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« Nous ne traversons pas une crise politique, mais une crise de la démocratie »

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« Nous ne traversons pas une crise politique, mais une crise de la démocratie » Empty « Nous ne traversons pas une crise politique, mais une crise de la démocratie »

Message par Lumen Ven 24 Juin 2022 - 0:07

« Nous ne traversons pas une crise politique, mais une crise de la démocratie »

Comment le président Macron peut-il sortir de l’impasse ? Vivons-nous un retour du Parlement, ou de la IVe République ? L’analyse du politologue Christophe Boutin, professeur à l’université de Caen et co-auteur du Dictionnaire du progressisme (Le Cerf).

« Nous ne traversons pas une crise politique, mais une crise de la démocratie » Macron


Comment interprétez-vous le résultat des législatives ? C’est la première fois que les électeurs ne donnent pas la majorité à un Président qu’ils viennent d’élire.

C’est la première fois en effet. Il y avait jusqu’ici un effet d’entraînement logique de la présidentielle, d’où naissait une majorité absolue qui permettait au Président d’appliquer son programme sans aucune contrainte.

Mais c’est la première fois, aussi, que l’on reconduit un mandat après un quinquennat. La reconduction de Jacques Chirac, en 2002, s’est faite dans des circonstances spéciales, face à Jean-Marie Le Pen. Emmanuel Macron a fait une campagne très particulière, je ne dirais pas qu’il a été élu par défaut, mais enfin le fait de se retrouver contre Marine Le Pen ne l’a pas totalement desservi… Il ne s’est peut-être pas rendu compte qu’il y avait un passif à régler, et que les Français l’attendaient aux législatives. Très confiant, il a tiré des plans sur la comète, et joué l’intermède entre la présidentielle et les législatives de manière très souple, comme il avait joué la présidentielle. En s’investissant peu, en s’engageant le plus tard possible.

Et la nomination d’Elisabeth Borne et des ministres traduisait bien une volonté de continuer en l’état, sans tenir compte de ce qui s’était passé aux présidentielles ; c’est un élément qui a joué en sa défaveur. Il n’a pas réalisé l’émergence d’un « Tout sauf Macron », qui a provoqué des reports de voix de la Nupes vers le RN et du RN vers la Nupes. Il a cru que le « front républicain » fonctionnerait encore alors qu’on a vu aux présidentielles qu’il ne fonctionnait plus. Et puis, utiliser cet argument du « front républicain » à la fois contre le RN et contre la France insoumise n’est pas très cohérent ; on finit par se demander si être républicain, ce n’est pas être macroniste !

Sommes-nous véritablement dans une crise politique ?

Je pense que nous traversons une crise de la démocratie. Plus de 50% des électeurs n’ont pas voté, auxquels il faut ajouter 8 points de bulletins blancs et nuls dans de nombreux bureaux de vote. Y a-t-il une crise politique ? Non. Ce n’est pas parce que le Président ne dispose pas d’une majorité absolue que nous traversons une crise politique. Le régime de la Ve République est parfaitement capable de survivre à cela. Certes le projet de gouvernement d’union nationale du président séduit peu. Voir un pyromane appeler pour éteindre l’incendie est toujours étonnant...

Nous aurons donc des débats au cas par cas, texte par texte, et cela est conforme à la tradition parlementaire, même si ce ne sera pas toujours évident. Cela dépendra aussi des groupes d’opposition, s’ils font ou non de l’opposition systématique. Les Républicains parlent « d’opposition constructive », « d’opposition utile ». « Je ne serai pas une opposante systématique », a déclaré Marine Le Pen.

Est-ce un retour du Parlement ?

Absolument. C’est un retour du Parlement, et dans sa fonction législative, et, très vraisemblablement, dans sa fonction de contrôle. Nous sommes dans un régime parlementaire, malgré une dérive présidentialiste que nul ne peut contester sous la Ve République. À savoir un régime dans lequel il y a une collaboration des pouvoirs exécutifs et législatifs.

Cette « dérive présidentialiste » n’a-t-elle pas été voulue au départ ? Le Président y a un rôle très puissant.
En cas de crise majeure, le désaccord est tranché par le peuple, via la dissolution. On renvoie l’assemblée nationale devant le peuple. Ce fut le cas en 1962, et le peuple a renvoyé siéger une chambre favorable au Président. La question est de savoir, en cas de dissolution « ratée », comme en 1997, quelle est la réaction du Président, et s’il tire les conclusions de ce désaveu. Nul doute qu’en 1962, si le résultat avait été négatif, le général de Gaulle aurait démissionné, comme il l’a fait en 1969 après le référendum.

Certains parlent d’un retour à la IVe République…

Non. Ce qui semble un retour à la IVe, c’est une fragmentation entre plusieurs partis camouflée par des coalitions (Nupes et Ensemble), qui signe l’échec d’un bipartisme à la française. Mais sous la IVe, le pouvoir important, c’est la Chambre, point. Et si la Chambre est ingouvernable, c’est un problème majeur pour le pays. Sous la Ve, l’Assemblée est un pouvoir important mais là n’est pas l’essentiel du pouvoir, puisqu’encore une fois nous sommes dans un régime parlementaire très fortement présidentialisé.

Les opposants, en se réunissant, peuvent-ils faire tomber le gouvernement ?

Cela serait possible avec le vote d’une motion de censure. Mais pour quoi faire ? Souvenez-vous, en 1962, quand la Chambre a voté la motion de censure, la réponse du berger à la bergère a été la dissolution. C’est donc une arme à double tranchant. Depuis il y a eu des motions de censure de déposées, mais pas une n’a été votée. Comme si les députés craignaient d’avoir à retourner sur les marchés pour serrer des mains… Cette prudence pourrait prévaloir encore à l’avenir.

Et le Conseil national de la Refondation, que va–t-il devenir ?

J’ose espérer que le Président, alors qu’il est confronté à une Chambre qui reflète mieux la diversité des opinions des Français qu’elle ne l’a jamais fait depuis plusieurs mandats, n’aura pas la grossièreté, l’impudeur de tenter de court-circuiter le Parlement en créant une instance illégitime pour justifier ses décisions.




Charles-Henri d'Andigné
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