Dans les secrets du Mont-Saint-Michel
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Dans les secrets du Mont-Saint-Michel
Dans les secrets du Mont-Saint-Michel
2023 marque le millénaire du début de la reconstruction de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Famille Chrétienne vous entraîne dans une visite exceptionnelle à la découverte des secrets dont regorge ce lieu mythique, la demeure de l’archange qui apparut en songe à saint Aubert. Suivez le guide !
Jean-Matthieu Gautier - Hans Lucas pour FC
2023 marque le millénaire du début de la reconstruction de l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Famille Chrétienne vous entraîne dans une visite exceptionnelle à la découverte des secrets dont regorge ce lieu mythique, la demeure de l’archange qui apparut en songe à saint Aubert. Suivez le guide !
Jean-Matthieu Gautier - Hans Lucas pour FC
Perché sur un rocher au milieu de la mer, le Mont-Saint-Michel fascine ceux qui l’approchent et espèrent pouvoir atteindre son sommet. Depuis un millénaire et la fondation de l’abbaye bénédictine, le profil qu’on lui connaît aujourd’hui a peu changé et attire à lui chaque année plusieurs millions de touristes. Nombreux sont ceux qui restent au pied du Mont, se contentant d’une crêpe au beurre salé dans les ruelles marchandes et d’un regard sur le flux impressionnant des marées. Au sommet, l’abbaye est comme un Graal inaccessible pour beaucoup. Ceux qui en franchissent finalement le seuil font un tour balisé, parfois trop rapide et distrait.
Pourtant, l’abbaye qui coiffe le sommet de la « pyramide des mers », comme l’appelait Victor Hugo, renferme bien des secrets architecturaux et historiques. Quelqu’un, tout particulièrement, en détient les clefs, au sens propre comme au figuré. C’est François Saint-James, guide conférencier sur le Mont depuis plus d’une trentaine d’années. Cet homme, à la fois plein de science et d’humour, a accepté de mener les lecteurs de Famille Chrétienne à la découverte des recoins de l’abbaye qui, le plus souvent, sont inaccessibles au public. Suivons-le, des profondeurs du monument jusqu’aux toits qui portent la flèche et son célèbre archange en cuivre doré, dont l’épée levée est prête à pourfendre le Mal.
C’est en contrebas de l’abbaye, dans un bar situé en face de la petite église Saint-Pierre, que l’on retrouve François Saint-James, casquette vissée sur la tête, sirotant un café avec plusieurs femmes. Ces guides font une pause méritée après une matinée de visites. Le Normand, en aparté, lance une première salve sur les Bretons, éternels ennemis en ces lieux situés à cheval sur le Couesnon. « N’avez-vous jamais entendu qu’ici, au Moyen Âge, les moines étaient normands et les domestiques bretons ? Il en va de même aujourd’hui pour les simples guides, qui sont bretons, et les conférenciers normands ! » On quitte le groupe après cette petite vacherie et un clin d’œil complice à l’une des guides. Celle-ci s’appelle Amélie, elle est bretonne et... l’épouse de notre cicérone !
« Ce lieu touche le ciel depuis la nuit des temps »
Jean-Matthieu, notre photographe, nous a rejoints. Nous grimpons quelques marches pour commencer notre visite exceptionnelle. « Ceci n’est pas l’entrée de l’abbaye » : la pancarte, pourtant bien visible, n’affole pas notre guide qui file par une entrée dérobée et qui, durant plusieurs heures, va nous faire parcourir un dédale de couloirs à contre-courant du flot des touristes. Soixante-dix élèves d’un collège de Charleville-Mézières se pressent dans l’escalier qui monte à l’abbaye. Notre guide double allégrement le troupeau et sort une énorme clé pour ouvrir une première grille. Puis une deuxième en haut du « grand degré », l’escalier qui mène à l’église abbatiale et le long duquel on devine, pourtant discrète, la partie réservée aux moines et moniales des Fraternités monastiques de Jérusalem, qui animent spirituellement les lieux depuis plus de vingt ans.
Nous quittons soudainement le parcours touristique pour stationner devant une immense porte de bois, à côté de laquelle tous passent sans s’arrêter. La grosse clé tourne, et nous voilà dans une pièce plongée dans l’obscurité. « Je peux aussi allumer la lumière », glisse notre guide dans un nouveau trait d’humour. Sous nos yeux privilégiés apparaît alors Notre-Dame-sous-Terre, un quadrilatère séparé en deux par quelques larges piles de pierre et au fond duquel se dresse un autel.
Il y a un peu plus d’un siècle, Paul Gout, architecte en chef des Monuments historiques, avait, lui, réellement découvert cette chapelle alors partiellement remplie de remblai et oubliée des historiens. Sa fondation remonte au Xe siècle. Au siècle suivant, après l’incendie de 992, les moines décidèrent de rebâtir l’édifice pour accueillir les pèlerins et soutenir, plus haut, la grande abbatiale romane.
« Ils voulaient faire du Mont l’un des plus grands pèlerinages d’Occident », explique François Saint-James. Dans l’église aujourd’hui souterraine, deux petits sanctuaires surmontés de tribunes devaient autrefois servir à présenter les reliques aux pèlerins venus demander un miracle à l’archange. Pour notre guide, elle occuperait l’emplacement de l’église primitive bâtie par l’évêque Aubert entre 708 et 709, après le songe durant lequel il avait vu l’archange Michel.
Les fondations du tout premier oratoire n’ont pas été retrouvées, mais plusieurs indices portent à croire qu’il fut bâti là, comme le mur cyclopéen découvert en 1961 qui repose à même le rocher, derrière l’autel actuel, ou comme cette briquette analysée parmi tant d’autres et qui remonte au VIIIe siècle, l’époque du saint évêque d’Avranches. S’il s’agit d’une « probabilité », François Saint-James est convaincu toutefois que « ce lieu touche le Ciel depuis la nuit des temps ».
« Un crapaud dans un reliquaire »
Un bond dans le temps et plusieurs portes refermées derrière nous, nous voici dans les cachots. Il s’agit en fait d’anciens silos, situés sous une cuisine et qui devinrent des cellules durant la guerre de Cent Ans, puis servirent un peu au cours de l’Ancien Régime. « C’est à la Révolution française que la dizaine de moines de l’abbaye est chassée pour en faire une prison, accueillant notamment des prêtres réfractaires de la région. Les cachots servent alors de mitard pour les plus récalcitrants jusqu’à la fermeture, en 1863 », explique François Saint-James. Lorsque, en 1836, Victor Hugo visite celle qu’on appela un temps la « bastille des mers », il est horrifié par ce qu’est devenue l’ancienne abbaye.
« C’est une dévastation turque, écrit-il à Adèle, son épouse. Figure-toi une prison, ce je-ne-sais-quoi de difforme et de fétide qu’on appelle une prison, installée dans cette magnifique enveloppe du prêtre et du chevalier au XIVe siècle. Un crapaud dans un reliquaire. Quand donc comprendra-t-on en France la sainteté des monuments ? » Sur une porte des cachots, un prisonnier a gravé les dates de sa détention. Tout près, des cellules jumelles attirent l’œil. Lorsqu’il fait la visite avec des familles, François Saint-James s’amuse souvent à y enfermer brièvement les enfants... pour quelques instants de calme !
Notre visite se poursuit à vive allure. Un rai de lumière vive parvient à l’entrée des cachots. Nous décidons de grimper dans les hauteurs de l’abbaye pour découvrir, à ciel ouvert, les contreforts du chœur gothique et d’autres recoins cachés. Une tour, un escalier en vis et cent vingt marches plus haut, nous sommes au pied de l’escalier de dentelle. Notre guide attire notre attention sur l’ingéniosité des architectes qui ont construit cette volée de marches sur un arc-boutant, au-dessus du déambulatoire, « de sorte à ne pas cacher la lumière qui illumine le chœur à travers les vitraux ». Avec une forme de respect, nous gravissons alors les marches en granit que borde un garde-corps ajouré au motif flamboyant, les fameuses « dentelles », comme on entrerait dans un nouveau sanctuaire.
L’esprit du Mont
Un des secrets les mieux gardés du Mont, c’est la conversion intérieure vécue dans ses parages.
Parti seul à sa rencontre au printemps 2022, notre collaborateur Cyril Douillet a rapporté, dans un récit formidablement profond et simple, son pèlerinage. L’arrachement au confort habituel réunifie l’âme, l’esprit et le corps, réveillé dans la douleur par la marche et le joug du sac à dos. La solitude amplifie chaque sensation, dans la joie et l’épreuve, au-dedans comme au-dehors : l’alternance de la terre et de l’asphalte, le chant des oiseaux, le tapis mouvant des fleurs de printemps, l’odeur des sous-bois, les rencontres d’un jour...
Une approche spirituelle à rebours de la carte postale, à laquelle un nouveau guide exceptionnel est aussi consacré, dirigé par deux grandes marcheuses devant l’Éternel.
En chemin vers le Mont-Saint-Michel, par Cyril Douillet, Salvator.
Guide spirituel du Mont-Saint-Michel, par Gaële de La Brosse et Marie-Ève Humery, Salvator.
(Clotilde Hamon)
Dos aux verrières translucides et élancées du chœur, la vue sur la célèbre baie du Mont-Saint-Michel est à couper le souffle. L’eau qui se retire laisse des traînées brillantes dans les marais. Au milieu d’une épaisse bande de sable, un groupe de marcheurs accompagné d’un guide traverse l’imprévisible baie. On aperçoit au loin la pointe du Grouin, côté breton.
François Saint-James et le photographe, qui réside à Saint-Malo, se mettent à échanger sur les meilleures crêperies de Cancale... et le pauvre journaliste venu de Paris tente de revenir au sujet de son reportage avec une question bateau à notre guide : que lui inspire l’impressionnant paysage ? La réponse de l’ancien étudiant en histoire, qui débarqua ici en 1989, ne se fait pas attendre : « Je suis venu pour le Mont, mais en y vivant j’ai découvert la baie, en allant notamment cueillir des mûres ou des pommes sur l’île de Tombelaine, ou en allant pêcher des coques et des crevettes. Le Mont est finalement l’arbre qui cache la forêt qu’est la baie. »
La première cloche y fut montée en 1049
Un dernier regard sur la baie et l’on se tourne, les yeux en l’air, vers la haute flèche qui se dresse au-dessus des toits en ardoise. Dorée, la statue de saint Michel semble à portée de mains. Mais c’est une petite porte, sous les toits, qui attise notre curiosité. « C’est un grenier, il n’y a pas grand-chose à voir », rétorque le guide avant de se raviser et de promettre une nouvelle surprise. Après avoir dépassé le grenier, nous arrivons dans le clocher de l’abbatiale. La première cloche y fut montée en 1049, et il y en eut jusqu’à huit avant la Révolution. Seule reste aujourd’hui celle qu’offrit au Mont l’un des derniers abbés, l’Allemand Johann-Friedrich Karq, baron de Bebembourg. Elle fut longtemps utilisée comme cloche de brume pour aider les pêcheurs à s’orienter dans cette zone périlleuse.
Il est temps pour nous de rejoindre, une nouvelle fois, les profondeurs du Mont. Outre Notre-Dame-sous-Terre, François Saint-James veut nous faire découvrir les trois autres espaces qui soutiennent l’abbatiale. Il nous entraîne d’abord dans la crypte des Gros Piliers, et nous révèle que, derrière les épais piliers de granit du XVe siècle, se cachent ceux de l’abbaye primitive du XIe. Au sol, on distingue un dessin énigmatique dans la pierre...
« Dans certains livres, glisse-t-il tout bas, on évoque d’étranges phénomènes dans cette crypte, et l’on surprend parfois des visiteurs venus capter des forces telluriques dans le mandala gravé au sol... mais la partie sombre du cercle, que certains prennent pour le yin face au yang, n’est autre que du ciment d’une mauvaise réparation ! » Notre guide préférerait que les visiteurs s’attardent plutôt devant le Saint-Sacrement dans l’abbaye, mais il n’en dira pas plus. Il s’agace cependant qu’un architecte, dans les années 1990, ait transformé cette crypte en chapelle, en posant dans un coin un autel pour cacher une armoire électrique !
C’est une véritable chapelle que nous ouvre maintenant le Normand. Pour l’atteindre, il faut passer devant des dizaines de visiteurs qui écoutent sagement leur guide, assis sur les bancs dans le chœur gothique de l’abbatiale, puis descendre quelques marches derrière une porte discrète. Nous voilà, seuls, dans Notre-Dame-des-Trente-Cierges. Dans le petit oratoire roman, où demeurent quelques traces des peintures murales colorées du Moyen Âge, un détail attire l’attention : au pied d’un mur en pierres de l’île de Chausey affleure la roche sur laquelle repose tout l’édifice. « La relique vénérée par les pèlerins, explique François Saint-James, c’est le rocher consacré par saint Michel lui-même et que les bâtisseurs ont mis en scène. » Caché derrière l’autel, un radiateur électrique nous laisse deviner que, durant l’hiver, moines et moniales célèbrent ici les offices.
« Tout ici est à la mesure et à l’image de Dieu »
François Saint-James nous entraîne enfin dans la crypte Saint-Martin, au sud. Nous y retrouvons les touristes, mais ceux-ci passent sans s’arrêter. « Lors de certaines visites scolaires, s’agace-t-il, on entend que cette crypte est vide et qu’il n’y a rien à dire ni à voir. » Il nous fait signe alors de nous asseoir et se lance dans une véritable et profonde catéchèse sur la Terre, le Ciel, l’Eucharistie, l’Église et les hommes... inspiré par cette crypte romane parfaite où « tout ici est à la mesure et à l’image de Dieu ».
Il y avait donc tellement à voir, et surtout à tenter de comprendre. Comme un étage plus haut où, alors que le soleil descend, les moines et les moniales entament l’office des Vêpres. Comme quoi tous les secrets du Mont-Saint-Michel ne sont pas forcément cachés, mais simplement entourés d’un mystère qui nous dépasse.
Antoine-Marie Izoard
Lumen- Date d'inscription : 09/11/2021
Localisation : France
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