L’ANNÉE MARIALE

Destinez ce mois, auquel commence l’année ecclésiastique, à honorer le premier et incomparable privilège de la Vierge, choisie et préparée dès l’éternité pour être, dans le temps, la très digne Mère de Dieu.

Nous n’avons point remarqué, en toutes nos premières Mères, une dévotion plus tendre, plus active ni plus intime que celle du saint temps de l’Avent. Elles le nommaient le printemps de la vie spirituelle, et nous disaient que c’était le vrai temps de sortir aux champs avec la sainte Épouse du Cantique, pour préparer les jardins intérieurs desquels nous avions déjà commencé à tourner et travailler la terre par nos solitudes, afin qu’ils fussent mieux disposés à recevoir la rosée d’en haut, la sainte semence de la parole divine, et afin de voir naître la Fleur des champs et le Lis des vallées.

Notre vénérable Mère et Fondatrice Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, le premier jour de l’Avent de l’année 1610, supplia par lettre notre saint Fondateur de lui donner, et à sa petite troupe commençant notre Institut, quelques pratiques spirituelles pour passer saintement ce temps consacré par l’Église. Voici la réponse qu’elle reçut et que nous avons copiée sur la propre écriture du Saint :

« Vous voulez, ma très chère fille, quelques bonnes pensées qui aident à nos Sœurs à passer l’Avent avec autant de dévotion qu’elles en ont le désir. Que vous dirai-je, ma fille, sinon que la sainte Église romaine, notre Mère, conduit aujourd’hui ses enfants à Sainte-Marie-Majeure pour y faire les stations et y commencer les Avents. Faisons-en de même, ma très chère fille ; entrons en esprit dans l’intention de la sainte Église, et, dans cette même unité, retirons-nous auprès de la Sainte Vierge, notre Mère et Maîtresse. Nous verrons dans ce mois trois objets, non seulement capables d’occuper nos âmes, mais qui doivent ravir nos cœurs en la très sainte dilection. Le premier, c’est Marie conçue sans péché ; le second, saint Jean, l’enfant de la grâce, criant au désert pour faire aplanir les chemins à l’Époux qui doit arriver ; le troisième, ce même Époux et Sauveur arrivant par sa sainte naissance qui nous fait chanter joyeusement à Noël l’Emmanuel, ou Dieu avec nous. Voilà assez de quoi méditer, ma fille, jusqu’à ce que je vous voie avec la chère petite troupe, que Dieu veuille bénir. »

Suppliez aujourd’hui très-humblement la Sainte Vierge qu’elle vous donne elle-même l’intelligence du huitième verset du Benedictus. Ô Sainte Vierge, il me semble déjà que vous instruisez mon cœur ; vous lui dites que ce seul verset contient les quatre points les plus essentiels de notre Maison de la Visitation ; que la délivrance de notre servitude par Notre-Seigneur et notre liberté ne doivent être employées qu’à servir notre Libérateur en justice, en sainteté et en persévérance tous les jours de notre vie. Ô divine Marie, assujettissez nos âmes à la grâce de votre Fils, et que toute notre liberté ne soit jamais qu’un perpétuel assujettissement à sa présence, en justice et en sainteté.

La Sainte Vierge a sans doute tant aimé les deux princes des Apôtres saint Pierre et saint Paul, dont l’Église solennise aujourd’hui la fête, qu’elle agréera bien que nous la saluons en ce jour comme Reine des Apôtres et Régente particulière de saint Pierre, lieutenant de son adorable Fils en la conduite de la sainte Église. Il est à croire que les prières de cette Reine obtinrent la conversion de ce chef des Apôtres après son péché et qu’elle eut un soin particulier d’adoucir l’amertume de son cœur après qu’il eut renié son Maître. C’était la pensée de notre saint Fondateur, qu’après la mort de Jésus, Marie fut l’asile de Pierre, affligé de son péché et de l’absence de son Sauveur. Ô Vierge Sainte ! soyez notre asile en nos peines, en nos doutes, en nos prières, en nos travaux, en notre vie et en notre mort !...

Finissez aujourd’hui le mois de juin par la fin du second cantique de la Visitation ; remerciez très-humblement l’affection miséricordieuse de notre Dieu, qui a fait la Visitation par son Orient d’en haut, par son Fils Jésus-Christ, ainsi appelé par les Prophètes, parce que cette lumière orientale, qui est maintenant cachée, [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], dans les prisons et dans les ombres de la mort, pour leur donner une vraie vie. Ô ma sainte Maîtresse, glorieuse Vierge Marie, il me semble que ce grand-prêtre, votre cousin, dans son cantique si profond et si caché, dit ce que vous lui avez appris. Il n’ose parler de vos propres secrets, il n’ose l’adresser directement qu’à saint Jean ; mais il déclare pourtant, avec un profond respect, que son fils Jean ne sera que l’avant-courrier et le préparateur des chemins de votre Fils Jésus. Ah ! si ce mois était plus grand, que nous aurions encore de merveilles à découvrir dans cette sainte première Maison de la Visitation ; mais j’espère de vos bontés, ô Jésus, Marie, Joseph ! que tous les jours vous me ferez la miséricorde de renouveler en moi votre sainte Visitation.

Destinez ce mois à honorer la Sainte Vierge visitante et en conversation.

Employez-vous aujourd’hui à considérer que la très-sainte Vierge a fait sa première Visitation ès montagnes de Judée dans la cathédrale d’Hébron, première suffragante de la patriarcale de Jérusalem. Il y aurait bien à méditer pour une âme dévote sur ces circonstances. Hébron appartenait au bon Roi David, homme selon le Cœur de Dieu et aïeul de saint Joseph, époux de la Sainte Vierge Marie. Cette Vierge toute pure était en route pour aller chez sa cousine sainte Élisabeth, petite-fille d’[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], grand-prêtre du Seigneur et frère de Moïse ; et cette bonne dame sainte Élisabeth était épouse d’un prêtre du Seigneur, par où nous voyons que, dès l’origine, la Visitation reconnaît pour pères et pour conducteurs les grands-prêtres, qu’elle appartient au sacerdoce et à sa hiérarchise.

Le saint jour de la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] doit être tout employé à demander à la Sainte Vierge son esprit visitant, unissant, bénissant, humiliant, persévérant et sanctifiant. Ce sont les six feuilles de ce lis incomparable que nous devons aujourd’hui cueillir dans cette maison de la Visitation, cachée entre les montagnes de Juda. Ah ! que c’est un grand point d’y être conduite, comme Marie, par le mouvement du Verbe, d’y chercher la solitude des montagnes, l’humilité du service et de la peine, la solitude, les divines louanges et la pure gloire de Dieu !

Voyez aujourd’hui, étant prosternée aux pieds de la Sainte Vierge, que la Visitation qu’elle a établie ès montagnes de Juda chez sa cousine a été une maison de silence. Six personnes composaient cette fondation et première Communauté : Zacharie, par ordre du ciel, était muet ; saint Joseph ne disait pas une parole, tant il était ravi dans le mystère ; le Verbe était muet dans le sein de sa Mère, de même que saint Jean. Quoiqu’il fût la voix du Seigneur destinée à faire retentir les déserts, à prêcher ès grands chemins et sur les bords des fleuves, à instruire les soldats et à corriger les rois, il ne dit pas mot en ce mystère. J’apprends par là, Sainte Vierge, que le silence est uniquement convenable à votre Visitation et comme une loi essentielle, puisque les deux seules maîtresses des deux seules familles visitantes et visitées parlent aujourd’hui et seulement en faveur du mystère, pour la seule gloire de Dieu et la Rédemption du monde.

Considérez aujourd’hui que la maison de la Visitation est une maison d’admiration et de joie. C’est la vérité de l’histoire décrite en l’Évangile et l’opinion constante de toute la sainte Église que saint Jean adora le Sauveur dans le sein de sa Mère. « Oh ! d’où me vient ce bonheur, dit la bonne sainte Élisabeth, que la Mère de mon Sauveur vienne à moi ? L’enfant qui est dans mon sein a tressailli de joie et de respect. » La Sainte Vierge comprenait bien ce langage, car elle-même avait dit qu’elle avait bien ouï et bien reconnu la voix de son Bien-Aimé, et qu’à cette voix tout son intérieur avait tressailli et s’était ému d’une sainte allégresse. Si j’étais attentive à écouter la voix de Dieu qui parle en moi, comme dit David, de paix et de salut, mon âme serait liquéfiée d’une sainte joie et non point desséchée, comme je suis souvent, dans les amertumes de cette pauvre vie.

Pensez aujourd’hui que la Maison de la Visitation est une Maison de grâces et de sanctification. Le nom du saint enfant de Zacharie et d’Élisabeth fut prononcé par l’Ange avant sa conception, et même combattu par son père, parce que personne n’avait ce nom dans la parenté. Jean veut dire grâce. Or, la divine conduite voulant faire une grâce de privilège à son précurseur, le nettoyer dès le sein de sa mère, du péché originel, le sanctifier et lui avancer l’usage de la raison, il était bien juste que cet enfant de grâce fût nommé la grâce même. Ô Arche du Dieu vivant ! que vous apportez de bénédictions en votre Visitation ! Je vous demande une petite part de cette grâce sanctifiante, qui me lave de tant et de tant de péchés, desquels je suis souillée, et me délivre des malheureuses ombres de la mort. L’idole du péché est brisée en la présence de cette Arche de Dieu dans la sanctification de saint Jean.

Faites bien concevoir aujourd’hui à votre cœur que la Maison de la Visitation est une maison d’oraison et de communication. Le Verbe, caché dans le sein de Marie comme dans cette nuée du jour de laquelle parle un Prophète, se communique par un trait d’amour et de toute-puissance à son précurseur, encore enveloppé dans les entrailles maternelles. Jean adore Jésus (Jésus s’étant fait connaître à Jean), le prie, le remercie de sa sanctification. Ces deux prisonniers d’amour et de grâce ont ensemble des communications ineffables et inconcevables à tout autre qu’à leurs propres intelligences, à celles de leurs saintes Mères et des âmes à qui il leur plaît de se communiquer. Ô Marie, Mère de l’Homme-Dieu, obtenez-moi que votre Fils, le Verbe de Dieu, agisse en moi et dans le centre de mon intérieur au-dessus de toute ma propre intelligence !

Considérez attentivement aujourd’hui que la maison de Zacharie, c’est-à-dire la maison de la Visitation, était le champ où était enfermé le trésor du ciel et de la terre, tout ce qu’il y a de désirable en la grâce, en la nature et même en la gloire. Voilà les deux ternaires de la sainte Visitation, auxquels il faut que notre âme promette aujourd’hui une perpétuelle dévotion. Jésus, Marie, Joseph, Jean, Élisabeth et Zacharie, vous êtes et serez à jamais le centre de mes désirs, le but de mes espérances et les délices de mes amours ; avec la divine grâce, je méditerai souvent vos vies, vos maximes et vos enseignements ; soyez les protecteurs et les modèles de ma vie !

Considérez que la Maison de la Visitation est une Maison de toutes les vertus. Demandez aujourd’hui permission à la sacrée Vierge et à sainte Élisabeth d’y entrer parmi leurs servantes, comme une autre Ruth, pour y glaner et ramasser votre subsistance dans ce champ béni du Seigneur, et voyez qu’il est le séminaire de toutes les vertus. Récréez votre âme à les considérer les unes après les autres. L’amour du Verbe fait chair dans sa prison d’amour, l’esprit d’adoration en saint Jean, l’humilité et la charité en Marie, le rabaissement et la reconnaissance en sainte Élisabeth, l’admiration, l’oraison et la retraite en saint Joseph et en Zacharie, la paix et la sainteté en toute la famille. Voilà sur quoi nous devons prendre exemple pour habiter la Maison de la Visitation dans l’esprit de ce mystère.

Considérez aujourd’hui fort sérieusement que la Maison de la Visitation est la Maison de la vie cachée et anéantie. Saint Paul l’a bien reconnu quand il a dit que le Verbe incarné s’est anéanti soi-même. Quoi de plus anéanti que cette grandeur éternelle, cachée, abaissée, et, en quelque façon, perdue dans le sein de Marie sous une aussi petite forme que celle d’un petit corps qui commence à croître, et dans un si petit espace que les entrailles d’une si petite Vierge ? Après cet anéantissement, quoi de plus anéanti que Jean-Baptiste, ayant reçu l’usage de la raison et demeurant prisonnier au sein de sa mère ? Quoi de plus anéanti que Zacharie, qui était un pauvre vieillard muet et en pénitence ? Quoi de plus anéanti qu’Élisabeth, qui, se voyant près d’être mère, se caché en solitude pour trois mois ? Mais, après Jésus, quoi de plus anéanti que Marie, qui ne se nomme qu’une pauvre servante du Seigneur ? Quoi de plus anéanti que saint Joseph, qui admire tellement la grandeur de ce divin mystère et sa propre petitesse, qu’il ne profère pas une seule parole ? Sainte Vierge, apprenez aujourd’hui à mon âme que la vocation à la Visitation est une vocation à la vie cachée et anéantie.

Bien que l’octave de la Visitation soit finie, il faut poursuivre nos petites pensées sur ce mystère et considérer qu’en la Maison de la Visitation chacun faisait, sans anticipation sur autrui, les choses où Dieu l’appliquait. Voyez comme, le huitième jour après la naissance de saint Jean, il fallut, selon la loi, donner la marque du pécheur à ce petit sanctifié et lui imposer son nom. La Sainte Vierge et saint Joseph ne s’avancèrent point pour en donner leur avis ; ils laissèrent parler la mère de l’enfant qui le nomma. Il fallut consulter le père muet, qui écrivit dans ses tablettes : Jean sera son nom. Admirez la modestie et le silence de cette Sainte Vierge et de saint Joseph à ne dire mot où ils n’étaient pas interrogés et à laisser doucement chacun faire ce que la divine obéissance lui avait commis. Apprenez aujourd’hui la même pratique de cette Sainte Vierge.

Considérez aujourd’hui que la Maison de la Visitation est une Maison de secrets et de miracles. Pensez avec quelle joie la Sainte Vierge voyait et concourait aux merveilles qui s’opéraient chez sa cousine Élisabeth, non seulement par la sanctification de son petit neveu saint Jean, qui était un mystère secret, inconnu aux hommes, mais par la joie et prophétie et par la merveille du recouvrement de la parole de Zacharie, aussitôt que le nom fut imposé à Jean son fils. Oh ! Vierge glorieuse, je vous congratule de ces merveilles. Il était bien juste, disiez-vous en vous-même, que le Verbe fit parler le père muet du précurseur de la VOIX, du préparateur de son chemin.

Considérez aujourd’hui la divine modestie et l’air délicieux avec lesquels la Sainte Vierge entonne, dans la Maison de la Visitation, le premier cantique de la loi de grâce, Magnificat. Le second cantique évangélique est le Benedictus, aussi composé et récité dans la Maison de la Visitation, et l’Église se sert de tous les deux pour louer Dieu jour et nuit. La Sainte Vierge et son cousin Zacharie louaient et bénissaient le Seigneur de l’effusion de grâce pour la Rédemption du genre humain, voyant le petit pécheur saint Jean purifié dans les entrailles maternelles et sanctifié par la grâce du Rédempteur caché au sein de Marie. Ô Sainte Vierge ! ce n’est pas sans mystère que vous êtes petite-fille du chantre royal David. Faites-nous chanter le cantique nouveau de votre sainte Visitation, et que nos langues demeurent muettes, si elles ne s’occupent à louer et glorifier Dieu. Notre Père saint François de Sales et nos premières Mères faisaient une partie de leurs plus douces récréations de chanter des cantiques spirituelles.

Appliquez-vous aujourd’hui à honorer la Vierge sacrée dans les saintes dispositions avec lesquelles elle composa et chanta son cantique Magnificat. Suppliez-la en toute humilité qu’elle daigne vous apprendre, comme étant votre bonne et unique Maîtresse, ce chant sacré qu’elle opposa, comme un renvoi d’amour divin, à toutes les louanges que sa sainte cousine lui donnait. Suppliez-la d’ouvrir votre intelligence et de vous permettre une application intérieure, tous ces jours suivants, pour bien apprendre son cantique. Dites-lui : Ô sainte Maîtresse de tous les chantres célestes ! apprenez-moi sur quel ton je dois chanter les louanges de votre adorable Fils et les vôtres. Les premières notes de cette gamme sont : Amour, humilité, reconnaissance des bienfaits et miséricordes divines. Promettez-lui que dorénavant vous chanterez son cantique avec plus de révérence que jamais, et que vous le réciterez encore plus par le cœur, l’esprit et l’intelligence que par la voix extérieure.

David, et après lui toute l’Église, dit à Dieu : Seigneur, ouvrez mes lèvres, et ma bouche annoncera vos louanges. Honorez aujourd’hui la Sainte Vierge comme la plus excellente créature qui ait jamais desserré les lèvres, ouvert la bouche et employé sa belle voix aux divines louanges. Le premier couplet de son saint cantique est un excès d’amour et une parole d’extase sacrée : Magnificat anima mea Dominum : Mon âme magnifie le Seigneur. Notre Père saint François de Sales assure que par ces paroles, qui furent l’unique réponse que Marie fit à sainte Élisabeth après un grand discours de joie et de louanges, la Sainte Vierge voulait dire : Mon âme ne veut recevoir ni donner louange qu’à Notre-Seigneur... Apprenez-moi, Sainte Vierge, à briser toutes sortes de compliments actifs et passifs et toute louange humaine, pour glorifier uniquement Notre-Seigneur.

Appliquez-vous aujourd’hui au second verset du sacré Cantique de Marie : Et exultavit spiritus meus in Deo salutari meo : Et mon esprit se réjouit en Dieu, mon Sauveur. Ici elle découvre le mystère sacré de l’Incarnation et parle des joies ineffables de son Cœur en la conception de l’Homme-Dieu, car, en disant en Dieu, mon Sauveur, elle dit : en Dieu, mon Jésus. Ô ma sainte Mère Marie ! je le crois fermement que jamais votre âme, votre esprit, ni tout votre être, n’eurent autre joie, autres plaisirs, autre allégresse qu’en magnifiant le Seigneur notre Dieu et votre Fils, notre Sauveur Jésus. Par cette sainte joie de votre âme et de votre esprit, anéantissez en moi toutes les vaines joies et satisfactions de ce monde et des créatures.

Voyez aujourd’hui que la très-sainte humilité était la compagne inséparable du Cœur de la Sainte Vierge. Elle se tient toujours dans son rang de servante du Seigneur, soit qu’elle parle aux Anges dans le secret de son oratoire, soit qu’elle parle à sa cousine en pleine visite. Le Seigneur, dit-elle pour le troisième couplet de son cantique, a regardé l’humilité de sa servante. Notre Père saint François de Sales, expliquant ceci, dit ces mots : « La Sainte Vierge voulait dire que le Seigneur avait regardé son abjection, sa petitesse et son néant, parce qu’en latin humilité veut dire abjection et abjection veut dire humilité. »

Cette Sainte Vierge avait une humilité noble et généreuse, qui ne l’empêchait pas de voir le bien que Dieu avait mis en elle. Ô très-humble Marie, tous les Pères de l’Église sont d’accord que le Verbe a plus regardé votre humilité que votre virginité même. Ô Vierge sacrée, l’Esprit de Dieu se repose sur les humbles, mais, parce que vous êtes l’humble des humbles, non-seulement l’Esprit divin s’est reposé sur vous, mais il est en vous, en toute sa plénitude. Je vous en congratule, sainte et humble Marie, et vous demande la grâce pour chasser de mon âme l’orgueil qui détourne d’elle les divins regards.

Assistez aujourd’hui en esprit, dans la Maison de la Visitation, à la béatification de la Sainte Vierge. Sa cousine sainte Élisabeth venait de l’appeler Bienheureuse pour sa foi, et parce que, dit notre Père saint François de Sales, la vérité et l’humilité sont une même chose, la Sainte Vierge ayant une humilité aussi généreuse que véritable, elle avoue, dans le quatrième couplet de son Cantique, que le dire de sa cousine est vrai. Certes, dit-elle, je ne puis nier cette vérité ; Désormais toutes les générations me diront Bienheureuse. Ô Sainte Vierge, que je veux bien être des plus soigneuses, moyennant la divine grâce, à vous nommer Bienheureuse, la Mère et la Reine de tous les Bienheureux ! J’estimerai à jamais malheureux ceux qui ne vous estimeront pas et ne réclameront pas votre secours. Bienheureuse sainte Mère de Dieu ! que ne puis-je convertir tous les hommes de la terre, afin que, avec tous les Anges du ciel, ils vous publient Bienheureuse !

Honorez aujourd’hui le raisonnement de la Sainte Vierge dans la déclaration qu’elle fit elle-même de la cause de sa béatification. C’est, dit-elle, que Celui qui est tout-puissant a fait en moi de grandes choses et son nom est saint. Je vous salue, Marie, pleine de grâce, renvoyant tous vos bonheurs et béatitudes à l’ouvrage de la grâce du Tout-Puissant et à la sainteté de son nom. Mais duquel nom divins vouliez-vous parler, Sainte Vierge ? Était-ce de ce Jéhova révéré par vos ancêtres, ou de ces noms que les prophètes avaient donnés à Dieu ? Pour moi, Sainte Vierge, je pense que, comme vous traitiez avec votre sainte cousine du mystère de l’Incarnation, vous parliez du nom de votre doux Emmanuel, qui était non-seulement avec vous, mais Dieu en vous, et une partie de vous en laquelle l’ouvrage de la Toute-Puissance doit être adoré. Par cet ouvrage de la divine Puissance, ô Sainte Vierge ! secourez mes faiblesses et faites-moi sanctifier le nom de Dieu, en la terre comme au ciel.

Voyez aujourd’hui comme la Sainte Vierge parle de la puissance divine et de la sainteté de son nom, passant dans son cantique à la continuation des divins attributs. La miséricorde de ce grand Dieu, dit-elle, se répand de génération en génération sur ceux qui le craignent. Eh ! Vierge sacrée, donnez-moi aujourd’hui l’intelligence de ce couplet de votre saint cantique. Ce bon Dieu a dit qu’il voulait la miséricorde et non le sacrifice ; le Sauveur nous enseigne qu’Il est venu pour les pécheurs et non pour les justes ; votre serviteur saint François de Sales nous assure que le trône de la divine miséricorde, c’est notre misère ; et vous, ô divine Maîtresse de la doctrine évangélique ! vous dites que la miséricorde se répand de génération en génération sur ceux qui craignent Dieu. Sans doute, vous voulez m’apprendre aujourd’hui la crainte filiale, qui est le commencement de la sapience, et la crainte salutaire, qui nous donne un véritable repentir de nos péchés et de nos infidélités et nous impètre le pardon de nos crimes. L’âme humble et craintive attire sur elle les divines miséricordes.

Appliquez-vous à apprendre aujourd’hui de la Sainte Vierge la suite du narré qu’elle fait dans son Cantique des effets de la Justice divine : Il a travaillé puissamment par son bras, dit-elle ; il a dissipé les orgueilleux en la pensée de leur cœur. Sans votre secours et sans votre lumière, Sainte Vierge, mon âme ne pourra recevoir aucune intelligence de ce sixième couplet de votre Cantique. Est-il possible que Celui qui de rien a fait toutes choses, qui d’un clin d’œil pourrait renverser l’univers, qui supporte sur trois doigts toute la masse de la terre, ait eu besoin du puissant travail de tout son bras contre les orgueilleux, et de toute sa force pour mettre en dissipation et néant les pensées de leurs cœurs ? Est-ce de ceux qui ont édifié la tour de Babel, Sainte Vierge, que vous parlez ? Hélas ! sainte Mère de Dieu, je suis convaincue que c’est du monstre d’orgueil qui est en moi qu’on doit à présent entendre ces paroles ! Ma malheureuse et si orgueilleuse résistance à la grâce attire sur moi les divines punitions et les renversements très-justes de mes vaines pensées.

La Sainte Vierge continuant d’exalter l’ouvrage de la grâce toute-puissante du Sauveur, Il a, dit-elle, renversé les orgueilleux et a élevé les humbles. Plusieurs saintes âmes disent que la Vierge, à laquelle toutes les œuvres de Dieu étaient connues, au ciel et en la terre, insinuait à sa cousine, par ce couplet, la chute des anges rebelles, qui n’avaient pas voulu adorer le Verbe incarné et l’élévation dans leurs sièges des humbles enfants de la grâce chrétienne. Ô Vierge Sainte, l’humble des humbles ! il n’y a point encore de siège assez haut pour vous dans le royaume de la grâce et de la gloire ! Il vous en faut un plus élevé que celui de Lucifer. Je me réjouis de ce que vous serez à la dextre de l’Homme-Dieu, votre Fils ; faites-moi la grâce que je ne m’élève jamais au-dessus de mon devoir et de ma portée, afin que, comme dit le saint Évangile, on ne me fasse pas descendre avec confusion ; mais plutôt faites-moi, comme votre pauvre servante, ô Reine du ciel, monter à votre suite de vertus en vertus !

Admirez aujourd’hui le huitième couplet du Cantique de la Sainte Vierge : Le Seigneur, dit-elle, a rempli de biens les faméliques, et il a renvoyé vides ceux qui étaient riches : Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes. Ceci correspond à la béatitude que Jésus enseignera trente ans plus tard sur la montagne : Bienheureux sont ceux qui ont faim, car ils seront rassasiés. Ô sainte Mère de Jésus, que vous entriez bien dans les intentions et les maximes du Sauveur, puisque vous nous les enseigniez ainsi par avance !... Obtenez-nous cette bienheureuse faim et soif de la justice, et que je ne sois jamais rassasiée que de ce [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] que vous nous apportez de si loin ! Ô véritable Femme forte ! je consens aujourd’hui que la grâce dépouille et vide mon cœur de tout ce qui n’est pas [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] !

Écoutez aujourd’hui la Sainte Vierge dans son admirable raisonnement : Il a reçu Israël, son serviteur, ayant souvenance de sa miséricorde : Suscepit Israel, puerum suum, recordatus misericordiae suae. En ce couplet, l’âme de la Sainte Vierge donne une profonde connaissance du mystère de l’Incarnation ; car c’est comme si elle disait : Le Dieu de l’éternelle miséricorde a reçu le petit enfant d’Israël, qui est caché dans mon sein, pour être l’Hostie de propitiation et d’expiation ; ce sera en faveur de cet Homme-Dieu qu’Il fera miséricorde à son peuple. Ô Vierge sacrée, imprimez dans mon cœur cette belle parole : Pueri sui ! Que je sois pour jamais votre petite enfant, votre petite servante ; c’est le moyen de faire renouveler sur moi les divines miséricordes.

Ainsi qu’il a parlé à nos pères, à Abraham et à sa race pour toujours : Sicut locutus est ad Patres nostros, Abraham et semini ejus in saecula. En ce dixième et dernier couplet du cantique de Marie dans la Visitation, la Sainte Vierge veut élever nos cœurs à la foi de la parole de Dieu, à la confiance et à l’espérance en ses divines promesses. L’évangéliste saint Mathieu commence la génération du Verbe incarné par le père des croyants, Abraham, et la Sainte Vierge finit son cantique par l’assurance que les divines promesses, faites à ce grand ami de Dieu, auront leur effet. Ce saint père Abraham était autrefois dans une telle estime parmi le peuple choisi que, quand on réclamait les divines miséricordes, on invoquait la divine Bonté par ce titre d’honneur : Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; elle-même s’en glorifiait. – Vierge sacrée, en notre loi de grâce, il me semble que mon âme doit dire : Ô Dieu éternel, Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ! nos cœurs s’élèvent à vous, par une nouvelle grâce, qui nous convie d’invoquer vos sainte miséricordes, par Jésus, Marie, Joseph.

Voyez aujourd’hui que le Cantique de la Sainte Vierge étant fini, elle rentre dans le silence, et l’Évangile, qui ne nous avait encore montré cette Vierge parlant qu’avec les Anges, ne nous veut dire mot des discours qu’elle a faits selon la nécessité, pendant les trois mois qu’elle demeura en sa visitation de Judée. Nous pouvons penser que ces trois mois furent employés à la contemplation la plus pure et la plus élevée qui se fera jamais, puisqu’on possédait dans la maison de Zacharie le Dieu du Paradis et la Reine des Anges. Après les trois mois de conversation et d’opération inconnue, l’Enfant de grâce ayant paru au monde, le grand Prêtre parla, et, reconnaissant dans ce miracle un effet de la compagnie qui était chez lui, il entonna devant tout le peuple le second Cantique de la Visitation : Béni soit le Dieu d’Israël, de ce que, par sa visitation, il a fait la délivrance de son peuple... Ah ! Sainte Vierge, notre Père saint François de Sales me l’a bien enseigné que c’est par votre secrète visitation que vous m’avez délivrée du monde. Daignez visiter mon pauvre cœur pour lui donner l’onction de l’esprit de votre sainte Visitation !

Tandis que la Vierge se tait, apprenons aujourd’hui de sainte Élisabeth à saluer Marie ; car c’est dans le maison de la Visitation qu’on apprend véritablement à saluer la Sainte Vierge, à recevoir les visites de Marie et leurs effets. L’Évangéliste dit que la Sainte Vierge, faisant la Visitation, salua Élisabeth ; mais cet aimable secrétaire ne dit point de quelles paroles elle se servit pour cette salutation, et il rapporte tout au long les réponses que lui fit sainte Élisabeth dans son enthousiasme, dans son extase et dans sa joie. Ô Vierge sacrée ! vos paroles n’étaient-elles pas plus dignes d’être remarquées que celles de votre inférieure ? Je crois que c’est ici un mystère de vie intérieure et spirituelle que notre Père saint François de Sales a découvert et qu’il nous a enseigné, lorsque, dans la Constitution XXXIII^e, il dit que Notre-Seigneur, par son inspiration et vocation, et Notre-Dame par une secrète visitation de laquelle elle a visité les cœurs des filles appelées à la Visitation, les a jointes et unies ensemble afin que jamais elles ne fussent séparées d’amour et de dilection, ains qu’elles demeurassent en unité d’esprit par le lien de la charité, qui est le lien de perfection. Visitation secrète, parole cachée et qui correspond en quelque façon à ce que dit l’Évangéliste saint Jean, qu’un nom sera donné à chaque âme, que nul ne connaîtra que celui qui le recevra. Il y a certains mouvements si secrets dans la vocation de la Visitation, qu’en vérité le ressort en est caché. On voit le mouvement sans voir ni savoir qui le meut. C’est cette visitation secrète de Marie, c’est cette main sacrée de la Mère de Dieu qui lie les cœurs à son Fils ; nous le voyons dans la sanctification de saint Jean. Préservez-moi, ô sainte et sacrée Vierge ! de défaire jamais l’ouvrage de la sainte visite que vous faites de nos cœurs dans cette vocation !

Voyez aujourd’hui que c’est véritablement dans la Maison de la Visitation qu’on apprend à louer la Sainte Vierge. La bonne sainte Élisabeth, recevant le salut et les premières approches de la Visitation de sa cousine, s’écria à haute voix, dit l’Évangile : Ô Marie ! tu es bénie entre toutes les femmes et béni est le fruit de tes entrailles. Considérez que cette salutation est tellement correspondante à celle de saint Gabriel que vous diriez que cet Ange l’a révélée à sainte Élisabeth. Ah ! que je dois aimer la Visitation ! Une partie de l’Ave Maria y a été composée, pour nous enseigner que c’est véritablement dans la Maison de la Visitation que nous devons apprendre à servir et à honorer Marie. Je ferai aujourd’hui résolution de ne recevoir ni faire jamais visite sans dire quelque chose en l’honneur de la Sainte Vierge, Mère de Dieu.