Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
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Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Rappel du premier message :
Je vais poster ici, jour après jour l'entièreté d'un ouvrage qui enseigne l'art de défendre sa foi par les mots, devant ceux qui pourraient la contester et vous troubler. Cet art s'appelle de l'apologétique et cet ouvrage, écrit par le Père Auguste Boulenger à pour titre : Manuel d’Apologétique : Introduction à la doctrine catholique.
Alors débutons :
N.B. Je ne retranscris pas les 29 premiers numéros du livre, qui sont une explication de la démarche, je passe directement au vif du sujet.
**********************************************************************************************
[ IMPRIMATUR : C. Guillemant, Vic. gen. , Atrebati, die 30 Aprilis 1920.]
CHAPITRE I. - De l'Existence de Dieu.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
30. - La question de l'existence de Dieu comporte une triple étude: 1° Une question préliminaire: est-il possible de démontrer l'existence de Dieu' ? - 2° Seconde étude: exposé des preuves qui établissent l'existence de Dieu.- 3° Enfin une question subsidiaire: si la raison démontre Dieu d'une façon péremptoire, comment expliquer qu'il y ait des athées ? Quelles sont les causes de l'athéisme et quelles en sont les conséquences ? D'où trois articles:
Art. I - L'existence de Dieu est-elle démontrable ?
Cette première question de la démonstrabilité de l'existence de Dieu se subdivise à son tour en deux autres: 1° Est-il possible de démontrer l'existence de Dieu ? 2° Par quelles voies peut-on faire cette démonstration ?
§ 1. - EST-IL POSSIBLE DE DÉMONTRER L'EXISTENCE DE DIEU ? ERREURS DU MATÉRIALISME ET DE L'AGNOSTICISME.
31. – Devant le problème de l'existence de Dieu, trois attitudes sont possibles: on peut répondre par l'affirmation, par la négation, ou par une fin de non-recevoir. Au premier groupe appartiennent les théistes ou croyants, au second, les matérialistes ou athées, au troisième, les agnostiques ou indifférents.
1° Théisme (du grec théos, Dieu). - Les théistes affirment qu'il est possible de démontrer l'existence de Dieu. Dans l'article suivant, nous exposerons les preuves sur lesquelles ils appuient leur croyance.
2° Matérialisme. - L'athée, de quelque nom qu'il s'appelle, - matérialiste, naturaliste, ou moniste19, - prétend qu'on ne peut démontrer l'existence de Dieu, parce que Dieu n'existe pas. Il estime qu'il n'est pas nécessaire de recourir à un créateur pour expliquer le monde, et que Dieu est une hypothèse inutile. La matière est la seule réalité qui soit: éternelle et douée d’énergie, elle suffit, seule, à résoudre les énigmes de l'univers. Le arguments du matérialisme seront du reste exposés dans l'article 2 sous le titre d'objections.
3° Agnosticisme. - D'une manière générale, le positiviste ou agnostique20 déclare que l'existence de Dieu est du domaine de l'inconnaissable. La raison théorique ne peut en effet dépasser les phénomènes; l'être en soi, les substances et les causes, ce qui est au fond intime des apparences, tout cela lui échappe. « Le problème de la cause dernière de l'existence, écrivait HUXLEY, en 1874, me paraît définitivement hors de l’étreinte de mes pauvres facultés.» Pour LITTRÉ (1801-1881), l'infini est « comme un océan qui vient battre notre rive », et, pour l'explorer, « nous n'avons ni barque ni voile ». ( Auguste Comte et la philosophie positive). D'où conclusion toute naturelle : puisque la recherche des causes en général et, a fortiori, de la cause dernière, est vouée à l'insuccès, ne perdons pas notre temps à l'entreprendre. Et c'est bien le conseil que LITTRÉ nous donne encore: « Pourquoi vous obstinez-vous à vous enquérir d'où vous venez et où vous allez, s'il y a un créateur intelligent, libre et bon ! Vous ne saurez jamais un mot de tout cela. Laissez donc là ces chimères... La perfection de l'homme et de l'ordre social est de n'en tenir aucun compte... Ces problèmes sont une maladie; le moyen d'en guérir est de n'y pas penser21.»
Ainsi, là où le matérialiste prend position contre Dieu, l'agnostique observe une sage réserve: il « ne nie rien, n'affirme rien, car nier ou affirmer ce serait déclarer que l'on a une connaissance quelconque de l'origine des êtres et de leur fin» (LITTRÉ). Il consent même à admettre la distinction entre le phénomène et la substance, entre le relatif et l'absolu, pourvu,
qu'on lui concède que l'absolu est inaccessible. Ignorance et désintéressement de la question, telle pourrait donc être la formule agnostique. Il est vrai que cette neutralité n'est souvent qu'apparente, car il est évident que de l'attitude d'abstention à la négation il n'y a qu'un pas, et la plupart des agnostiques le franchissent. Après avoir dit: « Au delà des données de l'expérience nous ne savons rien », ils ajoutent: « Au delà des objets de notre expérience il n'existe rien.»
Toutefois, tous les agnostiques ne vont pas aussi loin. Certains, comme KANT, LOCKE, HAMILTON, MANSEL, H. SPENCER, distinguant entre existence et nature de Dieu, proclament que l'être en soi existe mais que nous ne pouvons rien savoir de ce qu'il est. Si, dans ce système, Dieu devient, selon le mot de H. SPENCER, une « Réalité inconnue», il reste cependant une réalité et un objet de croyance.
Je vais poster ici, jour après jour l'entièreté d'un ouvrage qui enseigne l'art de défendre sa foi par les mots, devant ceux qui pourraient la contester et vous troubler. Cet art s'appelle de l'apologétique et cet ouvrage, écrit par le Père Auguste Boulenger à pour titre : Manuel d’Apologétique : Introduction à la doctrine catholique.
Alors débutons :
N.B. Je ne retranscris pas les 29 premiers numéros du livre, qui sont une explication de la démarche, je passe directement au vif du sujet.
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[ IMPRIMATUR : C. Guillemant, Vic. gen. , Atrebati, die 30 Aprilis 1920.]
CHAPITRE I. - De l'Existence de Dieu.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
30. - La question de l'existence de Dieu comporte une triple étude: 1° Une question préliminaire: est-il possible de démontrer l'existence de Dieu' ? - 2° Seconde étude: exposé des preuves qui établissent l'existence de Dieu.- 3° Enfin une question subsidiaire: si la raison démontre Dieu d'une façon péremptoire, comment expliquer qu'il y ait des athées ? Quelles sont les causes de l'athéisme et quelles en sont les conséquences ? D'où trois articles:
Art. I - L'existence de Dieu est-elle démontrable ?
Cette première question de la démonstrabilité de l'existence de Dieu se subdivise à son tour en deux autres: 1° Est-il possible de démontrer l'existence de Dieu ? 2° Par quelles voies peut-on faire cette démonstration ?
§ 1. - EST-IL POSSIBLE DE DÉMONTRER L'EXISTENCE DE DIEU ? ERREURS DU MATÉRIALISME ET DE L'AGNOSTICISME.
31. – Devant le problème de l'existence de Dieu, trois attitudes sont possibles: on peut répondre par l'affirmation, par la négation, ou par une fin de non-recevoir. Au premier groupe appartiennent les théistes ou croyants, au second, les matérialistes ou athées, au troisième, les agnostiques ou indifférents.
1° Théisme (du grec théos, Dieu). - Les théistes affirment qu'il est possible de démontrer l'existence de Dieu. Dans l'article suivant, nous exposerons les preuves sur lesquelles ils appuient leur croyance.
2° Matérialisme. - L'athée, de quelque nom qu'il s'appelle, - matérialiste, naturaliste, ou moniste19, - prétend qu'on ne peut démontrer l'existence de Dieu, parce que Dieu n'existe pas. Il estime qu'il n'est pas nécessaire de recourir à un créateur pour expliquer le monde, et que Dieu est une hypothèse inutile. La matière est la seule réalité qui soit: éternelle et douée d’énergie, elle suffit, seule, à résoudre les énigmes de l'univers. Le arguments du matérialisme seront du reste exposés dans l'article 2 sous le titre d'objections.
3° Agnosticisme. - D'une manière générale, le positiviste ou agnostique20 déclare que l'existence de Dieu est du domaine de l'inconnaissable. La raison théorique ne peut en effet dépasser les phénomènes; l'être en soi, les substances et les causes, ce qui est au fond intime des apparences, tout cela lui échappe. « Le problème de la cause dernière de l'existence, écrivait HUXLEY, en 1874, me paraît définitivement hors de l’étreinte de mes pauvres facultés.» Pour LITTRÉ (1801-1881), l'infini est « comme un océan qui vient battre notre rive », et, pour l'explorer, « nous n'avons ni barque ni voile ». ( Auguste Comte et la philosophie positive). D'où conclusion toute naturelle : puisque la recherche des causes en général et, a fortiori, de la cause dernière, est vouée à l'insuccès, ne perdons pas notre temps à l'entreprendre. Et c'est bien le conseil que LITTRÉ nous donne encore: « Pourquoi vous obstinez-vous à vous enquérir d'où vous venez et où vous allez, s'il y a un créateur intelligent, libre et bon ! Vous ne saurez jamais un mot de tout cela. Laissez donc là ces chimères... La perfection de l'homme et de l'ordre social est de n'en tenir aucun compte... Ces problèmes sont une maladie; le moyen d'en guérir est de n'y pas penser21.»
Ainsi, là où le matérialiste prend position contre Dieu, l'agnostique observe une sage réserve: il « ne nie rien, n'affirme rien, car nier ou affirmer ce serait déclarer que l'on a une connaissance quelconque de l'origine des êtres et de leur fin» (LITTRÉ). Il consent même à admettre la distinction entre le phénomène et la substance, entre le relatif et l'absolu, pourvu,
qu'on lui concède que l'absolu est inaccessible. Ignorance et désintéressement de la question, telle pourrait donc être la formule agnostique. Il est vrai que cette neutralité n'est souvent qu'apparente, car il est évident que de l'attitude d'abstention à la négation il n'y a qu'un pas, et la plupart des agnostiques le franchissent. Après avoir dit: « Au delà des données de l'expérience nous ne savons rien », ils ajoutent: « Au delà des objets de notre expérience il n'existe rien.»
Toutefois, tous les agnostiques ne vont pas aussi loin. Certains, comme KANT, LOCKE, HAMILTON, MANSEL, H. SPENCER, distinguant entre existence et nature de Dieu, proclament que l'être en soi existe mais que nous ne pouvons rien savoir de ce qu'il est. Si, dans ce système, Dieu devient, selon le mot de H. SPENCER, une « Réalité inconnue», il reste cependant une réalité et un objet de croyance.
19
Les trois dénominations: matérialiste, naturaliste, moniste, désignent, sous des aspects différents, le même fond de doctrine. Tous trois prétendent expliquer le monde par l'existence d'un seul élément, mais tandis que le matérialiste met en avant la seule matière, le naturaliste parle de la nature, ce qui est déjà un terme plus vague, et le moniste fait appel au mouvement cosmique. - Le moniste dont nous parlons ici est évidemment le moniste matérialiste.
20
Agnostique (du grec « a » privatif et « gnosis » connaissance). - D'après l'étymologie, le mot agnostique est opposé à gnostique.. l'agnostique déclare ignorer là où le gnostique prétend savoir. Le mot a été jeté dans la circulation par le philosophe anglais HUXLEY vers 1869. , La plupart de mes contemporains, dit-il un jour, pour faire profession de libre-pensée, pensaient avoir atteint une certaine gnose et prétendaient avoir résolu le problème de l'existence; j'étais parfaitement sûr de ne rien savoir sur ce sujet, et bien convaincu que le problème est insoluble : et comme j'avais Hume et Kant de mon côté, je ne croyais pas présomptueux de m'en tenir à mon opinion. .
21
Revue des Deux- Mondes. 1er juin 1865
Dernière édition par Rémi le Mar 10 Jan 2012 - 20:10, édité 4 fois
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 3. — Les prédictions de Jésus ont été faites
pour confirmer sa parole.
261. — Les prophéties faites par Jésus sont en connexion étroite avec sa mission. C'est pour prouver l'origine divine de celle-ci, et par conséquent, la vérité de son affirmation, que Jésus prophétise. Plusieurs fois il en fait la déclaration formelle à ses Apôtres. Ainsi, après avoir prédit la trahison de Judas, il déclare : « Dès maintenant, je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle sera arrivée, vous croyiez à ce que je suis. »(Jean, xiii, 19). de même, après leur avoir annoncé les persécutions qui les attendent, il ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsque l'heure en sera venue, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » . (Jean, xvi, 4). Comme on le voit, Jésus indique clairement le but qu'il se propose par ses prophéties: il veut que les Apôtres croient plus fermement à sa parole et à son origine divine, lorsqu'ils verront ses prédictions se réaliser.
Conclusion.— Il est donc permis de conclure que Jésus a fait des prédictions qui se sont réalisées, que ces prédictions avaient tous les caractères de la vraie prophétie et qu'il les a faites dans le but de prouver sa mission divine. Donc il est un Envoyé divin.
Art. II. — Jésus a confirmé son affirmation par ses miracles.
Nous suivrons ici la même marche que dans l'article précédent. Trois choses sont nécessaires pour que les miracles attribués à Jésus-Christ aient la valeur d'un signe divin. Il faut : 1° qu'ils soient historiquement certains ; 2° qu'ils soient de vrais miracles ; 3° qu'ils aient été accomplis en confirmation de sa mission.
§ 1. — Les miracles attribués a Jésus-Christ sont historiquement certains.
262. — La certitude des miracles attribués à Jésus ressort de la valeur historique des Évangiles qui les rapportent. Il a été établi précédemment (Nos 223 et suiv.) que les Évangélistes sont dignes de foi et que leur autorité humaine est indiscutable : les écrivains sacrés étaient à la fois bien informés et sincères ; bien informés, puisque deux d'entre eux, saint Matthieu et saint Jean étaient des Apôtres, et partant, des témoins oculaires ; sincères, la chose ne prête plus à discussion à notre époque, aucun critique ne prenant les Évangélistes pour des imposteurs.
Qu'on ne prétende pas que les miracles soient des interpolations qu'on aurait introduites après coup dans les récits évangéliques. Il ne faut pas lire longtemps les Évangiles pour être convaincu du contraire. Que les miracles appartiennent à la substance même de l’histoire évangélique, cela résulte : — a) de la place considérable qu'ils tiennent dans les Évangiles. S'il ne s'agissait que de deux ou trois miracles, on pourrait, à la rigueur, admettre qu'ils auraient été ajoutés par la suite, mais comme ils dépassent la quarantaine, l'hypothèse de l'interpolation est absolument invraisemblable ; — b) du rôle qui leur est attribué dans l'histoire évangélique. Retrancher les miracles des Évangiles, c'est rejeter l'histoire du Christ. Les miracles sont une partie si essentielle des Évangiles que ceux-ci, sans eux, deviennent incompréhensibles. Ce sont les miracles qui expliquent la foi des Apôtres et de beaucoup de Juifs : ainsi, il est dit, que, après le miracle de Cana, « ses disciples crurent en lui » (Jean, ii, 11),que «pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de Pâque, beaucoup crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait » (Jean, ii, 23). Le jour de la Pentecôte, saint Pierre, s'adressant au peuple, rappelle les miracles accomplis par Jésus (Actes, ii, 22). Or comment saint Pierre aurait-il osé en appeler aux miracles de Jésus, s'ils avaient pu être mis en doute par ses auditeurs? Au reste, ni les Juifs contemporains du Christ, ou postérieurs, qui ont écrit dans le Talmud211, ni les païens adversaires de la religion chrétienne : Celse, Porphyre, Hiéroclès, Julien et autres, n'ont rejeté la réalité des miracles de Jésus. Ces derniers se sont contentés de les attribuer à la magie et à un commerce avec les démons ; ils ont repris à leur compte l'accusation des Pharisiens, à savoir que, si Jésus chassait les démons, c'était par Belzébuth, prince des démons (Mat., xii, 24). Devant la notoriété publique des miracles et la non-protestation des Juifs, ils n'ont pas osé dire que c'étaient là des fables inventées par l'imagination fertile des Évangélistes.
pour confirmer sa parole.
261. — Les prophéties faites par Jésus sont en connexion étroite avec sa mission. C'est pour prouver l'origine divine de celle-ci, et par conséquent, la vérité de son affirmation, que Jésus prophétise. Plusieurs fois il en fait la déclaration formelle à ses Apôtres. Ainsi, après avoir prédit la trahison de Judas, il déclare : « Dès maintenant, je vous le dis, avant que la chose arrive, afin que, lorsqu'elle sera arrivée, vous croyiez à ce que je suis. »(Jean, xiii, 19). de même, après leur avoir annoncé les persécutions qui les attendent, il ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que, lorsque l'heure en sera venue, vous vous souveniez que je vous les ai dites. » . (Jean, xvi, 4). Comme on le voit, Jésus indique clairement le but qu'il se propose par ses prophéties: il veut que les Apôtres croient plus fermement à sa parole et à son origine divine, lorsqu'ils verront ses prédictions se réaliser.
Conclusion.— Il est donc permis de conclure que Jésus a fait des prédictions qui se sont réalisées, que ces prédictions avaient tous les caractères de la vraie prophétie et qu'il les a faites dans le but de prouver sa mission divine. Donc il est un Envoyé divin.
Art. II. — Jésus a confirmé son affirmation par ses miracles.
Nous suivrons ici la même marche que dans l'article précédent. Trois choses sont nécessaires pour que les miracles attribués à Jésus-Christ aient la valeur d'un signe divin. Il faut : 1° qu'ils soient historiquement certains ; 2° qu'ils soient de vrais miracles ; 3° qu'ils aient été accomplis en confirmation de sa mission.
§ 1. — Les miracles attribués a Jésus-Christ sont historiquement certains.
262. — La certitude des miracles attribués à Jésus ressort de la valeur historique des Évangiles qui les rapportent. Il a été établi précédemment (Nos 223 et suiv.) que les Évangélistes sont dignes de foi et que leur autorité humaine est indiscutable : les écrivains sacrés étaient à la fois bien informés et sincères ; bien informés, puisque deux d'entre eux, saint Matthieu et saint Jean étaient des Apôtres, et partant, des témoins oculaires ; sincères, la chose ne prête plus à discussion à notre époque, aucun critique ne prenant les Évangélistes pour des imposteurs.
Qu'on ne prétende pas que les miracles soient des interpolations qu'on aurait introduites après coup dans les récits évangéliques. Il ne faut pas lire longtemps les Évangiles pour être convaincu du contraire. Que les miracles appartiennent à la substance même de l’histoire évangélique, cela résulte : — a) de la place considérable qu'ils tiennent dans les Évangiles. S'il ne s'agissait que de deux ou trois miracles, on pourrait, à la rigueur, admettre qu'ils auraient été ajoutés par la suite, mais comme ils dépassent la quarantaine, l'hypothèse de l'interpolation est absolument invraisemblable ; — b) du rôle qui leur est attribué dans l'histoire évangélique. Retrancher les miracles des Évangiles, c'est rejeter l'histoire du Christ. Les miracles sont une partie si essentielle des Évangiles que ceux-ci, sans eux, deviennent incompréhensibles. Ce sont les miracles qui expliquent la foi des Apôtres et de beaucoup de Juifs : ainsi, il est dit, que, après le miracle de Cana, « ses disciples crurent en lui » (Jean, ii, 11),que «pendant qu'il était à Jérusalem pour la fête de Pâque, beaucoup crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait » (Jean, ii, 23). Le jour de la Pentecôte, saint Pierre, s'adressant au peuple, rappelle les miracles accomplis par Jésus (Actes, ii, 22). Or comment saint Pierre aurait-il osé en appeler aux miracles de Jésus, s'ils avaient pu être mis en doute par ses auditeurs? Au reste, ni les Juifs contemporains du Christ, ou postérieurs, qui ont écrit dans le Talmud211, ni les païens adversaires de la religion chrétienne : Celse, Porphyre, Hiéroclès, Julien et autres, n'ont rejeté la réalité des miracles de Jésus. Ces derniers se sont contentés de les attribuer à la magie et à un commerce avec les démons ; ils ont repris à leur compte l'accusation des Pharisiens, à savoir que, si Jésus chassait les démons, c'était par Belzébuth, prince des démons (Mat., xii, 24). Devant la notoriété publique des miracles et la non-protestation des Juifs, ils n'ont pas osé dire que c'étaient là des fables inventées par l'imagination fertile des Évangélistes.
211
Le mot « Talmud » est le nom sous lequel les Juifs désignent l'ensemble des doctrines et préceptes enseignés par leurs docteurs les plus autorisés. Le Talmud représente donc la tradition, juive, et il est pour nous une excellente source de renseignements pour l'histoire du judaïsme postérieur à Jésus-Christ.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 2. — Les miracles opérés par Jésus-Christ sont de vrais miracles,
263. — 1° Les miracles. — Nous laisserons de côté les miracles opérés par Dieu en faveur de Jésus : apparition des Anges aux bergers, apparition d'une étoile aux Mages lors de sa naissance ; témoignage rendu à l'occasion de son baptême et de sa transfiguration, etc. Nous ne parlerons que des miracles que Jésus-Christ a accomplis lui-même pour prouver la divinité de sa mission.
Or les miracles qui font partie de la matière évangélique, — plus de quarante, comme il a été dit plus haut, — peuvent être divisés en trois classes. Il y a : — a) les miracles opérés sur les substances spirituelles ; autrement dit, la délivrance des possédés. Jésus a chassé les démons ; les Évangiles nous rapportent sept miracles de ce genre ; — b) les miracles opérés sur les éléments et les êtres privés de raison. Dans cette catégorie, il faut ranger : — 1. le miracle du changement de l'eau en vin aux noces de Cana (Jean, ii, 1-11) ; — 2. la tempête du lac apaisée (Mat., viii, 24, 26) ; — 3. deux pêches miraculeuses (Luc, v, 1, 11 ; Jean, xxi, 3, 11) ; — 4. la multiplication des pains (Mat., xiv, 15, 21 ; Marc, vi, 30, 44 ; Luc., ix, 10, 17 ; Jean, vi, 1, 15) ; — 5. le figuier desséché (Luc, xiii, 6-9) ; — 6. la marche de Jésus sur les flots (Mat., xiv, 25) ; — c) les miracles opérés sur les hommes. Les Évangélistes ne relèvent pas moins de quinze guérisons de maladies corporelles : guérisons de lépreux, de paralytiques, du serviteur du centurion qui a la main desséchée, d'hydropiques, de sourds-muets et d'aveugles. Outre ces guérisons de maladies, Jésus a ressuscité trois morts : le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïre et Lazare.
264. — 2° Ce sont de vrais miracles- — Après avoir jeté un rapide coup d’œil sur les miracles rapportés dans les Evangiles, il nous faut établir que ces faits sont bien des miracles proprement dits, c'est-à-dire des faits surnaturels et divins.
A. CE SONT DES FAITS SURNATURELS. — Rappelons d'abord ce que nous avons dit plus haut, à savoir que les contemporains du Christ et ses premiers adversaires païens n'ont pas contesté l'apparence surnaturelle des miracles. — Sans doute, disent nos modernes rationalistes, mais leur méprise n'a pas d'autre cause que leur ignorance totale des lois de la nature Au dire de ces derniers, les prodiges en question s'expliquent donc par des causes naturelles: — a) soit par l'habileté et l'influence morale du thaumaturge : « La présence d'un homme supérieur traitant le malade avec douceur, et lui donnant par quelques signes sensibles l'assurance de son rétablissement, est souvent un remède décisif. Qui oserait dire que, dans beaucoup de cas et en dehors des lésions tout à fait caractérisées, le contact d'une personne exquise ne vaut pas les ressources de la pharmacie ? Le plaisir de la voir guérit. Elle donne ce qu'elle peut, un sourire, une espérance, et cela n'est pas vain. » Ainsi parle Renan dans la Vie de Jésus (2e éd., p. 260); — b) soit par la suggestion et l'hypnotisme ; — c) soit par la « foi qui guérit » the faith-healing, comme disent les Anglais. Cette dernière hypothèse est celle à laquelle se rallient de préférence beaucoup de nos adversaires actuels, et en particulier les modernistes (Ed. Le Roy, Fogazzaro...), du moins pour les faits dont ils reconnaissent la réalité. Comprenant bien, en effet, que tous les miracles ne sont pas explicables par la foi, ils n'admettent la réalité historique que des faits qui peuvent s'expliquer par cette hypothèse. Pour prouver le bien-fondé de leur théorie, ils s'appuient surtout sur ce fait qu'avant de guérir les maladies, Jésus requiert la foi : « Si tu peux croire, tout est possible à celui qui croit (Marc, ix, 22), dit Jésus au père d'un jeune épileptique qui lui demande la guérison de son fils. « Ma fille, ta foi t'a guérie » (Marc, v, 34), dit-il à l'hémorroïsse. « Va, ta foi t'a sauvé » (Marc, x, 52), dit-il encore à l'aveugle de Jéricho.
Aucune des explications qui précèdent ne suffit à rendre compte de l'ensemble des miracles contenus dans l'Évangile. Nous disons de l'ensemble des miracles, car, ou bien l'on admet la valeur historique des Évangiles, ou bien on la rejette. Si on la rejette, si l'on considère la partie miraculeuse comme mythique ou légendaire, toute discussion devient inutile. Mais si on l'admet, il n'y a aucune raison qui permette de faire un choix entre les miracles et de retenir tel miracle plutôt que tel autre. Ceci posé, nous prétendons que les miracles ne s'expliquent : — a) ni par l'habileté et l'influence morale du thaumaturge. Tout d'abord on ne saurait prendre Jésus pour un adroit metteur en scène : tout ce que nous savons de son caractère s'y oppose. Et puis, quoique habile que soit une personne, quelque influence morale qu'elle ait sur une autre, il va de soi qu'elle ne peut rendre la vue à un aveugle, l'ouïe à un sourd et la parole à un muet ; — b) ni par la suggestion et l'hypnotisme. Nous avons vu déjà (N° 168) que la suggestion a des limites très étroites par rapport aux sujets et aux affections qu'elle peut guérir. Elle est sans efficacité sur les maladies organiques, telles que la lèpre, l'atrophie, la cécité, l'hémorragie habituelle. On ne voit pas bien non plus l'influence que la suggestion pourrait avoir sur les vents déchaînés ni comment elle pourrait calmer soudain une tempête. Ajoutons en outre que le Christ opère ses miracles instantanément ; ce qui n'arrive jamais dans les guérisons dues à l'hypnotisme et à la suggestion qui exigent et le temps et l'emploi des moyens ;, — c) ni par la foi qui guérit. Il est faux de prétendre que Jésus requiert toujours la foi : il l'exige, il est vrai, de ceux qui viennent lui demander la guérison, et ce n'est que trop juste ; mais il ne l'exige pas, dans toutes les circonstances, du malade lui-même ; la preuve en est que plusieurs fois il accomplit ses miracles à distance, comme il arriva pour la Cananéenne. On ne peut donc soutenir que la foi des malades fut toujours la cause de leur guérison. En outre, l'hypothèse de la foi qui guérit ne peut s'appliquer qu'à un nombre très restreint de cas ; elle est sans valeur pour tous les miracles opérés sur la nature : elle ne rend compte ni des tempêtes apaisées, ni des pains multipliés, ni des morts ressuscités. Aussi les partisans de cette théorie se voient-ils contraints, comme nous l'avons dit plus haut, de faire un choix arbitraire dans les matériaux fournis par l'histoire évangélique, et de rejeter, contrairement aux règles de la méthode historique, tous les faits qui sont en opposition avec leurs préjugés philosophiques.
B. CE SONT DES FAITS DIVINS. — a) Nous venons de prouver que les miracles attribués à Notre-Seigneur sont au-dessus de la nature ; il n'est pas nécessaire d'insister longuement pour montrer qu'ils ne sauraient être l'œuvre du démon. Car il est évident que la plupart dépassent la puissance de tout être créé ; telles sont, par exemple, les trois résurrections que Jésus a opérées, sans parler de la sienne. — b) Si Jésus avait usé de la puissance du démon, il ne l'aurait pas utilisée assurément à chasser les démons ; il n'est pas admissible que Satan se mette en opposition lui-même. — c) Mais comment admettre que Jésus-Christ dont la sainteté est au-dessus de tout soupçon, ait pu servir d'agent au démon? D'ailleurs tous ses miracles ont un caractère moral ; ils sont des œuvres de bonté et de miséricorde212, ils ont souvent pour fin dernière la sanctification de l'âme plutôt que la guérison du corps : autant de propriétés que ne pourraient pas avoir les œuvres de Jésus, si elles dérivaient de la puissance diabolique.
Conclusion. — De ce qui précède nous avons le droit de conclure que les prodiges attribués à Notre-Seigneur sont de vrais miracles. D'où il suit qu'il faut reconnaître en Jésus l'existence d'une force surhumaine, transcendante, surnaturelle. Ceux qui n'acceptent pas la conclusion sont obligés de rejeter les faits eux-mêmes et de contester la valeur historique des Évangiles : c'est là une nécessité à laquelle ils se trouvent acculés mais dont ils ont à fournir l'explication.
212 « Ce ne sont point des signes dans le ciel, tels que les Juifs les demandaient... Tous ces miracles tiennent plus de la bonté que de la puissance, et ne surprennent pas tant les spectateurs, qu'ils les touchent dans le fond du cœur.» Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle, chap. xix, Jésus-Christ et sa doctrine.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 3. — Les miracles ont été faits par Jésus pour confirmer sa mission.
265. — A. Jésus ne se contente pas d'affirmer qu'il est le Messie ; il entend le prouver par ses œuvres et particulièrement par ses miracles. — a) Aux envoyés de Jean-Baptiste qui lui demandent s'il est le Messie, il renvoie à ses miracles (Mat., xi, 5). — b) Aux Juifs qui lui posent la même question, il répond : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent elles-mêmes témoignage de moi» (Jean, x, 25). — c) Avant la résurrection de Lazare, il déclare que le miracle qu'il va accomplir, c'est pour que le peuple qui l'entoure croie à sa mission (Jean, xi, 42).
B. Les miracles de Jésus ne furent d'ailleurs pas interprétés autrement par tous ceux qui en ont été les témoins. — a) Par ses disciples. Nous avons dit précédemment qu'ils crurent en lui à partir et à cause du miracle de Cana ; — b) par Nicodème, qui le confesse on ces termes : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur ; car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui» (Jean, iii, 2) ; — c) par l'aveugle-né qui croit en Jésus après sa guérison (Jean, ix, 38) ; — d) par les foules en général « qui étaient dans l'admiration et disaient : N'est-ce point là le fils de David? » (Mat., xii, 23).
Conclusion. — Les miracles évangéliques sont donc des miracles historiquement certains ; ils sont de vrais miracles et ils ont été faits pour démontrer que Jésus était un Envoyé de Dieu. Si par conséquent cet Envoyé de Dieu nous dit qu'il est le Messie, et plus, qu'il est le Fils de Dieu, dans le sens propre du mot, sa parole est digne de foi, car il est inadmissible que Dieu ait consacré par sa puissance la parole d'un imposteur.
Art. III. — Jésus a confirmé son affirmation par sa Résurrection.
266. — 1° Importance de la question. — Au moment où nous en sommes de la démonstration chrétienne, et après avoir établi la réalité historique des miracles de Jésus, il pourrait sembler que le miracle de la Résurrection ne soit plus désormais nécessaire pour attester sa mission divine et que ce soit chose faite. Il est vrai. Cependant il importe au plus haut point que l'apologiste démontre la Résurrection par les preuves les plus solides et qu'il ne laisse point les attaques des adversaires sans réponses, car, outre qu'elle est bien le miracle des miracles, et qu'elle est un miracle prophétisé par Notre-Seigneur lui-même, — donc miracle et prophétie à la fois, — elle a toujours été comme la base et la clef de voûte de la prédication chrétienne. Les Apôtres ont cru et prêché que le Christ était ressuscité des morts. Saint Pierre a affirmé la résurrection du Christ en termes formels dans ses deux premiers discours (Act., ii, 24 ; iii, 15). Saint Paul, qui est revenu souvent sur le sujet, n'hésitait pas à dire aux Corinthiens que leur foi était vaine si le Christ n'était pas ressuscité (I Cor., xv, 17). L'on peut juger par là de l'importance de la question.
2° Position de la question. — Il convient d'abord de bien déterminer comment se pose la question du miracle de la Résurrection en face de la critique moderne.
Deux choses sont nécessaires pour que la Résurrection de Jésus ait toute sa valeur apologétique et puisse être regardée comme un signe divin Il faut : 1° que le fait soit historiquement certain, et 2° qu'il se soit accompli pour confirmer la mission divine de Jésus. Il n'y a pas lieu en effet de démontrer le caractère miraculeux du fait, que personne ne conteste. D'où deux paragraphes seulement.
265. — A. Jésus ne se contente pas d'affirmer qu'il est le Messie ; il entend le prouver par ses œuvres et particulièrement par ses miracles. — a) Aux envoyés de Jean-Baptiste qui lui demandent s'il est le Messie, il renvoie à ses miracles (Mat., xi, 5). — b) Aux Juifs qui lui posent la même question, il répond : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent elles-mêmes témoignage de moi» (Jean, x, 25). — c) Avant la résurrection de Lazare, il déclare que le miracle qu'il va accomplir, c'est pour que le peuple qui l'entoure croie à sa mission (Jean, xi, 42).
B. Les miracles de Jésus ne furent d'ailleurs pas interprétés autrement par tous ceux qui en ont été les témoins. — a) Par ses disciples. Nous avons dit précédemment qu'ils crurent en lui à partir et à cause du miracle de Cana ; — b) par Nicodème, qui le confesse on ces termes : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu comme docteur ; car personne ne peut faire les miracles que vous faites, si Dieu n'est pas avec lui» (Jean, iii, 2) ; — c) par l'aveugle-né qui croit en Jésus après sa guérison (Jean, ix, 38) ; — d) par les foules en général « qui étaient dans l'admiration et disaient : N'est-ce point là le fils de David? » (Mat., xii, 23).
Conclusion. — Les miracles évangéliques sont donc des miracles historiquement certains ; ils sont de vrais miracles et ils ont été faits pour démontrer que Jésus était un Envoyé de Dieu. Si par conséquent cet Envoyé de Dieu nous dit qu'il est le Messie, et plus, qu'il est le Fils de Dieu, dans le sens propre du mot, sa parole est digne de foi, car il est inadmissible que Dieu ait consacré par sa puissance la parole d'un imposteur.
Art. III. — Jésus a confirmé son affirmation par sa Résurrection.
266. — 1° Importance de la question. — Au moment où nous en sommes de la démonstration chrétienne, et après avoir établi la réalité historique des miracles de Jésus, il pourrait sembler que le miracle de la Résurrection ne soit plus désormais nécessaire pour attester sa mission divine et que ce soit chose faite. Il est vrai. Cependant il importe au plus haut point que l'apologiste démontre la Résurrection par les preuves les plus solides et qu'il ne laisse point les attaques des adversaires sans réponses, car, outre qu'elle est bien le miracle des miracles, et qu'elle est un miracle prophétisé par Notre-Seigneur lui-même, — donc miracle et prophétie à la fois, — elle a toujours été comme la base et la clef de voûte de la prédication chrétienne. Les Apôtres ont cru et prêché que le Christ était ressuscité des morts. Saint Pierre a affirmé la résurrection du Christ en termes formels dans ses deux premiers discours (Act., ii, 24 ; iii, 15). Saint Paul, qui est revenu souvent sur le sujet, n'hésitait pas à dire aux Corinthiens que leur foi était vaine si le Christ n'était pas ressuscité (I Cor., xv, 17). L'on peut juger par là de l'importance de la question.
2° Position de la question. — Il convient d'abord de bien déterminer comment se pose la question du miracle de la Résurrection en face de la critique moderne.
Deux choses sont nécessaires pour que la Résurrection de Jésus ait toute sa valeur apologétique et puisse être regardée comme un signe divin Il faut : 1° que le fait soit historiquement certain, et 2° qu'il se soit accompli pour confirmer la mission divine de Jésus. Il n'y a pas lieu en effet de démontrer le caractère miraculeux du fait, que personne ne conteste. D'où deux paragraphes seulement.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 1. — La Résurrection est un fait historiquement certain.
267. — 1° Adversaires. — Le miracle de la Résurrection a rencontré à toutes les époques de nombreux adversaires. Seuls, ceux de l'heure présente doivent retenir notre attention. D'une manière générale, l'on pourrait poser en principe que l'opinion des ennemis du christianisme fut toujours commandée par leurs passions et leurs préjugés. Celle de nos rationalistes modernes dérive de leur philosophie qui repousse a priori tout miracle, à supposer même qu'il fût attesté par les témoignages les plus forts et les plus dignes de foi. « Aujourd'hui, dit M. Stapfer, pour l'homme moderne, une résurrection véritable, le retour à la vie organique d'un corps réellement mort est l'impossibilité des impossibilités. »213 Le siège de ces critiques est donc fait d'avance, et la seule question qui se pose pour eux c'est de découvrir le meilleur terrain sur lequel ils puissent donner l'assaut à l'apologétique catholique. Ce terrain, ils ont cru le trouver dans la critique littéraire et historique. L'on ne dit donc plus aujourd'hui : nous ne croyons pas à la Résurrection, parce que le fait est impossible, parce qu'il est en dehors des lois de la nature ; l'on se contente de dire : Tout fait historique doit être prouvé par le témoignage de ceux qui ont pu le connaître. Or « la Résurrection, si on veut la prendre pour une réalité historique, de même ordre que la mort, n'est attestée que par des témoignages discordants... la mort, fait naturel et réel, a eu des témoins et pouvait être racontée ; la Résurrection, matière de foi, n'a jamais été vérifiée... On ne parle que de visions et les récits qu'on en donne sont contradictoires. »214 La Résurrection est « une croyance chrétienne, non un fait de l'histoire évangélique. Et s'il fallait y voir un fait d'ordre historique, on serait obligé de reconnaître que ce fait n'est pas garanti par des témoignages suffisamment sûrs, concordants, clairs et précis. »215 Comme il est permis d'en juger par ces deux brèves citations, c'est bien au nom de la critique historique qu'on entend nier le fait de la Résurrection: c'est en s'appuyant sur les témoignages qui le rapportent, en les opposant entre eux, que l'on espère ruiner l'un des points principaux de la croyance chrétienne. C'est ainsi que l'on met le témoignage de saint Paul en parallèle avec le témoignage des Évangélistes, et comme le premier est moins circonstancié et qu'il est de date antérieure, l'on prétend qu'il représente la tradition primitive, laquelle n'aurait cru d'abord qu'à l'immortalité du Christ et ne serait arrivée à la foi à la Résurrection corporelle de Notre-Seigneur que peu à peu et par des étapes successives dont les récits évangéliques portent les traces. Nous allons voir si toutes ces prétentions sont justifiées.
268. — 2° Preuves de la Résurrection. — Les deux principaux témoignages qui nous rapportent le fait de la Résurrection sont, d'après l'ordre chronologique : — a) le témoignage de saint Paul, consigné dans la première Épître aux Corinthiens, dont la date de composition peut être fixée, de l'avis de tous les critiques, entre 52 et 57 ----216 ; et — b) le témoignage des Évangiles, composés entre 67 et la fin du 1er siècle.
A. TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL. — Saint Paul, avons-nous dit plus haut, a souvent prêché la Résurrection du Christ. Mais le passage le plus important où il en rende témoignage, se trouve dans son Épître aux Corinthiens (xv, 11-14). Voici d'ailleurs les points principaux de ce passage ; « Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé... je vous ai enseigné avant tout, comme je l'ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures ; et qu'il est apparu à Képhas, puis aux Douze. Après cela, il est apparu en une seule fois à plus de cinq cents frères, dont la plupart sont encore vivants, et quelques-uns se sont endormis. Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Après eux tous, il m'est apparu aussi à moi, comme à l'avorton... Or, si l'on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu'il n'y a point de résurrection des morts? S'il n'y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, vaine aussi est votre foi. »
De l'analyse impartiale de ce texte, il ressort que saint Paul affirme la mort, l'ensevelissement et la résurrection de Jésus : — a) la mort de Jésus « Je vous ai enseigné que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures. »217 La mort de Jésus, — la mort rédemptrice, Jésus s'immolant volontairement sur la croix pour le rachat de l'humanité coupable, — voilà bien le thème ordinaire de la prédication de saint Paul. Or le fait et la doctrine qui s'y rattache, il déclare les avoir reçus de la tradition apostolique ; -— b) la sépulture de Jésus : « Je vous ai enseigné... qu'il (le Christ) a été enseveli. » Le mot grec « etaphê» dont saint Paul se sert, et que l'on a traduit par: « a été enseveli», désigne généralement, chez les écrivains sacrés du Nouveau Testament, une sépulture honorable : c'est le mot que saint Luc emploie quand il parle de la sépulture du riche dans la parabole de Lazare (Luc, xvi, 22), et c'est encore le mot que nous trouvons dans les Actes des Apôtres (ii, 29), à propos de la sépulture de David. Il ne peut donc être question d'un enfouissement, comme M. Loisy en a fait l'hypothèse dans un fragment de lettre reproduit par l'Univers du 3 juin 1907 ---218, où il ne craint pas de dire que « l'ensevelissement par Joseph d'Arimathie et la découverte du tombeau vide, le surlendemain de la passion, n'offrant aucune garantie d'authenticité, l'on est en droit de conjecturer que, sur le soir de la passion, le corps de Jésus fut détaché de la croix par les soldats et jeté dans quelque fosse commune, où l'on ne pourrait avoir l'idée de l'aller chercher et reconnaître au bout d'un certain temps. » On ne voit pas bien sur quels textes une telle hypothèse peut s'appuyer ; en tout cas ce n'est pas sur le mot etaphê employé par saint Paul et qui désigne à tout le moins une sépulture ordinaire. Conjecturer après cela que Jésus fut jeté dans une fosse commune n'est plus de la critique historique, c'est de la critique fantaisiste ; — c) le fait même de la Résurrection. Ce troisième point est, à vrai dire, celui qui importe le plus à l'Apôtre, le seul qui aille à la thèse qu'il soutient. Toutefois, il convient de le remarquer aussitôt, il ne s'agit pas tant pour saint Paul de prouver la résurrection de Jésus qui n'est pas en cause, que de la rappeler comme une vérité admise et de s'en servir comme de point d'appui pour la démonstration d'un autre dogme mis en discussion. Quel est en effet le but de la première lettre aux Corinthiens ? C'est de prouver aux fidèles de cette Église, précédemment évangélisée par saint Paul, que ceux d'entre eux qui nient la résurrection des morts sont dans l'erreur et l'illogisme, puisqu'ils admettent bien la résurrection de Jésus-Christ. Car, dans la pensée de l'Apôtre, les deux choses s'enchaînent, l'une est impliquée dans l'autre. L'on ne peut nier la résurrection des morts sans nier la Résurrection du Christ; et nier la Résurrection du Christ c'est donner un démenti au témoignage des Apôtres, c'est dire qu'ils ont enseigné une chose fausse, et que dès lors le christianisme est sans valeur. « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est votre foi.» (1 Cor., xv, 16, 17). Étant donné le but de l'Apôtre, il est assez naturel qu'il n'insiste pas autrement sur les preuves de la Résurrection du Christ. Il lui suffit de faire un choix et de retenir celles qui sont le plus aptes à faire impression sur ses lecteurs. Or des deux arguments employés par les Évangélistes : le tombeau vide et les apparitions, il est indiscutable que le premier a une moindre portée que le second, vu que le tombeau vide peut s'expliquer par d'autres hypothèses que la résurrection. Saint Paul laisse donc de côté ce premier argument, ou tout au moins, n'en parle-t-il que d'une manière indirecte. Nous disons cependant qu'il en parle d'une manière indirecte, car lorsqu'il déclare que « le Christ est mort», « qu'il a été enseveli » « et qu'il est ressuscité », c'est bien celui qui est mort et a été enseveli, qui ressuscite, et comment la chose pourrait-elle se faire si le corps était resté au tombeau? Toutefois, si le tombeau vide est dans la pensée de saint Paul, il faut reconnaître que l'Apôtre ne cherche pas à en tirer un argument et qu'il se contente d'insister sur le fait des apparitions.
Pour prouver, ou mieux, pour rappeler aux Corinthiens que Jésus est ressuscité, saint Paul invoque donc six apparitions qu'il divise en trois groupes : — 1. Dans le premier groupe, deux apparitions, l'une à Pierre, l'autre aux Douze ; — 2. dans le second, trois apparitions, la première à cinq cents frères, la seconde à Jacques, la troisième à tous les Apôtres ; — 3. dans le troisième, une seule apparition, celle dont il fut lui-même gratifié. Toutes les apparitions d'ailleurs sont mises sur le même pied, mais il y a tout lieu de présumer que, aux yeux de saint Paul, l'apparition aux cinq cents frères avait une importance particulière, car, au moment où il écrivait, quelque vingt-cinq ans après l'événement, la plupart de ces témoins étaient encore vivants, et c'est une sorte d'appel à leur témoignage commun que l'Apôtre ne craint pas de leur adresser.
267. — 1° Adversaires. — Le miracle de la Résurrection a rencontré à toutes les époques de nombreux adversaires. Seuls, ceux de l'heure présente doivent retenir notre attention. D'une manière générale, l'on pourrait poser en principe que l'opinion des ennemis du christianisme fut toujours commandée par leurs passions et leurs préjugés. Celle de nos rationalistes modernes dérive de leur philosophie qui repousse a priori tout miracle, à supposer même qu'il fût attesté par les témoignages les plus forts et les plus dignes de foi. « Aujourd'hui, dit M. Stapfer, pour l'homme moderne, une résurrection véritable, le retour à la vie organique d'un corps réellement mort est l'impossibilité des impossibilités. »213 Le siège de ces critiques est donc fait d'avance, et la seule question qui se pose pour eux c'est de découvrir le meilleur terrain sur lequel ils puissent donner l'assaut à l'apologétique catholique. Ce terrain, ils ont cru le trouver dans la critique littéraire et historique. L'on ne dit donc plus aujourd'hui : nous ne croyons pas à la Résurrection, parce que le fait est impossible, parce qu'il est en dehors des lois de la nature ; l'on se contente de dire : Tout fait historique doit être prouvé par le témoignage de ceux qui ont pu le connaître. Or « la Résurrection, si on veut la prendre pour une réalité historique, de même ordre que la mort, n'est attestée que par des témoignages discordants... la mort, fait naturel et réel, a eu des témoins et pouvait être racontée ; la Résurrection, matière de foi, n'a jamais été vérifiée... On ne parle que de visions et les récits qu'on en donne sont contradictoires. »214 La Résurrection est « une croyance chrétienne, non un fait de l'histoire évangélique. Et s'il fallait y voir un fait d'ordre historique, on serait obligé de reconnaître que ce fait n'est pas garanti par des témoignages suffisamment sûrs, concordants, clairs et précis. »215 Comme il est permis d'en juger par ces deux brèves citations, c'est bien au nom de la critique historique qu'on entend nier le fait de la Résurrection: c'est en s'appuyant sur les témoignages qui le rapportent, en les opposant entre eux, que l'on espère ruiner l'un des points principaux de la croyance chrétienne. C'est ainsi que l'on met le témoignage de saint Paul en parallèle avec le témoignage des Évangélistes, et comme le premier est moins circonstancié et qu'il est de date antérieure, l'on prétend qu'il représente la tradition primitive, laquelle n'aurait cru d'abord qu'à l'immortalité du Christ et ne serait arrivée à la foi à la Résurrection corporelle de Notre-Seigneur que peu à peu et par des étapes successives dont les récits évangéliques portent les traces. Nous allons voir si toutes ces prétentions sont justifiées.
268. — 2° Preuves de la Résurrection. — Les deux principaux témoignages qui nous rapportent le fait de la Résurrection sont, d'après l'ordre chronologique : — a) le témoignage de saint Paul, consigné dans la première Épître aux Corinthiens, dont la date de composition peut être fixée, de l'avis de tous les critiques, entre 52 et 57 ----216 ; et — b) le témoignage des Évangiles, composés entre 67 et la fin du 1er siècle.
A. TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL. — Saint Paul, avons-nous dit plus haut, a souvent prêché la Résurrection du Christ. Mais le passage le plus important où il en rende témoignage, se trouve dans son Épître aux Corinthiens (xv, 11-14). Voici d'ailleurs les points principaux de ce passage ; « Je vous rappelle, frères, l'Évangile que je vous ai annoncé... je vous ai enseigné avant tout, comme je l'ai appris moi-même, que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures ; qu'il a été enseveli et qu'il est ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures ; et qu'il est apparu à Képhas, puis aux Douze. Après cela, il est apparu en une seule fois à plus de cinq cents frères, dont la plupart sont encore vivants, et quelques-uns se sont endormis. Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Après eux tous, il m'est apparu aussi à moi, comme à l'avorton... Or, si l'on prêche que le Christ est ressuscité des morts, comment quelques-uns parmi vous disent-ils qu'il n'y a point de résurrection des morts? S'il n'y a point de résurrection des morts, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est donc vaine, vaine aussi est votre foi. »
De l'analyse impartiale de ce texte, il ressort que saint Paul affirme la mort, l'ensevelissement et la résurrection de Jésus : — a) la mort de Jésus « Je vous ai enseigné que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Écritures. »217 La mort de Jésus, — la mort rédemptrice, Jésus s'immolant volontairement sur la croix pour le rachat de l'humanité coupable, — voilà bien le thème ordinaire de la prédication de saint Paul. Or le fait et la doctrine qui s'y rattache, il déclare les avoir reçus de la tradition apostolique ; -— b) la sépulture de Jésus : « Je vous ai enseigné... qu'il (le Christ) a été enseveli. » Le mot grec « etaphê» dont saint Paul se sert, et que l'on a traduit par: « a été enseveli», désigne généralement, chez les écrivains sacrés du Nouveau Testament, une sépulture honorable : c'est le mot que saint Luc emploie quand il parle de la sépulture du riche dans la parabole de Lazare (Luc, xvi, 22), et c'est encore le mot que nous trouvons dans les Actes des Apôtres (ii, 29), à propos de la sépulture de David. Il ne peut donc être question d'un enfouissement, comme M. Loisy en a fait l'hypothèse dans un fragment de lettre reproduit par l'Univers du 3 juin 1907 ---218, où il ne craint pas de dire que « l'ensevelissement par Joseph d'Arimathie et la découverte du tombeau vide, le surlendemain de la passion, n'offrant aucune garantie d'authenticité, l'on est en droit de conjecturer que, sur le soir de la passion, le corps de Jésus fut détaché de la croix par les soldats et jeté dans quelque fosse commune, où l'on ne pourrait avoir l'idée de l'aller chercher et reconnaître au bout d'un certain temps. » On ne voit pas bien sur quels textes une telle hypothèse peut s'appuyer ; en tout cas ce n'est pas sur le mot etaphê employé par saint Paul et qui désigne à tout le moins une sépulture ordinaire. Conjecturer après cela que Jésus fut jeté dans une fosse commune n'est plus de la critique historique, c'est de la critique fantaisiste ; — c) le fait même de la Résurrection. Ce troisième point est, à vrai dire, celui qui importe le plus à l'Apôtre, le seul qui aille à la thèse qu'il soutient. Toutefois, il convient de le remarquer aussitôt, il ne s'agit pas tant pour saint Paul de prouver la résurrection de Jésus qui n'est pas en cause, que de la rappeler comme une vérité admise et de s'en servir comme de point d'appui pour la démonstration d'un autre dogme mis en discussion. Quel est en effet le but de la première lettre aux Corinthiens ? C'est de prouver aux fidèles de cette Église, précédemment évangélisée par saint Paul, que ceux d'entre eux qui nient la résurrection des morts sont dans l'erreur et l'illogisme, puisqu'ils admettent bien la résurrection de Jésus-Christ. Car, dans la pensée de l'Apôtre, les deux choses s'enchaînent, l'une est impliquée dans l'autre. L'on ne peut nier la résurrection des morts sans nier la Résurrection du Christ; et nier la Résurrection du Christ c'est donner un démenti au témoignage des Apôtres, c'est dire qu'ils ont enseigné une chose fausse, et que dès lors le christianisme est sans valeur. « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité. Et si le Christ n'est pas ressuscité, vaine est votre foi.» (1 Cor., xv, 16, 17). Étant donné le but de l'Apôtre, il est assez naturel qu'il n'insiste pas autrement sur les preuves de la Résurrection du Christ. Il lui suffit de faire un choix et de retenir celles qui sont le plus aptes à faire impression sur ses lecteurs. Or des deux arguments employés par les Évangélistes : le tombeau vide et les apparitions, il est indiscutable que le premier a une moindre portée que le second, vu que le tombeau vide peut s'expliquer par d'autres hypothèses que la résurrection. Saint Paul laisse donc de côté ce premier argument, ou tout au moins, n'en parle-t-il que d'une manière indirecte. Nous disons cependant qu'il en parle d'une manière indirecte, car lorsqu'il déclare que « le Christ est mort», « qu'il a été enseveli » « et qu'il est ressuscité », c'est bien celui qui est mort et a été enseveli, qui ressuscite, et comment la chose pourrait-elle se faire si le corps était resté au tombeau? Toutefois, si le tombeau vide est dans la pensée de saint Paul, il faut reconnaître que l'Apôtre ne cherche pas à en tirer un argument et qu'il se contente d'insister sur le fait des apparitions.
Pour prouver, ou mieux, pour rappeler aux Corinthiens que Jésus est ressuscité, saint Paul invoque donc six apparitions qu'il divise en trois groupes : — 1. Dans le premier groupe, deux apparitions, l'une à Pierre, l'autre aux Douze ; — 2. dans le second, trois apparitions, la première à cinq cents frères, la seconde à Jacques, la troisième à tous les Apôtres ; — 3. dans le troisième, une seule apparition, celle dont il fut lui-même gratifié. Toutes les apparitions d'ailleurs sont mises sur le même pied, mais il y a tout lieu de présumer que, aux yeux de saint Paul, l'apparition aux cinq cents frères avait une importance particulière, car, au moment où il écrivait, quelque vingt-cinq ans après l'événement, la plupart de ces témoins étaient encore vivants, et c'est une sorte d'appel à leur témoignage commun que l'Apôtre ne craint pas de leur adresser.
213 Stapfer, La mort et la résurrection de Jésus-Christ.
214
Loisy, Quelques lettres sur des questions actuelles et sur des événements récents.
215 Loisy, Les Évangiles synoptiques.
216
Lorsque nous avons établi la valeur historique des écrits du Nouveau Testament, notre étude s'est bornée aux Évangiles et il n'a pas été question des Epîtres de saint Paul dont nous invoquons ici le témoignage. Ce n'est point là une omission. La raison pour laquelle nous ne nous arrêtons pas à prouver l'historicité de la première Epître aux Corinthiens, c'est qu'elle n'est pas contestée par les critiques rationalistes.
217 « Conformément aux Écritures ».— Cette expression répétée deux fois par saint Paul, est invoquée à tort par les rationalistes qui s'en servent pour diminuer la valeur du témoignage. Il n'y a pas lieu, en effet, de s'étonner que les Apôtres aient pris soin de rapprocher les faits de la vie de Jésus des prophéties de l'Ancien Testament. Aux yeux des Juifs qui ne juraient que par les Écritures et qui mettaient l'argument prophétique au-dessus de tout, l'accord entre les prédictions des prophètes et les événements de la vie de Jésus avait plus de valeur que le témoignage des Apôtres affirmant qu'ils avaient vu Jésus ressuscité. Mais ce recours aux Écritures n'enlevait rien à la vérité du témoignage, et les Apôtres n'en restaient pas moins des témoins bien informés et sincères, alors que les faits qu'ils rapportaient s'étaient déroulés « conformément aux Ecriture
218 Cette hypothèse M. Loisy l'a renouvelée dans son grand ouvrage Les Evangiles Synoptiques.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
269. — Objection. — Les apparitions, objectent les rationalistes, sont mises par saint Paul sur le même pied ; toutes furent du même genre, puisque l'apôtre les décrit de la même manière, et qu'il emploie partout le même mot, le verbe ôphtê qu'on peut traduire par les expressions françaises, « il a été vu» ou « il est apparu». Telle fut l'apparition de Jésus à Saul sur le chemin de Damas ; telles furent donc les autres apparitions. La question revient dès lors à déterminer ce que l'Apôtre a voulu signifier en disant qu'il avait vu le Christ ressuscité. Or saint Paul n'a pas pu entendre par là qu'il avait vu le Christ revenu en vie dans le corps qui avait été déposé dans le tombeau ; il n'a vu qu'une lumière, « un corps de gloire» (Phil., iii, 21). Et la lumière même qu'il a vue n'était pas une lumière réelle et objective. « Il a eu la sensation de voir, sans qu'il y ait rien à la portée de son regard. Il était halluciné.»219 Et comment cette hallucination se produisit-elle? C'est que, d'après M. Meyer, saint Paul, homme de génie mais atteint d'une maladie nerveuse, et coutumier de semblables visions, se trouvait corporellement et intellectuellement prédisposé à l'événement du chemin de Damas. Les idées de Jésus Messie, de Jésus principe de vie, de Jésus vivant et immortel s'étaient formées peu à peu à son insu dans sa subconscience. Sur la route de Damas, ces idées firent soudain irruption de sa subconscience à sa conscience, et il vit alors le Christ dans un corps de gloire, un corps spiritualisé ou pneumatique, qui projeta sur lui une lumière aveuglante, mais ce corps n'était pas le cadavre de Jésus revenu à la vie. Toutes les apparitions mentionnées par saint Paul, concluent alors les rationalistes, étant de la même nature que la sienne, n'ont été que des visions subjectives.
Réfutation. — Nous admettons avec les rationalistes, comme nous l'avons du reste dit précédemment, que les apparitions décrites par saint Paul, sont mises sur le même pied. Mais est-il vrai que l'Apôtre, en rappelant l'apparition dont il fut témoin sur le chemin de Damas, veut parler d'une « vision subjective» Le contexte indique tout le contraire. La pensée intime de l'Apôtre peut en effet se déduire du but qu'il poursuivait dans sa lettre. Voulant combattre l'opinion de certains fidèles de Corinthe qui niaient la résurrection corporelle des morts, saint Paul entend en démontrer l'existence et la nature en s'appuyant sur la Résurrection de Jésus. Son raisonnement eût donc tombé à faux, si, pour prouver que les morts reprendront leurs corps, leurs vrais corps, quoique glorieux et doués de propriétés nouvelles, il eût commencé par dire, que la Résurrection du Christ, qui en était le principe et le modèle, n'avait pas été corporelle. Quand il déclare que le Christ ressuscité lui est apparu, il veut donc dire qu'il l'a vu dans le même corps qui était mort et avait été enseveli, identique à ce qu'il avait été durant sa vie terrestre, sauf la qualité de gloire en plus. Telle est, à ne pas en douter, le fond de la pensée de l'Apôtre. — Cela est juste, répliquent les rationalistes, « les Évangélistes et saint Paul n'entendent point raconter des impressions subjective? ; ils parlent d'une présence objective, extérieure, sensible, non d'une présence idéale, bien moins encore d'une présence imaginaire. Les conditions d'existence de ce corps étaient différentes, mais c'était le même qui avait été mis dans le tombeau, et que l'on croyait n'y être point demeuré »220. Oui, mais c'était là, d'après M. Loisy toujours, pure hallucination ou simple illusion, de la part des Apôtres.
1. Pour ce qui concerne le propre cas de saint Paul, peut-on dire qu'il fut halluciné? Il est vrai que plusieurs fois dans sa vie, il eut des visions, mais il a toujours pris soin de distinguer entre celle-ci et les autres. La vision du chemin de Damas était, à ses yeux, le fondement de sa vocation. C'est parce qu'il avait vu le Christ glorieux, qu'il s'était rencontré avec lui et avait entendu son appel, qu'il revendiquait le titre d'apôtre. Jamais il n'aurait osé se prévaloir de ce titre s'il n'avait eu la conviction d'avoir vu le Christ aussi réellement que les autres Apôtres, et d'avoir ouï sa voix qui l'appelait à l'apostolat.
Sans doute, poursuivent nos adversaires, saint Paul fut sincère, mais cela n'empêche pas qu'il fut victime de l'hallucination. Tout en poursuivant les chrétiens, il se fit au fond de son être un travail inconscient ; il eut des doutes sur la vérité de la doctrine de Jésus, sur la légitimité de ses persécutions, bref, il eut des remords. Ces impressions restées d'abord latentes, à l'intérieur de son être, jaillirent subitement de sa subconscience à sa conscience, provoquant les hallucinations de la vue et de l'ouïe, et produisant dans son esprit des convictions nouvelles et causant sa conversion. — Or rien de tout cela n'est historique. Ce prétendu travail préparatoire à la conversion, qui se serait passé dans la conscience subliminale de saint Paul, n'apparaît nulle part. C'est toujours de bonne foi que Paul persécuta les chrétiens, et parce qu'il croyait bien faire en défendant les « traditions» de ses « pères», comme il l'a déclaré lui-même (Gal., i, 14 ; Act., xxvi, 9). Ce qu'il a fait, il l'a fait « par ignorance» (I Tim., i, 13). L'hypothèse du remords n'a aucune base dans les textes. C'est en un instant que Saul se trouva converti et qu'il crut en Celui dont il persécutait les disciples.
2. Mais supposons, si on le veut, que saint Paul fut halluciné. Dira-t-on que les autres témoins, dont parlent saint Paul et les Évangélistes, furent tous hallucinés ? Tout repousse cette supposition : les conditions de nombre, de temps et de circonstances ne comportent pas une telle hypothèse. — 1. Le nombre. Il n'est pas raisonnable de supposer que tant de témoins d'un caractère si différent aient été victimes d'une illusion de leurs sens. Ce n'est pas une fois que Notre-Seigneur se montre ressuscité, mais de nombreuses fois ; ce n'est pas à une personne, ce n'est pas même à ses seuls Apôtres qu'il apparaît, mais à cinq cents frères à la fois. — 2. Le temps. Les apparitions ont ou lieu après la mort de Jésus, c'est-à-dire à un moment où les disciples étaient désemparés et songeaient à se cacher. Dans un pareil état d'esprit, ils ne pouvaient s'imaginer que le Crucifié leur apparaissait dans la gloire. Les apparitions ont donc dû s'imposer du dehors et dans des conditions d'objectivité telles qu'elles ont entraîné une foi irrésistible à la Résurrection. — 3 Les circonstances. Saint Paul il est vrai, ne mentionne aucune circonstance, mais si nous nous reportons aux récits des Évangélistes, nous voyons que les Apôtres sont d'abord incrédules et croient voir un esprit. Jésus leur fait alors toucher ses plaies (Luc, xxiv, 37, 40 ; Jean, xx, 27) ; il mange devant eux (Luc, xxiv, 43) ; il leur fait remarquer « qu'un esprit n'a ni chair ni os » (Luc, xxiv, 39) ; il permet aux saintes femmes d'embrasser ses pieds (Mat., xxviii, 9).
Dira-t-on encore que les hallucinations, telles qu'on les entend, ont été des hallucinations vraies, des hallucinations objectives, produites directement par Dieu pour obtenir la foi des Apôtres à Jésus vivant et triomphant? Cette hypothèse n'est pas plus historique que les autres ; elle est de plus blasphématoire, vu qu'elle regarde Dieu comme la cause directe de l'erreur.
CONCLUSION. — Les attaques des adversaires manquent donc de base sérieuse, et nous avons le droit de conclure que, suivant le témoignage de saint Paul, la Résurrection est un fait historiquement certain, démontré par six apparitions. De ces apparitions saint Paul peut rendre témoignage d'une, puisqu'il a conscience d'en avoir été l'heureux témoin. Quant aux autres, il affirme qu'elles sont venues à sa connaissance par le récit qui lui en a été fait lors de sa première rencontre à Jérusalem avec les Apôtres, en particulier avec saint Pierre et saint Jacques, trois ans après sa conversion (Gal., I, 18), c'est-à-dire environ quatre ans après l'événement lui-même, si l'on suit la chronologie adoptée par M. Harnack qui reporte la conversion de saint Paul à l'année même de la mort de Jésus. Ainsi, à une époque aussi rapprochée des faits, les Apôtres croyaient déjà à la Résurrection corporelle de leur Maître. Il n'est donc pas possible d'admettre, avec l'école mythique, que la Résurrection est une légende qui s'est formée au milieu du IIe siècle, ni, avec certains critiques contemporains (Loisy), que les Apôtres et les disciples n'ont ni cru ni prêché que le corps de leur Maître était sorti vivant du tombeau au troisième jour après sa mort, et que les chrétiens ne seraient arrivés à cette foi qu'en défigurant les croyances primitives et les impressions des premiers disciples.
219 Ladeuze, La Résurrection du Christ devant la critique contemporaine
220
M. Loisy, Les Évangiles synoptiques.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
270. — B. TÉMOIGNAGE DES ÉVANGILES. — D'après le témoignage des quatre Évangiles, la foi à la Résurrection de Jésus est née d'une double cause : — a) de la découverte du tombeau vide, et — b) des apparitions du Ressuscité.
a) Argument tiré de la découverte du tombeau vide. — Suivant les récits des quatre Évangélistes, les femmes et les disciples qui se rendirent au sépulcre pour embaumer Jésus, trouvèrent le tombeau vide. La pierre qui fermait l'entrée du sépulcre était rejetée sur le côté (Marc, xvi, 4). A l'intérieur du sépulcre, les linges gisaient à terre, les linceuls et le suaire séparément (Jean, xx, 7) ; le corps de Jésus n'était plus là (Luc, xxiv, 3). Un Ange leur annonça la Résurrection. Les gardes effrayés avaient fui et étaient allés annoncer la nouvelle aux princes des prêtres qui leur donnèrent une forte somme d'argent pour publier que les disciples avaient enlevé le corps pondant qu'ils dormaient (Mat, xxviii, 11, 13).
Ainsi le premier argument invoqué par les Évangélistes en faveur de la Résurrection est tiré de ce fait que le lendemain du sabbat, le dimanche matin, le corps de Jésus avait disparu du tombeau où il avait été enseveli l'avant-veille par Joseph d'Arimathie.
271. — Objection. — L'argument tiré de la découverte du tombeau vide a été, de tout temps, l'objet des plus vives attaques de la part des adversaires dix christianisme. — 1. Ou bien ils ont admis la matérialité du fait, et ils se sont ingéniés a en fournir des explications naturelles : — 1) Les Juifs, au 1er siècle, recoururent à l'hypothèse de l’enlèvement. Ils accusèrent les disciples d'avoir dérobé le corps de leur Maître, la nuit, pendant que les gardes dormaient221. — 2) Parmi les critiques modernes. les uns ont complètement abandonné l'hypothèse de l'enlèvement par les disciples de Jésus. C'est ainsi que l'école naturaliste allemande (Bret-schneider, Paulus, Hase) supposa que Jésus n'était pas mort sur la croix et qu'il était seulement tombé en léthargie. La fraîcheur du tombeau, la vertu des baumes et la forte odeur des aromates l'ayant rappelé à la vie, il se débarrassa de ses linceuls et du suaire qui lui couvrait la tête, et il put sortir du sépulcre grâce à un tremblement de terre qui fit rouler la pierre qui en scellait l'entrée. Il apparut alors à ses disciples qui le crurent ressuscité. Les autres, au contraire, ont repris l'hypothèse de l'enlèvement en la modifiant. Comme le découragement dans lequel étaient tombés les Apôtres, écarte d'eux tout soupçon d'imposture, ils ont supposé que l'enlèvement avait été fait soit par les Juifs222 qui voulaient empêcher l'affluence des visiteurs, soit par le propriétaire du jardin qui voulait débarrasser son caveau du cadavre qui en avait pris possession223, soit par Joseph d'Arimathie lui-même qui, n'étant pas un disciple de Jésus, et n'ayant prêté son caveau que par charité, se serait empressé, le sabbat passé, de faire transporter le corps dans un autre endroit224.
2. Ou bien ils ont nié la matérialité du fait et ont prétendu que le récit de la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne, et ils en veulent voir la preuve dans le silence de saint Paul. Si saint Paul, disent-ils, dont le témoignage est antérieur à celui des Évangiles, ne mentionne pas l'argument du tombeau vide, c'est qu'il ne le connaissait pas et que la légende n'était pas encore formée au moment où il écrivait.
Réfutation. — Nous ne nous attarderons pas à répondre longuement à ceux qui, prenant les Apôtres pour des imposteurs, soutiennent qu'ils ont été les auteurs du rapt. Quel intérêt pouvaient-ils avoir à inventer la fable de la Résurrection et à faire adorer comme un Dieu, un séducteur dont ils auraient été les premières victimes? Un tel plan n'était-il pas d'ailleurs irréalisable? Comment auraient-ils enlevé le corps? Par violence, par corruption ou par ruse? Aucune des trois hypothèses n'est sérieuse. La violence n'est pas admissible, de la part de gens qui avaient montré si peu de courage au cours de la Passion. La corruption n'est possible qu'avec de l'argent, et les Apôtres étaient plutôt pauvres. Reste le troisième moyen : enlever le corps par ruse. Il s'agissait alors de surprendre les gardes par un chemin détourné, ou la nuit, alors qu'ils auraient été endormis, de pousser la pierre sans le moindre bruit, puis d'enlever le corps sans éveiller personne, et de le cacher dans une retraite assez sûre pour qu'on ne pût le découvrir : une telle entreprise ne dépasse-t-elle pas les limites de la vraisemblance ?
2. L'hypothèse de la mort apparente de Jésus est tombée aujourd'hui dans le plus complet discrédit. Il faut choisir en effet. Ou l'on accepte les récits des Évangélistes tels qu'ils sont, et alors rien n'autorise à croire que la mort de Jésus ne fut qu'apparente. Si les souffrances de la croix et le coup de lance ne l'avaient pas fait mourir, il aurait sûrement été asphyxié par les cent livres d'aromates et par le séjour au tombeau. Ou bien l'on regarde les récits évangéliques comme des légendes, et alors l'on tombe dans l'objection qui nie la matérialité du fait et à laquelle nous répondrons plus loin.
3. Dire que le rapt a été commis par les Juifs, est une hypothèse plus absurde encore et contredite par les faits. Il faut se souvenir en effet que les Apôtres prêchèrent la Résurrection, non seulement devant le peuple, mais devant les chefs de la nation. Pierre et Jean furent emprisonnés pour cela, et ils comparurent devant le tribunal juif (Actes, iv, 1, 12). Conçoit-on alors le silence des Sanhédrites? « La pièce à conviction était entre leurs mains ; ils pouvaient ébranler d'un seul geste, d'une parole, la foi nouvelle dont les progrès rapides les inquiétaient... Si les Sanhédrintes se sont tus, s'ils n'ont pas opposé ce démenti éclatant, c'est parce qu'ils n'étaient pas en état de le fournir. A leur insu et sans eux le sépulcre avait été dépouillé de son cadavre. »225 Et qui donc l'avait enlevé? « Ce n'est pas un ami. Ce n'est pas un ennemi. Ce n'est pas un étranger. Depuis plus de dix-neuf siècles (Mat., xxviii, 12-15) on a épuisé toutes les hypothèses pour échapper au miracle ; à aucune on n'a pu donner quelque vraisemblance. Il ne reste qu'une réponse possible. Le Christ est sorti de lui-même de son sépulcre. Il est ressuscité corporellement » 226!
4. Est-on mieux fondé à prétendre que la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne227 ? Comment expliquer alors la foi des Apôtres, la transformation totale, qui s'est faite en eux quelque temps après le grand drame de la croix qui les avait laissés si découragés et si abattus? Si rien n'est venu les remettre de leur déception, si la foi à la Résurrection ne s'est formée que peu à peu, comment se fait-il que, de lâches et timides qu'ils étaient au cours de la Passion, ils soient devenus, après, intrépides, audacieux et qu'ils prêchèrent la Résurrection jusqu'au sacrifice de leur vie? Faut-il croire « ces témoins qui se font égorger » ou les prendre pour des exaltés et des fous?
a) Argument tiré de la découverte du tombeau vide. — Suivant les récits des quatre Évangélistes, les femmes et les disciples qui se rendirent au sépulcre pour embaumer Jésus, trouvèrent le tombeau vide. La pierre qui fermait l'entrée du sépulcre était rejetée sur le côté (Marc, xvi, 4). A l'intérieur du sépulcre, les linges gisaient à terre, les linceuls et le suaire séparément (Jean, xx, 7) ; le corps de Jésus n'était plus là (Luc, xxiv, 3). Un Ange leur annonça la Résurrection. Les gardes effrayés avaient fui et étaient allés annoncer la nouvelle aux princes des prêtres qui leur donnèrent une forte somme d'argent pour publier que les disciples avaient enlevé le corps pondant qu'ils dormaient (Mat, xxviii, 11, 13).
Ainsi le premier argument invoqué par les Évangélistes en faveur de la Résurrection est tiré de ce fait que le lendemain du sabbat, le dimanche matin, le corps de Jésus avait disparu du tombeau où il avait été enseveli l'avant-veille par Joseph d'Arimathie.
271. — Objection. — L'argument tiré de la découverte du tombeau vide a été, de tout temps, l'objet des plus vives attaques de la part des adversaires dix christianisme. — 1. Ou bien ils ont admis la matérialité du fait, et ils se sont ingéniés a en fournir des explications naturelles : — 1) Les Juifs, au 1er siècle, recoururent à l'hypothèse de l’enlèvement. Ils accusèrent les disciples d'avoir dérobé le corps de leur Maître, la nuit, pendant que les gardes dormaient221. — 2) Parmi les critiques modernes. les uns ont complètement abandonné l'hypothèse de l'enlèvement par les disciples de Jésus. C'est ainsi que l'école naturaliste allemande (Bret-schneider, Paulus, Hase) supposa que Jésus n'était pas mort sur la croix et qu'il était seulement tombé en léthargie. La fraîcheur du tombeau, la vertu des baumes et la forte odeur des aromates l'ayant rappelé à la vie, il se débarrassa de ses linceuls et du suaire qui lui couvrait la tête, et il put sortir du sépulcre grâce à un tremblement de terre qui fit rouler la pierre qui en scellait l'entrée. Il apparut alors à ses disciples qui le crurent ressuscité. Les autres, au contraire, ont repris l'hypothèse de l'enlèvement en la modifiant. Comme le découragement dans lequel étaient tombés les Apôtres, écarte d'eux tout soupçon d'imposture, ils ont supposé que l'enlèvement avait été fait soit par les Juifs222 qui voulaient empêcher l'affluence des visiteurs, soit par le propriétaire du jardin qui voulait débarrasser son caveau du cadavre qui en avait pris possession223, soit par Joseph d'Arimathie lui-même qui, n'étant pas un disciple de Jésus, et n'ayant prêté son caveau que par charité, se serait empressé, le sabbat passé, de faire transporter le corps dans un autre endroit224.
2. Ou bien ils ont nié la matérialité du fait et ont prétendu que le récit de la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne, et ils en veulent voir la preuve dans le silence de saint Paul. Si saint Paul, disent-ils, dont le témoignage est antérieur à celui des Évangiles, ne mentionne pas l'argument du tombeau vide, c'est qu'il ne le connaissait pas et que la légende n'était pas encore formée au moment où il écrivait.
Réfutation. — Nous ne nous attarderons pas à répondre longuement à ceux qui, prenant les Apôtres pour des imposteurs, soutiennent qu'ils ont été les auteurs du rapt. Quel intérêt pouvaient-ils avoir à inventer la fable de la Résurrection et à faire adorer comme un Dieu, un séducteur dont ils auraient été les premières victimes? Un tel plan n'était-il pas d'ailleurs irréalisable? Comment auraient-ils enlevé le corps? Par violence, par corruption ou par ruse? Aucune des trois hypothèses n'est sérieuse. La violence n'est pas admissible, de la part de gens qui avaient montré si peu de courage au cours de la Passion. La corruption n'est possible qu'avec de l'argent, et les Apôtres étaient plutôt pauvres. Reste le troisième moyen : enlever le corps par ruse. Il s'agissait alors de surprendre les gardes par un chemin détourné, ou la nuit, alors qu'ils auraient été endormis, de pousser la pierre sans le moindre bruit, puis d'enlever le corps sans éveiller personne, et de le cacher dans une retraite assez sûre pour qu'on ne pût le découvrir : une telle entreprise ne dépasse-t-elle pas les limites de la vraisemblance ?
2. L'hypothèse de la mort apparente de Jésus est tombée aujourd'hui dans le plus complet discrédit. Il faut choisir en effet. Ou l'on accepte les récits des Évangélistes tels qu'ils sont, et alors rien n'autorise à croire que la mort de Jésus ne fut qu'apparente. Si les souffrances de la croix et le coup de lance ne l'avaient pas fait mourir, il aurait sûrement été asphyxié par les cent livres d'aromates et par le séjour au tombeau. Ou bien l'on regarde les récits évangéliques comme des légendes, et alors l'on tombe dans l'objection qui nie la matérialité du fait et à laquelle nous répondrons plus loin.
3. Dire que le rapt a été commis par les Juifs, est une hypothèse plus absurde encore et contredite par les faits. Il faut se souvenir en effet que les Apôtres prêchèrent la Résurrection, non seulement devant le peuple, mais devant les chefs de la nation. Pierre et Jean furent emprisonnés pour cela, et ils comparurent devant le tribunal juif (Actes, iv, 1, 12). Conçoit-on alors le silence des Sanhédrites? « La pièce à conviction était entre leurs mains ; ils pouvaient ébranler d'un seul geste, d'une parole, la foi nouvelle dont les progrès rapides les inquiétaient... Si les Sanhédrintes se sont tus, s'ils n'ont pas opposé ce démenti éclatant, c'est parce qu'ils n'étaient pas en état de le fournir. A leur insu et sans eux le sépulcre avait été dépouillé de son cadavre. »225 Et qui donc l'avait enlevé? « Ce n'est pas un ami. Ce n'est pas un ennemi. Ce n'est pas un étranger. Depuis plus de dix-neuf siècles (Mat., xxviii, 12-15) on a épuisé toutes les hypothèses pour échapper au miracle ; à aucune on n'a pu donner quelque vraisemblance. Il ne reste qu'une réponse possible. Le Christ est sorti de lui-même de son sépulcre. Il est ressuscité corporellement » 226!
4. Est-on mieux fondé à prétendre que la découverte du tombeau vide est une légende inventée par la seconde ou la troisième génération chrétienne227 ? Comment expliquer alors la foi des Apôtres, la transformation totale, qui s'est faite en eux quelque temps après le grand drame de la croix qui les avait laissés si découragés et si abattus? Si rien n'est venu les remettre de leur déception, si la foi à la Résurrection ne s'est formée que peu à peu, comment se fait-il que, de lâches et timides qu'ils étaient au cours de la Passion, ils soient devenus, après, intrépides, audacieux et qu'ils prêchèrent la Résurrection jusqu'au sacrifice de leur vie? Faut-il croire « ces témoins qui se font égorger » ou les prendre pour des exaltés et des fous?
221 Cette hypothèse ne put résister longtemps à la réplique des apologistes chrétiens Aussi vit-on bientôt les Juifs reporter leur accusation sur le jardinier du lieu où était le tombeau, qui aurait fait disparaître le corps, de peur que les allées et venues des pieux visiteurs ne nuisissent à ses laitues (voir Tertullien, Tr. de Spectaculis).
222 MM. Albert Réville et Edouard LE Roy ont supposé que les autorités Juives qui détestaient Jésus et ne supportaient pas qu'il eût une sépulture honorable avaient fait enlever le corps afin qu'il subit le sort que la loi réservait aux cadavres des suppliciés
223
Renan, Les Apôtres
224
HOLTZMANN, La Vie de Jésus.
225 P. Rose, Etudes sur les Évangiles. C'est là sans doute la raison qui a déterminé les rationalistes contemporains à imaginer l'hypothèse de la fosse commune. Ils pensent ainsi échapper à la nécessité qui leur incombe d'expliquer pourquoi les Juifs n'ont pas confondu les apôtres en reproduisant le cadavre.
226 Ladeuze, op. cit.
227 Les rationalistes supposent deux stades dans la formation de la légende. Au premier stade se placent les hallucinations. Après la grande épreuve de la Croix, l'amour des Apôtres pour leur Maître triomphe de leur découragement. Pierre d'abord, puis les autres Apôtres, suggestionnés par Pierre, ont des visions dans lesquelles ils se figurent voir Jésus ressuscité. Telle est la première étape de la croyance à la résurrection où il n'est question que de Jésus vivant et immortel, étape dont nous trouvons l'écho dans le témoignage de saint Paul. Au second stade, les Apôtres, pour légitimer leur prédication, commencent à matérialiser la croyance à la survivance du Christ. Pour les besoins de la cause, l'on forge de toutes pièces les circonstances de la résurrection : l'ensevelissement, la garde au tombeau, la découverte du tombeau vide, Jésus faisant toucher ses plaies, etc.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
272. — b) Argument tiré des apparitions. — Tandis que l'argument tiré du tombeau vide n'est qu'une preuve indirecte, vu que le fait peut être expliqué par d'autres hypothèses que la Résurrection, les apparitions constituent une preuve directe.
Si l'on compare les deux témoignages de saint Paul et des Évangélistes, l'on peut compter onze apparitions, celle du chemin de Damas à saint Paul non comprise. Deux apparitions mentionnées par saint Paul ne figurent pas chez les Évangélistes, à savoir l'apparition aux cinq cents disciples et l'apparition à Jacques. Le total des apparitions relatées par les Évangélistes s'élève donc à neuf, dont sept eurent lieu à Jérusalem ou aux environs, et deux en Galilée. Dans le premier groupe, — les apparitions hiérosolymitaines, — l'on compte les apparitions : — 1. à Marie-Madeleine (Marc, xvi, 9 ; Jean, xx, 14, 15) ; — 2. aux femmes qui revenaient du sépulcre ( Mat., xxviii, 9) ; — 3. à Simon Pierre (Luc, xxiv, 34) ; — 4. aux deux disciples qui allaient à Emmaüs (Marc, xvi, 12 ; Luc, xxiv, 13 et suiv.) ; et — 5. aux Apôtres réunis dans le Cénacle, Thomas absent (Marc, xvi, 14 ; Luc, xxiv, 36 et suiv. ; Jean, xx, 19-25). Ces cinq premières apparitions eurent lieu le jour de Pâques. — 6. Huit jours plus tard, à Jérusalem encore, Jésus apparut aux onze Apôtres, Thomas présent et invité par le Seigneur à toucher les plaies de ses mains et de son côté (Jean, xx, 26-29). — 7. En Galilée, il apparut à sept disciples sur le lac de Tibériade (Jean, xxi, 1, 14) ; puis — 8. aux onze Apôtres sur une montagne de Galilée (Mat., xxviii, 16, 17). — 9. Enfin, une dernière apparition qui précéda l'Ascension et qui eut lieu sur le Mont des Oliviers devant tous les Apôtres assemblés (Luc, xxiv, 50).
273. — Objection. — On objecte contre l'argument tiré des apparitions les divergences que l'on trouve dans les narrations évangéliques. — 1. L'on fait remarquer que les Évangélistes ne s'entendent pas sur le nombre des femmes qui se rendirent au tombeau, ni sur le nombre des Anges qu'elles virent. — 2. Mais l'on invoque surtout la soi-disant opposition entre les auteurs sacrés à propos du théâtre des apparitions. D'après les critiques libéraux et rationalistes, il y aurait dans les récits évangéliques comme deux traditions superposées et d'ailleurs inconciliables : l'une représentée par saint Matthieu et saint Marc, plaçant les apparitions en Galilée, conformément au message que l'ange donne aux saintes femmes pour les Apôtres au matin de la résurrection ; l'autre représentée par saint Luc et saint Jean et mettant le théâtre des apparitions exclusivement en Judée.
Réfutation. — 1. Loin d'infirmer leurs récits, les divergences prouvent au contraire l'indépendance des historiens. Les divergences portent d'ailleurs sur des points secondaires, tels que le nombre des femmes et le nombre des anges ; elles laissent intact le fait lui-même de la Résurrection. Il apparaît avec évidence que les variantes de détails n'empêchent nullement l'identité du fond. — 2. L'opposition qu'on signale entre les Évangélistes à propos du théâtre des apparitions, n'est pas aussi évidente qu'on l'affirme, et il est loin d'être démontré qu'il y eut deux traditions distinctes, l'une hiérosolymitaine, l'autre galiléenne, et encore moins, que chaque évangéliste ne connut que l'une des deux traditions. Comment peut-on prétendre, en effet, que saint Matthieu qui, avec saint Marc, représente la tradition galiléenne, ignore la tradition judéenne, alors qu'il rapporte une apparition de Jésus aux saintes femmes, au moment où elles sortaient du sépulcre? (Mat., xxviiî, 8, 9). La finale de saint Marc rapporte également des apparitions hiérosolymitaines, mais n'insistons pas sur ce fait, vu que nos adversaires considèrent cette finale comme apocryphe. De même, l'Évangile de saint Jean, si on le prend en son entier et avec son appendice, raconte des apparitions judéennes et des apparitions galiléennes. Saint Luc ne rapporte que les apparitions judéennes. Donc, en définitive, si l'on excepte saint Luc, les Evangélistes connaissent les deux théâtres des apparitions du Christ, et l'exclusivisme qu'on voudrait trouver dans leurs narrations, n'existe en réalité que dans l'esprit des critiques rationalistes. Trois Évangélistes au moins sur quatre ont recueilli la double tradition : hiérosolymitaine et galiléenne.
Remarquons, par ailleurs, que la plupart des divergences s'expliquent très bien par le but différent que les Évangélistes poursuivaient. Ainsi saint Matthieu, écrivant pour le milieu juif où le bruit courait que les disciples avaient enlevé le corps du Christ montre l’invraisemblance d’une telle accusation par le récit de la garde mise au tombeau et de l'apposition des scellés sur la pierre du sépulcre. Saint Marc écrivant pour le milieu romain, très attaché aux formes juridiques, rapporte d'abord que la mort de Jésus a été constatée officiellement par une enquête de Pilate auprès du Centurion chargé de l'exécution de la sentence, puis il insiste sur l'incrédulité des disciples qui refusent d'ajouter foi au récit de Marié-Madeleine. — Saint Luc, écrivant pour le milieu grec, où le témoignage des femmes n'était pas reçu en justice et où la résurrection des morts était regardée comme une absurdité, ne mentionne que les apparitions aux hommes (aux deux disciples d'Emmaüs, à Pierre, aux Onze et à leurs compagnons) et apporte des détails matériels afin de démontrer que le corps ressuscité du Christ n'était pas un fantôme, mais bien un corps réel, puisqu'il se laissait toucher et qu'on pouvait le voir manger et boire. Ne suivant pas la même marche, les Évangélistes se sont donc approprié ce qui rentrait dans leur plan et convenait le mieux à leurs lecteurs : ce serait dès lors une erreur de conclure qu'ils aient ignoré les faits qu'ils passent sous silence.
Conclusion. — Ainsi, de l'examen des documents, il résulte que, dès les premiers jours, les Apôtres, tant par la découverte du tombeau vide que par les apparitions, crurent que leur Maître était ressuscité, qu'ils se le représentèrent survivant, non seulement dans son âme immortelle, mais dans son corps. Ils crurent que son corps n'était pas resté au tombeau, mais qu'il vivait à nouveau et pour toujours, transformé et glorifié228.
228
V. Lepin, Christologie
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 2. — Le miracle de la Résurrection fut accompli pour confirmer la mission divine de jésus.
274. — La connexion entre la Résurrection de Jésus et sa mission divine est chose si manifeste qu'elle n'a jamais été l'objet de controverse. Entre les adversaires du christianisme et les apologistes chrétiens le débat n'a jamais porté que sur le fait même de la Résurrection. Il a toujours été admis que, si Jésus était ressuscité, sa mission était divine ; il était le Messie, le Fils de Dieu.
Il ne sera donc pas nécessaire d'insister longuement sur ce point. La pensée de Jésus de lier sa mission au miracle de la Résurrection, ressort : — 1. de ce fait qu'il prédit l'événement à plusieurs reprises, comme étant une marque révélatrice du Messie : « Alors (après la confession de Pierre) il commença à leur (aux Apôtres) enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup... qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât trois jours après. » (Marc, vii, 31). A trois autres reprises, Jésus prédit encore sa mort et sa résurrection (Marc, ix, 8, 9 ; 30 ; x, 32-34) ; — 2. de cet autre fait qu'en deux circonstances Jésus fit appel à sa Résurrection future comme au seul signe qui serait donné pour prouver sa mission. — 1. Dans une première circonstance, un groupe de Pharisiens lui demande un signe de sa mission : « Maître, nous voudrions voir un signe de vous. » Il leur répondit : « Cette race méchante et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui du prophète Jonas : de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » (Mat., xii, 38-40). — 2. Dans une seconde circonstance, alors qu'il venait de chasser les vendeurs du Temple, les Juifs, s'étonnant de le voir agir ainsi, lui demandent un signe qui l'autorise a user d'une telle autorité ; Jésus répond en ces termes : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs répartirent : « C'est en quarante-six ans que ce temple a été bâti, et vous, en trois jours, vous le relèverez ! » Mais lui, il parlait du temple de son corps. Lors donc qu'il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela. » (Jean, ii, 18-22).
Conclusion. — Ainsi le seul signe que Jésus consente à donner à ses ennemis en faveur de sa mission divine, c'est sa Résurrection. Et comme celle-ci est un fait historiquement certain, nous pouvons conclure que Jésus nous a laissé le témoignage le plus authentique et le plus grand de son origine divine.
BIBLIOGRAPHIE. — Sur les prophéties et les miracles. — Les Vies de Jésus-Christ par l'abbé Fouard, Mgr Le Camus, le P. DIDON. le P. Berthe.— Lemonnyer, art. Fin du monde (Dict. d'Alès). — Lepin, Jésus, Messie et Fils de Dieu. — Batiffol, Six leçons sur l'Évangile (Blond). — Fillion, Les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, — De Bonniot, Les miracles de l'Évangile (Étude 1888) — Bourchany, Périer, Tixeront, Conférences apologétiques (Gabalda). — Mgr Freppel, La divinité de Jésus-Christ — Couget, La divinité de Jésus-Christ.— Frayssinous, Défense du Christianisme, Des miracles (Le Clère). — Lacordaire, 38e conférence. — Monsabré, 28e , 29e , 36e conférences, Introduction au Dogme.
Sur la Résurrection. — Mangenot, La Résurrection de Jésus (Beauchesne) — Ladeuze, La Résurrection du Christ devait la critique contemporaine (Bloud). — Chauvin, Jésus est-il ressuscité? (Bloud). — Lepin, Christologie (Beauchesne).— Lebreton, art. Sur la Résurrection, Rev pr. d'Ap., mai 1907. — Lesêtre, Jésus ressuscité, Rev. du Clergé français, 1907. L'Ami du Clergé, Année 1923, Nos 36, 44, 49. — Bourdaloue, Sermon sur la Résurrection...
274. — La connexion entre la Résurrection de Jésus et sa mission divine est chose si manifeste qu'elle n'a jamais été l'objet de controverse. Entre les adversaires du christianisme et les apologistes chrétiens le débat n'a jamais porté que sur le fait même de la Résurrection. Il a toujours été admis que, si Jésus était ressuscité, sa mission était divine ; il était le Messie, le Fils de Dieu.
Il ne sera donc pas nécessaire d'insister longuement sur ce point. La pensée de Jésus de lier sa mission au miracle de la Résurrection, ressort : — 1. de ce fait qu'il prédit l'événement à plusieurs reprises, comme étant une marque révélatrice du Messie : « Alors (après la confession de Pierre) il commença à leur (aux Apôtres) enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup... qu'il fût mis à mort et qu'il ressuscitât trois jours après. » (Marc, vii, 31). A trois autres reprises, Jésus prédit encore sa mort et sa résurrection (Marc, ix, 8, 9 ; 30 ; x, 32-34) ; — 2. de cet autre fait qu'en deux circonstances Jésus fit appel à sa Résurrection future comme au seul signe qui serait donné pour prouver sa mission. — 1. Dans une première circonstance, un groupe de Pharisiens lui demande un signe de sa mission : « Maître, nous voudrions voir un signe de vous. » Il leur répondit : « Cette race méchante et adultère demande un signe, et il ne lui sera pas donné d'autre signe que celui du prophète Jonas : de même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre du poisson, ainsi le Fils de l'homme sera dans le sein de la terre trois jours et trois nuits. » (Mat., xii, 38-40). — 2. Dans une seconde circonstance, alors qu'il venait de chasser les vendeurs du Temple, les Juifs, s'étonnant de le voir agir ainsi, lui demandent un signe qui l'autorise a user d'une telle autorité ; Jésus répond en ces termes : « Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. » Les Juifs répartirent : « C'est en quarante-six ans que ce temple a été bâti, et vous, en trois jours, vous le relèverez ! » Mais lui, il parlait du temple de son corps. Lors donc qu'il fut ressuscité des morts, ses disciples se souvinrent qu'il avait dit cela. » (Jean, ii, 18-22).
Conclusion. — Ainsi le seul signe que Jésus consente à donner à ses ennemis en faveur de sa mission divine, c'est sa Résurrection. Et comme celle-ci est un fait historiquement certain, nous pouvons conclure que Jésus nous a laissé le témoignage le plus authentique et le plus grand de son origine divine.
BIBLIOGRAPHIE. — Sur les prophéties et les miracles. — Les Vies de Jésus-Christ par l'abbé Fouard, Mgr Le Camus, le P. DIDON. le P. Berthe.— Lemonnyer, art. Fin du monde (Dict. d'Alès). — Lepin, Jésus, Messie et Fils de Dieu. — Batiffol, Six leçons sur l'Évangile (Blond). — Fillion, Les miracles de Notre-Seigneur Jésus-Christ, — De Bonniot, Les miracles de l'Évangile (Étude 1888) — Bourchany, Périer, Tixeront, Conférences apologétiques (Gabalda). — Mgr Freppel, La divinité de Jésus-Christ — Couget, La divinité de Jésus-Christ.— Frayssinous, Défense du Christianisme, Des miracles (Le Clère). — Lacordaire, 38e conférence. — Monsabré, 28e , 29e , 36e conférences, Introduction au Dogme.
Sur la Résurrection. — Mangenot, La Résurrection de Jésus (Beauchesne) — Ladeuze, La Résurrection du Christ devait la critique contemporaine (Bloud). — Chauvin, Jésus est-il ressuscité? (Bloud). — Lepin, Christologie (Beauchesne).— Lebreton, art. Sur la Résurrection, Rev pr. d'Ap., mai 1907. — Lesêtre, Jésus ressuscité, Rev. du Clergé français, 1907. L'Ami du Clergé, Année 1923, Nos 36, 44, 49. — Bourdaloue, Sermon sur la Résurrection...
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Chapitre V. — La Doctrine chrétienne, Sa rapide diffusion. Le Martyre.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
275. — Maintenant que nous avons vérifié les titres du fondateur du christianisme et que nous avons démontré que Jésus est le Messie annoncé par les prophètes, il semble superflu de mettre en lumière la qualité de la doctrine. Il y a tout lieu, en effet, de préjuger qu'elle est transcendante, puisqu'elle est l'œuvre d'un Envoyé divin.
Comme nous aurons l'occasion, dans le second article, de parler de l’excellence de la doctrine chrétienne (V. N° 285), nous laisserons de côté la question pour le moment. De toute façon, il n'est pas possible, dans un Manuel d'Apologétique, de donner à cette preuve de la divinité du christianisme (critère intrinsèque) les développements qu'elle comporte. Ce travail nous entraînerait trop loin, et nous prenons la liberté de renvoyer à notre « Doctrine catholique ».
Nous plaçant sur le seul terrain de l'apologétique défensive, nous nous bornerons ici à répondre à une objection que les rationalistes tirent de l'histoire comparée des religions. Lorsque nous avons parlé des fausses religions, à dessein nous avons mis en relief les ressemblances qui existent entre elles et le christianisme. Nous tenons à y revenir, afin d'écarter définitivement l'objection rationaliste qui voudrait représenter la doctrine chrétienne comme une doctrine d'emprunt et sans individualité propre.
Après cela, nous envisagerons les circonstances historiques du christianisme, ses destinées dans l'espace et dans le temps, autrement dit, sa rapide diffusion parmi le monde, et sa merveilleuse vitalité à travers les siècles, en dépit des obstacles nombreux qu'il a rencontrés, en particulier, des violentes persécutions qui ont essayé de l'étouffer à ses origines. Ce dernier point nous amènera à la question du martyre.
Ce chapitre comprendra donc trois articles : 1° Dans le premier, nous établirons le caractère original de la doctrine du Christ. 2° Dans le second, nous parlerons de sa merveilleuse propagation. 3° Enfin nous traiterons du martyre.
DÉVELOPPEMENT
Division du Chapitre.
275. — Maintenant que nous avons vérifié les titres du fondateur du christianisme et que nous avons démontré que Jésus est le Messie annoncé par les prophètes, il semble superflu de mettre en lumière la qualité de la doctrine. Il y a tout lieu, en effet, de préjuger qu'elle est transcendante, puisqu'elle est l'œuvre d'un Envoyé divin.
Comme nous aurons l'occasion, dans le second article, de parler de l’excellence de la doctrine chrétienne (V. N° 285), nous laisserons de côté la question pour le moment. De toute façon, il n'est pas possible, dans un Manuel d'Apologétique, de donner à cette preuve de la divinité du christianisme (critère intrinsèque) les développements qu'elle comporte. Ce travail nous entraînerait trop loin, et nous prenons la liberté de renvoyer à notre « Doctrine catholique ».
Nous plaçant sur le seul terrain de l'apologétique défensive, nous nous bornerons ici à répondre à une objection que les rationalistes tirent de l'histoire comparée des religions. Lorsque nous avons parlé des fausses religions, à dessein nous avons mis en relief les ressemblances qui existent entre elles et le christianisme. Nous tenons à y revenir, afin d'écarter définitivement l'objection rationaliste qui voudrait représenter la doctrine chrétienne comme une doctrine d'emprunt et sans individualité propre.
Après cela, nous envisagerons les circonstances historiques du christianisme, ses destinées dans l'espace et dans le temps, autrement dit, sa rapide diffusion parmi le monde, et sa merveilleuse vitalité à travers les siècles, en dépit des obstacles nombreux qu'il a rencontrés, en particulier, des violentes persécutions qui ont essayé de l'étouffer à ses origines. Ce dernier point nous amènera à la question du martyre.
Ce chapitre comprendra donc trois articles : 1° Dans le premier, nous établirons le caractère original de la doctrine du Christ. 2° Dans le second, nous parlerons de sa merveilleuse propagation. 3° Enfin nous traiterons du martyre.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Art. I. — La doctrine chrétienne n'est pas une synthèse de doctrines étrangères.
276. — 1° Objection rationaliste. — Nous avons vu précédemment (N° 142) que les rationalistes, s'appuyant sur la doctrine de l'évolution, assignent au sentiment religieux une origine tout humaine, où il n'y a place ni pour le surnaturel ni pour la révélation. Partant de ce principe qu'ils érigent en dogme, ils étudient les religions comme des institutions humaines, ils en relèvent avec soin les points de ressemblance, et n'hésitent pas à tirer les conclusions suivantes : à savoir que toutes les religions sont de la même essence, qu'elles se sont influencées réciproquement, que le judaïsme et le christianisme ne sont pas des religions plus originales que les autres, et qu'en particulier, le christianisme est une religion d'emprunt, qu'il a puisé son dogme, sa morale et son culte soit au judaïsme, soit aux doctrines philosophiques de la Grèce et de Rome, soit surtout aux religions de plus vieille date, telles que le zoroastrisme, le bouddhisme et le mithriacisme, bref, qu'il est une synthèse de doctrines étrangères.
277. — Réfutation. — Ainsi, les historiens rationalistes des religions, après avoir noté les points de contact qu'il y a entre le christianisme et les autres religions, se croient en droit de conclure que le christianisme est coupable de plagiat, et que, de ce fait, il ne saurait revendiquer une origine divine, puisqu'il aurait emprunté sa doctrine à des religions que lui-même déclare d'origine humaine.
Il convient, pour répondre à ces allégations, de distinguer deux choses : la question de fait, et la question de l'interprétation du fait, ou si l'on veut, la matérialité du fait, et les conclusions qu'on en tire.
A. LA QUESTION DE FAIT. — Dans le but de prouver que le christianisme n'a pas d'individualité propre, qu'il n'est pas une religion originale, les rationalistes relèvent donc les ressemblances qui existent entre sa doctrine et les autres doctrines antérieures, soit philosophiques, — soit religieuses. Voici les principales analogies qu'ils signalent sur le triple terrain du dogme, de la morale et du culte.
a) Dogme. — D'après les rationalistes, qu'il s'agisse des vérités naturelles ou des vérités surnaturelles, il n'y a rien dans le christianisme qui ne se trouve déjà ailleurs. — 1. Ainsi, les philosophes de l'antiquité grecque et latine, tels que Socrate, Platon, Aristote, Cicéron, Sénèque, etc., ont enseigné, plus ou moins clairement, l'existence d'un Dieu unique, d'une Providence qui gouverne le monde, d'une âme spirituelle et libre destinée à une survie où elle recevra soit la récompense de ses bonnes actions, soit le châtiment de ses fautes. D'une façon plus précise encore, ces vérités sont enseignées par les livres sacrés des Juifs. — 2. Passons maintenant aux dogmes qui paraissent former le fond original de la religion chrétienne, c'est-à-dire aux trois grands mystères de la Trinité, de l'Incarnation et de la Rédemption, celle-ci avec son corollaire obligé, le sacrifice. Eh bien, disent les rationalistes, non seulement ces dogmes ne sont pas nouveaux et appartiennent tous, plus ou moins, aux religions de l'Inde, mais même les circonstances historiques, ce que l'on pourrait appeler les alentours des dogmes, sont comme une réédition de ce qui se lit dans les Livres sacrés de religions d'origine plus ancienne. Nous avons signalé ces différents points au chapitre des fausses religions (V. Nos 191 et suiv.) Nous les rappelons ici brièvement. Dans le mithriacisme, le jeune dieu Mithra naît dans une grotte comme Jésus. Mais c'est surtout avec lès religions de l'Inde que la parenté du christianisme est étroite. Krishna, dieu incarné de l'hindouisme, est adoré, à sa naissance, par des bergers et quelque temps après, il doit, comme Jésus, fuir en exil. Le Bouddha, à son tour, nous rappelle maints traits de la vie de Jésus. Avant d'entreprendre sa prédication et de commencer son rôle de libérateur, il passe quatre semaines dans la solitude où il subit les assauts du démon tentateur, Mâra. Les livres sacres de la Perse racontent également une tentation de Zoroastre. Ajoutons enfin que la résurrection de Jésus elle-même n'est pas un fait unique dans l'histoire des religions : elle a comme parallèles la mort et la résurrection de trois jeunes dieux, Osiris, Adonis et Atys.
b) Morale. — La morale chrétienne ne présenterait pas, d'après les rationalistes, de caractère plus original. Elle serait, en grande partie, une adaptation de la morale stoïcienne et de la morale de Zoroastre. Bien plus, le christianisme ne serait même pas neuf sur le terrain de l’ascétisme. Les conseils évangéliques, — le célibat volontaire, la pauvreté volontaire et la vie commune, — auraient été mis en pratique avant l'Évangile : nous avons vu en effet que le bouddhisme a eu ses moines longtemps avant le christianisme (V. N° 195).
c) Culte. — 1. L'on prétend retrouver les sept sacrements dans le mithriacisme. Le bouddhisme et le brahmanisme ont également la confession des fautes. La communion qui fait partie intégrante du sacrifice eucharistique a pour pendant dans les cultes païens l'usage de participer aux victimes immolées à la divinité. — 2. Le culte des saints et des images correspond, dit-on, au culte des dieux et des idoles. — 3. Le christianisme a emprunté au paganisme tous ses rites et toutes ses cérémonies ; il adore et implore la divinité de la même façon, par les mêmes signes extérieurs, par les mêmes gestes, voire par les mêmes formules. Les ex-voto qui recouvrent les murs des églises célèbres, et qui sont des marques de faveurs obtenues, ont leurs analogues dans le paganisme : les monuments d'actions de grâces abondaient près du temple d'Esculape à Épidaure et près du temple de Jupiter à Dodone. Donc, concluent les rationalistes, sur ce point comme sur les autres, la religion chrétienne n'a rien innové ; elle est une copie évidente des autres cultes.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
278. — B L'INTERPRÉTATION DU FAIT. — Des ressemblances qui existent entre le christianisme et les autres religions, les rationalistes s'empressent de tirer la conclusion que le premier est l'emprunteur. Mais c'est précisément ce qu'il s'agirait de démontrer, car il va de soi que le plagiat ne se présume pas, il faut en faire la preuve. Or c'est chose facile de noter les ressemblances ; ce qui est plus difficile c'est d'établir la filiation. En reprenant les trois divisions : dogme, morale et culte, nous allons voir que cette filiation n'existe pas ou qu'elle s'explique par des raisons valables.
a) Dogme. — 1. Que les vérités naturelles, telles que l'unité et l'immortalité de l'âme aient été enseignées par des philosophes antérieurs au christianisme, cela se conçoit, puisque la raison peut, par ses seules forces, découvrir ces vérités. L'on pourrait cependant remarquer qu'elles ont été rarement connues sans mélange d'erreur. Ainsi Platon, tout en reconnaissant une Divinité suprême, est dualiste. Aristote rejette la Providence, Sénèque paraît plutôt panthéiste, et presque tous ont représenté la Divinité comme soumise à l'aveugle Destin.
Mais on objecte aussi que le monothéisme, l'immortalité de l'âme, la croyance à une vie future, étaient déjà les éléments essentiels de la religion juive. Assurément, et ce serait un contresens de vouloir en tirer parti contre le catholicisme, puisque celui-ci est le premier, non seulement à admettre sa parenté, mais à affirmer cette filiation comme un de ses dogmes.
Les ressemblances d'ailleurs s'arrêtent là. Et si nous voulions relever les divergences entre les deux religions, établir le contraste entre le rigorisme, l'orgueil et la justice austère des Pharisiens, d'une part, et d'autre part, la bonté, l'humilité la charité inépuisable de Jésus, nous forcerions nos adversaires à confesser que la religion chrétienne, tout en étant une évolution de la religion juive, a accompli un tel progrès qu'elle peut être considérée comme une religion tout à fait neuve et originale.
2. Le point important de l'objection rationaliste concerne évidemment les trois dogmes de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, c'est-à-dire ce qui paraît être le fond propre de la religion chrétienne. Remarquons tout d'abord que ces trois dogmes ont leur fondement dans les Livres sacrés du Nouveau Testament et en particulier dans les Évangiles. Pour démontrer que le christianisme a emprunté des dogmes, il faudrait donc faire la preuve que les documents de la révélation chrétienne n'ont pas de caractère original, qu'ils portent des traces d'importation étrangère. Or si l'on rapproche nos Livres sacrés de ceux de l'Inde et de la Perse, on constate aisément, par la critique interne, que les premiers n'ont pas été influencés par les seconds.
Par ailleurs, les ressemblances signalées sont-elles si complètes que l'on puisse dire que les dogmes du christianisme sont empruntés? « Ne consistent-elles pas fort souvent en de simples analogies très éloignées, de telle sorte qu'il y ait entre les éléments correspondants du christianisme et des autres cultes autant de différence que de ressemblance?... Nous voyons dans plusieurs religions l'idée d'une trinité divine, mais entre les triades païennes, vagues et changeantes, composées généralement d'un père, d'une mère et d'un fils, et la conception de la Trinité chrétienne, il y a un abîme. Sur un grand nombre de points il est possible de constater, à côté des ressemblances, des différences aussi grandes. »229
L'on pourrait s'étonner encore que l’idée d'un libérateur se retrouve en dehors du christianisme, que Çakya-Muni, par exemple, se soit donné, avant Jésus, pour le sauveur de l'humanité. Mais il convient de se rappeler que l'attente messianique avait dépassé les bornes du territoire juif. Cette idée, dont les prophètes avaient été les ardents propagateurs, avait pénétré partout. Elle faisait écho du reste aux sentiments du cœur humain. A la vue de ses misères et de ses fautes, devant la crainte des châtiments futurs, l'homme ne conçoit-il pas, comme d'instinct, le désir et l'espoir de la délivrance? « Or qu'arrive-t-il, dit l'abbé de Broglie, lorsque les hommes animés de ces sentiments se trouvent privés du bienfait de la révélation véritable et de la religion divine? Il arrive naturellement qu'ils cherchent ce qui leur manque, qu'ils le créent, qu'ils l'imaginent selon leurs lumières et leurs forces Sentant le besoin d'une révélation, ces hommes écouteront le premier prophète venu, sans vérifier ses titres ; sentant le besoin d'un libérateur ils écouteront celui qui dira qu'il peut, qu'il veut les sauver. Sentant le besoin d'émotions religieuses, ils organiseront des cérémonies, des chants capables de les leur inspirer. Croyant au surnaturel, ils s'adresseront à des êtres invisibles pour obtenir d'eux la santé et la richesse... Ainsi se développeront les fausses religions où il y aura toujours une part d'imposture, et où le bien sera mêlé au mal.»230
Quant aux circonstances historiques des dogmes. c'est-à-dire à tout ce qui porte sur la vie et les actes des fondateurs, les rapprochements signalés plus haut sont loin d'être défavorables au christianisme. Sans parler du mithriacisme qui s'est propagé dans l'Empire romain à la même époque que le christianisme et que les apologistes chrétiens ont pu accuser de plagiat sans recevoir de démenti (V. N° 191), l'on ne saurait regarder la vie du Bouddha comme un modèle sur lequel les Évangélistes auraient calqué la vie du Christ. Au contraire, la biographie de Çakya-Muni est relativement moderne dans la littérature de l'Inde, la rédaction définitive n'en ayant pas été faite avant le XIIe siècle de notre ère. Pour démontrer que le christianisme est tributaire du bouddhisme, il faudrait donc prouver que les livres actuels qui contiennent la vie du Bouddha sont identiques aux originaux ; et c'est ce qui n'a pas été fait. Il n'y a pas lieu davantage de nous arrêter au parallélisme qu'on a voulu établir entre la résurrection de Jésus dont nous avons apporté précédemment les preuves indiscutables, et la mort et la résurrection des dieux mythologiques, Osiris, Adonis et Atys, lesquelles ne sont autre chose que des symboles, destinés à figurer la succession des saisons, la mort apparente de la nature en hiver et sa résurrection au printemps.
a) Dogme. — 1. Que les vérités naturelles, telles que l'unité et l'immortalité de l'âme aient été enseignées par des philosophes antérieurs au christianisme, cela se conçoit, puisque la raison peut, par ses seules forces, découvrir ces vérités. L'on pourrait cependant remarquer qu'elles ont été rarement connues sans mélange d'erreur. Ainsi Platon, tout en reconnaissant une Divinité suprême, est dualiste. Aristote rejette la Providence, Sénèque paraît plutôt panthéiste, et presque tous ont représenté la Divinité comme soumise à l'aveugle Destin.
Mais on objecte aussi que le monothéisme, l'immortalité de l'âme, la croyance à une vie future, étaient déjà les éléments essentiels de la religion juive. Assurément, et ce serait un contresens de vouloir en tirer parti contre le catholicisme, puisque celui-ci est le premier, non seulement à admettre sa parenté, mais à affirmer cette filiation comme un de ses dogmes.
Les ressemblances d'ailleurs s'arrêtent là. Et si nous voulions relever les divergences entre les deux religions, établir le contraste entre le rigorisme, l'orgueil et la justice austère des Pharisiens, d'une part, et d'autre part, la bonté, l'humilité la charité inépuisable de Jésus, nous forcerions nos adversaires à confesser que la religion chrétienne, tout en étant une évolution de la religion juive, a accompli un tel progrès qu'elle peut être considérée comme une religion tout à fait neuve et originale.
2. Le point important de l'objection rationaliste concerne évidemment les trois dogmes de la Trinité, de l’Incarnation et de la Rédemption, c'est-à-dire ce qui paraît être le fond propre de la religion chrétienne. Remarquons tout d'abord que ces trois dogmes ont leur fondement dans les Livres sacrés du Nouveau Testament et en particulier dans les Évangiles. Pour démontrer que le christianisme a emprunté des dogmes, il faudrait donc faire la preuve que les documents de la révélation chrétienne n'ont pas de caractère original, qu'ils portent des traces d'importation étrangère. Or si l'on rapproche nos Livres sacrés de ceux de l'Inde et de la Perse, on constate aisément, par la critique interne, que les premiers n'ont pas été influencés par les seconds.
Par ailleurs, les ressemblances signalées sont-elles si complètes que l'on puisse dire que les dogmes du christianisme sont empruntés? « Ne consistent-elles pas fort souvent en de simples analogies très éloignées, de telle sorte qu'il y ait entre les éléments correspondants du christianisme et des autres cultes autant de différence que de ressemblance?... Nous voyons dans plusieurs religions l'idée d'une trinité divine, mais entre les triades païennes, vagues et changeantes, composées généralement d'un père, d'une mère et d'un fils, et la conception de la Trinité chrétienne, il y a un abîme. Sur un grand nombre de points il est possible de constater, à côté des ressemblances, des différences aussi grandes. »229
L'on pourrait s'étonner encore que l’idée d'un libérateur se retrouve en dehors du christianisme, que Çakya-Muni, par exemple, se soit donné, avant Jésus, pour le sauveur de l'humanité. Mais il convient de se rappeler que l'attente messianique avait dépassé les bornes du territoire juif. Cette idée, dont les prophètes avaient été les ardents propagateurs, avait pénétré partout. Elle faisait écho du reste aux sentiments du cœur humain. A la vue de ses misères et de ses fautes, devant la crainte des châtiments futurs, l'homme ne conçoit-il pas, comme d'instinct, le désir et l'espoir de la délivrance? « Or qu'arrive-t-il, dit l'abbé de Broglie, lorsque les hommes animés de ces sentiments se trouvent privés du bienfait de la révélation véritable et de la religion divine? Il arrive naturellement qu'ils cherchent ce qui leur manque, qu'ils le créent, qu'ils l'imaginent selon leurs lumières et leurs forces Sentant le besoin d'une révélation, ces hommes écouteront le premier prophète venu, sans vérifier ses titres ; sentant le besoin d'un libérateur ils écouteront celui qui dira qu'il peut, qu'il veut les sauver. Sentant le besoin d'émotions religieuses, ils organiseront des cérémonies, des chants capables de les leur inspirer. Croyant au surnaturel, ils s'adresseront à des êtres invisibles pour obtenir d'eux la santé et la richesse... Ainsi se développeront les fausses religions où il y aura toujours une part d'imposture, et où le bien sera mêlé au mal.»230
Quant aux circonstances historiques des dogmes. c'est-à-dire à tout ce qui porte sur la vie et les actes des fondateurs, les rapprochements signalés plus haut sont loin d'être défavorables au christianisme. Sans parler du mithriacisme qui s'est propagé dans l'Empire romain à la même époque que le christianisme et que les apologistes chrétiens ont pu accuser de plagiat sans recevoir de démenti (V. N° 191), l'on ne saurait regarder la vie du Bouddha comme un modèle sur lequel les Évangélistes auraient calqué la vie du Christ. Au contraire, la biographie de Çakya-Muni est relativement moderne dans la littérature de l'Inde, la rédaction définitive n'en ayant pas été faite avant le XIIe siècle de notre ère. Pour démontrer que le christianisme est tributaire du bouddhisme, il faudrait donc prouver que les livres actuels qui contiennent la vie du Bouddha sont identiques aux originaux ; et c'est ce qui n'a pas été fait. Il n'y a pas lieu davantage de nous arrêter au parallélisme qu'on a voulu établir entre la résurrection de Jésus dont nous avons apporté précédemment les preuves indiscutables, et la mort et la résurrection des dieux mythologiques, Osiris, Adonis et Atys, lesquelles ne sont autre chose que des symboles, destinés à figurer la succession des saisons, la mort apparente de la nature en hiver et sa résurrection au printemps.
229
L'abbé de Broglie, Problèmes et Conclusions de l'histoire des religions.
230
Ibid.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
b) Morale. — La morale chrétienne n'a aucunement la prétention d'être en tous points une morale nouvelle. Les préceptes fondés sur la nature des choses et imposés par la raison ne sont pas sa propriété exclusive. Il ne faut donc pas s'étonner des rapports qu'elle peut avoir avec d'autres morales, comme celle des stoïciens et celle de Zoroastre. Au surplus, la morale chrétienne les dépasse, tant dans l'ensemble de ses préceptes et de ses conseils que dans les motifs qui l'inspirent. Ainsi les stoïciens, tout en recommandant la pratique du bien comme la condition unique du bonheur, ne poursuivent que leur propre félicité ; ils ne connaissent pas la pitié à l'égard du prochain. D'autre part, en nous imposant comme premier devoir de supprimer le sentiment et de n'écouter que la raison, ils vont à l'encontre de la nature humaine et nous proposent une morale impraticable. Combien la morale du Christ, basée sur l'amour de Dieu et du prochain, compatissante à la faiblesse et indulgente aux défaillances, toujours guérissables par le repentir, est plus humaine et meilleure, on ne saurait le mettre en doute.
Mais on dit encore qu'il y a eu dans l'Inde des moines qui ont pratiqué les conseils évangéliques avant et tout aussi bien que les ascètes chrétiens. Nous voulons bien l'admettre, mais tout au plus peut-on en conclure que la nature humaine a été la même dans tous les temps et sous tous les cieux, qu'il y a toujours eu des âmes d'élite qui ont aspiré à un idéal de perfection, et que leurs instincts religieux leur ont découvert les mêmes moyens d'y parvenir.
c) Culte. 1. Nous n'avons pas à répondre à l'objection qu'on tire des ressemblances qu'il peut y avoir entre les sept sacrements chrétiens et les sept degrés de l'initiation mithriaque, puisque le mithriacisme n'est pas antérieur au christianisme, et que, s'étant répandu à Rome, il a pu entrer facilement en contact avec la religion de Jésus et lui emprunter ses rites. — 2. Quant au culte des saints et des images que l'on rapproche du culte des dieux et des idoles, les deux s'expliquent par la tendance de la nature humaine « à multiplier les objets de culte et à choisir des objets visibles de vénération religieuse : cette tendance, abandonnée à elle-même, a produit dans l'antiquité païenne le polythéisme et l'idolâtrie. Dans l'histoire du christianisme, ces mêmes aspirations, gouvernées et dirigées par l'Esprit-Saint et par l'Église, ont trouvé leur satisfaction dans un culte de vénération envers les saints, distinct du culte d'adoration qui est réservé à Dieu seul, et dans l'usage légitime d'images qui ne sont nullement des idoles »231. S’il est arrivé parfois que la distinction entre le culte de Dieu et celui des saints n'a pas été suffisamment établie et que le culte d'un saint a remplacé purement et simplement le culte d'un dieu local sans qu'il y eût de différence dans la manière de vénérer l'un et d'adorer l'autre, ce sont là des abus qui sont imputables à l'ignorance des nouveaux convertis, et non à la religion elle-même. — 3. On allègue enfin l'identité des cérémonies du culte chrétien et du culte païen pour accuser le premier de plagiat. A supposer que la liturgie chrétienne ait emprunté tous ses rites secondaires soit au culte juif, soit au culte païen, c'est-à-dire en somme, au milieu dans lequel elle pénétrait, et qu'elle les ait adaptés à ses besoins, il n'y aurait pas là de quoi l'accuser de plagiat. Les cérémonies, en tant que formes extérieures par lesquelles l'homme se propose d'adresser ses hommages à la divinité, sont du domaine public. Pourquoi voudrait-on refuser à la vraie religion le droit de faire usage, par exemple, des encensements, des processions, des chants, des vêtements sacerdotaux, sous prétexte que d'autres cultes les auraient employés avant elle ? La nature humaine étant la même partout, comme nous le disions plus haut, comment trouver étrange qu'elle traduise ses sentiments d'une manière identique ? « L'homme qui se sent coupable et malheureux se tourne naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A quelque race qu'il appartienne, il risque fort d'implorer la miséricorde divine dans les mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L'attitude de la prière, les manifestations extérieures du respect et de l'humilité sont à peu près les mêmes partout : on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d'obtenir une grâce, plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie... Il est assez naturel de porter solennellement en procession les images de ceux qu'on veut présenter à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d'ablutions, la transmission d'un pouvoir ou d'une influence par l'imposition des mains et bien d'autres pratiques religieuses sont autant de choses très conformes aux dispositions de la nature humaine. Il est puéril de s'étonner des similitudes en pareille matière et de les noter avec empressement comme une découverte ; ou de se laisser prendre à quelques traits extérieurs de ressemblance entre certaines images, et de vite conclure à une imitation. »232
CONCLUSION. — Tout ceci nous amène à la double conclusion suivante : — l. que les points de ressemblance entre le christianisme et les autres religions antérieures ne sont pas aussi caractéristiques que le voudraient les historiens rationalistes des religions, que les divergences qui se mêlent aux ressemblances sont souvent plus importantes ; et — 2. que les conclusions adoptées par les rationalistes dépassent les prémisses, et que par conséquent, le christianisme ne peut être accusé de plagiat sur aucun point, sauf, si l'on veut, sur les questions telles que les vérités naturelles et les accessoires du culte, qui font partie du domaine commun de l'humanité.
Mais on dit encore qu'il y a eu dans l'Inde des moines qui ont pratiqué les conseils évangéliques avant et tout aussi bien que les ascètes chrétiens. Nous voulons bien l'admettre, mais tout au plus peut-on en conclure que la nature humaine a été la même dans tous les temps et sous tous les cieux, qu'il y a toujours eu des âmes d'élite qui ont aspiré à un idéal de perfection, et que leurs instincts religieux leur ont découvert les mêmes moyens d'y parvenir.
c) Culte. 1. Nous n'avons pas à répondre à l'objection qu'on tire des ressemblances qu'il peut y avoir entre les sept sacrements chrétiens et les sept degrés de l'initiation mithriaque, puisque le mithriacisme n'est pas antérieur au christianisme, et que, s'étant répandu à Rome, il a pu entrer facilement en contact avec la religion de Jésus et lui emprunter ses rites. — 2. Quant au culte des saints et des images que l'on rapproche du culte des dieux et des idoles, les deux s'expliquent par la tendance de la nature humaine « à multiplier les objets de culte et à choisir des objets visibles de vénération religieuse : cette tendance, abandonnée à elle-même, a produit dans l'antiquité païenne le polythéisme et l'idolâtrie. Dans l'histoire du christianisme, ces mêmes aspirations, gouvernées et dirigées par l'Esprit-Saint et par l'Église, ont trouvé leur satisfaction dans un culte de vénération envers les saints, distinct du culte d'adoration qui est réservé à Dieu seul, et dans l'usage légitime d'images qui ne sont nullement des idoles »231. S’il est arrivé parfois que la distinction entre le culte de Dieu et celui des saints n'a pas été suffisamment établie et que le culte d'un saint a remplacé purement et simplement le culte d'un dieu local sans qu'il y eût de différence dans la manière de vénérer l'un et d'adorer l'autre, ce sont là des abus qui sont imputables à l'ignorance des nouveaux convertis, et non à la religion elle-même. — 3. On allègue enfin l'identité des cérémonies du culte chrétien et du culte païen pour accuser le premier de plagiat. A supposer que la liturgie chrétienne ait emprunté tous ses rites secondaires soit au culte juif, soit au culte païen, c'est-à-dire en somme, au milieu dans lequel elle pénétrait, et qu'elle les ait adaptés à ses besoins, il n'y aurait pas là de quoi l'accuser de plagiat. Les cérémonies, en tant que formes extérieures par lesquelles l'homme se propose d'adresser ses hommages à la divinité, sont du domaine public. Pourquoi voudrait-on refuser à la vraie religion le droit de faire usage, par exemple, des encensements, des processions, des chants, des vêtements sacerdotaux, sous prétexte que d'autres cultes les auraient employés avant elle ? La nature humaine étant la même partout, comme nous le disions plus haut, comment trouver étrange qu'elle traduise ses sentiments d'une manière identique ? « L'homme qui se sent coupable et malheureux se tourne naturellement vers son Créateur, vers une puissance invisible capable de le délivrer. A quelque race qu'il appartienne, il risque fort d'implorer la miséricorde divine dans les mêmes sentiments et presque dans les mêmes termes. L'attitude de la prière, les manifestations extérieures du respect et de l'humilité sont à peu près les mêmes partout : on lève les bras au ciel, on se prosterne ; plus est grand le désir d'obtenir une grâce, plus on insiste en répétant la même formule dans une sorte de litanie... Il est assez naturel de porter solennellement en procession les images de ceux qu'on veut présenter à la vénération publique. La purification, réelle ou symbolique, au moyen d'ablutions, la transmission d'un pouvoir ou d'une influence par l'imposition des mains et bien d'autres pratiques religieuses sont autant de choses très conformes aux dispositions de la nature humaine. Il est puéril de s'étonner des similitudes en pareille matière et de les noter avec empressement comme une découverte ; ou de se laisser prendre à quelques traits extérieurs de ressemblance entre certaines images, et de vite conclure à une imitation. »232
CONCLUSION. — Tout ceci nous amène à la double conclusion suivante : — l. que les points de ressemblance entre le christianisme et les autres religions antérieures ne sont pas aussi caractéristiques que le voudraient les historiens rationalistes des religions, que les divergences qui se mêlent aux ressemblances sont souvent plus importantes ; et — 2. que les conclusions adoptées par les rationalistes dépassent les prémisses, et que par conséquent, le christianisme ne peut être accusé de plagiat sur aucun point, sauf, si l'on veut, sur les questions telles que les vérités naturelles et les accessoires du culte, qui font partie du domaine commun de l'humanité.
231 L'abbé de Broglie, op. cit., p. 283
232
Condamin, Art. Babylone et la Bible (Dict. d'Alès).
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Art. II. — La rapide diffusion du Christianisme.
279. — État de la question. — La rapide diffusion du christianisme a toujours été considérée par les apologistes comme un solide argument en faveur de son origine divine. Cependant, la question n'a pas toujours été vue par eux sous le même angle. Dans le rapide essor du christianisme tous ont reconnu la main de la Providence, mais comme celle-ci a deux modes d'action, et qu'elle mène le monde, soit par le moyen des causes secondes, soit en dehors et au-dessus d'elles, l'on comprend qu'il y ait eu divergence de vue sur l'interprétation des faits.
Les apologistes qui adoptent la première hypothèse, font une part très large aux circonstances favorables à la propagation du christianisme. De l'admirable enchaînement des causes secondes qui ont permis à la religion nouvelle de faire une pénétration si rapide, ils remontent à la Cause suprême « qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées »233, de la même façon que de l'ordre du monde l'on peut conclure à un sage ordonnateur. Une telle hypothèse, bien que supposant l'action continue de Dieu, est exclusive du miracle. Elle est du reste parfaitement soutenable, mais elle a, à notre époque, le grave inconvénient de prêter des armes à nos adversaires, qui, partant de là, exagèrent, d'un côté, les circonstances favorables à la rapide diffusion du christianisme, et de l'autre, affaiblissent les obstacles qui s'opposaient à ses progrès, pour pouvoir aboutir à cette conclusion que la propagation du christianisme s'explique très bien par des causes naturelles et en dehors de Dieu.
La seconde hypothèse, qui est celle que nous exposerons, tout en laissant aux causes humaines la part qui leur revient, les regarde comme impuissantes à produire de tels effets et suppose par conséquent qu'il a dû s'y ajouter un élément divin ; en d'autres termes, elle prétend qu'il y a eu disproportion entre les moyens employés et les résultats obtenus, donc, miracle d'ordre moral.
Mais que faut-il entendre par miracle d'ordre moral ? Pour bien saisir le sens de cette expression, il faut se rappeler que tous les êtres créés obéissent à des lois propres à leur nature : les êtres sans raison à des lois nécessaires, les êtres raisonnables à des lois morales où la liberté joue son rôle. Ainsi, des leçons que l'histoire tire de la marche des événements, il résulte que l'on peut considérer comme une loi morale qu'une masse d'hommes ne changent pas d'opinion ni de mœurs, lorsque leurs passions, leurs intérêts et surtout leur vie sont en jeu. Si le changement se produit, il faut donc l'attribuer à une intervention spéciale de Dieu, et non aux causes secondes, et de ce fait, recourir à l'hypothèse du miracle moral. D'où il suit que le miracle moral, c'est tout fait qui, ne s'expliquant pas par les lois ordinaires de l'histoire, suppose, comme condition nécessaire, l'intervention spéciale de Dieu.
Pour démontrer le bien-fondé de cette hypothèse, nous avons dès lors à établir: 1° le fait même de la rapide diffusion du christianisme, et 2° le caractère surnaturel de ce fait.
279. — État de la question. — La rapide diffusion du christianisme a toujours été considérée par les apologistes comme un solide argument en faveur de son origine divine. Cependant, la question n'a pas toujours été vue par eux sous le même angle. Dans le rapide essor du christianisme tous ont reconnu la main de la Providence, mais comme celle-ci a deux modes d'action, et qu'elle mène le monde, soit par le moyen des causes secondes, soit en dehors et au-dessus d'elles, l'on comprend qu'il y ait eu divergence de vue sur l'interprétation des faits.
Les apologistes qui adoptent la première hypothèse, font une part très large aux circonstances favorables à la propagation du christianisme. De l'admirable enchaînement des causes secondes qui ont permis à la religion nouvelle de faire une pénétration si rapide, ils remontent à la Cause suprême « qui prépare les effets dans les causes les plus éloignées »233, de la même façon que de l'ordre du monde l'on peut conclure à un sage ordonnateur. Une telle hypothèse, bien que supposant l'action continue de Dieu, est exclusive du miracle. Elle est du reste parfaitement soutenable, mais elle a, à notre époque, le grave inconvénient de prêter des armes à nos adversaires, qui, partant de là, exagèrent, d'un côté, les circonstances favorables à la rapide diffusion du christianisme, et de l'autre, affaiblissent les obstacles qui s'opposaient à ses progrès, pour pouvoir aboutir à cette conclusion que la propagation du christianisme s'explique très bien par des causes naturelles et en dehors de Dieu.
La seconde hypothèse, qui est celle que nous exposerons, tout en laissant aux causes humaines la part qui leur revient, les regarde comme impuissantes à produire de tels effets et suppose par conséquent qu'il a dû s'y ajouter un élément divin ; en d'autres termes, elle prétend qu'il y a eu disproportion entre les moyens employés et les résultats obtenus, donc, miracle d'ordre moral.
Mais que faut-il entendre par miracle d'ordre moral ? Pour bien saisir le sens de cette expression, il faut se rappeler que tous les êtres créés obéissent à des lois propres à leur nature : les êtres sans raison à des lois nécessaires, les êtres raisonnables à des lois morales où la liberté joue son rôle. Ainsi, des leçons que l'histoire tire de la marche des événements, il résulte que l'on peut considérer comme une loi morale qu'une masse d'hommes ne changent pas d'opinion ni de mœurs, lorsque leurs passions, leurs intérêts et surtout leur vie sont en jeu. Si le changement se produit, il faut donc l'attribuer à une intervention spéciale de Dieu, et non aux causes secondes, et de ce fait, recourir à l'hypothèse du miracle moral. D'où il suit que le miracle moral, c'est tout fait qui, ne s'expliquant pas par les lois ordinaires de l'histoire, suppose, comme condition nécessaire, l'intervention spéciale de Dieu.
Pour démontrer le bien-fondé de cette hypothèse, nous avons dès lors à établir: 1° le fait même de la rapide diffusion du christianisme, et 2° le caractère surnaturel de ce fait.
233
Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle, 3e Part., ch. viii. L'importance que Bossuet attache à l'action des causes secondes n'est nullement une diminution de l'action divine, car c'est Dieu qui prépare la suite et la succession des choses par le travail des causes secondes et qui en dispose l'enchaînement pour la réalisation de son plan éternel, et de ce que Bossuet appelle sa politique céleste (Sera, sur la Providence). Rien n'est donc laissé au hasard. « Ce qui est hasard à l'égard de nos conseils incertains est un dessein concerté dans un conseil plus haut, c'est-à-dire dans ce conseil éternel qui renferme toutes les causes et tous les effets dans un même ordre. De cette sorte tout concourt à la même fin ; et c'est faute d'entendre le tout, que nous trouvons du hasard ou de l'irrégularité dans les rencontres particulières. »
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 1. — Le fait de la rapide diffusion du christianisme.
280 — La diffusion du christianisme peut être envisagée au point de vue du développement numérique et géographique, et au point de vue de l'expansion sociale.
1° Développement numérique et géographique. — Le christianisme se donnant comme une religion universelle, il importe de distinguer entre le nombre des nouveaux convertis et l'importance du territoire conquis.
A. LE NOMBRE. — Notre enquête sur l'expansion numérique du christianisme s'arrêtera au début du IVe siècle. A cette époque, en effet, les conquêtes de la nouvelle religion sont, non pas certes définitives, mais elles ont pris une importance telle, qu'elles ont forcé le pouvoir impérial, représenté par Constantin, à la tolérance d'abord par l'édit de Milan (313), puis à la bienveillance, et enfin au patronage officiel. Il devient dès lors difficile de faire le départ, dans le développement du christianisme qui s'intensifie chaque jour, entre ce qui peut être attribué aux causes secondes, c'est-à-dire aux auxiliaires humains, et ce qui semble impliquer une intervention spéciale de Dieu. En d'autres termes, le miracle moral n'est discernable que dans les trois premiers siècles où le christianisme, laissé à ses seules ressources, rencontre devant lui des obstacles humainement insurmontables.
a) Au 1er siècle — Nous avons, pour nous renseigner sur la marche de l'Évangile, le témoignage des auteurs sacrés et celui des auteurs profanes. — 1. Témoignage des auteurs sacrés. C'est aussitôt après la descente du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, que se place le berceau du christianisme. Les Actes des Apôtres rapportent que les deux premiers discours de Pierre font cinq mille convertis (Act, ii, 41 ; iv, 4). Ailleurs, ils parlent « de milliers de Juifs convertis » (Act., xxi, 20). Dans l'Apocalypse (I, 11) il est fait mention de sept Églises. Les progrès de la nouvelle doctrine sont si rapides que la finale de saint Marc constate que, selon l'ordre donné par Jésus, d'annoncer dans le monde entier l'Évangile du royaume (Mat., xxiv, 14), « les disciples partirent et prêchèrent en tous lieux» (Marc, xvi, 20). Saint Paul, à son tour, entre 53 et 57, c'est-à-dire vingt ans environ après l'Ascension de Notre-Seigneur, ne craint pas d'écrire aux Romains que « leur foi est annoncée dans le monde entier» (Rom., i, 8). — 2. Témoignage des auteurs profanes. Tacite et Suétone parlent de nombreux chrétiens qui périrent par la persécution de Néron, en l'an 64.
2) Au IIe siècle, — 1. Nous avons, tout au début du IIe siècle, vers 112, l'important témoignage de Pline le jeune. Après avoir parcouru, en vertu de ses fonctions de légat impérial, les vastes provinces de Bithynie et du Pont, il écrit une lettre-rapport à Trajan, dans laquelle il lui exprime sa surprise d'avoir rencontré « de nombreux chrétiens de tout âge, de tout sexe et même de tout rang, et d'avoir constaté que les temples des dieux étaient presque abandonnés, les sacrifices depuis longtemps interrompus, les victimes destinées aux dieux ne trouvant plus que de rares acheteurs ». — 2. Témoignage des Pères. Saint Justin, philosophe célèbre de l'école de Platon, converti au christianisme, déclare dans son Dialogue avec Tryphon, qu'« il n'y a pas une seule race d'hommes, soit barbares, soit grecs, ou de quelque nom qu'ils s'appellent, Scythes qui vivent sur les chars ou nomades qui habitent sous la tente, chez qui ne soit invoqué le nom de Jésus-Christ ». Saint Irénée, vers 170, voulant prouver l'unité de l'Église, la montre répandue par tout l'univers : « Les langues sont diverses dans le monde, écrit-il, mais la tradition de la foi est partout la même. Ni les Églises qui s'élèvent en Germanie n'ont une autre foi ou une autre tradition, ni celles qui sont en Ibérie ou chez les Celtes, ni celles qui sont vers le Levant, ni celles qui sont en Egypte, ou en Libye, ni celles qui sont vers le centre du monde (c'est-à-dire vers la Palestine)». A la fin du IIe siècle, vers 197, Tertullien écrit dans son Apologétique, c. xxxvii, n° 124 : Nous ne sommes que d'hier et nous remplissons tout votre empire, vos cités, vos maisons, vos places fortes, vos municipes, les assemblées, les camps mêmes, les tribus, les écuries, le palais, le sénat, le forum, nous ne vous laissons que vos temples. » Et Tertullien ajoute même, plus loin : « Il est évident que si les chrétiens voulaient se révolter, ils seraient plus redoutables que les Maures, les Parthes ou les Marcomans ; ou si seulement ils venaient à se retirer de l'Empire, les païens seraient effrayés de leur solitude ; il y aurait un silence et une sorte de stupeur comme si le monde était mort. »
Que, dans les paroles de Pline le Jeune, aussi bien que dans celles de saint Justin, de saint Irénée et de Tertullien, il y ait une part à faire à l'exagération et à l'emphase oratoire, la chose ne semble pas contestable, mais l'amplification n'équivaut pas à la falsification de la vérité. La preuve c'est que plus tard, vers 212, le même Tertullien, écrivant au proconsul d'Afrique Scapula pour protester contre une reprise de persécution, parle de « l'immense multitude » des chrétiens formant déjà « presque la majeure partie de chaque cité », paroles qui ne s'expliqueraient pas, et qui, en de telles circonstances, seraient bien maladroites si elles allaient ouvertement contre la réalité des choses.
c) Au IIIe siècle. Un des plus précieux témoignages du IIIe siècle est celui d'Origène qui, après avoir écrit, dans sa IXe homélie sur la Genèse, qu'il n'y avait « presque aucun lieu qui n'eût reçu la semence de la parole divine», avouait, avec une loyauté digne d'un historien moderne, que «la fin du monde était encore loin, puisque l'Évangile n'avait pas encore été prêché partout». Un autre témoignage de la même époque doit être rappelé, quoique moins précis et moins mesuré que le précédent ; c'est celui de saint Cyprien qui compare l'Église de son temps au soleil dont les rayons éclairent tout le monde, à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terre, à un fleuve qui répand ses eaux de tous côtés.
Nous arrivons ainsi au début du IVe siècle où nous entendons, d'un côté, le païen Porphyre qui se plaint de trouver des chrétiens partout, et de l'autre, l'historien Eusèbe, évêque de Césarée, qui proclame que le Christ est adoré dans le monde entier. D'ailleurs les nombreux conciles, — on en compte plus de cinquante avant le concile œcuménique de Nicée en 325, — qui se sont tenus de toutes parts, à Rome, en Afrique, dans les Gaules, en Espagne, en Grèce, dans la Palestine, etc., sont une preuve évidente que le christianisme était déjà en pleine floraison avant la conversion de l'empereur Constantin.
280 — La diffusion du christianisme peut être envisagée au point de vue du développement numérique et géographique, et au point de vue de l'expansion sociale.
1° Développement numérique et géographique. — Le christianisme se donnant comme une religion universelle, il importe de distinguer entre le nombre des nouveaux convertis et l'importance du territoire conquis.
A. LE NOMBRE. — Notre enquête sur l'expansion numérique du christianisme s'arrêtera au début du IVe siècle. A cette époque, en effet, les conquêtes de la nouvelle religion sont, non pas certes définitives, mais elles ont pris une importance telle, qu'elles ont forcé le pouvoir impérial, représenté par Constantin, à la tolérance d'abord par l'édit de Milan (313), puis à la bienveillance, et enfin au patronage officiel. Il devient dès lors difficile de faire le départ, dans le développement du christianisme qui s'intensifie chaque jour, entre ce qui peut être attribué aux causes secondes, c'est-à-dire aux auxiliaires humains, et ce qui semble impliquer une intervention spéciale de Dieu. En d'autres termes, le miracle moral n'est discernable que dans les trois premiers siècles où le christianisme, laissé à ses seules ressources, rencontre devant lui des obstacles humainement insurmontables.
a) Au 1er siècle — Nous avons, pour nous renseigner sur la marche de l'Évangile, le témoignage des auteurs sacrés et celui des auteurs profanes. — 1. Témoignage des auteurs sacrés. C'est aussitôt après la descente du Saint-Esprit, le jour de la Pentecôte, que se place le berceau du christianisme. Les Actes des Apôtres rapportent que les deux premiers discours de Pierre font cinq mille convertis (Act, ii, 41 ; iv, 4). Ailleurs, ils parlent « de milliers de Juifs convertis » (Act., xxi, 20). Dans l'Apocalypse (I, 11) il est fait mention de sept Églises. Les progrès de la nouvelle doctrine sont si rapides que la finale de saint Marc constate que, selon l'ordre donné par Jésus, d'annoncer dans le monde entier l'Évangile du royaume (Mat., xxiv, 14), « les disciples partirent et prêchèrent en tous lieux» (Marc, xvi, 20). Saint Paul, à son tour, entre 53 et 57, c'est-à-dire vingt ans environ après l'Ascension de Notre-Seigneur, ne craint pas d'écrire aux Romains que « leur foi est annoncée dans le monde entier» (Rom., i, 8). — 2. Témoignage des auteurs profanes. Tacite et Suétone parlent de nombreux chrétiens qui périrent par la persécution de Néron, en l'an 64.
2) Au IIe siècle, — 1. Nous avons, tout au début du IIe siècle, vers 112, l'important témoignage de Pline le jeune. Après avoir parcouru, en vertu de ses fonctions de légat impérial, les vastes provinces de Bithynie et du Pont, il écrit une lettre-rapport à Trajan, dans laquelle il lui exprime sa surprise d'avoir rencontré « de nombreux chrétiens de tout âge, de tout sexe et même de tout rang, et d'avoir constaté que les temples des dieux étaient presque abandonnés, les sacrifices depuis longtemps interrompus, les victimes destinées aux dieux ne trouvant plus que de rares acheteurs ». — 2. Témoignage des Pères. Saint Justin, philosophe célèbre de l'école de Platon, converti au christianisme, déclare dans son Dialogue avec Tryphon, qu'« il n'y a pas une seule race d'hommes, soit barbares, soit grecs, ou de quelque nom qu'ils s'appellent, Scythes qui vivent sur les chars ou nomades qui habitent sous la tente, chez qui ne soit invoqué le nom de Jésus-Christ ». Saint Irénée, vers 170, voulant prouver l'unité de l'Église, la montre répandue par tout l'univers : « Les langues sont diverses dans le monde, écrit-il, mais la tradition de la foi est partout la même. Ni les Églises qui s'élèvent en Germanie n'ont une autre foi ou une autre tradition, ni celles qui sont en Ibérie ou chez les Celtes, ni celles qui sont vers le Levant, ni celles qui sont en Egypte, ou en Libye, ni celles qui sont vers le centre du monde (c'est-à-dire vers la Palestine)». A la fin du IIe siècle, vers 197, Tertullien écrit dans son Apologétique, c. xxxvii, n° 124 : Nous ne sommes que d'hier et nous remplissons tout votre empire, vos cités, vos maisons, vos places fortes, vos municipes, les assemblées, les camps mêmes, les tribus, les écuries, le palais, le sénat, le forum, nous ne vous laissons que vos temples. » Et Tertullien ajoute même, plus loin : « Il est évident que si les chrétiens voulaient se révolter, ils seraient plus redoutables que les Maures, les Parthes ou les Marcomans ; ou si seulement ils venaient à se retirer de l'Empire, les païens seraient effrayés de leur solitude ; il y aurait un silence et une sorte de stupeur comme si le monde était mort. »
Que, dans les paroles de Pline le Jeune, aussi bien que dans celles de saint Justin, de saint Irénée et de Tertullien, il y ait une part à faire à l'exagération et à l'emphase oratoire, la chose ne semble pas contestable, mais l'amplification n'équivaut pas à la falsification de la vérité. La preuve c'est que plus tard, vers 212, le même Tertullien, écrivant au proconsul d'Afrique Scapula pour protester contre une reprise de persécution, parle de « l'immense multitude » des chrétiens formant déjà « presque la majeure partie de chaque cité », paroles qui ne s'expliqueraient pas, et qui, en de telles circonstances, seraient bien maladroites si elles allaient ouvertement contre la réalité des choses.
c) Au IIIe siècle. Un des plus précieux témoignages du IIIe siècle est celui d'Origène qui, après avoir écrit, dans sa IXe homélie sur la Genèse, qu'il n'y avait « presque aucun lieu qui n'eût reçu la semence de la parole divine», avouait, avec une loyauté digne d'un historien moderne, que «la fin du monde était encore loin, puisque l'Évangile n'avait pas encore été prêché partout». Un autre témoignage de la même époque doit être rappelé, quoique moins précis et moins mesuré que le précédent ; c'est celui de saint Cyprien qui compare l'Église de son temps au soleil dont les rayons éclairent tout le monde, à un arbre dont les rameaux couvrent toute la terre, à un fleuve qui répand ses eaux de tous côtés.
Nous arrivons ainsi au début du IVe siècle où nous entendons, d'un côté, le païen Porphyre qui se plaint de trouver des chrétiens partout, et de l'autre, l'historien Eusèbe, évêque de Césarée, qui proclame que le Christ est adoré dans le monde entier. D'ailleurs les nombreux conciles, — on en compte plus de cinquante avant le concile œcuménique de Nicée en 325, — qui se sont tenus de toutes parts, à Rome, en Afrique, dans les Gaules, en Espagne, en Grèce, dans la Palestine, etc., sont une preuve évidente que le christianisme était déjà en pleine floraison avant la conversion de l'empereur Constantin.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
281.— B. LE TERRITOIRE CONQUIS. —Les documents qui contiennent l'histoire du christianisme aux trois premiers siècles, nous le montrent répandu partout dans le vaste Empire romain, qui comprenait presque l'Europe tout entière et une grande fraction de l'Afrique et de l'Asie. Si l'on classe les provinces par rapport au nombre de leurs chrétiens, M. Harnack pense qu'on peut les partager dans les quatre groupes suivants : — a) Le premier groupe, où le christianisme comptait presque la moitié des habitants et formait la religion dominante, comprend l’Asie Mineure actuelle, la partie sud de la Thrace, l'île de Chypre, l'Arménie, la ville et le territoire d'Edesse. — b) Le deuxième groupe se compose des provinces où le christianisme a gagné une partie notable de la population et peut rivaliser avec les autres religions : ce sont Antioche et la Célé-Syrie, l'Egypte et la Thébaïde, surtout Alexandrie, Rome avec des parties de l'Italie centrale et méridionale, l'Afrique proconsulaire et la Numidie, l'Espagne, les principales parties de la Grèce et la côte méridionale de la Gaule. — c) Le troisième groupe formé des provinces où le christianisme était peu répandu, comprend la Palestine, la Phénicie, l'Arabie, quelques districts de la Mésopotamie, l'intérieur de la Péninsule grecque avec les provinces danubiennes, le nord et l'est de l'Italie, la Mauritanie et la Tripolitaine. — d) Le quatrième groupe, composé des provinces où le christianisme est tout à fait clairsemé et pour ainsi dire inexistant, embrasse les villes de l'ancienne Philistin, les côtes nord et nord-ouest de la mer Noire, l'ouest de la haute Italie, le centre et le nord de la Gaule, la Belgique, la Germanie et la Rhétie, peut-être aussi la Bretagne et la Norique.
282. — 2° Diffusion sociale. — Après avoir établi l'expansion numérique et géographique du christianisme, il importe de savoir quelle était la qualité ou la valeur sociale de ses adeptes, car il va de soi que si le nombre est une force, la qualité en est une autre. En principe, le christianisme, étant une religion universelle, s'adresse à toutes les classes de la société. — 1. Or il est indéniable que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite, à l'origine, surtout parmi ce qu'on peut appeler la classe des petites gens. Saint Paul écrit en effet aux Corinthiens qu'il n'y a parmi eux « ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles» (I Cor., i, 26). Il s'en glorifie d'ailleurs, puisqu'il ajoute que « Dieu a choisi ce qui était faible pour confondre les forts », c'est-à-dire l'orgueil et la fausse science du monde. Malgré cela, ce serait une erreur de croire que le premier noyau chrétien ne se composait que de gens de basse condition. — 2. Il y eut, au contraire, et dès la première heure, quelques personnages de marque : à Chypre, le proconsul Sergius Paulus (Act., xiii, 7, 12) ; à Athènes Denis l'aréopagite (Act., xvii, 34), convertis tous ceux par saint Paul ; à Thessalonique plusieurs femmes de haut rang (Act., xvii, 4, 12). À Rome, on peut citer Pomfonia Graecina dont Tacite raconte qu'elle fut accusée de superstition étrangère (Ann., xiii, 32), Agilius Glabrion, sénateur et personnage consulaire, que Domitien fit mettre à mort. En Bithynie, il y avait, suivant la lettre de Pline dont il a été question précédemment, des chrétiens appartenant à tous les rangs de la société. La fin du IIe siècle marque surtout un accroissement notable du christianisme dans les rangs de l'aristocratie romaine ; les épitaphes que l'on a retrouvées dans un des plus anciens hypogées de Rome, et qui portent les noms des Caecilii, des Attici, des Annii, des Pomponii, des Aurelii, illustres familles de l'époque, en font foi. — 3. A côté des représentants de la richesse, nous trouvons ceux de la science. Dès les temps apostoliques, les Actes signalent « un Juif nommé Apollos, originaire d'Alexandrie, homme éloquent et versé dans les Écritures » (Act., xviii, 24). Plus tard, les apologistes étaient tous des hommes de grande culture ; il suffit de nommer Tertullien, juriste distingué, et Origène, esprit d'une rare puissance. — 4. A la cour, la doctrine chrétienne eut aussi ses partisans. Saint Paul parle des chrétiens « de la maison de César» (Phil., iv, 22), de ceux « de la maison d'Aristobule et de Narcisse» (Rom., xvi, 10, 11). A la fin du Ier siècle, Flavius Clemens, le cousin de l'empereur Domitien, est chrétien ainsi que ses enfants qui sont les héritiers» présomptifs du trône. Le nombre des chrétiens augmente surtout dans l'entourage des empereurs plus libéraux, Constance Chlore et Licinius. — 5. Dans l'armée, le recrutement était difficile, la douceur évangélique paraissant sans doute incompatible avec la profession des armes. Cependant, sous Marc Aurèle, la douzième légion (fulminata) comptait un grand nombre de chrétiens ; c'est de ses rangs que sortirent plus tard les quarante martyrs de Sébaste. Au iv siècle, la christianisation de l'armée était suffisamment accomplie pour que Constantin pût arborer la croix sur ses étendards. — 6. Après avoir parlé des chrétiens en général et sans distinction de sexe, il est juste d'accorder une mention spéciale aux femmes, en raison du rôle important qu'elles jouèrent dans la primitive Église. De nombreux noms de femmes sont rapportés par les Actes des Apôtres, entre autres celui d'une personnalité importante, Priscille, femme d'Aquila (Act., xviii, 2 et 26). Les salutations qui terminent les Épîtres de saint Paul comprennent généralement des noms de femmes : l'Epître aux Romains spécialement en contient huit contre dix-huit noms d'hommes. Saint Paul se préoccupe des mariages mixtes (I Cor., vu, 12) et de la tenue des femmes dans les assemblées (I Cor., xi, 5), et l'on sait que, de bonne heure, il fut institué un corps de vierges chrétiennes et de diaconesses.
Conclusion. — De ce bref aperçu, il est permis de conclure que le christianisme a fait une pénétration rapide presque dans le monde entier, et que, s'il a trouvé plus d'adeptes dans la classe ordinaire, il n'a jamais été la religion d'une caste ni d'un parti. Il a été, dès les premiers jours, une religion universelle et une véritable puissance morale.
282. — 2° Diffusion sociale. — Après avoir établi l'expansion numérique et géographique du christianisme, il importe de savoir quelle était la qualité ou la valeur sociale de ses adeptes, car il va de soi que si le nombre est une force, la qualité en est une autre. En principe, le christianisme, étant une religion universelle, s'adresse à toutes les classes de la société. — 1. Or il est indéniable que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite, à l'origine, surtout parmi ce qu'on peut appeler la classe des petites gens. Saint Paul écrit en effet aux Corinthiens qu'il n'y a parmi eux « ni beaucoup de sages selon la chair, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles» (I Cor., i, 26). Il s'en glorifie d'ailleurs, puisqu'il ajoute que « Dieu a choisi ce qui était faible pour confondre les forts », c'est-à-dire l'orgueil et la fausse science du monde. Malgré cela, ce serait une erreur de croire que le premier noyau chrétien ne se composait que de gens de basse condition. — 2. Il y eut, au contraire, et dès la première heure, quelques personnages de marque : à Chypre, le proconsul Sergius Paulus (Act., xiii, 7, 12) ; à Athènes Denis l'aréopagite (Act., xvii, 34), convertis tous ceux par saint Paul ; à Thessalonique plusieurs femmes de haut rang (Act., xvii, 4, 12). À Rome, on peut citer Pomfonia Graecina dont Tacite raconte qu'elle fut accusée de superstition étrangère (Ann., xiii, 32), Agilius Glabrion, sénateur et personnage consulaire, que Domitien fit mettre à mort. En Bithynie, il y avait, suivant la lettre de Pline dont il a été question précédemment, des chrétiens appartenant à tous les rangs de la société. La fin du IIe siècle marque surtout un accroissement notable du christianisme dans les rangs de l'aristocratie romaine ; les épitaphes que l'on a retrouvées dans un des plus anciens hypogées de Rome, et qui portent les noms des Caecilii, des Attici, des Annii, des Pomponii, des Aurelii, illustres familles de l'époque, en font foi. — 3. A côté des représentants de la richesse, nous trouvons ceux de la science. Dès les temps apostoliques, les Actes signalent « un Juif nommé Apollos, originaire d'Alexandrie, homme éloquent et versé dans les Écritures » (Act., xviii, 24). Plus tard, les apologistes étaient tous des hommes de grande culture ; il suffit de nommer Tertullien, juriste distingué, et Origène, esprit d'une rare puissance. — 4. A la cour, la doctrine chrétienne eut aussi ses partisans. Saint Paul parle des chrétiens « de la maison de César» (Phil., iv, 22), de ceux « de la maison d'Aristobule et de Narcisse» (Rom., xvi, 10, 11). A la fin du Ier siècle, Flavius Clemens, le cousin de l'empereur Domitien, est chrétien ainsi que ses enfants qui sont les héritiers» présomptifs du trône. Le nombre des chrétiens augmente surtout dans l'entourage des empereurs plus libéraux, Constance Chlore et Licinius. — 5. Dans l'armée, le recrutement était difficile, la douceur évangélique paraissant sans doute incompatible avec la profession des armes. Cependant, sous Marc Aurèle, la douzième légion (fulminata) comptait un grand nombre de chrétiens ; c'est de ses rangs que sortirent plus tard les quarante martyrs de Sébaste. Au iv siècle, la christianisation de l'armée était suffisamment accomplie pour que Constantin pût arborer la croix sur ses étendards. — 6. Après avoir parlé des chrétiens en général et sans distinction de sexe, il est juste d'accorder une mention spéciale aux femmes, en raison du rôle important qu'elles jouèrent dans la primitive Église. De nombreux noms de femmes sont rapportés par les Actes des Apôtres, entre autres celui d'une personnalité importante, Priscille, femme d'Aquila (Act., xviii, 2 et 26). Les salutations qui terminent les Épîtres de saint Paul comprennent généralement des noms de femmes : l'Epître aux Romains spécialement en contient huit contre dix-huit noms d'hommes. Saint Paul se préoccupe des mariages mixtes (I Cor., vu, 12) et de la tenue des femmes dans les assemblées (I Cor., xi, 5), et l'on sait que, de bonne heure, il fut institué un corps de vierges chrétiennes et de diaconesses.
Conclusion. — De ce bref aperçu, il est permis de conclure que le christianisme a fait une pénétration rapide presque dans le monde entier, et que, s'il a trouvé plus d'adeptes dans la classe ordinaire, il n'a jamais été la religion d'une caste ni d'un parti. Il a été, dès les premiers jours, une religion universelle et une véritable puissance morale.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 2, — Le caractère surnaturel du fait.
283. — Le fait de la rapide diffusion du christianisme à travers le monde s'explique-t-il par des causes naturelles, tant extrinsèques qu'intrinsèques, c'est-à-dire tirées soit du milieu où le christianisme pénétrait, soit de la doctrine elle-même? Ou bien suppose-t-il une intervention spéciale de Dieu et faut-il conclure qu'il y a eu miracle d'ordre moral?
Pour résoudre le problème, il suffit de savoir s'il y a, oui ou non, juste proportion entre les moyens employés et les résultats obtenus. Comme on le devine bien, tous les rationalistes répondent par l'affirmative, quoiqu'ils se divisent sur le caractère et sur le nombre des causes qu’ont produit la rapidité du développement chrétien. Les apologistes catholiques soutiennent la thèse contraire. Avant d'exposer les arguments que font valoir ces derniers, il convient, en toute justice, que nous passions en revue les circonstances favorables invoquées par nos adversaires.
284. — 1° Thèse rationaliste. Explication naturelle des faits. — D'après M. Harnack234, le succès de la nouvelle religion était normal, tant il y avait adaptation et harmonie entre le milieu et la doctrine.
A. LE MILIEU. — Le christianisme s'est propagé dans deux sortes de milieux : le milieu juif et le milieu païen.
a) Le milieu juif. — Sous ce nom il faut entendre non seulement les Juifs qui habitaient la Palestine, ou Juifs palestiniens, dont la langue était le dialecte araméen, mais les Juifs helléniques, c'est-à-dire tous ceux qui, à partir de l'exil de Babylone, avaient essaimé dans le monde gréco-romain et qui ne parlaient que le grec. Ces derniers, au début de l'ère chrétienne, formaient une population importante dans les centres principaux de l'Empire romain ; on trouvait des communautés juives ou juiveries à Antioche, à Damas, à Smyrne, à Éphèse, à Thessalonique, à Athènes, à Corinthe, à Alexandrie, à Rome. L'ensemble des communautés constituait ce qu'on a appelé la Diaspora, d'un mot grec qui veut dire dispersion. Chaque juiverie avait sa synagogue ; elle y menait sa vie religieuse comme dans la mère-patrie, restant inviolablement attachée à ses institutions, à son culte et à ses espérances Toutefois, bien que gardant leur individualité de race et évitant tout contact avec les païens sur le terrain religieux, les Juifs avaient, par l'élévation de leur doctrine monothéiste, exercé une assez forte influence autour d'eux. Ils avaient même détaché des cultes païens bon nombre d'âmes droites qui, désabusées des erreurs idolâtriques, avaient reconnu le vrai Dieu et s'étaient affiliées au Judaïsme par la circoncision et l'observance des prescriptions mosaïques235.
Il est donc incontestable, concluent les rationalistes, que la Diaspora favorisa les débuts du christianisme en lui fournissant les éléments des premières chrétientés. — Contentons-nous de remarquer ici que les apologistes chrétiens reconnaissent le fait de cette première circonstance favorable à l'éclosion du christianisme, mais toute la question revient à savoir si la chose doit être regardée comme l'effet du hasard ou comme une heureuse disposition de la Providence.
b) Le milieu païen. — Le monde païen, de beaucoup plus considérable que le monde juif, constituait l'ensemble de l'Empire romain. Nous allons voir quels avantages il offrait à la pénétration chrétienne, tant au point de vue politique et général, qu'au point de vue religieux.
1. Au point de vue politique, on peut regarder comme circonstances favorables : — 1) l'unité politique de l'Empire romain embrassant la presque totalité du monde civilisé : ainsi le terrain semblait préparé pour une Eglise catholique ; — 2) la paix universelle indispensable à la propagation religieuse ; — 3) L’usage général de la langue grecque. L'hellénisme, regardé comme la plus haute forme de civilisation, avait créé l'unité de langue et d'idées ; — 4) la facilité des communications qu'assuraient les multiples voies romaines et la navigation méditerranéenne.
2. Au point de vue religieux, le paganisme se trouvait en pleine décadence. Personne ne croyait plus à son absurde et grossière mythologie, et le seul culte qui eût gardé quelque faveur était celui de Borne et de l'empereur, c'est-à-dire le culte de la force. Cependant, toute préoccupation religieuse n'avait pas disparu. Depuis les conquêtes de l'Asie et de l'Egypte, les religions orientales avaient au contraire provoqué un réveil des âmes, et les cultes de Cybèle, Isis, Adonis, Astarté, Mithra avaient « empêché », dit Mgr Duchesne, « le sentiment religieux de mourir» et lui avaient « permis d'attendre la renaissance évangélique »236. Tous ces cultes, du reste, vivaient côte à côte, en bonne harmonie, et il était admis qu'on pouvait les pratiquer tous à la fois, si bien qu'il s'était produit entre toutes ces croyances diverses une sorte de fusion qu'on désigne généralement sous le nom de syncrétisme237 gréco-romain. Au contact de ces religions étrangères, le monde païen avait fait plus que de garder sa foi en la divinité ; ses idées sur Dieu, sur le monde et sur l'âme, s'étaient épurées. Les esprits étaient donc prêts, disent les rationalistes, à accepter une religion plus spirituelle.
283. — Le fait de la rapide diffusion du christianisme à travers le monde s'explique-t-il par des causes naturelles, tant extrinsèques qu'intrinsèques, c'est-à-dire tirées soit du milieu où le christianisme pénétrait, soit de la doctrine elle-même? Ou bien suppose-t-il une intervention spéciale de Dieu et faut-il conclure qu'il y a eu miracle d'ordre moral?
Pour résoudre le problème, il suffit de savoir s'il y a, oui ou non, juste proportion entre les moyens employés et les résultats obtenus. Comme on le devine bien, tous les rationalistes répondent par l'affirmative, quoiqu'ils se divisent sur le caractère et sur le nombre des causes qu’ont produit la rapidité du développement chrétien. Les apologistes catholiques soutiennent la thèse contraire. Avant d'exposer les arguments que font valoir ces derniers, il convient, en toute justice, que nous passions en revue les circonstances favorables invoquées par nos adversaires.
284. — 1° Thèse rationaliste. Explication naturelle des faits. — D'après M. Harnack234, le succès de la nouvelle religion était normal, tant il y avait adaptation et harmonie entre le milieu et la doctrine.
A. LE MILIEU. — Le christianisme s'est propagé dans deux sortes de milieux : le milieu juif et le milieu païen.
a) Le milieu juif. — Sous ce nom il faut entendre non seulement les Juifs qui habitaient la Palestine, ou Juifs palestiniens, dont la langue était le dialecte araméen, mais les Juifs helléniques, c'est-à-dire tous ceux qui, à partir de l'exil de Babylone, avaient essaimé dans le monde gréco-romain et qui ne parlaient que le grec. Ces derniers, au début de l'ère chrétienne, formaient une population importante dans les centres principaux de l'Empire romain ; on trouvait des communautés juives ou juiveries à Antioche, à Damas, à Smyrne, à Éphèse, à Thessalonique, à Athènes, à Corinthe, à Alexandrie, à Rome. L'ensemble des communautés constituait ce qu'on a appelé la Diaspora, d'un mot grec qui veut dire dispersion. Chaque juiverie avait sa synagogue ; elle y menait sa vie religieuse comme dans la mère-patrie, restant inviolablement attachée à ses institutions, à son culte et à ses espérances Toutefois, bien que gardant leur individualité de race et évitant tout contact avec les païens sur le terrain religieux, les Juifs avaient, par l'élévation de leur doctrine monothéiste, exercé une assez forte influence autour d'eux. Ils avaient même détaché des cultes païens bon nombre d'âmes droites qui, désabusées des erreurs idolâtriques, avaient reconnu le vrai Dieu et s'étaient affiliées au Judaïsme par la circoncision et l'observance des prescriptions mosaïques235.
Il est donc incontestable, concluent les rationalistes, que la Diaspora favorisa les débuts du christianisme en lui fournissant les éléments des premières chrétientés. — Contentons-nous de remarquer ici que les apologistes chrétiens reconnaissent le fait de cette première circonstance favorable à l'éclosion du christianisme, mais toute la question revient à savoir si la chose doit être regardée comme l'effet du hasard ou comme une heureuse disposition de la Providence.
b) Le milieu païen. — Le monde païen, de beaucoup plus considérable que le monde juif, constituait l'ensemble de l'Empire romain. Nous allons voir quels avantages il offrait à la pénétration chrétienne, tant au point de vue politique et général, qu'au point de vue religieux.
1. Au point de vue politique, on peut regarder comme circonstances favorables : — 1) l'unité politique de l'Empire romain embrassant la presque totalité du monde civilisé : ainsi le terrain semblait préparé pour une Eglise catholique ; — 2) la paix universelle indispensable à la propagation religieuse ; — 3) L’usage général de la langue grecque. L'hellénisme, regardé comme la plus haute forme de civilisation, avait créé l'unité de langue et d'idées ; — 4) la facilité des communications qu'assuraient les multiples voies romaines et la navigation méditerranéenne.
2. Au point de vue religieux, le paganisme se trouvait en pleine décadence. Personne ne croyait plus à son absurde et grossière mythologie, et le seul culte qui eût gardé quelque faveur était celui de Borne et de l'empereur, c'est-à-dire le culte de la force. Cependant, toute préoccupation religieuse n'avait pas disparu. Depuis les conquêtes de l'Asie et de l'Egypte, les religions orientales avaient au contraire provoqué un réveil des âmes, et les cultes de Cybèle, Isis, Adonis, Astarté, Mithra avaient « empêché », dit Mgr Duchesne, « le sentiment religieux de mourir» et lui avaient « permis d'attendre la renaissance évangélique »236. Tous ces cultes, du reste, vivaient côte à côte, en bonne harmonie, et il était admis qu'on pouvait les pratiquer tous à la fois, si bien qu'il s'était produit entre toutes ces croyances diverses une sorte de fusion qu'on désigne généralement sous le nom de syncrétisme237 gréco-romain. Au contact de ces religions étrangères, le monde païen avait fait plus que de garder sa foi en la divinité ; ses idées sur Dieu, sur le monde et sur l'âme, s'étaient épurées. Les esprits étaient donc prêts, disent les rationalistes, à accepter une religion plus spirituelle.
234 Nous exposons la thèse de M. Harnack, parce qu'elle est une des plus récentes et des plus documentées.
235
Les païens qui s'affiliaient au judaïsme s'appelaient les prosélytes (grec « proselytos = lat. « advena» celui qui vient du dehors). Comme les Juifs, ils attendaient le Messie et devaient participer aux promesses messianiques.
Les prosélytes proprement dits, ou, comme on les a appelés plus tard, les prosélytes de la justice étaient beaucoup moins nombreux que ceux qui, abandonnant leurs pratiques idolâtriques, adhéraient au culte du vrai Dieu, sans toutefois se soumettre à la circoncision et aux observances de la Loi mosaïque. Ceux-ci sont appelés dans le Nouveau Testament les « craignant Dieu » (Act., x, 2). On les désigna au moyen âge sous le nom de prosélytes de la porte, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas le droit de franchir l'enceinte du temple, dont l'accès était réservé aux juifs et aux prosélytes proprement dits.
236
Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l'Église.
237
Syncrétisme. — Etymologiquement le mot syncrétisme (du grec « sun » avec et keran, mélanger) signifie la réunion de systèmes différents et même incompatibles. Le syncrétisme diffère donc de l'éclectisme (grec eklegein, choisir) en ce qu'il est un assemblage plus ou moins arbitraire d'opinions diverses, tandis que l'éclectisme est un système qui consiste à choisir parmi les doctrines différentes ce que chacune a de vrai.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
285. — B. LA DOCTRINE CHRÉTIENNE. — Tel était le milieu où la semence chrétienne allait être jetée. Voyons si celle-ci avait toutes les qualités voulues pour y germer, croître et se développer. D'après les rationalistes, la doctrine chrétienne était tout ce qu'il y a de plus adapté au milieu qui devait la recevoir — a) Si on la considère dans son dogme, elle était à la fois simple et complexe, claire et mystérieuse, pouvant se résumer en quelques brèves formules ou s'épanouir en riches aperçus, présentant une telle variété d'aspects qu'elle était apte à satisfaire les besoins religieux de toutes les âmes. Au lieu des froides divinités païennes, elle montrait un Dieu unique, créateur et maître tout-puissant, un Dieu qui n'était lié à aucune race ni à aucun peuple, Dieu et Père en même temps Père dont la bonté était allée jusqu'à donner son Fils unique, lequel après avoir passé sur la terre en faisant le bien, s'était offert en sacrifice pour le rachat des péchés de l'humanité. — b) Si on le considère dans sa morale, le christianisme, en professant que tous les hommes sont frères dans le Christ, apportait l’Évangile de l’amour. Il proclamait la grande loi inouïe jusque-là, de la fraternité universelle qui n'exclut personne pas même les ennemis ; loi d'où découlent tous les devoirs sociaux : la charité, la solidarité, le dévouement la miséricorde et le pardon des injures. — c) Si nous la considérons dans son culte, la doctrine chrétienne n'est pas moins salutaire. Le Christ ne s'est pas contenté de prêcher l’Évangile du salut et de la guérison, il l'a réalisé. Il a guéri les malades, il a consolé les affligés et relevé les pécheurs. Il a été vraiment le Sauveur et il le reste toujours par les Sacrements qu'il a institués : c'est ainsi que le Baptême est un bain salutaire qui donne une vie nouvelle et engage les âmes dans la voie de l'immortalité bienheureuse. Or, pour atteindre une si radieuse perspective, les âmes comprirent aisément qu'elles devaient être pures et saintes, et par conséquent, qu'elles devaient pratiquer la continence, et renoncer au monde, aux plaisirs, aux richesses. Appliquant ces principes à la lettre, les chrétientés primitives ne souffrirent dans leur sein aucun membre impur ; luttant contre tous les désordres sociaux, elles défendirent le luxe, les théâtres et les spectacles. — d) Si l'on considère la religion chrétienne, non plus dans sa substance, mais dans son mode d'enseignement, elle est tout ensemble la religion de l'autorité et de la raison. D'une part, elle s'impose par la foi, par une foi absolue qui ne souffre pas la discussion. Or ce dogmatisme intransigeant devait lui gagner bien des âmes, trop heureuses d'être délivrées de leur doute, et de rencontrer une doctrine qui leur apportait la lumière complète sur Dieu, sur le monde et sur leur destinée. D'autre part, la raison n'était pas sacrifiée ; il lui revenait de montrer l'harmonie des mystères et leur conformité avec la nature humaine. Ainsi, concluent les rationalistes, l'on peut voir avec quelle richesse et quelle complexité la doctrine chrétienne apparut dès l'abord au monde païen. Renfermant en soi tout ce qui peut être demandé à une religion, elle a capté toutes les forces et toutes les idées pour les mettre à son service.
Ces conclusions, nous nous garderons d'autant plus de les contredire que nous sommes les premiers à proclamer l'excellence de la doctrine chrétienne et à regarder la transcendance de l'enseignement du Christ comme une présomption en faveur de son origine divine.
286. — 2° Réfutation de la thèse rationaliste. Explication vraie. —
Les circonstances favorables à la propagation du christianisme ne sauraient être mises en doute, encore que les rationalistes en exagèrent l'importance et en tirent des conclusions fausses. Car toute là question, avons-nous dit revient à savoir si les circonstances favorables ci-dessus mentionnées ne sont pas l'œuvre de la Providence, si elles n'ont pas été préparées par elle comme autant de moyens propres à ouvrir les voies à la nouvelle religion. Ce que nous voudrions démontrer maintenant, c'est que toutes les causes signalées comme éléments de succès n'auraient pas suffi à produire de tels effets, contrebalancées qu'elles étaient par la grandeur des obstacles et la petitesse des moyens employés.
287. — A. OBSTACLES.— La diffusion du christianisme rencontrait deux sortes d'obstacles : les uns inhérents à la doctrine elle-même (obstacles intrinsèques) ; les autres venant du dehors (obstacles extrinsèques).
a) Obstacles intrinsèques. — Tout excellente qu'elle fût, la doctrine chrétienne ne s'adaptait pas plus à l'esprit des Juifs qu'à celui des païens — 1. Les mystères, qui composaient son dogme, étaient une rude humiliation pour la raison humaine. Plus spécialement, le mystère de la Rédemption devait choquer les esprits : il était « scandale pour les Juifs » (1 Cor., I, 23) qui attendaient un Messie glorieux et conquérant, et il était « folie pour les Gentils » qui regardaient la croix comme un objet infâme, comme une ignominie réservée à de vils esclaves. — 2. Les exigences de la morale n'étaient pas un moindre obstacle. Habitués qu'ils étaient à adorer des dieux pleins d'indulgence pour leurs vices, les païens devaient, en embrassant la religion chrétienne, renoncer aux plaisirs, aux théâtres, aux jeux, même à leurs relations de société, puisque les réunions étaient mêlées presque toujours de superstitions idolâtriques. En outre, la vie chrétienne demandait des vertus, — douceur, humilité, pitié, chasteté, — qui semblaient dépasser les forces humaines. Se convertir au christianisme, c'était donc pour tout païen rompre avec son passé, c'était sortir de son milieu, se priver de multiples jouissances, alors que les autres cultes syncrétistes n'avaient aucune exigence et n'imposaient aucun sacrifice.
b) Obstacles extrinsèques. — La nouvelle religion eut à lutter contre deux sortes d'ennemis, contre la calomnie et contre la persécution. — l.- La calomnie, Les adversaires du christianisme, mal intentionnés, allaient répétant les pires calomnies sur les croyances et les mœurs des chrétiens. Ils les accusèrent par exemple, d'adorer un dieu à tête d'âne, de se livrer, dans leurs réunions nocturnes, à des orgies sans nom. Interprétant faussement le sacrifice eucharistique, ils prétendirent que les chrétiens égorgeaient un enfant et se nourrissaient de sa chair, si bien que Tertullien fut obligé de rappeler que les chrétiens n'étaient ni des ogres ni des monstres inhumains. On les fit passer pour des athées et on les accusa d'être, par leurs impiétés et leurs sortilèges, la cause de tous les maux. — 2. La persécution. Pendant deux siècles et demi, de Néron à Constantin, les chrétiens furent en butte aux plus atroces persécutions (au nombre de dix), et ce n'est rien exagérer que de dire avec Tertullien que tout païen converti était « un candidat au martyre». M. Harnack le reconnaît d'ailleurs : « Ce serait, écrit-il, une illusion de se représenter la situation des chrétiens comme tout à fait supportable : l'épée de Damoclès restait suspendue sur la tête de chaque chrétien, et celui-ci restait toujours en face de la terrible tentation d'apostasier : car l'apostasie le rendait libre... Aussi n'a-t-on pas le droit de méconnaître le courage qu'il y avait à se faire chrétien et à vivre en chrétien ; il faut surtout glorifier la fidélité de ces martyrs qui n'avaient qu'un mot à dire ou un geste à faire pour être délivrés du châtiment et qui préférèrent la mort à cette délivrance. Dans cette interdiction légale il y avait, à n'en pas douter, un fort obstacle pour la propagande chrétienne. »238 Il est vrai que M Harnack se reprend un peu plus loin et déclare, sans se laisser arrêter par une évidente contradiction, que « l'histoire nous apprend, qu'une religion opprimée s'accroît et grandit sans cesse et qu'ainsi la persécution est un bon moyen de propagande ». Il faudrait pourtant choisir : une même chose ne saurait être à la fois obstacle et circonstance favorable. Loin d'être un bon moyen de propagande, la persécution est assurément le plus rude obstacle qu'une doctrine puisse rencontrer sur son chemin. L'histoire en témoigne, contrairement à ce que prétend M. Harnack: « I1 y a des persécutions qui ont réussi, dit G. Boissier, et le sang a quelquefois étouffé des doctrines qui avaient toutes sortes de raisons de vivre et de se propager... Ne disons donc pas d'un ton si assuré que la force est toujours impuissante quand elle s'en prend à une opinion religieuse ou philosophique. »239 Les albigeois, les vaudois, les hussites ont succombé sous les coups de la répression. Le protestantisme a disparu, là où il a rencontré l'opposition des pouvoirs publics. Le catholicisme lui-même, quand il était déchu de sa première ferveur, a été balayé par la persécution, comme il est arrivé au xvie siècle sous le règne d'Elisabeth. « Mais une fois au moins, dit encore Boissiek, en parlant du christianisme naissant, la force a été vaincue ; une croyance a résisté à l'effort du plus vaste empire qu'on ait vu ; de pauvres gens ont défendu leur foi et l'ont sauvée en mourant pour elle. »240
238 Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums.
239
Boissière, La fin du paganisme.
240 Ibid.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
288. — B. MOYENS EMPLOYÉS. — Autant les obstacles étaient grands, autant les moyens employés étaient faibles. Nous venons de voir précédemment que la religion chrétienne n'avait à son service, comme moyens de propagande, ni les séductions de sa morale, ni la protection du pouvoir civil. Au lieu d'allécher les peuples par les séductions de la volupté et de subjuguer les esprits par la force des armes, comme le fit Mahomet, elle déclara la guerre aux passions et aux vices, et pendant trois siècles elle fut impitoyablement traquée par ses adversaires. Aussi pouvons-nous dire avec Pascal que « si Mahomet a pris la voie de réussir humainement, Jésus-Christ a pris celle de périr humainement. Et au lieu de conclure que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ a bien pu réussir, il faut dire que, puisque Mahomet a réussi, Jésus-Christ devait périr. »241
N'ayant pour elle ni les attraits séducteurs de sa morale, ni la force des armes, la nouvelle religion avait-elle au moins à sa disposition l’éloquence de ses prédicateurs ? Douze hommes, appartenant à une race mal vue, douze Juifs, sans crédit, sans argent et sans puissance, presque tous illettrée, parlant mal la langue grecque, comme leurs écrits le prouvent ; même saint Paul, saint Jean et saint Luc qui sont des esprits de plus grande envergure, sont, sur ce point, inférieurs aux philosophes-grecs ou latins de l'époque. Voilà les seuls instruments que le Christ a choisis pour faire la conquête du monde. Du reste, les apôtres de la nouvelle religion ne se targuent pas de gagner les esprits par la logique et la force des arguments, et saint Paul ne se fait pas scrupule de dire que « Dieu a choisi ce qui était insensé aux yeux du monde pour confondre les sages, la bassesse et l'opprobre du monde, ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. » (I Cor., i, 27, 29). Ils ne s'appuient que sur une chose, sur l'autorité divine, sur les miracles du Christ et en particulier sur sa résurrection.
Conclusion. — La rapide diffusion du christianisme, pénétrant dans des milieux si différents et s'adaptant à toutes les intelligences, les plus raffinées comme les plus frustes, en dépit d'obstacles apparemment insurmontables, peut donc être considérée comme « l'un des faits de l'histoire qui se dérobent le plus aux explications ordinaires »242. Aussi pouvons-nous poser à nos adversaires le fameux dilemme de saint Augustin243 : Ou bien des miracles évidents ont été opérés pour la conversion du monde, et alors le christianisme est divin et approuvé de Dieu, ou bien il n'y a pas eu de miracle et alors la conversion du monde sans miracle est le plus grand des miracles, parce que contraire aux lois de l'ordre moral.
289. — Remarque. — La merveilleuse conservation du christianisme.
Les apologistes ont coutume de compléter l'argument tiré du fait de la rapide diffusion du christianisme par celui tiré du fait de son étonnante vitalité à travers les siècles. Nous nous contenterons de le signaler, car c'est toute l'histoire de l’Église qu'il y aurait lieu de faire pour présenter l'argument dans toute sa force, l'intervention divine n'apparaît pas moins évidente dans le fait de la conservation de la religion chrétienne que dans son admirable propagation. Si, par suite des obstacles qui se dressaient devant elle, il était humainement impossible à la doctrine du Christ de conquérir le monde, il lui était peut-être plus difficile encore de continuer à vivre et de résister à l'épreuve du temps. C'est qu'en effet le temps est un impitoyable démolisseur. L'attrait du nouveau, l'expérience qui montre la faiblesse des doctrines, le danger de corruption qui les menace sans cesse, l'opposition qu'elles rencontrent de toutes parts, voilà autant de causes qui font que leur succès est toujours éphémère. Or toutes ces cause» de mort, le christianisme les a trouvées sur son chemin. Dans la longue suite des siècles, il eut à lutter contre les assauts répétés des sectes hérétiques et contre la domination du pouvoir civil. A peine était-il sorti de l'ère des persécutions, qu'il fut menacé d'asservissement en passant sous la protection des empereurs et que sa victoire faillit tourner en défaite. Puis il assista à la ruine de l'Empire romain auquel son sort semblait lié. Plus tard, au Moyen Age, il connut l'ingérence despotique des pouvoirs civils, la grave querelle des investitures, le schisme d'Occident, le relâchement de l'esprit chrétien jusque chez les pasteurs de l'Église, les excès de l'humanisme, la crise protestante, la crise plus grave de l'esprit moderne avec ses conséquences sociales et politiques...
Ainsi, tandis que dans le monde tout disparaît avec le temps, tandis que les empires s'écroulent les uns après les autres, que les écoles philosophiques ne gardent la faveur du public que peu de temps, en un mot, tandis que toutes les institutions humaines, quelles qu'elles soient, naissent et meurent tour à tour, seul le Christianisme demeure, gardant toute sa vitalité et ne donnant aucun signe de déclin : Stat crux, dum volvitur orbis. Aussi le concile du Vatican a-t-il, avec raison, présenté le fait de l'Église comme « un grand et perpétuel motif de crédibilité. »
N'ayant pour elle ni les attraits séducteurs de sa morale, ni la force des armes, la nouvelle religion avait-elle au moins à sa disposition l’éloquence de ses prédicateurs ? Douze hommes, appartenant à une race mal vue, douze Juifs, sans crédit, sans argent et sans puissance, presque tous illettrée, parlant mal la langue grecque, comme leurs écrits le prouvent ; même saint Paul, saint Jean et saint Luc qui sont des esprits de plus grande envergure, sont, sur ce point, inférieurs aux philosophes-grecs ou latins de l'époque. Voilà les seuls instruments que le Christ a choisis pour faire la conquête du monde. Du reste, les apôtres de la nouvelle religion ne se targuent pas de gagner les esprits par la logique et la force des arguments, et saint Paul ne se fait pas scrupule de dire que « Dieu a choisi ce qui était insensé aux yeux du monde pour confondre les sages, la bassesse et l'opprobre du monde, ce qui n'est rien, pour réduire au néant ce qui est, afin que nulle chair ne se glorifie devant Dieu. » (I Cor., i, 27, 29). Ils ne s'appuient que sur une chose, sur l'autorité divine, sur les miracles du Christ et en particulier sur sa résurrection.
Conclusion. — La rapide diffusion du christianisme, pénétrant dans des milieux si différents et s'adaptant à toutes les intelligences, les plus raffinées comme les plus frustes, en dépit d'obstacles apparemment insurmontables, peut donc être considérée comme « l'un des faits de l'histoire qui se dérobent le plus aux explications ordinaires »242. Aussi pouvons-nous poser à nos adversaires le fameux dilemme de saint Augustin243 : Ou bien des miracles évidents ont été opérés pour la conversion du monde, et alors le christianisme est divin et approuvé de Dieu, ou bien il n'y a pas eu de miracle et alors la conversion du monde sans miracle est le plus grand des miracles, parce que contraire aux lois de l'ordre moral.
289. — Remarque. — La merveilleuse conservation du christianisme.
Les apologistes ont coutume de compléter l'argument tiré du fait de la rapide diffusion du christianisme par celui tiré du fait de son étonnante vitalité à travers les siècles. Nous nous contenterons de le signaler, car c'est toute l'histoire de l’Église qu'il y aurait lieu de faire pour présenter l'argument dans toute sa force, l'intervention divine n'apparaît pas moins évidente dans le fait de la conservation de la religion chrétienne que dans son admirable propagation. Si, par suite des obstacles qui se dressaient devant elle, il était humainement impossible à la doctrine du Christ de conquérir le monde, il lui était peut-être plus difficile encore de continuer à vivre et de résister à l'épreuve du temps. C'est qu'en effet le temps est un impitoyable démolisseur. L'attrait du nouveau, l'expérience qui montre la faiblesse des doctrines, le danger de corruption qui les menace sans cesse, l'opposition qu'elles rencontrent de toutes parts, voilà autant de causes qui font que leur succès est toujours éphémère. Or toutes ces cause» de mort, le christianisme les a trouvées sur son chemin. Dans la longue suite des siècles, il eut à lutter contre les assauts répétés des sectes hérétiques et contre la domination du pouvoir civil. A peine était-il sorti de l'ère des persécutions, qu'il fut menacé d'asservissement en passant sous la protection des empereurs et que sa victoire faillit tourner en défaite. Puis il assista à la ruine de l'Empire romain auquel son sort semblait lié. Plus tard, au Moyen Age, il connut l'ingérence despotique des pouvoirs civils, la grave querelle des investitures, le schisme d'Occident, le relâchement de l'esprit chrétien jusque chez les pasteurs de l'Église, les excès de l'humanisme, la crise protestante, la crise plus grave de l'esprit moderne avec ses conséquences sociales et politiques...
Ainsi, tandis que dans le monde tout disparaît avec le temps, tandis que les empires s'écroulent les uns après les autres, que les écoles philosophiques ne gardent la faveur du public que peu de temps, en un mot, tandis que toutes les institutions humaines, quelles qu'elles soient, naissent et meurent tour à tour, seul le Christianisme demeure, gardant toute sa vitalité et ne donnant aucun signe de déclin : Stat crux, dum volvitur orbis. Aussi le concile du Vatican a-t-il, avec raison, présenté le fait de l'Église comme « un grand et perpétuel motif de crédibilité. »
241 Pascal, art. xix, n. 10, éd. Havet
242 P. Allard, Dix leçons sur le martyre. L'expansion du christianisme,
243
Saint Augustin, La Cité de Dieu, Liv. XXII, chap. v.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Art. III. — Le Martyre.
290. — État de la question. — La diffusion du christianisme a rencontré, avons-nous dit (N° 287), comme principal obstacle, les violentes persécutions que les empereurs romains ont déchaînées contre lui durant les trois premiers siècles. Le martyre fait donc, en réalité, partie intégrante de l'article qui précède. Mais les apologistes ont coutume de détacher cette question pour en faire un argument spécial on faveur de la divinité du christianisme.
Dans ce but, ils considèrent le martyre chrétien sous un double jour : à un point de vue psychologique et à un point de vue historique. — 1. Au point de vue psychologique, ils prennent comme point de départ le fait de cette phalange innombrable de chrétiens qui bravent les pires tourments et la mort, avec un héroïsme et un courage qui ne se démentent pas un instant, et ils concluent que pareil fait dépasse les forces humaines et ne s'explique pas sans l'intervention divine. — 2. Au point de vue historique, les martyrs, du moins les premiers, ceux qui ont été les contemporains du Christ, ont rendu témoignage des miracles de Jésus, et plus spécialement de sa Résurrection : miracles qui servent de fondement à la doctrine chrétienne et prouvent la divinité du christianisme. En ne reculant pas devant le sacrifice de leur vie, pour affirmer ce qu'ils avaient vu, ils ont donné à leur témoignage une valeur sans égale, et l'on peut dire avec Pascal qu'il y a tout lieu de croire « les histoires dont les témoins se font égorger ». (Voir supra).
Nous ne considérerons la question que du seul point de vue psychologique. Le second point de vue, outre qu'il nous paraît très discutable (V. N° 297),se rattache à une autre question ; il appartient entièrement à la preuve historique des miracles du Christ, qu'il s'agisse de ses miracles en général, ou du miracle de la Résurrection (V. N° 271).
Au point de vue psychologique, nous aurons à établir deux points : — 1° le fait du grand nombre des martyrs et 2° le caractère surnaturel du fait.
§ 1. — Le fait du martyre chrétien.
291. — Nous allons voir : 1° ce qu'il faut entendre par martyrs ; 2° quel fut le nombre de chrétiens martyrisés ; et 3° s'ils furent martyrisés parce que chrétiens
1° Définition. — Étymologiquement, martyr (du grec martus, marturos) veut dire témoin. Ce mot a donc été choisi pour désigner les Apôtres et les premiers disciples qui, ayant vu les miracles et la Résurrection du Christ, versèrent leur sang pour en rendre témoignage. Le mot a été employé depuis dans un sens plus large. Il désigne tous les chrétiens qui ont souffert la mort plutôt que de renier leur foi. Peu importe donc que les chrétiens aient sacrifié leur vie pour attester un fait dont ils avaient été les témoins, ou pour confesser leur foi à une doctrine ; les uns comme les autres sont des martyrs du christianisme.
292. — 2° Le nombre. — « Aucune donnée statistique, dit M. P. Allard ne permet de retrouver, même approximativement, le nombre des martyrs ; on ne saurait douter qu'il n'ait été très grand. »244 Ainsi, d'après le célèbre historien des persécutions, il n'est pas possible, faute de documents, d'évaluer par un chiffre quelconque, même approximatif, le nombre des victimes des persécutions. La raison en est que les listes dressées par les Églises et composant leurs Martyrologes, sont loin d'être complètes et ne mentionnent que les noms des martyrs dont l'anniversaire était célébré. Ce qui n'est pas douteux, c'est que le nombre en fut très grand. Cette opinion repose sur le témoignage des auteurs profanes et des auteurs chrétiens : — a) Témoignage des auteurs profanes- — 1. Tacite dit que, sous Néron, il périt une immense multitude de chrétiens, « multitudo ingens »245. — 2. Dion Cassius rapporte que « Domitien mit à mort, avec beaucoup d'autres, son cousin Flavius Clemens, alors consul, et la femme de celui-ci, Flavia Domitilla, sa parente »246. — b) Témoignage des écrivains chrétiens. Lactance écrit dans son ouvrage De la mort des persécuteurs (ch. xv) : « Toute la terre était cruellement tourmentée, et, à l'exception des Gaules, l'Orient et l'Occident étaient ravagés, dévorés par trois monstres. » L'historien Eusèbe écrit à son tour dans son Histoire ecclésiastique (liv. VII, ch. ix) : « II est impossible de dire quelle multitude de martyrs la persécution fit en tout lieu. En Phrygie, une ville chrétienne fut livrée aux flammes avec tous ses habitants, sans en excepter les femmes et les enfants. ».
La tradition sur le grand nombre des martyrs fut d'ailleurs acceptée sans conteste jusqu'à la fin du xviie siècle. Elle fut mise en doute en 1684 par le protestant Dodwell qui, tout en réduisant le nombre des victimes des persécutions, admet cependant qu'il fut assez considérable pour être une preuve en faveur du christianisme. Après le critique anglais, la même thèse fut soutenue, au xviiie siècle, par Voltaire naturellement, et tout récemment par certains rationalistes: Hochard (Études au sujet de la persécution de Néron), Havet (Le Christianisme et ses origines), Aube (Histoire des persécutions de l’Église jusqu'à la fin des Antonins), M. Harnack (op. cit.).
Mais la thèse du grand nombre des martyrs a été suffisamment prouvée par d'autres historiens tels que Tillemont dans ses Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, par Ruinart, dans ses Acta sincera Martyrum, par Le Blanc dans son Supplément aux « Acta sincera» de Dom Ruinart, par P. Allard, dans son Histoire des persécutions du Ier au IVe siècle, par G. Boissiek dans La fin du Paganisme, et même par Renan dans son Histoire des Origines du Christianisme.
Au demeurant, alors même qu'il faudrait diminuer le nombre des martyrs, le chiffre en resterait toujours imposant, et il ne faut pas oublier que l'atmosphère de crainte et de péril dans laquelle vivaient tous ceux qui faisaient profession d'être chrétiens, équivalait pour ainsi dire à la mort. , Dans le passage que nous avons cité (N° 287), M. Harnack n'hésite pas à le reconnaître, et il confesse sans détour que là situation des chrétiens était intolérable.
Et si nous n'arrêtions pas notre enquête aux trois premiers siècles, nous pourrions ajouter qu'à travers sa longue histoire- l'Église a toujours eu des martyrs, et que le témoignage du sang ne lui a jamais fait défaut. Qu'on consulte les Annales de la Propagation de la Foi des cinquante dernières années, et l'on pourra lire le récit du martyre de nombreux chrétiens, missionnaires et laïques, qui sont tombés pour la foi du Christ, au Japon, en Chine, en Cochinchine, au Tonkin, en Mongolie, dans l'Ouganda, etc.
293. — 3° Ils ont été martyrisés parce que chrétiens. — Il n'est pas besoin d'insister longuement pour démontrer que les chrétiens ont été martyrisés pour le seul crime d'être chrétiens. Il est vrai que le premier édit de persécution porté par Néron paraît avoir eu pour prétexte l'incendie de Rome, mensongèrement imputé aux chrétiens. Mais, outre que ce cas est exceptionnel dans l'histoire des persécutions, l'accusation portée par l'empereur n'a jamais été prise au sérieux, comme en témoignent les historiens de l'époque, Tacite et Suétone. Toutes les persécutions ont pour point de départ la promulgation d'un édit ou rescrit qui défend de se convertir à la nouvelle religion. Aussi l'interrogatoire des juges est-il très simple. On pose une première question pour savoir si l'accusé fait profession de christianisme, et, dans l'affirmative, s'il veut renier sa foi et sacrifier aux dieux du paganisme, s'il veut être renégat ou martyr.
290. — État de la question. — La diffusion du christianisme a rencontré, avons-nous dit (N° 287), comme principal obstacle, les violentes persécutions que les empereurs romains ont déchaînées contre lui durant les trois premiers siècles. Le martyre fait donc, en réalité, partie intégrante de l'article qui précède. Mais les apologistes ont coutume de détacher cette question pour en faire un argument spécial on faveur de la divinité du christianisme.
Dans ce but, ils considèrent le martyre chrétien sous un double jour : à un point de vue psychologique et à un point de vue historique. — 1. Au point de vue psychologique, ils prennent comme point de départ le fait de cette phalange innombrable de chrétiens qui bravent les pires tourments et la mort, avec un héroïsme et un courage qui ne se démentent pas un instant, et ils concluent que pareil fait dépasse les forces humaines et ne s'explique pas sans l'intervention divine. — 2. Au point de vue historique, les martyrs, du moins les premiers, ceux qui ont été les contemporains du Christ, ont rendu témoignage des miracles de Jésus, et plus spécialement de sa Résurrection : miracles qui servent de fondement à la doctrine chrétienne et prouvent la divinité du christianisme. En ne reculant pas devant le sacrifice de leur vie, pour affirmer ce qu'ils avaient vu, ils ont donné à leur témoignage une valeur sans égale, et l'on peut dire avec Pascal qu'il y a tout lieu de croire « les histoires dont les témoins se font égorger ». (Voir supra).
Nous ne considérerons la question que du seul point de vue psychologique. Le second point de vue, outre qu'il nous paraît très discutable (V. N° 297),se rattache à une autre question ; il appartient entièrement à la preuve historique des miracles du Christ, qu'il s'agisse de ses miracles en général, ou du miracle de la Résurrection (V. N° 271).
Au point de vue psychologique, nous aurons à établir deux points : — 1° le fait du grand nombre des martyrs et 2° le caractère surnaturel du fait.
§ 1. — Le fait du martyre chrétien.
291. — Nous allons voir : 1° ce qu'il faut entendre par martyrs ; 2° quel fut le nombre de chrétiens martyrisés ; et 3° s'ils furent martyrisés parce que chrétiens
1° Définition. — Étymologiquement, martyr (du grec martus, marturos) veut dire témoin. Ce mot a donc été choisi pour désigner les Apôtres et les premiers disciples qui, ayant vu les miracles et la Résurrection du Christ, versèrent leur sang pour en rendre témoignage. Le mot a été employé depuis dans un sens plus large. Il désigne tous les chrétiens qui ont souffert la mort plutôt que de renier leur foi. Peu importe donc que les chrétiens aient sacrifié leur vie pour attester un fait dont ils avaient été les témoins, ou pour confesser leur foi à une doctrine ; les uns comme les autres sont des martyrs du christianisme.
292. — 2° Le nombre. — « Aucune donnée statistique, dit M. P. Allard ne permet de retrouver, même approximativement, le nombre des martyrs ; on ne saurait douter qu'il n'ait été très grand. »244 Ainsi, d'après le célèbre historien des persécutions, il n'est pas possible, faute de documents, d'évaluer par un chiffre quelconque, même approximatif, le nombre des victimes des persécutions. La raison en est que les listes dressées par les Églises et composant leurs Martyrologes, sont loin d'être complètes et ne mentionnent que les noms des martyrs dont l'anniversaire était célébré. Ce qui n'est pas douteux, c'est que le nombre en fut très grand. Cette opinion repose sur le témoignage des auteurs profanes et des auteurs chrétiens : — a) Témoignage des auteurs profanes- — 1. Tacite dit que, sous Néron, il périt une immense multitude de chrétiens, « multitudo ingens »245. — 2. Dion Cassius rapporte que « Domitien mit à mort, avec beaucoup d'autres, son cousin Flavius Clemens, alors consul, et la femme de celui-ci, Flavia Domitilla, sa parente »246. — b) Témoignage des écrivains chrétiens. Lactance écrit dans son ouvrage De la mort des persécuteurs (ch. xv) : « Toute la terre était cruellement tourmentée, et, à l'exception des Gaules, l'Orient et l'Occident étaient ravagés, dévorés par trois monstres. » L'historien Eusèbe écrit à son tour dans son Histoire ecclésiastique (liv. VII, ch. ix) : « II est impossible de dire quelle multitude de martyrs la persécution fit en tout lieu. En Phrygie, une ville chrétienne fut livrée aux flammes avec tous ses habitants, sans en excepter les femmes et les enfants. ».
La tradition sur le grand nombre des martyrs fut d'ailleurs acceptée sans conteste jusqu'à la fin du xviie siècle. Elle fut mise en doute en 1684 par le protestant Dodwell qui, tout en réduisant le nombre des victimes des persécutions, admet cependant qu'il fut assez considérable pour être une preuve en faveur du christianisme. Après le critique anglais, la même thèse fut soutenue, au xviiie siècle, par Voltaire naturellement, et tout récemment par certains rationalistes: Hochard (Études au sujet de la persécution de Néron), Havet (Le Christianisme et ses origines), Aube (Histoire des persécutions de l’Église jusqu'à la fin des Antonins), M. Harnack (op. cit.).
Mais la thèse du grand nombre des martyrs a été suffisamment prouvée par d'autres historiens tels que Tillemont dans ses Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique des six premiers siècles, par Ruinart, dans ses Acta sincera Martyrum, par Le Blanc dans son Supplément aux « Acta sincera» de Dom Ruinart, par P. Allard, dans son Histoire des persécutions du Ier au IVe siècle, par G. Boissiek dans La fin du Paganisme, et même par Renan dans son Histoire des Origines du Christianisme.
Au demeurant, alors même qu'il faudrait diminuer le nombre des martyrs, le chiffre en resterait toujours imposant, et il ne faut pas oublier que l'atmosphère de crainte et de péril dans laquelle vivaient tous ceux qui faisaient profession d'être chrétiens, équivalait pour ainsi dire à la mort. , Dans le passage que nous avons cité (N° 287), M. Harnack n'hésite pas à le reconnaître, et il confesse sans détour que là situation des chrétiens était intolérable.
Et si nous n'arrêtions pas notre enquête aux trois premiers siècles, nous pourrions ajouter qu'à travers sa longue histoire- l'Église a toujours eu des martyrs, et que le témoignage du sang ne lui a jamais fait défaut. Qu'on consulte les Annales de la Propagation de la Foi des cinquante dernières années, et l'on pourra lire le récit du martyre de nombreux chrétiens, missionnaires et laïques, qui sont tombés pour la foi du Christ, au Japon, en Chine, en Cochinchine, au Tonkin, en Mongolie, dans l'Ouganda, etc.
293. — 3° Ils ont été martyrisés parce que chrétiens. — Il n'est pas besoin d'insister longuement pour démontrer que les chrétiens ont été martyrisés pour le seul crime d'être chrétiens. Il est vrai que le premier édit de persécution porté par Néron paraît avoir eu pour prétexte l'incendie de Rome, mensongèrement imputé aux chrétiens. Mais, outre que ce cas est exceptionnel dans l'histoire des persécutions, l'accusation portée par l'empereur n'a jamais été prise au sérieux, comme en témoignent les historiens de l'époque, Tacite et Suétone. Toutes les persécutions ont pour point de départ la promulgation d'un édit ou rescrit qui défend de se convertir à la nouvelle religion. Aussi l'interrogatoire des juges est-il très simple. On pose une première question pour savoir si l'accusé fait profession de christianisme, et, dans l'affirmative, s'il veut renier sa foi et sacrifier aux dieux du paganisme, s'il veut être renégat ou martyr.
244
P. Allard, Histoire des persécutions du 1er au 4e siècle ; t. I, Introd.
245
Tacite, Annales, Liv. XV, chap. xliv.
246 Dion Cassius, Liv. XVII, chap. iv.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 2. — Le caractère surnaturel du fait.
294. — Le caractère surnaturel du fait découle des circonstances du martyre, de la grandeur des supplices, d'une part, et du courage héroïque des chrétiens, d'autre part.
1° La grandeur des supplices. — Comment dépeindre les affreuses tortures morales et physiques qui guettaient les nouveaux convertis. — a) Les tortures morales. Lorsque la persécution sévissait, la vie des chrétiens était dans un danger continuel ; « l'épée de Damoclès, comme dit M. Harnack, restait suspendue sur leur tête. » Surtout s'ils appartenaient aux classes riches, leur situation était intolérable. Non seulement ils ne pouvaient briguer les honneurs et les dignités de l'Empire, mais ils étaient dans la nécessité de les refuser, si on les leur offrait, parce que toute charge impliquait l'obligation de sacrifier aux dieux païens247. Il est même arrivé parfois que dans l'armée les officiers furent dégradés et chassés des rangs Une autre peine plus grave que la précédente consistait dans la confiscation des biens, c'est-à-dire, en fait, dans la misère pour toute la famille, et la déchéance, puisque la perte de la fortune entraînait comme conséquence de rejeter les gens de haute condition dans la classe des plébéiens. A côté de ces tortures qui concernaient surtout les hommes de condition élevée, il y avait un ignoble supplice que l'on infligeait parfois à la femme chrétienne. Nous ne le mentionnerons qu'en passant, tant il répugne de penser que, dans une société soi-disant civilisée, il ait pu se trouver des persécuteurs assez bas pour imposer à des jeunes filles la honte de la prostitution.
b) Tortures physiques. Les tortures physiques n'étaient pas moindres que les tortures morales. Depuis l'arrestation jusqu'à l'exécution, il arrivait fréquemment que les malheureux accusés devaient passer par les plus rudes épreuves. Jetés dans d'affreuses geôles où ils étaient chargés de lourdes chaînes, ayant parfois les jambes emboîtées dans des blocs de bois munis de trous (neivus) et tenues dans un écart douloureux, comme il arriva à Paul et à Silas, lors de leur séjour à Philippes (Act., xvi, 24), ils avaient presque toujours à y endurer tous les tourments de la faim et de la soif et ils attendaient parfois plus de deux ans le moment où ils devaient comparaître devant le juge. Et quand l'interrogatoire était venu, pour obtenir d'eux le désaveu de leur foi, on leur faisait subir différentes tortures : la flagellation, la tension de leur corps sur le chevalet, la lacération de leurs membres avec des ongles de fer, l'application du fer rouge ou des torches enflammées. Enfin la peine était prononcée : c'était, soit le bannissement, soit la déportation, soit les travaux forcés dans les carrières de pierre, de marbre, dans les mines d'or, d'argent, de plomb, de cuivre, soit la peine de mort. La peine de mort comportait à son tour des degrés dans les supplices suivant la gravité des cas et la condition des personnes. La peine la plus cruelle et la plus ignominieuse était le supplice de la croix puis venaient la peine du feu, la mort sur un bûcher, l'exposition aux bêtes, le supplice le plus dramatique, celui qui servait de jeu et de réjouissance publique à la société païenne . il y avait enfin la décapitation, la peine la plus douce appliquée aux condamnés de haut rang248.
295. — 2° Le courage des martyrs devant les supplices — A voir la somme de souffrances qui étaient réservées aux nouveaux convertis, il semble bien que le christianisme n'ait pu recruter d'adeptes que parmi les hommes dans la force de l'âge, et encore parmi les âmes douées d'une trempe exceptionnelle. Or, il n'en est rien : la religion du Christ compte des martyrs de tout âge, de tout sexe, et de toute condition Il y a donc tout lieu de croire qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire et qu'un secours d'en haut soutenait les martyrs dans leurs épreuves Il est clair qu'une telle opinion ne saurait s'établir par des preuves rigoureuses, mais au moins elle s'appuie sur le témoignage des victimes elles-mêmes et sur celui des païens qui assistaient au spectacle de leurs souffrances.— l. Que les chrétiens aient été convaincus de recevoir un secours surhumain, cela ressort de leur témoignage. Citons, entre autres, celui de la martyre Félicité. Ses historiens racontent que, étant encore en prison et ayant été prise un jour des douleurs de l'enfantement, elle ne put retenir ses cris. Un des assistants lui dit alors : « Si tu ne peux supporter en ce moment la souffrance, que feras-tu donc en face des bêtes féroces ? » Elle répondit : « C'est moi, en ce moment, qui souffre mes douleurs : mais alors un autre sera en moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour lui. » — 2. Le fait n'était pas jugé moins étrange par les païens qui ne comprenaient pas comment des femmes, des enfants, des vieillards pussent supporter de telles douleurs, alors qu'un mot, un simple geste auraient suffi à les sauver. Leur étonnement était pour beaucoup d'ailleurs le principe de leur conversion. « Bien des hommes, dit Tertullien, frappés de notre courageuse constance, ont recherché les causes d'une patience si admirable ; dès qu'ils ont connu la vérité, ils sont devenus des nôtres et ont marché avec nous.»249 Le « sang des martyrs» devenait ainsi selon la parole du même auteur, « une semence de chrétiens ».
294. — Le caractère surnaturel du fait découle des circonstances du martyre, de la grandeur des supplices, d'une part, et du courage héroïque des chrétiens, d'autre part.
1° La grandeur des supplices. — Comment dépeindre les affreuses tortures morales et physiques qui guettaient les nouveaux convertis. — a) Les tortures morales. Lorsque la persécution sévissait, la vie des chrétiens était dans un danger continuel ; « l'épée de Damoclès, comme dit M. Harnack, restait suspendue sur leur tête. » Surtout s'ils appartenaient aux classes riches, leur situation était intolérable. Non seulement ils ne pouvaient briguer les honneurs et les dignités de l'Empire, mais ils étaient dans la nécessité de les refuser, si on les leur offrait, parce que toute charge impliquait l'obligation de sacrifier aux dieux païens247. Il est même arrivé parfois que dans l'armée les officiers furent dégradés et chassés des rangs Une autre peine plus grave que la précédente consistait dans la confiscation des biens, c'est-à-dire, en fait, dans la misère pour toute la famille, et la déchéance, puisque la perte de la fortune entraînait comme conséquence de rejeter les gens de haute condition dans la classe des plébéiens. A côté de ces tortures qui concernaient surtout les hommes de condition élevée, il y avait un ignoble supplice que l'on infligeait parfois à la femme chrétienne. Nous ne le mentionnerons qu'en passant, tant il répugne de penser que, dans une société soi-disant civilisée, il ait pu se trouver des persécuteurs assez bas pour imposer à des jeunes filles la honte de la prostitution.
b) Tortures physiques. Les tortures physiques n'étaient pas moindres que les tortures morales. Depuis l'arrestation jusqu'à l'exécution, il arrivait fréquemment que les malheureux accusés devaient passer par les plus rudes épreuves. Jetés dans d'affreuses geôles où ils étaient chargés de lourdes chaînes, ayant parfois les jambes emboîtées dans des blocs de bois munis de trous (neivus) et tenues dans un écart douloureux, comme il arriva à Paul et à Silas, lors de leur séjour à Philippes (Act., xvi, 24), ils avaient presque toujours à y endurer tous les tourments de la faim et de la soif et ils attendaient parfois plus de deux ans le moment où ils devaient comparaître devant le juge. Et quand l'interrogatoire était venu, pour obtenir d'eux le désaveu de leur foi, on leur faisait subir différentes tortures : la flagellation, la tension de leur corps sur le chevalet, la lacération de leurs membres avec des ongles de fer, l'application du fer rouge ou des torches enflammées. Enfin la peine était prononcée : c'était, soit le bannissement, soit la déportation, soit les travaux forcés dans les carrières de pierre, de marbre, dans les mines d'or, d'argent, de plomb, de cuivre, soit la peine de mort. La peine de mort comportait à son tour des degrés dans les supplices suivant la gravité des cas et la condition des personnes. La peine la plus cruelle et la plus ignominieuse était le supplice de la croix puis venaient la peine du feu, la mort sur un bûcher, l'exposition aux bêtes, le supplice le plus dramatique, celui qui servait de jeu et de réjouissance publique à la société païenne . il y avait enfin la décapitation, la peine la plus douce appliquée aux condamnés de haut rang248.
295. — 2° Le courage des martyrs devant les supplices — A voir la somme de souffrances qui étaient réservées aux nouveaux convertis, il semble bien que le christianisme n'ait pu recruter d'adeptes que parmi les hommes dans la force de l'âge, et encore parmi les âmes douées d'une trempe exceptionnelle. Or, il n'en est rien : la religion du Christ compte des martyrs de tout âge, de tout sexe, et de toute condition Il y a donc tout lieu de croire qu'il y avait là quelque chose d'extraordinaire et qu'un secours d'en haut soutenait les martyrs dans leurs épreuves Il est clair qu'une telle opinion ne saurait s'établir par des preuves rigoureuses, mais au moins elle s'appuie sur le témoignage des victimes elles-mêmes et sur celui des païens qui assistaient au spectacle de leurs souffrances.— l. Que les chrétiens aient été convaincus de recevoir un secours surhumain, cela ressort de leur témoignage. Citons, entre autres, celui de la martyre Félicité. Ses historiens racontent que, étant encore en prison et ayant été prise un jour des douleurs de l'enfantement, elle ne put retenir ses cris. Un des assistants lui dit alors : « Si tu ne peux supporter en ce moment la souffrance, que feras-tu donc en face des bêtes féroces ? » Elle répondit : « C'est moi, en ce moment, qui souffre mes douleurs : mais alors un autre sera en moi, qui souffrira pour moi, parce que je souffrirai pour lui. » — 2. Le fait n'était pas jugé moins étrange par les païens qui ne comprenaient pas comment des femmes, des enfants, des vieillards pussent supporter de telles douleurs, alors qu'un mot, un simple geste auraient suffi à les sauver. Leur étonnement était pour beaucoup d'ailleurs le principe de leur conversion. « Bien des hommes, dit Tertullien, frappés de notre courageuse constance, ont recherché les causes d'une patience si admirable ; dès qu'ils ont connu la vérité, ils sont devenus des nôtres et ont marché avec nous.»249 Le « sang des martyrs» devenait ainsi selon la parole du même auteur, « une semence de chrétiens ».
247
Il ne faut pas oublier en effet que la législation romaine ne connaissait pas la liberté des cultes. Dans la pratique, il est vrai, la tolérance était grande, autant par indifférence du pouvoir que par crainte de se rendre hostiles les dieux dont on aurait persécuté les adeptes. Jusqu'en 64, c'est-à-dire aussi longtemps qu'on le confondit avec le judaïsme, le christianisme profita de cette tolérance, mais à partir de cette date, on lui appliqua toutes les rigueurs des lois, parce qu'il était regardé par les païens comme une religion athée (N° 287).
248
« En principe, dit M. P. Allard, la décapitation est le privilège des gens de condition honnête, la croix le supplice des esclaves et des personnes viles, le feu et les bêtes celui des non-citoyens; mais en ce qui concerne les chrétiens, ces distinctions s'effacèrent vite ; dès la fin du IIe siècle, le choix de leur supplice dépendit moins de la condition des personnes que de l'arbitraire du magistrat. Citons, parmi le» martyrs décapités : au Ier siècle, saint Paul, citoyen romain ; au IIe siècle, Justin et ses disciples ; au IIIe siècle, le pape Sixte II et plusieurs de ses diacres, saint Cyprien... Dans la dernière persécution, il est aussi question de noyades : chrétiens « innombrables » de Nicomédie portés liés sur des barques et précipités en pleine mer, martyrs Jetés dans les fleuves, quelquefois cousus dans un sac comme des parricides, quelquefois « avec une pierre au cou». Art. Martyre (Dict. d'Alès).
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
296. — Objections. — 1° La constance des martyrs, objectent les rationalistes, s'explique — a) soit par l’amour de la gloire, — b) soit par la perspective des biens futurs, — c) soit par le fanatisme.
Réponse. — C'est en vain que les rationalistes cherchent, en dehors de l'intervention divine, des causes qui puissent expliquer la constance des martyrs. — a) Invoquer l'amour de la gloire, c'est se mettre en contradiction avec les faits. La plupart des martyrs se distinguent par leur humilité. Un certain nombre furent envoyés au supplice loin de la foule, et partant, sans qu'il y eût possibilité pour eux de faire admirer leur courage. Qu'on ne dise pas non plus que ce qu'ont fait les martyrs, les soldats le font tous les jours sur les champs de bataille. Car le soldat se bat pour le butin ou pour la gloire, et, s'il a conscience d'aller au danger, il garde toujours l’espoir d'y échapper — b) La perspective des biens futurs a été un motif de courage, c'est indéniable, mais cela ne suffit pas à rendre raison de la constance de si nombreux martyrs, car ne savons-nous pas, par expérience que, malgré l'attente des biens futurs, nous sommes souvent très faibles, non seulement vis-à-vis de la douleur, mais même en face de nos passions — c) Ce serait une autre erreur de prendre le courage des martyrs pour du fanatisme. Le fanatisme est un zèle aveugle et extravagant qui emploie tous les moyens, même les plus mauvais, pour la défense d'une opinion. Le fanatique ne discute pas, il s'obstine dans ses idées et veut les faire triompher à n'importe quel prix. Loin d'être fanatiques, nos martyrs sont calmes et réfléchis. Certes, ils ont une foi invincible, mais ils sont prêts à en discuter le bien-fondé, et s'ils y restent inviolablement attaché, jamais ils ne cherchent à l'implanter chez les autres par des moyens violents. Du reste, le fanatisme ne s'expliquerait qu'aux origines de la religion et pendant un laps de temps restreint, mais non pendant trois siècles, ou plutôt, dix-neuf siècles.
297. — 2° Mais, répliquent encore les rationalistes, toutes les religions ont leurs martyrs. L'hindou, le musulman, le protestant peuvent donc, tout aussi bien et pour les mêmes motifs que le catholique, se réclamer de leurs martyrs en faveur de la divinité de leur religion250.
Réponse. — Si toute mauvaise cause peut avoir des partisans capables de mourir pour elle, si l'on a vu des pétroleurs tomber bravement en criant : Vive la Commune, des nihilistes et des anarchistes se faire tuer pour leurs idées révolutionnaires, à plus forte raison toute religion, même fausse, peut avoir ses martyrs. Sur ce point comme sur bien d'autres, rien n'empêche qu'il y ait ressemblance entre la vraie et les fausses religions. Tout n'est pas erreur dans les religions fausses, et tout n'est pas mauvais en dehors du christianisme. Pourquoi voudrait-on alors que le christianisme ait le monopole de la vertu et du courage?
Ces concessions une fois faites, qui oserait prétendre qu'il y ait équivalence entre l'histoire du martyre chrétien et celle des autres religions! Qu'on compare, non pas seulement quelques martyrs entre eux, mais qu'on regarde l'ensemble, et l'on verra que jamais, à nulle époque de l'histoire, aucune religion n'a donné tant d'exemples de constance et de courage devant la souffrance et la mort. Le fait du miracle moral, ce n'est donc pas dans quelques cas isolés que nous le voyons ; c'est dans cette multitude d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui vont au devant des plus affreuses tortures et que l'on doit même parfois retenir, qui supportent la douleur sans pousser une plainte et sans prononcer une parole de désaveu. Non, jamais aucune religion n'a donné autant de marques de virilité, n'a manifesté un héroïsme aussi pur, aussi universel, aussi persévérant. Et cela nous suffit pour ne pas douter que Dieu était avec la religion chrétienne et ses martyrs.
BIBLIOGRAPHIE. — 1er Art. — Abbé de Broglie, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions. — Huby, Christus. — Bricout, Où en est l’histoire des religions. — Condamin, art. Babylone et la Bible (Dict. d'Alès). — Chollet, La Morale stoïcienne en face de la Morale chrétienne (Lethielleux). — Poulin et Loutil, Les religions diverses (Bonne Presse).
2e et 3e Art. — Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l'Église (Fontemoing). — Pau' Allard. Histoire des persécutions ; Dix leçons sur le Martyre (Lecoffre). — J. Rivière, La propagation du christianisme dans les trois premiers siècles (Bloud) : Autour de la question du martyre (Rev. pr. d'Ap., 15 août 1907). — Batiffol, Ancienne littérature chrétienne (Gabalda). — Boissier, La fin du paganisme (Hachette). — G. Sortais, Valeur apologétique du martyre (Bloud).— De Poulpiquet, L'argument des martyrs (Rev. pr. d'Ap., 15 mars 1909). — Dubois, Rev. du Clergé français, 15 mars, 15 avril 1907. — Valvekens, Foi et raison — Tanquerey, Théologie dogmatique fondamentale. — Didiot, Logique surnaturelle objective, th. 43, 44. — Fouard, Saint Pierre et les premières années du Christianisme. — Bossuet, Discours sur l’Histoire universelle. — Frayssinous, Conférences. — Lacordaire, 29e-36e Conférences.
Réponse. — C'est en vain que les rationalistes cherchent, en dehors de l'intervention divine, des causes qui puissent expliquer la constance des martyrs. — a) Invoquer l'amour de la gloire, c'est se mettre en contradiction avec les faits. La plupart des martyrs se distinguent par leur humilité. Un certain nombre furent envoyés au supplice loin de la foule, et partant, sans qu'il y eût possibilité pour eux de faire admirer leur courage. Qu'on ne dise pas non plus que ce qu'ont fait les martyrs, les soldats le font tous les jours sur les champs de bataille. Car le soldat se bat pour le butin ou pour la gloire, et, s'il a conscience d'aller au danger, il garde toujours l’espoir d'y échapper — b) La perspective des biens futurs a été un motif de courage, c'est indéniable, mais cela ne suffit pas à rendre raison de la constance de si nombreux martyrs, car ne savons-nous pas, par expérience que, malgré l'attente des biens futurs, nous sommes souvent très faibles, non seulement vis-à-vis de la douleur, mais même en face de nos passions — c) Ce serait une autre erreur de prendre le courage des martyrs pour du fanatisme. Le fanatisme est un zèle aveugle et extravagant qui emploie tous les moyens, même les plus mauvais, pour la défense d'une opinion. Le fanatique ne discute pas, il s'obstine dans ses idées et veut les faire triompher à n'importe quel prix. Loin d'être fanatiques, nos martyrs sont calmes et réfléchis. Certes, ils ont une foi invincible, mais ils sont prêts à en discuter le bien-fondé, et s'ils y restent inviolablement attaché, jamais ils ne cherchent à l'implanter chez les autres par des moyens violents. Du reste, le fanatisme ne s'expliquerait qu'aux origines de la religion et pendant un laps de temps restreint, mais non pendant trois siècles, ou plutôt, dix-neuf siècles.
297. — 2° Mais, répliquent encore les rationalistes, toutes les religions ont leurs martyrs. L'hindou, le musulman, le protestant peuvent donc, tout aussi bien et pour les mêmes motifs que le catholique, se réclamer de leurs martyrs en faveur de la divinité de leur religion250.
Réponse. — Si toute mauvaise cause peut avoir des partisans capables de mourir pour elle, si l'on a vu des pétroleurs tomber bravement en criant : Vive la Commune, des nihilistes et des anarchistes se faire tuer pour leurs idées révolutionnaires, à plus forte raison toute religion, même fausse, peut avoir ses martyrs. Sur ce point comme sur bien d'autres, rien n'empêche qu'il y ait ressemblance entre la vraie et les fausses religions. Tout n'est pas erreur dans les religions fausses, et tout n'est pas mauvais en dehors du christianisme. Pourquoi voudrait-on alors que le christianisme ait le monopole de la vertu et du courage?
Ces concessions une fois faites, qui oserait prétendre qu'il y ait équivalence entre l'histoire du martyre chrétien et celle des autres religions! Qu'on compare, non pas seulement quelques martyrs entre eux, mais qu'on regarde l'ensemble, et l'on verra que jamais, à nulle époque de l'histoire, aucune religion n'a donné tant d'exemples de constance et de courage devant la souffrance et la mort. Le fait du miracle moral, ce n'est donc pas dans quelques cas isolés que nous le voyons ; c'est dans cette multitude d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards qui vont au devant des plus affreuses tortures et que l'on doit même parfois retenir, qui supportent la douleur sans pousser une plainte et sans prononcer une parole de désaveu. Non, jamais aucune religion n'a donné autant de marques de virilité, n'a manifesté un héroïsme aussi pur, aussi universel, aussi persévérant. Et cela nous suffit pour ne pas douter que Dieu était avec la religion chrétienne et ses martyrs.
BIBLIOGRAPHIE. — 1er Art. — Abbé de Broglie, Problèmes et conclusions de l'histoire des religions. — Huby, Christus. — Bricout, Où en est l’histoire des religions. — Condamin, art. Babylone et la Bible (Dict. d'Alès). — Chollet, La Morale stoïcienne en face de la Morale chrétienne (Lethielleux). — Poulin et Loutil, Les religions diverses (Bonne Presse).
2e et 3e Art. — Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l'Église (Fontemoing). — Pau' Allard. Histoire des persécutions ; Dix leçons sur le Martyre (Lecoffre). — J. Rivière, La propagation du christianisme dans les trois premiers siècles (Bloud) : Autour de la question du martyre (Rev. pr. d'Ap., 15 août 1907). — Batiffol, Ancienne littérature chrétienne (Gabalda). — Boissier, La fin du paganisme (Hachette). — G. Sortais, Valeur apologétique du martyre (Bloud).— De Poulpiquet, L'argument des martyrs (Rev. pr. d'Ap., 15 mars 1909). — Dubois, Rev. du Clergé français, 15 mars, 15 avril 1907. — Valvekens, Foi et raison — Tanquerey, Théologie dogmatique fondamentale. — Didiot, Logique surnaturelle objective, th. 43, 44. — Fouard, Saint Pierre et les premières années du Christianisme. — Bossuet, Discours sur l’Histoire universelle. — Frayssinous, Conférences. — Lacordaire, 29e-36e Conférences.
249 Tertullien, Ad Scapulam, 5
250
Pour se dérober à cette objection, les apologistes du xviiie siècle (Bergier) ont répondu que la valeur apologétique de l'argument du martyre n'était pas là, et que les martyrs étaient des témoins, non d'une idée, mais d'un fait. A notre époque M. P. Allard a repris la même méthode d'argumentation : « Quelles que soient les confusions introduites par l'usage dans la langue courante, écrit-il (Dix leçons sur le Martyre), tout homme qui meurt pour une opinion ne peut être appelé un martyr. Selon l'étymologie du mot, un martyr est un témoin. On n'est pas témoin de ses propres idées. On est témoin d'un fait... Les martyrs (chrétiens) sont témoins non d'une opinion, mais d'un fait, le fait chrétien. Les uns l'ont vu naître sous leurs yeux, ils ont connu son auteur. Ils ont assisté à la vie, à la mort, à la résurrection du Christ. Ce sont ses Apôtres, ses disciples immédiats... Quand ces hommes bravent tous les périls, acceptent toutes les privations et toutes les fatigues pour attester les faits extraordinaires qui se passèrent sous leurs yeux, et enfin meurent en affirmant leur foi, il est difficile de douter d'un témoignage scellé de leur sang. Entre l'attestation qu'ils en donnent par leur sang, et la mort d'hérétiques qui refusent de renoncer à une opinion nouvelle, il n'y a pas de commune mesure. Quand même la sincérité et le courage seraient égaux, la valeur du témoignage est toute différente, ou plutôt les premiers seuls ont le droit au titre de témoins.» — Cette distinction entre les martyrs du christianisme et ceux des autres religions ne nous paraît pas soutenable. En tout cas, si on veut l'établir, en bonne logique il faut refuser le titre de martyrs à tous ceux qui n'ont pas été les contemporains du Christ, et même à ceux qui l'ont été mais n'ont pas été les témoins de ses miracles. C'est, du même coup, retrancher du martyrologe chrétien toute une multitude. D'autre part, il est historiquement certain que les chrétiens ne mouraient pas pour attester un fait, mais pour adhérer à une doctrine. L'interrogatoire des juges ne portait que sur un point, sur une seule question qui était de savoir si l'accusé était chrétien ou non. Au surplus, comme nous l'avons déjà dit, l'argument du témoignage des martyrs appartient à la preuve de la divinité du christianisme par les miracles du Christ, et lorsqu'il s'agit de démontrer la réalité de ces miracles par la valeur des historien» nul ont scellé leur parole de leur sang.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Troisième partie : la Vraie Église
Aperçu général de la troisième partie.
298. — Ainsi que l'indique le tableau qui précède, cette troisième Partie de l'Apologétique se partage en trois sections.
A. LA PREMIÈRE SECTION comprend deux chapitres groupés sous le titre général de « Recherche de la vraie Église ».
La conclusion à laquelle nous avons abouti, dans la seconde Partie, c'est que, entre toutes les religions actuelles qui revendiquent le nom de religion révélée, une seule porte les marques d'origine divine ; cette religion c'est la religion chrétienne. Mais cela ne suffit pas, et il reste à savoir où nous pouvons la trouver. Donc deux questions : Jésus-Christ a-t-il fondé une institution quelconque, une Église dont il nous soit possible de découvrir les traits essentiels dans l'Écriture, et à qui il ait confié le dépôt exclusif de sa doctrine! Dans l'affirmative, — et étant donné que plusieurs sectes prétendent être cette Église fondée par le Christ, — quelles sont les marques auxquelles nous puissions la discerner? Quelle est la vraie Église?
B. DEUXIÈME SECTION. — A vrai dire, lorsque l'apologiste a démontré que l'Église romaine est la vraie Église, son œuvre est terminée. Les deux autres sections sont donc en dehors de l'apologétique constructive, Nous les avons ajoutées pour répondre à des questions du plus haut intérêt et d'ailleurs généralement inscrites aux Programmes d'Instruction religieuse.
La seconde section, qui porte le titre général de « Constitution de l’Église », comprend deux chapitres : Le premier où l'on étudie» du point de vue théologique, la hiérarchie et les pouvoirs de l'Église ; le second, sur les droits de l'Église et ses relations avec l’État.
C. TROISIÈME SECTION. — La troisième section est consacrée à la défense de l'Église, non pas évidemment contre toutes les attaques qui lui ont été faites, sur le terrain historique, philosophique et scientifique, mais contre les principales, et celles qu'on rencontre le plus couramment dans les livres et sur les lèvres des adversaires mal intentionné» ou mal informés. Cette section aura deux chapitres: 1° L'Église et l'Histoire, et 2° l'Église ou la Foi devant la raison et la Science.
DÉVELOPPEMENT
Notions préliminaires. Division du Chapitre
299. — I. Notions préliminaires. — Pour qu'aucune confusion ne naisse dans l'esprit, il importe, avant tout, de bien déterminer le sens des deux mots « royaume de Dieu» et «Église », dont l'usage sera fréquent au cours de ce chapitre.
1° Concept du royaume de Dieu. — L'expression « royaume de Dieu » ne revient pas moins de cinquante fois dans les Évangiles de saint Marc et de saint Luc. Saint Matthieu au contraire ne l'emploie que rarement (xii, 28 ; xxi, 31, 43) ; il lui substitue l'hébraïsme « royaume des cieux». Peu importe du reste : les deux expressions ont même sens. Le royaume de Dieu ou des cieux est bien le point central de la prédication de Jésus. L'on se rappelle que les Juifs, instruits par les oracles messianiques, attendaient depuis plusieurs siècles l'avènement d'un vaste Royaume appelé à s'étendre au loin, et d'un Roi que Jahvé enverrait pour le gouverner. L'établissement de ce royaume doit donc être l'œuvre propre du Messie. Mais ce royaume dont Jésus vient annoncer la venue, n'est pas tel que les Juifs se le représentent. Dans son ensemble il est la nouvelle religion, la grande société chrétienne que le Christ va instaurer, qu'il doit inaugurer sur cette terre jusqu'à ce qu'il en devienne le juge et le roi à son dernier avènement. Le royaume de Dieu a donc deux phases. Il est : — a) un royaume terrestre dans lequel pourront se grouper tous les sujets de l'univers, et — b) un royaume céleste, transcendant, qui sera établi dans le ciel, un royaume eschatologique.
300. — 2° Concept de l'Église. — Étymologiquement, le mot Église (du grec « ekklêsia» assemblée), désigne une assemblée de citoyens convoquée par un crieur public.
A. DANS LE LANGAGE SCRIPTURAIRE, le mot est employé avec une double signification. — a) Au sens restreint et conforme à l’étymologie, il s'applique soit à l’assemblée des chrétiens qui tiennent leur réunion dans une maison particulière (Rom., xvi, 5 ; Col., IV, 15)251, soit à l’ensemble des fidèles d'une même cité ou d'une même région : telles sont, par exemple, l'Église de Jérusalem (Act., viii, 1 ; xi, 22 ; xv, 24), l'Église d'Antioche (Act., xiv, 26 ; xv, 3 ; xxiii, 1), les Églises de Judée (Gal., I, 22), les Églises d'Asie (I Cor., xvi, 19), les Églises de Macédoine (II Cor., vin, 1). — b) Dans un sens général, le mot désigne la société universelle des disciples du Christ. Le mot est ainsi employé par saint Matthieu dans le fameux « Tu es Petrus... Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » ( Mat., xvi, 18). Le même sens est assez fréquent dans les Actes (v, 11 ; viii 1, 3 ix, 31), dans les Épîtres de saint Paul (I Cor., X, 32 ; xi, 16 ; xiv, 1 ; xv, 9 ; Gal, i, 13 ; Eph., i, 23 ; V, 23 ; Col, i, 18), dans l'Épître de saint Jacques (v, 14).
DANS LE LANGAGE DES PÈRES, le mot Église se retrouve avec les deux mêmes sens — a) sens restreint, soit d'assemblée des fidèles : ex. Didachè (iv, 12) soit de groupement local ou régional des fidèles: ex. première Épître de saint Clément pape aux Corinthiens dans la suscription et XLVII, 6; — b) sens général, pour désigner l'ensemble des fidèles appartenant à la religion chrétienne : le mot se trouve ainsi employé dans les écrits du pape saint Clément, de saint Ignace, de saint Irénée, de Tertullien et de saint Cyprien.
B. D'APRÈS LA DOCTRINE CATHOLIQUE, le mot Église pris au sens général, s'entend de la société des fidèles qui professent la religion du Christ sous l'autorité du Pape et des Évêques — a) En tant que société, l'Église offre les trois caractères communs à toute société, à savoir une fin, des sujets aptes à atteindre cette fin et une autorité qui a la mission de les y conduire. — b) En tant que société religieuse, les caractères de l'Église sont d'une nature spéciale. La fin qu'elle poursuit est d'ordre surnaturel. Les sujets auxquels elle s'adresse sont considérés, non par rapport à leurs intérêts temporels, mais au seul point de vue du salut de leur âme. De même, l'autorité qui assume la direction est une autorité surnaturelle qui a reçu de Jésus-Christ un triple pouvoir: — 1 un pouvoir doctrinal pour enseigner d'une manière infaillible la doctrine du Christ ; — 2. un pouvoir sacerdotal pour communiquer la vie divine par les sacrements; et — 3. un pouvoir de gouvernement pour obliger tous les fidèles à ce qui est jugé nécessaire ou utile à leur salut.
301, — Nota. — I. Il est facile de voir, par les deux notions qui précèdent, que le concept du royaume est beaucoup plus étendu que celui de l'Église. L'Église est quelque chose du royaume. Elle en est le côté visible et social, mais elle n'est pas tout le royaume, celui-ci ayant deux aspects : l'aspect terrestre et l'aspect céleste ou eschatologique (N° 299). Cependant l'Église, entendue au sens large, se confond avec le royaume de Dieu. Les théologiens distinguent en effet le corps et l’âme de l'Église, c'est-à-dire, d'un côté, la communauté visible et hiérarchique des chrétiens, et, de l'autre, la société invisible, l'âme, à laquelle appartiennent tous ceux qui sont en état de grâce, quelque religion qu'ils professent. Ils comprennent en outre dans la notion d'Église, non seulement les fidèles de la terre (Église militante), mais aussi les élus qui sont au ciel (Église triomphante) et les âmes qui souffrent en Purgatoire (Églises souffrante). — 2. Au point de vue apologétique, et comme il est entendu dans ce chapitre, où nous recherchons si Jésus-Christ a institué une Eglise, ce mot ne s'applique qu'à la société visible et hiérarchique des chrétiens ici-bas, donc à la société considérée sous son aspect extérieur et social (sens général).
302. — II. Division du Chapitre. — Une double question doit faire l'objet de notre étude. 1° Tout d'abord nous avons à rechercher si Jésus a pu songer à fonder une Église : c'est la question préalable. 2° Puis, dans l'affirmative, nous aurons a établir, d'après les documents de l'histoire, quels sont les caractères essentiels de l’Église fondée par le Christ. D'où deux articles. Dans le premier, nous rencontrerons devant nous les rationalistes, les protestants libéraux et les modernistes. Dans le second, nous aurons les mêmes adversaires, et en plus, les Protestants orthodoxes et les Grecs schismatiques.
Aperçu général de la troisième partie.
298. — Ainsi que l'indique le tableau qui précède, cette troisième Partie de l'Apologétique se partage en trois sections.
A. LA PREMIÈRE SECTION comprend deux chapitres groupés sous le titre général de « Recherche de la vraie Église ».
La conclusion à laquelle nous avons abouti, dans la seconde Partie, c'est que, entre toutes les religions actuelles qui revendiquent le nom de religion révélée, une seule porte les marques d'origine divine ; cette religion c'est la religion chrétienne. Mais cela ne suffit pas, et il reste à savoir où nous pouvons la trouver. Donc deux questions : Jésus-Christ a-t-il fondé une institution quelconque, une Église dont il nous soit possible de découvrir les traits essentiels dans l'Écriture, et à qui il ait confié le dépôt exclusif de sa doctrine! Dans l'affirmative, — et étant donné que plusieurs sectes prétendent être cette Église fondée par le Christ, — quelles sont les marques auxquelles nous puissions la discerner? Quelle est la vraie Église?
B. DEUXIÈME SECTION. — A vrai dire, lorsque l'apologiste a démontré que l'Église romaine est la vraie Église, son œuvre est terminée. Les deux autres sections sont donc en dehors de l'apologétique constructive, Nous les avons ajoutées pour répondre à des questions du plus haut intérêt et d'ailleurs généralement inscrites aux Programmes d'Instruction religieuse.
La seconde section, qui porte le titre général de « Constitution de l’Église », comprend deux chapitres : Le premier où l'on étudie» du point de vue théologique, la hiérarchie et les pouvoirs de l'Église ; le second, sur les droits de l'Église et ses relations avec l’État.
C. TROISIÈME SECTION. — La troisième section est consacrée à la défense de l'Église, non pas évidemment contre toutes les attaques qui lui ont été faites, sur le terrain historique, philosophique et scientifique, mais contre les principales, et celles qu'on rencontre le plus couramment dans les livres et sur les lèvres des adversaires mal intentionné» ou mal informés. Cette section aura deux chapitres: 1° L'Église et l'Histoire, et 2° l'Église ou la Foi devant la raison et la Science.
DÉVELOPPEMENT
Notions préliminaires. Division du Chapitre
299. — I. Notions préliminaires. — Pour qu'aucune confusion ne naisse dans l'esprit, il importe, avant tout, de bien déterminer le sens des deux mots « royaume de Dieu» et «Église », dont l'usage sera fréquent au cours de ce chapitre.
1° Concept du royaume de Dieu. — L'expression « royaume de Dieu » ne revient pas moins de cinquante fois dans les Évangiles de saint Marc et de saint Luc. Saint Matthieu au contraire ne l'emploie que rarement (xii, 28 ; xxi, 31, 43) ; il lui substitue l'hébraïsme « royaume des cieux». Peu importe du reste : les deux expressions ont même sens. Le royaume de Dieu ou des cieux est bien le point central de la prédication de Jésus. L'on se rappelle que les Juifs, instruits par les oracles messianiques, attendaient depuis plusieurs siècles l'avènement d'un vaste Royaume appelé à s'étendre au loin, et d'un Roi que Jahvé enverrait pour le gouverner. L'établissement de ce royaume doit donc être l'œuvre propre du Messie. Mais ce royaume dont Jésus vient annoncer la venue, n'est pas tel que les Juifs se le représentent. Dans son ensemble il est la nouvelle religion, la grande société chrétienne que le Christ va instaurer, qu'il doit inaugurer sur cette terre jusqu'à ce qu'il en devienne le juge et le roi à son dernier avènement. Le royaume de Dieu a donc deux phases. Il est : — a) un royaume terrestre dans lequel pourront se grouper tous les sujets de l'univers, et — b) un royaume céleste, transcendant, qui sera établi dans le ciel, un royaume eschatologique.
300. — 2° Concept de l'Église. — Étymologiquement, le mot Église (du grec « ekklêsia» assemblée), désigne une assemblée de citoyens convoquée par un crieur public.
A. DANS LE LANGAGE SCRIPTURAIRE, le mot est employé avec une double signification. — a) Au sens restreint et conforme à l’étymologie, il s'applique soit à l’assemblée des chrétiens qui tiennent leur réunion dans une maison particulière (Rom., xvi, 5 ; Col., IV, 15)251, soit à l’ensemble des fidèles d'une même cité ou d'une même région : telles sont, par exemple, l'Église de Jérusalem (Act., viii, 1 ; xi, 22 ; xv, 24), l'Église d'Antioche (Act., xiv, 26 ; xv, 3 ; xxiii, 1), les Églises de Judée (Gal., I, 22), les Églises d'Asie (I Cor., xvi, 19), les Églises de Macédoine (II Cor., vin, 1). — b) Dans un sens général, le mot désigne la société universelle des disciples du Christ. Le mot est ainsi employé par saint Matthieu dans le fameux « Tu es Petrus... Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » ( Mat., xvi, 18). Le même sens est assez fréquent dans les Actes (v, 11 ; viii 1, 3 ix, 31), dans les Épîtres de saint Paul (I Cor., X, 32 ; xi, 16 ; xiv, 1 ; xv, 9 ; Gal, i, 13 ; Eph., i, 23 ; V, 23 ; Col, i, 18), dans l'Épître de saint Jacques (v, 14).
DANS LE LANGAGE DES PÈRES, le mot Église se retrouve avec les deux mêmes sens — a) sens restreint, soit d'assemblée des fidèles : ex. Didachè (iv, 12) soit de groupement local ou régional des fidèles: ex. première Épître de saint Clément pape aux Corinthiens dans la suscription et XLVII, 6; — b) sens général, pour désigner l'ensemble des fidèles appartenant à la religion chrétienne : le mot se trouve ainsi employé dans les écrits du pape saint Clément, de saint Ignace, de saint Irénée, de Tertullien et de saint Cyprien.
B. D'APRÈS LA DOCTRINE CATHOLIQUE, le mot Église pris au sens général, s'entend de la société des fidèles qui professent la religion du Christ sous l'autorité du Pape et des Évêques — a) En tant que société, l'Église offre les trois caractères communs à toute société, à savoir une fin, des sujets aptes à atteindre cette fin et une autorité qui a la mission de les y conduire. — b) En tant que société religieuse, les caractères de l'Église sont d'une nature spéciale. La fin qu'elle poursuit est d'ordre surnaturel. Les sujets auxquels elle s'adresse sont considérés, non par rapport à leurs intérêts temporels, mais au seul point de vue du salut de leur âme. De même, l'autorité qui assume la direction est une autorité surnaturelle qui a reçu de Jésus-Christ un triple pouvoir: — 1 un pouvoir doctrinal pour enseigner d'une manière infaillible la doctrine du Christ ; — 2. un pouvoir sacerdotal pour communiquer la vie divine par les sacrements; et — 3. un pouvoir de gouvernement pour obliger tous les fidèles à ce qui est jugé nécessaire ou utile à leur salut.
301, — Nota. — I. Il est facile de voir, par les deux notions qui précèdent, que le concept du royaume est beaucoup plus étendu que celui de l'Église. L'Église est quelque chose du royaume. Elle en est le côté visible et social, mais elle n'est pas tout le royaume, celui-ci ayant deux aspects : l'aspect terrestre et l'aspect céleste ou eschatologique (N° 299). Cependant l'Église, entendue au sens large, se confond avec le royaume de Dieu. Les théologiens distinguent en effet le corps et l’âme de l'Église, c'est-à-dire, d'un côté, la communauté visible et hiérarchique des chrétiens, et, de l'autre, la société invisible, l'âme, à laquelle appartiennent tous ceux qui sont en état de grâce, quelque religion qu'ils professent. Ils comprennent en outre dans la notion d'Église, non seulement les fidèles de la terre (Église militante), mais aussi les élus qui sont au ciel (Église triomphante) et les âmes qui souffrent en Purgatoire (Églises souffrante). — 2. Au point de vue apologétique, et comme il est entendu dans ce chapitre, où nous recherchons si Jésus-Christ a institué une Eglise, ce mot ne s'applique qu'à la société visible et hiérarchique des chrétiens ici-bas, donc à la société considérée sous son aspect extérieur et social (sens général).
302. — II. Division du Chapitre. — Une double question doit faire l'objet de notre étude. 1° Tout d'abord nous avons à rechercher si Jésus a pu songer à fonder une Église : c'est la question préalable. 2° Puis, dans l'affirmative, nous aurons a établir, d'après les documents de l'histoire, quels sont les caractères essentiels de l’Église fondée par le Christ. D'où deux articles. Dans le premier, nous rencontrerons devant nous les rationalistes, les protestants libéraux et les modernistes. Dans le second, nous aurons les mêmes adversaires, et en plus, les Protestants orthodoxes et les Grecs schismatiques.
251 A L’origine le mot « Eglise » ne désigne donc pas le local où les disciples se réunissent. Il faut bien rappeler d’ailleurs que les premiers chrétiens ne disposent pas d’édifices propres à leurs réunions religieuses et qu’il s’assemblent où ils peuvent, chez l’un ou l'autre, chez celui d'entre eux qui peut mettre à la disposition de ses frères une salle plus spacieuse. Le mot Église désigne donc l'assemblée. Cependant il est bon d'ajouter que saint Paul applique le mot non seulement à l'assemblée, à la réunion en acte, mais encore à la collectivité des membres qui sont les habitués des réunions. Il écrit par exemple dans son Epître aux Romains (xvi, 5) : « Saluez Priscille et Aquila... Saluez aussi l'Église qui est dans leur maison. »
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Art. 1. — Question préalable : Que Jésus a pu songer à fonder une Église.
303. — D'après les protestants libéraux et les modernistes, l'institution d'une Église ne pouvait pas être dans la pensée de Jésus, la prédication du Sauveur n'ayant d'autre but que l'établissement du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu, en effet, tel que nos adversaires le conçoivent, est incompatible avec la notion catholique de l'Église. Le royaume de Dieu prêché par Jésus serait: — 1. un royaume purement spirituel, d'après les uns (Sabatier, Stapfer, Harnack) ; — 2. un royaume uniquement eschatologique, d'après les autres (M. Loisy). Nous allons examiner ces deux systèmes, et nous montrerons qu'ils sont une interprétation incomplète, et par conséquent fausse, de la pensée et de l'œuvre de Jésus.
§ 1. — Le système d'un royaume de Dieu seulement intérieur.
réfutation.
304. — 1° Exposé du système. — Si nous en croyons Sabatier et Harnack, Jésus n'a jamais songé à fonder une Église, en tant que société visible. Il s'est borné à prêcher un royaume de Dieu intérieur et spirituel ; son unique préoccupation a été d'établir le règne de Dieu dans l'âme de chaque croyant, en produisant en lui une rénovation intérieure et en lui inspirant envers Dieu les sentiments d'un fils à l'égard de son Père. Dans sa race, dans son milieu, dans la génération de son temps, Jésus trouvait une religion exclusivement rituelle et formaliste. Sans doute, il ne l'a pas interdite d'un seul coup ; mais ce côté extérieur de la religion, il l'a envisagé comme secondaire. Ce que l'on peut au contraire regarder comme la grande nouveauté apportée par lui, comme l'élément original et qui lui appartient en propre, ce qui, en d'autres termes, est bien l'essence du christianisme, c'est la place prépondérante accordée désormais au sentiment. Ainsi le royaume de Dieu serait un royaume intime et spirituel, s'adressant aux besoins de l'âme, n'impliquant aucune adhésion à des dogmes, à des institutions positives et à des rites tout extérieurs, laissant donc toute liberté au sens individuel. D'où il suit que l'organisation du christianisme en société hiérarchique serait en dehors du plan tracé par le Sauveur ; l'Église serait une création humaine dont il appartient à l'histoire de découvrir les origines et les causes.
305. — 2° Réfutation. — Que la religion prêchée par le Christ, autrement dit, le royaume de Dieu soit surtout d'essence spirituelle, que la grande innovation du christianisme ait été la rénovation intérieure par la foi, la charité et l'amour du Père, que ces conceptions de Jésus aient créé un abîme entre le pharisaïsme alors régnant et la religion nouvelle, c'est ce dont nous aurions mauvaise grâce à ne pas convenir avec Harnack. Il ne faudrait pourtant rien exagérer, car, dans une certaine mesure, le royaume spirituel n'était nullement étranger à l'enseignement des prophètes, comme nous l'avons vu en étudiant l'argument prophétique (N° 248). Toutefois il n'en est pas moins vrai, — et c'est ce qu'il fait reconnaître avec Harnack, — que le royaume spirituel et intérieur est bien l'œuvre de Jésus. Alors que la voix des prophètes avait eu peu d'écho, Jésus seul eut assez d'autorité pour remonter le courant et opposer à la justice tout extérieure et matérielle du culte mosaïque la justice du nouveau royaume où les vertus intérieures telles que l'humilité, la chasteté, la charité, le pardon des injures, occupent la première place.
Mais, ces justes concessions une fois faites, s'ensuit-il qu'il y ait lieu de conclure, avec Harnack, que le royaume de Dieu annoncé et établi par le Christ, soit un royaume purement individuel, une société invisible composée des âmes justes, et qu'il n'ait aucun caractère collectif et social ? Est-on même en droit de prétendre que la perfection intérieure doit être considérée comme l’essence du christianisme, parce que seule elle est l'œuvre du Christ? Il semble bien que non, et il y a dans cette manière de voir un sophisme que M. Loisy a relevé dans les termes suivants. « Il y aurait, dit-il, peu de logique à prendre pour l'essence totale d'une religion ce qui la différencie d'avec une autre. La foi monothéiste est commune au judaïsme, au christianisme et à l'islamisme. On n'en conclura pas que l'essence de ces trois religions doive être cherchée en dehors de l'idée monothéiste. Ni le juif, ni le chrétien, ni le musulman n'admettent que la foi à un seul Dieu ne soit pas le premier et le principal article de leur symbole. . C'est par leurs différences qu'on établit la destination essentielle de ces religions, mais ce n'est pas uniquement par ces différences qu'elles sont constituées... Jésus n'a pas prétendu détruire la Loi, mais l'accomplir. On doit donc s'attendre à trouver dans le judaïsme et dans le christianisme, des éléments communs, essentiels à l'un et à l'autre... L'importance de ces éléments ne dépend ni de leur antiquité, ni de leur nouveauté, mais de la place qu'ils tiennent dans l'enseignement de Jésus et du cas que Jésus lui-même en a fait. »252 Autrement dit, ce n'est pas parce que le Messie a enseigné que le « royaume de Dieu » devait être surtout spirituel, qu'il faut en conclure qu'il doit être exclusivement spirituel.
Du reste, la chose apparaît tout à fait évidente si l'on prend soin de remettre le langage de Jésus dans les conditions de milieu et d'idées dans lesquelles il a été tenu. Si le Sauveur insiste tout particulièrement sur l'idée de perfection intérieure et de rénovation spirituelle, c'est qu'il doit corriger les conceptions fausses des Juifs. Ceux-ci attendent un royaume temporel ; ils se sont attachés dans les prophéties à l'élément secondaire (V. Nos 248 et 253) et ils croient à la restauration du royaume d'Israël. Le Messie veut donc redresser leurs conceptions fausses et leur faire comprendre que le royaume de Dieu qu'il est venu établir, n'est nullement un royaume temporel, qu'il n'est pas le triomphe d'une nation sur les autres, mais un royaume qui s'adresse à tous les peuples et dans lequel aura accès tout homme de bonne volonté qui pratique les vertus morales et intérieures.
Que le royaume ne soit pas purement spirituel, qu'il ait au contraire un caractère collectif et social, c'est ce qui ressort surtout de nombreuses paraboles, qui sont, on le sait, une des formes les plus ordinaires sous lesquelles Jésus donne son enseignement. Il est clair, par exemple, que les paraboles où Notre-Seigneur compare le royaume au champ du père de famille sur lequel poussent à la fois le bon grain et l'ivraie (Mat., xiii, 24, 30), au filet du pécheur où se confondent les bons et les mauvais poissons (Mat., xiii, 47), n'auraient aucun sens dans l'hypothèse d'un royaume purement intérieur et spirituel.
D'autre part, le terme de royaume de Dieu ne serait-il pas bien impropre s'il fallait l'entendre du règne de Dieu dans l'âme individuelle? Ce n'est plus en effet d'un royaume qu'il s'agirait, mais d'autant de royaumes qu'il y aurait d'âmes.
Les partisans de ce système s'appuient, il est vrai, pour prouver leur thèse, sur ce texte de saint Luc (xvi, 20) « Ecce regnum Dei intra vos est » qu'ils traduisent ainsi : « Le royaume de Dieu est en vous. » Mais ce texte comporte un autre sens, et il semble plus juste et plus en rapport avec le contexte de traduire : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » D'après saint Luc, en effet, ce sont les pharisiens qui interrogent Notre-Seigneur. Comme ils lui demandent quand viendra le royaume de Dieu, il leur répond : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : il est là ; car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de vous. » Ainsi remise dans son cadre, la parole de Jésus paraît plutôt contredire le système d'un royaume purement intérieur que de le favoriser. S'adressant à des pharisiens qui étaient incrédules, qui, du fait qu'ils rejetaient l'Évangile, se mettaient en dehors du royaume, n'est-il pas évident que Jésus ne pouvait leur dire que ce royaume était en eux, c'est-à-dire dans leurs âmes? La pensée du Sauveur est donc tout autre. Se heurtant aux idées fausses de ses adversaires, qui s'imaginaient que la venue du royaume et du Messie serait accompagnée de signes éclatants, de prodiges extraordinaires dans le ciel, Jésus apprend aux pharisiens comment le royaume de Dieu doit venir. Il ne viendra pas, leur dit-il alors, comme une chose qu'on peut observer, comme un astre dont on pourrait suivre le cours, car le royaume sera surtout spirituel et se dérobera par conséquent à l'observation. Du reste, ajoute Notre-Seigneur, n'allez pas le chercher où il ne faut pas, car il est déjà venu, il est au milieu de vous.
Conclusion. — De la correcte interprétation du texte de saint Luc, ainsi que des raisons qui précèdent, il résulte donc que le royaume de Dieu ne peut être considéré comme un royaume purement spirituel, qu'il est au contraire collectif et social, et qu'on ne peut induire de là que Jésus n'ait jamais songé à fonder une Église visible.
303. — D'après les protestants libéraux et les modernistes, l'institution d'une Église ne pouvait pas être dans la pensée de Jésus, la prédication du Sauveur n'ayant d'autre but que l'établissement du royaume de Dieu. Le royaume de Dieu, en effet, tel que nos adversaires le conçoivent, est incompatible avec la notion catholique de l'Église. Le royaume de Dieu prêché par Jésus serait: — 1. un royaume purement spirituel, d'après les uns (Sabatier, Stapfer, Harnack) ; — 2. un royaume uniquement eschatologique, d'après les autres (M. Loisy). Nous allons examiner ces deux systèmes, et nous montrerons qu'ils sont une interprétation incomplète, et par conséquent fausse, de la pensée et de l'œuvre de Jésus.
§ 1. — Le système d'un royaume de Dieu seulement intérieur.
réfutation.
304. — 1° Exposé du système. — Si nous en croyons Sabatier et Harnack, Jésus n'a jamais songé à fonder une Église, en tant que société visible. Il s'est borné à prêcher un royaume de Dieu intérieur et spirituel ; son unique préoccupation a été d'établir le règne de Dieu dans l'âme de chaque croyant, en produisant en lui une rénovation intérieure et en lui inspirant envers Dieu les sentiments d'un fils à l'égard de son Père. Dans sa race, dans son milieu, dans la génération de son temps, Jésus trouvait une religion exclusivement rituelle et formaliste. Sans doute, il ne l'a pas interdite d'un seul coup ; mais ce côté extérieur de la religion, il l'a envisagé comme secondaire. Ce que l'on peut au contraire regarder comme la grande nouveauté apportée par lui, comme l'élément original et qui lui appartient en propre, ce qui, en d'autres termes, est bien l'essence du christianisme, c'est la place prépondérante accordée désormais au sentiment. Ainsi le royaume de Dieu serait un royaume intime et spirituel, s'adressant aux besoins de l'âme, n'impliquant aucune adhésion à des dogmes, à des institutions positives et à des rites tout extérieurs, laissant donc toute liberté au sens individuel. D'où il suit que l'organisation du christianisme en société hiérarchique serait en dehors du plan tracé par le Sauveur ; l'Église serait une création humaine dont il appartient à l'histoire de découvrir les origines et les causes.
305. — 2° Réfutation. — Que la religion prêchée par le Christ, autrement dit, le royaume de Dieu soit surtout d'essence spirituelle, que la grande innovation du christianisme ait été la rénovation intérieure par la foi, la charité et l'amour du Père, que ces conceptions de Jésus aient créé un abîme entre le pharisaïsme alors régnant et la religion nouvelle, c'est ce dont nous aurions mauvaise grâce à ne pas convenir avec Harnack. Il ne faudrait pourtant rien exagérer, car, dans une certaine mesure, le royaume spirituel n'était nullement étranger à l'enseignement des prophètes, comme nous l'avons vu en étudiant l'argument prophétique (N° 248). Toutefois il n'en est pas moins vrai, — et c'est ce qu'il fait reconnaître avec Harnack, — que le royaume spirituel et intérieur est bien l'œuvre de Jésus. Alors que la voix des prophètes avait eu peu d'écho, Jésus seul eut assez d'autorité pour remonter le courant et opposer à la justice tout extérieure et matérielle du culte mosaïque la justice du nouveau royaume où les vertus intérieures telles que l'humilité, la chasteté, la charité, le pardon des injures, occupent la première place.
Mais, ces justes concessions une fois faites, s'ensuit-il qu'il y ait lieu de conclure, avec Harnack, que le royaume de Dieu annoncé et établi par le Christ, soit un royaume purement individuel, une société invisible composée des âmes justes, et qu'il n'ait aucun caractère collectif et social ? Est-on même en droit de prétendre que la perfection intérieure doit être considérée comme l’essence du christianisme, parce que seule elle est l'œuvre du Christ? Il semble bien que non, et il y a dans cette manière de voir un sophisme que M. Loisy a relevé dans les termes suivants. « Il y aurait, dit-il, peu de logique à prendre pour l'essence totale d'une religion ce qui la différencie d'avec une autre. La foi monothéiste est commune au judaïsme, au christianisme et à l'islamisme. On n'en conclura pas que l'essence de ces trois religions doive être cherchée en dehors de l'idée monothéiste. Ni le juif, ni le chrétien, ni le musulman n'admettent que la foi à un seul Dieu ne soit pas le premier et le principal article de leur symbole. . C'est par leurs différences qu'on établit la destination essentielle de ces religions, mais ce n'est pas uniquement par ces différences qu'elles sont constituées... Jésus n'a pas prétendu détruire la Loi, mais l'accomplir. On doit donc s'attendre à trouver dans le judaïsme et dans le christianisme, des éléments communs, essentiels à l'un et à l'autre... L'importance de ces éléments ne dépend ni de leur antiquité, ni de leur nouveauté, mais de la place qu'ils tiennent dans l'enseignement de Jésus et du cas que Jésus lui-même en a fait. »252 Autrement dit, ce n'est pas parce que le Messie a enseigné que le « royaume de Dieu » devait être surtout spirituel, qu'il faut en conclure qu'il doit être exclusivement spirituel.
Du reste, la chose apparaît tout à fait évidente si l'on prend soin de remettre le langage de Jésus dans les conditions de milieu et d'idées dans lesquelles il a été tenu. Si le Sauveur insiste tout particulièrement sur l'idée de perfection intérieure et de rénovation spirituelle, c'est qu'il doit corriger les conceptions fausses des Juifs. Ceux-ci attendent un royaume temporel ; ils se sont attachés dans les prophéties à l'élément secondaire (V. Nos 248 et 253) et ils croient à la restauration du royaume d'Israël. Le Messie veut donc redresser leurs conceptions fausses et leur faire comprendre que le royaume de Dieu qu'il est venu établir, n'est nullement un royaume temporel, qu'il n'est pas le triomphe d'une nation sur les autres, mais un royaume qui s'adresse à tous les peuples et dans lequel aura accès tout homme de bonne volonté qui pratique les vertus morales et intérieures.
Que le royaume ne soit pas purement spirituel, qu'il ait au contraire un caractère collectif et social, c'est ce qui ressort surtout de nombreuses paraboles, qui sont, on le sait, une des formes les plus ordinaires sous lesquelles Jésus donne son enseignement. Il est clair, par exemple, que les paraboles où Notre-Seigneur compare le royaume au champ du père de famille sur lequel poussent à la fois le bon grain et l'ivraie (Mat., xiii, 24, 30), au filet du pécheur où se confondent les bons et les mauvais poissons (Mat., xiii, 47), n'auraient aucun sens dans l'hypothèse d'un royaume purement intérieur et spirituel.
D'autre part, le terme de royaume de Dieu ne serait-il pas bien impropre s'il fallait l'entendre du règne de Dieu dans l'âme individuelle? Ce n'est plus en effet d'un royaume qu'il s'agirait, mais d'autant de royaumes qu'il y aurait d'âmes.
Les partisans de ce système s'appuient, il est vrai, pour prouver leur thèse, sur ce texte de saint Luc (xvi, 20) « Ecce regnum Dei intra vos est » qu'ils traduisent ainsi : « Le royaume de Dieu est en vous. » Mais ce texte comporte un autre sens, et il semble plus juste et plus en rapport avec le contexte de traduire : « Le royaume de Dieu est au milieu de vous. » D'après saint Luc, en effet, ce sont les pharisiens qui interrogent Notre-Seigneur. Comme ils lui demandent quand viendra le royaume de Dieu, il leur répond : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards. On ne dira point : Il est ici, ou : il est là ; car voyez, le royaume de Dieu est au milieu de vous. » Ainsi remise dans son cadre, la parole de Jésus paraît plutôt contredire le système d'un royaume purement intérieur que de le favoriser. S'adressant à des pharisiens qui étaient incrédules, qui, du fait qu'ils rejetaient l'Évangile, se mettaient en dehors du royaume, n'est-il pas évident que Jésus ne pouvait leur dire que ce royaume était en eux, c'est-à-dire dans leurs âmes? La pensée du Sauveur est donc tout autre. Se heurtant aux idées fausses de ses adversaires, qui s'imaginaient que la venue du royaume et du Messie serait accompagnée de signes éclatants, de prodiges extraordinaires dans le ciel, Jésus apprend aux pharisiens comment le royaume de Dieu doit venir. Il ne viendra pas, leur dit-il alors, comme une chose qu'on peut observer, comme un astre dont on pourrait suivre le cours, car le royaume sera surtout spirituel et se dérobera par conséquent à l'observation. Du reste, ajoute Notre-Seigneur, n'allez pas le chercher où il ne faut pas, car il est déjà venu, il est au milieu de vous.
Conclusion. — De la correcte interprétation du texte de saint Luc, ainsi que des raisons qui précèdent, il résulte donc que le royaume de Dieu ne peut être considéré comme un royaume purement spirituel, qu'il est au contraire collectif et social, et qu'on ne peut induire de là que Jésus n'ait jamais songé à fonder une Église visible.
252 Loisy. L'Evangile et l'Église, Introd. p. xvi et suiv.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
§ 2. —. Le système d'un royaume de dieu purement eschatologique.
réfutation.
306. — 1° Exposé du système.— Suivant M. Loisy, l'institution d'une Église n'a pu rentrer dans les desseins du Sauveur. Voici à peu près comment l'auteur de l’Évangile et l'Église entend le démontrer. A l'époque où parut Notre-Seigneur, c'était une idée courante parmi les Juifs, que le Messie aurait pour mission d'inaugurer le règne final et définitif de Dieu ou, si l'on aime mieux, le royaume eschatologique. Or, si l'on analyse les textes des Évangiles, du seul point de vue critique et sans les déformer par une interprétation théologique, il semble bien que Jésus partageait l'erreur de ses contemporains. En conséquence, sa prédication a eu un double but : —-1. annoncer la venue prochaine du royaume en même temps que la fin du monde qui devait en être l'accompagnement obligé ; et — 2. y préparer les âmes par le renoncement aux biens de ce monde et par la pratique des vertus morales capables de procurer la justice. Le Christ de l'histoire n'a donc pas pu songer à fonder une Église, c'est-à-dire une institution durable, puisque son œuvre n'était pas appelée à durer et qu'elle devait se terminer à brève échéance par l'avènement du royaume final.
On ne saurait donc parler à l'institution divine de l'Église. Ce sont les circonstances et la non-réalisation du royaume eschatologique qui ont déterminé les disciples à corriger le programme de leur Maître, à « réinterpréter » ses paroles « pour accommoder à la condition d'un monde qui durait, ce qui avait été dit à un monde censé près de finir »253. D'où il paraît légitime de conclure que Jésus « annonçait le royaume, et c'est l'Église qui est venue. »254 Cependant, d'après la théorie moderniste, si l'Église ne procède pas d'une pensée et d'une volonté expresse de Jésus, l'on peut dire cependant qu'elle se rattache à l'Évangile, en tant qu'elle fait suite à la société que Jésus avait groupée autour de lui en vue du royaume. Elle est ainsi, en un certain sens, le résultat légitime, quoique inattendu, de la prédication du Christ, et rien n'empêche de voir, entre l'Évangile et l'Église, un rapport étroit, et de dire en toute vérité que l'Église continue l'Évangile»255. En d'autres mots, Jésus avait groupé autour de sa personne un certain nombre de disciples à qui il donna la mission de préparer l'inauguration prochaine du royaume, et comme les événements ont trompé l'attente des apôtres, — le royaume si ardemment désiré et si impatiemment attendu n'étant pas venu, — la petite société a grandi et, en grandissant, elle a donné naissance à l'Église. L'on peut donc définir l'Église : la société des disciples du Christ, qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique, se sont organisés et adaptés aux conditions d'existence de l'heure présente.
L'on pourrait se demander ce que M. Loisy fait des textes évangéliques qui rapportent l'institution de l'Église. C'est bien simple. Comme les protestants libéraux, il les déclare sans valeur pour l'historien, et il en donne comme raison que « les textes qui concernent véritablement l'institution de l'Église sont des paroles du Christ glorifié ». Ces textes seraient donc des produits de la pensée chrétienne. Et M. Loisy conclut que « l'institution de l'Église par le Christ ressuscité n'est pas un fait tangible pour l'historien»256.
réfutation.
306. — 1° Exposé du système.— Suivant M. Loisy, l'institution d'une Église n'a pu rentrer dans les desseins du Sauveur. Voici à peu près comment l'auteur de l’Évangile et l'Église entend le démontrer. A l'époque où parut Notre-Seigneur, c'était une idée courante parmi les Juifs, que le Messie aurait pour mission d'inaugurer le règne final et définitif de Dieu ou, si l'on aime mieux, le royaume eschatologique. Or, si l'on analyse les textes des Évangiles, du seul point de vue critique et sans les déformer par une interprétation théologique, il semble bien que Jésus partageait l'erreur de ses contemporains. En conséquence, sa prédication a eu un double but : —-1. annoncer la venue prochaine du royaume en même temps que la fin du monde qui devait en être l'accompagnement obligé ; et — 2. y préparer les âmes par le renoncement aux biens de ce monde et par la pratique des vertus morales capables de procurer la justice. Le Christ de l'histoire n'a donc pas pu songer à fonder une Église, c'est-à-dire une institution durable, puisque son œuvre n'était pas appelée à durer et qu'elle devait se terminer à brève échéance par l'avènement du royaume final.
On ne saurait donc parler à l'institution divine de l'Église. Ce sont les circonstances et la non-réalisation du royaume eschatologique qui ont déterminé les disciples à corriger le programme de leur Maître, à « réinterpréter » ses paroles « pour accommoder à la condition d'un monde qui durait, ce qui avait été dit à un monde censé près de finir »253. D'où il paraît légitime de conclure que Jésus « annonçait le royaume, et c'est l'Église qui est venue. »254 Cependant, d'après la théorie moderniste, si l'Église ne procède pas d'une pensée et d'une volonté expresse de Jésus, l'on peut dire cependant qu'elle se rattache à l'Évangile, en tant qu'elle fait suite à la société que Jésus avait groupée autour de lui en vue du royaume. Elle est ainsi, en un certain sens, le résultat légitime, quoique inattendu, de la prédication du Christ, et rien n'empêche de voir, entre l'Évangile et l'Église, un rapport étroit, et de dire en toute vérité que l'Église continue l'Évangile»255. En d'autres mots, Jésus avait groupé autour de sa personne un certain nombre de disciples à qui il donna la mission de préparer l'inauguration prochaine du royaume, et comme les événements ont trompé l'attente des apôtres, — le royaume si ardemment désiré et si impatiemment attendu n'étant pas venu, — la petite société a grandi et, en grandissant, elle a donné naissance à l'Église. L'on peut donc définir l'Église : la société des disciples du Christ, qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique, se sont organisés et adaptés aux conditions d'existence de l'heure présente.
L'on pourrait se demander ce que M. Loisy fait des textes évangéliques qui rapportent l'institution de l'Église. C'est bien simple. Comme les protestants libéraux, il les déclare sans valeur pour l'historien, et il en donne comme raison que « les textes qui concernent véritablement l'institution de l'Église sont des paroles du Christ glorifié ». Ces textes seraient donc des produits de la pensée chrétienne. Et M. Loisy conclut que « l'institution de l'Église par le Christ ressuscité n'est pas un fait tangible pour l'historien»256.
254 Ibid., p. 111
255
Loisy, Autour d'un petit livre
256
Loisy, op. cit., p. 17.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
307. — 2° Réfutation. — N'ayant d'autre objectif que de préparer les âmes à la venue imminente du royaume des cieux et à sa parousie, le Christ ne pouvait songer à organiser une société durable : telle est l'idée maîtresse du système de M.Loisy. Or nous allons prouver que, pour soutenir une thèse aussi absolue, il est nécessaire de se livrer à un découpage de textes que rien n'autorise, et procéder à un choix inadmissible ou à une interprétation fantaisiste des passages de l'Évangile qui s'appliquent à l'Église.
Considérons d'abord le point de départ Est-il vrai que les contemporains de Jésus n'aient eu d'autre idée que l'établissement du règne définitif de Dieu? Comme l'a fort bien démontré le P. Lagrange257, l'on peut distinguer au contraire dans la littérature de l'époque deux manifestations de la pensée juive : celle que l'on trouve dans les apocalypses et celle des rabbins. Or, pas plus dans l'une que dans l'autre, le règne messianique n'est identifié avec le règne final de Dieu ; ni d'un côté ni de l'autre l'on ne se désintéresse de l'avenir d'Israël en ce monde. Il y a toutefois cette différence entre les deux que les auteurs apocalyptiques insistaient beaucoup plus sur le royaume eschatologique tandis que les rabbins, dans leur concept du règne messianique, attachaient une part plus importante au monde présent. Si, par conséquent, Jésus avait adopté les idées des apocalypses et n'avait voulu prêcher qu'un royaume purement eschatologique, il n'aurait pas manqué de corriger les croyances des rabbins Or cela, il ne l'a pas fait. De l'examen impartial des Évangiles il résulte au contraire que le Sauveur présente le royaume comme devant avoir une double phase : une phase terrestre avant la période de consommation finale. Il y a en effet de nombreux caractères par lesquels Jésus décrit le royaume, qui sont totalement inconciliables avec le royaume eschatologique et qui ne s'accordent qu'avec la vie présente. C'est ainsi que Jésus parle du royaume comme déjà inauguré. « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des cieux est emporté de force», est-il dit dans saint Matthieu (xi, 12). Ainsi encore il réplique aux Pharisiens qui l'accusent de chasser les démons au nom de Belzébuth : « Que si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous » (Mat., xii, 28).
Mais c'est surtout dans les paraboles que l'enseignement de Jésus transparaît le plus. Le royaume y est représenté comme une réalité déjà existante et concrète, comme un royaume destiné à grandir et à se développer, — parabole du grain de sénevé (Mat., xiii, 31, 35; Marc, IV, 30, 32), — comme un royaume comportant le mélange des bons et des méchants, — paraboles du bon grain et de l'ivraie (Mat., xviii, 24, 30), du filet qui ramasse des poissons de toutes sortes, bons et mauvais (Mat., xiii 47, 50), des vierges sages et des vierges folles (Mat., xxiv, 1, 18). Autant de caractères qui ne sont pas applicables au royaume eschatologique et qui ne peuvent convenir qu'à un royaume déjà formé, susceptible de s'étendre et de se perfectionner, préparatoire à une autre forme de royaume qui, elle, sera la forme; définitive, où le bon grain seul sera engrangé, où le tri entre les bons et les mauvais poissons sera chose faite, et d'où les vierges folles seront exclues.
Tout cela serait juste, répliquent alors les partisans du système eschatologique, si les textes allégués pour prouver l'annonce d'un royaume terrestre étaient authentiques. Mais, ils ne le sont pas. Ils ont été introduits dans la trame évangélique par la première génération chrétienne qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique attendu, n'a pas craint de travestir l'enseignement du Sauveur pour mettre sa pensée et ses paroles en harmonie avec les faits. Qu'il y ait dans les Évangiles deux séries de textes : l'une eschatologique, l'autre non eschatologique, et que les textes qui annoncent la fin du monde et la parousie soient incompatibles avec ceux qui parlent d'un royaume terrestre, c'est ce que tout critique de bonne foi doit reconnaître. Mais si les deux séries sont exclusives l'une de l'autre, il faut donc choisir entre les deux et rechercher la tradition primitive, celle qui doit être attribuée à Jésus. Or, ajoute-t-on, il y a tout lieu de croire que la série eschatologique seule représente la pensée authentique de Jésus, car elle n'a pu être inventée au moment où les événements venaient la démentir. La seconde série aurait donc été élaborée ultérieurement pour adapter l'Évangile du salut aux circonstances nouvelles imposées par le développement chrétien.
L'objection des modernistes est plus spécieuse que solide. Ils ont raison sans doute, lorsqu'ils affirment qu'il y a dans les Évangiles deux séries de textes, mais sont-ils en droit de conclure que ces deux séries sont exclusives l'une de l'autre? N'y a-t-il pas plutôt un moyen de les concilier? Le nœud du problème est là. Si Jésus a annoncé la fin du monde et l'avènement du royaume eschatologique comme des choses imminentes, il y a sans contredit opposition entre les deux séries de textes. Jésus qui se serait mépris si gravement en montrant le royaume eschatologique dans un avenir tout proche, ne pourrait plus être l'auteur de la série non eschatologique. Mais la question est précisément de savoir s'il a présenté la fin du monde et la venue du royaume eschatologique comme des événements prochains. A la question ainsi posée nous pourrions d'abord répondre qu'il y a tout lieu de croire a priori que la conciliation est possible, car comment admettre que les Évangélistes rapportant les paroles de Notre-Seigneur, assez longtemps après qu'elles avaient été prononcées, auraient été assez maladroits pour introduire dans leurs récits des textes en contradiction avec ces paroles? De deux choses l'une. Ou bien les Évangélistes sont sincères ou ils ne le sont pas. Dans la première hypothèse, ils auraient reproduit fidèlement les paroles de leur Maître et nous n'aurions qu'une série de textes : la série eschatologique. Dans la seconde hypothèse, ils n'auraient pas manqué de supprimer la série eschatologique, puisque les événements lui donnaient tort, et ils lui auraient substitué purement et simplement la série non eschatologique
Mais voyons si les textes de la série eschatologique ne comportent pas d'autre explication que celle donnée par les modernistes Cela nous ramène à la célèbre prophétie sur la fin du monde dont nous avons parlé dans la seconde Partie (N° 260). Nous n'insisterons donc pas sur ce point. Qu'il nous suffise de rappeler que la parole de Notre-Seigneur « Cette génération ne passera pas avant que toutes ces choses ne s'accomplissent» (Mat, xxiv, 34 ; Marc, xiii 30 ; Luc, xxi, 32), invoquée par nos adversaires pour prouver que Jésus croyait à la fin imminente du monde, s'applique plutôt, d'après le contexte, à la ruine de Jérusalem et du peuple juif. Que les Évangélistes ne distinguent pas les deux catastrophes avec assez de netteté, que leurs récits concernant à la fois la fin du monde et la ruine du Temple manquent de précision, c'est ce qui n'est pas douteux. Et cela est si vrai que beaucoup de critiques ont pu croire que, entraînés par les idées courantes de leur milieu, les Apôtres s'étaient trompés sur la pensée de Jésus. Nous avons vu (p. 272) ce qu'il fallait penser de cette opinion. En toute hypothèse, on ne saurait admettre que Jésus lui-même ait commis l'erreur que nos adversaires lui imputent. Tout au contraire, il ne paraît pas douteux, — à s'en tenir aux simples données d'une sage critique littéraire, — que la catastrophe dont Jésus annonce la date prochaine et à laquelle la génération de son temps doit assister, c'est la ruine de Jérusalem et du Temple, tandis que l'époque de la seconde ne serait envisagée que dans une perspective beaucoup plus lointaine, puisque Jésus dit que « personne n'en connaît ni le jour ni l'heure » (Mat., xxiv, 36).
Quant aux passages qui déclarent imminente la venue du Fils de l'homme sur les nuées du ciel (Mat., xvi, 28 ; xxvi, 64 ; Marc, ix, 1 ; Luc, ix, 27 ; xxii, 69), il est permis d'entendre par là la prédiction de l'admirable essor que prendra bientôt le règne messianique et dont la génération à laquelle Notre-Seigneur s'adresse sera témoin258. Ainsi interprétés, ces textes se sont vérifiés à la lettre, vu que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite avec une merveilleuse rapidité.
Conclusion. — De la discussion qui précède il n'est donc pas téméraire de conclure que, pas plus que le système d'un royaume purement intérieur et spirituel, le système d'un royaume exclusivement eschatologique n'est acceptable. Il n'est pas vrai de dire alors que Jésus n'a pu nullement envisager l'établissement d'une Église en tant que société visible.
Considérons d'abord le point de départ Est-il vrai que les contemporains de Jésus n'aient eu d'autre idée que l'établissement du règne définitif de Dieu? Comme l'a fort bien démontré le P. Lagrange257, l'on peut distinguer au contraire dans la littérature de l'époque deux manifestations de la pensée juive : celle que l'on trouve dans les apocalypses et celle des rabbins. Or, pas plus dans l'une que dans l'autre, le règne messianique n'est identifié avec le règne final de Dieu ; ni d'un côté ni de l'autre l'on ne se désintéresse de l'avenir d'Israël en ce monde. Il y a toutefois cette différence entre les deux que les auteurs apocalyptiques insistaient beaucoup plus sur le royaume eschatologique tandis que les rabbins, dans leur concept du règne messianique, attachaient une part plus importante au monde présent. Si, par conséquent, Jésus avait adopté les idées des apocalypses et n'avait voulu prêcher qu'un royaume purement eschatologique, il n'aurait pas manqué de corriger les croyances des rabbins Or cela, il ne l'a pas fait. De l'examen impartial des Évangiles il résulte au contraire que le Sauveur présente le royaume comme devant avoir une double phase : une phase terrestre avant la période de consommation finale. Il y a en effet de nombreux caractères par lesquels Jésus décrit le royaume, qui sont totalement inconciliables avec le royaume eschatologique et qui ne s'accordent qu'avec la vie présente. C'est ainsi que Jésus parle du royaume comme déjà inauguré. « Depuis les jours de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des cieux est emporté de force», est-il dit dans saint Matthieu (xi, 12). Ainsi encore il réplique aux Pharisiens qui l'accusent de chasser les démons au nom de Belzébuth : « Que si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous » (Mat., xii, 28).
Mais c'est surtout dans les paraboles que l'enseignement de Jésus transparaît le plus. Le royaume y est représenté comme une réalité déjà existante et concrète, comme un royaume destiné à grandir et à se développer, — parabole du grain de sénevé (Mat., xiii, 31, 35; Marc, IV, 30, 32), — comme un royaume comportant le mélange des bons et des méchants, — paraboles du bon grain et de l'ivraie (Mat., xviii, 24, 30), du filet qui ramasse des poissons de toutes sortes, bons et mauvais (Mat., xiii 47, 50), des vierges sages et des vierges folles (Mat., xxiv, 1, 18). Autant de caractères qui ne sont pas applicables au royaume eschatologique et qui ne peuvent convenir qu'à un royaume déjà formé, susceptible de s'étendre et de se perfectionner, préparatoire à une autre forme de royaume qui, elle, sera la forme; définitive, où le bon grain seul sera engrangé, où le tri entre les bons et les mauvais poissons sera chose faite, et d'où les vierges folles seront exclues.
Tout cela serait juste, répliquent alors les partisans du système eschatologique, si les textes allégués pour prouver l'annonce d'un royaume terrestre étaient authentiques. Mais, ils ne le sont pas. Ils ont été introduits dans la trame évangélique par la première génération chrétienne qui, ne voyant pas venir le royaume eschatologique attendu, n'a pas craint de travestir l'enseignement du Sauveur pour mettre sa pensée et ses paroles en harmonie avec les faits. Qu'il y ait dans les Évangiles deux séries de textes : l'une eschatologique, l'autre non eschatologique, et que les textes qui annoncent la fin du monde et la parousie soient incompatibles avec ceux qui parlent d'un royaume terrestre, c'est ce que tout critique de bonne foi doit reconnaître. Mais si les deux séries sont exclusives l'une de l'autre, il faut donc choisir entre les deux et rechercher la tradition primitive, celle qui doit être attribuée à Jésus. Or, ajoute-t-on, il y a tout lieu de croire que la série eschatologique seule représente la pensée authentique de Jésus, car elle n'a pu être inventée au moment où les événements venaient la démentir. La seconde série aurait donc été élaborée ultérieurement pour adapter l'Évangile du salut aux circonstances nouvelles imposées par le développement chrétien.
L'objection des modernistes est plus spécieuse que solide. Ils ont raison sans doute, lorsqu'ils affirment qu'il y a dans les Évangiles deux séries de textes, mais sont-ils en droit de conclure que ces deux séries sont exclusives l'une de l'autre? N'y a-t-il pas plutôt un moyen de les concilier? Le nœud du problème est là. Si Jésus a annoncé la fin du monde et l'avènement du royaume eschatologique comme des choses imminentes, il y a sans contredit opposition entre les deux séries de textes. Jésus qui se serait mépris si gravement en montrant le royaume eschatologique dans un avenir tout proche, ne pourrait plus être l'auteur de la série non eschatologique. Mais la question est précisément de savoir s'il a présenté la fin du monde et la venue du royaume eschatologique comme des événements prochains. A la question ainsi posée nous pourrions d'abord répondre qu'il y a tout lieu de croire a priori que la conciliation est possible, car comment admettre que les Évangélistes rapportant les paroles de Notre-Seigneur, assez longtemps après qu'elles avaient été prononcées, auraient été assez maladroits pour introduire dans leurs récits des textes en contradiction avec ces paroles? De deux choses l'une. Ou bien les Évangélistes sont sincères ou ils ne le sont pas. Dans la première hypothèse, ils auraient reproduit fidèlement les paroles de leur Maître et nous n'aurions qu'une série de textes : la série eschatologique. Dans la seconde hypothèse, ils n'auraient pas manqué de supprimer la série eschatologique, puisque les événements lui donnaient tort, et ils lui auraient substitué purement et simplement la série non eschatologique
Mais voyons si les textes de la série eschatologique ne comportent pas d'autre explication que celle donnée par les modernistes Cela nous ramène à la célèbre prophétie sur la fin du monde dont nous avons parlé dans la seconde Partie (N° 260). Nous n'insisterons donc pas sur ce point. Qu'il nous suffise de rappeler que la parole de Notre-Seigneur « Cette génération ne passera pas avant que toutes ces choses ne s'accomplissent» (Mat, xxiv, 34 ; Marc, xiii 30 ; Luc, xxi, 32), invoquée par nos adversaires pour prouver que Jésus croyait à la fin imminente du monde, s'applique plutôt, d'après le contexte, à la ruine de Jérusalem et du peuple juif. Que les Évangélistes ne distinguent pas les deux catastrophes avec assez de netteté, que leurs récits concernant à la fois la fin du monde et la ruine du Temple manquent de précision, c'est ce qui n'est pas douteux. Et cela est si vrai que beaucoup de critiques ont pu croire que, entraînés par les idées courantes de leur milieu, les Apôtres s'étaient trompés sur la pensée de Jésus. Nous avons vu (p. 272) ce qu'il fallait penser de cette opinion. En toute hypothèse, on ne saurait admettre que Jésus lui-même ait commis l'erreur que nos adversaires lui imputent. Tout au contraire, il ne paraît pas douteux, — à s'en tenir aux simples données d'une sage critique littéraire, — que la catastrophe dont Jésus annonce la date prochaine et à laquelle la génération de son temps doit assister, c'est la ruine de Jérusalem et du Temple, tandis que l'époque de la seconde ne serait envisagée que dans une perspective beaucoup plus lointaine, puisque Jésus dit que « personne n'en connaît ni le jour ni l'heure » (Mat., xxiv, 36).
Quant aux passages qui déclarent imminente la venue du Fils de l'homme sur les nuées du ciel (Mat., xvi, 28 ; xxvi, 64 ; Marc, ix, 1 ; Luc, ix, 27 ; xxii, 69), il est permis d'entendre par là la prédiction de l'admirable essor que prendra bientôt le règne messianique et dont la génération à laquelle Notre-Seigneur s'adresse sera témoin258. Ainsi interprétés, ces textes se sont vérifiés à la lettre, vu que la diffusion de la religion chrétienne s'est faite avec une merveilleuse rapidité.
Conclusion. — De la discussion qui précède il n'est donc pas téméraire de conclure que, pas plus que le système d'un royaume purement intérieur et spirituel, le système d'un royaume exclusivement eschatologique n'est acceptable. Il n'est pas vrai de dire alors que Jésus n'a pu nullement envisager l'établissement d'une Église en tant que société visible.
257
Lagrange, Le Messianisme chez les Juifs.
258 LAGRANGE, Rev. biblique, 1904, 1906, 1908.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
Art. II. — Jésus-Christ a fondé une Église. Ses caractères essentiels.
308. — Position du problème — Il vient d'être démontré ci-dessus que « le royaume de Dieu» prêché par le Christ comporte une première période qui peut s'appeler la phase terrestre et préparatoire du royaume eschatologique. Or ce royaume comprend tous ceux qui acceptent la doctrine enseignée par Jésus. Il est par conséquent une société et c'est à cette société que nous donnons le nom d'Église. La question qui se pose donc à présent, c'est de savoir quelle est la nature de cette société. Se compose-t-elle de membres égaux : auquel cas l'interprétation de la doctrine du Christ serait laissée à l'arbitraire du jugement individuel? Est-elle au contraire constituée sur le principe de la hiérarchie259, comprenant deux groupes distincts, l'un qui enseigne et gouverne, l'autre qui est enseigné et gouverné! Jésus a-t-il institué lui-même une autorité à laquelle il ait confié la charge d'enseigner authentiquement sa doctrine! Bref, le christianisme est-il « religion de l'esprit » ou « religion d'autorité »?
Les Protestants orthodoxes, que nous avons désormais devant nous, soutiennent la première hypothèse. Ils n'admettent pas que Jésus ait créé une autorité vivante. Les vérités à croire, les préceptes à suivre et les moyens de sanctification, tout serait abandonné à l'appréciation subjective de chaque croyant. Entre Dieu et la conscience Jésus n'aurait placé aucun intermédiaire obligatoire. Que si on leur demande alors pourquoi ils se groupent et tiennent des réunions; ils répondent que c'est tout simplement pour prier en commun, pour lire et commenter l'Évangile, pour pratiquer les rites du baptême et de la cène, et pour s'édifier mutuellement dans l'amour de Dieu et la charité fraternelle mais non pour obéir à une autorité constituée. C'est d'ailleurs sur l'histoire que les Protestants entendent appuyer leur point de vue. Nous verrons plus loin comment ils expliquent la création d'une hiérarchie, et partant, les origines du catholicisme (V. N° 312).
Contre de telles affirmations il s'agit donc de prouver que Jésus a institué une hiérarchie permanente, — le collège des Douze et leurs successeurs, — à la tête de laquelle il a placé un chef unique, Pierre et ses successeurs : hiérarchie à laquelle il a octroyé une autorité gouvernante, revêtue d'une divine garantie: l’infaillibilité doctrinale. Pour mieux atteindre notre but, nous décomposerons les questions dans les propositions suivantes. Nous prouverons : 1° que Jésus a fondé une hiérarchie en conférant aux Apôtres le triple pouvoir d'enseigner, de régir et de-sanctifier, qu'il a donc constitué une autorité vivante ; — 2° que cette hiérarchie est permanente, le triple pouvoir des Apôtres devant se transmettre à leurs successeurs ; — 3° que, à la tête de la hiérarchie, il a placé un chef unique (primauté de Pierre et de ses successeurs) ; — 4° qu'il a garanti la conservation intégrale de sa doctrine en octroyant à l'Eglise enseignante le privilège de l'infaillibilité. D'où quatre paragraphes.
§ 1. — Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique.
309. — État de la question. — a) Les Protestants orthodoxes, avons-nous dit (N° 308), n'admettent pas que Jésus ait constitué à la tête de son Église une autorité vivante, mais ils concèdent l'historicité et même l'inspiration des textes évangéliques invoqués par les catholiques en faveur de leur thèse. — b) Au contraire, les rationalistes, les Protestants libéraux et les modernistes rejettent l'authenticité de ces textes. Ils prétendent qu'ils sont dus à un travail postérieur et rédactionnel d'auteurs inconnus et auraient été introduits dans la trame évangélique après les événements, c'est-à-dire au moment où l'institution d'une Église hiérarchique était un fait accompli.
La thèse catholique s'appuie donc sur un double argument: — 1. sur un argument tiré des textes évangéliques que nous sommes en droit d'invoquer contre les Protestants orthodoxes, et — 2. sur un argument historique, où nous aurons à réfuter la fausse conception des libéraux et des modernistes sur les origines de l'Église hiérarchique.
308. — Position du problème — Il vient d'être démontré ci-dessus que « le royaume de Dieu» prêché par le Christ comporte une première période qui peut s'appeler la phase terrestre et préparatoire du royaume eschatologique. Or ce royaume comprend tous ceux qui acceptent la doctrine enseignée par Jésus. Il est par conséquent une société et c'est à cette société que nous donnons le nom d'Église. La question qui se pose donc à présent, c'est de savoir quelle est la nature de cette société. Se compose-t-elle de membres égaux : auquel cas l'interprétation de la doctrine du Christ serait laissée à l'arbitraire du jugement individuel? Est-elle au contraire constituée sur le principe de la hiérarchie259, comprenant deux groupes distincts, l'un qui enseigne et gouverne, l'autre qui est enseigné et gouverné! Jésus a-t-il institué lui-même une autorité à laquelle il ait confié la charge d'enseigner authentiquement sa doctrine! Bref, le christianisme est-il « religion de l'esprit » ou « religion d'autorité »?
Les Protestants orthodoxes, que nous avons désormais devant nous, soutiennent la première hypothèse. Ils n'admettent pas que Jésus ait créé une autorité vivante. Les vérités à croire, les préceptes à suivre et les moyens de sanctification, tout serait abandonné à l'appréciation subjective de chaque croyant. Entre Dieu et la conscience Jésus n'aurait placé aucun intermédiaire obligatoire. Que si on leur demande alors pourquoi ils se groupent et tiennent des réunions; ils répondent que c'est tout simplement pour prier en commun, pour lire et commenter l'Évangile, pour pratiquer les rites du baptême et de la cène, et pour s'édifier mutuellement dans l'amour de Dieu et la charité fraternelle mais non pour obéir à une autorité constituée. C'est d'ailleurs sur l'histoire que les Protestants entendent appuyer leur point de vue. Nous verrons plus loin comment ils expliquent la création d'une hiérarchie, et partant, les origines du catholicisme (V. N° 312).
Contre de telles affirmations il s'agit donc de prouver que Jésus a institué une hiérarchie permanente, — le collège des Douze et leurs successeurs, — à la tête de laquelle il a placé un chef unique, Pierre et ses successeurs : hiérarchie à laquelle il a octroyé une autorité gouvernante, revêtue d'une divine garantie: l’infaillibilité doctrinale. Pour mieux atteindre notre but, nous décomposerons les questions dans les propositions suivantes. Nous prouverons : 1° que Jésus a fondé une hiérarchie en conférant aux Apôtres le triple pouvoir d'enseigner, de régir et de-sanctifier, qu'il a donc constitué une autorité vivante ; — 2° que cette hiérarchie est permanente, le triple pouvoir des Apôtres devant se transmettre à leurs successeurs ; — 3° que, à la tête de la hiérarchie, il a placé un chef unique (primauté de Pierre et de ses successeurs) ; — 4° qu'il a garanti la conservation intégrale de sa doctrine en octroyant à l'Eglise enseignante le privilège de l'infaillibilité. D'où quatre paragraphes.
§ 1. — Jésus-Christ a fondé une Église hiérarchique.
309. — État de la question. — a) Les Protestants orthodoxes, avons-nous dit (N° 308), n'admettent pas que Jésus ait constitué à la tête de son Église une autorité vivante, mais ils concèdent l'historicité et même l'inspiration des textes évangéliques invoqués par les catholiques en faveur de leur thèse. — b) Au contraire, les rationalistes, les Protestants libéraux et les modernistes rejettent l'authenticité de ces textes. Ils prétendent qu'ils sont dus à un travail postérieur et rédactionnel d'auteurs inconnus et auraient été introduits dans la trame évangélique après les événements, c'est-à-dire au moment où l'institution d'une Église hiérarchique était un fait accompli.
La thèse catholique s'appuie donc sur un double argument: — 1. sur un argument tiré des textes évangéliques que nous sommes en droit d'invoquer contre les Protestants orthodoxes, et — 2. sur un argument historique, où nous aurons à réfuter la fausse conception des libéraux et des modernistes sur les origines de l'Église hiérarchique.
259 Hiérarchie (gr. ieros, sacré, arche, commandement). Étymologiquement le mot hiérarchie désigne un pouvoir sacré, directement institué par Dieu. C'est dans ce sens que ce mot sera employé au cours de cet article où nous voulons prouver que l'Église fondée par Jésus-Christ est une société hiérarchique investie de pouvoirs divins.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
310. — 1° Argument tiré des textes évangéliques. — Nota. —Lorsque nous soutenons qu'il est possible de retrouver l'institution d'une Église hiérarchique dans les textes évangéliques, qu'on ne se méprenne pas sur notre pensée. Nous ne voulons pas dire que Jésus a déclaré explicitement qu'il fondait une Église hiérarchique qui serait gouvernée un jour par les Évêques sous le principat du Pape. Des paroles aussi formelles n'ont pas été prononcées. Il suffit, pour la démonstration de notre thèse, d'établir que nous en retrouvons l'équivalent dans ce double fait qu'il choisit Douze Apôtres et leur délégua des pouvoirs spéciaux à eux, à l'exclusion des autres disciples.
A. CHOIX DES « DOUZE ». — Tous les Évangélistes sont d'accord pour témoigner que, parmi ses disciples, Jésus en choisit douze qu'il nomme ses Apôtres (Mat., x, 2, 4 ; Marc, iii, 13, 19 ; Luc, vi, 13, 16 ; Jean, i, 35 et suiv.), qu'il instruit d'une façon toute particulière, à qui il dévoile le sens des paraboles qui restent incomprises de la foule (Mat., xiii, 11), qu'il associe déjà à son œuvre en les envoyant prêcher le royaume de Dieu aux fils d'Israël (Mat., x, 5, 42 ; Marc, vi, 7, 13 ; Luc, IX, 1,6).
B. P0UV0IRS CONFÉRÉS AU COLLÈGE DES DOUZE. — a) A ce collège des Douze, — à Pierre en particulier (Mat., xvi, 18, 19), à l'ensemble du collège (Mat., xviii, 18), — Jésus commence par promettre le pouvoir de « lier dans le ciel ce qu'ils auront lié sur la terre », c'est-à-dire une autorité gouvernante qui les fera juges des cas de conscience, qui leur donnera la faculté de prescrire ou de défendre, et partant, de créer des obligations, si bien que celui qui n'écoutera pas l'Église sera regardé « comme un païen et un publicain» (Mat., xviii, 17). Mais, objectent les Protestants à propos de ce dernier texte, le mot Église est employé au verset 17 dans le sens restreint d'assemblée (N° 300), et dès lors, ce passage ne saurait servir d'argument en faveur de l'existence d'une autorité hiérarchique.— Nous ne contesterons pas que, dans le texte en question, le mot Église prête à deux interprétations. Il faut donc faire intervenir ici la règle de critique qui veut que tout passage obscur soit interprété d'après les autres passages parallèles qui sont plus clairs. Or il ne fait pas de doute que, dans les autres textes où il est question des pouvoirs accordés par Notre-Seigneur à son Église, cette concession ne concerne jamais que le collège apostolique. Il y a donc lieu de présumer le même sens pour le passage de saint Matthieu.
b) Le pouvoir qu'il avait d'abord promis, Jésus le confère, peu de jours avant son Ascension, au collège des Douze, alors devenu le collège des Onze par la défection de Judas : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre, leur déclare-t-il. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » (Mat., xviii, 19,20). Ainsi le Christ accorde à ses Apôtres le triple pouvoir: — 1. d'enseigner : « Allez, enseignez toutes les nations » ; — 2. de sanctifier, par les rites institués à cet effet, en particulier, par le baptême ; — 3. de gouverner, puisque les Apôtres devront apprendre au monde à garder ce que Jésus a commandé.
Et qu'on n'objecte pas encore que ce texte n'a aucune valeur sous prétexte que les paroles et les actes du Christ ressuscité ne peuvent être contrôlés par l'historien. Le préjugé rationaliste serait manifeste. Du moment en effet que la Résurrection peut être démontrée comme un fait historique et qu'elle est une réalité dont les Apôtres ont acquis la certitude, il y aurait autant de parti-pris à rejeter les paroles du Christ ressuscité que la résurrection elle-même. Du reste, les paroles du Christ ressuscité sont si bien liées avec les paroles de la promesse, que contester les unes c'est contester les autres, et que nier les unes et les autres c'est rendre inexplicable la conduite des Apôtres qui, après la mort de leur Maître, revendiquèrent le triple pouvoir ci-dessus mentionné.
311. — 2° Argument tiré de l'histoire. — Préliminaires. — 1. Quelle que soit la valeur des textes évangéliques qui nous prouvent que l'Église n'est pas hors de la ligne de l'Évangile, il va de soi que la question de l'institution divine d'une Église hiérarchique est, avant tout, historique. Si l'histoire en effet nous apportait la preuve que la création de l'Église serait postérieure à l'âge apostolique, et aurait été le résultat de circonstances accidentelles, l'on aurait beau invoquer les textes de l'Évangile : nos adversaires seraient certes en droit de les considérer comme des interpolations.
2. Les documents qui servent à l'étude du christianisme naissant sont les Actes des Apôtres260, les Épîtres de saint Paul261, et pour la période sub-apostolique (c'est-à-dire pour les trois générations qui suivent les Apôtres) les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques.
3. Il est parlé de « charismes » à maintes pages des Actes des Apôtres. Que faut-il entendre par là? Les charismes (grec « charis » et « charisma » grâce, faveur, don) sont des dons surnaturels octroyés par le Saint-Esprit en vue de la propagation du christianisme et pour le bien général de l'Église naissante. Ce sont des manifestations de l'Esprit Saint, parfois même étranges et désordonnées, telles que le don des langues ou glossolalie qui consistait à louer Dieu en langue étrangère et en des accents d'enthousiasme, exalté (Lire à ce sujet : I Cor., xiv). Les charismes auxquels on attachait le plus de prix étaient le don des miracles et le don des prophéties ; mais quelle qu'en fût la nature, ils étaient toujours des signes divins qui avaient pour but de confirmer la première prédication de l'Évangile. — 4. Nous allons exposer, en nous plaçant sur le seul terrain de l'histoire, les deux thèses, rationaliste et catholique, sur les origines de l’Église. La première que nous mettons sous l'étiquette générale de rationaliste, est, en réalité, le point de vue, non seulement des rationalistes, mais de tous les historiens protestants, orthodoxes ou libéraux, et des modernistes. Le meilleur exposé français en a été fait par A. Sabatier (Les Religions d'autorité et la Religion de l'esprit, pp. 47-83, 4e éd.) En voici un résumé, aussi objectif que possible.
A. CHOIX DES « DOUZE ». — Tous les Évangélistes sont d'accord pour témoigner que, parmi ses disciples, Jésus en choisit douze qu'il nomme ses Apôtres (Mat., x, 2, 4 ; Marc, iii, 13, 19 ; Luc, vi, 13, 16 ; Jean, i, 35 et suiv.), qu'il instruit d'une façon toute particulière, à qui il dévoile le sens des paraboles qui restent incomprises de la foule (Mat., xiii, 11), qu'il associe déjà à son œuvre en les envoyant prêcher le royaume de Dieu aux fils d'Israël (Mat., x, 5, 42 ; Marc, vi, 7, 13 ; Luc, IX, 1,6).
B. P0UV0IRS CONFÉRÉS AU COLLÈGE DES DOUZE. — a) A ce collège des Douze, — à Pierre en particulier (Mat., xvi, 18, 19), à l'ensemble du collège (Mat., xviii, 18), — Jésus commence par promettre le pouvoir de « lier dans le ciel ce qu'ils auront lié sur la terre », c'est-à-dire une autorité gouvernante qui les fera juges des cas de conscience, qui leur donnera la faculté de prescrire ou de défendre, et partant, de créer des obligations, si bien que celui qui n'écoutera pas l'Église sera regardé « comme un païen et un publicain» (Mat., xviii, 17). Mais, objectent les Protestants à propos de ce dernier texte, le mot Église est employé au verset 17 dans le sens restreint d'assemblée (N° 300), et dès lors, ce passage ne saurait servir d'argument en faveur de l'existence d'une autorité hiérarchique.— Nous ne contesterons pas que, dans le texte en question, le mot Église prête à deux interprétations. Il faut donc faire intervenir ici la règle de critique qui veut que tout passage obscur soit interprété d'après les autres passages parallèles qui sont plus clairs. Or il ne fait pas de doute que, dans les autres textes où il est question des pouvoirs accordés par Notre-Seigneur à son Église, cette concession ne concerne jamais que le collège apostolique. Il y a donc lieu de présumer le même sens pour le passage de saint Matthieu.
b) Le pouvoir qu'il avait d'abord promis, Jésus le confère, peu de jours avant son Ascension, au collège des Douze, alors devenu le collège des Onze par la défection de Judas : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre, leur déclare-t-il. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé : et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. » (Mat., xviii, 19,20). Ainsi le Christ accorde à ses Apôtres le triple pouvoir: — 1. d'enseigner : « Allez, enseignez toutes les nations » ; — 2. de sanctifier, par les rites institués à cet effet, en particulier, par le baptême ; — 3. de gouverner, puisque les Apôtres devront apprendre au monde à garder ce que Jésus a commandé.
Et qu'on n'objecte pas encore que ce texte n'a aucune valeur sous prétexte que les paroles et les actes du Christ ressuscité ne peuvent être contrôlés par l'historien. Le préjugé rationaliste serait manifeste. Du moment en effet que la Résurrection peut être démontrée comme un fait historique et qu'elle est une réalité dont les Apôtres ont acquis la certitude, il y aurait autant de parti-pris à rejeter les paroles du Christ ressuscité que la résurrection elle-même. Du reste, les paroles du Christ ressuscité sont si bien liées avec les paroles de la promesse, que contester les unes c'est contester les autres, et que nier les unes et les autres c'est rendre inexplicable la conduite des Apôtres qui, après la mort de leur Maître, revendiquèrent le triple pouvoir ci-dessus mentionné.
311. — 2° Argument tiré de l'histoire. — Préliminaires. — 1. Quelle que soit la valeur des textes évangéliques qui nous prouvent que l'Église n'est pas hors de la ligne de l'Évangile, il va de soi que la question de l'institution divine d'une Église hiérarchique est, avant tout, historique. Si l'histoire en effet nous apportait la preuve que la création de l'Église serait postérieure à l'âge apostolique, et aurait été le résultat de circonstances accidentelles, l'on aurait beau invoquer les textes de l'Évangile : nos adversaires seraient certes en droit de les considérer comme des interpolations.
2. Les documents qui servent à l'étude du christianisme naissant sont les Actes des Apôtres260, les Épîtres de saint Paul261, et pour la période sub-apostolique (c'est-à-dire pour les trois générations qui suivent les Apôtres) les écrits des Pères et des écrivains ecclésiastiques.
3. Il est parlé de « charismes » à maintes pages des Actes des Apôtres. Que faut-il entendre par là? Les charismes (grec « charis » et « charisma » grâce, faveur, don) sont des dons surnaturels octroyés par le Saint-Esprit en vue de la propagation du christianisme et pour le bien général de l'Église naissante. Ce sont des manifestations de l'Esprit Saint, parfois même étranges et désordonnées, telles que le don des langues ou glossolalie qui consistait à louer Dieu en langue étrangère et en des accents d'enthousiasme, exalté (Lire à ce sujet : I Cor., xiv). Les charismes auxquels on attachait le plus de prix étaient le don des miracles et le don des prophéties ; mais quelle qu'en fût la nature, ils étaient toujours des signes divins qui avaient pour but de confirmer la première prédication de l'Évangile. — 4. Nous allons exposer, en nous plaçant sur le seul terrain de l'histoire, les deux thèses, rationaliste et catholique, sur les origines de l’Église. La première que nous mettons sous l'étiquette générale de rationaliste, est, en réalité, le point de vue, non seulement des rationalistes, mais de tous les historiens protestants, orthodoxes ou libéraux, et des modernistes. Le meilleur exposé français en a été fait par A. Sabatier (Les Religions d'autorité et la Religion de l'esprit, pp. 47-83, 4e éd.) En voici un résumé, aussi objectif que possible.
260
Les Actes des Apôtres. — D'après une tradition universelle et constante, saint Luc est l'auteur des Actes des Apôtres. La tradition repose : — a) sur un argument extrinsèque (témoignage de saint Irénée, du canon de Muratori, de Tertullien, de Clément d'Alexandrie), et — b) sur un argument tiré de la critique interne. Il résulte en effet de l'analyse de l'ouvrage que l'auteur était médecin et compagnon de saint Paul et que les Actes offrent les mêmes particularités de langue et de composition que le troisième Évangile : tous traits qui s'appliquent à saint Luc.
Comme le livre s'arrête à la première captivité de saint Paul à Rome, il y a tout lieu de croire qu'il a été composé à la lin de la première captivité et certainement avant la mort de saint Paul (67). Les Actes sont donc pour l'historien des origines de l'Eglise un document des plus précieux. L'auteur y rapporte les faits soit en témoin oculaire, soit d'après le récit de témoins oculaires : Paul, Barnabé, Philippe, Marc. La précision et les détails circonstanciés avec lesquels ils sont narrés, repoussent toute hypothèse de légende ou d'amplification tendancieuse. Quant aux discours qui y sont contenus, ils ont été puisés sans doute à des sources écrites : et que semblent indiquer les nombreux archaïsmes qu'on y rencontre. La sincérité de saint Luc n'est, du reste, pas suspectée, et les critiques rationalistes ne rejettent que ce qui contredit leur thèse, c'est-à-dire les miracles et certains discours à cause de leur portée doctrinale.
On devine l'importance des Actes des Apôtres par ce double fait qu'ils contiennent un exposé complet de la première prédication des Apôtres et nous font connaître l'organisation de la primitive Église.
261
Les Epîtres de saint Paul, tant par leur ancienneté que par leur valeur documentaire, sont aussi pour l'apologiste des sources de premier ordre.
D'après la date de composition, les Epîtres de saint Paul peuvent être classées en quatre groupes — a) 1er groupe : Ire et IIe Ep. aux Thessaloniciens (51);— b) 2e groupe: Les grandes Epîtres I et II aux Corinthiens, aux Galates, aux Romains (56, 57) ; — c) 3e groupe : Les Epîtres de la captivité aux Philippiens, aux Éphésiens, aux Colossiens, billet à Philémon (61 -62) ; — d) 4e groupe : Les Pastorales I et II à Timothée, à Tite (62). — L'authenticité des trois premiers groupes n'est guère contestée par les critique» rationalistes.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
312. — A. THÈSE RATIONALISTE. — Les origines de l'Église. — 1. La création d'une Église hiérarchique ne saurait être l'œuvre de Jésus. « Non seulement il n'a pas voulu cette Église, mais il ne pouvait même la prévoir, pour la bonne raison qu'il croyait venir aux derniers jours du monde et que tout ce développement historique du christianisme restait en dehors de son horizon de Messie.» — 2. Comme les Apôtres « attendaient de jour en jour le retour triomphant de leur Maître sur les nuées du ciel», ils vivaient « dans l'exaltation et la fièvre», se regardant comme des étrangers et des voyageurs qui passent sans songer à aucun établissement durable ».— 3. Les premières communautés formées par les disciples du Christ n'eurent donc rien d'une société hiérarchique. « Les dons individuels (charismes) départis par l'Esprit aux divers membres de la communauté répondaient à tous les besoins. C'était l'Esprit agissant dans chaque fidèle qui déterminait ainsi les vocations et attribuait aux uns et aux autres, suivant la faculté ou le zèle de chacun, des ministères et des offices qui paraissaient devoir être provisoires.» — 4. Les premières communautés chrétiennes composées à l'origine de membres égaux entre eux et distingués par la seule variété des dons de l'Esprit» deviennent avec le temps « des corps organisés, de véritables églises qui se développent et prennent d'abord des physionomies différentes, suivant la diversité des milieux géographiques et sociaux. L'assemblée des chrétiens se modèle, en Palestine et au delà du Jourdain, sur la synagogue juive... En Occident, elle semble plutôt reproduire la forme des collèges ou associations païennes, si nombreuses à cette époque dans les villes grecques. Cependant « les associations chrétiennes dispersées dans l'empire entretiennent entre elles des relations fréquentes… Il est donc naturel qu’elles aient eu dès le principe, la conscience très vive de leur unité spirituelle et qu’au dessus des Église particulières et locales ait apparu, précisément dans les lettres de l’apôtre aux païens, l’idée de l’Église de Dieu, ou du Christ une et universelle... L’unité idéale de l'Église tendra à devenir une réalité visible, par l'unité de gouvernement, de culte et de discipline». — 5. Pour créer cette unité, deux conditions nécessaires manquent encore. Il faut d'abord que la chrétienté apostolique trouve un centre fixe autour duquel les églises particulières puissent se grouper. Ensuite il faut qu'elles arrivent à tirer d'elles-mêmes une règle dogmatique et un principe d'autorité qui leur permette de vaincre toutes les hérésies et toutes les résistances». Or ces deux conditions se réalisèrent de la façon suivante. Après la destruction de Jérusalem en l'an 70, « la chrétienté gréco-romaine cherchait un centre nouveau autour duquel elle se pût grouper, elle ne devait pas hésiter bien longtemps.
Les grandes Églises d'Antioche, d'Éphèse, d'Alexandrie se faisaient équilibre et n'avaient d'autorité que sur les communautés de leur région. Seule une ville s'élevait au-dessus de toutes les autres et avait une importance universelle. Rome restait toujours la ville éternelle et sacrée... La capitale de l'empire était marquée à l'avance pour devenir la capitale de la chrétienté. » Voilà pour la première condition : le centre fixe, principe de l'unité hiérarchique, est trouvé. — 6. Les sectes nombreuses, entre autres, les grandes hérésies du gnosticisme, d'une part, et du montanisme, d'autre part, qui éclatent la première vers l'an 130 et la seconde, vers l'an 160, vont fournir l'occasion de remplir la seconde condition. L'on chercha et l'on découvrit « le moyen d'opposer à toutes les objections un déclinatoire, une sorte de question préalable qui faisait mieux que de réfuter l'hérésie, qui l'exécutait avant même qu'elle eût ouvert la bouche. Ce moyen, ce fut une confession de foi apostolique, un symbole populaire et universel, qui, devenant loi de l'Église, excluait de son sein, sans disputes, tous ceux qui se refusaient à le redire. Ce fut « la règle de foi », le Symbole dit des Apôtres qui vit le jour sous sa première forme, dans l'Église de Rome, entre les années 150 et 160.» A partir de là seulement, le catholicisme avec son gouvernement épiscopal et sa règle de foi extérieure est fondé.
En résumé, le christianisme aurait été d'abord « religion de l'esprit» n'ayant d'autre règle de foi que les charismes, c'est-à-dire les inspirations individuelles de l'Esprit Saint. Il n'aurait possédé, au début de son existence, ni hiérarchie, ni unité sociale et visible. Il n'aurait été indépendant ni des synagogues juives ni des associations païennes. Il ne serait devenu une religion d'autorité, il n'aurait eu sa hiérarchie que cent vingt ou cent cinquante ans après Jésus-Christ, à la fin du IIe siècle, au temps "de saint Irénée et du pape saint Victor. Entre la mort de Jésus et la constitution catholique de l'Église, l'histoire découvrirait donc une période intermédiaire où aucune organisation n'existait : période qu'on pourrait dénommer l'âge précatholique du christianisme. Il résulte de là que l'Église catholique ne saurait être d'institution divine. Sa naissance, son développement et les péripéties de son histoire, tout s'expliquerait par un concours de circonstances humaines. « Ce n'est qu'après que l'Église fut constituée en oracle infaillible... que l'on songea à justifier en théorie ce qui avait triomphé dans les faits. Le dogme ne consacre jamais que ce qui est déjà, depuis un siècle ou deux, passé en pratique.»262
313. — B. THÈSE CATHOLIQUE. — Nota. — Avant toute discussion de la thèse rationaliste, il convient de remarquer, pour qu'il n'y ait pas de malentendu, que les historiens catholiques ne prétendent nullement que l'on retrouve, à l'origine du christianisme, une Église tout organisée comme elle le sera par la suite. Requérir une pareille chose, ce serait vouloir que la semence jetée en terre devienne aussitôt un épi de blé avant de passer par les différentes phases de la germination. Les rationalistes concèdent qu'au début du IIIe siècle, et même à la fin du second, l'Église possède une hiérarchie avec un centre d'unité et un symbole de foi. Notre enquête peut donc s'arrêter là. Il nous suffit dès lors de montrer que l'épi dont les historiens rationalistes constatent l'éclosion à la fin du second siècle, est le développement normal d'une semence confiée à la terre à l'origine du christianisme. Et, pour parler sans figures, nous prouverons qu'il n'y a pas eu d'âge précatholique, que les organes essentiels du christianisme postérieur, étaient précontenus dans le christianisme primitif, dès l'âge apostolique. Auparavant, nous allons reprendre, point par point, les divers articles du système rationaliste.
262
Sabatier, Les religions d'autorité et la religion de l'esprit.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
314. — a) Réfutation de la thèse rationaliste. — 1. Au point de départ, nos adversaires posent en principe que Jésus n'a pas pu songer à fonder une église, parce que la pensée de toute fondation durable était en dehors de son horizon messianique. C'est là un préjugé que nous avons réfuté précédemment (N° 307). Nous n'y reviendrons pas.
2. Est-il vrai, comme on l'affirme bien légèrement, que les Apôtres trompés par la prédication de Jésus et attendant la venue prochaine du royaume eschatologique, ne purent songer, pas plus que leur Maître, à une institution durable? S'il en était ainsi, si les Apôtres et les premiers chrétiens avaient été vraiment convaincus que le Christ leur avait annoncé l'imminence du royaume final, si tel était le dogme essentiel de leur foi, comment expliquer que cette première communauté ne se soit pas dissoute, dès que les faits lui démontrèrent que Jésus avait enseigné une erreur ? La chose paraît si évidente que des historiens libéraux, tels que Harnack, reconnaissent que l'Évangile était plus que cela, qu'il était quelque chose de nouveau, à savoir « la création d'une religion universelle fondée sur celle de l'Ancien Testament ».
3. Dire que les charismes ont fourni les premiers éléments d'organisation, est une hypothèse aussi dénuée de fondement. N'est-il pas évident, — et le fait n'est-il pas d'expérience quotidienne? — que l'inspiration individuelle n'aboutit jamais qu'à l'anarchie? Renan lui-même n'hésite pas à l'avouer. « La libre prophétie, écrit-il dans Marc Aurèle, les charismes, la glossolalie, l'inspiration individuelle, c'était plus qu'il n'en fallait pour tout ramener aux proportions d'une chapelle éphémère, comme on en voit tant en Amérique et en Angleterre. »
4. Il n'est pas plus juste de prétendre que les premières communautés chrétiennes n'eurent aucune autonomie et qu'elles n'étaient guère distinctes des synagogues ou des associations païennes. Sans doute, sur certains points secondaires, des concessions furent faites d'un côté comme de l'autre : c'est ainsi que les communautés composées exclusivement de Juifs convertis, « les judaïsants » furent autorisés à garder la pratique de la circoncision, tandis que les païens étaient admis au baptême sans passer par le judaïsme. Il fallait bien ménager les transitions. Mais ce qui n'en est pas moins vrai, c'est que le christianisme apparaît dès les premiers jours, comme une religion distincte, en dehors de la hiérarchie mosaïque, puisque les Apôtres se reconnaissent une mission religieuse, universelle, qu'ils ne tiennent pas des chefs du judaïsme. L'idée de l'Église une et universelle n'est donc pas une idée spéciale à saint Paul, encore qu'elle occupe une grande place dans son enseignement. Elle vient de ce fait que les Apôtres sont tous disciples du même Maître et prêchent la même foi, et si les différentes Églises du monde entier arrivent à ne former qu'une seule Église, c'est qu'elles procèdent toutes, par filiation, d'une même communauté primitive, de l'Église-mère de Jérusalem.
5. Il est faux de dire que la ruine de Jérusalem a déplacé le centre de gravité de la chrétienté, car déjà au temps des missions de saint Paul, bien avant par conséquent l'année 70, les communautés de la gentilité avaient répudié le judéo-christianisme263 et n'avaient plus d'attache à la capitale de la Judée. Que Rome soit devenue alors la capitale de la chrétienté parce qu'elle était la capitale de l'Empire gréco-romain, c'est tout à fait vraisemblable. « Cette coopération de Rome, dit Mgr Batiffol, au rôle de la Cathedra Pétri, nous aurions mauvaise grâce à la contester ; nous faisons nos réserves sur les termes politiques dont on se sert pour la décrire, comme aussi sur la tendance à transformer en cause génératrice ce qui n'est qu'une circonstance. »264
6. Quant à l'influence attribuée au Symbole des Apôtres pour créer l'unité de foi de l'Église et pour réagir contre les hérésies naissantes, rien n'est plus contestable. Il n'est pas probable en effet que le texte romain qui était la profession de foi baptismale commune à Rome et aux églises de Gaule et d'Afrique, au temps de saint Irénée et même avant, fût imposé aux églises de la chrétienté grecque. Il y a tout lieu de croire même que celles-ci n'ont possédé aucun formulaire commun de leur foi avant le concile de Nicée (325). L'on ne peut donc soutenir que ce fut le symbole romain qui fut cause d'unité.
Les rationalistes supposent que le Symbole des Apôtres aurait été rédigé à l'occasion des hérésies naissantes, en particulier du gnosticisme et du montanisme. Or il n'y a dans cette formule de foi aucune préoccupation antignostique, et les articles s'en retrouvent équivalemment dans des écrits antérieurs à l'hérésie gnostique, par exemple chez les apologistes comme saint Justin (vers 150), Aristide (vers 140) et saint Ignace (vers 110) ; on peut même dire que, tout au moins dans leur substance, ils font partie déjà de la littérature chrétienne de l'âge apostolique. A plus forte raison, le Symbole romain est-il indépendant du montanisme qui est une hérésie plus tardive et qui ne pénétra guère dans le monde chrétien d'Occident avant 180 : date à laquelle la formule du Symbole était déjà rédigée, de l'avis de nos adversaires.
2. Est-il vrai, comme on l'affirme bien légèrement, que les Apôtres trompés par la prédication de Jésus et attendant la venue prochaine du royaume eschatologique, ne purent songer, pas plus que leur Maître, à une institution durable? S'il en était ainsi, si les Apôtres et les premiers chrétiens avaient été vraiment convaincus que le Christ leur avait annoncé l'imminence du royaume final, si tel était le dogme essentiel de leur foi, comment expliquer que cette première communauté ne se soit pas dissoute, dès que les faits lui démontrèrent que Jésus avait enseigné une erreur ? La chose paraît si évidente que des historiens libéraux, tels que Harnack, reconnaissent que l'Évangile était plus que cela, qu'il était quelque chose de nouveau, à savoir « la création d'une religion universelle fondée sur celle de l'Ancien Testament ».
3. Dire que les charismes ont fourni les premiers éléments d'organisation, est une hypothèse aussi dénuée de fondement. N'est-il pas évident, — et le fait n'est-il pas d'expérience quotidienne? — que l'inspiration individuelle n'aboutit jamais qu'à l'anarchie? Renan lui-même n'hésite pas à l'avouer. « La libre prophétie, écrit-il dans Marc Aurèle, les charismes, la glossolalie, l'inspiration individuelle, c'était plus qu'il n'en fallait pour tout ramener aux proportions d'une chapelle éphémère, comme on en voit tant en Amérique et en Angleterre. »
4. Il n'est pas plus juste de prétendre que les premières communautés chrétiennes n'eurent aucune autonomie et qu'elles n'étaient guère distinctes des synagogues ou des associations païennes. Sans doute, sur certains points secondaires, des concessions furent faites d'un côté comme de l'autre : c'est ainsi que les communautés composées exclusivement de Juifs convertis, « les judaïsants » furent autorisés à garder la pratique de la circoncision, tandis que les païens étaient admis au baptême sans passer par le judaïsme. Il fallait bien ménager les transitions. Mais ce qui n'en est pas moins vrai, c'est que le christianisme apparaît dès les premiers jours, comme une religion distincte, en dehors de la hiérarchie mosaïque, puisque les Apôtres se reconnaissent une mission religieuse, universelle, qu'ils ne tiennent pas des chefs du judaïsme. L'idée de l'Église une et universelle n'est donc pas une idée spéciale à saint Paul, encore qu'elle occupe une grande place dans son enseignement. Elle vient de ce fait que les Apôtres sont tous disciples du même Maître et prêchent la même foi, et si les différentes Églises du monde entier arrivent à ne former qu'une seule Église, c'est qu'elles procèdent toutes, par filiation, d'une même communauté primitive, de l'Église-mère de Jérusalem.
5. Il est faux de dire que la ruine de Jérusalem a déplacé le centre de gravité de la chrétienté, car déjà au temps des missions de saint Paul, bien avant par conséquent l'année 70, les communautés de la gentilité avaient répudié le judéo-christianisme263 et n'avaient plus d'attache à la capitale de la Judée. Que Rome soit devenue alors la capitale de la chrétienté parce qu'elle était la capitale de l'Empire gréco-romain, c'est tout à fait vraisemblable. « Cette coopération de Rome, dit Mgr Batiffol, au rôle de la Cathedra Pétri, nous aurions mauvaise grâce à la contester ; nous faisons nos réserves sur les termes politiques dont on se sert pour la décrire, comme aussi sur la tendance à transformer en cause génératrice ce qui n'est qu'une circonstance. »264
6. Quant à l'influence attribuée au Symbole des Apôtres pour créer l'unité de foi de l'Église et pour réagir contre les hérésies naissantes, rien n'est plus contestable. Il n'est pas probable en effet que le texte romain qui était la profession de foi baptismale commune à Rome et aux églises de Gaule et d'Afrique, au temps de saint Irénée et même avant, fût imposé aux églises de la chrétienté grecque. Il y a tout lieu de croire même que celles-ci n'ont possédé aucun formulaire commun de leur foi avant le concile de Nicée (325). L'on ne peut donc soutenir que ce fut le symbole romain qui fut cause d'unité.
Les rationalistes supposent que le Symbole des Apôtres aurait été rédigé à l'occasion des hérésies naissantes, en particulier du gnosticisme et du montanisme. Or il n'y a dans cette formule de foi aucune préoccupation antignostique, et les articles s'en retrouvent équivalemment dans des écrits antérieurs à l'hérésie gnostique, par exemple chez les apologistes comme saint Justin (vers 150), Aristide (vers 140) et saint Ignace (vers 110) ; on peut même dire que, tout au moins dans leur substance, ils font partie déjà de la littérature chrétienne de l'âge apostolique. A plus forte raison, le Symbole romain est-il indépendant du montanisme qui est une hérésie plus tardive et qui ne pénétra guère dans le monde chrétien d'Occident avant 180 : date à laquelle la formule du Symbole était déjà rédigée, de l'avis de nos adversaires.
263
Le judéo-christianisme est la doctrine professée dans les premiers temps du christianisme par la secte dite des « judaïsants » et qui prétendait que la loi mosaïque (et en particulier la circoncision) n'était pas abrogée, qu'on ne pouvait pas par conséquent entrer dans l'Eglise de Jésus-Christ sans passer par le judaïsme. Cette doctrine qui n'avait été appliquée ni par saint Pierre ni par saint Paul, fut définitivement condamnée par le Concile de Jérusalem (vers 50), où sur la proposition de saint Pierre et de saint Jacques, il fut décidé que le rite de la circoncision ne devait pas être imposé aux païens qui se convertissaient au christianisme. A dater de là, le judéo-christianisme devint une hérésie.
264
P. Batiffol, L'Eglise naissante et le catholicisme.
Re: Pour bien défendre sa foi devant les dénigreurs
315. — b) Preuves de la thèse catholique. — D'après les historiens catholiques, la hiérarchie de l'Église remonte à l'origine du christianisme. Comme nous en avons fait déjà la remarque (N° 313) il n'est pas douteux que l'Église ait connu le progrès dans les formes extérieures de son organisation, mais ce que nous affirmons, et ce qui est d'ailleurs le seul point en litige, c'est que l'évolution s'est faite normalement.
Les protestants et les modernistes admettent que, du temps de saint Irénée, du pape saint Victor et de la controverse pascale, l'Église possède une autorité enseignante et gouvernante, qu'elle est hiérarchique. Il nous sera facile de montrer qu'elle l'était bien avant, qu'elle le fut toujours et qu'il n'y a pas eu d'âge précatholique. Sans doute les documents sur lesquels s'appuie la thèse catholique, ne sont pas nombreux, mais ils sont d'un caractère décisif. Voici les principaux, énumérés dans l'ordre régressif. — 1. Témoignage de saint Irénée. A la rigueur, le témoignage de saint Irénée ne devrait pas être invoqué, puisque les rationalistes conviennent que, à cette date, l'Église hiérarchique était née. Si nous nous en servons, c'est qu'il est du plus haut intérêt et qu'il nous fait remonter beaucoup plus loin. Argumentant contre les hérétiques, saint Irénée présente le caractère hiérarchique de l'Église comme un fait notoire et incontesté, comme une fondation du Christ et des Apôtres. Or comment aurait-il pu revendiquer pour l'Église chrétienne une origine apostolique, si ses adversaires avaient été en état de lui apporter les preuves que la hiérarchie était de fondation récente ?
2. Témoignage de saint Polycarpe. De saint Irénée passons à la génération précédente. Nous trouvons le témoignage de saint Polycarpe qui, au milieu du second siècle, représente les pasteurs comme les chefs de la hiérarchie et les gardiens de la foi265.
3. Témoignages de saint Ignace d'Antioche (mort vers 110) et de saint Clément de Rome (mort 100). Avec ces deux témoignages nous arrivons au début du IIe siècle et à la fin du Ier. Dans son Épître aux Romains, saint Ignace parle de l'Église de Rome comme du centre de la chrétienté : « Vous (Église de Rome), écrit-il, vous avez enseigné les autres. Et moi je veux que demeurent fermes les choses que vous prescrivez par votre enseignement » (Rom., iv, 1). Vers l'an 96, Clément de Rome, disciple immédiat de saint Pierre et de saint Paul, écrit une lettre aux Corinthiens où il donne de l'Église une notion équivalente à celle de saint Irénée, présentant la hiérarchie comme la gardienne de la Tradition, et l'Église de Rome comme la présidente universelle de toutes les Églises locales.
4. Ainsi, de génération en génération, nous parvenons à l'âge apostolique. Nous avons ici, pour nous renseigner, les Actes des Apôtres. Les témoignages en sont clairs et précis : ils nous montrent avec évidence l'existence d'une société avec sa hiérarchie visible, sa règle de foi et son culte : — 1) sa hiérarchie visible. Dès la première heure du christianisme, les Apôtres jouent le double rôle de chefs et de prédicateurs. Ils choisissent Mathias pour remplacer Judas (Act, i, 12, 26).Le jour de la Pentecôte, saint Pierre commence ses prédications et fait de nombreux convertis (Act., ii, 37). Les Apôtres instituent bientôt des diacres à qui ils délèguent une partie de leurs pouvoirs (Act., vi, 1,6); — 2) sa règle de foi. Incontestablement, parmi les premiers chrétiens, il y en eut qui furent favorisés des dons de l'Esprit Saint ou charismes, mais n'exagérons rien, et ne croyons pas pour autant que les premières communautés n'étaient que des groupes mystiques de Juifs pieux qui auraient reçu tous leurs dogmes des inspirations de l'Esprit Saint. Les charismes étaient des motifs de crédibilité qui poussaient les âmes à la foi ou entretenaient en elles la ferveur religieuse. Mais, loin d'être une règle de foi, ils restaient subordonnés au magistère des Apôtres et à la foi reçue. La preuve évidente en est que saint Paul en réglemente l'usage dans les assemblées (I Cor., xiv, 26) et n'hésite pas à déclarer qu'aucune autorité ne saurait prévaloir contre l'Évangile qu'il a enseigné (I Cor., xv, 1). Le christianisme primitif a donc sa règle de foi, et celle-ci lui vient des Apôtres. Sans doute elle n'est pas compliquée et tient en quelques points. Le thème général des prédications apostoliques, c'est que Jésus a réalisé l'espérance messianique, qu'il est le Seigneur à qui sont dus les honneurs divins et en qui seul est le salut (Act., iv, 12). C'est là une doctrine élémentaire, quoique susceptible de riches développements, que les apôtres imposent à tous les membres de la communauté chrétienne. Rien n'est laissé à l'inspiration individuelle. Que s'il surgit au sein de la jeune Église des sujets de controverse, le cas est déféré aux Apôtres comme à une autorité incontestée, à laquelle seule il appartient de trancher le point en litige ; — 3) son culte. La lecture des Actes des Apôtres nous témoigne abondamment que la société chrétienne possède et pratique des rites spécifiquement distincts de ceux du judaïsme: le baptême, l'imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit, et la fraction du pain.
Conclusion. — De cette longue discussion, il résulte bien que l'Église chrétienne est, au début de son existence, une société hiérarchisée, entendue au sens de la doctrine catholique (N° 300). Ce que les rationalistes appellent l'âge précatholique est un mythe. Mais si les Apôtres, aussitôt après l'Ascension de leur Maître, parlent et agissent en chefs, c'est qu'ils s'en croient le droit et les pouvoirs. Et s'ils se croient en possession de tels pouvoirs, c'est, selon toute vraisemblance, qu'ils les ont reçus de Jésus-Christ. Par conséquent, les textes de l’Évangile concordent avec les faits de l'histoire, et l'on ne voit plus, dès lors, de quel droit nos adversaires peuvent prétendre qu'ils ont été interpolés. C'est donc à juste titre que nous avons appuyé notre thèse sur un double argument, sur l'Évangile et sur l'histoire.
Les protestants et les modernistes admettent que, du temps de saint Irénée, du pape saint Victor et de la controverse pascale, l'Église possède une autorité enseignante et gouvernante, qu'elle est hiérarchique. Il nous sera facile de montrer qu'elle l'était bien avant, qu'elle le fut toujours et qu'il n'y a pas eu d'âge précatholique. Sans doute les documents sur lesquels s'appuie la thèse catholique, ne sont pas nombreux, mais ils sont d'un caractère décisif. Voici les principaux, énumérés dans l'ordre régressif. — 1. Témoignage de saint Irénée. A la rigueur, le témoignage de saint Irénée ne devrait pas être invoqué, puisque les rationalistes conviennent que, à cette date, l'Église hiérarchique était née. Si nous nous en servons, c'est qu'il est du plus haut intérêt et qu'il nous fait remonter beaucoup plus loin. Argumentant contre les hérétiques, saint Irénée présente le caractère hiérarchique de l'Église comme un fait notoire et incontesté, comme une fondation du Christ et des Apôtres. Or comment aurait-il pu revendiquer pour l'Église chrétienne une origine apostolique, si ses adversaires avaient été en état de lui apporter les preuves que la hiérarchie était de fondation récente ?
2. Témoignage de saint Polycarpe. De saint Irénée passons à la génération précédente. Nous trouvons le témoignage de saint Polycarpe qui, au milieu du second siècle, représente les pasteurs comme les chefs de la hiérarchie et les gardiens de la foi265.
3. Témoignages de saint Ignace d'Antioche (mort vers 110) et de saint Clément de Rome (mort 100). Avec ces deux témoignages nous arrivons au début du IIe siècle et à la fin du Ier. Dans son Épître aux Romains, saint Ignace parle de l'Église de Rome comme du centre de la chrétienté : « Vous (Église de Rome), écrit-il, vous avez enseigné les autres. Et moi je veux que demeurent fermes les choses que vous prescrivez par votre enseignement » (Rom., iv, 1). Vers l'an 96, Clément de Rome, disciple immédiat de saint Pierre et de saint Paul, écrit une lettre aux Corinthiens où il donne de l'Église une notion équivalente à celle de saint Irénée, présentant la hiérarchie comme la gardienne de la Tradition, et l'Église de Rome comme la présidente universelle de toutes les Églises locales.
4. Ainsi, de génération en génération, nous parvenons à l'âge apostolique. Nous avons ici, pour nous renseigner, les Actes des Apôtres. Les témoignages en sont clairs et précis : ils nous montrent avec évidence l'existence d'une société avec sa hiérarchie visible, sa règle de foi et son culte : — 1) sa hiérarchie visible. Dès la première heure du christianisme, les Apôtres jouent le double rôle de chefs et de prédicateurs. Ils choisissent Mathias pour remplacer Judas (Act, i, 12, 26).Le jour de la Pentecôte, saint Pierre commence ses prédications et fait de nombreux convertis (Act., ii, 37). Les Apôtres instituent bientôt des diacres à qui ils délèguent une partie de leurs pouvoirs (Act., vi, 1,6); — 2) sa règle de foi. Incontestablement, parmi les premiers chrétiens, il y en eut qui furent favorisés des dons de l'Esprit Saint ou charismes, mais n'exagérons rien, et ne croyons pas pour autant que les premières communautés n'étaient que des groupes mystiques de Juifs pieux qui auraient reçu tous leurs dogmes des inspirations de l'Esprit Saint. Les charismes étaient des motifs de crédibilité qui poussaient les âmes à la foi ou entretenaient en elles la ferveur religieuse. Mais, loin d'être une règle de foi, ils restaient subordonnés au magistère des Apôtres et à la foi reçue. La preuve évidente en est que saint Paul en réglemente l'usage dans les assemblées (I Cor., xiv, 26) et n'hésite pas à déclarer qu'aucune autorité ne saurait prévaloir contre l'Évangile qu'il a enseigné (I Cor., xv, 1). Le christianisme primitif a donc sa règle de foi, et celle-ci lui vient des Apôtres. Sans doute elle n'est pas compliquée et tient en quelques points. Le thème général des prédications apostoliques, c'est que Jésus a réalisé l'espérance messianique, qu'il est le Seigneur à qui sont dus les honneurs divins et en qui seul est le salut (Act., iv, 12). C'est là une doctrine élémentaire, quoique susceptible de riches développements, que les apôtres imposent à tous les membres de la communauté chrétienne. Rien n'est laissé à l'inspiration individuelle. Que s'il surgit au sein de la jeune Église des sujets de controverse, le cas est déféré aux Apôtres comme à une autorité incontestée, à laquelle seule il appartient de trancher le point en litige ; — 3) son culte. La lecture des Actes des Apôtres nous témoigne abondamment que la société chrétienne possède et pratique des rites spécifiquement distincts de ceux du judaïsme: le baptême, l'imposition des mains pour conférer le Saint-Esprit, et la fraction du pain.
Conclusion. — De cette longue discussion, il résulte bien que l'Église chrétienne est, au début de son existence, une société hiérarchisée, entendue au sens de la doctrine catholique (N° 300). Ce que les rationalistes appellent l'âge précatholique est un mythe. Mais si les Apôtres, aussitôt après l'Ascension de leur Maître, parlent et agissent en chefs, c'est qu'ils s'en croient le droit et les pouvoirs. Et s'ils se croient en possession de tels pouvoirs, c'est, selon toute vraisemblance, qu'ils les ont reçus de Jésus-Christ. Par conséquent, les textes de l’Évangile concordent avec les faits de l'histoire, et l'on ne voit plus, dès lors, de quel droit nos adversaires peuvent prétendre qu'ils ont été interpolés. C'est donc à juste titre que nous avons appuyé notre thèse sur un double argument, sur l'Évangile et sur l'histoire.
265
Parmi les témoignages du second siècle nous pourrions encore citer ceux: — 1. d'Hégésippe qui montre les Eglises gouvernées par les Evêques successeurs des Apôtres ; — 2. de Denys de Corinthe qui, dans sa lettre à l'Église romaine, écrit que Corinthe garde fidèlement les admonitions qu'elle a reçues autrefois du pape Clément ; — 3. d'Abercius Dans cette inscription célèbre de la fin du IIe siècle, Abercius, peut-être évêque d'Hiéropolis raconte que dans ses voyages à travers les Églises chrétiennes, il a trouvé partout même foi, même Écriture, même Eucharistie.
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