : « Par elle on obtient tout bien, par elle on est délivré de tout mal ». Saint Laurent Justinien estime que, par la prière, nous nous bâtissons une tour solide où nous serons en sûreté, à l'abri de tous les pièges et de toutes les violences des ennemis : « Par l'exercice de la prière l'homme se construit une forteresse ». Les puissances de l'Enfer sont fortes mais, dit saint Bernard, la prière est plus forte que tous les démons : « La prière l'emporte sur tous les démons ». Oui, parce que la prière nous obtient le secours de Dieu qui surpasse toutes les puissances créées. David s'encourageait lui-même au milieu de ses craintes : « J'invoque Yahvé, digne de louange et je suis sauvé de mes ennemis » (Ps 18 (17), 4). En un
mot, dit saint Jean Chrysostome : « La prière est une armure, une protection, un port et un trésor ». La prière est une armure capable de résister à tous les assauts des démons ; elle est une protection qui nous met à l'abri de tous les dangers ; elle est un port où nous pouvons chercher refuge dans les tempêtes ; elle est en même temps un trésor qui nous comble de tous les biens.
Dieu, sachant le grand avantage qui résulte pour nous de la nécessité de la prière, permet (comme nous l'avons dit au chapitre ler) que nous soyons assaillis par des ennemis, afin que nous lui demandions le secours qu'il nous offre et qu' il nous promet. Mais, autant il aime nous voir recourir à lui dans les dangers, autant il déteste nous voir négliger la prière. Saint Bonaventure emploie cette comparaison : le roi accuserait de trahison le capitaine qui, assiégé dans une place forte, ne l'appellerait pas à son aide : « Il serait considéré comme traître s'il n'attendait pas du secours de la part du roi ». De même, Dieu se juge trahi par celui qui, assailli par les tentations, ne recourt pas à lui pour obtenir de l'aide. Le Seigneur désire au contraire et attend qu'on lui demande cette aide pour l'accorder abondamment. C'est bien ce que déclara Isaïe, quand il dit de la part de Dieu au roi Achaz, qu'il ait à demander un signe pour être sûr du secours du Seigneur : « Demande un signe à Yahvé ton Dieu » (Is '7, 11). « Je ne demanderai rien, répondit le roi impie, je ne tenterai pas Yahvé » (Is 7, 12). Non, je ne veux pas le demander parce que je ne veux pas tenter Dieu. Pourquoi fit-il une telle réponse ? parce qu'il se fiait à ses propres forces pour vaincre les ennemis sans l'aide de Dieu. Mais le prophète lui en fit le reproche : « Écoutez donc, maison de David, est-ce trop peu pour vous de lasser les hommes que vous lassiez aussi mon Dieu ?» (Is 7, 13).
Que nous signifiait-il par là ? Que c'est blesser Dieu et lui faire injure de ne pas lui demander les grâces
qu'il nous offre. « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28). Mes pauvres enfants, dit le Sauveur, vous êtes assaillis par les ennemis, vous êtes accablés sous le poids de vos péchés ; ne perdez pas courage, recourez à moi par la prière, et je vous donnerai la force de résister, je porterai remède à tous vos maux. Il dit ailleurs par la bouche d'Isaïe :
« Allons ! Discutons ! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront » (Is l, 18). Oui, recourez à moi et, bien que vos consciences soient très souillées, ne manquez pas de venir ! Et je vous permets de me blâmer (pour ainsi dire) si, lorsque vous aurez eu recours à moi, ma grâce ne vous rend pas blancs comme neige. Qu'est-ce que la prière ? Écoutons saint Jean Chrysostome : « La prière est l'ancre du salut, le trésor des pauvres... la guérison des
maladies, la gardienne de la santé ». Oui, la prière est une ancre de salut pour qui est menacé de faire naufrage ; elle est un trésor immense de richesses pour le pauvre ; elle est un remède très efficace pour le malade ; elle est une protection sûre pour qui veut rester en bonne santé. Que fait la prière ? Ecoutons saint Laurent Justinien : « Elle apaise Dieu, exauce les souhaits, triomphe des adversaires et change les humains ». La prière apaise la colère de Dieu, il pardonne à qui le prie avec humilité ; elle obtient par grâce tout ce que l'on demande ; elle
vient à bout de toutes les forces ennemies, et, en somme, change les humains d'aveugles en
clairvoyants, de faibles en forts, de pécheurs en saints.
Qui a besoin de lumière, qu'il la demande à Dieu, elle lui sera donnée ! Aussitôt que j'ai eu recours au Seigneur, dit Salomon, il m'a communiqué la Sagesse: « J'ai prié et la Sagesse m'a été donnée » (Sg 7, 7). Qui a besoin de force, qu' il la demande à Dieu et elle lui sera donnée : « Dès que j'ai eu ouvert la bouche pour prier, dit David, j'ai reçu le secours du Seigneur : J'ouvre large ma bouche et j'ai attiré l'esprit... o (Ps 119 (118), 131). Comment les saints martyrs ont-ils eu assez de force pour braver les tyrans, sinon par la prière qui leur a donné le courage de surmonter les tourments et d'affronter la mort ?
En vérité, dit saint Jean Chrysostome, qui se munit de cette arme puissante de la prière, « ignore la mort, se détache de la terre, pénètre dans le ciel et vit avec Dieu ». Il ne tombe pas dans le péché ; il ne s' attache pas à la terre ; il établit déjà sa demeure dans le ciel et il commence à jouir dès cette vie de la conversation avec Dieu. Alors à quoi bon s'inquiéter et dire : Qui sait si Dieu me donnera la grâce efficace et la persévérance ? « N'entretenez aucun souci ; mais en tout besoin recourez à l'oraison et à la prière, pénétrées d'action de grâces, pour présenter vos requêtes à Dieu » (Ph 4, 6). À quoi sert, dit l'Apôtre Paul, de vous embarrasser dans ces
angoisses et ces anxiétés ?
Chassez loin de vous toutes ces préoccupations qui ne servent qu'à vous faire perdre la confiance et à vous rendre plus tièdes et plus lâches pour marcher sur la route du salut ! Priez, demandez sans cesse, adressez à Dieu vos prières, remerciez-le toujours des promesses qu'il vous a faites de vous accorder les dons après lesquels vous soupirez (à condition que vous les lui demandiez), la grâce efficace, la persévérance, le salut et tout ce que vous désirez. Le Seigneur vous a jetés dans la bataille pour y lutter contre des ennemis puissants, mais il est fidèle à ses promesses et il ne permet pas que nous soyons attaqués plus que nous ne pouvons résister : « Dieu est fidèle, il ne permettra pas que vous soyez tentés
au-delà de vos forces » (1 Co 10, 13). Il est fidèle parce qu'il secourt sur le champ qui l'invoque.
Le savant Cardinal Gotti écrit : Le Seigneur n'est pas tenu d'accorder toujours une grâce égale à la tentation ; mais, quand nous sommes tentés et que nous recourons à lui, il est obligé de nous fournir, au moyen de la grâce (qu'il tient toute prête et offre à tous), la force suffisante pour résister : « Lorsque nous sommes tentés et que nous recourons à lui, Dieu est tenu de nous donner, au moyen de la grâce préparée et offerte, les forces suffisantes qui nous permettront de résister effectivement. Nous pouvons tout, en effet, en celui qui nous fortifie par la grâce, si nous le lui demandons humblement ». Nous n'avons donc pas d'excuse si nous nous faisons vaincre par
la tentation. Nous ne sommes vaincus que par notre faute : c'est que nous n'avons pas assez prié ! Par la prière on triomphe fort bien de tous les pièges et de toutes les attaques des ennemis : « Par la prière, tout ce qui pourrait nous nuire est mis en fuite » écrit saint Augustin.
Pour saint Bernardin de Sienne : la prière est une ambassadrice fidèle, bien connue du roi du ciel, admise à entrer jusque dans ses appartements. Par
son insistance, elle amène l'esprit miséricordieux du roi à nous accorder tous les secours dont nous avons besoin, nous pauvres malheureux, qui
gémissons au milieu de tant de combats et de misères, en cette vallée de larmes : « La prière est une ambassadrice très fidèle, connue du roi, habituée
à entrer dans sa chambre, à fléchir son esprit miséricordieux et à obtenir du secours pour ceux qui sont en danger ». Isaïe nous affirme également :
Quand le Seigneur entend nos prières, il est aussitôt touché de compassion à notre égard ; il ne nous laisse pas beaucoup pleurer, mais il répond à
l'instant même et nous accorde tout ce que nous lui demandons : « Tu n'auras plus à pleurer car il va te faire grâce à cause du cri que tu pousses ; dès qu'il l'entendra, il te répondra » (Is 30, 19). Dans un autre endroit le Seigneur parle par la bouche de Jérémie ; il se plaint de nous en ces termes : « Ai je été un désert pour Israël, ou une terre ténébreuse ? Pourquoi mon peuple a-t-il dit : nous vagabondons, nous n'irons plus à toi ? (Jr 2, 31). Pourquoi, demande le Seigneur, dites-vous que vous ne voulez plus recourir à moi ? Peut-être ma miséricorde est-elle pour vous une terre stérile qui ne sait plus vous donner aucun fruit de grâce ? Ou une terre en sommeil qui ne produit que des fruits très tardifs ?
Notre Seigneur tout aimant veut nous signifier par là qu'il ne manque jamais d'exaucer et sans retard nos prières. Il veut aussi blâmer ceux qui négligent de le prier, par crainte de n'être pas exaucés.
Si Dieu nous admettait à lui présenter nos requêtes une fois par mois, ce serait déjà une grande faveur. Les rois de la terre ne donnent que de rares
audiences dans l'année, tandis que Dieu reçoit à tout moment. Saint Jean Chrysostome écrit que Dieu se tient toujours prêt à écouter nos prières. Il n'arrive jamais qu'il n'exauce pas ceux qui le prient, quand ils le font comme il faut : « Dieu est toujours prêt à écouter le voix de ses serviteurs ; jamais il n'a fait la sourde oreille quand on l'a appelé comme il faut ».
Il dit ailleurs : quand nous prions, avant même que nous ayons fini de lui exposer nos demandes, déjà il nous exauce : « On obtient toujours, alors même que l'on est encore en train de demander ». Nous en avons reçu la promesse de Dieu lui-même : « Ils parleront encore que j'aurai déjà entendu » (Is 65, 24). Le Seigneur, dit David, se tient près de tous ceux qui le prient, pour leur être agréable, les exaucer et les sauver : « Proche est Yahvé de
ceux qui l'invoquent, de tous ceux qui l'invoquent en vérité » (c'est-à-dire comme il faut). « Le désir de ceux qui le craignent, il le fait, il entend leur cri et les sauve » (Ps 145(144), 18-19). Moïse s'en félicitait : « Quelle est en effet la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que Yahvé notre
Dieu l'est de nous chaque fois que nous l'invoquons » (Dt 4, 7).
Les dieux païens restaient sourds à ceux qui les invoquaient parce qu'ils n'étaient que de pauvres créatures impuissantes ; mais notre Dieu tout puissant n'est pas sourd à nos prières ; il se tient près de ceux qui le prient, prompt à accorder
toutes les grâces qu'on lui demande : « Alors mes ennemis reculeront le jour où j'appelle. Je le sais, Dieu est pour moi » (Ps 56(55) 10). Seigneur, mon
Dieu, disait le Psalmiste, j'ai reconnu que vous êtes toute Bonté et Miséricorde, en voyant que, chaque fois que je recours à vous, vous me secourez aussitôt. Nous sommes dépourvus de tout mais, si nous prions, nous ne sommes plus pauvres. Si nous sommes pauvres, Dieu est riche, et Dieu est extrêmement libéral, dit l'Apôtre Paul, envers ceux qui l'appellent au secours : « Riche envers tous ceux qui l'invoquent » (Rm 10, 12).
Saint Augustin nous exhorte ainsi : Puisque nous avons à faire à un Seigneur d'une infinie puissance et richesse, ne lui demandons pas des choses
insignifiantes et sans valeur mais quelque chose de précieux : « C'est le Tout-Puissant que vous sollicitez, demandez-lui quelque chose de grand ! ».
Si quelqu'un demandait au roi une simple pièce de monnaie, un sou, ne semble-t-il pas qu'il lui ferait injure ? À l'inverse, nous faisons honneur à Dieu, à sa miséricorde et à sa libéralité, lorsque, malgré notre misère et notre indignité, nous sollicitons de lui de grandes faveurs, sûrs de sa bonté et de sa fidélité, lui qui a promis d'accorder à ceux qui le prient toutes les grâces demandées : « Demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez ! » (Jn 15, 7).
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait : Le Seigneur se sent si honoré et éprouve une telle consolation lorsque nous lui demandons ses grâces, qu'il nous remercie en quelque sorte de lui offrir ainsi l'occasion de nous gratifier et de satisfaire le désir qu'il a de nous faire du bien à tous. Soyons même persuadés que lorsque nous sollicitons des grâces, le Seigneur nous donne toujours plus que nous demandons. « Si l'un de vous manque de sagesse qu'il la demande à Dieu, il donne à tous généreusement et sans récriminer » (Jc 1, 5). Saint Jacques s'exprime ainsi pour bien nous indiquer que Dieu n'est pas avare de ses biens, comme le sont les hommes. Quand ceux-ci font des aumônes, alors même qu'ils sont riches, pieux et généreux, ils ont toujours les doigts un peu crochus et ils donnent le plus souvent moins qu'on ne leur demande : leur richesse, en effet, est toujours limitée, et plus ils donnent, moins il leur reste.
Mais, quand on le prie, Dieu donne ses biens
avec générosité, avec une main largement ouverte, et toujours plus qu'on ne lui demande : sa richesse, en effet, est infinie et, plus il donne, plus il lui
reste à donner : « Seigneur, tu es pardon et bonté, plein d'amour pour tous ceux qui t'appellent » (Ps 86{85), 5). Vous, mon Dieu, s'écriait David, vous
n'êtes que trop généreux et trop bon avec ceux qui vous invoquent. Vos miséricordes à leur égard sont toutes surabondantes : elles surpassent leurs
demandes.
À ceci nous devons donc accorder toute notre attention : prier avec confiance, dans la certitude que s'ouvriront ainsi pour nous tous les trésors
du ciel : « Appliquons-nous-y, dit saint Jean Chrysostome, et nous verrons pour nous s'ouvrir le ciel ». La prière est un trésor : qui prie le plus, plus en a sa part. Saint Bonaventure assure : Chaque fois que l'on recourt pieusement à Dieu par la prière, on gagne des biens infiniment plus précieux que le
monde entier : « On gagne chaque jour par la prière dévote plus que la valeur du monde entier ». Certaines âmes dévotes consacrent beaucoup de
temps à lire et à méditer mais peu de temps à prier. La lecture spirituelle, la méditation des vérités éternelles sont certainement très utiles mais, dit saint
Augustin, la prière est de beaucoup plus utile. Par la lecture et la méditation nous comprenons quels sont nos devoirs mais par la prière nous obtenons la grâce de les remplir : « Il vaut mieux prier que lire ; par la lecture nous apprenons ce que nous devons faire ; par la prière, nous recevons ce que nous demandons ». A quoi bon savoir ce que nous sommes tenus de faire et puis ne pas le faire, sinon à nous rendre plus coupables envers Dieu ? Lisons et méditons autant que nous voulons ; nous n'en accomplirons pas
pour autant nos obligations si nous ne demandons pas à Dieu le secours nécessaire.
Aussi, fait remarquer saint Isidore, c'est surtout lorsque nous sommes occupés à prier et à demander à Dieu ses grâces que le démon se donne le plus de mal pour nous distraire par la pensée des affaires temporelles : « C'est surtout lorsque le diable voit quelqu'un en train de prier qu'il lui met le plus des idées dans la tête ». Pourquoi cela ? Parce que l'ennemi voit que nous ne gagnons jamais davantage les trésors du ciel que lorsque nous prions. Le meilleur fruit de l'oraison mentale, c'est qu'on y demande à Dieu les grâces nécessaires pour la persévérance et le salut éternel. C'est pour ce
motif surtout que l'oraison mentale est nécessaire à l' âme pour se maintenir dans la grâce de Dieu. En effet, si durant la méditation l'on ne songe pas à
demander les secours indispensables à la persévérance, on ne le fera pas à un autre moment ; on ne pensera pas, en dehors de la méditation, à la
nécessité de les demander. En revanche, celui qui fait chaque jour sa méditation verra clairement les besoins de son âme, les dangers où il se trouve, la nécessité de prier ; il priera et ainsi obtiendra les grâces qui lui permettront de persévérer et de faire son salut.
Le Père Paul Segneri faisait cet aveu : au début, dans sa méditation, il s'employait plus à exprimer ses
sentiments qu'à prier; mais il comprit par la suite la nécessité et l'immense utilité de la prière ; dès lors, dans ses longues oraisons mentales il s'appliqua
surtout à prier. « Comme le petit de l'hirondelle, je crierai », disait le pieux roi Ezéchias (Is 38, 14). Les petits des hirondelles ne font que crier, pour
réclamer à leur mère secours et nourriture. C'est ainsi que nous devons tous faire : si nous voulons garder la vie de la grâce, il nous faut crier sans cesse, demandant secours à Dieu pour éviter la mort du péché et pour progresser dans son saint amour. Le Père Rodriguez rapporte : Les Anciens Pères, qui
furent nos premiers maîtres spirituels, tinrent un jour conseil entre eux pour examiner quel était l'exercice le plus utile et le plus nécessaire pour le salut
éternel. Ils conclurent que c'était de répéter fréquemment la brève invocation de David :
« Seigneur, viens à mon aide ». Celui qui veut assurer son salut, écrit Cassien, doit faire de même et répéter sans cesse : Mon Dieu, aide-moi ! Mon Dieu, aide-moi ! Nous devons lancer cet appel, le matin, dès notre réveil, et continuer ensuite dans toutes nos nécessités et dans toutes nos occupations spirituelles et temporelles, plus spécialement quand nous tourmente quelque tentation ou passion.
Pour saint Bonaventure, une courte prière nous vaut parfois la grâce plus vite que beaucoup d' autres bonnes oeuvres : « On obtient quelquefois plus vite par une courte prière ce que l'on n'obtiendrait que difficilement par de bonnes oeuvres ». Saint Ambroise
ajoute : Avant même d'avoir fini, celui qui prie est déjà exaucé parce que prier et recevoir, c'est tout un. « Celui qui demande à Dieu reçoit au moment
même de sa prière ; car demander à Dieu est déjà recevoir ». Saint Jean Chrysostome a pu écrire : « Rien n'est plus puissant qu'un homme qui prie »
parce qu'il participe à la puissance de Dieu. Pour arriver à la perfection, disait saint Bernard, il faut la méditation et la prière : la méditation nous aide
à comprendre ce qui nous fait défaut, et par la prière nous la recevons : « Progressons par la méditation et la prière ; car la méditation enseigne ce qui nous manque et la prière obtient que ce manque soit comblé ».
Bref, sans la prière, il est très difficile et même impossible, ainsi que nous l'avons vu, de faire son salut, selon la providence ordinaire de Dieu ; mais,
par la prière, ce salut devient assuré et très facile. Il n'est pas nécessaire pour cela d'aller sacrifier notre vie chez les Infidèles ni de se retirer dans le désert
et s'y nourrir d'herbes. Qu'avons-nous à dire ? « Mon Dieu, aide-moi ; Seigneur, assiste-moi ; Aie pitié de moi » ! Est-il rien de plus facile ? Ce peu suffira à nous sauver, si nous sommes attentifs à le faire. Saint Laurent Justinien nous exhorte spécialement à nous efforcer de prier, au moins au début de chaque action : « Il faut s'efforcer de mettre une prière tout au moins au début de chaque action ». Cassien nous assure : les anciens Pères conseillaient surtout de lancer vers Dieu de brèves mais fréquentes invocations.
Que personne, disait saint Bernard, ne fasse peu de cas de sa prière car Dieu en fait grand cas : il nous donne alors ce que nous sollicitons ou quelque chose de plus utile pour nous : « Nul d'entre vous, frères, ne doit faire peu de cas de sa prière. Car je vous le dis : Celui à qui nous l'adressons est loin, lui, d'en faire peu de cas... ou bien il nous donne ce que nous
demandons (cf. Jn 16, 23) ou bien il a en vue pour nous quelque chose de plus utile ». Nous devons bien comprendre que, si nous ne prions pas, nous sommes inexcusables, parce que la grâce de la prière est accordée à chacun ; nous avons toujours la possibilité de prier, chaque fois que nous le voulons.
David disait de lui-même : « Que je chante un cantique, une prière au Dieu de ma vie, je dirai à mon Dieu, tu es mon refuge » (Ps 42(41), 9-10). Nous
parlerons plus longuement de ce point dans la deuxième partie. J'y montrerai de façon claire que Dieu donne à tous la grâce de prier ; on peut ainsi, par la prière, obtenir tous les secours, et même en abondance, pour observer la loi de Dieu et persévérer jusqu'à la mort. Je me contente de dire
pour le moment que, si nous ne faisons pas notre salut, ce sera entièrement de notre faute, et pour la seule raison que nous n' aurons pas prié !
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE III
CONDITIONS DE LA PRIÈRE
« En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom» (Jn 16, 23). Jésus Christ nous le promet :tout ce que nous demanderons au Père en son nom, tout cela le Père nous l'accordera, mais cela s'entend toujours d'une demande faite selon les conditions requises.
Beaucoup, dit saint Jacques, cherchent et n'obtiennent pas parce qu'ils cherchent mal : « Vous demandez et ne recevez pas, parce que vous
demandez mal » (Jc 4, 3). Saint Basile commente ainsi les paroles de l'Apôtre : « Si quelquefois tu demandes et n'obtiens pas, c' est que tu as mal
demandé, en manquant de foi, ou avec légèreté, ou pour ce qui ne te convenait pas ou alors parce que tu as abandonné la prière ». « En manquant de foi », c'est-à-dire avec peu de foi ou peu de confiance. « Avec légèreté » c'est-à-dire avec peu de désir d'obtenir la grâce. « Pour ce qui ne te convenait pas » c'est-à-dire que tu as demandé des biens qui ne sont pas utiles à ton salut.
« Tu as abandonné » c'est-à-dire tu as manqué de persévérance. C'est pourquoi saint Thomas ramène à 4 les conditions requises pour que la prière soit efficace : « Que l'on demande pour soi-même, des biens nécessaires au salut, avec piété, avec persévérance ».
La première condition de la prière est donc qu'on la fasse pour soi-même. Le Docteur Angélique soutient que l'on ne peut pas obtenir pour les autres
ex condigno - en justice -, la vie éternelle ni par conséquent les grâces ayant rapport au salut. La promesse, dit-il, n'a pas été faite pour les autres mais
uniquement pour ceux qui prient : « Il vous le donnera ». Beaucoup de Docteurs soutiennent cependant le contraire, en s'appuyant sur l'autorité de saint Basile : « Celui-ci enseigne que la prière atteint infailliblement son effet, en vertu de la promesse de Dieu, même en faveur des autres, pourvu que ceux-ci n'y mettent pas un obstacle positif » Ils se basent sur les Saintes Écritures : « Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris.
La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance » (Jc 5, 16). « Priez pour vos persécuteurs » (Mt 5,44). Et, mieux encore, le texte de saint Jean:
« Quelqu'un voit-il son frère commettre un péché ne conduisant pas à la mort, qu'il prie et Dieu donnera la vie à ce frère ! » (1 Jn 5, 16). Saint Augustin et d'autres expliquent ainsi : « un péché ne conduisant pas à la mort » : pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un pécheur qui entend s'obstiner dans le péché jusqu'à la mort, parce que pour celui-ci il faudrait une grâce très extraordinaire. Quant aux pécheurs dont la malice n'est pas si grande, l'Apôtre saint Jean promet leur conversion à ceux qui prient pour eux : « Qu'il prie et Dieu donnera la vie à ce frère » ( 1 Jn 5, 16).
Du reste, il n' est pas douteux que les prières des autres soient très utiles aux pécheurs et très agréables à Dieu ; Dieu se plaint de ses serviteurs qui ne lui recommandent pas les pécheurs. C'est ainsi qu'il dit un jour à sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « Vois, ma fille, comme les chrétiens sont entre
les mains du démon ; si mes Élus ne les délivraient pas par leurs prières, ils seraient dévorés ». Il attend cela tout spécialement des prêtres et des religieux. Cette même sainte disait à ses religieuses : « Mes Soeurs, Dieu ne nous a pas séparées du monde uniquement pour notre bien mais aussi pour que nous fassions appel à sa clémence en faveur des pécheurs».
Et le Seigneur dit un jour à la sainte : « Je vous ai donné à vous qui êtes mes épouses privilégiées, la Cité de Refuge, c'est-à-dire la Passion de Jésus
Christ. Vous avez ainsi où recourir pour aider mes créatures. Recourez-y et portez secours à celles qui périssent et donnez votre vie pour elles ». Ainsi,
enflammée d'un grand zèle, la sainte offrait-elle à Dieu cinquante fois par jour, pour les pécheurs, le sang du Rédempteur. Le désir de leur conversion
la dévorait : « Oh ! Seigneur, quelle souffrance de voir que l'on peut aider tes créatures en donnant notre vie pour elles, et de ne pouvoir le faire ». Au
reste, elle recommandait les pécheurs à Dieu dans tous ses exercices de piété. Elle ne passait guère une heure de la journée, lit-on dans sa Vie, sans
prier pour eux. Elle se levait aussi très souvent, en pleine nuit, et se rendait devant le Saint Sacrement prier pour les pécheurs. On l'a trouvée un jour pleurant à chaudes larmes : « Pourquoi ? lui demanda-t-on. Parce qu'il me semble que je ne fais rien pour le salut des pécheurs ».
Elle allait jusqu' à s'offrir à subir pour leur conversion jusqu'aux peines de l'Enfer, pourvu qu'elle n'eût pas à haïr Dieu. Plusieurs fois elle obtint de Dieu d'être affligée de grandes douleurs et infirmités pour le salut des pécheurs. Elle priait spécialement pour les prêtres. Elle voyait que leur bonne conduite est
principe de salut pour les autres, et leur mauvaise vie cause de ruine pour beaucoup. Aussi priait-elle le Seigneur de faire retomber sur elle la punition de leurs fautes : « Seigneur, fais-moi mourir puis revenir à la vie autant de fois qu'il sera nécessaire pour satisfaire pour eux à ta justice ! » Et l'on raconte dans sa Vie que, en effet, par ses prières, elle arracha beaucoup d'âmes aux griffes de Lucifer.
J'ai tenu à parler plus spécialement du zèle de cette sainte. Mais toutes les âmes qui aiment vraiment Dieu ne prient-elles pas pour les pauvres pécheurs ? Voici quelqu'un qui aime Dieu, qui sait l'amour qu'il porte aux âmes et tout ce que Jésus Christ a fait et souffert pour leur salut et combien le Sauveur désire nous voir prier pour elles... Comment est-il possible que ce quelqu'un puisse voir avec indifférence tant de pauvres gens vivre sans Dieu et esclaves de l'enfer ? Ne va-t-il pas être touché de compassion et
s'appliquer à prier fréquemment le Seigneur de donner lumière et force à ces malheureux pour qu'ils sortent de l'état dans lequel ils dorment et sont perdus ? Bien sûr, Dieu n'a pas promis de nous exaucer quand ceux pour qui nous prions mettent un
obstacle positif à leur conversion. Mais très souvent, dans sa bonté, à cause des prières de ses serviteurs, le Seigneur s'est plu à ramener dans la voie du salut, par des grâces extraordinaires, les pécheurs les plus aveuglés et les plus endurcis.
Ne nous lassons donc jamais, lorsque nous célébrons ou entendons la messe, lorsque nous faisons la communion, la méditation ou la visite au Saint Sacrement, de recommander à Dieu les pauvres pécheurs. Un savant auteur nous affirme : « Celui qui prie pour les autres voit d'autant plus vite exaucées les prières qu'il fait pour lui-même ». Tout ceci dit en
passant, revenons aux autres conditions requises par saint Thomas pour l' efficacité de la prière.
La seconde condition, c'est que l'on demande les grâces nécessaires au salut. En effet, la promesse faite à la prière ne l'a pas été pour les bienfaits d'ordre temporel qui ne sont pas nécessaires au salut. Saint Augustin commente les mots de l'Évangile cités plus haut, « en mon nom » en disant: « Tout ce qui est contraire au salut ne saurait être demandé au nom du Sauveur ».
Quelquefois, ajoute-t-il, nous demandons des faveurs temporelles et Dieu ne nous exauce pas, pourquoi ? Parce qu'il nous aime et veut nous traiter
avec miséricorde : « Si quelqu'un prie Dieu loyalement pour les nécessités de cette vie, tantôt Dieu les accorde par miséricorde et tantôt les refuse
également par miséricorde. En effet, ce qui est utile au patient, le médecin le sait mieux que le malade ». Le médecin qui aime le malade ne lui accorde pas ce qu'il sait devoir lui faire du mal. Oh ! combien, s'ils étaient malades ou pauvres, ne tomberaient pas
dans les péchés qu'ils commettent bien portants
ou riches.
C'est par amour que Dieu n'exauce pas certains qui lui demandent la santé du corps ou les biens de la fortune ; il voit que ce serait pour eux une occasion de perdre sa grâce ou tout au moins de tomber spirituellement dans la tiédeur. N'allons pas comprendre que ce soit une faute de demander
à Dieu les biens nécessaires à la vie présente, pour autant qu'ils peuvent contribuer au salut éternel, selon cette prière du Sage de l'Ancien Testament:
« Accorde-moi seulement la nourriture qui m'est nécessaire ! » (Pr 30, 8). Il n'est pas défendu, dit saint Thomas, de nous soucier raisonnablement de ces biens temporels ; la faute consiste à désirer ou à chercher ces biens comme s'ils étaient les plus importants, à avoir pour eux un souci désordonné,
comme s'ils constituaient à eux seuls notre bonheur.
Quand nous demandons à Dieu ces biens temporels, nous devons le faire toujours en esprit de soumission et à la condition qu'ils soient utiles à notre âme. Quand nous nous apercevons que le Seigneur ne nous les accorde pas, soyons bien convaincus qu'il nous les refuse par amour et parce qu'il sait qu'ils nuiraient à notre santé spirituelle.
Souvent nous demandons à Dieu de nous délivrer de quelque tentation dangereuse, et Dieu ne nous exauce pas non plus. Il permet que la tentation
continue de nous importuner. Sachons que Dieu agit encore ainsi pour notre plus grand bien. Ce ne sont pas les tentations ni les mauvaises pensées qui
nous éloignent de Dieu mais les consentements coupables. Quand l'âme se recommande à Dieu au moment de la tentation et qu'avec sa grâce elle y résiste, oh ! comme elle progresse alors
en perfection et parvient à une plus grande union avec Dieu ! Voilà pourquoi le Seigneur ne l'exauce pas. Saint Paul priait avec instance pour être délivré des tentations charnelles : « Il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter...A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il l'éloigne de moi » (2 Co 12, 7). Mais le Seigneur lui répondit : « Ma grâce te suffit ».
Dans les tentations nous devons donc prier Dieu avec soumission : Seigneur, délivrez-moi de cet
ennui si vous jugez utile de m'en libérer ; et sinon donnez-moi au moins le secours nécessaire pour y résister. Que fait alors le Seigneur ? Quand nous
demandons à Dieu quelque grâce, dit saint Bernard, il nous l'accorde ou alors quelque chose de plus utile. Souvent Dieu nous laisse souffrir dans la tempête pour mettre à l'épreuve notre fidélité et pour notre plus grand profit. Il semble être sourd à nos prières mais soyons sûrs qu'il nous entend parfaitement et nous aide en secret ; il nous fortifie par sa grâce pour que nous résistions à toutes les attaques des ennemis.
Il nous le certifie lui-même par la bouche du Psalmiste : « Dans la détresse, tu as crié, je t'ai
sauvé. Je te répondis caché dans l'orage je t'éprouvai aux eaux de Mériba » (Ps 81 (80), 8).
Autres conditions requises par saint Thomas : « prier s'humilier et persévérer » c'est-à-dire avec humilité et confiance, ainsi qu'avec persévérance jusqu'à la
mort. Examinons chacune de ces conditions : Humilité, Confiance, Persévérance.
CONDITIONS DE LA PRIÈRE
« En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom» (Jn 16, 23). Jésus Christ nous le promet :tout ce que nous demanderons au Père en son nom, tout cela le Père nous l'accordera, mais cela s'entend toujours d'une demande faite selon les conditions requises.
Beaucoup, dit saint Jacques, cherchent et n'obtiennent pas parce qu'ils cherchent mal : « Vous demandez et ne recevez pas, parce que vous
demandez mal » (Jc 4, 3). Saint Basile commente ainsi les paroles de l'Apôtre : « Si quelquefois tu demandes et n'obtiens pas, c' est que tu as mal
demandé, en manquant de foi, ou avec légèreté, ou pour ce qui ne te convenait pas ou alors parce que tu as abandonné la prière ». « En manquant de foi », c'est-à-dire avec peu de foi ou peu de confiance. « Avec légèreté » c'est-à-dire avec peu de désir d'obtenir la grâce. « Pour ce qui ne te convenait pas » c'est-à-dire que tu as demandé des biens qui ne sont pas utiles à ton salut.
« Tu as abandonné » c'est-à-dire tu as manqué de persévérance. C'est pourquoi saint Thomas ramène à 4 les conditions requises pour que la prière soit efficace : « Que l'on demande pour soi-même, des biens nécessaires au salut, avec piété, avec persévérance ».
La première condition de la prière est donc qu'on la fasse pour soi-même. Le Docteur Angélique soutient que l'on ne peut pas obtenir pour les autres
ex condigno - en justice -, la vie éternelle ni par conséquent les grâces ayant rapport au salut. La promesse, dit-il, n'a pas été faite pour les autres mais
uniquement pour ceux qui prient : « Il vous le donnera ». Beaucoup de Docteurs soutiennent cependant le contraire, en s'appuyant sur l'autorité de saint Basile : « Celui-ci enseigne que la prière atteint infailliblement son effet, en vertu de la promesse de Dieu, même en faveur des autres, pourvu que ceux-ci n'y mettent pas un obstacle positif » Ils se basent sur les Saintes Écritures : « Priez les uns pour les autres, afin que vous soyez guéris.
La supplication fervente du juste a beaucoup de puissance » (Jc 5, 16). « Priez pour vos persécuteurs » (Mt 5,44). Et, mieux encore, le texte de saint Jean:
« Quelqu'un voit-il son frère commettre un péché ne conduisant pas à la mort, qu'il prie et Dieu donnera la vie à ce frère ! » (1 Jn 5, 16). Saint Augustin et d'autres expliquent ainsi : « un péché ne conduisant pas à la mort » : pourvu qu'il ne s'agisse pas d'un pécheur qui entend s'obstiner dans le péché jusqu'à la mort, parce que pour celui-ci il faudrait une grâce très extraordinaire. Quant aux pécheurs dont la malice n'est pas si grande, l'Apôtre saint Jean promet leur conversion à ceux qui prient pour eux : « Qu'il prie et Dieu donnera la vie à ce frère » ( 1 Jn 5, 16).
Du reste, il n' est pas douteux que les prières des autres soient très utiles aux pécheurs et très agréables à Dieu ; Dieu se plaint de ses serviteurs qui ne lui recommandent pas les pécheurs. C'est ainsi qu'il dit un jour à sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « Vois, ma fille, comme les chrétiens sont entre
les mains du démon ; si mes Élus ne les délivraient pas par leurs prières, ils seraient dévorés ». Il attend cela tout spécialement des prêtres et des religieux. Cette même sainte disait à ses religieuses : « Mes Soeurs, Dieu ne nous a pas séparées du monde uniquement pour notre bien mais aussi pour que nous fassions appel à sa clémence en faveur des pécheurs».
Et le Seigneur dit un jour à la sainte : « Je vous ai donné à vous qui êtes mes épouses privilégiées, la Cité de Refuge, c'est-à-dire la Passion de Jésus
Christ. Vous avez ainsi où recourir pour aider mes créatures. Recourez-y et portez secours à celles qui périssent et donnez votre vie pour elles ». Ainsi,
enflammée d'un grand zèle, la sainte offrait-elle à Dieu cinquante fois par jour, pour les pécheurs, le sang du Rédempteur. Le désir de leur conversion
la dévorait : « Oh ! Seigneur, quelle souffrance de voir que l'on peut aider tes créatures en donnant notre vie pour elles, et de ne pouvoir le faire ». Au
reste, elle recommandait les pécheurs à Dieu dans tous ses exercices de piété. Elle ne passait guère une heure de la journée, lit-on dans sa Vie, sans
prier pour eux. Elle se levait aussi très souvent, en pleine nuit, et se rendait devant le Saint Sacrement prier pour les pécheurs. On l'a trouvée un jour pleurant à chaudes larmes : « Pourquoi ? lui demanda-t-on. Parce qu'il me semble que je ne fais rien pour le salut des pécheurs ».
Elle allait jusqu' à s'offrir à subir pour leur conversion jusqu'aux peines de l'Enfer, pourvu qu'elle n'eût pas à haïr Dieu. Plusieurs fois elle obtint de Dieu d'être affligée de grandes douleurs et infirmités pour le salut des pécheurs. Elle priait spécialement pour les prêtres. Elle voyait que leur bonne conduite est
principe de salut pour les autres, et leur mauvaise vie cause de ruine pour beaucoup. Aussi priait-elle le Seigneur de faire retomber sur elle la punition de leurs fautes : « Seigneur, fais-moi mourir puis revenir à la vie autant de fois qu'il sera nécessaire pour satisfaire pour eux à ta justice ! » Et l'on raconte dans sa Vie que, en effet, par ses prières, elle arracha beaucoup d'âmes aux griffes de Lucifer.
J'ai tenu à parler plus spécialement du zèle de cette sainte. Mais toutes les âmes qui aiment vraiment Dieu ne prient-elles pas pour les pauvres pécheurs ? Voici quelqu'un qui aime Dieu, qui sait l'amour qu'il porte aux âmes et tout ce que Jésus Christ a fait et souffert pour leur salut et combien le Sauveur désire nous voir prier pour elles... Comment est-il possible que ce quelqu'un puisse voir avec indifférence tant de pauvres gens vivre sans Dieu et esclaves de l'enfer ? Ne va-t-il pas être touché de compassion et
s'appliquer à prier fréquemment le Seigneur de donner lumière et force à ces malheureux pour qu'ils sortent de l'état dans lequel ils dorment et sont perdus ? Bien sûr, Dieu n'a pas promis de nous exaucer quand ceux pour qui nous prions mettent un
obstacle positif à leur conversion. Mais très souvent, dans sa bonté, à cause des prières de ses serviteurs, le Seigneur s'est plu à ramener dans la voie du salut, par des grâces extraordinaires, les pécheurs les plus aveuglés et les plus endurcis.
Ne nous lassons donc jamais, lorsque nous célébrons ou entendons la messe, lorsque nous faisons la communion, la méditation ou la visite au Saint Sacrement, de recommander à Dieu les pauvres pécheurs. Un savant auteur nous affirme : « Celui qui prie pour les autres voit d'autant plus vite exaucées les prières qu'il fait pour lui-même ». Tout ceci dit en
passant, revenons aux autres conditions requises par saint Thomas pour l' efficacité de la prière.
La seconde condition, c'est que l'on demande les grâces nécessaires au salut. En effet, la promesse faite à la prière ne l'a pas été pour les bienfaits d'ordre temporel qui ne sont pas nécessaires au salut. Saint Augustin commente les mots de l'Évangile cités plus haut, « en mon nom » en disant: « Tout ce qui est contraire au salut ne saurait être demandé au nom du Sauveur ».
Quelquefois, ajoute-t-il, nous demandons des faveurs temporelles et Dieu ne nous exauce pas, pourquoi ? Parce qu'il nous aime et veut nous traiter
avec miséricorde : « Si quelqu'un prie Dieu loyalement pour les nécessités de cette vie, tantôt Dieu les accorde par miséricorde et tantôt les refuse
également par miséricorde. En effet, ce qui est utile au patient, le médecin le sait mieux que le malade ». Le médecin qui aime le malade ne lui accorde pas ce qu'il sait devoir lui faire du mal. Oh ! combien, s'ils étaient malades ou pauvres, ne tomberaient pas
dans les péchés qu'ils commettent bien portants
ou riches.
C'est par amour que Dieu n'exauce pas certains qui lui demandent la santé du corps ou les biens de la fortune ; il voit que ce serait pour eux une occasion de perdre sa grâce ou tout au moins de tomber spirituellement dans la tiédeur. N'allons pas comprendre que ce soit une faute de demander
à Dieu les biens nécessaires à la vie présente, pour autant qu'ils peuvent contribuer au salut éternel, selon cette prière du Sage de l'Ancien Testament:
« Accorde-moi seulement la nourriture qui m'est nécessaire ! » (Pr 30, 8). Il n'est pas défendu, dit saint Thomas, de nous soucier raisonnablement de ces biens temporels ; la faute consiste à désirer ou à chercher ces biens comme s'ils étaient les plus importants, à avoir pour eux un souci désordonné,
comme s'ils constituaient à eux seuls notre bonheur.
Quand nous demandons à Dieu ces biens temporels, nous devons le faire toujours en esprit de soumission et à la condition qu'ils soient utiles à notre âme. Quand nous nous apercevons que le Seigneur ne nous les accorde pas, soyons bien convaincus qu'il nous les refuse par amour et parce qu'il sait qu'ils nuiraient à notre santé spirituelle.
Souvent nous demandons à Dieu de nous délivrer de quelque tentation dangereuse, et Dieu ne nous exauce pas non plus. Il permet que la tentation
continue de nous importuner. Sachons que Dieu agit encore ainsi pour notre plus grand bien. Ce ne sont pas les tentations ni les mauvaises pensées qui
nous éloignent de Dieu mais les consentements coupables. Quand l'âme se recommande à Dieu au moment de la tentation et qu'avec sa grâce elle y résiste, oh ! comme elle progresse alors
en perfection et parvient à une plus grande union avec Dieu ! Voilà pourquoi le Seigneur ne l'exauce pas. Saint Paul priait avec instance pour être délivré des tentations charnelles : « Il m'a été mis une écharde en la chair, un ange de Satan chargé de me souffleter...A ce sujet, par trois fois, j'ai prié le Seigneur pour qu'il l'éloigne de moi » (2 Co 12, 7). Mais le Seigneur lui répondit : « Ma grâce te suffit ».
Dans les tentations nous devons donc prier Dieu avec soumission : Seigneur, délivrez-moi de cet
ennui si vous jugez utile de m'en libérer ; et sinon donnez-moi au moins le secours nécessaire pour y résister. Que fait alors le Seigneur ? Quand nous
demandons à Dieu quelque grâce, dit saint Bernard, il nous l'accorde ou alors quelque chose de plus utile. Souvent Dieu nous laisse souffrir dans la tempête pour mettre à l'épreuve notre fidélité et pour notre plus grand profit. Il semble être sourd à nos prières mais soyons sûrs qu'il nous entend parfaitement et nous aide en secret ; il nous fortifie par sa grâce pour que nous résistions à toutes les attaques des ennemis.
Il nous le certifie lui-même par la bouche du Psalmiste : « Dans la détresse, tu as crié, je t'ai
sauvé. Je te répondis caché dans l'orage je t'éprouvai aux eaux de Mériba » (Ps 81 (80), 8).
Autres conditions requises par saint Thomas : « prier s'humilier et persévérer » c'est-à-dire avec humilité et confiance, ainsi qu'avec persévérance jusqu'à la
mort. Examinons chacune de ces conditions : Humilité, Confiance, Persévérance.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
III.1 L'HUMILITÉ AVEC LAQUELLE ON DOIT PRIER
Le Seigneur est très attentif aux prières de ses serviteurs, à condition qu'elles soient humbles : « Il s'est tourné vers la prière des humbles » (Ps 102 (101,18). Sinon, il ne les regarde pas mais les repousse : « Dieu résiste aux orgueilleux mais il donne sa grâce aux humbles » (Jc 4, 6). Dieu n'écoute pas les prières des orgueilleux qui se fient à leurs propres forces, il les laisse dans leur misère ; alors, privés du secours de Dieu, ils vont se perdre
certainement. David en pleurait : « Avant d'être humilié, je m'égarais » (Ps.119 (118), 67). J'ai péché, disait-il, parce que je n'ai pas été humble. C'est
bien ce qui est arrivé à saint Pierre. Jésus l'avertit que, cette nuit-là même, tous ses disciples l'abandonneraient : « Vous tous, allez succomber à cause de moi, cette nuit même » (Mt 26, 31). Mais, au lieu de prendre conscience de sa faiblesse et de demander du secours au Seigneur, il présuma de ses forces. Même si tous l'abandonnaient, affirma-t-il, lui ne lâcherait jamais : « Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais » (Mt 26, 33).
Cette nuit même, avant que le coq ait chanté, lui prédit Jésus, il l' aurait renié trois fois ! Il continua pourtant à se fier à lui-même et à se vanter :
« Dussé je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas » (Mt 26, 35). Mais qu'arriva-t-il ? A peine le
malheureux fut-il entré dans la maison du Pontife et qu'on l'eut accusé d'être un disciple de Jésus, par trois fois, de fait, il affirma par serment qu'il ne le
connaissait pas : « Et de nouveau il nia avec serment : Je ne connais pas cet homme » (Mt 26, 72). Si Pierre, en toute humilité, avait demandé au
Seigneur la grâce de la fidélité, il ne l'aurait pas renié!
Persuadons-nous bien que nous sommes comme sur le sommet d'une montagne, suspendus au-dessus de l'abîme de tous les péchés et soutenus par le seul fil de la grâce : si ce fil nous lâche, nous serons certainement précipités dans ce gouffre et nous commettrons les crimes les plus horribles : « Si Yahvé ne me venait en aide, bientôt mon âme habiterait le silence (l'Enfer) » (Ps 94 (93), 17). Si Dieu ne m'avait pas secouru, je serais tombé
en mille péchés et serais maintenant en Enfer. Ainsi s'exprimait le Psalmiste.
Ainsi doit parler chacun d'entre nous. Pourquoi saint François d'Assise allait-il jusqu'à se proclamer le plus grand pécheur du monde ? Père, lui dit son compagnon, ce n'est pas vrai. Beaucoup de personnes au monde sont pires que vous. Hélas ! lui répliqua le saint, ce que je dis n'est que trop vrai,
car si Dieu ne tenait pas sa main au-dessus de moi pour me protéger, je commettrais tous les péchés.
Il est de foi que, sans la grâce, nous ne pouvons faire aucune bonne oeuvre, pas même avoir une bonne pensée : « Sans la grâce, dit saint Augustin, ils
(les hommes) ne font rien de bon, soit par pensée..., soit par action ». « Car de même que l'oeil dans le plus parfait état ne peut rien distinguer s'il n'est
aidé par l'éclat de la lumière, continue saint Augustin, de même l'homme le plus pleinement justifié ne peut vivre dans la droiture, s' il n' est divinement
secouru par l'éternelle lumière de la justice ».
L'Apôtre Paul l'avait déjà reconnu : « Ce n'est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de
revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous; non, notre capacité vient de Dieu » (2 Co 3, 5). Et avant lui David l' avait affirmé : « Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs » (Ps 127 (126), 1). On travaille en vain à se sanctifier, si Dieu n'y met la main : « Si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille » (Ps 127 (126), 1). Si Dieu ne préserve l'âme du péché, c' est en vain qu' elle espérera y réussir par ses propres forces. Aussi le saint Prophète protestait-il : « Ce n'est pas en mon arc que je mettrai ma confiance o (Ps 44 (43), 7). Ce n'est donc pas dans mes armes que je veux mettre ma confiance mais en Dieu qui seul peut me sauver.
Si l'on a fait quelque bien, si l'on n'est pas tombé en de plus grands péchés, que l'on dise avec saint Paul: « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que
je suis » (I Co 15, 10). Et pour la même raison ne cessons pas de trembler ;craignons à chaque instant de tomber : « Que celui qui se flatte d'être debout
prenne garde de tomber » (I Co 10, 12). L'Apôtre entend ainsi nous prévenir: celui qui se croit sûr de ne pas tomber est en grand danger de le faire. Il en
donne ailleurs la raison : « Si quelqu'un estime être quelque chose, alors qu'il n'est rien, il se fait illusion» (Ga 6, 3).
Saint Augustin écrit donc sagement : « La confiance excessive en leurs forces en empêche beaucoup
d'être forts, seuls sont solides ceux qui ont conscience de leur faiblesse »19. Si quelqu'un affirme qu'il n'a pas peur, cela veut dire qu'il a confiance en lui-même et en ses résolutions. Mais cette confiance pernicieuse l'égare. Se fiant à ses propres forces, il
cesse de craindre et de se recommander à Dieu ; il va donc certainement tomber. De même, chacun doit se garder de s'admirer et de se vanter, en voyant les péchés des autres. Il doit bien plutôt se considérer lui-même comme pire que les autres : Seigneur, si vous ne m' aviez pas aidé, j'aurais fait pire. Autrement le Seigneur permettra qu'en punition de son orgueil il tombe en des fautes plus grandes et plus horribles. L'Apôtre nous avertit donc de travailler à notre salut, mais comment ? toujours avec crainte et tremblement : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut » (Ph 2, 12).
Oui, celui qui redoute beaucoup de tomber se défie de ses propres forces. Il reporte donc sa confiance en Dieu et recourt à lui dans les dangers ; Dieu va le secourir ; il va triompher ainsi des tentations et faire son salut. Marchant un jour dans les rues de Rome, saint Philippe Neri s'en allait répétant : « Je suis désespéré! » Un religieux lui en fit le reproche, mais le saint lui répliqua : « Mon Père, c'est de moi-même que je désespère, mais j'ai confiance en Dieu ». Ainsi
devons-nous agir, si nous voulons faire notre salut. Il faut douter sans cesse de nos forces. Nous imiterons ainsi saint Philippe Neri qui, dès son réveil, disait à Dieu : « Seigneur, protégez bien Philippe aujourd'hui ; sinon, Philippe va vous trahir ».
C'est là, dit saint Augustin, la connaissance éminente d'un chrétien : savoir qu'il n'est rien et qu'il ne peut rien : « Là est la science par excellence : savoir
que l'on n'est rien ». Il va donc s'appliquer à obtenir de Dieu par la prière cette force qui lui manque pour résister aux tentations et faire le bien. Avec le secours du Seigneur, il sera capable de tout, car celui-ci ne sait rien refuser à ceux qui le prient avec humilité : « La prière de l'humble pénètre les nuées... IL n'a de cesse que le Très-Haut n'ait jeté les yeux sur lui » (Si 35, 17-18). La prière d'une âme humble pénètre les cieux. Une fois devant le trône de Dieu, elle n'en part pas avant que Dieu ne l'ait regardée et exaucée.
Fût-il coupable de très nombreux péchés, Dieu ne peut mépriser un coeur qui s'humilie : « D'un coeur brisé, broyé, Dieu, tu n'auras pas de mépris » (Ps 51
(50), 19). « Dieu résiste aux orgueilleux mais il donne sa grâce aux humbles» (Jc 4, 6). Autant le Seigneur est dur pour les orgueilleux et sourd à leurs demandes, autant il est doux et généreux pour les humbles. Jésus le dit un jour à sainte Catherine de Sienne : Sache, ma fille, que l'âme qui persévère dans la prière humble acquiert toutes les vertus.
Rapportons ici un avis très judicieux que donna aux âmes spirituelles désirant se sanctifier le savant et très pieux Monseigneur Palafox, évêque d'Osma, dans un commentaire sur la dix-huitième lettre de sainte Thérèse. Cette sainte écrit à son confesseur et lui rend compte de tous les degrés d'oraison surnaturelle dont le Seigneur l'a favorisée. Le prélat fait remarquer
que ces grâces surnaturelles, accordées à sainte Thérèse et à d'autres saints, ne sont pas nécessaires pour parvenir à la sainteté. Bien des âmes y sont arrivées sans elles. Par contre il en est beaucoup qui les ont obtenues et qui se sont pourtant damnées par la suite. Il est superflu et même présomptueux, conclut-il, de désirer et de demander ces dons surnaturels : la seule et unique voie pour se sanctifier, c'est de pratiquer les vertus et d'aimer Dieu. On y arrive par la prière et par la correspondance aux lumières et secours de Dieu qui ne désire rien d'autre que notre sanctification : « La
volonté de Dieu, c'est votre sanctification » ( 1 Th 4, 3).
Ce pieux auteur fait allusion aux degrés de l'oraison surnaturelle dont parlait sainte Thérèse : oraison de quiétude, sommeil mystique et suspension des puissances, union, extase, ravissement, vol et transport de l'esprit et blessure d'amour. Il écrit sagement à ce sujet : quant à l'oraison de quiétude, ce que nous devons désirer et demander à Dieu, c'est qu'il nous délivre de l'attachement aux biens de ce monde et du désir de les posséder. Ces biens ne procurent pas la paix. Ils n'apportent à l'esprit qu'inquiétude et tourment : « Vanité des vanités, les appelait Salomon, et poursuite de vent » (Qo l, 14).
Le coeur de l'homme ne trouvera jamais la vraie paix, s'il ne se vide pas de tout ce qui n'est pas Dieu pour laisser toute la place à son saint amour, afin que lui seul le possède tout entier. Mais l'âme ne peut le réaliser toute seule ; elle doit l'obtenir du Seigneur par des prières réitérées. Quant au sommeil et
à la suspension des puissances, nous devons demander à Dieu la grâce de tenir nos facultés endormies à tout ce qui est temporel, et bien éveillées, au contraire, pour méditer la bonté de Dieu et n'aspirer qu'à son amour et aux biens éternels.
Quant à l'union des puissances, demandons la grâce de ne penser, de ne chercher, de ne vouloir que ce que Dieu veut, parce que toute la sainteté et
la perfection de l'amour consistent à unir notre volonté à celle du Seigneur. Quant à l'extase et au ravissement, prions Dieu de nous arracher à l'amour
désordonné de nous-mêmes et des créatures pour nous attirer tout entier à lui. Quant au vol de l'esprit, demandons-lui de vivre complètement détachés
de ce monde et de faire comme les hirondelles qui, même pour se nourrir, ne se posent pas à terre mais saisissent leur nourriture tout en volant. Que signifie cette comparaison ? Utilisons les biens temporels autant qu'il le faut pour soutenir notre vie, mais toujours en plein vol ; sans nous poser sur le sol pour y jouir des plaisirs terrestres. Quant au transport de l'esprit, prions Dieu de nous donner le courage et la force de savoir nous faire violence, quand il le faut, pour résister aux assauts des ennemis, pour maîtriser nos passions et pour embrasser la souffrance au milieu des désolations et lassitudes spirituelles. Enfin, quant à la blessure d'amour, la douleur provoquée par une blessure entretient toujours chez la personne le souvenir de son mal ; de même, devons-nous prier Dieu de blesser notre coeur de son saint amour au point que nous nous rappelions sans cesse sa bonté et son amour pour nous.
Nous vivrons continuellement avec cette pensée et
nous nous efforcerons de lui manifester notre amour par nos bonnes oeuvres et nos sentiments d'affection. On n' a pas ces grâces sans la prière,
mais on obtient tout par la prière, à condition que celle-ci soit humble, confiante et persévérante.
Le Seigneur est très attentif aux prières de ses serviteurs, à condition qu'elles soient humbles : « Il s'est tourné vers la prière des humbles » (Ps 102 (101,18). Sinon, il ne les regarde pas mais les repousse : « Dieu résiste aux orgueilleux mais il donne sa grâce aux humbles » (Jc 4, 6). Dieu n'écoute pas les prières des orgueilleux qui se fient à leurs propres forces, il les laisse dans leur misère ; alors, privés du secours de Dieu, ils vont se perdre
certainement. David en pleurait : « Avant d'être humilié, je m'égarais » (Ps.119 (118), 67). J'ai péché, disait-il, parce que je n'ai pas été humble. C'est
bien ce qui est arrivé à saint Pierre. Jésus l'avertit que, cette nuit-là même, tous ses disciples l'abandonneraient : « Vous tous, allez succomber à cause de moi, cette nuit même » (Mt 26, 31). Mais, au lieu de prendre conscience de sa faiblesse et de demander du secours au Seigneur, il présuma de ses forces. Même si tous l'abandonnaient, affirma-t-il, lui ne lâcherait jamais : « Si tous succombent à cause de toi, moi je ne succomberai jamais » (Mt 26, 33).
Cette nuit même, avant que le coq ait chanté, lui prédit Jésus, il l' aurait renié trois fois ! Il continua pourtant à se fier à lui-même et à se vanter :
« Dussé je mourir avec toi, non, je ne te renierai pas » (Mt 26, 35). Mais qu'arriva-t-il ? A peine le
malheureux fut-il entré dans la maison du Pontife et qu'on l'eut accusé d'être un disciple de Jésus, par trois fois, de fait, il affirma par serment qu'il ne le
connaissait pas : « Et de nouveau il nia avec serment : Je ne connais pas cet homme » (Mt 26, 72). Si Pierre, en toute humilité, avait demandé au
Seigneur la grâce de la fidélité, il ne l'aurait pas renié!
Persuadons-nous bien que nous sommes comme sur le sommet d'une montagne, suspendus au-dessus de l'abîme de tous les péchés et soutenus par le seul fil de la grâce : si ce fil nous lâche, nous serons certainement précipités dans ce gouffre et nous commettrons les crimes les plus horribles : « Si Yahvé ne me venait en aide, bientôt mon âme habiterait le silence (l'Enfer) » (Ps 94 (93), 17). Si Dieu ne m'avait pas secouru, je serais tombé
en mille péchés et serais maintenant en Enfer. Ainsi s'exprimait le Psalmiste.
Ainsi doit parler chacun d'entre nous. Pourquoi saint François d'Assise allait-il jusqu'à se proclamer le plus grand pécheur du monde ? Père, lui dit son compagnon, ce n'est pas vrai. Beaucoup de personnes au monde sont pires que vous. Hélas ! lui répliqua le saint, ce que je dis n'est que trop vrai,
car si Dieu ne tenait pas sa main au-dessus de moi pour me protéger, je commettrais tous les péchés.
Il est de foi que, sans la grâce, nous ne pouvons faire aucune bonne oeuvre, pas même avoir une bonne pensée : « Sans la grâce, dit saint Augustin, ils
(les hommes) ne font rien de bon, soit par pensée..., soit par action ». « Car de même que l'oeil dans le plus parfait état ne peut rien distinguer s'il n'est
aidé par l'éclat de la lumière, continue saint Augustin, de même l'homme le plus pleinement justifié ne peut vivre dans la droiture, s' il n' est divinement
secouru par l'éternelle lumière de la justice ».
L'Apôtre Paul l'avait déjà reconnu : « Ce n'est pas que de nous-mêmes nous soyons capables de
revendiquer quoi que ce soit comme venant de nous; non, notre capacité vient de Dieu » (2 Co 3, 5). Et avant lui David l' avait affirmé : « Si Yahvé ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs » (Ps 127 (126), 1). On travaille en vain à se sanctifier, si Dieu n'y met la main : « Si Yahvé ne garde la ville, en vain la garde veille » (Ps 127 (126), 1). Si Dieu ne préserve l'âme du péché, c' est en vain qu' elle espérera y réussir par ses propres forces. Aussi le saint Prophète protestait-il : « Ce n'est pas en mon arc que je mettrai ma confiance o (Ps 44 (43), 7). Ce n'est donc pas dans mes armes que je veux mettre ma confiance mais en Dieu qui seul peut me sauver.
Si l'on a fait quelque bien, si l'on n'est pas tombé en de plus grands péchés, que l'on dise avec saint Paul: « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que
je suis » (I Co 15, 10). Et pour la même raison ne cessons pas de trembler ;craignons à chaque instant de tomber : « Que celui qui se flatte d'être debout
prenne garde de tomber » (I Co 10, 12). L'Apôtre entend ainsi nous prévenir: celui qui se croit sûr de ne pas tomber est en grand danger de le faire. Il en
donne ailleurs la raison : « Si quelqu'un estime être quelque chose, alors qu'il n'est rien, il se fait illusion» (Ga 6, 3).
Saint Augustin écrit donc sagement : « La confiance excessive en leurs forces en empêche beaucoup
d'être forts, seuls sont solides ceux qui ont conscience de leur faiblesse »19. Si quelqu'un affirme qu'il n'a pas peur, cela veut dire qu'il a confiance en lui-même et en ses résolutions. Mais cette confiance pernicieuse l'égare. Se fiant à ses propres forces, il
cesse de craindre et de se recommander à Dieu ; il va donc certainement tomber. De même, chacun doit se garder de s'admirer et de se vanter, en voyant les péchés des autres. Il doit bien plutôt se considérer lui-même comme pire que les autres : Seigneur, si vous ne m' aviez pas aidé, j'aurais fait pire. Autrement le Seigneur permettra qu'en punition de son orgueil il tombe en des fautes plus grandes et plus horribles. L'Apôtre nous avertit donc de travailler à notre salut, mais comment ? toujours avec crainte et tremblement : « Travaillez avec crainte et tremblement à accomplir votre salut » (Ph 2, 12).
Oui, celui qui redoute beaucoup de tomber se défie de ses propres forces. Il reporte donc sa confiance en Dieu et recourt à lui dans les dangers ; Dieu va le secourir ; il va triompher ainsi des tentations et faire son salut. Marchant un jour dans les rues de Rome, saint Philippe Neri s'en allait répétant : « Je suis désespéré! » Un religieux lui en fit le reproche, mais le saint lui répliqua : « Mon Père, c'est de moi-même que je désespère, mais j'ai confiance en Dieu ». Ainsi
devons-nous agir, si nous voulons faire notre salut. Il faut douter sans cesse de nos forces. Nous imiterons ainsi saint Philippe Neri qui, dès son réveil, disait à Dieu : « Seigneur, protégez bien Philippe aujourd'hui ; sinon, Philippe va vous trahir ».
C'est là, dit saint Augustin, la connaissance éminente d'un chrétien : savoir qu'il n'est rien et qu'il ne peut rien : « Là est la science par excellence : savoir
que l'on n'est rien ». Il va donc s'appliquer à obtenir de Dieu par la prière cette force qui lui manque pour résister aux tentations et faire le bien. Avec le secours du Seigneur, il sera capable de tout, car celui-ci ne sait rien refuser à ceux qui le prient avec humilité : « La prière de l'humble pénètre les nuées... IL n'a de cesse que le Très-Haut n'ait jeté les yeux sur lui » (Si 35, 17-18). La prière d'une âme humble pénètre les cieux. Une fois devant le trône de Dieu, elle n'en part pas avant que Dieu ne l'ait regardée et exaucée.
Fût-il coupable de très nombreux péchés, Dieu ne peut mépriser un coeur qui s'humilie : « D'un coeur brisé, broyé, Dieu, tu n'auras pas de mépris » (Ps 51
(50), 19). « Dieu résiste aux orgueilleux mais il donne sa grâce aux humbles» (Jc 4, 6). Autant le Seigneur est dur pour les orgueilleux et sourd à leurs demandes, autant il est doux et généreux pour les humbles. Jésus le dit un jour à sainte Catherine de Sienne : Sache, ma fille, que l'âme qui persévère dans la prière humble acquiert toutes les vertus.
Rapportons ici un avis très judicieux que donna aux âmes spirituelles désirant se sanctifier le savant et très pieux Monseigneur Palafox, évêque d'Osma, dans un commentaire sur la dix-huitième lettre de sainte Thérèse. Cette sainte écrit à son confesseur et lui rend compte de tous les degrés d'oraison surnaturelle dont le Seigneur l'a favorisée. Le prélat fait remarquer
que ces grâces surnaturelles, accordées à sainte Thérèse et à d'autres saints, ne sont pas nécessaires pour parvenir à la sainteté. Bien des âmes y sont arrivées sans elles. Par contre il en est beaucoup qui les ont obtenues et qui se sont pourtant damnées par la suite. Il est superflu et même présomptueux, conclut-il, de désirer et de demander ces dons surnaturels : la seule et unique voie pour se sanctifier, c'est de pratiquer les vertus et d'aimer Dieu. On y arrive par la prière et par la correspondance aux lumières et secours de Dieu qui ne désire rien d'autre que notre sanctification : « La
volonté de Dieu, c'est votre sanctification » ( 1 Th 4, 3).
Ce pieux auteur fait allusion aux degrés de l'oraison surnaturelle dont parlait sainte Thérèse : oraison de quiétude, sommeil mystique et suspension des puissances, union, extase, ravissement, vol et transport de l'esprit et blessure d'amour. Il écrit sagement à ce sujet : quant à l'oraison de quiétude, ce que nous devons désirer et demander à Dieu, c'est qu'il nous délivre de l'attachement aux biens de ce monde et du désir de les posséder. Ces biens ne procurent pas la paix. Ils n'apportent à l'esprit qu'inquiétude et tourment : « Vanité des vanités, les appelait Salomon, et poursuite de vent » (Qo l, 14).
Le coeur de l'homme ne trouvera jamais la vraie paix, s'il ne se vide pas de tout ce qui n'est pas Dieu pour laisser toute la place à son saint amour, afin que lui seul le possède tout entier. Mais l'âme ne peut le réaliser toute seule ; elle doit l'obtenir du Seigneur par des prières réitérées. Quant au sommeil et
à la suspension des puissances, nous devons demander à Dieu la grâce de tenir nos facultés endormies à tout ce qui est temporel, et bien éveillées, au contraire, pour méditer la bonté de Dieu et n'aspirer qu'à son amour et aux biens éternels.
Quant à l'union des puissances, demandons la grâce de ne penser, de ne chercher, de ne vouloir que ce que Dieu veut, parce que toute la sainteté et
la perfection de l'amour consistent à unir notre volonté à celle du Seigneur. Quant à l'extase et au ravissement, prions Dieu de nous arracher à l'amour
désordonné de nous-mêmes et des créatures pour nous attirer tout entier à lui. Quant au vol de l'esprit, demandons-lui de vivre complètement détachés
de ce monde et de faire comme les hirondelles qui, même pour se nourrir, ne se posent pas à terre mais saisissent leur nourriture tout en volant. Que signifie cette comparaison ? Utilisons les biens temporels autant qu'il le faut pour soutenir notre vie, mais toujours en plein vol ; sans nous poser sur le sol pour y jouir des plaisirs terrestres. Quant au transport de l'esprit, prions Dieu de nous donner le courage et la force de savoir nous faire violence, quand il le faut, pour résister aux assauts des ennemis, pour maîtriser nos passions et pour embrasser la souffrance au milieu des désolations et lassitudes spirituelles. Enfin, quant à la blessure d'amour, la douleur provoquée par une blessure entretient toujours chez la personne le souvenir de son mal ; de même, devons-nous prier Dieu de blesser notre coeur de son saint amour au point que nous nous rappelions sans cesse sa bonté et son amour pour nous.
Nous vivrons continuellement avec cette pensée et
nous nous efforcerons de lui manifester notre amour par nos bonnes oeuvres et nos sentiments d'affection. On n' a pas ces grâces sans la prière,
mais on obtient tout par la prière, à condition que celle-ci soit humble, confiante et persévérante.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
II.2 LA CONFIANCE AVEC LAQUELLE NOUS DEVONS PRIER
Le principal avis que nous donne l'Apôtre saint Jacques si nous voulons obtenir les grâces de Dieu par la prière, c'est que nous priions avec la
confiance assurée d'être exaucés si nous prions, comme il se doit, sans hésiter : « Qu'il demande avec foi sans hésitation » (Jc 1, 6). Saint Thomas nous enseigne que si la prière doit à la charité le pouvoir de mériter, c'est de la foi et de la confiance qu'elle tient son efficacité : « La prière doit à la
charité la vigueur de son mérite, à la foi et la confiance l'efficacité de sa demande ».
Saint Bernard dit de même : c'est la confiance seule qui nous obtient les miséricordes de Dieu : « Oui, seule l'espérance obtient auprès de toi un droit
à la compassion ». Le Seigneur se réjouit inimiment de notre confiance en sa miséricorde, car nous honorons et exaltons ainsi la bonté infmie qu' il a
voulu manifester au monde en nous créant. O mon Dieu, s'écriait le Prophète-Roi, que tous ceux qui espèrent en vous se réjouissent, parce qu'ils seront éternellement heureux et que vous habiterez toujours en eux ! : « Joie pour tous ceux que tu abrites, réjouissance à jamais » (Ps 5, 12). Dieu
protège et sauve tous ceux qui ont confiance en lui : « IL est, lui, le bouclier de quiconque s'abrite en lui » (Ps 18 ( 17), 31). « Tu sauves ceux qui espèrent en toi » (Ps 17 ( 16), 7)... Oh ! quelles magnifiques promesses sont faites, dans les Saintes Ecritures, à ceux qui espèrent en Dieu ! Ils ne tomberont pas dans le péché. « Tous ceux qui espèrent en lui ne tomberont pas » (Ps 34 (33), 23). Oui, dit David, le Seigneur tient les yeux tournés vers tous ceux qui se confient en sa bonté, pour les délivrer par son secours de la mort du péché : « Voici, l'oeil de Yahvé sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent son amour, pour préserver leur âme de la mort » (Ps 33(32), 18-19). Dieu dit ailleurs : « Puisqu'il s'attache à moi, je l'affranchis, je l'exalte...Je le délivre et je le glorifie » (Ps 91(90), 14-15). Notons le mot « puisque » : puisqu'il s'est confié à moi, je le protégerai, je le libérerai de ses ennemis et du danger de tomber, et finalement je lui donnerai la gloire éternelle.
Isaïe parle de ceux qui mettent leur espérance en Dieu : « Ceux qui espèrent en Yahvé renouvellent leur force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s'épuiser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 31). Ils cesseront d'être faibles, ils
acquerront en Dieu une grande force, ils ne failliront pas, ils n'éprouveront même pas de fatigue à marcher sur la voie du salut, ils courront et voleront
comme des aigles : « Dans la conversion et le calme était votre salut » (Is 30, 15). En somme, dit ce même prophète, notre force consiste à mettre toute
notre confiance en Dieu et à rester tranquilles et sereins c'est-à-dire à nous reposer dans les bras de sa miséricorde, sans compter sur nos talents
personnels ni sur les moyens humains.
Est-il jamais arrivé que quelqu'un ait mis sa confiance en Dieu et se soit ensuite perdu ? « Qui donc, confiant dans le Seigneur, a été confondu ? »
(Si 2, 10). Cette confiance donnait à David la certitude qu'il ne se perdrait jamais : « J'ai espéré dans le Seigneur, je ne serai pas confondu »
(Ps 31(30), 1). Est-ce que par hasard, demande saint Augustin, Dieu pourrait nous tromper alors qu'il s'offre à nous soutenir dans les dangers, si nous nous
appuyons sur lui ? Voudrait-il se dérober à nous au moment même où nous recourons à lui ? « Dieu ne se joue pas de nous au point de s'offrir à nous aider et de se dérober ensuite à ceux qui s' appuient sur lui ». David appelle bienheureux ceux qui se confient dans le Seigneur : « Heureux, qui se fie à toi » (Ps 84(83), 13). Et pourquoi ? Parce que, dit ce même prophète, celui qui se confie en Dieu se trouvera toujours entouré par la divine miséricorde :
« Celui qui se confie en Yahvé est entouré de sa miséricorde » (Ps 32(31), 10). Il sera tellement entouré et gardé par Dieu de tous côtés qu'il restera à l'abri des ennemis et préservé du danger de se perdre.
C'est pourquoi l'Apôtre nous recommande tant de garder la confiance en Dieu. Celle-ci, nous assure-t-il, nous obtient de lui grande récompense : «
Ne perdez donc pas votre assurance ; elle a une grande et juste récompense » (He 10, 35). Telle sera notre confiance, telles aussi les grâces que nous
recevrons de Dieu ; si notre confiance est grande, grandes seront aussi les grâces : « Une grande foi mérite de hautes récompenses »2'. Selon saint Bernard, la divine miséricorde est une fontaine
immense : plus ample en fait de confiance est le vase que l'on y porte, plus grande est l' abondance des biens que l' on rapporte : « L'huile de la
miséricorde, tu ne la déposes que dans le vase de la confiance »28.
Le Prophète l'exprimait déjà : « Sur nous soit ton amour, Yahvé, comme notre espoir est en toi » (Ps 33(32), 22). Le centurion en est témoin, lui dont le
Rédempteur a loué la confiance : « va ! Qu'il t'advienne selon ta foi » (Mt 8, 13). Et le Seigneur révéla à sainte Gertrude : celui qui le prie avec confiance lui fait en quelque sorte tant de violence qu'il ne peut pas ne pas l'exaucer en tout ce qu'il demande. « La prière, dit saint Jean Climaque, fait une pieuse violence à Dieu ». Oui, la prière fait violence à Dieu mais une violence qui lui est chère et
agréable. « AvanÇons-nous donc avec assurance vers le trône de la grâce afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce pour une aide opportune » (He
4, 16).
Le trône de la grâce c'est Jésus Christ qui siège à présent à la droite du Père : non pas sur un trône de justice mais de grâce, pour nous obtenir le pardon, si nous sommes en état de péché, et le secours pour persévérer, si nous jouissons de son amitié. A ce trône, il nous faut recourir toujours avec confiance, c'est-à-dire avec la confiance que nous inspire la foi en la bonté et la fidélité de Dieu. N'a-t-il pas promis d'exaucer ceux qui le prient avec une confiance ferme et vraie ? Ceux qui, au contraire, le font en hésitant et en doutant, dit saint Jacques, doivent bien penser qu'ils ne recevront rien : « Celui qui hésite ressemble au flot de la mer que le vent soulève et agite. Qu'il ne s'imagine pas, cet homme-là, recevoir quoi que ce soit du Seigneur »
(Jc 1, 6-7). Il ne recevra rien parce que sa méfiance injustifiée empêchera la divine miséricorde de l'exaucer : « Tu n'as pas demandé comme il faut, dit
saint Basile, parce que tu as demandé en doutant ».
Tu n'as pas reçu la grâce parce que tu l'as demandée sans confiance. Notre confiance en Dieu, dit David, doit être solide comme une montagne qui ne se déplace pas au moindre coup de vent : « Qui s'appuie
sur Yahvé ressemble au mont Sion ; rien ne l'ébranle, il est stable pour toujours » (Ps 125 ( 124), 1 ). Le Rédempteur nous en prévient, si nous voulons obtenir les grâces que nous sollicitons : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu et cela vous sera accordé » (Mc 11, 24). Quelle que soit la grâce que vous demandez, croyez ferme que vous l'aurez et vous l' obtiendrez sûrement !
Mais, dira quelqu'un, je ne suis qu'un misérable. Sur quoi vais je donc fonder ma confiance d'être exaucé ? Sur la promesse de Jésus Christ : « Demandez et vous recevrez » (Jn 16, 24). Demandez et vous obtiendrez. « Qui voudrait être trompé, lorsque c'est la vérité qui promet ? » dit saint Augustin. Comment pouvons-nous douter d'être exaucés, alors que c'est
Dieu, la Vérité même, qui promet de nous écouter et de nous exaucer ? « Il ne nous pousserait pas à demander, dit ce saint Docteur, s'il ne voulait pas nous exaucer ? ». Le Seigneur ne nous engagerait
certainement pas à lui demander ses grâces s'il n'était pas décidé à nous les accorder. Or il ne cesse de nous y exhorter maintes et maintes fois dans les
Saintes Ecritures : Priez, demandez, cherchez, etc. et vous obtiendrez tout ce que vous désirez : « Demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez »
(Jn 15, 7). Pour nous inculquer cette confiance, le Seigneur nous a appris, dans le Pater Noster, à appeler Dieu, lorsque nous recourons à lui pour lui
demander ses grâces, et elles sont toutes contenues déjà dans l'oraison dominicale, non pas Seigneur mais Père : Notre Père ! Il veut, en effet, que nous recourions à Dieu avec la confiance même d'un enfant pauvre ou malade qui sollicite de son propre père des moyens de subsistance ou quelque remède. Si un enfant est sur le point de mourir de faim, il suffit qu'il paraisse devant son père et celui-ci aussitôt lui fournira de la nourriture. Si l'enfant vient à être mordu par un serpent venimeux, il suffira qu'il montre sa blessure à son père et celui-ci y appliquera aussitôt le remède voulu.
Prenant donc appui sur les promesses divines, prions toujours avec une confiance, non pas vacillante mais solide et ferme, comme dit l'Apôtre Paul : « Gardons indéfectible la confession de l'espérance, car celui qui a promis est fidèle » (He 10, 23). Aussi certain que Dieu est fidèle en ses promesses, aussi certaine doit être notre coniiance qu'il nous exaucera.
Peut-être nous trouverons-nous parfois dans un état d'aridité spirituelle ou serons-nous troublés par quelque faute, et ne ressentirons-nous pas dans la prière la confiance sensible que nous souhaiterions ? Efforçons-nous cependant de prier, parce que Dieu ne manquera pas de nous exaucer, et même d'autant
mieux que nous prierons alors en nous défiant davantage de nous-mêmes et en nous appuyant uniquement sur la bonté et la fidélité de Dieu, qui a
promis d'exaucer qui le prie.
Oh ! comme le Seigneur se réjouit de nous voir dans nos moments de tribulations, de craintes, de tentations, espérer contre toute espérance, c'est-à-dire réagir contre le sentiment de défiance qui provoque en nous notre désolation intérieure. L'Apôtre Paul loue à ce sujet le Patriarche
Abraham dont il est dit : « Espérant contre toute espérance; il crut » (Rm 4,18). Selon saint Jean, qui met en Dieu une ferme confiance se sanctifie
certainement : « Quiconque a cette espérance en lui se rend saint comme lui-même (Jésus) est saint »
( 1 Jn 3, 3), parce que Dieu fait abonder les grâces en tous ceux qui ont confiance en lui. C'est par cette confiance que tant de martyrs, de jeunes filles et d'enfants, ont pu, malgré la frayeur que leur inspiraient les tortures préparées par les tyrans,
supporter ces souffrances et braver les bourreaux. Quelquefois, dis-je, nous prions mais il nous semble que Dieu ne veuille pas nous écouter : continuons alors à prier et à espérer ! Disons comme Job : « Il peut me tuer, je n'ai d'autre espoir » (Jb 13, 15). Mon Dieu, alors même que vous me chasseriez loin de vous, je ne cesserai pas de vous prier et d'espérer en votre miséricorde.
Agissons de même et nous obtiendrons du Seigneur tout ce que nous souhaitons. C'est bien ce que fit la Cananéenne, et Jésus exauça tous ses désirs. Cette femme, dont la fille était possédée du démon, priait le
Rédempteur de l'en délivrer : « Aie pitié de moi... Ma fille est cruellement tourmentée par le démon » (Mt 15, 22-29). Je ne suis pas envoyé pour les étrangers, lui répondit Jésus, mais uniquement pour les Juifs. Mais elle ne se découragea pas et continua à prier avec confiance : Seigneur, vous pouvez me consoler, vous devez me consoler : « Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Mais, mon Seigneur, ajouta-telle, justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leur maîtres ! » Jésus loua cette femme de sa confiance et lui accorda la faveur qu'elle demandait « O femme, grande est ta foi ! Qu'il
advienne selon ton désir! ».
Qui a jamais appelé Dieu à son secours, dit Ben
Sirac le Sage, et s'est vu méprisé de lui et pas secouru ? « Qui l'a imploré sans avoir été écouté » (Si 2, 10). Pour saint Augustin, la prière est une clé
qui ouvre le ciel en notre faveur ; à l'instant même où notre prière monte vers Dieu, la grâce que nous demandons descend vers nous : « La prière du juste est la clé du ciel ; monte la prière et descend la compassion de Dieu ». Le Prophète-Roi a écrit : nos demandes vont de pair avec la miséricorde de
Dieu : « Béni soit Dieu qui n'a pas écarté ma prière ni son amour loin de moi » (Ps 66 (65), 20). Saint Augustin ajoute : Quand nous prions le Seigneur,
nous devons être sûrs que déjà il nous exauce : « Tu n'as pas éloigné de toi la prière ? Sois sûr qu'alors sa miséricorde ne s'est pas non plus éloignée de toi ». Vraiment, jamais je ne me sens plus tranquille et confiant pour mon salut que lorsque je suis occupé à prier Dieu et à me recommander à lui.
Tous les autres fidèles éprouvent sans doute le même sentiment. Les autres signes de notre salut sont incertains et trompeurs. Ce qui est certain et infaillible, c'est que Dieu exauce ceux qui le prient avec confiance, tout comme il est absolument certain que Dieu ne peut manquer à ses promesses.
Quand nous nous sentons faibles et incapables de surmonter quelque passion ou quelque grande difficulté ou pour accomplir ce que le Seigneur
nous demande, disons courageusement avec l'Apôtre : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4, 13). Ne disons pas comme certains : Ce n'est pas possible, je n'ai pas confiance. Bien sûr, par nos propres forces nous ne pouvons rien mais, avec le secours de Dieu, nous pouvons tout. Supposons
que Dieu dise à quelqu'un : Prends cette montagne sur tes épaules je vais t'aider à la porter. Celui qui répondrait : Non, je n'en ai pas la force, ne serait-il pas un sot ou un infidèle ? De même, quand nous nous reconnaissons misérables et faibles et que les tentations nous assaillent plus violemment, ne nous décourageons pas, levons les yeux vers le Seigneur et disons comme David : « Yahvé est pour moi, plus de crainte, que me fait l'homme à moi ? » (Ps 118 (117), 6). Avec l'aide de mon Seigneur, je vaincrai et mépriserai tous les assauts de mes ennemis. Quand nous sommes en danger d'offenser Dieu ou dans quelque situation grave et que, dans notre trouble, nous ne savons que faire, recommandons-nous à Dieu : « Yahvé est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » (Ps 27 (26), 1 ). Soyons sûrs qu'alors Dieu nous donnera sa lumière et nous préservera de tout mal.
Mais je suis un pécheur, objectera quelqu'un, et je lis dans la Sainte Écriture : « Dieu n'écoute pas les pécheurs ». Saint Thomas répond avec saint
Augustin : Cette parole fut dite par l'aveugle-né avant sa guérison : « Cette parole fut dite par l'aveugle alors qu'il était imparfaitement éclairé ; elle n'est donc pas valable ». Le Docteur Angélique ajoute : « C'est vrai quand il s'agit d'un pécheur qui fait une prière « de pécheur », c'est-à-dire quand il
demande de pouvoir continuer à pécher : par exemple, si quelqu'un priait Dieu de l'aider à se venger de son ennemi ou à réaliser quelque projet
pervers. C'est vrai aussi du pécheur qui demande à Dieu de le sauver mais qui n'a pas le moindre désir de sortir de son état de péché. Il est des malheureux qui aiment les chaînes d'esclaves avec lesquelles le démon les tient prisonniers.
Leurs prières ne sont pas exaucées parce qu'elles sont téméraires et abominables. Y a-t-il plus
grande témérité que de vouloir demander des faveurs à un prince que l'on a plusieurs fois offensé et que l'on se propose d'offenser encore ? C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole du Saint Esprit : Dieu déteste et hait la prière de celui qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre ce que Dieu commande: « Qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière même est une abomination» (Pr 28, 9). Le Seigneur leur dit : Inutile de prier, je détournerai mes yeux de vous et je ne vous exaucerai pas : « Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux ; vous avez beau multiplier les prières, moi je n'écoute pas » (Is l, 15).
Telle était précisément la prière du roi impie Antiochus : il priait Dieu et lui faisait de grandes promesses mais avec un coeur hypocrite et endurci dans le péché, uniquement pour échapper au châtiment qui le menaçait ; aussi le Seigneur ne prêta-t-il pas l'oreille à ses prières et il mourut rongé par les vers : « Mais les prières de cet être abject allaient vers un Maître qui ne devait plus avoir pitié de lui » (2 M 9, 13).
D'autres pèchent par fragilité ou poussés par quelque grande passion. Ils gémissent sous le joug de l'ennemi ; ils désirent rompre ces chaînes de mort
et sortir de cette misérable servitude et ils appellent le Seigneur à leur secours. S'ils persévèrent dans la prière, ils seront écoutés du Seigneur : tous ceux qui demandent reçoivent, a-t-il dit, et ceux qui cherchent la grâce la retrouvent : « Quiconque demande reçoit; qui cherche trouve... » (Mt 7, 8).
« Quiconque, explique l'auteur de l'Oeuvre Imparfaite, qu'il soit juste ou pécheur ». En saint Luc, Jésus parle de cet homme qui donna à son ami tous ses pains, non pas tellement par amitié mais plutôt parce que celui-ci l'importunait : « Je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui
donnera tout ce dont il a besoin » (Lc 11, 8). Ainsi la prière persévérante obtient de Dieu miséricorde, même en faveur de ceux qui ne sont pas ses amis. Ce qui ne s'obtient pas par l'amitié, dit saint Jean Chrysostome, l'est par la prière : « Ce que n'a pas accompli l'amitié, la prière l'a réalisé ». Il affirme également : « Près de Dieu l'amitié a moins de valeur que la prière... ». Saint Basile affirme lui-aussi, « les pécheurs eux-mêmes obtiennent ce qu'ils demandent, s'ils le font avec persévérance ». Saint Grégoire dit de même : « Qu'il crie le pécheur et sa prière parviendra jusqu'à Dieu ».
Saint Jérôme écrit de son côté : Même le pécheur peut appeler Dieu son Père, s'il le prie de l'accepter de nouveau comme fils, comme l'Enfant Prodigue qui dit : « Père j'ai péché », avant même d'être pardonné ». Si Dieu n'exauçait pas les pécheurs, dit saint Augustin, ce publicain aurait bien dit pour rien : « Aie pitié de moi, pécheur ! ».
Mais l'Evangile nous l'atteste : il obtint bel et bien le pardon : « Ce dernier descendit chez lui justifzé » (Lc 18, 14). Mais c'est le docteur Angélique qui examine ce point le plus en détail. Il ne craint pas d'affirmer que même le pécheur qui prie est exaucé, bien que sa prière ne soit pas méritoire. Il a pourtant la force de demander. D'ailleurs la prière ne s'appuie pas sur la justice de Dieu mais sur la grâce de Dieu : « Le mérite est fondé sur la justice, mais l'impétration sur la grâce de Dieu ». Aussi Daniel pouvait-il dire : « Prête l'oreille, mon Dieu, et écoute !...Ce n'est pas en raison de nos ceuvres justes que nous répandons devant toi nos supplications, mais en raison de tes grandes miséricordes » (Dn 9, 18). Lors donc que nous prions, dit saint Thomas, il n'est pas nécessaire d'être les
amis de Dieu pour obtenir ses grâces : « C'est la prière elle-même qui nous rend ses amis ». Saint Bernard ajoute une autre bonne raison : La demande
du pécheur naît du désir de sortir de son péché et de retrouver la grâce de Dieu. Or, ce désir est un don qui ne lui vient certainement pas d'un autre que Dieu lui-même. Pourquoi donc, continue le saint, Dieu inspirerait-il ce désir au pécheur, s'il ne voulait pas le convertir ? « Dans quel but donnerait-il ce désir, s'il n'avait pas l'intention de l'exaucer ? ». Les Saintes Ecritures contiennent de nombreux exemples de pécheurs qui ont été délivrés du péché : le roi Achab ( 1 R 21-27), le roi Manassé (2 Ch 33), le roi Nabuchodonosor (Dn 4), le bon larron (Lc 23, 43).
C'est une chose magnifique que la prière ! Et combien efficace ! Voilà deux pécheurs qui meurent sur le Calvaire, à côté de Jésus : parce qu'il prie :
« Souviens-toi de moi », l'un est sauvé, parce qu'il ne prie pas, l'autre se damne. En un mot, dit saint Jean Chrysostome : « Nul ne lui a jamais demandé, en
se repentant, ses bienfaits sans obtenir ce qu'il voulait ». Aucun pécheur repentant n'a prié le Seigneur sans obtenir ce qu'il désirait. Mais à quoi bon
rapporter encore des témoignages et des arguments pour le prouver ? Jésus lui-même n'a-t-il pas dit : « Venez à moi, vous tous, qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 1 l, 28).
Ces mots « vous qui ployez sous le fardeau » désignent, selon saint Jérôme, saint Augustin et
d'autres, les pécheurs qui gémissent sous le poids de leurs fautes. S'ils recourent à Dieu, celui-ci les remettra sur pied, il l'a promis, et les sauvera par sa grâce. Saint Jean Chrysostome assure : le désir que nous avons d'être pardonnés n'est rien à côté du désir ardent de Dieu de nous pardonner : « Tu désires bien moins être pardonné de tes péchés que lui ne désire te les pardonner ! ». Pas de grâce qui ne s'obtienne par la prière persévérante ajoute le saint, même si elle vient du pécheur le plus perdu :
« Quelqu'un serait-il coupable de mille péchés, il n'est rien que sa prière ne puisse obtenir, du moment qu'elle est ardente et persévérante ». Notons bien ce
que dit saint Jacques : « Si l'un de vous manque de sagesse qu'il la demande à Dieu - il donne à tous généreusement, sans incriminer » (Jc 1, 5). Dieu ne
manque donc jamais d'exaucer et de combler de grâces tous ceux qui le prient : « IL donne à tous généreusement » ! Mais que signifie « sans incriminer » ? Dieu n'agit pas comme les hommes.
En effet, supposons vienne leur demander une faveur quelqu'un qui, dans le passé, les a un jour offensés, ils vont lui faire aussitôt reproche de l'outrage reçu. Le Seigneur n'agit pas ainsi. Celui qui le prie serait-il le plus grand pécheur du monde, du moment qu'il demande au Seigneur une grâce utile à son salut éternel, celui-ci ne va pas lui reprocher les déplaisirs qu'il lui a causés. Au contraire, le Seigneur lui fait aussitôt bon accueil, le console, l'exauce et le comble
abondamment de ses dons, comme si jamais il n'avait été offensé. Et pour nous encourager à le prier, le divin Rédempteur nous dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (Jn 16, 23)51. C'est comme s'il disait : Allons ! pécheurs, ne perdez pas courage ! Que vos péchés ne vous empêchent pas de recourir à mon Père et d'espérer de lui votre salut ! Vous ne méritez certes pas d' obtenir ses grâces, vous ne méritez que des châtiments. Mais allez trouver mon Père en mon nom : demandez par mes mérites les grâces que vous désirez ; je vous promets et même je vous jure, « en vérité, en vérité, je vous le dis, que tout ce que vous demanderez à mon Père, celui-ci vous l'accordera".
O mon Dieu, quelle plus grande consolation pourrait donc avoir un pécheur, après toutes ses misères, que de savoir de façon certaine qu'il recevra tout ce qu'il demandera au nom de Jésus Christ ? Je dis bien « tout » : oui, tout ce qui regarde le salut éternel. Nous avons parlé plus haut des biens temporels : il arrive que le Seigneur ne nous les accorde pas parce qu'il voit que ces biens feraient du mal à notre âme.
Quant aux biens spirituels, sa promesse est sans conditions ni restrictions. Aussi saint Augustin nous exhorte-t-il à demander, avec une entière confiance, les biens qu'il nous promet de façon absolue :
« Demandez avec une pleine assurance ce que Dieu promet ». Comment, écrit le saint, le Seigneur pourrait-il nous refuser quelque chose quand nous le lui demandons avec confiance. Il a un désir encore plus grand de donner que nous de recevoir ! « Il aspire à te dispenser ses bienfaits plus que tu n'aspires toi-même à les recevoir ».
Saint Jean Chrysostome assure : « Le Seigneur ne s'irrite contre nous que lorsque nous négligeons de solliciter ses dons : Il ne s'irrite que lorsque nous
ne demandons pas ». Comment Dieu pourrait-il ne pas exaucer quelqu'un qui ne lui demande que des choses qui lui sont agréables ? Voilà quelqu'un
qui lui dit : Seigneur, je n'attends pas de vous les biens de ce monde, richesses, plaisirs, honneurs ; je ne vous demande que votre grâce ; délivrez-moi du péché ; accordez-moi de faire une bonne mort ;
donnez-moi le Paradis et votre saint amour (la grâce qui est à demander par-dessus tout, dit saint François de Sales), ainsi que la soumission à votre
volonté... comment Dieu pourrait-il ne pas l'écouter ? Quelles demandes exaucerez-vous donc, mon Dieu, si vous repoussez celles-là qui vous vont droit au coeur », dit saint Augustin : « Seigneur, quelles prières exauces-tu si tu n'exauces pas celles-ci ? » .
Mais ce qui doit surtout exciter notre confiance, ce sont les paroles mêmes de Jésus : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel
donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient! » (Lc 11, 13). Vous, dit le Rédempteur, qui êtes si accrochés à vos propres intérêts parce que gonflés
d'amour de vous-mêmes, vous ne savez pas refuser à vos enfants ce qu'ils vous demandent. Combien plus votre Père du ciel, qui vous aime plus que
tous les pères de ce monde, vous accordera-t-il les biens spirituels, quand vous l'en priez !
Le principal avis que nous donne l'Apôtre saint Jacques si nous voulons obtenir les grâces de Dieu par la prière, c'est que nous priions avec la
confiance assurée d'être exaucés si nous prions, comme il se doit, sans hésiter : « Qu'il demande avec foi sans hésitation » (Jc 1, 6). Saint Thomas nous enseigne que si la prière doit à la charité le pouvoir de mériter, c'est de la foi et de la confiance qu'elle tient son efficacité : « La prière doit à la
charité la vigueur de son mérite, à la foi et la confiance l'efficacité de sa demande ».
Saint Bernard dit de même : c'est la confiance seule qui nous obtient les miséricordes de Dieu : « Oui, seule l'espérance obtient auprès de toi un droit
à la compassion ». Le Seigneur se réjouit inimiment de notre confiance en sa miséricorde, car nous honorons et exaltons ainsi la bonté infmie qu' il a
voulu manifester au monde en nous créant. O mon Dieu, s'écriait le Prophète-Roi, que tous ceux qui espèrent en vous se réjouissent, parce qu'ils seront éternellement heureux et que vous habiterez toujours en eux ! : « Joie pour tous ceux que tu abrites, réjouissance à jamais » (Ps 5, 12). Dieu
protège et sauve tous ceux qui ont confiance en lui : « IL est, lui, le bouclier de quiconque s'abrite en lui » (Ps 18 ( 17), 31). « Tu sauves ceux qui espèrent en toi » (Ps 17 ( 16), 7)... Oh ! quelles magnifiques promesses sont faites, dans les Saintes Ecritures, à ceux qui espèrent en Dieu ! Ils ne tomberont pas dans le péché. « Tous ceux qui espèrent en lui ne tomberont pas » (Ps 34 (33), 23). Oui, dit David, le Seigneur tient les yeux tournés vers tous ceux qui se confient en sa bonté, pour les délivrer par son secours de la mort du péché : « Voici, l'oeil de Yahvé sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent son amour, pour préserver leur âme de la mort » (Ps 33(32), 18-19). Dieu dit ailleurs : « Puisqu'il s'attache à moi, je l'affranchis, je l'exalte...Je le délivre et je le glorifie » (Ps 91(90), 14-15). Notons le mot « puisque » : puisqu'il s'est confié à moi, je le protégerai, je le libérerai de ses ennemis et du danger de tomber, et finalement je lui donnerai la gloire éternelle.
Isaïe parle de ceux qui mettent leur espérance en Dieu : « Ceux qui espèrent en Yahvé renouvellent leur force, ils déploient leurs ailes comme des aigles, ils courent sans s'épuiser, ils marchent sans se fatiguer » (Is 40, 31). Ils cesseront d'être faibles, ils
acquerront en Dieu une grande force, ils ne failliront pas, ils n'éprouveront même pas de fatigue à marcher sur la voie du salut, ils courront et voleront
comme des aigles : « Dans la conversion et le calme était votre salut » (Is 30, 15). En somme, dit ce même prophète, notre force consiste à mettre toute
notre confiance en Dieu et à rester tranquilles et sereins c'est-à-dire à nous reposer dans les bras de sa miséricorde, sans compter sur nos talents
personnels ni sur les moyens humains.
Est-il jamais arrivé que quelqu'un ait mis sa confiance en Dieu et se soit ensuite perdu ? « Qui donc, confiant dans le Seigneur, a été confondu ? »
(Si 2, 10). Cette confiance donnait à David la certitude qu'il ne se perdrait jamais : « J'ai espéré dans le Seigneur, je ne serai pas confondu »
(Ps 31(30), 1). Est-ce que par hasard, demande saint Augustin, Dieu pourrait nous tromper alors qu'il s'offre à nous soutenir dans les dangers, si nous nous
appuyons sur lui ? Voudrait-il se dérober à nous au moment même où nous recourons à lui ? « Dieu ne se joue pas de nous au point de s'offrir à nous aider et de se dérober ensuite à ceux qui s' appuient sur lui ». David appelle bienheureux ceux qui se confient dans le Seigneur : « Heureux, qui se fie à toi » (Ps 84(83), 13). Et pourquoi ? Parce que, dit ce même prophète, celui qui se confie en Dieu se trouvera toujours entouré par la divine miséricorde :
« Celui qui se confie en Yahvé est entouré de sa miséricorde » (Ps 32(31), 10). Il sera tellement entouré et gardé par Dieu de tous côtés qu'il restera à l'abri des ennemis et préservé du danger de se perdre.
C'est pourquoi l'Apôtre nous recommande tant de garder la confiance en Dieu. Celle-ci, nous assure-t-il, nous obtient de lui grande récompense : «
Ne perdez donc pas votre assurance ; elle a une grande et juste récompense » (He 10, 35). Telle sera notre confiance, telles aussi les grâces que nous
recevrons de Dieu ; si notre confiance est grande, grandes seront aussi les grâces : « Une grande foi mérite de hautes récompenses »2'. Selon saint Bernard, la divine miséricorde est une fontaine
immense : plus ample en fait de confiance est le vase que l'on y porte, plus grande est l' abondance des biens que l' on rapporte : « L'huile de la
miséricorde, tu ne la déposes que dans le vase de la confiance »28.
Le Prophète l'exprimait déjà : « Sur nous soit ton amour, Yahvé, comme notre espoir est en toi » (Ps 33(32), 22). Le centurion en est témoin, lui dont le
Rédempteur a loué la confiance : « va ! Qu'il t'advienne selon ta foi » (Mt 8, 13). Et le Seigneur révéla à sainte Gertrude : celui qui le prie avec confiance lui fait en quelque sorte tant de violence qu'il ne peut pas ne pas l'exaucer en tout ce qu'il demande. « La prière, dit saint Jean Climaque, fait une pieuse violence à Dieu ». Oui, la prière fait violence à Dieu mais une violence qui lui est chère et
agréable. « AvanÇons-nous donc avec assurance vers le trône de la grâce afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce pour une aide opportune » (He
4, 16).
Le trône de la grâce c'est Jésus Christ qui siège à présent à la droite du Père : non pas sur un trône de justice mais de grâce, pour nous obtenir le pardon, si nous sommes en état de péché, et le secours pour persévérer, si nous jouissons de son amitié. A ce trône, il nous faut recourir toujours avec confiance, c'est-à-dire avec la confiance que nous inspire la foi en la bonté et la fidélité de Dieu. N'a-t-il pas promis d'exaucer ceux qui le prient avec une confiance ferme et vraie ? Ceux qui, au contraire, le font en hésitant et en doutant, dit saint Jacques, doivent bien penser qu'ils ne recevront rien : « Celui qui hésite ressemble au flot de la mer que le vent soulève et agite. Qu'il ne s'imagine pas, cet homme-là, recevoir quoi que ce soit du Seigneur »
(Jc 1, 6-7). Il ne recevra rien parce que sa méfiance injustifiée empêchera la divine miséricorde de l'exaucer : « Tu n'as pas demandé comme il faut, dit
saint Basile, parce que tu as demandé en doutant ».
Tu n'as pas reçu la grâce parce que tu l'as demandée sans confiance. Notre confiance en Dieu, dit David, doit être solide comme une montagne qui ne se déplace pas au moindre coup de vent : « Qui s'appuie
sur Yahvé ressemble au mont Sion ; rien ne l'ébranle, il est stable pour toujours » (Ps 125 ( 124), 1 ). Le Rédempteur nous en prévient, si nous voulons obtenir les grâces que nous sollicitons : « Tout ce que vous demandez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu et cela vous sera accordé » (Mc 11, 24). Quelle que soit la grâce que vous demandez, croyez ferme que vous l'aurez et vous l' obtiendrez sûrement !
Mais, dira quelqu'un, je ne suis qu'un misérable. Sur quoi vais je donc fonder ma confiance d'être exaucé ? Sur la promesse de Jésus Christ : « Demandez et vous recevrez » (Jn 16, 24). Demandez et vous obtiendrez. « Qui voudrait être trompé, lorsque c'est la vérité qui promet ? » dit saint Augustin. Comment pouvons-nous douter d'être exaucés, alors que c'est
Dieu, la Vérité même, qui promet de nous écouter et de nous exaucer ? « Il ne nous pousserait pas à demander, dit ce saint Docteur, s'il ne voulait pas nous exaucer ? ». Le Seigneur ne nous engagerait
certainement pas à lui demander ses grâces s'il n'était pas décidé à nous les accorder. Or il ne cesse de nous y exhorter maintes et maintes fois dans les
Saintes Ecritures : Priez, demandez, cherchez, etc. et vous obtiendrez tout ce que vous désirez : « Demandez ce que vous voudrez et vous l'aurez »
(Jn 15, 7). Pour nous inculquer cette confiance, le Seigneur nous a appris, dans le Pater Noster, à appeler Dieu, lorsque nous recourons à lui pour lui
demander ses grâces, et elles sont toutes contenues déjà dans l'oraison dominicale, non pas Seigneur mais Père : Notre Père ! Il veut, en effet, que nous recourions à Dieu avec la confiance même d'un enfant pauvre ou malade qui sollicite de son propre père des moyens de subsistance ou quelque remède. Si un enfant est sur le point de mourir de faim, il suffit qu'il paraisse devant son père et celui-ci aussitôt lui fournira de la nourriture. Si l'enfant vient à être mordu par un serpent venimeux, il suffira qu'il montre sa blessure à son père et celui-ci y appliquera aussitôt le remède voulu.
Prenant donc appui sur les promesses divines, prions toujours avec une confiance, non pas vacillante mais solide et ferme, comme dit l'Apôtre Paul : « Gardons indéfectible la confession de l'espérance, car celui qui a promis est fidèle » (He 10, 23). Aussi certain que Dieu est fidèle en ses promesses, aussi certaine doit être notre coniiance qu'il nous exaucera.
Peut-être nous trouverons-nous parfois dans un état d'aridité spirituelle ou serons-nous troublés par quelque faute, et ne ressentirons-nous pas dans la prière la confiance sensible que nous souhaiterions ? Efforçons-nous cependant de prier, parce que Dieu ne manquera pas de nous exaucer, et même d'autant
mieux que nous prierons alors en nous défiant davantage de nous-mêmes et en nous appuyant uniquement sur la bonté et la fidélité de Dieu, qui a
promis d'exaucer qui le prie.
Oh ! comme le Seigneur se réjouit de nous voir dans nos moments de tribulations, de craintes, de tentations, espérer contre toute espérance, c'est-à-dire réagir contre le sentiment de défiance qui provoque en nous notre désolation intérieure. L'Apôtre Paul loue à ce sujet le Patriarche
Abraham dont il est dit : « Espérant contre toute espérance; il crut » (Rm 4,18). Selon saint Jean, qui met en Dieu une ferme confiance se sanctifie
certainement : « Quiconque a cette espérance en lui se rend saint comme lui-même (Jésus) est saint »
( 1 Jn 3, 3), parce que Dieu fait abonder les grâces en tous ceux qui ont confiance en lui. C'est par cette confiance que tant de martyrs, de jeunes filles et d'enfants, ont pu, malgré la frayeur que leur inspiraient les tortures préparées par les tyrans,
supporter ces souffrances et braver les bourreaux. Quelquefois, dis-je, nous prions mais il nous semble que Dieu ne veuille pas nous écouter : continuons alors à prier et à espérer ! Disons comme Job : « Il peut me tuer, je n'ai d'autre espoir » (Jb 13, 15). Mon Dieu, alors même que vous me chasseriez loin de vous, je ne cesserai pas de vous prier et d'espérer en votre miséricorde.
Agissons de même et nous obtiendrons du Seigneur tout ce que nous souhaitons. C'est bien ce que fit la Cananéenne, et Jésus exauça tous ses désirs. Cette femme, dont la fille était possédée du démon, priait le
Rédempteur de l'en délivrer : « Aie pitié de moi... Ma fille est cruellement tourmentée par le démon » (Mt 15, 22-29). Je ne suis pas envoyé pour les étrangers, lui répondit Jésus, mais uniquement pour les Juifs. Mais elle ne se découragea pas et continua à prier avec confiance : Seigneur, vous pouvez me consoler, vous devez me consoler : « Il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Mais, mon Seigneur, ajouta-telle, justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leur maîtres ! » Jésus loua cette femme de sa confiance et lui accorda la faveur qu'elle demandait « O femme, grande est ta foi ! Qu'il
advienne selon ton désir! ».
Qui a jamais appelé Dieu à son secours, dit Ben
Sirac le Sage, et s'est vu méprisé de lui et pas secouru ? « Qui l'a imploré sans avoir été écouté » (Si 2, 10). Pour saint Augustin, la prière est une clé
qui ouvre le ciel en notre faveur ; à l'instant même où notre prière monte vers Dieu, la grâce que nous demandons descend vers nous : « La prière du juste est la clé du ciel ; monte la prière et descend la compassion de Dieu ». Le Prophète-Roi a écrit : nos demandes vont de pair avec la miséricorde de
Dieu : « Béni soit Dieu qui n'a pas écarté ma prière ni son amour loin de moi » (Ps 66 (65), 20). Saint Augustin ajoute : Quand nous prions le Seigneur,
nous devons être sûrs que déjà il nous exauce : « Tu n'as pas éloigné de toi la prière ? Sois sûr qu'alors sa miséricorde ne s'est pas non plus éloignée de toi ». Vraiment, jamais je ne me sens plus tranquille et confiant pour mon salut que lorsque je suis occupé à prier Dieu et à me recommander à lui.
Tous les autres fidèles éprouvent sans doute le même sentiment. Les autres signes de notre salut sont incertains et trompeurs. Ce qui est certain et infaillible, c'est que Dieu exauce ceux qui le prient avec confiance, tout comme il est absolument certain que Dieu ne peut manquer à ses promesses.
Quand nous nous sentons faibles et incapables de surmonter quelque passion ou quelque grande difficulté ou pour accomplir ce que le Seigneur
nous demande, disons courageusement avec l'Apôtre : « Je puis tout en celui qui me rend fort » (Ph 4, 13). Ne disons pas comme certains : Ce n'est pas possible, je n'ai pas confiance. Bien sûr, par nos propres forces nous ne pouvons rien mais, avec le secours de Dieu, nous pouvons tout. Supposons
que Dieu dise à quelqu'un : Prends cette montagne sur tes épaules je vais t'aider à la porter. Celui qui répondrait : Non, je n'en ai pas la force, ne serait-il pas un sot ou un infidèle ? De même, quand nous nous reconnaissons misérables et faibles et que les tentations nous assaillent plus violemment, ne nous décourageons pas, levons les yeux vers le Seigneur et disons comme David : « Yahvé est pour moi, plus de crainte, que me fait l'homme à moi ? » (Ps 118 (117), 6). Avec l'aide de mon Seigneur, je vaincrai et mépriserai tous les assauts de mes ennemis. Quand nous sommes en danger d'offenser Dieu ou dans quelque situation grave et que, dans notre trouble, nous ne savons que faire, recommandons-nous à Dieu : « Yahvé est ma lumière et mon salut, de qui aurais-je crainte ? » (Ps 27 (26), 1 ). Soyons sûrs qu'alors Dieu nous donnera sa lumière et nous préservera de tout mal.
Mais je suis un pécheur, objectera quelqu'un, et je lis dans la Sainte Écriture : « Dieu n'écoute pas les pécheurs ». Saint Thomas répond avec saint
Augustin : Cette parole fut dite par l'aveugle-né avant sa guérison : « Cette parole fut dite par l'aveugle alors qu'il était imparfaitement éclairé ; elle n'est donc pas valable ». Le Docteur Angélique ajoute : « C'est vrai quand il s'agit d'un pécheur qui fait une prière « de pécheur », c'est-à-dire quand il
demande de pouvoir continuer à pécher : par exemple, si quelqu'un priait Dieu de l'aider à se venger de son ennemi ou à réaliser quelque projet
pervers. C'est vrai aussi du pécheur qui demande à Dieu de le sauver mais qui n'a pas le moindre désir de sortir de son état de péché. Il est des malheureux qui aiment les chaînes d'esclaves avec lesquelles le démon les tient prisonniers.
Leurs prières ne sont pas exaucées parce qu'elles sont téméraires et abominables. Y a-t-il plus
grande témérité que de vouloir demander des faveurs à un prince que l'on a plusieurs fois offensé et que l'on se propose d'offenser encore ? C'est ainsi qu'il faut comprendre la parole du Saint Esprit : Dieu déteste et hait la prière de celui qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre ce que Dieu commande: « Qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière même est une abomination» (Pr 28, 9). Le Seigneur leur dit : Inutile de prier, je détournerai mes yeux de vous et je ne vous exaucerai pas : « Quand vous étendez les mains, je détourne les yeux ; vous avez beau multiplier les prières, moi je n'écoute pas » (Is l, 15).
Telle était précisément la prière du roi impie Antiochus : il priait Dieu et lui faisait de grandes promesses mais avec un coeur hypocrite et endurci dans le péché, uniquement pour échapper au châtiment qui le menaçait ; aussi le Seigneur ne prêta-t-il pas l'oreille à ses prières et il mourut rongé par les vers : « Mais les prières de cet être abject allaient vers un Maître qui ne devait plus avoir pitié de lui » (2 M 9, 13).
D'autres pèchent par fragilité ou poussés par quelque grande passion. Ils gémissent sous le joug de l'ennemi ; ils désirent rompre ces chaînes de mort
et sortir de cette misérable servitude et ils appellent le Seigneur à leur secours. S'ils persévèrent dans la prière, ils seront écoutés du Seigneur : tous ceux qui demandent reçoivent, a-t-il dit, et ceux qui cherchent la grâce la retrouvent : « Quiconque demande reçoit; qui cherche trouve... » (Mt 7, 8).
« Quiconque, explique l'auteur de l'Oeuvre Imparfaite, qu'il soit juste ou pécheur ». En saint Luc, Jésus parle de cet homme qui donna à son ami tous ses pains, non pas tellement par amitié mais plutôt parce que celui-ci l'importunait : « Je vous le dis, même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui
donnera tout ce dont il a besoin » (Lc 11, 8). Ainsi la prière persévérante obtient de Dieu miséricorde, même en faveur de ceux qui ne sont pas ses amis. Ce qui ne s'obtient pas par l'amitié, dit saint Jean Chrysostome, l'est par la prière : « Ce que n'a pas accompli l'amitié, la prière l'a réalisé ». Il affirme également : « Près de Dieu l'amitié a moins de valeur que la prière... ». Saint Basile affirme lui-aussi, « les pécheurs eux-mêmes obtiennent ce qu'ils demandent, s'ils le font avec persévérance ». Saint Grégoire dit de même : « Qu'il crie le pécheur et sa prière parviendra jusqu'à Dieu ».
Saint Jérôme écrit de son côté : Même le pécheur peut appeler Dieu son Père, s'il le prie de l'accepter de nouveau comme fils, comme l'Enfant Prodigue qui dit : « Père j'ai péché », avant même d'être pardonné ». Si Dieu n'exauçait pas les pécheurs, dit saint Augustin, ce publicain aurait bien dit pour rien : « Aie pitié de moi, pécheur ! ».
Mais l'Evangile nous l'atteste : il obtint bel et bien le pardon : « Ce dernier descendit chez lui justifzé » (Lc 18, 14). Mais c'est le docteur Angélique qui examine ce point le plus en détail. Il ne craint pas d'affirmer que même le pécheur qui prie est exaucé, bien que sa prière ne soit pas méritoire. Il a pourtant la force de demander. D'ailleurs la prière ne s'appuie pas sur la justice de Dieu mais sur la grâce de Dieu : « Le mérite est fondé sur la justice, mais l'impétration sur la grâce de Dieu ». Aussi Daniel pouvait-il dire : « Prête l'oreille, mon Dieu, et écoute !...Ce n'est pas en raison de nos ceuvres justes que nous répandons devant toi nos supplications, mais en raison de tes grandes miséricordes » (Dn 9, 18). Lors donc que nous prions, dit saint Thomas, il n'est pas nécessaire d'être les
amis de Dieu pour obtenir ses grâces : « C'est la prière elle-même qui nous rend ses amis ». Saint Bernard ajoute une autre bonne raison : La demande
du pécheur naît du désir de sortir de son péché et de retrouver la grâce de Dieu. Or, ce désir est un don qui ne lui vient certainement pas d'un autre que Dieu lui-même. Pourquoi donc, continue le saint, Dieu inspirerait-il ce désir au pécheur, s'il ne voulait pas le convertir ? « Dans quel but donnerait-il ce désir, s'il n'avait pas l'intention de l'exaucer ? ». Les Saintes Ecritures contiennent de nombreux exemples de pécheurs qui ont été délivrés du péché : le roi Achab ( 1 R 21-27), le roi Manassé (2 Ch 33), le roi Nabuchodonosor (Dn 4), le bon larron (Lc 23, 43).
C'est une chose magnifique que la prière ! Et combien efficace ! Voilà deux pécheurs qui meurent sur le Calvaire, à côté de Jésus : parce qu'il prie :
« Souviens-toi de moi », l'un est sauvé, parce qu'il ne prie pas, l'autre se damne. En un mot, dit saint Jean Chrysostome : « Nul ne lui a jamais demandé, en
se repentant, ses bienfaits sans obtenir ce qu'il voulait ». Aucun pécheur repentant n'a prié le Seigneur sans obtenir ce qu'il désirait. Mais à quoi bon
rapporter encore des témoignages et des arguments pour le prouver ? Jésus lui-même n'a-t-il pas dit : « Venez à moi, vous tous, qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 1 l, 28).
Ces mots « vous qui ployez sous le fardeau » désignent, selon saint Jérôme, saint Augustin et
d'autres, les pécheurs qui gémissent sous le poids de leurs fautes. S'ils recourent à Dieu, celui-ci les remettra sur pied, il l'a promis, et les sauvera par sa grâce. Saint Jean Chrysostome assure : le désir que nous avons d'être pardonnés n'est rien à côté du désir ardent de Dieu de nous pardonner : « Tu désires bien moins être pardonné de tes péchés que lui ne désire te les pardonner ! ». Pas de grâce qui ne s'obtienne par la prière persévérante ajoute le saint, même si elle vient du pécheur le plus perdu :
« Quelqu'un serait-il coupable de mille péchés, il n'est rien que sa prière ne puisse obtenir, du moment qu'elle est ardente et persévérante ». Notons bien ce
que dit saint Jacques : « Si l'un de vous manque de sagesse qu'il la demande à Dieu - il donne à tous généreusement, sans incriminer » (Jc 1, 5). Dieu ne
manque donc jamais d'exaucer et de combler de grâces tous ceux qui le prient : « IL donne à tous généreusement » ! Mais que signifie « sans incriminer » ? Dieu n'agit pas comme les hommes.
En effet, supposons vienne leur demander une faveur quelqu'un qui, dans le passé, les a un jour offensés, ils vont lui faire aussitôt reproche de l'outrage reçu. Le Seigneur n'agit pas ainsi. Celui qui le prie serait-il le plus grand pécheur du monde, du moment qu'il demande au Seigneur une grâce utile à son salut éternel, celui-ci ne va pas lui reprocher les déplaisirs qu'il lui a causés. Au contraire, le Seigneur lui fait aussitôt bon accueil, le console, l'exauce et le comble
abondamment de ses dons, comme si jamais il n'avait été offensé. Et pour nous encourager à le prier, le divin Rédempteur nous dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (Jn 16, 23)51. C'est comme s'il disait : Allons ! pécheurs, ne perdez pas courage ! Que vos péchés ne vous empêchent pas de recourir à mon Père et d'espérer de lui votre salut ! Vous ne méritez certes pas d' obtenir ses grâces, vous ne méritez que des châtiments. Mais allez trouver mon Père en mon nom : demandez par mes mérites les grâces que vous désirez ; je vous promets et même je vous jure, « en vérité, en vérité, je vous le dis, que tout ce que vous demanderez à mon Père, celui-ci vous l'accordera".
O mon Dieu, quelle plus grande consolation pourrait donc avoir un pécheur, après toutes ses misères, que de savoir de façon certaine qu'il recevra tout ce qu'il demandera au nom de Jésus Christ ? Je dis bien « tout » : oui, tout ce qui regarde le salut éternel. Nous avons parlé plus haut des biens temporels : il arrive que le Seigneur ne nous les accorde pas parce qu'il voit que ces biens feraient du mal à notre âme.
Quant aux biens spirituels, sa promesse est sans conditions ni restrictions. Aussi saint Augustin nous exhorte-t-il à demander, avec une entière confiance, les biens qu'il nous promet de façon absolue :
« Demandez avec une pleine assurance ce que Dieu promet ». Comment, écrit le saint, le Seigneur pourrait-il nous refuser quelque chose quand nous le lui demandons avec confiance. Il a un désir encore plus grand de donner que nous de recevoir ! « Il aspire à te dispenser ses bienfaits plus que tu n'aspires toi-même à les recevoir ».
Saint Jean Chrysostome assure : « Le Seigneur ne s'irrite contre nous que lorsque nous négligeons de solliciter ses dons : Il ne s'irrite que lorsque nous
ne demandons pas ». Comment Dieu pourrait-il ne pas exaucer quelqu'un qui ne lui demande que des choses qui lui sont agréables ? Voilà quelqu'un
qui lui dit : Seigneur, je n'attends pas de vous les biens de ce monde, richesses, plaisirs, honneurs ; je ne vous demande que votre grâce ; délivrez-moi du péché ; accordez-moi de faire une bonne mort ;
donnez-moi le Paradis et votre saint amour (la grâce qui est à demander par-dessus tout, dit saint François de Sales), ainsi que la soumission à votre
volonté... comment Dieu pourrait-il ne pas l'écouter ? Quelles demandes exaucerez-vous donc, mon Dieu, si vous repoussez celles-là qui vous vont droit au coeur », dit saint Augustin : « Seigneur, quelles prières exauces-tu si tu n'exauces pas celles-ci ? » .
Mais ce qui doit surtout exciter notre confiance, ce sont les paroles mêmes de Jésus : « Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel
donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient! » (Lc 11, 13). Vous, dit le Rédempteur, qui êtes si accrochés à vos propres intérêts parce que gonflés
d'amour de vous-mêmes, vous ne savez pas refuser à vos enfants ce qu'ils vous demandent. Combien plus votre Père du ciel, qui vous aime plus que
tous les pères de ce monde, vous accordera-t-il les biens spirituels, quand vous l'en priez !
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
III.3 LA PERSÉVÉRANCE REQUISE DANS LA PRIÈRE
Suffit-il que nos prières soient humbles et confiantes pour nous obtenir la persévérance finale et le salut éternel ? Les prières particulières vous
procureront bien les grâces particulières, mais, si elles ne sont pas persévérantes, nous n' obtiendrons pas la Persévérance finale. Parce qu'elle suppose beaucoup de grâces, celle-ci exige des prières multiples et à continuer jusqu'à la mort. La grâce du salut n'est pas une grâce unique mais toute une chaîne de grâces qui ne font ensuite plus qu'un avec la Persévérance finale ; à cette chaîne de grâces doit correspondre, pour ainsi dire, une autre chaîne, celle de nos prières. Si nous négligeons de prier et si nous brisons ainsi la chaîne de nos prières, se brisera aussi la chaîne de grâces nécessaires à notre salut, et nous ne serons pas sauvés !
Certes, nous ne pouvons pas mériter la Persévérance, ainsi que l'enseigne le saint Concile de Trente : « Pareillement au sujet du don de la Persévérance, dont il est écrit : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé » (Mt 10, 22 ; 24, 13), ce qui est impossible sans celui qui « a le pouvoir de maintenir celui qui est debout, pour qu'il continue de l'être » (Rm 14, 4). Saint Augustin dit cependant : On peut très bien mériter par nos prières ce grand don de la Persévérance : « Ce don de Dieu on peut donc le mériter par la prière ». Le Père F. Suarez ajoute : Celui qui prie l'obtient infailliblement.
Mais il faut, dit saint Thomas, que la prière soit persévérante et continue : « Après le baptême, pour que l'homme entre au ciel, la prière continuelle lui
est nécessaire ». Notre Seigneur l'a déclaré lui-même plusieurs fois : « Il leur disait... qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager » (Lc 18, 1).
« Veillez donc et priez en tout temps, afin d'avoir la force d'échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme » (Lc
21,36). L'Ancien Testament affirme de même : « Que rien ne t'empêche de prier toujours » (Qo 18, 22)...
« En toute circonstance, bénis le Seigneur Dieu, demande-lui de diriger tes voies et de faire aboutir tes sentiers » (Tb 4, 19). L'Apôtre Paul inculquait à ses disciples de ne jamais cesser de prier : « Priez sans cesse » (I Th 5, 17). « Soyez assidus à la prière » (Col 4, 2). « Ainsi je veux que les hommes prient en tout lieu » (I Tm 2). Le Seigneur veut bien nous accorder la Persévérance et la vie éternelle, dit saint Nil, mais uniquement à ceux qui la demandent avec persévérance : « Il veut combler de bienfaits ceux qui persévèrent dans la prière ». Avec la grâce beaucoup de pécheurs arrivent à se convertir à Dieu et à recevoir le pardon; mais s'ils cessent de demander la persévérance, ils retournent au péché et perdent tout.
Il ne suffit pas, dit Bellarmin, de demander la grâce de la Persévérance une fois en passant ou rarement mais toujours, chaque jour, jusqu'à la mort : « La demander chaque jour pour l'obtenir chaque jour ». Qui la demande un jour l'aura pour ce jour-là ; s'il ne la demande pas demain, demain il tombera! C'est ce que nous enseigne la parabole de l'ami qui ne consentit à donner du pain à l'importun qu'après une longue insistance : « Même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin » (Lc 1l, 8). « Cet ami, dit saint Augustin, finit par lui donner les pains qu'il demande, bien qu'à
contre-cceur et pour se débarrasser de cet importun ». A combien plus forte raison, Dieu, la bonté infinie, qui a un tel désir de nous communiquer ses biens, ne nous accordera-t-il pas ses grâces ? Il nous y exhorte lui-même et il lui déplaît que nous ne le fassions pas. Le Seigneur veut donc bien nous
accorder le salut et toutes les grâces nécessaires pour cela, mais il désire que nous les demandions inlassablement jusqu'à l'importunité.
Cornelius a Lapide commente ainsi cet Evangile : «Dieu veut que nous persévérions dans la prière jusqu'à l'importunité ». Les gens d'ici-bas ne peuvent pas souffrir les importuns ; mais, non seulement Dieu nous supporte, mais il désire précisément que nous allions jusqu'à l'importunité, spécialement pour obtenir la sainte Persévérance. Selon saint Grégoire, Dieu veut qu'on lui fasse violence par la prière. Cette violence ne l'irrite pas mais elle attire sa clémence : « Dieu veut être appelé, il veut être forcé, il veut être vaincu par une certaine importunité... Dieu n'est pas offensé par la bonne violence mais apaisé ».
Pour obtenir la Persévérance, il faut donc nous recommander sans cesse à Dieu, le matin, le soir, à la méditation, à la messe, à la communion, toujours
et spécialement au moment des tentations. Il faut répéter alors : Seigneur, Seigneur, assistez-moi, protégez-moi, ne m' abandonnez pas, ayez pitié de
moi ! Qu'y a-t-il de plus facile que de lancer ces appels vers le Seigneur ? Sur les paroles du Psalmiste : « Le chant qu'elle m'inspire est une prière à mon Dieu vivant » (Ps 42, 9). La Glose fait cette remarque : « Quelqu'un objectera : Je ne peux pas jeûner ni faire des aumônes, mais quand il s'agit de prier son objection ne tient pas », parce qu'il n'y a rien de plus facile que de prier. Mais il ne faut jamais cesser de prier. Il faut faire continuellement
violence à Dieu pour qu'il nous aide à chaque instant: cette violence lui est chère et agréable. « Cette violence est chère à Dieu », écrit Tertullien, et saint
Jérôme dit de même : plus nos prières sont persévérantes et importunes, plus Dieu les accepte : « La prière est d'autant plus agréable à Dieu qu'elle
est importune plus longtemps ! ». « Heureux l'homme qui m'écoute, qui veille jour après jour à mes portes» (Pr 8,34). Bienheureux l'homme, dit Dieu, qui m'écoute et qui veille sans cesse par ses saintes prières aux portes de ma miséricorde ! Et Isaïe assure : « Bienheureux tous ceux qui espèrent en lui et qui l'attendent » (Is 30, 18). Oui, bienheureux ceux qui jusqu'à la fin attendent, en priant, leur salut éternel du Seigneur.
Aussi, dans l'Évangile, Jésus nous exhorte-t-il à prier, mais en quels termes ? « Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira » (Lc 1 l, 9). Il lui aurait suffi de dire : «
Demandez ». A quoi bon ajouter « cherchez » et «frappez » ? Mais ces mots ne sont pas superflus ; le Rédempteur a voulu nous apprendre par là que nous devons imiter les pauvres qui vont mendier : s'ils ne reçoivent pas d'aumône et sont renvoyés, ils ne se découragent pas et reviennent à la charge. Si le maître de maison ne se montre plus, ils se mettent à frapper aux portes jusqu'à en devenir très importuns et ennuyeux. Dieu veut que nous fassions de même : que nous priions, que nous recommencions à prier, que nous ne cessions jamais de lui demander de nous assister, de nous secourir, de nous donner lumière et
force, et de ne permettre jamais que nous perdions sa grâce. Le savant Lessius affirme : Si quelqu'un est en état de péché ou en danger de mort et qu'il ne prie pas, il commet une faute grave, de même que celui qui omet de prier pendant une période importante c'est-à-dire, d'après lui, pendant un ou
deux mois, mais ceci est vrai en dehors du moment de la tentation. En effet, lorsqu'on est assailli par quelque dangereuse tentation, on pèche gravement,
sans aucun doute, si l'on ne demande pas à Dieu la force d'y résister ; car on s'expose au danger prochain et même certain d'y succomber.
Mais, objectera quelqu'un : Puisque le Seigneur peut et veut me donner la sainte Persévérance, pourquoi ne me l'accorde-t-il pas une fois pour toutes,
quand je la lui demande ? Les Saints Pères énumèrent de nombreuses raisons. Dieu ne la concëde pas une fois pour toutes et il la diffère, d'abord pour mieux éprouver notre confiance. Ensuite, dit saint Augustin, pour nous la faire désirer plus ardemment. Le saint écrit : Les grandes grâces doivent faire l'objet d'un grand désir. Les biens que l'on obtient sitôt demandés sont moins appréciés que ceux longtemps désirés : « Dieu ne veut pas donner
aussitôt, afin que tu apprennes à désirer très fort les grands dons ; ce qui est longtemps désiré est reçu avec d'autant plus de joie ; ce qui est vite accordé
perd de son prix ». Il le fait également pour que nous ne l'oublions pas. Si nous étions déjà sûrs de notre Persévérance et de notre salut, si nous n'avions pas continuellement besoin de lui pour garder sa grâce et faire notre salut, nous oublierions facilement Dieu. Le besoin amène les pauvres à fréquenter les maisons des riches. Pour nous attirer à lui, dit saint Jean
Chrysostome, pour nous voir souvent à ses pieds et pour mieux nous combler, le Seigneur diffère jusqu'au moment de notre mort le don de la grâce plénière du salut : « S'il diffère, ce n'est nullement qu'il refuse nos prières mais il veut ainsi nous rendre diligents et nous attirer à lui ».
Et puis, au fur et à mesure que nous continuons à prier, nous nous attachons davantage à lui par les doux liens de l'amour : « La prière, ajoute saint Jean Chrysostome, n'est pas un mince lien d'amour avec Dieu : elle nous habitue à dialoguer avec lui ». Ce continuel recours à Dieu par la prière, cette attente confiante de ses grâces, quel feu ardent ! quel solide lien d'amour ! bien capables d'enflammer notre coeur et de nous attacher plus étroitement à Dieu ! Mais jusqu'à quand doit-on prier ? Toujours, répond ce
même saint, jusqu' à ce que nous recevions la sentence favorable du salut éternel, c'est-à-dire jusqu'à la mort : « Ne t'arrête pas, continue-t-il, tant que tu n'as pas reçu ! ». Et il ajoute : Celui qui se dit : je ne cesserai pas de prier, tant que je ne serai pas sauvé, celui-là est sûr de son salut : « Si tu dis : je ne me retirerai pas avant d'avoir reçu, tu recevras certainement ». L'Apôtre Paul écrit : Beaucoup courent après la récompense mais un seul la reçoit, celui qui réussit à la saisir : « Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous
courent mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter ! » (I Co 9, 24). Il ne suffit donc pas de prier pour faire son salut ; il faut prier inlassablement jusqu'à ce que nous recevions la couronne que Dieu a promise mais uniquement à ceux qui sont fidèles à le prier jusqu'à la fin. Si nous voulons faire notre salut, nous devons imiter le roi David qui tenait toujours les yeux tournés vers le Seigneur : « Mes yeux sont fixés sur Yahvé, car il tire mes pieds du filet » (Ps 25(24), 15). Le démon nous tend continuellement des pièges pour nous dévorer, comme l'écrit saint Pierre : « Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer". ( 1Pi. 5, 8)
Nous devons donc rester continuellement les armes à la main, pour nous défendre contre cet ennemi, et pour dire avec le Prophète-Roi : « Je poursuis
mes ennemis et les atteins, je ne reviens pas qu'ils ne soient achevés » (Ps 18( 17), 38). Je ne m'arrêterai pas de combattre tant que je ne verrai pas mes ennemis vaincus. Mais comment remporter cette victoire si importante et si difficile ? « Par des prières très persévérantes » nous répond saint
Augustin, uniquement par des prières mais très persévérantes. Et jusqu'à quand ? tant que durera le combat. « De même que le combat ne cesse
jamais, dit saint Bonaventure, ainsi ne cessons jamais d'implorer miséricorde ». Nous devons continuellement lutter. Nous devons donc demander continuellement à Dieu son secours pour ne pas être vaincus.
Malheur, dit le Sage, à ceux qui dans ce combat cessent de prier. « Malheur à ceux qui ont perdu la patience » (Si 2, 14). L'Apôtre Paul nous en avertit :
nous ne ferons notre salut qu' à cette condition : « Pourvu que nous gardions l'assurance et la joyeuse fierté de l'espérance » (He 3, 6). C'est-à-dire si nous sommes fidèles à prier avec confiance jusqu'à la mort.
Encouragés par la miséricorde de Dieu et par ses promesses, disons donc avec l'Apôtre Paul : « Qui nous séparera de l'amour du Christ, la tribulation,
l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? » (Rm 8, 35). Oui, qui pourra nous séparer de l'amour de Jésus Christ ? Peut-être la
tribulation ? le danger de perdre les biens de cette terre ? les persécutions des démons ou des hommes ? Les tortures des tyrans ? « Mais en tout cela,
nous encourage saint Paul, hous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Rm 8, 37). Aucune tribulation, disait-il, aucune angoisse, aucun danger, aucune persécution ou torture, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Jésus Christ. Nous triompherons de tout avec l'aide de Dieu et en combattant pour ce Seigneur qui a donné sa vie pour
nous. Le Père Ippolito Durazzo avait décidé de quitter la prélature romaine et de se consacrer tout entier à Dieu pour entrer dans la Compagnie de Jésus. Il craignait d'être infidèle à cause de sa faiblesse : « Ne m'abandonnez pas Seigneur, disait-il, maintenant que je me suis donné tout à vous ; par
pitié ne m'abandonnez pas ! Mais il entendit Dieu lui dire au fond du coeur : « C'est bien plutôt toi qui ne dois pas m'abandonner ». Oui, lui disait le Seigneur, c'est bien plutôt à toi de ne pas m'abandonner ! Confiant en la bonté de Dieu et en sa grâce, le Serviteur de Dieu finit par dire : « Vous ne
m'abandonnerez donc pas. Eh bien, moi non plus je ne vous abandonnerai pas ! ».
En conclusion, si nous ne voulons pas que Dieu nous abandonne, prions-le inlassablement de ne pas nous abandonner ! Il est certain qu'il nous assistera
toujours. Il ne permettra jamais que nous le perdions et que nous nous séparions de son amour. Efforçons-nous donc de demander sans cesse la
Persévérance finale et les grâces nécessaires pour cela. Demandons toujours en même temps la grâce d'être fidèle à prier. C'est là précisément la grande
faveur qu'il a promise à ses élus par la bouche du Prophète : « Je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de
supplication » (Za 12, 10). Oh ! que l'esprit de prière est une grande grâce ! Quelle grâce que celle de prier sans cesse. Demandons inlassablement cet
esprit de prière ! Soyons sûrs que, si nous prions sans cesse, nous obtiendrons certainement la Persévérance et toutes les autres grâces que
nous désirons : le Seigneur ne peut être infidèle à sa promesse d'exaucer ceux qui le prient. « C'est en espérance que nous sommes sauvés » (Rm 8, 24). Avec cette espérance de toujours prier, nous pouvons être sûrs de notre salut : « La confiance nous assurera une large entrée dans cette Sainte Cité ». Cette espérance, disait le Vénérable Bède, nous garantira certainement l'entrée dans la Cité de Dieu.
Suffit-il que nos prières soient humbles et confiantes pour nous obtenir la persévérance finale et le salut éternel ? Les prières particulières vous
procureront bien les grâces particulières, mais, si elles ne sont pas persévérantes, nous n' obtiendrons pas la Persévérance finale. Parce qu'elle suppose beaucoup de grâces, celle-ci exige des prières multiples et à continuer jusqu'à la mort. La grâce du salut n'est pas une grâce unique mais toute une chaîne de grâces qui ne font ensuite plus qu'un avec la Persévérance finale ; à cette chaîne de grâces doit correspondre, pour ainsi dire, une autre chaîne, celle de nos prières. Si nous négligeons de prier et si nous brisons ainsi la chaîne de nos prières, se brisera aussi la chaîne de grâces nécessaires à notre salut, et nous ne serons pas sauvés !
Certes, nous ne pouvons pas mériter la Persévérance, ainsi que l'enseigne le saint Concile de Trente : « Pareillement au sujet du don de la Persévérance, dont il est écrit : « Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé » (Mt 10, 22 ; 24, 13), ce qui est impossible sans celui qui « a le pouvoir de maintenir celui qui est debout, pour qu'il continue de l'être » (Rm 14, 4). Saint Augustin dit cependant : On peut très bien mériter par nos prières ce grand don de la Persévérance : « Ce don de Dieu on peut donc le mériter par la prière ». Le Père F. Suarez ajoute : Celui qui prie l'obtient infailliblement.
Mais il faut, dit saint Thomas, que la prière soit persévérante et continue : « Après le baptême, pour que l'homme entre au ciel, la prière continuelle lui
est nécessaire ». Notre Seigneur l'a déclaré lui-même plusieurs fois : « Il leur disait... qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager » (Lc 18, 1).
« Veillez donc et priez en tout temps, afin d'avoir la force d'échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme » (Lc
21,36). L'Ancien Testament affirme de même : « Que rien ne t'empêche de prier toujours » (Qo 18, 22)...
« En toute circonstance, bénis le Seigneur Dieu, demande-lui de diriger tes voies et de faire aboutir tes sentiers » (Tb 4, 19). L'Apôtre Paul inculquait à ses disciples de ne jamais cesser de prier : « Priez sans cesse » (I Th 5, 17). « Soyez assidus à la prière » (Col 4, 2). « Ainsi je veux que les hommes prient en tout lieu » (I Tm 2). Le Seigneur veut bien nous accorder la Persévérance et la vie éternelle, dit saint Nil, mais uniquement à ceux qui la demandent avec persévérance : « Il veut combler de bienfaits ceux qui persévèrent dans la prière ». Avec la grâce beaucoup de pécheurs arrivent à se convertir à Dieu et à recevoir le pardon; mais s'ils cessent de demander la persévérance, ils retournent au péché et perdent tout.
Il ne suffit pas, dit Bellarmin, de demander la grâce de la Persévérance une fois en passant ou rarement mais toujours, chaque jour, jusqu'à la mort : « La demander chaque jour pour l'obtenir chaque jour ». Qui la demande un jour l'aura pour ce jour-là ; s'il ne la demande pas demain, demain il tombera! C'est ce que nous enseigne la parabole de l'ami qui ne consentit à donner du pain à l'importun qu'après une longue insistance : « Même s'il ne se lève pas pour les lui donner en qualité d'ami, il se lèvera du moins à cause de son impudence et lui donnera tout ce dont il a besoin » (Lc 1l, 8). « Cet ami, dit saint Augustin, finit par lui donner les pains qu'il demande, bien qu'à
contre-cceur et pour se débarrasser de cet importun ». A combien plus forte raison, Dieu, la bonté infinie, qui a un tel désir de nous communiquer ses biens, ne nous accordera-t-il pas ses grâces ? Il nous y exhorte lui-même et il lui déplaît que nous ne le fassions pas. Le Seigneur veut donc bien nous
accorder le salut et toutes les grâces nécessaires pour cela, mais il désire que nous les demandions inlassablement jusqu'à l'importunité.
Cornelius a Lapide commente ainsi cet Evangile : «Dieu veut que nous persévérions dans la prière jusqu'à l'importunité ». Les gens d'ici-bas ne peuvent pas souffrir les importuns ; mais, non seulement Dieu nous supporte, mais il désire précisément que nous allions jusqu'à l'importunité, spécialement pour obtenir la sainte Persévérance. Selon saint Grégoire, Dieu veut qu'on lui fasse violence par la prière. Cette violence ne l'irrite pas mais elle attire sa clémence : « Dieu veut être appelé, il veut être forcé, il veut être vaincu par une certaine importunité... Dieu n'est pas offensé par la bonne violence mais apaisé ».
Pour obtenir la Persévérance, il faut donc nous recommander sans cesse à Dieu, le matin, le soir, à la méditation, à la messe, à la communion, toujours
et spécialement au moment des tentations. Il faut répéter alors : Seigneur, Seigneur, assistez-moi, protégez-moi, ne m' abandonnez pas, ayez pitié de
moi ! Qu'y a-t-il de plus facile que de lancer ces appels vers le Seigneur ? Sur les paroles du Psalmiste : « Le chant qu'elle m'inspire est une prière à mon Dieu vivant » (Ps 42, 9). La Glose fait cette remarque : « Quelqu'un objectera : Je ne peux pas jeûner ni faire des aumônes, mais quand il s'agit de prier son objection ne tient pas », parce qu'il n'y a rien de plus facile que de prier. Mais il ne faut jamais cesser de prier. Il faut faire continuellement
violence à Dieu pour qu'il nous aide à chaque instant: cette violence lui est chère et agréable. « Cette violence est chère à Dieu », écrit Tertullien, et saint
Jérôme dit de même : plus nos prières sont persévérantes et importunes, plus Dieu les accepte : « La prière est d'autant plus agréable à Dieu qu'elle
est importune plus longtemps ! ». « Heureux l'homme qui m'écoute, qui veille jour après jour à mes portes» (Pr 8,34). Bienheureux l'homme, dit Dieu, qui m'écoute et qui veille sans cesse par ses saintes prières aux portes de ma miséricorde ! Et Isaïe assure : « Bienheureux tous ceux qui espèrent en lui et qui l'attendent » (Is 30, 18). Oui, bienheureux ceux qui jusqu'à la fin attendent, en priant, leur salut éternel du Seigneur.
Aussi, dans l'Évangile, Jésus nous exhorte-t-il à prier, mais en quels termes ? « Demandez et l'on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira » (Lc 1 l, 9). Il lui aurait suffi de dire : «
Demandez ». A quoi bon ajouter « cherchez » et «frappez » ? Mais ces mots ne sont pas superflus ; le Rédempteur a voulu nous apprendre par là que nous devons imiter les pauvres qui vont mendier : s'ils ne reçoivent pas d'aumône et sont renvoyés, ils ne se découragent pas et reviennent à la charge. Si le maître de maison ne se montre plus, ils se mettent à frapper aux portes jusqu'à en devenir très importuns et ennuyeux. Dieu veut que nous fassions de même : que nous priions, que nous recommencions à prier, que nous ne cessions jamais de lui demander de nous assister, de nous secourir, de nous donner lumière et
force, et de ne permettre jamais que nous perdions sa grâce. Le savant Lessius affirme : Si quelqu'un est en état de péché ou en danger de mort et qu'il ne prie pas, il commet une faute grave, de même que celui qui omet de prier pendant une période importante c'est-à-dire, d'après lui, pendant un ou
deux mois, mais ceci est vrai en dehors du moment de la tentation. En effet, lorsqu'on est assailli par quelque dangereuse tentation, on pèche gravement,
sans aucun doute, si l'on ne demande pas à Dieu la force d'y résister ; car on s'expose au danger prochain et même certain d'y succomber.
Mais, objectera quelqu'un : Puisque le Seigneur peut et veut me donner la sainte Persévérance, pourquoi ne me l'accorde-t-il pas une fois pour toutes,
quand je la lui demande ? Les Saints Pères énumèrent de nombreuses raisons. Dieu ne la concëde pas une fois pour toutes et il la diffère, d'abord pour mieux éprouver notre confiance. Ensuite, dit saint Augustin, pour nous la faire désirer plus ardemment. Le saint écrit : Les grandes grâces doivent faire l'objet d'un grand désir. Les biens que l'on obtient sitôt demandés sont moins appréciés que ceux longtemps désirés : « Dieu ne veut pas donner
aussitôt, afin que tu apprennes à désirer très fort les grands dons ; ce qui est longtemps désiré est reçu avec d'autant plus de joie ; ce qui est vite accordé
perd de son prix ». Il le fait également pour que nous ne l'oublions pas. Si nous étions déjà sûrs de notre Persévérance et de notre salut, si nous n'avions pas continuellement besoin de lui pour garder sa grâce et faire notre salut, nous oublierions facilement Dieu. Le besoin amène les pauvres à fréquenter les maisons des riches. Pour nous attirer à lui, dit saint Jean
Chrysostome, pour nous voir souvent à ses pieds et pour mieux nous combler, le Seigneur diffère jusqu'au moment de notre mort le don de la grâce plénière du salut : « S'il diffère, ce n'est nullement qu'il refuse nos prières mais il veut ainsi nous rendre diligents et nous attirer à lui ».
Et puis, au fur et à mesure que nous continuons à prier, nous nous attachons davantage à lui par les doux liens de l'amour : « La prière, ajoute saint Jean Chrysostome, n'est pas un mince lien d'amour avec Dieu : elle nous habitue à dialoguer avec lui ». Ce continuel recours à Dieu par la prière, cette attente confiante de ses grâces, quel feu ardent ! quel solide lien d'amour ! bien capables d'enflammer notre coeur et de nous attacher plus étroitement à Dieu ! Mais jusqu'à quand doit-on prier ? Toujours, répond ce
même saint, jusqu' à ce que nous recevions la sentence favorable du salut éternel, c'est-à-dire jusqu'à la mort : « Ne t'arrête pas, continue-t-il, tant que tu n'as pas reçu ! ». Et il ajoute : Celui qui se dit : je ne cesserai pas de prier, tant que je ne serai pas sauvé, celui-là est sûr de son salut : « Si tu dis : je ne me retirerai pas avant d'avoir reçu, tu recevras certainement ». L'Apôtre Paul écrit : Beaucoup courent après la récompense mais un seul la reçoit, celui qui réussit à la saisir : « Ne savez-vous pas que, dans les courses du stade, tous
courent mais un seul obtient le prix ? Courez donc de manière à le remporter ! » (I Co 9, 24). Il ne suffit donc pas de prier pour faire son salut ; il faut prier inlassablement jusqu'à ce que nous recevions la couronne que Dieu a promise mais uniquement à ceux qui sont fidèles à le prier jusqu'à la fin. Si nous voulons faire notre salut, nous devons imiter le roi David qui tenait toujours les yeux tournés vers le Seigneur : « Mes yeux sont fixés sur Yahvé, car il tire mes pieds du filet » (Ps 25(24), 15). Le démon nous tend continuellement des pièges pour nous dévorer, comme l'écrit saint Pierre : « Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer". ( 1Pi. 5, 8)
Nous devons donc rester continuellement les armes à la main, pour nous défendre contre cet ennemi, et pour dire avec le Prophète-Roi : « Je poursuis
mes ennemis et les atteins, je ne reviens pas qu'ils ne soient achevés » (Ps 18( 17), 38). Je ne m'arrêterai pas de combattre tant que je ne verrai pas mes ennemis vaincus. Mais comment remporter cette victoire si importante et si difficile ? « Par des prières très persévérantes » nous répond saint
Augustin, uniquement par des prières mais très persévérantes. Et jusqu'à quand ? tant que durera le combat. « De même que le combat ne cesse
jamais, dit saint Bonaventure, ainsi ne cessons jamais d'implorer miséricorde ». Nous devons continuellement lutter. Nous devons donc demander continuellement à Dieu son secours pour ne pas être vaincus.
Malheur, dit le Sage, à ceux qui dans ce combat cessent de prier. « Malheur à ceux qui ont perdu la patience » (Si 2, 14). L'Apôtre Paul nous en avertit :
nous ne ferons notre salut qu' à cette condition : « Pourvu que nous gardions l'assurance et la joyeuse fierté de l'espérance » (He 3, 6). C'est-à-dire si nous sommes fidèles à prier avec confiance jusqu'à la mort.
Encouragés par la miséricorde de Dieu et par ses promesses, disons donc avec l'Apôtre Paul : « Qui nous séparera de l'amour du Christ, la tribulation,
l'angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ? » (Rm 8, 35). Oui, qui pourra nous séparer de l'amour de Jésus Christ ? Peut-être la
tribulation ? le danger de perdre les biens de cette terre ? les persécutions des démons ou des hommes ? Les tortures des tyrans ? « Mais en tout cela,
nous encourage saint Paul, hous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés » (Rm 8, 37). Aucune tribulation, disait-il, aucune angoisse, aucun danger, aucune persécution ou torture, ne pourra jamais nous séparer de l'amour de Jésus Christ. Nous triompherons de tout avec l'aide de Dieu et en combattant pour ce Seigneur qui a donné sa vie pour
nous. Le Père Ippolito Durazzo avait décidé de quitter la prélature romaine et de se consacrer tout entier à Dieu pour entrer dans la Compagnie de Jésus. Il craignait d'être infidèle à cause de sa faiblesse : « Ne m'abandonnez pas Seigneur, disait-il, maintenant que je me suis donné tout à vous ; par
pitié ne m'abandonnez pas ! Mais il entendit Dieu lui dire au fond du coeur : « C'est bien plutôt toi qui ne dois pas m'abandonner ». Oui, lui disait le Seigneur, c'est bien plutôt à toi de ne pas m'abandonner ! Confiant en la bonté de Dieu et en sa grâce, le Serviteur de Dieu finit par dire : « Vous ne
m'abandonnerez donc pas. Eh bien, moi non plus je ne vous abandonnerai pas ! ».
En conclusion, si nous ne voulons pas que Dieu nous abandonne, prions-le inlassablement de ne pas nous abandonner ! Il est certain qu'il nous assistera
toujours. Il ne permettra jamais que nous le perdions et que nous nous séparions de son amour. Efforçons-nous donc de demander sans cesse la
Persévérance finale et les grâces nécessaires pour cela. Demandons toujours en même temps la grâce d'être fidèle à prier. C'est là précisément la grande
faveur qu'il a promise à ses élus par la bouche du Prophète : « Je répandrai sur la maison de David et sur l'habitant de Jérusalem un esprit de grâce et de
supplication » (Za 12, 10). Oh ! que l'esprit de prière est une grande grâce ! Quelle grâce que celle de prier sans cesse. Demandons inlassablement cet
esprit de prière ! Soyons sûrs que, si nous prions sans cesse, nous obtiendrons certainement la Persévérance et toutes les autres grâces que
nous désirons : le Seigneur ne peut être infidèle à sa promesse d'exaucer ceux qui le prient. « C'est en espérance que nous sommes sauvés » (Rm 8, 24). Avec cette espérance de toujours prier, nous pouvons être sûrs de notre salut : « La confiance nous assurera une large entrée dans cette Sainte Cité ». Cette espérance, disait le Vénérable Bède, nous garantira certainement l'entrée dans la Cité de Dieu.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
DEUXIÈME PARTIE
Nous avons donc solidement établi, dans le chapitre premier de la Première Partie, la nécessité où nous sommes tous de prier pour faire notre salut.
Nous devons considérer aussi comme certain que chacun reçoit de Dieu la grâce de prier actuellement, effectivement et concrètement, sans avoir besoin pour cela d'une autre grâce particulière. Nous obtenons ainsi toutes les autres grâces nécessaires pour pratiquer les commandements et acquérir
la vie éternelle. Si quelqu'un se perd, il ne peut pas prétexter qu'il a manqué des secours nécessaires. Dans l'ordre naturel, Dieu a fixé que l'homme
naîtrait nu et qu'il lui faudrait un certain nombre de choses pour vivre. Il lui a donné des mains et une intelligence, grâce auxquelles il peut arriver à se
vêtir et à pourvoir à ses autres besoins. De même, dans l'ordre surnaturel, nous sommes incapables d'obtenir par nos seules forces le salut éternel mais
le Seigneur, dans sa bonté, accorde à chacun la grâce de la prière. Nous pouvons ensuite demander toutes les grâces nécessaires pour pratiquer les
commandements et faire notre salut.
CHAPITRE I Haut
PRÉLIMINAIRE I: DIEU VEUT LE SALUT DE TOUS.
A CAUSE DE CELA, JÉSUS CHRIST EST MORT POUR LES SAUVER TOUS.
Dieu aime tout ce qu'il a créé : « Tu aimes, en effet, tout ce qui existe et tu n'as de dégoût pour rien de ce que tu as fait » (Sg 11, 24). L'amour ne peut
pas rester à ne rien faire : « Tout amour a sa force, dit saint Augustin, il ne peut rester inactif ». L'amour implique nécessairement la bienveillance et celui qui aime ne peut s'empêcher de faire du bien à la personne aimée, chaque fois qu'il le peut : « Quand on aime, on s'efforce de faire pour la personne aimée ce que l'on croit bon pour elle », a écrit Aristotez. Si donc Dieu aime tous les hommes, il veut que tous obtiennent le salut éternel, qui est l'unique et suprême bien de l'homme, l'unique fin pour laquelle il les a créés : « Vous avez pour fruit la sainteté et pour fin la vie éternelle » (Rm 6, 22).
Dieu veut le salut de tous les hommes et Jésus Christ est mort pour le salut de tous : c'est là la doctrine certaine et universelle de l'Eglise. Les
théologiens, Petau, Gonet, Gotti, etc. l'affirment communément. Tournely ajoute même que c'est une doctrine très proche de la foi, « proxima fidei ».
C'est donc avec raison que furent condamnés les Prédestinatiens. Ceux-ci prétendaient, entre autres erreurs, comme on peut le voir chez Noris, Petau,
et plus en détail encore chez Tournely, que Dieu ne veut pas le salut de tous les hommes. Hincmar, archevêque de Reims, l'affirme clairement dans sa
lettre à Nicolas ler : « Les anciens Prédestinatiens ont soutenu que Dieu ne veut pas le salut de tous les hommes mais uniquement celui de ceux qui
sont sauvés ». Ils furent condamnés d'abord par le Concile d'Arles, en 475 : « Si quelqu'un dit que le Christ n'est pas mort pour tous les hommes et qu'il ne veut pas que tous les hommes soient sauvés, qu'il soit anathème ! ». Au Concile de Lyon, en 495, Lucidus fut contraint de se rétracter et de déclarer:
« Je condamne tous ceux qui disent que le Christ n'est pas mort pour le salut de tous ». Gotescalc, qui reprit la même erreur au 9e siècle, fut condamné par le Concile de Quiersy. L'article 3 déclarait : « Dieu veut que tous les hommes sans exception soient sauvés, même si tous ne le sont pas effectivement ».
Et l' article 4 : « II n' est personne pour qui le Christ n' ait pas souffert, même si tous ne sont pas rachetés effectivement par son sacrifice ». Enfin, cette même erreur fut condamnée dans la 12e et 30e proposition de Quesnel. Il est dit dans la 12e : « Quand Dieu veut sauver une âme, sa volonté est suivie infailliblement d'effet ». Et dans la 30e : « Tous ceux que Dieu veut sauver par le Christ sont infailliblement sauvés ». Ces propositions furent
condamnées à juste titre, parce qu'elles signifiaient que Dieu ne veut pas le salut de tous. En disant « ceux que Dieu veut sauver le sont infailliblement
», on soutenait indirectement que Dieu ne veut pas le salut de tous les fidèles et encore moins celui de tous les hommes.
Le Concile de Trente, session 6, chapitre 2, a clairement défini cette doctrine. Jésus est mort, y est-il dit, « afin que tous reçoivent le titre de fils
adoptifs de Dieu ». Et au chapitre 3 : « Bien qu'il soit mort pour tous, il est vrai que tous ne reçoivent pourtant pas le bénéfice de sa mort ». Le Concile
tient donc pour certain que le Rédempteur n'est pas mort pour les seuls Élus mais aussi pour tous ceux qui, par leur propre faute, ne profitent pas du
bienfait de la Rédemption. On ne peut dire que le Concile a uniquement voulu affirmer que Jésus Christ a payé un prix suffisant pour le salut de tous. En effet, l'expression employée pourrait alors vouloir dire qu'il est mort aussi pour les démons. D'ailleurs, le Concile de Trente a voulu condamner ici l'erreur des Novateurs. Ceux-ci ne niaient pas que le sang de
Jésus fût suffisant pour sauver tous les hommes mais ils disaient qu'en fait il n'avait pas été répandu et donné pour tous. Le Concile a condamné cette
erreur en affirmant que le Sauveur est mort pour tous. Il dit en outre, au chapitre 6: C'est par leur espérance en Dieu, basée sur les mérites de Jésus
Christ, que les pécheurs se préparent à la justification : « Ce qui les porte à l'espérance, c'est qu'ils ont confiance que Dieu leur sera favorable à cause du Christ ». Or, si Jésus Christ n'avait pas appliqué à tous les hommes les mérites de sa Passion, personne ne pourrait être certain, sans une révélation particulière, d'être du nombre de ces heureux élus. Aucun pécheur ne pourrait nourrir cette espérance car il n'aurait pas de preuve sûre et certaine, indispensable pourtant à l'espérance, que Dieu veut sauver tous les hommes et pardonner, en vertu de ses mérites, à tous les pécheurs bien disposés. Outre l'erreur déjà condamnée de Baïuslz: « Jésus Christ n'est mort que pour les élus », la condamnation vise aussi la 5e proposition de Jansénius : « Il est semipélagien de dire que le Christ est mort ou a versé son sang absolument pour tous les hommes ». Dans sa Constitution de 1653,
Innocent X a déclaré expressément : c'est une impiété et une hérésie de dire que le Christ n'est mort que pour les seuls Élus. Par ailleurs, les Saintes
Écritures et tous les Saints Pères nous assurent que Dieu veut sincèrement et vraiment le salut de tous les hommes et la conversion de tous les pécheurs, tant qu' ils vivent sur cette terre. Nous avons tout d'abord le texte très clair de saint Paul : « Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » ( 1 Tm 2, 4). La phrase de l' Apôtre est absolue et péremptoire. Au sens propre, ces mots indiquent que
Dieu veut vraiment le salut de tous. C'est une règle certaine, universellement admise, que les paroles de la Sainte Écriture ne sont pas à prendre au sens
figuré, sinon lorsque le sens littéral est contraire à la foi et aux bonnes moeurs. Saint Bonaventure parle absolument dans le même sens : « Lorsque l'Apôtre affirme que Dieu veut le salut de tous, nous devons
admettre qu'il le veut ». Saint Augustin et saint Thomas rapportent, il est vrai, différentes interprétations données par certains à ce texte, mais ils l'ont entendu tous les deux dans le même sens : Dieu a vraiment la volonté de sauver tous les hommes sans exception. Nous verrons plus loin quelle était la pensée exacte de saint Augustin. Saint Prosper rejette comme injurieuse pour le saint Docteur la prétention que celui-ci ait pu supposer un seul instant que le Seigneur ne veut pas sincèrement sauver tous les hommes et chacun en particulier. Ce saint Prosper, qui fut son très fidèle disciple, a pu
écrire : « On doit croire très sincèrement et professer que Dieu veut le salut de tous. Aussi l'Apôtre Paul, dont c'est bien l'opinion, recommande-t-il avec
soin de prier Dieu pour tous ». Son argument est clair, car saint Paul commence par dire : « Je vous demande donc à tous de faire des supplications pour tous les hommes ». Et il ajoute : « C'est, en effet, une chose bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés ». Si l'Apôtre exige que l'on prie pour tous, c'est que
Dieu veut le salut de tous.
Saint Jean Chrysostome emploie le même argument : « S' il veut le salut de tous, il faut à juste titre prier pour tous. S'il désire lui-même que tous soient
sauvés, sois d'accord, toi aussi, avec ce qu'il veut ». Il semble que, dans sa discussion avec les semi-Pélagiens, Saint Augustin ait donné quelque part
une interprétation différente du texte de saint Paul. Il aurait dit que Dieu ne veut pas le salut de chaque homme mais uniquement d'un certain nombre.
Mais le savant Petau a bien fait remarquer ceci : Le saint ne parlait qu'incidemment et non explicitement de cette question, ou bien il entendait parler de la volonté absolue et victorieuse de Dieu, selon laquelle Dieu veut de façon absolue le salut de certains. Le saint a dit, en effet : « La volonté du Tout Puissant est toujours victorieuse ». Voyons par ailleurs comment saint Thomas concilie la pensée de saint Augustin avec celle de saint Jean Damascène. Ce dernier soutient que Dieu veut, d'une volonté antécédente, le salut de tous et de chacun : « Parce qu'il est bon, Dieu veut d'abord le salut de tous pour nous rendre participants de sa bonté ; mais, parce qu'il est juste, il veut que les pécheurs soient punis ». Il semble que saint Augustin
exprime quelque part un avis différent, comme nous l'avons dit. Mais saint Thomas concilie les deux opinions : Saint Jean Damascène parlait de la
volonté antécédente de Dieu, selon laquelle il veut vraiment le salut de tous, tandis que saint Augustin parlait de la volonté conséquente. Saint Thomas
explique ensuite ce qu'est cette volonté antécédente et conséquente de Dieu : « La volonté antécédente est celle par laquelle Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Mais, après examen de toutes les circonstances particulières à chacun, on ne trouve pas normal que tous soient
effectivement sauvés. Il est normal, en effet, que celui qui se prépare au salut et qui le veut, soit sauvé, mais pas celui qui refuse et résiste...etc... Il s'
agit de la volonté conséquente parce qu'elle suppose une connaissance préalable des oeuvres, non comme cause de la volonté mais comme raison de ce qui est voulu ».
Aussi le Docteur Angélique est-il du même avis : Dieu veut vraiment le salut de tous et de chacun. Et il le confirme en plusieurs autres endroits. A propos
du texte : « Je ne chasserai pas celui qui vient à moi », il s'appuie sur l'autorité de saint Jean Chrysostome et fait dire au Seigneur : « Si je me suis incarné pour le salut des hommes, comment puis-je les rejeter ? Je ne les rejette donc pas puisque je suis descendu du ciel pour faire la volonté de Dieu qui veut le salut de tous ». Il assure ailleurs : « Dans sa volonté très
généreuse, Dieu donne sa grâce à tous ceux qui s'y préparent. Il veut le salut de tous ( 1 Tm 2, 4). La grâce de Dieu ne fait donc défaut à personne mais,
de par sa nature, elle se communique à tous ». Il le déclare encore plus expressément dans son commentaire du texte même de saint Paul : « Lui
qui veut que tous les hommes soient sauvés » : « Le salut de tous les hommes, considéré en soi, trouve en Dieu sa raison, en tant qu'objet de sa volonté, et cette volonté est dite antécédente ; mais, après avoir considéré le bien de la justice et la nécessité de punir les péchés, il ne veut pas qu'il en soit ainsi, et cette volonté est dite conséquente ». On voit que le Docteur Angélique continue d'exprimer de la même façon ce qu'il entend par volonté antécédente et conséquente. Il confirme ici ce qu'il disait dans les Sentences, comme nous l'avons rapporté un peu plus haut. Il y ajoute seulement une comparaison, celle du négociant. Celui-ci veut, d'une volonté antécédente, sauver toutes ses marchandises, mais, quand survient la tempête, pour pouvoir sauver sa vie, il renonce aux marchandises. Ainsi continue, le saint, considérant la méchanceté de certains, Dieu veut qu'ils soient punis pour la satisfaction de sa justice et en conséquence il ne veut pas qu'ils soient
sauvés ; mais, en soi, d'une volonté antécédente et vraie, il continue de vouloir le salut de tous. Comme il l'a dit précédemment ailleurs, la volonté de Dieu de sauver tous les hommes est absolue de sa part ; elle n'est conditionnelle que du côté de l'objet voulu : il faut que l'homme veuille correspondre comme l'exige l'ordre établi pour obtenir le salut : « Il n' y a
cependant pas d'imperfection du côté de la volonté de Dieu mais uniquement du côté de l'objet voulu qui n'est pas reçu avec toutes les circonstances et conditions exigées par le bon ordre en vue du salut ». Et, à la question 19 (article 6 ad I), le Docteur Angélique explique de nouveau et plus clairement ce qu'il entend par volonté antécédente et conséquente : « Le juge veut, d'une volonté antécédente, que tous les hommes vivent, mais il veut, d'une volonté conséquente, que l'homicide soit pendu. De même,
Dieu veut, d'une volonté antécédente, que tous les hommes soient sauvés mais il veut, d'une volonté conséquente, selon l'exigence de sa justice, que
certains soient damnés ».
Je n'entends pas réfuter ici l'opinion qui soutient la prédestination à la gloire avant la prévision des mérites. Je dis seulement ceci. Dieu en aurait-il élu
certains pour la vie éternelle et exclu d'autres, sans aucun égard pour leurs mérites ? Je n'arrive pas à comprendre comment les partisans de cette
opinion peuvent ensuite soutenir que Dieu veut le salut de tous. Peut-être veulent-ils dire qu'il ne s'agit pas d'une volonté hypothétique et métaphorique ? Je ne comprends pas, dis je, que l'on puisse affirmer que
Dieu veut le salut de tous et la participation de tous à la Gloire, alors qu'il en aurait déjà exclu la majeure partie, antérieurement à tout démérite de leur
part. Petau soutient l'opinion contraire : Pourquoi Dieu aurait-il donné à tous les hommes le désir de la Béatitude éternelle si, avant tout démérite de leur
part, il en avait déjà exclu la plupart ? À quoi bon Jésus Christ serait-il venu sauver tous les hommes par sa mort, si une foule de malheureux en étaient
privés d'avance par Dieu ? À quoi bon leur donner les moyens si d'avance ils étaient empêchés d'atteindre le but ? Ce même Petau fait ici une réflexion très importante : S'il en était ainsi, ne pourrions-nous pas dire : Après avoir aimé tout ce qu'il avait fait et après avoir créé ensuite les hommes, Dieu n'aurait-il donc pas aimé tous ceux-ci ? Il les aurait, au contraire, pour la plupart, souverainement haïs en les excluant de la Gloire pour laquelle pourtant il les avait créés ! Il est certain que le bonheur de la créature consiste à atteindre la fin pour laquelle elle a été créée. Il est certain, par ailleurs, que Dieu crée tous les hommes pour la vie éternelle. Or, si Dieu
avait créé certains hommes pour la vie éternelle et les en avait ensuite exclus, indépendamment de leurs fautes, ne les aurait-il pas haïs sans raison au moment où il les créait ? Il leur aurait ainsi causé le plus grand tort possible, celui d'être exclus de leur propre fin c'est-à-dire de la Gloire pour laquelle ils ont été créés. « Il ne peut pas y avoir de milieu, en effet, je résume ce que dit Petau - entre l'amour et la haine de Dieu à l'égard de ses créatures, surtout à l'égard des hommes : ou il les aime pour la vie éternelle ou il les hait pour la damnation. Mais le plus grand malheur est d'être séparé de Dieu et réprouvé. Si donc Dieu veut la mort éternelle d'une âme, c'est
qu'il ne l'aime pas mais qu'il la haït de la haine la plus grande qui puisse exister en cet ordre qui surpasse l'ordre naturel ». En parlant de mort éternelle, l'Auteur n'entend pas la damnation positive à laquelle Dieu destine quelqu'un, mais l'exclusion de la Gloire. Mais, dit Tertullien, à quoi cela nous servirait-il effectivement que Dieu ne nous ait pas créés pour l'Enfer si en nous créant il nous avait rayés du nombre des Elus ? Être retranché du nombre des Élus implique nécessairement la perte du salut et la damnation : pas de milieu entre les deux ! Tertullien écrit : « Quel sera donc le sort des exclus, sinon la perte du salut ? » Petau conclut donc : « Si Dieu aime tous les hommes indépendamment de leurs mérites, il ne hait pas leurs âmes ; il ne veut donc pas pour eux le malheur suprême ». Si donc Dieu aime tous les hommes, comme il est certain, nous devons croire qu'il veut le salut de tous et qu'il n'a jamais haï quelqu'un au point de vouloir pour lui ce grand malheur : l'exclusion de la Gloire avant même toute prévision de ses mérites !
Je dis et continue de répéter que je n'arrive pas à le comprendre. La question de la prédestination est un mystère si profond qu'il fait dire à l'Apôtre Paul :
« O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui, en effet, a
jamais connu la pensée de Dieu ? » (Rm 11, 33). Nous devons nous soumettre à la volonté de Dieu qui a voulu laisser l'Eglise dans l'obscurité à ce sujet, afin que nous nous humilions tous sous les hautes décisions de sa divine providence. C'est d'autant plus vrai que la grâce qui seule permet aux hommes d'acquérir la vie éternelle, Dieu nous la donne sans aucun doute, avec plus ou moins d'abondance, tout à fait gratuitement et sans tenir compte de nos mérites. Pour faire notre salut, il sera donc toujours
nécessaire de nous jeter dans les bras de sa divine Miséricorde pour que le Seigneur nous aide par sa grâce et de mettre toujours notre confiance dans
ses infaillibles promesses d'exaucer et de sauver ceux qui le prient.
Mais revenons à notre problème, à savoir que Dieu veut sincèrement le salut de tous. Voyons les autres textes qui prouvent cette vérité. Le Seigneur
nous dit par Ezéchiel : « Je suis vivant, oracle du Seigneur. Je ne prends point plaisir à la mort du méchant mais bien plutôt à ce qu'il se détourne de
sa voie et qu'il vive » (Ez 33, 11). Non seulement il ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il vive ! Comme le fait observer Tertullien, il en fait le
serment pour que l'on croie plus facilement à sa parole : « Allant même jusqu'à faire serment : Je suis le Dieu vivant ; il souhaite qu'on le croie ».
David dit également : « Le châtiment provient de son indignation et la vie de sa bienveillance » (Ps 30 (29), 6). S'il nous châtie, c'est que nos péchés
provoquent sa colère ; mais ce qu'il veut, ce n'est pas notre mort mais notre vie : « Ce qu'il y a dans sa volonté, c'est la vie ». Saint Basile commente ainsi
ce texte : « Que dit-il donc ? Sans aucun doute que Dieu veut nous faire participer tous à la vie ». David dit encore : « Notre Dieu est un Dieu de délivrance. Yahvé le Seigneur peut retirer de la mort » (Ps 68 (67), 21).
Bellarmin fait ce commentaire : « La caractéristique et la nature de notre Dieu, c'est d'être un Dieu Sauveur ; les portes de sortie de la mort lui
appartiennent ; c'est lui qui délivre de la mort ». Le propre et la nature de Dieu est de sauver tous les hommes et de les délivrer tous de la mort éternelle. Le Seigneur dit également : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28). S'il appelle tous les hommes au salut, c'est qu'il veut les sauver tous. Saint Pierre affirme : « Il use de patience envers tous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir » (2 P 3, 9). Il ne veut la damnation de personne mais que tous fassent pénitence et que par elle ils fassent leur salut. Le Seigneur dit encore : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe... Si
quelqu'un ouvre la porte, j'entrerai » (Ap 3, 20) : « Pourquoi mourir, maison d'Israël ? Cohvertissezvous et vivez! » (Ez 18, 31) « Que pouvais-je encore
faire pour ma vigne que je n'aie fait ? » (Is 5, 4). « Que de fois ai je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins
sous ses ailes...et tu n'as pas voulu ! » (Mt 23, 37) Comment le Seigneur pourrait-il dire qu'il frappe à la porte de nos coeurs de pécheurs ? Comment
pourrait-il tant nous exhorter à retourner dans ses bras ? Comment pourrait-il nous demander, avec des accents de reproche, ce qu'il aurait pu faire de plus pour nous sauver ? Comment pourrait-il dire qu'il a voulu nous accueillir comme des fils, s'il n'avait pas une vraie volonté de nous sauver tous ? Jésus, voyant de loin Jérusalem, nous rapporte saint Luc, et pensant à la perte de ce peuple à cause de ses péchés, « pleura sur elle » (Lc 19, 41). Pourquoi, demande Théophylacte, avec saint Jean Chrysostome, pourquoi le Seigneur pleura-t-il en voyant la ruine qui menaçait les Hébreux, sinon
parce qu'il désirait vraiment leur salut ?. Après tant de témoignages que donne le Seigneur pour manifester sa volonté de voir tous les hommes
parvenir au salut, comment peut-on dire que Dieu ne veut pas le salut de tous ? Petau reprend : « Peut-on mettre en doute ces textes de l'Écriture où
Dieu affirme sa volonté par des expressions célèbres et répétées, par des larmes et même par un serment ? Comment les interpréter en sens contraire,
comme si Dieu, à part quelques-uns, n' avait pas eu le désir de sauver les hommes et avait décidé de perdre tout le genre humain ? Ne serait-ce pas
une injure et une dérision vis-à-vis de vérités de foi si clairement définies ? Dire que Dieu ne veut pas vrairnent le salut de tous, dit ce grand Théologien,
c'est une injure et une moquerie à l'égard des décrets les plus clairs de la foi. Et le Cardinal Sfondrati ajoute : « Je nesais vraiment pas si ceux qui pensent autrement ne font pas du vrai Dieu un personnage de théâtre : certains acteurs ne font-ils pas semblant d'être rois, alors qu'ils n'ont rien d'un vrai roi ? ».
Cette vérité que Dieu veut le salut de tous les hommes est confirmée communément par les Saints Pères. Tous les Pères grecs ont été unanimes à
affirmer que Dieu veut le salut de tous et de chacun : Saint Justin, saint Basile, saint Grégoire, saint Cyrille, saint Méthode, saint Jean Chrysostome,
tous cités par Petau. Mais voyons ce que disent les Pères latins : Saint Jérôme : « Dieu veut sauver tous les hommes mais personne n'est sauvé
sans le vouloir personnellement. Il désire que nous voulions le bien, et lorsque nous l'aurons voulu, il réalisera en nous son dessein ». Et ailleurs : « Dieu a donc voulu sauver tous ceux qui le désireraient. Il les a appelés au salut afin que leur volonté fût récompensée mais ils ne voulurent pas croire». Saint Hilaire : « Dieu voudrait que tous les hommes soient sauvés, non seulement ceux qui feront effectivement partie du nombre des Saints, mais absolument tous sans exception ». Saint Paulin : « Le Christ dit à tous : « Venez à moi...etc... En effet, lui qui les a créés tous veut, pour autant qu'il dépend de lui, le salut de tous ». Aucun impie n'est exclu, dit saint Ambroise, pas même le traître Judas ! « Il a voulu montrer ce qu'il désire même pour les impies ; il n' a exclu personne, pas même celui qui le trahirait ; tous peuvent ainsi se rendre compte que, même lorsqu'il a choisi Judas, il avait bien l'intention de les sauver tous... il a fait voir à tous quel était le projet de Dieu, celui de les délivrer tous ». L'auteur des
« Commentaires de Saint Ambroise » - peut-être le diacre Hilaire, selon Petau - se pose une question à propos du texte de saint Paul « celui qui veut le salut de tous » : Puisque Dieu veut le salut de tous et qu'il est tout-puissant, pourquoi y en a-t-il tant à ne pas être sauvés ? Et il répond : « Il veut le salut de tous, à condition qu'ils le veuillent eux-mêmes. En effet, celui qui a fait la loi n'a exclu personne du salut... mais le remède est sans effet chez ceux qui n'en
veulent pas ! » Le Seigneur, continue-til, n' a donc exclu personne de la Gloire : il donne à tous la grâce du salut, à condition qu'ils veuillent bien y correspondre, et sa grâce ne profite pas à ceux qui la refusent. Saint Jean Chrysostome demande pareillement : « Pourquoi donc ne sont-ils pas tous
sauvés, si Dieu veut vraiment le salut de tous ? » Et il répond : « Parce que la volonté de tous n'est pas en harmonie avec la sienne ; or, il ne force personne ». Saint Augustin : « Dieu veut le salut de tous, mais pas au point de leur enlever le libre arbitre ». Saint Augustin exprime la même idée en plusieurs autres textes que nous allons citer bientôt. Que Jésus Christ soit mort pour tous et pour chacun est également très clair dans les Saintes Écritures et dans les textes des Pères. Grande fut certainement la misère causée à tout le genre humain par le péché d'Adam, mais Jésus Christ en a réparé par la Rédemption tous les dommages et préjudices. C'est pourquoi le Concile de Trente a déclaré que le baptême rend les âmes pures et immaculées. L'attirance du mal ou concupiscence qui reste en elles ne subsiste pas pour leur perte mais pour leur faire acquérir une couronne d'autant plus belle qu'ils y
résisteront : « Dans les baptisés il n'est rien que Dieu haïsse... ils sont devenus innocents, immaculés, purs et aimés de Dieu. Ce Saint Synode reconnaît cependant et croit que la concupiscence ou attirance du mal subsiste en eux. Puisqu'elle n'est là qu'en vue de la lutte à mener, elle ne peut nuire à ceux qui n'y cèdent pas. Bien plus, celui qui aura combattu dans les règles sera couronné ! ». Et saint Léon ajoute : « Nous avons reçu davantage par la grâce ineffable du Christ que nous n'avions perdu par la haine du diable ». Le gain que nous avons fait par la Rédemption du Christ a été bien plus grand que le dommage subi par le péché d'Adam. L'Apôtre Paul l'affirme : « Mais il n'en va pas du don comme de la faute... Où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 15 et 20). Notre Sauveur l'a
déclaré lui-même : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jn 10, 10). David et Isaïe l'avaient déjà annoncé. David : « Près de Yahvé est la grâce ; près de lui, l'abondance du rachat » (Ps 130 (129), 7). Et Isaïe : « Elle a reçu de la main de Yahvé le double pour tous ses péchés » (Is 40, 2). Cornelius a Lapide commente ainsi ce texte : « Dieu a enlevé par le Christ les iniquités de l'Eglise. Au lieu des peines qu'elle méritait pour ses péchés, elle a reçu doubles biens ».
Les Saintes Ecritures nous affirment, comme je l'ai dit, que notre Sauveur est mort pour tous et qu'il a offert au Père éternel le prix de la Rédemption :
« Car le Fils de l'homme est venu sauver ce qui était perdu » (Mt 18, 11). « Il s'est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 6). « Il est mort pour tous afin que
les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). « Si, en effet, nous peinons et combattons, c'est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, principalement des croyants » ( 1 Tm 4, 10).
« C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, pas seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier » ( 1 Jn 2, 2). « Car l'amour
du Christ nous presse, à la pensée que si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts » (2 Co 5, 14). Je ne parle que de ce dernier texte. Comment, du fait que Jésus Christ est mort pour tous, l'Apôtre pourrait-il déduire que tous sont morts, s'il ne tenait pas pour certain que Jésus Christ est vraiment mort pour tous ? D'autant plus que saint Paul en conclut
également que cette vérité doit allumer l'amour en nos coeurs. Mais ce qui explique surtout le désir et la volonté de Dieu de sauver tous les hommes,
c'est ce qu'ajoute l'Apôtre Paul : « Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous » (Rm 8, 32). Ce qui suit a encore plus de force
: « Comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? » Si Dieu nous a tout donné, comment pouvons-nous craindre qu'il nous ait refusé l'élection à la Gloire, alors que nous correspondons à sa grâce? S'il nous a donné le Fils, dit le savant Cardinal Sfondrati, comment nous refusera-t-il la grâce du salut ? « Comme saint Paul nous le montre savamment, Dieu nous assure qu'il ne nous refusera pas le moins après nous avoir donné le plus : celui qui a donné son Fils pour notre salut ne nous refusera pas la grâce du salut ». Oui, comment saint Paul pouvait-il dire qu'en nous donnant son Fils
Dieu nous a tout donné, s'il avait cru que le Seigneur en a exclu un grand nombre de la Gloire qui est l'unique bien et l'unique fin pour lesquels il nous
a créés ? Le Seigneur aurait donc tout donné à ce grand nombre et ensuite il lui aurait refusé le meilleur, la Béatitude éternelle ? Sans celle-ci, puisqu'il
n'y a pas de milieu, ils ne pourraient être qu'éternellement malheureux. Oserions-nous dire quelque chose de plus absurde encore, comme le fait
remarquer un autre savant auteur : « Dieu donnerait à tous la grâce de parvenir à la Gloire mais il refuserait ensuite à beaucoup la possibilité d'aller
en jouir : il donnerait le moyen mais refuserait la fin ».
Tous les Saints Pères sont d'accord pour dire que Jésus Christ est mort pour obtenir à tous le salut éternel. Saint Jérôme : « Le Christ est mort pour tous : lui seul fut trouvé digne d'être offert en sacrifice pour tous ceux qui étaient morts dans le péché ». Saint Ambroise : « Le Christ est venu pour guérir nos blessures mais tous ne demandent pas le remède ; il guérit les volontaires et ne force pas les récalcitrants ». Il dit ailleurs : « Il a offert à tous la possibilité de guérir. Ceux qui périssent ne doivent attribuer qu' à eux-mêmes la cause de leur mort : ils n'ont pas voulu se soigner, alors qu'ils avaient le remède ! La miséricorde du Christ s'étend manifestement à tous : il veut le salut de tous les hommes ! ». Il s'exprime encore plus clairement dans un autre texte : « Jésus n' a pas rédigé son testament pour un seul ni pour un petit nombre
mais pour tous. Nous avons tous été constitués ses héritiers. Son testament est pour tous. Tous y ont droit. C'est l'héritage de tous et la propriété de
chacun ». Notons ces mots : « Nous avons tous été consti et tués ses héritiers » : Le Rédempteur a fait de nous tous par testament les héritiers de
son ciel. Saint Léon : « Notre Seigneur n'ayant trouvé aucun homme qui fût libre de la condamnation, est venu les délivrer tous ». Saint Augustin commente les paroles de saint Jean : « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui »
(Jn 3, 17). « Comme c'est le rôle d'un médecin, il est venu guérir les malades ». Notons « comme c'est le rôle d'un médecin » : Jésus veut donc concrètement, efficacement, le salut de tous mais il ne peut guérir ceux qui ne le veulent pas : « Il guérit entièrement, oui, mais pas celui qui s'y refuse. Qu'y a-t-il de plus avantageux pour toi que d'obtenir la vie et la guérison, si tu le veux ? » Quand le saint dit : « il guérit », il parle des pécheurs qui sont malades et incapables de faire leur salut par leurs propres forces. Que signifie « il guérit entièrement » ? que rien ne manque de la part de Dieu pour la guérison et le salut des pécheurs. Que signifie cc obtenir la vie et la guérison, si tu le veux » ? Que Dieu veut vraiment et sincèrement nous sauver tous, pour autant qu'il dépend de lui. Autrement, nous ne serions pas à même d'obtenir la guérison et la vie éternelle. Il dit ailleurs : « Lui qui nous a rachetés à un tel prix ne veut pas nous perdre. Il ne rachète pas les hommes pour les perdre mais pour leur donner la vie ». Il nous a rachetés tous pour nous sauver tous. Il nous encourage donc tous à espérer la
Béatitude éternelle par cette phrase célèbre : « Que la faiblesse humaine se redresse ! Qu'elle ne dise pas : je ne serai pas heureux... Le Seigneur a fait
plus encore qu'il n'a promis. Qu'a-t-il fait? Il est mort pour toi. Qu'a-t-il promis ? Que tu vivras avec lui ». Certains ont osé dire que Jésus Christ a versé son sang pour tous pour leur obtenir la grâce mais pas le salut. Mais le théologien de Périgueux les prend à parti et ne peut pas admettre une telle opinion : « Quel raisonnement ridicule ! Comment la Sagesse de Dieu a-t-elle pu vouloir le moyen du salut et pas la fin qui est le salut lui-même ?». Saint Augustin interpelle les Juifs : « Regardez le côté que vous avez
transpercé : il a été ouvert par vous et pour vous ». Si Jésus n'avait pas vraiment donné son sang pour tous, les Juifs auraient pu répliquer à saint Augustin : Oui, nous avons ouvert le côté du Christ, mais ce n'est pas pour nous qu'il a été ouvert !
Saint Thomas est bien certain, lui aussi, que Jésus est mort pour tous. Il veut donc le salut de tous : « Jésus Christ est médiateur entre Dieu et les
hommes, non pas entre Dieu et quelques-uns mais entre Dieu et tous les hommes. Il n'en serait pas ainsi s'il ne voulait pas les sauver tous ». Tout ceci
est confirmé par la condamnation de la 5e proposition de Jansénius. Celle-ci disait : « Il est semi-pélagien de dire que le Christ est mort et a versé son sang pour tous les hommes ». D'après le contexte des autres propositions condamnées et d'après les principes de Jansénius, le sens de cette
proposition est celui-ci : Jésus Christ n'est pas mort pour mériter à tous les grâces suffisantes au salut mais seulement aux prédestinés. Jansénius l'a
clairement exprimé: "il n'est nullement conforme aux principes de saint Augustin de prétendre que le Christ est mort et a versé son sang pour le salut éternel des infidèles qui mourront dans l'infidélité ou des justes qui ne persévéreront pas ». Quelle est la doctrine catholique ? Tout le contraire : il n'est pas semi-pélagien mais parfaitement exact de dire que Jésus Christ est mort pour mériter les grâces nécessaires au salut éternel, selon l'ordre actuel
de la Providence, non seulement aux prédestinés mais à tous et même aux réprouvés.
Que Dieu veuille vraiment le salut de tous et que Jésus Christ soit mort pour le salut de tous, nous le déduisons également du commandement de
l'espérance que le Seigneur impose à tous. La raison en est claire. Saint Paul appelle l'espérance chrétienne l'ancre sûre et solide de l'âme : « Nous
sommes fortement encouragés à bien saisir l'espérance qui nous est offerte. En elle nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (He 6, 18). Où trouverions-nous cette ancre sûre et solide de notre espérance, sinon dans la certitude que Dieu veut le salut de tous ? Le
théologien de Périgueux demande : « Quelle pourra être notre espérance en la divine miséricorde s'il n' est pas certain que Dieu veuille le salut de tous ?
Avec quelle confiance pourront-ils offrir à Dieu la mort du Christ pour obtenir le pardon, s'il n'est pas certain qu'elle ait été offerte pour eux ? ». Et le Cardinal Sfondrati conclut : Si jamais Dieu en avait élu certains pour la vie éternelle et avait exclu les autres, nous aurions plus de raisons de désespérer que d'espérer, car il y a moins d'élus que de réprouvés : « Personne, dit l'Auteur ci-dessus, ne pourrait espérer fermement car on aurait plus de raisons de désespérer que d'espérer ; en effet, les réprouvés sont beaucoup plus nombreux que les élus». Et si Jésus Christ n'était pas mort pour le salut de tous, comment pourrions-nous avoir un motif solide d'espérer le salut par les mérites de Jésus Christ, sans une révélation particulière ? Mais saint Augustin n'a aucun doute à ce sujet : « C'est dans le
précieux sang du Christ, répandu pour nous et pour notre salut, que réside toute mon espérance et la certitude de ma foi ! ». Le saint mettait donc toute
son espérance dans le sang de Jésus Christ, parce que sa foi lui certifiait que Jésus Christ est mort pour tous. Mais nous examinerons mieux ce problème
de l'espérance dans le chapitre quatrième, quand nous parlerons du point principal c'est-à-dire de la grâce de la prière donnée à tous.
Mais il reste à répondre à une objection. Qu'en est-il des enfants qui meurent avant le baptême et avant l'âge de raison ? Si Dieu veut le salut de tous, comment ces enfants peuvent-ils périr sans que ce soit de leur faute, puisqu'ils sont privés de tout secours de Dieu pour faire leur salut ? Il y a
deux réponses dont l'une est meilleure que l'autre. Je les résume brièvement. D'abord, dit-on, Dieu veut, d'une volonté antécédente, le salut de tous, et il a
donné à tous les moyens généraux nécessaires au salut ; quelquefois ces moyens n'obtiennent pas leur effet, soit à cause de la volonté personnelle de
ceux qui ne veulent pas s'en servir ou bien parce que certains ne peuvent pas en profiter en raison des causes secondes : c'est le cas de la mort naturelle des enfants. Dieu n'est pas tenu d'empêcher le cours des événements, après avoir tout disposé selon les justes desseins de sa Providence générale. C'est saint Thomas qui donne cette explication. Jésus
Christ a offert ses mérites pour tous et il a institué le baptême pour tous. Par suite de la mort de certains enfants avant l'âge de raison ce remède n'est pas
appliqué, non par suite d'une volonté directe de Dieu mais d'une volonté purement permissive. Dieu, ordonnateur suprême de toutes choses, ne doit
point troubler l'ordre général pour régler des cas particuliers.
Seconde réponse : il y a une différence entre ne pas être heureux et se perdre. En effet, la Béatitude éternelle est un don absolument gratuit dont la
privation ne comporte pas le caractère d'une peine. Saint Thomas dit très justement que les enfants morts tout jeunes ne subissent ni la peine du sens
ni la peine du dam. Ils ne subissent pas la peine du sens « parce que celle-ci correspond à une déviation vers la créature. Or, dans le péché originel, qui
n'est pas une faute personnelle, il n'y a pas de déviation vers la créature ; la peine du sens n'est donc pas due au péché originel » parce que celui-ci ne comporte pas d'acte personnel coupable. Les adversaires opposent à cette opinion celle de saint Augustin : il pense, et dit quelque part, que les enfants sont condamnés également à la peine du sens ; mais ailleurs le saint se déclare très indécis sur ce point : « Quant à la peine des enfants, je suis bien perplexe, crois-moi, et je ne trouve absolument rien à répondre ». Il écrit ailleurs : on peut bien dire que ces enfants ne reçoivent ni récompense, ni
peine. « Car il n'y a pas à craindre qu'il ne puisse y avoir une voie moyenne entre le vice et la vertu, ni, de la part du juge, qu'il ne puisse y avoir une
décision moyenne entre le châtiment et la récompense ». Saint Grégoire de Nazianze l'affirme : « Les petits enfants ne recevront du juste juge ni la
gloire du ciel ni les supplices ». Saint Grégoire de Nysse : « La mort prématurée des enfants montre que ceux qui ont ainsi cessé de vivre ne seront ni dans la douleur, ni dans la tristesse ».
Quant à la peine du dam : Bien que les enfants soient exclus de la Gloire, le Docteur Angélique, qui a le mieux réfléchi sur cette question, enseigne que
personne ne souffre de la privation d'un bien dont il n'est pas capable. Aucun homme ne s'afflige de ne pas pouvoir voler ou de n'être pas empereur alors qu'il n'est qu'une personne privée ; ainsi les enfants ne souffrent pas d'être privés de la gloire à laquelle ils ne pouvaient prétendre ni par leur nature ni par leurs mérites personnels. Saint Thomas ajoute ailleurs
une autre raison : la connaissance surnaturelle de la Gloire ne se fait que par la foi actuelle qui surpasse toute connaissance naturelle. Les enfants ne
peuvent donc pas souffrir de la privation de la Gloire, car ils n'en ont eu aucune connaissance
surnaturelle. Ces enfants, dit-il encore, non seulement ne souffriront pas d'être privés de la Béatitude éternelle mais ils jouiront de leurs biens naturels ; ils jouiront même en quelque sorte de Dieu, autant que le permettent la connaissance et l'amour naturels : « Au contraire, ils jouiront davantage
parce qu'ils auront une grande part à la Bonté de Dieu et aux perfections naturelles ». Et il ajoute : Bien que ces enfants soient séparés de Dieu quant
à l'union de la Gloire, « ils lui seront unis par la participation des biens naturels et ils pourront même jouir de Dieu par la connaissance et l'amour naturel »
Nous avons donc solidement établi, dans le chapitre premier de la Première Partie, la nécessité où nous sommes tous de prier pour faire notre salut.
Nous devons considérer aussi comme certain que chacun reçoit de Dieu la grâce de prier actuellement, effectivement et concrètement, sans avoir besoin pour cela d'une autre grâce particulière. Nous obtenons ainsi toutes les autres grâces nécessaires pour pratiquer les commandements et acquérir
la vie éternelle. Si quelqu'un se perd, il ne peut pas prétexter qu'il a manqué des secours nécessaires. Dans l'ordre naturel, Dieu a fixé que l'homme
naîtrait nu et qu'il lui faudrait un certain nombre de choses pour vivre. Il lui a donné des mains et une intelligence, grâce auxquelles il peut arriver à se
vêtir et à pourvoir à ses autres besoins. De même, dans l'ordre surnaturel, nous sommes incapables d'obtenir par nos seules forces le salut éternel mais
le Seigneur, dans sa bonté, accorde à chacun la grâce de la prière. Nous pouvons ensuite demander toutes les grâces nécessaires pour pratiquer les
commandements et faire notre salut.
CHAPITRE I Haut
PRÉLIMINAIRE I: DIEU VEUT LE SALUT DE TOUS.
A CAUSE DE CELA, JÉSUS CHRIST EST MORT POUR LES SAUVER TOUS.
Dieu aime tout ce qu'il a créé : « Tu aimes, en effet, tout ce qui existe et tu n'as de dégoût pour rien de ce que tu as fait » (Sg 11, 24). L'amour ne peut
pas rester à ne rien faire : « Tout amour a sa force, dit saint Augustin, il ne peut rester inactif ». L'amour implique nécessairement la bienveillance et celui qui aime ne peut s'empêcher de faire du bien à la personne aimée, chaque fois qu'il le peut : « Quand on aime, on s'efforce de faire pour la personne aimée ce que l'on croit bon pour elle », a écrit Aristotez. Si donc Dieu aime tous les hommes, il veut que tous obtiennent le salut éternel, qui est l'unique et suprême bien de l'homme, l'unique fin pour laquelle il les a créés : « Vous avez pour fruit la sainteté et pour fin la vie éternelle » (Rm 6, 22).
Dieu veut le salut de tous les hommes et Jésus Christ est mort pour le salut de tous : c'est là la doctrine certaine et universelle de l'Eglise. Les
théologiens, Petau, Gonet, Gotti, etc. l'affirment communément. Tournely ajoute même que c'est une doctrine très proche de la foi, « proxima fidei ».
C'est donc avec raison que furent condamnés les Prédestinatiens. Ceux-ci prétendaient, entre autres erreurs, comme on peut le voir chez Noris, Petau,
et plus en détail encore chez Tournely, que Dieu ne veut pas le salut de tous les hommes. Hincmar, archevêque de Reims, l'affirme clairement dans sa
lettre à Nicolas ler : « Les anciens Prédestinatiens ont soutenu que Dieu ne veut pas le salut de tous les hommes mais uniquement celui de ceux qui
sont sauvés ». Ils furent condamnés d'abord par le Concile d'Arles, en 475 : « Si quelqu'un dit que le Christ n'est pas mort pour tous les hommes et qu'il ne veut pas que tous les hommes soient sauvés, qu'il soit anathème ! ». Au Concile de Lyon, en 495, Lucidus fut contraint de se rétracter et de déclarer:
« Je condamne tous ceux qui disent que le Christ n'est pas mort pour le salut de tous ». Gotescalc, qui reprit la même erreur au 9e siècle, fut condamné par le Concile de Quiersy. L'article 3 déclarait : « Dieu veut que tous les hommes sans exception soient sauvés, même si tous ne le sont pas effectivement ».
Et l' article 4 : « II n' est personne pour qui le Christ n' ait pas souffert, même si tous ne sont pas rachetés effectivement par son sacrifice ». Enfin, cette même erreur fut condamnée dans la 12e et 30e proposition de Quesnel. Il est dit dans la 12e : « Quand Dieu veut sauver une âme, sa volonté est suivie infailliblement d'effet ». Et dans la 30e : « Tous ceux que Dieu veut sauver par le Christ sont infailliblement sauvés ». Ces propositions furent
condamnées à juste titre, parce qu'elles signifiaient que Dieu ne veut pas le salut de tous. En disant « ceux que Dieu veut sauver le sont infailliblement
», on soutenait indirectement que Dieu ne veut pas le salut de tous les fidèles et encore moins celui de tous les hommes.
Le Concile de Trente, session 6, chapitre 2, a clairement défini cette doctrine. Jésus est mort, y est-il dit, « afin que tous reçoivent le titre de fils
adoptifs de Dieu ». Et au chapitre 3 : « Bien qu'il soit mort pour tous, il est vrai que tous ne reçoivent pourtant pas le bénéfice de sa mort ». Le Concile
tient donc pour certain que le Rédempteur n'est pas mort pour les seuls Élus mais aussi pour tous ceux qui, par leur propre faute, ne profitent pas du
bienfait de la Rédemption. On ne peut dire que le Concile a uniquement voulu affirmer que Jésus Christ a payé un prix suffisant pour le salut de tous. En effet, l'expression employée pourrait alors vouloir dire qu'il est mort aussi pour les démons. D'ailleurs, le Concile de Trente a voulu condamner ici l'erreur des Novateurs. Ceux-ci ne niaient pas que le sang de
Jésus fût suffisant pour sauver tous les hommes mais ils disaient qu'en fait il n'avait pas été répandu et donné pour tous. Le Concile a condamné cette
erreur en affirmant que le Sauveur est mort pour tous. Il dit en outre, au chapitre 6: C'est par leur espérance en Dieu, basée sur les mérites de Jésus
Christ, que les pécheurs se préparent à la justification : « Ce qui les porte à l'espérance, c'est qu'ils ont confiance que Dieu leur sera favorable à cause du Christ ». Or, si Jésus Christ n'avait pas appliqué à tous les hommes les mérites de sa Passion, personne ne pourrait être certain, sans une révélation particulière, d'être du nombre de ces heureux élus. Aucun pécheur ne pourrait nourrir cette espérance car il n'aurait pas de preuve sûre et certaine, indispensable pourtant à l'espérance, que Dieu veut sauver tous les hommes et pardonner, en vertu de ses mérites, à tous les pécheurs bien disposés. Outre l'erreur déjà condamnée de Baïuslz: « Jésus Christ n'est mort que pour les élus », la condamnation vise aussi la 5e proposition de Jansénius : « Il est semipélagien de dire que le Christ est mort ou a versé son sang absolument pour tous les hommes ». Dans sa Constitution de 1653,
Innocent X a déclaré expressément : c'est une impiété et une hérésie de dire que le Christ n'est mort que pour les seuls Élus. Par ailleurs, les Saintes
Écritures et tous les Saints Pères nous assurent que Dieu veut sincèrement et vraiment le salut de tous les hommes et la conversion de tous les pécheurs, tant qu' ils vivent sur cette terre. Nous avons tout d'abord le texte très clair de saint Paul : « Lui qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » ( 1 Tm 2, 4). La phrase de l' Apôtre est absolue et péremptoire. Au sens propre, ces mots indiquent que
Dieu veut vraiment le salut de tous. C'est une règle certaine, universellement admise, que les paroles de la Sainte Écriture ne sont pas à prendre au sens
figuré, sinon lorsque le sens littéral est contraire à la foi et aux bonnes moeurs. Saint Bonaventure parle absolument dans le même sens : « Lorsque l'Apôtre affirme que Dieu veut le salut de tous, nous devons
admettre qu'il le veut ». Saint Augustin et saint Thomas rapportent, il est vrai, différentes interprétations données par certains à ce texte, mais ils l'ont entendu tous les deux dans le même sens : Dieu a vraiment la volonté de sauver tous les hommes sans exception. Nous verrons plus loin quelle était la pensée exacte de saint Augustin. Saint Prosper rejette comme injurieuse pour le saint Docteur la prétention que celui-ci ait pu supposer un seul instant que le Seigneur ne veut pas sincèrement sauver tous les hommes et chacun en particulier. Ce saint Prosper, qui fut son très fidèle disciple, a pu
écrire : « On doit croire très sincèrement et professer que Dieu veut le salut de tous. Aussi l'Apôtre Paul, dont c'est bien l'opinion, recommande-t-il avec
soin de prier Dieu pour tous ». Son argument est clair, car saint Paul commence par dire : « Je vous demande donc à tous de faire des supplications pour tous les hommes ». Et il ajoute : « C'est, en effet, une chose bonne et agréable à Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés ». Si l'Apôtre exige que l'on prie pour tous, c'est que
Dieu veut le salut de tous.
Saint Jean Chrysostome emploie le même argument : « S' il veut le salut de tous, il faut à juste titre prier pour tous. S'il désire lui-même que tous soient
sauvés, sois d'accord, toi aussi, avec ce qu'il veut ». Il semble que, dans sa discussion avec les semi-Pélagiens, Saint Augustin ait donné quelque part
une interprétation différente du texte de saint Paul. Il aurait dit que Dieu ne veut pas le salut de chaque homme mais uniquement d'un certain nombre.
Mais le savant Petau a bien fait remarquer ceci : Le saint ne parlait qu'incidemment et non explicitement de cette question, ou bien il entendait parler de la volonté absolue et victorieuse de Dieu, selon laquelle Dieu veut de façon absolue le salut de certains. Le saint a dit, en effet : « La volonté du Tout Puissant est toujours victorieuse ». Voyons par ailleurs comment saint Thomas concilie la pensée de saint Augustin avec celle de saint Jean Damascène. Ce dernier soutient que Dieu veut, d'une volonté antécédente, le salut de tous et de chacun : « Parce qu'il est bon, Dieu veut d'abord le salut de tous pour nous rendre participants de sa bonté ; mais, parce qu'il est juste, il veut que les pécheurs soient punis ». Il semble que saint Augustin
exprime quelque part un avis différent, comme nous l'avons dit. Mais saint Thomas concilie les deux opinions : Saint Jean Damascène parlait de la
volonté antécédente de Dieu, selon laquelle il veut vraiment le salut de tous, tandis que saint Augustin parlait de la volonté conséquente. Saint Thomas
explique ensuite ce qu'est cette volonté antécédente et conséquente de Dieu : « La volonté antécédente est celle par laquelle Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Mais, après examen de toutes les circonstances particulières à chacun, on ne trouve pas normal que tous soient
effectivement sauvés. Il est normal, en effet, que celui qui se prépare au salut et qui le veut, soit sauvé, mais pas celui qui refuse et résiste...etc... Il s'
agit de la volonté conséquente parce qu'elle suppose une connaissance préalable des oeuvres, non comme cause de la volonté mais comme raison de ce qui est voulu ».
Aussi le Docteur Angélique est-il du même avis : Dieu veut vraiment le salut de tous et de chacun. Et il le confirme en plusieurs autres endroits. A propos
du texte : « Je ne chasserai pas celui qui vient à moi », il s'appuie sur l'autorité de saint Jean Chrysostome et fait dire au Seigneur : « Si je me suis incarné pour le salut des hommes, comment puis-je les rejeter ? Je ne les rejette donc pas puisque je suis descendu du ciel pour faire la volonté de Dieu qui veut le salut de tous ». Il assure ailleurs : « Dans sa volonté très
généreuse, Dieu donne sa grâce à tous ceux qui s'y préparent. Il veut le salut de tous ( 1 Tm 2, 4). La grâce de Dieu ne fait donc défaut à personne mais,
de par sa nature, elle se communique à tous ». Il le déclare encore plus expressément dans son commentaire du texte même de saint Paul : « Lui
qui veut que tous les hommes soient sauvés » : « Le salut de tous les hommes, considéré en soi, trouve en Dieu sa raison, en tant qu'objet de sa volonté, et cette volonté est dite antécédente ; mais, après avoir considéré le bien de la justice et la nécessité de punir les péchés, il ne veut pas qu'il en soit ainsi, et cette volonté est dite conséquente ». On voit que le Docteur Angélique continue d'exprimer de la même façon ce qu'il entend par volonté antécédente et conséquente. Il confirme ici ce qu'il disait dans les Sentences, comme nous l'avons rapporté un peu plus haut. Il y ajoute seulement une comparaison, celle du négociant. Celui-ci veut, d'une volonté antécédente, sauver toutes ses marchandises, mais, quand survient la tempête, pour pouvoir sauver sa vie, il renonce aux marchandises. Ainsi continue, le saint, considérant la méchanceté de certains, Dieu veut qu'ils soient punis pour la satisfaction de sa justice et en conséquence il ne veut pas qu'ils soient
sauvés ; mais, en soi, d'une volonté antécédente et vraie, il continue de vouloir le salut de tous. Comme il l'a dit précédemment ailleurs, la volonté de Dieu de sauver tous les hommes est absolue de sa part ; elle n'est conditionnelle que du côté de l'objet voulu : il faut que l'homme veuille correspondre comme l'exige l'ordre établi pour obtenir le salut : « Il n' y a
cependant pas d'imperfection du côté de la volonté de Dieu mais uniquement du côté de l'objet voulu qui n'est pas reçu avec toutes les circonstances et conditions exigées par le bon ordre en vue du salut ». Et, à la question 19 (article 6 ad I), le Docteur Angélique explique de nouveau et plus clairement ce qu'il entend par volonté antécédente et conséquente : « Le juge veut, d'une volonté antécédente, que tous les hommes vivent, mais il veut, d'une volonté conséquente, que l'homicide soit pendu. De même,
Dieu veut, d'une volonté antécédente, que tous les hommes soient sauvés mais il veut, d'une volonté conséquente, selon l'exigence de sa justice, que
certains soient damnés ».
Je n'entends pas réfuter ici l'opinion qui soutient la prédestination à la gloire avant la prévision des mérites. Je dis seulement ceci. Dieu en aurait-il élu
certains pour la vie éternelle et exclu d'autres, sans aucun égard pour leurs mérites ? Je n'arrive pas à comprendre comment les partisans de cette
opinion peuvent ensuite soutenir que Dieu veut le salut de tous. Peut-être veulent-ils dire qu'il ne s'agit pas d'une volonté hypothétique et métaphorique ? Je ne comprends pas, dis je, que l'on puisse affirmer que
Dieu veut le salut de tous et la participation de tous à la Gloire, alors qu'il en aurait déjà exclu la majeure partie, antérieurement à tout démérite de leur
part. Petau soutient l'opinion contraire : Pourquoi Dieu aurait-il donné à tous les hommes le désir de la Béatitude éternelle si, avant tout démérite de leur
part, il en avait déjà exclu la plupart ? À quoi bon Jésus Christ serait-il venu sauver tous les hommes par sa mort, si une foule de malheureux en étaient
privés d'avance par Dieu ? À quoi bon leur donner les moyens si d'avance ils étaient empêchés d'atteindre le but ? Ce même Petau fait ici une réflexion très importante : S'il en était ainsi, ne pourrions-nous pas dire : Après avoir aimé tout ce qu'il avait fait et après avoir créé ensuite les hommes, Dieu n'aurait-il donc pas aimé tous ceux-ci ? Il les aurait, au contraire, pour la plupart, souverainement haïs en les excluant de la Gloire pour laquelle pourtant il les avait créés ! Il est certain que le bonheur de la créature consiste à atteindre la fin pour laquelle elle a été créée. Il est certain, par ailleurs, que Dieu crée tous les hommes pour la vie éternelle. Or, si Dieu
avait créé certains hommes pour la vie éternelle et les en avait ensuite exclus, indépendamment de leurs fautes, ne les aurait-il pas haïs sans raison au moment où il les créait ? Il leur aurait ainsi causé le plus grand tort possible, celui d'être exclus de leur propre fin c'est-à-dire de la Gloire pour laquelle ils ont été créés. « Il ne peut pas y avoir de milieu, en effet, je résume ce que dit Petau - entre l'amour et la haine de Dieu à l'égard de ses créatures, surtout à l'égard des hommes : ou il les aime pour la vie éternelle ou il les hait pour la damnation. Mais le plus grand malheur est d'être séparé de Dieu et réprouvé. Si donc Dieu veut la mort éternelle d'une âme, c'est
qu'il ne l'aime pas mais qu'il la haït de la haine la plus grande qui puisse exister en cet ordre qui surpasse l'ordre naturel ». En parlant de mort éternelle, l'Auteur n'entend pas la damnation positive à laquelle Dieu destine quelqu'un, mais l'exclusion de la Gloire. Mais, dit Tertullien, à quoi cela nous servirait-il effectivement que Dieu ne nous ait pas créés pour l'Enfer si en nous créant il nous avait rayés du nombre des Elus ? Être retranché du nombre des Élus implique nécessairement la perte du salut et la damnation : pas de milieu entre les deux ! Tertullien écrit : « Quel sera donc le sort des exclus, sinon la perte du salut ? » Petau conclut donc : « Si Dieu aime tous les hommes indépendamment de leurs mérites, il ne hait pas leurs âmes ; il ne veut donc pas pour eux le malheur suprême ». Si donc Dieu aime tous les hommes, comme il est certain, nous devons croire qu'il veut le salut de tous et qu'il n'a jamais haï quelqu'un au point de vouloir pour lui ce grand malheur : l'exclusion de la Gloire avant même toute prévision de ses mérites !
Je dis et continue de répéter que je n'arrive pas à le comprendre. La question de la prédestination est un mystère si profond qu'il fait dire à l'Apôtre Paul :
« O abîme de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses décrets sont insondables et ses voies incompréhensibles ! Qui, en effet, a
jamais connu la pensée de Dieu ? » (Rm 11, 33). Nous devons nous soumettre à la volonté de Dieu qui a voulu laisser l'Eglise dans l'obscurité à ce sujet, afin que nous nous humilions tous sous les hautes décisions de sa divine providence. C'est d'autant plus vrai que la grâce qui seule permet aux hommes d'acquérir la vie éternelle, Dieu nous la donne sans aucun doute, avec plus ou moins d'abondance, tout à fait gratuitement et sans tenir compte de nos mérites. Pour faire notre salut, il sera donc toujours
nécessaire de nous jeter dans les bras de sa divine Miséricorde pour que le Seigneur nous aide par sa grâce et de mettre toujours notre confiance dans
ses infaillibles promesses d'exaucer et de sauver ceux qui le prient.
Mais revenons à notre problème, à savoir que Dieu veut sincèrement le salut de tous. Voyons les autres textes qui prouvent cette vérité. Le Seigneur
nous dit par Ezéchiel : « Je suis vivant, oracle du Seigneur. Je ne prends point plaisir à la mort du méchant mais bien plutôt à ce qu'il se détourne de
sa voie et qu'il vive » (Ez 33, 11). Non seulement il ne veut pas la mort du pécheur mais qu'il vive ! Comme le fait observer Tertullien, il en fait le
serment pour que l'on croie plus facilement à sa parole : « Allant même jusqu'à faire serment : Je suis le Dieu vivant ; il souhaite qu'on le croie ».
David dit également : « Le châtiment provient de son indignation et la vie de sa bienveillance » (Ps 30 (29), 6). S'il nous châtie, c'est que nos péchés
provoquent sa colère ; mais ce qu'il veut, ce n'est pas notre mort mais notre vie : « Ce qu'il y a dans sa volonté, c'est la vie ». Saint Basile commente ainsi
ce texte : « Que dit-il donc ? Sans aucun doute que Dieu veut nous faire participer tous à la vie ». David dit encore : « Notre Dieu est un Dieu de délivrance. Yahvé le Seigneur peut retirer de la mort » (Ps 68 (67), 21).
Bellarmin fait ce commentaire : « La caractéristique et la nature de notre Dieu, c'est d'être un Dieu Sauveur ; les portes de sortie de la mort lui
appartiennent ; c'est lui qui délivre de la mort ». Le propre et la nature de Dieu est de sauver tous les hommes et de les délivrer tous de la mort éternelle. Le Seigneur dit également : « Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28). S'il appelle tous les hommes au salut, c'est qu'il veut les sauver tous. Saint Pierre affirme : « Il use de patience envers tous, voulant que personne ne périsse, mais que tous arrivent au repentir » (2 P 3, 9). Il ne veut la damnation de personne mais que tous fassent pénitence et que par elle ils fassent leur salut. Le Seigneur dit encore : « Voici, je me tiens à la porte et je frappe... Si
quelqu'un ouvre la porte, j'entrerai » (Ap 3, 20) : « Pourquoi mourir, maison d'Israël ? Cohvertissezvous et vivez! » (Ez 18, 31) « Que pouvais-je encore
faire pour ma vigne que je n'aie fait ? » (Is 5, 4). « Que de fois ai je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins
sous ses ailes...et tu n'as pas voulu ! » (Mt 23, 37) Comment le Seigneur pourrait-il dire qu'il frappe à la porte de nos coeurs de pécheurs ? Comment
pourrait-il tant nous exhorter à retourner dans ses bras ? Comment pourrait-il nous demander, avec des accents de reproche, ce qu'il aurait pu faire de plus pour nous sauver ? Comment pourrait-il dire qu'il a voulu nous accueillir comme des fils, s'il n'avait pas une vraie volonté de nous sauver tous ? Jésus, voyant de loin Jérusalem, nous rapporte saint Luc, et pensant à la perte de ce peuple à cause de ses péchés, « pleura sur elle » (Lc 19, 41). Pourquoi, demande Théophylacte, avec saint Jean Chrysostome, pourquoi le Seigneur pleura-t-il en voyant la ruine qui menaçait les Hébreux, sinon
parce qu'il désirait vraiment leur salut ?. Après tant de témoignages que donne le Seigneur pour manifester sa volonté de voir tous les hommes
parvenir au salut, comment peut-on dire que Dieu ne veut pas le salut de tous ? Petau reprend : « Peut-on mettre en doute ces textes de l'Écriture où
Dieu affirme sa volonté par des expressions célèbres et répétées, par des larmes et même par un serment ? Comment les interpréter en sens contraire,
comme si Dieu, à part quelques-uns, n' avait pas eu le désir de sauver les hommes et avait décidé de perdre tout le genre humain ? Ne serait-ce pas
une injure et une dérision vis-à-vis de vérités de foi si clairement définies ? Dire que Dieu ne veut pas vrairnent le salut de tous, dit ce grand Théologien,
c'est une injure et une moquerie à l'égard des décrets les plus clairs de la foi. Et le Cardinal Sfondrati ajoute : « Je nesais vraiment pas si ceux qui pensent autrement ne font pas du vrai Dieu un personnage de théâtre : certains acteurs ne font-ils pas semblant d'être rois, alors qu'ils n'ont rien d'un vrai roi ? ».
Cette vérité que Dieu veut le salut de tous les hommes est confirmée communément par les Saints Pères. Tous les Pères grecs ont été unanimes à
affirmer que Dieu veut le salut de tous et de chacun : Saint Justin, saint Basile, saint Grégoire, saint Cyrille, saint Méthode, saint Jean Chrysostome,
tous cités par Petau. Mais voyons ce que disent les Pères latins : Saint Jérôme : « Dieu veut sauver tous les hommes mais personne n'est sauvé
sans le vouloir personnellement. Il désire que nous voulions le bien, et lorsque nous l'aurons voulu, il réalisera en nous son dessein ». Et ailleurs : « Dieu a donc voulu sauver tous ceux qui le désireraient. Il les a appelés au salut afin que leur volonté fût récompensée mais ils ne voulurent pas croire». Saint Hilaire : « Dieu voudrait que tous les hommes soient sauvés, non seulement ceux qui feront effectivement partie du nombre des Saints, mais absolument tous sans exception ». Saint Paulin : « Le Christ dit à tous : « Venez à moi...etc... En effet, lui qui les a créés tous veut, pour autant qu'il dépend de lui, le salut de tous ». Aucun impie n'est exclu, dit saint Ambroise, pas même le traître Judas ! « Il a voulu montrer ce qu'il désire même pour les impies ; il n' a exclu personne, pas même celui qui le trahirait ; tous peuvent ainsi se rendre compte que, même lorsqu'il a choisi Judas, il avait bien l'intention de les sauver tous... il a fait voir à tous quel était le projet de Dieu, celui de les délivrer tous ». L'auteur des
« Commentaires de Saint Ambroise » - peut-être le diacre Hilaire, selon Petau - se pose une question à propos du texte de saint Paul « celui qui veut le salut de tous » : Puisque Dieu veut le salut de tous et qu'il est tout-puissant, pourquoi y en a-t-il tant à ne pas être sauvés ? Et il répond : « Il veut le salut de tous, à condition qu'ils le veuillent eux-mêmes. En effet, celui qui a fait la loi n'a exclu personne du salut... mais le remède est sans effet chez ceux qui n'en
veulent pas ! » Le Seigneur, continue-til, n' a donc exclu personne de la Gloire : il donne à tous la grâce du salut, à condition qu'ils veuillent bien y correspondre, et sa grâce ne profite pas à ceux qui la refusent. Saint Jean Chrysostome demande pareillement : « Pourquoi donc ne sont-ils pas tous
sauvés, si Dieu veut vraiment le salut de tous ? » Et il répond : « Parce que la volonté de tous n'est pas en harmonie avec la sienne ; or, il ne force personne ». Saint Augustin : « Dieu veut le salut de tous, mais pas au point de leur enlever le libre arbitre ». Saint Augustin exprime la même idée en plusieurs autres textes que nous allons citer bientôt. Que Jésus Christ soit mort pour tous et pour chacun est également très clair dans les Saintes Écritures et dans les textes des Pères. Grande fut certainement la misère causée à tout le genre humain par le péché d'Adam, mais Jésus Christ en a réparé par la Rédemption tous les dommages et préjudices. C'est pourquoi le Concile de Trente a déclaré que le baptême rend les âmes pures et immaculées. L'attirance du mal ou concupiscence qui reste en elles ne subsiste pas pour leur perte mais pour leur faire acquérir une couronne d'autant plus belle qu'ils y
résisteront : « Dans les baptisés il n'est rien que Dieu haïsse... ils sont devenus innocents, immaculés, purs et aimés de Dieu. Ce Saint Synode reconnaît cependant et croit que la concupiscence ou attirance du mal subsiste en eux. Puisqu'elle n'est là qu'en vue de la lutte à mener, elle ne peut nuire à ceux qui n'y cèdent pas. Bien plus, celui qui aura combattu dans les règles sera couronné ! ». Et saint Léon ajoute : « Nous avons reçu davantage par la grâce ineffable du Christ que nous n'avions perdu par la haine du diable ». Le gain que nous avons fait par la Rédemption du Christ a été bien plus grand que le dommage subi par le péché d'Adam. L'Apôtre Paul l'affirme : « Mais il n'en va pas du don comme de la faute... Où le péché s'est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 15 et 20). Notre Sauveur l'a
déclaré lui-même : « Je suis venu pour qu'ils aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jn 10, 10). David et Isaïe l'avaient déjà annoncé. David : « Près de Yahvé est la grâce ; près de lui, l'abondance du rachat » (Ps 130 (129), 7). Et Isaïe : « Elle a reçu de la main de Yahvé le double pour tous ses péchés » (Is 40, 2). Cornelius a Lapide commente ainsi ce texte : « Dieu a enlevé par le Christ les iniquités de l'Eglise. Au lieu des peines qu'elle méritait pour ses péchés, elle a reçu doubles biens ».
Les Saintes Ecritures nous affirment, comme je l'ai dit, que notre Sauveur est mort pour tous et qu'il a offert au Père éternel le prix de la Rédemption :
« Car le Fils de l'homme est venu sauver ce qui était perdu » (Mt 18, 11). « Il s'est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 6). « Il est mort pour tous afin que
les vivants ne vivent plus pour eux-mêmes mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (2 Co 5, 15). « Si, en effet, nous peinons et combattons, c'est que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, principalement des croyants » ( 1 Tm 4, 10).
« C'est lui qui est victime de propitiation pour nos péchés, pas seulement pour les nôtres mais pour ceux du monde entier » ( 1 Jn 2, 2). « Car l'amour
du Christ nous presse, à la pensée que si un seul est mort pour tous, alors tous sont morts » (2 Co 5, 14). Je ne parle que de ce dernier texte. Comment, du fait que Jésus Christ est mort pour tous, l'Apôtre pourrait-il déduire que tous sont morts, s'il ne tenait pas pour certain que Jésus Christ est vraiment mort pour tous ? D'autant plus que saint Paul en conclut
également que cette vérité doit allumer l'amour en nos coeurs. Mais ce qui explique surtout le désir et la volonté de Dieu de sauver tous les hommes,
c'est ce qu'ajoute l'Apôtre Paul : « Lui qui n'a pas épargné son propre Fils mais l'a livré pour nous tous » (Rm 8, 32). Ce qui suit a encore plus de force
: « Comment avec lui ne nous accordera-t-il pas toute faveur ? » Si Dieu nous a tout donné, comment pouvons-nous craindre qu'il nous ait refusé l'élection à la Gloire, alors que nous correspondons à sa grâce? S'il nous a donné le Fils, dit le savant Cardinal Sfondrati, comment nous refusera-t-il la grâce du salut ? « Comme saint Paul nous le montre savamment, Dieu nous assure qu'il ne nous refusera pas le moins après nous avoir donné le plus : celui qui a donné son Fils pour notre salut ne nous refusera pas la grâce du salut ». Oui, comment saint Paul pouvait-il dire qu'en nous donnant son Fils
Dieu nous a tout donné, s'il avait cru que le Seigneur en a exclu un grand nombre de la Gloire qui est l'unique bien et l'unique fin pour lesquels il nous
a créés ? Le Seigneur aurait donc tout donné à ce grand nombre et ensuite il lui aurait refusé le meilleur, la Béatitude éternelle ? Sans celle-ci, puisqu'il
n'y a pas de milieu, ils ne pourraient être qu'éternellement malheureux. Oserions-nous dire quelque chose de plus absurde encore, comme le fait
remarquer un autre savant auteur : « Dieu donnerait à tous la grâce de parvenir à la Gloire mais il refuserait ensuite à beaucoup la possibilité d'aller
en jouir : il donnerait le moyen mais refuserait la fin ».
Tous les Saints Pères sont d'accord pour dire que Jésus Christ est mort pour obtenir à tous le salut éternel. Saint Jérôme : « Le Christ est mort pour tous : lui seul fut trouvé digne d'être offert en sacrifice pour tous ceux qui étaient morts dans le péché ». Saint Ambroise : « Le Christ est venu pour guérir nos blessures mais tous ne demandent pas le remède ; il guérit les volontaires et ne force pas les récalcitrants ». Il dit ailleurs : « Il a offert à tous la possibilité de guérir. Ceux qui périssent ne doivent attribuer qu' à eux-mêmes la cause de leur mort : ils n'ont pas voulu se soigner, alors qu'ils avaient le remède ! La miséricorde du Christ s'étend manifestement à tous : il veut le salut de tous les hommes ! ». Il s'exprime encore plus clairement dans un autre texte : « Jésus n' a pas rédigé son testament pour un seul ni pour un petit nombre
mais pour tous. Nous avons tous été constitués ses héritiers. Son testament est pour tous. Tous y ont droit. C'est l'héritage de tous et la propriété de
chacun ». Notons ces mots : « Nous avons tous été consti et tués ses héritiers » : Le Rédempteur a fait de nous tous par testament les héritiers de
son ciel. Saint Léon : « Notre Seigneur n'ayant trouvé aucun homme qui fût libre de la condamnation, est venu les délivrer tous ». Saint Augustin commente les paroles de saint Jean : « Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui »
(Jn 3, 17). « Comme c'est le rôle d'un médecin, il est venu guérir les malades ». Notons « comme c'est le rôle d'un médecin » : Jésus veut donc concrètement, efficacement, le salut de tous mais il ne peut guérir ceux qui ne le veulent pas : « Il guérit entièrement, oui, mais pas celui qui s'y refuse. Qu'y a-t-il de plus avantageux pour toi que d'obtenir la vie et la guérison, si tu le veux ? » Quand le saint dit : « il guérit », il parle des pécheurs qui sont malades et incapables de faire leur salut par leurs propres forces. Que signifie « il guérit entièrement » ? que rien ne manque de la part de Dieu pour la guérison et le salut des pécheurs. Que signifie cc obtenir la vie et la guérison, si tu le veux » ? Que Dieu veut vraiment et sincèrement nous sauver tous, pour autant qu'il dépend de lui. Autrement, nous ne serions pas à même d'obtenir la guérison et la vie éternelle. Il dit ailleurs : « Lui qui nous a rachetés à un tel prix ne veut pas nous perdre. Il ne rachète pas les hommes pour les perdre mais pour leur donner la vie ». Il nous a rachetés tous pour nous sauver tous. Il nous encourage donc tous à espérer la
Béatitude éternelle par cette phrase célèbre : « Que la faiblesse humaine se redresse ! Qu'elle ne dise pas : je ne serai pas heureux... Le Seigneur a fait
plus encore qu'il n'a promis. Qu'a-t-il fait? Il est mort pour toi. Qu'a-t-il promis ? Que tu vivras avec lui ». Certains ont osé dire que Jésus Christ a versé son sang pour tous pour leur obtenir la grâce mais pas le salut. Mais le théologien de Périgueux les prend à parti et ne peut pas admettre une telle opinion : « Quel raisonnement ridicule ! Comment la Sagesse de Dieu a-t-elle pu vouloir le moyen du salut et pas la fin qui est le salut lui-même ?». Saint Augustin interpelle les Juifs : « Regardez le côté que vous avez
transpercé : il a été ouvert par vous et pour vous ». Si Jésus n'avait pas vraiment donné son sang pour tous, les Juifs auraient pu répliquer à saint Augustin : Oui, nous avons ouvert le côté du Christ, mais ce n'est pas pour nous qu'il a été ouvert !
Saint Thomas est bien certain, lui aussi, que Jésus est mort pour tous. Il veut donc le salut de tous : « Jésus Christ est médiateur entre Dieu et les
hommes, non pas entre Dieu et quelques-uns mais entre Dieu et tous les hommes. Il n'en serait pas ainsi s'il ne voulait pas les sauver tous ». Tout ceci
est confirmé par la condamnation de la 5e proposition de Jansénius. Celle-ci disait : « Il est semi-pélagien de dire que le Christ est mort et a versé son sang pour tous les hommes ». D'après le contexte des autres propositions condamnées et d'après les principes de Jansénius, le sens de cette
proposition est celui-ci : Jésus Christ n'est pas mort pour mériter à tous les grâces suffisantes au salut mais seulement aux prédestinés. Jansénius l'a
clairement exprimé: "il n'est nullement conforme aux principes de saint Augustin de prétendre que le Christ est mort et a versé son sang pour le salut éternel des infidèles qui mourront dans l'infidélité ou des justes qui ne persévéreront pas ». Quelle est la doctrine catholique ? Tout le contraire : il n'est pas semi-pélagien mais parfaitement exact de dire que Jésus Christ est mort pour mériter les grâces nécessaires au salut éternel, selon l'ordre actuel
de la Providence, non seulement aux prédestinés mais à tous et même aux réprouvés.
Que Dieu veuille vraiment le salut de tous et que Jésus Christ soit mort pour le salut de tous, nous le déduisons également du commandement de
l'espérance que le Seigneur impose à tous. La raison en est claire. Saint Paul appelle l'espérance chrétienne l'ancre sûre et solide de l'âme : « Nous
sommes fortement encouragés à bien saisir l'espérance qui nous est offerte. En elle nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (He 6, 18). Où trouverions-nous cette ancre sûre et solide de notre espérance, sinon dans la certitude que Dieu veut le salut de tous ? Le
théologien de Périgueux demande : « Quelle pourra être notre espérance en la divine miséricorde s'il n' est pas certain que Dieu veuille le salut de tous ?
Avec quelle confiance pourront-ils offrir à Dieu la mort du Christ pour obtenir le pardon, s'il n'est pas certain qu'elle ait été offerte pour eux ? ». Et le Cardinal Sfondrati conclut : Si jamais Dieu en avait élu certains pour la vie éternelle et avait exclu les autres, nous aurions plus de raisons de désespérer que d'espérer, car il y a moins d'élus que de réprouvés : « Personne, dit l'Auteur ci-dessus, ne pourrait espérer fermement car on aurait plus de raisons de désespérer que d'espérer ; en effet, les réprouvés sont beaucoup plus nombreux que les élus». Et si Jésus Christ n'était pas mort pour le salut de tous, comment pourrions-nous avoir un motif solide d'espérer le salut par les mérites de Jésus Christ, sans une révélation particulière ? Mais saint Augustin n'a aucun doute à ce sujet : « C'est dans le
précieux sang du Christ, répandu pour nous et pour notre salut, que réside toute mon espérance et la certitude de ma foi ! ». Le saint mettait donc toute
son espérance dans le sang de Jésus Christ, parce que sa foi lui certifiait que Jésus Christ est mort pour tous. Mais nous examinerons mieux ce problème
de l'espérance dans le chapitre quatrième, quand nous parlerons du point principal c'est-à-dire de la grâce de la prière donnée à tous.
Mais il reste à répondre à une objection. Qu'en est-il des enfants qui meurent avant le baptême et avant l'âge de raison ? Si Dieu veut le salut de tous, comment ces enfants peuvent-ils périr sans que ce soit de leur faute, puisqu'ils sont privés de tout secours de Dieu pour faire leur salut ? Il y a
deux réponses dont l'une est meilleure que l'autre. Je les résume brièvement. D'abord, dit-on, Dieu veut, d'une volonté antécédente, le salut de tous, et il a
donné à tous les moyens généraux nécessaires au salut ; quelquefois ces moyens n'obtiennent pas leur effet, soit à cause de la volonté personnelle de
ceux qui ne veulent pas s'en servir ou bien parce que certains ne peuvent pas en profiter en raison des causes secondes : c'est le cas de la mort naturelle des enfants. Dieu n'est pas tenu d'empêcher le cours des événements, après avoir tout disposé selon les justes desseins de sa Providence générale. C'est saint Thomas qui donne cette explication. Jésus
Christ a offert ses mérites pour tous et il a institué le baptême pour tous. Par suite de la mort de certains enfants avant l'âge de raison ce remède n'est pas
appliqué, non par suite d'une volonté directe de Dieu mais d'une volonté purement permissive. Dieu, ordonnateur suprême de toutes choses, ne doit
point troubler l'ordre général pour régler des cas particuliers.
Seconde réponse : il y a une différence entre ne pas être heureux et se perdre. En effet, la Béatitude éternelle est un don absolument gratuit dont la
privation ne comporte pas le caractère d'une peine. Saint Thomas dit très justement que les enfants morts tout jeunes ne subissent ni la peine du sens
ni la peine du dam. Ils ne subissent pas la peine du sens « parce que celle-ci correspond à une déviation vers la créature. Or, dans le péché originel, qui
n'est pas une faute personnelle, il n'y a pas de déviation vers la créature ; la peine du sens n'est donc pas due au péché originel » parce que celui-ci ne comporte pas d'acte personnel coupable. Les adversaires opposent à cette opinion celle de saint Augustin : il pense, et dit quelque part, que les enfants sont condamnés également à la peine du sens ; mais ailleurs le saint se déclare très indécis sur ce point : « Quant à la peine des enfants, je suis bien perplexe, crois-moi, et je ne trouve absolument rien à répondre ». Il écrit ailleurs : on peut bien dire que ces enfants ne reçoivent ni récompense, ni
peine. « Car il n'y a pas à craindre qu'il ne puisse y avoir une voie moyenne entre le vice et la vertu, ni, de la part du juge, qu'il ne puisse y avoir une
décision moyenne entre le châtiment et la récompense ». Saint Grégoire de Nazianze l'affirme : « Les petits enfants ne recevront du juste juge ni la
gloire du ciel ni les supplices ». Saint Grégoire de Nysse : « La mort prématurée des enfants montre que ceux qui ont ainsi cessé de vivre ne seront ni dans la douleur, ni dans la tristesse ».
Quant à la peine du dam : Bien que les enfants soient exclus de la Gloire, le Docteur Angélique, qui a le mieux réfléchi sur cette question, enseigne que
personne ne souffre de la privation d'un bien dont il n'est pas capable. Aucun homme ne s'afflige de ne pas pouvoir voler ou de n'être pas empereur alors qu'il n'est qu'une personne privée ; ainsi les enfants ne souffrent pas d'être privés de la gloire à laquelle ils ne pouvaient prétendre ni par leur nature ni par leurs mérites personnels. Saint Thomas ajoute ailleurs
une autre raison : la connaissance surnaturelle de la Gloire ne se fait que par la foi actuelle qui surpasse toute connaissance naturelle. Les enfants ne
peuvent donc pas souffrir de la privation de la Gloire, car ils n'en ont eu aucune connaissance
surnaturelle. Ces enfants, dit-il encore, non seulement ne souffriront pas d'être privés de la Béatitude éternelle mais ils jouiront de leurs biens naturels ; ils jouiront même en quelque sorte de Dieu, autant que le permettent la connaissance et l'amour naturels : « Au contraire, ils jouiront davantage
parce qu'ils auront une grande part à la Bonté de Dieu et aux perfections naturelles ». Et il ajoute : Bien que ces enfants soient séparés de Dieu quant
à l'union de la Gloire, « ils lui seront unis par la participation des biens naturels et ils pourront même jouir de Dieu par la connaissance et l'amour naturel »
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE II
PRÉLIMINAIRE II
A TOUS, DIEU DONNE LES GRÂCES NÉCESSAIRES À TOUS LES JUSTES, POUR OBSERVER LES COMMANDEMENTS ; ET À TOUS LES PÉCHEURS, POUR SE CONVERTIR.
Si Dieu veut vraiment le salut de tous les hommes, il leur donne à tous la grâce et les secours nécessaires pour cela. Autrement, il ne pourrait pas dire
qu'il veut vraiment les sauver tous. « Dieu veut d'une volonté antécédente le salut de tous, dit saint Thomas ; l'ordre naturel a été établi en fonction du
salut, et tous les biens naturels ou gratuits qui conduisent à cette fin ont été mis communément à la disposition de tous. » Malgré les affirmations
blasphématoires de Luther et de Calvin, il est certain que Dieu n'impose pas une loi impossible à observer. Il est certain également que, sans le secours de la grâce, il est impossible d'observer la loi. Innocent ler l'a déclaré contre les Pélagiens : « Avec l'aide de Dieu nous sommes vainqueurs ; sans son aide nous serons inévitablement vaincus. » Le Pape Célestin l'affirme également. Puisque le Seigneur donne à tous une loi qu'il soit possible d'observer, il accorde à tous
la grâce nécessaire, soit immédiatement soit médiatement par le moyen de la prière, comme l'a défini très clairement le Saint Concile de Trente : Dieu
n'ordonne pas des choses impossibles mais lorsqu'il ordonne, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à
pouvoir. Si Dieu nous refusait la grâce prochaine ou éloignée pour observer la loi, ou bien la loi aurait été donnée inutilement ou bien le péché serait inévitable.
Si le péché était inévitable, ce ne serait plus un péché, comme nous allons le démontrer. C'est le sentiment commun des Pères, comme nous allons le voir. Saint Cyrille d'Alexandrie : « Si quelqu'un qui a reçu autant que d'autres les secours de la grâce divine, a péché volontairement, comment peut-il accuser le Christ de ne pas l'avoir préservé, alors que
celui-ci a libéré l'homme en lui apportant tous les secours nécessaires ?
Comment, dit le saint, ce pécheur, qui a reçu autant que les autres restés fidèles les secours de la grâce et qui a péché volontairement, peut-il se plaindre de Jésus Christ ? Celui-ci ne l'a-t-il pas libéré autant qu'il le pouvait par les secours qu'il lui a apportés ? » Saint Jean Chrysostome demande : « D'où vient-il que les uns sont des vases de colère (des réprouvés) et d'autres des vases de miséricorde (des élus) ? De leur libre volonté, répond-il. En effet, Dieu est infiniment bon et il montre envers tous une égale
bienveillance. » Il ajoute à propos du Pharaon qui avait, nous dit la Bible, le coeur endurci : « Si le Pharaon n'a pas été sauvé, c'est qu'il l'a bien voulu car il n' a rien reçu de moins que ceux qui ont été sauvés. ». Il commente ailleurs la demande de la mère des fils de Zébédée et la réponse de Jésus : «
Il ne dépend pas de moi de vous donner, etc ». « Le Christ a voulu indiquer que le don ne concerne pas que lui mais que les combattants ont aussi à le
saisir. Si cela ne dépendait que de lui, tous les hommes seraient sauvés. » Saint Isidore de Péluse : « Dieu veut vraiment et de toutes manières aider
ceux qui se vautrent dans le péché, pour leur enlever toute excuse ». Saint Cyrille de Jérusalem : « Le Seigneur a ouvert la porte de la vie éternelle à
tous les hommes. Tous peuvent y entrer, sans que personne ne puisse les en empêcher. » Mais cette doctrine des Pères grecs ne plaît pas à Jansénius qui
a l'audace de dire : « Personne n' a parlé plus imparfaitement de la grâce que les Pères grecs ». N'aurions-nous donc pas le droit, sur le problème de la
grâce, de suivre l'enseignement des Pères grecs qui ont été les premiers Maîtres et les colonnes de l'Église ? Est-ce que la doctrine des Grecs,
spécialement sur ce point si important, était différente de celle de l'Église Latine ? Il est certain, au contraire, que la vraie foi est passée de l'Église
Grecque à l'Église Latine. Comme l'a écrit saint Augustin contre Julien qui lui opposait l'autorité des Pères grecs, on ne peut mettre en doute que les
latins aient la même foi que les grecs. Et qui donc devrions-nous suivre ? Peut-être les erreurs de ce Jansénius, déjà condamnées comme hérétiques
par l'Église ? N'a-t-il pas eu l'audace de dire que même les Justes n'ont pas la grâce nécessaire pour observer certains commandements ? N'a-t-il pas
prétendu que l'homme mérite et démérite, même s'il agit par nécessité, du moment qu'il n'est pas contraint par la violence ? Ces erreurs et d'autres
découlent de son faux système de la délectation relativement victorieuse, que nous réfuterons dans le chapitre troisième.
Puisque les Pères grecs ne satisfont pas Jansénius, voyons ce qu'en disent les Pères latins. Or, ceux-ci ne diffèrent en rien des grecs. Saint Jérôme :
«L'homme ne peut faire aucune bonne oeuvre sans celui qui lui a donné le libre arbitre et qui ne lui refuse pas sa grâce pour chacune de ses bonnes
oeuvres ». Notons bien ces mots : « qui ne lui refuse pas sa grâce pour chacune de ses bonnes oeuvres ». Saint Ambroise : « Il vient vers nous et il frappe à la porte ; il a toujours l'intention d'entrer ; mais s'il n'entre pas toujours, cela dépend de nous ». Saint Léon : « Celui, en effet, qui nous prévient de son secours, nous presse à juste titre de ses commandements ».
Saint Hilaire : « Par un don qui est fait à tous, abondante a été la grâce de la justification ». Innocent ler : « Il nous donne chaque jour des remèdes : si nous ne les utilisons pas en toute confiance, nous ne pourrons jamais triompher des erreurs humaines ». Saint Augustin : « Ce n'est pas d'ignorer malgré toi que l'on te fait grief, mais de négliger de chercher ce que tu ignores ; ce n'est pas non plus de ne point panser tes membres blessés, mais de mépriser celui qui vient les guérir ; tes propres péchés à toi, les voilà. Car il n'y a pas d'homme si dépourvu qui ne sache l'utilité de chercher ». Et ailleurs : « Donc son ignorance de ce qu'elle (l'âme) doit faire provient de la perfection qu'elle n' a pas encore obtenue ; mais elle l'obtiendra aussi si elle use bien de ce qui déjà lui a été donné. Or il lui a été donné de chercher avec zèle et piété si elle veut ». Notons bien « Or il lui a été donné de chercher avec zèle et piété si elle veut ». Chacun a donc, au moins, la grâce éloignée de demander. S'il en use bien, il recevra la grâce prochaine de pouvoir faire ce qui lui était tout d'abord impossible. Le saint Docteur s'appuie sur le principe suivant : personne ne pèche dans ce qu'il ne peut éviter ; donc si l'on pèche sur un point, c'est dans la mesure même où on peut l'éviter avec la grâce du Seigneur qui est donnée à tous. « Qui pèche, en effet, sur un point sur lequel il ne peut aucunement se garder ? Mais nous péchons : c'est donc qu'il est possible de se garder... Le péché peut être évité, mais avec l'aide de celui qui ne peut tromper ». La raison en est évidente : il est clair - et nous le verrons
encore mieux lorsque nous parlerons des pécheurs obstinés - qu'il n'y aurait pas de péché si faisait défaut la grâce nécessaire pour observer les
commandements.
Saint Thomas enseigne la même doctrine en plusieurs endroits. Il commente ainsi le texte de saint Paul « Qui veut que tous les hommes soient sauvés » :
« La grâce ne fait donc défaut à personne mais elle est donnée à tous, pour autant qu' il dépend de Dieu, tout comme le soleil envoie sa lumière même
aux aveugles ». Le soleil envoie sa lumière à tous, et seuls en sont privés ceux qui volontairement y ferment les yeux. Ainsi Dieu communique à tous
la grâce nécessaire pour observer la loi, et les hommes ne se perdent que s'ils ne veulent pas en profiter. Il dit ailleurs : « C'est le rôle de la Divine
Providence de pourvoir chacun des moyens nécessaires au salut, à condition que l'homme, de son côté, n'y mette pas d'obstacle ». Dieu donne
donc à tous les grâce nécessaires au salut. Puisque la grâce actuelle est nécessaire pour vaincre les tentations, pour pratiquer les commandements, il
faut obligatoirement conclure : Dieu donne à tous la grâce actuelle ou effective pour faire le bien, soit immédiatement soit médiatement ; on n'a pas besoin d'une grâce supplémentaire pour mettre en oeuvre ce moyen de la prière, en vue d'obtenir la grâce actuelle prochaine. Et saint Thomas commente ainsi ces paroles de Jésus en saint Jean « Personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire » : « Si le coeur de l'homme ne s'élève pas vers Dieu, ce n'est pas par la faute de « celui qui attire » - celui-ci fait tout ce qu'il faut - mais c'est à cause de l'opposition par « celui qui est attiré ». Scot dit exactement la même chose « Dieu veut de par sa volonté antécédente,
sauver tous les hommes, pour autant qu'il dépend de lui, et il leur a donné les biens généraux suffisants pour le salut ». Le Concile de Cologne (1636) affirme : « Bien que personne ne se convertisse s'il n'est
attiré par le Père, personne ne peut prétendre qu'il n'est pas attiré : le Seigneur se tient sans cesse à la porte de son coeur et il frappe en lui parlant
directement au coeur et de l'extérieur ».
Les Saints Pères n'ont pas parlé au hasard mais ils se sont appuyés sur les Saintes Écritures. Le Seigneur nous assure très clairement, en de nombreux
passages, qu'il nous assiste de sa grâce. A nous d'en profiter pour persévérer dans la justice ou pour nous convertir si nous sommes pécheurs : « Je me tiens à la porte et je frappe....Si quelqu'un m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui » (Ap 3, 20). Bellarmin commente ainsi ce texte : Le Seigneur sait bien que l'homme ne peut pas ouvrir sans sa grâce. Il frapperait donc en vain à la porte de son coeur s'il ne lui donnait pas auparavant la grâce d'ouvrir quand il le veut. Et saint Thomas enseigne de même à propos de ce texte : Dieu donne à chacun la grâce nécessaire au salut : à chacun d'y correspondre s'il le veut. « Dieu, dans sa volonté très généreuse, donne sa grâce à tous ceux
qui s'y préparent : Je me tiens à la porte et je frappe. La grâce de Dieu ne fait défaut à personne mais elle est communiquée à tous, pour autant qu'il
dépend de lui ». Il ajoute : « C'est le rôle de la Divine Providence de pourvoir chacun des moyens nécessaires au salut ». Ainsi, écrit saint Ambroise, le Seigneur frappe à la porte parce qu'il veut vraiment entrer.
Mais il arrive qu'il n'entre pas ou bien qu'il ne demeure pas dans nos âmes parce que nous lui interdisons l'entrée, ou bien parce que nous le chassons, une fois qu'il y est entré : « ll vient, en effet, et il frappe à la porte : il veut toujours entrer mais s'il n'entre pas toujours ou s'il ne reste pas, c'est de notre faute ! »
« Que pouvais je encore faire pour ma vigne que je n'aie fait ? Pourquoi espérais je avoir de beaux raisins et a-t-elle donné des raisins sauvages ? » (Is 5, 4). Bellarmin dit à propos de ce texte : Si le Seigneur n'avait pas donné à la vigne la possibilité de produire des raisins pourquoi dirait-il « Pourquoi espérais-je ? » Et si Dieu n'avait pas donné à tous la grâce nécessaire pour faire leur salut, aurait-il pu dire aux Hébreux : « Que pouvais je encore faire? ». Nous n'avons pas donné de fruit, auraient-ils pu répondre, parce que le secours nécessaire nous a manqué ! Bellarmin dit également à propos des paroles de Jésus « Combien de fois ai je voulu rassembler tes enfants... et tu n'as pas voulu » (Mt 23,38). « Comment a-t-il voulu être recherché par ceux
qui le rejetaient, demande le Cardinal, s'il ne les a pas aidés à vouloir ? »
« O Dieu, nous rappelons la mémoire de ta miséricorde, au milieu de ton temple »
(Ps 48 (47),10). Saint Bernard fait cette remarque : « De fait, c'est au milieu du temple que se trouve la miséricorde, et non dans un angle ou dans une annexe : Dieu ne fait pas de favoritisme (Ac 10, 34). Elle est disposée comme un bien commun, elle est offerte à tous, et nul ne s'en trouve exclu à moins de s'en priver soi-même ».
« Ou bien méprises-tu ses richesses de bonté ? Sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? » (Rm 2,4). Voici un pécheur qui par
malice ne se convertit pas, qui méprise les richesses de la Divine Bonté qui l'appelle et qui le pousse sans cesse à se convertir. Dieu déteste le péché, mais en même temps il continue d'aimer le pécheur tant qu'il vit ici-bas et il lui donne les secours nécessaires à son salut. « Vous pardonnez à tous, parce que tout est à vous, Seigneur qui aimez les âmes » (Sg 11,26)
Non, dit Bellarmin, Dieu ne refuse pas au pécheur la grâce pour résister aux tentations, quelque obstiné qu'il soit : « Tous ont toujours le secours
nécessaire pour éviter de nouveaux péchés, soit immédiatement, soit médiatement (par le moyen de la prière). De la sorte, les pécheurs peuvent obtenir de Dieu de plus grands secours, grâce auxquels ils éviteront le péché ». Ajoutons ce que dit le Seigneur par le Prophète Ezéchiel : « Je suis vivant, oracle du Seigneur Yahvé ; je ne veux point la mort du méchant mais qu'il se détourne de sa voie et qu'il vive ! » (Ez 33,11). Saint Pierre dit de même :
« Le Seigneur use de patience envers vous ne voulant pas qu'aucun périsse mais que tous viennent à la pénitence » (2 P 3, 9). Si donc Dieu veut que
tous se convertissent réellement, on doit nécessairement supposer qu'il donne à tous la grâce dont ils ont besoin pour le faire concrètement.
e sais bien qu'il y a des théologiens qui soutiennent que Dieu va jusqu'à refuser même la grâce suffisante à certains pécheurs obstinés. Ils s'appuient, entre autres, sur une doctrine de saint Thomas : « Bien que ceux qui sont dans le péché ne puissent pas, par leurs propres forces et à moins d'être prévenus par le secours de la grâce, éviter de mettre obstacle à la grâce, ainsi qu'on l'a montré, cela leur est néanmoins imputé à péché, parce que cette faiblesse est une conséquence de leurs fautes précédentes : par exemple, un ivrogne n'est pas excusé du meurtre qu'il a commis en état d'ivresse volontaire. De plus, bien que celui qui vit dans le péché ne puisse pas par
ses propres forces éviter tous les péchés, il peut cependant en éviter l'un ou l'autre, comme on l'a dit. Ce qu'il commet, il le fait volontairement, et il n'est
pas injuste que ce péché lui soit imputé ». D'après ces théologiens, saint Thomas veut dire ceci : Certains pécheurs peuvent bien éviter les péchés
pris un par un, mais non tous les péchés pris globalement, parce que, en punition des péchés qu'ils ont commis précédemment, ils sont privés de
toute grâce actuelle.
Mais, dans ce passage, saint Thomas ne parle pas de la grâce actuelle mais de la grâce habituelle ou sanctifiante. Privé de celle-ci le pécheur ne peut pas
rester longtemps sans tomber dans de nouveaux péchés, comme il l'enseigne en plusieurs passages. Il est clair, d'après le contexte, que saint Thomas veut dire ici la même chose. Nous citons tout le passage pour bien faire comprendre la pensée du saint. Voici d'abord le titre du chapitre : « L' homme en état de péché ne peut pas éviter le péché sans la grâce ». Le titre même indique que le saint Docteur, n'entend pas dire ici autre chose que dans les autres passages : « Comme l'esprit de l'homme s'est détourné de l'état de rectitude, il est clair qu'il s'est éloigné de l'ordre de la fin à poursuivre...
Chaque fois donc que se présentera quelque chose se situant dans la ligne d'une fin erronée et contraire à la vraie fin, on le choisira à moins que l'on ne soit ramené à l'ordre véritable et que l'on ne donne la préférence à la véritable fin, ce qui est un effet de la grâce. Mais, quand on choisit par contre quelque chose de contraire à la fin ultime, on met un obstacle à la grâce qui oriente vers la W . Il est donc clair qu'après le péché l'homme ne peut s'abstenir de tout péché avant d'être ramené par la grâce à l'ordre voulu. Dans ces conditions, l'opinion des Pélagiens n'est-elle pas stupide ? Ils prétendaient que l'homme en état de péché peut éviter le péché sans la grâce ». Vient ensuite le texte cité plus haut « Bien que ceux qui sont dans le péché.... » dont se servent les adversaires. Quelle est l'intention de saint Thomas ? non pas de prouver que certains pécheurs sont privés de toute grâce actuelle, ni qu'ils ne peuvent éviter tous les péchés, ni qu'ils pèchent et qu'ils sont dignes de châtiments, mais de prouver, contre les
Pélagiens, que l'homme qui n'a pas la grâce sanctifiante ne peut s'abstenir de pécher.
Le saint parle certainement de la grâce sanctifiante parce que c'est uniquement celle-là qui remet l'âme dans l'ordre voulu. C' est de cette même grâce sanctifiante qu'il entend parler lorsqu'il dit « à moins d'être prévenus par le secours de la grâce ». Il veut dire ceci : si le pécheur n'est pas prévenu c'est-à-dire possédé par la grâce et donc tenu, selon l'ordre fixé, d'avoir Dieu pour fin ultime, il ne peut éviter de commettre de nouveaux péchés. Ainsi
l'entendent les thomistes, tels que Silvestre de Ferrare et Gonet, à propos de ce texte. Mais inutile de recourir à d'autres ! C'est évident d'après ce que dit saint Thomas dans la Somme. Il y parle du même problème et apporte exactement les mêmes raisons, dans les termes de son livre Contra Gentes
chapitre 160: il n'y parle expressément que de la seule grâce habituelle ou sanctifiante.
Impossible que le saint Docteur l'ait entendu autrement ! N'enseigne-t-il pas ailleurs que la divine grâce ne manque jamais à personne ? Il le dit dans son Commentaire de saint Jean : « Ne crois pas que cet effet puisse provenir de la privation de la vraie lumière, l'Evangile l'exclut formellement : Il était la
vraie lumière qui illumine tous les hommes.
Le Verbe éclaire, pour autant qu'il dépend de lui, car il ne fait défaut à personne. Il veut même que tous les hommes soient sauvés. Si quelqu'un n'est pas illuminé, c'est qu'il se détourne de la lumière ». Il enseigne également ceci : Il n'y a aucun pécheur,
si perdu soit-il et privé de la grâce, qui ne puisse renoncer à son obstination et se conformer à la volonté de Dieu. Mais il ne peut certainement pas le
faire sans le secours de la grâce : « Il n'est personne sur cette terre qui ne puisse renoncer à son obstination et se conformer ainsi à la volonté de Dieu
». Il dit ailleurs : « Aussi longtemps que l'homme jouit ici-bas de son libre arbitre... il peut se préparer à la grâce par le repentir de ses péchés ». Ce repentir ne peut avoir lieu sans la grâce. Et ailleurs : « Aucun homme ici-bas, si obstiné soit-il dans le mal, qui ne puisse collaborer à sa conversion ! ». Il faut nécessairement que s'y ajoute le secours de la grâce. Il commente ailleurs les paroles de saint Paul « Il veut que tous les hommes soient sauvés
» : « La grâce de Dieu ne fait donc défaut à personne, mais pour autant qu'il dépend de lui il la communique à tous ». Sur ces mêmes paroles de l'Apôtre, il ajoute : « Pour autant qu'il dépend de lui, Dieu est prêt à donner sa grâce à tous... Seuls en sont privés ceux qui y mettent en eux-mêmes un obstacle ; ils ne peuvent donc pas être excusés s'ils pèchent »
Quand saint Thomas dit : « Dieu est prêt à donner la grâce à tous », il n'entend pas parler de la grâce actuelle, ainsi que nous l'avons vu plus haut,
mais de la seule grâce sanctifiante. Le Cardinal Gotti réfute très justement certains auteurs qui soutiennent que Dieu tient préparés près de lui les
secours nécessaires au salut, mais qu'en fait, il ne les accorde pas à tous. De quoi servirait au malade, dit ce savant auteur, que le médecin ait chez lui les
remèdes s'il ne consentait pas à les appliquer ? Il arrive donc à cette conclusion : Il faut nécessairement admettre « que Dieu non seulement offre mais donne à tous les hommes, même aux infidèles et aux endurcis, les secours sufiisants soit au moins médiats, pour observer les commandements ». Du reste, selon saint Thomas, seuls les péchés des
démons et des damnés ne peuvent être effacés par la pénitence.
Mais « c'est une erreur de dire qu'un péché ne peut pas être remis par la vraie pénitence... parce que l'on contredirait ainsi la puissance de la Passion du Christ ». Si la grâce venait à manquer à quelqu'un, il ne pourrait pas se repentir. En outre, comme nous l'avons déjà vu, saint Thomas enseigne expressément, spécialement dans son commentaire du chapitre 12 de la lettre de saint Paul aux Hébreux, que Dieu ne refuse à personne, pour autant qu'il dépend de lui, la grâce nécessaire à la conversion : «
La grâce de Dieu ne fait défaut à personne mais, pour autant qu'il dépend de lui, elle est donnée à tous ». Le savant théologien du Séminaire de Périgueux a raison d'affirmer : « Ce serait
calomnier saint Thomas que de l'accuser d'avoir enseigné que certains pécheurs sont totalement abandonnés par Dieu ». Le Cardinal Bellarmin fait
sur ce point une sage distinction : pour éviter de nouveaux péchés, tout pécheur reçoit en tout temps le secours au moins médiat. « Dans sa
bienveillance, Dieu accorde à tous, en tout temps, soit immédiatement, soit médiatement, le secours suffisant et nécessaire pour éviter les péchés...
Nous disons soit médiatement parce qu'il est sûr que certains n'ont pas le secours qui leur permet immédiatement d'éviter le péché, mais ils ont la
grâce de pouvoir demander à Dieu de plus grands secours : ils pourront ainsi éviter le péché ». Quant à la grâce de la conversion, celle-ci n'est pas donnée en tout temps au pécheur. Personne cependant ne sera jamais abandonné de Dieu « au point d'être privé de son secours, de façon certaine et absolue, durant toute sa vie, au point de désespérer de son salut ».
Les Théologiens thomistes, ses disciples, partagent la même opinion. Le très savant Père Dominique Soto affirme : « Je suis plus que certain et je crois
même que toujours de saints Docteurs dignes de ce nom ont soutenu que personne n'a jamais été abandonné de Dieu en cette vie ». La raison en est
claire : si le pécheur était complètement privé de la grâce, les fautes qu'il continuerait à commettre ne pourraient plus lui être imputées à péché ou
bien il serait sans cesse affronté à des devoirs impossibles. Mais saint Augustin a pour principe indubitable : « Qui pèche, en effet, sur un point sur
lequel il ne peut absolument pas se garder ? ». C'est bien ce qu'affirme l'Apôtre : « Dieu est fidèle; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà
de vos forces ; mais avec la tentation il ménagera le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le pouvoir de la supporter » ( 1 Co 10,13).
Ce moyen d'en tirer avantage signifie que le Seigneur envoie son secours à ceux qui sont tentés pour qu'ils puissent résister à la tentation. C'est aussi ce
qu'explique saint Cyprien : « Avec la tentation il donnera la possibilité d'y échapper ».
Primase parle encore plus clairement : « Il fera en sorte que nous puissions soutenir la tentation c'està-dire qu'il nous fortifiera par sa grâce ; nous
pourrons ainsi repousser la tentation ». Saint Augustin et saint Thomas vont jusqu'à dire : Dieu serait injuste et cruel s'il obligeait quelqu'un à observer un commandement impossible. Saint Augustin : « Quant à tenir quelqu'un pour coupable de péché parce qu'il n'a pas fait ce qu'il ne pouvait pas faire, c'est le comble de l'iniquité et de la stupidité ». Saint Thomas ajoute : « Dieu n'est
pas plus cruel que l'homme.
Or, il est cruel pour un homme de commander à quelqu'un une chose irréalisable. Il est impensable que Dieu puisse demander quelque chose de semblable ». Il en va différemment, ajoute encore saint Thomas, quand « c'est par sa faute que manque à quelqu'un la grâce qui lui permettrait de pratiquer les commandements ». C'est bien le cas quand on néglige d'utiliser la grâce éloignée de la prière : avec celle-ci, en effet, on peut obtenir la grâce prochaine qui rend possible l'observation du commandement, comme l'enseigne le Concile de Trente : « Dieu n'ordonne pas l'impossible, mais lorsqu' il ordonne il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à pouvoir ».
Saint Augustin confirme cela en beaucoup d'autres endroits : pas de péché en ce que l' on ne peut pas éviter ! « Si l'on ne pouvait pas choisir entre le
mal et le bien, aucune récompense ni aucun châtiment ne serait juste » « S'il leur est impossible de s'abstenir de ce qu'ils font nous ne pouvons leur
imputer aucun péché ».
Le démon suggère une façon de faire. C'est à nous, avec le secours de Dieu, de la choisir ou de la rejeter. Pourquoi donc, puisque tu le peux avec la grâce de Dieu, ne décides-tu pas d'obéir à Dieu plutôt qu' au démon ? « Nul n'est coupable s'il n'a pas consenti librement ». « Personne ne mérite de blâme lorsqu'il ne fait pas ce qui n'est pas en son pouvoir ». Saint Jérôme pense de même : « Nous ne sommes pas contraints à la vertu ou au vice. Si l'on est forcé d'agir, pas de condamnation ni de couronne ! » Tertullien : « On n'imposerait pas une loi à quelqu'un qui ne pourrait pas l'observer normalement ». L'Ermite Marc: « La grâce nous aide discrètement, mais il est en notre pouvoir de faire ou de ne pas faire le bien ». Saint Irénée, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Jean Chrysostome et d'autres sont du même avis.
Que l'on n'objecte pas ce que dit saint Thomas, à savoir que la grâce serait refusée par suite du péché originel ! « Ce secours de la grâce, c'est
assurément par miséricorde qu'il est accordé à ceux qui le reçoivent ; quant à ceux qui ne l'ont pas, c'est par justice qu'il ne leur est pas donné comme
peine d'un péché qui a précédé, ou tout au moins du péché originel, comme dit saint Augustin ».
Le savant Cardinal Gotti répond à cette objection :
Saint Augustin et saint Thomas parlent de la grâce actuelle prochaine qui est donnée pour pratiquer les commandements de la foi et de la charité. Saint
Thomas en traite précisément à cet endroit. Mais il n'entendent nullement nier que le Seigneur donne à chacun la grâce intérieure qui lui permettra, au
moins médiatement, d'obtenir la grâce de la foi et du salut. En effet, avons-nous vu, les deux saints Docteurs ne mettent pas en doute que Dieu
accorde à chacun la grâce au moins éloignée pour observer les commandements. Ajoutons-y l'autorité de saint Prosper : « La doctrine ci-dessus s'applique toujours dans une certaine mesure à tous les hommes : bien que certains ne reçoivent qu'une grâce moindre, celle-ci suffit à les guérir, elle permet à tous de témoigner ».
Si certains péchaient par suite du péché originel qui leur serait imputé comme faute personnelle, ils n'auraient même pas la grâce suffisante éloignée ; on devrait conclure : la liberté de la volonté que nous sommes supposés avoir eue dans le péché d'Adam est suffisante pour qu'il y ait péché. Mais cette idée est expressément condamnée dans la première
Proposition de Michel Baius : « Pour qu'il y ait péché formel et démérite, il suffit que le péché ait été volontaire et libre dans sa cause à savoir le péché
originel et l'acte libre d'Adam pécheur ».
Le Cardinal Bellarmin réfute cette proposition : Pour commettre un péché distinct de celui d'Adam, il faut un nouvel exercice de la liberté et d'une liberté distincte de celle d'Adam ; autrement, il n'y a point de péché distinct, ainsi que l'enseigne saint Thomas: « Pour qu'il y ait péché personnel, un pouvoir personnel est requis ». En outre, le Concile de Trente a déclaré par rapport aux baptisés : « En ceux qui ont été régénérés par le baptême, plus rien ne reste que Dieu haïsse, car rien n'est désormais condamnable en ceux qui ont été ensevelis dans la mort avec le Christ par le baptême ». Et il ajoute : La concupiscence ne subsiste pas au titre d'un châtiment mais « en vue du combat à mener et elle ne peut pas nuire à ceux qui n'y cèdent pas ». Mais elle nous nuirait beaucoup si, à cause d'elle, Dieu allait jusqu'à nous refuser la grâce éloignée nécessaire au salut.
Juénin soutient : Lorsque quelqu'un choisit de commettre volontairement tel ou tel péché, bien qu'il pèche alors nécessairement parce qu'il n'a pas la
grâce actuelle suffisante pour lui faire éviter tout péché, il se rend coupable au titre de la liberté d'exercice ou de choix. Mais cette opinion - à savoir que quelqu' un pèche alors qu'il n'a pas d'autre liberté que celle de choisir son péché et qu'il est en même temps contraint de pécher - fait à juste titre
bondir le savant archevêque de Vienne (France), Monseigneur de Saléon, dans son livre Jansénius ressuscité : « Qui pourrait admettre que pèche
vraiment quelqu'un qui est privé de la grâce, contraint de pécher et qui n'a d'autre liberté que celle de choisir tel péché plutôt que tel autre ? ». Si un condamné à mort n'a d'autre liberté que celle de choisir de mourir par le fer, le poison ou le feu, devra-t-on dire que son choix le fera mourir
volontairement et librement ? Alors, comment peut-on imputer à péché la faute de quelqu'un qui est contraint de pécher de telle ou telle façon ? La
proposition 67 de Baïus a été condamnée :
« L'homme pèche d'une manière coupable même lorsqu'il agit sous la contrainte ». Là où est la nécessité de pécher, où est la liberté ? Jansénius répond : « pour pécher il suffit de la liberté de la volonté que nous sommes censés avoir eue dans le péché d'Adam. Mais cette opinion a été condamnée dans la Proposition 1 de ce même Baïus : « Pour qu'il y ait péché formel et démérite, il suffit que le
péché ait été volontaire et libre dans sa cause, le péché originel et l'acte libre d'Adam pécheur ».
Les adversaires insistent : bien que le pécheur privé de la grâce ne puisse éviter tous les péchés mortels globalement, il peut néanmoins éviter chaque
péché distributivement c'est-à-dire séparément « par simple abstention ou négation de l'acte », comme ils disent. Mais cette thèse est inadmissible pour
plusieurs raisons :
1 °) Quand on est assailli par une violente tentation exigeant un grand effort pour y résister, on ne peut moralement en triompher, comme disent tous les
théologiens, qu'avec le secours de la grâce ou en succombant à une passion mauvaise opposée : ce pécheur privé de la grâce serait alors forcément
contraint à pécher d'une façon ou d'une autre, ce qui est horrible, avons-nous dit.
2°) Quand une grande passion pousse l'homme au mal sur un point précis, il n'y a pas toujours - c'est même rare - un autre motif désordonné en sens
contraire, qui soit assez fort pour que l'on s'abstienne de céder à cette passion. Quand ce motif opposé n'existe pas, le pécheur serait contraint à commettre le mal précis auquel il se sent incliné ?
3°) La « simple abstention de l'acte », comme ils disent, est à peine imaginable quand il s'agit de préceptes négatifs. Elle est impossible, comme
le font remarquer Tournely et le Cardinal Gotti, quand il s'agit d'un précepte positif demandant d'accomplir un acte surnaturel, comme les actes de foi,
d'espérance, de charité et de contrition. Pour accomplir ces actes surnaturels, il faut nécessairement l'aide surnaturelle de Dieu. Dans ces
cas-là au moins, l'homme privé de la grâce pécherait nécessairement en n'observant pas le précepte positif, bien qu'il ne puisse pas éviter le péché.
Ce serait aller contre la foi, dit le Père Banez, que de le soutenir : « Chaque fois que quelqu'un pèche, dit-il, il faut qu'il ait reçu effectivement une
inspiration divine. Nous considérons cette conclusion comme certaine selon la foi. Personne, en effet, ne pèche en ne faisant pas ce qui lui est impossible. Ceci est également certain selon la foi. Mais celui qui n'a rien reçu en dehors de ce qui relève de la nature humaine ne peut absolument rien au-dessus de la nature. Il ne pèche donc pas en n'accomplissant pas
quelque chose de surnaturel ».
Que l'on ne dise pas : C'est par sa faute que ce pécheur est privé de la grâce. Il pèche donc, bien que privé de la grâce. Le Cardinal Gotti répond
parfaitement à cette objection : Le Seigneur peut avec raison punir ce pécheur pour les fautes qu'il a commises précédemment mais non pas pour des manquements futurs à des commandements impossibles à observer. Si un serviteur, dit-il, était envoyé quelque part et tombait dans une fosse par
sa faute, le patron pourrait bien le punir pour son étourderie, et aussi si ce serviteur refusait d'utiliser les moyens de sortir de cette fosse (échelle, corde...). Mais si le patron refusait de l'aider à sortir, ce serait de la tyrannie que de l'obliger à continuer sa route et de le punir de ne pas le faire. Il conclut donc : « Lorsque l'homme tombé dans la fosse du péché ne peut poursuivre sa route vers le salut éternel, Dieu pourrait le punir de cette faute ainsi que de refuser le moyen de s'en sortir. Mais si Dieu le laissait dans son impuissance, il ne pourrait pas l'obliger sans injustice à continuer sa route ni
le punir de ne pas le faire ».
On nous oppose de nombreux textes de la Sainte Ecriture qui semblent parler de cet abandon de Dieu : « Aveugle le coeur de ce peuple... de sorte qu'il ne voie point et qu'il ne se convertisse point et que je ne le guérisse point » (Is 6,10). « Nous avons soigné Babylone mais elle n'a pas été guérie, abandonnons-la » (Jr 51,9). « Ajoute l'iniquité à leur iniquité et qu'il n'aient point part à ta justice » (Ps 69 (68),28). « Aussi Dieu les a-t-il livrés à des
passions avilissantes » (Rm 1,26). « Ainsi donc il fait miséricorde à qui il veut et il endurcit qui il veut » (Rm 9,18). Et d'autres textes semblables.
Mais on répond facilement et communément à tous ces textes : souvent dans les Saintes Ecritures il ne s'agit pas d'actes réels mais de simples permissions de Dieu. Ne suivons pas Calvin dans ses blasphèmes. Ne disons pas comme lui que Dieu en prédispose et détermine certains à pécher. Non, mais Dieu permet qu'en punition de leurs fautes certains soient
assaillis par de violentes tentations : châtiment dont nous prions le Seigneur de nous délivrer dans le Notre Père : « Ne nous soumets pas à la tentation ».
Dieu permet aussi qu'ils restent moralement abandonnés dans leurs péché. Sans doute, la conversion et la résistance aux tentations ne leur sont pas impossibles ni sans espoir. Mais, par suite de leurs fautes et de leurs mauvaises habitudes, cela leur devient très difficile. Dans leur état de
relâchement, leurs désirs et leurs efforts pour résister à leurs mauvaises habitudes et pour se mettre sur le chemin du salut seront très faibles et très rares. Il s'agit de l'obstination imparfaite dans laquelle le pécheur reste endurci et dont parle saint Thomas : « Il est endurci au point de ne pouvoir
coopérer facilement à sortir de son péché.
C'est l'obstination imparfaite dans laquelle quelqu'un est enfermé : sa volonté est tellement rivée au péché
qu'elle ne produit plus que de faibles élans vers le bien ». L'esprit est obscurci. La volonté est insensible aux divines inspirations et attachée aux plaisirs des sens. Elle méprise et prend en dégoût les biens spirituels. Par suite des mauvaises habitudes, les passions et les appétits sensibles prennent le dessus dans l'âme. Parce que celle-ci méprise et néglige les
lumières et les appels de Dieu, elle est responsable de leur inefficacité. Elle ressent même une certaine aversion pour ces lumières et ces appels, parce
qu'elle ne veut pas être troublée dans ses plaisirs sensuels. Tout cela explique l'abandon moral du pécheur : il ne peut sortir qu'avec une extrême
difficulté de son misérable état et se mettre à mener une conduite régulière.
Pour en sortir et passer d'un seul coup d'un tel désordre au bon ordre du salut, il lui faudrait une grâce abondante et extraordinaire mais Dieu accorde
rarement cette grâce à ces pécheurs obstinés. Il la donne parfois à certains, dit saint Thomas. Il les choisit pour en faire des vases de miséricorde,
comme l'écrit l'Apôtre Paul, pour manifester sa bonté. Il la refuse à bon droit à d'autres et les laisse dans leur malheureux état, pour montrer sa Justice et
sa Puissance. « Parfois, dit le Docteur Angélique, en vertu de sa grande bonté, il offre son secours même à ceux qui mettent obstacle à la grâce et il les convertit, etc. Il n'éclaire pas tous les aveugles ; il ne guérit pas tous les malades ; de même, il n' offre pas la grâce de la conversion à tous ceux qui
mettent obstacle à la grâce... C'est ce qu'exprime l'Apôtre Paul (Rm 9,22) : « Si Dieu, voulant manifester sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec beaucoup de patience des vases de colère devenus dignes de perdition, afin de manifester la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu'il a d'avance préparés pour la gloire... » Et saint Thomas ajoute : « On ne doit pas chercher à savoir pourquoi le Seigneur en convertit
certains qui vivent dans les mêmes péchés, alors qu'il souffre ou permet que les autres suivent leur destin : pourquoi convertit-il les uns et pas les autres ?
D'où ces paroles de l'Apôtre : « Le potier n'est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la même pâte un vase de luxe ou un vase quelconque ? »
(Rm 9,21 ).
Pour conclure, nous ne nions pas l'abandon moral de certains pécheurs obstinés, dont la conversion est moralement impossible, c'est-à-dire très difficile. Ceci ne peut-il pas suffire à montrer la bonne intention de nos adversaires dans la défense de leur opinion ? Ils veulent dresser une barrière devant les pécheurs et les amener à se repentir avant qu'ils en arrivent à un si lamentable état. Mais, dit l'auteur de la Théologie de Périgueux, il est cruel de vouloir leur enlever toute espérance et de leur fermer entièrement la voie
du salut, en prétendant qu'ils sont tombés dans un abandon total: ils seraient, en effet, privés de toute grâce actuelle pour éviter les nouveaux péchés et pour se convertir. Mais ils le peuvent, au moins médiatement, par la prière. Cette grâce n'est refusée à personne en cette vie, comme nous le montrerons dans le chapitre quatrième. Ils peuvent ainsi obtenir des secours abondants pour se remettre sur le chemin du salut. En revanche, la peur inspirée par l'abandon total les amènerait à désespérer mais aussi à se livrer davantage au vice. Convaincus d'être totalement privés de la grâce, ils n'auraient plus aucun espoir d'éviter la damnation éternelle.
PRÉLIMINAIRE II
A TOUS, DIEU DONNE LES GRÂCES NÉCESSAIRES À TOUS LES JUSTES, POUR OBSERVER LES COMMANDEMENTS ; ET À TOUS LES PÉCHEURS, POUR SE CONVERTIR.
Si Dieu veut vraiment le salut de tous les hommes, il leur donne à tous la grâce et les secours nécessaires pour cela. Autrement, il ne pourrait pas dire
qu'il veut vraiment les sauver tous. « Dieu veut d'une volonté antécédente le salut de tous, dit saint Thomas ; l'ordre naturel a été établi en fonction du
salut, et tous les biens naturels ou gratuits qui conduisent à cette fin ont été mis communément à la disposition de tous. » Malgré les affirmations
blasphématoires de Luther et de Calvin, il est certain que Dieu n'impose pas une loi impossible à observer. Il est certain également que, sans le secours de la grâce, il est impossible d'observer la loi. Innocent ler l'a déclaré contre les Pélagiens : « Avec l'aide de Dieu nous sommes vainqueurs ; sans son aide nous serons inévitablement vaincus. » Le Pape Célestin l'affirme également. Puisque le Seigneur donne à tous une loi qu'il soit possible d'observer, il accorde à tous
la grâce nécessaire, soit immédiatement soit médiatement par le moyen de la prière, comme l'a défini très clairement le Saint Concile de Trente : Dieu
n'ordonne pas des choses impossibles mais lorsqu'il ordonne, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à
pouvoir. Si Dieu nous refusait la grâce prochaine ou éloignée pour observer la loi, ou bien la loi aurait été donnée inutilement ou bien le péché serait inévitable.
Si le péché était inévitable, ce ne serait plus un péché, comme nous allons le démontrer. C'est le sentiment commun des Pères, comme nous allons le voir. Saint Cyrille d'Alexandrie : « Si quelqu'un qui a reçu autant que d'autres les secours de la grâce divine, a péché volontairement, comment peut-il accuser le Christ de ne pas l'avoir préservé, alors que
celui-ci a libéré l'homme en lui apportant tous les secours nécessaires ?
Comment, dit le saint, ce pécheur, qui a reçu autant que les autres restés fidèles les secours de la grâce et qui a péché volontairement, peut-il se plaindre de Jésus Christ ? Celui-ci ne l'a-t-il pas libéré autant qu'il le pouvait par les secours qu'il lui a apportés ? » Saint Jean Chrysostome demande : « D'où vient-il que les uns sont des vases de colère (des réprouvés) et d'autres des vases de miséricorde (des élus) ? De leur libre volonté, répond-il. En effet, Dieu est infiniment bon et il montre envers tous une égale
bienveillance. » Il ajoute à propos du Pharaon qui avait, nous dit la Bible, le coeur endurci : « Si le Pharaon n'a pas été sauvé, c'est qu'il l'a bien voulu car il n' a rien reçu de moins que ceux qui ont été sauvés. ». Il commente ailleurs la demande de la mère des fils de Zébédée et la réponse de Jésus : «
Il ne dépend pas de moi de vous donner, etc ». « Le Christ a voulu indiquer que le don ne concerne pas que lui mais que les combattants ont aussi à le
saisir. Si cela ne dépendait que de lui, tous les hommes seraient sauvés. » Saint Isidore de Péluse : « Dieu veut vraiment et de toutes manières aider
ceux qui se vautrent dans le péché, pour leur enlever toute excuse ». Saint Cyrille de Jérusalem : « Le Seigneur a ouvert la porte de la vie éternelle à
tous les hommes. Tous peuvent y entrer, sans que personne ne puisse les en empêcher. » Mais cette doctrine des Pères grecs ne plaît pas à Jansénius qui
a l'audace de dire : « Personne n' a parlé plus imparfaitement de la grâce que les Pères grecs ». N'aurions-nous donc pas le droit, sur le problème de la
grâce, de suivre l'enseignement des Pères grecs qui ont été les premiers Maîtres et les colonnes de l'Église ? Est-ce que la doctrine des Grecs,
spécialement sur ce point si important, était différente de celle de l'Église Latine ? Il est certain, au contraire, que la vraie foi est passée de l'Église
Grecque à l'Église Latine. Comme l'a écrit saint Augustin contre Julien qui lui opposait l'autorité des Pères grecs, on ne peut mettre en doute que les
latins aient la même foi que les grecs. Et qui donc devrions-nous suivre ? Peut-être les erreurs de ce Jansénius, déjà condamnées comme hérétiques
par l'Église ? N'a-t-il pas eu l'audace de dire que même les Justes n'ont pas la grâce nécessaire pour observer certains commandements ? N'a-t-il pas
prétendu que l'homme mérite et démérite, même s'il agit par nécessité, du moment qu'il n'est pas contraint par la violence ? Ces erreurs et d'autres
découlent de son faux système de la délectation relativement victorieuse, que nous réfuterons dans le chapitre troisième.
Puisque les Pères grecs ne satisfont pas Jansénius, voyons ce qu'en disent les Pères latins. Or, ceux-ci ne diffèrent en rien des grecs. Saint Jérôme :
«L'homme ne peut faire aucune bonne oeuvre sans celui qui lui a donné le libre arbitre et qui ne lui refuse pas sa grâce pour chacune de ses bonnes
oeuvres ». Notons bien ces mots : « qui ne lui refuse pas sa grâce pour chacune de ses bonnes oeuvres ». Saint Ambroise : « Il vient vers nous et il frappe à la porte ; il a toujours l'intention d'entrer ; mais s'il n'entre pas toujours, cela dépend de nous ». Saint Léon : « Celui, en effet, qui nous prévient de son secours, nous presse à juste titre de ses commandements ».
Saint Hilaire : « Par un don qui est fait à tous, abondante a été la grâce de la justification ». Innocent ler : « Il nous donne chaque jour des remèdes : si nous ne les utilisons pas en toute confiance, nous ne pourrons jamais triompher des erreurs humaines ». Saint Augustin : « Ce n'est pas d'ignorer malgré toi que l'on te fait grief, mais de négliger de chercher ce que tu ignores ; ce n'est pas non plus de ne point panser tes membres blessés, mais de mépriser celui qui vient les guérir ; tes propres péchés à toi, les voilà. Car il n'y a pas d'homme si dépourvu qui ne sache l'utilité de chercher ». Et ailleurs : « Donc son ignorance de ce qu'elle (l'âme) doit faire provient de la perfection qu'elle n' a pas encore obtenue ; mais elle l'obtiendra aussi si elle use bien de ce qui déjà lui a été donné. Or il lui a été donné de chercher avec zèle et piété si elle veut ». Notons bien « Or il lui a été donné de chercher avec zèle et piété si elle veut ». Chacun a donc, au moins, la grâce éloignée de demander. S'il en use bien, il recevra la grâce prochaine de pouvoir faire ce qui lui était tout d'abord impossible. Le saint Docteur s'appuie sur le principe suivant : personne ne pèche dans ce qu'il ne peut éviter ; donc si l'on pèche sur un point, c'est dans la mesure même où on peut l'éviter avec la grâce du Seigneur qui est donnée à tous. « Qui pèche, en effet, sur un point sur lequel il ne peut aucunement se garder ? Mais nous péchons : c'est donc qu'il est possible de se garder... Le péché peut être évité, mais avec l'aide de celui qui ne peut tromper ». La raison en est évidente : il est clair - et nous le verrons
encore mieux lorsque nous parlerons des pécheurs obstinés - qu'il n'y aurait pas de péché si faisait défaut la grâce nécessaire pour observer les
commandements.
Saint Thomas enseigne la même doctrine en plusieurs endroits. Il commente ainsi le texte de saint Paul « Qui veut que tous les hommes soient sauvés » :
« La grâce ne fait donc défaut à personne mais elle est donnée à tous, pour autant qu' il dépend de Dieu, tout comme le soleil envoie sa lumière même
aux aveugles ». Le soleil envoie sa lumière à tous, et seuls en sont privés ceux qui volontairement y ferment les yeux. Ainsi Dieu communique à tous
la grâce nécessaire pour observer la loi, et les hommes ne se perdent que s'ils ne veulent pas en profiter. Il dit ailleurs : « C'est le rôle de la Divine
Providence de pourvoir chacun des moyens nécessaires au salut, à condition que l'homme, de son côté, n'y mette pas d'obstacle ». Dieu donne
donc à tous les grâce nécessaires au salut. Puisque la grâce actuelle est nécessaire pour vaincre les tentations, pour pratiquer les commandements, il
faut obligatoirement conclure : Dieu donne à tous la grâce actuelle ou effective pour faire le bien, soit immédiatement soit médiatement ; on n'a pas besoin d'une grâce supplémentaire pour mettre en oeuvre ce moyen de la prière, en vue d'obtenir la grâce actuelle prochaine. Et saint Thomas commente ainsi ces paroles de Jésus en saint Jean « Personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire » : « Si le coeur de l'homme ne s'élève pas vers Dieu, ce n'est pas par la faute de « celui qui attire » - celui-ci fait tout ce qu'il faut - mais c'est à cause de l'opposition par « celui qui est attiré ». Scot dit exactement la même chose « Dieu veut de par sa volonté antécédente,
sauver tous les hommes, pour autant qu'il dépend de lui, et il leur a donné les biens généraux suffisants pour le salut ». Le Concile de Cologne (1636) affirme : « Bien que personne ne se convertisse s'il n'est
attiré par le Père, personne ne peut prétendre qu'il n'est pas attiré : le Seigneur se tient sans cesse à la porte de son coeur et il frappe en lui parlant
directement au coeur et de l'extérieur ».
Les Saints Pères n'ont pas parlé au hasard mais ils se sont appuyés sur les Saintes Écritures. Le Seigneur nous assure très clairement, en de nombreux
passages, qu'il nous assiste de sa grâce. A nous d'en profiter pour persévérer dans la justice ou pour nous convertir si nous sommes pécheurs : « Je me tiens à la porte et je frappe....Si quelqu'un m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui » (Ap 3, 20). Bellarmin commente ainsi ce texte : Le Seigneur sait bien que l'homme ne peut pas ouvrir sans sa grâce. Il frapperait donc en vain à la porte de son coeur s'il ne lui donnait pas auparavant la grâce d'ouvrir quand il le veut. Et saint Thomas enseigne de même à propos de ce texte : Dieu donne à chacun la grâce nécessaire au salut : à chacun d'y correspondre s'il le veut. « Dieu, dans sa volonté très généreuse, donne sa grâce à tous ceux
qui s'y préparent : Je me tiens à la porte et je frappe. La grâce de Dieu ne fait défaut à personne mais elle est communiquée à tous, pour autant qu'il
dépend de lui ». Il ajoute : « C'est le rôle de la Divine Providence de pourvoir chacun des moyens nécessaires au salut ». Ainsi, écrit saint Ambroise, le Seigneur frappe à la porte parce qu'il veut vraiment entrer.
Mais il arrive qu'il n'entre pas ou bien qu'il ne demeure pas dans nos âmes parce que nous lui interdisons l'entrée, ou bien parce que nous le chassons, une fois qu'il y est entré : « ll vient, en effet, et il frappe à la porte : il veut toujours entrer mais s'il n'entre pas toujours ou s'il ne reste pas, c'est de notre faute ! »
« Que pouvais je encore faire pour ma vigne que je n'aie fait ? Pourquoi espérais je avoir de beaux raisins et a-t-elle donné des raisins sauvages ? » (Is 5, 4). Bellarmin dit à propos de ce texte : Si le Seigneur n'avait pas donné à la vigne la possibilité de produire des raisins pourquoi dirait-il « Pourquoi espérais-je ? » Et si Dieu n'avait pas donné à tous la grâce nécessaire pour faire leur salut, aurait-il pu dire aux Hébreux : « Que pouvais je encore faire? ». Nous n'avons pas donné de fruit, auraient-ils pu répondre, parce que le secours nécessaire nous a manqué ! Bellarmin dit également à propos des paroles de Jésus « Combien de fois ai je voulu rassembler tes enfants... et tu n'as pas voulu » (Mt 23,38). « Comment a-t-il voulu être recherché par ceux
qui le rejetaient, demande le Cardinal, s'il ne les a pas aidés à vouloir ? »
« O Dieu, nous rappelons la mémoire de ta miséricorde, au milieu de ton temple »
(Ps 48 (47),10). Saint Bernard fait cette remarque : « De fait, c'est au milieu du temple que se trouve la miséricorde, et non dans un angle ou dans une annexe : Dieu ne fait pas de favoritisme (Ac 10, 34). Elle est disposée comme un bien commun, elle est offerte à tous, et nul ne s'en trouve exclu à moins de s'en priver soi-même ».
« Ou bien méprises-tu ses richesses de bonté ? Sans reconnaître que cette bonté de Dieu te pousse au repentir ? » (Rm 2,4). Voici un pécheur qui par
malice ne se convertit pas, qui méprise les richesses de la Divine Bonté qui l'appelle et qui le pousse sans cesse à se convertir. Dieu déteste le péché, mais en même temps il continue d'aimer le pécheur tant qu'il vit ici-bas et il lui donne les secours nécessaires à son salut. « Vous pardonnez à tous, parce que tout est à vous, Seigneur qui aimez les âmes » (Sg 11,26)
Non, dit Bellarmin, Dieu ne refuse pas au pécheur la grâce pour résister aux tentations, quelque obstiné qu'il soit : « Tous ont toujours le secours
nécessaire pour éviter de nouveaux péchés, soit immédiatement, soit médiatement (par le moyen de la prière). De la sorte, les pécheurs peuvent obtenir de Dieu de plus grands secours, grâce auxquels ils éviteront le péché ». Ajoutons ce que dit le Seigneur par le Prophète Ezéchiel : « Je suis vivant, oracle du Seigneur Yahvé ; je ne veux point la mort du méchant mais qu'il se détourne de sa voie et qu'il vive ! » (Ez 33,11). Saint Pierre dit de même :
« Le Seigneur use de patience envers vous ne voulant pas qu'aucun périsse mais que tous viennent à la pénitence » (2 P 3, 9). Si donc Dieu veut que
tous se convertissent réellement, on doit nécessairement supposer qu'il donne à tous la grâce dont ils ont besoin pour le faire concrètement.
e sais bien qu'il y a des théologiens qui soutiennent que Dieu va jusqu'à refuser même la grâce suffisante à certains pécheurs obstinés. Ils s'appuient, entre autres, sur une doctrine de saint Thomas : « Bien que ceux qui sont dans le péché ne puissent pas, par leurs propres forces et à moins d'être prévenus par le secours de la grâce, éviter de mettre obstacle à la grâce, ainsi qu'on l'a montré, cela leur est néanmoins imputé à péché, parce que cette faiblesse est une conséquence de leurs fautes précédentes : par exemple, un ivrogne n'est pas excusé du meurtre qu'il a commis en état d'ivresse volontaire. De plus, bien que celui qui vit dans le péché ne puisse pas par
ses propres forces éviter tous les péchés, il peut cependant en éviter l'un ou l'autre, comme on l'a dit. Ce qu'il commet, il le fait volontairement, et il n'est
pas injuste que ce péché lui soit imputé ». D'après ces théologiens, saint Thomas veut dire ceci : Certains pécheurs peuvent bien éviter les péchés
pris un par un, mais non tous les péchés pris globalement, parce que, en punition des péchés qu'ils ont commis précédemment, ils sont privés de
toute grâce actuelle.
Mais, dans ce passage, saint Thomas ne parle pas de la grâce actuelle mais de la grâce habituelle ou sanctifiante. Privé de celle-ci le pécheur ne peut pas
rester longtemps sans tomber dans de nouveaux péchés, comme il l'enseigne en plusieurs passages. Il est clair, d'après le contexte, que saint Thomas veut dire ici la même chose. Nous citons tout le passage pour bien faire comprendre la pensée du saint. Voici d'abord le titre du chapitre : « L' homme en état de péché ne peut pas éviter le péché sans la grâce ». Le titre même indique que le saint Docteur, n'entend pas dire ici autre chose que dans les autres passages : « Comme l'esprit de l'homme s'est détourné de l'état de rectitude, il est clair qu'il s'est éloigné de l'ordre de la fin à poursuivre...
Chaque fois donc que se présentera quelque chose se situant dans la ligne d'une fin erronée et contraire à la vraie fin, on le choisira à moins que l'on ne soit ramené à l'ordre véritable et que l'on ne donne la préférence à la véritable fin, ce qui est un effet de la grâce. Mais, quand on choisit par contre quelque chose de contraire à la fin ultime, on met un obstacle à la grâce qui oriente vers la W . Il est donc clair qu'après le péché l'homme ne peut s'abstenir de tout péché avant d'être ramené par la grâce à l'ordre voulu. Dans ces conditions, l'opinion des Pélagiens n'est-elle pas stupide ? Ils prétendaient que l'homme en état de péché peut éviter le péché sans la grâce ». Vient ensuite le texte cité plus haut « Bien que ceux qui sont dans le péché.... » dont se servent les adversaires. Quelle est l'intention de saint Thomas ? non pas de prouver que certains pécheurs sont privés de toute grâce actuelle, ni qu'ils ne peuvent éviter tous les péchés, ni qu'ils pèchent et qu'ils sont dignes de châtiments, mais de prouver, contre les
Pélagiens, que l'homme qui n'a pas la grâce sanctifiante ne peut s'abstenir de pécher.
Le saint parle certainement de la grâce sanctifiante parce que c'est uniquement celle-là qui remet l'âme dans l'ordre voulu. C' est de cette même grâce sanctifiante qu'il entend parler lorsqu'il dit « à moins d'être prévenus par le secours de la grâce ». Il veut dire ceci : si le pécheur n'est pas prévenu c'est-à-dire possédé par la grâce et donc tenu, selon l'ordre fixé, d'avoir Dieu pour fin ultime, il ne peut éviter de commettre de nouveaux péchés. Ainsi
l'entendent les thomistes, tels que Silvestre de Ferrare et Gonet, à propos de ce texte. Mais inutile de recourir à d'autres ! C'est évident d'après ce que dit saint Thomas dans la Somme. Il y parle du même problème et apporte exactement les mêmes raisons, dans les termes de son livre Contra Gentes
chapitre 160: il n'y parle expressément que de la seule grâce habituelle ou sanctifiante.
Impossible que le saint Docteur l'ait entendu autrement ! N'enseigne-t-il pas ailleurs que la divine grâce ne manque jamais à personne ? Il le dit dans son Commentaire de saint Jean : « Ne crois pas que cet effet puisse provenir de la privation de la vraie lumière, l'Evangile l'exclut formellement : Il était la
vraie lumière qui illumine tous les hommes.
Le Verbe éclaire, pour autant qu'il dépend de lui, car il ne fait défaut à personne. Il veut même que tous les hommes soient sauvés. Si quelqu'un n'est pas illuminé, c'est qu'il se détourne de la lumière ». Il enseigne également ceci : Il n'y a aucun pécheur,
si perdu soit-il et privé de la grâce, qui ne puisse renoncer à son obstination et se conformer à la volonté de Dieu. Mais il ne peut certainement pas le
faire sans le secours de la grâce : « Il n'est personne sur cette terre qui ne puisse renoncer à son obstination et se conformer ainsi à la volonté de Dieu
». Il dit ailleurs : « Aussi longtemps que l'homme jouit ici-bas de son libre arbitre... il peut se préparer à la grâce par le repentir de ses péchés ». Ce repentir ne peut avoir lieu sans la grâce. Et ailleurs : « Aucun homme ici-bas, si obstiné soit-il dans le mal, qui ne puisse collaborer à sa conversion ! ». Il faut nécessairement que s'y ajoute le secours de la grâce. Il commente ailleurs les paroles de saint Paul « Il veut que tous les hommes soient sauvés
» : « La grâce de Dieu ne fait donc défaut à personne, mais pour autant qu'il dépend de lui il la communique à tous ». Sur ces mêmes paroles de l'Apôtre, il ajoute : « Pour autant qu'il dépend de lui, Dieu est prêt à donner sa grâce à tous... Seuls en sont privés ceux qui y mettent en eux-mêmes un obstacle ; ils ne peuvent donc pas être excusés s'ils pèchent »
Quand saint Thomas dit : « Dieu est prêt à donner la grâce à tous », il n'entend pas parler de la grâce actuelle, ainsi que nous l'avons vu plus haut,
mais de la seule grâce sanctifiante. Le Cardinal Gotti réfute très justement certains auteurs qui soutiennent que Dieu tient préparés près de lui les
secours nécessaires au salut, mais qu'en fait, il ne les accorde pas à tous. De quoi servirait au malade, dit ce savant auteur, que le médecin ait chez lui les
remèdes s'il ne consentait pas à les appliquer ? Il arrive donc à cette conclusion : Il faut nécessairement admettre « que Dieu non seulement offre mais donne à tous les hommes, même aux infidèles et aux endurcis, les secours sufiisants soit au moins médiats, pour observer les commandements ». Du reste, selon saint Thomas, seuls les péchés des
démons et des damnés ne peuvent être effacés par la pénitence.
Mais « c'est une erreur de dire qu'un péché ne peut pas être remis par la vraie pénitence... parce que l'on contredirait ainsi la puissance de la Passion du Christ ». Si la grâce venait à manquer à quelqu'un, il ne pourrait pas se repentir. En outre, comme nous l'avons déjà vu, saint Thomas enseigne expressément, spécialement dans son commentaire du chapitre 12 de la lettre de saint Paul aux Hébreux, que Dieu ne refuse à personne, pour autant qu'il dépend de lui, la grâce nécessaire à la conversion : «
La grâce de Dieu ne fait défaut à personne mais, pour autant qu'il dépend de lui, elle est donnée à tous ». Le savant théologien du Séminaire de Périgueux a raison d'affirmer : « Ce serait
calomnier saint Thomas que de l'accuser d'avoir enseigné que certains pécheurs sont totalement abandonnés par Dieu ». Le Cardinal Bellarmin fait
sur ce point une sage distinction : pour éviter de nouveaux péchés, tout pécheur reçoit en tout temps le secours au moins médiat. « Dans sa
bienveillance, Dieu accorde à tous, en tout temps, soit immédiatement, soit médiatement, le secours suffisant et nécessaire pour éviter les péchés...
Nous disons soit médiatement parce qu'il est sûr que certains n'ont pas le secours qui leur permet immédiatement d'éviter le péché, mais ils ont la
grâce de pouvoir demander à Dieu de plus grands secours : ils pourront ainsi éviter le péché ». Quant à la grâce de la conversion, celle-ci n'est pas donnée en tout temps au pécheur. Personne cependant ne sera jamais abandonné de Dieu « au point d'être privé de son secours, de façon certaine et absolue, durant toute sa vie, au point de désespérer de son salut ».
Les Théologiens thomistes, ses disciples, partagent la même opinion. Le très savant Père Dominique Soto affirme : « Je suis plus que certain et je crois
même que toujours de saints Docteurs dignes de ce nom ont soutenu que personne n'a jamais été abandonné de Dieu en cette vie ». La raison en est
claire : si le pécheur était complètement privé de la grâce, les fautes qu'il continuerait à commettre ne pourraient plus lui être imputées à péché ou
bien il serait sans cesse affronté à des devoirs impossibles. Mais saint Augustin a pour principe indubitable : « Qui pèche, en effet, sur un point sur
lequel il ne peut absolument pas se garder ? ». C'est bien ce qu'affirme l'Apôtre : « Dieu est fidèle; il ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà
de vos forces ; mais avec la tentation il ménagera le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le pouvoir de la supporter » ( 1 Co 10,13).
Ce moyen d'en tirer avantage signifie que le Seigneur envoie son secours à ceux qui sont tentés pour qu'ils puissent résister à la tentation. C'est aussi ce
qu'explique saint Cyprien : « Avec la tentation il donnera la possibilité d'y échapper ».
Primase parle encore plus clairement : « Il fera en sorte que nous puissions soutenir la tentation c'està-dire qu'il nous fortifiera par sa grâce ; nous
pourrons ainsi repousser la tentation ». Saint Augustin et saint Thomas vont jusqu'à dire : Dieu serait injuste et cruel s'il obligeait quelqu'un à observer un commandement impossible. Saint Augustin : « Quant à tenir quelqu'un pour coupable de péché parce qu'il n'a pas fait ce qu'il ne pouvait pas faire, c'est le comble de l'iniquité et de la stupidité ». Saint Thomas ajoute : « Dieu n'est
pas plus cruel que l'homme.
Or, il est cruel pour un homme de commander à quelqu'un une chose irréalisable. Il est impensable que Dieu puisse demander quelque chose de semblable ». Il en va différemment, ajoute encore saint Thomas, quand « c'est par sa faute que manque à quelqu'un la grâce qui lui permettrait de pratiquer les commandements ». C'est bien le cas quand on néglige d'utiliser la grâce éloignée de la prière : avec celle-ci, en effet, on peut obtenir la grâce prochaine qui rend possible l'observation du commandement, comme l'enseigne le Concile de Trente : « Dieu n'ordonne pas l'impossible, mais lorsqu' il ordonne il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à pouvoir ».
Saint Augustin confirme cela en beaucoup d'autres endroits : pas de péché en ce que l' on ne peut pas éviter ! « Si l'on ne pouvait pas choisir entre le
mal et le bien, aucune récompense ni aucun châtiment ne serait juste » « S'il leur est impossible de s'abstenir de ce qu'ils font nous ne pouvons leur
imputer aucun péché ».
Le démon suggère une façon de faire. C'est à nous, avec le secours de Dieu, de la choisir ou de la rejeter. Pourquoi donc, puisque tu le peux avec la grâce de Dieu, ne décides-tu pas d'obéir à Dieu plutôt qu' au démon ? « Nul n'est coupable s'il n'a pas consenti librement ». « Personne ne mérite de blâme lorsqu'il ne fait pas ce qui n'est pas en son pouvoir ». Saint Jérôme pense de même : « Nous ne sommes pas contraints à la vertu ou au vice. Si l'on est forcé d'agir, pas de condamnation ni de couronne ! » Tertullien : « On n'imposerait pas une loi à quelqu'un qui ne pourrait pas l'observer normalement ». L'Ermite Marc: « La grâce nous aide discrètement, mais il est en notre pouvoir de faire ou de ne pas faire le bien ». Saint Irénée, saint Cyrille d'Alexandrie, saint Jean Chrysostome et d'autres sont du même avis.
Que l'on n'objecte pas ce que dit saint Thomas, à savoir que la grâce serait refusée par suite du péché originel ! « Ce secours de la grâce, c'est
assurément par miséricorde qu'il est accordé à ceux qui le reçoivent ; quant à ceux qui ne l'ont pas, c'est par justice qu'il ne leur est pas donné comme
peine d'un péché qui a précédé, ou tout au moins du péché originel, comme dit saint Augustin ».
Le savant Cardinal Gotti répond à cette objection :
Saint Augustin et saint Thomas parlent de la grâce actuelle prochaine qui est donnée pour pratiquer les commandements de la foi et de la charité. Saint
Thomas en traite précisément à cet endroit. Mais il n'entendent nullement nier que le Seigneur donne à chacun la grâce intérieure qui lui permettra, au
moins médiatement, d'obtenir la grâce de la foi et du salut. En effet, avons-nous vu, les deux saints Docteurs ne mettent pas en doute que Dieu
accorde à chacun la grâce au moins éloignée pour observer les commandements. Ajoutons-y l'autorité de saint Prosper : « La doctrine ci-dessus s'applique toujours dans une certaine mesure à tous les hommes : bien que certains ne reçoivent qu'une grâce moindre, celle-ci suffit à les guérir, elle permet à tous de témoigner ».
Si certains péchaient par suite du péché originel qui leur serait imputé comme faute personnelle, ils n'auraient même pas la grâce suffisante éloignée ; on devrait conclure : la liberté de la volonté que nous sommes supposés avoir eue dans le péché d'Adam est suffisante pour qu'il y ait péché. Mais cette idée est expressément condamnée dans la première
Proposition de Michel Baius : « Pour qu'il y ait péché formel et démérite, il suffit que le péché ait été volontaire et libre dans sa cause à savoir le péché
originel et l'acte libre d'Adam pécheur ».
Le Cardinal Bellarmin réfute cette proposition : Pour commettre un péché distinct de celui d'Adam, il faut un nouvel exercice de la liberté et d'une liberté distincte de celle d'Adam ; autrement, il n'y a point de péché distinct, ainsi que l'enseigne saint Thomas: « Pour qu'il y ait péché personnel, un pouvoir personnel est requis ». En outre, le Concile de Trente a déclaré par rapport aux baptisés : « En ceux qui ont été régénérés par le baptême, plus rien ne reste que Dieu haïsse, car rien n'est désormais condamnable en ceux qui ont été ensevelis dans la mort avec le Christ par le baptême ». Et il ajoute : La concupiscence ne subsiste pas au titre d'un châtiment mais « en vue du combat à mener et elle ne peut pas nuire à ceux qui n'y cèdent pas ». Mais elle nous nuirait beaucoup si, à cause d'elle, Dieu allait jusqu'à nous refuser la grâce éloignée nécessaire au salut.
Juénin soutient : Lorsque quelqu'un choisit de commettre volontairement tel ou tel péché, bien qu'il pèche alors nécessairement parce qu'il n'a pas la
grâce actuelle suffisante pour lui faire éviter tout péché, il se rend coupable au titre de la liberté d'exercice ou de choix. Mais cette opinion - à savoir que quelqu' un pèche alors qu'il n'a pas d'autre liberté que celle de choisir son péché et qu'il est en même temps contraint de pécher - fait à juste titre
bondir le savant archevêque de Vienne (France), Monseigneur de Saléon, dans son livre Jansénius ressuscité : « Qui pourrait admettre que pèche
vraiment quelqu'un qui est privé de la grâce, contraint de pécher et qui n'a d'autre liberté que celle de choisir tel péché plutôt que tel autre ? ». Si un condamné à mort n'a d'autre liberté que celle de choisir de mourir par le fer, le poison ou le feu, devra-t-on dire que son choix le fera mourir
volontairement et librement ? Alors, comment peut-on imputer à péché la faute de quelqu'un qui est contraint de pécher de telle ou telle façon ? La
proposition 67 de Baïus a été condamnée :
« L'homme pèche d'une manière coupable même lorsqu'il agit sous la contrainte ». Là où est la nécessité de pécher, où est la liberté ? Jansénius répond : « pour pécher il suffit de la liberté de la volonté que nous sommes censés avoir eue dans le péché d'Adam. Mais cette opinion a été condamnée dans la Proposition 1 de ce même Baïus : « Pour qu'il y ait péché formel et démérite, il suffit que le
péché ait été volontaire et libre dans sa cause, le péché originel et l'acte libre d'Adam pécheur ».
Les adversaires insistent : bien que le pécheur privé de la grâce ne puisse éviter tous les péchés mortels globalement, il peut néanmoins éviter chaque
péché distributivement c'est-à-dire séparément « par simple abstention ou négation de l'acte », comme ils disent. Mais cette thèse est inadmissible pour
plusieurs raisons :
1 °) Quand on est assailli par une violente tentation exigeant un grand effort pour y résister, on ne peut moralement en triompher, comme disent tous les
théologiens, qu'avec le secours de la grâce ou en succombant à une passion mauvaise opposée : ce pécheur privé de la grâce serait alors forcément
contraint à pécher d'une façon ou d'une autre, ce qui est horrible, avons-nous dit.
2°) Quand une grande passion pousse l'homme au mal sur un point précis, il n'y a pas toujours - c'est même rare - un autre motif désordonné en sens
contraire, qui soit assez fort pour que l'on s'abstienne de céder à cette passion. Quand ce motif opposé n'existe pas, le pécheur serait contraint à commettre le mal précis auquel il se sent incliné ?
3°) La « simple abstention de l'acte », comme ils disent, est à peine imaginable quand il s'agit de préceptes négatifs. Elle est impossible, comme
le font remarquer Tournely et le Cardinal Gotti, quand il s'agit d'un précepte positif demandant d'accomplir un acte surnaturel, comme les actes de foi,
d'espérance, de charité et de contrition. Pour accomplir ces actes surnaturels, il faut nécessairement l'aide surnaturelle de Dieu. Dans ces
cas-là au moins, l'homme privé de la grâce pécherait nécessairement en n'observant pas le précepte positif, bien qu'il ne puisse pas éviter le péché.
Ce serait aller contre la foi, dit le Père Banez, que de le soutenir : « Chaque fois que quelqu'un pèche, dit-il, il faut qu'il ait reçu effectivement une
inspiration divine. Nous considérons cette conclusion comme certaine selon la foi. Personne, en effet, ne pèche en ne faisant pas ce qui lui est impossible. Ceci est également certain selon la foi. Mais celui qui n'a rien reçu en dehors de ce qui relève de la nature humaine ne peut absolument rien au-dessus de la nature. Il ne pèche donc pas en n'accomplissant pas
quelque chose de surnaturel ».
Que l'on ne dise pas : C'est par sa faute que ce pécheur est privé de la grâce. Il pèche donc, bien que privé de la grâce. Le Cardinal Gotti répond
parfaitement à cette objection : Le Seigneur peut avec raison punir ce pécheur pour les fautes qu'il a commises précédemment mais non pas pour des manquements futurs à des commandements impossibles à observer. Si un serviteur, dit-il, était envoyé quelque part et tombait dans une fosse par
sa faute, le patron pourrait bien le punir pour son étourderie, et aussi si ce serviteur refusait d'utiliser les moyens de sortir de cette fosse (échelle, corde...). Mais si le patron refusait de l'aider à sortir, ce serait de la tyrannie que de l'obliger à continuer sa route et de le punir de ne pas le faire. Il conclut donc : « Lorsque l'homme tombé dans la fosse du péché ne peut poursuivre sa route vers le salut éternel, Dieu pourrait le punir de cette faute ainsi que de refuser le moyen de s'en sortir. Mais si Dieu le laissait dans son impuissance, il ne pourrait pas l'obliger sans injustice à continuer sa route ni
le punir de ne pas le faire ».
On nous oppose de nombreux textes de la Sainte Ecriture qui semblent parler de cet abandon de Dieu : « Aveugle le coeur de ce peuple... de sorte qu'il ne voie point et qu'il ne se convertisse point et que je ne le guérisse point » (Is 6,10). « Nous avons soigné Babylone mais elle n'a pas été guérie, abandonnons-la » (Jr 51,9). « Ajoute l'iniquité à leur iniquité et qu'il n'aient point part à ta justice » (Ps 69 (68),28). « Aussi Dieu les a-t-il livrés à des
passions avilissantes » (Rm 1,26). « Ainsi donc il fait miséricorde à qui il veut et il endurcit qui il veut » (Rm 9,18). Et d'autres textes semblables.
Mais on répond facilement et communément à tous ces textes : souvent dans les Saintes Ecritures il ne s'agit pas d'actes réels mais de simples permissions de Dieu. Ne suivons pas Calvin dans ses blasphèmes. Ne disons pas comme lui que Dieu en prédispose et détermine certains à pécher. Non, mais Dieu permet qu'en punition de leurs fautes certains soient
assaillis par de violentes tentations : châtiment dont nous prions le Seigneur de nous délivrer dans le Notre Père : « Ne nous soumets pas à la tentation ».
Dieu permet aussi qu'ils restent moralement abandonnés dans leurs péché. Sans doute, la conversion et la résistance aux tentations ne leur sont pas impossibles ni sans espoir. Mais, par suite de leurs fautes et de leurs mauvaises habitudes, cela leur devient très difficile. Dans leur état de
relâchement, leurs désirs et leurs efforts pour résister à leurs mauvaises habitudes et pour se mettre sur le chemin du salut seront très faibles et très rares. Il s'agit de l'obstination imparfaite dans laquelle le pécheur reste endurci et dont parle saint Thomas : « Il est endurci au point de ne pouvoir
coopérer facilement à sortir de son péché.
C'est l'obstination imparfaite dans laquelle quelqu'un est enfermé : sa volonté est tellement rivée au péché
qu'elle ne produit plus que de faibles élans vers le bien ». L'esprit est obscurci. La volonté est insensible aux divines inspirations et attachée aux plaisirs des sens. Elle méprise et prend en dégoût les biens spirituels. Par suite des mauvaises habitudes, les passions et les appétits sensibles prennent le dessus dans l'âme. Parce que celle-ci méprise et néglige les
lumières et les appels de Dieu, elle est responsable de leur inefficacité. Elle ressent même une certaine aversion pour ces lumières et ces appels, parce
qu'elle ne veut pas être troublée dans ses plaisirs sensuels. Tout cela explique l'abandon moral du pécheur : il ne peut sortir qu'avec une extrême
difficulté de son misérable état et se mettre à mener une conduite régulière.
Pour en sortir et passer d'un seul coup d'un tel désordre au bon ordre du salut, il lui faudrait une grâce abondante et extraordinaire mais Dieu accorde
rarement cette grâce à ces pécheurs obstinés. Il la donne parfois à certains, dit saint Thomas. Il les choisit pour en faire des vases de miséricorde,
comme l'écrit l'Apôtre Paul, pour manifester sa bonté. Il la refuse à bon droit à d'autres et les laisse dans leur malheureux état, pour montrer sa Justice et
sa Puissance. « Parfois, dit le Docteur Angélique, en vertu de sa grande bonté, il offre son secours même à ceux qui mettent obstacle à la grâce et il les convertit, etc. Il n'éclaire pas tous les aveugles ; il ne guérit pas tous les malades ; de même, il n' offre pas la grâce de la conversion à tous ceux qui
mettent obstacle à la grâce... C'est ce qu'exprime l'Apôtre Paul (Rm 9,22) : « Si Dieu, voulant manifester sa colère et faire connaître sa puissance, a supporté avec beaucoup de patience des vases de colère devenus dignes de perdition, afin de manifester la richesse de sa gloire envers des vases de miséricorde qu'il a d'avance préparés pour la gloire... » Et saint Thomas ajoute : « On ne doit pas chercher à savoir pourquoi le Seigneur en convertit
certains qui vivent dans les mêmes péchés, alors qu'il souffre ou permet que les autres suivent leur destin : pourquoi convertit-il les uns et pas les autres ?
D'où ces paroles de l'Apôtre : « Le potier n'est-il pas maître de son argile pour fabriquer de la même pâte un vase de luxe ou un vase quelconque ? »
(Rm 9,21 ).
Pour conclure, nous ne nions pas l'abandon moral de certains pécheurs obstinés, dont la conversion est moralement impossible, c'est-à-dire très difficile. Ceci ne peut-il pas suffire à montrer la bonne intention de nos adversaires dans la défense de leur opinion ? Ils veulent dresser une barrière devant les pécheurs et les amener à se repentir avant qu'ils en arrivent à un si lamentable état. Mais, dit l'auteur de la Théologie de Périgueux, il est cruel de vouloir leur enlever toute espérance et de leur fermer entièrement la voie
du salut, en prétendant qu'ils sont tombés dans un abandon total: ils seraient, en effet, privés de toute grâce actuelle pour éviter les nouveaux péchés et pour se convertir. Mais ils le peuvent, au moins médiatement, par la prière. Cette grâce n'est refusée à personne en cette vie, comme nous le montrerons dans le chapitre quatrième. Ils peuvent ainsi obtenir des secours abondants pour se remettre sur le chemin du salut. En revanche, la peur inspirée par l'abandon total les amènerait à désespérer mais aussi à se livrer davantage au vice. Convaincus d'être totalement privés de la grâce, ils n'auraient plus aucun espoir d'éviter la damnation éternelle.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE III
EXPOSÉ ET RÉFUTATION DU SYSTÈME DE JANSÉNIUS FONDÉ SUR LA DÉLECTATION RELATIVEMENT VICTORIEUSE.
(N.B. Négation du libre arbitre et que Dieu accorde sa Grâce à certains et à d'autres, non - Hérésie appuyée par Luther et Calvin - Réforme protestante)
Nous allons donc prouver, dans ce chapitre, que la grâce de la prière est donnée à tous. Cette doctrine ne plaît pas à Jansénius qui va jusqu'à l'appeler une illusion ou une hallucination : « Penser que l'homme a toujours la grâce de prier est une hallucination ». D'après son système, on a besoin, même pour prier, de la délectation relativement victorieuse. Celle-ci n'est pas donnée à tous parce que ajoute-t-il, tous n'ont pas la grâce suffisante et la force d'observer les commandements. Beaucoup, en effet, n'ont pas la
grâce éloignée de prier comme il faut ou même tout simplement de prier : « La plupart, continue Jansénius, ou bien ne demandent pas la grâce qui leur
permettrait de pratiquer les commandements ou bien ne la demandent pas comme il faut. Or la grâce de prier avec ferveur ou même tout simplement de prier n'est pas donnée à tous. Il est donc clair que beaucoup de fidèles n'ont pas la grâce suffisante ni la possibilité permanente de pratiquer les
commandements, contrairement à ce que certains affirment ».
Il est donc nécessaire, avant de prouver notre opinion, de réfuter le pernicieux système de Jansénius, cause de toutes ses erreurs : la victime de l'hallucination, c'est lui et pas les autres ! Tout le monde connaît bien les cinq propositions de
Jansénius, condamnées par l'Église comme hérétiques. Or, comme le prouve Tournely, toutes ces propositions proviennent de son système de la
délectation prépondérante sur lequel il fonde toute sa doctrine. Le Père Ignace de Graveson le dit également : « C'est de ce principe pernicieux que
Jansénius et ses disciples déduisent ces conclusions (les cinq propositions), qui lui sont très étroitement liées ». De même le P Berti : « Du principe des
deux délectations invincibles découlent comme d'une source presque toutes les autres erreurs de Jansénius, surtout les cinq propositions condamnées».
Le Père Fortunat de Brescia, dans son livre "Réfutation du Système de Cornelius Jansénius", démontre clairement qu'une fois admis le système de
Jansénius il faudrait aussi admettre les cinq propositions condamnées.
Exposons donc clairement le système de Jansénius. Depuis le péché d'Adam, dit-il, la volonté de l'homme ne peut agir qu'en suivant ou la délectation de la grâce qu'il appelle Céleste, ou la délectation de la
concupiscence qu'il appelle Terrestre, selon que l'une ou l'autre l'emporte. Quand la délectation céleste est plus forte, elle l'emporte nécessairement ; si la délectation terrestre a le dessus, la volonté doit nécessairement s'incliner.
Jansénius ne parle pas de la délectation délibérée ou conséquente ; sinon tous les théologiens catholiques seraient d'accord avec lui. En effet, quand la
délectation est bien réfléchie ou délibérée et que la volonté la suit, non par contrainte mais librement, il est nécessaire, sans aucun doute, que la volonté
suive cette délectation. Mais Jansénius entend parler de la délectation indélibérée. Il interprète dans ce sens le texte célèbre de saint Augustin : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». Or ce texte, nous le démontrerons, doit s'entendre nécessairement de la délectation
délibérée et conséquente. C'est donc par erreur que Jansénius l'entend de la délectation indélibérée et antérieure à tout acte de la volonté : toute sa
doctrine repose là-dessus. D'après lui, il n'existe plus de grâce suffisante : ou bien celle-ci ne fait pas le poids et n'est donc pas suffisante, ou bien elle
l'emporte sur la concupiscence et elle est alors nécessairement efficace. Pour lui, toute l'efficacité de la grâce consiste uniquement dans la supériorité
relative de la délectation indélibérée : « Ce ne sera pas une grâce suffisante, dit-il, elle sera efficace ou bien totalement inefficace et aucun acte ne pourra
suivre ». Une fois posé ce système, les cinq propositions condamnées en découlent comme autant de conclusions. Ne parlons ici que de la première et de la troisième, qui sont davantage dans la ligne de notre sujet.
La première proposition dit ceci : « Certains commandements de Dieu sont impossibles à observer par des justes, bien qu'ils le veuillent et qu'ils s'y
essaient selon les forces qu'ils ont présentement ; il leur manque également la grâce qui les leur rendrait possibles ». Certains commandements, affirme donc Jansénius, deviennent impossibles, même pour des justes qui voudraient pourtant les observer et qui s'y efforcent, parce qu'il leur manque la grâce qui leur permettrait de l'emporter sur la concupiscence : « Il est impossible que nous ne soyons pas vaincus, à cause de la faiblesse de notre volonté, sauf si la délectation céleste est plus forte que la terrestre ». Et ailleurs : « Quand agit la délectation charnelle, il est impossible que la considération de la vertu l'emporte ». Si l'on parle de la grâce en elle-même
et de façon absolue, et si on la considère en dehors de l'acte lui-même et de ses circonstances, disait Jansénius, elle serait suffisante pour entraîner la
volonté au bien. Par contre, si l'on en parle de façon relative, c'est-à-dire quand la délectation céleste est moins forte que la délectation charnelle, quand celle-ci l'emporte sur la grâce, l'acte suit toujours, la grâce est alors absolument insuffisante pour entraîner le consentement de la volonté.
Le Père de Graveson écrit fort sagement : la puissance absolue que la grâce donnerait pour observer les commandements n'est plus alors, quand cette grâce est moins forte que la concupiscence, une puissance capable d'agir mais une véritable impuissance ; la volonté ne peut plus alors faire le bien, tout comme dans une balance un poids inférieur ne peut pas l'emporter sur un poids supérieur. Mais comment pourra-t-on considérer comme coupable
quelqu'un qui n'observe pas un commandement alors qu'il n'a pas la grâce au moins suffisante pour cela ? L'objection est forte et n'est que trop juste.
Aussi Jansénius ne peut-il pas y échapper et se la pose-t-il à lui même : « Comment ne sont-ils pas excusables, ceux à qui fait défaut la grâce
nécessaire pour observer les commandements ? ». La difficulté est grande et il cherche à s'en tirer de plusieurs façons.
Il répond d'abord : L'impuissance excuse lorsque l'on veut observer le commandement et qu'on ne le peut pas, mais pas quand on ne le veut pas. On réplique alors à Jansénius : d'après son principe, si la volonté doit nécessairement céder à la délectation indélibérée de la concupiscence parce que celle-ci l'emporte sur la grâce, il est physiquement impossible alors d'observer le commandement. Si la délectation charnelle est plus forte, la grâce n'est plus assez forte pour la vaincre. Jansénius lui-même l'admet. La
délectation supérieure, dit-il, détermine intrinsèquement et entraîne infailliblement la volonté ; celle-ci n'a plus alors aucune possibilité relative
d'y résister. « Dans la doctrine de Jansénius et de ses disciples, dit le Père de Graveson, il ne s'agit pas d'une nécessité morale mais d'une nécessité
antécédente invincible ». Sans la délectation prépondérante de la grâce, dit Jansénius, il nous est aussi impossible d'observer le commandement qu'à un
être sans ailes de voler, à un aveugle de voir, à un sourd d'entendre, à un handicapé de marcher droit : « Sans elle, l'homme est aussi incapable de bien agir que de voler sans ailes... ». Et ailleurs : « ...de même qu'il est impossible à un aveugle de voir, à un sourd d'entendre, à un estropié de marcher droit ». Il en serait de même de quelqu'un qui a des yeux mais qui serait privé de la lumière. Quelqu'un qui a des yeux mais qui est privé de la lumière est tout aussi incapable de voir qu'un aveugle sans yeux. En effet,
l'impossibilité physique n'est rien d'autre que ce qui dépasse les forces naturelles.
Chacun voit combien cette première réponse est sans fondement. Voyons la seconde qui est encore moins fondée. L'homme peut observer tous les
commandements, dit-il, en ce sens que Dieu peut lui donner la grâce nécessaire pour cela : « On dit que tous les hommes peuvent croire, sans ce qui nous préoccupe beaucoup car presque personne ne doute qu'elle ne soit nécessaire pour vouloir ». La liberté de l'homme consiste donc, d'après Jansénius, dans la délectation ainsi que dans la connaissance de l'objet ou bien dans le jugement indifférent par lequel l'homme connaît le bien et le mal de l'acte : dans le cas de l'homicide, par exemple, on connaît le mal de la faute et le plaisir de la vengeance. C'est pourquoi il dit ailleurs : les impies pèchent dans la mesure où ils connaissent par la loi la malice du péché : « Le premier effet de la loi est de donner la connaissance du péché », et il s'appuie sur le texte de saint Paul : « Je n'ai connu le péché que par la loi ». Calvin avait dit avant lui : « Le but de la loi est de rendre l'homme
inexcusable ; ce qui permet de déclarer que quelque chose est mal, c'est la connaissance de la conscience pouvant distinguer entre le bien et le mal: on ne peut pas ainsi prétexter l'ignorance ». Mais nous répondons : ce n'est pas le jugement indifférent, c'est-à-dire la connaissance du bien et du mal laquelle ne relève que de l'intelligence, qui peut constituer le libre arbitre. Celui-ci est entièrement le fait de la volonté car il est le libre choix de la volonté de faire ou de ne pas faire une chose.
Quatrième réponse de Jansénius : elle est encore plus faible et moins fondée que les trois premières. Pour pécher, dit-il, il n'est pas nécessaire d'avoir la
liberté d'indifférence par laquelle on n'est nullement contraint de pécher. Il suffit de la liberté d'exercice ou de choix, par laquelle on peut s'abstenir du
péché auquel pousse la concupiscence, en en commettant un autre : « ...par laquelle on peut faire ce péché ou bien s'abstenir en en faisant au moins un
autre ». Il met ainsi l'homme dans la nécessité, pour éviter un péché, d'en commettre obligatoirement un autre. Une telle liberté suffit, dit-il, à le rendre
coupable, bien qu'il soit contraint de pécher d'une manière ou d'une autre. Voici comment il l'explique plus clairement dans un autre endroit : « Le
libre arbitre des pécheurs ne cesse nullement d'être libre lorsqu'ils pèchent, bien qu'ils soient tenus par une nécessité générale de pécher. En effet, il aura
la liberté d'exercice, comme l'on dit : il ne sera contraint que quant au choix précis à faire ». Nous pourrions reproduire ici tout ce que nous avons dit
contre Juénin (chapitre II). Celui-ci prétend que certains, bien que privés de la grâce suffisante, pèchent cependant en vertu de cette liberté d'exercice.
Mais quelle est donc cette liberté, avons-nous déjà dit, qui permette de déclarer coupable un homme, juste ou pécheur, contraint à pécher d'une manière ou d'une autre ? Le Docteur Angélique dit : c'est une hérésie de prétendre que la volonté mérite ou démérite lorsqu'elle agit par nécessité, bien que non forcée : « Certains ont soutenu que la volonté de l'homme est poussée par la nécessité à faire un choix ; ils ne soutenaient cependant pas que la volonté était forcée... Cette opinion est hérétique ; elle supprime le mérite ou le démérite dans les actes humains ; on ne voit pas, en effet, comment peut être méritoire ou déméritoire ce que l'on fait par nécessité, au point de ne pas pouvoir l'éviter ». En effet d'après tous les théologiens, quand quelqu'un est contraint à faire tel péché ou bien tel autre et qu'il choisit le moins grave, il ne pèche pas, bien qu'il le choisisse volontairement.
En effet, il manque de la liberté nécessaire pour que ce péché puisse lui être imputé. Il s'ensuit, dans notre cas, que si quelqu'un, en raison de la
concupiscence supérieure à la grâce, choisissait le moindre mal, il ne pécherait point.
Mais laissons de côté toutes ces réflexions. Voici la réponse directe. Si l'on admet avec Jansénius le principe direct de la délectation relativement
victorieuse, cette liberté d'exercice, consistant à s'abstenir d'un péché en en commettant un autre, n'existe nullement. Son principe est celui-ci, comme
nous l'avons vu plus haut : quand la délectation charnelle l'emporte sur la céleste, la volonté est contrainte de façon précise à accepter celle à laquelle elle est physiquement poussée. Aussi dit-il quelque part que la délectation supérieure supprime l'indifférence de la volonté : de même que le poids fait
baisser le plateau de la balance, en équilibre auparavant, ainsi la délectation pousse la volonté à accepter le plaisir qu'elle lui propose : « Par suite des
attraits de la délectation charnelle, quelqu'un qui était d'abord indifférent à agir ou à ne pas agir est entraîné par le plaisir dans un sens ou dans l'autre, à
l'exemple du plateau sur lequel on ajoute un poids ». Il dit de même dans un autre endroit, pour réfuter ceux qui veulent que la délectation supérieure
entraîne moralement la volonté : ce n'est pas moralement, assure-t-il, mais physiquement qu'elle pousse et prédétermine la volonté a embrasser l'objet
proposé : « On appelle prédétermination morale celle qui vient uniquement de l'objet, comme lorsque quelqu'un conseille, prescrit, demande, mais la
délectation dont nous parlons réside dans la faculté même de la volonté ; par la puissance de sa douceur particulière, elle la pousse à vouloir et ainsi la
détermine ; la faisant se déterminer, elle la prédétermine donc ». D'après Jansénius, la délectation prédétermine la volonté à embrasser l'objet vers lequel elle la pousse, avant même que la volonté ne se détermine elle-même. Il n'est pas douteux que ce soit bien là la vraie pensée de Jansénius, nous assure le savant Dirois : cette doctrine, nous dit celui-ci, ne differe pas de
celle des physiognomistes qui faisaient dépendre la volonté de l'homme de l'influence des planètes : « la volonté est déterminée à choisir le but qu'elle
se propose par une impulsion qui précède sa détermination ». L'archevêque de Vienne, auteur du livre « Baianisme et Jansénisme ressuscité », dit de
même : « Les Jansénistes prétendent que la volonté est invinciblement déterminée à agir par une détermination supérieure en puissance, sans
aucune considération pour la détermination future de la volonté elle-même ».
Ceci étant admis, où se trouve encore la liberté d'exercice ? En effet, la délectation prépondérante, selon Jansénius, prédétermine la volonté à
l'accepter. De même que, dans la balance, le poids inférieur le cède nécessairement au poids supérieur, ainsi la volonté s'incline devant la délectation relativement victorieuse. Supposons le cas de quelqu'un qui est poussé par la délectation à s'emparer du bien d'autrui. Il pourrait sans doute
renoncer à ce vol par souci de sa réputation. Mais si ce souci n'existe pas ou s'il est moins fort que la délectation venant de l'idée du vol, il ne peut
certainement pas avoir le dessus. La liberté d'exercice n'existe certainement plus du tout.
Parlons maintenant de la troisième proposition de Jansénius : « Pour mériter et démériter, en l'état de nature déchue, l'absence de nécessité n'est pas
requise mais l'absence de coaction ou de contrainte suffit ». Jansénius dit donc ; pour mériter ou pour pécher, la liberté d'indifférence excluant la
nécessité n'est pas requise mais il suffit que la volonté n'y contredise pas. Et il va jusqu'à affirmer : c'est un paradoxe de dire que l'acte de la volonté est
libre dans la mesure où la volonté peut l'accepter ou la refuser. Cette proposition, qui est également condamnée comme hérétique, découle pareillement du même système. En effet, si l'on admet que la volonté, poussée par la délectation prépondérante, doit nécessairement lui obéir, il s'ensuit nécessairement ceci, d'après Jansénius : pour mériter ou pour pécher, il suffit que l'on accepte de consentir à la délectation, bien que l'on ne puisse pas ne pas vouloir et que l'on soit physiquement contraint à le vouloir.
Le Père Serry déclare cette doctrine tout simplement monstrueuse : « que le mérite puisse exister en même temps que la nécessité d'agir ». Saint
Thomas l'avait déjà déclarée hérétique ; je me permets de répéter ici ses paroles citées plus haut : « Certains ont soutenu que la volonté de l'homme
est poussée par la nécessité à faire un choix ; ils n'allaient toutefois pas jusqu'à dire que la volonté est forcée ou contrainte. Cette opinion est hérétique ; elle supprime la notion de mérite et de démérite dans les actes humains ; on ne voit pas, en effet, comment peut être méritoire ou déméritoire ce que quelqu'un fait par nécessité sans pouvoir l'éviter ».
Cette doctrine est dite très justement hérétique, car elle est contraire à toutes les Saintes Écritures : « Dieu qui est fidèle, a écrit l'Apôtre, ne permettra pas
que vous soyez tentés au-delà de vos forces mais avec la tentation il ménagera aussi le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le pouvoir de
la supporter» (1 Co 10, 13). Mais, soutient Jansénius, on est quelquefois tellement privé de la grâce que l'on ne peut résister à la tentation et que l'on se voit alors dans la nécessité d'y céder. Moïse dit au peuple : « Cette loi que je te prescris aujourd'hui n'est pas au-delà de tes moyens » (Dt 30, 11). « Bienheureux... qui a pu pécher et n'a pas péché, faire le mal et ne l'a pas fait » (Si 31, 10). Pour mériter il ne suffit donc pas d'agir volontairement, il faut aussi agir librement c'est-à-dire pouvoir manquer aux commandements et
ne pas être forcé à les observer. C'est la même chose pour le péché : il est nécessaire d'avoir la grâce pour l'éviter et que ce soit par sa faute et
volontairement que l'on y succombe. Que l'on ne réponde pas, comme l'impie Théodore de Bèze : cette nécessité ne dépend pas de la nature mais
elle est une conséquence du péché originel ; l'homme s'est volontairement privé de la liberté et il est donc justement puni lorsqu'il pèche, même si c'est par nécessité. Nous répondons : si un serviteur se cassait les jambes par sa faute, son maître serait injuste si, après lui avoir pardonné cette faute, il
voulait l'obliger à courir et le punissait s'il ne le faisait pas : « Quant à tenir quelqu'un pour coupable du péché, dit saint Augustin, parce qu'il n'a pas fait
ce qu'il ne pouvait pas faire, c'est le comble de l'iniquité et de la stupidité ».
De plus, si l'on pouvait mériter et démériter, même quand on agit par nécessité et sans avoir la possibilité de faire le contraire, je ne vois pas
comment cela pourrait être conforme à d'autres passages de la Bible : « Choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, soit les dieux que servaient
vos pères... soit les dieux des Amorites...Quant à moi et ma famille, nous servirons Yahvé » (Jos 24, 15). Quand on agit par nécessité et sans liberté, il
n'y a pas possibilité de choix. Ce texte prouve clairement la liberté de. l'homme face à la nécessité. Le savant Père Petau dit à propos de ce texte :
« On y voit une totale possibilité de choix entre deux objets. La volonté est comme suspendue entre deux. Elle peut adopter, à son choix, l'un ou l'autre
des deux objets qu'on lui propose ». On trouve la même idée en d'autres textes de la Sainte Écriture : « Je prends aujourd'hui à témoin contre vous le
ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction, pour que toi et ta postérité vous viviez » (Dt 30, 19). « C'est lui qui au commencement a fait l'homme et l'a laissé à son conseil. Si tu le veux, tu garderas les commandements... Devant les hommes sont la vie et la mort, à leur gré l'une ou l'autre leur est donnée » (Si 15, 14-17). Petau ajoute à propos de ce passage : Si l'Ecclésiastique avait à trancher aujourd'hui ce
problème, comment pourrait-il exprimer plus clairement la liberté de l'homme et l'absence de contrainte ? « S'il vivait parmi nous et avait à juger
de notre vie, il ne pourrait pas employer des mots plus précis pour décrire la nature et les caractéristiques de la liberté humaine et du libre arbitre ». D'autres passages de la Sainte Écriture ont le même sens : « J'ai appelé et vous avez refusé » (Pr 1, 24). « Ils furent rebelles à la lumière » (Jb 24, 13). « Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages » (Is 5, 2). « Vous résistez toujours au Saint Esprit » (Ac 7, 51). Appeler, éclairer les
esprits, porter la volonté au bien, est certainement l'oeuvre du Saint Esprit. Mais comment peut-on dire que quelqu'un fait la sourde oreille aux appels,
est rebelle à la lumière et résiste à la grâce, alors qu'il est privé de la grâce prépondérante et qu'il doit céder nécessairement à la concupiscence la plus
forte ?
Mais comment se fait-il, demande Jansénius, que saint Augustin ait dit la même chose que moi, à savoir : « Nous agissons nécessairement selon ce
qui nous plaît le plus » ? Avant de répondre à Jansénius, il nous faut préciser ceci : saint Augustin eut à réfuter plusieurs hérésies de son temps, toutes différentes entre elles, sur le problème de la grâce. Il eut à en parler sous divers aspects et fort longuement et, en plusieurs passages, il s'est
exprimé d'une manière obscure. Par la suite, chacune des Écoles Catholiques s'est vantée de l'avoir de son côté, bien que différant d'opinion entre elles. Calvin et Jansénius eux-mêmes, dont les erreurs ont déjà été condamnées par l'Église, ont eu l'audace de se réclamer de lui. Calvin écrit contre Pighi : « Nous ne faisons que suivre saint Augustin... Pighi a beau
crier, il ne peut pas nous empêcher d'avoir Augustin avec nous ». Quant à Jansénius, il cite saint Augustin comme son seul maître, au point d'intituler
son livre tout simplement « Augustinus ». Et tous les Jansénistes ne se nomment qu'Augustiniens. Je n'en conclus qu'une seule chose : pour ne pas se tromper, il faut confronter un certain nombre de passages de saint Augustin avec d'autres textes où il expose sa véritable opinion. Venons-en maintenant à notre problème.
Nous l'avons déjà dit, l'expression employée par saint Augustin ne doit pas s'entendre de la délectation indélibérée et antérieure à toute intervention de
la volonté humaine mais de la délectation délibérée et conséquente : quand on accepte librement la délectation, on doit nécessairement la suivre. Le
saint Docteur le prouve en d'autres textes où il assimile la délectation à l'amour ou, pour mieux dire, il explique que la délectation supérieure est tout simplement cet amour délibéré et cette affection qui l'emporte en nous par suite de notre libre choix. Une fois que nous nous sommes laissés prendre librement par cette délectation, nous devons nécessairement la
suivre. Le saint veut dire, en substance, que la volonté agit nécessairement selon ce qu'elle aime délibérément le plus. Il dit quelque part que la
délectation est comme un poids qui entraîne l'âme de son côté : « La jouissance est comme le poids de l'âme ». Il dit : ce poids qui entraîne l'âme, c'est ce que chacun aime : « Mon poids, c'est mon amour ». Il l'explique plus clairement dans un autre texte. Nous devons nous efforcer, dit-il, « avec l'aide de Dieu, et de Notre Seigneur, de nous régler de telle sorte que
les délectations inférieures ne nous blessent pas, et que les supérieures seules nous réjouissent ». C'est ainsi qu' il parle de la délectation délibérée et
librement acceptée: Il dit de même ailleurs : « Que veut dire être tiré par la volonté ? Mets tes délices dans le Seigneur, et il t'accordera les délices de
ton coeur ». Et ailleurs : « Voyez comment le Père tire et charme en enseignant sans imposer aucune nécessité ». Ailleurs encore : « Si tu éprouves du plaisir à jouir, il te faut réfréner la délectation illicite ; ainsi, lorsque nous jeûnons, la vue de la nourriture réveille l'instinct de notre plaisir : c'est le fruit de la délectation (indélibérée) mais nous la maîtrisons et
la dominons par la raison ».
Ainsi, d'après saint Augustin, la délectation qui pousse aux choses défendues peut fort bien être maîtrisée librement par la force de la raison et avec l'aide de la grâce. Le saint nous exhorte donc ainsi : « Que la vertu nous réjouisse au point de l'emporter même sur les plaisirs permis ! ». Ce que le saint Docteur ajoute, à propos du texte controversé, le
montre encore plus clairement. Il commence par dire: « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». Et il ajoute : « Il est bien évident que nous vivons selon ce que nous avons cherché ; mais nous chercherons ce que nous aurons aimé. Si donc il existe deux objets contraires, le commandement de la vertu et l'habitude charnelle, et que nous aimons l'un et l'autre, nous chercherons ce que nous aurons aimé le plus ». Quand le saint dit : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus », il veut dire seulement que la volonté doit agir suivant ce qu'elle aime le plus. On ne peut pas objecter avec Jansénius : « ce qui plaît le plus est ce que l'on aime le plus », parce que ce n'est pas toujours vrai. Saint
Augustin lui-même affirme le contraire dans ses Confessions : « Je ne faisais pas ce qui, par un attrait incomparable, me charmait beaucoup plus,
ce que bientôt, dès que je voudrais, je pourrais faire ». Il nous apprend par là qu'il était poussé par Dieu vers le bien par une affection indélibérée incomparable : la vertu lui plaisait plus que le vice et il aurait pu pratiquer la vertu s'il l'avait voulu. Mais il résistait à la grâce ; il repoussait la vertu et s'abandonnait au vice.
De plus, si saint Augustin avait cru que chacun est contraint d'agir selon la délectation la plus forte, il n'aurait pas pu dire : « Si la délectation illicite de
la concupiscence te tente, lutte, résiste, ne consens pas et ne te laisse pas entraîner par tes passions » (cf. Si 18, 30). Il dit ailleurs Voila deux personnes qui ont la même tentation d'impureté. Il arrive quelquefois que l'une consente et que l'autre résiste. Pourquoi ? C'est que, répond-il, l'une veut la chasteté et l'autre ne la veut pas : « Si c'est la même tentation que les deux éprouvent et que l'un cède et consente, l'autre restant fidèle à lui-même, que conclure, sinon que l'un n'a pas voulu et que l'autre a voulu renoncer à la chasteté ». En outre, lorsque le saint dit que nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus, on peut se demander s'il entend parler de la délectation délibérée ou indélibérée. Or, si le saint voulait parler de la délectation indélibérée, il en viendrait à nier que, pour être vraiment libre, la volonté doit nécessairement être exempte non seulement
de la violence mais aussi de la nécessité. Mais le saint enseigne précisément le contraire en mille endroits : dans le bien comme dans le mal, on agit
toujours en dehors de toute contrainte. Lorsqu'il parle de la délectation prédominante victorieuse, on doit nécessairement l'entendre de la délectation délibérée et conséquente.
On pourrait citer ici mille textes : « Notre volonté ne serait plus une volonté, si elle n'était pas en notre pouvoir... car ce qui n'est pas libre pour nous, c'est ce qui n' est pas en notre pouvoir ».Ailleurs il fait allusion à l'Évangile selon saint Matthieu, chapitre 7, où l'on parle des bons fruits qui poussent sur le bon arbre et des mauvais fruits qui poussent sur le mauvais arbre : « Voici le Seigneur qui déclare : Ou bien faites ceci, ou bien faites cela. Il montre que le « que faire » est au pouvoir de l'homme... Celui qui ne veut pas observer la loi, il est en son pouvoir de
le faire, s'il veut ». Calvin objecte : Saint Augustin parlait ici de l'homme dans l'état d'innocence, mais Bellarmin lui réplique avec raison : Le saint traitait du passage où le Seigneur s'en prenait aux Juifs ; il leur disait : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ». On ne peut donc pas dire que saint Augustin voulait parler ici d'Adam. D'ailleurs, ce que le saint écrivait contre
les Manichéens, il l'écrit aussi contre les Pélagiens : « Ainsi donc, lorsqu' il est dit : « ne veuille pas ceci, ne veuille pas cela », et lorsque la coopération
de la volonté est réclamée dans les avertissements divins pour faire ou ne pas faire quelque chose, l'existence du libre arbitre est suffisamment
démontrée ».
Jansénius, grand partisan de Calvin, rétorque : Saint Augustin parle de la nécessité provenant de la molence et non pas de la simple nécessité. Mais
Jansénius se trompe une fois de plus, parce que le saint était d'accord à ce sujet avec les Pélagiens, et il leur concédait que le libre arbitre était ainsi
exempt de la contrainte ainsi que de la simple nécessité. Il n'hésite donc pas à dire contre Julien : « Nous disons, tout comme vous, que les hommes ont
le libre arbitre. Vous dites, vous, que quelqu'un est libre de faire le bien sans l'aide de Dieu... et c'est pourquoi vous êtes Pélagiens ». Lorsque saint
Augustin écrit : « Nous disons, tout comme vous...», il admettait la même liberté d'agir ou de ne pas agir que les Pélagiens. Or, ceux-ci voulaient certainement que cette liberté soit exempte de toute nécessité. Il est hors de doute que le saint tenait le libre arbitre comme exempt non seulement de la violence mais aussi de toute nécessité ; il s'opposait aux Pélagiens
uniquement parce que ceux-ci soutenaient que le libre arbitre a la possibilité de faire le bien, même sans la grâce.
Parlant de la liberté de la volonté et de l'efficacité de la grâce, saint Augustin dit qu'il est difiicile de concilier l'une avec l'autre : « Mais cette question, où
l'on traite de la liberté de la volonté et de la grâce de Dieu, offre tant de difficultés de discernement que, lorsqu'on défend la volonté libre, on donne
l'impression de nier la grâce de Dieu, et, qu'au contraire, lorsqu'on affirme la grâce de Dieu on peut croire que la volonté libre est supprimée ». Si saint
Augustin avait supposé que la volonté n'est pas exempte de la simple nécessité mais uniquement de la violence, il n' aurait pas été difficile, il aurait
même été très facile, de comprendre comment agit la grâce. Puisqu'il disait que c'était difficile à comprendre, c'est qu'il croyait que la grâce efficace
obtient certainement son effet dans les actes bons. La volonté, les accomplissant librement, agit en dehors de toute nécessité qui la déterminerait à ne faire et à ne vouloir que les actes auxquels pousse la
grâce. Du reste, le saint Docteur considérait comme certain que l'on peut observer les commandements avec la grâce ordinaire ou tout au moins demander pour cela une aide plus forte. Sinon, disait-il, Dieu ne nous aurait pas imposé ces commandements : « En effet, Dieu ne nous ordonnerait pas de le faire s'il pensait que cela nous est impossible ».
Citons d'autres textes où saint Augustin exprime la même opinion, à savoir que la volonté humaine est exempte de toute nécessité : « En effet, ce qui ne
serait pas fait volontairement ne serait pas un péché ; si l'on n'avait pas une volonté libre c'est-à-dire si l'on n'agissait bien ou mal que par nécessité, toute peine infligée serait injuste ». Il ajoute ailleurs :
« Comment ne serait-il pas stupide d'imposer des commandements à quelqu'un qui ne serait pas
libre de faire ce qui est prescrit ? Ne serait-il pas injuste de condamner quelqu'un qui n'a pas la possibilité d'exécuter les ordres donnés ? » Ailleurs
encore : « On ne peut nullement tenir pour coupable l'acte de la volonté se détournant d'un bien immuable, si c'est la nature ou la nécessité qui la
détermine ». Après avoir dit que la grâce prévenante est nécessaire pour faire le bien, il ajoute : « Il dépend de la volonté de chacun de répondre à
l'appel de Dieu ou d'y résister ». Il enseigne donc clairement que la volonté peut librement obéir à la grâce ou y résister. Que l'on ne prétende pas avec
Jansénius : Saint Augustin a simplement voulu dire que le consentement et le refus relèvent proprement de la volonté. On ne pourra jamais croire que le
samt Docteur s'est fatigué pour rien à prouver que le consentement et le refus sont l'affaire de la volonté et non de l'intelligence. Même les rustres savent faire la distinction. Le saint venait précisément de dire :
« Personne n'est maître des pensées qui lui viennent à l'esprit » et il ajoute : « Il dépend de la volonté de chacun de répondre à l'appel de Dieu ou d'y résister». Il parle donc sans aucun doute de la liberté qu'a la volonté de repousser ou d'accepter ce qui vient à l'esprit. Il dit ailleurs : « Personne, en effet, sauf Dieu ne peut faire un arbre (dans le sens des arbres bons qui donnent de bons fruits et des arbres mauvais qui donnent de mauvais fruits). Mais chacun a dans sa volonté soit de choisir ce qui est bon et d'être un arbre bon, soit de choisir ce qui est mauvais et d'être un mauvais arbre... Ainsi donc quand le Seigneur ordonne : Voici donc le Seigneur qui déclare : « Ou bien faites ceci, ou bien faites cela. Il montre que le « que faire » est au
pouvoir de l' homme ».
Dans un autre passage, il explique la signification du secours « sine quo » c'est-à-dire « sans lequel la volonté ne peut vouloir ; le libre arbitre garde
cependant la faculté de vouloir ou de refuser, d'utiliser ou de ne pas utiliser ». On voit très clairement combien saint Augustin est loin de penser comme Jansénius : pour celui-ci, en effet, dans ses choix, la volonté humaine n'est pas exempte de la nécessité, bien plus elle est contrainte à suivre la
délectation supérieure dont l'impulsion l'entraîne et la détermine invinciblement.
Le Seigneur donne à chacun la grâce prochaine ou la grâce éloignée de la prière pour observer ses commandements ; sinon, la transgression ne
pourrait pas lui en être imputée à péché. Pour achever de le prouver, il suffit d'examiner quelles sont les propositions contraires aux Propositions de
Jansénius. La première de celles-ci disait : « Certains commandements de Dieu sont impossibles à observer par des justes, dans l'état de leurs forces actuelles, quand bien même ils le veulent et s'y efforcent ; il leur manque également la grâce qui les leur rendrait possibles ». Et voici la Proposition Catholique contradictoire : Aucun des commandements de Dieu n'est impossible, tout au moins aux justes qui veulent les observer et qui s'y efforcent ; même selon leurs forces présentes, la grâce ne leur fait pas défaut
: grâce prochaine ou tout au moins éloignée. Ils peuvent ainsi, au moins médiatement, demander le secours plus puissant pour les observer. Notons
de nouveau que, pour éviter l'erreur condamnée, il ne suffit pas d'admettre la possibilité absolue d'observer les commandements parce que les Jansénistes
eux-mêmes l'admettent. Il faut, reconnaître aussi la possibilité même relative, face à une délectation charnelle concrète plus forte que la grâce,
d'observer un commandement ou tout au moins de demander la grâce nécessaire. C'est en cela précisément que consiste l'erreur de Jansénius : il
nie, non pas la possibilité absolue, mais la possibilité relative.
La troisième proposition de Jansénius disait : « Dans l'état de nature déchue, pour mériter et démériter, l'absence de nécessité n'est pas requise ; il suffit
de l'absence de contrainte »~. Et voici la Proposition Catholique contradictoire : Pour mériter et démériter, même dans l'état de nature déchue, est requise, pour les justes comme pour les pécheurs, non
seulement l' absence de contrainte mais aussi de la simple nécessité. Car, d'après la doctrine catholique, si la volonté agit par nécessité, elle n'a pas une
liberté suffisante pour mériter ou démériter ici bas. Il faut que la volonté soit exempte de toute nécessité pouvant l'amener à consentir de façon déterminée à l'une des deux choses proposées.
Enfin, le Père Fortunat de Brescia, auteur communément estimé des savants modernes et spécialement de Muratori, fait dans son livre récent
« Réfutation du Système de Cornelius Jansénius » la réflexion suivantes : Si le Système de Jansénius était vrai, la loi de Dieu serait inutile ou injuste. En effet, selon ce Système, quand la délectation céleste est la plus forte, la volonté, même en dehors de la loi, est nécessitée à suivre de façon déterminée l'impulsion de la délectation, et la loi ne servirait ainsi à rien. Si c'est la délectation terrestre qui est la plus forte, la loi serait injuste : en effet, Dieu nous imposerait un commandement physiquement impossible à observer parce qu'alors la volonté doit nécessairement consentir à la tentation. Toutes les menaces et admonitions des Saintes Écritures seraient donc inutiles. Aucun acte humain ne mériterait de récompense ou de châtiment, parce que l'on ferait tout par nécessité. Si quelqu'un nous
exhortait à bien vivre, nous pourrions lui répondre, comme Eusèbe aux fatalistes : « Docteur, ce n'est pas en mon pouvoir ! Je le ferai si les oracles
le veulent, c'est-à-dire si la délectation charnelle n'est pas la plus forte ; il arrivera nécessairement ce qui est fixé par le destin ». Je dois suivre
nécessairement la délectation la plus forte. Il dit également : Si l'on admettait ce Système, il faudrait admettre aussi le Manichéisme. Celui-ci enseignait
l'existence de deux Principes, un bon et un mauvais. Toutes les actions de l'homme proviennent de l'un ou de l'autre, et l'on doit nécessairement suivre le plus puissant. Il ne sert à rien de dire : dans le système de la délectation victorieuse, cette nécessité ne découle pas du Principe bon ou mauvais comme le voulait les Manichéens, mais elle dépend du péché d'Adam, qui en est la cause. Il ne s'agit point ici de savoir quel est le Principe qui pousse et fait agir nécessairement la volonté mais de déterminer si, oui ou non, après le péché d'Adam, la volonté est restée exempte de la nécessité d'agir. Les Jansénistes le nient. Ils soutiennent que la volonté mérite et démérite, même si elle est nécessitée à vouloir ce à quoi la détermine la délectation supérieure. Mais, comme le note fort bien le Père de Brescia, les livres
d'Arnauld, d'Irénée, de Vendroc et d'autres Jansénistes, ont été condamnés parce que l'on y défendait le principe de Jansénius des deux délectations invincibles selon la supériorité des degrés. Nous savons aussi que c'est pour la même raison qu'a été interdite la théologie de Juénin. Celui-ci n'a pas soutenu expressément ce Système mais il a parlé imprudemment de ce problème et d'une façon fort obscure : « La nature physique de la grâce
efficace, dit-il, ne repose que sur la délectation victorieuse qui influe sur l'esprit par rapport au bien ». Il n'a pas parlé de délectation relativement
victorieuse mais il appuie sa Proposition sur la doctrine de saint Augustin que nous avons mentionnée plusieurs fois : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». C'est pour cette raison que son ouvrage a été si longtemps interdit. Il a été autorisé dernièrement parce qu'on y a ajouté un résumé intitulé « La vraie doctrine de l'Eglise », extrait de la Théologie du savant Tournely qui a réfuté d'une manière complète et excellente le Système de Jansénius. Le Père de Brescia conclut : « Il reste que le Système de Jansénius est nettement en leur faveur (Luther, Calvin, Jansénius). Un catholique ne peut donc le soutenir sans blesser la foi. En effet, on ne peut soutenir ce Système tout en gardant la foi et en sauvant la religion : admettre ses principes de base, c'est approuver des Propositions condamnées ». Tournely dit de même : « L'Église ayant condamné les cinq Propositions telles que les entendait Jansénius, il faut que soient condamnées aussi, dans le Système de Jansénius, celles de la délectation supérieure et relativement victorieuse, fondement de tout le Système ».
On objecte aussi : autre est le Système de Jansénius qui suppose la délectation victorieuse indélibérée, c'est-à-dire qui vient en nous sans aucun
consentement de la volonté, et autre est le Système de la délectation aussi relativement victorieuse par la supériorité des degrés, mais délibérée. Celle-ci ne triomphe pas toute seule et par ses propres forces, comme disent les partisans de ce Système, mais avec l'aide des forces de la volonté consentante. Bien que la délectation prépondérante triomphe certainement et infailliblement, elle ne l'emporte pourtant pas nécessairement, comme le voulait Jansénius. Tournely répond fort justement : Cette grâce ou délectation, infailliblement efficace et déterminant invinciblement la volonté par la supériorité de ses forces, ne peut pas ne pas être nécessitante et ne pas entraîner le consentement de la volonté. Et il le prouve ainsi : « La grâce ayant à faire à une volonté privée du pouvoir de résister est nécessitante. Or, telle est bien la grâce infailliblement efficace de par la différence de degré des forces en présence. En effet, cette grâce suppose que la volonté n'a, pour résister, que des forces inférieures. Mais il répugne que les forces supérieures agissant comme supérieures puissent être vaincues par les
inférieures ; sinon, les forces inférieures agiraient au-dessus de leur degré de capacité ». On ne peut objecter que les forces de la grâce relativement
victorieuse sont supérieures en soi à la concupiscence mais pas aux forces de la concupiscence unies à celles de la volonté. Car, continue Tournely, on ne pourrait concéder de telles forces à la volonté qu' à l'égard du mal que
l'on peut faire, en triomphant au moins d'un vice par un autre. Ce pourrait être aussi tout au plus le cas à l'égard d'un bien naturel mais non d'un bien
surnaturel, ou pour vaincre une forte tentation, ce qui ne peut se faire sans la grâce de Dieu. Aussi les Pères de Diospolis ont-ils exigé des Pélagiens que
chacun confessât, entre autres articles : « Quand nous luttons contre les tentations et concupiscences illicites, la victoire vient non pas de notre volonté mais du secours de Dieu ». Saint Thomas nous en donne la raison : Aucun principe actif ne peut produire un effet dépassant sa capacité ; un
principe naturel ou une cause naturelle ne peuvent pas produire un effet surnaturel : « Aucun acte ne dépasse la mesure du principe qui le produit.
Aussi dans la nature ne voyons-nous jamais un être qui puisse par sa propre opération engendrer un effet supérieur à sa puissance d'action ; il n'aboutit
jamais dans ses opérations qu'à un résultat proportionné à son pouvoir ». Ainsi donc, les forces naturelles de la volonté humaine, bien qu'unies aux
forces de la grâce, inférieures à celles de la concupiscence, ne peuvent arriver à produire un effet surnaturel, comme de vaincre une violente
concupiscence plus forte que la grâce. Et les Jansénistes disent, en effet : Que l'on nous concède que la délectation l'emporte très certainement en
raison de ses forces supérieures, et cela nous suffit. Voici comment s'exprime l'un deux, l'Abbé de Bourzeis : « Il nous suffit que l'on nous concède cette seule vérité : chaque fois que nous répondons à la grâce de
Dieu, c'est que l'amour bon inspiré par Dieu est plus fort que l'amour mauvais : parce qu' il lui est supérieur en forces, il l'emporte très certainement ».
C'est pourquoi Tournely, après avoir parlé des deux Systèmes, celui de la délectation absolument victorieuse et celui de la délectation relativement
victorieuse, conclut ainsi : « Nous reconnaissons comme théologiens orthodoxes ceux qui déduisent la force efficace de la grâce à partir de la délectation absolument ou simplement victorieuse, ainsi que ceux qui reconnaissent dans la grâce suffisante des forces capables de triompher de la passion concrète opposée. Mais dans les partisans de la grâce relativement victorieuse par suite de la supériorité des degrés et en ceux qui ne reconnaissent comme grâce suffisante que celle qui est moins puissante que
la concupiscence opposée, nous ne voyons que des défenseurs du Système de Jansénius ».
Disons pour conclure que nous n'avons pas l'intention de réfuter l'opinion suivante : la volonté, alors même qu'elle suit la délectation supérieure, agirait pourtant toujours librement c'est-à-dire sans nécessité et avec un pouvoir réel, et non pas simplement hypothétique, de faire le contraire ! Nous voulons seulement rejeter l'opinion de ceux qui prétendent que, quand l'une des délectations, la céleste ou la charnelle, surpasse l'autre en degré et est victorieuse, il ne nous reste plus aucune possibilité de résister et de vaincre pour la raison qu'une force plus grande l'emporte toujours sur une plus petite !
Je ne peux cependant manquer d'exprimer mes doutes sur ce Système de la délectation relativement victorieuse. Ses défenseurs, parmi lesquels figure le Père Berti, soutiennent que l'efficacité de la grâce, telle qu'ils la comprennent, ne diffère point, en substance, de l'efficacité enseignée par les thomistes, bien que relevant de principes différents puisque les thomistes font consister l'efficacité de la grâce dans la prédétermination physique, et eux dans la délectation prépondérante. Ce que fait, disent-ils, la prédétermination dans l'acte second en amenant le libre arbitre à consentir,
la délectation le fait aussi. Du reste, les deux opinions enseignent que l'homme garde, dans l'acte premier, le pouvoir d' agir en sens opposé ; la volonté agit donc toujours librement et sans nécessité.
Mais, à mon avis, les principes de ces deux opinions étant différents ainsi que leurs arguments, les conséquences en sont aussi différentes. D'après les
thomistes, la raison de l'efficacité, c'est que la volonté créée est une puissance passive ; or, le propre de la puissance est de recevoir la motion ou
impulsion de la grâce. Pour passer à l'acte, il faut donc qu'elle soit mue par Dieu comme premier agent et première cause libre. C'est lui qui applique et
détermine par la prédétermination le passage du pouvoir à l'acte. Quand au pouvoir lui-même, les thomistes pensent que l'homme a à sa disposition la
grâce préparée et immédiatement disponible pour qu'il puisse faire le bien. Le Père Gonet s'exprime ainsi : « La grâce qui donne tout ce qui est requis
pour l'acte premier donne le complément ainsi que toute la puissance et la capacité suffisante ». Et le Cardinal Gotti : « La grâce suffisante donne à la
puissance le pouvoir prochain et tout préparé ». Ainsi pensent communément tous les autres thomistes. Et si l'un d'entre eux semble parler différemment, c'est qu'il parle de l'acte second et non de l'acte premier.
Par ailleurs, voici les raisons données par les partisans de la délectation supérieure en degrés : Dans l'état de nature innocente, disent-ils, l'homme
n'avait besoin, pour faire le bien, que de la grâce suffisante ; son libre arbitre était sain et dans un parfait équilibre ; il pouvait agir avec la seule grâce
suffisante, sans avoir besoin de la grâce efficace. Mais, après la chute d'Adam, la volonté de l'homme est demeurée blessée et inclinée au mal ; elle
a besoin de la grâce efficace qui lui permette, par le moyen de la délectation victorieuse, de faire concrètement le bien. Étant donné la raison sur laquelle s'appuie le Système, je me dis : La volonté de l'homme est donc restée tellement infirme que, pour faire actuellement le bien, elle a besoin de la grâce efficace. On ne peut pas dire dans ces conditions que l'homme ait encore la grâce suffisante, même dans l'acte premier. On ne peut pas dire non plus qu'il ait à sa disposition le pouvoir complet pour observer les commandements globalement ou en détail ni pour faire un acte bon, même médiat, en vue de recevoir ensuite le secours plus grand qui lui permettra de respecter la loi.
Je sais bien que les partisans de cette opinion ne refusent pas de le concéder. Ils disent que, dans l'état actuel, la grâce suffisante ne donne pas
le pouvoir complet et immédiatement disponible. L'un de ces partisans, le Père Macedo, dit : « La grâce suffisante ne donne pas le pouvoir vraiment
complet et disponible ». Ailleurs, parlant de la grâce d' Adam, il écrit : « La première grâce supposait une puissance complète et disponible, la seconde
une puissance handicapée et dépendante ».
Mais, si la grâce inférieure à la concupiscence ne donne pas le pouvoir complet et disponible d'observer les commandements, on ne peut plus l'appeler réellement suffisante. En effet, le Père Berti qui défend ce Système de la délectation relativement victorieuse concède aussi volontiers que l'on
doive appeler cette grâce inférieure une grâce inefficace et non pas une grâce suffisante. Ainsi, selon ce Système, ceux qui ne reçoivent pas de Dieu la grâce efficace par le moyen de la délectation relativement victorieuse n' ont pas même la grâce suffisante pour observer les commandements. Voici
comment le Père Berti défend son opinion. Il expose d'abord les trois objections que lui font ses adversaires : « Il y a trois choses qui sentent le
dogme janséniste et qui sont la source et l'origine des cinq propositions condamnées dont de nouveaux Jansénistes n'ont pas du tout horreur. On distingue parmi eux deux auteurs qui sont sans aucun doute de faux Augustiniens, (le Père Bellelli et le Père Berti, contre lesquels a écrit l'Archevêque de Vienne). La première, c'est qu'ils mettent la grâce efficiente
non seulement dans la délectation victorieuse mais dans une délectation relativement victorieuse... etc. La seconde, c'est qu'ils refusent à la délectation de degré inférieur le pouvoir prochainement disponible ; ils exigent pour cela, du côté du pouvoir et de l'acte premier, une délectation plus forte ; la grâce inefficace, (soit le secours « sine quo », en français,
indispensable, qu'ils rejettent), n'est pas une vraie grâce suffisante ni dans le sens moliniste ni dans le sens thomiste, puisque la grâce suffisante, selon
l'ensemble des catholiques, donne le pouvoir prochainement disponible. La troisième qui en découle, c'est qu'ils suppriment la vraie grâce suffisante dont le nom leur fait horreur à tort ; ils l'appellent plutôt inefficace que suffisante ». Voilà donc ce que lui objectent ses adversaires et voici
comment il leur répond : « Je proclame très fermement et sans aucune hésitation : les trois points de doctrine qui viennent d'être rappelés ne sont nullement erronés ni les principes des propositions condamnées. Mais certains, poussés par leur zèle à réfuter Jansénius et emportés par leur
préjugé à l'égard de leur propre opinion, n'ont pas su du tout distinguer ce qui est catholique de ce qui est erroné et condamné. Un demi-savant anonyme (à savoir l'Archevêque de Vienne), ainsi que certains autres, gens de peu de science et d'esprit borné, ont trouvé moyen, dans leurs élucubrations, d'accuser d'hérésie monstrueuse des opinions pourtant
inattaquables d'Augustin, qui sont d'ailleurs, qu'ils le veuillent ou non, les mêmes que les nôtres ».
J'avoue que je suis justement moi-même l'un de ces hommes de peu de science et d'esprit borné. Je ne vois pas comment les propositions du Père Berti s'accordent entre elles, et leurs conséquences semblent carrément se contredire. S'il disait : pour observer les commandements de Dieu, on a
besoin de la grâce efficace, mais la grâce suffisante accordée à tous donne le pouvoir prochain de prier, et, avec la prière, on obtient ensuite le secours
supérieur et nécessaire pour pratiquer effectivement les commandements, alors nous serions d'accord, car c'est justement là notre opinion. Nous l'exposerons et prouverons dans le prochain chapitre. Mais le Père Berti pense autrement. Quand il parle de la prière, il dit bien que chaque fidèle, avec la grâce suffisante, peut prier s'il n'y met pas obstacle. En priant, il peut
obtenir le secours immédiat pour observer les commandements : « Chaque fidèle, dit-il, à moins qu'il n'y mette obstacle, a la grâce de prier. Il peut ainsi demander le secours immédiat suffisant pour observer les commandements ». Il ajoute ailleurs :
Bien que cette grâce suffisante, commune à tous les
fidèles, ne soit que lointainement suffisante pour l'observation des commandements, elle est cependant prochainement suffisante pour la prière, grâce à laquelle on obtient ensuite la grâce efficace. Il écrit : « Celui qui a une volonté faible volonté que donne à tous la grâce suffisante - a la grâce prochainement suffisante pour prier et lointainement suffisante pour observer les commandements. Il pourra les observer prochainement, lorsqu'il aura obtenu par la prière une volonté forte », qui sera le fruit de la grâce efficace. Il dit donc judicieusement : on ne peut pas dire que la grâce suffisante donne à tous le pouvoir effectif d'observer les commandements.
En effet, comme il le dit dans le passage cité un peu plus haut, le pouvoir prochain est celui qui n'a pas besoin d'un autre secours pour passer à l'acte.
Il écrit : « Seule la grâce efficace donne le pouvoir complet et disponible ». Il ajoute : Pour que la grâce suffisante puisse être dite prochainement suffisante pour un acte concret, « il est requis qu'elle n'ait pas besoin d' un autre secours pour passer à l' acte »gs. Ainsi, d'après le raisonnement du Père Berti, la grâce suffisante ne donne pas à tous les fidèles le pouvoir
prochain d'observer les commandements, mais elle donne bien à tous le pouvoir prochainement suffisant pour prier. Donc, tous les fidèles, avec la seule grâce suffisante, peuvent prier actuellement, sans avoir besoin d'un autre secours, c'està-dire de la grâce efficace.
Mais je ne sais pas comment ces textes s'accordent avec ce que dit ailleurs le Père Berti : « Personne, sans avoir la grâce efficace en soi, n'a le pouvoir de
prier effectivement ». Donc, selon cette dernière proposition, la grâce suffisante ne donne que de nom, mais pas vraiment de fait, le pouvoir
prochainement suffisant de prier. Elle ne donne que le pouvoir médiatement suffisant puisqu'il faut encore la grâce efficace pour que le pouvoir de prier passe à l'acte. Donc, pour prier actuellement, il faut la grâce efiicace et l'on ne peut pas dire que la grâce suffisante donne le pouvoir prochainement suffisant pour prier effectivement, et alors on n'a pas besoin de la grâce efficace de la délectation prépondérante, comme il le prétend. Mais, dit le Père Berti, même saint Augustin requiert la délectation victorieuse pour
prier actuellement et effectivement : « Augustin enseigne que sont nécessaires pour prier une science certaine et une délectation victorieuse ». J'ai voulu examiner le texte du saint Docteur : « Essayons de comprendre, dit-il, si nous le pouvons, comment le Seigneur Dieu qui est bon refuse même à ses fidèles, soit la science certaine, soit la délectation victorieuse de quelque bonne oeuvre, afin de leur faire saisir que ce n'est pas d'eux-mêmes mais de lui que vient la lumière capable d'éclairer leurs ténèbres, ainsi que la douceur qui permet à leur terre de donner son fruit ». Saint Augustin ne dit pas que la délectation victorieuse est nécessaire pour prier mais seulement que Dieu s'abstient quelquefois de donner, même à ses fidèles, soit la connaissance soit la délectation victorieuse de quelque bonne oeuvre, afin
qu'ils sachent bien que c'est de lui et non d'eux-mêmes qu'ils ont la lumière qui les éclaire et la douceur qui leur fait porter du fruit.
Le saint ne parle donc pas ici de la grâce suffisante par laquelle l'homme a la possibilité d'agir mais n' agit pas toujours. Il ne dit pas non plus qu'avec la
seule grâce suffisante et sans la grâce efficace, l'homme ne peut pas prier actuellement et effectivement. Il ne parle que de la seule grâce efficace, qui, par la délectation victorieuse, le fait infailliblement bien agir. Ensuite il ne parle pas ici de la prière mais des bonnes oeuvres, c'est-à-dire proprement de la pratique des commandements ou des conseils : bien que la prière soit une bonne oeuvre, elle n'est pas en soi une oeuvre mais le moyen d'obtenir le secours nécessaire pour accomplir les bonnes oeuvres.
Nous pensons, nous aussi, comme nous l'avons dit plus haut, que la grâce efficace est nécessaire pour observer les commandements. Mais nous disons : pour prier actuellement et effectivement et obtenir par la prière la grâce efficace, il suffit de la grâce suffisante que Dieu accorde à tous les fidèles. On maintient ainsi que les commandements de Dieu ne sont impossibles à personne. Chacun, avec la seule grâce suffisante, peut faire les choses faciles comme prier, et par la prière demander le secours de la grâce
efficace gratuite et qui lui est nécessaire pour accomplir actuellement et effectivement les choses difficiles, telles que la pratique des commandements. C'est bien dans ce sens que parle le Cardinal de Noris,
dont nous citerons les textes dans le chapitre suivant, c'est aussi ce qu' avant lui saint Augustin a enseigné : « D' où cette croyance très solide que le Dieu juste et bon n'a pas pu nous prescrire des choses impossibles. Par là on nous rappelle et ce que nous avons à faire dans les choses faciles et ce que
nous avons à demander dans les choses difficiles ». Si la grâce suffisante ne suffisait pas pour prier actuellement et effectivement et s'il fallait toujours la
grâce efficace, si cette grâce efficace était refusée à quelqu'un, comme elle est, de fait, refusée à beaucoup, je ne vois pas comment on pourrait affirmer à quelqu'un que les commandements lui sont possibles, ni comment Dieu alors qu'il refuserait même la grâce efficace de prier actuellement et concrètement - pourrait exiger l'observation de sa loi, ni comment, en justice, il pourrait condamner à l'Enfer. Cette façon de voir faisait précisément dire à Jansénius que certains commandements sont
impossibles, même aux justes, parce qu'il soutenait par erreur que certains sont privés de la grâce qui leur en rendrait possible l'observation. Mais non !
Dieu donne à tous - nous faisons ici abstraction des infidèles et des pécheurs obstinés - la grâce prochaine de prier actuellement et effectivement, comme nous le prouverons dans le prochain chapitre.
Personne ne peut prétexter qu'il ne peut pas observer les commandements.
Bien qu'il n'ait pas disposé de la grâce efficace pour les observer concrètement, il a eu néanmoins la grâce prochaine suffisante pour prier actuellement et effectivement. S'il avait prié, il aurait obtenu de Dieu, qui a promis d'exaucer ceux qui prient, la grâce efficace qui lui aurait certainement permis de pratiquer les commandements. C'est bien ce qu'a
déclaré le Concile de Trente contre Luther qui affirmait qu'il est impossible, même aux fidèles, d'observer la loi de Dieu : « Dieu ne commande pas des choses impossibles mais, lorsqu'il commande, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas et il t'aide à pouvoir ».
EXPOSÉ ET RÉFUTATION DU SYSTÈME DE JANSÉNIUS FONDÉ SUR LA DÉLECTATION RELATIVEMENT VICTORIEUSE.
(N.B. Négation du libre arbitre et que Dieu accorde sa Grâce à certains et à d'autres, non - Hérésie appuyée par Luther et Calvin - Réforme protestante)
Nous allons donc prouver, dans ce chapitre, que la grâce de la prière est donnée à tous. Cette doctrine ne plaît pas à Jansénius qui va jusqu'à l'appeler une illusion ou une hallucination : « Penser que l'homme a toujours la grâce de prier est une hallucination ». D'après son système, on a besoin, même pour prier, de la délectation relativement victorieuse. Celle-ci n'est pas donnée à tous parce que ajoute-t-il, tous n'ont pas la grâce suffisante et la force d'observer les commandements. Beaucoup, en effet, n'ont pas la
grâce éloignée de prier comme il faut ou même tout simplement de prier : « La plupart, continue Jansénius, ou bien ne demandent pas la grâce qui leur
permettrait de pratiquer les commandements ou bien ne la demandent pas comme il faut. Or la grâce de prier avec ferveur ou même tout simplement de prier n'est pas donnée à tous. Il est donc clair que beaucoup de fidèles n'ont pas la grâce suffisante ni la possibilité permanente de pratiquer les
commandements, contrairement à ce que certains affirment ».
Il est donc nécessaire, avant de prouver notre opinion, de réfuter le pernicieux système de Jansénius, cause de toutes ses erreurs : la victime de l'hallucination, c'est lui et pas les autres ! Tout le monde connaît bien les cinq propositions de
Jansénius, condamnées par l'Église comme hérétiques. Or, comme le prouve Tournely, toutes ces propositions proviennent de son système de la
délectation prépondérante sur lequel il fonde toute sa doctrine. Le Père Ignace de Graveson le dit également : « C'est de ce principe pernicieux que
Jansénius et ses disciples déduisent ces conclusions (les cinq propositions), qui lui sont très étroitement liées ». De même le P Berti : « Du principe des
deux délectations invincibles découlent comme d'une source presque toutes les autres erreurs de Jansénius, surtout les cinq propositions condamnées».
Le Père Fortunat de Brescia, dans son livre "Réfutation du Système de Cornelius Jansénius", démontre clairement qu'une fois admis le système de
Jansénius il faudrait aussi admettre les cinq propositions condamnées.
Exposons donc clairement le système de Jansénius. Depuis le péché d'Adam, dit-il, la volonté de l'homme ne peut agir qu'en suivant ou la délectation de la grâce qu'il appelle Céleste, ou la délectation de la
concupiscence qu'il appelle Terrestre, selon que l'une ou l'autre l'emporte. Quand la délectation céleste est plus forte, elle l'emporte nécessairement ; si la délectation terrestre a le dessus, la volonté doit nécessairement s'incliner.
Jansénius ne parle pas de la délectation délibérée ou conséquente ; sinon tous les théologiens catholiques seraient d'accord avec lui. En effet, quand la
délectation est bien réfléchie ou délibérée et que la volonté la suit, non par contrainte mais librement, il est nécessaire, sans aucun doute, que la volonté
suive cette délectation. Mais Jansénius entend parler de la délectation indélibérée. Il interprète dans ce sens le texte célèbre de saint Augustin : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». Or ce texte, nous le démontrerons, doit s'entendre nécessairement de la délectation
délibérée et conséquente. C'est donc par erreur que Jansénius l'entend de la délectation indélibérée et antérieure à tout acte de la volonté : toute sa
doctrine repose là-dessus. D'après lui, il n'existe plus de grâce suffisante : ou bien celle-ci ne fait pas le poids et n'est donc pas suffisante, ou bien elle
l'emporte sur la concupiscence et elle est alors nécessairement efficace. Pour lui, toute l'efficacité de la grâce consiste uniquement dans la supériorité
relative de la délectation indélibérée : « Ce ne sera pas une grâce suffisante, dit-il, elle sera efficace ou bien totalement inefficace et aucun acte ne pourra
suivre ». Une fois posé ce système, les cinq propositions condamnées en découlent comme autant de conclusions. Ne parlons ici que de la première et de la troisième, qui sont davantage dans la ligne de notre sujet.
La première proposition dit ceci : « Certains commandements de Dieu sont impossibles à observer par des justes, bien qu'ils le veuillent et qu'ils s'y
essaient selon les forces qu'ils ont présentement ; il leur manque également la grâce qui les leur rendrait possibles ». Certains commandements, affirme donc Jansénius, deviennent impossibles, même pour des justes qui voudraient pourtant les observer et qui s'y efforcent, parce qu'il leur manque la grâce qui leur permettrait de l'emporter sur la concupiscence : « Il est impossible que nous ne soyons pas vaincus, à cause de la faiblesse de notre volonté, sauf si la délectation céleste est plus forte que la terrestre ». Et ailleurs : « Quand agit la délectation charnelle, il est impossible que la considération de la vertu l'emporte ». Si l'on parle de la grâce en elle-même
et de façon absolue, et si on la considère en dehors de l'acte lui-même et de ses circonstances, disait Jansénius, elle serait suffisante pour entraîner la
volonté au bien. Par contre, si l'on en parle de façon relative, c'est-à-dire quand la délectation céleste est moins forte que la délectation charnelle, quand celle-ci l'emporte sur la grâce, l'acte suit toujours, la grâce est alors absolument insuffisante pour entraîner le consentement de la volonté.
Le Père de Graveson écrit fort sagement : la puissance absolue que la grâce donnerait pour observer les commandements n'est plus alors, quand cette grâce est moins forte que la concupiscence, une puissance capable d'agir mais une véritable impuissance ; la volonté ne peut plus alors faire le bien, tout comme dans une balance un poids inférieur ne peut pas l'emporter sur un poids supérieur. Mais comment pourra-t-on considérer comme coupable
quelqu'un qui n'observe pas un commandement alors qu'il n'a pas la grâce au moins suffisante pour cela ? L'objection est forte et n'est que trop juste.
Aussi Jansénius ne peut-il pas y échapper et se la pose-t-il à lui même : « Comment ne sont-ils pas excusables, ceux à qui fait défaut la grâce
nécessaire pour observer les commandements ? ». La difficulté est grande et il cherche à s'en tirer de plusieurs façons.
Il répond d'abord : L'impuissance excuse lorsque l'on veut observer le commandement et qu'on ne le peut pas, mais pas quand on ne le veut pas. On réplique alors à Jansénius : d'après son principe, si la volonté doit nécessairement céder à la délectation indélibérée de la concupiscence parce que celle-ci l'emporte sur la grâce, il est physiquement impossible alors d'observer le commandement. Si la délectation charnelle est plus forte, la grâce n'est plus assez forte pour la vaincre. Jansénius lui-même l'admet. La
délectation supérieure, dit-il, détermine intrinsèquement et entraîne infailliblement la volonté ; celle-ci n'a plus alors aucune possibilité relative
d'y résister. « Dans la doctrine de Jansénius et de ses disciples, dit le Père de Graveson, il ne s'agit pas d'une nécessité morale mais d'une nécessité
antécédente invincible ». Sans la délectation prépondérante de la grâce, dit Jansénius, il nous est aussi impossible d'observer le commandement qu'à un
être sans ailes de voler, à un aveugle de voir, à un sourd d'entendre, à un handicapé de marcher droit : « Sans elle, l'homme est aussi incapable de bien agir que de voler sans ailes... ». Et ailleurs : « ...de même qu'il est impossible à un aveugle de voir, à un sourd d'entendre, à un estropié de marcher droit ». Il en serait de même de quelqu'un qui a des yeux mais qui serait privé de la lumière. Quelqu'un qui a des yeux mais qui est privé de la lumière est tout aussi incapable de voir qu'un aveugle sans yeux. En effet,
l'impossibilité physique n'est rien d'autre que ce qui dépasse les forces naturelles.
Chacun voit combien cette première réponse est sans fondement. Voyons la seconde qui est encore moins fondée. L'homme peut observer tous les
commandements, dit-il, en ce sens que Dieu peut lui donner la grâce nécessaire pour cela : « On dit que tous les hommes peuvent croire, sans ce qui nous préoccupe beaucoup car presque personne ne doute qu'elle ne soit nécessaire pour vouloir ». La liberté de l'homme consiste donc, d'après Jansénius, dans la délectation ainsi que dans la connaissance de l'objet ou bien dans le jugement indifférent par lequel l'homme connaît le bien et le mal de l'acte : dans le cas de l'homicide, par exemple, on connaît le mal de la faute et le plaisir de la vengeance. C'est pourquoi il dit ailleurs : les impies pèchent dans la mesure où ils connaissent par la loi la malice du péché : « Le premier effet de la loi est de donner la connaissance du péché », et il s'appuie sur le texte de saint Paul : « Je n'ai connu le péché que par la loi ». Calvin avait dit avant lui : « Le but de la loi est de rendre l'homme
inexcusable ; ce qui permet de déclarer que quelque chose est mal, c'est la connaissance de la conscience pouvant distinguer entre le bien et le mal: on ne peut pas ainsi prétexter l'ignorance ». Mais nous répondons : ce n'est pas le jugement indifférent, c'est-à-dire la connaissance du bien et du mal laquelle ne relève que de l'intelligence, qui peut constituer le libre arbitre. Celui-ci est entièrement le fait de la volonté car il est le libre choix de la volonté de faire ou de ne pas faire une chose.
Quatrième réponse de Jansénius : elle est encore plus faible et moins fondée que les trois premières. Pour pécher, dit-il, il n'est pas nécessaire d'avoir la
liberté d'indifférence par laquelle on n'est nullement contraint de pécher. Il suffit de la liberté d'exercice ou de choix, par laquelle on peut s'abstenir du
péché auquel pousse la concupiscence, en en commettant un autre : « ...par laquelle on peut faire ce péché ou bien s'abstenir en en faisant au moins un
autre ». Il met ainsi l'homme dans la nécessité, pour éviter un péché, d'en commettre obligatoirement un autre. Une telle liberté suffit, dit-il, à le rendre
coupable, bien qu'il soit contraint de pécher d'une manière ou d'une autre. Voici comment il l'explique plus clairement dans un autre endroit : « Le
libre arbitre des pécheurs ne cesse nullement d'être libre lorsqu'ils pèchent, bien qu'ils soient tenus par une nécessité générale de pécher. En effet, il aura
la liberté d'exercice, comme l'on dit : il ne sera contraint que quant au choix précis à faire ». Nous pourrions reproduire ici tout ce que nous avons dit
contre Juénin (chapitre II). Celui-ci prétend que certains, bien que privés de la grâce suffisante, pèchent cependant en vertu de cette liberté d'exercice.
Mais quelle est donc cette liberté, avons-nous déjà dit, qui permette de déclarer coupable un homme, juste ou pécheur, contraint à pécher d'une manière ou d'une autre ? Le Docteur Angélique dit : c'est une hérésie de prétendre que la volonté mérite ou démérite lorsqu'elle agit par nécessité, bien que non forcée : « Certains ont soutenu que la volonté de l'homme est poussée par la nécessité à faire un choix ; ils ne soutenaient cependant pas que la volonté était forcée... Cette opinion est hérétique ; elle supprime le mérite ou le démérite dans les actes humains ; on ne voit pas, en effet, comment peut être méritoire ou déméritoire ce que l'on fait par nécessité, au point de ne pas pouvoir l'éviter ». En effet d'après tous les théologiens, quand quelqu'un est contraint à faire tel péché ou bien tel autre et qu'il choisit le moins grave, il ne pèche pas, bien qu'il le choisisse volontairement.
En effet, il manque de la liberté nécessaire pour que ce péché puisse lui être imputé. Il s'ensuit, dans notre cas, que si quelqu'un, en raison de la
concupiscence supérieure à la grâce, choisissait le moindre mal, il ne pécherait point.
Mais laissons de côté toutes ces réflexions. Voici la réponse directe. Si l'on admet avec Jansénius le principe direct de la délectation relativement
victorieuse, cette liberté d'exercice, consistant à s'abstenir d'un péché en en commettant un autre, n'existe nullement. Son principe est celui-ci, comme
nous l'avons vu plus haut : quand la délectation charnelle l'emporte sur la céleste, la volonté est contrainte de façon précise à accepter celle à laquelle elle est physiquement poussée. Aussi dit-il quelque part que la délectation supérieure supprime l'indifférence de la volonté : de même que le poids fait
baisser le plateau de la balance, en équilibre auparavant, ainsi la délectation pousse la volonté à accepter le plaisir qu'elle lui propose : « Par suite des
attraits de la délectation charnelle, quelqu'un qui était d'abord indifférent à agir ou à ne pas agir est entraîné par le plaisir dans un sens ou dans l'autre, à
l'exemple du plateau sur lequel on ajoute un poids ». Il dit de même dans un autre endroit, pour réfuter ceux qui veulent que la délectation supérieure
entraîne moralement la volonté : ce n'est pas moralement, assure-t-il, mais physiquement qu'elle pousse et prédétermine la volonté a embrasser l'objet
proposé : « On appelle prédétermination morale celle qui vient uniquement de l'objet, comme lorsque quelqu'un conseille, prescrit, demande, mais la
délectation dont nous parlons réside dans la faculté même de la volonté ; par la puissance de sa douceur particulière, elle la pousse à vouloir et ainsi la
détermine ; la faisant se déterminer, elle la prédétermine donc ». D'après Jansénius, la délectation prédétermine la volonté à embrasser l'objet vers lequel elle la pousse, avant même que la volonté ne se détermine elle-même. Il n'est pas douteux que ce soit bien là la vraie pensée de Jansénius, nous assure le savant Dirois : cette doctrine, nous dit celui-ci, ne differe pas de
celle des physiognomistes qui faisaient dépendre la volonté de l'homme de l'influence des planètes : « la volonté est déterminée à choisir le but qu'elle
se propose par une impulsion qui précède sa détermination ». L'archevêque de Vienne, auteur du livre « Baianisme et Jansénisme ressuscité », dit de
même : « Les Jansénistes prétendent que la volonté est invinciblement déterminée à agir par une détermination supérieure en puissance, sans
aucune considération pour la détermination future de la volonté elle-même ».
Ceci étant admis, où se trouve encore la liberté d'exercice ? En effet, la délectation prépondérante, selon Jansénius, prédétermine la volonté à
l'accepter. De même que, dans la balance, le poids inférieur le cède nécessairement au poids supérieur, ainsi la volonté s'incline devant la délectation relativement victorieuse. Supposons le cas de quelqu'un qui est poussé par la délectation à s'emparer du bien d'autrui. Il pourrait sans doute
renoncer à ce vol par souci de sa réputation. Mais si ce souci n'existe pas ou s'il est moins fort que la délectation venant de l'idée du vol, il ne peut
certainement pas avoir le dessus. La liberté d'exercice n'existe certainement plus du tout.
Parlons maintenant de la troisième proposition de Jansénius : « Pour mériter et démériter, en l'état de nature déchue, l'absence de nécessité n'est pas
requise mais l'absence de coaction ou de contrainte suffit ». Jansénius dit donc ; pour mériter ou pour pécher, la liberté d'indifférence excluant la
nécessité n'est pas requise mais il suffit que la volonté n'y contredise pas. Et il va jusqu'à affirmer : c'est un paradoxe de dire que l'acte de la volonté est
libre dans la mesure où la volonté peut l'accepter ou la refuser. Cette proposition, qui est également condamnée comme hérétique, découle pareillement du même système. En effet, si l'on admet que la volonté, poussée par la délectation prépondérante, doit nécessairement lui obéir, il s'ensuit nécessairement ceci, d'après Jansénius : pour mériter ou pour pécher, il suffit que l'on accepte de consentir à la délectation, bien que l'on ne puisse pas ne pas vouloir et que l'on soit physiquement contraint à le vouloir.
Le Père Serry déclare cette doctrine tout simplement monstrueuse : « que le mérite puisse exister en même temps que la nécessité d'agir ». Saint
Thomas l'avait déjà déclarée hérétique ; je me permets de répéter ici ses paroles citées plus haut : « Certains ont soutenu que la volonté de l'homme
est poussée par la nécessité à faire un choix ; ils n'allaient toutefois pas jusqu'à dire que la volonté est forcée ou contrainte. Cette opinion est hérétique ; elle supprime la notion de mérite et de démérite dans les actes humains ; on ne voit pas, en effet, comment peut être méritoire ou déméritoire ce que quelqu'un fait par nécessité sans pouvoir l'éviter ».
Cette doctrine est dite très justement hérétique, car elle est contraire à toutes les Saintes Écritures : « Dieu qui est fidèle, a écrit l'Apôtre, ne permettra pas
que vous soyez tentés au-delà de vos forces mais avec la tentation il ménagera aussi le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le pouvoir de
la supporter» (1 Co 10, 13). Mais, soutient Jansénius, on est quelquefois tellement privé de la grâce que l'on ne peut résister à la tentation et que l'on se voit alors dans la nécessité d'y céder. Moïse dit au peuple : « Cette loi que je te prescris aujourd'hui n'est pas au-delà de tes moyens » (Dt 30, 11). « Bienheureux... qui a pu pécher et n'a pas péché, faire le mal et ne l'a pas fait » (Si 31, 10). Pour mériter il ne suffit donc pas d'agir volontairement, il faut aussi agir librement c'est-à-dire pouvoir manquer aux commandements et
ne pas être forcé à les observer. C'est la même chose pour le péché : il est nécessaire d'avoir la grâce pour l'éviter et que ce soit par sa faute et
volontairement que l'on y succombe. Que l'on ne réponde pas, comme l'impie Théodore de Bèze : cette nécessité ne dépend pas de la nature mais
elle est une conséquence du péché originel ; l'homme s'est volontairement privé de la liberté et il est donc justement puni lorsqu'il pèche, même si c'est par nécessité. Nous répondons : si un serviteur se cassait les jambes par sa faute, son maître serait injuste si, après lui avoir pardonné cette faute, il
voulait l'obliger à courir et le punissait s'il ne le faisait pas : « Quant à tenir quelqu'un pour coupable du péché, dit saint Augustin, parce qu'il n'a pas fait
ce qu'il ne pouvait pas faire, c'est le comble de l'iniquité et de la stupidité ».
De plus, si l'on pouvait mériter et démériter, même quand on agit par nécessité et sans avoir la possibilité de faire le contraire, je ne vois pas
comment cela pourrait être conforme à d'autres passages de la Bible : « Choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, soit les dieux que servaient
vos pères... soit les dieux des Amorites...Quant à moi et ma famille, nous servirons Yahvé » (Jos 24, 15). Quand on agit par nécessité et sans liberté, il
n'y a pas possibilité de choix. Ce texte prouve clairement la liberté de. l'homme face à la nécessité. Le savant Père Petau dit à propos de ce texte :
« On y voit une totale possibilité de choix entre deux objets. La volonté est comme suspendue entre deux. Elle peut adopter, à son choix, l'un ou l'autre
des deux objets qu'on lui propose ». On trouve la même idée en d'autres textes de la Sainte Écriture : « Je prends aujourd'hui à témoin contre vous le
ciel et la terre : je te propose la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction, pour que toi et ta postérité vous viviez » (Dt 30, 19). « C'est lui qui au commencement a fait l'homme et l'a laissé à son conseil. Si tu le veux, tu garderas les commandements... Devant les hommes sont la vie et la mort, à leur gré l'une ou l'autre leur est donnée » (Si 15, 14-17). Petau ajoute à propos de ce passage : Si l'Ecclésiastique avait à trancher aujourd'hui ce
problème, comment pourrait-il exprimer plus clairement la liberté de l'homme et l'absence de contrainte ? « S'il vivait parmi nous et avait à juger
de notre vie, il ne pourrait pas employer des mots plus précis pour décrire la nature et les caractéristiques de la liberté humaine et du libre arbitre ». D'autres passages de la Sainte Écriture ont le même sens : « J'ai appelé et vous avez refusé » (Pr 1, 24). « Ils furent rebelles à la lumière » (Jb 24, 13). « Il attendait de beaux raisins : elle donna des raisins sauvages » (Is 5, 2). « Vous résistez toujours au Saint Esprit » (Ac 7, 51). Appeler, éclairer les
esprits, porter la volonté au bien, est certainement l'oeuvre du Saint Esprit. Mais comment peut-on dire que quelqu'un fait la sourde oreille aux appels,
est rebelle à la lumière et résiste à la grâce, alors qu'il est privé de la grâce prépondérante et qu'il doit céder nécessairement à la concupiscence la plus
forte ?
Mais comment se fait-il, demande Jansénius, que saint Augustin ait dit la même chose que moi, à savoir : « Nous agissons nécessairement selon ce
qui nous plaît le plus » ? Avant de répondre à Jansénius, il nous faut préciser ceci : saint Augustin eut à réfuter plusieurs hérésies de son temps, toutes différentes entre elles, sur le problème de la grâce. Il eut à en parler sous divers aspects et fort longuement et, en plusieurs passages, il s'est
exprimé d'une manière obscure. Par la suite, chacune des Écoles Catholiques s'est vantée de l'avoir de son côté, bien que différant d'opinion entre elles. Calvin et Jansénius eux-mêmes, dont les erreurs ont déjà été condamnées par l'Église, ont eu l'audace de se réclamer de lui. Calvin écrit contre Pighi : « Nous ne faisons que suivre saint Augustin... Pighi a beau
crier, il ne peut pas nous empêcher d'avoir Augustin avec nous ». Quant à Jansénius, il cite saint Augustin comme son seul maître, au point d'intituler
son livre tout simplement « Augustinus ». Et tous les Jansénistes ne se nomment qu'Augustiniens. Je n'en conclus qu'une seule chose : pour ne pas se tromper, il faut confronter un certain nombre de passages de saint Augustin avec d'autres textes où il expose sa véritable opinion. Venons-en maintenant à notre problème.
Nous l'avons déjà dit, l'expression employée par saint Augustin ne doit pas s'entendre de la délectation indélibérée et antérieure à toute intervention de
la volonté humaine mais de la délectation délibérée et conséquente : quand on accepte librement la délectation, on doit nécessairement la suivre. Le
saint Docteur le prouve en d'autres textes où il assimile la délectation à l'amour ou, pour mieux dire, il explique que la délectation supérieure est tout simplement cet amour délibéré et cette affection qui l'emporte en nous par suite de notre libre choix. Une fois que nous nous sommes laissés prendre librement par cette délectation, nous devons nécessairement la
suivre. Le saint veut dire, en substance, que la volonté agit nécessairement selon ce qu'elle aime délibérément le plus. Il dit quelque part que la
délectation est comme un poids qui entraîne l'âme de son côté : « La jouissance est comme le poids de l'âme ». Il dit : ce poids qui entraîne l'âme, c'est ce que chacun aime : « Mon poids, c'est mon amour ». Il l'explique plus clairement dans un autre texte. Nous devons nous efforcer, dit-il, « avec l'aide de Dieu, et de Notre Seigneur, de nous régler de telle sorte que
les délectations inférieures ne nous blessent pas, et que les supérieures seules nous réjouissent ». C'est ainsi qu' il parle de la délectation délibérée et
librement acceptée: Il dit de même ailleurs : « Que veut dire être tiré par la volonté ? Mets tes délices dans le Seigneur, et il t'accordera les délices de
ton coeur ». Et ailleurs : « Voyez comment le Père tire et charme en enseignant sans imposer aucune nécessité ». Ailleurs encore : « Si tu éprouves du plaisir à jouir, il te faut réfréner la délectation illicite ; ainsi, lorsque nous jeûnons, la vue de la nourriture réveille l'instinct de notre plaisir : c'est le fruit de la délectation (indélibérée) mais nous la maîtrisons et
la dominons par la raison ».
Ainsi, d'après saint Augustin, la délectation qui pousse aux choses défendues peut fort bien être maîtrisée librement par la force de la raison et avec l'aide de la grâce. Le saint nous exhorte donc ainsi : « Que la vertu nous réjouisse au point de l'emporter même sur les plaisirs permis ! ». Ce que le saint Docteur ajoute, à propos du texte controversé, le
montre encore plus clairement. Il commence par dire: « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». Et il ajoute : « Il est bien évident que nous vivons selon ce que nous avons cherché ; mais nous chercherons ce que nous aurons aimé. Si donc il existe deux objets contraires, le commandement de la vertu et l'habitude charnelle, et que nous aimons l'un et l'autre, nous chercherons ce que nous aurons aimé le plus ». Quand le saint dit : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus », il veut dire seulement que la volonté doit agir suivant ce qu'elle aime le plus. On ne peut pas objecter avec Jansénius : « ce qui plaît le plus est ce que l'on aime le plus », parce que ce n'est pas toujours vrai. Saint
Augustin lui-même affirme le contraire dans ses Confessions : « Je ne faisais pas ce qui, par un attrait incomparable, me charmait beaucoup plus,
ce que bientôt, dès que je voudrais, je pourrais faire ». Il nous apprend par là qu'il était poussé par Dieu vers le bien par une affection indélibérée incomparable : la vertu lui plaisait plus que le vice et il aurait pu pratiquer la vertu s'il l'avait voulu. Mais il résistait à la grâce ; il repoussait la vertu et s'abandonnait au vice.
De plus, si saint Augustin avait cru que chacun est contraint d'agir selon la délectation la plus forte, il n'aurait pas pu dire : « Si la délectation illicite de
la concupiscence te tente, lutte, résiste, ne consens pas et ne te laisse pas entraîner par tes passions » (cf. Si 18, 30). Il dit ailleurs Voila deux personnes qui ont la même tentation d'impureté. Il arrive quelquefois que l'une consente et que l'autre résiste. Pourquoi ? C'est que, répond-il, l'une veut la chasteté et l'autre ne la veut pas : « Si c'est la même tentation que les deux éprouvent et que l'un cède et consente, l'autre restant fidèle à lui-même, que conclure, sinon que l'un n'a pas voulu et que l'autre a voulu renoncer à la chasteté ». En outre, lorsque le saint dit que nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus, on peut se demander s'il entend parler de la délectation délibérée ou indélibérée. Or, si le saint voulait parler de la délectation indélibérée, il en viendrait à nier que, pour être vraiment libre, la volonté doit nécessairement être exempte non seulement
de la violence mais aussi de la nécessité. Mais le saint enseigne précisément le contraire en mille endroits : dans le bien comme dans le mal, on agit
toujours en dehors de toute contrainte. Lorsqu'il parle de la délectation prédominante victorieuse, on doit nécessairement l'entendre de la délectation délibérée et conséquente.
On pourrait citer ici mille textes : « Notre volonté ne serait plus une volonté, si elle n'était pas en notre pouvoir... car ce qui n'est pas libre pour nous, c'est ce qui n' est pas en notre pouvoir ».Ailleurs il fait allusion à l'Évangile selon saint Matthieu, chapitre 7, où l'on parle des bons fruits qui poussent sur le bon arbre et des mauvais fruits qui poussent sur le mauvais arbre : « Voici le Seigneur qui déclare : Ou bien faites ceci, ou bien faites cela. Il montre que le « que faire » est au pouvoir de l'homme... Celui qui ne veut pas observer la loi, il est en son pouvoir de
le faire, s'il veut ». Calvin objecte : Saint Augustin parlait ici de l'homme dans l'état d'innocence, mais Bellarmin lui réplique avec raison : Le saint traitait du passage où le Seigneur s'en prenait aux Juifs ; il leur disait : « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits ». On ne peut donc pas dire que saint Augustin voulait parler ici d'Adam. D'ailleurs, ce que le saint écrivait contre
les Manichéens, il l'écrit aussi contre les Pélagiens : « Ainsi donc, lorsqu' il est dit : « ne veuille pas ceci, ne veuille pas cela », et lorsque la coopération
de la volonté est réclamée dans les avertissements divins pour faire ou ne pas faire quelque chose, l'existence du libre arbitre est suffisamment
démontrée ».
Jansénius, grand partisan de Calvin, rétorque : Saint Augustin parle de la nécessité provenant de la molence et non pas de la simple nécessité. Mais
Jansénius se trompe une fois de plus, parce que le saint était d'accord à ce sujet avec les Pélagiens, et il leur concédait que le libre arbitre était ainsi
exempt de la contrainte ainsi que de la simple nécessité. Il n'hésite donc pas à dire contre Julien : « Nous disons, tout comme vous, que les hommes ont
le libre arbitre. Vous dites, vous, que quelqu'un est libre de faire le bien sans l'aide de Dieu... et c'est pourquoi vous êtes Pélagiens ». Lorsque saint
Augustin écrit : « Nous disons, tout comme vous...», il admettait la même liberté d'agir ou de ne pas agir que les Pélagiens. Or, ceux-ci voulaient certainement que cette liberté soit exempte de toute nécessité. Il est hors de doute que le saint tenait le libre arbitre comme exempt non seulement de la violence mais aussi de toute nécessité ; il s'opposait aux Pélagiens
uniquement parce que ceux-ci soutenaient que le libre arbitre a la possibilité de faire le bien, même sans la grâce.
Parlant de la liberté de la volonté et de l'efficacité de la grâce, saint Augustin dit qu'il est difiicile de concilier l'une avec l'autre : « Mais cette question, où
l'on traite de la liberté de la volonté et de la grâce de Dieu, offre tant de difficultés de discernement que, lorsqu'on défend la volonté libre, on donne
l'impression de nier la grâce de Dieu, et, qu'au contraire, lorsqu'on affirme la grâce de Dieu on peut croire que la volonté libre est supprimée ». Si saint
Augustin avait supposé que la volonté n'est pas exempte de la simple nécessité mais uniquement de la violence, il n' aurait pas été difficile, il aurait
même été très facile, de comprendre comment agit la grâce. Puisqu'il disait que c'était difficile à comprendre, c'est qu'il croyait que la grâce efficace
obtient certainement son effet dans les actes bons. La volonté, les accomplissant librement, agit en dehors de toute nécessité qui la déterminerait à ne faire et à ne vouloir que les actes auxquels pousse la
grâce. Du reste, le saint Docteur considérait comme certain que l'on peut observer les commandements avec la grâce ordinaire ou tout au moins demander pour cela une aide plus forte. Sinon, disait-il, Dieu ne nous aurait pas imposé ces commandements : « En effet, Dieu ne nous ordonnerait pas de le faire s'il pensait que cela nous est impossible ».
Citons d'autres textes où saint Augustin exprime la même opinion, à savoir que la volonté humaine est exempte de toute nécessité : « En effet, ce qui ne
serait pas fait volontairement ne serait pas un péché ; si l'on n'avait pas une volonté libre c'est-à-dire si l'on n'agissait bien ou mal que par nécessité, toute peine infligée serait injuste ». Il ajoute ailleurs :
« Comment ne serait-il pas stupide d'imposer des commandements à quelqu'un qui ne serait pas
libre de faire ce qui est prescrit ? Ne serait-il pas injuste de condamner quelqu'un qui n'a pas la possibilité d'exécuter les ordres donnés ? » Ailleurs
encore : « On ne peut nullement tenir pour coupable l'acte de la volonté se détournant d'un bien immuable, si c'est la nature ou la nécessité qui la
détermine ». Après avoir dit que la grâce prévenante est nécessaire pour faire le bien, il ajoute : « Il dépend de la volonté de chacun de répondre à
l'appel de Dieu ou d'y résister ». Il enseigne donc clairement que la volonté peut librement obéir à la grâce ou y résister. Que l'on ne prétende pas avec
Jansénius : Saint Augustin a simplement voulu dire que le consentement et le refus relèvent proprement de la volonté. On ne pourra jamais croire que le
samt Docteur s'est fatigué pour rien à prouver que le consentement et le refus sont l'affaire de la volonté et non de l'intelligence. Même les rustres savent faire la distinction. Le saint venait précisément de dire :
« Personne n'est maître des pensées qui lui viennent à l'esprit » et il ajoute : « Il dépend de la volonté de chacun de répondre à l'appel de Dieu ou d'y résister». Il parle donc sans aucun doute de la liberté qu'a la volonté de repousser ou d'accepter ce qui vient à l'esprit. Il dit ailleurs : « Personne, en effet, sauf Dieu ne peut faire un arbre (dans le sens des arbres bons qui donnent de bons fruits et des arbres mauvais qui donnent de mauvais fruits). Mais chacun a dans sa volonté soit de choisir ce qui est bon et d'être un arbre bon, soit de choisir ce qui est mauvais et d'être un mauvais arbre... Ainsi donc quand le Seigneur ordonne : Voici donc le Seigneur qui déclare : « Ou bien faites ceci, ou bien faites cela. Il montre que le « que faire » est au
pouvoir de l' homme ».
Dans un autre passage, il explique la signification du secours « sine quo » c'est-à-dire « sans lequel la volonté ne peut vouloir ; le libre arbitre garde
cependant la faculté de vouloir ou de refuser, d'utiliser ou de ne pas utiliser ». On voit très clairement combien saint Augustin est loin de penser comme Jansénius : pour celui-ci, en effet, dans ses choix, la volonté humaine n'est pas exempte de la nécessité, bien plus elle est contrainte à suivre la
délectation supérieure dont l'impulsion l'entraîne et la détermine invinciblement.
Le Seigneur donne à chacun la grâce prochaine ou la grâce éloignée de la prière pour observer ses commandements ; sinon, la transgression ne
pourrait pas lui en être imputée à péché. Pour achever de le prouver, il suffit d'examiner quelles sont les propositions contraires aux Propositions de
Jansénius. La première de celles-ci disait : « Certains commandements de Dieu sont impossibles à observer par des justes, dans l'état de leurs forces actuelles, quand bien même ils le veulent et s'y efforcent ; il leur manque également la grâce qui les leur rendrait possibles ». Et voici la Proposition Catholique contradictoire : Aucun des commandements de Dieu n'est impossible, tout au moins aux justes qui veulent les observer et qui s'y efforcent ; même selon leurs forces présentes, la grâce ne leur fait pas défaut
: grâce prochaine ou tout au moins éloignée. Ils peuvent ainsi, au moins médiatement, demander le secours plus puissant pour les observer. Notons
de nouveau que, pour éviter l'erreur condamnée, il ne suffit pas d'admettre la possibilité absolue d'observer les commandements parce que les Jansénistes
eux-mêmes l'admettent. Il faut, reconnaître aussi la possibilité même relative, face à une délectation charnelle concrète plus forte que la grâce,
d'observer un commandement ou tout au moins de demander la grâce nécessaire. C'est en cela précisément que consiste l'erreur de Jansénius : il
nie, non pas la possibilité absolue, mais la possibilité relative.
La troisième proposition de Jansénius disait : « Dans l'état de nature déchue, pour mériter et démériter, l'absence de nécessité n'est pas requise ; il suffit
de l'absence de contrainte »~. Et voici la Proposition Catholique contradictoire : Pour mériter et démériter, même dans l'état de nature déchue, est requise, pour les justes comme pour les pécheurs, non
seulement l' absence de contrainte mais aussi de la simple nécessité. Car, d'après la doctrine catholique, si la volonté agit par nécessité, elle n'a pas une
liberté suffisante pour mériter ou démériter ici bas. Il faut que la volonté soit exempte de toute nécessité pouvant l'amener à consentir de façon déterminée à l'une des deux choses proposées.
Enfin, le Père Fortunat de Brescia, auteur communément estimé des savants modernes et spécialement de Muratori, fait dans son livre récent
« Réfutation du Système de Cornelius Jansénius » la réflexion suivantes : Si le Système de Jansénius était vrai, la loi de Dieu serait inutile ou injuste. En effet, selon ce Système, quand la délectation céleste est la plus forte, la volonté, même en dehors de la loi, est nécessitée à suivre de façon déterminée l'impulsion de la délectation, et la loi ne servirait ainsi à rien. Si c'est la délectation terrestre qui est la plus forte, la loi serait injuste : en effet, Dieu nous imposerait un commandement physiquement impossible à observer parce qu'alors la volonté doit nécessairement consentir à la tentation. Toutes les menaces et admonitions des Saintes Écritures seraient donc inutiles. Aucun acte humain ne mériterait de récompense ou de châtiment, parce que l'on ferait tout par nécessité. Si quelqu'un nous
exhortait à bien vivre, nous pourrions lui répondre, comme Eusèbe aux fatalistes : « Docteur, ce n'est pas en mon pouvoir ! Je le ferai si les oracles
le veulent, c'est-à-dire si la délectation charnelle n'est pas la plus forte ; il arrivera nécessairement ce qui est fixé par le destin ». Je dois suivre
nécessairement la délectation la plus forte. Il dit également : Si l'on admettait ce Système, il faudrait admettre aussi le Manichéisme. Celui-ci enseignait
l'existence de deux Principes, un bon et un mauvais. Toutes les actions de l'homme proviennent de l'un ou de l'autre, et l'on doit nécessairement suivre le plus puissant. Il ne sert à rien de dire : dans le système de la délectation victorieuse, cette nécessité ne découle pas du Principe bon ou mauvais comme le voulait les Manichéens, mais elle dépend du péché d'Adam, qui en est la cause. Il ne s'agit point ici de savoir quel est le Principe qui pousse et fait agir nécessairement la volonté mais de déterminer si, oui ou non, après le péché d'Adam, la volonté est restée exempte de la nécessité d'agir. Les Jansénistes le nient. Ils soutiennent que la volonté mérite et démérite, même si elle est nécessitée à vouloir ce à quoi la détermine la délectation supérieure. Mais, comme le note fort bien le Père de Brescia, les livres
d'Arnauld, d'Irénée, de Vendroc et d'autres Jansénistes, ont été condamnés parce que l'on y défendait le principe de Jansénius des deux délectations invincibles selon la supériorité des degrés. Nous savons aussi que c'est pour la même raison qu'a été interdite la théologie de Juénin. Celui-ci n'a pas soutenu expressément ce Système mais il a parlé imprudemment de ce problème et d'une façon fort obscure : « La nature physique de la grâce
efficace, dit-il, ne repose que sur la délectation victorieuse qui influe sur l'esprit par rapport au bien ». Il n'a pas parlé de délectation relativement
victorieuse mais il appuie sa Proposition sur la doctrine de saint Augustin que nous avons mentionnée plusieurs fois : « Nous agissons nécessairement selon ce qui nous plaît le plus ». C'est pour cette raison que son ouvrage a été si longtemps interdit. Il a été autorisé dernièrement parce qu'on y a ajouté un résumé intitulé « La vraie doctrine de l'Eglise », extrait de la Théologie du savant Tournely qui a réfuté d'une manière complète et excellente le Système de Jansénius. Le Père de Brescia conclut : « Il reste que le Système de Jansénius est nettement en leur faveur (Luther, Calvin, Jansénius). Un catholique ne peut donc le soutenir sans blesser la foi. En effet, on ne peut soutenir ce Système tout en gardant la foi et en sauvant la religion : admettre ses principes de base, c'est approuver des Propositions condamnées ». Tournely dit de même : « L'Église ayant condamné les cinq Propositions telles que les entendait Jansénius, il faut que soient condamnées aussi, dans le Système de Jansénius, celles de la délectation supérieure et relativement victorieuse, fondement de tout le Système ».
On objecte aussi : autre est le Système de Jansénius qui suppose la délectation victorieuse indélibérée, c'est-à-dire qui vient en nous sans aucun
consentement de la volonté, et autre est le Système de la délectation aussi relativement victorieuse par la supériorité des degrés, mais délibérée. Celle-ci ne triomphe pas toute seule et par ses propres forces, comme disent les partisans de ce Système, mais avec l'aide des forces de la volonté consentante. Bien que la délectation prépondérante triomphe certainement et infailliblement, elle ne l'emporte pourtant pas nécessairement, comme le voulait Jansénius. Tournely répond fort justement : Cette grâce ou délectation, infailliblement efficace et déterminant invinciblement la volonté par la supériorité de ses forces, ne peut pas ne pas être nécessitante et ne pas entraîner le consentement de la volonté. Et il le prouve ainsi : « La grâce ayant à faire à une volonté privée du pouvoir de résister est nécessitante. Or, telle est bien la grâce infailliblement efficace de par la différence de degré des forces en présence. En effet, cette grâce suppose que la volonté n'a, pour résister, que des forces inférieures. Mais il répugne que les forces supérieures agissant comme supérieures puissent être vaincues par les
inférieures ; sinon, les forces inférieures agiraient au-dessus de leur degré de capacité ». On ne peut objecter que les forces de la grâce relativement
victorieuse sont supérieures en soi à la concupiscence mais pas aux forces de la concupiscence unies à celles de la volonté. Car, continue Tournely, on ne pourrait concéder de telles forces à la volonté qu' à l'égard du mal que
l'on peut faire, en triomphant au moins d'un vice par un autre. Ce pourrait être aussi tout au plus le cas à l'égard d'un bien naturel mais non d'un bien
surnaturel, ou pour vaincre une forte tentation, ce qui ne peut se faire sans la grâce de Dieu. Aussi les Pères de Diospolis ont-ils exigé des Pélagiens que
chacun confessât, entre autres articles : « Quand nous luttons contre les tentations et concupiscences illicites, la victoire vient non pas de notre volonté mais du secours de Dieu ». Saint Thomas nous en donne la raison : Aucun principe actif ne peut produire un effet dépassant sa capacité ; un
principe naturel ou une cause naturelle ne peuvent pas produire un effet surnaturel : « Aucun acte ne dépasse la mesure du principe qui le produit.
Aussi dans la nature ne voyons-nous jamais un être qui puisse par sa propre opération engendrer un effet supérieur à sa puissance d'action ; il n'aboutit
jamais dans ses opérations qu'à un résultat proportionné à son pouvoir ». Ainsi donc, les forces naturelles de la volonté humaine, bien qu'unies aux
forces de la grâce, inférieures à celles de la concupiscence, ne peuvent arriver à produire un effet surnaturel, comme de vaincre une violente
concupiscence plus forte que la grâce. Et les Jansénistes disent, en effet : Que l'on nous concède que la délectation l'emporte très certainement en
raison de ses forces supérieures, et cela nous suffit. Voici comment s'exprime l'un deux, l'Abbé de Bourzeis : « Il nous suffit que l'on nous concède cette seule vérité : chaque fois que nous répondons à la grâce de
Dieu, c'est que l'amour bon inspiré par Dieu est plus fort que l'amour mauvais : parce qu' il lui est supérieur en forces, il l'emporte très certainement ».
C'est pourquoi Tournely, après avoir parlé des deux Systèmes, celui de la délectation absolument victorieuse et celui de la délectation relativement
victorieuse, conclut ainsi : « Nous reconnaissons comme théologiens orthodoxes ceux qui déduisent la force efficace de la grâce à partir de la délectation absolument ou simplement victorieuse, ainsi que ceux qui reconnaissent dans la grâce suffisante des forces capables de triompher de la passion concrète opposée. Mais dans les partisans de la grâce relativement victorieuse par suite de la supériorité des degrés et en ceux qui ne reconnaissent comme grâce suffisante que celle qui est moins puissante que
la concupiscence opposée, nous ne voyons que des défenseurs du Système de Jansénius ».
Disons pour conclure que nous n'avons pas l'intention de réfuter l'opinion suivante : la volonté, alors même qu'elle suit la délectation supérieure, agirait pourtant toujours librement c'est-à-dire sans nécessité et avec un pouvoir réel, et non pas simplement hypothétique, de faire le contraire ! Nous voulons seulement rejeter l'opinion de ceux qui prétendent que, quand l'une des délectations, la céleste ou la charnelle, surpasse l'autre en degré et est victorieuse, il ne nous reste plus aucune possibilité de résister et de vaincre pour la raison qu'une force plus grande l'emporte toujours sur une plus petite !
Je ne peux cependant manquer d'exprimer mes doutes sur ce Système de la délectation relativement victorieuse. Ses défenseurs, parmi lesquels figure le Père Berti, soutiennent que l'efficacité de la grâce, telle qu'ils la comprennent, ne diffère point, en substance, de l'efficacité enseignée par les thomistes, bien que relevant de principes différents puisque les thomistes font consister l'efficacité de la grâce dans la prédétermination physique, et eux dans la délectation prépondérante. Ce que fait, disent-ils, la prédétermination dans l'acte second en amenant le libre arbitre à consentir,
la délectation le fait aussi. Du reste, les deux opinions enseignent que l'homme garde, dans l'acte premier, le pouvoir d' agir en sens opposé ; la volonté agit donc toujours librement et sans nécessité.
Mais, à mon avis, les principes de ces deux opinions étant différents ainsi que leurs arguments, les conséquences en sont aussi différentes. D'après les
thomistes, la raison de l'efficacité, c'est que la volonté créée est une puissance passive ; or, le propre de la puissance est de recevoir la motion ou
impulsion de la grâce. Pour passer à l'acte, il faut donc qu'elle soit mue par Dieu comme premier agent et première cause libre. C'est lui qui applique et
détermine par la prédétermination le passage du pouvoir à l'acte. Quand au pouvoir lui-même, les thomistes pensent que l'homme a à sa disposition la
grâce préparée et immédiatement disponible pour qu'il puisse faire le bien. Le Père Gonet s'exprime ainsi : « La grâce qui donne tout ce qui est requis
pour l'acte premier donne le complément ainsi que toute la puissance et la capacité suffisante ». Et le Cardinal Gotti : « La grâce suffisante donne à la
puissance le pouvoir prochain et tout préparé ». Ainsi pensent communément tous les autres thomistes. Et si l'un d'entre eux semble parler différemment, c'est qu'il parle de l'acte second et non de l'acte premier.
Par ailleurs, voici les raisons données par les partisans de la délectation supérieure en degrés : Dans l'état de nature innocente, disent-ils, l'homme
n'avait besoin, pour faire le bien, que de la grâce suffisante ; son libre arbitre était sain et dans un parfait équilibre ; il pouvait agir avec la seule grâce
suffisante, sans avoir besoin de la grâce efficace. Mais, après la chute d'Adam, la volonté de l'homme est demeurée blessée et inclinée au mal ; elle
a besoin de la grâce efficace qui lui permette, par le moyen de la délectation victorieuse, de faire concrètement le bien. Étant donné la raison sur laquelle s'appuie le Système, je me dis : La volonté de l'homme est donc restée tellement infirme que, pour faire actuellement le bien, elle a besoin de la grâce efficace. On ne peut pas dire dans ces conditions que l'homme ait encore la grâce suffisante, même dans l'acte premier. On ne peut pas dire non plus qu'il ait à sa disposition le pouvoir complet pour observer les commandements globalement ou en détail ni pour faire un acte bon, même médiat, en vue de recevoir ensuite le secours plus grand qui lui permettra de respecter la loi.
Je sais bien que les partisans de cette opinion ne refusent pas de le concéder. Ils disent que, dans l'état actuel, la grâce suffisante ne donne pas
le pouvoir complet et immédiatement disponible. L'un de ces partisans, le Père Macedo, dit : « La grâce suffisante ne donne pas le pouvoir vraiment
complet et disponible ». Ailleurs, parlant de la grâce d' Adam, il écrit : « La première grâce supposait une puissance complète et disponible, la seconde
une puissance handicapée et dépendante ».
Mais, si la grâce inférieure à la concupiscence ne donne pas le pouvoir complet et disponible d'observer les commandements, on ne peut plus l'appeler réellement suffisante. En effet, le Père Berti qui défend ce Système de la délectation relativement victorieuse concède aussi volontiers que l'on
doive appeler cette grâce inférieure une grâce inefficace et non pas une grâce suffisante. Ainsi, selon ce Système, ceux qui ne reçoivent pas de Dieu la grâce efficace par le moyen de la délectation relativement victorieuse n' ont pas même la grâce suffisante pour observer les commandements. Voici
comment le Père Berti défend son opinion. Il expose d'abord les trois objections que lui font ses adversaires : « Il y a trois choses qui sentent le
dogme janséniste et qui sont la source et l'origine des cinq propositions condamnées dont de nouveaux Jansénistes n'ont pas du tout horreur. On distingue parmi eux deux auteurs qui sont sans aucun doute de faux Augustiniens, (le Père Bellelli et le Père Berti, contre lesquels a écrit l'Archevêque de Vienne). La première, c'est qu'ils mettent la grâce efficiente
non seulement dans la délectation victorieuse mais dans une délectation relativement victorieuse... etc. La seconde, c'est qu'ils refusent à la délectation de degré inférieur le pouvoir prochainement disponible ; ils exigent pour cela, du côté du pouvoir et de l'acte premier, une délectation plus forte ; la grâce inefficace, (soit le secours « sine quo », en français,
indispensable, qu'ils rejettent), n'est pas une vraie grâce suffisante ni dans le sens moliniste ni dans le sens thomiste, puisque la grâce suffisante, selon
l'ensemble des catholiques, donne le pouvoir prochainement disponible. La troisième qui en découle, c'est qu'ils suppriment la vraie grâce suffisante dont le nom leur fait horreur à tort ; ils l'appellent plutôt inefficace que suffisante ». Voilà donc ce que lui objectent ses adversaires et voici
comment il leur répond : « Je proclame très fermement et sans aucune hésitation : les trois points de doctrine qui viennent d'être rappelés ne sont nullement erronés ni les principes des propositions condamnées. Mais certains, poussés par leur zèle à réfuter Jansénius et emportés par leur
préjugé à l'égard de leur propre opinion, n'ont pas su du tout distinguer ce qui est catholique de ce qui est erroné et condamné. Un demi-savant anonyme (à savoir l'Archevêque de Vienne), ainsi que certains autres, gens de peu de science et d'esprit borné, ont trouvé moyen, dans leurs élucubrations, d'accuser d'hérésie monstrueuse des opinions pourtant
inattaquables d'Augustin, qui sont d'ailleurs, qu'ils le veuillent ou non, les mêmes que les nôtres ».
J'avoue que je suis justement moi-même l'un de ces hommes de peu de science et d'esprit borné. Je ne vois pas comment les propositions du Père Berti s'accordent entre elles, et leurs conséquences semblent carrément se contredire. S'il disait : pour observer les commandements de Dieu, on a
besoin de la grâce efficace, mais la grâce suffisante accordée à tous donne le pouvoir prochain de prier, et, avec la prière, on obtient ensuite le secours
supérieur et nécessaire pour pratiquer effectivement les commandements, alors nous serions d'accord, car c'est justement là notre opinion. Nous l'exposerons et prouverons dans le prochain chapitre. Mais le Père Berti pense autrement. Quand il parle de la prière, il dit bien que chaque fidèle, avec la grâce suffisante, peut prier s'il n'y met pas obstacle. En priant, il peut
obtenir le secours immédiat pour observer les commandements : « Chaque fidèle, dit-il, à moins qu'il n'y mette obstacle, a la grâce de prier. Il peut ainsi demander le secours immédiat suffisant pour observer les commandements ». Il ajoute ailleurs :
Bien que cette grâce suffisante, commune à tous les
fidèles, ne soit que lointainement suffisante pour l'observation des commandements, elle est cependant prochainement suffisante pour la prière, grâce à laquelle on obtient ensuite la grâce efficace. Il écrit : « Celui qui a une volonté faible volonté que donne à tous la grâce suffisante - a la grâce prochainement suffisante pour prier et lointainement suffisante pour observer les commandements. Il pourra les observer prochainement, lorsqu'il aura obtenu par la prière une volonté forte », qui sera le fruit de la grâce efficace. Il dit donc judicieusement : on ne peut pas dire que la grâce suffisante donne à tous le pouvoir effectif d'observer les commandements.
En effet, comme il le dit dans le passage cité un peu plus haut, le pouvoir prochain est celui qui n'a pas besoin d'un autre secours pour passer à l'acte.
Il écrit : « Seule la grâce efficace donne le pouvoir complet et disponible ». Il ajoute : Pour que la grâce suffisante puisse être dite prochainement suffisante pour un acte concret, « il est requis qu'elle n'ait pas besoin d' un autre secours pour passer à l' acte »gs. Ainsi, d'après le raisonnement du Père Berti, la grâce suffisante ne donne pas à tous les fidèles le pouvoir
prochain d'observer les commandements, mais elle donne bien à tous le pouvoir prochainement suffisant pour prier. Donc, tous les fidèles, avec la seule grâce suffisante, peuvent prier actuellement, sans avoir besoin d'un autre secours, c'està-dire de la grâce efficace.
Mais je ne sais pas comment ces textes s'accordent avec ce que dit ailleurs le Père Berti : « Personne, sans avoir la grâce efficace en soi, n'a le pouvoir de
prier effectivement ». Donc, selon cette dernière proposition, la grâce suffisante ne donne que de nom, mais pas vraiment de fait, le pouvoir
prochainement suffisant de prier. Elle ne donne que le pouvoir médiatement suffisant puisqu'il faut encore la grâce efficace pour que le pouvoir de prier passe à l'acte. Donc, pour prier actuellement, il faut la grâce efiicace et l'on ne peut pas dire que la grâce suffisante donne le pouvoir prochainement suffisant pour prier effectivement, et alors on n'a pas besoin de la grâce efficace de la délectation prépondérante, comme il le prétend. Mais, dit le Père Berti, même saint Augustin requiert la délectation victorieuse pour
prier actuellement et effectivement : « Augustin enseigne que sont nécessaires pour prier une science certaine et une délectation victorieuse ». J'ai voulu examiner le texte du saint Docteur : « Essayons de comprendre, dit-il, si nous le pouvons, comment le Seigneur Dieu qui est bon refuse même à ses fidèles, soit la science certaine, soit la délectation victorieuse de quelque bonne oeuvre, afin de leur faire saisir que ce n'est pas d'eux-mêmes mais de lui que vient la lumière capable d'éclairer leurs ténèbres, ainsi que la douceur qui permet à leur terre de donner son fruit ». Saint Augustin ne dit pas que la délectation victorieuse est nécessaire pour prier mais seulement que Dieu s'abstient quelquefois de donner, même à ses fidèles, soit la connaissance soit la délectation victorieuse de quelque bonne oeuvre, afin
qu'ils sachent bien que c'est de lui et non d'eux-mêmes qu'ils ont la lumière qui les éclaire et la douceur qui leur fait porter du fruit.
Le saint ne parle donc pas ici de la grâce suffisante par laquelle l'homme a la possibilité d'agir mais n' agit pas toujours. Il ne dit pas non plus qu'avec la
seule grâce suffisante et sans la grâce efficace, l'homme ne peut pas prier actuellement et effectivement. Il ne parle que de la seule grâce efficace, qui, par la délectation victorieuse, le fait infailliblement bien agir. Ensuite il ne parle pas ici de la prière mais des bonnes oeuvres, c'est-à-dire proprement de la pratique des commandements ou des conseils : bien que la prière soit une bonne oeuvre, elle n'est pas en soi une oeuvre mais le moyen d'obtenir le secours nécessaire pour accomplir les bonnes oeuvres.
Nous pensons, nous aussi, comme nous l'avons dit plus haut, que la grâce efficace est nécessaire pour observer les commandements. Mais nous disons : pour prier actuellement et effectivement et obtenir par la prière la grâce efficace, il suffit de la grâce suffisante que Dieu accorde à tous les fidèles. On maintient ainsi que les commandements de Dieu ne sont impossibles à personne. Chacun, avec la seule grâce suffisante, peut faire les choses faciles comme prier, et par la prière demander le secours de la grâce
efficace gratuite et qui lui est nécessaire pour accomplir actuellement et effectivement les choses difficiles, telles que la pratique des commandements. C'est bien dans ce sens que parle le Cardinal de Noris,
dont nous citerons les textes dans le chapitre suivant, c'est aussi ce qu' avant lui saint Augustin a enseigné : « D' où cette croyance très solide que le Dieu juste et bon n'a pas pu nous prescrire des choses impossibles. Par là on nous rappelle et ce que nous avons à faire dans les choses faciles et ce que
nous avons à demander dans les choses difficiles ». Si la grâce suffisante ne suffisait pas pour prier actuellement et effectivement et s'il fallait toujours la
grâce efficace, si cette grâce efficace était refusée à quelqu'un, comme elle est, de fait, refusée à beaucoup, je ne vois pas comment on pourrait affirmer à quelqu'un que les commandements lui sont possibles, ni comment Dieu alors qu'il refuserait même la grâce efficace de prier actuellement et concrètement - pourrait exiger l'observation de sa loi, ni comment, en justice, il pourrait condamner à l'Enfer. Cette façon de voir faisait précisément dire à Jansénius que certains commandements sont
impossibles, même aux justes, parce qu'il soutenait par erreur que certains sont privés de la grâce qui leur en rendrait possible l'observation. Mais non !
Dieu donne à tous - nous faisons ici abstraction des infidèles et des pécheurs obstinés - la grâce prochaine de prier actuellement et effectivement, comme nous le prouverons dans le prochain chapitre.
Personne ne peut prétexter qu'il ne peut pas observer les commandements.
Bien qu'il n'ait pas disposé de la grâce efficace pour les observer concrètement, il a eu néanmoins la grâce prochaine suffisante pour prier actuellement et effectivement. S'il avait prié, il aurait obtenu de Dieu, qui a promis d'exaucer ceux qui prient, la grâce efficace qui lui aurait certainement permis de pratiquer les commandements. C'est bien ce qu'a
déclaré le Concile de Trente contre Luther qui affirmait qu'il est impossible, même aux fidèles, d'observer la loi de Dieu : « Dieu ne commande pas des choses impossibles mais, lorsqu'il commande, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas et il t'aide à pouvoir ».
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
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Re: Enseignements de l'Église
CHAPITRE IV
DIEU DONNE À TOUS LA GRÂCE DE PRIER, S'ILS LE VEULENT.
IL NE FAUT POUR PRIER QUE LA GRÂCE SUFFISANTE.
CELLE-CI EST DONNÉE A TOUS.
Dieu veut donc le salut de tous les hommes, et il donne effectivement à tous les grâces nécessaires pour faire leur salut. Nous en concluons que tous ont
la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'une nouvelle grâce ; ils peuvent obtenir ainsi, par la prière, tous les autres secours nécessaires pour observer les commandements et faire leur salut. Notez bien qu'en disant « sans avoir besoin d'une nouvelle grâce », nous ne voulons pas dire que la grâce commune donne la faculté de prier sans le secours de la grâce adjuvante. En effet, pour faire un acte quelconque de
piété, outre la grâce excitante, on a besoin aussi, sans nul doute, de la grâce adjuvante ou coopérante ; mais nous voulons dire que la grâce commune
donne à chacun de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans qu'une nouvelle grâce prévenante soit nécessaire pour déterminer physiquement ou moralement la volonté à mettre la prière en pratique.
Nous allons citer d'abord les nombreux et éminents théologiens qui tiennent pour certaine cette opinion et nous le prouverons ensuite par l'argument d'autorité et par des raisonnements. C'est l'avis d'Isambert, du Cardinal du Perron, d'Alphonse le Moyne, ainsi que d'autres que nous citerons. Honoré
Tournely en parle plus longuement et expressément. Tous ces auteurs prouvent que chacun, avec la seule grâce ordinaire suffisante, peut prier
actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'un autre secours, et obtenir par la prière toutes les autres grâces pour pratiquer les commandements plus difficiles.
Tel est le sentiment de son Éminence le Cardinal de Noris. Il démontre expressément que, lorsqu'on doit observer un commandement, la seule grâce ordinaire permet de prier, si on le veut, sans autre secours. Et il le prouve : « Il est évident que le Juste et le Fidèle doivent avoir le pouvoir prochain de prier. En effet, si le Fidèle n'a que le pouvoir éloigné de prier - je
parle de la simple prière et non de la prière fervente - il n'aura pas d'autre pouvoir prochain pour obtenir la prière ; sinon, ce serait sans fin ». Pour observer les commandements et faire son salut, il est nécessaire de prier, comme nous l'avons prouvé en parlant de la nécessité de la prière. Ce savant
auteur dit donc très judicieusement : chacun a le pouvoir prochain de prier et d'obtenir par la prière le pouvoir prochain de faire le bien ; tous peuvent
ainsi prier avec la seule grâce ordinaire, sans avoir besoin d'un autre secours. Si, pour avoir le pouvoir prochain de prier effectivement, il fallait un autre
pouvoir, il faudrait aussi une autre grâce pour obtenir le pouvoir ; le processus serait sans fin, et l'homme ne pourrait plus coopérer vraiment à son salut.
Ce même auteur confirme ailleurs plus clairement encore sa doctrine : « Même dans l'état de nature déchue, un secours « sine quo non »,
indispensable, nous est donné, (c'est la grâce suffisante commune à tous), contrairement à ce que soutient Jansénius. Ce secours nous permet de faire
des actes faibles c'est-à-dire des prières moins ferventes. Le secours « sine quo non » ou indispensable n'est qu'un secours éloigné qui permet
cependant d'obtenir le secours « quo » ou la grâce efficace qui donnera la possibilité d'observer concrètement les commandements ». Le Cardinal tient donc pour certain que, dans l'état actuel, chacun a le secours « sine quo » ou indispensable, c'est-à-dire la grâce ordinaire. Celle-ci, sans autre secours, produit la prière avec laquelle on demande ensuite la grâce efficace qui permet d'observer les commandements. C'est bien dans ce sens que l'on
explique l'axiome universellement admis dans les Ecoles : « Dieu ne refuse pas la grâce à celui qui fait tout ce qu'il peut ». A celui qui prie et qui fait un
bon usage de la grâce suffisante qui lui permet d'accomplir les choses faciles, comme de prier, Dieu ne refuse pas de donner ensuite la grâce efficace pour réaliser les choses difficiles.
Telle est aussi l'opinion de Louis Thomassin. Cet auteur commence par s'étonner de ce que certains considèrent comme suffisantes des grâces qui
ne suffisent pas, de fait, pour accomplir une bonne oeuvre ni pour éviter un péché quelconque : « En effet, dit-il, si ces secours sont de vrais secours et
donnent le pouvoir prochain, comment se fait-il que, sur une très grande quantité de gens ainsi aidés, personne n'observe le commandement ? Comment peut-on dire ces secours vraiment suffisants s'il faut en plus la grâce efficace ? Celui à qui manque le secours nécessaire, qui ne le possède pas, celui-là n' a pas le pouvoir suffisant ». Il veut dire que pour être appelée vraiment suffisante la grâce doit donner à l'homme le pouvoir prochain et disponible d'accomplir concrètement l'acte bon. Mais, quand pour réaliser cet acte bon il faut une autre grâce, à savoir la grâce efficace et que l'on n'a pas celle-ci (au moins médiate), nécessaire au salut, comment peut-on dire que la grâce suffisante lui donne ce pouvoir prochain et immédiat ?
« Dieu, dit saint Thomas, ne manque jamais de faire ce qui est nécessaire au salut ». Il est vrai que Dieu n'est pas tenu de donner ses grâces parce que les grâces ne sont pas des choses dues. Mais il nous impose des commandements. Il est donc tenu de nous donner le secours nécessaire pour les observer.
Comme le Seigneur nous oblige à observer effectivement tous les commandements au moment voulu, il doit aussi nous donner le secours actuel et concret, (au moins médiat et éloigné), qui nous permettra d'y être fidèles, sans qu'il faille une autre grâce non commune à tous. Et Thomassin conclut : Pour concilier que la grâce suffisante suffit à l'homme pour faire son salut et que, par ailleurs, la grâce efficace est nécessaire pour observer toute la loi, il faut dire que la grâce suffisante suffit pour prier et faire des actes faciles ; avec ceux-ci on obtient ensuite la grâce efficace qui permet de réaliser les actes difficiles. C'est ce qu'enseigne sans aucun doute saint Augustin : « Du fait même que nous croyons très fermement que Dieu ne prescrit pas des choses impossibles, nous sommes prévenus de ce que nous avons à faire dans les choses faciles et de ce que nous avons à demander dans les choses difficiles ». Après avoir cité ce texte, le Cardinal de Noris tire la même conclusion : « Nous pouvons donc faire les choses faciles ou moins parfaites, sans avoir à demander une grâce plus forte, qu'il nous faut
cependant demander pour les choses plus difficiles ». Le Père Thomassin invoque également I' autorité de saint Bonaventure, de Scot et d' autres théologiens : « Tous ont trouvé suffisants ces secours auxquels la volonté donne parfois son assentiment et parfois non! ». Il le démontre dans quatre parties de son ouvrage, en s'appuyant sur les théologiens des Écoles durant de très longues années à dater de 1100
Habert, évêque de Vabres et docteur de la Sorbonne, qui fut le premier à écrire contre Jansénius, dit ceci : « Nous pensons d'abord que la grâce suffisante n'atteint pas immédiatement son but avec son effet de consentement complet, si ce n'est d'une manière contingente et médiate... Nous pensons done que la grâce suffisante est une préparation à la grâce efficace : à partir du bon usage que l'on en fait, Dieu accorde à la volonté
créée la grâce concrète d'un effet complet ». Il a dit précédemment : « Tous les Docteurs catholiques ont professé et professent dans toutes les Écoles
qu'est donnée une grâce vraiment intrinsèque, qui puisse attirer le consentement de la volonté vers le bien et qui cependant ne l'attire pas à cause de la libre résistance de la volonté ».
Et il cite en faveur de cette opinion Gamache, Duval, Isambert, Pereira, Le Moyne et d'autres auteurs. Et il continue : « Les secours de la grâce suffisante sont des préparations à la grâce efficace et « efficaces secundum quid », c'est-à-dïre dont l'effet obtenu par le demandeur est incomplet, d' abord lointain, puis plus proche et enfin très proche, tels que les actes de foi, d'espérance, de crainte de Dieu et, entre tous, celui de la prière. D'où le fameux Alphonse Lemoine a enseigné que cette grâce suffisante est celle de demander ou de prier, dont a parlé tant de fois saint Augustin. Ainsi, selon Habert, la grâce efficace diffère de la grâce suffisante en ce sens que la première atteint son effet complet tandis que la seconde ne l'obtient que d'une manière contingente, parce qu'elle l'obtient parfois et d'autres fois non,
ou de manière médiate, au moyen de la prière. Il précise, en outre, que la grâce suffisante, selon le bon usage que l'on en fait, prépare à obtenir la
grâce efficace. Il appelle donc la grâce suffisante « ej~cace secundum quid » c'est-à-dire dont l'effet est commencé mais non complètement terminé. Il dit
enfin que la grâce sufiisante est la grâce de prier, dont il dépend de nous de profiter, selon saint Augustin. Ainsi on est inexcusable de ne pas faire ce
pour quoi on a déjà la grâce suffisante ; avec celle-ci, sans nul besoin d'un autre secours, on peut agir, ou tout au moins obtenir le secours plus fort
pour agir. Habert assure que cette doctrine était commune en Sorbonne.
Charles Duplessis d'Argentré, lui aussi docteur de la Sorbonne, cite plus de mille théologiens qui enseignent expressément qu'avec la grâce suffisante
on fait les oeuvres faciles et qu'en l'utilisant bien on obtient ensuite le secours plus abondant pour la conversion parfaite. C' est précisément dans ce sens, dit-il, comme nous l'avons indiqué plus haut, qu'il faut entendre le célèbre axiome accepté par les Ecoles : « A ceux qui font ce qu'ils peuvent -
toujours avec la grâce suffisante - Dieu ne refuse pas la grâce : sa grâce plus abondante et la grâce efficace ».
Le très savant Denis Petau prouve longuement que l'on peut fort bien agir avec la seule grâce suffisante. Il va jusqu'à affirmer qu'il serait monstrueux de soutenir le contraire et que cette doctrine n'est pas seulement celle des théologiens mais aussi celle de l'Église. La grâce d'observer les
commandements, dit-il ensuite, est le fruit de la prière et Dieu donne la grâce de la prière en même temps qu'il impose les commandements : « Ce
don par lequel Dieu nous aide à observer ses lois est l'effet de la prière ; et cet effet est donné comme compagnon à la loi ». La loi est imposée à tous ;
de même, le don de la prière est fait à tous.
Le théologien du Séminaire de Périgueux pense qu'avec la seule grâce suffisante « il est possible de bien agir et que quelquefois on agit bien ». Ainsi, ajoute-t-il, rien n'empêche que de deux personnes, favorisées d'une même grâce, l'une va faire, et l'autre pas, les actes plus faciles qui précèdent
la totale conversion ». Ceci concorde, affirme-t-il, avec la doctrine de saint Augustin ainsi qu'avec celle de saint Thomas et de ses premiers disciples
spécialement du Père Barthélemy Medina : « Quelquefois, soutient celui-ci, on se convertit avec la seule grâce suffisante ». J'ai trouvé que le Père Louis de Grenade affirme aussi que c'est la doctrine commune des théologiens : « Les théologiens disent qu'il y a deux sortes de secours l'un suffisant et
l'autre surabondant ; avec le secours suffisant parfois on se convertit, parfois on refuse la conversion ». Il ajoute : « Les théologiens précisent que ce premier secours est très largement à notre disposition ». Le Théologien de Périgueux afiirme : « On peut ainsi, et on le fait quelquefois, avec la seule
grâce suffisante, accomplir certains actes de piété, tel que prier Dieu humblement ; on se prépare ainsi à recevoir d'autres grâces ». Tel est l'ordre, dit-il, suivi par la divine Providence : « D'autres grâces succèdent au bon usage des premières ». Et il conclut : La conversion totale et la persévérance
finale « sont méritées infailliblement par la prière, pour laquelle suffit pleinement la grâce suffisante qui ne fait défaut à personne ». Le Cardinal de Aguirre, parfait disciple de saint Augustin, pense de même. Le Père Antoine Boucat, de l'Ordre de saint François de Paule, soutient que chacun peut par la prière, sans avoir besoin d'un autre secours, obtenir la grâce de la
conversion. Outre Gamache, Duval, Habert, Le Moyne, il cite comme partisans de cette doctrine Pierre de Tarentaise, évêque de Toul, Godefroid
de Fontaines, Henri de Gand, docteurs de la Sorbonne, ainsi que Ligny, professeur royal : celui-ci démontre, dans son traité « De la grâce », que la
grâce suffisante non seulement donne la possibilité de prier, comme l'a dit ailleurs le célèbre professeur de théologie, Le Moyne, mais de faire également certaines oeuvres moins difficiles. Gaudenzio Buontempi enseigne également et prouve qu'avec la grâce suffisante on obtient la grâce efficace par la prière : celle-ci est donnée à tous ceux qui veulent l'utiliser. Le
Cardinal Robert Pulleyn établit qu'il y a deux grâces, l'une toujours victorieuse et l'autre à laquelle tantôt l'on coopère et tantôt l'on résiste : « Lorsque l'on reçoit cette grâce, on choisit d'y répondre ou bien de la
dédaigner et de continuer de pécher ». Le savant Père Fortunat de Brescia est du même avis : il soutient que nous avons tous la grâce médiate de la prière pour observer les commandements, et il tient pour certain que saint Augustin pensait la même chose.
Richard de Saint-Victor enseigne également qu'il existe une grâce suffisante à laquelle quelquefois l'on consent et d'autres fois l'on résiste. Dominique Soto demande pourquoi, de deux personnes que Dieu est tout prêt et aspire à convertir, l'une est attirée par la grâce et l'autre non ? « Pas d'autres raisons que celle-ci : l'une donne son consentement et coopère, l'autre ne coopère pas ".
Matthias Felisius, qui a écrit contre Calvin, définit ainsi la grâce ordinaire ou suffisante : « C'est une impulsion de Dieu ou une inspiration par laquelle on est poussé vers le bien et qui n'est refusée à personne. On se comporte différemment par rapport à cette inspiration: les uns y donnent leur consentement et sont ainsi disposés comme il faut « de congruo » à recevoir
la grâce habituelle, parce que l'on croit que Dieu ne manquera pas à ceux qui font ce qu'ils peuvent ; les autres refusent ». André Vega dit pareillement: « Ces secours donnés à tous sont dits inefiicaces par la plupart parce qu'ils n'obtiennent pas toujours leur effet mais sont négligés quelquefois par les pécheurs». Ainsi donc, les grâces suffisantes obtiennent quelquefois leur effet, et d'autres fois non.
Dans un passage de sa théologie, le Cardinal Gotti semble bien ne pas penser autrement que nous. Il se pose la question de savoir comment on peut persévérer si on le veut, alors qu' il n' est pas en notre pouvoir d'avoir le secours spécial nécessaire pour persévérer. Il répond : Bien que ce secours spécial ne soit pas en notre pouvoir, « il nous est possible de le demander et de l'obtenir de Dieu par la prière. On peut donc dire qu' il est en notre pouvoir d'obtenir le secours nécessaire pour persévérer, en le demandant par la prière ». Pour pouvoir dire qu'il nous est possible de persévérer, il est nécessaire de pouvoir obtenir par la prière de persévérer effectivement, sans
avoir besoin d'une autre grâce. Il est donc nécessaire également qu'avec la seule grâce suffisante commune à tous on puisse prier actuellement et effectivement sans avoir besoin d'une autre grâce spéciale, et obtenir ensuite par la prière la persévérance. Sinon, on ne peut pas dire que chacun a la grâce nécessaire pour persévérer, tout au moins la grâce éloignée ou médiate
par le moyen de la prière. Si toutefois le Cardinal Gotti ne l'entend pas ainsi, il est certain que c'est bien l'opinion de saint François de Sales. Celui-ci déclare que la grâce de prier actuellement et effectivement est donnée à tous ceux qui veulent l'utiliser, et il en conclut que tous ont le pouvoir de persévérer. Le saint l'affirme clairement dans son Traité de l'Amour de Dieu.
Après avoir démontré la nécessité de prier sans cesse pour obtenir de Dieu le don de la persévérance finale, il ajoute : « Parce que la grâce de la prière est promise généreusement à tous ceux qui veulent suivre les inspirations célestes, il est donc en notre pouvoir de persévérer ». Le Cardinal Bellarmin enseigne de même : « Le secours suffisant pour parvenir au salut est donné à tous, en temps et lieu, médiatement ou immédiatement... Nous disons médiatement ou imfnédiatement, parce que nous croyons que tous ceux qui ont l'usage de la raison reçoivent de Dieu de saintes inspirations ; ils ont ainsi immédiatement la grâce excitante avec laquelle, s'ils veulent la suivre,
ils peuvent se disposer à la justification et parvenir un jour au salut ».
Examinons maintenant les preuves de cette opinion. Elle se prouve tout d'abord par l'autorité de l'Apôtre Paul. Celui-ci nous assure que Dieu est fidèle et ne permettra jamais que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Il nous donne toujours le secours, immédiat ou médiat par le moyen de la prière, pour résister aux attaques des ennemis : « Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces mais avec la tentation il ménagera aussi le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le
pouvoir de la supporter» (1 Co 10, 13).
Jansénius prétend que ce texte doit s'entendre des seuls prédestinés, mais son interprétation n'est nullement fondée. En effet, saint Paul écrit à tous les
fidèles de Corinthe qu'il ne supposait certainement pas tous prédestinés. C'est donc à juste titre que saint Thomas l'applique généralement à tous les hommes : « Dieu, dit-il, ne serait pas considéré comme fidèle s'il nous refusait, pour autant qu'il dépend de lui, ce par quoi nous puissions parvenir à lui ». Cette opinion s'appuie aussi sur tous ces passages de la Sainte
Ecriture où le Seigneur nous exhorte à nous convertir et à recourir à lui pour lui demander les grâces nécessaires au salut, en nous promettant de nous
exaucer : « La sagesse crie dans les rues : Jusques à quand, gamins, aimerez-vous la puérilité ? Jusques à quand les sots désireront-ils ce qui leur est nuisible ? etc. Retournez-vous pour recevoir ma réprimande. Voici que je répandrai sur vous mon esprit. J'ai appelé et vous avez refusé... Moi aussi je rirai de votre malheur et me moquerai de vous » (Pr l, 20-26). Cette
exhortation « retournez-vous, convertissez-vous » serait proprement dérisoire, dit Bellarmin, si Dieu n'accordait pas aux pécheurs le secours au moins médiat de la prière pour qu'ils puissent se convertir. Dans le texte ci-dessus, il est également parlé de la grâce intérieure, « Je répandrai sur vous mon esprit », par laquelle Dieu appelle les pécheurs et leur donne le
secours concret pour se convertir, s'ils le veulent :
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous la fardeau et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28).
« Allons ! Discutons ! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront » (Is 1, 18). « Demandez et l'on vous donnera » (Mt 7, 7). Et le Seigneur nous le répète en mille autres endroits déjà cités. Or, si Dieu ne donnait pas à chacun la grâce de recourir effectivement à lui et de le prier concrètement, combien vaines seraient toutes ces invitations et exhortations : « venez tous et je vous donnerai satisfaction. Cherchez et on vous donnera ».
Ce qui le prouve en second lieu et clairement, c'est le texte du Concile de Trente. Je prie le lecteur de lire attentivement cette preuve : si je ne me trompe, elle semble évidente. Les Novateurs prétendaient : Par suite du péché d'Adam, l'homme a été privé du libre arbitre ; à présent, la volonté de l'homme ne fait plus rien dans les actes bons, mais elle est poussée à les
recevoir passivement de Dieu, sans les produire directement elle-même. Ils en concluaient : L'observation des commandements est impossible à ceux qui ne sont pas poussés et prédéterminés efficacement par la grâce à éviter le mal et à faire le bien. Le Concile prononça contre cette erreur l'opinion
exprimée par un texte de saint Augustin : « Dieu ne commande pas des choses impossibles mais, lorsqu'il commande, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à pouvoir».
Afin de prouver contre les hérétiques que les commandements de Dieu ne sont impossibles à personne, le Concile a déclaré : Tous les hommes ont la
grâce nécessaire pour faire le bien ou tout au moins la grâce de la prière par laquelle ils obtiennent à cet effet des secours plus puissants. Cela veut dire qu'avec la grâce commune à tous, chacun peut faire les choses faciles, telles que prier, sans avoir besoin d'une grâce extraordinaire, et obtenir par la prière la force de faire des choses difficiles, conformément à la doctrine de
saint Augustin déjà citée : « Étant donné que nous croyons très fermement que Dieu, juste et bon, n'a pas pu prescrire des choses impossibles, nous
sommes prévenus de ce que nous avons à faire pour les choses faciles et de ce que nous avons à demander pour les choses difficiles ». Ainsi, d'après le Concile, les commandements de Dieu sont possibles à tous, tout au moins par la prière qui nous permet d'obtenir ensuite le secours plus grand pour les observer. Puisque Dieu a imposé ses commandements à tous et qu'il a rendu possible à tous leur observation, tout au moins médiatement par la prière, il faut nécessairement en conclure que tous ont la grâce de prier ; sinon, ceux qui n'auraient pas cette grâce ne pourraient pas observer les commandements. De même que le Seigneur donne par la prière la grâce
actuelle de faire le bien et rend ainsi possible l'observation de tous ses commandements, de même il donne aussi à tous la grâce actuelle de prier ; sinon, ceux qui n'auraient pas la grâce actuelle de prier ne pourraient pas les pratiquer puisqu'ils ne pourraient demander par la prière le secours nécessaire pour cela.
On ne peut donc pas dire que ces mots « Dieu t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas » doivent s'entendre du seul
pouvoir de prier et non de la prière actuelle effective. En effet, répondons-nous, si la grâce commune et ordinaire ne donnait que le seul pouvoir de prier et non de la prière actuelle effective, le Concile n'aurait pas
dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ». Il aurait dit : « Il t'avertit que tu as le pouvoir de faire et le pouvoir de demander ». Si le Concile avait voulu dire « Chacun peut observer les commandements ou prier pour demander la grâce nécessaire pour cela » et s'il n'avait pas voulu parler de la grâce actuelle effective, il n'aurait pas dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux », parce que ce mot « il t'engage » se rapporte proprement à un acte actuel,
concret, effectif, et il implique non pas l'éclairage de l'esprit mais l'impulsion donnée à la volonté pour qu'elle fasse le bien actuellement et concrètement
possible. Le Concile, ayant dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce tu ne peux pas », a voulu signifier très clairement non seulement le pouvoir d'agir et le pouvoir de prier, mais également l'agir actuel, concret, effectif, et la prière actuelle, concrète, effective. Si, au contraire, pour agir et pour prier effectivement, l'on avait besoin d'une grâce
extraordinaire que l'on n'a pas, pourquoi le Seigneur nous engagerait-il à agir et à demander ce que l'on ne peut pas faire effectivement ni demander sans la grâce efficace ? Le Père Fortunat de Brescia fait sur ce point une sage réflexion : « Si la grâce actuelle de la prière n'avait pas été donnée à tous mais s'il fallait, pour prier, la grâce efficace, non commune à tous, la prière
serait impossible à beaucoup parce que tous n'ont pas cette grâce efficace ». On aurait donc tort de dire : « Dieu t'engage à demander ce que tu ne peux pas », parce qu'il engagerait à faire une chose pour laquelle on n'a pas le secours actuel indispensable. Cette exhortation de Dieu à agïr et à prier doit donc s'entendre de l'action et de la prière effectives, sans que l'on ait besoin d'une grâce extraordinaire. C'est bien ce que saint Augustin veut nous donner à entendre : « Nous sommes prévenus de ce que nous avons à faire pour les choses faciles et de ce que nous avons à demander pour les choses difficiles ». Il soutient que si tous n'ont pas la grâce de faire les choses difficiles, tous ont au moins la grâce de prier; la prière est une chose facile à tous, ainsi qu'il l'affirme dans le texte que le Concile lui a emprunté : « Dieu
t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ». Serrons un peu l'argument. Le Concile dit : Dieu n'impose pas des commandements impossibles parce qu'il donne le secours pour les
observer, ou bien il donne la grâce de prier en vue d'obtenir ce secours : il l'accorde dès qu'on l'en prie ! S' il était vrai que Dieu ne donne pas à tous la
grâce au moins médiate de la prière pour observer effectivement tous ses commandements, Jansénius aurait raison de dire : même le juste n'a pas la grâce pour observer concrètement certains commandements.
Si la grâce suffisante ne donnait pas à tous de pouvoir actuellement et effectivement prier et que faisait défaut la grâce efficace nécessaire, au dire des adversaires, pour réaliser toute bonne oeuvre, je ne sais comment on pourrait comprendre et expliquer le texte ci-dessus du Concile de Trente. Si l'on admet la nécessité, selon eux, de cette nouvelle grâce pour prier
effectivement, je ne sais pas comment interpréter cet autre texte du même Concile : « Une fois qu' ils ont été justifiés par sa grâce, Dieu ne les abandonne pas, à moins qu'il ne soit auparavant abandonné par eux ». Si pour prier effectivement la grâce suffisante ne suffisait pas, et qu'il y fallait aussi la grâce efficace qui n'est pas commune à tous je me demande ce qui
arriverait. Quand le juste serait tenté de commettre le premier péché mortel, si Dieu ne lui donnait pas la grâce efficace, au moins de prier pour obtenir la
grâce de résister, et si de fait il ne résistait pas à la tentation, ne devrait-on pas dire que Dieu abandonne le juste avant d'être abandonné par lui, puisque la grâce efficace nécessaire pour résister lui fait défaut ?
Les adversaires objectent un passage de saint Augustin : le saint semble déclarer que la grâce de la prière n'est pas donnée à tout le monde : « Est-ce
que parfois notre prière elle-même n'est pas à ce point tiède, ou froide plus exactement et quasi nulle, et, de temps à autre, si totalement réduite à rien, que nous ne nous en apercevons pas avec chagrin ? Car si nous en souffrions, ce serait déjà faire oraison ». Le Cardinal Sfondrati y fait une judicieuse réponse : « Autre chose que les pécheurs ne prient pas et autre
chose qu' ils n'aient pas la grâce de prier ! ». Saint Augustin ne dit pas que la grâce de prier comme il faut manque à certains ; il dit seulement que parfois notre prière est si froide qu'elle est presque nulle. Ce n'est pas que Dieu ne nous aide pas à prier mieux mais c'est par notre faute que notre prière est nulle. C'est aussi ce que répond Tournely à propos de la première
Proposition condamnée de Jansénius : « Les justes ne prient pas toujours comme il faut. C'est par leur faute qu'ils ne prient pas bien, alors qu'ils ont par la grâce les forces suffisantes pour prier. Saint Augustin dit que notre prière est parfois froide et presque nulle, mais il ne dit pas que nous fait défaut une grâce qui rendrait notre prière plus fervente. Sur ce passage de
saint Augustin le cardinal de Noris écrit : « Par la prière tiède on obtient tout au moins la prière plus fervente et, par celle-ci, la grâce efficace pour observer les commandements. » Je conclus que nous faisons cette prière tiède elle-même avec le secours « sirte quo non o, c'est-à-dire indispensable, et avec le concours ordinaire de Dieu, puisqu'il s'agit d'actes faibles et
imparfaits. Nous obtenons cependant par la prière tiède l'impulsion pour une prière plus fervente, qui nous est donnée par le secours « quo ». Et il
confirme par l'autorité du saïnt Docteur qui écrit à propos du Psaume 17 (16) : « C'est avec une intention libre, ardente et forte, que j'ai adressé mes
prières. Pour que je puisse le faire, tu m'as écouté alors que je te priais plutôt faiblement ». Que l'on n'objecte pas non plus ce que dit ce même saint
Augustin à propos des paroles de saint Paul :
« L'Esprit intercède en notre faveur par ses gémissements ineffables » : c'est l'Esprit Saint « qui nous fait supplier et qui nous inspire l'amour de la supplication ». Ce que le saint veut dire ici contre les Pélagiens c'est que personne ne peut prier sans la grâce. Et il l'explique ainsi dans son commentaire sur le Psaume 52 : « Ce que tu fais avec le concours de Dieu, nous disons que c'est lui qui le fait parce que sans lui tu ne le ferais pas ».
En troisième lieu, nous prouvons notre opinion par ce que disent les Pères sur la question. Saint Basile : « Lorsque Dieu permet que l'homme soit assailli par la tentation, c'est pour qu'il puisse demander par la prière la grâce de Dieu pour y résister ». Le saint affirme donc : Quand Dieu permet que l'homme soit tenté, il l'aide à résister en lui faisant demander que se fasse la volonté de Dieu c'est-à-dire la grâce nécessaire pour remporter la victoire. Le saint suppose donc que, lorsque l'homme n'a pas la force suffisante pour vaincre la tentation, il a au moins la grâce actuelle et commune de la prière pour obtenir la grâce plus puissante dont il a besoin. Saint Jean Chrysostome emploie un langage imagé : « Il a donné une loi qui met a nu les blessures pour nous faire désirer le médecin ». Et dans un autre endroit : « Personne ne pourra trouver d'excuse car c'est en cessant de prier qu'il a renoncé à vouloir vaincre l'ennemi ». Si quelqu'un n'avait pas la grâce nécessaire pour prier actuellement et effectivement et obtenir ainsi la force
de résister, on pourrait l'excuser d'avoir été vaincu. Saint Bernard dit pareillement : « Mais qui sommes-nous et quelle est donc notre vaillance,
pour ce que Dieu cherchait, c'est que, constatant notre déficience et sachant qu'il n'est pour nous point d'autre recours, nous nous précipitions en toute
humilité vers sa miséricorde ». Le Seigneur nous a donc imposé une loi au-dessus de nos moyens pour qu'en recourant à lui et en le priant, nous obtenions la force de l'observer. Mais si la grâce de prier actuellement et effectivement était refusée à quelqu'un, l'observation de la loi lui deviendrait
absolument impossible. « Beaucoup, dit ce même saint Bernard, se plaignent que la grâce leur fait défaut mais à combien plus forte raison la grâce ne pourrait-elle pas se plaindre que beaucoup lui sont infidèles ! ». Le
Seigneur a bien plus raison de se plaindre de nous parce que nous manquons à la grâce, par laquelle il nous assiste, que nous de nous plaindre que la grâce nous manque.
Mais aucun Père ne le dit plus clairement que saint Augustin en de nombreux textes : « Les Pélagiens pensent savoir quelque chose d'important quand ils disent : Dieu ne nous commanderait pas ce qu'il saurait nous être impossible. Qui ne le sait ? Mais il nous commande pourtant des choses impossibles pour que nous sachions ce que nous avons à lui demander... : « Ce n'est pas d'ignorer malgré toi que l'on te fait grief, mais de négliger de chercher ce que tu ignores ; ce n'est pas non plus de ne point panser tes
membres blessés, mais de mépriser celui qui veut les guérir : tes propres péchés à toi, les voilà. Car il n' y a pas d' homme si dépourvu qui ne sache l'utilité de chercher ce qu'il n'y a aucune utilité à ignorer ». Ainsi donc, la grâce de prier n'est refusée à personne et on peut obtenir par la prière la grâce de se convertir. Si cette grâce manquait à quelqu'un, on ne pourrait
pas lui imputer le péché de ne pas se convertir. Saint Augustin dit ailleurs : « Que voyons-nous donc ici, sinon que celui qui nous ordonne de faire ceci ou cela nous accorde de demander, de chercher, de frapper »? Ailleurs : « Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le : tu n'es pas encore tiré ? Prie pour être tiré ». Ailleurs : « Donc, son ignorance de ce qu'elle doit faire provient de la perfection qu'elle n'a pas encore obtenue ; mais elle l'obtiendra aussi si elle use bien de ce qui lui a déjà été donné. Or il lui a été
donné de chercher avec zèle et piété, si elle le veut ».
Notez bien ces derniers mots. Chacun a donc la grâce nécessaire pour prier : s'il l'utilise bien, il recevra la grâce de faire ce que tout d' abord il ne pouvait pas faire immédiatement. Ailleurs : « Que l'homme qui veut et qui ne peut pas reconnaisse donc qu'il ne veut pas encore pleinement et qu'il prie afin d'avoir une volonté assez grande pour accomplir les commandements. Car
c'est ainsi qu'il est aidé pour faire ce qui lui est ordonné ». Ailleurs : « Par ce précepte, le libre arbitre (a été engagé) à demander le don de Dieu. Cet
avertissement, d'ailleurs, resterait sans fruit si le libre arbitre ne recevait d' abord un certain amour, afin qu'il en demande lui-même davantage pour accomplir ce qui est ordonné ». Notez ces mots « un certain amour » : c'est la grâce suffisante par laquelle l'homme peut ensuite par la prière obtenir la grâce actuelle et effective d'observer le commandement : « grâce qui le
pousse à demander une aide supplémentaire qui lui permette de réaliser ce qui lui a été commandé ». Il dit ailleurs : « Il ordonne donc, de telle sorte qu'après nous être efforcés de faire ce qui est juste, et aux prises avec notre faiblesse, nous sachions demander le secours de la grâce ». Le saint suppose ainsi qu'avec la grâce ordinaire nous ne pouvons pas faire les choses
difficiles mais que nous pouvons, par la prière, obtenir ce qu'il faut pour les faire. Et il continue : « La loi est venue pour que se multiplie la faute lorsque les hommes n'implorent pas le secours de la grâce ; mais, lorsqu'à la suite d'un appel divin ils comprennent près de qui il faut gémir et qu'ils l'invoquent, que se passera-t-il ? Où le péché s'est multiplié, la grâce a
surabondé » (Rm 5,20). On voit exprimés ici, comme dit Petau, le manque de la grâce abondante et par ailleurs l'assistance de la grâce ordinaire et commune, qui nous fait prier, et que le saint nomme ici « appel divin » ou « vocation divine ».
Il dit ailleurs : « Ce qui reste, en effet, au libre arbitre en cette vie mortelle, ce n'est pas que l'homme puisse à sa volonté accomplir la justice, mais qu'avec une piété suppliante, il ait à se tourner vers Celui par le don duquel il puisse accomplir la justice ». D'après saint Augustin, l'homme est incapable d'observer toute la loi, et il ne lui reste que la prière pour obtenir le secours nécessaire. Il suppose certainement que le Seigneur donne à chacun la grâce de prier actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'un autre secours extraordinaire et non commun à tous ; si ce secours spécial faisait défaut, « le libre arbitre n'aurait aucune possibilitê » d'observer concrètement tous les commandements de Dieu, tout au moins les plus difficiles. Le saint ne veut certainement pas dire que la grâce suffisante ne donne que le pouvoir et non
l'action concrète de prier. En effet, il est certain que le pouvoir est donné par la grâce suffisante pour toutes les oeuvres difiiciles. Le saint Docteur veut certainement dire, comme il l'enseigne ailleurs, que chacun peut avec la grâce suffisante accomplir concrètement les choses faciles comme le fait de
prier, et les choses difficiles avec le secours que l'on obtient par la prière.
Deux textes surtout de saint Augustin concernent notre cas. Voici le premier : « Il est certain que nous observons les commandements si nous le voulons, mais puisque la volonté est préparée par le Seigneur, il nous faut prier pour, à la fois, vouloir les observer et les observer en réalité ». Il est certain, dit le saint, que nous observons les commandements si nous le
voulons. Pour vouloir les observer et pour les observer effectivement, nous devons prier. Tous reçoivent donc la grâce de prier et peuvent obtenir par la prière la grâce abondante nécessaire pour cela. Si, pour prier actuellement et effectivement, on avait besoin de la grâce efficace qui n'est pas commune à tous, tous ceux n'ont pas reçu cette grâce ne pourraient ni observer ni avoir la volonté d'observer les commandements.
Le second texte est celui où le saint Docteur répond aux moines d'Adrumète. Ceux-ci disaient : Si la grâce est nécessaire et que sans elle je ne peux rien faire, pourquoi me reprocher de ne pouvoir agir alors que je
n'ai pas la grâce voulue pour le faire ? Priez plutôt le Seigneur de me donner cette grâce : « Prie plutôt pour moi ! ». Le saint leur répond : Vous méritez d'être blâmés, non pas parce que, n'en ayant pas la force, vous n'agissez pas, mais parce que vous ne priez pas pour obtenir cette force : « La prière, il la veut pour lui, celui qui ne veut pas qu'on le reprenne : Prie plutôt pour moi, dit-il, mais il faut le reprendre afin qu'il prie aussi lui-même pour lui-même ». Or, si le saint n' avait pas cru que tous ont la grâce de pouvoir prier, sans
avoir besoin d'un autre secours, il n'aurait pas pu dire que son interlocuteur méritait d'être blâmé de ne pas prier. En effet, celui-ci aurait pu lui répliquer : L'on ne peut pas me blâmer de ne pas agir parce que je n'ai pas la grâce spéciale pour agir. De même, l'on ne peut pas me blâmer de ne pas prier parce que je n'ai pas la grâce spéciale de prier effectivement. Il dit de même
ailleurs : « Qu'ils ne s'abusent pas eux-mêmes ceux qui disent : pourquoi nous est-il prescrit d'éviter le mal et de faire le bien, si c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et l'agir ? » Le saint répond : lorsque nous faisons le bien, nous devons en rendre grâce à Dieu, qui nous donne la force de le faire. Quand ensuite nous ne le faisons pas, nous devons prier pour recevoir la force qui nous manque : « Quand ils ne font pas le bien, dit-il, qu'ils prient pour recevoir la force qu'ils n'ont pas encore ! ». S'ils n'avaient pas même la grâce de prier actuellement et effectivement, ils pourraient répondre : « A quoi bon nous est-il prescrit de prier, si c'est Dieu qui produit en nous la
prière ? » Comment pouvons-nous prier si nous ne recevons pas le secours nécessaire pour le faire actuellement et effectivement ? Saint Thomas ne
parle pas expressément de la prière mais il considère comme certaine l'opinion que nous défendons : « C'est le rôle de la divine Providence de pourvoir chacun de ce qui est nécessaire au salut, pourvu qu'il n'y mette pas obstacle ! ». Dieu donne donc à tous les grâces nécessaires au salut. Par ailleurs, pour prier il est nécessaire d'avoir la grâce de pouvoir prier
actuellement et effectivement. Par la prière nous obtenons ensuite le secours plus puissant pour faire ce que nous pouvons pas avec le seul secours
ordinaire. Nous devons donc conclure nécessairement que Dieu donne à tous la grâce suffisante de prier effectivement, si nous le voulons, sans avoir besoin de la grâce efficace. Ajoutons ici la réponse de Bellarmin à certains hérétiques. Des paroles du Sauveur « Personne ne peut venir à moi s'il n'est pas attiré par mon Père », ils concluaient : Ne peuvent aller à Dieu que ceux qui sont précisément attirés par lui. « Nous répondons, écrit Robert Bellarmin : on ne peut en déduire qu'une chose, à savoir qu'ils n'ont pas la
grâce efficace pour croire effectivement ; on ne peut pas en déduire que tous n'ont pas la grâce pour pouvoir croire ou pour demander la grâce nécessaire».
Venons-en enfin aux arguments de cette opinion. Le savant Père Petau, d'accord avec Duval et d'autres théologiens, demande : Pourquoi Dieu nous
impose-t-il des choses que nous ne pouvons pas observer avec la grâce commune ordinaire ? Parce que, répond-il, il veut que nous recourions à lui par la prière, ainsi que le disent communément les Saints Pères, comme nous venons de le voir. Il en conclut : nous devons tenir pour certain que chacun a la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement et d'obtenir par la prière le secours plus puissant pour faire ce qui nous est impossible avec la grâce commune ; sinon Dieu nous aurait imposé une loi impossible. Cette raison est très forte. On peut en ajouter une autre : Si Dieu commande à tous l'observation effective des commandements, on doit nécessairement supposer qu'il leur donne aussi communément à tous la grâce nécessaire, au moins médiatement par la prière. Pour que la loi soit raisonnable et que soit mérité le reproche adressé à ceux qui ne l'observent pas, il faut que chacun
ait la grâce sufiisante, au moins médiate par la prière, pour obéir effectivement sans avoir besoin d'un autre secours non commun à tous. Si cette grâce médiate ou éloignée de pouvoir actuellement et effectivement
prier faisait défaut, on ne pourrait pas dire que Dieu donne à chacun la grâce suffisante pour pouvoir observer concrètement la loi.
Thomassin et Tournely accumulent et alignent beaucoup d'autres arguments en faveur de cette opinion. Je les laisse tous de côté pour m'arrêter
uniquement à un argument qui me semble évident. Il s'appuie sur le précepte de l'espérance qui nous oblige tous à attendre de Dieu avec certitude la vie éternelle. Si nous n'étions pas certains que Dieu donne à tous
la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement sans avoir besoin d'une autre grâce particulière et non commune à tous, personne ne pourrait, sans une révélation spéciale, espérer le salut comme il se doit. Qu'il me soit permis d'exposer sur quoi s'appuie cet argument !
La vertu d'espérance est si chère à Dieu qu'il met toutes ses complaisances, a-t-il déclaré, en ceux qui se confient en lui : « Yahvé met son plaisir en
ceux qui ont confiance en sa miséricorde » (Ps 147 (146), 11). Et il promet la victoire sur les ennemis, la persévérance dans sa grâce et la gloire éternelle, à
celui qui espère et parce qu'il espère : « Parce qu'il a espéré en moi je le délivrerai, je le protégerai... je le délivrerai et le glorijzerai » (Ps 91 (90), 1416). « Il les sauvera parce qu'ils ont mis en lui leur confiance » (Ps 37 (36), 40). « Garde-moi, mon Dieu, parce que j'ai espéré en toi » (Ps 16 (15), 1). « Nul n'a espéré dans le Seigneur et a été confondu » (Si 2, 10). Nous sommes certains que le ciel et la terre passeront mais les paroles et les promesses de Dieu ne passeront pas: « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne
passeront pas » (Mt 24, 35). Saint Bernard affirme donc que tout notre mérite consiste à mettre en Dieu toute notre confiance : « En ceci, en effet, consiste tout le mérite de l'homme : placer toute son espérance en celui qui sauve l'homme tout entier ». La raison en est que celui qui espère en Dieu l'honore : «Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai et tu me glorifieras » (Ps 50 (49), 15). Il glorifie la Puissance, la Miséricorde et la Fidélité de Dieu, en
croyant que Dieu peut et veut le sauver, et qu'il ne peut manquer aux promesses de sauver ceux qui mettent leur confiance en lui. Et le Prophète nous assure que, plus notre confiance sera grande, plus la divine miséricorde se répandra sur nous : « Yahvé, que ta miséricorde soit sur nous, comme nous espérons en toi » (Ps 33 (32), 22).
Or, cette vertu d'espérance plaît tellement au Seigneur qu'il a voulu nous l'imposer par un précepte grave, comme l'enseignent communément les théologiens, et comme le montrent plusieurs textes de la Sainte Ecriture : « Espérez en lui, toute l'assemblée du peuple » (Ps 62 (61 ), 9). « Vous qui craignez le Seigneur, espérez en lui » (Si 2, 9). « Espère en ton Dieu toujours ! » (Os 12, 7). « Tournez votre espérance vers cette grâce qui vous est offerte » ( 1 P 1, 13). Cette espérance de la vie éternelle doit être en nous ferme et assurée, comme la définit saint Thomas : « L'espérance est l'attente certaine de la Béatitude future ». Le saint Concile de Trente l'a aussi déclaré
expressément : « Tous doivent mettre leur très ferme espérance dans le secours de Dieu. En effet, à moins qu'ils ne manquent eux-mêmes à sa grâce, Dieu complétera ses bonnes oeuvres comme il l'a commencé, réalisant le vouloir et l'achèvement ». Saint Paul l'a déclaré auparavant de lui-même : « Je sais en qui j'ai mis ma confiance et j'ai la conviction qu'il a le
pouvoir de garder mon dépôt » (2 Tm 1, 12). L'espérance chrétienne diffère en cela de l'espérance humaine. Pour être une espérance, il suffit que celle-ci
soit une attente incertaine. Il ne peut pas en être autrement, car on peut toujours craindre que l'homme qui a promis n'ait plus la volonté de donner. Mais l'espérance chrétienne du salut éternel est certaine de la part de Dieu car il veut et peut nous sauver, et il a promis le salut à qui observe sa loi. Il a promis également à qui les lui demande les grâces nécessaires à l'observation de cette loi.
Il est vrai que l'espérance s'accompagne aussi de la crainte, comme dit le Docteur Angélique, mais nous n'avons pas à craindre de la part de Dieu. La crainte ne peut venir que de nous. Nous pouvons, en effet, manquer en ne correspondant pas comme nous devrions et mettre obstacle à la grâce par nos fautes. C'est donc très justement que le Concile de Trente a condamné les Novateurs qui privent totalement l'homme du libre arbitre et veulent que tous les fidèles aient une certitude infaillible de leur persévérance et de leur salut. C'est une erreur déjà condamnée par le Concile de Trente. En effet, comme nous l'avons dit, il est nécessaire que nous correspondions à la grâce
pour parvenir au salut, et notre correspondance est incertaine et faillible. Le Seigneur veut donc que nous nous défüons toujours de nous-mêmes, pour ne pas tomber dans la présomption en nous fiant à nos propres forces. Mais il veut qu'en revanche nous soyons bien certains de sa volonté miséricordieuse et du secours qu'il nous donne pour faire notre salut,
chaque fois que nous le lui demandons, et que nous ayons ainsi une confiance totale en sa bonté. Nous devons, dit saint Thomas, attendre de Dieu avec certitude la Béatitude éternelle, en faisant confiance à sa puissance et à sa miséricorde, en croyant qu'il veut et peut nous sauver : « Or de la toute-puissance de Dieu et de sa miséricorde, est certain quiconque a la foi ».
Puisque l'espérance de notre salut doit être certaine de la part de Dieu, - attente certaine de la Béatitude, selon saint Thomas -, le motif d'espérer doit être certain. Si le fondement de cette espérance n'était pas certain mais douteux, nous ne pourrions pas espérer et attendre de Dieu avec certitude le salut et les moyens nécessaires au salut. Mais saint Paul veut que nous soyons absolument fermes et inébranlables dans l'espérance, si nous voulons faire notre salut : « Il faut absolument que vous persévériez dans la foi, affermis sur ses bases solides, sans vous laisser détourner de l'espérance promise par l'Évangile que vous avez entendu » (Col l, 23). Il le confirme dans un autre passage : notre espérance doit être inébranlable comme une ancre sûre et solide, car elle repose sur les promesses de Dieu qui ne peut mentir : « Nous désirons seulement que chacun de vous montre le même zèle pour le plein épanouissement de l'espérance jusqu'à la fin... afin que par deux réalités immuables - la promesse de Dieu et le serment qu'il y a joint - dans lesquelles il est impossible à Dieu de mentir, nous soyons puissamment encouragés, nous qui avons trouvé un refuge, à saisir l'espérance qui nous est offerte. En elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (He 6, 11 ; 18-19). Saint Bernard dit que notre espérance ne peut être incertaine puisqu'elle repose sur les promesses de Dieu : « Cette attente ne nous paraît pas vaine, ni douteuse l'espérance, car elles sont fondées sur les promesses de la vérité éternelle ». Mon
espérance, dit-il ailleurs de lui-même, s'appuie sur trois bases : l'amour de Dieu qui nous a adoptés pour ses enfants, la vérité de sa promesse, sa puissance pour la tenir : « Je considère donc qu'il y a trois éléments dans lesquels consiste toute mon espérance: l'amour adoptif, la vérité de la promesse, la puissance de la réalisation ».
C'est pourquoi l'apôtre saint Jacques déclare : Ceux qui désirent les grâces divines doivent les demander à Dieu, non pas avec hésitation mais avec une confiance absolue de les obtenir : « Qu'il demande avec foi, sans hésiter » (Jc 1, 6). Si l'on demande, continue-t-il, en étant agité par le doute, on n'obtiendra rien. « Celui qui hésite ressemble à la surface de la mer que le
vent soulève et agite. Qu'il ne s'imagine pas, cet homme, recevoir quoi que ce soit du Seigneur! » (Jc l, 6 et 7). Et saint Paul loue Abraham de n'avoir absolument pas douté de la promesse de Dieu : il savait que, quand Dieu promet, il ne peut décevoir : « Appuyé sur la promesse de Dieu, sans hésitation ni incrédulité mais avec une foi puissante, il rendit gloire à Dieu, certain que tout ce que Dieu a promis, il est assez puissant ensuite pour l'accomplir » (Rm 4, 20). Aussi Jésus Christ nous assure-t-il lui-même que
nous recevrons toutes les grâces que nous demanderons, si nous le faisons avec une ferme confiance de les recevoir : « C'est pourquoi je vous dis : tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu et cela vous sera accordé ! » (Mc 11, 24). En un mot, Dieu ne veut pas nous exaucer si nous ne croyons pas avec certitude qu'il nous exaucera.
Venons-en à notre problème. Notre espérance du salut et des moyens nécessaires pour cela doit être certaine de la part de Dieu. Les motifs qui fondent cette certitude, nous l'avons vu, sont la Puissance, la Miséricorde et la Fidélité de Dieu ; mais de ces trois motifs, le plus fort et le plus certain, c'est la fidélité infaillible de Dieu à la promesse qu'il nous a faite, par les mérites de Jésus Christ, de nous sauver et de nous accorder les grâces nécessaires au salut. En effet, remarque fort justement Juénin, bien que
nous croyions que la Puissance et la Miséricorde de Dieu sont infinies, nous ne pourrions en espérer le salut s'il ne nous l'avait pas promis de façon
indubitable. Mais cette promesse est conditionnelle : elle exige que nous répondions par les oeuvres et que nous priions, comme nous le voyons dans les Saintes Ecritures : « Demandez et l'on vous donnera. Si vous
demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. Il donnera de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. Il faut toujours prier. Vous ne recevez pas parce que vous ne demandez pas... Si quelqu'un a besoin de la sagesse, qu'il la demande à Dieu ! » Et beaucoup d'autres textes que nous avons cités plus haut. C'est pourquoi les Saints Pères et les
théologiens enseignent communément, comme nous l'avons prouvé dans le chapitre premier de la première partie, que la prière est un moyen nécessaire au salut.
Or si nous n'étions pas certains que Dieu donne à tous la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans que nous ayons besoin d'une autre
grâce spéciale, non commune à tous, nous ne pourrions pas avoir de la part de Dieu un motif certain et inébranlable de pouvoir espérer le salut avec
certitude ; notre espérance ne serait qu'incertaine et conditionnelle. Quand je suis sûr qu'en priant j'obtiendrai la vie éternelle et toutes les grâces
nécessaires, et que je sais aussi que Dieu ne me refusera pas, parce qu'il l'accorde à tous, la grâce de prier actuellement et effectivement, si je le veux,
j'ai alors un motif certain d'espérer de Dieu le salut, à condition que je fasse personnellement tout ce qu'il faut. Mais quand je doute de recevoir de Dieu la grâce particulière qu'il n'accorde pas à tous et qui serait nécessaire, selon certains, pour prier effectivement, alors je n'ai pas de motif assuré d'espérer de Dieu le salut; je n'ai qu'un motif douteux et incertain. Dieu me
donnera-t-il cette grâce spéciale, nécessaire pour prier, et qu'il refuse à beaucoup ? Et cette incertitude n'existerait pas uniquement de mon côté mais aussi du côté de Dieu. Du coup, voilà l'espérance chrétienne détruite : en effet, d'après l'Apôtre Paul, elle doit être inébranlable, ferme et solide. À vrai dire, je ne sais pas comment, dans ces conditions, le chrétien peut pratiquer la vertu d'espérance et attendre de Dieu, comme il convient, avec une ferme confiance, le salut et les grâces nécessaires pour cela. Comment espérer vraiment si l'on ne tient pas pour certain que Dieu accorde à tous sans exception la grâce de prier effectivement, s'ils le veulent, sans qu'il soit
nécessaire d'avoir une autre grâce spéciale ?
Disons pour conclure que beaucoup de théologiens ainsi que notre humble Congrégation admettent notre système et notre opinion ; ils s'accordent parfaitement avec la grâce intrinsèquement efficace par laquelle nous
faisons le bien infailliblement quoique librement, ainsi qu'avec la grâce suffisante, comme nous le verrons plus loin. On ne peut nier, en effet, que Dieu peut parfaitement par sa toute-puissance incliner et pousser les coeurs humains à vouloir librement ce qu'il veut, comme l'affirment les Saintes Écritures : « Le coeur du roi est dans la main de Yahvé ; il l'incline partout où il veut » (Pr 21, 1). « Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois » (Ez 36, 27). « Mon projet se réalisera, j'accomplirai ce qui me plaît » (Is 46, 10). « Il change le coeur des princes des peuples de la terre » (Jb 12, 24). « Que le Dieu de la paix... vous rende aptes à accomplir sa volonté en toute sorte de bien, produisant en vous ce qui lui est agréable par Jésus Christ » (He 13, 21). On ne peut nier que saint Augustin et saint Thomas aient enseigné que la grâce est efficace en elle-même de par sa nature. C'est ce que montrent beaucoup de leurs textes et spécialement ceux-ci. Saint Augustin : « Cependant Dieu ne donna cette royauté que par les volontés des hommes eux-mêmes, car il a, sans aucun doute, une puissance toute-puissante pour incliner les coeurs des hommes comme il lui plaît ».
Ailleurs : « Car le Tout-Puissant opère dans le coeur des hommes (le mouvement même de leur volonté), afin de faire par eux ce que lui même a résolu de faire par eux ». Ailleurs encore : « Certes ce sont bien des hommes qui accomplissent les oeuvres bonnes destinées à honorer Dieu, mais c'est Dieu qui leur fait accomplir ce qu'il leur prescrit ». De nouveau :
«Certainement, c'est nous qui agissons quand nous agissons, mais c'est Dieu qui fait que nous agissions en accordant à notre volonté une force pleinement efficace, lui qui a dit : « Je ferai que vous marchiez selon mes justes lois ». Ailleurs : « C'est nous assurément qui voulons, mais ce vouloir même est en nous l'oeuvre de Dieu, c'est nous qui agissons, mais cette action même c'est Dieu qui la produit en nous ». Ailleurs : « Mais puisque la volonté est préparée par le Seigneur (Ps 8,35), on doit lui demander qu'il nous donne autant de volonté qu'il nous en faut pour qu'en voulant nous fassions ». Ailleurs : « Dieu qui sait agir intérieurement dans le coeur même des hommes, non de telle sorte que ces hommes croient sans le vouloir, ce qui est impossible, mais que leur refus se transforme en volonté de croire ». Ailleurs : « Dieu est l'auteur non seulement de vraies révélations, mais aussi des décisions volontaires conformes au bien ». Ailleurs : « Voila pourquoi même nos volontés n'ont de pouvoir que dans la mesure où Dieu l'a voulu ». Ailleurs : « Dieu a tellement en son pouvoir les volontés qui se gardent dans leur condition de créature, qu'il les fait pencher, quand il veut, du côté
où il veut ». Le Docteur Angélique dit quelque part : « Dieu meut la volonté d'une façon immuable par une force efficace qui ne peut manquer d'atteindre son but ». Ailleurs : « La charité est impeccable par la vertu
même de l'Esprit Saint qui réalise infailliblement tout ce qu'il veut. C'est pourquoi il ne saurait être vrai simultanément et que le Saint Esprit veuille mouvoir quelqu'un à l'acte de charité, et que celui-ci perde la charité en péchant ». Et enfin : « Etant donné que Dieu meut notre volonté vers un objet précis, il n'est pas possible en même temps que notre volonté ne le
veuille pas ».
Par ailleurs, notre opinion s'accorde parfaitement avec la grâce vraiment suffisante, qui est commune à tous. Si l'on y correspond, on obtiendra la grâce efficace. Si l'on n'y correspond pas et que l'on y résiste, cette grâce efficace nous sera à juste titre refusée. Les pécheurs qui prétendent ne pas avoir la force de résister aux tentations sont inexcusables. S'ils priaient, avec la grâce ordinaire donnée à tous, ils obtiendraient cette force et ils se sauveraient. Si l'on n'admet pas cette grâce ordinaire qui permet à chacun au moins de prier, sans avoir besoin d'une grâce spéciale non commune à tous, et d'obtenir par la prière le secours plus puissant pour observer la loi, je ne sais comment on peut comprendre de nombreux passages des Saintes Écritures : les âmes y sont exhortées, en effet, à se tourner vers Dieu, à
vaincre les tentations et à répondre aux appels de Dieu : « Révoltés, rentrez en vous-mêmes » (Is 46, 8). « Convertissez-vous et vivez » (Ez 18, 32).
«Convertissez-vous et faites pénitence » (Ez 18, 30). « Lève-toi, Jérusalem... détache les chaînes de ton cou » (Is 52, 2). « venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau » (Mt 11, 28). « Résistez-lui, fermes dans la foi » ( 1 P 5, 9). « Marchez tant que vous avez la lumière » (Jn 12, 35). Si tous n'avaient pas la grâce de prier et si l'on ne pouvait pas obtenir par la prière le secours plus puissant pour parvenir au salut, je ne sais pas comment l'on pourrait interpréter les textes ci-dessus. Je ne sais pas non plus comment les orateurs sacrés pourraient exhorter avec tant de force tous les hommes sans exception à se convertir, à résister aux ennemis, à marcher dans la voie des vertus, à prier pour cela avec confiance et persévérance, si vraiment la grâce de faire le bien ou du moins de prier n'était pas accordée à tous mais uniquement à ceux qui reçoivent la grâce efficace. Je ne sais pas comment on pourrait justifier le reproche qui est fait à tous les pécheurs qui résistent à la grâce et qui méprisent la voix de Dieu : « Toujours vous
résistez à l'Esprit Saint » (Ac 7, 51). « Puisque j'ai appelé et que vous avez refusé, puisque j'ai étendu la main sans que nul n'y prenne garde, puisque vous avez négligé tous mes conseils et que vous n'avez pas voulu de mon exhortation... » (Pr 1, 24). Si leur a fait défaut la grâce éloignée mais efficace de la prière, indispensable pour prier actuellement et effectivement d'après nos adversaires, je ne sais pas comment on pourrait leur faire tous ces reproches.
Je termine. Certains auraient peut-être désiré que j'examine de façon plus développée et détaillée un problème très controversé, celui de l'efficacité de
la grâce, d'après les différents systèmes des théologiens - celui de la prémotion physique, de la grâce congrue, de la grâce concomitante, de la
délectation relativement victorieuse par la supériorité des degrés. Mais comment aurait pu y suffire ce petit livre que j'ai voulu court et accessible ? Pour parcourir un si vaste océan, il m'aurait fallu plusieurs volumes. Et puis, d'autres s'y sont déjà beaucoup fatigués. Si j'ai voulu traiter le problème étudié dans cette deuxième partie, c'est pour rendre honneur à la Providence et à la bonté de Dieu, pour aider les pécheurs à ne pas sombrer dans le désespoir en se croyant privés de la grâce, pour leur ôter aussi toute excuse : qu'ils ne disent surtout pas ne pas pouvoir résister aux assauts des sens et de l'Enfer ! J'ai montré que, parmi ceux qui se damnent, aucun ne l'est par suite du péché originel d'Adam mais uniquement par sa propre faute. En effet, Dieu ne refuse à personne la grâce de la prière ; on obtient ainsi de Dieu le secours nécessaire pour vaincre tous les mauvais désirs et toutes les tentations. Mon but principal a été de persuader tout le monde d'utiliser ce
très puissant et nécessaire moyen de la prière, pour que chacun s'y applique avec plus de soin et de courage en vue du salut. Si tant de pauvres âmes
perdent la grâce de Dieu, continuent à vivre dans le péché et finalement se damnent, c'est qu'elles ne prient pas et ne demandent pas à Dieu de les aider. Le pire, je le redis, c'est que peu de prédicateurs et de confesseurs s'emploient sérieusement à suggérer à leurs auditeurs et pénitents l'usage de la prière ; et pourtant il est impossible, sans elle, d'observer les
commandements de Dieu et d'obtenir la persévérance dans la divine grâce.
Après avoir examiné l'absolue nécessité de la prière, que soulignent d'innombrables pages des Saintes Écritures, de l'Ancien et du Nouveau Testament, je me suis efforcé d'introduire dans les missions de la
Congrégation, depuis de nombreuses années, la coutume de prêcher toujours sur la prière. C'est pourquoi tous les écrivains dans leurs livres,
tous les orateurs sacrés dans leurs prédications, tous les confesseurs dans l'administration du sacrement de Pénitence, ne devraient rien inculquer davantage que de toujours prier ; ils devraient recommander, crier et répéter sans cesse : Priez, priez et ne cessez jamais de prier ! Si vous priez, votre salut est assuré ; mais, si vous cessez de prier, certaine aussi sera votre
damnation. Ainsi devraient faire tous les Prédicateurs et Directeurs, puisqu'aucune École catholique ne met en doute cette vérité : celui qui prie obtient des grâces et se sauve mais il y en a trop peu qui le font et c'est
pourquoi il y en a si peu qui font leur salut !
DIEU DONNE À TOUS LA GRÂCE DE PRIER, S'ILS LE VEULENT.
IL NE FAUT POUR PRIER QUE LA GRÂCE SUFFISANTE.
CELLE-CI EST DONNÉE A TOUS.
Dieu veut donc le salut de tous les hommes, et il donne effectivement à tous les grâces nécessaires pour faire leur salut. Nous en concluons que tous ont
la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'une nouvelle grâce ; ils peuvent obtenir ainsi, par la prière, tous les autres secours nécessaires pour observer les commandements et faire leur salut. Notez bien qu'en disant « sans avoir besoin d'une nouvelle grâce », nous ne voulons pas dire que la grâce commune donne la faculté de prier sans le secours de la grâce adjuvante. En effet, pour faire un acte quelconque de
piété, outre la grâce excitante, on a besoin aussi, sans nul doute, de la grâce adjuvante ou coopérante ; mais nous voulons dire que la grâce commune
donne à chacun de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans qu'une nouvelle grâce prévenante soit nécessaire pour déterminer physiquement ou moralement la volonté à mettre la prière en pratique.
Nous allons citer d'abord les nombreux et éminents théologiens qui tiennent pour certaine cette opinion et nous le prouverons ensuite par l'argument d'autorité et par des raisonnements. C'est l'avis d'Isambert, du Cardinal du Perron, d'Alphonse le Moyne, ainsi que d'autres que nous citerons. Honoré
Tournely en parle plus longuement et expressément. Tous ces auteurs prouvent que chacun, avec la seule grâce ordinaire suffisante, peut prier
actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'un autre secours, et obtenir par la prière toutes les autres grâces pour pratiquer les commandements plus difficiles.
Tel est le sentiment de son Éminence le Cardinal de Noris. Il démontre expressément que, lorsqu'on doit observer un commandement, la seule grâce ordinaire permet de prier, si on le veut, sans autre secours. Et il le prouve : « Il est évident que le Juste et le Fidèle doivent avoir le pouvoir prochain de prier. En effet, si le Fidèle n'a que le pouvoir éloigné de prier - je
parle de la simple prière et non de la prière fervente - il n'aura pas d'autre pouvoir prochain pour obtenir la prière ; sinon, ce serait sans fin ». Pour observer les commandements et faire son salut, il est nécessaire de prier, comme nous l'avons prouvé en parlant de la nécessité de la prière. Ce savant
auteur dit donc très judicieusement : chacun a le pouvoir prochain de prier et d'obtenir par la prière le pouvoir prochain de faire le bien ; tous peuvent
ainsi prier avec la seule grâce ordinaire, sans avoir besoin d'un autre secours. Si, pour avoir le pouvoir prochain de prier effectivement, il fallait un autre
pouvoir, il faudrait aussi une autre grâce pour obtenir le pouvoir ; le processus serait sans fin, et l'homme ne pourrait plus coopérer vraiment à son salut.
Ce même auteur confirme ailleurs plus clairement encore sa doctrine : « Même dans l'état de nature déchue, un secours « sine quo non »,
indispensable, nous est donné, (c'est la grâce suffisante commune à tous), contrairement à ce que soutient Jansénius. Ce secours nous permet de faire
des actes faibles c'est-à-dire des prières moins ferventes. Le secours « sine quo non » ou indispensable n'est qu'un secours éloigné qui permet
cependant d'obtenir le secours « quo » ou la grâce efficace qui donnera la possibilité d'observer concrètement les commandements ». Le Cardinal tient donc pour certain que, dans l'état actuel, chacun a le secours « sine quo » ou indispensable, c'est-à-dire la grâce ordinaire. Celle-ci, sans autre secours, produit la prière avec laquelle on demande ensuite la grâce efficace qui permet d'observer les commandements. C'est bien dans ce sens que l'on
explique l'axiome universellement admis dans les Ecoles : « Dieu ne refuse pas la grâce à celui qui fait tout ce qu'il peut ». A celui qui prie et qui fait un
bon usage de la grâce suffisante qui lui permet d'accomplir les choses faciles, comme de prier, Dieu ne refuse pas de donner ensuite la grâce efficace pour réaliser les choses difficiles.
Telle est aussi l'opinion de Louis Thomassin. Cet auteur commence par s'étonner de ce que certains considèrent comme suffisantes des grâces qui
ne suffisent pas, de fait, pour accomplir une bonne oeuvre ni pour éviter un péché quelconque : « En effet, dit-il, si ces secours sont de vrais secours et
donnent le pouvoir prochain, comment se fait-il que, sur une très grande quantité de gens ainsi aidés, personne n'observe le commandement ? Comment peut-on dire ces secours vraiment suffisants s'il faut en plus la grâce efficace ? Celui à qui manque le secours nécessaire, qui ne le possède pas, celui-là n' a pas le pouvoir suffisant ». Il veut dire que pour être appelée vraiment suffisante la grâce doit donner à l'homme le pouvoir prochain et disponible d'accomplir concrètement l'acte bon. Mais, quand pour réaliser cet acte bon il faut une autre grâce, à savoir la grâce efficace et que l'on n'a pas celle-ci (au moins médiate), nécessaire au salut, comment peut-on dire que la grâce suffisante lui donne ce pouvoir prochain et immédiat ?
« Dieu, dit saint Thomas, ne manque jamais de faire ce qui est nécessaire au salut ». Il est vrai que Dieu n'est pas tenu de donner ses grâces parce que les grâces ne sont pas des choses dues. Mais il nous impose des commandements. Il est donc tenu de nous donner le secours nécessaire pour les observer.
Comme le Seigneur nous oblige à observer effectivement tous les commandements au moment voulu, il doit aussi nous donner le secours actuel et concret, (au moins médiat et éloigné), qui nous permettra d'y être fidèles, sans qu'il faille une autre grâce non commune à tous. Et Thomassin conclut : Pour concilier que la grâce suffisante suffit à l'homme pour faire son salut et que, par ailleurs, la grâce efficace est nécessaire pour observer toute la loi, il faut dire que la grâce suffisante suffit pour prier et faire des actes faciles ; avec ceux-ci on obtient ensuite la grâce efficace qui permet de réaliser les actes difficiles. C'est ce qu'enseigne sans aucun doute saint Augustin : « Du fait même que nous croyons très fermement que Dieu ne prescrit pas des choses impossibles, nous sommes prévenus de ce que nous avons à faire dans les choses faciles et de ce que nous avons à demander dans les choses difficiles ». Après avoir cité ce texte, le Cardinal de Noris tire la même conclusion : « Nous pouvons donc faire les choses faciles ou moins parfaites, sans avoir à demander une grâce plus forte, qu'il nous faut
cependant demander pour les choses plus difficiles ». Le Père Thomassin invoque également I' autorité de saint Bonaventure, de Scot et d' autres théologiens : « Tous ont trouvé suffisants ces secours auxquels la volonté donne parfois son assentiment et parfois non! ». Il le démontre dans quatre parties de son ouvrage, en s'appuyant sur les théologiens des Écoles durant de très longues années à dater de 1100
Habert, évêque de Vabres et docteur de la Sorbonne, qui fut le premier à écrire contre Jansénius, dit ceci : « Nous pensons d'abord que la grâce suffisante n'atteint pas immédiatement son but avec son effet de consentement complet, si ce n'est d'une manière contingente et médiate... Nous pensons done que la grâce suffisante est une préparation à la grâce efficace : à partir du bon usage que l'on en fait, Dieu accorde à la volonté
créée la grâce concrète d'un effet complet ». Il a dit précédemment : « Tous les Docteurs catholiques ont professé et professent dans toutes les Écoles
qu'est donnée une grâce vraiment intrinsèque, qui puisse attirer le consentement de la volonté vers le bien et qui cependant ne l'attire pas à cause de la libre résistance de la volonté ».
Et il cite en faveur de cette opinion Gamache, Duval, Isambert, Pereira, Le Moyne et d'autres auteurs. Et il continue : « Les secours de la grâce suffisante sont des préparations à la grâce efficace et « efficaces secundum quid », c'est-à-dïre dont l'effet obtenu par le demandeur est incomplet, d' abord lointain, puis plus proche et enfin très proche, tels que les actes de foi, d'espérance, de crainte de Dieu et, entre tous, celui de la prière. D'où le fameux Alphonse Lemoine a enseigné que cette grâce suffisante est celle de demander ou de prier, dont a parlé tant de fois saint Augustin. Ainsi, selon Habert, la grâce efficace diffère de la grâce suffisante en ce sens que la première atteint son effet complet tandis que la seconde ne l'obtient que d'une manière contingente, parce qu'elle l'obtient parfois et d'autres fois non,
ou de manière médiate, au moyen de la prière. Il précise, en outre, que la grâce suffisante, selon le bon usage que l'on en fait, prépare à obtenir la
grâce efficace. Il appelle donc la grâce suffisante « ej~cace secundum quid » c'est-à-dire dont l'effet est commencé mais non complètement terminé. Il dit
enfin que la grâce sufiisante est la grâce de prier, dont il dépend de nous de profiter, selon saint Augustin. Ainsi on est inexcusable de ne pas faire ce
pour quoi on a déjà la grâce suffisante ; avec celle-ci, sans nul besoin d'un autre secours, on peut agir, ou tout au moins obtenir le secours plus fort
pour agir. Habert assure que cette doctrine était commune en Sorbonne.
Charles Duplessis d'Argentré, lui aussi docteur de la Sorbonne, cite plus de mille théologiens qui enseignent expressément qu'avec la grâce suffisante
on fait les oeuvres faciles et qu'en l'utilisant bien on obtient ensuite le secours plus abondant pour la conversion parfaite. C' est précisément dans ce sens, dit-il, comme nous l'avons indiqué plus haut, qu'il faut entendre le célèbre axiome accepté par les Ecoles : « A ceux qui font ce qu'ils peuvent -
toujours avec la grâce suffisante - Dieu ne refuse pas la grâce : sa grâce plus abondante et la grâce efficace ».
Le très savant Denis Petau prouve longuement que l'on peut fort bien agir avec la seule grâce suffisante. Il va jusqu'à affirmer qu'il serait monstrueux de soutenir le contraire et que cette doctrine n'est pas seulement celle des théologiens mais aussi celle de l'Église. La grâce d'observer les
commandements, dit-il ensuite, est le fruit de la prière et Dieu donne la grâce de la prière en même temps qu'il impose les commandements : « Ce
don par lequel Dieu nous aide à observer ses lois est l'effet de la prière ; et cet effet est donné comme compagnon à la loi ». La loi est imposée à tous ;
de même, le don de la prière est fait à tous.
Le théologien du Séminaire de Périgueux pense qu'avec la seule grâce suffisante « il est possible de bien agir et que quelquefois on agit bien ». Ainsi, ajoute-t-il, rien n'empêche que de deux personnes, favorisées d'une même grâce, l'une va faire, et l'autre pas, les actes plus faciles qui précèdent
la totale conversion ». Ceci concorde, affirme-t-il, avec la doctrine de saint Augustin ainsi qu'avec celle de saint Thomas et de ses premiers disciples
spécialement du Père Barthélemy Medina : « Quelquefois, soutient celui-ci, on se convertit avec la seule grâce suffisante ». J'ai trouvé que le Père Louis de Grenade affirme aussi que c'est la doctrine commune des théologiens : « Les théologiens disent qu'il y a deux sortes de secours l'un suffisant et
l'autre surabondant ; avec le secours suffisant parfois on se convertit, parfois on refuse la conversion ». Il ajoute : « Les théologiens précisent que ce premier secours est très largement à notre disposition ». Le Théologien de Périgueux afiirme : « On peut ainsi, et on le fait quelquefois, avec la seule
grâce suffisante, accomplir certains actes de piété, tel que prier Dieu humblement ; on se prépare ainsi à recevoir d'autres grâces ». Tel est l'ordre, dit-il, suivi par la divine Providence : « D'autres grâces succèdent au bon usage des premières ». Et il conclut : La conversion totale et la persévérance
finale « sont méritées infailliblement par la prière, pour laquelle suffit pleinement la grâce suffisante qui ne fait défaut à personne ». Le Cardinal de Aguirre, parfait disciple de saint Augustin, pense de même. Le Père Antoine Boucat, de l'Ordre de saint François de Paule, soutient que chacun peut par la prière, sans avoir besoin d'un autre secours, obtenir la grâce de la
conversion. Outre Gamache, Duval, Habert, Le Moyne, il cite comme partisans de cette doctrine Pierre de Tarentaise, évêque de Toul, Godefroid
de Fontaines, Henri de Gand, docteurs de la Sorbonne, ainsi que Ligny, professeur royal : celui-ci démontre, dans son traité « De la grâce », que la
grâce suffisante non seulement donne la possibilité de prier, comme l'a dit ailleurs le célèbre professeur de théologie, Le Moyne, mais de faire également certaines oeuvres moins difficiles. Gaudenzio Buontempi enseigne également et prouve qu'avec la grâce suffisante on obtient la grâce efficace par la prière : celle-ci est donnée à tous ceux qui veulent l'utiliser. Le
Cardinal Robert Pulleyn établit qu'il y a deux grâces, l'une toujours victorieuse et l'autre à laquelle tantôt l'on coopère et tantôt l'on résiste : « Lorsque l'on reçoit cette grâce, on choisit d'y répondre ou bien de la
dédaigner et de continuer de pécher ». Le savant Père Fortunat de Brescia est du même avis : il soutient que nous avons tous la grâce médiate de la prière pour observer les commandements, et il tient pour certain que saint Augustin pensait la même chose.
Richard de Saint-Victor enseigne également qu'il existe une grâce suffisante à laquelle quelquefois l'on consent et d'autres fois l'on résiste. Dominique Soto demande pourquoi, de deux personnes que Dieu est tout prêt et aspire à convertir, l'une est attirée par la grâce et l'autre non ? « Pas d'autres raisons que celle-ci : l'une donne son consentement et coopère, l'autre ne coopère pas ".
Matthias Felisius, qui a écrit contre Calvin, définit ainsi la grâce ordinaire ou suffisante : « C'est une impulsion de Dieu ou une inspiration par laquelle on est poussé vers le bien et qui n'est refusée à personne. On se comporte différemment par rapport à cette inspiration: les uns y donnent leur consentement et sont ainsi disposés comme il faut « de congruo » à recevoir
la grâce habituelle, parce que l'on croit que Dieu ne manquera pas à ceux qui font ce qu'ils peuvent ; les autres refusent ». André Vega dit pareillement: « Ces secours donnés à tous sont dits inefiicaces par la plupart parce qu'ils n'obtiennent pas toujours leur effet mais sont négligés quelquefois par les pécheurs». Ainsi donc, les grâces suffisantes obtiennent quelquefois leur effet, et d'autres fois non.
Dans un passage de sa théologie, le Cardinal Gotti semble bien ne pas penser autrement que nous. Il se pose la question de savoir comment on peut persévérer si on le veut, alors qu' il n' est pas en notre pouvoir d'avoir le secours spécial nécessaire pour persévérer. Il répond : Bien que ce secours spécial ne soit pas en notre pouvoir, « il nous est possible de le demander et de l'obtenir de Dieu par la prière. On peut donc dire qu' il est en notre pouvoir d'obtenir le secours nécessaire pour persévérer, en le demandant par la prière ». Pour pouvoir dire qu'il nous est possible de persévérer, il est nécessaire de pouvoir obtenir par la prière de persévérer effectivement, sans
avoir besoin d'une autre grâce. Il est donc nécessaire également qu'avec la seule grâce suffisante commune à tous on puisse prier actuellement et effectivement sans avoir besoin d'une autre grâce spéciale, et obtenir ensuite par la prière la persévérance. Sinon, on ne peut pas dire que chacun a la grâce nécessaire pour persévérer, tout au moins la grâce éloignée ou médiate
par le moyen de la prière. Si toutefois le Cardinal Gotti ne l'entend pas ainsi, il est certain que c'est bien l'opinion de saint François de Sales. Celui-ci déclare que la grâce de prier actuellement et effectivement est donnée à tous ceux qui veulent l'utiliser, et il en conclut que tous ont le pouvoir de persévérer. Le saint l'affirme clairement dans son Traité de l'Amour de Dieu.
Après avoir démontré la nécessité de prier sans cesse pour obtenir de Dieu le don de la persévérance finale, il ajoute : « Parce que la grâce de la prière est promise généreusement à tous ceux qui veulent suivre les inspirations célestes, il est donc en notre pouvoir de persévérer ». Le Cardinal Bellarmin enseigne de même : « Le secours suffisant pour parvenir au salut est donné à tous, en temps et lieu, médiatement ou immédiatement... Nous disons médiatement ou imfnédiatement, parce que nous croyons que tous ceux qui ont l'usage de la raison reçoivent de Dieu de saintes inspirations ; ils ont ainsi immédiatement la grâce excitante avec laquelle, s'ils veulent la suivre,
ils peuvent se disposer à la justification et parvenir un jour au salut ».
Examinons maintenant les preuves de cette opinion. Elle se prouve tout d'abord par l'autorité de l'Apôtre Paul. Celui-ci nous assure que Dieu est fidèle et ne permettra jamais que nous soyons tentés au-delà de nos forces. Il nous donne toujours le secours, immédiat ou médiat par le moyen de la prière, pour résister aux attaques des ennemis : « Dieu qui est fidèle ne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces mais avec la tentation il ménagera aussi le moyen d'en tirer avantage, en vous donnant le
pouvoir de la supporter» (1 Co 10, 13).
Jansénius prétend que ce texte doit s'entendre des seuls prédestinés, mais son interprétation n'est nullement fondée. En effet, saint Paul écrit à tous les
fidèles de Corinthe qu'il ne supposait certainement pas tous prédestinés. C'est donc à juste titre que saint Thomas l'applique généralement à tous les hommes : « Dieu, dit-il, ne serait pas considéré comme fidèle s'il nous refusait, pour autant qu'il dépend de lui, ce par quoi nous puissions parvenir à lui ». Cette opinion s'appuie aussi sur tous ces passages de la Sainte
Ecriture où le Seigneur nous exhorte à nous convertir et à recourir à lui pour lui demander les grâces nécessaires au salut, en nous promettant de nous
exaucer : « La sagesse crie dans les rues : Jusques à quand, gamins, aimerez-vous la puérilité ? Jusques à quand les sots désireront-ils ce qui leur est nuisible ? etc. Retournez-vous pour recevoir ma réprimande. Voici que je répandrai sur vous mon esprit. J'ai appelé et vous avez refusé... Moi aussi je rirai de votre malheur et me moquerai de vous » (Pr l, 20-26). Cette
exhortation « retournez-vous, convertissez-vous » serait proprement dérisoire, dit Bellarmin, si Dieu n'accordait pas aux pécheurs le secours au moins médiat de la prière pour qu'ils puissent se convertir. Dans le texte ci-dessus, il est également parlé de la grâce intérieure, « Je répandrai sur vous mon esprit », par laquelle Dieu appelle les pécheurs et leur donne le
secours concret pour se convertir, s'ils le veulent :
« Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous la fardeau et moi je vous soulagerai » (Mt 11, 28).
« Allons ! Discutons ! dit Yahvé. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, comme neige ils blanchiront » (Is 1, 18). « Demandez et l'on vous donnera » (Mt 7, 7). Et le Seigneur nous le répète en mille autres endroits déjà cités. Or, si Dieu ne donnait pas à chacun la grâce de recourir effectivement à lui et de le prier concrètement, combien vaines seraient toutes ces invitations et exhortations : « venez tous et je vous donnerai satisfaction. Cherchez et on vous donnera ».
Ce qui le prouve en second lieu et clairement, c'est le texte du Concile de Trente. Je prie le lecteur de lire attentivement cette preuve : si je ne me trompe, elle semble évidente. Les Novateurs prétendaient : Par suite du péché d'Adam, l'homme a été privé du libre arbitre ; à présent, la volonté de l'homme ne fait plus rien dans les actes bons, mais elle est poussée à les
recevoir passivement de Dieu, sans les produire directement elle-même. Ils en concluaient : L'observation des commandements est impossible à ceux qui ne sont pas poussés et prédéterminés efficacement par la grâce à éviter le mal et à faire le bien. Le Concile prononça contre cette erreur l'opinion
exprimée par un texte de saint Augustin : « Dieu ne commande pas des choses impossibles mais, lorsqu'il commande, il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas, et il t'aide à pouvoir».
Afin de prouver contre les hérétiques que les commandements de Dieu ne sont impossibles à personne, le Concile a déclaré : Tous les hommes ont la
grâce nécessaire pour faire le bien ou tout au moins la grâce de la prière par laquelle ils obtiennent à cet effet des secours plus puissants. Cela veut dire qu'avec la grâce commune à tous, chacun peut faire les choses faciles, telles que prier, sans avoir besoin d'une grâce extraordinaire, et obtenir par la prière la force de faire des choses difficiles, conformément à la doctrine de
saint Augustin déjà citée : « Étant donné que nous croyons très fermement que Dieu, juste et bon, n'a pas pu prescrire des choses impossibles, nous
sommes prévenus de ce que nous avons à faire pour les choses faciles et de ce que nous avons à demander pour les choses difficiles ». Ainsi, d'après le Concile, les commandements de Dieu sont possibles à tous, tout au moins par la prière qui nous permet d'obtenir ensuite le secours plus grand pour les observer. Puisque Dieu a imposé ses commandements à tous et qu'il a rendu possible à tous leur observation, tout au moins médiatement par la prière, il faut nécessairement en conclure que tous ont la grâce de prier ; sinon, ceux qui n'auraient pas cette grâce ne pourraient pas observer les commandements. De même que le Seigneur donne par la prière la grâce
actuelle de faire le bien et rend ainsi possible l'observation de tous ses commandements, de même il donne aussi à tous la grâce actuelle de prier ; sinon, ceux qui n'auraient pas la grâce actuelle de prier ne pourraient pas les pratiquer puisqu'ils ne pourraient demander par la prière le secours nécessaire pour cela.
On ne peut donc pas dire que ces mots « Dieu t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas » doivent s'entendre du seul
pouvoir de prier et non de la prière actuelle effective. En effet, répondons-nous, si la grâce commune et ordinaire ne donnait que le seul pouvoir de prier et non de la prière actuelle effective, le Concile n'aurait pas
dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ». Il aurait dit : « Il t'avertit que tu as le pouvoir de faire et le pouvoir de demander ». Si le Concile avait voulu dire « Chacun peut observer les commandements ou prier pour demander la grâce nécessaire pour cela » et s'il n'avait pas voulu parler de la grâce actuelle effective, il n'aurait pas dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux », parce que ce mot « il t'engage » se rapporte proprement à un acte actuel,
concret, effectif, et il implique non pas l'éclairage de l'esprit mais l'impulsion donnée à la volonté pour qu'elle fasse le bien actuellement et concrètement
possible. Le Concile, ayant dit : « Il t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce tu ne peux pas », a voulu signifier très clairement non seulement le pouvoir d'agir et le pouvoir de prier, mais également l'agir actuel, concret, effectif, et la prière actuelle, concrète, effective. Si, au contraire, pour agir et pour prier effectivement, l'on avait besoin d'une grâce
extraordinaire que l'on n'a pas, pourquoi le Seigneur nous engagerait-il à agir et à demander ce que l'on ne peut pas faire effectivement ni demander sans la grâce efficace ? Le Père Fortunat de Brescia fait sur ce point une sage réflexion : « Si la grâce actuelle de la prière n'avait pas été donnée à tous mais s'il fallait, pour prier, la grâce efficace, non commune à tous, la prière
serait impossible à beaucoup parce que tous n'ont pas cette grâce efficace ». On aurait donc tort de dire : « Dieu t'engage à demander ce que tu ne peux pas », parce qu'il engagerait à faire une chose pour laquelle on n'a pas le secours actuel indispensable. Cette exhortation de Dieu à agïr et à prier doit donc s'entendre de l'action et de la prière effectives, sans que l'on ait besoin d'une grâce extraordinaire. C'est bien ce que saint Augustin veut nous donner à entendre : « Nous sommes prévenus de ce que nous avons à faire pour les choses faciles et de ce que nous avons à demander pour les choses difficiles ». Il soutient que si tous n'ont pas la grâce de faire les choses difficiles, tous ont au moins la grâce de prier; la prière est une chose facile à tous, ainsi qu'il l'affirme dans le texte que le Concile lui a emprunté : « Dieu
t'engage à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas ». Serrons un peu l'argument. Le Concile dit : Dieu n'impose pas des commandements impossibles parce qu'il donne le secours pour les
observer, ou bien il donne la grâce de prier en vue d'obtenir ce secours : il l'accorde dès qu'on l'en prie ! S' il était vrai que Dieu ne donne pas à tous la
grâce au moins médiate de la prière pour observer effectivement tous ses commandements, Jansénius aurait raison de dire : même le juste n'a pas la grâce pour observer concrètement certains commandements.
Si la grâce suffisante ne donnait pas à tous de pouvoir actuellement et effectivement prier et que faisait défaut la grâce efficace nécessaire, au dire des adversaires, pour réaliser toute bonne oeuvre, je ne sais comment on pourrait comprendre et expliquer le texte ci-dessus du Concile de Trente. Si l'on admet la nécessité, selon eux, de cette nouvelle grâce pour prier
effectivement, je ne sais pas comment interpréter cet autre texte du même Concile : « Une fois qu' ils ont été justifiés par sa grâce, Dieu ne les abandonne pas, à moins qu'il ne soit auparavant abandonné par eux ». Si pour prier effectivement la grâce suffisante ne suffisait pas, et qu'il y fallait aussi la grâce efficace qui n'est pas commune à tous je me demande ce qui
arriverait. Quand le juste serait tenté de commettre le premier péché mortel, si Dieu ne lui donnait pas la grâce efficace, au moins de prier pour obtenir la
grâce de résister, et si de fait il ne résistait pas à la tentation, ne devrait-on pas dire que Dieu abandonne le juste avant d'être abandonné par lui, puisque la grâce efficace nécessaire pour résister lui fait défaut ?
Les adversaires objectent un passage de saint Augustin : le saint semble déclarer que la grâce de la prière n'est pas donnée à tout le monde : « Est-ce
que parfois notre prière elle-même n'est pas à ce point tiède, ou froide plus exactement et quasi nulle, et, de temps à autre, si totalement réduite à rien, que nous ne nous en apercevons pas avec chagrin ? Car si nous en souffrions, ce serait déjà faire oraison ». Le Cardinal Sfondrati y fait une judicieuse réponse : « Autre chose que les pécheurs ne prient pas et autre
chose qu' ils n'aient pas la grâce de prier ! ». Saint Augustin ne dit pas que la grâce de prier comme il faut manque à certains ; il dit seulement que parfois notre prière est si froide qu'elle est presque nulle. Ce n'est pas que Dieu ne nous aide pas à prier mieux mais c'est par notre faute que notre prière est nulle. C'est aussi ce que répond Tournely à propos de la première
Proposition condamnée de Jansénius : « Les justes ne prient pas toujours comme il faut. C'est par leur faute qu'ils ne prient pas bien, alors qu'ils ont par la grâce les forces suffisantes pour prier. Saint Augustin dit que notre prière est parfois froide et presque nulle, mais il ne dit pas que nous fait défaut une grâce qui rendrait notre prière plus fervente. Sur ce passage de
saint Augustin le cardinal de Noris écrit : « Par la prière tiède on obtient tout au moins la prière plus fervente et, par celle-ci, la grâce efficace pour observer les commandements. » Je conclus que nous faisons cette prière tiède elle-même avec le secours « sirte quo non o, c'est-à-dire indispensable, et avec le concours ordinaire de Dieu, puisqu'il s'agit d'actes faibles et
imparfaits. Nous obtenons cependant par la prière tiède l'impulsion pour une prière plus fervente, qui nous est donnée par le secours « quo ». Et il
confirme par l'autorité du saïnt Docteur qui écrit à propos du Psaume 17 (16) : « C'est avec une intention libre, ardente et forte, que j'ai adressé mes
prières. Pour que je puisse le faire, tu m'as écouté alors que je te priais plutôt faiblement ». Que l'on n'objecte pas non plus ce que dit ce même saint
Augustin à propos des paroles de saint Paul :
« L'Esprit intercède en notre faveur par ses gémissements ineffables » : c'est l'Esprit Saint « qui nous fait supplier et qui nous inspire l'amour de la supplication ». Ce que le saint veut dire ici contre les Pélagiens c'est que personne ne peut prier sans la grâce. Et il l'explique ainsi dans son commentaire sur le Psaume 52 : « Ce que tu fais avec le concours de Dieu, nous disons que c'est lui qui le fait parce que sans lui tu ne le ferais pas ».
En troisième lieu, nous prouvons notre opinion par ce que disent les Pères sur la question. Saint Basile : « Lorsque Dieu permet que l'homme soit assailli par la tentation, c'est pour qu'il puisse demander par la prière la grâce de Dieu pour y résister ». Le saint affirme donc : Quand Dieu permet que l'homme soit tenté, il l'aide à résister en lui faisant demander que se fasse la volonté de Dieu c'est-à-dire la grâce nécessaire pour remporter la victoire. Le saint suppose donc que, lorsque l'homme n'a pas la force suffisante pour vaincre la tentation, il a au moins la grâce actuelle et commune de la prière pour obtenir la grâce plus puissante dont il a besoin. Saint Jean Chrysostome emploie un langage imagé : « Il a donné une loi qui met a nu les blessures pour nous faire désirer le médecin ». Et dans un autre endroit : « Personne ne pourra trouver d'excuse car c'est en cessant de prier qu'il a renoncé à vouloir vaincre l'ennemi ». Si quelqu'un n'avait pas la grâce nécessaire pour prier actuellement et effectivement et obtenir ainsi la force
de résister, on pourrait l'excuser d'avoir été vaincu. Saint Bernard dit pareillement : « Mais qui sommes-nous et quelle est donc notre vaillance,
pour ce que Dieu cherchait, c'est que, constatant notre déficience et sachant qu'il n'est pour nous point d'autre recours, nous nous précipitions en toute
humilité vers sa miséricorde ». Le Seigneur nous a donc imposé une loi au-dessus de nos moyens pour qu'en recourant à lui et en le priant, nous obtenions la force de l'observer. Mais si la grâce de prier actuellement et effectivement était refusée à quelqu'un, l'observation de la loi lui deviendrait
absolument impossible. « Beaucoup, dit ce même saint Bernard, se plaignent que la grâce leur fait défaut mais à combien plus forte raison la grâce ne pourrait-elle pas se plaindre que beaucoup lui sont infidèles ! ». Le
Seigneur a bien plus raison de se plaindre de nous parce que nous manquons à la grâce, par laquelle il nous assiste, que nous de nous plaindre que la grâce nous manque.
Mais aucun Père ne le dit plus clairement que saint Augustin en de nombreux textes : « Les Pélagiens pensent savoir quelque chose d'important quand ils disent : Dieu ne nous commanderait pas ce qu'il saurait nous être impossible. Qui ne le sait ? Mais il nous commande pourtant des choses impossibles pour que nous sachions ce que nous avons à lui demander... : « Ce n'est pas d'ignorer malgré toi que l'on te fait grief, mais de négliger de chercher ce que tu ignores ; ce n'est pas non plus de ne point panser tes
membres blessés, mais de mépriser celui qui veut les guérir : tes propres péchés à toi, les voilà. Car il n' y a pas d' homme si dépourvu qui ne sache l'utilité de chercher ce qu'il n'y a aucune utilité à ignorer ». Ainsi donc, la grâce de prier n'est refusée à personne et on peut obtenir par la prière la grâce de se convertir. Si cette grâce manquait à quelqu'un, on ne pourrait
pas lui imputer le péché de ne pas se convertir. Saint Augustin dit ailleurs : « Que voyons-nous donc ici, sinon que celui qui nous ordonne de faire ceci ou cela nous accorde de demander, de chercher, de frapper »? Ailleurs : « Saisis-le bien une fois pour toutes et comprends-le : tu n'es pas encore tiré ? Prie pour être tiré ». Ailleurs : « Donc, son ignorance de ce qu'elle doit faire provient de la perfection qu'elle n'a pas encore obtenue ; mais elle l'obtiendra aussi si elle use bien de ce qui lui a déjà été donné. Or il lui a été
donné de chercher avec zèle et piété, si elle le veut ».
Notez bien ces derniers mots. Chacun a donc la grâce nécessaire pour prier : s'il l'utilise bien, il recevra la grâce de faire ce que tout d' abord il ne pouvait pas faire immédiatement. Ailleurs : « Que l'homme qui veut et qui ne peut pas reconnaisse donc qu'il ne veut pas encore pleinement et qu'il prie afin d'avoir une volonté assez grande pour accomplir les commandements. Car
c'est ainsi qu'il est aidé pour faire ce qui lui est ordonné ». Ailleurs : « Par ce précepte, le libre arbitre (a été engagé) à demander le don de Dieu. Cet
avertissement, d'ailleurs, resterait sans fruit si le libre arbitre ne recevait d' abord un certain amour, afin qu'il en demande lui-même davantage pour accomplir ce qui est ordonné ». Notez ces mots « un certain amour » : c'est la grâce suffisante par laquelle l'homme peut ensuite par la prière obtenir la grâce actuelle et effective d'observer le commandement : « grâce qui le
pousse à demander une aide supplémentaire qui lui permette de réaliser ce qui lui a été commandé ». Il dit ailleurs : « Il ordonne donc, de telle sorte qu'après nous être efforcés de faire ce qui est juste, et aux prises avec notre faiblesse, nous sachions demander le secours de la grâce ». Le saint suppose ainsi qu'avec la grâce ordinaire nous ne pouvons pas faire les choses
difficiles mais que nous pouvons, par la prière, obtenir ce qu'il faut pour les faire. Et il continue : « La loi est venue pour que se multiplie la faute lorsque les hommes n'implorent pas le secours de la grâce ; mais, lorsqu'à la suite d'un appel divin ils comprennent près de qui il faut gémir et qu'ils l'invoquent, que se passera-t-il ? Où le péché s'est multiplié, la grâce a
surabondé » (Rm 5,20). On voit exprimés ici, comme dit Petau, le manque de la grâce abondante et par ailleurs l'assistance de la grâce ordinaire et commune, qui nous fait prier, et que le saint nomme ici « appel divin » ou « vocation divine ».
Il dit ailleurs : « Ce qui reste, en effet, au libre arbitre en cette vie mortelle, ce n'est pas que l'homme puisse à sa volonté accomplir la justice, mais qu'avec une piété suppliante, il ait à se tourner vers Celui par le don duquel il puisse accomplir la justice ». D'après saint Augustin, l'homme est incapable d'observer toute la loi, et il ne lui reste que la prière pour obtenir le secours nécessaire. Il suppose certainement que le Seigneur donne à chacun la grâce de prier actuellement et effectivement, sans avoir besoin d'un autre secours extraordinaire et non commun à tous ; si ce secours spécial faisait défaut, « le libre arbitre n'aurait aucune possibilitê » d'observer concrètement tous les commandements de Dieu, tout au moins les plus difficiles. Le saint ne veut certainement pas dire que la grâce suffisante ne donne que le pouvoir et non
l'action concrète de prier. En effet, il est certain que le pouvoir est donné par la grâce suffisante pour toutes les oeuvres difiiciles. Le saint Docteur veut certainement dire, comme il l'enseigne ailleurs, que chacun peut avec la grâce suffisante accomplir concrètement les choses faciles comme le fait de
prier, et les choses difficiles avec le secours que l'on obtient par la prière.
Deux textes surtout de saint Augustin concernent notre cas. Voici le premier : « Il est certain que nous observons les commandements si nous le voulons, mais puisque la volonté est préparée par le Seigneur, il nous faut prier pour, à la fois, vouloir les observer et les observer en réalité ». Il est certain, dit le saint, que nous observons les commandements si nous le
voulons. Pour vouloir les observer et pour les observer effectivement, nous devons prier. Tous reçoivent donc la grâce de prier et peuvent obtenir par la prière la grâce abondante nécessaire pour cela. Si, pour prier actuellement et effectivement, on avait besoin de la grâce efficace qui n'est pas commune à tous, tous ceux n'ont pas reçu cette grâce ne pourraient ni observer ni avoir la volonté d'observer les commandements.
Le second texte est celui où le saint Docteur répond aux moines d'Adrumète. Ceux-ci disaient : Si la grâce est nécessaire et que sans elle je ne peux rien faire, pourquoi me reprocher de ne pouvoir agir alors que je
n'ai pas la grâce voulue pour le faire ? Priez plutôt le Seigneur de me donner cette grâce : « Prie plutôt pour moi ! ». Le saint leur répond : Vous méritez d'être blâmés, non pas parce que, n'en ayant pas la force, vous n'agissez pas, mais parce que vous ne priez pas pour obtenir cette force : « La prière, il la veut pour lui, celui qui ne veut pas qu'on le reprenne : Prie plutôt pour moi, dit-il, mais il faut le reprendre afin qu'il prie aussi lui-même pour lui-même ». Or, si le saint n' avait pas cru que tous ont la grâce de pouvoir prier, sans
avoir besoin d'un autre secours, il n'aurait pas pu dire que son interlocuteur méritait d'être blâmé de ne pas prier. En effet, celui-ci aurait pu lui répliquer : L'on ne peut pas me blâmer de ne pas agir parce que je n'ai pas la grâce spéciale pour agir. De même, l'on ne peut pas me blâmer de ne pas prier parce que je n'ai pas la grâce spéciale de prier effectivement. Il dit de même
ailleurs : « Qu'ils ne s'abusent pas eux-mêmes ceux qui disent : pourquoi nous est-il prescrit d'éviter le mal et de faire le bien, si c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et l'agir ? » Le saint répond : lorsque nous faisons le bien, nous devons en rendre grâce à Dieu, qui nous donne la force de le faire. Quand ensuite nous ne le faisons pas, nous devons prier pour recevoir la force qui nous manque : « Quand ils ne font pas le bien, dit-il, qu'ils prient pour recevoir la force qu'ils n'ont pas encore ! ». S'ils n'avaient pas même la grâce de prier actuellement et effectivement, ils pourraient répondre : « A quoi bon nous est-il prescrit de prier, si c'est Dieu qui produit en nous la
prière ? » Comment pouvons-nous prier si nous ne recevons pas le secours nécessaire pour le faire actuellement et effectivement ? Saint Thomas ne
parle pas expressément de la prière mais il considère comme certaine l'opinion que nous défendons : « C'est le rôle de la divine Providence de pourvoir chacun de ce qui est nécessaire au salut, pourvu qu'il n'y mette pas obstacle ! ». Dieu donne donc à tous les grâces nécessaires au salut. Par ailleurs, pour prier il est nécessaire d'avoir la grâce de pouvoir prier
actuellement et effectivement. Par la prière nous obtenons ensuite le secours plus puissant pour faire ce que nous pouvons pas avec le seul secours
ordinaire. Nous devons donc conclure nécessairement que Dieu donne à tous la grâce suffisante de prier effectivement, si nous le voulons, sans avoir besoin de la grâce efficace. Ajoutons ici la réponse de Bellarmin à certains hérétiques. Des paroles du Sauveur « Personne ne peut venir à moi s'il n'est pas attiré par mon Père », ils concluaient : Ne peuvent aller à Dieu que ceux qui sont précisément attirés par lui. « Nous répondons, écrit Robert Bellarmin : on ne peut en déduire qu'une chose, à savoir qu'ils n'ont pas la
grâce efficace pour croire effectivement ; on ne peut pas en déduire que tous n'ont pas la grâce pour pouvoir croire ou pour demander la grâce nécessaire».
Venons-en enfin aux arguments de cette opinion. Le savant Père Petau, d'accord avec Duval et d'autres théologiens, demande : Pourquoi Dieu nous
impose-t-il des choses que nous ne pouvons pas observer avec la grâce commune ordinaire ? Parce que, répond-il, il veut que nous recourions à lui par la prière, ainsi que le disent communément les Saints Pères, comme nous venons de le voir. Il en conclut : nous devons tenir pour certain que chacun a la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement et d'obtenir par la prière le secours plus puissant pour faire ce qui nous est impossible avec la grâce commune ; sinon Dieu nous aurait imposé une loi impossible. Cette raison est très forte. On peut en ajouter une autre : Si Dieu commande à tous l'observation effective des commandements, on doit nécessairement supposer qu'il leur donne aussi communément à tous la grâce nécessaire, au moins médiatement par la prière. Pour que la loi soit raisonnable et que soit mérité le reproche adressé à ceux qui ne l'observent pas, il faut que chacun
ait la grâce sufiisante, au moins médiate par la prière, pour obéir effectivement sans avoir besoin d'un autre secours non commun à tous. Si cette grâce médiate ou éloignée de pouvoir actuellement et effectivement
prier faisait défaut, on ne pourrait pas dire que Dieu donne à chacun la grâce suffisante pour pouvoir observer concrètement la loi.
Thomassin et Tournely accumulent et alignent beaucoup d'autres arguments en faveur de cette opinion. Je les laisse tous de côté pour m'arrêter
uniquement à un argument qui me semble évident. Il s'appuie sur le précepte de l'espérance qui nous oblige tous à attendre de Dieu avec certitude la vie éternelle. Si nous n'étions pas certains que Dieu donne à tous
la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement sans avoir besoin d'une autre grâce particulière et non commune à tous, personne ne pourrait, sans une révélation spéciale, espérer le salut comme il se doit. Qu'il me soit permis d'exposer sur quoi s'appuie cet argument !
La vertu d'espérance est si chère à Dieu qu'il met toutes ses complaisances, a-t-il déclaré, en ceux qui se confient en lui : « Yahvé met son plaisir en
ceux qui ont confiance en sa miséricorde » (Ps 147 (146), 11). Et il promet la victoire sur les ennemis, la persévérance dans sa grâce et la gloire éternelle, à
celui qui espère et parce qu'il espère : « Parce qu'il a espéré en moi je le délivrerai, je le protégerai... je le délivrerai et le glorijzerai » (Ps 91 (90), 1416). « Il les sauvera parce qu'ils ont mis en lui leur confiance » (Ps 37 (36), 40). « Garde-moi, mon Dieu, parce que j'ai espéré en toi » (Ps 16 (15), 1). « Nul n'a espéré dans le Seigneur et a été confondu » (Si 2, 10). Nous sommes certains que le ciel et la terre passeront mais les paroles et les promesses de Dieu ne passeront pas: « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne
passeront pas » (Mt 24, 35). Saint Bernard affirme donc que tout notre mérite consiste à mettre en Dieu toute notre confiance : « En ceci, en effet, consiste tout le mérite de l'homme : placer toute son espérance en celui qui sauve l'homme tout entier ». La raison en est que celui qui espère en Dieu l'honore : «Invoque-moi au jour de la détresse, je te délivrerai et tu me glorifieras » (Ps 50 (49), 15). Il glorifie la Puissance, la Miséricorde et la Fidélité de Dieu, en
croyant que Dieu peut et veut le sauver, et qu'il ne peut manquer aux promesses de sauver ceux qui mettent leur confiance en lui. Et le Prophète nous assure que, plus notre confiance sera grande, plus la divine miséricorde se répandra sur nous : « Yahvé, que ta miséricorde soit sur nous, comme nous espérons en toi » (Ps 33 (32), 22).
Or, cette vertu d'espérance plaît tellement au Seigneur qu'il a voulu nous l'imposer par un précepte grave, comme l'enseignent communément les théologiens, et comme le montrent plusieurs textes de la Sainte Ecriture : « Espérez en lui, toute l'assemblée du peuple » (Ps 62 (61 ), 9). « Vous qui craignez le Seigneur, espérez en lui » (Si 2, 9). « Espère en ton Dieu toujours ! » (Os 12, 7). « Tournez votre espérance vers cette grâce qui vous est offerte » ( 1 P 1, 13). Cette espérance de la vie éternelle doit être en nous ferme et assurée, comme la définit saint Thomas : « L'espérance est l'attente certaine de la Béatitude future ». Le saint Concile de Trente l'a aussi déclaré
expressément : « Tous doivent mettre leur très ferme espérance dans le secours de Dieu. En effet, à moins qu'ils ne manquent eux-mêmes à sa grâce, Dieu complétera ses bonnes oeuvres comme il l'a commencé, réalisant le vouloir et l'achèvement ». Saint Paul l'a déclaré auparavant de lui-même : « Je sais en qui j'ai mis ma confiance et j'ai la conviction qu'il a le
pouvoir de garder mon dépôt » (2 Tm 1, 12). L'espérance chrétienne diffère en cela de l'espérance humaine. Pour être une espérance, il suffit que celle-ci
soit une attente incertaine. Il ne peut pas en être autrement, car on peut toujours craindre que l'homme qui a promis n'ait plus la volonté de donner. Mais l'espérance chrétienne du salut éternel est certaine de la part de Dieu car il veut et peut nous sauver, et il a promis le salut à qui observe sa loi. Il a promis également à qui les lui demande les grâces nécessaires à l'observation de cette loi.
Il est vrai que l'espérance s'accompagne aussi de la crainte, comme dit le Docteur Angélique, mais nous n'avons pas à craindre de la part de Dieu. La crainte ne peut venir que de nous. Nous pouvons, en effet, manquer en ne correspondant pas comme nous devrions et mettre obstacle à la grâce par nos fautes. C'est donc très justement que le Concile de Trente a condamné les Novateurs qui privent totalement l'homme du libre arbitre et veulent que tous les fidèles aient une certitude infaillible de leur persévérance et de leur salut. C'est une erreur déjà condamnée par le Concile de Trente. En effet, comme nous l'avons dit, il est nécessaire que nous correspondions à la grâce
pour parvenir au salut, et notre correspondance est incertaine et faillible. Le Seigneur veut donc que nous nous défüons toujours de nous-mêmes, pour ne pas tomber dans la présomption en nous fiant à nos propres forces. Mais il veut qu'en revanche nous soyons bien certains de sa volonté miséricordieuse et du secours qu'il nous donne pour faire notre salut,
chaque fois que nous le lui demandons, et que nous ayons ainsi une confiance totale en sa bonté. Nous devons, dit saint Thomas, attendre de Dieu avec certitude la Béatitude éternelle, en faisant confiance à sa puissance et à sa miséricorde, en croyant qu'il veut et peut nous sauver : « Or de la toute-puissance de Dieu et de sa miséricorde, est certain quiconque a la foi ».
Puisque l'espérance de notre salut doit être certaine de la part de Dieu, - attente certaine de la Béatitude, selon saint Thomas -, le motif d'espérer doit être certain. Si le fondement de cette espérance n'était pas certain mais douteux, nous ne pourrions pas espérer et attendre de Dieu avec certitude le salut et les moyens nécessaires au salut. Mais saint Paul veut que nous soyons absolument fermes et inébranlables dans l'espérance, si nous voulons faire notre salut : « Il faut absolument que vous persévériez dans la foi, affermis sur ses bases solides, sans vous laisser détourner de l'espérance promise par l'Évangile que vous avez entendu » (Col l, 23). Il le confirme dans un autre passage : notre espérance doit être inébranlable comme une ancre sûre et solide, car elle repose sur les promesses de Dieu qui ne peut mentir : « Nous désirons seulement que chacun de vous montre le même zèle pour le plein épanouissement de l'espérance jusqu'à la fin... afin que par deux réalités immuables - la promesse de Dieu et le serment qu'il y a joint - dans lesquelles il est impossible à Dieu de mentir, nous soyons puissamment encouragés, nous qui avons trouvé un refuge, à saisir l'espérance qui nous est offerte. En elle, nous avons comme une ancre de notre âme, sûre autant que solide » (He 6, 11 ; 18-19). Saint Bernard dit que notre espérance ne peut être incertaine puisqu'elle repose sur les promesses de Dieu : « Cette attente ne nous paraît pas vaine, ni douteuse l'espérance, car elles sont fondées sur les promesses de la vérité éternelle ». Mon
espérance, dit-il ailleurs de lui-même, s'appuie sur trois bases : l'amour de Dieu qui nous a adoptés pour ses enfants, la vérité de sa promesse, sa puissance pour la tenir : « Je considère donc qu'il y a trois éléments dans lesquels consiste toute mon espérance: l'amour adoptif, la vérité de la promesse, la puissance de la réalisation ».
C'est pourquoi l'apôtre saint Jacques déclare : Ceux qui désirent les grâces divines doivent les demander à Dieu, non pas avec hésitation mais avec une confiance absolue de les obtenir : « Qu'il demande avec foi, sans hésiter » (Jc 1, 6). Si l'on demande, continue-t-il, en étant agité par le doute, on n'obtiendra rien. « Celui qui hésite ressemble à la surface de la mer que le
vent soulève et agite. Qu'il ne s'imagine pas, cet homme, recevoir quoi que ce soit du Seigneur! » (Jc l, 6 et 7). Et saint Paul loue Abraham de n'avoir absolument pas douté de la promesse de Dieu : il savait que, quand Dieu promet, il ne peut décevoir : « Appuyé sur la promesse de Dieu, sans hésitation ni incrédulité mais avec une foi puissante, il rendit gloire à Dieu, certain que tout ce que Dieu a promis, il est assez puissant ensuite pour l'accomplir » (Rm 4, 20). Aussi Jésus Christ nous assure-t-il lui-même que
nous recevrons toutes les grâces que nous demanderons, si nous le faisons avec une ferme confiance de les recevoir : « C'est pourquoi je vous dis : tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l'avez déjà reçu et cela vous sera accordé ! » (Mc 11, 24). En un mot, Dieu ne veut pas nous exaucer si nous ne croyons pas avec certitude qu'il nous exaucera.
Venons-en à notre problème. Notre espérance du salut et des moyens nécessaires pour cela doit être certaine de la part de Dieu. Les motifs qui fondent cette certitude, nous l'avons vu, sont la Puissance, la Miséricorde et la Fidélité de Dieu ; mais de ces trois motifs, le plus fort et le plus certain, c'est la fidélité infaillible de Dieu à la promesse qu'il nous a faite, par les mérites de Jésus Christ, de nous sauver et de nous accorder les grâces nécessaires au salut. En effet, remarque fort justement Juénin, bien que
nous croyions que la Puissance et la Miséricorde de Dieu sont infinies, nous ne pourrions en espérer le salut s'il ne nous l'avait pas promis de façon
indubitable. Mais cette promesse est conditionnelle : elle exige que nous répondions par les oeuvres et que nous priions, comme nous le voyons dans les Saintes Ecritures : « Demandez et l'on vous donnera. Si vous
demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. Il donnera de bonnes choses à ceux qui les lui demandent. Il faut toujours prier. Vous ne recevez pas parce que vous ne demandez pas... Si quelqu'un a besoin de la sagesse, qu'il la demande à Dieu ! » Et beaucoup d'autres textes que nous avons cités plus haut. C'est pourquoi les Saints Pères et les
théologiens enseignent communément, comme nous l'avons prouvé dans le chapitre premier de la première partie, que la prière est un moyen nécessaire au salut.
Or si nous n'étions pas certains que Dieu donne à tous la grâce de pouvoir prier actuellement et effectivement, sans que nous ayons besoin d'une autre
grâce spéciale, non commune à tous, nous ne pourrions pas avoir de la part de Dieu un motif certain et inébranlable de pouvoir espérer le salut avec
certitude ; notre espérance ne serait qu'incertaine et conditionnelle. Quand je suis sûr qu'en priant j'obtiendrai la vie éternelle et toutes les grâces
nécessaires, et que je sais aussi que Dieu ne me refusera pas, parce qu'il l'accorde à tous, la grâce de prier actuellement et effectivement, si je le veux,
j'ai alors un motif certain d'espérer de Dieu le salut, à condition que je fasse personnellement tout ce qu'il faut. Mais quand je doute de recevoir de Dieu la grâce particulière qu'il n'accorde pas à tous et qui serait nécessaire, selon certains, pour prier effectivement, alors je n'ai pas de motif assuré d'espérer de Dieu le salut; je n'ai qu'un motif douteux et incertain. Dieu me
donnera-t-il cette grâce spéciale, nécessaire pour prier, et qu'il refuse à beaucoup ? Et cette incertitude n'existerait pas uniquement de mon côté mais aussi du côté de Dieu. Du coup, voilà l'espérance chrétienne détruite : en effet, d'après l'Apôtre Paul, elle doit être inébranlable, ferme et solide. À vrai dire, je ne sais pas comment, dans ces conditions, le chrétien peut pratiquer la vertu d'espérance et attendre de Dieu, comme il convient, avec une ferme confiance, le salut et les grâces nécessaires pour cela. Comment espérer vraiment si l'on ne tient pas pour certain que Dieu accorde à tous sans exception la grâce de prier effectivement, s'ils le veulent, sans qu'il soit
nécessaire d'avoir une autre grâce spéciale ?
Disons pour conclure que beaucoup de théologiens ainsi que notre humble Congrégation admettent notre système et notre opinion ; ils s'accordent parfaitement avec la grâce intrinsèquement efficace par laquelle nous
faisons le bien infailliblement quoique librement, ainsi qu'avec la grâce suffisante, comme nous le verrons plus loin. On ne peut nier, en effet, que Dieu peut parfaitement par sa toute-puissance incliner et pousser les coeurs humains à vouloir librement ce qu'il veut, comme l'affirment les Saintes Écritures : « Le coeur du roi est dans la main de Yahvé ; il l'incline partout où il veut » (Pr 21, 1). « Je mettrai mon esprit en vous et je ferai que vous marchiez selon mes lois » (Ez 36, 27). « Mon projet se réalisera, j'accomplirai ce qui me plaît » (Is 46, 10). « Il change le coeur des princes des peuples de la terre » (Jb 12, 24). « Que le Dieu de la paix... vous rende aptes à accomplir sa volonté en toute sorte de bien, produisant en vous ce qui lui est agréable par Jésus Christ » (He 13, 21). On ne peut nier que saint Augustin et saint Thomas aient enseigné que la grâce est efficace en elle-même de par sa nature. C'est ce que montrent beaucoup de leurs textes et spécialement ceux-ci. Saint Augustin : « Cependant Dieu ne donna cette royauté que par les volontés des hommes eux-mêmes, car il a, sans aucun doute, une puissance toute-puissante pour incliner les coeurs des hommes comme il lui plaît ».
Ailleurs : « Car le Tout-Puissant opère dans le coeur des hommes (le mouvement même de leur volonté), afin de faire par eux ce que lui même a résolu de faire par eux ». Ailleurs encore : « Certes ce sont bien des hommes qui accomplissent les oeuvres bonnes destinées à honorer Dieu, mais c'est Dieu qui leur fait accomplir ce qu'il leur prescrit ». De nouveau :
«Certainement, c'est nous qui agissons quand nous agissons, mais c'est Dieu qui fait que nous agissions en accordant à notre volonté une force pleinement efficace, lui qui a dit : « Je ferai que vous marchiez selon mes justes lois ». Ailleurs : « C'est nous assurément qui voulons, mais ce vouloir même est en nous l'oeuvre de Dieu, c'est nous qui agissons, mais cette action même c'est Dieu qui la produit en nous ». Ailleurs : « Mais puisque la volonté est préparée par le Seigneur (Ps 8,35), on doit lui demander qu'il nous donne autant de volonté qu'il nous en faut pour qu'en voulant nous fassions ». Ailleurs : « Dieu qui sait agir intérieurement dans le coeur même des hommes, non de telle sorte que ces hommes croient sans le vouloir, ce qui est impossible, mais que leur refus se transforme en volonté de croire ». Ailleurs : « Dieu est l'auteur non seulement de vraies révélations, mais aussi des décisions volontaires conformes au bien ». Ailleurs : « Voila pourquoi même nos volontés n'ont de pouvoir que dans la mesure où Dieu l'a voulu ». Ailleurs : « Dieu a tellement en son pouvoir les volontés qui se gardent dans leur condition de créature, qu'il les fait pencher, quand il veut, du côté
où il veut ». Le Docteur Angélique dit quelque part : « Dieu meut la volonté d'une façon immuable par une force efficace qui ne peut manquer d'atteindre son but ». Ailleurs : « La charité est impeccable par la vertu
même de l'Esprit Saint qui réalise infailliblement tout ce qu'il veut. C'est pourquoi il ne saurait être vrai simultanément et que le Saint Esprit veuille mouvoir quelqu'un à l'acte de charité, et que celui-ci perde la charité en péchant ». Et enfin : « Etant donné que Dieu meut notre volonté vers un objet précis, il n'est pas possible en même temps que notre volonté ne le
veuille pas ».
Par ailleurs, notre opinion s'accorde parfaitement avec la grâce vraiment suffisante, qui est commune à tous. Si l'on y correspond, on obtiendra la grâce efficace. Si l'on n'y correspond pas et que l'on y résiste, cette grâce efficace nous sera à juste titre refusée. Les pécheurs qui prétendent ne pas avoir la force de résister aux tentations sont inexcusables. S'ils priaient, avec la grâce ordinaire donnée à tous, ils obtiendraient cette force et ils se sauveraient. Si l'on n'admet pas cette grâce ordinaire qui permet à chacun au moins de prier, sans avoir besoin d'une grâce spéciale non commune à tous, et d'obtenir par la prière le secours plus puissant pour observer la loi, je ne sais comment on peut comprendre de nombreux passages des Saintes Écritures : les âmes y sont exhortées, en effet, à se tourner vers Dieu, à
vaincre les tentations et à répondre aux appels de Dieu : « Révoltés, rentrez en vous-mêmes » (Is 46, 8). « Convertissez-vous et vivez » (Ez 18, 32).
«Convertissez-vous et faites pénitence » (Ez 18, 30). « Lève-toi, Jérusalem... détache les chaînes de ton cou » (Is 52, 2). « venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau » (Mt 11, 28). « Résistez-lui, fermes dans la foi » ( 1 P 5, 9). « Marchez tant que vous avez la lumière » (Jn 12, 35). Si tous n'avaient pas la grâce de prier et si l'on ne pouvait pas obtenir par la prière le secours plus puissant pour parvenir au salut, je ne sais pas comment l'on pourrait interpréter les textes ci-dessus. Je ne sais pas non plus comment les orateurs sacrés pourraient exhorter avec tant de force tous les hommes sans exception à se convertir, à résister aux ennemis, à marcher dans la voie des vertus, à prier pour cela avec confiance et persévérance, si vraiment la grâce de faire le bien ou du moins de prier n'était pas accordée à tous mais uniquement à ceux qui reçoivent la grâce efficace. Je ne sais pas comment on pourrait justifier le reproche qui est fait à tous les pécheurs qui résistent à la grâce et qui méprisent la voix de Dieu : « Toujours vous
résistez à l'Esprit Saint » (Ac 7, 51). « Puisque j'ai appelé et que vous avez refusé, puisque j'ai étendu la main sans que nul n'y prenne garde, puisque vous avez négligé tous mes conseils et que vous n'avez pas voulu de mon exhortation... » (Pr 1, 24). Si leur a fait défaut la grâce éloignée mais efficace de la prière, indispensable pour prier actuellement et effectivement d'après nos adversaires, je ne sais pas comment on pourrait leur faire tous ces reproches.
Je termine. Certains auraient peut-être désiré que j'examine de façon plus développée et détaillée un problème très controversé, celui de l'efficacité de
la grâce, d'après les différents systèmes des théologiens - celui de la prémotion physique, de la grâce congrue, de la grâce concomitante, de la
délectation relativement victorieuse par la supériorité des degrés. Mais comment aurait pu y suffire ce petit livre que j'ai voulu court et accessible ? Pour parcourir un si vaste océan, il m'aurait fallu plusieurs volumes. Et puis, d'autres s'y sont déjà beaucoup fatigués. Si j'ai voulu traiter le problème étudié dans cette deuxième partie, c'est pour rendre honneur à la Providence et à la bonté de Dieu, pour aider les pécheurs à ne pas sombrer dans le désespoir en se croyant privés de la grâce, pour leur ôter aussi toute excuse : qu'ils ne disent surtout pas ne pas pouvoir résister aux assauts des sens et de l'Enfer ! J'ai montré que, parmi ceux qui se damnent, aucun ne l'est par suite du péché originel d'Adam mais uniquement par sa propre faute. En effet, Dieu ne refuse à personne la grâce de la prière ; on obtient ainsi de Dieu le secours nécessaire pour vaincre tous les mauvais désirs et toutes les tentations. Mon but principal a été de persuader tout le monde d'utiliser ce
très puissant et nécessaire moyen de la prière, pour que chacun s'y applique avec plus de soin et de courage en vue du salut. Si tant de pauvres âmes
perdent la grâce de Dieu, continuent à vivre dans le péché et finalement se damnent, c'est qu'elles ne prient pas et ne demandent pas à Dieu de les aider. Le pire, je le redis, c'est que peu de prédicateurs et de confesseurs s'emploient sérieusement à suggérer à leurs auditeurs et pénitents l'usage de la prière ; et pourtant il est impossible, sans elle, d'observer les
commandements de Dieu et d'obtenir la persévérance dans la divine grâce.
Après avoir examiné l'absolue nécessité de la prière, que soulignent d'innombrables pages des Saintes Écritures, de l'Ancien et du Nouveau Testament, je me suis efforcé d'introduire dans les missions de la
Congrégation, depuis de nombreuses années, la coutume de prêcher toujours sur la prière. C'est pourquoi tous les écrivains dans leurs livres,
tous les orateurs sacrés dans leurs prédications, tous les confesseurs dans l'administration du sacrement de Pénitence, ne devraient rien inculquer davantage que de toujours prier ; ils devraient recommander, crier et répéter sans cesse : Priez, priez et ne cessez jamais de prier ! Si vous priez, votre salut est assuré ; mais, si vous cessez de prier, certaine aussi sera votre
damnation. Ainsi devraient faire tous les Prédicateurs et Directeurs, puisqu'aucune École catholique ne met en doute cette vérité : celui qui prie obtient des grâces et se sauve mais il y en a trop peu qui le font et c'est
pourquoi il y en a si peu qui font leur salut !
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
Re: Enseignements de l'Église
QU’EST-CE QUE LE CARÊME ?
On appelle « carême » la période de quarante jours (quadragesima) réservée à la préparation de Pâques, et marquée par l’ultime préparation des catéchumènes qui doivent recevoir le baptême le jour de Pâques.
DEPUIS QUAND VIT-ON LE CARÊME ?
Depuis le IVe siècle, on commence à le constituer comme temps de pénitence et de renouvellement pour toute l’Église, avec la pratique du jeûne et de l’abstinence. Conservée avec vigueur dans les églises d’Orient, la pratique pénitentielle du Carême s’est assouplie en Occident, mais on continue à y observer un esprit de pénitence et de conversion.
POURQUOI LE CARÊME DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE ?
« L’Église s’unit chaque année par les quarante jours du Grand Carême au mystère de Jésus dans le désert » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 540)
QUEL EST DONC L’ESPRIT DU CARÊME ?
C’est comme une retraite collective de quarante jours pendant lesquels l’Église propose à ses fidèles l’exemple du Christ pendant sa période au désert, se prépare à la célébration des solennités pascales, dans la purification du cœur, la pratique parfaite de la vie chrétienne et une attitude de pénitence.
On appelle « carême » la période de quarante jours (quadragesima) réservée à la préparation de Pâques, et marquée par l’ultime préparation des catéchumènes qui doivent recevoir le baptême le jour de Pâques.
DEPUIS QUAND VIT-ON LE CARÊME ?
Depuis le IVe siècle, on commence à le constituer comme temps de pénitence et de renouvellement pour toute l’Église, avec la pratique du jeûne et de l’abstinence. Conservée avec vigueur dans les églises d’Orient, la pratique pénitentielle du Carême s’est assouplie en Occident, mais on continue à y observer un esprit de pénitence et de conversion.
POURQUOI LE CARÊME DANS L’ÉGLISE CATHOLIQUE ?
« L’Église s’unit chaque année par les quarante jours du Grand Carême au mystère de Jésus dans le désert » (Catéchisme de l’Église catholique, n° 540)
QUEL EST DONC L’ESPRIT DU CARÊME ?
C’est comme une retraite collective de quarante jours pendant lesquels l’Église propose à ses fidèles l’exemple du Christ pendant sa période au désert, se prépare à la célébration des solennités pascales, dans la purification du cœur, la pratique parfaite de la vie chrétienne et une attitude de pénitence.
jaimedieu- Date d'inscription : 02/03/2011
Age : 67
Localisation : Montréal, Québec Canada
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