Mont-Saint-Michel : « Tiens, ça sent l’encens ! »
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Mont-Saint-Michel : « Tiens, ça sent l’encens ! »
Mont-Saint-Michel : « Tiens, ça sent l’encens ! »
L’îlot rocheux figure parmi les sites touristiques les plus visités de France. Touristes et pèlerins s’y pressent pour monter jusqu’à la célèbre abbatiale. Nombreux sont ceux, aussi, qui font une halte au petit sanctuaire du Mont, qui abrite une statue de l’archange.
L’îlot rocheux figure parmi les sites touristiques les plus visités de France. Touristes et pèlerins s’y pressent pour monter jusqu’à la célèbre abbatiale. Nombreux sont ceux, aussi, qui font une halte au petit sanctuaire du Mont, qui abrite une statue de l’archange.
« Ça sent la frite ! » Baudouin, cheveux courts, sages lunettes rondes et chemise blanche à col mao, fait une grimace de dégoût alors qu’il range la sacristie. Les odeurs de graisse remontent de la Grande-Rue jusqu’à l’église Saint-Pierre, petit sanctuaire du Mont-Saint-Michel. En aval de l’édifice en granit, sur plus d’une centaine de mètres, s’alternent échoppes et restaurants « avec vue panoramique sur la baie », au pied des maisons à colombages. Autour d’une table, une famille de touristes pressée avale une galette saumon-ciboulette à 19,50 €. Un couple décortique des moules nappées de crème et pioche des frites dans une assiette. Les pavés résonnent du troupeau des visiteurs qui descendent la ruelle. Un petit blond en maillot tricolore « Benzema » tanne sa mère pour dégoter « une carte de pirates » dans une boutique. « Demandez avant de toucher » : un écriteau mal épinglé surplombe, dans un magasin de souvenirs, des boules à neige où se dresse un petit Mont-Saint-Michel en plastique.
9 h. L’abbaye ouvre ses portes aux visiteurs. La marée monte soudainement.
Celle des touristes aussi. Photo : L.GUIZARD POUR FC
Un couple d’Anglais s’arrête au pied des marches qui mènent à l’église pour croquer dans des beignets fourrés à la confiture de framboise. Ils ne prêtent pas garde, devant le sanctuaire, à la statue de Jeanne d’Arc qui semble lever les yeux au ciel. À l’intérieur, les visiteurs se succèdent dans le calme, comme aimantés par la chapelle où se dresse, depuis plus d’un siècle, une grande statue de saint Michel en lames de métal. « Bougie taille moyenne 3 €- », « Bougie veilleuse 2 € ». Rouges, verts, bleus et blancs, des dizaines de lumignons brûlent sur de longs supports en fer.
« On fait les troncs ? »
Le bois de la sacristie craque au moindre pas. « Gaudete et exsultate... » Avec Hilaire et Martin, les deux autres séminaristes de la Communauté Saint-Martin venus comme lui prêter main-forte ici durant la période estivale, Baudouin fredonne l’un des cantiques chantés un peu plus tôt aux Vêpres. Les garçons déposent leur aube blanche sur un cintre en bois. C’est l’heure de préparer la messe célébrée le lendemain dans le sanctuaire de l’îlot rocheux, à l’ombre de la célèbre abbaye perchée plus haut. Don Maurice Franc, le truculent recteur, s’agite et donne de la voix. « Tu sors les cierges d’acolytes ! », ordonne l’abbé sexagénaire dont la soutane ne saurait cacher quelques sympathiques rondeurs. « Et toi, le reliquaire des ordres mineurs ! » Martin, pull bleu et bermuda, range l’encensoir dont les effluves envahissent la vieille sacristie.
« On fait les troncs ? » Don Maurice entraîne les séminaristes dans l’église pour récolter le produit de la vente des bougies et des objets de piété. Armé d’une tige métallique, Baudouin s’escrime sur l’étrange serrure. Hilaire persifle : « N’est pas Arsène Lupin qui veut ! » Tant bien que mal, les séminaristes débutants en pillage de troncs ouvrent les boîtiers. Ils vident pièces et billets dans un sac en toile vert. L’abbé ensoutané pointe à nouveau le bout de son nez. « Et la Sainte Vierge, vous l’avez oubliée ? » Les séminaristes se pressent vers la statue de Marie. Le recteur confesse : « La Sainte Vierge, ça ne rapporte pas beaucoup, mais un peu plus depuis qu’on a mis des bougies avec son image. » « Et avec votre effigie, vous avez essayé ? », ose Martin. Toute la petite troupe étouffe un éclat de rire. Une voix retentit derrière eux. « Mon père, nous avons des choses à bénir ». Le prêtre enfile une étole et bénit des chapelets qu’une mère et sa fille viennent d’acheter au fond de l’église.
Les trois séminaristes qui épaulent le recteur préparent la messe de 11h dans la sacristie
de l’église Saint-Pierre, au Mont-Saint-Michel. Photo L.GUIZARD POUR FC
« Comme ça va vite ! »
« Un peu plus, et la mouette te chourait ta glace ! » Un couple en short et claquettes qui quitte le Mont à pied est surpris par l’oiseau qui vient de les frôler. Un goéland, plutôt qu’une mouette, a fondu sur eux, attiré par la crème glacée et son cornet gaufré. Autour d’eux, l’immense baie s’est presque vidée. C’est bientôt marée basse. Côté touristes aussi. Mais Nicodème et une petite dizaine de pères de famille remontent à contre-courant. « C’est Disneyland ! », s’écrie le grand bonhomme. Le groupe passe devant le sanctuaire et, une quarantaine de marches plus loin, chacun pose son sac à dos au rectorat. La maison en pierre, qui abrite une librairie religieuse, des bureaux et le logement du recteur, peut héberger une dizaine de marcheurs.
Dans la baie, un spectacle se prépare. « Hortense, remonte ! » Un père hèle sa fille qui a dessiné une marelle dans le sable. Tee-shirt jaune et short rouge, Léa et Tom, jeunes pompiers volontaires, intiment à un couple de remonter lui aussi. Une femme s’extasie : « Ça y est, les eaux se rejoignent... Comme ça va vite ! » À ses côtés, trois Britanniques se partagent gaiement une bouteille de vin blanc frais en regardant monter les eaux et une vague se former. « Amazing ! » Le vent forcit et le temps change. Le soleil, peu à peu, quitte la baie, et la fraîcheur s’installe.
Soudain, tout devient plus calme. Nicodème et ses pairs grimpent les dernières marches du Mont pour accéder à l’abbaye. « C’est l’heure de la pause culturelle », glisse l’un d’eux en enfilant un casque sur les oreilles. La voix sirupeuse de Stéphane Bern finit par surgir : « Entrez, chers amis, venez vous reposer à l’ombre de ces piliers séculaires et déposer vos intentions de prière dans la demeure de l’archange. » Au milieu de quelques dizaines de visiteurs, les pères de famille découvrent le son et lumière qui retrace l’histoire de l’abbaye. Tout commence en 708 avec la décision de saint Aubert, évêque d’Avranches, d’élever au sommet de l’îlot rocheux un sanctuaire en l’honneur de saint Michel, qui lui était apparu en songe. Puis vient le récit de la vie des moines bénédictins jusqu’à la Révolution. « En descendant par le grand escalier, conclut Stéphane Bern, peut-être croiserez-vous quelques moines et moniales. Non, vous ne rêverez pas, ceux-là ne viennent pas du Moyen Âge. Depuis cinquante ans, le Mont est redevenu un monastère. » Mais pas un religieux à l’horizon au milieu de la nuit. Le groupe redescend les ruelles vides où seules les poubelles débordantes de papiers gras et de canettes sont la trace du tumulte journalier. Au sommet du Mont, brille l’archange Michel que pointe un projecteur.
Il a failli rester enfermé dans l’abbatiale
Les cris des goélands envahissent la baie inondée de soleil au petit matin. Au rectorat, les portes des chambres claquent une à une. Vient l’heure de grimper à l’abbaye. Un vrai religieux, cette fois-ci, accueille le groupe. « Les Laudes commencées, impossible ou presque de sortir », prévient de sa petite voix le Frère Philippe dans sa bure marron. Pas de grosse clé massive pour ouvrir. Le religieux tend son bras vers l’ouverture électronique et pousse la lourde porte. « Alléluia ! Rendez grâce au Seigneur car Il est bon, éternel est son amour ! » La voix cristalline d’une moniale brise le silence, tandis que les rayons du soleil transpercent les vitraux clairs du chœur gothique et dépouillé. L’office terminé, moines et moniales prient la vingtaine de fidèles de quitter les lieux, rendus d’ici peu aux touristes. « Où est passé Vianney ? », s’interroge le groupe des pères au pied des escaliers. Le grand gaillard déboule enfin. Il a failli rester enfermé dans l’abbatiale, mais il redescend tout sourire avec Sœur Émilie, heureux d’avoir retrouvé une vieille connaissance.
A pied ou en navette, 2,5 millions de visiteurs se rendent chaque année au Mont, dont
1,5 millions grimpe jusqu'à l'abbaye. Photo : L.GUIZARD POUR FC
9 h. L’abbaye ouvre ses portes aux visiteurs. La marée monte soudainement. Celle des touristes aussi. Alors que les papas reprennent la route, c’est l’heure du « goûter » au rectorat. Après les Laudes en petit comité, et avant la messe, don Maurice organise le planning. Élodie, salariée qui tient la librairie, est là. Pascal aussi. Lui travaille pour le sanctuaire depuis 1988. « À midi, je remplace Élodie au magasin, pour sa pause. » Baudouin, Martin et Hilaire peaufinent la préparation de la messe autour d’un café. Et François Saint-James, front dégarni et barbe épaisse, répond de sa voix grave aux questions de don Maurice qui, arrivé il y a moins d’un an sur le Mont, est avide des éléments historiques fournis par le fameux guide conférencier à l’abbaye. « Les premières traces du sanctuaire remontent au VIIIe siècle, on a retrouvé une sépulture de cette période lors des travaux du tout-à-l’égout. » Les séminaristes le lancent sur les effluves de la Grande-Rue. « Il ne faut pas idéaliser le Moyen Âge. Question odeurs, on était servi aussi, surtout avec celles des pèlerins qui avaient marché pour arriver jusqu’ici. » Puis François grimpe à l’abbaye, tandis que don Maurice, avec les séminaristes, descend jusqu’à l’église, à contre-courant. Ils retrouvent Pascal dans la sacristie. L’homme de ménage est aussi organiste ! « Vous prenez quel Kyrie ? » Baudouin, une partition de chant grégorien entre les mains, lui répond sans hésiter : « Le Kyrie XI B. »
« Les bons cathos »
Quelques instants plus tard, une chasuble verte sur les épaules, don Maurice entre dans l’église. « « Jubilez, criez de joie », le chant numéro 10 sur vos feuilles. » Son annonce faite, le prêtre se rend en procession jusqu’à l’autel. Les garçons tiennent les cierges et l’encensoir. La messe est solennelle, sous les lustres en verre de la petite église. Don Maurice n’a pas sa langue dans la poche de sa soutane. Dans son homélie, il fustige autant « les politiques qui font vivre un enfer à leurs concitoyens » que « les bons cathos habillés chez Cyrillus », invitant les uns et les autres à se convertir et « à vivre de l’Évangile ». Au fond, serrées sur un banc, quelques Guides d’Europe en raid de 1re classe échangent des regards complices.
Dans son homélie, Dom Maurice fustige autant « les politiques qui font vivre un enfer à leurs concitoyens »
que « les bons cathos habillés chez Cyrillus », invitant les uns et les autres à se convertir et
« à vivre de l’Évangile ». Photo : L.GUIZARD POUR FC
Puis Carole, une des rares habituées, passe avec le panier de quête. Les mains piochent une image de saint Michel et déposent une offrande. Tout le monde se tourne vers la statue de l’archange à la fin de la messe, et don Maurice lance une dernière prière, d’une voix forte : « Saint Michel archange, défendez-nous dans le combat... »
En début d’après-midi, dans la Grande-Rue, les touristes peinent à se croiser. Le soleil tape fort. Chaque coin d’ombre accueille des familles armées de sandwichs et de barquettes de frites. « Bonjour, je peux vous faire visiter l’église ? ». Devant le sanctuaire, en français ou en anglais, Hilaire tente de convaincre des visiteurs pressés d’entrer pour découvrir les lieux et leur signification. Une femme et son fils, un ado à la démarche lascive, se faufilent pour trouver le frais et la paix dans l’église Saint-Pierre. La mère sourit, comme rattrapée par des souvenirs d’enfance : « Tiens, ça sent l’encens ! »
Antoine-Marie Izoard
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Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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