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IMPORTANCE DU SALUT - Pensées du Père Bourdaloue de la Cie de Jésus – Paris – année 1734 - (Le Paradis ou l`Enfer)

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Message par MichelT Mer 5 Aoû 2020 - 18:58

IMPORTANCE DU SALUT. - Après cette vie le Jugement et - Le Paradis - ou le Purgatoire - ou l`Enfer

Source : pensées du Père Bourdaloue de la Cie de Jésus – Paris – année 1734 (Extraits)

Nécessité du Salut, et l`usage que nous devons en faire contre les plus dangereuses tentations de la vie.

On parle du Salut comme d’une affaire souverainement importante, et on a raison d`en parler de la sorte. Mais c’est trop peu dire:  il faut ajouter que c’est une affaire absolument nécessaire ce fut l'idée que le Sauveur des hommes en voulut donner à Marthe dans cette grande leçon qu’il lui fit : «Marthe, vous vous inquiétez et vous embarrassez de bien des choses, mais une seule chose est nécessaire.» (Luc 10,41)

Ce n'est donc point seulement une affaire d`une importance extrême que le Salut, mais une affaire d’une absolue nécessité. Entre l'un et l`autre la différence est essentielle. Qu`on me fasse entendre qu'une affaire m’est importante, et très-importante, je conçois précisément par-là que je perdrai beaucoup, en la perdant , sans qu’il s’ensuive néanmoins que dès-lors tout sera perdu pour moi et qu'il ne me restera plus rien. Mais que ce soit une affaire absolument nécessaire, et seule nécessaire, je conclus et je dois conclure , que si je venais à la perdre, tout me serait enlevé , et que ma perte serait entière et sans ressource. Or tel est le Salut.

Affaire nécessaire, et seule nécessaire: nécessaire puisque je ne puis me passer du Salut; seule nécessaire, puisque, hors le Salut, il n’y a rien dont je ne puisse me passer. Je dis nécessaire, puisque je ne puis me passer du Salut car c’est dans le Salut que Dieu a renfermé toutes mes espérances , en me le proposant comme fin dernière, et c’est de-là que dépend mon bonheur pendant toute l’éternité. Je dis seule nécessaire, puisqu’il n'y a rien , hors le Salut ,dont je ne me puisse passer: car je puis me passer de tout ce que je vois dans le monde; je  puis me passer des richesses du monde , je puis me passer des honneurs et des grandeurs du monde, je puis me passer des aises et des récréations du monde. Tout cela, il est vrai, ou une partie de-tout cela peut: m`être utile, par rapport à la vie présentes suivant l`état et la condition où je me trouve. Par conséquent je n’ai de fonds à faire que sur le Salut à c'est-là que je dois tendre incessamment , uniquement et nécessairement; à moins que par un affreux désespoir je ne consente à être immanquablement , pleinement , éternellement malheureux.

Terrible alternative, ou un malheur éternel qui est la damnation; ou une éternelle béatitude, qui est le Salut! Voilà sur quoi je suis obligé de me déterminer, sans qu’il y ait aucun tempérament à prendre. Le ciel ou l`enfer , point d’autre destinée; si je me sauve , le ciel est à moi, et il ne me sera jamais ravi. Si je me damne , l'enfer devient irrémissiblement mon partage , et jamais je ne cesserai d’y souffrir. Car la mort n’est point pour nous un anéantissement.  Au contraire l`homme en mourant, ne fait que changer de vie; d'une vie courte et fragile , il passe à une vie immortelle et permanente.  Vie qui doit être pour les élus le comble de la félicité et le souverain bien ; et vie qui sera pour les réprouvés, la souveraine misère et l`assemblage de tous les maux.

Ainsi Dieu dans le conseil de sa sagesse l’a-t ’il arrêté, et ses décrets sont irrévocables. Voilà ma créance, voilà ma religion. De-là même , affaire tellement nécessaire qu’il ne m’est jamais permis en quelque rencontre que ce soit , ni pour qui que ce soit , de l’abandonner. Un père peut sacrifier son repos et sa santé pour ses enfants. Un ami peut renoncer à sa fortune, et se dépouiller de tous ses biens pour son ami. Mais s’agit-il du Salut , il n'y a ni lien du sang et de la nature , ni tendresse paternelle , ni amitiés si étroite qui puisse nous autoriser à faire le sacrifice d'un bien supérieur à toute liaison humaine et à toute considération.

Plutôt que de consentir à la perte de mon âme, je devrais, s’il dépendait de moi, laisser tomber les Royaumes et les Empires; je devrais laisser périr le monde entier. Et ce n’est point encore assez: car selon les principes de la morale évangélique, et selon la loi de la charité que je me dois indispensablement à moi-même, non seulement il ne m'est point libre de sacrifier en quelque manière que ce puisse faire mon Salut; mais il ne m'est pas même permis de le hasarder et de l`exposer. Le seul danger volontaire, si c’est un danger prochain, est un crime pour moi ; et quoi qu’il m’en puisse coûter, ou pour le prévenir ,  ou pour en sortir , je ne devrais rien ménager ni rien épargner : fallut-il en venir à toutes les extrémités et fallut-il quitter père, mère, frères , soeurs; pourquoi cela? toujours par cette grande raison de la nécessité-du Salut , qui prévaut à tout et l`emporte sur tout. Allons plus loin; et pour nous faire-mieux: entendre, réduisons ceci à quelques points plus marqués et plus ordinaires dans la pratique. Je prétends donc que cette nécessité du Salut bien méditée et bien comprise , est, avec le secours de la grâce, le plus prompt et le plus puissant préservatif contre toutes les tentations dont nous pouvons être assaillis, chacun dans notre état.

Mais sans embrasser trop de choses et sans nous engager dans un détail infini, bornons-nous à certaines tentations particulières , plus communes , plus spécieuses , plus violentes , qui naissent de la nécessité et du besoin où l'on peut se trouver en mille occasions, par rapport aux biens temporels et aux avantages du siècle. Je m’explique. Il y a des extrémités fâcheuses où se trouvent réduits une infinité de personnes; et que fait alors l`ennemi de notre Salut, ou , pour mieux dire , que fait la nature corrompue; que fait la passion et l'amour propre? C’est dans des conjonctures si critiques et si périlleuses , que tout concourt court à nous séduire et à nous corrompre. Le prétexte de la nécessité nous devient une prétendue raison dont il est difficile de se défendre , et la conscience n’a point de barrières si fortes , que cette nécessité ne puisse nous faire franchir.. Par exemple, on manque de toutes choses, et pourvu qu’on voulut s’écarter des voies de l'équité et de la bonne foi, on ne manquerait de rien; on aurait non-seulement le nécessaire , mais le commode , et on l`aurait abondamment. On voit déchoir sa famille de jour en jour; elle est sur le point de la ruine, et pourvu qu'on, voulu entrer dans les intrigues criminelles d’un puissant, et seconder ses injustes desseins on s'en ferait un patron qui la soutiendrait et  l`élèverait. On est embarqué dans une affaire de conséquence; c’est un procès dont la perte doit causer un dommage irréparable. Il est entre les mains d'un juge accrédité dans sa compagnie, et au lieu de solliciter ce juge assez inutilement, si l’on voulait aux dépens de la vertu, écouter de sa part d'autres sollicitations , et y condescendre , on pourrait ainsi se procurer un arrêt favorable et un gain assuré. On a un ennemi dont on reçoit mille chagrins; c’est un homme sans raison et sans modération, qui nous butte en tout, qui nous persécute, et si l’on voulait user contre lui de certains moyens qu’on a en main , on serait bientôt à couvert de ses atteintes.

Quel contrôle ne faut-il pas prendre sur soi et sur les mouvements de son coeur , pour ne pas succomber à de pareilles tentations , et pour demeurer ferme dans son devoir ? Car encore une fois de quoi n'est-on pas capable, quand la nécessité presse , et à quoi ,n`a-t`elle pas porté des millions de gens, qui du reste avaient d'assez bonnes dispositions , et n’étaient de leur fonds ni vicieux ni méchants?  De combien l`iniquités , la pauvreté et l`indigence n'est-elle pas tous les jours le principe? combien a-t’elle fait de scélérats , de traîtres, de parjures, d’impies,  d`impudiques , de ravisseurs du bien d'autrui , et de meurtriers , qui sans cela ne l`auraient jamais été; qui ne l’ont été en quelque manière que malgré eux et qu’avec toutes les répugnances possibles; mais enfin qui l'ont été, parcequ’ils ont cru y être forcés?

Non seulement ils l'ont crû , mais de-là souvent ils se sont persuadés que jusques dans leurs crimes ils étaient excusables, et voilà ce qui rend encore la nécessité plus dangereuse. On se fait aisément de fausses consciences, on étouffe tous les remords du péché, on se dit à soi- même, que dans la situation où l`on est et dans toutes les circonstances qui l'accompagnent, il n’y a point de loi, et que tout est permis -, on exagère cet état , dont on veut se prévaloir , et l’on prend pour dernière extrémité et pour nécessité absolue ce qui  n`est que difficulté , qu`incommodité que l'effet d’une imagination vive et d’une excessive timidité.

Quoi qu’il en soit , tout cela mène à d'étranges conséquences, et les suites en sont affreuses. Or quel est pour nous , en de semblables attaques , le plus solide appui et le soutien le plus inébranlable? le Voici. C`est de se retracer fortement le souvenir de cette maxime fondamentale , il n`y a qu'une chose nécessaire; (Luc 10,42) c’est de s’armer de cette pensée, selon la figure de l`Apôtre,  comme d'une cuirasse, comme d'un calque , comme d'un bouclier qui résiste aux traits les plus enflammés de l'esprit tentateur, et que rien ne peut pénétrer. C'est, dis- je , opposer nécessité à nécessité; la nécessité de sauver son âme , qui est une nécessité capitale et souveraine , à la nécessité de sauver sa fortune , de sauver ses biens, de sauver sa vie. Car je dois ainsi raisonner: il est vrai , je pourrais rétablir mes affaires, si je voulais relâcher quelque chose de cette intégrité si exacte et sévère, qui n’est guère de saison dans le temps où nous sommes, et qui m'empêche de faire les mêmes profits que tant d'autres: mais en me rétablissant ainsi selon le monde, je me perdrais selon Dieu ,je perdrais mon âme: Or il la faut sauver.

Il est vrai, si je ne me rends pas à telle proposition qu’on me fait, je choquerai le maître qui m`emploie; j`aliénerai de moi le protecteur qui m'a placé, et qui peut dans la suite me faire encore monter plus haut; je serai obligé de me retirer, et n’ayant plus personne qui s’intéresse pour moi; ni qui m`avance , je resterai en arrière , et que deviendrai-je ?il n’importe; en acquiesçant à ce qu'on me demande., j`offenserais un maître bien- plus puissant que tous les maîtres, et tous les potentats de la terre; et pour conserver de vaines espérances, je sacrifierais un héritage éternel, je sacrifierais mon âme et je la damnerais: or il la faut sauver. Il est vrai , l`occasion est belle de me tirer de l'oppression où je suis,  et de faire chuter cet homme qui ne cesse de me nuire et de me traverser ; mais en me délivrant des poursuites d’un ennemi qui malgré toutes ses violences, et quoi qu’il entreprenne contre moi, ne peut après tout me faire qu’un mal passager , je me ferais un autre ennemi bien plus redoutable , qui est mon Dieu, et qui de son bras vengeur , peut également et pour toujours porter ses coups sur les âmes comme sur les corps. A quoi donc exposerais—je mon âme! or il faut la sauver. Il est vrai, ma condition est dure et je mène une vie bien triste; je n’ai rien, et je ne vois point pour moi de ressource. On me fait les offres les plus engageantes, et si je les rejette , me voilà dans le dernier abandonnement et dans la dernière misère: mais d'ailleurs je ne les puis accepter qu’au préjudice de l`honneur , et surtout qu’au préjudice de mon âme; or il la faut sauver.

Oui il le faut, et à quelque prix que ce soit, et quelque peine qu’il y ait à subir. Il le faut, et quelque infortune, quelque décadence , quelque malheur  qui en doive suivre par rapport aux intérêts humains. Il le faut, car c’est là le seul nécessaire, le pur nécessaire. Encore une fois, je dis le pur , le seul nécessaire; parce qu'en comparaison de ce  nécessaire , rien n’est proprement, ni ne doit être censé nécessaire; par— ce que dès qu’il s’agit de ce nécessaire , toute autre chose qui s'y trouve en quelque sorte opposée, cesse dès-lors d’être nécessaire i parce que c’est à ce nécessaire que doivent se rapporter, comme à la règle primitive et ,invariable , toutes mes délibérations, toutes mes résolutions , toutes mes actions.

Ce fut ainsi que raisonna la chaste Susanne,  lorsqu’elle se vit attaquée de ces deux vieillards qui voulurent la séduire, et qui la menaçaient de la faire périr , (Daniel 13,20) si elle ne contentait à leur passion. Que ferai je, dit-elle , dans le cruel embarras où je suis? quelque panique je prenne, je ne puis éviter la mort mais il vaut mieux que je périsse par vos mains , que de pécher en la présence de mon Dieu, et de périr éternellement par l’arrêt de sa justice.

Voilà ce que ces réflexions-ont appris à tant de Chrétiens de l’un et de l`autre sexe: car malgré la corruption , dont tous les états du monde ont été infectés, il y -a  toujours eu dans chaque état des fidèles de ce caractère, prêts à quitter toutes choses pour mettre en sûreté leur salut; et plaise au Ciel, qu’il y en ait toujours! La nécessité du salut était-elle autre chose pour eux, que pour nous? Y étaient-ils plus intéressés que nous ? Non , sans doute c`était pour eux et pour nous la même nécessité :mais ils y pensaient beaucoup plus que nous; et en y pensant plus que nous; ils la comprenaient aussi beaucoup mieux que nous. Pensons-y comme eux, méditons— la comme eux , nous la comprendrons comme eux; et en la comprenant comme ils l`ont comprise , nous en ferons comme eux notre affaire essentielle , et nous y adresserons toutes nos prétentions et toutes nos vues. Mais hélas! où les portons-nous? Quand je vois les divers mouvements dont le monde est agité, et qui sont ce qu’on appelle le commerce du monde; quand je vois cette multitude confuse de gens qui vont et qui viennent , qui s`empressent et qui se tourmentent, toujours occupés de leurs desseins , et toujours en action pour y réussir et les conduire à bout ; n’ayant que cela dans l'esprit, ne travaillant que pour cela , n’aspirant qu’à cela  au milieu de ce tumulte;  j’irais volontiers leur crier avec le Sage: «Homme dépourvu de sens , et aussi peu raisonnables que des enfants a peine formés et sortis du sein de leur mère», à quoi pensez-vous? que faites- vous? Hors une seule chose , tout le reste n'est que vanité , et par une espèce d'ensorcellement , cette vanité vous charme , cette vanité vous entraîne, cette vanité vous possède aux dépens de l`unique nécessaire! je le dirais aux grands et aux petits , aux riches et aux pauvres, aux savants et aux ignorants. Malheur à quiconque n'écouterait pas ; et malheur à quiconque demeure là-dessus dans une indifférence et un oubli qu’on ne peut assez déplorer. Amen!

MichelT

Date d'inscription : 06/02/2010

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